Τμ. 37 (2016)
Δελτον XAE 37 (2016), Περοδος Δ'
Τελετουργα και αγνες στο αμφιθατρο; Mε αφορμ να ανγλυφο απο το
αρχαιολογικ μουσεο της Σφιας.
Catherine VANDERHEYDE
doi: 10.12681/dchae.10705
Βιβλιογραφικ αναφορ: VANDERHEYDE, C. (2016). Τελετουργα και αγνες
στο αμφιθατρο; Mε αφορμ να ανγλυφο απο το αρχαιολογικ μουσεο της
Σφιας. Δελτον της Χριστιανικς Αρχαιολογικς Εταιρεας, 37, 199–214.
https://doi.org/10.12681/dchae.10705
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13:48:54
On a carved slab preserved in the Archaeological Museum in Sofia,
several scenes of fights between men and wild animals or
venationes, a well known show which took place in Roman amphithe a
tres, are depicted. Other scenes carved on this relief are more
difficult to understand. Do they reflect a ritual? If so, what kind
of ritual and in honor of which deity? The iconography of this
relief and the ar cha eohistorical evidences are analyzed in
order to reconstruct the events depicted on this slab which
probably took place in the amphitheatre of Ser dica during the 4th
century and seem to explicate the imagery of this slab.
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Μια ανγλυφη πλκα που φυλσσεται στο Αρχαιο λογικ Μουσεο της Σφιας
παρουσιζει σκηνς πλης ανμεσα σε ανθρπους και ζα, venationes, δηλ.
ανα παραστσεις κυνηγιο, που λμβαναν χρα στα ρωμα κ αμφιθατρα.
λλες σκηνς που παρουσιζονται στο ανγλυφο εναι μλλον δσκολο να
αναγνωρισθον. Οι σκηνς αυτς αναφρονται σε κποιο τελετουργι κ; Αν
ναι, ποιου τπου και σε ποια θετητα αναφρο νται; Οι εικονογραφικς
ενδεξεις και οι πληροφορες που αντλονται απ τα αρχαιολογικ και
ιστορικ συμ φραζμενα με αυτν πλκα αναλονται με στχο την τατιση των
επεισοδων που παρουσιζονται, και τα οποα, το πιθαντερο, σχετζονται
με τα τελομε να στο αμφιθατρο της Σερδικς κατ τον 4ο αινα.
Catherine Vanderheyde
RITUELS ET JEUX DU CIRQUE ? À PROPOS D’UN BAS-RELIEF
DU MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE DE SOFIA
Λξεις κλειδι στερη αρχαιτητα, πρωτοβυζαντιν περοδος, 4ος αι νας,
γλυπτικ, τελετουργες venationes, σκηνς κυ νηγου, θε Κυβλη,
Βουλγαρα, Σερδικ, Σφια.
Keywords Late Antiquity, protobyzantine period, 4th century, scul
pture, rituel, venationes, hunting scenes, deity Cybele, Bulgaria,
Ser- dica, Sofia.
objet de cette étude est une plaque en marbre sculp- tée en
bas-relief, conservée au Musée archéologique de Sofia en Bulgarie
sous le numéro d’inventaire 5926 (Fig. 1)1. Elle a été exhumée en
1919 dans le centre de la ville
* Université de Strasbourg et Université libre de Bru xelles,
[email protected] 1 Nous tenons à adresser nos plus
vifs remerciements à Lyudmil Vagalinski, Directeur du Musée
archéologique de Sofia (NIAM) pour nous avoir donné l’autorisation
de publier ce bas-relief dans la présente étude. Notre
reconnaissance s’adresse aussi à Petya Andreeva de l’Institut
National d’Archéologie rattaché au Musée archéologique et à
l’Académie bulgare des Sciences (NIAM-BAS) de Sofia, pour nous
avoir transmis les photographies numérisées de cette plaque. Nous
remercions également Marianne Grevès,
de Sofia, non loin de l’église Sainte-Nedelya, à l’endroit où ont
été retrouvés les vestiges d’un imposant bâtiment d’époque romaine
qui fut détruit au ve siècle.
À l’époque romaine, la ville de Sofia, appelée alors Serdica,
présentait un centre urbain organisé de manière similaire à celui
des cités grecques antiques (Fig. 2). Le decumanus reliait les
portes orientale et occidentale et fut implanté au moment de
l’édification des remparts, en 170 ap. J.-C. Des changements dans
le tracé des rues
Jean-Marie Husser, Victoria Kepetzi, Albena Milanova, Dominic
Moreau, Vesselina Vachkova et Françoise Van haeperen, pour leur
aide et leurs précieux conseils qui ont contribué à enrichir cette
recherche.
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L’
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Cette plaque constitue un témoignage rare relatif à l’organisation
de spectacles grandioses durant l’An- tiquité tardive et a déjà
attiré l’attention de plusieurs savants6. Bien qu’il ne soit pas
entièrement conservé et qu’il ait été sérieusement restauré, ce
bas-relief pré- sente une dizaine de scènes qui se rapportent aux
vena tiones, à savoir les luttes opposant gladiateurs et bêtes
sauvages, ainsi que des combats d’animaux. Plusieurs autres scènes
comportant des personnages sculptés sur l’extrémité gauche et au
centre de cette plaque sont plus difficiles à interpréter et feront
l’objet d’une attention particulière. Le message véhiculé par
l’ensemble était certainement éclairé par l’inscription en lettres
ma- juscules grecques gravée à la partie supérieure de cette
plaque, dont seules trois lettres fragmentaires subsistent (Fig.
1). D’autres inscriptions fragmentaires illustrées par des images
de combats de gladiateurs, sont connues dans divers endroits de
Bulgarie pour la fin de la période romaine et ont généralement été
identifiées à des invi- tations à participer des venationes se
déroulant dans les amphithéâtres. C’est notamment le cas à
Sandanski, l’ancienne Parthicopolis, où le revers de la plaque en
marbre sur laquelle avait été gravée probablement au iiie siècle
cette inscription, a été réutilisé au début de l’époque chrétienne
par Anthimos pour y apposer la dé- dicace de la basilique no 4 ou
basilique épiscopale exhu- mée dans cette localité7. Si
l’inscription du bas-relief de
6 A. Piganiol «Sur les jeux de Rome», Revue des Études an cien nes
25 (1923), 387. W. Donnea, «Caricature ou rite ?», Re vue des
Études anciennes 26 (1924), 162-164. J. Thé o doridès, «Les ani-
maux des jeux de l’hippodrome et des mé na ge ries impériales à Con
stantinople», Byzantinoslavica 19 (1958), 77, fig. 1. Ph. Bru-
neau, «Ganymède et l’aigle : images, ca ricatures et parodies ani-
males du rapt», BCH 86 (1962), 222, fig. 19. D. Ovcharov, M. Va
klinova, Early Byzantine Monuments in Bulgaria 4th7th C., So fia
1978, 33, 72, fig. 77. M. Tacheva-Hi tova, Eastern Cults in Moe sia
Inferior and Thracia (5th Cen tury BC – 4th Century AD), Leyde
1983, 119-121, no 103, pl. XXXIX, XL. M. J. Vermaseren, Corpus
cultus Cybe lae Attisisque (CCCA) VI. Germania, Raetia, Noricum,
Dalma tia, Macedonia, Thracia, Moesia, Dacia, Re gnum Bospori, Col
chis, Scythie et Sarmatia, Leiden 1989, 100-101, no 341. L. F.
Vagalinski, Blood and Entertainments. Sports and Gla diatorial
Games in Hellenistic and Roman Thrace, Sofia 2009, 140, no 122. V.
Vachkova, Serdica is my Rome. The urban Ima ge and the Role of
Serdica (Mid 3nd Century – Mid 6th Century AD), Sofia 2012, 33-39.
7 Je remercie Vladimir Petkov, Directeur du Musée archéologique de
Sandanski, pour avoir eu la gentillesse de me montrer cette plaque
et pour m’avoir signalé l’étude suivante relative aux
inscriptions
eurent lieu à la fin du iiie ou au début du ive siècle dans le
secteur Sud-Ouest de la ville, lors de la construction d’un
important complexe à vocation militaire, peut-être une caserne, ou
à fonction économique, tel par exemple un entrepôt. Les bâtiments
faisant partie de ce complexe sont séparés entre eux par des
ruelles2. Un bouleuterion, datant probablement de la fin du iie
siècle, est situé à l’Est de la zone de l’agora. Celle-ci, large de
26 mètres, semble avoir fonctionné jusqu’au milieu du ve siècle. Sa
longueur a manifestement varié au cours du temps : des change-
ments dans l’aménagement de ses extrémités ont été ef- fectués au
iiie siècle, mais les sondages archéologiques menés à ces endroits,
trop restreints, ne permettent pas de préciser la véritable nature
des ces modifications. À l’Est du forum, les vestiges du «complexe
Saint-Georges» appartenaient probablement à un édifice de prestige
construit durant le règne de Constantin, comparable à la Domus
Aurea de Néron ou au Chrysotriklinos du Grand Palais de
Constantinople3. Au Sud du forum, un vaste édifice public fut
partiellement fouillé durant la première moitié du xxe siècle. Ses
dimensions s’avèrent imposantes : 115 mètres de long d’Est en
Ouest, sur 45 mètres de large. Il se prolongeait au-delà de la
limite Ouest de l’agora. Ses murs, d’une épaisseur de 2,50 mètres,
sont formés de moellons de pierre alternant avec des rangées de
briques. Le plan formé par ses vestiges a d’abord été identifié à
celui d’un complexe de bains publics mais les aménagements et le
matériel archéo- logique n’ont pas permis de confirmer cette
hypothèse. Étant donné la localisation et l’ampleur de cet édifice,
il semble plus probable qu’il s’agisse d’un prétoire ou de la
résidence du gouverneur4. C’est à l’intérieur de ce bâti- ment que
fut exhumée la plaque qui fait l’objet de cette étude (Fig. 1).
Elle fut publiée assez rapidement après sa découverte par Ivan
Velkov5. Celui-ci l’a datée du ve siècle, en a fourni une
description et en a donné les di- mensions (H. 47 cm ; L. 59 cm ;
ép. 2,5 cm) en précisant qu’elle était brisée en 23 fragments lors
de sa découverte.
2 V. Dinchev, «To the urban planning of Serdica», Archeolojia 52/1
(2011), 77, fig. 1. 3 R. F. Hoddinott, Bulgaria in Antiquity. An
Archaeological Intro duction, Londres, 1975, 175. 4 Hoddinott,
Bulgaria in Antiquity (cité n. 3), 172-173. 5 Iv. Velkov, «Relief
de Sofia avec jeux du cirque», Bulletin de l’Institut d’archéologie
de l’Académie bulgare des Sciences I (1921- 1922), 21-30, pl.
IV.
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Sofia est trop lacunaire pour fournir des informations, le décor
permet une lecture éclairant les trois groupes de scènes
représentées et leur lien éventuel. Les combats entre gladiateurs
et animaux sauvages, représentés sur quatre registres superposés et
occupant ainsi la plus grande surface de la plaque, seront d’abord
décrits. En- suite, seront examinées les scènes situées sur
l’extrémité gauche et dans la partie inférieure centrale de la
plaque.
qui y sont gravées : V. Gerassimova, «Two Incriptions from Basilica
no 4 in Sandanski (Preliminary Report)», Noumismatika, Sfragisi
tika, Epigrafika 6 (2010), 191-206, pl. XXXII-XXXVI. Voir aussi à
ce sujet Sv. Petrova, «On Early Christianity and on Early Chris-
tian Basilicas of Parthicopolis», Studi sull’Oriente Cristiano 16/1
(2012), 93-139, part. 111-113.
La plupart des scènes se rapporte à la lutte entre un gladiateur et
un animal sauvage (Fig. 1). Chacune de ces actions bien
circonscrites est suggérée par l’attitude des personnages et le
mouvement des animaux. L’im- pression de désordre et de surcharge
qui se dégage de l’ensemble n’est pas sans évoquer les compositions
or- nant les bas-reliefs sassanides8. Au centre de la plaque est
sculpté un personnage masculin coiffé d’un bonnet
8 Signalons par exemple à ce propos les bas-reliefs imposants
(3,85×5,74 m) de Taq-i Bustan attribués au règne de Chosroès II,
cf. Hofkunst van de Sassanieden. Het Perzische rijk tussen Rome en
China (224642), Catalogue de l’exposition tenue du 12 fé vrier au
15 avril 1993 aux Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bru xelles,
Bruxelles 1993, fig. 73, 74.
Fig. 1. Sofia, Musée archéologique. Plaque en basrelief
représentant diverses scènes dans l’amphithéâtre de Serdica, IVe
(?) siècle (© NIAMBAS).
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pect immobile du crocodile figuré la gueule entrouverte sur la
plaque de Sofia contraste avec le mouvement des autres animaux
représentés et suggère qu’il s’agit bien là d’un élément fabriqué
destiné à impressionner les animaux sauvages de l’arène. À gauche
de celui-ci, est sculpté un cavalier portant un masque de chien
(Fig. 3). Au-dessus de ce curieux cavalier, on distingue un cervi-
dé poursuivi par un ours. À droite, un autre ours, dressé sur ses
pattes arrières, essaye de faire basculer une sorte de
porte-tambour à quatre pans monté sur un pivot cen- tral, garni de
barreaux horizontaux et surmonté d’un fronton, qu’un personnage
tente de maintenir. La mobi- lité de tels abris, appelés cochleae
par les Romains, déso- rientait les prédateurs et elle pouvait
servir de refuge au gladiateur11. Dans la partie supérieure de la
plaque, trois scènes montrent chaque fois un homme combattant un
animal sauvage : un premier individu, armé d’un lasso, est écrasé
par un ours ; un deuxième gladiateur s’avance vaillamment vers un
autre ours, prêt à l’affronter, et un troisième personnage, nu, est
renversé par un taureau (Fig. 4)12. On distingue encore deux autres
scènes de combat, très fragmentaires, à la partie supérieure de la
plaque ainsi qu’un groupe de trois lettres «I» ( ?), «Z», «I» ( ?)
qui appartenaient à une inscription gravée en grec à la partie
supérieure de la plaque qui n’est plus conservée. À la partie
inférieure, une même scène de combats entre animaux un ours
dévorant un taureau
spectacles du sang dans l’amphithéâtre, Archéologie Vivante, La-
capelle-Marival 2013, 71-72. 11 Ibid., 104. 12 Cette scène évoque
un type particulier de sacrifice qui émerge en Asie Mineure à
partir du IIe s. av. J.-C. : le tauro bo le. «Il s’agit d’un rite
incluant des épreuves proches des tau ro machies et des
taurocathapsies», ou courses de taureau ri tuelles, au cours des-
quelles l’acrobate sautait au-dessus du taureau. Ces épreuves phy-
siques, faisant appel à l’audace, vont être alors intégrées dans
les jeux du cirque impliquant des gladiateurs, cf. Ph. Borgeaud, La
Mère des Dieux. De Cybèle à la Vierge Marie, Paris 1996, 157 n. 87.
Les taureaux dévorés par les ours présents de part et d’autre de la
petite estrade font peut-être aussi allusion à ce rituel, qui
donnait généralement lieu à des chasses, des banquets et des dis-
tributions d’argent par des mécènes, comme l’indiquent plusieurs
inscriptions dont certaines se réfèrent à des pratiques qui se dé-
roulaient jusqu’au IIe siècle de notre ère dans la partie orientale
de l’empire, cf. Borgeaud, La Mère des Dieux (op. cit.), 157 n. 87.
Mar ga rita Tacheva-Hitova a suggéré que cette représentation
devait être liée aux chasses sacrées qui, avec le temps, furent
inté- grées aux jeux du cirque, cf. Tacheva-Hitova, Eastern Cults
(cité n. 6), 120.
phrygien et vêtu d’une longue tunique laissant aperce- voir ses
chaussures montantes et la partie inférieure de ses mollets. Il
tient un bouclier de la main gauche et brandit une lance de la main
droite. Cet accoutrement particulier a incité Ivan Velkov à
identifier cet homme au «maître du cirque». Derrière ce dernier, on
aperçoit un crocodile attaqué par un ours. Il s’agit probablement
d’un modèle en bois figurant le reptile et non de sa dé- pouille,
comme l’avait suggéré J. Théodoridès9. Bien que les textes nous
informent que ces sauriens faisaient par- fois partie des jeux du
cirque à l’époque romaine10, l’as-
9 Théodoridès, «Les animaux des jeux de l’hippodrome» (cité n. 6),
77. L’hypothèse d’un modèle en bois a été exprimée par Hod- dinott,
Bulgaria in Antiquity (cité n. 3), 175 et Tacheva-Hi tova, Eastern
Cults (cité n. 6), 119. 10 Fr. Gilbert Gladiateurs, chasseurs et
condamnés à mort. Les
Fig. 2. Plan de la ville de Sofia à l’époque romaine.
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Fig. 3. Sofia, Musée archéologique. Cavalier portant un masque de
chien (détail de la Fig. 1) (© NIAMBAS).
Fig. 4. Sofia, Musée archéologique. Personnage situé audessus du
taureau (détail de la Fig. 1) (© NIAMBAS).
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est reproduite symétriquement, de part et d’autre d’une estrade sur
laquelle évoluent quatre personnages énig- matiques13. À la
différence des autres représentations de combats, ces deux scènes
figurant l’attaque d’un taureau par un ours sont les seules
sculptées sur une ligne hori- zontale, et les seules disposées de
manière symétrique. De part la position des animaux, les autres
scènes semblent toutes participer à un mouvement légèrement
ascensionnel, dirigé vers la partie latérale droite de la
composition. Ces procédés iconographiques et formels semblent avoir
été utilisés afin de mettre en évidence la scène centrale
inférieure qui sera décrite plus loin.
De tels combats faisaient partie des spectacles et des jeux se
déroulant dans les amphithéâtres ou dans les hippodromes durant
l’époque romaine et au cours de l’Antiquité tardive. Ces joutes
sanglantes sont illus- trées par plusieurs bas-reliefs, mosaïques
de pavement, cé ra miques et ivoires sculptés14. À Constantinople,
ce type de spectacle avait lieu à la période protobyzantine, comme
l’attestent par exemple les feuillets des di pty- ques en ivoire
réalisés au début du vie siècle à l’occasion de l’entrée en charge
des consuls Areobindus et Anas- tasius15. L’un de ces diptyques,
conservé au Musée na- tional du Moyen Age et des thermes de Cluny à
Paris, pré sente des scènes analogues à celles sculptées sur le
bas-relief de Sofia, comme les combats entre belluaires et ours
féroces ou le taureau terrassé par une bête sau- vage (Fig. 5)16. À
la partie inférieure du feuillet du dip- tyque d’Areobindus
conservé au Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, on observe
aussi des scènes simi- laires17. Ces ivoires illustrent une coutume
bien attestée au vie siècle, selon laquelle les consuls
inauguraient leur
13 Cf. infra. 14 Théodoridès, «Les animaux des jeux de
l’hippodrome» (cité n. 6), 73-84. E. Köhne C. Ewigleben, Caesaren
und Gladiatoren. Die Macht der Unterhaltungim antiken Rom, Mayence
2000, 76- 79, nos 64, 66, 67, 69 et 70. V. Kepetzi, «Scenes of Per
formers in Byzantine Art, Iconography, Social and Cultural Milieu:
The Case of Acrobats», Medieval and Early Modern Performance in the
Ea stern Mediterranean, éds A. Öztürkmen E. Birge Vitz, Turn- hout
2014, 346-347, fig. 22.1. 15 Théodoridès, «Les animaux des jeux de
l’hippodrome» (cité n. 6), 78, fig. 2-5. 16 Byzance. L’art byzantin
dans les collections publiques fran çaises, Musée du Louvre, Paris
1992, 49-50 no 12. 17 A. Bank, L’art byzantin dans les musées de
l’Union Soviéti que, Léningrad 1977, 276 no 13, 14.
Fig. 5. Paris, Musée de Cluny Musée national du Moyen Age. Feuillet
de diptyque du consul Areobindus, début du VIe siècle (© Réunion
des musées nationaux Grand Palais).
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nouvelle fonction en organisant de tels spectacles afin de divertir
les habitants de Constantinople18.
Il est intéressant de constater qu’un décor semblable pouvait
également orner d’autres éléments en pierre sculptés en bas-relief
: sur une plaque en marbre (H. 65 cm ; L. 157 cm ; ép. 15 cm),
conservée à Saint-Pétersbourg et datée des environs de 500, on
rencontre en effet aussi cette représentation de combats entre
gladiateurs et bêtes sauvages (Fig. 6). Malheureusement, aucune
information relative au contexte de découverte de ce bas-relief
n’est disponible: on sait seulement qu’il faisait partie de la sé-
rie de marbres ramenée par l’amiral Spiridov des îles de la mer
Égée en 177419. Diverses sources littéraires et ar- tistiques
confirment que de tels spectacles avaient encore lieu à
l’hippodrome de Constantinople durant la période mésobyzantine :
des passages du Livre des Cérémonies écrit par l’empereur
Constantin VII Porphyrogénète20, plusieurs fresques datées du xie
ou du xiie siècle ornant les cages d’escaliers de l’église
Sainte-Sophie à Kiev (Fig. 7)21 et un extrait du récit de Benjamin
de Tudèle, rela-
18 Théodoridès, «Les animaux des jeux de l’hippodrome» (cité n. 6),
75, 78. 19 Ibid., 273. 20 Constantin Porphyrogénète, De cerem. I,
83 (A. Vogt, Con stan tin Porphyrogénète : le Livre des
Cérémonies, Paris 1935, 182-184). 21 André Grabar a daté ces
fresques du début du XIe siècle (A. Gra- bar, «Les fresques des
escaliers à Sainte-Sophie de Kiev et l’ico-
tant son séjour à Constantinople à la fin du xiie siècle22. Lors de
la découverte de ce bas-relief en 1919, l’exa-
men de son décor avait déjà laissé supposer l’existence d’un
amphithéâtre à Sofia durant l’époque romaine. Mais ce n’est que
bien plus tard, en 2004, lors de la construc- tion d’un hôtel, que
les vestiges d’un tel édifice furent mis au jour23. Une partie de
ces derniers ont été conservés et incorporés assez harmonieusement
dans le rez-de-chaus- sée de cet hôtel auquel on a d’ailleurs donné
le nom de «Arena di Serdica». Les fouilles de sauvetage menées à
cet endroit entre 2004 et 2010, qui n’ont cependant porté que sur
une partie très partielle de l’édifice (environ 1/5 de sa surface),
ont permis de comprendre que cet am- phithéâtre du iiie-ive siècle
avait été construit au-dessus d’un théâtre romain antérieur,
aménagé au iie siècle, puis
nographie impériale byzantine», Seminarium Kondakovia num. Recueil
d’études. Archéologie. Histoire de l’art. Études by zantines VII,
Prague 1935, 103-117), tandis que Eunice Dauterman-Ma- guire et
Henry Maguire les datent du début du XIIe siècle (E. Dau-
terman-Maguire H. Maguire, Other Icons: Art and Power in By
zantine Secular Culture, Princeton 2007, 30, n. 8, p. 113). Ke
petzi, «Scenes of Performers» (cité n. 14), 350 n. 20. 22
Théodoridès, «Les animaux des jeux de l’hippodrome» (cité n. 6),
76. 23 Vue des vestiges de l’amphithéâtre de Serdica reproduite en
li- gne à l’adresse suivante : http://en.wikipedia.org/wiki/Am phi
thea- tre_of_Serdica, consulté le 14.02.2016.
Fig. 6. SaintPétersbourg, Musée de l’Ermitage, plaque en
basrelief. Combats entre gladiateurs et bêtes sauvages, ca.
500.
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ravagé par les Goths durant le iiie siècle24. Les trouvailles
monétaires et le matériel céramique exhumé ont amené à distinguer
deux phases de construction successives au cours de l’Antiquité
tardive, sous les règnes de Dioclé- tien (284-305) et de Constantin
(306-337)25. Les dimen- sions de cette construction atteignaient 61
m. de long sur 43 m. de large, ce qui laisse penser que 20 à 25.000
specta- teurs pouvaient y prendre place. Des traces de réaména-
gements en zones à vocations résidentielle et artisanale suggèrent
que l’amphithéâtre fut déjà abandonné à la fin du ive siècle. Les
fouilles ont mis au jour de nombreux ossements d’animaux, notamment
d’un taureau, ainsi que de multiples dents d’ours26. Ces
trouvailles font écho aux représentations sculptées sur la plaque
de Sofia où l’on observe deux taureaux et où les ours sont
nettement majoritaires par rapport aux autres animaux (Fig. 1). Ces
découvertes archéologiques d’ossements d’animaux suggèrent que le
bas-relief de Sofia illustre des faits réels qui se sont produits
dans l’amphithéâtre de Serdica.
Sur la plaque du Musée de Sofia, deux autres groupes de scènes
figurées en très bas-relief présentent une échelle plus réduite que
les autres et un sujet bien différent de celui des venationes.
Elles seront décrites afin de tenter de comprendre leur lien avec
ces dernières. Dans la par- tie inférieure centrale de la plaque,
apparaît une curieuse scène : sur une estrade, décorée d’une frise
schématique évoquant un motif de guirlandes, se trouvent quatre
personnages portant des masques de chien ou de singe, qui les
apparentent en quelque sorte à des cynocéphales (Fig. 8). Les deux
personnages de gauche présentent une attitude plutôt belliqueuse :
l’un est armé d’un trident et l’autre d’une dague. À droite de
ceux-ci, un autre person- nage masqué tient un marteau et une
enclume en fixant l’animal, qui pourrait être identifié à un lion,
installé sur un trône poussé ou maintenu par un quatrième être
masqué. Cette scène est incontestablement mise en va- leur par la
représentation dédoublée et symétrique d’un combat animalier celui
d’un ours en train de terras- ser un taureau, disposée de part et
d’autre de l’estrade.
Sur la partie latérale gauche de la plaque sont sculp-
24 Z. Velichkov, «The Antique Theatre and the Amphitheatre of
Serdica», Serdica Edict (311 AD) : Concepts and Realizations of the
Idea of Religious Toleration, éds V. Vatchkova D. Dimitrov, Sofia
2014, 249-251. 25 Ibid., 251-260. 26 Ibid., 260.
tées trois scènes superposées, isolées du reste de la com- position
et mises en exergue par un piédestal (Fig. 9). De part et d’autre
d’une colonne, deux hommes frappent des cymbales. Dans une
construction à deux étages au toit voûté, qui apparaît comme
supporté par la colonne, on aperçoit à la partie supérieure une
femme au buste dénudé tenant un miroir et, à la partie inférieure,
une femme trônant entre deux lions, tenant un sceptre de la main
gauche et un objet circulaire de la main droite.
Le personnage féminin dénudé tenant un miroir a été identifié à
Aphrodite. Celui trônant entre deux lions (Fig. 10) a d’abord été
associé à Hadès-Sarapis par Ivan Velkov et ensuite à la Déesse Mère
par Margarita Tache- va-Hitova. Cette identification a été suivie
par Maarten J. Vermaseren, qui recense cette plaque dans son corpus
des statuettes et bas-reliefs illustrant le culte de Cybèle27.
Selon lui, les deux personnages situés dans la partie laté- rale
gauche du relief seraient Vénus et Cybèle. Force est de constater
que la position et les attributs (sceptre et patère ou kalathos) du
personnage trônant de la plaque de Sofia sont très semblables à
ceux qui caractérisent la représentation traditionnelle de cette
déesse. En té- moignent par exemple une statuette en marbre, datée
du ive siècle, conservée à Athènes28, ou une autre, en calcaire,
retrouvée à Sofia et remontant aux iie-iiie siècle (Fig. 11)29. Sur
ces deux objets, la déesse apparaît entourée de deux lions assis.
Cybèle est en effet souvent représentée avec des lions car, dans
les croyances de cette époque, elle pas- sait pour avoir maîtrisé
ce fauve qui était assimilé au dé- mon des régions infertiles,
dévorées par le feu du soleil30.
L’identification avec Cybèle du personnage trônant dans la partie
latérale de notre relief paraît donc perti- nente, d’autant plus
que la figuration des deux person- nages dansant avec des cymbales
est typique du culte rendu à la déesse et semblerait dès lors
représenter des
27 Vermaseren, Corpus cultus Cybelae Attisisque (cité n. 6), 100-
101 no 341. 28 St. E. Katakis, «Αγλματα Δμητρας και Κυβλης των στε-
ρων ρωμακν χρνων απ την Αθνα», Κλασικ παρδοση και νεωτερικ στοιχεα
στην πλαστικ της ρωμακς Ελλδας, éds Th. Stefanidou-Tiveriou P.
Karanastasi D. Damaskos, Thessalonique 2012, 106-112, fig. 5-9. 29
Vermaseren, Corpus cultus Cybelae Attisisque (cité n. 6), 100 no
340. 30 H. Graillot, Le culte de Cybèle Mère des Dieux à Rome et
dans l’Empire romain (Bibliothèque de l’École française de Rome
107), Paris 1912, 201.
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Fig. 7. Kiev, église de SainteSophie. Combats entre gladiateurs,
fresque ornant les cages d’escaliers, XIe ou XIIe siècle.
Fig. 8. Sofia, Musée archéologique. Estrade sur laquelle se
trouvent quatre personnages portant des masques (détail de la Fig.
1).
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«dévots» de celle-ci. Une question vient cependant à l’es- prit :
pourquoi la déesse est-elle représentée à côté de scè nes
empruntées aux jeux du cirque ? Cette associa- tion s’éclaire si
l’on se rappelle que Cybèle était aussi considérée comme la
souveraine des fauves : elle était ainsi invoquée pour protéger de
leur férocité les trou- peaux que la terre nourrit31. On ajoutera
que les repré- sentations de venationes peuvent être liées au culte
de cette déesse, dans la mesure où les cérémonies en son honneur,
appelées Megalesia, qui avaient lieu en avril, étaient déjà
accompagnées de jeux scéniques à Rome, sous la République.
Plus problématique s’avère l’identification des deux scènes aux
personnages masqués sculptées sur le bas-re- lief de Sofia. Le
cavalier à la tête de chien (Fig. 3) doit manifestement être
interprété dans le contexte des jeux scéniques. Grâce à l’une des
fresques conservées dans les escaliers de Sainte-Sophie à Kiev,
nous savons en effet que de tels personnages masqués participaient
aux spec- tacles organisés dans l’hippodrome de Constantinople
durant l’époque médiévale (Fig. 7). Un bas-relief biface du Musée
archéologique d’Istanbul, daté des xie-xiie siècle, a lui aussi été
mis en relation avec les spectacles qui avaient lieu à cet endroit
car il présente deux éton- nantes représentations de cynocéphales
dont l’une est
31 Ibid.
Fig. 9. Sofia, Musée archéologique. Trois scènes superposées,
partie gau che de la plaque (détail de la Fig. 1) (©NIAM
BAS).
Fig. 10. Sofia, Musée archéologique. Personnage trô nant (dé tail
de la Fig. 1) (©NIAMBAS).
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induite par une inscription fragmentaire gravée en grec à la partie
supérieure32 (Fig. 12).
La scène des quatre personnages masqués évoluant sur une estrade,
dont on a déjà souligné la mise en évi- dence, est plus délicate à
interpréter (Fig. 8). Les deux personnages sculptés à l’extrémité
gauche de la plate- forme sont vêtus et armés comme des rétiaires :
ils portent un simple pagne. L’un tient un trident, tandis que
l’autre menace son adversaire avec un poignard33. À droite de ce
groupe, un personnage masqué tient un marteau avec lequel il semble
forger un élément allongé en métal ressemblant à une dague, sur une
enclume po- sée sur une base. En face de lui, un animal (sanglier
?) est assis sur une sorte de trône. Son corps repose sur ses
pattes arrière et ses deux pattes avant, situées au même niveau
sont levées à hauteur de sa poitrine, dans une attitude évoquant la
soumission. Un second personnage masqué est situé derrière le
trône. Il a les bras tendus vers l’avant mais son geste est masqué
par un élément semi-circulaire qui semble faire partie du trône. Il
est donc impossible de voir s’il pousse le trône ou s’il est en
train d’actionner un mécanisme permettant d’animer une marionnette
en forme d’animal.
Cette scène représentée sur ce podium a déjà donné lieu à plusieurs
interprétations. Le premier éditeur de ce bas-relief, Ivan Velkov,
l’avait décrite comme une parade foraine en identifiant les deux
premiers personnages masqués à des combattants dont l’un tenait le
trident des gladiateurs et l’autre un poignard. Selon lui, le troi-
sième personnage masqué frappait sur une enclume pour faire danser
le petit ours juché sur un coffret34. A. Piganiol a proposé une
interprétation différente en
32 Dimensions de cette dalle : H. 1,04 m; larg. 56 cm; ép. 7,5 cm,
cf. A. Grabar, Sculptures byzantines du moyenâge, II, XIeXIVe
siè cle (Bibliothèque des Cahiers Archéologiques 12), Paris 1976,
39, no 7, pl. III a, b, et N. Firatli, La sculpture byzantine
figurée au Mu sée Archéologique d’Istanbul, catalogue revu et
présenté par C. Metzger A. Pralong J.-P. Sodini (Bibliothèque de
l’Institut fran çais d’études anatoliennes d’Istanbul 30), Paris
1990, 161-162, no 320, pl. 98. 33 On retrouve en effet ces armes
dans plusieurs représentations de gladiateurs, telles par exemple
une stèle funéraire en marbre du IIIe siècle, conservée au Musée de
Londres, ou le fond d’un bol en verre daté du IVe siècle, exposé au
British Museum, cf. E. Köhne C. Ewigleben, Gladiators and Caesars.
The Power of Spectacle in Ancient Rome, Londres 2000, 58 no 56, 28
no 12. 34 Velkov, «Relief de Sofia» (cité n. 5), 21-30, pl. IV.
Piganiol, «Jeux de Rome» (cité n. 6), 387.
identifiant ces personnages masqués à des figures gro- tesques de
Poséidon tenant le trident et de Zeus tenant le foudre. La figure
animale serait selon lui une caricature d’Aphrodite, tandis que le
personnage aux attributs de forgeron évoquerait Héphaistos et le
personnage situé derrière le trône serait Arès. Le caractère
parodique des personnages évoquant les statues divines et leurs
attri- buts placés sur le pulvinar, témoignerait de la déchéance
d’un rite35. Tout en soulignant le caractère hypothétique de
l’interprétation proposé par A. Piganiol, Ph. Bruneau classe le
décor de ce bas-relief dans la catégorie des pa- rodies scéniques
jouées par des acteurs déguisés en ani- maux bien attestées dans le
monde gréco-romain et dont l’origine serait à chercher en Égypte36.
Le caractère pa- rodique de ces scènes a toutefois été mis en doute
par W. Donnea qui a proposé de mettre en relation ces images avec
le culte isiaque dont nous conservons des descrip- tions textuelles
par Apulée qui attestent en effet l’exis- tence de personnages et
d’animaux déguisés lors des pro- cessions en l’honneur d’Isis37.
Selon lui, ces mascarades
35 Piganiol, «Jeux de Rome» (cité n. 6), 387. 36 Bruneau, «Ganymède
et l’aigle» (cité n. 6), 222 fig. 19 et p. 226. 37 Apulée, Les
Métamorphoses, Livre XI, 8 [Apulée, Les Méta
Fig. 11. Sofia, Musée archéologique. Statuette de Cybèle trônant,
IIeIIIe siècle.
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animales ne relevaient pas uniquement du simple diver- tissement
mais seraient à rapprocher d’actes rituels38. Plus récemment, V.
Vachkova a suggéré que la scène du bas-relief de Sofia représentait
des hommes masqués en loups luttant symboliquement contre des bêtes
sauvages et faisant des sacrifices dans le but d’éloigner le Mal39.
Le masque de loup renvoie à des croyances ancestrales qui
attribuaient aux habitants de l’actuelle Bulgarie le pouvoir de se
transformer en chiens ou en loups. Au xe
mor phoses, III, Livres VIIXI, Sixième tirage, éds D. S. Robertson
P. Vallette, Les Belles Lettres, Paris 1985, 145]. 38 Donnea,
«Caricature ou rite ?» (cité n. 6), 162-164. 39 V. Vachkova, «Lupus
in fabulis et in templo. Les métamor phoses étranges de saint
Christophe dans l’Église orthodoxe», (De)for mierte Körper. Die
Wahr nehmung und das Andere im Mittelalter, éds G. Antunes B.
Reich, Göttingen 2012, 179.
siècle, Liutprand, évêque de Crémone, envoyé plusieurs fois comme
ambassadeur à Constantinople, raconte à ce sujet une anecdote
intéressante : dans le récit de ces am- bassades à Constantinople,
il soutient que les membres de la famille royale bulgare étaient
des magiciens qui pouvaient se transformer en loup, en chien et en
n’im- porte quelle autre bête40. Cette affirmation remonte pro-
bablement à une croyance plus ancienne dont on trouve la trace
notamment dans l’œuvre d’Hérodote : «En ef- fet, les Scythes et les
Grecs établis en Scythie racontent
40 «Baianum autem adeo ferunt magicam didicisse, ut ex ho mi ne
subito fieri lupum quamvecumque cerneres feram» : Liut prand de
Crémone, Antapodosis 29, 498-500 [Liudprandi Cremonensis. Ope ra
Omnia (Corpus Christianorum 156), éd. P. Chiesa, Turn- hout 1958,
82].
Fig. 12 a, b. Istanbul, Musée archéologique. Dalle biface avec
représentations de cynocéphales, XIeXIIe siècle.
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qu’une fois par an tout Neure devient pendant quelques jours un
loup, après quoi il reprend la même forme ; pour mon compte, ce
qu’ils disent ne me convainc pas ; mais ils n’en sont pas moins
affirmatifs, et même ils joignent à leurs affirmations des
serments»41. Par ail- leurs, certaines sources qualifiaient les
Daces, guerriers thraces devenus gardiens de la frontière
danubienne, de «peuple des gens-loups»42.
Si le lieu de trouvaille du bas-relief étudié suggère qu’il s’agit
d’une production locale et que certains élé- ments de son décor,
tel le nombre important d’ours re- pré sentés, sont à mettre en
rapport avec l’environne- ment bulgare, il nous paraît délicat
d’identifier les per- sonnages masqués à des gens-loups opérant des
sacri- fices afin d’éloigner le Mal43. L’accoutrement de ces per-
sonnages, de même que leurs masques, incitent à penser que l’on a
plutôt affaire à une représentation parodique. Celle-ci, tout comme
les combats entre gladiateurs et bêtes sauvages, faisaient
manifestement partie des ré- jouissances à l’occasion d’une fête
donnée en l’honneur de la déesse Mère.
Cette parodie est-elle à rapprocher d’actes rituels comme l’avait
suggéré W. Deonna, voire d’une cérémo- nie initiatique ? Il n’est
en effet pas impossible que les deux groupes représentés sur le
podium fassent réfé- rences aux mêmes personnages, voire à un même
per- sonnage, exécutant deux types d’épreuves rituelles dif-
férentes : la lutte et le forgeage d’une arme pour sacri- fier un
animal. Le port du masque par ces personnages n’induit pas
forcément un caractère ludique propre au divertissement : des
personnages masqués sont aussi présents sur d’autres objets
témoignant de la pratique de cultes à mystères. Signalons à ce
propos une repré- sentation sculptée sur un relief de
Bosnie-Herzégovine (Konjica), conservé au Musée de Sarajevo,
faisant réfé- rence aux cultes à mystères en l’honneur de Mithra
(Fig.
41 Hérodote, Histoires, IV, 105 [Hérodote. Histoires, Livre IV,
Mel pomène, éd. Ph.-E. Legrand, Paris 1945, 112]. 42 M. Eliade, De
Zalmoxis à GengisKhan. Études comparatives sur les religions et le
folklore de la Dacie et de l’Europe orientale, Bibliothèque
historique, Paris 1970, 22-24. 43 Le lien de Cybèle avec les
chiens-loups est par ailleurs malaisé à prouver : seul un objet
archéologique – un relief en terre cuite provenant d’Érétrie, sur
l’île d’Eubée – montre Cybèle sur un char traîné par ce type de
canidés, cf. Cf. A. De Ridder, «Base de sta- tuettes portées par
des animaux», BCH 22 (1898), 214 et 416, fig. 2. Graillot, Le culte
de Cybèle (cité n. 30), 512.
13)44. Celle-ci montre un repas sacré au cours duquel des
personnages participent à une cérémonie d’initiation (mystes) en
l’honneur de Mithra. Deux de ces person- nages, allongés sur une
couche, ont devant eux des pains liturgiques ; à gauche de la
table, se trouve un lion, et à droite une tête de bélier. De part
et d’autre de la table, des initiés portent un masque correspondant
au grade qu’ils avaient atteint dans ce processus d’initiation : à
gauche, on remarque ainsi un individu affublé d’un masque de
corbeau et un autre figurant un Perse apportant une corne à boire ;
à droite un myste portant un masque de lion et un autre personnage,
peut-être un soldat.
Un autre objet archéologique, une fine plaque en allia- ge
cuivreux, retrouvée en 2006, lors des fouilles d’une vil- la
gallo-romaine située à Merbes-le-Château en Belgique (Fig. 14)45,
présente des éléments iconographiques qui peuvent aussi être
comparés aux représentations sculp- tées sur la plaque du Musée de
Sofia. Son décor est orga- nisé en deux registres superposés : à la
partie supérieure, on reconnaît une déesse peut-être la statue de
la Grande Dé esse ou de la Déesse Luna tenant une étoffe46. De part
et d’autre de la divinité, deux cavaliers piétinent des en- nemis
allongés sur le sol. La partie inférieure semble re- présenter une
scène rituelle : au centre, un personnage vêtu d’une tunique porte
un masque de bélier et tient un petit objet qui ressemble à un
couteau. On reconnaît à proximité une table tripode avec trois
pains, deux per- drix, un poisson et un service à ablutions,
composé d’une patère et d’une oenochoé. En bas, à droite, un lion
assis et un serpent sont disposés de part et d’autre d’un vase. La
plaque de Merbes-le-Château est probablement à mettre en relation
avec le culte à mystères dit des «Cavaliers da- nubiens». Ce culte
est encore largement méconnu mais on sait néanmoins qu’il fut très
répandu en Pannonie, Mésie, Dalmatie et Dacie à partir du iie
siècle de notre ère avant de disparaître dans le courant du ive
siècle. Le décor de cet objet, qui appartient probablement au iie
ou du début du iiie siècle, incite donc à penser que la scène aux
per-
44 Fr. Cumont, Les religions orientales dans le paganisme romain,
Paris 1929, pl. XIII-2. M. Clauss, Mithras. Kult und My ste rium,
Darmstadt 2012, 105. 45 Dimensions de cet objet : 12,5×12,5 cm ép.
0,2/0,4 mm, cf. Ν. Paridaens, «Une plaquette aux ‘cavaliers
danubiens’ décou vertes à Merbes-Le-Château (prov. Hainaut,
Belgique)», Ar chä ologisches Korrespondenzblatt 40/3 (2010),
411-423. 46 Ibid., p. 419 où l’on trouvera la bibliographie
essentielle à ce sujet.
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Fig. 13. BosnieHerzégovine, Konjica, Musée de Sarajevo. Basrelief
représentant un repas sacré en l’honneur de Mithra, IIIe ou début
du IVe siècle.
Fig. 14. Belgique, MerbesleChâteau. Plaquette aux ‘Cavaliers
Danubiens’ (dessin), IIe ou début du IIIe siècle (© Université
libre de Bruxelles, CReA/Patrimoine Service public de
Wallonie/DGO4).
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sonnages masqués du bas-relief de Sofia n’est pas sans évoquer des
cérémonies rituelles locales en l’honneur de la Mère des dieux dont
le sens toutefois continue à nous échapper faute d’informations à
leur propos.
Conclusion
Malgré les maigres informations disponibles sur son contexte
archéologique, on peut postuler que cette plaque renvoie à des
événements qui se sont déroulés dans l’amphithéâtre de Sofia durant
l’Antiquité tardive, probablement au ive siècle, lorsque Serdica
fut élevée au rang de capitale de la nouvelle province de Dacie
médi- terranéenne et connut un essor important. C’est aussi au
début de ce siècle, et plus précisément entre les an- nées 317 et
319, que l’empereur Constantin y séjourna. Les venationes étaient
alors des spectacles prisés par un large public qui se
maintiendront encore dans l’Empire romain d’Orient où ils sont
attestés dans les sources tex- tuelles jusqu’au ve siècle47. La
découverte de l’amphithéâ- tre de Sofia en 2004 et les fouilles qui
y ont été menées par la suite, viennent confirmer le déroulement de
telles manifestations durant l’Antiquité tardive après la re-
connaissance officielle du christianisme.
Si nos hypothèses sont valables, ce bas-relief consti- tue aussi la
preuve visuelle que des combats entre gla- diateurs et animaux
sauvages étaient associés à des cé- rémonies sacrées organisées en
l’honneur du culte de la Mère des dieux. Son culte était
manifestement toujours important au début de l’époque chrétienne,
comme en témoigne Zosime, historien grec du tournant des ve-vie
siècles, qui signale dans son Histoire nouvelle que l’em- pereur
Constantin avait fait construire un temple dé- dié à Rhéa-Cybèle à
Constantinople48. Peut-être s’agit-il simplement de la restauration
d’un temple antique mais cet événement témoigne de la réactivation
d’anciens
47 Av. Laniado, «La liturgie dans l’arène : CJ I, 3, 26 à la
lumière d’une scholie juridique grecque», Mélanges Gilbert Dagron
(TM 14) Paris 2002, 368 n. 30. 48 Zosime, II, 31, 2 [Zosime.
Histoire nouvelle I, éd. F. Paschoud, nouv. éd., Paris 2000,
103].
centres religieux à Byzance. On avait fait venir de Cy- zique la
statue en bois de Rhéa-Cybèle qui fut placée dans un temple et qui
devint un temps la divinité pro- tectrice de la ville de
Constantin49.
La scène aux personnages masqués évoluant sur un podium demeure
difficile à interpréter. S’agit-il d’une représentation d’une pièce
théâtrale parodique ou doit- on plutôt y voir le déroulement d’un
rituel local ayant lieu dans le cadre de la fête de la Mère des
dieux à Ser- dica ? Nous penchons pour la seconde hypothèse tout en
reconnaissant que notre enquête n’a pas permis de per cer
totalement le mystère que revêt cette image hors du commun. Les
vestiges iconographiques relatifs aux pra tiques rituelles, de même
que les sources portant sur leur déroulement, sont malheureusement
trop ténus pour parvenir à démontrer cette hypothèse. Néanmoins, la
place centrale occupée par cette scène et l’échelle uti lisée pour
représenter ces personnages comparable à celle caractérisant la
représentation de la Mère des dieux et des scènes y afférant sur le
côté gauche de la pla que, de même que l’homogénéité des masques et
des vê tements portés par les personnages évoluant sur le po- dium,
ne sont pas dénués de sens et semblent induire le déroulement de
pratiques rituelles succédant aux diver- tissements des jeux du
cirque organisés dans le cadre de telles manifestations.
49 P. Maraval, Constantin le Grand. Empereur romain, empe reur
chrétien (306337), Paris 2011, 185-186 où l’on trouvera les prin
cipaux renvois aux sources textuelles et à la bibliographie
essentielle sur ce sujet.
Sources des figures Fig. 1, 3, 4, 9, 10 : Musée archéologique de
Sofia © NIAM-BAS. Fig. 2 : Hoddinott, Bulgaria in Antiquity (cité
n. 3), fig. 35. Fig. 5 : © Réunion des musées nationaux Grand
Palais. Fig. 6 : Bank, L’art byzantin (ci té n. 17), no 14. Fig. 7
: V. P. Darkevich, Byzan tine Secular Art in the 12th and 13th
Centuries, Moscou 1975, fig. 346. Fig. 8 : Couverture de la
brochure éditée par la municipalité de Sofia. Fig. 11 : Vermaseren,
Corpus cultus Cybelae Attisisque (cité n. 6), no 340. Fig. 12 :
Grabar, Sculptures II (cité n. 32), pl. III a, b. Fig. 13 : Cumont,
Les religions orientales (cité n. 44), pl. XIII.2. Fig. 14 : ©
Université libre de Bruxelles, CReA/Patrimoine Service public de
Wallonie/DGO4.
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ο 1919 κατ την ανασκαφ ενς εντυπωσιακο δη- μο σου κτηρου στο κντρο
της Σφιας/Σερδικς ανευ- ρθηκε μια μαρμρινη ανγλυφη πλκα, που φυλσ-
σεται σμερα στο Αρχαιολογικ Μουσεο της Σφιας. Αυ τ το ανγλυφο
αποτελε μια σπνια μαρτυρα των διοργανομενων μεγαλπρεπων θεαμτων στα
αμφι - θατρα στους ιπποδρμους κατ τη ρωμακ επο χ και την στερη
αρχαιτητα.
Στην πλκα παριστνονται περ τις δκα σκη νς venationes, δηλ. σκηνς με
αγνες μεταξ μο νομχων και γριων ζων, καθς και θηριομαχες, ανλογες
με αυτς που παριστνονται σε πολλ ανγλυφα, ψηφιδω- τ δπεδα, αγγεα
και ελεφαντδοντα της στερης αρ- χαιτητας και της αρχς της
πρωτοβυζαντινς εποχς.
λλες σκηνς με μορφς, επσης ανγλυφες, στην αριστερ περιφρεια και στο
κντρο αυτς της πλ- κας, εναι μλλον δσκολο να ερμηνευθον. Τσσερις απ
αυτς τις μορφς με καλυμμνα τα πρσωπ τους με μσκα εναι ανεβασμνες σε
μια εξδρα –πρκει- ται για μια θεατρικ παρσταση για κποια
ιερο-
τελεστα; Στην περπτωση που παριστνεται μια ιε- ροτελεστα, ποιου
τπου ταν αυτ και ποια θετητα αφοροσε; Μπως πρπει να διαγνσουμε στην
απει- κνιση αυτς της σκηνς κποιου εδους ειρωνα και να την
προσμετρσουμε στις θεατρικς παρωδες τις αντστοιχες
θρησκευτικς;
Η συνολικ εικονογραφικ σνθεση αυτς της πλ - κας αναλεται σε βθος,
με στχο να γνουν απτς η σημασα των τριν σκηνν και η ενδεχμενη μετα
ξ τους σχση. Αυτς οι εικονογραφικς ενδεξεις συν- δονται με τις
πληροφορες που μας παρχει το αρχαι- ο λογι κ και ιστορικ πλασιο που
περιβλλει αυτν την πλκα, στε να καταστε δυνατ η ερμηνεα των σκηνν,
οι οποες λμβαναν χρα, το πιθαντερο, στο αμφιθατρο της Σφιας κατ τη
διρκεια του 4ου αινα.
Πανεπιστμιο του Στρασβοργου και Ελεθερο Πανεπιστμιο των
Βρυξελλν,
[email protected]
ΑΠΟ ΤΟ ΑΡΧΑΙΟΛΟΓΙΚΟ ΜΟΥΣΕΙΟ ΤΗΣ ΣΟΦΙΑΣ
Τ
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