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Atlantide 18 Décembre 1904, rive Nord de la citée d'Atys, Atlantide. Le vent froid de Décembre hurlait contre les vieux carreaux crasseux de la petite auberge, heurtant avec fureur les murs de briques et s'infiltrant entre les fissures du toit. Les cris d'une jeune femme y résonnaient avec force, faisant trembler la charpente. - Ahhhhh ! Arold, je ne peux plus le supporter ! sanglotait la femme, le visage baigné de larmes. - Courage Katerina, c'est presque terminé ! Encore un effort ! - Non, non ! gémit-elle. Où est Ranvok ? Où est-il ? La pauvre femme se débattit un instant dans sa couche, ses cheveux blonds poisseux de sueurs collants à son fin visage émacié. Des infirmiers en blouses blanches agrippèrent ses chevilles et ses poignets pour la clouer sur son lit tandis que la main d'Arold caressait sa joue, chassant quelques mèches emmêlées de devant ses yeux. Au son de ses cris, un immense fauve aux reflets mordorés s'avança alors vers le lit, posant son énorme museau tigré contre le corps

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Atlantide

18 Décembre 1904, rive Nord de la citée d'Atys, Atlantide.

Le vent froid de Décembre hurlait contre les vieux carreaux crasseux de la petite

auberge, heurtant avec fureur les murs de briques et s'infiltrant entre les fissures du toit. Les

cris d'une jeune femme y résonnaient avec force, faisant trembler la charpente.

- Ahhhhh ! Arold, je ne peux plus le supporter ! sanglotait la femme, le visage baigné de larmes.

- Courage Katerina, c'est presque terminé ! Encore un effort !

- Non, non ! gémit-elle. Où est Ranvok ? Où est-il ?

La pauvre femme se débattit un instant dans sa couche, ses cheveux blonds poisseux de

sueurs collants à son fin visage émacié. Des infirmiers en blouses blanches agrippèrent ses

chevilles et ses poignets pour la clouer sur son lit tandis que la main d'Arold caressait sa joue,

chassant quelques mèches emmêlées de devant ses yeux. Au son de ses cris, un immense fauve

aux reflets mordorés s'avança alors vers le lit, posant son énorme museau tigré contre le corps

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secoué de spasmes de Katerina qui se détendit aussitôt, caressant du bout de ses doigts

tremblants le pelage soyeux de son animal. Le superbe tigre plongea alors ses yeux d'ambres

dans ceux de sa maîtresse, d'un vert voilé de souffrance.

- Allez courage, ma belle et radieuse Katerina... souffla Arold en embrassant le front de sa

compagne.

- Je ne veux pas qu'ils le récupèrent ! hurla-t-elle alors en se débattant de plus belle. Pitié, Arold,

je t'en prie ! Protège-le ! Ne les laisses pas l'emmener, promet moi !

- Kate, nous n'avons plus le choix. Les récoltes ont été mauvaises, sans eux nous ne survivrons

pas à la fin de l'hiver. Ils nous ont choisis, c'est une chance de repartir à zéro...

- Arold ! cria-t-elle de rage et de fureur. Comment peux-tu oser dire une chose pareille ? C'est le

tiens, c'est nôtre bébé ! Ne les laisse pas le prendre ! Arold !

Derrière eux, une porte s'ouvrit brutalement, laissant entrer une jeune femme cintrée

dans un tailleur impeccable, au style rétro. Elle portait un rouge à lèvre carmin qui donnait à son

visage un aspect vaguement effrayant. Ses cheveux noirs et brillants étaient attachés dans un

chignon haut et d'où ne dépassait aucune mèche rebelle. Elle s'éclaircit la gorge avant de poser

les yeux sur le couple devant elle.

- C'est bientôt terminé ? Nôtre patron s'impatiente, lâcha-t-elle d'un ton froid en réprimant une

grimace dégoutée devant le corps misérable et couvert de sueur de Katerina.

- Bien sûr Madame, bien sûr ! s'empressa de répondre Arold en s'inclinant devant la nouvelle

venue. Ma f-femme est sur le point de mettre au monde l'enfant.

- Nooon ! Arold ! Ne prenez pas mon bébé ! Je vous interdis de me toucher, partez ! Partez tous

! mugit Katerina en se cabrant sous les mains des infirmiers qui l'immobilisaient fermement.

- Très bien, répondit la femme au tailleur sur-mesure en souriant à Arold. Et par pitié, faîtes

taire la mère porteuse. On l’entend crier dans toute l'auberge.

D'un signe sec du menton, la terrifiante jeune femme s'adressa aux infirmiers qui

s'empressèrent de poser un bâillon sur la bouche de Katerina, ignorant ses protestations et ses

coups de dents. Mais malgré le tissu qui l'entravait, la future mère poussa un gémissement

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déchirant, faisant frissonner Arold qui se jeta aux pieds de la femme au tailleur.

- Madame, était-ce vraiment nécessaire ? gémit le pauvre homme en se passant la main dans les

cheveux dans un geste désemparé.

- Ses cris insupportent tout le monde.

Et sans un regard en arrière, la glaciale jeune femme réajusta sa jupe grise et sortie de la

pièce, ses interminables talons hauts claquants sur le parquet vieillit de la chambre. Dans son

dos, le tigre Ranvok montra les crocs, obligeant Arold à se précipiter vers lui pour le faire taire.

Le fauve haïssait la femme au tailleur, il pouvait sentir sa cruauté comme un gigantesque aura

suintant et pulsant tout autour d'elle.

L'accouchement dura encore près d'une heure, jusqu'à ce que le cri d'un nourrisson

perçe l'air, faisant vibrer les minces carreaux des fenêtres. Dans le lit, Katerina n'avait même

plus la force de se battre. La jeune femme tendit vainement les bras devant elle, dans l'espoir

qu'on lui donne son bébé. Mais personne ne fit attention à elle. Des larmes amer coulant le long

de ses joues sales, elle regarda l'implacable femme au tailleur s'emparer de son enfant,

l'arrachant des mains d'Arold

- T-Très bien... Est-ce que maintenant nous pouvons récupérer la récompense, s'il vous plait ?

Nous n'avons vraiment plus rien et mon épouse a besoin de manger et de se reposer à

présent... supplia Arold.

La femme au tailleur se tourna alors vers lui et son visage se fendit d'un sourire cruel.

Puis elle pointa le canon d'une arme droit vers l'homme.

- Oh pardon, j'allais oublier. Merci, de votre coopération.

L'homme ouvrit la bouche de surprise, les yeux écarquillés. Puis la balle l'atteignit en

pleine tête et il s'écroula dans un cri, un mince filet de sang coulant le long de sa tempe. La

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femme au tailleur se tourna alors vers le tigre qui rugissait dans un coin, fermement maintenu

par deux infirmiers aux blouses blanches immaculées. Avec un reniflement de mépris, elle

appuya sur la gâchette. Dans un bruit sourd et un feulement de douleur, le grande fauve

s'éteignit brutalement, sa masse dorée et chatoyante s'écrasant dans la poussière.

Alors la terrifiante jeune femme se tourna vers Katerina, le nouveau-né dans l'un de ses

bras et un pistolet en métal chargé dans sa main libre. La jeune mère-porteuse n'avait même

plus la force d'avoir peur. Son visage souillé de larmes était désormais vide de toutes émotions.

- Tu devrais être contente, femme. Tu viens de mettre au monde un Prince. Je vais te faire une

faveur, celle de choisir le prénom de l'enfant qui règnera sur ce monde.

D'un signe de son arme, la femme au tailleur enjoignit l'un des infirmiers à retirer le

bâillon qui entravait toujours la bouche de Katerina. La jeune mère ravala ses sanglots et se

saisit de ce bref moment de répit pour dévorer du regard son bébé. C'était un magnifique

nourrisson. Ses yeux, au lieu d'être noir comme presque tous les nouveaux nés, étaient d'un

bleu clair presque surréaliste, semblable a un ciel d'hiver lorsqu'il n'y a aucun nuage à l'horizon.

Il avait les yeux d'Arold, mais il semblait avoir les mêmes cheveux fins et blonds que sa mère. Ce

petit être chétif et gigotant qu'elle avait avec amour porté pendant neuf mois et qui lui était

désormais arraché lui rappela soudainement son propre père. Un immigré du monde d'En-Haut.

Un homme vaillant qui lui avait toujours fait comprendre que dans ce monde, il y avait ceux qui

rêvaient leurs vies, et ceux qui se battaient pour vivre leurs rêves.

- Dimitrov, murmura la jeune femme dans un soupir, consciente que cet héritage était la seule

chose qu'elle lèguerait à son fils.

- Parfait.

Puis le coup fusa et la balle atteignit Katerina en plein cœur. Sans même un regard en

arrière, la femme au tailleur quitta la pièce, au son régulier de ses talons hauts, le nourrisson

toujours dans les bras. Derrière elle, les infirmiers se pressaient déjà pour ramasser les cadavres

et pour laver le sol, balayant toutes traces de l'existence d'Arold et Katerina.

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Mais effrayé par le bruit des coups de feu, le nouveau-né poussa un cri strident. Alors la

femme aux lèvres carmin se pencha vers son visage poupin et lui sourit d'un air sauvage,

caressant ses cheveux blonds de ses longs doigts aux ongles pointus. D'un ton chantant, elle

commença à fredonner des paroles rassurantes.

- N'ait pas peur, petit Prince. Je t'emmène voir le grand patron. Il fera de toi l'homme le plus

redouté de nôtre monde. Tu deviendras fort. Et beau. Et les gens ramperont à tes pieds pour te

servir. Tu seras l'ombre et les ténèbres de cet univers. Et plus rien ne pourra t'effrayer. Chuuut...

Dimitrov, dors petit Prince.

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17 Septembre 1924, sud de Chicago, Etat de l’Illinois.

Le soleil disparaissait derrière les hauts buildings de Chicago, laissant progressivement sa

place à la nuit. Les lumières de la ville s’allumaient les unes après les autres, comme des

milliards de minuscules étoiles jaillissant brusquement de l’obscurité. Des airs de Jazz

s’échappaient des sous-sols malfamés de la ville, ponctués par le son des talons de femmes sur

le macadam.

En périphérie de la ville, dans une petite maison de banlieue, Léa Souzza se réveillait

lentement. La jeune femme s’extirpa de son lit, ses courts cheveux dorés emmêlés tout autour

de son visage. En voyant Chicago s’illuminer lentement par sa fenêtre, la bouche de la jolie

blonde s’étira en un immense sourire. Laissant tomber sa nuisette blanche sur le parquet de la

chambre, elle s’approcha de son armoire, tirant sur les cintres métalliques et jetant sur son lit

une foules de tenues toutes plus élégantes les unes que les autres. Son choix s’arrêta sur une

courte robe noire rebrodée de sequins d’or qu’elle enfila rapidement, se regardant face au

miroir. Satisfaite, elle attrapa l’une de ses paires de chaussures par leur boucle de satin et

descendit les escaliers quatre à quatre, déboulant dans la vaste cuisine familiale.

John Souzza, son père, était tranquillement assis à leur table, lisant le journal avec

attention. Devant la gazinière, Maggie, mère de famille aimante et attentionnée, préparait l’un

de ses ragoûts dont elle seule avait le secret. En voyant sa fille débarquer, toute échevelée, elle

fronça les sourcils et la menaça de sa louche.

- Léa, mon dieu ! C’est à cette heure-là que tu te lèves ? Et où est-ce que tu cours,

habillée dans cette tenue ? Cette robe t’arrive au genou !

- Du calme, Mama ! Je suis rentrée tard de soirée ce matin… Et je vais rejoindre

Debby ! Il y a une petite fête chez l’un de ses amis.

- Encore une fête ? Et quand est-ce que tu vas chercher du travail ? s’agaça Maggie en

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croisant les bras sur son tablier beige.

- Je travaille déjà ! Je suis danseuse, Mama ! répliqua Léa, outrée.

- Pendant la prohibition ? ricana sa mère. La moitié des bars de cette ville ont fermés,

ça m’étonnerais beaucoup que tu ais réussis à te faire embaucher comme danseuse !

Léa se mordit les lèvres mais ne répondit pas. Elle lança un regard inquiet vers son père

mais il n’avait même pas relevé les yeux de son journal. La jeune femme n’aimait pas

particulièrement mentir à ses parents, mais elle sentait bien qu’elle n’en avait pas le choix.

Ignorant alors les remarques de sa mère, elle traversa la cuisine sans même un regard pour

Maggie qui secouait la tête d’un air désapprobateur.

S’approchant de la salle de bain, la jeune femme remarqua alors le mince trait de la

lumière sous le pas de la porte et jura entre ses dents. Elle laissa tomber au sol ses chaussures à

talons et se mit à tambouriner contre le panneau de bois, tirant avec agacement sur la poignée

de laiton.

- Anton ! Dépêche-toi de sortir de là ! cria-t-elle.

- Non ! lui répondit une voix beaucoup plus jeune. T’avais qu’à te lever plus tôt !

- Mon dieu, tu es vraiment une sale petite crapule ! Sort d’ici tout de suite ou je

demande à Papa d’enfoncer la porte !

Elle entendit ensuite une série de jurons puis le cliquetis de la serrure. La porte s’ouvrit

ensuite pour laisser passer son petit frère, Anton, qui du haut de ses onze ans, la dévisageait

avec colère.

- Tu vas encore essayer de te faire belle pour J-J-Jâââmes ! bêla-t-il en lui lançant un

regard brillant d’insolence.

- La ferme, cafard ! répliqua la jeune fille en lui donnant une tape sur le sommet de la

tête. On en reparlera quand tu seras assez grand pour avoir une petite copine.

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- C’est nul les filles, de toute façon, lâcha son petit frère en reniflant de mépris.

- C’est ça… Allez, ouste !

Puis sans plus de cérémonie, la jeune femme le poussa hors de la salle de bain pour

s’engouffrer à l’intérieur, lui fermant la porte au nez. Elle fit chauffer un fer pour ses cheveux et

sortie de sa pochette des fards à paupières et des pots de rouge à lèvres qu’elle éparpilla sur le

meuble du lavabo. Elle rougit en repensant à ce que venait de lui dire Anton. James était le

grand-frère de sa meilleure amie, Debby. Il était grand, séduisant, irrésistiblement drôle… Et elle

en était follement tombée amoureuse.

Après quelques minutes, Léa sortie de la salle de bain parfaitement maquillée. La nuit

était complètement tombée et l’horloge du salon indiquait huit heure douze. Son meilleur ami,

Eliot McHeister n’allait probablement plus tarder à arriver. Elle s’observa une dernière fois dans

le miroir et ses lèvres rouges carmin s’étirèrent en un léger sourire mutin. Elle était irrésistible.

Ses courtes boucles blondes formaient comme un halo de lumière autours de son visage, ses

paupières peintes d’or et ses longs cils rehaussés d’un noir profond donnaient à son regard bleu

clair la chaleur de la braise. Si avec tout ça, James Norills ne succombait pas…

Le son d’un klaxon résonna soudain dans la rue, la tirant de ses pensées. Passant la tête

par l’embrasure de la fenêtre, elle reconnue immédiatement Eliot. Vêtu d’une impeccable veste

à rayure, d’élégantes bretelles noires surmontant sa chemise immaculée, il était lui aussi sur son

trente et un. La jeune femme lui adressa un rapide signe de la main et referma aussitôt la

fenêtre, courant hors de la salle de bain pour aller le rejoindre.

- Je ne reste pas dîner ! lança-t-elle en passant en vitesse dans la cuisine.

- Léa ! s’énerva sa mère. Tu n’as pas mangé depuis hier !

- Moi aussi je t’aime, Mama !

La jeune femme planta un rapide baiser sur la joue de sa mère, passant en trombe

devant Anton dont elle ébouriffa les cheveux puis alla embrasser son père qui ne broncha

même pas, ses lunettes en écailles toujours en équilibre précaire sur le bout de son nez qui

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était encore une fois collé aux pages de son journal.

- Amuse-toi bien avec… J-J-Jâââmes ! cria son frère tandis qu’elle disparaissait par la

porte d’entrée.

Seul le claquement sec de la porte se refermant brusquement sur ses gongs lui répondit.

Le jeune garçon gloussa puis fila vers la salle de bain désormais libre, les Souzza étaient depuis

longtemps habitués aux sorties rapides de Léa qui ne s’embarrassait jamais de longs au-revoir.

Dans la rue, la décapotable d’Eliot attendait sagement devant la maison. En voyant Léa

arriver, le jeune homme se pencha vers la portière côté passager qu’il ouvrit avec aisance pour

permettre à son amie de s’installer. Léa prit aussitôt place sur le couteux fauteuil de cuir et

serra son chauffeur dans ses bras, ravie. Eliot et elle étaient amis depuis l’enfance et tout le

monde les prenait pour des frères et sœurs. Tous les deux blonds comme les blés avec

d’identiques prunelles bleues ciel, ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Le jeune

homme était doté d’une sorte de beauté désinvolte qui avait toujours fasciné Léa et fait battra

le cœur de nombreuses filles à Chicago.

- Alors ? Où allons-nous, cette fois? le questionna-t-elle, tout sourire.

- Dans l’un des speakeasy* les plus fermés de la ville, ma chère !

- Ohhh… souffla-t-elle, impressionnée. Et où est-ce que tu as obtenu le mot de passe

d’une telle soirée ?

- Ça, c’est mon p’tit secret ! répondit-il avec un clin d’œil énigmatique.

Léa secoua la tête, amusée. Eliot était issu de l’élite de Chicago, son compte en banque

lui ouvrait presque toutes les portes de celle qu’on surnommait désormais la Capitale du crime

organisé. Le jeune homme travaillait dans le monde de la finance, tout comme son père avant

lui, mais elle était persuadée qu’il y avait plus que ça. Depuis le début de la prohibition, de

nombreux gangs avaient vu le jour. De leur proximité avec le Canada, ils pouvaient y importer

*speakeasy : bars clandestins durant la prohibition.

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des stocks massifs d’alcool fort, jamais la Mafia n’avait connu un pareil âge d’Or… Il lui arrivait

quelques fois d’être inquiète pour son meilleur ami, mais Eliot était toujours plein de ressource,

très intelligent. Il était très doué pour se défaire des situations les plus extrêmes.

La décapotable du jeune homme filait à toute vitesse vers le centre-ville, l’air frais faisait

tourbillonner les courts cheveux de Léa qui ferma les yeux pour en savourer la sensation. Elle

adorait la nuit, les ténèbres la rendaient plus vivante que jamais. Elle ne cessait de s’émerveiller

devant les lumières de la ville qui montaient toujours plus hauts dans le ciel. Et puis le soir était

synonyme de fêtes, c’était l’heure où les gens sortaient discrètement de chez eux pour

rejoindre les bars et cabarets clandestins. La nuit, la débauche et l’excessivité étaient de mise à

Chicago.

Lorsque enfin Eliot s’arrêta, Léa tourna la tête tout autour d’elle pour tenter de repérer

sa meilleure amie Debby. Dès qu’elle aperçue l’excentrique jeune femme, tout son épiderme se

couvrit de frissons. L’impatience la faisait bouillonner.

- Deb’ ! cria-t-elle en ouvrant sa portière avec empressement.

- Léa, presque à l’heure ! rit son amie en venant la rejoindre.

Les deux jeunes femmes se serrent dans les bras puis Léa s’écarta légèrement de son

amie pour contempler sa tenue. Debby avait un style très particulier qui tendait à se généraliser

à Chicago, on appelait ça la mode de la garçonne. Sa grande amie rousse était superbe avec son

chapeau melon qui couvrait ses épaisses boucles cuivrés, son petit nœud papillon qui mettait en

valeur sa gorge délicate et son large pantalon droit qui allongeait encore ses interminables

jambes.

- Tu es toute en beauté ce soir ! lui fit remarquer Debby avec un clin d’œil. Bonsoir

Eliot !

Le jeune homme retira son chapeau haut de forme et improvisa une élégante révérence

qui fit rire les deux jeunes femmes. Il enserra ensuite la taille de Léa d’une main pour la

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conduire vers une petite porte rouge toute écaillée qui donnait sur la rue. Ils entrèrent sans

même frapper puis les trois jeunes gens déboulèrent dans une large pièce toute bitumée, du sol

au plafond. Au fond de la salle se tenait un homme aux épaules larges dont la veste blanche et

noire semblait sur le point de craquer. Sans même frémir, Eliot s’approcha du colosse et lui

tendit quelques billets.

- Mot de passe ? questionna l’homme en récupérant l’argent sans sourciller.

- Atlantide, souffla Eliot avec un sourire espiègle.

- C’est bon.

L’impressionnant garde leur livra ensuite le passage, le regard déjà de nouveau fixé sur la

vielle porte rouge devant lui. Dès qu’ils entrèrent dans l’antichambre du cabaret, ils purent

entendre le son étouffé des saxophones jouant du jazz et les rires des danseurs derrière les

épais murs de bétons. Une hôtesse vêtue d’une courte robe entièrement cousue de larges

sequins argentés leur adressa un immense sourire et fit pivoter vers eux la porte d’entrée,

laissant se déverser dans le minuscule vestibule les lumières feutrées et les odeurs musqués qui

régnaient à l’intérieur.

- Atlantide ? demanda alors Léa en interrogeant son ami du regard.

- Le nom d’une des organisations secrète de la ville je crois… lui répondit

laconiquement le jeune homme en passant la porte d’entrée.

En entrant dans l’immense bar clandestin, Léa fût frappée par l’hétéroclisme de

l’endroit. Dans un coin, des hommes et des femmes habillées de costumes à rayures et de

chapeaux melons misaient des liasses entières de billets sur des tables de pokers, entouré d’un

épais nuage de fumé. Assi sur une table de billard, une magnifique femme fumait sur un long et

élégant porte-cigare, encourageant les jeunes gentlemans concentrés qui se disputaient la

partie. Les rideaux de satins et les perles rendaient l’ambiance de la pièce incroyablement

feutrée. En face de la porte d’entrée qu’ils venaient de franchir se tenait un large bar, des

serveuses coiffées de hautes plumes de paon s’y pressaient, les bras chargés de plateaux

métalliques remplis de verres cliquetants. Dans le fond de la pièce un énorme alambic distillait

sa boisson, répandant ses vapeurs d’alcool à travers toute la pièce. Sur le sol de parquet, des

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danseurs et des danseuses dansaient un Charleston endiablé, au rythme des cuivres joués par

des musiciens noirs sur l’une des estrades de la salle.

- Whaou… ça, c’est de la fête ! souffla Léa.

- Bien joué Eliot, ce bar me semble parfait ! surenchérit Debby en adressant un

immense sourire au beau blond qui accepta le compliment d’un léger signe de tête.

- James va-t-il se joindre à nous ? demanda alors le jeune homme en glissant un regard

en coin vers Léa qui s’empourpra.

- Non, il travaillait tard ce soir…

La jeune femme aux boucles blondes masqua sa déception en se dirigeant vers le bar,

sentant dans son dos le regard moqueur d’Eliot qui devait être en train de guetter sa réaction.

Elle sentie quelques secondes plus tard la chaleur de son corps à côté du sien et releva les yeux

vers lui.

- Alors… On commande quoi ? lui demanda son ami sans même tourner la tête vers

elle.

- Tss… Pas un mot sur James ce soir, compris ? menaça-t-elle en lui lançant un discret

coup de coude dans les côtes.

- Aîîîe ! D’accord… Les désirs de mademoiselle sont des ordres, comme toujours…

répliqua-t-il en lui souriant, goguenard.

- Mon dieu Eliot efface moi ce sourire de ton visage, tu es effrayant !

Le jeune homme s’esclaffa avant de faire signe à une des serveuses de s’approcher. La

femme d’une trentaine d’année se dirigea vers eux, posant son plateau vide sur le comptoir en

bois. Ses prunelles noires brillèrent un instant, troublées par le regard d’Eliot posé sur elle. Léa

ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel en reconnaissant le manège de son ami. Il venait de

se pencher vers la serveuse qu’il embrassa alors à pleine bouche, mettant ses deux mains en

coupe autours de son visage et dévorant fougueusement ses lèvres qui s’entrouvrirent de

surprise.

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Le baiser ne dura que quelques secondes avant qu’il ne s’écarte, un sourire séducteur

accroché à son visage qui semblait alors si innocent. La serveuse se mit à glousser, les joues

rosies. Elle redressa la plume accrochée à ses courts cheveux sombres et tenta de se

recomposer un visage neutre, en vain.

- M-Monsieur désire b-boire quelque chose ? demanda-t-elle en tentant de garder un

minimum de professionnalisme.

- Quatre side-cars, je vous prie… Le dernier est pour vous, murmura-t-il d’une voix

enjôleuse.

- Je vous prépare ça tout de suite, s’empressa-t-elle de répondre sans parvenir à le

quitter des yeux.

Dès qu’elle se fut retournée, Léa en profita pour fusiller du regard son meilleur ami et

pivota dos au bar pour observer les danseurs que Debby avait rejoint.

- Tu es incorrigible… souffla la jolie blonde en fixant sa meilleure amie se balancer

d’une jambe sur l’autre.

- Je viens de faire ma B-A, Léa… Et puis elle était plutôt mignonne !

- Elle doit bien avoir dix ans de plus que toi… ricana son amie.

- Et alors ? l’interrogea Eliot en haussant les sourcils.

Léa décida d’abandonner et secoua la tête, résignée. Son ami avait toujours été comme

ça et ce, depuis qu’il était tout petit, elle savait pertinemment qu’elle ne le changerait plus. Et

puis, sans ses habituelles frasques, Eliot ne serait pas l’Eliot qu’elle aimait tant.

La jeune femme avait soudain envie de se laisser porter par l’ambiance de la soirée et se

redressa pour s’avancer vers l’un des coins de la pièce où se tenaient les joueurs de poker. Elle

se faufila entre les tables et repéra une petite assemblée d’homme, concentrés derrières leurs

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cartes. Elle s’approcha d’eux et posa audacieusement ses mains sur les épaules de celui qui lui

semblait être le plus âgé.

- Vous devriez doubler la mise… susurra-t-elle à son oreille.

Le joueur de poker tourna alors la tête vers elle et la dévisagea d’un regard appréciateur.

Il laissa échapper un léger petit rire et s’écarta de la table pour lui permettre de s’installer sur

ses genoux. Léa prit aussitôt place et avec un sourire espiègle, avança vers le centre du tapis de

jeu une nouvelle petite pile de jetons qui firent siffler d’admiration les autres hommes assis

autour d’eux.

Au bout de quelques parties, la jeune femme avait réussi à convaincre tout le monde de

ses dons aux jeux d’argent et elle avait ainsi progressivement gagné le respect de tous les

joueurs de sa table qui lui offrirent verres sur verres. Lorsque la tête commença à lui tourner,

elle s’excusa et quitta l’espace enfumé qui leur était réservé. Hésitante, elle remarqua l’énorme

escalier en colimaçon qui grimpait vers les étages supérieurs et s’en approcha, la démarche

vacillante. Elle ne croisa ni Debby, ni Eliot, sans doutes avaient-ils dû faire une rencontre d’un

soir avec qui ils devaient être en train partager un bref moment d’intimité dans l’un des recoins

sombres du cabaret.

S’accrochant à la rampe de bois, elle monta les marches unes à unes jusqu’au premier

étage. Dans les couloirs, des hommes et des femmes s’embrassaient avec passion. Assis dans un

coin, un petit groupe de jeunes gens fumaient autours d’un énorme narguilé, riant aux éclats.

Des plumes jonchaient le sol et elle faillit trébucher sur l’une d’elle. Les airs de jazz joués à

l’étage du dessous lui semblaient de plus en plus lointains et sa vision se troublait. La respiration

rapide, elle s’agrippait au papier-peint des murs pour se retenir de tomber. Elle rit. Elle ignorait

où elle devait aller mais ça ne semblait pas avoir la moindre importance. Du coin de l’œil, elle

repéra un mouvement furtif au bout du couloir et curieuse, décida de s’en rapprocher. Elle

longea les tapisseries brodés de vieux fils d’or et s’avança jusqu’à l’endroit où elle avait vu

disparaitre quelqu’un l’instant d’avant. Une large porte en bois ouvragée lui faisait face avec un

énorme panneau « Privé, ne pas entrer » posé dessus. Elle l’observa silencieusement quelques

secondes puis l’ouvrit sans même chercher à se soucier des possibles conséquences.

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A l’intérieur, elle découvrit un jeune homme aux cheveux châtain qui lui parut

bizarrement habillé. Il sursauta en entendant le bruit de la porte qui se refermait derrière elle.

Ses yeux s’écarquillèrent de peur et il manqua de faire tomber une coupe de cristal qu’il tenait

entre ses mains et dans laquelle on pouvait voir une sorte d’épais liquide bleu argenté frémir

légèrement.

- Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda-t-il avec un accent qu’elle ne reconnut pas. Tu ne

sais pas lire ?

- Whaouu… C’est quoi cette boisson-là ? C’est si magnifique…

Comme hypnotisée, la jeune fille s’approcha de la coupe sur laquelle elle posa ses deux

mains gantées de soie noire. Avant que le jeune homme n’ait eu le temps de réagir, elle venait

déjà de tremper ses lèvres dans le breuvage. Puis ce fût comme si de la lave en ébullition lui

coulait dans la gorge. Elle hurla.

- Par Zeus ! Mais qu’est-ce qu’elle vient de faire ?! gémit le jeune homme en lui

arrachant brusquement le liquide des mains pour le poser sur une table derrière lui.

Mademoiselle ? Mademoiselle ?

Mais Léa le dévisageait désormais les yeux emplit de terreur et le visage baigné de

larmes. La douleur qu’elle venait de ressentir avait été aussi intense que brève, mais le souvenir

mordant du liquide brulant s’infiltrant dans sa gorge et sa poitrine lui couvrit le corps de frissons

incontrôlables. L’inconnu tendit les mains vers elle pour agripper ses bras mais avant même qu’il

ne fasse mine de la toucher, la jeune femme lui tourna vivement dos et prit la fuite, courant à

travers tout le premier étage, le cœur battant à tout rompre. Elle dévala les escaliers et chercha

en vain du regard Debby ou Eliot, mais ses deux meilleurs amis n’avaient toujours pas réapparu.

Elle se dirigea, toujours chancelante, vers la porte par laquelle ils étaient entrés un peu plus tôt

puis tambourina de toutes ses forces contre le battant pour qu’on lui ouvre. Elle passa en

trombe devant l’imposant garde, sans même un regard en arrière, puis déboula dans la rue.

Seule.

L’air glacial de la nuit la rattrapa et elle frissonna, croisant fermement les bras sur sa

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poitrine. Hébétée, elle chercha du regard la décapotable d’Eliot et la repéra un peu plus loin, le

long d’un trottoir désert. Elle enjamba la portière et se glissa sur son siège de cuir, frigorifiée.

Elle pouvait presque encore sentir l’épais liquide bleu argenté frémir dans sa poitrine.

Après une poignée de minutes à grelotter dans le froid, Léa sentie pourtant des

vibrations étranges dans tous ses membres qui n’avaient plus rien à voir avec la température

glaciale de la nuit. Sans qu’elle ne puisse le contrôler, toutes ses veines s’étaient mises à pulser

de concert, se tordant sous sa peau. Horrifiée, elle contempla son corps onduler et vibrer de

manière parfaitement anormale. Puis soudain, elle s’illumina entièrement de bleu, projetant

une lumière argentée sur le tableau de bord de la voiture qui clignotait sans raisons, ses

compteurs s’affolants de manière absurde. Une vague de chaleur la gagna ensuite et elle

s’évanouit immédiatement, sa tête blonde venant percuter le dossier de cuir de son siège.

La dernière pensée qu’elle eut avant de sombrer dans l’inconscience était qu’elle venait

probablement de commettre une énorme bêtise.

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17 Septembre 1924, Q-G de la Mafia Atlante, Atlantide.

Perdu au beau milieu d’un des quartiers les plus chauds d’Atys, un bâtiment de brique à

l’aspect lugubre dominait les vielles chopes alentours où déambulaient prostituées et garçons

de rues. Face aux immenses portes métalliques, deux chiens affamés aux côtes saillantes se

disputaient un vieux bout d’os sous l’ombre menaçante de l’imposant immeuble aux façades

rouges. Au dernier étage se trouvait la pièce la plus volumineuse de l’enceinte, aux murs

couverts d’étagères croulants sous les livres. Il régnait dans l’immense bibliothèque un silence

feutré, uniquement ponctué par le chuintement des pages qui étaient tournées les unes après

les autres. Dans un immense fauteuil de velours rouge vif, une femme vêtue d’un impeccable

tailleur gris feuilletait des ouvrages d’aspect vieillit, aux reliures de cuir écorchées. Avec

agacement, la femme posa le livre qu’elle tenait dans les mains sur une petite table à côté d’elle

puis s’en saisit d’un nouveau, plongeant son nez surmonté de lunettes noires entre ses pages

jaunis.

Puis soudain, interrompant brutalement le calme de la scène, les portes de la

bibliothèque claquèrent, laissant entrer un jeune homme blond d’une vingtaine d’année. Le

nouveau venu fulminait de rage, traînant derrière lui au bout d’une lourde chaine de métal une

adolescente effrayée, simplement vêtue d’une chemise blanche trop grande pour elle.

- Ivy ! rugit-il en s’arrêtant derrière le fauteuil de la jeune femme.

- Oui, chaton ? répondit simplement l’intéressée sans quitter son livre des yeux.

Avec un grognement exaspéré, le jeune homme se saisit fermement du dossier de son

fauteuil pour la faire pivoter face à lui. Il lui lança un regard puis tira sur la lourde chaine rouillée

qu’il tenait toujours dans ses mains, faisant trébucher la jeune adolescente qui tomba sur le sol,

juste aux pieds d’Ivy.

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- Ah, je vois que tu as reçu mon cadeau, lâcha l’implacable femme, ses lèvres rouges

carmin s’étirant en un sourire amusé. Elle te plait ? Je ne savais plus si tu les préférais blondes

ou brunes…

Troublé, le jeune homme aux cheveux blonds en perdit un instant le fil de sa pensée et

dévisagea l’adolescente toujours prostrée au sol. Celle-ci venait de relever son fin visage pâle

vers lui, le suppliant de ses immenses yeux chocolat. Il ne pouvait pas nier qu’elle était

extrêmement mignonne, avec ses petites lèvres roses et sa crinière de cheveux bruns et

chatoyants. Puis son regard tomba sur sa propre chemise, dont il avait dû rapidement vêtir

l’inconnue lorsqu’il était soudainement tombée nez à nez avec elle, alors qu’elle était attachée

sur son lit, totalement nue. De nouveau, la fureur le gagna et il tourna son regard bleu acier vers

Ivy dont le visage ne trahissait absolument aucune émotion.

- Depuis quand tu te permets de faire entrer des inconnues dans ma chambre ? tempêta-

t-il en désignant l’adolescente à ses pieds.

- Dimitrov… Cesse donc d’en faire toute une histoire. Je pensais que ça te ferait plaisir, tu

es tellement solitaire, mon garçon.

- J’ai eu tellement peur que j’ai failli lui tirer une balle dans la tête ! protesta le jeune

homme en sortant son arme à feu de sa ceinture pour l’agiter sous le nez d’Ivy.

- Ecoute mon poussin, si voir une ravissante demoiselle nue t’effraye à ce point, c’est qu’il

serait vraiment temps que tu apprennes à mûrir un peu. Tu ne pourras pas rester éternellement

un petit garçon.

- J’ai eu peur, parce que voir une inconnue dans ma chambre, censée être fermée à clé,

m’a surpris, lâcha Dimitrov en grinçant des dents.

- Très bien. Comme ça la prochaine fois je mettrais un immense écriteau sur ta porte pour

te prévenir, et la surprise sera gâchée ! s’exaspéra Ivy en se replongeant dans la lecture de son

livre.

Dimitrov la dévisagea d’un œil furieux avant de se précipiter à grand pas vers le fauteuil

le plus proche, trainant derrière lui la jeune fille toujours terrorisée qui trébucha de nouveau en

voulant se relever. Il la fusilla du regard puis se laissa tomber dans son siège, adoptant une

posture désinvolte. Un long silence s’installa, au plus grand déplaisir du jeune homme blond qui

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commençait à s’impatienter.

- Tu n’arrêtes pas de répéter que je suis censé être un Prince. Que je vais bientôt régner

sur tous les êtres vivants de ce monde… Alors pourquoi tu continues de me traiter comme un

gamin ? lâcha-t-il soudain, une pointe d’amertume dans la voix.

La femme au tailleur s’arrêta de lire quelques secondes puis releva la tête vers lui, le

dévisageant en silence de ses sombres yeux noirs. Elle finit par poser le livre qu’elle avait entre

les mains sur la table à côté d’elle puis se réinstalla dans son fauteuil avant d’enfin prendre la

parole.

- Mon chéri, les affaires de ton père ne sont pas encore réglées. Mais rassures toi, tu auras

bientôt l’occasion de montrer à tous que le pouvoir, c’est toi qui le détient. Et puis en attendant,

tu es toujours mon petit garçon.

- Je ne suis pas votre fils, lâcha Dimitrov d’un ton glacial.

- Non, bien évidemment, puisque tes parents sont morts, approuva Ivy en levant les yeux

au ciel. Mais ça n’empêche que le grand Patron et moi t’avons élevé comme nôtre sang.

- Vous m’aviez promis que je serais prince ! gronda le jeune homme.

- Tu en es déjà un, mon lapin. Seulement tu es le prince des ténèbres. Celui qui œuvre

dans l’ombre, celui qui est craint…

- Très bien, alors pourquoi est-ce que tu ne m’obéis pas, si je suis ton prince ? intervint

Dimitrov en défiant Ivy du regard.

La femme au tailleur le dévisagea un instant, incrédule. Puis elle éclata de rire. Sa voix se

répercutant comme un écho dans l’immense bibliothèque déserte. Apeurée, la jeune

adolescente se recroquevilla aux pieds de Dimitrov qui affichait un air plus sombre que jamais.

- Tu as vraiment le même caractère que ton père, rit-elle en essuyant ses larmes. Par

Poséidon, quand il m’a confié la mission de t’élever, je n’imaginais pas un seul instant à quel

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point faire ton éducation allait se révéler être aussi dur et aussi drôle. Saches, petit insolant,

qu’ici, la vraie patronne, c’est moi. Que tu sois un vulgaire mendiant, un prince ou bien un dieu

n’y changerait rien. Alors reste à ta place, mon petit cœur.

Les poings de Dimtrov tremblaient de fureur tandis qu’Ivy le dévisageait de cet air

supérieur et condescendant qu’il détestait tant. Vaincu, il finit par baisser le regard, provoquant

le sourire satisfait de sa fausse mère qui récupéra son bouquin pour se replonger dans sa

lecture. Ses yeux tombèrent alors sur le visage toujours effrayé de l’adolescente à ses pieds et

ses sourcils se froncèrent.

- Et que suis-je supposé faire d’elle, maintenant ?

- Tu n’as qu’à t’amuser avec, soupira Ivy sans prendre la peine de relever la tête.

- J’ai passé l’âge de jouer et de toute façon, les esclaves n’ont jamais voulu se prêter à

mes jeux, marmonna-t-il avec exaspération.

Ivy leva alors les yeux vers le jeune homme, haussant un sourcil. Ses lèvres rouges se

pincèrent d’agacement mais ses yeux, eux, brillaient d’amusement.

- Je crois que tu n’as pas compris de quelle sorte de divertissement je voulais parler…

lâcha-t-elle en caressant ses lèvres de la pointe de sa langue.

Le jeune homme aux yeux de glace eut une grimace dégoutée et se dressa hors de son

fauteuil, agrippant avec brusquerie l’esclave par l’un de ses bras pour la forcer à se relever. Il lui

arracha sa chemise qu’il posa sur le dossier de son fauteuil. L’adolescente cria et supplia, se

heurtant au visage glacial et déterminé du jeune homme. Ivy releva la tête d’un air intéressé, la

curiosité brillant dans ses pupilles sombres. Mais contre toutes attentes, Dimitrov pointa le

canon de son arme sur la tempe de sa victime et sans une hésitation, pressa la détente. Il

relâcha le bras de la jeune fille qui tomba au sol dans un grand bruit sourd. Puis le visage

toujours fermé, il se saisit de sa chemise qu’il balança par-dessus son épaule avant de planter

son regard bleu et froid dans celui d’Ivy, qui fulminait.

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- Bon sang Dimitrov ! Tu viens de tâcher un tapis à 8 000 Drachmes ! hurla Ivy en

montrant les dents. Et puis l’odeur va être insoutenable ! Que va dire ton père lorsqu’il va

rentrer et découvrir le cadavre d’une adolescente nue et couverte de sang sur le précieux

parquet de sa bibliothèque adorée ? Hein ?

- C’est pas mon problème. C’est à cause de toi qu’elle était ici, alors si tu as peur de la

réaction de père, je te suggère de commencer à laver le sol dès maintenant, lâcha Dimitrov d’un

air impitoyable.

Ivy l’observa en grinçant des dents puis se redressa d’un coup avant de s’avancer vers le

jeune homme, ses talons hauts claquant sur le sol de bois ciré. Elle approcha son visage tout

près de celui de Dimitrov, jusqu’à ce que leurs respirations se mêlent. Le prince aux yeux de

glace ne frémit même pas, défiant du regard la meurtrière de ses parents.

- Ne me parles plus jamais sur ce ton, souffla-t-elle la voix lourde de menaces. Car je te

préviens que si tu oses encore ne serait-ce qu’une seule fois me manquer de respect, tu seras

un prince avec du plomb dans la cervelle. Est-ce clair ?

Dimitrov était peut-être un jeune homme téméraire, mais il n’était pas idiot. Il savait

pertinemment choisir ses batailles et se mesurer à l’une des plus grande criminelle de leur

monde n’était décidemment pas une bonne idée. Il grimaça et fini par hocher la tête, baissant le

regard en signe de soumission. Les lèvres carmin d’Ivy s’étirèrent en un sourire cruel et elle se

pencha vers lui pour lui voler un baiser. Elle se redressa ensuite, posant les yeux sur la chemise

immaculée de Dimitrov.

- Très bon réflexe de l’avoir sauvée. C’est de la marque, approuva-t-elle avant de

s’éloigner.

Puis les portes de la bibliothèque se fermèrent dans son dos, laissant Dimitrov seul avec

sa colère et sa frustration. L’odeur métallique du sang lui chatouilla les narines et il baissa le

regard vers le cadavre de l’adolescente à ses pieds. Une auréole rouge sombre avait commencé

à imprégner le tapis de soie grise sur lequel la tête était tombée. Il poussa un soupir résigné puis

siffla entre ses dents.

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Dans un grand bruit d’aile, une chouette d’un blanc étincelant vint se poser sur le dossier

du fauteuil rouge vif qu’occupait Ivy un instant plus tôt. Dimitrov s’en approcha et caressa d’un

air pensif la tête de l’animal.

- Ak’ala ornu’dir. Tab sula, prononça-t-il en très vieil Atlante.

Aussitôt les yeux de l’animal devinrent d’un bleu vif éclatant d’intelligence. Aussi

rapidement qu’il était venu, l’animal s’envola par la haute fenêtre entrouverte qu’il avait

emprunté un instant plus tôt. Le jeune prince l’observa repartir. Il venait de l’utiliser comme

réceptacle pour une partie de ses pensées, cela lui permettait de mentalement contrôler l’esprit

du bel oiseau. Comme mue par une force invisible, la chouette allait désormais directement se

rendre aux quartiers des domestiques où elle allait émettre le message mental du jeune

homme. D’ici une dizaine de minutes, une escadrille d’esclaves allait se précipiter pour nettoyer

de fond en comble la bibliothèque.

Dimitrov sourit, il trouvait ce don très pratique et eut une pensée moqueuse pour Ivy qui

n’avait jamais eu accès aux pouvoirs des Atlantes, ce qui la mettait sans cesse hors d’elle. La

magie d’Atlantide était une entité capricieuse et compliquée qui ne se manifestait que chez très

peu d’êtres humains. L’Hademonium, un liquide bleu argenté à la texture frémissante était le

seul fluide capable de donner de sa magie à un être qui en était totalement dépourvu. Mais sa

rareté et sa dangerosité ne faisait que très peu d’adeptes. Le jeune prince, lui, était toujours né

avec ses pouvoirs. D’après sa mentor, ils lui avait été transmis de sa véritable mère biologique.

Mais malheureusement, il lui était désormais impossible d’en avoir la preuve. Il se renfrogna et

quitta la pièce à grande enjambées, abandonnant le frêle cadavre derrière lui qui refroidissait

déjà.

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Date de publication prévue fin décembre 2014.