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LES ARTISANS D’ART EN MILIEU RURAL ET LEUR RAPPORT AUX LIEUX Claire Delfosse, Pierre-Marie Georges, François Portet GREP | « Pour » 2015/2 N° 226 | pages 167 à 175 ISSN 0245-9442 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-pour-2015-2-page-167.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Claire Delfosse et al., « Les artisans d’art en milieu rural et leur rapport aux lieux », Pour 2015/2 (N° 226), p. 167-175. DOI 10.3917/pour.226.0167 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour GREP. © GREP. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Louis Lumière Lyon 2 - - 159.84.125.236 - 18/02/2016 17h04. © GREP Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Louis Lumière Lyon 2 - - 159.84.125.236 - 18/02/2016 17h04. © GREP

Les artisans d’art en milieu rural et leur rapport aux lieux

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LES ARTISANS D’ART EN MILIEU RURAL ET LEUR RAPPORT AUXLIEUXClaire Delfosse, Pierre-Marie Georges, François Portet

GREP | « Pour »

2015/2 N° 226 | pages 167 à 175 ISSN 0245-9442

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-pour-2015-2-page-167.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Claire Delfosse et al., « Les artisans d’art en milieu rural et leur rapport aux lieux », Pour 2015/2(N° 226), p. 167-175.DOI 10.3917/pour.226.0167--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Les artisans d’art en milieu rural et leur rapport aux lieux

Claire DELFOSSE, Pierre-Marie GEORGES, François PORTETLaboratoire d’Études Rurales – Lyon 2

Le rôle des artisans d’art dans les dynamiques culturelles locales est peu appréhendé, à part leur rôle de valorisation du patrimoine, notamment dans le cadre des cités labellisées. Nous souhaitons examiner ici leurs liens

aux espaces ruraux par leurs stratégies professionnelles et résidentielles ainsi qu’à travers leur contribution à l’animation patrimoniale et culturelle des lieux.La méthode principalement retenue ici est celle de l’analyse des parcours de vie1. Elle met en lumière la grande diversité des trajectoires professionnelles des artisans d’art, et elle a aussi pour mérite d’interroger le processus qui mène des acteurs vers un statut complexe. Il ressort de l’analyse des parcours de vie que les représentations « internes » et « externes » de l’artisan d’art sont par-ticulièrement agissantes à certains moments de la biographie des individus, notamment au moment de la formation et de l’installation.

Artisan d’art : statut ou vocation

Une des premières façons de considérer les liens au rural tient à la trajectoire professionnelle.

Les « héritiers » et la revendication de la tradition

Quelques artisans d’art rencontrés ont hérité d’un atelier familial comme ces artisans tourneurs installés en moyenne montagne qui ont repris l’atelier, les machines, l’outillage et une partie des savoir-faire hérités dans le cadre familial  ; c’est le cas également d’un ferronnier d’art du Roannais. Dans ces situations, la formation au métier a eu lieu sur place. Mais il y a éga-lement des artisans d’art que l’on peut qualifier d’« héritiers revendiqués  ».

1 Les enquêtes ont été réalisées dans la région Rhône-Alpes à l’occasion d’un contrat avec le PNR des Bauges, de la thèse de Pierre-Marie Georges sur les artistes en milieu rural dans la région Rhône-Alpes et de stages de terrain organisés avec les étudiants du master Études rurales (Université Lyon 2) – voir carte de situation.

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La plupart du temps, ils n’ont pas appris le métier dans le cadre familial, mais par imprégnation, imitation d’un artisan local qu’ils ont longuement fréquenté et dont ils ont cherché à saisir « les secrets ». Certains d’entre eux exercent leur activité à travers le statut d’auto-entrepreneur qui permet aussi ce type d’autoformation. Les « héritiers revendiqués » sont aussi des passeurs : ils peuvent permettre à une production de passer d’un statut d’artisanat, à celui d’artisanat d’art. En effet, ces acteurs arrivent sur le terrain au moment où une fabrication s’étiole, ou se trouve menacée de disparition, comme c’est le cas pour « l’argenterie des Bauges »2 et c’est par leur action personnelle qu’elle est publicisée (ces acteurs multiplient les démonstrations en public, voire lorsque c’est possible la mise en place de musées ou de lieux de monstration) et que sa rareté est mise en avant.

2 Il s’agit de la fabrication d’objets tournés (notamment de la vaisselle) en bois, l’appellation « argenterie » par antiphrase désignerait un matériau pauvre : le bois abondamment disponible dans le massif. L’argen-terie fabriquée dans le cadre d’une économie paysanne était diffusée par colportage à l’extérieur du massif.

Carte 1 : Des terrains d’enquête situés en région Rhône-Alpes

Carte : P.M. Georges, 2015.

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Dans les différentes formes d’héritage, la formation, puis l’installation se trouvent assignées à l’espace local, avec une forte dimension d’identité reven-diquée.

Des formations aux métiers d’art : l’acquisition des compétences

Pour un certain nombre de métiers d’art, il existe des formations initiales ou continues à l’échelle interrégionale ou nationale en fonction de la rareté de la discipline concernée. À travers leur projet de formation, les futurs artisans d’art sont amenés à s’initier à leur métier dans une institution qui ne sera pas forcément liée à leur lieu d’exercice. Ainsi, les céramistes font souvent leur apprentissage dans des centres installés dans des bassins de production tradi-tionnels de céramique : en Puisaye ou à Dieulefit dans la Drôme. Les tech-niques de production, les matériaux et les décors, qui y sont enseignés, sont en partie ceux du lieu, mais aussi marqués par les expériences artistiques qui ont façonné la vie de ces « bassins potiers ». L’exemple de cette jeune céramiste du massif des Bauges montre comment elle construit son processus de formation par des allers et retours entre ces bassins de production et le territoire où elle envisage de s’installer : « J’ai fait quatre ans de formation. J’ai trouvé le Centre de Formation de Saint-Amand-en-Puisaye. C’est une région où il y avait des carrières de grès et beaucoup de fabriques. Ils ont une grosse tradition potière et ils ont créé une école pour essayer de faire revivre le lieu. On était sur le tour 8 heures par jour, il fallait vraiment aimer ça, parce qu’ils formaient des gens à être tourneur en série pour travailler dans les fabriques. [...] Après la formation de tournage moi je savais que ça me suffisait pas. Du coup, j’ai travaillé, c’était un échange avec une potière qui me permettait de continuer ma formation chez elle. Elle était en Savoie. Je suis restée un peu moins d’un an chez elle et après j’ai trouvé un stage SEMA (Société d’Encouragement aux Métiers d’Art). J’ai fait ça à côté de Chambéry. Eux c’était intéressant parce qu’ils avaient une double production. Une production de terre vernissée savoyarde et une production de grès. Après, pour compléter la formation je suis retourné au Centre en Puisaye pour faire juste une formation d’émail de cuisson pen-dant six mois »3. Ce parcours illustre les allers-retours entre formations loca-lisées et revendications de traditions locales « différentes » aboutissant à des créations originales.

Reconversion professionnelle

Le choix d’une activité d’artisan d’art est bien souvent le fruit d’une recon-version professionnelle. Cette dernière peut être partielle lorsque le postulant a déjà exercé dans un secteur d’activité qui fait appel à la créativité. Tel est le cas de cette potière auparavant infographiste dans un atelier d’architecture, et qui met l’accent dans sa nouvelle activité sur le graphisme et les motifs

3 Entretien réalisé dans les Bauges par François Portet.

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de décor qu’elle crée. Ce peut être aussi une évolution graduelle d’une acti-vité de production vers une activité considérée comme plus créative, comme ces ébénistes qui se tournent progressivement vers la restauration et la créa-tion de meubles. La reconversion est plus tranchée pour tous ceux qui ont abandonné un métier pour exercer dans un domaine qui n’était jusque-là qu’une passion. Un ébéniste restaurateur a abandonné une activité de techni-cien dans les collectivités locales ; une secrétaire est devenue vitrailliste. Elle évoque ainsi son parcours : « Le verre c’était un rêve, j’ai fait une reconver-sion professionnelle, j’étais secrétaire de formation, et puis après ça a été un choix j’ai décidé de reprendre ma vie en main, de réaliser ma vie comme je le souhaitais. Je suis retournée à l’école, je suis partie en formation pendant un an en Lorraine, pour avoir un CAP verrier, option vitrail »4. Les exemples de ce type sont nombreux, mais la « reconversion » peut également être plus tardive et arriver en préambule à l’âge de la retraite. Il en est ainsi d’un couple d’origine anglaise qui conjugue les passions autodidactes de peintre et d’ébé-niste. Ils s’installent définitivement en 2006 dans un village du Revermont, à l’occasion de la fin de carrière du mari, un ancien ingénieur de la Royal Navy. Travaillant dorénavant tous les deux à temps plein pour leurs passions, le couple a ouvert une galerie d’exposition dans la ferme acquise en 1991, comme résidence secondaire5.Le moment de l’installation concrétise un projet personnel ou familial, et aujourd’hui comme hier les espaces ruraux sont privilégiés pour plusieurs raisons.

Stratégies d’installation et stratégies résidentielles

Quelles sont les motivations des artisans d’art pour s’installer en milieu rural ?

Des attaches rurales

La première motivation d’installation tient aux attaches rurales. Dans ce cas on retrouve les héritiers évoqués précédemment ou des personnes originaires du milieu rural et qui souhaitent continuer à y vivre, comme une potière ren-contrée dans le Revermont. Originaire du milieu rural elle a suivi une forma-tion à Mâcon, ville proche, et a ensuite cherché à s’installer dans un endroit à réputation potière et où il pouvait y avoir le passage de touristes et de Lyonnais en week-end. À titre d’exemple, on peut citer également cette femme fourreur, un métier d’art rare, qui s’installe dans son milieu rural d’origine et près de son frère qui élève des visons. Elle reste près de ses attaches rurales pour y trouver une partie de sa matière première, mais aussi pour y vivre et élever ses enfants. Toutefois, et l’on voit déjà ici combien stratégie professionnelle et stratégie familiale sont liées, une fois que ses enfants ont grandi, le besoin du retour

4 Entretien réalisé dans les Bauges par François Portet.5 Entretien réalisé dans le Revermont par Claire Delfosse et Pierre-Marie Georges.

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à la ville, de retrouver des collègues et une ambiance créative métropolitaine se fait sentir. Elle a ainsi conservé des liens étroits avec les métropoles : Paris, Lyon, Milan, et ses clients à la recherche d’un savoir-faire rare viennent dans son atelier lui commander des vêtements.La recherche de ces formes d’ancrage caractérise aussi ceux que l’on peut qua-lifier de « partis-revenus ». Ainsi la vitrailliste précédemment évoquée, a rache-té pour s’installer l’école où elle était allée vingt ans plus tôt. Mais les artisans d’art, comme les artistes, ne sont pas insensibles à l’attractivité résidentielle du rural. Et comme pour d’autres nouveaux habitants du rural, leurs motivations sont à la fois familiales et d’ordre professionnel.

Attractivité résidentielle du rural

L’attractivité résidentielle du rural s’explique tout d’abord par la perspective d’un retour à la nature, d’une vie dans un « milieu préservé », par la recherche d’un certain style de vie : « La montagne me fait plaisir, puis j’aime beaucoup la marche en montagne. Un peu le ski, un peu la neige et voilà »6. Il attire aussi pour sa « tranquillité », parce qu’il est une source d’inspiration. Ainsi un céramiste du Roannais explique qu’il s’est installé dans le rural car «  l’envi-ronnement et l’ambiance tranquille sont des sources de créativité »7, ce que corroborent d’autres artisans enquêtés.Autre attrait important : le milieu rural permet d’avoir de vastes locaux pour travailler. De plus, les artisans d’art s’installent dans des espaces ruraux dont le patrimoine les attire, en particulier le patrimoine architectural. Souvent, d’anciens bâtiments d’exploitations agricoles sont restaurés. Dans le massif des Bauges, l’un de nos interlocuteurs insiste sur le choix d’une ferme dont la structure extérieure n’a pas été transformée, et qui selon lui conserve une «  typicité » qui lui est particulière. Les artisans d’art ont ainsi contribué au maintien et à la mise en valeur de l’architecture baujue à un moment où elle n’était pas encore si prisée, ce qui est beaucoup moins vrai aujourd’hui, et ceux qui s’y sont implantés récemment ont dû se contenter de locaux artisanaux et commerciaux vacants. Dès lors, si dans la période précédente les implanta-tions d’ateliers dans les fermes plaçaient les artisans et artistes parfois à l’écart des villages, aujourd’hui, la reprise d’écoles, voire d’anciens commerces, a tendance à les ramener au cœur des bourgs et villages où ils apportent une certaine animation. De fait, la pression immobilière est devenue forte dans certains espaces ruraux, aussi les artisans choisissent-ils également leur espace rural en fonction des prix de l’immobilier. Tel est le cas de cette artiste peintre-céramiste qui a choisi un joli village fortement patrimonialisé du nord de la Drôme, mais dans un secteur rural peu cher, tout en n’étant pas loin de Lyon où son mari travaille.

6 Entretien réalisé dans les Bauges par François Portet.7 Entretien réalisé dans le Roannais par Pierre-Marie Georges.

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L’installation en milieu rural tient, en effet, à la fois du projet professionnel et du projet familial du couple, et parfois c’est ce dernier qui est déterminant dans le choix de l’implantation. Ainsi un tourneur sur bois en reconversion s’est installé dans le Roannais, une campagne pas trop éloignée de Lyon où sa femme travaille. Dans ce cas-là l’installation à la campagne est l’occasion pour le mari de réaliser son rêve et de s’installer comme artisan d’art, tout en étant celui du couple qui reste sur place pour s’occuper des enfants.Jusqu’ici nous avons pris en compte les stratégies des acteurs eux-mêmes, mais l’installation peut être aussi le fruit d’une interaction entre ces acteurs et une offre locale en termes de services, de structures d’accueil, voire de promotion collective des activités.

Profiter des opportunités offertes par certains espaces ruraux

Le choix de l’installation peut aussi se faire grâce aux opportunités offertes par certains territoires ruraux : en termes de ressources (comme une tradition locale, des matières premières par exemple comme le bois, la terre) ou de poli-tiques visant à favoriser l’installation d’artisans d’art ; voire beaucoup plus rare-ment de reprise d’entreprise. Ainsi un faïencier d’art s’est installé à Meillonnas, commune où existait une ancienne faïencerie réputée au XIXe siècle, et a repris les anciens motifs de la faïencerie. Ce village possède également un gisement de terre spécifique qui a donné lieu à une exploitation particulière au moment de la relance de cette activité et qui a suscité la création de plusieurs poteries artisanales. Celles-ci ont disparu, mais d’autres se sont installées dans le vil-lage et dans les environs. La commune bénéficie par ailleurs d’un marché de potiers renommé qui a lieu tous les deux ans, toujours à l’ombre de l’ancienne faïencerie du XIXe siècle.De même, l’image de « territoire de céramique de la Drôme » autour de Saint-Uze attire, avec deux maisons de la céramique, des industriels (Revol) et un artisan-artiste renommé (maison Jars). Au sud de la Drôme, à Cliousclat, un potier-céramiste de Grenoble s’est installé il y a une vingtaine d’années. Récemment, la Communauté de communes s’est appuyée sur sa réputation pour mener un projet d’installation d’artisans. Et aujourd’hui, avec quatre autres ateliers de poterie dans le village, la tradition potière de Cliousclat se renforce. Aussi, des artisans d’art du bois revendiquent la proximité avec la ressource locale forestière, ou certains profitent d’anciennes renommées industrielles de luxe pour valoriser leur art (dans le cas de Romans et du travail du cuir par exemple dans les communes rurales environnantes). La présence d’autres artisans d’art peut aussi favoriser l’installation. En effet, les artisans d’art se sentent souvent seuls en milieu rural et le fait de partager des locaux ou de pouvoir réaliser des actions communes constituent une force ; cela permet aussi d’organiser les ventes.Les collectivités territoriales et les structures de développement local peuvent aussi susciter la venue d’artisans d’art dans le cadre de politiques d’animation

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et de valorisation de leur patrimoine. Dans des « villages de caractère » qui souvent se transforment en villages musées, les élus cherchent à installer des artisans d’art pour les animer. On peut citer le village de Saint-Jean-Saint-Maurice, dans la Loire, avec cet ancien bijoutier de Roanne issu d’une tradition familiale commerçante et qui profite de l’opportunité que lui offrent les collec-tivités locales de s’installer en milieu rural alors qu’il cherche à quitter la ville. Il profite du village de caractère doublé d’un site archéologique pour changer sa pratique, et se lance dans la fabrication de bijoux à la « mode » antique. Son fils est aujourd’hui installé avec lui et fabrique des bijoux modernes. Dans ce même village, deux potiers originaires de Clermont-Ferrand sont arrivés avec l’aide de la municipalité et avec pour objectif de s’intégrer dans un pro-jet touristique. Pour ceux-ci, le prix du loyer a été un facteur déterminant ainsi que la dynamique locale. En effet, ces artisans profitent non seulement de la présence d’autres artisans d’art, de celle d’un restaurant, mais aussi de l’installation récente d’un lieu culturel dans le village, appelé « la cure ». Ici la greffe semble fonctionner alors que dans d’autres villages de caractère proches, l’installation d’artisans d’art n’a pas encore eu l’effet escompté en termes d’ani-mation et de réussite des artisans.Ainsi, les motivations de l’installation en milieu rural sont souvent multiples entre stratégies professionnelles et familiales, et choix personnels. Les poli-tiques d’aides à l’installation ou les dynamiques patrimoniales et culturelles et locales peuvent être déterminantes dans le choix du type d’espace rural, voire dans la décision effective de changer de métier.

Différents rapports au local

Les artisans d’art entretiennent différentes formes de rapport à l’espace : du plus ancré dans le rural à des liens forts entre ville et campagne.

Des liens forts au local

Pour illustrer cette catégorie on peut évoquer l’exemple d’une potière du Revermont venue s’installer en 1995 à proximité de son territoire d’origine. Elle s’installe dans une ancienne ferme située sur une route de passage dans un territoire touristique (au pied du Revermont entre deux villages « patri-moniaux »). Avec sa grande ferme elle dispose d’un espace d’exposition/vente accolé à son atelier/logement, et accueille principalement des citadins de pas-sage dans un cadre campagnard patrimonialisé et idéalisé. Dans son activité elle utilise beaucoup cette image d’un rural identifié comme espace de loisirs, en participant aux différents marchés artisanaux saisonniers du secteur, ce qui lui permet d’être bien référencée à l’Office de Tourisme et de proposer des visites/démonstrations pour les touristes. Ce référencement local se poursuit dans les musées et les maisons de pays de la région, où son travail est exposé. La ville moyenne de proximité lui offre une fois par an l’occasion d’une vitrine dans un marché artisanal spécialisé. De même, le potier de Cliousclat dispose

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d’un lieu de vente : « le côté boutique est très intéressant grâce à la renommée de Cliousclat et du tourisme ». Son activité bénéficie en effet de la proximité géographique avec la nationale et l’autoroute, pour ses clients qui sont de la région : Valence, Montélimar, Lyon. Ainsi, grâce à la boutique et à la réputa-tion du village, les clients viennent à lui dès le printemps. Dès lors, le potier sort peu pour vendre sa production, et il ne fait plus de marchés ou d’exposi-tions, ce qui est rare pour un potier8.

Le local comme opportunité, de nouvelles formes de pluriactivités

Les artisans d’art, qui ont souvent du mal à tirer un revenu suffisant de la vente de leurs productions, exercent parfois d’autres activités locales, comme ces tenants de très petites entreprises qui se créent en milieu rural. Pour eux, un autre moyen de s’insérer dans le local et d’avoir des revenus complémentaires, voire de rompre la solitude, est de proposer des formations et de répondre ainsi aux attentes culturelles et de loisirs des ruraux. Aussi proposent-ils des formations pour adultes, parfois même pour des adultes non originaires du lieu, sous forme de stages avec une activité complémentaire d’accueil, mais aussi pour des enfants et notamment dans le cadre des activités hors temps scolaire.

L’économie de l’activité se situe le plus souvent dans des marchés urbains

proches et éloignés…

Il reste que la plupart des artisans d’art vendent « ailleurs », et le plus sou-vent en ville. Ainsi cet artisan qui se qualifie de céramiste, qui s’est installé en 1978 dans le Royans, dans le nord du département de la Drôme, selon la logique classique des néo-ruraux. Son atelier/logement se situe dans un pavil-lon contemporain et est isolé au-dessus d’un hameau. Il n’y accueille que peu de clients, si ce n’est quelques locaux qui apprécient son travail et viennent parfois avec des amis. Mais cela reste anecdotique. Car son marché principal s’articule autour d’un calendrier assez dense de marchés spécialisés, à l’échelle régionale et parfois nationale. Il cherche des espaces d’exposition renommés et éloignés, et se distingue ainsi des autres artisans d’art des communes voisines, qui occupent à tour de rôle le local d’exposition communal à côté de l’Office de Tourisme. À Lyon par exemple, le marché dit « des tupiniers », situé dans le quartier Saint-Jean (quartier historique au centre de la ville) est devenu au fil des années une manifestation de référence qui rassemble principalement des artisans céramistes du quart Sud-Est de la France. D’autres marchés font également référence comme celui de Dieulefit dans la Drôme. Car de façon générale, la commercialisation s’opère beaucoup plus à l’extérieur et dans les villes que dans les ateliers. Ainsi dans le massif des Bauges, qui est pourtant un PNR, pour de nombreux artisans rencontrés, leur implantation en milieu rural

8 Source : mémoire de master de Noémie Fargère, Master Études rurales, Lyon 2, 2015.

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août 2015 / n° 226 / POUR

est justifiée par rapport à leur activité de production : les potiers travaillent au calme pendant la mauvaise saison, puis, à la belle saison vont vendre leur production à l’extérieur et notamment dans les marchés spécialisés proposés dans les villes, avec une amplitude de déplacement assez variable.Quelques artisans d’art ont même des réseaux internationaux. Tel est le cas des retraités anglais évoqués précédemment. Certes, ils sont désireux de rendre leur travail accessible aux habitants du village, et ils vendent pour cela des reproductions sérigraphiées à moindre coût. Mais leurs clients principaux viennent de loin, et notamment de Londres, où leur travail a été exposé dans une galerie d’art. Ces artisans d’art développent une stratégie où le rural est un lieu de production, de promotion et d’inspiration (la nature et les motifs naturels sont un support de leur créativité), mais c’est bien l’urbain qui consti-tue leur marché principal comme lieu d’exposition ou comme origine de leur clientèle mobile, avec la mise en avant d’un rural connecté par le TGV. Jouant avec les métropoles européennes et les grandes agglomérations à proximité (Lyon, Annecy, Genève), ces artisans d’art n’ont que peu de liens avec les villes petites et moyennes, pourtant plus proches.

Conclusion

À travers ces parcours nous avons vu que des allers et retours complexes se jouent entre des expériences vécues à l’extérieur du territoire, et la volonté à certains moments de s’ancrer dans l’espace local rural. La gestion de la dis-tance révèle ainsi des choix spatialisés de trois ordres : avec des lieux de vie, des lieux de commercialisation et lieux de créativité et de travail.

Bibliographie

Josette Debroux, « Migrations d’actifs vers l’espace “rural isolé” ; Éléments d’analyse sur les liens à l’espace d’arrivée », Norois, n° 3, 2006.

Pierre Dehaye, Les difficultés des métiers d’art, Rapport au président de la République, La Documentation française, Paris, 2006.

Claire Delfosse, « Culture et inégalités spatiales en milieu rural », in Chauveau, J., et Willemez (dir.), Justice et sociétés rurales, Rennes, PUR, p. 103-117, 2011.

Pierre-Marie Georges et Claire Delfosse, « Artistes et espace rural : l’émergence d’une dynamique créative », Territoire en mouvement, 19-20, p. 60-73, 2013. En ligne : http://tem.revues.org/2147

Anne Jourdain, Du cœur à l’ouvrage. Les artisans d’art en France, Paris, Belin, 350 p., 2014.

Jean-Michel Kosianski, « Territoire, culture et politiques de développement économique local : une approche par les métiers d’art », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, p. 81-111, 2011.

Séverine Saleilles, « L’imbrication projet de vie/projet entrepreneurial chez les entrepreneurs néo-ruraux », Management et Sciences Sociales, p. 57-68, 2006.

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