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Monique Leroux reçoit à Québec 3000 invités venus de 85 pays Page 3 COOPERATIVES SOMMET INTERNATIONAL Les régions se donnent des coops de solidarité Page 4 Coopératives et mutuelles, des acteurs économiques Page 8 CAHIER SPÉCIAL H › L E D E VO I R , L E S SA M E D I 6 E T D I M A N C H E 7 O C T O B R E 2 01 2 Les coopératives doivent abandonner leur tendance à travailler de manière isolée les unes des autres, consi- dère Louis Favreau, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en développement des collectivités. ÉTIENNE PLAMONDON ÉMOND « L’ intercoo- pération dans le mouve- ment coopératif, c’est fondamentale- ment la lutte contre la dépen- dance économique. On ne le dit pas assez », s’exclame Louis Fa- vreau. Selon lui, cette dé- marche, où les coopératives s’épaulent entre elles, peut réussir à créer « un tissu social économique » aux niveaux lo- cal, national, voire internatio- nal. Or, traditionnellement, les coopératives ont tendance à se concentrer sur leurs préoccu- pations, leurs services, leur lo- calité. Bref, le mouvement est souvent décentralisé. Or l’in- tercoopération a engendré des histoires à succès dont la ma- jorité des coopératives de- vraient s’inspirer. Intercoopération L’une des expériences les plus époustouflantes de- meure celle des coopératives sociales en Italie. « Ça, c’est de l’intercoopération maxi- mum », commente Louis Fa- vreau. Un fonds mutuel a été créé pour soutenir le dévelop- pement des coopératives. Ce fonds se garnit à l’aide de co- tisations obligatoires, préle- vées sur un infime pourcen- tage des bénéfices de toutes les coopératives du pays. «C’est complètement novateur, parce que l’intercoopération se réalise à grande échelle. Et c’est ce fonds qui a alimenté les nouveaux développements dans le secteur qu’on a appelé les coopératives sociales, c’est- à-dire dans les secteurs de ré- insertion socioéconomique. » À une échelle encore plus macroéconomique, la solida- rité internationale avec les pays du Sud pourrait donner un levier semblable, envisage- t-il, alors qu’en ce moment l’appui au développement des coopératives dans les pays en développement s’avère tout autant décentralisé. L’idée d’un fonds internatio- nal du développement coopéra- tif émerge de plus en plus et M. Favreau croit que le concept sera souligné lors du sommet de Québec. « Si on reprend l’ex- périence italienne et qu’on l’ap- plique au niveau international, avec un fonds de développement des coopératives dont l’ACI se- rait le leader, ce serait le mouve- ment lui-même qui contrôlerait les activités », soulève-t-il, alors qu’en ce moment l’aide interna- tionale est dictée par d’autres bailleurs de fonds. Ici, c’est l’Agence canadienne de déve- loppement international (ACDI) qui subventionne l’es- sentiel de ces démarches, de- puis peu par le biais d’appels de projets controversés. «Avec l’appui des grandes coopératives agricoles et financières comme source de financement de dé- part, on pourrait ensuite aller chercher de l’argent au Pro- gramme des Nations unies pour le développement (PNUD) ou à la Banque mondiale. Là, on se retrouverait avec des capacités porteuses extraordinaires. » L’intercoopération ne ré- pond pas qu’à une demande fi- nancière, mais aussi à un be- soin d’accompagnement. «On ne naît pas avec l’idée de déve- lopper une entreprise coopéra- tive. Ça se développe avec une culture d’entreprise un peu par- ticulière, qu’il faut connaître et maîtriser.» Maillage À l’intérieur même des pays en développement, les organisations de coopération internationale telles que So- codevi et Développement in- ternational Desjardins (DID) travaillent à améliorer le mail- lage entre les coopératives de proximité. « Le travail de concertation, de fédérer, de sortir chaque coopérative de l’isolement, c’est un défi ma- jeur de l’intercoopération Nord-Sud. C’est un message qui n’est pas imposé, mais c’est un message éducatif, qui ressort des échanges qu’ils ont avec les coopératives du Sud », explique celui qui juge que la décentralisation constitue souvent « la maladie infantile du mouvement coopératif » . L’un des principaux obstacles à l’intercoopération réside dans la concurrence qui peut naître entre des coopératives. La sensibilisation des mem- bres aux retombées poten- tielles de cette démarche pour les collectivités se ré- vèle donc être une tâche considérable. « Si on a une centaine de coo- pératives forestières dans un pays, mais qu’elles ne se parlent pas, qu’elles ne se tiennent pas ensemble et qu’elles ne se ren- contrent jamais, elles vont com- mercialiser leurs produits de fa- çon isolée et elles vont elles- mêmes casser leur capacité d’en- trer avec force sur le marché. » En compagnie d’Ernesto Molina, Louis Favreau a réalisé une recherche sur les activités de Socodevi. Il cite en exemple l’appui apporté simultanément aux producteurs de cacao dans quatre pays d’Afrique de l’Ouest, soit la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Liberia et le Ni- geria. Cette échelle d’interven- tion transnationale a permis de structurer un meilleur rapport de force pour ces coopératives agricoles. « Ça permet d’obtenir un meilleur poids dans les négo- ciations avec les multinatio- nales qui veulent avoir le cacao pour le transformer en choco- lat », précise-t-il. Le Nord et le Sud Dans certains cas, comme dans la région andine de l’Amérique latine, les coopéra- tives agricoles ou d’artisanat se concertent en un réseau Sud-Sud pour éviter de repro- duire dans le commerce équi- table le lien de dépendance Nord-Sud entretenu dans l’économie traditionnelle. Reste que Louis Favreau ne met pas de lunettes roses lorsqu’il analyse l’intercoopé- ration Nord-Sud. Il ne doute pas qu’il y aura des débats lors du forum auquel il participera à ce sujet, dans le cadre du Sommet des coopératives de Québec. « Arrêtons de nous ra- conter des histoires comme quoi tout le monde s’entend, qu’on soit du Sud ou du Nord, parce qu’on est toutes des coopératives avec de belles déclarations de principes communs et des va- leurs communes. » À la suite de ses recherches et observations de terrain sur les partenariats internatio- naux, l’un de ses premiers constats concerne la difficulté d’établir un dialogue intercul- turel. Aussi, il souligne que nos règles du jeu au sujet du professionnalisme ne sont pas les mêmes au Burkina Faso, au Québec et au Pérou. La reddition de comptes n’est pas perçue ou considérée de la même façon d’un pays à l’au- tre, alors que les organismes de coopération internationale comme Socodevi et DID ont des comptes à rendre à leurs coopératives membres ou à l’ACDI. « Un autre point qui est difficile, c’est ce que j’appelle l’incertaine réciprocité, c’est-à- dire qu’il y a toujours dans les rapports Nord-Sud, même si c’est entre coopératives, des conditions qui sont tacites. » Il envisage aussi une sérieuse dis- cussion au sujet de cette idée de fédérer le mouvement, qui sus- cite son lot de craintes. Mais, dans le mouvement coopératif, les débats sont généralement respectueux et les idées che- minent, remarque Louis Fa- vreau. « Les gens ont une capa- cité d’écoute. Ce qui m’a tou- jours frappé dans le mouve- ment coopératif par rapport à d’autres, c’est que le niveau de démocratie est très élevé. » Louis Favreau, lors de sa présentation au Sommet des coopératives, le 10 octobre prochain, signale qu’il confron- tera aussi le mouvement coo- pératif à l’un de ses points fai- bles : sa faible capacité d’entrer en relations avec d’autres mouvements, tels que les mouvements écologiste et syndical, lorsqu’ils ont des ob- jectifs communs. Collaborateur Le Devoir Pour l’intercoopération La décentralisation est « la maladie infantile du mouvement coopératif » JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les coopératives forestières se doivent de se rencontrer afin de mieux commercialiser leurs produits. CENTRE DE RECHERCHES POUR LE DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL Le cloisonnement des aires d’abattage et l’assainissement de l’eau potable ont réduit les sources de maladie à Katmandou, au Népal. « Les gens ont une capacité d’écoute. Ce qui m’a toujours frappé dans le mouvement coopératif par rapport à d’autres, c’est que le niveau de démocratie est très élevé. » — Louis Favreau

COOPERATIVES - Le Devoir

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Page 1: COOPERATIVES - Le Devoir

Monique Lerouxreçoit à Québec3000 invités venusde 85 pays Page 3

COOPERATIVESSOMMET INTERNATIONAL

Les régions se donnent des coops desolidarité Page 4

Coopératives et mutuelles,des acteurséconomiquesPage 8

C A H I E R S P É C I A L H › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 6 E T D I M A N C H E 7 O C T O B R E 2 0 1 2

Les coopératives doiventabandonner leur tendance àtravailler de manière isoléeles unes des autres, consi-dère Louis Favreau, titulairede la Chaire de recherche duCanada en développementdes collectivités.

É T I E N N E P L A M O N D O NÉ M O N D

«L’ intercoo-pérationdans lem o u v e -m e n t

coopératif, c’est fondamentale-ment la lutte contre la dépen-dance économique. On ne le ditpas assez», s’exclame Louis Fa-vreau. Selon lui, cette dé-marche, où les coopérativess’épaulent entre elles, peutréussir à créer «un tissu socialéconomique » aux niveaux lo-cal, national, voire internatio-nal. Or, traditionnellement, lescoopératives ont tendance à seconcentrer sur leurs préoccu-pations, leurs services, leur lo-calité. Bref, le mouvement estsouvent décentralisé. Or l’in-tercoopération a engendré deshistoires à succès dont la ma-jorité des coopératives de-vraient s’inspirer.

IntercoopérationL’une des expériences les

plus époustouflantes de-meure celle des coopérativessociales en Italie. « Ça, c’estde l ’intercoopération maxi-mum », commente Louis Fa-vreau. Un fonds mutuel a étécréé pour soutenir le dévelop-pement des coopératives. Cefonds se garnit à l’aide de co-tisations obligatoires, préle-vées sur un infime pourcen-tage des bénéfices de toutesles coopératives du pays.« C’est complètement novateur,parce que l’intercoopération seréalise à grande échelle. Etc’est ce fonds qui a alimentéles nouveaux développementsdans le secteur qu’on a appeléles coopératives sociales, c’est-à-dire dans les secteurs de ré-insertion socioéconomique. »

À une échelle encore plusmacroéconomique, la solida-rité internationale avec lespays du Sud pourrait donnerun levier semblable, envisage-t-il, alors qu’en ce momentl’appui au développement descoopératives dans les pays endéveloppement s’avère toutautant décentralisé.

L’idée d’un fonds internatio-nal du développement coopéra-tif émerge de plus en plus et M.Favreau croit que le conceptsera souligné lors du sommetde Québec. «Si on reprend l’ex-périence italienne et qu’on l’ap-plique au niveau international,avec un fonds de développementdes coopératives dont l’ACI se-rait le leader, ce serait le mouve-ment lui-même qui contrôleraitles activités», soulève-t-il, alorsqu’en ce moment l’aide interna-tionale est dictée par d’autresbailleurs de fonds. Ici, c’estl’Agence canadienne de déve-loppement international(ACDI) qui subventionne l’es-sentiel de ces démarches, de-puis peu par le biais d’appels deprojets controversés. « Avecl’appui des grandes coopérativesagricoles et financières comme

source de financement de dé-part, on pourrait ensuite allerchercher de l’argent au Pro-gramme des Nations unies pourle développement (PNUD) ou àla Banque mondiale. Là, on seretrouverait avec des capacitésporteuses extraordinaires.»

L’intercoopération ne ré-pond pas qu’à une demande fi-nancière, mais aussi à un be-soin d’accompagnement. « Onne naît pas avec l’idée de déve-lopper une entreprise coopéra-tive. Ça se développe avec uneculture d’entreprise un peu par-ticulière, qu’il faut connaître etmaîtriser. »

MaillageÀ l ’ intérieur même des

pays en développement, lesorganisations de coopérationinternationale telles que So-codevi et Développement in-ternational Desjardins (DID)travaillent à améliorer le mail-lage entre les coopératives deproximité. « Le travail deconcer tation, de fédérer, desor tir chaque coopérative del’isolement, c’est un défi ma-jeur de l ’ intercoopérationNord-Sud. C’est un messagequi n’est pas imposé, maisc’est un message éducatif, quiressort des échanges qu’ils ontavec les coopératives du Sud »,explique celui qui juge que ladécentralisation constituesouvent « la maladie infantiledu mouvement coopératif » .L’un des principaux obstaclesà l’intercoopération résidedans la concurrence qui peutnaître entre des coopératives.La sensibilisation des mem-bres aux retombées poten-tiel les de cette démarchepour les collectivités se ré-vèle donc être une tâcheconsidérable.

«Si on a une centaine de coo-pératives forestières dans unpays, mais qu’elles ne se parlentpas, qu’elles ne se tiennent pasensemble et qu’elles ne se ren-contrent jamais, elles vont com-mercialiser leurs produits de fa-çon isolée et elles vont elles-

mêmes casser leur capacité d’en-trer avec force sur le marché.»

En compagnie d’ErnestoMolina, Louis Favreau a réaliséune recherche sur les activitésde Socodevi. Il cite en exemplel’appui apporté simultanémentaux producteurs de cacao dansquatre pays d’Afrique del’Ouest, soit la Côte d’Ivoire, leCameroun, le Liberia et le Ni-geria. Cette échelle d’interven-tion transnationale a permis destructurer un meilleur rapportde force pour ces coopérativesagricoles. «Ça permet d’obtenirun meilleur poids dans les négo-ciations avec les multinatio-nales qui veulent avoir le cacaopour le transformer en choco-lat», précise-t-il.

Le Nord et le SudDans certains cas, comme

dans la région andine del’Amérique latine, les coopéra-

tives agricoles ou d’artisanatse concer tent en un réseauSud-Sud pour éviter de repro-duire dans le commerce équi-table le lien de dépendanceNord-Sud entretenu dansl’économie traditionnelle.

Reste que Louis Favreau nemet pas de lunettes roseslorsqu’il analyse l’intercoopé-ration Nord-Sud. Il ne doutepas qu’il y aura des débats lorsdu forum auquel il participeraà ce sujet, dans le cadre duSommet des coopératives deQuébec. «Arrêtons de nous ra-conter des histoires comme quoitout le monde s’entend, qu’onsoit du Sud ou du Nord, parcequ’on est toutes des coopérativesavec de belles déclarations deprincipes communs et des va-leurs communes. »

À la suite de ses rechercheset observations de terrain surles par tenariats internatio-

naux, l’un de ses premiersconstats concerne la difficultéd’établir un dialogue intercul-turel. Aussi, il souligne quenos règles du jeu au sujet duprofessionnalisme ne sont pasles mêmes au Burkina Faso,au Québec et au Pérou. Lareddition de comptes n’est pasperçue ou considérée de lamême façon d’un pays à l’au-tre, alors que les organismesde coopération internationalecomme Socodevi et DID ontdes comptes à rendre à leurscoopératives membres ou àl’ACDI. «Un autre point qui estdif ficile, c’est ce que j’appellel’incertaine réciprocité, c’est-à-dire qu’il y a toujours dans lesrappor ts Nord-Sud, même sic’est entre coopératives, desconditions qui sont tacites. » Ilenvisage aussi une sérieuse dis-cussion au sujet de cette idée defédérer le mouvement, qui sus-

cite son lot de craintes. Mais,dans le mouvement coopératif,les débats sont généralementrespectueux et les idées che-minent, remarque Louis Fa-vreau. «Les gens ont une capa-cité d’écoute. Ce qui m’a tou-jours frappé dans le mouve-ment coopératif par rapport àd’autres, c’est que le niveau dedémocratie est très élevé. »

Louis Favreau, lors de saprésentation au Sommet descoopératives, le 10 octobreprochain, signale qu’il confron-tera aussi le mouvement coo-pératif à l’un de ses points fai-bles : sa faible capacité d’entreren relations avec d’autresmouvements, tels que lesmouvements écologiste etsyndical, lorsqu’ils ont des ob-jectifs communs.

CollaborateurLe Devoir

Pour l’intercoopérationLa décentralisation est « la maladie infantile du mouvement coopératif»

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Les coopératives forestières se doivent de se rencontrer afin de mieux commercialiser leurs produits.

CENTRE DE RECHERCHES POUR LE DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL

Le cloisonnement des aires d’abattage et l’assainissement de l’eau potable ont réduit les sources de maladie à Katmandou, au Népal.

«Les gens ont une

capacité d’écoute. Ce qui

m’a toujours frappé dans

le mouvement coopératif

par rapport à d’autres,

c’est que le niveau de

démocratie est très

élevé.»

— Louis Favreau

Page 2: COOPERATIVES - Le Devoir

C O O P É R A T I V E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 6 E T D I M A N C H E 7 O C T O B R E 2 0 1 2H 2

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

L e 11 octobre prochain, Deloitte dévoilera,au Sommet international des coopéra-

tives de Québec, une étude sur la producti-vité, la capitalisation et le financement descoopératives. Un constat sur les enjeux ac-tuels auxquels sont confrontés les acteurs dumouvement coopératif s’en dégagera, mais,surtout, cette étude émettra de nombreusesrecommandations, à l’intention de tous lestypes de coopérative à travers le monde, surles manières de se financer.

Clarence Turgeon, leader de marché au bu-reau de Québec de Deloitte, qui est l’un des asso-ciés ayant par ticipé à l’élaboration de la re-cherche, explique qu’«aujourd’hui le financement

est un élément essentiel de la stratégie d’af fairesdes entreprises. Les coopératives ne font pas excep-tion à ça.» Lors d’une entrevue téléphonique ac-cordée au Devoir, il ajoute que le but de leurétude consiste à «voir de quelle façon on peut don-ner des outils aux coopératives et voir les dif fé-rentes sources de financement auxquelles elles peu-vent avoir recours à des fins concurrentielles».

M. Turgeon évoque le fait que, à ce sujet,l’étude cherchera à inciter les dirigeants à explo-rer de nouvelles approches. «Traditionnellement,les coopératives se finançaient presque tout letemps de la même façon, soit avec des surplus ac-cumulés au fil des ans à travers les activités ou parla capitalisation de l’avoir des membres. Il y ad’autres outils qui s’of frent à elles maintenant etcertaines d’entre elles ont déjà utilisé ces outils.»

En ef fet, certaines coopératives ont modi-fié leurs façons de faire dans ce domaine. « Ils’agit de partager, à travers l’ensemble des coo-pératives, ces sources de financement qui sontassez novatrices. »

Nouvelle dynamiqueCertaines démarches ne tirent pas néces-

sairement leurs origines du mouvement coo-pératif, précise-t-il. Parfois, « la question portesur la façon dont les coopératives peuvent inté-grer ces outils dans leur mode de gestion », avecles contraintes propres à leur modèle.

L’étude se penchera aussi sur les moyenspour les coopératives de « faire face aux en-jeux de la réglementation, qui impose d’avoirplus de capital dans certains cas, pour être ca-

pable de poursuivre leurs activités ». Car cetteétude constitue le premier sondage interna-tional réalisé par Deloitte sur le sujet depuisla crise financière de 2008. Or la dynamiqueéconomique dans laquelle s’inscrivent lescoopératives s’est métamorphosée dans lesdernières années.

Cer taines réglementations plus strictes,instaurées pour éviter de nouveaux déra-pages depuis la crise financière, af fectentpar ricochet les coopératives. « La réglemen-tation est souvent aujourd’hui faite pour desmodèles d’entreprise commerciale standards.Les coopératives, étant des acteurs de l’activitééconomique, lui sont aussi assujetties. »

DELOITTE INFORME

La dynamique économique est devenue autre

VOIR PAGE H 4 : DELOITTE

Page 3: COOPERATIVES - Le Devoir

C O O P É R A T I V E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 6 E T D I M A N C H E 7 O C T O B R E 2 0 1 2 H 3

Développement international Desjardins (DID), une compo-sante du Mouvement Desjardins, est un pionnier et un chef defile de la microfinance à l’échelle mondiale. Sa présence se faitsentir en Afrique comme en Amérique du Sud, voire en Asie,par l’entremise de ses partenaires sur le terrain. Échanges encompagnie de sa présidente-directrice générale, Anne Gaboury.

DÉVELOPPEMENT INTERNATIONALDESJARDINS

Dans les années 1970,c’était le Burkina Faso« Chacune de nos interventions s’adapte au contexte »

PEDRO RUIZ LE DEVOIR

La présidente et chef de la direction du Mouvement Desjardins, Monique Leroux, est l’hôtesse du Sommet international descoopératives, qui s’ouvre le 8 octobre prochain, à Québec.

SOMMET INTERNATIONAL DES COOPÉRATIVES

Ils seront 3000 venus de 85 pays« L’événement permettra un réseautage exceptionnel entre les coopératives »

É M I L I E C O R R I V E A U

É vénement d’envergure,le Sommet international

des coopératives tentera des’inscrire comme le pendantmutualiste du Forum écono-mique mondial, dont la célè-bre réunion annuelle est te-nue chaque année à Davos,en Suisse. Comme celui-ci, ilréunira des responsables po-litiques du monde entier, desdiplomates et consuls, desjour nalistes, des universi -taires, des chercheurs, desreprésentants d’autorités ré-glementaires et d’organisa-tions inter nationales ainsique des dirigeants d’entre-prise, à la dif férence que cesderniers sont issus du milieucoopératif.

« Ce sommet est né de l’idéeque le mouvement coopératifavait besoin de marquer letemps, de marquer sa contri-bution autant sur le plan hu-main qu’économique, par unévénement international ma-jeur. J’ai voulu qu’il soit tenuau Québec, parce que le Qué-bec est un terreau fer tile dumilieu coopératif mondial.J’espère que ce sommet permet-tra au Québec de devenir lecentre de référence dans le do-maine coopératif . C’est unrêve, mais qui n’a pas de rêvene parvient à rien » , confiejoyeusement Mme MoniqueLeroux, présidente et chef dela direction du MouvementDesjardins, présidente duConseil québécois de la coo-pération et de la mutualité ethôtesse du sommet.

Dans cet esprit, 150 confé-renciers provenant d’un peupar tout à travers la planèteprofiteront de la tribune queleur of fre le sommet pours ’exprimer publ iquementcette semaine. Parmi eux,Madeleine K. Albright, se-crétaire d’État des États-Unisde 1997 à 2001, Jacques At-

tali, économiste et écrivain,ainsi que Ricardo Petrella,économiste, pol i tologue et altermondialiste, sont trèsattendus.

« Nous avons invité desconférenciers de tout horizon :industriel, financier, agroali-mentaire, funéraire, forestier,médical, etc. Certains d’entreeux ont beaucoup d’expérience,d’autres sont plus jeunes. Leurstendances sont également dif fé-rentes : cer tains sont plus àgauche, d’autres au centre etd’autres à droite. Nous avonsfait ce choix parce que la coo-pération est un principe quin’est pas d’ordre politique.C’est d’abord une question

d’engagement de l’individu etde force d’association », pré-cise Mme Leroux.

Outre le fait d’inscrire leQuébec comme un leadermondial du mouvement coopé-ratif et mutualiste, le Sommetinternational des coopérativesa pour objectif de créer des al-liances stratégiques de hautniveau autour de questionséconomiques et financièrespropres aux entreprises coo-pératives et mutualistes.

« L’objectif global du som-met, c’est de réunir des parti-cipants de partout à travers lemonde, de grandes, moyenneset petites coopératives, pourpermettre de par tager les ex-périences et les meilleures pra-tiques et pour essayer de trou-ver ensemble des moyens dedévelopper ces entreprises defaçon encore plus for te. Onpense que ça répond bien auxenjeux du temps actuel, à sa-voir une sorte d’écart de com-

préhension entre la réalitééconomique, la réalité finan-cière, la réalité des entrepriseset cel le des personnes » , af -firme Mme Leroux.

Le sommet a aussi pour ob-jectif de renforcer le réseaudes coopératives et des mu-tuelles du monde, afin decréer une sphère d’influencedans l’ensemble des milieuxéconomique et politique.

« L’événement permettra unréseautage exceptionnel entreles coopératives, indiqueMme Leroux. Pour être plusinfluentes, elles doivent envi-sager de faire plus de partena-riats et plus d’af faires ensem-ble. Toutes sor tes d’activitésont été pensées et créées pourfavoriser ces alliances. »

Le sommet sera égalementl’occasion de dévoiler les ré-sultats de neuf études multi-sectorielles inédites qu’ontmenées des firmes d’enver-gure internationale comme

McKinsey & Com-pany ou Deloitte.Por tant sur lesgrandes tendancesmondiales et les en-jeux qu’elles posentaux coopératives etaux mutuelles, surles stratégies de dé-

veloppement du modèle coo-pératif et mutualiste, sur lesmeilleures pratiques selon lesprincipaux processus organi-sationnels, sur la productivité,le financement et la capitalisa-tion des coopératives ainsique sur l’impact économiqueet social des coopérativesdans leur milieu, ces étudespermettront aux participantsd’approfondir leurs connais-sances et de mieux position-ner leurs actions.

« Il y a très peu d’études quiont été rendues publiques sur lemouvement coopératif, sou-ligne Mme Leroux. Ces études-là vont nous permettre de par-tager des observations, des ap-prentissages, des expériences.Elles deviendront par la suitedes références pour les entre-prises en croissance. »

La présidente du Mouve-ment Desjardins ajoute que lesommet a aussi pour objectifd’intéresser davantage les

médias aux enjeux du modèlecoopératif et mutualiste. « Aufond, quand on regarde lemouvement coopératif mon-dial, c’est un monde qui n’estpas toujours très visible, plutôthumble, qui ne fait pas tou-jours les manchettes et sur le-quel on dispose de peu d’infor-mations en matière de gestionde l ’entreprise coopérative,note-t-elle. […] On souhaitevraiment que le sommet réus-sisse à intéresser les médiaspour que la population soitplus au fait des retombées dumodèle coopératif et qu’elle sesente plus interpellée. »

Déclaration de principesAu terme de l’événement,

lors de la cérémonie de clô-ture du sommet, une déclara-tion commune sera présen-tée. Elle aura pour but de fa-voriser l’émergence de solu-tions novatrices pour releverles défis économiques et fi-nanciers actuels et d’accen-tuer la reconnaissance de laforce du mouvement coopéra-tif à l’échelle mondiale.

« Cette déclaration sera por-tée par l’Association internatio-nale des coopératives jusqu’àl’Organisation des nationsunies pour nous permettre desoutenir et de véhiculer sur unplan officiel la contribution descoopératives à travers lemonde», dit Mme Leroux.

Si le sommet s’avère aussiporteur que l’espèrent ses or-ganisateurs, une seconde édi-tion de l’événement pourraitêtre annoncée lors de la céré-monie de clôture le 11 octo-bre prochain. « Ça dépendrade la participation, de l’émo-tion et de l ’engagement desgens au courant de lasemaine , confirme Mm e Le-roux. Si nous décidons d’orga-niser un second sommet, celafera par tie de la déclarationcommune. »

Pour en savoir davantagesur le Sommet internationaldes coopératives ou consulterla programmation détaillée del’événement : www.sommetin-ter2012.coop.

CollaboratriceLe Devoir

Le mouvement coopératif a besoinde marquer sa contribution, autantsur le plan humain qu’économique,affirme Monique Leroux

Du 8 au 11 octobre prochain, le Centre des congrès de Qué-bec accueillera la première édition du Sommet internationaldes coopératives. Tenu sous le thème « L’étonnant pouvoirdes coopératives», l’événement réunira près de 3000 partici-pants et conférenciers provenant de 85 pays.

T H I E R R Y H A R O U N

E n ouverture, quelle est lamission et quelles sont les

valeurs de DID? «Notre finalitéet notre expertise se retrouventdans le développement de l’accèsaux services financiers dans lespays en développement, ce qu’onappelle aujourd’hui la financeinclusive, soit de faire en sorteque l’ensemble des populationsaient un accès à des services fi-nanciers formels qui soient ré-glementés et supervisés », sou-ligne Anne Gaboury.

Une approche, précise lagrande patronne de DID, quis’inscrit dans une démarche« d’intercoopération et de par-tages d’expertises stratégiques etpertinentes, en collégialité avecles acteurs du Sud, pour qu’ilspuissent développer leurs pro-pres institutions financières ».Certes, mais est-ce que toutcela a porté fruit ? « Écoutez,on travaille tous les jours à ten-ter de réussir quelque chose deconcret. Et aujourd’hui nousavons des partenaires dans lecadre d’un réseau coopératifqui ont profité de l’appui duMouvement Desjardins. »

InterventionsEn effet, les chiffres parlent

d’eux-mêmes. DID et ses di-zaines de partenaires, parmilesquels on retrouve l’Agencecanadienne de développementinternational, la Banque afri-caine de développement, laBanque interaméricaine de dé-veloppement et l’Organisationinternationale du travail, sontprésents dans une vingtainede pays. Une présence inter-nationale qui touche 8,8 mil-lions de familles par l’entre-mise de 2514 points de ser-vices. Les actions de DID etses par tenaires ont, avec letemps, engendré des actifs de3,1 milliards de dollars, un vo-lume d’épargne de 2,41 mil-liards de dollars et un volumede prêts de 2,46 milliards dedollars. Le crédit moyen offertest de 507$.

On notera aussi au passageque Développement interna-tional Desjardins, basé à Lévis,peut compter sur une équipede plus de cent employés,dont une trentaine sont postésà l’étranger (Sénégal, Tanza-nie, Bénin et Haïti, entre au-tres). Cela dit, le défi de DID,fondé en 1970, est de mettre àla disposition de ses par te-naires sur le terrain une ex-pertise de pointe qui couvretoutes les dimensions asso-ciées à la microfinance. À ce ti-tre, DID s’appuie sur quatreaxes d’intervention : structu-rer l’industrie, protégerl’épargne des déposants, pro-fessionnaliser et pérenniserles institutions et élargir laportée des services financiers.

Un vaste réseauL’action principale de DID

repose sur la mise sur pied deréseaux de coopérativesd’épargne et de crédit, et ce,dès ses débuts, raconte AnneGaboury. «Nos premières inter-ventions ont été faites dans lesannées 1970 au Burkina Faso.On est allé dans les collectivitéspour rencontrer les gens en leurdemandant s’ils étaient prêts à

se donner une caisse populaire.Il fallait donc leur expliquer cequ’était une caisse populaire, ilfallait trouver les leaders de lacollectivité, puis convaincre lesgens de mettre leur épargnedans cette institution finan-cière. Et, par la suite, accorderdes prêts à la collectivité. » Etaujourd’hui, ajoute Mme Ga-boury, « il y a au Burkina Fasoun grand réseau, appelé le Ré-seau des caisses populaires duBurkina, qui desser t plus de1,6 million d’individus mem-bres [sur une population activede cinq millions de per-sonnes]. C’est un réseau qui estpar ailleurs entièrement auto-suf fisant et qui est possédé etgéré par les Burkinabés. »

Or l’apport de DID à ce ré-seau prend aujourd’hui uneautre forme. « Aujourd’hui, onles appuie en mettant sur piedun centre financier pour les en-treprises » , fait remarquerMme Gaboury.

La contribution de DID peuts’exprimer d’une autre ma-nière. À titre d’exemple, il y ala mise sur pied d’un régimed’assurance agricole indexé auSri Lanka, qui a reçu l’appui fi-nancier du Fonds pour l’inno-vation en microassurance duBureau international du tra-vail. Ce projet vise à offrir et àrendre accessible aux fermierssri-lankais un produit novateuren assurance agricole qui per-met la mitigation des risquesassociés aux conditions météo-rologiques défavorables. À ma-turité, cette initiative pourraitvenir en aide à près de 60 000fermiers. « Notre premierchamp d’intérêt, rappelleMme Gaboury, est l’épargne et lecrédit. Mais les besoins sontélargis, on travaille aussi à dé-velopper des produits d’assu-rance et cela montre bien quechacune de nos interventionss’adapte au contexte.»

Si le déploiement des ac-tions et des services conduitspar DID et ses partenaires àl’échelle planétaire semblebien se porter, il existe toute-fois une embûche qui est ré-currente, admet Anne Ga-bour y. « En fait, les coopéra-tives font encore face à des pré-jugés. Les gens ont la percep-tion que le modèle coopératif estun vieux modèle, alors que, aucontraire, c’est un modèle quiest contemporain et pertinent.C’est un modèle d’affaires et dedéveloppement. »

CollaborateurLe Devoir

DID

Anne Gaboury est la prési-dente-directrice générale deDID.

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C O O P É R A T I V E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 6 E T D I M A N C H E 7 O C T O B R E 2 0 1 2H 4

Les accords de Bâle III, par exemple, exigentune hausse du ratio de fonds propres dans les éta-blissements financiers, afin d’éviter une nouvellecrise des liquidités. Les coopératives financièresdoivent donc se rapprocher des mêmes normespour ne pas être décotées par les agences de nota-tion. Les mutuelles d’assurance doivent ellesaussi, dans la même logique, respecter le plus pos-sible les normes de Solvabilité II, régissant le mini-mum de fonds propres chez les assureurs.

L’étude mettra aussi en lumière les stratégiesde certaines coopératives pour af fronter les«nouveaux enjeux de compétitivité dans l’activitééconomique. Elles aussi, elles font face à des

questions de coût, comme toutes les entreprisescommerciales standards», ajoute M. Turgeon.

Ce dernier croit que cette étude pourrait de-venir un document de référence pour les diri-geants de coopérative. « Ils ont toujours essayéd’être de bons citoyens corporatifs, d’aborder tousles enjeux qui touchent toutes les par ties pre-nantes gravitant autour des coopératives, que cesoient les clients, les membres, etc. C’est un élé-ment de réflexion de plus pour assurer la péren-nité des coopératives dans le futur.»

CollaborateurLe Devoir

SUITE DE LA PAGE H 2

DELOITTE

C L A U D E L A F L E U R

A u cours des prochaines an-nées, des milliers d’entre-

preneurs et de propriétaires depetites et moyennes entreprises(PME) prendront leur retraite.Selon certaines études, ce sontplus de 25000 PME québécoisesqui feront ainsi face au défi detrouver la relève nécessaire pourassurer leur pérennité.

Le mouvement coopératifpropose une solution originale:transformer certaines PME ensociétés de coopération selondes formules taillées sur me-sure. Cer taines entreprisespourraient donc être rachetéespar leurs travailleurs, d’autresdirigées par un conseil d’admi-nistration formé de travailleurs,du propriétaire retraité et d’in-vestisseurs externes, ou re-prises par la collectivité ou se-lon toute autre formule de coo-pération appropriée.

Cependant, le problème ma-jeur qui se pose dans bien descas, ce sont les fonds néces-saires pour racheter l’entre-prise et la gérer.

Sous l’égide du Conseil québé-cois de la coopération et de lamutualité (CQCM), le gouverne-ment du Québec, de concertavec trois partenaires coopéra-tifs, vient de créer un fonds de30 millions de dollars destiné àfavoriser la coopération un peupartout à travers le Québec etdans différents secteurs d’acti-vité. « Selon des études, environla moitié des 25 000 entre-prises qui changeront de mainsau cours des prochaines an-nées ne trouveront pas néces-sairement preneur, rappor teGaston Bédard, directeur gé-néral par intérim du Conseilquébécois de la coopérationet de la mutualité. Pour éviterde perdre ces entreprises et lesemplois qui s’y rattachent, leFonds va nous permettre desoutenir une forme d’entreprisepeu connue qu’est la coopéra-

tive de travailleurs-action-naires où des employés devien-nent actionnaires de leur en-treprise avec un ou des parte-naires privés. »

«Et ce n’est pas seulement del’argent qu’on met, mais de l’ex-pertise et du soutien, le soutien denos partenaires et du Conseil»,ajoute Marcel Arteau, conseillerprincipal au CQCM, qui pilote lamise en œuvre du Fonds.

C’est ainsi que, en mars der-nier, le gouvernement a annoncéla création du Fonds de co-inves-tissement COOP. Ce fonds meten commun les ressources finan-cières de différents partenaires,dont le gouvernement, Capitalrégional et coopératif Desjar-dins, la Banque de développe-ment du Canada et le réseau desSociétés d’aide au développe-ment des collectivités qui s’asso-cient au CQCM, un regroupe-ment qui compte 3300 coopéra-tives générant 92000 emplois.

Dès 2013Le Fonds de co-investisse-

ment COOP vise à soutenir ledémarrage d’entreprises «afinde permettre à des employés, quisont souvent à l’origine du déve-loppement de celles-ci, de les ac-quérir en mode coopératif et enassociation avec d’autres parte-naires», précise Gaston Bédard.

Pour le moment, le Fondsest en construction. Il devraitêtre opérationnel au début de2013. Gaston Bédard insistesur le fait que le but du Fondsest de répondre aux besoinsdécoulant de la sous-capitali-sation dont souf frent bonnombre de coopératives.« Depuis des années, les coopé-ratives sont confrontées à ceproblème. Et, de par notre na-ture, on ne peut se capitalisersur les marchés boursiers. LeFonds répondra donc à ce pro-blème de sous-capitalisation. »

CollaborateurLe Devoir

COOPÉRATION ET MUTUALITÉ

À la rescousse des PMEDÉVELOPPEMENT RÉGIONAL

Et naissent des coops de solidarité

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

I l y a des coopératives d’épar-gne et de crédit, d’agriculture,

de foresterie, d’alimentation,d’art, d’assurance, des coopsd’enseignement, de loisir, deservices à domicile et de ser-vices aux consommateurs, deservices de garde à l’enfance etmême des coopératives funé-raires. Les coopératives de déve-loppement régional (CDR),quant à elles, représentent l’outilessentiel qui permet à toutes lesautres d’exister.

La première CDR voit le jouren Outaouais en 1973 et cellesde l’Estrie, de Québec-Appa-laches et du Saguenay–Lac-Saint-Jean entre 1984 et 1985.Dès 1980, le projet se met enbranle, et c’est en 1983 qu’unesubvention de 15000$ est accor-dée pour le démarrage. Depuiscette époque et jusqu’à au-jourd’hui, la CDR Estrie a tou-jours réussi à être reconnue parle gouvernement du Québeccomme l’interlocuteur privilégiépour le développement coopéra-tif de la région. Cette reconnais-sance a permis à la CDR Estried’obtenir un financement etainsi de remplir ses mandats deregrouper, d’accompagner et desoutenir les coopératives et d’enfaire la promotion. Aujourd’hui,le réseau se compose de 11CDR et couvre l’ensemble duterritoire québécois.

«Au départ, il y a eu la grandepériode des coops de consomma-teurs, dont les caisses populaires.Aujourd’hui, on est plus dans lescoops de solidarité qui sont dansdes secteurs émergents, comme lesmarchés publics, les sources

d’énergie renouvelables et notam-ment la biomasse, et les coops fo-restières sont très présentes dansce secteur. On voit aussi beau-coup apparaître des coops desanté et de travail qui offrent desservices. Ce sont les jeunes quichoisissent cette formule», pré-cise Janvier Cliche.

Ces coops de services dansle domaine de la santé sontnombreuses en Estrie. Et c’estici qu’on retrouve la premièrecoop de services à domicile. Ilexiste aussi une coop de réhabi-litation de personnes avec desmultidépendances. De soncôté, la coop Santé active seconcentre sur les services of-ferts aux aînés pour se remet-tre en bonne forme. Elle re-groupe des spécialistes en kiné-sithérapie et signe des ententesavec des résidences pour per-sonnes âgées.

Des milliers d’emploisViennent ensuite les coops de

services de proximité: «Avec ladévitalisation de plusieurs mi-lieux ruraux, beaucoup de coopsde solidarité voient le jour. Onparle de Saint-Romain, qui a re-pris la gestion d’un dépanneur etd’une station-service qui avaientcomplètement disparu. Il y aaussi Saint-Étienne-de-Bolton,où on a ouvert un café-rencontrequi fait partie du réseau des Ca-fés de village des Cantons-de-l’Est», explique le président dela CDR de l’Estrie.

L’Estrie représente 4% du terri-toire québécois avec à peine300000 habitants, ce qui en fait laplus petite des régions. C’estpourtant ici qu’on compte plus de170 coopératives. «De 2002 à

2011, donc au cours des 10 der-nières années, il s’est créé 117nouvelles coopératives. Parmicelles-ci, on en voit une cinquan-taine à Sherbrooke et toutes les au-tres sont réparties sur l’ensembledu territoire», dit Janvier Cliche.Pour la région, les coopérativesreprésentent 2269 emplois, etc’est sans compter les coopéra-tives financières dont font partieles Caisses Desjardins, qui em-bauchent plus de 1800 per-sonnes. Ce sont donc plus de4000 emplois qui garantissent uncertain poids à la région.

«L’engouement qu’on connaîtdepuis les cinq dernières années,avec 15 nouvelles coops par an-née, s’explique par le bouche-à-oreille qui s’opère grâce aux coopsexistantes et aussi grâce à ungala coopératif tous les deuxans», renchérit M. Cliche. Ainsi,la coopérative funéraire et lescoops d’habitation de l’Estriesont très présentes sur le terri-toire et font leur propre commu-nication. La Coop fédérée, avecses magasins Unimat, est trèsactive sur la scène régionale. EtM. Cliche nous dit en riant :«Sur le territoire, la présence coo-pérative, ça s’affiche!»

Si le type de gestion démo-cratique induit par le mode

coopératif plaît aux jeunes,c’est avant tout parce qu’ils enentendent beaucoup parler enEstrie par l’entremise de l’Insti-tut de recherche et d’éducationpour les coopératives et les mu-tuelles de l’Université de Sher-brooke (IRECUS) : « C’est leprécurseur dans le domaine.C’est l’IRECUS qui a permis auréseau de se développer. Ici, lesemployés y ont étudié, ainsi quele maire de Sherbrooke. C’est unfacteur incontournable.»

On retrouvera Janvier Clicheà Québec en octobre, lors duForum des régions, dans le ca-dre du Sommet internationaldes coopératives. Qu’est-cequ’on peut attendre de tels évé-nements? «Ma perception, c’estque, dans le mouvement coopéra-tif, nous sommes à un tournant.Les études le démontrent ; là oùles économies ont le mieux résistédans les crises qu’on vient de tra-verser, c’est là où il y avait uneplus grande diversité des typesd’entreprise présents sur le terri-toire. Le Québec ne fait pas ex-ception, il a bien résisté à la crisede 2008 et un des facteurs, c’estla présence des coopératives.»

CollaboratriceLe Devoir

La forme d’af filiation coopérative est de plus en plus popu-laire dans de nombreux domaines. Dans toutes les régions duQuébec, les coopératives de développement régional sont pré-sentes et celle de l’Estrie est particulièrement active. Son pré-sident, Janvier Cliche, nous explique pourquoi.

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

L’Estrie compte plus de 170 coopératives.

Page 5: COOPERATIVES - Le Devoir

C O O P É R A T I V E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 6 E T D I M A N C H E 7 O C T O B R E 2 0 1 2 H 5

VERS UNE ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE

Répondre aux besoins réels des populations« Le mouvement coopératif est quand même présent partout dans le monde »

R É G I N A L D H A R V E Y

S yndicaliste de car rière,Gérald Larose est au-

jourd’hui président de laCaisse d’économie solidaireDesjardins ; il se pose en ar-dent défenseur de l ’émer-gence d’une meilleure façond’aborder et de conduire lesactivités économiques dansune perspective plus humainede développement durable. Àla veille du Sommet de Qué-bec, il situe l’action coopéra-tive dans le cadre de l’ESS :« Il faut rappeler que le mou-vement coopératif est né surdes bases totalement dif fé-rentes de celles du secteur ca-pitaliste, qui s’est développé encomplète contradiction, sur leplan des valeurs, avec lemonde de la coopération. »

Il en situe le fondement :« Ce qui est à la base de ce der-nier, ce sont les finalités so-ciales ; on veut répondre auxbesoins des personnes et descollectivités dans les domainesalimentaires, de la productionagricole, de même que dans lessecteurs de la santé, de l’édu-cation et des arts. D’un autrecôté, la logique capitaliste pré-texte la réponse à ces besoins-là, mais son objectif, c’est larémunération du capital, pourlaquelle il n’y a pas de limite.En mode coopératif , on estdonc dans une logique de fina-

lité sociale, de coopération, desolidarité, voire d’apprentis-sage de la vie démocratique etcitoyenne. Ce monde prend encompte la réalité humaine nonseulement dans ce qu’elle estcomme producteur ou consom-mateur, mais aussi dans cequ’elle est dans les échangesentre les personnes ; il y a làtoute la dimension du lien so-cial que le capitalisme détruitsystématiquement au profit dela marchandisation. »

Retour de balancierExiste-t - i l présentement

une sorte de recentrage versles objecti fs de base de lapar t des géants coopératifs,dont les activités apparais-sent davantage mercantilesdans le tourbillon d’un néoli-béralisme tentaculaire ? « Ilest for t intéressant de consta-ter qu’il y a une ef fervescencede base dans le mouvementcoopératif ou associatif, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup denouvelles initiatives et qu’il ya des recompositions de struc-tures. On assiste à un nouvelessor et je pense que celui-cicorrespond à la destructionque l ’économie dominanteproduit sur les collectivités ;les gens se rendent biencompte qu’on ne peut conti-nuer de cette manière sansmettre en péril la planète elleaussi. On évolue dans un uni-

vers de croissance continuequi a des limites physiques,écologiques et sociales ; quandles gens les voient apparaître,ils retournent vers les prin-cipes fondamentaux du vivre-ensemble, qui est de produirepour satisfaire les besoins despersonnes et non de les tuer enempoisonnant leur existence. »

« On est en train de vivre unchangement de paradigme »,constate Gérald Larose, aumoment où il est questiond’une transition écologiquede l’économie. Il se montrephilosophe : « L’homme domi-nait le monde, en ce sens quela planète regorgeait de res-sources inépuisables et qu’onpouvait produire autant qu’onle voulait ; bref, on se trouvaitdans une posture de domina-tion. Dans le cadre des excès

produits et des limites at-teintes, on est maintenant entrain de changer de posturepour découvrir que l’hommen’est pas seulement au-dessusde tout cela, mais qu’il est aucœur de tout cela, alors quec’est la vie elle-même qui estmise en péril. »

Il mesure les conséquencesd’une telle prise deconscience : «On en est venu àrepenser les finalités de toutesnos activités de production, deconsommation, de représenta-tion artistique, etc. On est éga-lement en train de revoir les rè-gles de l’économie en se disantque, lorsqu’on produit, il nefaut pas hypothéquer la res-source à partir de laquelle onle fait ; c’est ce qu’on appelle ledéveloppement durable, maisc’est encore plus que cela : on

révise les liens sociaux de l’éco-nomie en revenant à une pro-duction et à une consommationde proximité au moyen d’uneapproche communautaire, so-ciale et solidaire. Je crois quece changement va déboulerplus rapidement qu’on le pense,parce que le capitalisme est en-tré en contraction importante ;la crise de l’euro ne sera pas ré-glée la semaine prochaine, nidans deux ans ; elle est perma-nente et il en existera de sem-blables par tout, parce que lesystème lui-même ne résisteplus, n’est plus capable de por-ter la croissance continue. »

Ancrage public et politique

Pour l’heure, l’économie so-ciale et solidaire occupe en-core une place timide dansl’espace public. Comment arri-ver à l’inscrire et l’enracinerdans le vécu politique ? Laquestion préoccupe Gérald La-rose depuis un moment déjà etil apporte cet éclairage : «À cetégard, on a des problèmes, maisle mouvement coopératif estquand même présent par toutdans le monde ; il occupe desgrandes por tions de l’activitééconomique tout en étant pro-fondément “ sectorialisé ” et peufédéré ; il est surtout éclaté surle plan de la pensée et de la pra-tique politique. »

Il s’explique plus à fond :« On ne dispose pas d’un corpsdoctrinal constitué et renouveléqui nous fournirait une théoriede référence, laquelle pourraitservir à tous les secteurs d’inter-vention en même temps. Parcontre, les secteurs de la coopé-ration s’avèrent performants ; ilsn’ont rien à envier au capita-

lisme sur le plan de la qualité etdes coûts de la production,même qu’ils sont plus solides quelui. La crise de 2008 en fournitla preuve: un rapport de l’ONUconfirme que le coopératif a ré-sisté beaucoup mieux que le tra-ditionnel à ce moment.»

Il y a pourtant un défi à rele-ver dans un autre domaine :« Là où on est archifaibles, cequi laisse la belle place aux au-tres, c’est parce qu’on n’a pas unrapport de force théorique et pu-blic pour forcer la transforma-tion du modèle dominant ; onréussit à grignoter des gains àgauche et à droite, mais on nefait que grignoter ; alors que lesenjeux sont planétaires et qu’ilstouchent le mieux-être de mil-liards de personnes, on ne réus-sit pas à s’imposer comme solu-tion de rechange.»

Il comprend la raison pour la-quelle il en est ainsi : «On faitdes petits pas, comme à Rio+ 20, où on est allés. On noustrouve très intéressants, mais onn’a pas encore un rappor t deforce politique, ce qui est proba-blement dû au fait qu’on n’a pasfait l’unité de la pensée, on n’apas, je le répète, un corps doctri-nal qui nous servirait à être laréférence pour tous les secteursde la coopération à travers lemonde, de sorte qu’il nous soitpossible de dire : le modèle domi-nant s’en va chez le diable et iln’y a pas 56 manières de recen-trer l’économie pour qu’elle ré-ponde aux besoins des popula-tions. On peut y arriver par lacoopération, sous la forme juri-dique, on peut y parvenir parl’économie sociale et solidaire.»

CollaborateurLe Devoir

Une nouvelle forme d’économie dite sociale et solidaire (ESS) apris racine dans diverses sphères d’activité un peu partout surla planète. Elle partage des valeurs avec les organisations coo-pératives, prend en compte les exigences de la prise deconscience écologique actuelle et incite à faire des choix essen-tiels en matière de croissance et de décroissance.

CHRISTOPHE SIMON AGENCE FRANCE-PRESSE

L’économie sociale et solidaire québécoise s’était donné rendez-vous à Rio + 20, au Brésil, en juin dernier.

Page 6: COOPERATIVES - Le Devoir

C O O P É R A T I V E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 6 E T D I M A N C H E 7 O C T O B R E 2 0 1 2H 6

A S S I A K E T T A N I

M û par des principes desolidarité, le mouvement

coopératif est fondamentale-ment lié au combat pour le dé-veloppement durable, puisquenombre de coopératives dé-pendent directement de laterre pour leur survie, notam-ment celles qui sont activesdans le monde rural. Repré-sentant les coopératives de-puis près de 120 ans, l’Alliancecoopérative internationale(ACI) se dirige vers une posi-tion de plus en plus for te enmatière de développement du-rable, affirmant en grand l’im-pératif écologique, le plein en-gagement du mouvement coo-pératif et le rôle de fer delance joué par les coopérativesdu monde entier.

Le développement durablen’est pas une chose nouvelle àl’ACI. Cette alliance cente-naire, qui porte depuis 1895 lavoix du mouvement coopéra-tif, a déjà modifié, il y a 17 ans,lors d’une assemblée tenue àManchester, la liste des sixprincipes fondateurs qui défi-nissent sa vision et son action.Son septième principe, ajoutéà cette occasion, affirme en ef-fet l’engagement des coopéra-tives envers la collectivité et seformule comme suit : «Les coo-pératives contribuent au déve-loppement durable de leur com-munauté dans le cadre d’orien-tations approuvées par leursmembres. » Un principe quiguide l’ACI à l’échelle mon-diale à travers ses quatre an-tennes régionales : Amérique,Asie, Europe et Afrique.

Alors que le développementdurable apparaît comme une

nécessité de plus en plus ur-gente à l’échelle planétaire,l’ACI n’a pas manqué de réaf-firmer le rôle primordial descoopératives dans ce combat :lors de son congrès tenu en2009 à Genève, l’ACI a mar-qué un pas majeur avec unerésolution for te qui met enavant l’impératif d’un dévelop-pement durable et solidairedes collectivités. En 2011, àCancún, un nouveau pas futproposé par l’ACI Amériques :il s’agissait d’amender sonseptième principe en préci-sant l’action des coopérativesdans la « promotion d’une ges-tion responsable des ressources

naturelles pour garantir l’équi-libre écologique et le bien-êtrehumain ».

Réjean Lantagne, le repré-sentant canadien à l ’ACI-Amériques et le président deSocodevi, a défendu cetamendement en revendi-quant la volonté de « renforcerl’aspect écologique, avec Rio+ 20 qui allait avoir lieu » etde « por ter un engagementfort ». Cet amendement auraiten ef fet insisté sur le voletécologique de la notion de dé-veloppement durable, qui re-groupe par ail leurs égale-ment des considérations éco-nomiques et sociales.

Cette proposition d’amende-ment s’est pourtant heurtée àune division au sein de l’ACI :

défendue par les intervenantsdes Amériques et du Japon,elle a reçu un accueil plus froidde la part d’autres membres del’organisation. Renvoyée entreles mains du conseil d’adminis-tration, elle sera de nouveaudébattue lors de l’assembléegénérale qui aura lieu à Man-chester à la fin du mois d’octo-bre. Les réticences portaientsur deux aspects : première-ment, sur le fait que le sep-tième principe coopératif cou-vrait déjà les préoccupationsécologiques, même si c’était àtravers la notion plus large dedéveloppement durable, etdeuxièmement, sur les modali-

tés de modification dela liste de principes.

C’est pourtant loinde signifier que l’ACIne veut pas aller del’avant, rassure Ré-jean Lantagne. Lesouci écologique del’organisme est tou-

jours au premier plan et les rai-sons de cet échec relatif relè-vent plutôt de la procédure.« Le débat sur le contenu a étéunanime: tous les membres ontaffirmé l’importance et la prio-rité d’être proactifs en matièred’environnement. Cela fait par-tie de nos valeurs.»

Et, en matière de politiquesécologiques, le mouvementcoopératif est en pleine ébulli-tion. « Il y a cinq ans, on neparlait presque pas de politiqueécologique. Aujourd’hui, nousavançons bien : nous avons desprincipes, des politiques et desstratégies. Désormais, toutesles coopératives intègrent cespréoccupations à leurs plansd’action. La diminution desgaz à ef fet de serre, par exem-

ple, est devenue un leitmotivpour tout le monde. Les coopé-ratives rappellent que c’est possible de concilier économieet environnement. »

L’ACI Amériques, qui relie lemilieu coopératif du Canada auChili, fait d’ailleurs figure debon élève en la matière. «Nousavons adopté une politique écolo-gique en mai 2012, lors de notreassemblée générale à Panama,précise Réjean Lantagne. À côtéde cela, nous avons égalementbeaucoup de sous-politiques,comme l’ACI verte, visant à pro-mouvoir la protection de l’envi-ronnement. Beaucoup de coopé-ratives au Québec et au Canadaont mis en place des politiquesécologiques.»

Grâce à sa portée internatio-nale, l’ACI peut jouer un rôlemoteur au sein d’un mondecoopératif qui compte quelque750 000 organismes œuvrantdans des domaines aussi variésque la foresterie ou l’agroali-mentaire, le textile ou la santé.

Malgré son rôle de fer delance dans un combat dont dé-pend l’avenir de la planète, lemouvement coopératif mérite-rait, estime Réjean Lantagne,d’être mieux connu du grandpublic. « Nous gagnons à fairela promotion de ces actions quisont souvent méconnues, mêmesi elles sont positives. »

Un défi auquel l’ACI prometde s’attaquer lors de sa pro-chaine assemblée à Manches-ter, où l’avenir de ces entre-prises coopératives qui fontpreuve d’autant d’innovationque de conscience sera aucœur des débats.

CollaboratriceLe Devoir

ALLIANCE COOPÉRATIVE INTERNATIONALE

Il faut être « proactif »

Une coopérative d’épargne etde crédit a été créée en Gui-née grâce au soutien du pro-gramme Uniterra, créé par leCentre d’étude et de coopéra-tion internationale (CECI) etl’Entraide universitaire mon-diale du Canada (EUMC).

M A R T I N E L E T A R T E

A uparavant, il était pratique-ment impossible pour un

pêcheur artisan guinéen d’obte-nir du crédit pour acheter unmoteur pour son embarcation.C’est un investissement impor-tant pour de tels travailleurs àrevenu modeste. Aujourd’hui, lepêcheur peut se tourner vers laMutuelle d’épargne et de créditdes pêcheurs artisans de Gui-née (MECREPAG) pour obtenirun prêt. «Il y avait des caisses decrédit auparavant, mais les tauxd’intérêt étaient beaucoup tropélevés pour que le financementsoit accessible aux pêcheurs», in-dique d’emblée Dian Diallo, di-recteur pays du CECI et coor-donnateur pays du programmeUniterra, en Guinée.

L’Union nationale des pê-cheurs artisans de Guinée, par-tenaire d’Uniterra, a manifestéen 2004 le besoin criant que sestravailleurs aient accès à un mi-crofinancement de proximité àdes taux abordables. La déci-sion de créer une coopératives’est donc prise rapidement.«C’est leur mutuelle, indique M.Diallo. Les pêcheurs peuventépargner et octroyer du crédit. Cen’est pas comme une banque quivient imposer ses règlements.»

«Les pêcheurs sont donc nonseulement des usagers de la mu-tuelle, mais ils participent égale-ment à toutes les décisions quisont prises», affirme FatoumataBarry, directrice générale de laMECREPAG, qui a accordé unentretien téléphonique au De-voir à partir de la Guinée.

On parle de pêcheurs ici,mais, en réalité, on fait réfé-rence à tous les travailleurs dusecteur, qui sont en grandemajorité des femmes. «À partpêcher en mer, ce sont lesfemmes qui font toutes les au-tres activités liées à la pêche,précise Mme Barry. Elles repré-sentent 75% de nos 2200 mem-bres. On privilégie donc lesfemmes pour le crédit. Elles for-ment des groupes de trois à cinqfemmes pour obtenir des fonds

de roulement pour des activitésde transformation du poisson. »

Les prêts pour l’achat d’unmoteur sont aussi une part im-portante des activités de la ME-CREPAG. «Le taux de motorisa-tion est seulement de 29%, in-dique Fatoumata Barr y. Onprête au pêcheur les 2/3 du prixdu moteur, mais le moteur ap-partient à la mutuelle jusqu’auremboursement final du prêt.Avant de prêter, on regarde tou-jours, bien sûr, la capacité de lapersonne à rembourser.»

La MECREPAG accordeégalement du crédit pourl’achat d’autres types d’équipe-ment, comme des filets. Il estaussi possible d’obtenir desfonds de roulement pour lesdifférents corps de métier ac-tifs dans le domaine de lapêche artisanale : menuisiers,mécaniciens de moteurs, etc.

Un contexte de pauvretéIl aura fallu trois ans pour faire

des études de faisabilité et desdémarches juridiques et rendrela coopérative fonctionnelle àConakry, la capitale du pays. En-suite, on a dû habituer les pê-cheurs à l’épargne. «Auparavant,les pêcheurs gagnaient de l’argentet le dépensaient le jour même, ra-conte Mme Barry. La caisse main-tenant ouverte dans le port encou-rage l’épargne. Une fois leur jour-née de travail terminée, ils peu-vent tout de suite déposer leur ar-gent pour qu’il soit en sécurité.L’épargne a aussi l’avantage de

pouvoir être bénéfique à un autrepêcheur qui a besoin de crédit. Parcontre, les coopératives sont mé-connues en Guinée. Nous donnonsdonc des formations aux membressur leur fonctionnement.»

« Chaque fois qu’on accordeun crédit à un membre, indiquela directrice générale, on meten place un système d’épargneobligatoire équivalant à 10% ducapital à rembourser. Lorsque lemembre a terminé de rembour-ser son prêt, il peut récupérerson montant épargné. L’avan-tage de l’épargne obligatoire estqu’elle assure des fonds à la coopérative. »

Après Conakry, la MECRE-PAG a ouver t cinq autrescaisses dans d’autres por ts.« Le défi maintenant est deconsolider le réseau. Nous sou-haitons améliorer l’ef ficacité dela gestion de chacune des sixcaisses », affirme M. Diallo. Et,« pour chaque caisse, nous de-vons avoir un bon contrôle in-terne et une bonne gouver-nance », af firme Mme Barr y,qui viendra au Canada en no-vembre pour visiter différentsétablissements de microfi-nance et participer aux Jour-nées québécoises de la solida-rité internationale.

De plus, Uniterra enverra unvolontaire canadien à Conakryen novembre pour consolider leréseau des caisses. «Il rejoindraun autre volontaire national bienexpérimenté dans le microcrédit,qui est là six mois pour aider la

mutuelle à améliorer ses poli-tiques de gestion des ressourceshumaines et financières », in-dique Dian Diallo.

Le volontaire canadien ren-contrera toutefois sur son che-min la barrière de la langue.« Mme Barry a recruté des genslocaux pour travailler dans lescaisses, donc, c’est bien, parcequ’ils parlent le soussou, lamême langue que les pêcheurs,indique M. Diallo. Par contre,il y aura un défi de communi-cation entre eux et le volontairecanadien. »

Il a toutefois bon espoirque la MECREPAG conti -nuera à progresser. « Le projetest devenu un vrai succès, af-firme-t-il. Maintenant, la ME-CREPAG réussit à aller cher-cher de nouveaux partenairesfinanciers. Elle reçoit desfonds du ministère de la Pêcheet aussi de l’ONG européennePlan international. »

Fatoumata Barry continued’ail leurs à t isser des al -liances. « La MECREPAG estprésente dans des régions recu-lées où les banques classiquesne le sont pas, af firme-t-elle.Elles pourraient donc passerpar nous pour atteindre denouvelles clientèles en nousdonnant accès à du crédit àun taux accessible. Je com-mence en ce moment mes dé-marches auprès des banques. »

CollaboratriceLe Devoir

De nombreuses coopératives au Québec et au Canada ont mis en place des politiquesécologiques

UNITERRA EN GUINÉE

Et les pêcheurs pêchent !

CECI

Les pêcheurs guinéens peuvent recevoir un prêt de la MECREPAG.

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C O O P É R A T I V E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 6 E T D I M A N C H E 7 O C T O B R E 2 0 1 2H 8

DE RIO À QUÉBEC

«L’économie sociale a des devoirs d’innovation»Coopératives et mutuelles doivent s’imposer comme des acteurs économiques incontournables

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

D ans une plaquette intituléeSociétale démocratie : un

nouvel horizon, qui vient toutjuste d’être publiée en Francepar les éditions Ligne de re-pères, Thierry Jeantet exprimeson souhait de voir le mouve-ment Occupy et celui des indi-gnés se transformer afin qu’ilsne se résument pas qu’à unsimple feu de paille.

Pour y arriver, les militantsdoivent passer en mode d’actionet entreprendre des initiatives.Certes, certains engagementsdevront toucher directement lapolitique, mais ce militantismedoit aussi passer par l’entrepre-neuriat d’économie sociale, pré-vient M. Jeantet, c’est-à-dire unentrepreneuriat rattaché à desentreprises aux responsabilitéset aux résultats partagés.

Un type d’entrepreneuriat qui«correspond à une attente», as-sure-t-il en entrevue télépho-nique depuis la Grèce, où il étaitpour assister à la réunion duconseil d’administration d’unecoopérative d’assurance. «Il y aun modèle d’entreprise innovantqui doit être valorisé, au momentmême où beaucoup d’acteurs poli-tiques, syndicaux, sociaux sont àla recherche de ce modèle et n’ontpas tous compris qu’il existaitdéjà et qu’il avait déjà largementfait ses preuves.»

À la veille du Sommet interna-tional des coopératives de Qué-bec, Thierry Jeantet espère quela lumière sera faite sur « les

forces réelles de l’économie sociale,qui sont beaucoup plus puissanteset beaucoup mieux organiséesqu’on ne veut bien le dire généra-lement». Il rappelle les résultatsde l’étude Global300, menée parl’Alliance coopérative internatio-nale (ACI). Il y est estimé que les300 plus importantes coopéra-tives génèrent ensemble un chif-fre d’affaires de 1600 milliardsde dollars, soit l’équivalent duPIB du pays en neuvième posi-tion des puissances écono-miques du monde. D’ailleurs,dans son dernier essai, ThierryJeantet plaide que les acteurs del’économie sociale doivent ces-ser d’être considérés, voire de seconsidérer, comme «une béquilledu capitalisme» ou «une roue desecours pour équilibrer les pro-blèmes de cohésion sociale». Plu-tôt que de se cantonner à desrôles de figurant, ces coopéra-tives et mutuelles doivent oserprendre les devants de la scèneet s’imposer comme des acteurséconomiques incontournables.

«Je pense que l’économie socialea besoin aussi de muscler ses pro-pres moyens. Elle a dans ses rangsde grandes banques coopérativeset de grandes banques mutualistes,sur presque tous les continents.Elles pourraient certainement tra-vailler plus entre elles pour finan-cer le développement internatio-nal de l’économie sociale. Ça veutdire qu’il faut probablement inven-ter de nouveaux véhicules finan-ciers et que l’économie sociale ades devoirs d’innovation.»

Aussi, Internet pourrait joueren faveur du mouvement coopé-

ratif si celui-ci ne rate pas lecoche, croit M. Jeantet. «L’orga-nisation de la société civile sousforme associative, coopérative etmutualiste peut être facilitée parces nouvelles technologies», ob-serve-t-il. L’ouverture à des logi-ciels libres, par exemple, sti-mule ce concept de coopéra-tion, qui s’étend actuellementdans l’agriculture par le biaisdes semences libres. Les plate-formes web encouragent aussile prêt entre particuliers et lemarché des prêts « de pair àpair». Il devient donc mainte-nant possible, pour les prêteurset les emprunteurs, de concréti-ser des accords sans passer parune banque. Les coopératives etles mutuelles, qui ont déjà créédes systèmes de propriété pri-vée partagée, ont donc tout àgagner à miser sur Internetpour se développer.

De plus, Internet et les mé-dias sociaux accélèrent cette

transition de l’organisation dutravail, au sein des entreprises,d’une hiérarchie à la verticalevers une conception latérale outransversale. «C’est déjà une ha-bitude de l’économie sociale, quia l’habitude de rassembler diffé-rents acteurs et de les faire tra-vailler de manière plus horizon-tale que hiérarchique. Le fonc-tionnement démocratique descoopératives, des mutuelles et desassociations va depuis longtempsdans ce sens.»

Collaboration 2.0Les nouvelles générations,

grandissant dans cette forme decollaboration 2.0, sont d’ailleursde plus en plus conditionnées àœuvrer de cette façon. «Je pensepersonnellement que c’est unechance pour l’économie sociale,parce que ça va dans le sens deson modèle.»

Aussi, l’économie sociale reva-loriserait réellement le travail des

salariés, selon M. Jeantet, alorsque le système actuel, «qui rendles riches improductifs plus richeset les pauvres productifs plus pau-vres, est en train de trouver ses li-mites. La valeur du travail qu’onessaye de remettre à l’honneurn’est qu’un écran de fumée vantépar ceux-là mêmes qui ne travail-lent pas mais qui spéculent», cri-tique-t-il dans son dernier livre.

Or il précise en entrevue que« l’écar t des salaires dans lemonde coopératif, par rapportaux entreprises traditionnelleséquivalentes, en moyenne, estbeaucoup plus resserré». Les dis-cussions de nature démocra-tique, puis les règles bien éta-blies d’une juste répartition desexcédents favorisent cetteéquité, tant chez les salariésque, dans certains cas, chez lesconsommateurs.

Dans la dernière année, lesRencontres du Mont-Blanc ontentrepris plusieurs démarches

pour sensibiliser les gouverne-ments du monde à l’économiesociale. Dans le cadre de laconférence Rio + 20, pour la-quelle ils avaient un laissez-pas-ser formel, ils ont envoyé unelettre à 194 chefs d’État. Cettemissive comportait vingt propo-sitions liées à cinq grands chan-tiers de l’économie sociale.Thierry Jeantet fait part de sadéception, comme la plupart desreprésentants de la société ci-vile. Il juge que le texte adoptéen juin dernier était «vague, sansengagement et saupoudré dequelques déclarations sympa-thiques», l’économie sociale seretrouvant négligée, comme plu-sieurs autres concepts.

«On ne s’est pas laissé découra-ger une seconde», déclare parcontre M. Jeantet. L’événementorganisé par les RMB à l’intérieurde Rio + 20 a piqué la curiosité etattiré l’attention, particulièrementchez les gouvernements latino-américains. Depuis, une nouvellecampagne de sensibilisation a étémise en branle auprès des 194États, alors que les RMB se pré-parent à intervenir dans l’élabora-tion des objectifs du développe-ment durable pour 2015. Un dia-logue permanent a d’ailleurs étéouvert avec des instances inter-nationales, dont l’ONU.

S’il admet que le mouvementcoopératif s’affirme, se rallie ets’organise davantage depuis lacrise financière de 2008, il pré-vient qu’il faut « être prudent,parce que tout ça doit être conso-lidé. Il y a, à mon avis, encorebeaucoup beaucoup de travail àfaire. Il ne faut rien lâcher, maison sent qu’on est à un tournant.Il faut en profiter.»

CollaborateurLe Devoir

L’économie sociale, qui englobe le mouvement coopératif etmutualiste, « a un tournant à prendre », considère Thierr yJeantet. Entretien avec le président des Rencontres du Mont-Blanc (RMB) et directeur général d’Euresa.

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Square Victoria, Montréal, octobre 2011. Le militantisme issu du mouvement Occupy doit passerpar l’entrepreneuriat d’économie sociale, selon Thierry Jeantet.