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88 Archeologia e Calcolatori Supplemento 5, 2014, 88-101 APPLICATIONS 3D POUR LA CONTEXTUALISATION ET LE RELEVÉ D’ART EN GROTTE ORNÉE 1. Introduction Les applications 3D connaissent un développement croissant dans les recherches archéologiques. Dans le champ de la Préhistoire, les travaux dans les grottes ornées se situent en pointe pour l’utilisation des techniques d’en- registrement et de modélisation 3D. Ces dernières sont sources de données et supports déterminants pour répondre aux problématiques des études, de même que pour les aspects de conservation et de restitution. À cet égard, des sites tels que Chauvet (Aujoulat et al. 2005), Lascaux, Angles sur l’Anglin (Pinçon et al. 2012), Altamira, ou plus récemment Font de Gaume ou Cussac intègrent de véritables programmes d’enregistrement et traitement 3D. Si l’essentiel des premiers travaux ont visé à la reconstitution des volumes souterrains, de nouvelles pistes apparaissent depuis peu. Elles vont de pair avec l’utilisation de méthodes d’enregistrement et d’outils logiciels adaptés aux objectifs définis par les chercheurs. À côté des scanners/lasers, la photogrammétrie retrouve peu à peu une place parmi les programmes de recherche, près de 30 ans après les derniè- res tentatives d’applications. Les essais effectués notamment à Pech Merle (Lorblanchet 1981) n’avaient à l’époque pas produit de supports efficaces, les rendus en courbe de niveau étant peu parlants sur le plan visuel, et peu déterminants pour la compréhension des figures. Toutefois, les nouvelles applications logicielles et le développement de la méthode par corrélation de masse replacent la photogrammétrie et ses outils au cœur des applications de recherche dans le domaine de l’art préhistorique. 2. Mise en œuvre de nouveaux outils et approches 3D À ce titre, dans le cadre d’un programme de recherche interdisciplinaire sur les méthodes et analyses appliquées à l’art préhistorique, le programme MADAPCA 1 , nous avons mis en œuvre des enregistrements 3D visant à deux objectifs, la numérisation des volumes pour la contextualisation archéologique et la conservation, dans la grotte Blanchard (Robert, Egels et al. à paraître), et la numérisation des gravures à haute résolution à Rouffignac (Robert, Pierrot-Deseilligny et al. à paraître). 1 MicroAnalyses et Datations de l’Art Préhistorique dans son Contexte Archéologique, programme subventionné par l’Agence Nationale de la Recherche, coordonnée par Patrick Paillet (Museum).

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Archeologia e CalcolatoriSupplemento 5, 2014, 88-101

APPLICATIONS 3D POUR LA CONTEXTUALISATION ET LE RELEVÉ D’ART EN GROTTE ORNÉE

1. Introduction

Les applications 3D connaissent un développement croissant dans les recherches archéologiques. Dans le champ de la Préhistoire, les travaux dans les grottes ornées se situent en pointe pour l’utilisation des techniques d’en-registrement et de modélisation 3D. Ces dernières sont sources de données et supports déterminants pour répondre aux problématiques des études, de même que pour les aspects de conservation et de restitution.

À cet égard, des sites tels que Chauvet (Aujoulat et al. 2005), Lascaux, Angles sur l’Anglin (Pinçon et al. 2012), Altamira, ou plus récemment Font de Gaume ou Cussac intègrent de véritables programmes d’enregistrement et traitement 3D. Si l’essentiel des premiers travaux ont visé à la reconstitution des volumes souterrains, de nouvelles pistes apparaissent depuis peu. Elles vont de pair avec l’utilisation de méthodes d’enregistrement et d’outils logiciels adaptés aux objectifs définis par les chercheurs.

À côté des scanners/lasers, la photogrammétrie retrouve peu à peu une place parmi les programmes de recherche, près de 30 ans après les derniè-res tentatives d’applications. Les essais effectués notamment à Pech Merle (Lorblanchet 1981) n’avaient à l’époque pas produit de supports efficaces, les rendus en courbe de niveau étant peu parlants sur le plan visuel, et peu déterminants pour la compréhension des figures. Toutefois, les nouvelles applications logicielles et le développement de la méthode par corrélation de masse replacent la photogrammétrie et ses outils au cœur des applications de recherche dans le domaine de l’art préhistorique.

2. Mise en œuvre de nouveaux outils et approches 3D

À ce titre, dans le cadre d’un programme de recherche interdisciplinaire sur les méthodes et analyses appliquées à l’art préhistorique, le programme MADAPCA1, nous avons mis en œuvre des enregistrements 3D visant à deux objectifs, la numérisation des volumes pour la contextualisation archéologique et la conservation, dans la grotte Blanchard (Robert, Egels et al. à paraître), et la numérisation des gravures à haute résolution à Rouffignac (Robert, Pierrot-Deseilligny et al. à paraître).

1 MicroAnalyses et Datations de l’Art Préhistorique dans son Contexte Archéologique, programme subventionné par l’Agence Nationale de la Recherche, coordonnée par Patrick Paillet (Museum).

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Ce travail a associé préhistoriens, spécialistes de photogrammétrie, pho-tographes et topographes, de plusieurs laboratoires et centres de recherches. Il a été conduit dans le cadre de collaborations visant à combiner problématiques archéologiques et nouvelles méthodes d’analyse. Ainsi nos objectifs alliaient à la fois le souci de la conservation, l’application de procédés techniques inédits dans ce milieu, et la création de supports pour la recherche.

Les terrains d’application ont été deux grottes magdaléniennes (≈ 17-12 000 BP) qui présentent des problématiques distinctes, dans deux contex-tes extrêmes, de l’infiniment petit à l’infiniment grand: Blanchard (Indre) et Rouffignac (Dordogne).

À Blanchard, le site qui a initié notre démarche (Robert et al. 2012), l’objectif premier était la conservation puisque la grotte, située à quelques mètres seulement de la voie ferrée Paris-Toulouse, est directement exposée à des risques de fracturation de la roche. Toutefois cet objectif n’était pas le seul. Malgré sa taille modeste, ce site possède en effet un riche contexte archéologique, en particulier par ses nombreux objets fichés dans les parois (Peyroux, Cretin à paraître), associés à des ensembles de tracés, essentiellement gravés.

Nous voulions élaborer un modèle de la grotte qui soit directement texturé, dans lequel soient restitués aussi bien les volumes que les gravures, et dans lequel soient contextualisés avec précision toutes les données archéo-logiques et analytiques.

À Rouffignac, l’objectif était différent, puisqu’il visait dans le cas pré-sent la numérisation des représentations pariétales. Les techniques actuelles permettent d’atteindre une résolution suffisante par les scanners (Burens et al. 2011), ce que nous voulions vérifier, en grotte, pour la photogrammétrie. Nous avons cherché à tester ses limites sur des panneaux gravés, avec des palimpsestes de différents types de tracés (gravures au doigt, à l’outil, tracés modernes, griffades de plusieurs animaux, etc.: Robert, Pierrot-Deseilli-gny et al. à paraître). Au-delà de la numérisation elle-même, la question se pose de son utilisation, en particulier pour l’appliquer à la préparation et à la réalisation de relevés d’art pariétal.

Dans les deux cas, notre volonté n’est pas seulement de créer un sup-port 3D. Ce support doit s’intégrer dans une démarche de recherches à part entière, où il constitue un chaînon essentiel pour aller au-delà des méthodes et outils actuellement employés, et ouvrir de nouvelles perspectives pour les travaux menés en grotte ornée.

Nous voulons insister ici sur deux applications essentielles, la localisation 3D des données archéologiques et analytiques, à laquelle est associée un système d’interrogation, et la création de nouveaux supports haute résolution pour les relevés des représentations. Dans les deux axes, la photogrammétrie a joué un rôle prépondérant, intervenant à différentes étapes de ces recherches, dans l’enregistrement, le traitement ou la correction et le recalage des données.

E. Robert, Y. Egels, E. Boche, M. Peyroux, D. Vialou, P. Paillet, D. Vigears

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3. Croisement des données archéologiques et analytiques dans le modèle 3D de la grotte Blanchard

La grotte Blanchard, bien que l’une des plus petites cavités ornées dans l’univers paléolithique, rassemble des données archéologiques de nature di-verses: gravures faites au silex, peintures, objets en os et en silex fichés dans ses parois, objets archéologiques au sol. Occupée au Magdalénien (plusieurs couches ont été distinguées par le docteur Jacques Allain), elle présente des témoignages de toutes ces activités présentes conjointement, fait rare dans les sites karstiques du Paléolithique supérieur.

Outre ses caractéristiques archéologiques, Blanchard pose un problème de conservation. En effet, la grotte est située tout près d’une voie ferrée très fréquentée, ce qui a pour conséquence de créer des vibrations susceptibles d’accentuer la fracturation naturelle des parois. Face à ce risque, il était nécessaire de disposer d’un support pérenne de ce site, même virtuel, en cas d’évolution du contexte souterrain. C’est le sens de la démarche initiée dans cette grotte, qui a conduit à un premier modèle 3D par scanner (Faro Photon 120/20). Au total, dix stations ont été effectuées, cinq dans la grotte, deux dans le puits d’accès et trois à l’extérieur.

Plusieurs imperfections sont apparues dans ce premier modèle, au niveau du recollement des stations comme du calage de la texture, nécessitant des corrections, notamment le calage de clichés photographiques issus d’une cou-verture indépendante de celle du modèle 3D (Robert, Vigears et al. 2012).

Grâce au logiciel Cumulus (développé par l’un d’entre nous, Yves Egels), et déjà utilisé pour le calage de la texture complémentaire, nous avons pu résoudre la question du calage entre les stations, par un remontage manuel basé sur la méthode de phototriangulation. Correspondant à l’aérotriangulation (terme utilisé pour le calage des images aériennes), essentielle en photogrammétrie, elle vise au calage général des images entre elles à partir de la couverture photogra-phique, via des points homologues identifiés sur les images. Le procédé ici est le même, mais s’appuie sur les “images” de chaque station du scanner.

La phototriangulation s’est aussi révélée précieuse pour recaler les relevés graphiques sur le modèle 3D, via le programme Redresseur (créé par Yves Egels) (Fig. 1). En effet, au début des années 80, le relevé de l’ensemble des gravures de la paroi Nord-Est a été réalisé sur des polyanes, par une méthode de projec-tion quasi-orthogonale (étude effectuée par l’un d’entre nous, Denis Vialou). Après des tentatives de calage direct sur des couvertures photos modernes, qui se sont révélées infructueuses en raison des divergences de géométrie des méthodes d’enregistrement, nous avons cherché à recaler certains de ces relevés sur le modèle 3D, en supposant que leur géométrie pouvait être assimilée à une perspective centrale à déterminer. Pour cela, des points de correspondance avec la 3D ont été identifiés sur les relevés, en particulier les lignes de fracture

Fig. 1 – Calage par phototriangulation sur Redresseur du relevé graphique de la paroi de la grotte Blanchard, par identification de points homologues avec le relevé 3D (docs Y. Egels, D. Vialou, D. Vigears, E. Robert).

E. Robert, Y. Egels, E. Boche, M. Peyroux, D. Vialou, P. Paillet, D. Vigears

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et fissures naturelles relevées en bleu sur les polyanes. Cela a permis d’obtenir une visualisation inédite de relevés effectués en 2D, sur le modèle 3D.

Outre la numérisation avec le scan Faro, un autre modèle 3D a été effectué (Leica scanstation 2), destiné à corriger et compléter le premier, en particulier dans une zone étroite et basse difficile d’accès, que le premier scan n’avait pas enregistrée. Trois stations ont été faites dans la grotte, la première au seuil de l’entrée, la seconde au centre de la grotte, la troisième au début du laminoir. De plus, le géoréférencement a été assuré en parallèle via une station topo et un récepteur GPS extérieur2. C’est aussi grâce à cette numérisation que nous avons pu caler les données archéologiques enregistrées en parallèle par la topographie.

En effet, la saisie 3D de points remarquables dans la grotte (parmi lesquels d’anciens repères topographiques au sol ou au-dessus de la porte), préalablement enregistrés par la station topo Leica TCR 407, a permis le calage entre les deux réseaux de données dans le modèle 3D (Fig. 2).

La nouvelle topographie de la grotte (la précédente était incomplète) a no-tamment permis à trois d’entre nous (Eric Robert, Elisa Boche, Magali Peyroux) de situer avec précision les 28 emplacements d’objets fichés identifiés dans la grotte

Fig. 2 – Plan de la grotte Blanchard issu de la numérisation 3D de la grotte par la scanstation Leica, localisation des points de correspondance avec la topographie (docs. D. Schelstraete, Y. Egels, E. Boche, E. Robert).

2 Nous tenons à remercier ici Daniel Schelstraete et Anathasios Georgantas (IGN) pour la numérisation 3D effectuée avec le Scan Leica à Blanchard.

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Fig. 3 – Appel des données analytiques dans le relevé 3D par points de correspondance dans Cumu-lus (relevé graphique en haut, fiche sur les objets archéologiques en bas) (docs. Y. Egels, D. Vialou, M. Peyroux).

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(Peyroux, Cretin à paraître) ainsi que les secteurs peints et gravés de la grotte, et ce sur la base de l’étude du dispositif pariétal de la cavité (Vialou 2004).

La précision des stations, la large couverture des enregistrements, le calage entre données topographiques et 3D sont autant d’éléments qui ont contribué à disposer d’un modèle numérique 3D fiable et complet, dans le-quel intégrer l’ensemble des données archéologiques, mais aussi analytiques développées sur ce site: relevés graphiques, photographiques, fiches d’étude des objets, microanalyses, etc.

Les points références enregistrés par la station topographique, pour les objets fichés (28) comme pour les ensembles gravés et peints (50), ont été intégrés au modèle 3D via leurs coordonnées, calées sur une même base de référence établie sur les repères de la topographie de 2004 (repères au sol, ainsi que 4 “clous” répartis dans la grotte) par la station topo et par le scan Leica. Il suffit alors de les intégrer sous forme d’objets ponctuels dans les métadonnées de Cumulus pour qu’ils apparaissent dans le modèle 3D de la grotte.

Une fois cette intégration effectuée, un système d’interrogation (encore succinct) est mis en place, permettant de faire apparaître, pour les points identifiés dans le modèle, l’information correspondante, référencée par un lien hypertexte. Il peut s’agir de fiches techniques, photographies, relevés, etc., qui sont accessibles par l’outil de sélection de coordonnées 3D ou par le nom de l’objet (Fig. 3). Ainsi, on peut comparer la localisation spatiale des différen-tes données archéologiques (objets fichés et ensembles gravés ou peints), et accéder instantanément aux informations qui y sont associées.

La construction de ce modèle nous place dans la perspective d’un vérita-ble Système d’Information Archéologique en 3 dimensions, qui constitue à la fois un support pérenne pour la conservation du site, un support de recherche (par exemple pour des analyses spatiales), et un support d’archives 3D pour l’ensemble des données analytiques obtenues dans la grotte.

4. Vers de nouveaux relevés d’art préhistorique: les parois de Rouffignac

L’une des problématiques principales de la recherche en art préhisto-rique vise au relevé des peintures et gravures identifiées sur les parois. La réalisation de ces relevés implique aujourd’hui un enregistrement préalable via des photographies, sur lesquelles sont réalisés les relevés par l’intermédiaire de papier transparent type polyane ou rhodoïd. Le principal problème tient précisément dans la restitution du support avec le relevé des traits. Jusqu’à présent, la restitution n’intervient que par un traitement graphique sur logiciel (type Photoshop), sur la base de la photo et des lectures dans la grotte. La 3D offre une alternative précieuse pour mieux rendre les caractéristiques de la paroi, et ce à plusieurs niveaux.

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Au niveau de la saisie tout d’abord. Si cette dernière est suffisamment précise, nous pouvons alors disposer d’un rendu détaillé des micro-volumes des parois, mais aussi de la profondeur des gravures.

Au niveau du traitement ensuite, en extrayant du modèle 3D de nou-veaux documents pour le relevé d’art, destinés à faciliter leur calage sur le modèle.

Ce sont les démarches que nous avons entreprises sur plusieurs panneaux de la grotte de Rouffignac. La large panoplie des techniques utilisées pour les œuvres pariétales (gravure au doigt ou à l’outil en silex, dessin), les traces animales (griffades d’ours et de petits carnivores) et les données analytiques disponibles pour la comparaison (couvertures photos, relevés) constituaient en effet un cadre idéal, parmi les grottes ornées paléolithiques, à la mise en œuvre de ce processus analytique.

Nous avons réalisé la photogrammétrie de deux panneaux gravés de Rouffignac: le panneau du Patriarche (autour de la représentation du mam-mouth 206), et le panneau de la Voie Sacrée (au niveau du tectiforme 29). Avec leurs propriétés respectives, ils représentent un éventail représentatif des carac-téristiques de la grotte de Rouffignac, et au-delà, de la plupart des difficultés et situations susceptibles de se présenter dans les grottes ornées. On y retrouve les différents types de gravures présents à Rouffignac: gravure au doigt, au silex (burin), à la spatule, à l’outil métallique pour des traces modernes, mais aussi des griffades animales de différents gabarits (Plassard 1999).

Pour réaliser la photogrammétrie des panneaux, nous avons procédé à un enregistrement exhaustif par prises de vue successives, avec un recouvre-ment de deux tiers entre chaque image. Ces prises de vues ont été effectuées au moyen d’appareils photos Reflex calibrés. Plusieurs objectifs ont été employés, à des distances différentes, leur combinaison déterminant la profondeur de la gravure que nous voulions enregistrer. Le niveau de résolution obtenu a varié entre 50 et 500 microns, selon le panneau numérisé et le type de gravures.

La modélisation s’est fait ensuite en deux phases, selon un processus défini (Pierrot-Deseilligny, Clery 2011).

La première (la phototriangulation, réalisée par le module APERO) permet de reconstituer la configuration de la prise de vues (orientation et position de la caméra). Elle repose sur la reconnaissance de correspondan-ces entre points caractéristiques entre chaque cliché. Le calcul des points de correspondance s’appuie aujourd’hui sur un calcul automatique via des algorithmes préétablis (du type détecteur SIFT, le plus couramment employé actuellement).

La seconde phase permet de créer un modèle 3D géométriquement fidèle de la scène par un algorithme de corrélation dense multi-image (via la recherche de l’homologue de chaque pixel sur toutes les images qui le voient, réalisée par le module MICMAC).

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L’éclairage doit rester homogène et constant d’une prise de vue à l’autre et au cours des différentes couvertures (qu’il s’agisse de faire les clichés pour le calage général, la phototriangulation et la saisie des points). Pour cela, nous avons utilisé des sources froides, en l’espèce: des torches flash Broncolor, des flashs cobra Nikon et des lampes 60 LED. Chacune de ces sources a apporté des résultats probants au travers des tests effectués.

Au total, sur les deux panneaux que nous avons numérisés, nous som-mes parvenus à avoir un modèle général enregistrant les détails des gravures faites au doigt et des principaux volumes, mais aussi nous sommes allés au-delà sur certains secteurs. Ainsi, à la base droite du Tectiforme 29, nous avons obtenu une restitution détaillée des gravures les plus fines, mais aussi des griffades de chauve-souris, correspondant à une résolution de quelques dizaines de microns (Robert, Pierrot-Deseilligny et al. à paraître). Nous avons ainsi pu avoir un véritable enregistrement en volume inédit et unique de griffades et gravures, visibles non plus seulement “à-plat”, mais aussi dans toute leur profondeur.

Passé ce cap de la restitution directe en 3D, le second objectif vise l’exploitation du modèle 3D pour le relevé d’art. En effet, avec toutes ses qualités, la restitution 3D seule ne suffit pas à l’analyse des images, il faut en faire une lecture sélective des tracés, comprendre l’ordre de réalisation, les palimpsestes, rendre le geste du graveur, etc., autant d’aspects que la 3D ne permet pas “stricto-sensu” et pour lesquels le relevé manuel, traduction de la lecture et de l’analyse du chercheur, reste déterminant.

Au vu des contraintes que posent les traditionnels supports photos pour effectuer les relevés, nous souhaitions tester la possibilité de corréla-tion sur le modèle 3D. Avec l’exemple de Blanchard, nous avons pu vérifier que c’était possible, mais problématique lorsque le relevé est réalisé selon un procédé indépendant et divergent de la numérisation 3D. Des décalages restent présents, et offrent une image déformée du relevé. L’objectif est donc à présent de partir du modèle 3D pour obtenir le support sur lequel effectuer le relevé manuel, et ainsi faciliter le recalage a posteriori.

Nous avons donc utilisé la capture photogrammétrique du panneau du Patriarche, pour expérimenter le procédé. L’enregistrement du panneau s’est fait selon un découpage en 12 segments, chacun photographié de 6 positions différentes, le tout formant une panoramique apportant une information équivalente à une caméra très haute résolution (plus de 150 mega pixel). Pour l’éclairage, deux flashs cobras placés de manière oblique par rapport à la paroi. À l’opposé l’un de l’autre, ils permettaient ainsi un éclairage semi-rasant sans ombres (Fig. 4).

Ces 12 segments, obtenus dans le même référentiel, ont chacun fourni un modèle 3D. Le fort recouvrement entre chaque cliché et l’éclairage semi-rasant a permis d’obtenir de très nombreux points de correspondance iden-

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Fig. 4 – Photogrammétrie du panneau du Patriarche, couverture photo à gauche, calage des points homologues en haut à droite, rendu ombré sur Meshlab en bas à droite (docs. E.Robert, M. Pier-rot-Deseilligny).

tifiable (par exemple sur la tête du mammouth), offrant ainsi une résolution importante de l’image.

Les 12 modèles sont “naturellement” juxtaposables et cohérents grâce à la phototriangulation. L’assemblage ainsi obtenu a permis d’illustrer les caractéristiques du volume de la paroi et les détails des différents types de gravures et tracés existant. On distingue nettement les tracés gravés au silex du patriarche, la technique à la spatule spécifique des défenses, le tracé au doigt du rhinocéros 205 ou celui estompé du mammouth 206, et toutes les griffades animales qui parsèment la base du panneau (Fig. 5).

Fort de ces détails, nous avons extrait via le logiciel Cumulus une orthophotographie du panneau. C’est sur cette projection orthogonale de l’image qu’est réalisé le relevé, alors que les cartes de profondeur qui lui sont associées permettent le recalage définitif du modèle.

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Fig. 5 – Restitution photogrammétrique du mammouth du Pa-triarche et relevé infographique sur orthophotographie (docs. M. Pierrot-Deseilligny, Y. Egels, E. Robert, S. Petrognani).

Sur la base de cette orthophotographie, on réalise le relevé. Pour les besoins de la méthode, il a ici été réalisé exceptionnellement sur ordinateur3, mais le principe fonctionne aussi avec l’approche plus classique de relevé sur polyane, calé sur l’orthophoto imprimée, puis scanné ensuite. Dans le cas pré-sent, notre relevé infographique visait à distinguer les différentes représentations et techniques par des codes couleurs différents. Il ne s’agissait pas tant de faire une lecture détaillée du panneau que de tester la validité de la méthode.

Une fois le relevé effectué, le recalage sur le modèle 3D est trivial, puisque la géométrie du document est celle de l’orthophoto, qui est connue par fabrication. Deux rendus sont possibles: reprojection comme une texture

3 Nous remercions ici Stephane Petrognani (UMR 7041 ArScAn) qui a réalisé le relevé in-fographique du panneau selon les critères particuliers que nous avions fixés.

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(Fig. 5), selon le procédé utilisé à Blanchard, ou bien passer directement le dessin vectoriel en 3D par le biais de la carte de profondeur, ce qui sera sans doute plus approprié pour des analyses spatiales. Nous avons opté ici pour la reprojection, méthode la plus simple permettant d’illustrer le procédé. Le résultat offre un calage précis et direct du relevé sur le modèle, et donc une véritable dimension de profondeur à la lecture analytique.

La dernière possibilité de relevé est sa réalisation directement sur le modèle 3D, sur ordinateur. Parmi d’autres, le programme Habillage (déve-loppé par Yves Egels), permet d’effectuer cette tâche. Toutefois, l’impossibilité d’adapter finement le tracé avec les outils informatiques, même avec une excel-lente palette graphique, ne permet pas de retenir pour l’instant ce procédé.

Quelle que soit la méthode employée, elle ouvre des opportunités nou-velles dans la recherche en art, en permettant d’envisager, déjà, de véritables relevés 3D des parois des grottes, et combiner ainsi la lecture analytique des images avec leur restitution volumétrique complète. Cet art retrouverait ainsi dans sa restitution scientifique les trois dimensions qui le composent naturellement à l’origine.

5. Les supports 3D, quelle place dans l’avenir de la recherche en art?

Au travers des recherches et applications menées ces dernières années dans le cadre de MADAPCA, nous avons pu expérimenter non seulement les techniques de numérisation, mais aussi travailler sur les applications des outils 3D. Notre démarche, renforcée par les résultats obtenus, montre à quel point les supports 3D, au-delà de l’aspect “esthétique” parfois critiqué, au-delà des apports sur la conservation et l’archivage des volumes, sont amenés à intégrer pleinement de nouvelles perspectives de recherches archéologiques, et précisément dans le contextes particulier des grottes ornées.

Qu’il s’agisse de la contextualisation des restes archéologiques associés (œuvres graphiques comme objets en matière dure minérale ou animale), des analyses sur la répartition spatiale et dans les volumes, ou de nouveaux outils pour le relevé des représentations, la 3D peut intervenir directement dans le processus d’analyse des grottes ornées.

La photogrammétrie, par l’ensemble de ses caractéristiques (techni-ques et logicielles) offre des opportunités nombreuses et variées. Avec peu de nuisances, cette méthodologie est adaptable à des objectifs divers, efficace à différentes échelles: restitution des volumes, enregistrement des gravures et traces, lecture des palimpsestes, etc. Si d’autres applications restent à dévelop-per, notamment pour des analyses technologiques et tracéologiques (mesures, profils de traits, stéréorestitution, etc.), la photogrammétrie apparaît d’ores et déjà opérationnelle en grotte, et combinable avec d’autres méthodes (to-pographie, scanners-lasers, etc.).

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Un des objectifs déterminant pour la recherche en art, car il répond aux besoins actuels de la discipline, sera de définir et créer de véritables “Systèmes d’Interrogations Spatiales pour l’Archéologie” sur la base de la 3D, intégrant toutes les données, graphiques, archéologiques, morphologiques, analytiques, etc., tel que nous avons commencé à l’élaborer à Blanchard.

Les applications présentées ici correspondent aux besoins des recher-ches en art préhistorique. Fruit de la collaboration et des échanges entre photogrammètres et archéologues, elles témoignent à la fois de l’efficacité du dialogue interdisciplinaire, mais surtout des ouvertures nouvelles qu’offrent les modèles 3D.

Pour l’étude des représentations préhistoriques, la construction d’appli-cations 3D inédites s’avère donc un facteur déterminant dans nos démarches, pour appréhender et restituer l’ensemble des démarches et des choix qui ont conduit à la création des dispositifs ornés paléolithiques.

Eric RobertMuséum National d’Histoire Naturelle

Département de PréhistoireUMR 7194, Paris

Yves EgelsInstitut Géographique National,

Ecole Nationale des Sciences Géographiques, IGN – ENSG, Marne-la-ValléeElisa Boche

Centre National de Préhistoire, PérigueuxMagali Peyroux

PACEA UMR 5199Université Bordeaux 1, BordeauxDenis Vialou, Patrick Paillet

Muséum National d’Histoire NaturelleDépartement de Préhistoire

UMR 7194, ParisDaniel Vigears

Centre de Recherche et de Restauration des Musées de FranceC2RMF - UMR171 CNRS, Paris

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Vialou D. 2004, La grotte ornée Blanchard, Saint-Marcel (Indre), in Archéologie du Val de Creuse en Berry, «Bulletin de l’Association pour la Sauvegarde du Site Archéologique d’Argentomagus et Amis du Musée (ASSAAM)», Argenton sur Creuse, ASSAM, n spécial, 69-76.

Remerciements

Nous tenons ici à remercier chaleureusement Frédéric et Jean Plassard, qui ont permis et ont contribué à la mise en œuvre de la recherche sur les panneaux de Rouffignac, Madame Claudine Maria et l’ASSAAM pour nous avoir toujours facilité l’accès à la grotte Blanchard. Leur intérêt et leur disponibilité ont grandement contribué à la mise en œuvre des projets et des applications présentées ici.

ABSTRACT

Among 3D tools, photogrammetry has received growing attention for the modeling of under-ground spaces. The flexibility of its implementation and the wide field that it can cover encourage its use for recording decorated walls and their contexts. As part of a developing program ANR microanalysis on prehistoric art, 3D photogrammetry modeling were carried out in caves in Blanchard (Indre, France) and Rouffignac (Dordogne, France). I make quickly reference at two examples which are developed in article: 1) the numbering and analysis of the condition of the walls and the engravings; 2) localization in 3D pointcloud of archaeological data (paintings, prints, objects of flint or bone stuck into the wall) and links with different kinds of information about them (type, descriptions, dimensions, drawing, etc.). These applications illustrate the possibilities offered by current 3D tools in the study of rock art, and are sometimes new ways for the study of prehistoric representations in their geomorphological and archaeo-logical context.