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FRANÇOISE THOM

LA LANGUE DE BOIS

J U L L I A R D

8, rue Garancière PARIS

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La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées a l'usage prive du copiste et non destinées à une utilisation collective , et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1 de l'article 40);

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Julliard, 1987. ISBN 2-260-00525-X

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A Alain Besançon

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INTRODUCTION

Le linguiste soviétique N. J. Marr prévoyait le moment où le prolétariat vainqueur s'affranchirait aussi de la langue parlée sujette aux humiliantes contraintes naturel- les; sous le communisme, les travailleurs abandonneraient le langage, instrument formel et rétrograde hérité de l'obscurantisme passé, et communiqueraient par le seul contact de la pensée.

Or il semble que l'empire des mots, comme celui de l'État, se soit « dialectiquement » renforcé sous le socialis- me, en attendant le grand mutisme universel. Aucun régime n'est aussi prolixe que le régime communiste, ni aussi jaloux de son monopole sur la parole; aucun régime n'a mieux su s'emparer du langage et le canaliser à ses fins.

Mais ce langage ne ressemble pas au langage ordinaire; on a beau y distinguer des mots et des phrases, il a quelque chose de radicalement étranger. Son absence de substance frappe d'abord. La presse soviétique contient peu d'allusions à l'actualité, peu de descriptions, peu d'information. Ce flot de paroles ne s'alimente à aucune source visible et pourtant s'épanche quotidiennement en millions d'exemplaires, se déverse dans des millions de livres, envahit la radio et la télévision, apparemment

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capable de s'engendrer lui-même à l'infini. Cependant le manque de contenu n'est pas le seul trait distinctif de l'idiome soviétique : la langue aussi semble avoir subi une mutation.

Le discours communiste a longtemps été pris pour un jargon; le terme même de «langue de bois» (dubovyj jazyk - littéralement : « langue de chêne ») désigne à l'origine en russe le style administratif pesant qu'affec- tionnait la bureaucratie tsariste. Dans les années 20 on brocarde volontiers cette langue nouvelle propagée par la presse que l'écrivain Zochtchenko appelle « langue de singe ». A la même époque en Pologne on parle de « langue figée ». Orwell fut le premier à comprendre qu'il ne s'agissait pas d'un jargon comme un autre, risible et somme toute inoffensif, mais d'une métamorphose du langage au contact de l'idéologie. Il eut aussi l'intuition du rôle joué par la Novlangue dans le fonctionnement de l'État totalitaire.

A l'heure actuelle, le terme « langue de bois » est entré dans l'usage; il est même galvaudé, puisqu'on l'emploie un peu n'importe comment, pour stigmatiser tel ou tel discours politique, tel ou tel style entaché de jargon.

A cause de l'emploi abusif qui en a été fait, on oublie trop souvent que ce terme recouvre un phénomène très précis, repérable à des critères formels. Car la langue communiste a beau être diserte, emplir journaux, pério- diques et livres, alimenter de multiples discours, sa facture est éminemment uniforme. Les particularités formelles de la langue de bois, syntaxiques, lexicales ou stylistiques, manifestent sa nature à part mais ne l'épui- sent pas. Son rapport à la réalité l'éloigne tout autant du langage ordinaire : se posant en discours scientifique, d'où tout imaginaire est exclu, elle prétend avoir le monopole de la vérité; or ce qu'elle décrit n'est pas, et ce qui est se trouve sans cesse refoulé par l'invocation de ce qui doit

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être. La langue de bois est une série d'incantations magiques déguisée en chaîne d'axiomes nécessaires.

L'étrangeté de la langue de bois vient de ce qu'à la différence des autres langues elle n'a qu'une fonction : servir de véhicule à l'idéologie 1 Elle est donc infiniment plus simple que la langue naturelle. Encore faut-il montrer cette simplicité, les mécanismes primitifs qui sont en jeu, l'uniformité des procédés. Tel est le but de cet ouvrage 2

1. Par idéologie nous entendons une pensée de type gnostique qui fonde une doctrine du salut sur des prétentions scientifiques. Le marxisme-léninisme et le nazisme en sont les formes les plus achevées. Pour la définititon de l'idéologie voir A. Besançon, Les Origines intellectuelles du léninisme, Paris, 1977.

2. Ce travail porte sur l'ensemble du discours communiste. Les citations proviennent de la presse soviétique et de publications communistes françaises, et sont le plus souvent choisies en raison de leur banalité. Le lecteur français peut se faire une idée de la langue de bois soviétique en consultant les publications en français de l'Agence de Presse Novosti.

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I

D E S C R I P T I O N D E L A L A N G U E D E B O I S

« En quoi la langue russe s'est-elle modifiée?... Une grande quantité de mots vieillis ne font plus partie du lexique; le sens sémantique d'une quantité considérable de mots s'est modifié; la structure grammaticale de la langue s'est améliorée... »

J. Staline

« Clearly, people capable of using such phrases have ceased to remember that words have meanings. »

G. Orwell

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La première caractéristique de la langue de bois est qu'elle apparaît sous deux modalités, une modalité ouverte et une modalité cachée. La modalité ouverte, la langue des éditoriaux et des discours officiels, présente un certain nombre de traits grammaticaux, lexicaux et stylis- tiques typiques qu'il faut définir avant d'entreprendre l'analyse du système entier et de son fonctionnement. Ce chapitre ne donnera pas une description exhaustive de la langue de bois; mais il suffira à montrer que celle-ci est un objet facilement identifiable aux contours accusés, bien que malaisé à définir. De nombreuses illustrations du discours communiste soviétique et français seront données, afin de développer une appréhension de la langue de bois aussi intuitive et infaillible que celle du lecteur de la Pravda.

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SYNTAXE

On s'aperçoit qu'un texte est rédigé en langue de bois dès les premiers mots, avant même d'en avoir cherché le sens : il y a une lourdeur qui ne trompe pas. Cette pesanteur si frappante tient entre autres à certaines caractéristiques de la syntaxe, à certains tics qui donne- raient presque à croire que l'on a affaire à la parodie d'un autre discours. Ces caractéristiques sont en petit nombre :

Substantivation

Elle se traduit surtout par le recul des subordonnées circonstancielles, systématiquement remplacées par des noms précédés d'une préposition :

« Au XIX siècle, par décision et éclairement des situations politiques antérieures, l'humanité agissante s'est divisée en deux parties : les conservateurs et les révolutionnaires 1 »

« C'est par le développement d'une large activité dans les masses et avec leur appui que les conditions se créeront pour l'élaboration (...) d'un Programme commun de gou- vernement 2 »

1. H. Barbusse, Staline. Paris, 1935, p. 282. 2. Humanité du 26 févr. 1968.

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« Lors de l 'é laborat ion d u p r o g r a m m e de rav i t a i l l emen t

et de la réal isat ion des plans p révus il est ind ispensable

d ' a t t ache r u n e g r a n d e i m p o r t a n c e a u perfect ionnement du m é c a n i s m e é c o n o m i q u e . »

« Lors de l 'établissement des bi lans, les organisa t ions du

parti et des syndicats do iven t app réc i e r ob jec t ivement la con t r i bu t ion de c h a q u e collectif. »

Les t o u r n u r e s n o m i n a l e s é v i n c e n t é g a l e m e n t les

relatives et les part icipes. E n out re , très souvent , on a,

au l ieu du verbe s imple , u n g r o u p e ve rbo -nomina l , où

le verbe est e n q u e l q u e sorte r édu i t à u n e fonc t ion d 'auxi l ia i re : on a u r a « t r ouve r son express ion » au l ieu

de « s ' e x p r i m e r », « t rouver son ref le t » au l ieu de « se

r e f l é t e r » ; « prendre la déc is ion de la cessat ion du f e u »

a b ien plus d ' a l lu re q u ' u n p rosa ïque « déc ide r de ces- ser le feu », « acco rde r son aide » sera toujours choisi

p lu tô t q u ' « a ider ».

D a n s tous les cas envisagés ici le verbe est sacrifié au profi t du substant i f ; mais tous les verbes ne sont pas

é g a l e m e n t f rappés : ceux qui se r é f è r e n t à des processus en d é v e l o p p e m e n t rés is tent m i e u x à cet te poussée du nom. Les verbes sont é l iminés dans la m e s u r e où ils

in t rodu i sen t le t e m p s et su r tou t la s é q u e n c e t empore l l e

dans la ph rase ; ils fo rcen t à la préc is ion : « La p lupar t des verbes e x p r i m e n t des choses vraies tandis que les substan-

tifs sont... le paradis des fo rma t ions v a i n e s » écrivait

Valéry. C h a q u e fois qu 'e l le en a l 'occasion, la l angue de bois se soustrai t à la ne t te té du verbe et opte pou r le flou

de l ' in tempora l i t é , esquivant s o i g n e u s e m e n t la nar ra t ion , sou l ignan t au con t ra i re le m o u v e m e n t i m m a n e n t des

choses. Elle se dé robe du m ê m e coup à l ' énonc ia t ion ,

1. Paul Valéry, Cahiers I, Gallimard, 1973, p. 455.

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c'est-à-dire à une référence au « temps où l'on parle 1 », aux circonstances du discours, au locuteur. Ainsi s'expli- que un autre trait du discours communiste :

L'absence d' « embrayeurs »

D'après Benveniste, les embrayeurs sont cet « ensemble de signes " vides non référentiels par rapport à la " réalité toujours disponibles, et qui deviennent " pleins ” dès qu'un locuteur les assume dans chaque instance de son discours ». Il s'agit de ces mots qui changent de sens selon le contexte ou selon la situation du locuteur; leur signification « ne peut être définie sans une référence au message 2 ». Les adverbes de temps ou de lieu sont souvent des embrayeurs dans la langue naturelle : la langue de bois les emploie dans l'absolu; « maintenant » y signifie « à notre époque », « demain » veut dire « à l'avenir ». Mais ce sont les pronoms de la première et de la deuxième personne qui constituent les embrayeurs par excellence. Il est intéressant d'observer l'usage qu'en fait la langue de bois. Le pronom « je » a pratiquement disparu, sauf dans les discours particulière- ment solennels; on ne rencontre jamais le pronom de la deuxième personne. En revanche, le « nous » est invoqué presque à chaque ligne, mais il renvoie toujours au même référent; il désigne l'union du peuple, du parti et du gouvernement. Le « nous » du discours de bois n'apparaît pas dans la fonction d'embrayeur : il est là pour s'opposer, implicitement ou explicitement, au pronom « ils » qui stigmatise les forces de la réaction; il est symétrique de ce

1. A propos de cette notion d'« énonciation », des embrayeurs et de l'analyse des pronoms, voir E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, 1966, pp. 251 et suiv.

2. R. Jakobson, Essais de linguistique générale, Paris, 1963, t. I, p. 178.

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dernier. Il représente une troisième personne axiologisée. Or, toujours selon Benveniste, la troisième personne ne doit pas être placée sur le même plan que la deuxième et la première personne, car elle constitue la « forme non personnelle de la flexion verbale ». Elle exprime la « non-personne », « celui qui est absent » disent les gram- mairiens arabes.

Toutes ces particularités vont dans le même sens : c'est la catégorie de la personne qui est visée.

Les tournures passives et impersonnelles

« On devrait parler ici de la littérature soviétique puisqu'il s'est fait sur cette voie une belle avancée constructive 1 »

« Sur la base de la cybernétique s'est renforcé le lien mutuel entre les différentes théories et les différentes sciences. Ceci a stimulé la discussion au sujet de la contribution de la cybernétique à la vision scientifique du monde. »

« Des vœux furent exprimés pour l'augmentation des rythmes de l'accroissement du commerce. »

« Une attention particulièrement grande fut accordée aux bilans et aux perspectives de la coopération commercialo- économiques. »

L'accent est toujours mis sur les processus. Les nota- tions temporelles sont rares. D'où un autre trait de la langue de bois :

Les comparatifs

Des phrases comme celles-ci sont monnaie courante :

1. H. Barbusse, 1935, p. 234.

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« L a pol i t ique du pouvoi r des m o n o p o l e s n e peu t d o n n e r naissance qu 'à des cont rad ic t ions plus profondes, p lus étendues. »

« L ' a c c e n t u a t i o n de la crise du capi ta l isme monopol i s te en F rance , les e n s e i g n e m e n t s du grand m o u v e m e n t

popu la i r e de mai- juin 1968 ont d o n n é plus de rel ief enco re à cet te convic t ion 2 »

« Ce t aspect de l 'analyse de la doc t r ine marxis te- léni-

niste occupe u n e place toujours plus importante dans les

d o c u m e n t s du P C U S , dans les t ravaux de ses dirigeants. » « D a n s les condi t ions du social isme m û r le lien en t re le

progrès de l ' é c o n o m i e et le progrès socialo-poli t ique et spir i tuel dev ien t toujours plus étroit. »

S'il est ques t ion d ' u n conflit , il est à coup sûr « toujours plus aigu », et cela devient « toujours plus clair ». La

l angue de bois ne tarit pas sur ces processus inlassable- m e n t f idèles à e u x - m ê m e s qui toujours s ' intensif ient . Ce

trait rappel le les mauvaises dissertat ions d 'écol iers en mal d ' in t roduc t ion . O n r e m a r q u e r a que ces compara t i f s n ' o n t

jamais de c o m p l é m e n t e x p r i m é : ici encore la l angue

r é p u g n e à la précis ion et se c a n t o n n e dans le flou et l 'abstract ion. Cet te impor t ance a t tachée au d é r o u l e m e n t

des p h é n o m è n e s semble d i f f ic i lement compat ib le avec u n e au t r e carac tér i s t ique du discours de bois.

Le mode impéra t i f

T o u s les moyens l inguist iques servant à signifier l 'ordre ou l ' exhor ta t ion sont requis, de l ' impéra t i f à l ' inf ini t i f en

passant par les adverbes :

« Les c h a n g e m e n t s les plus impor tan t s dans la vie de la

1. G. Marchais, préface au Programme commun de gouvernement, Paris, 1972, p. 13

2. Ibid., p. 21.

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société soviét ique doivent recevoi r u n e express ion scienti-

f ique profonde . »

« I l f a u t tou t p a r t i c u l i è r e m e n t s 'e f forcer de con fé r e r la d i rec t ion nécessai re à l 'activité sociale des masses, qui

co r r e sponde aux besoins du p rogrès social. » « En tou t d o m a i n e les disposi t ions du p r o g r a m m e doi-

vent être telles qu 'e l les favor isent l ' i n t e rven t ion des masses,

le d é v e l o p p e m e n t de la lut te des t ravai l leurs ( . . . ) » « L ' a m i t i é doit s ' accen tuer ! »

La combina i son du style i m p e r s o n n e l avec le discours

volontar is te est typ ique de la l angue de bois; nu l le par t ai l leurs on ne r e t rouve cet te osci l la t ion en t r e des pôles

opposés, en t r e le p ropos objectif de la sc ience et le

c l a q u e m e n t p é r e m p t o i r e d u slogan.

Ces traits exis tent à l 'état isolé dans d i f fé rents jargons

de la société m o d e r n e ; l ' a b o n d a n c e des n o m s est typique

du style sc ien t i f ique ; l ' impe r sonna l i t é carac tér ise le jar- gon adminis t ra t i f ; la m a n i e du c o m p a r a t i f est f r é q u e n t e

dans u n ce r ta in discours p é d a g o g i q u e ou journal is t ique.

Mais a u c u n jargon ne r é u n i t l ' ensemble des par t icular i tés

e x a m i n é e s dans ce chapi t re . Seule la « N o v l a n g u e » com- mun i s t e rassemble tous ces défauts et c 'est p r éc i s émen t la

con jonc t ion de ces traits dist inct ifs qui en fait que lque chose d 'or iginal , n ' ayan t r ien en c o m m u n avec les jargons

e n g e n d r é s par le m o n d e m o d e r n e . En revanche , le logos

marxis te - lén in is te peu t être r a p p r o c h é de la l angue du I I I Reich qui présente , q u o i q u e à un m o i n d r e degré , des

carac tér is t iques iden t iques : m ê m e accen t mis sur les processus, m ê m e h y p e r t r o p h i e de l ' incitatif .

Le discours c o m m u n i s t e se t rah i t par sa syntaxe, au tan t peu t -ê t re que par sa te rminologie . Ce t te syntaxe « de bois » affecte de la m ê m e m a n i è r e des langues aussi dif- férentes que le français , le russe, l 'anglais ou le chinois.

1. Ibid., pp. 37-38.

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L E X I Q U E

« Le I I I Reich n'a créé lui-même qu'une partie infime des mots de sa langue... Mais il a changé la valeur des mots et leur fréquence... Il a accaparé pour le Parti ce qui était un bien appartenant à tous, il a imprégné de son poison les mots, les groupes de mots et la forme des phrases, il a asservi la langue à son terrible système... »

Victor Klemperer

L e vocabula i re de la l angue de bois n 'est pas é t ranger au nôtre. Pa r tou t il n 'est ques t ion que de paix, de progrès

et de coopé ra t i on ; et pou r t an t la t r aduc t ion est toujours fal lacieuse, parce que les mots mis en jeu par la l angue de bois ne t i rent pas leur sens d ' u n contact avec la réalité, m ê m e perver t i c o m m e dans le cas du mensonge , mais ils se r é f è ren t à u n e grille impl ic i te d ' in te rpré ta t ions préala-

bles; ils ne r envo ien t pas au réel, mais à une glose i m m u a b l e à propos du réel. C'est cet te grille qu ' i l s 'agit de déch i f f r e r c o m m e la r é fé rence de base, au regard de

laquel le les occasions précises des discours n ' on t que peu d ' impor t ance . L ' é t u d e du vocabulaire met t ra en év idence les m o u v e m e n t s factices, les an tagon i smes imaginai res

qui cons t i tuen t la d y n a m i q u e de la l angue de bois, et qui l ' isolent des louches con t ingences du m o n d e sensible.

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L a langue de bois n e dispose q u e d ' u n vocabula i re

a p p a u v r i d o n t on peu t r a p i d e m e n t faire le tour . Il faut s e u l e m e n t p o u r cela r e m o n t e r à u n ce r ta in n o m b r e d ' idées clés, d 'analogies- forces qu ' e l l e a e m p r u n t é e s ail-

leurs et qu 'e l le a a n n e x é e s à ses p ropres fins en raison de

leur pu issance d 'a t t rac t ion sur l 'espri t et de l 'usage mul t ip l e q u ' o n p e u t e n faire. L e l ex ique se par tage en t re

les sphères d ' i n f l u e n c e de ces q u e l q u e s idées et de ces

analogies implici tes .

Le manichéisme

L a p r e m i è r e et la p lus i m p o r t a n t e de ces idées-forces est celle d ' u n m o n d e r a d i c a l e m e n t divisé e n deux camps adverses et i r réconci l iables . Ce t t e vision m a n i c h é e n n e

cons t i tue u n e source inépu i sab le de m é t a p h o r e s et de

l ieux c o m m u n s et sur tout , elle ar t icule la l angue de bois.

Car le dua l i sme de base qu 'e l le i n t rodu i t organise la

p lupar t des mots r e t enus dans le lexique et il fourni t souvent p ré tex te à discourir .

Ceci exp l ique q u ' u n g rand n o m b r e de t e rmes utilisés

par la l angue de bois soient e m p r u n t é s au registre

mil i ta i re 2 l ' imager ie gue r r i è r e s ' é tend jusqu ' aux domai-

nes t r a d i t i o n n e l l e m e n t les plus bucol iques , qu' i l s'agisse de traire les vaches ou de ramasser les p o m m e s de terre ;

on n ' e n t e n d par ler que de fronts, de batailles, d 'a t taques ,

1. Une enquête menée par des écrivains soviétiques a montré que les journalistes emploient environ 1 500 mots, alors que le Dal' en répertorie 220 000. Voir V. Belov, Jazyk moj, drug moi », in : Nas Sovremennik, n° 7, 1983, pp. 181-187.

Le Dal' est le dictionnaire de la langue russe du XIX l'équivalent du Littré.

2. Cet aspect de la langue de bois est souligné dans toutes les études qui lui sont consacrées. Voir notamment A. M. Seliščev, Jazyk revol- jucionnoj epohi, Moskva, 1928, pp. 94-95.

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de résistance, de prises d 'assaut, de stratégie et de tacti- que , etc. La paix e l l e - m ê m e devient l 'objet d ' u n e lutte

acha rnée . A lire la presse c o m m u n i s t e , on a l ' impres- sion d ' u n e société p e r p é t u e l l e m e n t mobilisée. O n

re t rouve d 'a i l leurs cet te prédi lec t ion pour la t e rmino lo- gie mil i ta i re dans le vocabulai re de la langue nazie, où les mots Kampf , kämpferisch, marschieren r ev i ennen t sans cesse

Mais le dua l i sme a u n e au t re conséquence , a u t r e m e n t i m p o r t a n t e : a u c u n mot de la l angue de bois n 'est

i nnocen t , tous sont pré in terpré tés . Cer ta ins te rmes s'ap- p l i q u e n t au m o n d e mauvais dest iné à périr , d 'au t res sont

l ' apanage des forces de l 'avenir. C h a q u e concep t appar- t ien t à l ' un des deux camps - ou plutôt , c h a q u e concep t se déf in i t par son contra i re , à travers l 'opposi t ion f o n d a m e n - tale c o m m u n i s t e / e n n e m i . Ainsi les représen tan ts du c a m p socialiste sont les c h a m p i o n s de la paix dans la mesure où leurs adversaires sont des fau teurs de guerre . L ' e n n e m i

fictif i nca rne tous les pr incipes négatifs : impérial is te , il

o p p r i m e les peuples ; militariste, il c o m p r o m e t la paix, e t c . U n m ê m e concep t s ' expr imera par un mot diffé-

ren t selon qu' i l est vu dans le contex te impérial is te ou

dans l 'espace l ibéré du socialisme : par exemple razvedt- chik dés igne le g lor ieux agent soviétique, tandis que

chpion st igmatise l 'espion é t ranger ; ou bien, plus frap-

pant encore , les t e rmes de zavoevanie kòsmosa, « con- quê te du cosmos » q u a n d il s'agit des América ins , face à osvojenie kosmosa, « mise en valeur du cosmos », q u a n d il s'agit des Soviét iques - m ê m e la conquê te de l 'espace choisi t son camp.

1. Voir à ce propos: Cornelia Berning, Vom « Abstammungsnach- weis » zum « Zuchtwart ». Vokabular des Nationalsoziulismus, Berlin, 1964.

2. Voir à ce propos Theodor Pelster, Die politische Rede lm W esten und Osten Deutschlands, Dusseldorf, 1966.

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n e n t p a s c o m p t e d e c e r t a i n s f a c t e u r s q u i , e n l ' o c c u r r e n c e ,

s o n t d ' u n e i m p o r t a n c e d é c i s i v e .

V o y o n s l e s p r i n c i p a u x d e c e s f a c t e u r s . ( . . . )

Q u e d é n o t e n t t o u s c e s f a i t s ?

Q u e l e s s c e p t i q u e s o n t t o r t .

Q u e l e l é n i n i s m e a r a i s o n q u i c o n s i d è r e l e s m a s s e s

p a y s a n n e s t r a v a i l l e u s e s c o m m e l a r é s e r v e d u p r o l é t a - r i a t 1 »

A u l i e u d e b r a n d i r l ' a n a t h è m e , S t a l i n e s ' a r m e d ' u n e

o s t e n s i b l e p a t i e n c e p é d a g o g i q u e , s o n d i s c o u r s i n v o q u e l a

r a s s u r a n t e o b j e c t i v i t é d e s f a i t s . O n l e s e n t i n d u l g e n t p o u r

l e s f a i b l e s s e s d e l a r a i s o n h u m a i n e . L a b r u t a l i t é s ' e s t

r e t i r é e d e l a s u r f a c e d e s m o t s e t s ' e s t l o g é e a i l l e u r s : e l l e

e s t d a n s c e t t e m a n i è r e i m p u d e n t e d e p r e n d r e l e c o n t r e -

p i e d d e l a r é a l i t é e t a u s s i d a n s l e c h a n t a g e i m p l i c i t e a u

p i r e p r é s e n t d a n s l a p l u p a r t d e s d i s c o u r s d e b o i s . L o r s q u e

l e p o u v o i r i d é o l o g i q u e a c e s s é d ' ê t r e p r é c a i r e , l a l a n g u e

d e b o i s n ' a p l u s b e s o i n d ' a v o i r l ' a i r d e r é p o n d r e a u x

s o l l i c i t a t i o n s d u m o m e n t ; il s e r a i t m ê m e d a n g e r e u x p o u r

e l l e d e d o n n e r c e t t e i m p r e s s i o n . E l l e s e s t a b i l i s e d o n c

d a n s s a f a u s s e s é r é n i t é , i m p e r m é a b l e a u x d é s a s t r e s , à l a

f a m i n e , a u x p u r g e s , a u x g u e r r e s , à l a m o r t d e s g r a n d s

t i m o n i e r s , d é r o u l a n t i m p e r t u r b a b l e m e n t l e t a p i s d ' a p p a r a t

s o u s l e q u e l d i s p a r a î t t o u t c e l a a u x y e u x d u p e u p l e e t d e

l ' h i s t o i r e . E l l e e s t m a i n t e n a n t p a r v e n u e à l a p e r f e c t i o n ,

c a p a b l e d ' a b s o r b e r t o u s l e s c h o c s e t d e f a i r e f a c e à t o u t e s

l e s é v e n t u a l i t é s .

L e s s u c c e s s e u r s d e S t a l i n e n ' o n t r i e n c h a n g é à l a

l a n g u e d e b o i s e t p o u r c a u s e : e l l e e s t d e v e n u e s i

t o t a l e m e n t a u t o n o m e , s i i m p e c c a b l e m e n t a u t o m a t i q u e ,

q u e l a s e u l e m o d i f i c a t i o n d o n t e l l e s o i t s u s c e p t i b l e e s t l a

d i s p a r i t i o n .

1. J. Staline, Des principes du léninisme, Pékin, 1969, pp. 65-66.

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UN ANTILANGAGE

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Il peut sembler incongru que tant de disciplines augus- tes, la grammaire, la rhétorique, la philosophie et l'his- toire, aient été réquisitionnées pour rendre intelligible ce produit minable de l'idéologie qu'est la langue de bois. Mais l'esprit est désarmé devant ses propres impostures, surtout si celles-ci flattent ses mauvais penchants. La difficulté éprouvée à réduire la langue de bois le montre bien. Il fallait à tout prix rester à l'extérieur de ce système de pensée automatique, de parole machinale qui hypno- tise l'esprit et paralyse la raison. Il était donc nécessaire de s'arrimer solidement à ces disciplines anciennes avant d'entreprendre l'exploration de cette fabrication insolite de l'esprit humain.

Ces précautions ont permis de percer à jour la super- cherie première de la langue de bois : malgré son dégui- sement en mots et en phrases, ce n'est plus une langue; on n'y trouve plus rien de ce qui fait le langage, ni liberté de choisir les mots et les propos, ni présence d'un sujet, ni notation du temps, ni pensée à formuler, ni sens à exprimer. Après qu'il a été possédé par l'idéologie, le langage n'est plus que l'ombre de lui-même. Et pourtant cette ombre méritait d'être étudiée de près, car à travers elle c'est l'idéologie qu'on atteint et son mode d'action sur

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les choses. L'exemple de la langue de bois montre comment un néant, une volonté de destruction nue, peuvent arriver à démolir un objet fortement charpenté comme la langue, le seul objet pour lequel usage n'est pas synonyme d'usure, bien au contraire.

L'idéologie n'a pas de formes propres; elle est donc obligée de composer avec les formes existantes afin de s'incarner pour accomplir son œuvre de mort. Elle est condamnée à s'extérioriser dans des corps qui lui sont étrangers. La langue était pour elle un site idéal parce qu'elle repose sur la convention; l'arbitraire du signe en faisait une proie facile et somptueuse, un mode d'objec- tivation économique, rentable et peu compromettant. Le traitement auquel la langue est soumise une fois investie par l'idéologie est le même que celui subi par toutes les institutions et les organisations détournées par le pouvoir communiste : d'abord elle est évidée, tuée par le parasite qui n'en préserve qu'une fragile enveloppe extérieure, puis, et c'est là l'essentiel, elle devient elle-même un instrument de destruction; pour plus d'efficacité elle se dédouble en une variante marquée (la langue de bois d'apparat) et en une variante non marquée (la fausse langue naturelle).

De même que l'Église vivante créée par les bolcheviks sert à anéantir la religion, les fausses élections à désamor- cer les velléités démocratiques, la fausse légalité à empê- cher la naissance d'un droit véritable, la fausse langue bloque la communication et gèle la formation d'une société civile qui mettrait en péril le pouvoir communiste, attire la pensée sur des voies de garage, entrave le développement d'un sujet à l'intérieur de l'homo sovieti- cus. Parmi tous les zombies mis en marche par l'idéologie, la langue zombie présente le plus de danger.

Car cette langue ne se contente pas de cacher le réel en y sélectionnant quelques cibles sur lesquelles elle focalise

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le rayon de mort de l'idéologie. Son effort de destruction est infiniment plus systématique. Il porte sur un point central à la fois de la pensée et de la conscience : à travers le concept, à travers la représentation, à travers la mémoire, c'est toujours le principe d'individuation, l'es- sence des choses et des êtres qu'elle vise. Le mouvement imprimé aux phénomènes et aux concepts par la dialec- tique entraîne l'éboulement de l'intelligence. Dans le flou du développement, l'esprit ne repère aucun contour; dans l'affirmation répétée de généralités déconnectées du réel, le sujet ne trouve aucune place. La raison désapprend à distinguer, le singulier disqualifié s'abîme dans le devenir informe. Toutes les particularités que nous avions notées à propos de la langue de bois peuvent être ramenées à cette tendance à noyer la singularité ou plutôt à s'inter- poser entre elle et la conscience, de peur qu'elle ne mette l'esprit en marche sur des pistes non idéologiques. Que ce soit la substitution de la valeur au sens, l'ostracisme des embrayeurs, la répugnance aux verbes, l'accent mis sur les processus, l'absence d'initiative du locuteur dans son discours et même, si paradoxal que cela semble, les allégories, tout dans la langue de bois concourt à effacer la singularité : il n'est de situation, de chose ou d'homme qui ne puissent être ramenés à un principe qui les dépasse, le sujet est évacué du discours qui s'élabore en dehors de lui. Dans cette offensive en règle contre la forme et le temps rien n'est épargné. La langue de bois élimine la mémoire et le sentiment de l'identité simulta- nément; elle congédie les phénomènes en même temps que les concepts. Ainsi s'explique la disparition de la signification, qui ne peut avoir lieu sans la différenciation première des choses entre elles et la distinction sujet/ob- jet.

Il reste alors à s'interroger sur les motifs qui sont à l'origine du succès de la langue de bois - comment ce

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discours monotone et sans agréments a-t-il pu s'imposer à des groupes entiers, même avant qu'il ne soit instauré officiellement par le régime communiste, en dehors des frontières de l'Union Soviétique, dans des pays où il subit la concurrence de la presse libre? Comment ne remar- que-t-on pas la détresse à laquelle il réduit l'intelligence, l'inhumanité dans laquelle il force ses victimes? Enfin, d'où vient qu'il est si difficile de se débarrasser de la langue de bois lorsqu'on y a été plongé dès l'enfance?

C'est que l'idéologie et la langue de bois corrompent à la fois le cœur et la raison, en les livrant à la promesse d'une toute-puissance imminente et à la séduction de la pensée facile et du discours mécanique. Dans l'état d'apesanteur créé par l'idéologie, la raison se meut avec aisance, soulève tous les poids sans effort, et elle éprouve même ce sentiment d'euphorie qui visite dit-on les noyés avant l'asphyxie totale. Cette pensée délivrée de la néces- sité de se mesurer aux choses s'accompagne d'une parole qui puise en elle-même le principe de sa production et confère le pouvoir sans que le locuteur ait à faire le moindre effort. Pour repousser les tentations de l'idéolo- gie et mettre fin au flux maléfique de la langue de bois, il faut se résigner à admettre que la compréhension n'est jamais que locale, qu'il est des savoirs peu soucieux de praxis et qu'enfin celui qui pense véritablement doit aussi choisir les mots pour formuler sa pensée. Après l'action débilitante de l'idéologie, la discipline des choses paraît rude; mais on se souviendra qu'un monde dans lequel il reste encore beaucoup à découvrir est infiniment préfé- rable à un univers dont tout a été dit.

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Cet ouvrage a été réalisé sur Système Cameron

par la SOCIÉTÉ NOUVELLE FIRMIN-DIDOT Mesn il-sur-l'Estrée

pour le compte des Éditions Julliard le 21 mai 1987

Imprimé en France Dépôt légal : mai 1987

N° d'édition : 4862 - N° d'impression : 6693

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Partout où s'étend le pouvoir communiste règne la « langue de bois ». Elle n'est pas un jargon, comme il y en a eu beaucoup, ni une rhétorique creuse, comme en usent couram- ment les politiciens occidentaux. Elle est la langue de ce pouvoir. Elle a une syntaxe, un vocabulaire, un style et une diction spécifi- ques qui la font immédiatement reconnaître. Elle n'est pas le mode spontané de communi- cation entre les hommes ni une voie d'accès au réel. Elle est la langue que devraient parler les hommes si la réalité se conformait à l'idéologie. Comme la réalité s'y refuse, la langue de bois se substitue à elle et la rend inaccessible. Pour maintenir son efficacité magique, elle mobilise toutes les ressources du pouvoir, devient une pédagogie perma- nente, un conditionnement de la conscience, une figure de la terreur. Entre la langue naturelle et la langue de bois s'engage un combat à mort dont ce livre analyse les péripéties et les enjeux. Françoise Thom donne la clé du mystère ultime du régime communiste qui ne fait pas qu'imposer la langue de bois puisqu'en dernière analyse il se confond avec elle.