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Compte-rendu de la session
La santé des aînés
Paris – Centre universitaire des Saints Pères 20 mai 2011
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Illustration de la prise en compte des déterminants socio-environnementaux de la santé
Modérateur : Albert LAUTMAN
Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV)
Introduction
Catherine DUMONT
Directrice de l’animation des territoires et des réseaux à l’INPES
La santé des aînés constitue un axe majeur de travail de la direction de l’animation des territoires
et des réseaux de l’INPES. Plusieurs sessions des journées de la prévention lui ont déjà été
consacrées. Cette année, l’INPES propose d’aborder le bien-vieillir sous l’angle de l’environnement
social et géographique, et ce dans le cadre de la promotion de modèles de prévention intégrant
l’environnement. Le comité scientifique organisateur de cette session a associé la Mutualité
française, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), l’Agence nationale d’évaluation sociale
et médico-sociale (ANESM), la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), l’Université
de Montréal et l’Union internationale de promotion et d’éducation pour la santé (UIPES).
La plupart du temps, c’est l’angle individuel qui caractérise la façon dont la santé des aînés est
abordée. C’est pourquoi l’INPES a fait le choix de l’examiner sous l’angle socio-environnemental. La
participation sociale et l’accessibilité des ressources dans le voisinage sont en effet des éléments
clés de la santé et de la qualité de vie des aînés. De plus, l’adaptation de l’environnement aux
besoins des personnes âgées leur permet de s’approprier plus facilement leur espace de vie. Lutter
contre les inégalités sociales dans le domaine de la santé implique de tenir compte des
déterminants sociaux et environnementaux. Il semble nécessaire d’interroger les pratiques et de
vérifier si elles associent les dimensions sociale et environnementale de la santé, dans une
perspective d’intégration des personnes les plus fragiles.
Cette session est conçue comme un espace d’échanges. Elle associe des rappels théoriques à la
présentation d’expériences de terrain et constitue un temps de réflexion autour du bien-vieillir,
envisagé dans sa globalité. Une série d’illustrations de la prise en compte des déterminants socio-
environnementaux sera présentée. L’INPES soutient ces approches en développant des partenariats
avec l’université de Montréal, l’université de Sherbrooke et le centre de santé et de services
sociaux du Québec.
Albert LAUTMAN
Le vieillissement de la population représente un véritable défi pour les pouvoirs publics, comme le
prouvent les débats sur la dépendance. L’appellation est ambiguë, car la dépendance proprement
dite, définie comme une perte totale d’autonomie, ne concerne que 20 % des personnes âgées de
plus de 85 ans. Le parti-pris de l’INPES est de présenter des approches extrêmement variées de
cette problématique et de favoriser les échanges.
Modèle écologique : données scientifiques et illustrations
Lucie RICHARD
Directrice adjointe de l’institut de recherche en santé de l’université de Montréal
L’institut de recherche en santé publique de l’université de Montréal a une vocation
interdisciplinaire. Mes recherches portent sur la promotion de la santé, les pratiques
professionnelles et l’analyse des modèles d’intervention en promotion de la santé. Plus récemment,
mon équipe de recherche a travaillé sur l’influence que les quartiers peuvent avoir sur la santé des
aînés, ce qui l’a amené à collaborer avec l’INPES. Depuis trois ans, nous travaillons ensemble sur
3
l’étude des déterminants socio-environnementaux de la santé des aînés. Ma présentation a pour
vocation de relever les différentes interrogations soulevées par le modèle écologique en matière de
promotion de la santé.
De la santé publique traditionnelle à la nouvelle santé publique
L’approche écologique est un élément clé de la nouvelle santé publique et de la promotion de la
santé. Elle se définit comme un cadre de recherche et d’intervention axé sur une vision élargie
des déterminants de la santé. Par conséquent, la santé publique traditionnelle, centrée sur
l’individu, s’oppose à la nouvelle santé publique, axée sur l’environnement, selon les
caractéristiques suivantes :
- l’intérêt porté par la santé publique traditionnelle à l’environnement physique (le logement, la
qualité des eaux, l’hygiène etc.) se complète, dans le cas de la nouvelle santé publique, par un
intérêt pour l’environnement social, qui intègre la notion de capital social, les comportements de
santé et les habitudes de vie
- la nouvelle santé publique s’intéresse toujours aux actions politiques, mais va au-delà de la seule
législation : en effet, les acteurs politiques de la santé publique se définissent généralement
comme des avocats de la santé
- la médecine, qui occupait une place centrale dans la santé publique traditionnelle, cède la place
à l’interdisciplinarité
- l’approche des experts est remplacée par la participation des citoyens
- une diversité d’approches méthodologiques se substitue à l’épidémiologie traditionnelle
- la promotion de la santé s’ajoute à la prévention des maladies
- le modèle de prévention des maladies infectieuses est remplacé par un modèle qui inclut toute
forme de menace : les maladies chroniques, la santé mentale et les préoccupations
environnementales
- la nouvelle santé publique s’interroge sur l’équité et la justice sociale.
Des déterminants sociaux de la santé à l’approche écologique
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a accentué la visibilité des déterminants sociaux de la
santé. Dans Pour un avenir en santé : deuxième rapport sur la santé de la population canadienne,
L’institut fédéral Santé Canada a publié une illustration très simple de la notion de déterminants
sociaux de la santé, à travers une série de questions basiques, présentée ci-dessous. Ainsi, la santé
est influencée par une constellation de facteurs, y compris par ceux qui semblent éloignés du
domaine de la santé.
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Figure 1 : une série d'interrogations simples illustre efficacement la notion de "déterminants
sociaux de la santé "
L’approche écologique de la santé intègre les déterminants sociaux de la santé et présente
plusieurs avantages :
- elle utilise les données de l’épidémiologie sociale et prend en compte les facteurs socio-
économiques, les facteurs de genre, de culture ainsi que les environnements des quartiers
- l’approche écologique est plus efficace que les interventions traditionnelles, lesquelles ne
ciblent que les caractéristiques individuelles et ont démontré leurs limites. En effet, les
interventions traditionnelles peuvent contribuer à amplifier les inégalités de santé : les activités
d’éducation à la santé attireront exclusivement les groupes les plus favorisés et ne parviendront
pas à toucher les groupes moins favorisés qui, pourtant, sont davantage concernés.
- En travaillant sur les milieux, l’approche écologique permet d’éviter les approches de type
victim-blaming1, souvent associées aux approches individuelles.
Faut-il parler d’approche écologique ou de modèle écologique ?
« Approche écologique » et « modèle écologique » sont souvent confondus, mais ils doivent être
distingués. Le modèle écologique est une conceptualisation formelle des déterminants
individuels et environnementaux des comportements de santé et de la santé. Ils ont fait l’objet
de nombreux travaux. Ainsi, Kurt Lewin est considéré comme le pionnier de ce modèle, puisqu’il a
proposé d’expliquer les comportements en fonction de la personne et de son environnement, ce
qu’il résume dans l’équation B=f(P, E)2. Les systèmes de Bronfenbrenner, à l’origine développés
pour la psychologie du développement, ont aussi participé à la construction du modèle écologique.
Les outils et les méthodes de l’approche écologique utilisent également les travaux effectués dans
le domaine de la psychologie communautaire, née vers la fin des années 1960 à partir du constat
selon lequel le milieu influençait la santé du patient.
L’ensemble de ces recherches s’est inspiré de la biologie, de l’écologie et des notions
d’écosystèmes pour proposer une « métaphore écologique » et modéliser la place de l’individu au
sein de son propre écosystème. Ces réflexions ont ensuite eu une grande influence sur la santé
publique.
Des développements plus récents, issus de l’épidémiologie en santé publique, ont participé à la
construction de modèles d’intervention intégrant les déterminants sociaux de la santé. En outre,
l’utilisation des outils méthodologiques de la géographie ou des statistiques ont permis de mesurer
les environnements avec plus de précision et de richesse. Le modèle statistique multi-niveaux, par
1 L’approche « victim-blaming » en santé consiste à rejeter la cause d’un mauvais état de santé sur la victime elle-même 2 « B » pour Behaviour, le comportement, « P » pour personne et « E » pour environnement.
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exemple, est utilisé dans les travaux qui portent sur les quartiers. Enfin, les résultats décevants des
programmes axés sur les modifications exclusives des comportements ont conduit à une remise en
cause des modèles traditionnels.
Le modèle écologique a été adapté à de nombreuses problématiques. Il se présente sous la forme
de cercles concentriques, au centre desquels se trouve l’individu, puis il intègre son environnement
proche et, progressivement, un environnement de plus en plus éloigné : l’environnement social,
l’environnement physique puis l’environnement « macro ».
Par exemple, une analyse des facteurs d’influence de la nutrition reprendra les données suivantes :
- les facteurs individuels : les connaissances, les valeurs, le style de vie
- l’environnement social : la famille, les amis et les pairs
- l’environnement physique : l’alimentation au travail, à l’école etc.
- l’environnement « macro » : les valeurs, les normes, les industries de l’alimentation etc.
Ces modèles contribuent à conceptualiser l’ensemble des éléments que la recherche et les
interventions doivent prendre en compte.
Figure 2 : le modèle écologique part de l'individu puis s'en éloigne progressivement afin d'intégrer
l'ensemble de son environnement. Celui-ci présente une analyse des facteurs d’influence de
l’isolement des personnes âgées en milieu d’hébergement.
Le modèle présenté ci-dessus permet d’analyser les influences de l’isolement des personnes âgées
—isolement lié à un problème infectieux en milieu d’hébergement —, en partant du résidant vers
les facteurs intra-personnels (la famille), intermédiaires (le milieu de soin), jusqu’à la grande
périphérie (les lignes directrices gouvernementales).
Les utilisations du modèle écologique sont de plus en plus sophistiquées. En effet, alors que les
premiers modèles s’attachaient à conceptualiser les différents niveaux de déterminants de la
santé, les modèles contemporains intègrent de nouvelles dimensions, telles que le parcours de vie
ou la participation des communautés. Ces évolutions ont été vivement critiquées, car leur
complexité les inscrit dans une démarche d’experts, qui associe trop peu les communautés.
Cependant, le modèle écologique continue d’évoluer.
Intérêt et définition opérationnelle de l’approche écologique
De nombreux plans d’actions politiques découlent de l’approche écologique :
- les travaux du Plan d’ensemble pour la santé des Canadiens, issu de la charte d’Ottawa (1986)
- la politique de santé bien-être au Québec
- Healthy People 2010: Understanding and Improving Health, aux Etats-Unis (2000)
6
- la déclaration de Munich de l’OMS, autour de la pratique infirmière (2000)
- la commission sur les déterminants sociaux de la santé de l’OMS.
L’élaboration d’une grille d’analyse plus précise des programmes d’intervention a nécessité de
donner une définition opérationnelle de l’approche écologique : d’après Stokols, un programme
écologique inclut des actions visant plusieurs cibles — les individus et les différentes facettes de
leur environnement —, et ce dans de multiples sites d’intervention. Un programme de promotion
de la santé qui intègre l’approche écologique se concentrera donc sur deux dimensions clés : le
milieu et la cible.
Le milieu désigne essentiellement les lieux dans lesquels il convient d’approcher la population
cible. A la fin des années 1980, l’approche écologique suscitait un intérêt, mais sans pénétrer les
milieux de formation. Je me suis alors interrogée sur l’intégration de ce discours conceptuel dans
les pratiques. Il a fallu développer une grille d’analyse des programmes de santé et donc
déterminer les milieux dans lesquels il était possible de trouver les populations cibles. Pour cela,
l’équipe de recherche a utilisé la théorie des systèmes3 et quatre types de milieux ont été retenus :
- les organisations : à l’école, au travail, au sein des organisations de santé, dans les commerces
- les communautés : résidents de quartiers, d’une ville
- les sociétés : au niveau des provinces, des états, des pays (au Québec), voire au niveau de la
région (en France).
- le contexte supranational : le Commonwealth, l’Union européenne.
Il a été plus évident de définir des cibles ont grâce au travail de Kenneth McLeroy qui, en plus de
l’individu, a déterminé quatre cibles :
- l’environnement interpersonnel, c'est-à-dire le réseau social informel dont l’individu est membre
- les organisations au sein desquelles il évolue
- les communautés
- le sous-système politique et ses représentants.
Les stratégies d’intervention issues de l’approche écologique
La stratégie d’intervention correspond à la spécification du type de cible et de l’enchaînement
des différentes cibles jusqu’au client ultimement visé par un programme. Les programmes
peuvent donc viser les cibles suivantes :
- les individus-clients : il s’agit du modèle classique d’éducation à la santé
- l’environnement interpersonnel : en développant des programmes consacrés aux aidants en santé
des aînés, par exemple
- la cible organisationnelle : en formant des intervenants en santé des aînés, en modifiant des
menus de cafétéria, en installant des douches sur le lieu de travail, etc.
- l’environnement communautaire ; via l’installation de pistes cyclables ou de sentiers piétonniers
- l’environnement politique ; grâce aux actions de lobbying effectuées par des professionnels de
santé.
Des stratégies d’intervention plus complexes peuvent aussi être modélisées. Un programme peut
par exemple avoir un impact sur une organisation, laquelle influencera à son tour l’environnement
interpersonnel pour finalement atteindre l’individu.
La promotion de la santé passe également par la mise en réseau des personnes et des cibles
d’intervention. Cette stratégie s’appuie sur le développement des compétences et sur les valeurs
de l’empowerment. Il est donc possible de mettre en réseau :
- des cibles individuelles, par la création de groupe d’entraide et de situations de partage et
d’échange
- les environnements interpersonnels, par la création de groupes d’entraide d’aidants, par exemple
3 La théorie des systèmes est développée par le biologiste Ludwig Von Bertalanffy. Il s’agit d’une méthodologie qui permet d’étudier une réalité en fonction des ensembles de facteurs qui lui sont rattachés
7
- des cibles organisationnelles, en donnant des outils aux organisations et en structurant le partage
des ressources
- les communautés, avec l’opération « villes et villages en santé », par exemple
- les cibles politiques, par le biais, entre autres choses, du comité interministériel autour du plan
bien-vieillir
- des cibles différentes telles que des cibles organisationnelles et des cibles politiques autour de la
question du tabac, ou encore des commerçants et des élus autour de la revalorisation d’un
quartier.
Ces modélisations permettent d’effectuer des analyses particulièrement détaillées des différents
programmes.
Implantation de l’approche écologique, deux exemples d’études : L’intégration de l’approche écologique au sein de programmes de prévention et de promotion de la santé des aînés et l’évolution de la notion de modèle écologique dans la littérature
Une étude a analysé 132 programmes de promotion de santé réalisés par 18 Directions de santé
publique (DSP)4, 72 Centres locaux de santé communautaire (CLSC)5 et 43 centres de jour6. Chaque
organisme a établi une liste de ses programmes d’intervention, programme qui se définit comme
l’ensemble des initiatives prises par l’organisme pour la prévention et la promotion de la santé.
Suite à une première analyse, il apparaît que de nombreux programmes portent encore sur la santé
physique (vaccination, chutes, etc.), et que la plupart d’entre eux s’inscrivent toujours dans un
modèle d’éducation à la santé.
Une deuxième analyse a porté plus précisément sur les programmes correspondants à trois
thématiques qui étaient alors prioritaires au sein d’un programme national de santé publique : la
promotion du bon usage du médicament, la prévention des chutes et la prévention des abus de la
violence et de la négligence. L’équipe de recherche a mené des entretiens auprès des responsables
de ces programmes. Leurs objectifs, leurs activités, leurs populations-cible et leurs moyens de
recrutement ont ainsi été détaillés. Ces entretiens ont ensuite été étudiés à l’aide d’une grille
d’analyse intégrant les milieux, les cibles et les stratégies d’intervention précédemment décrits.
Cette étude révèle que :
- 91 % des programmes des centres de jour visent directement l’individu ; plus rarement, les
centres de jour s’intéressent à la cible organisationnelle, essentiellement à travers la formation du
personnel
- les programmes des DSP visent majoritairement la cible organisationnelle ; ces résultats sont
cohérents avec leur statut d’organismes régionaux : les DSP n’ont en effet que peu de contacts
directs avec les populations et travaillent principalement avec des organisations
- les actions des CLSC sont, quant à elles, majoritairement tournées vers les individus ; les résultats
auraient probablement été différents si le terrain de l’étude avait été celui de la petite enfance.
En ce qui concerne la santé des aînés, le modèle d’éducation à la santé prédomine encore.
Quelques programmes des CLSC étaient dirigés vers les cibles organisationnelles et 16 % d’entre eux
agissaient sur les environnements interpersonnel et communautaire.
Ces résultats montrent que très peu d’actions sont réalisées en direction des cibles
communautaires ou politiques. Les programmes de promotion de la santé entrent donc en
contradiction avec le modèle écologique dont ces organisations se réclament.
Une autre étude, publiée en 2010, a analysé l’évolution de la recherche sur la notion de modèle
écologique de 1988 à 2009. L’équipe de recherche s’est intéressée à deux types de productions : la
littérature portant sur les déterminants de la santé et celle portant sur les interventions visant à
modifier les comportements de santé. Le terrain de recherche de l’étude s’est tout d’abord limité
aux travaux sur la nutrition et aux travaux sur les activités physiques, car ces secteurs génèrent
4 Les DSP sont des organisations régionales de santé publique au Québec. 5 Les CLSC étaient des organisations locales de santé publique ; ils n’existent plus sous cette forme aujourd’hui. 6 Les centres de jour correspondent à des centres d’hébergement et de soins de longue durée
8
déjà des interventions sur le milieu. Le champ de la nutrition s’est ensuite réduit à la
consommation des fruits et légumes.
L’équipe de recherche a procédé par échantillonnage sur trois périodes (1988-1990 ; 1998 – 2000 ;
2007 – 2009) et sur différents types de journaux scientifiques — certains généraux et d’autres
spécialisés en nutrition et en activités physiques. Ainsi, 666 articles ont été retenus et tous ont été
codés en fonction du nombre et du type de déterminants de la santé qu’ils analysaient, et en
fonction des milieux et des cibles d’interventions qu’ils étudiaient.
Il s’est avéré qu’une majorité d’articles portait sur un nombre limité de déterminants de la santé,
analysés la plupart du temps en fonction de cibles individuelles ou interpersonnelles, tant dans le
domaine de la nutrition que dans celui des activités physiques. Ainsi, la recherche en nutrition et
en activités physiques porte encore sur l’individu-client ou sur des membres de son
environnement proche.
Le nombre d’études multi-déterminants et multi-interventions augmente dans le temps. Les études
portant sur des cibles uniques ou sur deux cibles sont majoritaires. Cependant, sur la période 2007-
2009, sont apparus des travaux qui analysaient une constellation de facteurs dans une véritable
approche écologique, ainsi que de grands programmes écologiques agissant sur une variété de
déterminants. Il s’agit toujours de modèles éducatifs portant sur l’environnement familial, mais les
environnements communautaires sont eux aussi pris en compte. En outre, les milieux
communautaires et politiques sont de plus en plus fréquemment analysés.
Enfin, la recherche sur l’activité physique intègre les déterminants communautaires dans ses
analyses depuis plus longtemps que la recherche sur la nutrition, toujours centrée sur les approches
plus traditionnelles.
Eléments de réflexion
Les études menées par l’institut de recherche en santé de l’université de Montréal permettent de
dresser un diagnostic assez précis de l’intégration de l’approche écologique dans les programmes de
promotion de la santé. Ces études sont complétées par des analyses sur les facteurs susceptibles de
faciliter ou de freiner la mise en œuvre de cette approche. Ces analyses sont réalisées grâce à des
collectes de données auprès des professionnels et grâce à des études de cas ciblant des
organisations exemplaires. Les résultats présentent une donnée constante : l’implantation de
l’approche écologique est facilitée par la collaboration entre les organisations, les
communautés et le milieu de la recherche. Les ressources sont également un facteur important de
réussite.
En outre, les approches centrées sur les milieux présentent un réel potentiel. Certains
intervenants de santé sont assez déroutés par l’approche écologique. Cependant, de nombreuses
approches centrées sur les milieux, telles que « Ecole en santé » ou « Hôpital promoteur de
santé », ont été lancées par l’OMS et alimentées par différents partenaires. Ces concepts
représentent, de mon point de vue, une façon conviviale d’appréhender la philosophie de
l’approche écologique et de ne plus envisager l’hôpital uniquement comme un lieu où des patients
sont soignés, mais aussi en tant qu’acteur situé au centre d’un réseau de partenaires.
Enfin, la promotion de pratiques exemplaires joue un rôle fondamental de levier : des
programmes écologiques existent, mais sont très peu diffusés. Nous souhaitons promouvoir des
exemples de pratiques prometteuses et d’interventions sur des cibles organisationnelles,
communautaires et politiques par le biais d’un guide qui sera disponible à la fin de l’année 2011.
L’ouvrage présentera par exemple l’analyse d’un programme de prévention des chutes — le
programme « pied » — et suggérera des idées d’amélioration du programme, inspirées par
l’approche écologique.
Echanges avec la salle
Nathalie FEUILLATRE (Mutualité française de la région Centre)
La mutualité française de la région Centre travaille sur un programme visant à réduire la
dénutrition des personnes âgées à domicile et nous avons pris en compte ce modèle écologique.
Nous avons créé un outil de dialogue autour de l’alimentation, qui permet à l’aidant de mieux
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découvrir la personne âgée et de respecter ses choix alimentaires. Pourrions-nous avoir accès aux
grilles d’évaluation que vous avez présentées afin d’analyser les bénéfices de notre action ?
Lucie RICHARD
Cette grille a été présentée dans un article et un ouvrage a été publié en français. Elle permet de
caractériser les milieux, les cibles et les stratégies d’intervention au niveau d’une programmation.
Elle vous permettra de réfléchir au public que votre action ciblera et de trouver les milieux où il
sera possible de les rencontrer.
Nathalie FEUILLATRE
Notre démarche est encore au stade de la réflexion. Nous voulons que les personnes âgées puissent
avoir accès à cet outil.
Lucie RICHARD
Une étude récente s’est intéressée à la nutrition des personnes âgées. Nous avons suivi des
personnes âgées durant quatre années et avons examiné leur environnement de résidence, en
considérant des informations géographiques telles que la distance qui sépare le domicile de
l’épicerie la plus proche et l’offre alimentaire dans le quartier etc. Il a été mis en évidence
l’importance de l’accessibilité des magasins qui proposent des produits alimentaires bons pour la
santé. En effet, nous avons constaté que si l’environnement de résidence ne comporte que des
épiceries proposant peu de fruits et légumes par exemple, les schémas nutritionnels des individus
sont riches en gras et en sucre.
Stéphanie PIN (INPES)
Un autre modèle de planification des actions sera présenté plus loin ; il s’agit du modèle de
catégorisation des résultats. Il apportera des éléments de réflexion sur la planification et
l’évaluation des actions. L’INPES souhaite présenter et confronter des outils, des méthodes et des
exemples d’interventions différents.
La grille d’analyse que Lucie Richard a proposée est surtout utilisée par la recherche en promotion
de santé. Quelles en sont les applications pratiques ? Existe-t-il des exemples au Québec ou en
France ?
Lucie RICHARD
Effectivement, cette grille a été principalement utilisée à des fins de recherches. Elle n’a jamais
été employée par des intervenants de terrain. Je pense qu’une utilisation par ces derniers
contribuera à enrichir cet outil. Les chercheurs ont beaucoup à apprendre des intervenants de
terrain et ils ont besoin de leurs suggestions. Je crois beaucoup à ce partage des savoirs.
Geneviève IMBERT (Directrice de recherche à la fondation nationale de gérontologie)
Quel est votre point de vue au sujet des différences entre le contexte québécois et français ? En
effet, il existe en effet de grandes différences entre nos deux pays. En France, les facteurs qui
freinent l’implantation du modèle écologique sont nombreux. Par exemple, la culture de
l’évaluation est très pauvre en France et le plan bien-vieillir, conçu sans plan d’évaluation, permet
de mettre en exergue cette faiblesse De plus, la santé publique n’est pas envisagée de la même
façon en France et au Québec. En France, elle est une spécialité médicale portée par des
épidémiologistes et des médecins ; elle n’est pas du tout animée par la dynamique communautaire,
très développée au Québec. Enfin, la multidisciplinarité telle qu’elle a été décrite dans votre
présentation est peu présente en France. De plus, l’association entre santé publique et sciences
humaines et sociales y est presque inexistante. Selon vous, de quelle manière le système français
pourrait-il compenser ses faiblesses ?
Lucie RICHARD
Je collabore depuis trois ans avec l’INPES mais je ne peux pas établir un diagnostic. En effet, je
n’en ai ni la légitimité ni la connaissance. Cependant, nous travaillons avec Basile Chaix, dont le
laboratoire, très influent en épidémiologie sociale, a effectué d’excellents travaux sur l’étude des
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déterminants de la santé. De plus, notre collaboration avec l’INPES sur les déterminants sociaux et
environnementaux de la santé est encourageante. Cela dit, je comprends votre commentaire et
sans doute faut-il encore travailler à l’implantation du modèle écologique en France. Des échanges
d’outils et de modèles entre la France et le Québec existent. Il conviendra se nourrir de ces leviers.
Albert LAUTMAN
Ces sujets nécessitent des évolutions en France mais également au Québec, comme le démontrait
l’approche comparée entre la nouvelle santé publique et la santé publique traditionnelle. Les
pratiques et la culture de l’évaluation connaissent une réelle évolution et l’intervention de
Nathalie Feuillâtre en est la preuve, puisqu’elle s’interrogeait sur l’évaluation de son projet au
stade de sa création. La culture de l’évaluation doit en effet être au centre des actions de
prévention. Les acteurs publics en prennent progressivement conscience, comme en témoignent les
recherches de Lucie Richard, qui contribuent à la réflexion en ce qui concerne l’évolution des
approches en santé publique.
La prévention de la fragilité des seniors : un gage de longévité
Michel NOGUES
Directeur adjoint de la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) du Languedoc -
Roussillon, chargé de mission à la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) du Languedoc Roussillon,
géographe de la santé
Le modèle que je vais présenter est en devenir. Il s’appuie sur la pratique des organismes de
sécurité sociale et souhaite modéliser une approche sociétale et environnementale de la santé des
personnes âgées.
Le contexte de la démarche de prévention de la fragilité des seniors : peut-on définir la fragilité ?
Les institutions de sécurité sociale envisagent la fragilité comme un risque. Par conséquent, faut-il
se tourner plus spécifiquement vers certaines personnes ? Ce fondement de la sécurité sociale se
traduit aujourd’hui au travers de parcours attentionnés.
Figure 3 : ce tableau de Picasso présente les signes de la fragilité : un œil tourné vers le bas et
l'oreille atrophiée traduisent une fermeture, la bouche tournée vers l’intérieur symbolise le repli
sur soi, l'autre œil, en revanche, cherche l'attention des autres.
Certains signes traduisent des situations à risques ; ces signes sont eux-mêmes des facteurs de
risques. Ils prennent la forme de déficiences fonctionnelles — sans pathologie avérée —, de poly-
pathologies - fréquentes chez les personnes âgées — ou de faits psychosociaux tels que l’isolement,
11
le stress ou l’absence d’activité. Ces facteurs de risques prédisposent aux maladies chroniques, aux
pathologies susceptibles de devenir invalidantes lorsqu’elles concernent des personnes fragiles (une
fracture du fémur, une prothèse de hanche, par exemple), et à l’avancée vers la dépendance. La
prévention implique donc de se situer en amont de ces situations et d’identifier les facteurs de
risques pour repérer les fragilités ; telle est l’approche engagée conjointement par la CNAM et la
CNAV.
La démarche de prévention sociale de la fragilité des seniors
Une démarche de prévention de la fragilité des seniors a été engagée conjointement par la CNAM et
la CNAV, dans le cadre du Plan de préservation de l’autonomie des personnes âgées (PAPA). Ce plan
a évolué dans le temps et l’une de ses orientations est précisément la fragilité. Il est organisé
autour d’un comité de pilotage national, animé dans un esprit d’inter-régime ; il est donc proche
de la Mutualité sociale agricole (MSA) et du Régime social des indépendants (RSI). Le plan
s’accompagne également d’une coordination régionale au niveau des CARSAT et d’un comité
d’experts chargé de valider l’action et de concevoir les outils d’évaluation. La démarche s’appuie
sur un système d’information qui permet de repérer et de suivre les situations de fragilité puis de
les évaluer.
La prévention sociale a pour objectif de développer une stratégie commune à l’assurance maladie
et à l’assurance retraite en matière de prévention des risques du vieillissement, et ce en faveur de
populations fragilisées. Elle comporte deux orientations :
- cibler les retraités et préretraités en situation de fragilité ou ceux qui se trouvent dans une
période sensible
- proposer une offre de service individualisée, adaptée à chaque situation.
Dans une perspective d’élargissement de la prévention, ce programme a été associé à deux autres
types d’actions :
- la prévention de la désinsertion professionnelle qui vise les jeunes retraités et les préretraités
- le maintien dans l’emploi des seniors.
L’observatoire des situations de fragilité
La CNAM, la CNAV et la CARSAT Languedoc–Roussillon ont créé un observatoire des situations de
fragilité, en favorisant deux approches :
- une prévention prospective, qui analyse la population sur des territoires donnés ; cette approche
se justifie par le fait que l’action auprès des personnes fragiles peut être réalisée dans le quartier
et dans le village
- une prévention opérationnelle et individuelle ; elle correspond à une offre de service.
Grâce aux données dont disposent les organismes sociaux dont ils dépendent, il est possible de
formuler les observations suivantes :
- quatre personnes âgées de plus de 65 ans sur cinq ont au moins une déficience fonctionnelle qui
représente un facteur de risque
- deux personnes retraitées âgées de 55 à 74 ans sur cinq vivent seules ; l’isolement et la
désinsertion sociale pèsent sur les personnes âgées et accentuent leur fragilité
- en Languedoc-Roussillon, un retraité sur 20 en moyenne souffre de précarité financière ; en
milieu urbain, ce taux est d’un retraité sur huit
- dans le département de l’Aude, les premières observations montrent que 47,13 % des personnes
retraitées de 55 à 74 sont est en situation de fragilité ; 35,33 % d’entre elles présentent un risque
d’isolement, taux légèrement plus élevés sur l’ensemble de la population retraitée.
L’isolement doit guider les actions de prévention sociale de la fragilité des seniors. En outre, les
personnes retraitées qui vivent en centre-ville ou dans une campagne isolée sont davantage
susceptibles de se trouver en situation de fragilité. Il s’agit d’un axe de travail important de notre
réflexion. Les zones périurbaines, dans lesquelles l’habitat est plus agréable, sont généralement
des zones privilégiées.
12
Les offres de services proposés dans le cadre du plan PAPA et l’expérience de la CARSAT Languedoc-Roussillon
Les offres de services se rattachent à plusieurs situations susceptibles d’engendrer de la fragilité :
- la perte d’un proche
- la retraite pour les populations précaires ou qui rencontrent des situations pouvant engendrer des
difficultés sociales ; ce moment peut être l’occasion d’offrir un conseil ou une action personnalisée
- les retraités immigrés vivant en foyer ; en général, ces populations sont repliées sur elles-mêmes
et isolées
- le placement d’un proche en Etablissement d’hébergement pour personnes âgées (EHPAD) ; la
personne qui reste seule souffre généralement d’un profond désarroi
- la sortie à l’issue d’une hospitalisation
- le maintien dans l’emploi des seniors
- l’aide aux aidants familiaux.
Le vieillissement entraîne l'aidant et l'aidé dans une situation de grande fragilité. L’aide aux
aidants familiaux est un sujet particulièrement difficile, car si l’aidant est lui-même âgé, les
risques de mortalité sont plus importants pour lui que pour les personnes du même âge ne
s’occupant pas d’un parent en perte d’autonomie. Ces situations de fragilité extrême soulèvent de
nombreuses interrogations autour des besoins de l’aidant et de l’aidé. Ces personnes sont fragiles
et il faut leur porter de l’attention.
La CARSAT Languedoc–Roussillon a créé un dispositif opérationnel, qui permet de conseiller et
d’orienter au sein d’un « espace seniors » des personnes repérées par l’observatoire, par les
plateformes de l’assurance maladie et de l’assurance retraite, par les partenaires et l’inter-régime,
ou suite aux « consultations mémoire » réalisées dans les services de gériatrie. Les actions sont
alors individualisées grâce au concours du service social, d’ateliers de santé ou de l’action sociale
organisée par l’assurance retraite.
L’objectif de la recherche de modélisation des situations de fragilité est d’identifier le moment
précis où l’action de prévention sera la plus efficace. En effet, les messages de prévention et de
modification du comportement seront moins facilement entendus par une personne qui se trouve
dans une situation difficile ou dans un état de stress. Appréhender la situation de fragilité pour
mieux la connaître et agir dans un contexte psycho-social favorable peut être l’une des solutions
adaptées pour garantir l’efficacité du conseil en prévention.
Le terrain de la fragilité et l’avancée vers la dépendance
La perte de la résilience, c'est-à-dire la capacité à rebondir, est l’une des causes de l’avancée vers
la dépendance. Il faut intervenir dès que la perte de cette capacité est perceptible.
13
Figure 4 : la perte d'autonomie n'est ni rigoureuse ni linéaire ; une intervention au bon moment
permet de préserver l'autonomie
La perte d’autonomie se compose de diverses phases. Certaines sont liées à des accidents sociaux
ou pathologiques, suivis de processus de réadaptation et de réorganisation. Ces processus sont des
moments propices pour le conseil en prévention. La sortie d’hospitalisation illustre très bien le
concept de la résilience : à ce moment précis, la personne doit être accompagnée car elle est alors
réceptive aux conseils en prévention. Le message de la prévention doit donc être lancé au bon
moment : une modélisation de l’action peut être recherchée grâce à ce concept de résilience.
Les personnes les plus particulièrement touchées par la fragilité ont donc été identifiées comme
suit :
- les personnes à faible soutien social
- les personnes dépressives qui ne modifient pas leur comportement
- les personnes qui évoluent dans un milieu de vie inadapté
- les personnes atteintes de maladies chroniques
Ainsi, l’avancée vers la dépendance correspond à la convergence de la malnutrition, de l’oubli, de
la désorientation, et de l’isolement dans une situation de solitude. Pour en sortir, il faut inscrire le
vieillissement dans une action commune : par exemple, la cohabitation, le covoiturage ou le co-
accompagnement permettent de ne plus s’isoler. Tel est le message que cette approche souhaite
porter, en inscrivant la prévention sociale au cœur des priorités de l’accompagnement des
personnes âgées.
Echanges avec la salle
Geneviève IMBERT
Ces travaux présentent une vision limitée du vieillissement. Je souhaite émettre quelques réserves
car la modélisation présente parfois des dangers. L’INPES et la CNSA ont réalisé un rapport qui
s’intitule Recherche qualitative exploratoire handicaps, incapacités, santé et aide pour l’autonomie
(RHISAA). Je pense qu’il est nécessaire de bien définir la notion d’autonomie. Par exemple, une
personne âgée de 60 à 74 ans peut rencontrer des difficultés locomotrices susceptibles de limiter
son autonomie fonctionnelle mais en conservant ses capacités cognitives et décisionnelles. De plus,
le concept de fragilité est particulièrement difficile à définir. Ce modèle peut-il éventuellement
faire l’objet de quelques réserves ?
Michel NOGUES
En effet, le sujet est complexe. Le modèle de l’intervention sociale pour la prévention de la
fragilité précise simplement les actions engagées sur le terrain.
14
Albert LAUTMAN
Un consensus se dessine autour d’une distinction des concepts de fragilité et de vulnérabilité. En
effet, la notion de fragilité correspond à une approche médicale d’un patient en lui-même ; la
notion de vulnérabilité inclut quant à elle les dimensions sociales et environnementales. Au-delà de
ce débat, le sens des propos de Michel Nogues reste le même.
Irène STOJCIC
Médecin du travail
Vos données sur les personnes âgées souffrant d’une déficience sensorielle ont-elles été comparées
aux données de l’ensemble de la population ? Par ailleurs, pouvez-vous développer la notion de
personne qui présente un risque d’isolement ? Comment les repérez-vous et selon quels critères ?
Michel NOGUES
Dans ce cas, « risque » signifie « risque d’être dans une situation de fragilité », laquelle présente
aussi un risque de perte d’autonomie. Deux sources permettent le signalement des personnes à
risque : un observatoire regroupant les données des CNAM et des CNAV sur les personnes suivies par
l’action sociale. Nous croisons des données liées à l’absence de ressources, à une carrière fragile,
au changement de domicile, à la perte de proches... D’autres signalements nous parviennent grâce
aux partenariats avec les consultations mémoire et les services de gériatrie : dans ce cas, les
actions émanent souvent des familles.
Albert LAUTMAN
A cet égard, l’exemple de la CARSAT de Montpellier est intéressant. Le partenariat entre la CARSAT
de Montpellier et le Centre hospitalier universitaire (CHU) intervient dès le diagnostic d’une
pathologie liée à la mémoire. Un premier contact peut être établi grâce à une présentation du
dispositif d’aide aux aidants et il faut préciser que le nombre de personnes qui reprennent contact
après le diagnostic est important. Dans le cadre de cette démarche, les familles viennent d’elles-
mêmes vers les programmes d’accompagnement.
Michel NOGUES
L’enjeu pour l’assurance maladie est en effet de montrer qu’elle est présente et qu’elle peut
apporter son soutien.
Lucette BARTHELEMY
L’action menée par Michel Nogues est l’application d’un modèle écologique par une approche
professionnelle. La formation de Michel Nogues, géographe de la santé et économiste, illustre le
croisement des disciplines.
Développer des interventions en promotion de la santé des aînés : une démarche intégrée de co-construction
Manon PARISIEN
Ergothérapeute, Centre de santé et de services sociaux Cavendish
Le Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Cavendish est un centre local qui développe des
interventions dans le domaine de la promotion de la santé des aînés, caractérisées par une
démarche intégrée de co-construction.
Le contexte de la démarche du centre de santé et de services sociaux de Cavendish
Un CSSS est une entité qui regroupe plusieurs établissements différents : un hôpital, un centre de
réadaptation, des centres de soins prolongés et un centre de jour. Cavendish est l’un des
19 territoires administratifs de l’île de Montréal. Le CSSS Cavendish est un centre de services
atypique. Affilié à une université, il accueille des chercheurs qui travaillent au quotidien avec les
15
praticiens. Cette configuration a permis au CSSS Cavendish de développer des services de pointe
dans les domaines de la gérontologie sociale, tels que le centre de consultation sur les abus envers
les aînés, la santé mentale, le centre de soutien aux aidants, les soins palliatifs à domicile et la
promotion de la santé des aînés. Chacune de ses équipes a pour mandat de développer, d’évaluer
et de diffuser des interventions ou des pratiques innovantes.
L’équipe de promotion de la santé des aînés à laquelle j’appartiens a développé plusieurs
programmes de promotion de l’activité physique, des programmes d’autogestion des maladies
chroniques (« Mon arthrite, je m’en charge ! », par exemple) et des programmes de promotion de la
vitalité cognitive, dont « Musclez vos méninges ».
Le même modèle d’action est appliqué pour chacune des interventions du CSSS, qu’il s’agisse de
projets locaux, régionaux ou nationaux. Ce modèle s’inspire des modèles de planification en
promotion de la santé (Green et Kreuter, 1999), des approches en gestion de projets (Martin, 2002),
des principes de diffusion des innovations (Laurendeau et al., 2010) et de la théorie d’évaluation de
programmes (Contandriopolous, Champagne, 2000).
Le CSSS Cavendish a développé une démarche intégrée : le développement des interventions,
leur évaluation et leur diffusion font partie de chaque étape d’un projet, de la définition des
interventions à leur revitalisation. La démarche est également co-construite : des chercheurs, des
praticiens et des collaborateurs de terrain participent ensemble au développement d’un projet. Par
exemple, des ergonomes et des neuropsychologues, des intervenants du milieu associatif et des
aînés ont participé à l’élaboration du programme « Musclez vos méninges ».
Figure 5 : la démarche intégrée est co-construite en permanence par les chercheurs et les
praticiens. Elle fait intervenir l'ensemble des acteurs tout au long du processus d'intervention,
d'évaluation et de diffusion d'un programme.
Chaque programme passe par six étapes différentes.
La première étape consiste à définir le projet en se demandant pour qui, pourquoi et comment le
programme sera réalisé. Dès cette étape, le CSSS part à la rencontre de collaborateurs éventuels,
issus du milieu associatif, du réseau de la santé etc., et prépare le terrain de la diffusion en les
sensibilisant à la problématique du projet. Enfin, les chercheurs s’interrogent, dès la définition du
projet, sur sa pertinence scientifique.
La deuxième étape permet de conceptualiser l’intervention. Elle commence par la recension des
écrits théoriques qui abordent le sujet de l’intervention. L’élaboration du programme « Musclez vos
méninges » a ainsi débuté par des recherches théoriques sur la définition de la vitalité cognitive et
16
de ses déterminants. Les pratiques existantes ont ensuite été recensées et analysées, ce qui permet
de rencontrer d’autres collaborateurs et d’organiser la diffusion autour d’un partage des pratiques
et des savoirs. Enfin, l’équipe responsable du projet élabore le modèle logique qui encadrera
l’intervention.
Figure 6 : le modèle logique de "Musclez vos méninges" représente la suite logique entre les
interventions et leurs effets escomptés ; il permet de choisir aisément les activités de ce
programme de promotion de la santé.
Lors de la troisième étape, l’intervention doit être validée par un comité composé d’experts, de
prestataires et de représentants de la population cible. Dans le cas de « Musclez vos méninges », le
CSSS a élaboré un guide d’animation, qui a ensuite été analysé par un comité de validation.
L’équipe en charge du projet intègre ensuite les remarques formulées par le comité et modifie ses
outils d’intervention.
L’intervention entre ensuite dans une phase d’essai et huit organismes ont été sollicités pour
tester le programme « Musclez vos méninges ». Le CSSS offre le programme en circuit fermé, puis
prend en considération les retours des animateurs, des bénévoles et des intervenants de terrain. La
mise à l’essai permet d’analyser la réception du programme par la population-cible dans différents
milieux et différents contextes, dans des milieux moins favorisés et auprès d’un public en perte
d’autonomie. Grâce à cette analyse, le programme pourra être adapté à une grande diversité de
milieux d’interventions lors de sa diffusion.
Vient ensuite l’étape de l’application. L’intervention est une nouvelle fois réécrite en intégrant
les leviers et les difficultés rencontrées lors de la mise à l’essai. Puis, les outils d’intervention sont
lancés et diffusés dans les milieux qui peuvent alors se les approprier. En parallèle, les chercheurs
du CSSS créent des partenariats de recherche afin de suivre l’implantation du programme. Ils
peuvent ainsi analyser les facteurs qui facilitent ou freinent l’utilisation des outils proposés, et
évaluer directement les effets du programme. Dans le cas de « Musclez vos méninges », les effets
sont ainsi évalués grâce au suivi de 300 personnes âgées pendant un an.
La sixième étape consiste dans le fait de revitaliser le programme. Grâce à de nouvelles données
et aux nouvelles idées des intervenants (suite à l’utilisation du programme), nous réalisons des
mises à jour. Des mécanismes de communication entre le CSSS et les intervenants sont développés
et permettent de rééditer les outils et d’en développer de nouveaux. De la sorte, l’engouement
pour les outils d’intervention proposés par le CSSS est préservé. Lors de cette étape, l’évaluation
porte sur la pérennisation de l’intervention du CSSS dans les différents lieux de l’étude. Dans ces
derniers, l’ambition est de créer une consolidation et une généralisation des pratiques de
promotion de la santé vers d’autres sphères d’activité.
17
Eléments de réflexion sur la démarche du CSSS Cavendish
Ce travail en collaboration présente plusieurs avantages :
- le CSSS s’assure que les interventions qu’il propose sont applicables et pertinentes
- les milieux d’interventions sont sensibilisés du début à la fin du projet. Lors de la phase de test
en circuit fermé, nous refusons un grand nombre de demandes de collaboration : l’existence du
programme est connue, ce qui facilite grandement la diffusion des outils proposés lors de l’étape
d’application.
Ce travail est néanmoins confronté à plusieurs défis :
- le cycle de développement d’un programme est long (deux ans, en moyenne) ; en effet, former
les collaborations et les maintenir réclame du temps
- il faut gérer la multiplication des personnes intéressées par les programmes du CSSS ; de
nombreux intervenants souhaitent à leur tour diffuser les programmes et formulent des demandes
auprès du CSSS, qui les aide alors à construire des outils de promotion et chaque collaborateur se
sent ainsi porteur du programme, ce qui démultiplie les destinataires de l’action du CSSS.
- il faut également, durant l’étape de planification du programme, être réaliste et prévoir la
totalité des coûts du programme, y compris les coûts de la diffusion et de la collaboration.
Conclusion
L’objectif de cette communication était de démontrer qu’il est possible de développer des
programmes dans le domaine de la promotion de la santé des aînés qui intègrent à la fois la
diffusion, la recherche et l’intervention, le tout grâce à un système de collaboration.
Echanges avec la salle
Emmanuelle HAMEL (Responsable du département formation à l’INPES)
Comment procédez-vous pour choisir les sites sur lesquels vous travaillez ou pour identifier vos
partenaires ? L’INPES fonctionne parfois en circuit fermé et travaille souvent avec les mêmes
personnes ; il souhaiterait développer ses stratégies de partenariat.
Manon PARISIEN
Les premières étapes font intervenir des partenaires de longue date, ce qui nous permet de réunir
les conditions les plus favorables au succès de nos programmes. Nous souhaitons en effet que les
relations interpersonnelles facilitent le développement des projets. Par conséquent, nous
travaillons régulièrement avec la même équipe. Afin de bâtir de nouveaux partenariats, nous
réalisons aussi des appels d’offres en passant par des regroupements d’organismes. Chaque projet
permet de pérenniser nos collaborations et de les reproduire sur d’autres projets. De plus, chaque
collaborateur est un agent multiplicateur de la diffusion des programmes. Parfois, des aînés nous
appellent et deviennent eux-mêmes promoteurs de nos programmes dans leurs quartiers. Afin
d’éviter l’essoufflement de nos partenaires, nous essayons de bâtir de bonnes relations avec chacun
d’entre eux. Malgré tout, nous travaillons souvent avec des partenaires plus dynamiques et qui sont
les premiers utilisateurs de nos programmes, même s’ils ne sont pas toujours représentatifs de
l’ensemble des organisations ciblées.
Yann MOISAN (IREPS de Poitou-Charentes)
Quelles sont les principales sources de financement du CSSS ?
Manon PARISIEN
En tant que centre de santé publique, le CSSS dépend du ministère de la Santé du Québec. En tant
que centre affilié universitaire, certaines des sommes qu’il perçoit proviennent des fonds de
recherche. Nos gestionnaires cherchent des solutions pour financer les missions qui ne font pas
partir des tâches régulières des centres de santé locaux. Chaque projet peut faire l’objet d’une
demande de fonds de la part des chercheurs.
18
Agir par l’environnement social et géographique : « Quand la santé rime avec culture créole et liens intergénérationnels »
Benjamin BRYDEN
Président de l’IREPS de la Réunion
La Réunion est une île de l’océan Indien. La promotion de la santé se déploie dans le contexte de la
culture créole réunionnaise. Cette culture est originale et intégrative, issue de la rencontre des
mondes européen, africain et asiatique. La capacité de cette culture à intégrer le changement est
parfois mise à mal par la rapidité de celui-ci et la constitution d’un lien intergénérationnel se
trouve fragilisée par l’accélération des mutations de l’environnement. L’IREPS de la Réunion a
toujours été soucieuse d’accompagner des projets fondés sur cette richesse et sur la capacité
intégrative de la culture réunionnaise. Elle souhaite utiliser la créolité réunionnaise en tant que
levier de transformation des comportements et comme un facteur de mieux-être.
Le contexte de l’action de l’IREPS de la Réunion
Nathalie PAGEAUX
Chargée de projet à l’IREPS de la Réunion
L’IREPS de la Réunion a construit une action de terrain et de proximité dans le domaine de la
promotion de la santé des aînés : « Quand la santé rime avec culture créole et liens
intergénérationnels ». A la réunion les personnes âgées sont appelées les Gramoun et les enfants
sont appelés les marmay.
La réunion est un Département d’Outre-mer (DOM) situé au large de Madagascar. Cette île de
200 km de circonférence regroupe 800 000 habitants d’origines diverses, dont 15 % ont plus de
60 ans. L’action mise en place par l’IREPS de la Réunion est née d’une première expérience
d’atelier du bien-vieillir. L’IREPS souhaitait intégrer dans ces actions une approche écologique. Les
ateliers du bien-vieillir, conduits dans quatre communes, ont généré des échanges entre l’IREPS,
des acteurs de terrain et des gramoun. Ces échanges ont permis de souligner la nécessité d’intégrer
les savoirs et les savoir-faire propres à la culture créole et réunionnaise dans les actions de
promotion de la santé des aînés. L’IREPS a par conséquent construit une action de promotion de la
santé s’appuyant sur ces savoirs et y a ajouté une dimension de transmission intergénérationnelle.
L’action s’est déroulée de septembre 2009 à mai 2010 sur trois communes de l’île : La Possession,
Trois-Bassins et Saint-Paul, qui sont situés en altitude et dans des zones rurales.
Le déroulement de l’action
L’IREPS a tout d’abord construit des partenariats dans chaque commune avec les partenaires
suivants :
- le Centre communal d’action sociale (CCAS)
- un club du troisième âge
- une école primaire du quartier située à proximité du club.
Cinq séances de travail, d’environ trois heures chacune, ont permis de réunir une quinzaine de
gramoun. Elles ont été l’occasion d’aborder leurs représentations du bien-vieillir et de la santé,
d’interroger leurs pratiques et leurs comportements et de dégager des messages de prévention à
transmettre aux marmay. Ces messages ont été traduits en ateliers qui proposaient des activités,
des démonstrations et des échanges autour de quatre thèmes :
- l’alimentation
- la mémoire
- l’activité physique
- la participation sociale.
19
Ces ateliers ont été alimentés par les apports des gramoun. Ils ont par exemple amené des fruits,
des légumes, des épices, des plantes aromatiques, des ustensiles et des jeux pour préparer les
activités proposées aux marmay. Ces éléments se rapportaient, pour la plupart, à la vie
quotidienne des gramoun lorsqu’ils étaient eux-mêmes des marmay.
Enfin, la dernière phase du projet a rassemblé les gramoun et les marmay pendant une journée
entière. Au cours de cette journée, des ateliers animés par les gramoun ont été proposés aux
marmay :
- l’activité physique a été abordée par le biais d’un jeu de l’enfance : la Kours goni, qui correspond
à une course en sac en toile de jute.
- l’alimentation a été évoquée avec la présentation de fruits, de légumes, de plantes aromatiques
et d’épices, tous récoltés dans les jardins des gramoun : avocats, manioc, margoses, cœurs de
bœuf, papayes, épices etc. Certains de ces produits ne sont plus commercialisés mais sont toujours
présents dans les jardins, cultivés et consommés par les gramoun. La rencontre avec les marmay
leur permet ainsi de témoigner de ce pan de la culture réunionnaise
- l’utilisation d’un moulin à maïs a permis de travailler sur le thème de la mémoire ; en effet, le
maïs était très présent dans la consommation créole lors de la pénurie de riz
- enfin, un autre atelier de pose de bigoudis a été plébiscité par les enfants ; une gramoun leur a
exposé la manière dont on bouclait et colorait les cheveux auparavant : les bigoudis se composaient
de lamelles de tissu entourées de papier journal et le café et la vanille servaient de produits
colorants.
L’animation des ateliers a permis aux gramoun d’aborder la notion de participation sociale. De
plus, les photos prises pendant les phases de préparation ont été diffusées pendant la journée de
rencontres, ce qui a permis de présenter aux marmay l’investissement des gramoun, leur
convivialité, la richesse de leurs échanges et le sérieux de leur implication. Le responsable d’un
pôle du troisième âge a par ailleurs réalisé un DVD sur les séances de préparation, qui permet de
valoriser l’action lorsque nous entrons en contact avec d’éventuels partenaires.
Je souhaite retenir plusieurs éléments importants de cette action :
- l’assiduité et la forte implication des gramoun ont été remarquables. Il n’est pas facile de
mobiliser les aînés, surtout dans la durée ; or, l’IREPS leur a demandé de s’investir pendant deux
mois. Il a fallu les rassurer et leur donner confiance. En effet, les gramoun ne s’imaginaient pas
passer des messages de prévention, car ils pensaient que ce rôle était réservé aux professionnels.
- les séances ont permis de faire évoluer les représentations négatives que les gramoun avaient des
marmay. En effet, la plupart d’entre eux imaginaient que les marmay étaient des joueurs assidus
de jeux vidéo. Cette représentation traduisait une inquiétude : les enfants pourraient se
désintéresser des ateliers que les gramoun préparaient. Il a fallu rassurer les gramoun et dépasser
cette vision pour se concentrer sur le vécu de chaque séance. Chacun d’entre eux a finalement
trouvé sa place dans l’action et une véritable dynamique de groupe s’est installée.
- les marmay ont participé activement aux ateliers. Ils étaient curieux, respectueux et posaient de
nombreuses questions. En outre, ils ont manifesté le désir de transmettre aux gramoum ce qu’ils
savaient, initiative que l’IREPS n’avait pas prévue. Les enfants n’envisageaient pas de recevoir sans
donner en retour et deux classes ont créé des activités, des chants, des danses ou des saynètes,
qu’ils ont ensuite présentés aux gramoun. Ces derniers ont fortement apprécié ce geste.
- les partenaires des services communaux se sont beaucoup impliqués et ont participé à l’ensemble
des actions, de la préparation à la rencontre. Ils ont ainsi pu constater que les gramoun pouvaient
être acteurs d’un projet. Les partenaires ont par ailleurs facilité les aspects logistique, technique
et humain du projet.
- enfin, cette action a donné lieu à la création d’un partenariat entre le club du troisième âge et
l’école dans deux des trois communes. Dans ces deux communes, le soutien du CCAS a été
considérable. Des gramoun ont été sollicités par des enseignants pour participer à des actions
20
ponctuelles au sein des écoles, pour préparer des événements et, de manière plus régulière, pour
animer des ateliers d’aide à la lecture destinés aux marmay en difficulté.
Conclusion
A travers ce projet, les gramoun ont pu appréhender la notion de santé autrement, en
s’interrogeant sur leurs pratiques et leurs comportements. Les participants sont, au final, très
satisfaits et se sentent valorisés. Dans leur quartier, ils sont identifiés différemment, aussi bien du
côté des acteurs (CCAS) que des enfants, qui les saluent et les reconnaissent.
Cette action a permis une évolution des représentations, en créant des liens particuliers entre des
milieux — associatif et scolaire — et des personnes. Ainsi, l’IREPS a mis en œuvre une démarche
particulière de promotion de la santé des aînés et s’est attaché à développer une dynamique
intégrant plusieurs éléments de la santé des aînés. L’IREPS souhaite capitaliser l’ensemble de
l’expérience accumulée depuis 2005 dans le domaine de la promotion de la santé des aînés et
réfléchit à la création d’un document méthodologique d’aide à l’action, susceptible d’accompagner
les projets des professionnels en intégrant le contexte environnemental particulier de la Réunion.
Albert LAUTMAN
L’expérience réunionnaise présentée par Nathalie Pageaux insiste sur le regard qui est porté sur le
vieillissement. Il convient d’en faire un élément essentiel du partenariat que la CNAV a conclu avec
l’INPES et de sa réflexion autour de la construction d’une politique de prévention. Historiquement,
la CNAV a développé une action sociale autour du maintien au domicile des personnes âgées,
notamment grâce aux auxiliaires de vie. La réflexion s’est ensuite orientée vers la prise en charge
des personnes dépendantes. Récemment, la CNAV a axé ses actions sur la prévention.
La concentration du débat public sur la perte d’autonomie risque d’occulter le fait que la qualité
du vieillissement augmente. Compte-tenu du vieillissement de la population, le maintien en bonne
santé et la promotion du bien-vieillir font l’objet de politiques publiques. Les régimes de retraite
et de sécurité sociale tendent vers une double approche du bien-vieillir : la culture de l’assurance
maladie et de la prévention d’une part, et l’intégration de critères sociaux et environnementaux
d’autre part. Le bien-vieillir nécessite une mutualisation de la recherche, des résultats et des
acteurs. L’INPES peut éclairer les différents acteurs publics, dont les caisses de retraite, et
apporter la mutualisation des connaissances scientifiques et des bonnes pratiques, qu’elles soient
françaises ou internationales. La CNAV s’est rapprochée de l’INPES afin de travailler sur l’ensemble
des questions soulevées par les présentations précédentes : quel message peut-on adresser ? A
quelle cible ? A quel moment ? En effet, les moments de fragilité et de perte d’autonomie
réversible constituent des moments clés pour intervenir. Comment peut-on mutualiser les
différentes actions et les différents acteurs publics et privés ? L’objectif du partenariat entre la
CNAV et l’INPES est de tenter de trouver des réponses à toutes ces questions.
Conclusion de la matinée
Thanh LE LUONG
Directrice générale de l’INPES
Pour la troisième année consécutive, l’INPES propose une session spécifiquement consacrée à la
santé des aînés. Si les thèmes et les formats changent, le programme d’action de l’INPES « vieillir
en bonne santé » présente trois constantes :
- L’INPES souhaite réduire les inégalités sociales de santé et favoriser le développement de
pratiques et d’actions qui prennent en compte les facteurs sociaux et environnementaux.
- les recherches menées au Québec et en France démontrent que ces facteurs ont une importance
considérable sur la santé des aînés. Pourtant, ces facteurs sont encore trop peu étudiés dans les
programmes de prévention et d’éducation pour la santé. C’est pourquoi l’INPES tient à mutualiser
les actions prometteuses ou éprouvées dans le contexte français, européen ou international. Elle
souhaite favoriser le développement de programmes de prévention et de promotion de la santé plus
21
intégrés, agissant à plusieurs niveaux et à destination de publics multiples. Pour cela, l’INPES offre
des espaces d’échanges, de réflexion et de construction commune.
- l’INPES a le souci permanent de travailler en concertation avec ses partenaires. Cette session est
le point d’orgue d’un projet de coopération engagé en 2009 avec les universités de Montréal et de
Sherbrooke, ainsi que le centre de santé et des services sociaux du Québec. Ce projet financé par
le ministère des Affaires étrangères pour la France et le ministère des Relations internationales
pour le Québec implique, en France, la Direction générale de la santé (DGS), la CNSA et l’ANESM.
Dans le cadre du renouvellement de ses orientations stratégiques, l’INPES souhaite renforcer ses
actions en faveur du bien-vieillir, en poursuivant les actions de sensibilisation pour une meilleure
intégration des déterminants sociaux et environnementaux de la santé des aînés :
- en continuant le travail d’expertise, de mutualisation et de transfert des connaissances, qui
suppose un travail de concertation et de partenariat avec les principaux acteurs du secteur de la
santé et du médico-social
– en contribuant à une meilleure visibilité des actions
- en assurant une diffusion et une appropriation des messages de promotion d’un vieillissement en
santé.
C’est pourquoi l’INPES est ravi d’annoncer la récente signature d’un accord de partenariat avec la
Direction générale de l’action sociale de la CNAVTS. La présence d’Albert Lautman scelle le début
d’une coopération officielle entre l’INPES et la CNAVTS, qui contribuera à améliorer le
vieillissement en bonne santé des aînés.
22
Présentation de programmes et d’actions
Introduction
Lucette BARTHELEMY
INPES
Après l’étude du modèle de programme écologique, nous allons étudier celui de catégorisation des
résultats.
Catégorisation des résultats : données scientifiques et illustrations
Daria KOUTAISSOFF
Institut universitaire de médecine sociale et préventive (Lausanne)
L’outil de catégorisation des résultats de promotion de la santé de prévention vise à améliorer et à
faciliter la pratique de la promotion de la santé. Cette présentation sera principalement consacrée
à la démarche méthodologique, car les résultats de l’application du modèle sont encore partiels.
Dans le domaine de la promotion de la santé, le principal objectif est d’exercer une influence
positive sur la santé de la population. Cependant, il n’est pas toujours aisé d’établir une relation
de causalité directe entre les activités menées dans le domaine et leur but final. D’une part, les
effets des projets de promotion de la santé ne sont pas immédiats (effets à long terme) et d’autre
part, l’influence de différents facteurs rend difficile le fait de lier de manière directe certains
résultats aux activités de promotion. Il existe donc une zone d’ombre entre les activités et leur but
final.
Pour mettre en lumière le cheminement entre ces deux points et mieux comprendre la zone
d’ombre, un outil de catégorisation des résultats a été élaboré. Il repose sur la nécessité de définir
des stades intermédiaires entre les activités et le but final. Ce modèle est le fruit d’une
collaboration entre trois institutions : l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive
(IUMSP), Promotion santé suisse — qui est la principale institution nationale pour la promotion de la
santé— et l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive de Berne.
Figure 7 – Trois types d’utilisation possibles
Le modèle était initialement conçu pour l’évaluation, mais son application a été étendue à d’autres
domaines : il sert désormais également à l’analyse de situations et à la planification des
23
interventions. En termes d’analyse des situations, le modèle permet de déceler et d’identifier des
problèmes de santé ; il repère également les besoins des personnes impliquées. S’agissant de la
planification, le modèle relie les résultats visés aux effets produits. Enfin, dans le champ de
l’évaluation, le modèle relève les résultats atteints et mesure leur adéquation avec les objectifs
visés.
Figure 8 — Aperçu général de l’outil de catégorisation des résultats
L’outil de catégorisation des résultats obtenus se présente en quatre colonnes, elles-mêmes
divisées en plusieurs catégories. La colonne A représente les activités de promotion de la santé et
les colonnes B à D sont consacrées aux résultats — la colonne D représente les résultats attendus ;
la colonne C liste les déterminants (facteurs influant positivement sur la santé de la population) ;
la colonne B présente les résultats qui devraient avoir un impact positif sur les déterminants. En
outre, Les colonnes A et B sont structurées selon quatre approches.
Chaque catégorie générale est divisée en sous-catégories pour permettre une approche plus fine. En
résumé, le modèle propose une façon systématique de prévoir et de suivre les enchaînements des
activités jusqu’au but final, et ce en passant par les résultats intermédiaires.
Figure 9 — les sous-catégories de l’outil de catégorisation
24
Il faut préciser qu’un projet peut ne pas toucher à l’ensemble des catégories du modèle, car il
s’agit d’une palette très large d’éléments. Deuxièmement, le modèle n’est pas linéaire et les
mouvements ne sont donc pas forcément horizontaux ; par exemple, ils peuvent se situer au sein
d’une même colonne.
Figure 10 — Projection théorique de résultats
En observant le modèle théorique, on notera que des activités de représentation d’intérêts (A2),
peuvent engendrer un engagement formel de décideurs, ce qui correspond à une stratégie de
promotion de la santé en politique (B2). Tout cela aura pour conséquence la création d’offres de
prestations en la matière (B1). Cette offre pourra à son tour venir renforcer les compétences
individuelles favorables à la santé (B4) et, à long terme, augmenter les ressources personnelles en
matière de santé. Cette augmentation des ressources contribue visiblement à l’amélioration de la
santé de la population. Il est également possible de constater que l’engagement formel des
décideurs aura un impact sur l’environnement physique, ce qui aura des conséquences sur
l’environnement social et in fine sur la santé de la population.
Le modèle s’emploie de façon collective et permet la co-construction des analyses, ainsi que la
planification par l’ensemble des parties prenantes. La co-construction se déroule sous forme
d’atelier, durant lesquels le modèle permet de confronter les différentes idées. L’outil sert
également de langage commun entre les différents acteurs (mandants, intervenants et évaluateurs)
afin d’échanger autour d’un projet.
Exemple d’application de ce modèle : le projet communautaire « Quartiers solidaires »
L’institut a été mandaté pour développer un cadre d’évaluation de l’impact du programme
« Quartiers solidaires » sur la santé des aînés dans la ville d’Yverdon. Située au nord du canton de
Vaud en Suisse, la ville d’Yverdon compte de nombreux aînés et une surreprésentation des
populations étrangères par rapport au niveau national. Le processus communautaire « quartiers
solidaires » a été développé par Pro Senectute, qui est la principale organisation helvétique de
professionnels au service des personnes âgées. Lorsque nous avons été mandatés par la fondation
Leenaards7 pour élaborer un cadre d’évaluation, notre institut a proposé d’utiliser l’outil de
catégorisation des résultats.
7La fondation suisse Leenaards voue ses efforts à l’amélioration de la qualité de vie des aînés et encourage les projets porteurs
d’innovation
25
Le projet « Quartiers solidaires » présente une méthodologie de développement communautaire qui
vise à faciliter l’intégration des personnes âgées au sein de leur quartier afin d’améliorer leur
qualité de vie présente et à venir. En favorisant une approche participative, le projet repose sur la
solidarité communautaire : les habitants et en particulier les personnes âgées sont invités à devenir
acteurs de leur propre projet. Le projet met également l’accent sur le lien intergénérationnel.
La méthodologie propose un accompagnement sur le terrain, pendant cinq ans, par un animateur de
proximité de Pro Senectute. Cet accompagnement est structuré en cinq phases :
- dans un premier temps, il s’agit d’une immersion dans le quartier ; des entretiens sont conduits
avec les habitants pour définir leurs besoins
- dans la deuxième phase de construction du projet, des groupes sont formés sur le terrain ; les
participants travaillent sur des problématiques auxquelles ils souhaitent répondre en priorité
- la troisième phase est consacrée à l’émergence des projets, sur la base des idées exprimées dans
les groupes de travail
- lors du quatrième temps, celui de la réalisation, les projets se concrétisent
- enfin, la dernière phase est celle de l’autonomisation : le projet doit pouvoir se dérouler de
manière indépendante à la suite du départ de l’animateur.
Depuis sa création en 2003, le projet est implanté dans différentes villes et quartiers de Suisse.
Depuis juin 2006, il s’est implanté dans la ville d’Yverdon, et ce dans le but d’améliorer la qualité
de vie des aînés.
L’élaboration du cadre d’évaluation s’est déroulée en trois étapes. Dans un premier temps, un
corpus d’informations a été mis au point en récoltant la documentation existante. Des entretiens
ont également été menés avec différents acteurs (personnalités politiques, police de proximité,
animateurs, habitants….). Enfin, afin de bien comprendre la démarche communautaire, nous avons
participé aux séances de groupe de terrain en tant qu’observateurs.
Ensuite, la documentation récoltée a permis de caractériser les acteurs actifs sur le terrain selon la
typologie suivante : habitants impliqués, institutions sociales, la fondation Leenaards, autorités
municipales et communales et animateurs. A partir de cette typologie, trois groupes d’acteurs ont
été identifiés : acteurs stratégiques (personnalités clés de Pro senectute et au niveau politique),
acteurs de terrain (animateurs de proximité) et habitants.
La troisième phase a été consacrée aux ateliers, qui se sont déroulés en deux temps. Tout d’abord,
les participants ont analysé la situation — avec un atelier par groupe d’acteurs, dans lequel chacun
a pu exprimer ses soucis et besoins. Puis, l’institut a réalisé une synthèse des points d’accord et de
désaccords, qui a été restituée lors d’un 4e atelier qui comprenait des représentants des trois
groupes. Dans un second temps, les acteurs ont défini une théorie d’action. Dans cet atelier, les
participants devaient expliciter la logique qui sous-tendait les différentes activités ainsi que les
liens entre les effets de ces activités et la réalisation des objectifs. Suite à cela, un atelier de
validation a été organisé (définition des objectifs prioritaires, etc..).
En théorie, ce processus débouche sur une définition des critères d’évaluation, mais nous n’avons
pas été mandatés pour cela dans le cadre du projet « Quartier solidaires ».
26
Figure 11 — Le modèle est utilisé par tous les intervenants pour discuter des objectifs
Le modèle n’est pas seulement un outil méthodologique pour le chercheur ; en effet, il est
également partagé par tous les intervenants. Lors d’un atelier, le modèle est placé au centre de la
table ; ainsi, au cours des discussions, les objectifs (figurés par des formes de couleur) peuvent
être placés par les participants sur le modèle. Les participants discutent également des liens qu’ils
souhaitent établir entre les différents éléments. Ainsi, l’outil permet la confrontation des
opinions l’explicitation des suppositions des uns et des autres.
Figure 12 — Projection des résultats
La première étape du projet visait les forums, qui permettent la rencontre entre les habitants du
quartier et les autorités publiques. L’activité « forums » a une influence sur B1.2 (accessibilité de
l’offre et atteinte des groupes cibles— dans ce cas, une manifestation de 200 personnes), puis
surB3.1 (existence de groupes actifs chargés des questions de promotion de la santé— un groupe
« Voitures »), qui conduit à son tour en B2.4 (échange et coopération efficace — entre les
habitants, le groupe « Voitures » et les autorités publiques). Cette collaboration débouche sur
l’instauration de zones à 30 km/heure, qui réduisent les risques liés à la circulation et les nuisances
sonores et qui débouchent donc sur une meilleure qualité de vie dans le quartier.
Ces forums ont également développé des mercredis intergénérationnels, qui proposaient des
activités récréatives (bricolage, cuisine…) préparées par les personnes âgées pour les enfants du
quartier. Pour les personnes âgées, le fait d’être reconnu et valorisé a une influence positive sur
leur qualité de vie et sur leur environnement social. En outre, l’ambiance du quartier
s’améliore, ce qui influence également la qualité de vie des personnes âgées.
27
Ces exemples illustrent très bien l’utilisation possible de ce modèle : les interactions se font de la
colonne A jusqu’à la colonne D pour atteindre les objectifs visés, mais d’autres interactions se
créent aussi selon l’axe vertical.
Le projet de recherche auquel ce modèle s’applique est toujours en cours et les résultats définitifs
seront donc disponibles fin 2011.
Lucie RICHARD
Ce modèle est une illustration de ce qui se fait actuellement en matière de prévention, notamment
en raison de son aspect participatif et de l’accent qui est mis sur les déterminants de santé. En
outre, le modèle reconnaît la complexité des théories de l’intervention, notamment en ce qui
concerne la cohérence entre l’offre et les effets, et il propose une dimension temporelle élargie.
Le processus du modèle et la théorie de l’intervention (liens entre activités et résultats, etc.) sont-
ils ensuite confrontés avec les connaissances que l’on retrouve dans la littérature ?
Les colonnes A et B sont véritablement liées à la réalité de terrain : activités mises en place et
résultats directs liés à cette activité. En revanche, la littérature aide à démontrer le passage de C
à D. Ainsi, en matière d’isolement social, la littérature scientifique a montré que l’isolement chez
les personnes âgées avait des conséquences sur leur qualité de vie.
De la salle
J’utilise cet outil pour évaluer les projets. Lors de votre présentation, vous avez indiqué que ce
modèle pouvait également être utilisé pour évaluer la situation initiale. Comment peut-on l’utiliser
de cette manière ?
Dans le projet, nous nous sommes rendu compte que l’appréciation des éléments entre habitants du
quartier et personnalités politiques était très différente. Des ateliers sont donc organisés avec les
différents groupes, afin que chacun puisse exprimer les problèmes relatifs à leur situation. Tous les
éléments sont ensuite analysés pour voir s’ils seraient susceptibles d’avoir une influence sur les
activités qu’ils veulent mettre en place pour améliorer la qualité de vie. En effet, ces problèmes ne
sont pas forcément considérés prioritaires par toutes les personnes impliquées dans le projet.
Expérience d’une entreprise du BTP qui prend soin de ses seniors par son programme « Passerelle »
Annick RIEKER-AGRANIER
Directrice, PMSEGenève
En Suisse, la retraite intervient à l’âge de 65 ans. Depuis cinq ans, dans le BTP, il est possible de
bénéficier d’une retraite anticipée, et ce pour des raisons de pénibilité au travail. Cette
possibilité, qui concerne les personnes qui sont sur le terrain (main d’œuvre, maçons,
contremaîtres), a été rendue possible suite à la coopération entre employeurs et syndicats, qui
cotisent à la caisse SUVA8. La caisse est soutenue par les ouvriers, de plus en plus nombreux à opter
8 La Suva est la principale caisse d’assurance-accidents obligatoire de Suisse qui assure près de 115 000 entreprises, soit
2 millions d’actifs et de chômeurs. Elle associe prévention, assurance et réadaptation. Elle est gérée par les partenaires
sociaux et est financée de façon autonome.
28
pour cette retraite anticipée à 60 ans. Ainsi, les ouvriers bénéficient de 70 % de leur salaire dans le
cadre de cette retraite anticipée, puis de 80 % dès 65 ans.9
Beaucoup moins élaborée en Suisse qu’en France, la médecine du travail est principalement
orientée vers les risques d’exposition. L’Etat, très morcelé en Suisse, ne prononce pas d’obligations
formelles mais de fortes recommandations en termes de médecine du travail. Des recommandations
sont également formulées au niveau cantonal. Pour une entreprise fédérale, l’application des
différentes lois est donc complexe. En outre, comme il n’existe pas d’organisme national de
médecine du travail en tant que tel10, ce sont des organismes privés qui interviennent dans les
entreprises, à l’instar de PMSE.
Basé dans le canton du Genève, Implenia est un grand groupe de BTP de 5 600 collaborateurs,
présent dans toute la Suisse. Depuis huit ans, nous avons élaboré avec eux un process
d’accompagnement de la santé, qui suit la carrière des collaborateurs : mis en place dès l’entrée
dans le Groupe (entretien de santé pour évaluer l’aptitude au poste de travail), l’accompagnement
peut ensuite avoir lieu dans le domaine de la prévention des risques professionnels ou prendre la
forme d’un suivi en cas d’absence ou d’accident. Jusqu’à présent, ce suivi s’arrêtait à la retraite
des employés.
Figure 13 — Le processus d’accompagnement des collaborateurs du groupe Implenia
Le projet « Passerelle » est né de la volonté de l’entreprise de prolonger l’accompagnement en fin
de carrière— la moyenne d’âge est de 42 ans dans le Groupe. Dès lors, il a s’agit d’anticiper les
complications liées à l’âge et d’organiser une prise de conscience du savoir-faire non exploité.
Ainsi, le travail de maçon est constitué d’expériences acquises sur le terrain, qui sont peu
transmises ensuite. L’idée était de faire une étude collective des seniors de l’entreprise, afin de
vérifier une éventuelle péjoration de la santé. Ensuite, il s’agissait de déterminer la manière de
développer des postes particuliers à destination de ces seniors qui avaient un savoir-faire à
transmettre.
Le passage à la retraite entraîne de grandes perturbations au niveau des dimensions existentielles.
Par exemple, un maçon est avant tout un maçon et le métier fait intégralement partie de la
manière dont il conçoit sa vie.
9 10
29
Dans un premier temps, nous nous sommes concentrés sur la Suisse romande, région dans laquelle
travaillent 1 126 collaborateurs, dont la moyenne d’âge est également de 42 ans. Des
350 collaborateurs concernés par le projet, 270 ont été ciblés ; il s’agissait de qui avaient déjà
bénéficié de deux entretiens d’accompagnement. Aussi, 89 % de ces seniors ont été intégrés dans le
projet « Passerelle » dès l’âge de 50 ans. Le groupe se caractérise par une fidélité très marquée :
les collaborateurs suivis font en moyenne partie du Groupe depuis 22 ans.
La première phase a consisté dans l’analyse des besoins, sur la base de trois axes : évaluation du
Workability index (WAI) ; préparation à la retraite via des discussions et bilan de santé des
employés. Durant cette phase, nous avons réalisé des entretiens semi-structurés, individuels et
confidentiels — la confidentialité est un point essentiel pour garantir la participation au projet —,
répétés tous les deux ans. Ils pouvaient être plus fréquents si des besoins marqués étaient
identifiés.
D’une durée de 40 à 60 minutes, les entretiens se déroulaient directement sur les chantiers.
Ensuite, les retours étaient personnels : chacun recevait un dossier de bilan détaillé, qui pouvait
être partagé avec le médecin traitant. L’entreprise n’avait accès qu’à une seule information :
l’employé a-t-il ou non participé au projet ?
Validé par plusieurs pays européens, le WAI est un questionnaire en sept points :
- capacité de travail comparée au maximum atteint dans la carrière
- capacité de travail par rapport aux exigences du poste
- nombre de maladies actuelles, cotées sur les douze derniers mois
- répercussions estimées des problèmes de santé sur leur travail au quotidien
- nombre de jours d’arrêt de travail
- ressources psychologiques générales (personne vivant en couple, faisant partie d’une association
dans son quartier…)
- évaluation du pronostic de la capacité de travail sur les deux ans.
S’agissant de la retraite, les questions étaient basées sur le modèle de changement de
comportement de Prochaska et DiClemente, selon différents stades : détermination, intention,
préparation, action, maintien et finalisation du projet. Ces différents stades permettaient
d’évaluer la position de la personne par rapport à sa future retraite.
Le dernier axe concernait les bilans de santé. Plutôt basiques, ils consistaient dans les tests
suivants : prises de pouls et de tension, évaluation de l’Indice de masse corporelle (IMC), souplesse
scapulo-cervicale et verticale, récupération après l’effort, test de Ruffier-Dickson et acuité
visuelle.
30
Figure 14 — De très bons résultats pour le WAI
Nous avons été très surpris par les premiers résultats — ceux du WAI notamment — qui ont
démontré que les seniors suivis avaient une très bonne capacité d’évaluation de travail, et ce
contrairement aux résultats présentés par une étude menée en Suède sur des hommes qui
travaillaient du bâtiment. Ces bons résultats semblent être dus à la collégialité organisée entre les
jeunes et les seniors. Ainsi au niveau des chantiers, la différence était déjà prise en compte de la
différence. Au bout de trois ans, un deuxième entretien a été mené et permet de voir l’évolution.
Une légère diminution du WAI a été constatée, qui reste acceptable au regard des années écoulées
et de l’âge des personnes suivies.
Figure 15 — Deux ans plus tard, une amélioration des bilans de santé est notable
En revanche, une amélioration du bilan de santé a été notée. Cela s’explique par le fait que, lors
des entretiens, un objectif personnel de santé avait été fixé avec chacun des collaborateurs pour
deux années. En général, plus les objectifs sont développés, moins les résultats sont probants.
Cependant, dans le projet, plus de 80 % des objectifs étaient remplis de manière partielle ou
entière, ce qui a contribué à l’amélioration des bilans de santé. Enfin, s’agissant de la retraite, son
impact et une projection sur la retraite ont entrainé une cotation plus importante.
Suite à cette phase de travail individuel des seniors, nous sommes arrivés à l’idée d’une logique RH,
susceptible d’être étendue au sein du groupe Implenia et développée en collaboration avec les
ressources humaines. L’idée était de définir un plan « Passerelle » dès 50 ans, proposé à chaque
collaborateur et qui lui permet de définir lui-même ce qu’il désire (retraite anticipée, normale ou
poursuite du travail). L’idée était de travailler sur les souhaits des individus, pour que ces souhaits
s’intègrent dans une seconde carrière professionnelle, notamment au niveau de la transmission des
savoirs. Les seniors ont beaucoup travaillé sur cette notion de pérennité des savoirs, via des
tutorats et des mentorings avec des employés plus jeunes.
Malgré les présupposés de l’entreprise (les seniors coutent plus chers), nous nous sommes aperçus
que les seniors étaient valorisés. Nous avons pu mettre en évident le soutien naturel et collégial qui
existe parmi les équipes et qui permet aux seniors de garder une bonne santé. En outre, le projet a
permis de recréer un lien entre les seniors et les RH, en donnant la possibilité aux seniors de parler
de leurs projets professionnels ou de retraite. Enfin, nous avons facilité l’organisation de la retraite
et avons pu, dans le cas de cinq personnes suivies, détecter précocement le besoin d’adapter les
postes de travail avant l’âge de60 ans. Une personne a choisi de continuer son activité
professionnelle jusqu’à 68 ans.
31
Le plan « Passerelle » est désormais intégré à la philosophie RH d’Implenia. Différentes démarches
sont mises en place pour permettre au collaborateur de planifier, sur les cinq ans à venir, son plan
« Passerelle » : séminaires seniors (formation) et rencontres tripartites (avec les responsables de
proximité) que nous avons créées pour que les seniors puissent mettre en valeur leurs compétences.
Suite à ces démarches, le collaborateur est invité à défendre son plan « Passerelle » auprès des RH.
Nous travaillons actuellement sur la phase de l’après-65 ans : nous voulons travailler avec ceux qui
souhaitent poursuivre leur travail après 65 ans, via du consulting ou des projets de développement
d’expertise par exemple.
En termes de coûts, le projet est entièrement autofinancé par l’entreprise. En 2007, le coût du
projet équivalait à 8 400 jours d’absence pour l’ensemble des seniors, soit 31 jours d’absence par
senior. En 2010, le projet correspondait à 18 jours perdus par senior (4 880 jours au total), soit un
gain de 13 jours par collaborateur senior. Face à cet argument, le projet est pérenne : pour un
franc suisse dévolu au projet senior, l’entreprise a récupéré 10 francs suisses. Peu de projets
peuvent se targuer d’avoir une plus-value aussi importante au niveau financier. Dans le cadre de
ce projet, il faut noter que la santé rapporte de l’argent, contrairement aux idées reçues qui
avancent que cet intérêt en coûte.
Lucie RICHARD
Ainsi, le lieu de travail peut être un lieu d’intervention très pertinent en termes de promotion de la
santé. Votre intervention comporte des données d’évaluation qui renseignent sur l’impact et la
notion de coût/efficacité. En outre, elle met en exergue une notion de capital social très
intéressante.
De la salle
Vous n’avez pas fait mention des partenaires sociaux dans l’entreprise. Cet élément est-il pertinent
en Suisse ?
Annick RIEKER-AGRANIER
En Suisse, les partenaires sociaux sont les syndicats et ces derniers sont peu impliqués dans les
domaines de la santé et de la sécurité. Néanmoins, le programme a été construit avec les chargés
de sécurité, qui sont des employés de l’entreprise et non des partenaires sociaux.
Lucie RICHARD
Votre travail a-t-il fait l’objet de publications ?
Annick RIEKER-AGRANIER
Nous n’avons encore rien publié, par manque de temps. Par sécurité, nous attendons d’arriver au
troisième entretien, et ce afin de vérifier la pérennité des résultats11.
De la salle (Vanessa Dewallers, chargée de projet au CODES 91)
Ces résultats sont-ils liés uniquement à un entretien tous les deux ans ou d’autres ateliers ont été
proposés ?
Annick RIEKER-AGRANIER
Dans cette entreprise, un accompagnement est mis en place pendant toute la carrière de l’employé
au sein du Groupe. Pour le projet « Passerelle », seuls les seniors étaient concernés. Avant 2007,
ces derniers présentaient plus de 31 jours d’absence. A partir de 2007, la mise en place du projet
« Passerelle » a permis de changer les choses. Les seniors ont eu l’impression d’être des parties
11 En attendant la publication des résultats, l’intervenante peut être contactée via le site de son entreprise, www.pmse.ch
32
prenantes de l’image de l’entreprise. Nous leur avons donné le moyen de transmettre leurs
savoirs et, par là même, de faire évoluer leur parcours, ce qui a eu l’effet de les dynamiser. En
outre, il ne faut pas oublier que l’entretien organisé tous les deux ans est accompagné par un
objectif de santé. Grâce à cela, nous nous sommes aperçus, lors du deuxième entretien, que de
nombreux paramètres de santé (tension, poids, etc.) avaient été améliorés. L’objectif de santé
pouvait également concerner des paramètres liés au poste de travail. Nous avons donc négocié avec
l’entreprise afin d’alléger les postes de travail. Ainsi, les seniors ont pu être moins absents ou
moins gênés dans leur maladie.
Lucie RICHARD
Nous allons aborder à la mesure des environnements, domaine dans lequel de nombreux éléments
doivent encore être construits.
Forum de présentation d’outils de repérage des déterminants socio-environnementaux
Cartes mentales
Brigitte NADER
Géographe doctorante UPEC, laboratoire Lab’urba
J’achève une thèse de doctorat sur les territoires de vie des plus de 75 ans à Paris. Pour ce faire,
j’ai utilisé les cartes mentales, outil autrefois utilisé avant d’être délaissé. Cet outil est
aujourd’hui repris par plusieurs scientifiques.
Pourquoi avoir choisi les cartes mentales ?
Dans le domaine de la géographie sociale, nous nous penchons sur le territoire. De quelle manière
les aînés perçoivent-ils le territoire ? Chacun de nous le perçoit en fonction de son niveau d’études,
de son âge, de sa trajectoire de vie, etc. De plus, nos déplacements sur un territoire sont liés à nos
perceptions personnelles. Je présenterai un outil susceptible d’identifier des personnes fragiles ou
vulnérables sur le territoire.
Le quartier de vie est un espace qui est vécu : nous y vivons et nous y avons des enfants. En outre,
la vision de l’environnement urbain varie en fonction de l’âge. Ainsi, un nouvel arrivant n’a pas le
même attachement qu’un habitant de longue date. L’état de santé des plus de 75 ans joue un rôle,
tout comme les aménités et les aménagements urbains : situation du boulanger, de la pharmacie,
des services de proximité, des moyens de transports, accessibilité, etc. Enfin, la manière dont les
politiques publiques se sont appropriées le territoire et les modifications qui en résultent
influencent aussi la perception des personnes sur ce territoire.
De quelle manière l’outil a-t-il été créé ?
La carte mentale est un outil pluridisciplinaire, développé par des sociologues, des géographes et
des psychologues de l’environnement (Jean Morval au Canada, notamment).
Mes travaux s’appuient sur les dynamiques spatiales. Dans cette étude, les personnes âgées ne sont
pas dépendantes ; elles sont valides, même si leur perte d’autonomie peut s’amorcer. En quoi leur
perception du territoire les influence-t-elle dans leurs déplacements et dans le « rétrécissement du
territoire » dont il est question dans toutes les publications ? Il s’agit de l’idée selon laquelle le
territoire se rétrécirait avec l’avancée en âge. Nous souhaitions comprendre les mécanismes de ce
rétrécissement et les conséquences socio-spatiales du grand âge.
33
Les trois exemples de personnes que je décrirai sont issus d’une recherche menée dans le
14e arrondissement en 2008 et 2009, et ce auprès de 150 personnes entre 75 ans et 102 ans. Les
cartes mentales sont réalisées à partir d’entretiens semi-directifs. Il ne s’agit pas simplement
d’obtenir des dessins ; en effet, nous collectons des données pour comprendre la représentation du
territoire. Quelle est la perception du revenu de la personne ? Quel est son niveau d’études, quel
était son métier ? Quels sont ses liens sociaux, en référence à la notion de capital social
(participation sociale, liens avec la famille, proximité des enfants…) ? Tous ces éléments comptent,
tout comme la santé perçue ou la sécurité perçue.
S’agissant d’abord de la taille du territoire de vie, c’est-à-dire de l’aire dans laquelle les personnes
trouvent leur pain, leur viande ou leur club seniors, il est intéressant de noter que 75 % des
personnes ont un territoire de vie plus étendu qu’une personne professionnellement active, avec
des enfants.
Y a-t-il un lien entre cette carte mentale et les critères de qualité de vie ? Autrement dit, y a-t-il
un lien entre ce qu’elles déclarent et leur perception ? Pour aboutir à la carte mentale, la consigne
était la suivante : « dessinez le quartier dans lequel vous vivez et vous vous déplacez ». Pour
certains, le quartier se résume à l’immeuble ou à la rue. Pour d’autres, il s’agit de tout le
territoire parisien. Pour comparer les cartes mentales, nous nous servons d’une grille et d’une
analyse factorielle. On détermine alors un type de représentation mentale. Par ailleurs, il est
possible de comparer les indices d’appropriation territoriale, calculés à partir des critères de
qualité de vie et de la perception du territoire.
De ce travail se dégagent quatre types de cartes mentales :
- le type restreint : à part le domicile, peu de chose apparaissent sur la carte et le territoire s’est
rétréci au fur et à mesure
- le type minimaliste : il s’agit de personnes au territoire de vie très large, qu’elles se sont
appropriées ; il faut noter qu’elles ont accepté de le représenter en raison du bon déroulement de
l’entretien et qu’elles dessinent sans y voir l’intérêt
- le type village : la majorité des personnes représentent leur quartier sous la forme d’un village ;
un village à l’ancienne, avec le chez-soi, les amis, les transports, le boulanger dont elles
connaissent le nom, etc. ; elles connaissent bien le quartier et y trouvent tout ce dont elles ont
besoin
Les pratiques spatiales des personnes âgées nous intéressent tout particulièrement dans le type
« village ». En dessinant leurs déplacements et leurs liens sociaux, elles ouvrent un autre angle que
celui de l’isolation sociale, notion qu’il faut néanmoins prendre en considération.
- le type territoire ouvert : il s’agit de personnes qui sont ouvertes vers l’extérieur ou qui
fuient parfois (habitant nouvellement arrivé qui retourne régulièrement dans son ancien quartier,
dans lequel il se sent bien).
Trois exemples
Jeanne, 86 ans, a eu une vie active très riche. Elle est une ancienne syndicaliste CFDT et participe
au Point Paris émeraude (PPE) — équivalent francilien du Centre local d’information et de
coordination (CLIC) —, lequel participe à la réflexion sur l’amélioration de la vie de quartier. Elle a
une très bonne connaissance du quartier. Pourtant, il y a une quinzaine d’années, elle a été
expulsée d’un autre quartier et déclare ne pas se sentir bien dans son quartier actuel. Mais sa
participation sociale et ses rendez-vous dans la semaine lui permettent d’être complètement
intégrée à la société et dans son espace.
Marie, 86 ans, est veuve depuis huit ans et a dû déménager au moment de la mort de son mari pour
se rapprocher de sa fille, qui vit dans le 14e arrondissement. Elle connaît moins bien son quartier.
Elle a beaucoup souffert du deuil de son mari et elle est fragile. Elle a vécu son déménagement
comme une fracture et sa représentation du quartier est beaucoup plus restreinte. Elle indique les
lieux où elle a une participation sociale (église), ainsi que le nom des rues, mais elle présente des
34
difficultés d’orientation. Elle a des repères et se déplace à pied. Contrairement à Jeanne, aucun
moyen de transport n’est indiqué sur sa carte. Son activité paroissiale est sa vie, son repère. Elle a
beaucoup moins d’assises territoriales que Jeanne. Auparavant, elle se déplaçait beaucoup dans
Paris, mais elle n’ose plus (peur de tomber dans le métro, peur d’être secouée dans le bus, peur de
l’agitation du centre-ville qui contribuent au rétrécissement des territoires). Cependant, elle
s’approprie encore le territoire.
Denise, 75 ans, vit dans une résidence services seniors depuis moins de cinq ans. Elle est fragile :
elle a une petite pension, a fait peu d’études, a été ouvrière et elle est veuve. Un accident de
santé l’a contrainte à quitter sa maison. Elle n’a plus de repères dans le quartier : elle ne
représente pas les rues, mais uniquement les quelques endroits dans lesquels elle se rend. Son
rapport à la ville est complètement différent : le rétrécissement se caractérise par une
désappropriation de l’espace.
Ces cartes mentales sont un outil de repérage des personnes plus fragiles, mais il reste très
exigeant. En effet, les dessins doivent être reliés à des facteurs probants. Beaucoup refusent
d’abord de se lancer dans un dessin ; c’est pourquoi il faut placer les personnes dans une situation
de confiance. D’autres sont physiquement incapables de dessiner (polyarthrite, par exemple).
L’outil a été critiqué car chaque discipline employait méthode différente, mais sa force réside dans
son potentiel d’évolution et sa pertinence de diagnostic. Les besoins spatiaux, sociaux et temporels
peuvent être exprimés et les indicateurs de dysfonctionnement dans les mobilités sont précieux
pour les aménageurs. Nombre de dessins indiquent des points de danger à propos de grands ronds
points par exemple, qui représentent des fractures territoriales. La carte mentale est finalement
un outil de prévention sanitaire et sociale que les acteurs de la ville peuvent utiliser.
Elise MASIULIS
Chef de projet santé
Je travaille pour un centre social, qui se nomme Espace 19 et qui est situé dans le 19e
arrondissement de Paris. Dans le cadre d’un Master en santé publique, j’ai réalisé une recherche-
action sur ce quartier.
Le quartier Flandres
Le quartier Flandres (40 000 habitants) fait partie du 19e arrondissement. Ce quartier est marqué
par des inégalités sociales de santé. Les familles, les jeunes de moins de 25 ans, les personnes
issues de l’immigration, celles vivant sous le seuil de pauvreté, les allocataires du Revenu solidaire
d’autonomie (RSA), les bénéficiaires de l’allocation logement, et les bénéficiaires de la CMU sont
surreprésentées par rapport au 19e arrondissement et par rapport à Paris.
Il est indéniable de constater que ce quartier vieillit, car les personnes de plus de 60 ans sont en
augmentation, même si le chiffre reste stable statistiquement, et ce en raison de la démographie
du quartier. Du point de vue des politiques publiques, c’est un quartier prioritaire pour les enfants
et les familles, mais pas vraiment pour les personnes âgées. De l’aveu même des acteurs, le public
des seniors y est méconnu. Elles sont comme invisibles. Dans le cadre d’un appel à projet avec
l’Agence régionale de santé (ARS), nous avons voulu réfléchir à l’élaboration d’un diagnostic.
Un centre social est un endroit où l’on tente de tisser du lien social, en mettant en avant la notion
d’empowerment. C’est le cadre idéal pour une approche écologique.
La marche exploratoire
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J’ai utilisé deux outils, la carte mentale — pour la perception du territoire —, et la marche
exploratoire. Cette dernière met l’accent sur l’accessibilité des ressources et des équipements.
Elle est aussi connue sous les appellations de « marche communautaire », de « diagnostic en
marchant », et d’« arpentage ». Cet outil est généralement connu pour son intérêt participatif. La
marche exploratoire fait en effet se rencontrer élus, professionnels et habitants.
Sur un territoire délimité avec les habitants (2 km environ), nous arpentons le quartier et
observons le fonctionnement des aménagements et des bâtiments, qu’il soit bon ou mauvais. Le
recueil de données peut prendre plusieurs formes : une partie du groupe peut prendre en photo le
trajet, par exemple. A chaque nouvelle ressource ou équipement rencontré, il est possible de
s’arrêter et de formuler des commentaires. A l’issue de la marche, un focus peut s’organiser afin
de débriefer le ressenti des uns et des autres.
Un groupe de 14 personnes, à la fois mixte (professionnels, élus, habitants) et intergénérationnel
(mamans et grands-mères) s’est donc constitué, en incluant les « personnes silencieuses » du
quartier.
Dans les cartes mentales, certains lieux clés revenaient systématiquement : le Monoprix, le club
seniors, etc. Deux trajets ont alors été définis. Pour les étudier, j’ai employé la grille d’analyse
« Villes amies des aînés », qui est disponible sur le site Internet de l’OMS depuis 200712. Dans 33
villes du monde entier, des personnes âgées se sont réunies pour décrire les avantages et les
obstacles rencontrés dans huit domaines (transports, services de santé, logement, espaces verts,
etc).
Dans le domaine « espaces extérieurs et bâtiments », nous avons posé les questions suivantes : les
personnes âgées connaissent-elles ces lieux, les fréquentent-elles et sont-ils accessibles ? Sur un
trajet au cours duquel l’on rencontre 25 équipements (commerce, école, association…), nous
demandons à la personne si connaît ce lieu, s’il est bien indiqué, accessible à pied et s’il est proche
ou éloigné de chez elle. Pour chaque item, une note sur dix est attribuée. Des podomètres
permettent de relever la distance objective entre le domicile et le lieu ressource.
Les résultats pour les deux trajets
La majorité des répondants connaissent et fréquentent les structures. Mais certains lieux, qui
ponctuent pourtant leurs trajets quotidiens, restent méconnus. Les commerces (Poste,
alimentation, pharmacien) sont bien identifiés et fréquentés, quant aux associations (dont le centre
social) et au club seniors, ils le sont beaucoup moins, ce qui soulève évidemment une première
interrogation.
Alors que toutes les personnes du groupe vivent au même endroit (un grand bâtiment dans la cité),
un même lieu du quartier peut sembler proche pour les uns ou éloigné pour les autres. La distance
est une variable subjective. Pour toutes les « personnes silencieuses », la boulangerie semblait très
éloignée ; elle était très proche aux yeux des personnes socialement actives.
En général, la signalisation est bonne… sauf dans le cas des structures dédiées aux personnes âgées.
L’accès aux structures (à pied, avec la poussette ou avec le caddie) est plutôt bon. Mais sur le
critère « espaces verts et bancs », les résultats sont particulièrement négatifs. Il en va de même
avec la propreté et la sécurité. Certains quartiers ne sont jamais fréquentés en raison du sentiment
d’insécurité.
En moyenne, il faut entre 14 et 17 minutes pour rejoindre les commerces, 15 minutes pour
rejoindre le club seniors, et une minute pour aller au centre social (qui n’est pourtant connu de
personne).
12 http://www.who.int/ageing/publications/Guide_mondial_des_villes_amies_des_aines.pdf
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Cet outil est intéressant à plusieurs titres :
- il place la participation sociale non comme un moyen, mais comme une fin en soi.
- il montre la complémentarité entre la marche et la carte
- il est très bien accepté
- le coût est réduit voire inexistant.
Néanmoins, il a aussi ses limites :
- l’échantillonnage ; les femmes sont sur-représentées dans la participation sociale, les « personnes
silencieuses » sont sous-représentées et les personnes invalides sont exclues de fait
- la grille de l’OMS n’est pas adaptée à nos réalités locales
- la formulation des questions est parfois ambiguë (une question peut en cacher une autre).
La marche exploratoire a donc permis d’identifier des facteurs défavorables (les barrières
physiques, le stress d’éloignement, les zones désertées) et favorables (adaptabilité et disponibilité
des lieux ressources).
Méthodologie pour aller à la rencontre des habitants silencieux
Oriana BRIAND
Coordinatrice Atelier Santé Ville, Saint-Martin-d’Hères (38)
Je présenterai une recherche-action réalisée avec un chercheur anthropologue et une sociologue.
Les habitants silencieux sont les personnes peu ou pas entendues, qui n’utilisent pas les structures
publiques ou associatives et qui rencontrent des difficultés d’accès aux services de santé. Pour
l’heure, cette catégorie de personnes est peu appréhendée dans les diagnostics menés sur la
commune de Saint-Martin-d’Hères.
Saint-Martin-d’Hères compte 36 000 habitants, dont 40 % habitent les quartiers prioritaires pour la
politique de la ville. Elle concentre des difficultés sociales, avec des services du Centre communal
d’action sociale (CCAS) très développés pour les personnes âgées, mais aussi des difficultés pour
faire participer certains habitants à la chose sociale.
En outre, les personnes qui ont recours le moins souvent aux soins sont aussi celles qui sont les plus
isolées (selon les données de l’observatoire de Grenoble).
Enfin, la recherche-action s’inscrit dans la suite d’une expérience « le baromètre des quartiers »,
menée à Grenoble et à Saint-Martin-d’Hères.
Méthodologie
Dans un premier temps, nous sommes allés à la rencontre des professionnels de proximité (de la
santé, du social, de l’éducatif) et avons mené des entretiens collectifs ou individuels. Nous nous
sommes interrogés sur leur définition de l’habitant silencieux ? Nous avons défini des profils
d’habitants silencieux, puis identifié leurs difficultés éventuelles, ainsi que les leviers. Au cours de
cette première phase, nous avons aussi rencontré des habitants silencieux.
Grâce à des actions de porte-à-porte ciblé ou d’enquête dans les espaces publics, nous avons
travaillé avec ces personnes sur leur parcours et leurs préoccupations de santé. Il s’agissait de
croiser les discours des professionnels et ceux des habitants silencieux.
Les entretiens ont été analysés par des professionnels de proximité, afin de favoriser
l’appropriation de la démarche. Une première analyse croisée a été réalisée avec les chercheurs, à
la suite de laquelle des préconisations ont été formulées.
Les profils d’habitants silencieux repérés sont, par exemple :
- des personnes isolées
37
- des personnes âgées issues de l’immigration
- des personnes résidant en foyers.
Quelques outils schématiques ont permis aux élus et aux habitants de s’approprier ces résultats. Il
a fallu modéliser les récurrences de représentations ou de comportements.
Des résultats
Les habitants mettent en avant le lien entre environnement et participation sociale, entre
environnement et offre de soins. Un environnement dégradé implique un repli sur soi et un rejet de
son quartier. Un environnement embelli dope l’investissement dans la chose sociale.
En ce qui concerne le rapport à la santé, nous avons par ailleurs constaté un décalage entre le
discours des habitants et celui des professionnels. Les professionnels évoquent les conséquences
des pratiques alimentaires ou des difficultés administratives ; les habitants évoquent quant à eux
l’impact de l’environnement sur leur santé, qu’il s’agisse de l’environnement social, de
l’environnement au travail (horaires décalés, non travail, travail manuel) ou l’environnement
géographique (bruit, pollution, voisinage).
Les messages de prévention sont connus mais peu intégrés et les résistances aux dépistages sont
évidentes.
D’une manière générale, l’accès aux droits et aux soins est renforcé par une relation de confiance
avec le médecin, qui a une position centrale dans l’utilisation des services de santé. Il est fréquent
que les personnes qui rencontrent des difficultés d’accès aux droits et aux soins adoptent des
stratégies alternatives (médecine par les plantes, délocalisation de certains soins, etc.). La
barrière de la langue est aussi un élément susceptible de freiner l’accès aux droits et aux soins.
Pour conclure, il apparaît qu’il n’existe pas vraiment d’habitants silencieux ; ce qui existe bel et
bien, c’est un processus interactif entre structures et habitants qui peut conduire à des
malentendus.
Une forte proportion d’habitants de la ville ne parle pas le français et est illettrée. Ces personnes
peuvent solliciter certaines ressources — voisinage, famille, acteurs sociaux de proximité — pour se
faire comprendre ou remplir des dossiers administratifs. Mais la barrière de la langue a de lourdes
conséquences sur l’autonomie, la socialisation, l’estime de soi, et donc sur la participation sociale
sur le territoire.
On constate une résignation face aux démarches administratives complexes, une forme de
renoncement, une accumulation d’autres difficultés, et finalement une auto-exclusion.
Comme levier de participation, on peut citer le rapport interpersonnel aux structures. Une relation
de confiance peut s’instaurer avec des professionnels qui ne sont pas nécessairement en lien avec
la santé et qui sont détournés de leur mission première. A titre d’illustration, une maison de
quartier très fréquentée par les habitants a été subitement désertée à la suite au départ d’une
personne chargée de l’accueil. Le rôle crucial de médiation et d’orientation joué par cette
personne n’avait pas été perçu par les professionnels de la maison de quartier.
Notons enfin des configurations informelles de participation citoyenne, c’est-à-dire non repérées
comme telles par les acteurs de proximité. A l’échelle micro–locale — si l’on recense des habitants
ressources dans un quartier ou dans un immeuble —, on peut identifier une veille auprès des
personnes vulnérables.
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Cette analyse de la distanciation des habitants avec la chose sociale a ouvert une clé de
compréhension indispensable pour comprendre les structures de santé et leurs publics. Nous
espérons qu’elle conduira à mener des actions plus adaptées.
Conclusion
Lucette BARTHELEMY
Les objectifs de cette session sur les aînés étaient triples :
- s’ouvrir à de nouveaux modèles conceptuels : modèle écologique et catégorisation des résultats
- rendre visibles des programmes prenant en compte les déterminants socio environnementaux de la
santé des aînés : prévention de la fragilité des seniors, culture créole et liens intergénérationnels,
projet Passerelle dans une entreprise de BTP, développement d’interventions en promotion de la
santé
- acquérir des outils pour mesurer les déterminants socioenvironnementaux de la santé : cartes
mentales, marche exploratoire et méthodologie concernant les habitants silencieux.
Le numéro 411 de la revue « La santé de l’homme » est entièrement consacré aux déterminants
socio-environnementaux de la santé des aînés. Vous retrouverez ces ressources sur le site web de
l’INPES.
Stéphanie PIN
Cette session est une nouvelle étape du partenariat développé avec le Québec depuis 2009. A la fin
de l’année 2011, il aboutira à un guide d’aide à l’action qui présentera le modèle écologique et des
exemples d’utilisation.
Par ailleurs, cette session marque le début d’un nouveau partenariat avec la Caisse nationale
d’assurance vieillesse (CNAV) et avec d’autres acteurs. A l’issue de ces interventions, il apparaît
que le fait de mutualiser les expériences est extrêmement riche. Il me semble que la domination du
modèle médical en santé publique tend à s’estomper ; nos intervenants étaient géographes de la
santé, historiens, sociologues, épidémiologistes, agents de planification, praticiens, chercheurs…
Ainsi, le dialogue interdisciplinaire renaît sur le terrain, en Suisse, au Québec, mais aussi en
France. Il nous appartient de valoriser ces expériences et de développer le plus possible le bien
vieillir.
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SIGLES
ANESM : Agence nationale d’évaluation sociale et médico-sociale
ARS : Agence régionale de santé
CARSAT : caisse d’assurance retraite et de la santé au travail
CCAS : Centre communal d’action sociale
CHU : centre hospitalier universitaire
CLIC : Centre local d’information et de coordination
CLSC : centre local de services communautaires
CNAM : caisse nationale d’assurance maladie
CNAV : caisse nationale d’assurance vieillesse
CNSA : caisse nationale de solidarité pour l’autonomie
CSSS : centre de santé et de services sociaux
DGAS : Direction générale de l’action sociale
DGS : Direction générale de la santé
DOM : Département d’Outre-mer
DSP : direction de santé publique
EHPAD : Etablissement d’hébergement pour personnes âgées
MSA : mutualité sociale agricole
OMS : Organisation mondiale de la santé
PAPA : plan de préservation de l’autonomie des personnes âgées
PPE : Point Paris émeraude
RHISAA : rapport sur la recherche sur le handicap, les incapacités et l’aide pour l’autonomie
RSA : Revenu de solidarité active
RSI : régime social des indépendants
UIPES : Union internationale de promotion et d’éducation pour la santé
WAI : Work ability index