Supplément Le Monde des livres 2012.11.02

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  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.11.02

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    Que,pour Pques,jailleMunichou Hambourg,voilquiestexclu,sifortquesoitmondsirdelefaire.Onnepeutgurevenir boutdes for-malitsde passeport; celameprendraitdes jours().Orilfautqueje cherche gagnerdelargent,aussilongtempsqueamarche.LespatientsdeFerenczisont tousdevenus

    insolvablesen unjour.A pr-sent,cestla misretotale. Nousavonsbiensouffertde lafaimetdu froid,jusquauxos,vivonsdanslincertitudela plustran-gequant cequapporteralelendemain,et sommesen chu-telibre tousensemble.

    Lettre Ernst,de Vienne,

    30mars1919,page254

    Papaprodigueetgrand-papapouleDansleslettresquiladressesesenfants(etpetits-enfants), Freuddonnelimagedunpatriarcheattentifetaimant

    Extrait

    Proposrecueillis par

    JulieClarini

    Mari en 1886avec Mart haBernays, Sig-mund Freud asixenfants,nsent re1887 et

    1895. La correspondance avec sescinq premiers, Mathilde, Martin,Oliver,Ernstet Sophie,est publiechez Aubier. Celle avec Anna, sacadette, chez Fayard. ElisabethRoudinesco,historiennede la psy-chanalyse, collaboratrice du Mon-de des livres, en assure la prface.Entretien.

    Cestun Freudtrsinvestidanslesaffairesfamilialesqui servle dansces deuxcorrespon-dances. Ilmaintientles liens,aidefinancirementses enfantsetleur tmoignede la tendres-se.Que reprsentepourlui lafamille?

    La famille a une importancecapitale dans la vie de Freud etdans sa doctrine. La psychanalyseestnedelatransformationdusta-tut de la famille en Europe, mar-queparlabaissementdelatoute-puissancedespres,parlamontedu fminisme etpar limportance

    desdroitsdelenfant.Freudsoccu-pe de jeunes femmes hystriquesen rbellion contre des frustra-tions sexuelles. Ilsintressecom-metousles savantsde sonpoque lasexualitinfantile.

    Il vit Vienne au sein dunef am il le la rg ie a ve c s essixenfants, levs par sa femme,sa belle-sur,une gouvernante etune cuisinire. Mais son autoritnest pas celle dun patriarchetyrannique. Ilest favorable au tra-vail des femmes, la contracep-tion et au libre choix par lesenfants de leur destin amoureuxetprofessionnel.Sacorrespondan-ce nous renseigne donc sur la viequotidienne dune famille de la

    Belle Epoque en pleine mutation.On y retrouve latmosphre desromans de Thomas Mann ou deProust. Chaque enfant est diff-rent mais tous se sentent crass,nonpasparunexcsdautoritaris-me paternel, maisdavoir un prequi est un grand penseur, attaqubien quayant acquis une renom-me mondiale. Enfin, Freud estaussiun pre fondateur entou-rde disciples etde patients.

    Leslettresquil changeavecsesenfants(outreAnna)laissent-ellesapparatrelepsychanalystesous lepre?

    Mais oui. Les enfants de Freudsontimmergs danslhistoiredesdbutsdu mouvement psychana-lytique,olonvoue unevritablepassion lexploration de soi: lesdisciples de Freud forment unefamille et ses patients sont int-grs cette histoire. Tout estmlang, dautant qu cette po-que les premiers psychanalystessanalysententreeux etanalysentleurs enfants, leurs amis, lesenfants de leurs amis. Les fils deFreud, Martin, Oliver et Ernst nechoisissentpas dedeveniranalys-tesmaisils sontprsentsdanscet-tesaga. Parmi lestrois filles,seuleAnna, ladernireet lamoins dsi-re, deviendra une vraie disciplede son pre aprs avoir t analy-separ luientre1918et 1922.

    Que Freud ait voulu garder safille auprs de lui, cest videntmaisctaitaussi ce quellevoulait.Quand Freud a compris quelleavait des tendances homosexuel-

    les, il a accept quelle lve lesenfants de sa compagne DorothyBurlingham.Les deuxfemmes ontvcu ensemble Vienne dans lemme immeuble queFreud.Annaavait en analyse les enfants de

    Dorothy et Dorothy tait en curechez Freud. Ce serait un anachro-nisme que den tre scandalis. Etcestletortdumouvementpsycha-

    nalytique davoir voulu trop long-tempsdissimulercetteralit.Toutecette histoire est passionnante, ellenest nirose ni noire,cest unetran-che devie, avec, au milieu, le dsas-tre de la premire guerre mondialequichangele destinde lapsychana-lyse en Europe. Avec, aussi, le pirepourhorizon:lenazismequicondui-ra la famille Freud un exil sansretourvers lemonde anglophone.

    Vousterminezvotreprfaceenfaisantallusion auxtragiquesgrecs etaux dramesdeShakespea-re.Pourquoi?

    Freud, juif viennois de cultureallemande, juif djudas, a eu lecoupdegniedetransposerdanslafamillebourgeoiseet danslhistoi-re agonisante de lEmpire austro-hongroislasagadesdynastiesroya-lesdelAntiquit etdu thtresha-kespearien.Il a ainsi pensla ques-tion de la famille, non pas commeunpetitdramede lanvrose,maiscomme une tragdie: dipe, cestla tragdie dudestin (linconscient,la dmesure); Hamlet, celle dudsir et de la conscience coupable.Ensuite, ses disciples ont transfor-mcetteaffaireenunepsychologie

    familialiste etlui aussi a contri-buen partie cettepsychologisa-tion. Mais la vritable rvolutionfreudienne,cest linscriptionde lasubjectivithumainedans ununi-verstragiquequiest aussi celuiduXXe sicle,tragiquepar excellence:deuxguerres mondiales parmi lesplusmeurtrires.Freudestunpen-seur de ce tragique-l, celui de lapossible destruction du genos

    (genre)humain.

    Oen estlatraductiondescorrespondancesde Freud?

    Il reste encore traduiredeuxcorrespondances familiales:celle avecMinna Bernays,sa belle-sur, dj parue en allemand, etcelle,volumineuse,avec sa fianceet future pouse,Martha Bernays.1500lettressontencoursdepubli-cation en allemand en cinq volu-mesdontun seulestparu.Et aussila correspondanceavec OttoRank.Freud a crit environ 20000let-tres dont 10000 ont t conser-ves. La plupartdes grandescor-respondance intellectuelles ontttraduites.p

    A cette poque, les premierspsychanalystes sanalysententre eux, analysentleurs enfants, leurs amis

    On souponnesouvent lesmons-tres sacrs davoir t de mau-vais pres, comme si laffectionnaturelle qui porte le parent

    vers lenfant devait ptir de lengendre-mentdune uvre.La paternitde Freudfutau contrairelexempleduneconcilia-tion possible entre une vie intellectuellecrativeetunattachementfidlesanom-breuseprogniture.

    Desa femme,Martha,pouseen1886,Freud eut six enfants, Mathilde, Martin,Oliver, Ernst, Sophie et Anna, autant de

    prnoms choisis en hommage des per-sonnes chres (pour les filles) ou dessavants admirs (pour les garons). Si lacorrespondance de Freud avec sa fillecadette Anna est runie dans un volumespar ce que justifie autant le nombredeslettresquelaplaceparticulirequecet-te enfant occupa dans sa vie , les cinqautres se lisent comme un agrableensemble do transpire la bienveillancedun pre pour sa descendance. Laquelle,ilestvrai, devaitconnatreundestintour-ment; la plupart des enfants de Freud

    furentaffectspar lesvicissitudesde lhis-toire du XXe sicle dbutant premireguerre mondiale, crise de 1929 ou encoreprisedupouvoirparHitler,puisannexionde lAutriche. La ligne eut aussi dplo-rerlapertelgeadultedelunedessiens,lajolieSophie;Freudcritalorsquilny apasdepire monstruositque des enfantsdoiventmouriravantles parents.

    Cest lune des choses qui frappent leplus, lalecturede cesmissives gnrale-mentassez courteset immanquablementsignes Papa : la proccupationconstantedeFreudpourlasantdessiens.Sil na rien pu faire pour Sophie, empor-teparlagrippedeHambourgetprobable-

    mentaffaiblie par les restrictions daprs-guerreni pourledeuximefilsdecelle-ci,dont la mort en 1923 laccable (jours les

    plus noirs de ma vie ), ses lettres enjoi-gnentauxunset auxautresdese reposeret de prserverleur constitution.

    ProdigalitA son fils Ernst, install comme archi-

    tecte Berlin,il adresseune exhortationpressante passer cet hiver Davos . Encela, Freudusede lautoritque luiconf-re son statut de pre et dont il ne semblepas avoir dout un seul instant. Autreobjet sur lequel Freud se montre inflexi-ble: largent.Toutesa vieil a subvenuaux

    besoinsde sesenfantssansimaginer quilpuisse en tre autrement. Pour moi,avoue-t-il Sophie en 1917, cest en cemoment le seul plaisir sans mlange quede pouvoir donner de largent vous, mesenfants,ou maman ou tante;cestcelaseul qui me rend le travail supportable.Cetteprodigalitsetraduitdanslescorres-pondancesparune largeplacelaisseauxchanges dargent, comptes ou autresordres de virement. En 1923, il fait cetteremarque sa belle-fille Lucie, qui sonnesi familire, une crise ressemblant fort uneautre: Laconsquencedufaitqueles

    jeunes ont aujourdhui tant de mal arri-ver quelque chose est que les vieux doi-venttirerdeux-mmesjusqu ladernire

    gouttede leur capacit produire.Ce nest dailleurs souvent que pour

    regretterlemanquedetempsquilluilais-seque Freudvoqueson travail.Nonsanshumour, parfois: accapar par despatientsanglo-amricains,six heures parjour, il bougonne contre cette satanenation [qui] nouvre pas sa gueule quandelleparle.

    Le psychanalyste, homme de lcoute,prte loreille aux difficults des uns etdesautres,soutenanticiungendreaffectpar une nvrose de guerre, clairant avecfranchise Ernestine, la femme de Martin,

    sur les vraies dfaillances de son couple,ou prodiguant l des conseils quand safille Sophie lui rapporte les comporte-mentsdesesdeuxgarons,dontlunnestautrequelefameuxpetitjoueur labobi-nede fil, casrelatdansAu del du princi-

    pe de plaisir.Objetde lammesollicitude,la seconde gnration reoit de grand-

    papa des envois de timbres et des sou-haits danniversaire. Faisant part de sahte de dcouvrir un nourrisson, Freudadmet avec une lucidit empreinte diro-nieque, toutde mme, il fautun certaintemps pour quun tre de cette espceapprenne apprcier la valeur et la fonc-tiondungrand-pre.

    Quelquesannesplustard,danssader-nire lettre Ernst, quil doit retrouver Londres et alorsque le voyagesorganise,le savant, dsormais octognaire, crit:JemecompareparfoisauvieuxJacobquesesenfantsavaientaussiemmenenEgyp-te un ge avanc. Cest donc ainsi queFreud se voyait, patriarche inspirantautour de lui le respect et la pit filiale,figuretutlaire,aimante etaime.p J.C.

    laune

    Parcours

    Lettres ses enfants,deSigmundFreud,traduitde lallemandparFernandCambon,Aubier Psychanalyse, 624p., 27.

    Historiennedelapsychanalyse,ElisabethRoudinescosignelaprfacedelacorrespondanceentrelematreviennoisetsafilleAnna.EllereplaceleprefondateurauseindelaBelleEpoque

    Freudpenselafamillecommeunetragdie

    6mai1856NaissancedeFreud Freiberg,Moravie(Autriche).

    1886 Stablit commemdecinVienneetpouseMarthaBer-nays.Six enfantsnaissententre1887et1895.

    1896Sinstalle auBerggasse19.

    1899FreudtermineLInterpr-tationdes rves.

    1918Findela guerre.Les troisfilsde Freud,dmobiliss,

    entrentdansla vieprofession-nellepuis semarient.

    1923 Lessymptmesdu cancerdeFreud sontdtects.

    1933Oliveret ErnstmigrentenFrance ouenAngleterre.

    23septembre1939MeurtLondres.

    Freudet sa fille

    Anna,en 1938.ADOC-PHOTOS

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    Unessaietdeux romansressuscitentlafiguredumortvivant.Etluiinfligentderevigorantesmutationspour propagerunepoigne devrits surlhomme etlasocit occidentale

    Leszombiesfontpeauneuve

    LanuitadvorlemondedePit Agarmen,RobertLaffont,228p.,18 .Plongdansun comathylique, untren-tenairese rveilledansun appartementPigallealorsqueles zombiesdanslesruesdvorentou contaminent lesParisiens.Barricad,le rescapapprend survivredanslaplus extrmesolitude.Enclin

    lintrospection,il apprivoiselide dtrepeut-treluniquereprsentantdunecivilisation en voiedextinction.

    FeeddeMiraGrant,traduitde langlais(Etats-Unis)parBenotDomis,Bragelonne,450p.,24 .2039,anne lectoraleaux Etats-Unis.Lescandidatssonten campagne.Etle groupedejeunesblogueursdirigpar Georgiaatchoisipour suivrelundeux,un rpu-blicainpluttprogressiste.Ils vontsillon-nerun paysappliquantdesmesures descuritsanitairesdraconiennesdepuis le

    Jourdesmortsde2014,au cours duquellecroisementde deuxvaccinsa provoquunepidmie de morts-vivants.

    MachaSry

    Beurk!Nullecraturenestplusrpulsive,plus grotesquequelezombie.Plusmprise nonplus.Cetpouvantailneposs-de ni la posie dufantme nilemagntismesexuelduvam-

    pire. De lhumain, le zombie na conservquelapparence.Douduneviepurementbiologique,ilneragitquauxstimuliext-rieurset nesonge qudvorerde la chairfrache.Il nya riende complexechezlui,pas la moindre once de sophistication.Invariables sont ses caractristiques. Ce

    revenant issu du vaudou hatien a pour-tant prolifr, outre-Atlantique. Du cin-madhorreur,ilagagnlalittrature,lejeuvido, la bande dessine et sest imposcomme une icne de la mondialisation.Commesi cephnomnede dmultiplica-tion culturelle, ce plaisir contagieuxde lasrie B, produisait un effet miroir de lafonction primitive du zombie: transfor-mer quiconque en un autre lui-mme.Cest--direun sujetdune grandeplastici-t,dispos seprter touteslesinterpr-tations,provoquerdesractionsencha-

    ne.Carlezombienestquunreflet.De quoi cette crature est-elle donc le

    nom?, sest interrog Maxime Coulombedans son essaiPetite philosophie du zom-bie. Loin dtreexotique, le zombiepasti-che un sujet traumatis, bris par quelquedrame, voire par le rythme du mondemoderne. () Si notre poque ne sait plusdonnersenslafatalitetprfreladnier,larefouler,plutt quedenfaire unepartieet une conditionde la vie, le zombie,com-me unesingulireironie,commevengean-ce ridicule, incarne ce retour dune mortinsenseetvide. Selonlesociologuecana-dien,lezombietrahiraitlafascinationocci-dentalepourlespaysagesen ruineset unepulsion destructrice, rvlatrice desinquitudes de notre poque. Faire tablerasedupasset serepatredu dsastre,telseraitle rlequiluichoirait.

    Ily ena dautres.Car,quoiquenon poly-morphe,lezombieseprtelapolysmie.Cela, comme tous les mythes, de Prom-the aux superhros des comics Marvel.Librechacundyvoirlindividulobotomi-spardesarmesdedistractionmassiveourobotisparletravaillachane,lavictimedune catastrophe nuclaire ou lavatardun SDF. Depuis 1968, le cinaste amri-cainGeorges A.Romero expdiele prda-teuraufrontafindecritiquerladiscrimina-tionraciale,ainsiquelasocitdeconsom-mation qui rduit le citoyen lacheteurcompulsif.En 1994,BretEastonEllisa inti-tul un recueil de nouvelles Zombies (Ed.10/18),dsignantlesmillionnairesdsabu-

    ss accrocs au sexe et la dfonce, quidominent lchelle sociale. A linverse, leralisateur britannique EdgarWright les atransformsen main-duvrecorvablelafindeShaunoftheDead(2004).

    Deuxromanspubliscetautomneindi-quentquunetape a tfranchie.Pour leFranais Pit Agarmen (La nuit a dvor lemonde) etlAmricaineMira Grant(Feed),

    le zombie nest quun point de dpart.Leursrcits nesuiventpas lapropagationdunepidmiequinelaisseraitleurchan-ce quune poigne de survivants. Dem-ble, ilslrigenten postulat, ensorte quelessentiel est ailleurs, dans le devenirpost-apocalypse. Lun sattache dcrirela solitude dun homme, lautre dpeintlesEtats-Unisen 2039. DeuxdcenniessesontcoulesdepuisleJourdesmortsquia vu les zombies infester le pays. Linfec-tionvirale est contenuepar des rgles de

    scurit draconiennes.Les villes formentdes enclaves protges, les citoyens sor-tent peu de chez eux. Depuis leur irrup-tion,toutachang,remarquelanarratricede Feed, une journaliste-blogueuse char-ge de suivre la campagne dun candidatrpublicain en lice pour les primaires.Difficiledtreun homme politique danscemonde,surtoutaveclaxnophobieetla

    paranoa quifont des ravagesdans la plu-partde noscommunautsaises.

    Un nouveau monde commence. Unenouvelle Amrique estne,et nous ensom-mes les Indiens, enchrit le hros de Lanuit a dvorle monde,dePit Agarmen.Etquimporte si, cette fois, lAmrique senomme Montmartre, que la rserve dIn-diensnecomptequunindividu.Lapparte-mento celui-cisestrfugiest lledser-te de ce Robinson postmoderne. Aprs lenaufragesoussesyeuxde lacivilisation,il

    lui incombedamnager son territoire. Ledfi rside moins dans lautarcie alimen-taire assure par les provisions collectesdans limmeuble de septtages que danslapprivoisement de la solitude. Prostra-tion,dpression,cauchemarsJeviscom-me un animal, mangeant mme les bo-tesde conserve,ne melavant pas,ne chan-

    geantpas de vtements.Jai rgress.

    Peu peu,le temps sorganise,les jour-nes se rglent, mieux, se ritualisent. Lerescap recueille leau de pluie, fabriqueson compost, gre son stock de nourritu-re, cultive des plantes en pot. Sous sonbalcon,les morts-vivants grognent,ressacdabord inquitant puis rassurant au fildes mois. Paris, ville morte, hormis lui eteux. Il ma fallu un mois pour com-

    prendreque les zombies ne sontpas le vraidanger.Je suismonpireennemi. Restentlessouvenirsen guisedegarde-fou

    Feed etLa nuita dvorle mondeobis-sent des modalits identiques lorsquilsagit dexplorer la frontire mouvanteentre animalit et humanit. Quel est lemonstre? Lanthropophage dnu deconscience ou lindividu arm qui, aprsavoir bu un bon vin, prend tous les joursplaisir faire clater des cervelles? Quisontlesmonstres?Leshordescarnassires

    grossies par les infects ou les politiquesallis aux lobbies industriels qui cher-chenttirerprofitdelapeurpourrestrein-dreleslibertsciviles? Doit-onmenerunepolitique prventive susceptible deconduire aux pires extrmits? On voitparl larsonanceaveclactualit.Depuisles attentats du 11-Septembre, le terroris-memetaudfiladmocratiededemeurerfidle elle-mme, malgr les menacesquil fait peser sur elle. Le rcit conspira-tionniste de Mira Grant sinscrit dans cequestionnement.

    Souvenons-nousdeRobinsonCrusodeDaniel Defoe. Parti explorer son le, ildcouvritunectecolonisepardescanni-bales. Une fois lhorreur passe, il dcidaque rien ne lautorisait les attaquer. Ilsignoraient son existence et ne saventu-raientpasau-deldeleurrivage.Lesmassa-crer, ceseraitjustifierlaconduitedesEspa-

    gnols et les actes barbares auxquels ilsstaient livrsen Amrique, conclut-il.

    Ence sens,les vrais mutantsnesontpasles zombies, mais les humains acculs redfinir leurs valeurs chaque poque,ainsique lescrateurslorsquilssont capa-blesde renouveler un genrearchi-rebattu,pardes rcitsde mtamorphoses,quellessoientintimesou collectives.p

    A liresur lemmesujet :Guidede survieen territoire zombie,deMax Brooks(traductiondelanglais parPatrickImbert, Le Livrede poche,Fantastique, 384p.,7,10 ).

    Traverse

    PetitephilosophieduzombieOucommentpenserpar lhorreur,deMaximeCoulombe,PUF,LaNaturehumaine, 128p.,13.Lauteur,sociologueet professeurdhis-toirede lart,voitdans lezombieunava-tarde lhommetraumatis,ainsi quunretourdu refoul,lamort quoncherche ignorer.Sa prolifration aucinmatra-

    duiraitunecritiquedesvaleursindivi-dualistes delOccidentetune pulsiondestructrice pousse sonparoxysme.

    WalkingDead,T.16.Un vaste

    monde, deRobertKirkmanetCharlie Adlard,traductiondelanglais (Etats-Unis)

    parEdmond Tourriolet Makma,Delcourt, Contrebande,144p., 13,95.

    Libre chacundyvoir lindividulobotomispardes

    armesdedistractionmassive, robotispar le travail lachaneouvictimedune catastrophenuclaire

    LasagaquidcimelAmriqueON A SURVCUpourarriverjus-quici. Lacolline.On va rebtirunecivilisation. Onpourrase rappro-cherdumondetelquiltaitavant.Retrouverla paix.Elevernosenfants.Aimernosfamilles.Lhommemanchotqui haranguesescompagnons dansle seizi-mevolumede lasagade bandedessine Walking DeadestRickGrimes,unancienpolicierduKentucky. Depuislinvasiondesmorts-vivants,ilna eude cessedeprotgersa femme,Lori,et sonfils,Carl,ainsique lapoigne derescapsquise sontjoints songroupe.Gurillasurbaines,bivouacsen fort,sjour prolon-gdansune fermedlaissepour

    uneprison,seule mmedassu-rerunescuritde tous lesins-tantscontreles rdeurs,lesbandesarmesetles pillards Lesnouveauxpionniers,cest eux,cettepoignedindividusen cava-le,acharns sedfendre, rin-troduirede lordredanslechaoset menerune vienormale.

    Traduitedans unetrentainedepays, WalkingDeadestuneuvrefondatrice,en ce sensquelleconfre unrcit catastropheunedimensionnon seulementpiqueUlyssecherchait revenirItha-que,eux trouverun toitet fon-derune communautagricole,maisaussiphilosophique.Lesdli-brationsmoralesny tiennent

    pasune placeartificielle.RobertKirkman,le crateurde cettesagadbuteen 2003, a puissoninspi-rationdansla filmographiede laseconde guerremondiale. Maiscefeuilletonen noiret blancsinscritdavantagedanslescodesduwes-tern.Il faitlobjetduneadapta-tionen srietlvisedontla troi-simesaisonestencoursdediffu-sionaux Etats-Unis.pM.S.

    RUEDES ARCHIVES

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    Toute la vritToutlemondeparlaitdu livre.La premire phrasedu prologuedeLaVrit surlaffaireHarryQue-berta quelquechose duneproph-tieautoralisatrice,tant ledeuxi-

    meroman deJol Dicker,Genevoisde27ans,estdevenuunphnom-ne: dj rcompensparleGrandPrixde lAcadmie,il demeure enlicepourle Goncourt.A partuneffetmagiquedecepresqueinci-pit,onvoitmallacausedecetengouementpour un thrillerdontladimensionlittraire reposeessentiellementsur lefait quesesprotagonistessontdes crivains.Unjeune auteur,apprenantquesonmentorest accusdavoirtuuneadolescentetrente-troisansplustt partmener lenqutedansleMassachusetts. Apartir del,JolDickeraligne lespersonnagesbienconnus(la serveusemlanco-lique,le flicbourru)et lesrebon-dissements,entrecoups dedoctessentencessur lalittrature.Un

    grandromanamricainvenude

    Suisse, scrientses admirateurs?

    Disonsun honntepolar,dontla prsencesurles listesautomna-lesestun mystrepluspais queceluiquinourritsonintrigue.p

    RaphalleLeyrisaLa Vritsur laffaire

    HarryQuebert, deJol

    Dicker,DeFallois/LAge

    dhomme,670p.,22.

    Desflots grisantsIlestdanslordredes chosesquuncrivaindbutantsatureson livredevie,de pense,derverie,quitteen obscurcirla trame.Le premierromande NicolasDeleaunchap-

    pepas largle,qui convoque,par-fois dansledsordre,toutce quelamer produitde mythologies.Lasurprise,cestquele lecteur, quiilarrivedeseperdredanscettetra-versenocturne,errantparmi leserrantsdontil suitles histoirescroises fuite,dcouvertedumonde,qutedu lieuochappersa brutalit, nedsireplusquunechose: demeurer parmieux.Desfeuxbrillentsurlesflots.Lagriseriecrotaveclemystre,dautantque lalanguedense etsonorede lauteur, sonlyrisme

    contenufontdeRoisdailleurs bienplusquun romande mer,un romanmaritime,unemersombreetagi-tequiinviteaudpart.p

    FlorentGeorgesco

    a LesRoisdailleurs,deNicolasDeleau,

    Rivages,368p., 20.

    ImpitoyableMarie estune vieillefemmedansunevieille maison,quelquepartenFrance.Amoursfltries,espoirsdus,confitedanslenvieetla jalousie,ellepassesa vieilles-sedans laigreur, sesouveniret sementir.Pendantce temps,sonmaritousseet stouffe.Lanarrationglisse entredeuxpointsde vue,plusou moins dis-tants,faisantalterner lepass,tropbref,et leprsent,trslong.Lelecteurassiste au lenttriom-pheambigude lamchancet.Lavieillefemmecrase,touffesonmari, sesfils,toutesa famille.Por-traitaufilde sapense,leromansuitMariepartout, sonrythmeetdans sesmensonges.Deuxi-meromande HervBel(aprsLa

    Nuitdu Vojd, JCLatts,2010),LesChoixsecrets estrjouissantparcequimpitoyableavec son person-nage. Une confirmation.p

    NilsC.AhlaLes Choix secrets,deHerv Bel,

    JCLatts,368 p.,18,50 .

    Sans oublier

    XavierHoussin

    On navait pas faitattention. Cestvenu comme unebrume recouvrantp eu p eu l escontoursdu paysa-

    ge. Un brouillard transparent surles jours. Quelque chose dinsi-dieux.Rienfaire.Plusquunelen-teenviede laisserglisserle temps.Surles bords duLman,avantqueles dpliants touristiques ne sesoient empars du mot pour van-ter le climat lnifiant du lac, lesgensappelaientcelala molle.

    CatherineSafonoffestdeGen-ve.Elleyestne,elleyvit.Ladiffi-cult dtre, cette distance voilequi existeentre les sentimentsetleur expression, est au cur desoncriture.Le Mineur et le cana-ri,sondernierlivre,tientlachroni-quedouce-amrede lacure duneseptuagnaire dprime quisamourache de son psy. Duntunautreetauprintempssui-vant,les sancesquelleenchaneavec le docteur Ursus, mdecinpsychiatre quelle a fini par allerconsulter aprs avoir tent desextirpertouteseuledesatristes-sedevieillir,delapeurdelabsen-ce, du regret des amours, dunlivre en jachre et des excs demdicaments,fontlefildunenar-rationtrspersonnelle,tonnam-

    mentproche.

    QuotidiendesriensDepuis 1977, intervalles irr-

    guliers, Catherine Safonoff apubli neuf titres. Des romans silon veut, des recueils de nouvel-les,des journauxen dsordre,desrcits jamais entirement ache-vs. Chacun dentre eux se croi-sant, se ficelant serr, pour faireunepelote dexistence. La sienne.Tout ce que jcris est biographi-que, explique-t-elle.

    Maiscestdans lesdtails,danslclat, dans linfime quelle servle. Dans un quotidien desriens, pres, drisoires, tou-chants.Lesouvrierstravaillentausous-sol de la maison rparerlaplomberie et installer une nou-

    velle chaudire. La chatte grisesest enfuie. Arnaud, le petit-fils,vient rviser ses leons. La narra-trice du Mineur et le Canari sedbat au cur dune foule dv-nements dont elle sefforce deretrouver le sens. Elle se casse lafigureen vlo, se foule la chevilleen revenant du march, se prenddes poussires mtalliques dans

    lil. Ce matin, jaimerais quequelquun me dise de rester au litetfasseleschoses maplace.Jen-tendrais des pas dans la maison,des portes ouvertes et refermesdoucement et quand je me lve-rais tout serait mieux, crivait-elledj dansAutour de ma mre(Zo,2007), sonprcdentlivre.

    Le Mineur et le Canari, thrapieoblige, avance en associationsl ib r es , e n s u cc es s io n d esmoments,enhasardsetendigres-sions. Mais cest toute luvre deCatherineSafonoff quise prsen-te ainsi. Dun texte lautre, elleparpillelesfragmentsdecequel-lea vcu.Le premier,La Part dEs-m (Bertil Galland, 1977, LAgedhomme,1994),accompagnaitlafuite dune jeune femme aprs

    une sparation. Retour, retour(Zo, 1984) la faisait se retrouverchez elle comme en pays incon-nu.De lammemanire, Commeavant Galile (Zo, 1993) appro-chaitla figuredunpre disparu.

    Plusjeparleet plusje taismonsecret, laisse-t-elle chapperdans Le Pont aux heures (Zo,1996).Lesdtailsdu rel ontbeau

    envahir ses lignes, sa part intimereste dans les blancs. Les pauses,leslacunes.Onladevinepourtant.Chaque paysage est un tat

    dme.ChezCatherineSafonoff,cettephra-

    se clbredu volumineux journalintime de soncompatrioteHenri-FrdricAmiel(1821-1881)pourraittenir lieu dexergue tous seslivres. Tant pourAu nord du capi-taine (Zo, 2002), engrenage despisodes dune passion compli-que, que pour Autour de mamre, oledeuildecetamourper-dusemlelAlzheimermaternel.La manire de se souvenir nestpaslie unequteintrospective.

    Dailleurs, le souvenir nexisteque pour donner du relief, de laprofondeur au sentiment. Il fautjuste que les motions se tou-chent. Nimportequelleconversa-tion humaine, crit-elle dans

    LeMine ur et le Canari, nimportequelle chaleur des corps rappro-chsvalenttouteunepagedcritu-re. Dailleurs les livres ne font que

    parler de cette chaleur perdue.De Colette Annie Ernaux, deKafkaVirginiaWoolf,PascalQui-gnard ou Pierre Bergounioux,CatherineSafonoffcheminedansla compagnie de grands auteurs.Seslectureslaccompagnent.Rf-rences familires. Petit viatiquedesveillesau lendemain.

    Autrefois, les mineurs empor-taient avec eux au fond du puitsunoiseauencage.Lanimalmour-rait bien avant eux si l at -mosphre devenait dangereuse.Leur laissant le temps de remon-ter lairlibre.Ce texteduneinfi-nie douceur, bouleversant, toutempli dinquitude tendre, dhu-mour fragile, est aussi lhistoiredune claircie promise. Sur lesrives,letempsva selever.p

    NahaletSheyda,lesvisagesdelIranDeuxIraniennesseracontent lepaysdeleurenfancedansledlicatetsduisantElle joue

    Littrature Critiques

    CatherineSimon

    Toutedeuxsontnes en Iran, toutedeuxen sontparties. Luneracon-te; lautrecoute maisparleaus-si. Cest son histoire et cest mon

    livre, prvientNahalTajadod. Elle-mmea quittThran,il y a plus detrente ans,en1977deuxansavantlachuteduChah.EnFrance,ellejouitdunecertainenotori-t: elle est lauteure de plusieurs livres,parmi lesquels Les Porteurs de lumire(Albin Michel, 2008), cocrit avec sonpoux,Jean-Claude Carrire.

    Sheyda,elle,estinconnue.DumoinsenFrance.Actricede cinma au succs gran-dissant en Iran, la jeune femme (dont onnesauralenomqulafindulivre)napasconnudautrergimequeceluidesayatol-lahs. Elle raconteson enfance,son pays,lademandedesonaneassoiffe,atten-tive. Sheyda, ge de 28ans, incarne, ditNahalTajadod, cetIranquejene connais

    pas, que je cherche happer, saisir, cet

    Iran qui attire et terrorise. Plus de vingtans sparentles deux femmes: Tout unmonde,raliselaplusge.Ex-petitefilleriche, Nahal Tajadod a vcu avec safamille,au norddeThran, proximitde la rsidence royale ; elle frquentaitun lycefranais,inaugurparde Gaulleen personne et passait ses vacances

    Parisou Stockholm . CommedanslIrandela dessinatriceMarjane Satrapiou dela

    romancire Yassaman Montazami, on sesouvient des filles marchant tte nue etdesfilmsdelaNouvelleVague.Sheyda,enrevanche,apasssespremiresannesaurez-de-chaussedunemaisontroite,ber-cepar lcho desbombardements.LIran

    desannes1960est,pourelle,uneplanteinconnue.

    Neen 1983, en pleineguerreIran-Irak,lafilletteagrandientreun presansdipl-meetunemredascendancebahaereli-gionhaeet mpriseparles musulmans.La famille nen est pas moins aise, culti-ve. Encourage par sa mre devenirmusicienne,Sheydalchelescoursde pia-no pour faire du cinma. Elle est ge de14ans, en octobre1997, quand on lui rasela tte pour les besoins dun tournage:cestsonpremierfilm.

    ANahalTajadod,elleparlesansretenuede ses parents,de son cole, de ses parte-naires, de ses amours,de son exprience

    Hollywood et mme de son interrogatoi-re par la police de Thran, jusquaudpart, dramatique, pour la France. Lepays que la jeune actrice dcrit est lIransombre,contradictoireet fantastique,desfilmsquondcouvreen Europe, Cannesou Berlin, mais dont les Iraniens eux-mmessont privs.

    Surtout,Sheyda,par lavoixde sonscri-be improvis, raconte les coulisses de laproductionartistique,soumiseau jougdelabigoteriefanatique:commentlamairiede Thran se vante davoir rnov ou

    construit 2480mosques, alors que lacapitaleet ses douze millionsdhabitantsne disposent que dune dizaine de sallesde thtre; comment lartiste qui choisitde faire allgeance au rgime, en accep-tant linvitation dun sjour La Mecque,est assur ds lors davoir sa maison, savoiture, son assurance-maladie, sa retrai-te, sa villa au bord de la mer, sa boursedtudes,son riz,sonsucre,tout ;oucom-mentlatlvisiondEtatfabrique, coupsde millions, des feuilletons de propagan-de religieuse, alors que tout le monderegarde les chanes iraniennes misesdepuis Duba, Los Angeles ou Londres ,notamment Farsi 1 et ses telenovelascolombiennes,doubles en persan.

    Nos Hemingwayvendent aujourdhuidespizzas, observeNahalTajadod.Rfu-tant cette vision amre, Sheyda nhsitepassedireconvaincuequelesgenssontheureux en Iran. Jeunesse oblige? Deuxvisages se rapprochent, sobservent, sesparent.Elle joue,dlicatetsduisantjeude miroirs, est un adieu au pays aimautantqu lajeunesseenfuie.p

    LeMineuretleCanari,

    deCatherineSafonoff,EditionsZo,175 p., 18.

    Uneseptuagnairesprenddesonpsychanalyste.Romanbouleversant,LeMineuretleCanaridclinelesmotifsfamiliersdeCatherineSafonoff

    Doux-amercoupdegrisou

    Sheyda incarnecet Iranque jeneconnais pas, que je

    cherche happer, saisir, cet Iran quiattire et terrorise

    NahalTajadod

    Ellejoue,deNahalTajadod,AlbinMichel,384p., 20,90.

    OLIVIERBALEZ

    4 0123Vendredi 2 novembre2012

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.11.02

    5/10

    ConjurationcompositeAlatriste estde retour.Quatreansaprs Corsairesdu Levant, lecapitaineau servicede PhilippeIVet deDon Franciscode Que-vedogagneVenise laveilledela Nol1627. Samission:assassi-nerle dogependantla messe deminuit. Laconjurationcompo-siteestdautantplus prcairequildoitsentendreavecson

    ennemijur,MalatestaSi lonretrouveavecjubila-tionlaverve laDumasde lcrivain,on estblouiparlvocation dune fauneurbaineet parla languequijouedunespagnolarchaque,mtinditalien.Laprouesselinguistiquenestpas lemoindrechar-mede cetpisode lun desmeilleurs.p

    Philippe-JeanCatinchiaLe Pontdes assassins(El Puentede

    losasesinos), deArturo Prez-Reverte, traduitde lespagnol

    parFranoisMaspero, Seuil,364p., 19,50.

    Peinturede lauteurvieillissantVoicien quelquesortela suite duremarquableJournalde gal-re (ActesSud, 2010) quicouvraittrenteannesdela viedImreKertsz,de1961 1991. Lorsque LeMondedes livres lavaitrencontr Berlin,lhiver dernier,il avaitlonguementparldelasituationpolitique Budapestet desremarquesquasipro-phtiques quil avait consignesdans cejournal,dsle dbut

    desannes2000,surla montedunnofascisme lahongroi-seet dela rsurgencedunantismitismevivace (Le Mondedeslivresdu 10fvrier).A ctduportrait desa Hongrienata-le quila finipar fuirpoursinstaller enAllemagne,luiqui 16ans avaittdport Auschwitz surgitici lesien propre.Sauvegardeestdoncaussiune peintureanxieuse,poignante,delauteurse regardantvieillir.Du corps quichangesi soudai-

    nementquonen restebahi. Les humiliationsphy-siques.Je nelauraisjamaiscru maisla vieillessearri-vedun coup()presquedune minute lautre.A83 ans,le prixNobel(2002)a beausouffrirdunemaladiede Parkinson,son tonestintact.Lucide,coupant,absolumentbouleversant. pFl.N.aSauvergarde. Journal2001-2003. (MentsMa Sknt),

    dImreKertsz, traduitdu hongrois

    parNatalia Zaremba-Huzsvai etCharles Zaremba,

    ActesSud,224 p.,19,80.

    Une nouvelle toile est ne

    au rmament de la littrature islandaise.

    Olivia Mauriac,Madame Figaro

    L E MBE L L IEA U U R A V A LA FS D T T I R

    zw w w . z u l m a . f r

    Sans oublier

    TraindevieCommedans lAutomnemalade dApollinaire,toutest affai-

    rede larmeset desaisons. Un trainquiroule/laviescoule. Ilnya quecinqarrtsentreGenveetLausanne.Cestletempsjusquiciquia durtellement,pourMargarita.Ellerendvisitesonfilsaprsavoirconsult poursonmari ungrandmdecinenSuisse.Ellepressentaitbienquilnyavaitplus despoir.Dunegare uneautre,AntonioSolerdroule lentrelacsdespenses,de souvenirsenregrets,dune femme vieillissante.Sonenviede libert,etles morts etles drames.Les annesdetrahisondelhommequelleaimait, ouencoreses douzeansquandellearrivait Lyonavecses parentsvenantdEspagne.Quesest-ildoncperdu? Moncurachangde place,se murmure-t-elle.pXavierHoussinaLausanne(Lausana), deAntonio Soler,traduitdelespagnolparSverineRosset,AlbinMichel,288 p.,22 .

    AliceBhatti, sainteintouchableLhronedeMohammedHanifnousentraneKarachi,villetentaculaireetfascinante

    FlorenceNoiville

    Il nest gure facile dapparte-niruneminoritnonmusul-mane au Pakistan. On se sou-vient de la jeune Rimsha,

    14ans,quienaot,avaittdnon-ceparunvoisinpouravoirincen-didespages duCoran uncrimequi,dans cette Rpublique islami-que, estpassibledela prison vie.On se souvient aussi de la suite :laffairentait quuncoup mont.Unimamavaitlui-mmeplacdestextes du Coran, au milieu depapiers brls, dans le sac de lafillette. Dmasqu, il avait finale-ment affirm quil sagissait l dela seule faon dexpulser les chr-tiensduquartieroilvivait,dansune banlieuedIslamabad.

    Ce que montre ce fait divers,cestla vulnrabilitde la minori-t chrtienne du Pakistan. Tel estjustement le thme du dernierlivrede MohammedHanif,Notre-

    Dame dAli ce Bhatti . Dans ceroman courageux, compassion-nel et on ne peut plus ancr danslactualit, lcrivain lve le voilesur ce qui est hautement tabou

    dans son pays: la situation deceux qui sont en majorit desintouchables convertis et quicumulentledoublehandicapdelacasteetde lareligion.

    Audacieux? Oui, lorsque lonpense tous ceux qui, pour avoirvouluprendreladfensedemino-rits chrtienne ou hindoue ,ont pri assassins. Mais cetteaudace-lcollelapeaudeMoham-med Hanif depuis quil est n, en1964, Okara,dansle Punjab.Pourchapperlisolementdesonvilla-

    ge, le jeune homme sengage 16ansdanslarmedelairpakista-naise. Il deviendra pilote. Au boutdeseptans,ilse lasseetse faitren-voyer. Jai nanmoinsappris unechose essentielle larme: lire etcrire, dit-il, insistant sur le faitquejusqualors,hormislesMmoi-res dun vieux colonel punjabi etquelquesclassiquesenlangueour-doue,il navaitjamais vude livres.

    Aprs larme,il choisitlundesmtierslesplus dangereux exer-

    cer dans son pays, le journalismedinvestigation. Bientt, il signedansleNewYorkTimes,le Washing-ton Post et le Guardian, avant dediriger la section ourdoue de laBBC, Londres. Cest cette po-quequilcommencecrire Atten-tat lamangue (d.desDeux Ter-res, 2009), une sorte de fauxroman policier, loufoque et spiri-tuel lafois,o lonrevientsur lessemaines ayant prcd le crashde lavion prsidentiel Pak Onequi,en1988,cotalavieaugnral

    Zia. Original et trsremarqu,ce premierromanvautMoham-med Hanif le presti-g i eu x p r ix C om -monwealth(2009).

    Dans Notre-DamedAlice Bhatti, s ondeuxime livre, on

    retrouvele mmejoyeuxmlangedhorreur et dhumour. Quoi demieuxdailleursquelafictionetlerirepour dlivrerquelquesvritsdifficiles entendre? Alice Bhattiestune pariacatholiqueissue descaniveaux puants de la coloniefranaisedeKarachi.Pauvre,chr-tienne et femme, cela fait beau-couppourun seultre.Alicerus-sit pourtant se faire embauchercomme infirmire lhpital duSacr-Cur. Sa mission? Rcon-

    forter les malades sansflirter aveceux. Alice Bhatti fait en ralitbeaucoupmieux.Ellese dcouvrepeupeudesdonsdegurisseuse.Unesainte,cetteintouchable?Ellesemble en tout cas dlivrer deleurs maux des milliers de mala-des. Jusquau jour o elle pouselhommequilnelui fallaitpas

    Toute la subtilit de Moham-medHanifconsiste avoirmisaucurdeson romance personnageincarnantlafoislasductionAli-ce est belle, sexuellement attiran-te,ellegurit etla rpulsionliesacaste.Femmeforteetpugnace,Alice sedtacheainsimagnifique-mentsur lefonddudcor: ladan-gereuse et tentaculaire Karachiaussi prsente dans le romanquun vritable personnage. Cetteville gigantesque et monstrueu-seounedemi-douzainedeperson-nes meurent en moyenne chaque

    jour , Hanif russit (presque) nous la rendre attachante. En2008,il a dailleursdcidde quit-terLondrespourretourneryvivre.A la stupeur de ses proches. Delaudace,toujoursde laudacep

    Critiques Littrature

    FabioGambaro

    Depuis ses dbuts, luvredAlessandro Piperno pui-sesonnergiedanslanaly-se cruelle et dsenchantedes contradictions de labourgeoisie italienne. Un

    anaprslapublicationdePerscution(Lia-na Levi,2011,Prixdu meilleurlivretran-ger), Insparables, le magnifique secondvoletde cediptyque consacrauxdrameset aux passions dune riche famille juiveromaine,le confirme.

    Aussi matris que parfaitement crit,cevasteromanapermisPiperno,quadra-gnaireromain,desimposercommelundesmeilleurscrivainsitalienscontempo-rains.Cequineluiapaspargnquelquesattaques particulirement svres. Jesuisunauteurcontrovers.Jaireu deslo-

    ges dithyrambiques mais aussi des criti-ques froces. Mes livres drangent et par-

    fois divisent le public , assure le roman-cier, en rappelant cependant que ce der-n ie r r o m an v en du p lu s d e100000exemplairesatcouronnparleprix Strega,le plusprestigieux desprixlittrairesitaliens.

    Deshrosattachantset pitoyablesMme si on peut les lire de manire

    indpendante,PerscutionetInsparablesonttconuscommelesdeuxopus dunmme projet. Je les ai imagins et critsen mmetemps, expliquePiperno. Ilsdia-loguent entre eux sur le plan thmatiquecommesurleplanstylistique.Etjenedses-

    pre pas de les voir, un jour, publisen unseul coffret. Perscution tait un touf-fant roman tragi-comique, construitautour du destin dramatique de LeoPon-tecorvo, un clbre oncologue accus depdophilie qui, incapable de ragir auxaccusations, senfermait plusieurs moisdans sa cave et sy laissait mourir (LeMonde des livres du 9septembre 2011).

    Insparables, la tonalit moins gravemais non moins mouvante, raconte lavie de ses deux enfants, vingt-cinqansplustard,aumomentoleursviesprofes-sionnelleset sentimentales basculent.

    Lan,Filippo,aussilibertinque pares-seux, est un auteur mconnu de bandesdessines.Grceau succsdunfilmdani-mation,ilconnatpresquepar hasarduneclbrit fulgurante qui lexpose auxmenaces dislamistes radicaux. Son frreSamuel,un financierbrillant la sexuali-tdfaillante,se perddansdes investisse-mentsprilleux.Sesrelationssentimenta-les sont compliques. Il est tiraill entreune jeune matresse exigeante et unefuture pouse dcide se convertir aujudasme.

    Laconstructionduromanestpoustou-flante.Lcrivainrestituepeu peu lespar-coursparalllesdecesdeuxfrresinspa-rables et de leur famille o rgnent lesmensongesetlhypocrisie.Partouchessuc-cessives,ildvoileleurspersonnalitsfragi-les et contradictoires, leurs mesquineriesetleursfaiblesses,toutenfaisantremonterlasurfaceleurenfancetraumatiseparledrame paternel. Entre passions et jalou-

    sies, narcissismes et illusions perdues,Pipernonous les montre en pleine muta-tion, unmomento,confronts unsen-timentde criseet defaillite,chacun attenddelautreuneaidequilne peutluioffrir.

    Alessandro Piperno sinscrit dans undoublesillage. La grandetradition italien-neduromanbourgeoisdabordItaloSve-vo,AlbertoMoravia ou GiorgioBassani,et celle du roman juif amricain. Sonregardfroceettendremetnulincapaci-tde sespersonnages regarderla raliten face, tre la hauteur. Au fond, seshros sont attachants et pitoyables. Alimage de lItalie,dit lcrivain.Un paysde phraseurs domin par la vulgaritdes mdias et les modes phmres. Unpays dans lequel le romanciera du mal sereconnatre,mmesilrefusetoutenga-gement: Je naimepaslafictionquidon-nedes leons.Jessaiedtrelucidesansfai-re la morale. La seule responsabilit delcrivainestlittraire.

    Ala moraleet lidologie,Pipernopr-fre lironie. Il ne faut jamais prendretrop au srieux les tragdies humaines,mme si elles sont douloureuses, affir-me-t-ilen souriant.Cest justement cau-se de leur ct peu srieux, qu mon sensces mmes tragdies deviennent encore

    plusmouvantes.Insparables est un roman foisonnant

    dhistoires et de personnages, de divaga-tionset deva-et-vientdansle temps,dontlarchitecture complexe trouve son bary-centredansla confrontationavecle pass,ses mystres, ses zones dombre.Les sou-venirssont unedenreprissableetsur-value, crit Alessandro Piperno, pourqui la mmoire,collectiveet personnelle,est la plus grande des impostures sou-vent unsimplelieudemystificationsenti-mentale et rhtorique. Cest pour cela

    quelcrivaina conu lesdeuxromansdelafamillePontecorvocommeunevasteetfascinante opration de dmystificationdune mmoire familiale fige. Ce nestpas un hasard si les deux protagonistescommencent vivre lejouro ilsarrivent sloigner de ce halo trompeur. Cettelumire que Piperno appelle joliment lefeuami dessouvenirs.p

    Quoidemieux quelafictionet lerirepourdlivrerdesvritsdifficilesentendre?

    Notre-DamedAlice Bhatti(OurLady ofAlice Bhatti),

    deMohammedHanif,traduit delanglais(Pakistan)par BernardTurle, DeuxTerres,368 p.,22,50.

    Insparables(I nseparabili),

    dAlessandro Piperno, traduitdelitalienpar FanchitaGonzalezBattle,Liana Levi, 396p., 22,50.

    AvecInsparables,quiareuleprixStrega,lcrivainitaliencontinuedexplorerlesnon-ditsdelabourgeoisie.Verveethumourgarantis

    LalumirecruedePiperno

    PHILIPPEMATSAS/OP ALE

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  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.11.02

    6/10

    Pendant laFoiredulivre, leTout-Saint-Germain-des-PrsdbarqueenCorrze.Le soirvenu,crivainsetditeurs sgayentsurledance-floorduCardinal

    BoumBrive

    ArianeChemin

    EnvoyespcialeBrive-la-Gaillarde

    Mimi a dj reu sescoups de fil de Paris .Gallimard, Robert Laf-font, Albin Michel,Stock,Grasset, onttoustlphon pour rser-

    ver leurs box et leurs bouteilles pour les8et 9novembre.Silhouettefluetteetvoixgrave,Mimi,laserveuseduCardinal,botede nuit eighties de Brive-la-Gaillarde, semet chaque anne en quatre pour rece-voir le milieu littraire accouru la cl-breFoiredu livre.

    Elle a appris connaitre les murscodes de ce monde bizarre la bagarrepourleboxleplusprochedelarserveoon peut griller une cigarette, la table 6

    pour Plon, que je ne dois pas pl acer tropprs de Flammarion Elle dit RobertMichel etsemmleun peules pinceauxentretouscesnomsetcesfauxprnoms.On la comprend. Entre Lafon et Laffont,les frres, les surs, les fils et filles de, y

    a-t-il milieu plus endogne que celui deldition?

    Dansunesemaine,auteurs,attachsdepresse, journalistes littraires et diteursviendront passer le deuxime week-endde novembre en Corrze, au deuxime

    festivallittraire aprs le Salon du livre deParis,senorgueillitla mairie.Desheuresdattentelentre,dessallesdedbatsnoi-res dun public qui connat luvre com-plte des romanciers.Htels, restaurants,

    toute la ville sera rquisitionne. Maisdsormais on rserve aussi au Cardinal,surla route deTulle.RobertSabatier dan-saitdjtorse nusursa pisteavantque labote ne devienne tendance. Mais depuisque Frdric Beigbedery a mix il y a sixans et que Christine Angot y a dans uncorps--corps torride deux ans plus tardavecDocGynco,cetteinstitutionrgiona-leestdevenuelerendez-vousprfrdunmilieuparisienenmaldefrissons.Lefol-klorede Brive,la lgende, prfreLeonel-loBrandolini,lepatronde RobertLaffont.

    Signe de limportance du rendez-vousnocturne,Gallimard et le Seuil ont choisidelogerleursauteurs lIbis,prsdu pontCardinal qui enjambe la Corrze. Au pied pied de la discothque. On arrive eneffetau Cardinalle vendredivers minuit,aprsavoirtropbu ettrop mang. Le soir,biensr, laTruffenoireouChezFrancis,l o il faut tre vu, rsume un diteur.Mais au djeuner, dj, dans le train dulivre, premirecuriositde lafoire,affr-t pouremmener depuis 1985touteldi-

    tion dela gare dAusterlitz Brive. Si ondraille,la France pourra enfin renouvelersalittrature ,avaitlchunjourWolins-ki. Rares sont en effet ceux qui le ratent:onsertsonbordfoiegras,risdeveauauxgirolles, canettes et crottins, clafoutis demirabelles,letoutnoydeBourgogne,vindenoixougentiane.Personnenesaitplussi cest lditeur factieuxJean-LoupChif-flet comme il lerevendique ou ErikOrsenna le prsident de cette 31e di-tionquiabaptisleconvoitrainducho-lestrol, mais lappellation est reste.

    A14h45,pourlarriveengaredeBrive,lepublicpopulaire ,commeonlappelleParis,guettelesPPDA,MichelDruckeretautres vedettes, tendant aux autres leurcarnet dautographes pour mettre unnomsurcesvisagesinconnusquisexcu-tent, flatts. Si vous enlevez Chirac et lerugby,il nese passe pasgrand-chose Bri-ve , avance unditeur pourexpliquercetengouement.La campagneestun lieuderituels saisonniers. La Foire du livre estlundentre eux , corrige Daniel Martin,chefdespages livres La Montagne. Ainsile Festival du veau sous la mre, devenuFestival de llevage. Et, donc, la Foire dulivreet sonafterau Cardinal.

    Le dbut du mois de novembre offrebien des avantages. Cest la saison deschampignons, souligne lditeur ClaudeDurand. Nol nest pas trop loin. Entredeuxsignatures,onfileaumarchaugrasfaireses emplettes pourle rveillon. Lesauteurs smerveillent de tout, certains

    nont jamais vu de charentaises de leurvie, raconteMarieLagouanelle,du Seuil,pionnire de laventure briviste. Audpart,seuleslesattachesdepressepro-vinceconnaissaientBrive;maisles char-ges depresse Paris lesontvite rejoin-tes.IlyaBriveuneboutiquedechaussu-res,on diraitdes Margiela,un trucdefou ,notelune delles. Truffes et canardssousvidetransitentaussi desfrigosdes htels ceux du train spcial retour le traindu diabte. Les auteurs qui nont paspubli danslannepassent commandeleurattach depresse: Deuxvieillespru-nes de Souillac 42 degrs de la maison

    Louis Roques , tmoigne un pense-btesortidu porte-monnaiedelunedelles.

    Novembre nest pas seulement la sai-son des cpes et des chapons. Nagure,quand la slection finale avait lieu plustt, cest Brive que se faisaient les prix.Del que, de1985 1995,le juryGoncourtannonait sa short list. A Castel-Novel, lechteau de Bertrand de Jouvenel et de

    Colette o logent les jurs, les grandspatrons de ldition comme Fasquelleschangeaient entre les embrasures deporteune voixdeGoncourtcontreunedeRenaudotoude Femina.Brivea toujourst, et reste, un lieu de travail, rappelleDanielMartin.

    Vousmettezlespiedso jene mettraijamaislesmains ,soupirechaqueautom-

    neChristianSignoldevantsonattachedepresse parisienne, Florence Godfernaux,lorsquil lavoit rejoindrele night-club.Cepilier de lcole de Brive, recordman dessignatures du week-end, ne frquenteplus les dancings de sa ville depuis long-temps. Le Cardinal, cest une bote com-me il en existe tant en France mais plus

    Paris, rsume son propritaire, ChristianDayre.Onlagardedanssonjus. Serviceen salle, banquettes en velours ramage,tables de Formica rouge, et aux murs desportraits du meilleurkitsch o ondevineMichelSardou,Johnny,et, sanscertitude,les BluesBrothers.

    LeCardinaladabordt la bote desreprsentants de commerce. Depuis tou-jours, mercredi, cest Cardi , raconteChristian Dayre, dont les parents ontouvert la premire discothque de largion. La semaine des VRP sorganisaitautour de ce jour de la semaine. Tous leshtelsde Brivetaient pleinsd hommes

    encostume-cravatebiendcidsprovo-quer des rencontres. Mais la limitationde vitesse, les contrles dalcoolmie, et

    puissurtout, la crise, ontchangleshabi-tudes. Les voyageurs de commerce n e

    planifientplusleur semainecommeilsveu-lent, ils sont budgets, observs, goloca-liss. Alors,aujourdhui,le mercredisoir, Brive, desfemmesdunge certaindan-sent ensemble sur la piste. Un grandrideaucoupelasalleendeux,quonouvri-ra quand les Parisiens dbarqueront ennovembre avec leurs envies dannes1980.

    Cest depuislongtempsla spcialit duCardinal. Ds minuit, aprs la musette etle paso-doble, Elli et Jacno, Visage ouBoneyM.prennentlecontrledeslieux.Ily a des boules facettes,desspots rougeset verts, ne manquent que les strobosco-pes, aujourdhui interdits, et le fumignesous la platine du disc-jockey. Fade to

    grey, Mlissa, Cur de loup, la bande-sonrappelle ses 20ans Saint-Germain-des-Prs les annes dge dorde ldition ,relve Brandolini. Ce quils aiment, cestle dcalage. Pour nous, cest la routine,

    pour eux, cest pittoresque, ditle patron.AuCardinal,on sesouvientencoredu soiroBeigbedertaitvenumixeravecsamal-lette: Unemusique dunautremonde,ritMimi. Quest-ceque tu nous mets l?, jeluiaidit.Il souriaitenbuvant labouteillesa vodka lherbe de bison. Un habitutmoigne: En une demi-heure, il avaitvidlapiste.

    Les Village People, a leur rappelleleurs16 ans, dit Thierry Girault, unpilierdu Cardi et de France 3-Corrze. Lescrivains un peu pts ont limpressionde sencanailler sur cette musiquedautochtones un peu obsolte. Cestle seul moment de lanne o beaucoupdentrenousvontdanser,confirmeJean-PaulHirsch,de POL.Slows interminables

    comme au temps de La Boum, cuitesmmorables, liaisons incestueuses entremaisons etprofessions concurrentes,surla piste du Cardinal, tout est permis. ABrive,quoi que tu fassesde toncorps, onnele saurapas: unaccordtacite veutque

    a reste corrzien, rsume ThierryGirault. Cest unepetite parenthsedansla viedu monde littraire.

    Christine Angot la crit en 2008 dansson March des amants (Seuil) : Sur labanquetteen velours,on tait comme dessiamois, colls par le bras, la cuisse, la

    jambe,la mainet lpaule, maiscestDocGynco quon reconnat et auquel ondemande des autographes. Pour elle,pasde photosvolespar desiPhone, justeune question dsagrable: Tes en traindcrire le prochain livre?, rapporte laromancire. On pourrait presque croireletempsdunesoirequonformeunegran-de et belle famille, ce qui est videmment

    faux,notelagentGillesParis.Le milieudelditionest conservateur,donc forcmenthypocrite. Mais, alcool aidant, on oublienosdiffrenceset nosgriefs. Ilny a jamaiseu de bagarres au Cardinal. Cest unendroito onne sepiquepasdauteurs.

    Vers 5heures, laube du dimanche10novembre,le Cardinalfermerasespor-tes.La brumeselverasur laCorrze,tou-jours droite dans son lit. Les Parisiensmonterontdansdestaxis,onnelesrever-ra pas avant un an. Mimi ne connatpas le nom de Christine Angot. Elle nesavait pas quon avait dcrit sa discoth-quedansuneautofiction: Javaisrencon-tr Bruno dans un Salon du livre. Ennovembre.Lavilletaitpetite,toutlemon-de se retrouvait dans les mmes lieux.Encore moinsquAngotvoquequelquespages plus loin une jolie serveuse duCardinalquipourraitbientreelle,Mimi,Mimi si bienveillante, si loin des mursde ldition, et qui, apprenant que ladamequi a embrassDoc Gynco revienten cette saison 2012, interroge, sansmali-ce et pleine despoir: Ils sont toujoursensemble,tousles deux? p

    JEAN-CHRISTOPHEDUPUIS

    POURLEMONDE

    Cuitesmmorables,liaisonsincestueusesentremaisonsconcurrentes,surlapisteduCardinaltout estpermis

    Vousmettezles pieds ojenemettrai jamaislesmains

    ChristianSignol

    Enqute6 0123Vendredi 2 novembre2012

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.11.02

    7/10

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.11.02

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    Lephilosophemdecindesgladiateurs

    A titre particulier

    LECHARMEPUISSANTde lAnti-quit peutse direen trois mots:ceuxquilhabitentnousressem-blent,mais sontpourtanttoutdif-frents.Ilsont trac fondationsetsous-solsdumondeo nousvivons,toutefois leursmaniresparaissentfort exotiques,dsquon sinforme unpeu.

    VoyezGalien,pilierdela mde-cineet dela pharmacieoccidenta-les,dontquelque20 000pages,rpartiesen125 traits,onttconserves.Attach lempereurMarcAurle,grandmatredes dia-gnostics,prince des pharmaco-pes,roides nosographies,ceGrecdAsiefut aussiun philoso-phe denvergure, combinantargu-mentations,raisonnements,savoirsbotaniques, observationscliniques.Car savie, quillaisseentrevoir,par bribes,au filde sescrits,est unlong priple ins-tructifautant quinsolite.

    Pergame,o ilnaquiten 129delrecommune,taitunecapitale

    mdicale. Laville situedans laprovincedIzmir de lactuelleTur-quie abritaitun importantsanc-tuairedAsclpios, mlanthpitaletmagie,rvesthrapeutiquesetcentrede soins. Enfantdunefamilleaise mreacaritre,preattentif, Galienfit preuvedintelligenceprcoce.A 14ans,ilsuivitlenseignementdes philoso-phes, 16,prfraopterpourcelui desmdecins,sinstruisitdupouvoirdes planteset collection-nales recettesvenues dOrient.Ducoup, seulement19 ans,quandmourutson pre,ilseretrouvadjfortinstruit, hri-tierdunebelle fortune.Le tempsdes voyagespouvait commencer.

    Ilsvontnotammentluifaireobserverles collectionsdoshumainsdAlexandrieet dcou-vrirlesbouesde lamer Morte,avantdetrouverrassemble,Rome, laplusgrandediversitdepopulations, depathologieset deremdesvenus de toutlempire.

    Entre-temps,de 29ans 33ans,ilfutnomm, danssavillenatale,mdecindesgladiateurs.Et l,sonsavoirfit merveille: grce sessoins,pourla premirefois,touslesblesss survcurent, malgrlesplaiesouvertes,les entailles pro-fondes,lesmuscles entailleret recoudre.A Rome,ses russitesvontsaffirmer,ses ennemisaussi.

    TraitsmagistrauxEneffet,entre mdecins,des

    querellesclataient,surdes ques-tions dedoctrinemaisaussi deconcurrence.Comme Galienntaitpas dugenre selaisserfai-re,autourde lui,lanimositgran-dit.Ellefaiblit, parla suite, quandilsoignales empereurset multi-pliales traitsmagistraux. Toute-fois,la gloire nepouvantprmu-nircontreles accidents,un incen-die,en 192,dtruisitses archives.Galien avaitalors63 ans.Brave-ment, ilse mitaussitt reconsti-tuerles milliersde pagesper-

    dues,et y parvintpresque!Savantissime,cette biographie,

    signe parla meilleuredes spcia-listes duphilosophemdecin,selitaussicommelvocationsensi-bledunpersonnage hauten cou-leuret deson temps,o sentre-croisent,pournous,le familieretledconcertant. Chezcethommeexemplaire, onreconnatdem-blelidalterneldu thrapeu-te: observer,dduire,exprimen-ter,comprendre,agirdans lint-rtproprede chaque patient.Pourtant,rien nesembleplusloi-gnde notre prsentque sestho-riesdesquatrehumeurset desfi-vrespriodiquesou sa pratiquedeslectuaireset desonguents.Cestbiencettejuxtapositionquitroubleet charme.p

    DominiqueA,

    auteur, compositeur et interprte

    Hanna,Minnaettouteslesautres

    Figures libres

    dEricChevillard

    Potiquedushampoing

    GaliendePergame.Unmdecingrec Rome,

    deVroniqueBoudon-Millot,LesBelles Lettres,CollectionHistoire, 412p., 29.

    LE CRABE,

    LERMITE

    ET LE POTE(roman)

    de JEAN-LUC

    MAXENCE

    Mditation post-

    moderne posant

    la question des originespsychosomatiques

    du cancer, rvlant

    sans fard ce mal

    qui pse sur notre

    dbut de sicle.

    De la rue au mtro,

    par lhpital, sur

    la trace de Charles

    de Foucauld...

    Une voie initiatique ?Editions Pierre Guillaume de Roux

    Diffusion : CDE/SODIS

    Prix 19

    ONCONNAITLHISTOIREDHANNA.On ladj lueailleurs; cel-ledunejeunefillequivoitla vieaveclesyeuxde lamouretqui,ladolescencepasse,dchante,ses rvesbattusen brcheparla cruautet lalchetdeshommes.

    Nous sommes lafin duXIXe sicle, en Finlande,pays qui,autermedesix centsansdallgeance laSude, tombedanslesgriffesde laRussie (jusquen1917 o,profitantde la rvolu-tiondOctobre,les indpendantistesprendront lepouvoir).Hannaest unejeune filletimideissuede la petite-bourgeoisiedunevilleprovinciale.Chez elle, leshommesont touslesdroits:sa mre etsessursse plientauxquatrevolontsdunprequi boitet passe sesnerfs sursa femme,etde sonfrrecadet,tyranneaumisogyneen herbe.

    BeautfragileHannasouffreen silence,redouteles retours delcole.Un

    t lacampagnela rconforte: elle smerveilledetoutcequelley vitety observe,et onpensealors certainespagesdespromenadesdu potesuisseRobertWalser (1878-1956),olenchantementface la beaut deschoses en suggre aummemomentla fragilit: labeaut esttoujoursnostalgi-que, cedontHanna,qui se rappelaitquela naturedonne lavie,mais oubliait quelle la dtruitaussi, napas encoreconscience.Ellese voitbienttrappele lordre: sonpre,quiconspirepour la marier unnotable,contrarieson projetdedevenirinstitutrice,et lamour quellevoue un apprentipasteur estfoul auxpieds, sonprtendant exigeantdelleunedvotion laquelleil estlui-mmeincapable dese confor-mer.Ne restera deluique lesouvenirdunclat inconnuquidonnait Hannafroiddansle dos,surprisdanssonregard lheure dupremierbaiser.

    Cetclat,Minna Canth(1844-1897),auteurde Hanna etdestrois autres rcits composantce recueil,se seratoute savieemploye le dbusqueret en dnoncerla nuisibilit.Lhommeest unprdateur,quine renoncerajamais sespr-rogatives,son bonheur reposantsur celuiquilsoutireet enmmetempsrefuse lafemme. La socit patriarcalefinlan-daisede lpoqueprendraactedu procs chargeetse rebiffe-ra.Lcrivain,galementprogressistesur lesquestionssocia-les,obtiendra gainde causepost mortem,comme souvent:MinnaCanthest aujourdhuireconnueen Finlandecomme

    unefigure littrairemajeure.

    Lacroixde lahonteLe propospeutsemblerdat; le style, trsclassique,aussi.

    Lesdssontpips, leshrones,promises lamort,lasolitudeou lafolie, etcertainscaractresmasculins,cantonns lab-jection.Pourtant,la voixde MinnaCanthporte encore. Ellemneses personnages lchafauden ravalantsa colre,quonsentaffleurer,entretenantla tension ncessaire.

    Toutes seshronesportent larriveune mmecroix: lahonte. Quellessoient richesou au basde lchelle,instruitesou incultes,toutessont condamnes baisserla tte, coupa-blesdavoirpchpar crdulit,davoirespr,fait confiance.Elles ne seretournentpas contre leursbourreaux,que lamora-leprotgecommeelleprotgele Dieu quilsontmodel leurimage.Cesfemmes nontpas dautre choixquede senpren-dre elles-mmeset delaisserlesautresdcider deleursort.MinnaCanthtraduitlahontequilesrongeaveclaplusgrandepudeur, nouspargnantles grandes orguesnaturalistes hor-misdans ledernierrcit, Les Pauvres, un riendidactique.

    Ala lire,on seditparfois quesa colre,rentre,peine croi-reen sonutilit, commecontamineparle fatalismedeseshrones.Son criturese cabrealors,sen dfend. La tracede

    cettelutteest desplus marquantes.p

    Le feuilleton

    Crnechaud,

    deNathalieQuintane,P.O.L.,224 p., 14,50.

    Roger-Pol Droit

    Non, en toute honntet,nous ne pouvons plusdsormais incriminer letypographe lorsquil nousparat quun livre a duplomb dans laile. Le plus

    souvent,lesprit de srieuxde sonauteuren est la cause. Entre deux pages empe-ses comme un col de chemise, il noussembledailleursdistinguerunetteden-terrementqui hoche gravement, caril nya pasdequoirire.Cesten effetlamaladiede la littrature franaise. Nous sommesentregens importants,nousdbattonsdesujets austres, dramatiques, pathti-ques, nos sourires seront toujours aussibrefsetbiaisquenosvirgules.Gagedevri-t,de sincrit, de profondeuret de beau-t,lesrieuxestpresqueunepreuvesuffi-sante de littrature. Les dames y vien-

    dront en robe longue et les messieurs enhabit. Elles billerontderrireleursven-tails eteux dansleursrondsdefume.

    Cest trange. A croire que lironie et lafantaisie de Swift, londe rieuse qui courtdunboutlautredesVoyagesde Gulliversont aujourdhui perues comme autantde marqueurs de futilit, des maniresindignes de la littrature, de sa pompe etde ses uvres. Linsouciance de NathalieQuintane saffranchit joyeusement de ceprjugstupide, puisde touslesautres,sibien que la littrature stonne de seretrouver avecellesur desterrainsqui luisemblaientdfendus, occupe manipu-lerdes substancesdontelle ignoraitlexis-tence, excellantsoudain dans des domai-nesqui nerelevaientpas desa compten-ce jusqualors.

    Ainsi,cestdansledernierlivredeNatha-lie Quintane, Crne chaud, et nulle partailleurs,quenouspourronscroisersurunemme page Gertrude Stein et Brigitte

    Lahaie sans que cela nous paraisseincon-gru,nicelles-cinonplus,tantlauteursaitnousprendredansles retsde sesdmons-trations paralogiques et nous les fairegober comme de clairs thormes. Et on

    pourra toujours tcher dexcuser tout aparlaposie,direque cenestpasgravepuis-que cest exprimental, elle sen moquebien, son intention ntant pas de nousimposer ses vues: Je nai pas prvu derponsespuisqueje nai pasprvude ques-tionsauxquellesje pourraisrpondre.

    Toutcommencedansunsalondecoiffu-re. Nathalie Quintane remet sa tte entreles mains dune shampouineuse, et celle-ci la masse si bien, si longuement, que sasensualit sen alarme en mme tempsqueson cerveau entre en bullition.Sen-suit une mditation qui pouse le tracaussi scrupuleux que capricieux dunencphalogramme et qui se donne pourobjet de mieux comprendre o peuventse situer les points de fixation du senti-

    mentsexuel. Onretrouvealorsla mani-re digressive de Nathalie Quintane, dj

    apprciedanssesprcdentslivres,Saint-Tropez et Tomates, digressive mais sanslenteurs,o lonprendlesvirages pleinevitesse en soulevant une gerbe dencre(Jaimeleslivresquifoncent),osetles-copentrfrenceslittrairesetphilosophi-ques, missions populaires, vocationspersonnelles,souvenirs(Donc,jemerap-

    proche,etl, ilme fait: Jetrouve quetu res-semblesJean-PierreMarielle ).Cescolli-sions en chane nous permettentde vri-fier quen effet tout sembote parfaite-

    mentpourformerle chaosdece monde.

    Nuldtailtrivialniriende sublimenonpluspourlauteur,quinacuredecescat-gories et montre plutt une sorte dton-nement constant, mi-jou mi-sincre,devant le tour que prennent les choseshumaines, et en particulier la grandeobsession sexuelle contemporaine.Contemporaine?Certes, cenestpas neuf,aujourdhuicommehier: Adouzeansonne pense qu a, interrompu par des dic-tes. Mais jene mesouvenaispasdune

    prgnance telle de la sodomie et de ljactrenteans plustt.

    Lapornographieestaucurdecelivre.NathalieQuintanesemledecettegrande

    affaireavecunedcontractionquicontras-te trs drlement avec le discours bien-pensantcommeaveclediscourstransgres-sif,tout aussiulcrs lunque lautre.Ellepeut disserter trois pages durant sur lesmrites compars, en termes dlasticitet de dilatation, dun vagin de vierge etdunanusdoctognaire.Non?Si!Discom-me a, videmment Mais cest irrsisti-ble,etla chargecritiqueservledautantplusefficace quelleaffectealorsla formeneutredu raisonnementscientifique.

    Parfoisaussisinstaureun dialoguefic-tifentrelanarratriceetBrigitteLahaie,quianime unemission radiophoniquedanslaquelle les auditeurs posent leurs ques-tionsou relatentleurshistoires relativesla sexualit. La crudit des conversationsaccuselingnuitdes participants,et voi-cilpoquersumedansce paradoxe.

    Car lhumour trs singulier de Crnechaud doittoutlasensibilitlexicalepi-dermique de lauteur: L e m ot d emanipulateur/trice tait en passe de sesubstituer chieur/se, cequi signifie,entreautres,quauxambiancesfamilialeschian-tes staient substitus des schmas fami-liauxparanoaques. Puisunsommierouun pull jaune donneront encore locca-sionNathalieQuintanedexercersasaga-citdans ce texte touthrissdantennesque lon pourra prfrer lternel auto-portraitdupoteen corchvif.p

    Chroniques

    JEAN-FRANOISMARTIN

    Hanna,deMinnaCanth,Zo,traduit du finnoispar AnneCornette,416p., 25.

    Nullepart ailleursnousnepourrons croiser surunemmepage GertrudeStein etBrigitte Lahaie

    8 0123Vendredi 2 novembre2012

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.11.02

    9/10

    Lecteur omnivoreLauteurdeLa Folie Baudelaire(Gallimard,2011)et desNocesdeCadmos et Harmonie (Gallimard,1995)aime se prsentercommeun mythographe.DansLa

    foliequivientdesNymphes premier desdix textes quicom-posentlerecueil ponyme, ilrap-pellelimportancequavait pourlesGrecsla notionde posses-sion lielafiguredelanym-phe comme formefondamen-talede la connaissance. Dansdautresbrvestudes,ruditesetvagabondes,Roberto CalassofaitllogedAldoManuce prin-cede ldition laRenaissance,propose une lecturevdanti-que duFentre sur courdHitch-cock,voqueVladimir NabokovetJohnCage,FranzKafkaet Bru-ceChatwin.Parmi cestextes,unevritableppite, Confessionsbibliographiques,ddie EliasCanetti ce lecteuromnivoredontil estsiproche:il y rappelleladcouverte, parcelui-ci,du

    Mtier de vivrede CesarePavese,

    oudesrcits dervedeWalter Benjamin,jeunechercheur alorsinconnu.p

    Monique PetillonaLa folie quivient

    desNymphes,deRoberto

    Calasso, traduitde

    litalienpar Jean-Paul

    Manganaro,Flammarion,

    144p., 17.

    CinmadeAZAvecce dictionnaire amoureuxduseptimeart, ilne sagitnulle-ment, pourJean-LucDouin,deviser lexhaustivit,mais dexal-ter, traversdes entresaussidiversesquAvaGardner,

    nombril ou FranoisTruf-faut,ce spectacleclbr danslobscuritquipermetauxrvesetaux fantasmesdespanouirletempsdunesanceen Technico-lor.Aveclgance,ruditionethumour,lauteur,qui futuneplu-mede larubrique cinmaduMon-de, voquelimportancede lanuquedunefemmechezHitch-cockoulamourfouchezLeosCarax. pYannPlougastelaLe Cinmadu dsir,dictionnaire,de Jean-LucDouin,

    JolleLosfeld,340 p., 23,50

    Sans oublier

    LesAllemandsoublisdelasecondeguerremondialeLAmricainR.M.DouglasrevientsurledestintragiquedescivilsenvoysparHitlerpeuplerlesterresdelEst

    SergeAudier

    Lelibralismenapasbon-ne rputationen France,et le nolibralismeencore moins. Dans lesdbats, ce sont souventdes mots repoussoirs

    dont le sens parat aller de soi. Etpourtant, leur transparence esttrompeuse. Plusieurs publicationsrcentes en tmoignent, par leursdivergencesmme.

    Ltudedela sociologueBatriceHibou surla nouvelleBureaucrati-

    sationdumondeprolongeunelitt-

    ratureconsacrelagouvernemen-talitnolibrale: dinnombrablestravaux mobilisant Michel Fou-cault dcrivent le nolibralismecomme un typede gouvernementindirectdeshommes,centrsurlaconcurrence et lentrepreneuriat.Surtout, le livre pointe un proces-susdhybridation quisoumetlesecteurpublic aux rgles et proto-colesdupriv.AvecleNewpublicmanagement, et les techniquescommelaudit oule classement,latensiondevientmanifeste entrelalogique du bien public et celledumarchet delentreprise.

    Les faits sont connus, mais lasociologuesystmatiselapproche.Aurisquedeconfusions,elleprendpour exemples de lextension dela bureaucratisation nolibralelamultiplicationdesrglesdhygi-

    ne prohibantles fromages de ch-

    vreartisanaux,ouencorelademan-de, chez les consommateurs, debedandbreakfastcertifisbio,co-los ou responsables. Une obses-sion de la prcaution et de latolrancezroquirejoindraitcel-le des politiques scuritairescontre la criminalit, notammentfinancire, ou encore des check-pointsprivatissenIsral.Lhuma-nitaireaussiseraitunebureaucra-tieproductricedindiffrenceetvec-tricede domination

    Ce travail foucaldien a bienpeuvoiraveclesanalysesmarxis-tes du nolibralisme cest peut-tre dommage. Mais on est aussitrs loin detouterecherchesur lesracinesintellectuellesdunolibra-lisme,ici sous-traite Foucaultetseshritiers.Ilseraitpourtantuti-lede rouvrirle dossierdu libralis-me, comme nous y invitent plu-sieurspublications.La revueAlter-natives conomiques diffuse ainsiunrecueil duregrett GillesDosta-lersurLesGrandsAuteursdela pen-se conomique (336p., 12,50) etune anthologie dAdam Smith,malicieusement titre Vive lEtat!(LesPetitsMatins,95p.,5):mani-re dannoncer que lconomistedela main invisible tait autre-mentpluscomplexequelescarica-tures lamode.

    Ce titre agacerait les philoso-phes Alain Laurent et VincentValentin,qui prsententune colos-sale anthologie des penseurs lib-raux. De leurs propres engage-ments,ilsnefontpasmystre:Lau-rent est lapologiste dAyn Rand(1905-1982), prtresse du capitalis-

    meamricain,qui thorisala ver-

    tudgosme.Ce combatpourunEtat minimal tout au plus! donneunetonalitfortorienteaupropos, cependant nourri de rel-les comptences. Daprs eux, lelibralismeest une philosophiedela libert individuelle qui reposesur ladoptiondu pluralismeet dela concurrence dans tous les typesde relations sociales. En dcoule-raient la dfense de la tolrance,lapologie du march et lEtat dedroit.Cettesommerestitueen par-tie la diversit des libralismes,maistoutse termine,biensr, parlanarcho-capitalisme

    Lelibralismeserait-ildonc tou-jours de droite? Telle nest pas

    la conviction dAlain Policar dansLe Libralisme politique et sonave-nir.Cethommedegauche,rpubli-cain social, pense que le libralis-mene concidencessairementniavec le laisser-faire ni avec labureaucratisation nolibrale.Tandis quAlain Laurent expulsedu Panthon libral bien des lib-rauxde gauche,Policar lesy rins-talle; et il ajoute que les hros decelui-ci sont plutt des extrmis-tesultralibraux,hostilespres-que toute intervention de lEtat

    dans la direction de lconomie.

    Aprs tout, gauche, Keynes taitbienun libral, certes htrodoxe,et membre du Parti libral! Et lephilosophede la Thorie dela jus-tice (1971), John Rawls, soulignaitqueles ingalits ne devaienttreacceptes que si elles apportaientle plus grand avantage aux plusmal lotis. Aussi a-t-on parl delibralisme galitaire: de quoiscandaliser les libraux pour les-quelstoutcelanestquedelasocial-dmocratiedguise.

    Surbiendautrespointslatol-rance,lepatriotisme,lecosmopoli-tisme, etc., il faudraitdonc choi-sir,plaidePolicar,entreun libra-lismeconservateur etun libra-lisme progressiste. Cest une ver-sion renouvele ou rectifie

    quil dfend, convaincu que l elibralisme politique perd sa rai-sondtre,cest--dire nosyeuxsa

    portemancipatrice,silnadjointpas au primat de la souverainetindividuelleles valeursdgalit etde solidarit.

    Lauteur voudrait convaincre lagauche intellectuelle, sa famille:vasteprogramme,dansunpaysole libralisme est souvent lautrenomduMal.p

    RaphalleBranche

    La fin de la seconde guerremondiale en Europe estgnralementassocie lachute du nazisme, la

    dcouverte des camps de la mortet linstauration dune justice

    internationale ad hoc. On saitmoins ce quil advint de ces Alle-mands envoys, selon la volonthitlriennedexpansion delespa-ce vital germanique, peupler desterres lestde lEurope.

    Sile sujeta acquisunevisibilitpolitique certaine dans lAllema-gnerunifie,ocettehistoireestdsormais bien connue, cestlouvrage dun spcialiste amri-cain, R. M.Douglas,qui la prsen-teaux lecteursfranais.

    Le transfert massif des Reichs-deutsche, conu par les vain-queurs comme un moyen dac-compagner le nouveau rapportde forces de laprs-guerre, estdemble cens se doubler deceluides Volksdeutsche, minoritethnique prsente en Europe delEst parfois depuis plusieurs si-cles parmi eux, notamment,lesfameux Allemands des Sudtes.Les Allis entendent redistribuerles cartes des populations danscette rgion et liminer tout ris-quedycompterdesennemisdelintrieur.

    Seuls les Franais, alors, disentleur hostilit cette ide et refu-senttrslargementde participerdesoprationssusceptiblesdegon-fler dmesurment le chiffre deleurs voisinsallemands.Les zonesdoccupation sovitiques, amri-

    caines et britanniques sont donclesprincipales destinataires decestransferts.Aune premirepriodedexpulsions sauvages succde pour la Pologne, la Tchcoslova-quieetlaHongriemaispaspourlaYougoslavieet la Roumanie unephasethoriquementplus organi-se, aprs la confrence de Pots-dam(17juillet- 2aot1945).

    Preuvesde cruaut

    Dans la pratique,R. M. Douglas

    montre bien que les diffrencesentrecesdeuxphasessontmineu-res: les Allemands ou ceux quisont identifis comme tels sevoient intimer lordre de quitterleurfoyersans pouvoiremmenergrand-chose. Ils sont parqus

    dans descampsglo-balementinaccessi-bles tou-t e a id ehumani-taire,dplacsdans destrainssur-peupls.Les hom-m es e ngedetra-vaillersont qua-

    siment absents de ces convois,quils soient dtenus comme pri-sonniers de guerre pour avoircombattu sous luniforme alle-mand, ou quils aient t retenussur place pour participer lareconstruction des pays commemain-duvre force. Attentifaux modalits comme aux res-ponsabilits de ces transferts depopulation, R. M.Douglas accu-muleenparticulierlespreuvesde

    la cruaut infligeaux femmes etauxenfants.

    Toutenidentifiantdesdiffren-ces de moments et dendroits selon la zone doccupation, selonles autorits en charge, selon lasaisonaussi,celivreestunrqui-sitoirecontreles Allisqui refus-rentde considrerles consquen-ces humaines de ces expulsionsforces, prsentes parfois com-mede simples rapatriements.

    Laccord conclu entre les

    troisprincipaux vainqueurs pri-me en effetsur touteautre consi-d rat ion, mme si cert ainstmoins dnoncent ces violencescontre des civils sans dfense. Larorganisation de lEuropedaprs-guerre suit ainsi soncours, malaxant les vies de mil-lionsdtreshumains.Ilestproba-blequedsirdevengeance,oppor-tunits lies la dfaite et senti-ment que tout Allemand est cou-pable des crimes accomplis aunom du nazisme se sont conju-gus pour rendre la plupart desconsciencesoccidentalesinsensi-bles cesvnements.

    Au total, en moins de troisans,plusde douzemillionsde person-nessontainsi dplaces.Le destinde lAllemagne en est durable-ment marqu, comme celui despays dorigine: cette histoire estcelledunebonnepartiedelEuro-pe de laprs-guerre. Au-del, cetpisode claire notre mondecontemporain.

    Largement refond aprs laseconde guerre mondiale sur desvaleurs universelles affirmesnotamment dans la Charte desNations unies, la Conventioncontre le gnocide ou encore lesconventionsde Genve,il a toute-fois choisi, entre 1945 et 1948,dignorer les violences infliges

    aux civils allemands. Et ce, aunomdencessitssuprieureslapaix paraissait tre ce prix. Est-onsisraujourdhuiqueceraison-nement appartienneau pass?p

    Critiques Essais

    Tandis quAlain Laurentexpulse du panthonlibral bien des librauxde gauche, Alain Policarles y rinstalle

    LeLibralismepolitiqueetsonavenir,dAlainPolicar,CNRSEditions,356p., 22.LaBureaucratisationdu

    monde lrenolibrale,

    deBatriceHibou,LaDcouverte, 223p., 17.LesPenseurslibraux,

    deAlainLaurentet VincentValentin,LesBelles Lettres,

    928p., 29.

    EnFrance,latraditionlibraletientsouventlieuderepoussoir.Plusieursessaispermettentpourtantdenrestituer lacomplexitetsurtoutladiversit

    Libralisme,combiendedivisions?

    LesExpulss

    (OrderlyandHumane: TheExpulsionof theGermansaftertheSecondWorldWar),deR.M.Douglas,traduitdelamricainparLaurentBury,Flammarion,Aufildelhistoire,506p. 26.

    90123Vendredi 2 novembre2012

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.11.02

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    TarunTejpal

    FlorenceNoiville

    Envoyespciale Delhi

    O

    h vous allez voirTarun Tejpal, le

    chauffeur de taxi,un sikh parlantbienlanglais,sem-ble impressionn.

    Tejpal est une grandefiguredanslesous-continentindien.En2007,le Guardian le dcrivait commelun des 20 reprsentants de lanouvelle lite . Et Business Week,en 2009, comme lun des hom-mes les plus influents de son

    pays . Bref, qui ne connat pasau moins son nom? , note levieux sikh en opinant du turbandansle rtroviseur.

    Letaxivertet noir hors dgemais impeccablement briqu sarrte devant un petit immeu-blede Greater Kailash 2, unquar-tier rsidentiel du sud de Delhi.Cest l que se trouve le sige deTehelka, le journal fond parTarun Tejpal en 2000. Et cest

    pour cela dabord que lhommeest connuen Inde: pour tre,depuis douzeans, lme deTehelka, lundes raresmagazinesdinvestigationet degrandrepor-tage vritablement indpen-dants.Alentre,uneaffichersu-me dailleurs lesprit du lieu:You cannot change the truth,but truth c an c hange you(Vous ne pouvez rien changer la vrit, mais la vrit, elle, peutvouschanger).

    Endouzeans,Tehelka dontlenomenhindisignifiefairesensa-tion a dvoil maints scanda-les de corruption et lutt contrenombre dinjustices. Inutile devousdirequeje neme suispasfaitquedesamis,plaisantesonfon-dateur. Mais quimporte. Tejpal,tel un Sisyphe indien, roule sonrocher vaille que vaille. Le regard

    vif,les cheveuxlongs nousdansla nuque, lhomme croit en sestrois F : Free, Fair, Fearless(libre, juste, sans peur). Plusgnralement, il croit au pouvoirde transformation du verbe. Alimpactdes motssur la glaisedurel Avant dtre journaliste, iltaitditeur.Cestlui quia dcou-vert et publi Le Dieu des petitsriens dArundhatiRoy(BookerPri-ze, Gallimard,2000).

    En2000,ilarrtepourtantldi-

    tion. Tehelka est trop prenant.Mais les livres lui manquent. Laplume le dmange. Sixans plustard, il passe de lautre ct dumiroir.Il devientcrivain.

    Lorsquonlui demandece quilregrette le plus dans sa vie, laveille deses 50ans,Tejpalrpondsanshsiter: Lcriture littraire,

    justement . Jai commenc troptard. Jai eu trop peu de temps. Et

    puis, je suis comme beaucoupdauteurs, je parle trop, je ncris

    pas assezEn 2005, la sortie de son pre-

    mier livre, Loin de Chandigarh(Buchet-Chastel), ne passe pour-tant pas inaperue. Le titreanglais,LAlchimiedu dsir,ensug-grela teneur. Surfond dhistoirede lInde, il sagit dune fresqueintime o Tejpal, dune plumepuissamment sensuelle, voque

    la formation du couple, lattrac-tion animale des corps et ce quiadvient ensuite, lorsque lamourperduremaisqueledsirsenfuit.Lamournestpasle cimententredeux tres. Cest le sexe , crit-il.Ainsisouvreetsecltcetouvragede 600 pages, qui aurait pu treallg dune centaine mais quivous prend au collet et ne vouslche plus. Lorsquon ouvre Loinde Chandigarh, on pense dabordauxscnesrotiquesdesminiatu-

    resmogholes, leurprcisionet leur posie. On pense au Kama-sutra. Et puis, rapidement, on nepenseplus rien.Tanton estprisdans les remous de cette passiontumultueuse sur les contrefortsde lHimalaya.Par laverve de Tej-pal, son originalit, sa puissancecharnelle Enfin un romanbrillant et original quinous arrive

    de lInde, stait cri V. S.Nai-paul lasortiede louvrage.

    Loin de Chandigarh tait unromandepassiontotaleetdepaix

    totale, commente Tejpal. Ensuite,jai saut lautre bout de moi-mme, dlaissant le registre lyri-que, pour mengouffrer dans le

    polit ique En 2009, Tejpalpublie Histoire de mes assassins(Albin Michel), un livre nourri deson exprience personnelle, lors-que, dans le collimateur du gou-vernement, Tejpal dut transfor-mer sa maison en bunker, entou-rer son bureau de sacs de sable etnesortirquesouslaprotectionde

    gardesarms.Audbutdu roman,ilnestpas7heures du matin, un dimanche,lorsque le narrateur, un journa-listerenomm,apprendlatlvi-sion quil vient dchapper unetentative dassassinat. Sagit-ildun complot foment contre luipar le pouvoir indien? Ou par lesservices secrets pakistanais? Qui

    sont ces tueurs qui,pour quelques rou-pies, ont accept dele supprimer? Autribunal,ildcouvri-ra leurs visages:cinqlaisss-pour-compte dont lcri-vainfaitdessymbo-

    les de lInde moderne et de sesfailles,millelieuesdumiracledela ShiningIndia

    Etvoilque pourson troisime

    ouvrage, La Valle des masques,Tejpalest encore ailleurs. Dansun non-lieu, cette fois. Une uto-pie. Ce quil imagine, cest unecontre-socitinstallelcartdu monde et recherchant coteque cote une forme de vritabsolue. Comment dfinirait-ilcelivre:uncontephilosophique?Une fable sur lutopie et ses dan-gers? Oui, dit-il, cest tout faita Puis,avecun sourire: Celavoustonne, nest-ce pas,que mesromanssoientsi diffrents Enco-reunefois,ceneseraitpasmoisilsne ltaient pas. La rptition nemintressepas.Et puis, dulyriqueau politique et du politique la

    philosophie,cest lInde tout enti-requidfiledanscestroislivres

    LInde et aussi Tejpal. Cestroisromans ne sont-ils pas aufond comme le triptyque de sonexistence? La fougue amoureuseauPunjab(Loinde Chandigarh),lapassion pour laction publique(Histoir e de mes assassins ) et,aujourdhui, la cinquantainevenant,larflexiondsenchantesurlesensdes idauxet lapure-tdangereuse(LaValle desmas-ques). Nest-ce pas l ce que lesAnciensappelaientlestroisgesde la vie ardeur, maturit,sagesse? Trois tapes que, duTitien Gustav Klimt, nombre

    dartistes se sont evertus pein-dre et repeindre? Tejpal hsite.Vous avez raison. La puret me

    fait peur. Je ne me sens laise quedans le pluralisme. Je dtesteentendreque lhindouismeest lechemin, ou le vgtarianisme.

    Mais je naime pas le mot dsen-chant. Pourquoi? Parce queleschosesicivont dansle bonsens.

    Bien sr, il y a telleme nt dIndequil estdifficile de porterun juge-ment global. Mais prenez les fem-mes, les musulmans, les castesmme Qui aurait pu penser quelUttar Pradesh pouvait tre gou-vern jusque rcemment par une

    femme, une intouchable? Les cho-seschangent. Lentement,trop len-tement, maiselleschangent.

    Non, dcidment, il naime pasce mot, dsenchant. Pour-quoi?Dsenchantestunmotde

    journaliste europen. p

    Extrait

    AprsLoindeChandigarh,quilavaitfaitconnatre,lcrivainindienTarunTejpallivre,dansuntroisimeroman,unechargefroceetrevigorantecontreles fondamentalismes

    Lapuretmefaitpeur

    Voicimonhistoireet lhistoiredemonpeuple.Ellenestpastrslongue.Certainsla racon-taientle tempsde viderun ver-redefermentaigre-doux.Dautres yapportaienttantdeprcisionsque lestonneauxtaientvidesavant quilsaienttermin.Aujourdhui,dansmaconfusion,jemesitue entrelesdeux.Pourtant, jait unhom-mede convictions,volontaireetdtermin.Les autresvenaientmeconsulterpour retrouverunancrage solidequandleurscurset leursmesvacillaient.Unjour. Aujourdhui,je doisfai-reface lurgence.Le traindeneuf heuresvient desiffleret je

    saisquemonsabliersera bien-ttvide.Lesifflet duntrain,commecestbeau!

    LaValledesmasques,page 9.

    en partenariat avec

    Marc Voinchet et la Rdaction

    6h30-9h du lundi au vendrediRetrouvez la chronique de Jean Birnbaum

    chaque jeudi 8h50

    franceculture.fr

    LES MATINS

    Parcours

    Rencontre

    LaValledes masques,

    deTarunTejpal,AlbinMichel,464 pages,22,90.

    Fanatisme,modedemploi

    1963Naissancedansle Punjab.

    1985DiplmdconomiedeluniversitduPunjab.

    Annes1980 Il commencesacarrire comme journalisteIndiaToday etcofondelamaisondditionIndiaInk.

    2000 Illancele magazinedinvestigationen ligneTehelka.

    2005Loinde Chandigarh(BuchetCastel).

    2009Histoiredemesassassins(AlbinMichel).

    2012LaValledesmasques(AlbinMichel) .

    Je suis commebeaucoupdauteurs,je parle trop,jencris pas assez

    PHILIPPEMATSA S/AGENCEOPAL E

    ILESTBIENTTMINUIT. Autourde Kar-na,le narrateur,ltause resserre.Long-temps,ila t unwafadar,un tueurla soldedun groupuscule himalayensemantlaterreurdanslesvallesenvi-ronnantes.Maisilestsortiducadre.Ilsestrepenti.Etonvaleluifairepayer.Acetteheureo sesassassinsdoiventaffter leurdague doublelame surla

    pierrehumide ,Karnaseconfessedevantun magntophone.Son monolo-guesenfoncedansla nuit. Ilracontelasductionintellectuelle et mmelasplendeurdesutopiesqui sous-ten-daient loriginesa communaut.Etcomment,aunom dela puret,un gou-rounommAum lepremierson de

    lhumanit dansla mythologiehin-douela pervertie sansquenul nera-gisse.Il montrecommentsesont instal-lsle dogmatisme,lafoliecollective,etlalanguequiles lgitime.Il insistesur ladifficultdun retouren arrireFableglaante laOrwell,La Valle des mas-ques estun rquisitoirecontre touslesfondamentalismes,religieux,politi-ques,conomiques. On y reconnatralesdmonsde lInde, ditTejpal.Maiscesdangers,tousles paysaujourdhuilesconnaissent.Lesmots simpleet pursontfauxet dangereux.La vraie vieestmultiple, complexe,impure: touslesbonsromanssontl pournousle dire. p

    Fl.N.

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