Supplément Le Monde des livres 2012.03.16

Embed Size (px)

Citation preview

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.03.16

    1/12

    Soleil-Levant,Francelenvers

    p r i r e d i n s r e r

    LappelduJaponAmlieNothomb,neKobe,vitenEuropecomme

    enexil.Elle sapprte retournerl-bas,parncessit, poursy ressourcer.Endpit, oucause, deFukushima

    Jean Birnbaum

    Du 28mars au 5 avril, jeseraiau Japon. Je ny aiplus mis les piedsdepuisdcembre 1996.Cest peu dire que cepays ma manqu. Jai

    longtemps cru que jtais nippone.Jai fini par comprendre que ce qui

    mavait fonde ntait pas le Japon,maislemanquedeJapon.

    Lapremirefois quejaiquittlAr-chipel, javais 5 ans. On marrachait Nishio-san, ma nounou japonaise,que jaimais lgale de ma mre. Lesannes qui suivirent cet exil, je souf-frisau-deldudicible.Quandmadou-leur tait trop insoutenable, je mecachais sous la table pour pleurer ensilence. Je concluais toujours par ceserment: Unjour,jeretourneraidansmonpays.

    A lge de 21 ans, aprs donc seizeannes de manque, je tins parole.Deuxdemeslivresrelatentmesaven-tures dalors. Jy dcouvris entreautres choses quil ne suffisait pasdtre ne au pays du Soleil-Levantpourenfairepartie.Maiscequejenaipas russi exprimer, cest quelpointceretourauJaponmasauve.Sijchouai prouver que jtais nip-pone, je parvins puiser des forcesdurables danscetteterrelue.

    Aprs, je quittai nouveaulArchi-pel.Letravailde deuilreprit.Japprisneplusmecachersouslatablemaismy asseoir pour crire. Il sagissaitpourmoiderenoueraveclunedemesplusvieilles habitudes: le manque decequonaime.

    Lereprocheamoureuxquonmaleplusadressestcelui-ci: Tudisquetu

    maimes,maistu tepassestrs biendemoi. Je nai jamais russi mexpli-quer sur ce point. Tout tre aimdevientpourmoile Japon; dslors,ilmeparatnormalderessentirunman-quedouloureux cetgard. Je nesuispas plus stocienne que nimportequi: jai seulementlhabitude. Quandje souffre dun manque extrme, jesaisquejesuismoi.Cestdja.

    Stupeur et tremblements parutchezAlbinMichelen1999.Suitecela,comme on sen doute, on ma inviteau Japon 245 fois de manire ambi-gu:lidetaitquejemexplique.Jaitoujours refus: il ny avait rien expliquer.Stupeurnestpasunlivre

    thse,cestlercitdunemsaventureprofessionnelle dans une grandeentreprise nippone. Aujourdhui,cestainsiqueluvreestcomprise,etilny a plus descandale.

    Le11mars2011,il y eutFukushima.Depuis,raressontceuxquiosentallerauJapon.Jenecomptepluslenombrede connaissancesqui ontannulleurvoyage.Quandjeleurdisquecestsur-tout maintenant quil faut aller surlArchipel,parsolidaritetpourprou-ver que cette terre nest pas pestif-re, on me rpond que le risque esttrop grand. Mais les Japonais nont

    pas fui leur pays, eux! , nai-je cessdaffirmer. A quoi on me rtorquedun air finaud que ces pauvres genssont victimes de la dsinformation.Comme quoi tous les prtextes sontbons pour douter non seulement delintelligencedesJaponais, maisaussideleurcourage.

    Cet agacement a jou un rle dansle fait que jacceptela 246e invitation.

    Pourautant,ilnyapaslieudemattri-buer un beau rle: ce nest videm-mentpaslepaysduSoleil-Levantquiabesoin demoi, cest moiqui aibesoinde lui. Seize annes ont nouveaupassdepuismondernierexil:ilsem-blerait que vis--vis de cette terre,monautonomiesoitde seize ans.Mesbatteries sont presquecompltementdcharges, il est grand temps deretourner la source.

    A la source de quoi? Cest la ques-tion10milliardsdeyens.Lemondeentier saccorde l-dessus: l-bas, ily a quelque chose. Mais quoi? Per-sonne nest de la mme opinion.Ceuxquiontlepluscritsurlesujet

    sont les Nippons: on ne dnombrepluslesessaissurlafameusespcifi-cit japonaise. Il en a rsult desthories plus ou moins incongrues,voire pestilentielles, tant il est vraiquil suffit de nommer une impres-sion pour la discrditer. Selon moi,le seul stre montr convaincantest Junichiro Tanizaki dans Eloge delombre (1933), texte admirable,dune posie extraordinaire. Encoreson explication ne rend-elle pascompte de tous les mystres japo-nais,loin sen faut.

    Si lon me demande ce que moi jevais chercher au Japon, jenai aucun mot pour le dire.Je sens trs profondment,dans ma cage thoracique, cequi entre en convulsion laseule ide de respirer nou-veaulairnippon,etjerefusede dvaluer par des termesinadquats une pulsion

    aussi forte. Tout ce que je sais, cestque, comme la dernire fois, jaibesoindtresauve.De quoi? Sije lesavais, je serais dj sur la voie dusalut,cequinestpaslecas.Jesaisquele Japon a le pouvoir de me sauver,puisquil la dj fait. Mon salut estvidemment un projet de pitreenvergure; nanmoins, je doisavouer quilme tient cur.p

    11aBandedessineLe souvenirdes camps harkivu par DanielBlancou

    8aLe feuilletonEric Chevillardest mu parTajuki Ichikawa

    ET AUSSI...

    10aEssaisUne histoire deltranger

    5aEntretienKenzaburcontre lenuclaire

    2-8La littraturejaponaise lhonneur

    Cetteanne, le Salondu livre clbrele Japon.Or cepays, dansnotreimaginaire,reprsente nonseulement leGrandAutrede lacivilisation

    occidentale,mais aussi lenversabsolude lespritfranais.A la suite deVoltaire, Lvi-Straussfaisaitde cesdeuxespaces desuniverssymtriques etopposs.Le Japon,pointe extrme delAsieverslEst, etla France,

    pointeextrmede lEuropevers lOuest,crivaitlanthropologue,comparant les gestesquotidiens au

    seindesdeuxcultures: danslempireduSoleil-Levant,ltoffeestpiquesur laiguille,et nonlaiguillepiquesurltoffe; le chevalentre lcurie reculons, etnonla ttela premire; et lartisanscieou rabotedanslesens inverse duntre

    Sousla plumedesauteurs franais, peuimporteleJaponrel. Seulcomptele troubledont cette contreestle nom,lpreuvequelleinflige noscertitudes, nos consciences.Il sagit, avec lemalentendu, lecontresens,douvrir un espace dinventiono lonsort du

    propre,du connu, rsumeLaurentZimmermanndansunbelarticlede laNouvelle Revuefranaiseconsacr laplace du Japondansla littraturecontemporaine.MichelDeguy commeMichel Butor, Jean-PhilippeToussaint etPhilippeForest: dunemanireou duneautre, chacunde cescrivainsrde autourduJaponcommeautour duntextedautantplus dstabilisantquil rsiste toute tentative dassimilation.

    Onle vrifieradans cenumrospcialdu Mondedes

    livres : plongerdans lalittraturenippone, cest descendredans lintraduisible, en prouver la secoussesans jamaislamortir, jusqu cequennoustoutlOccidentsbranleet quevacillent lesdroits dela langue

    paternelle, commele notait RolandBarthesdanscelivrequi demeureici le texte-source,LEmpire des signes(1970).Pourdcrirele chocquereprsentela rencontreavecle Japon, cette France lenvers, unmot simposaitdu reste lcrivain: sisme.p

    3aTraverseEcrire lacatastrophe du11 mars 2011

    2aRencontreYoko Tawada,une Nippone Berlin

    6aHistoiredun livre

    Les Pissenlits,de YasunariKawabata

    9Moscou,ville inviteaEnquteEcrivainsrussesface Poutine

    Lemondeentiersaccorde l-dessus :l-bas, il y a quelquechose.Maisquoi ?

    Une chronique exubrante et moderne mettre entre toutes les mains.

    Nadge, Librairie Majuscule Birmann

    Photo Francesca Mantovani

    CyporaPetitjean-Cerf

    La belleanne

    FREDERIKFROUMENT

    Amlie Nothombcrivain

    S P C I A L S A L O N D U L I V R E D E P A R I S 2 0 1 2

    Cahierdu Monde N 20887datVendredi16mars 2012- Nepeuttrevendusparment

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.03.16

    2/12

    Lelivreantisismique

    Journaldes jourstremblants.Aprs Fukushima, deYoko Tawada,

    traduitde lallemandparBernardBanounet du japonaisparCcileSakai,Verdier,116p.,13 .

    FlorenceNoiville

    EnvoyespcialeBerlin

    CestlenversdeLost inTranslation, le filmde Sofia Coppola.Cest lhistoire dunejeune Japonaise quisubit le choc de lEu-

    rope et ny comprend rien Cesoir-l, dans la pnombre de sonappartement berlinois, YokoTawada dcrit ainsi son arriveen Allemagne: Javais 22 ans.

    Jtais cens e faire un stage dansune entreprise dquipement

    pour bars et cafs Hambourg.Chaque matin, en arrivant aubureau, lesgensme disaient: As-tu bien dormi?. Jtais horrifie.

    Au Japon, jamais on ne vous pose-rait une question pareille. Oualors, il faut vraiment que vous

    ayez une mine de dterre. Quevotre interlocuteur sinquitebeaucouppour votresant

    NeTokyoen1960,YokoTawa-da vit en Allemagne depuis 1982.Pourquoi lAllemagne? Elle avaitdabord tudi le russe. Mais 19 ans, descendant du Transsib-rien Moscou, elle dcide finale-ment de continuer le voyage, depousser jusquen Allemagne duNordet dabandonner la langue dePouchkinepourcelledeGoethe.

    UneNipponedanslaHanseteu-tonique? On linitie des chosessidrantes, le fromage blanc, lescornichonsen salade Elle repen-seaurvedeBarthesdansLEm-

    pire des signes (1970): Connatreune langue trangre (trange) etcependant ne pas la comprendre

    Dfai re notre rel sous leff etdautres dcoupages Eprouver la

    dilution, lhmorragie du sujetLerve,pourelle,estpluttcauche-mar. Toute la journe, elle estconfronte dinfernaux dilem-mes:ce quelleva faireou direris-que-t-il de choquer son interlocu-

    teur? De le blesser? Je narrivaisjamaistrancher. Toutesles micro-dcisions que je devais prendre chaqueinstant mobsdaient. Querpondre au collgue qui sinqui-tait de mon sommeil? Et puis, fal-lait-il lui dire Du ou Sie? Tuou vous? Cela dpend si tuconnais ou non la personne,mavait-on dit. Mais quest-ce queconnatre? Connat-on jamais quiquece soit? Jtaisperdue

    Ceuxquivontlasauversappel-lent Heiner, Walter et Franz(Mller, Benjamin et Kafka).Paralllement, explique-t-elle enriant,jtudiaisla littratureluni-versit.Jaieuuntelcoupdefoudre

    pour ces auteurs que jai voulu lepartageravec des amis allemands.Jai compris quune langue estdabord une vibration, une forcevivante quicirculeentreindividus.

    Limportant nest pas quelle soitou non maternelle, mais quelle

    puise son nergie dans le corps etquelle sextriorise. A partir de l,

    jai cess de me dire: Cette langueestlamienne,celle-lnelestpas.

    En 2000, Yoko Tawada achveunethseen allemandsur la litt-rature europenne. Puiselle com-mence publier, alternativementen japonais et en allemand.Ecri-re, nest-ce pas manier une languetrangre de toute faon? Avecune quinzaine de romans etrecueils de nouvelles souventsurla condition dedplace oudevoyageuse , auxquels sajoutent

    thtreet posie,YokoTawadaestaujourdhuile seul crivain voir

    mentionner sur ses livres: Tra-duit du japonais (Allemagne). Etcomme ses complexes du dbutlui semblent loin! On nest

    jamais compltement perdu, aufond. Observez un idogramme

    chinois: il est probable que vous ycomprendrezquelquechose mmesivous nycomprenezrien

    Son dernier livre, Journal desjourstremblants,ellelapenspres-queentirementenallemand.Par-ce que les textes quil rassembletaientlespremiersaprsFukushi-ma.Et quellevoulaitjustement yfaireprvaloirunpointdevuefor-gdepuislEurope.Pourcela,elleacomparla presse allemande etlapresse nippone. Javais limpres-sionquelediscourspublicauJapontaitmanipul.En Allemagne,cet-te catastrophe a t loccasion dedbattre de la politique nuclaire.Sur lArchipel aussi, bien sr, des

    groupessinterrogent depuis long-temps surla scuritdes centrales,maisleurvoixestpeuparvenue,dumoins au dbut, jusquaux infor-mations tlvises. Tawada se

    demande ce qui fait quon ait pusi vite, en Allemagne, dciderdarrterlenuclaire,tandisqueleschoses voluent si lentement au

    Japon.Aquoicelatient-ilprofon-dment?Alapopulation,lalan-

    gue,au journalisme?Quand japprends une catas-

    trophe, raconte-t-elle dans le livre,moncur semet battrepluslen-tement. Je deviens calme, commesous leffet dun tranquillisant.On apprend cette attitude auJapon,dit-elle.Cestunetechniquede survie. Etre calme, patient, nepas dramatiser. Cette posture estutile, note Tawada. Mais elle peutaussi tre exploite abusivement.

    Avecunetelle attitude,onperd faci-lement son esprit critique, donc

    peut-treaussison senspolitique.Politique. Journal des jours

    tremblants, le plus engag desrecueils de Tawada, marque untournantdans ses crits. Lauteur,qui vient de publier unenouvellesurle11mars2011,dansuneantho-logie dite Londres chez Ran-dom House (March Was Made ofYarn),sinterrogedsormaissurlasuite donner son uvre. Jaideux stratgies en tte, dit-elle.Traiter la catastrophe de manirelarge, par exemple en la situantdans un contexte de science-fic-tion.Ou,au contraire,recueillirsur

    le terrain les voix b rutes detmoins,en faireun collageet leurdonnerforme.Lasecondepistelatentedavantage.Mais,dit-elle, cenestpas un mince travail.Je veuxaller Minsk, parler aux gens deTchernobyl. Ma responsabilitdcrivain consiste dmonter lesystme conomique, fouiller lesreplis de lHistoire, interroger lecontexteinternational

    Est-on loin de la littrature?Jamais.Tawadaracontecomment,lorsquelletaitpetite,sa mre nepouvaitjamaissepasserdelumi-re. Jai grandi dans un espaceclair jusque dans ses moindresrecoins,dit-elle.Pourma mre,tou-te parcelle dobscurit rappelait laseconde guerre mondiale. Dolimagede Tokyo, ville tincelante,illumine nuit et jour. Lconomie

    japonaisesest dveloppe en effa-ant la guerre sous la lumire desampoules. En Allemagne, pour la

    premire fois, jai su que la nuittait obscure.Et dcouvertlabeau-tdes bougiessur lestables. YokoTawada explique ainsi pourquoi,selon elle, les Allemands appr-cientElogede lombre, deTanizaki,et pourquoi cette lecture, aucontraire,la longtemps mise mal laise. Cest un hommage labeaut de la culture japonaise,

    une esthtique de lobscuritcontrastantaveclalumineuseclar-t de lOccident. Dans les annes

    1980, je pensaisque ce livre appar-tenait un pass rvolu. Ces der-nierstemps, aucontraire,je medisquiltaitpeut-treprmonitoire.

    Yoko Tawada En quittant sonappartement berlinois, on sedemandesi,unjour,onpourraitfai-re comme elle. Symtriquement.Tomberamoureux de Tanizaki,seplongerdanssalangue,sinstallerTokyo et publier des romans enjaponais! Yoko Tawada sourit. Unsourire mystrieux qui donneraitpresqueenviedessayer.p

    CRIREAPRSFUKUSHIMA: telestle th-medecetouvragequi,aprslatriplecatastrophe sisme,tsunami,accidentnuclaire, conduit YokoTawada sinter-rogersurlimageduJaponchezlesOcci-dentaux(Troisleonsde potique)avantdenousoffrircequelleappellesonJournal desjours tremblants.

    Dansces textes publis dansdes jour-nauxallemandsou deSuisse almani-que,lauteursinterrogesur la notion decatastrophenaturelle La natureest-elleresponsablede la mortpar radioacti-vit? ,maisaussisurlimpactdesima-ges,lillusion deproximitet ladistanceinfranchissableavec lesvictimesCeuxquiles regardentne peuventmmepas leur tendreun verredeau.

    Cesontnanmoins lesanecdotesdontYokoTagawa mailleses pagesquienfontlevraisel.SonprequelleappelledepuisBerlinetquiprfreluiparlerdulivre commandpourellechezle librairedancien(Dansune tellesituation,mieuxvautseconcentrer surun objet du

    quotidienquede sexprimer avecdespointsdexclamation.).Sa sur, institu-tricedans unecoleprimaire,qui ditavoir,aumomentdelasecousse,enten-dula terrepousserun profondgmisse-ment. Cettetraductrice,quia redcou-vertcertains livresdepuisquils sonttom-bsdesestagresetquipassesontemps,depuis, leslire assisepar terre,cequi luiprocure unsentimentde scu-ritet decontinuit.Oucetcrivainquiracontequecertainslivressont devenuspourluiinintressantssansquilpuissevraimentdire pourquoi...

    Enfiligranede cetouvrage sesquissejustementune listede cesouvrages rsis-tantsaux sismes :deBrechtTanizaki,YokoTagawanousdonneunefurieuseenviedy allervoirou revoir.pFl.N.

    YokoTawada

    Rencontre Salon du livre 2 012

    NeauJapon,ellevitenAllemagneoellecrit,cestselon,danssalanguematernelleousalangueadoptive.SonJournaldesjourstremblants,bilingue,comparelesattitudeseuropennesetjaponaisesfaceauxsituationsextrmes

    UneTokyoteBerlin

    Je ntaispasune enfantcraintive,mais, ladiff-rencede masur,chaquepetittremblementde terremefaisait trspeur.Commeje fuscontentelorsque jelusqueJunichirTanizakiavaitlui aussi unephobiedessismes.Ayantconnu,enfant,en 1894,un tremble-mentdeterre assezimportant Tokyo,il sefit plustardconstruire Yokohamaunemaisonrsistantauxsismes.En1923,lorsdu grandtremblementdeterre,cettemaisonfut dtruiteparle feu,ildmnageaalorspour louestdu Japon,croyantquilseraitpluslongtemps labri.Maisau lieuduntremblementdeterre,il subitla grandeinondationde 1938.Tanizakidmnageaquarantefois durantsa vie,

    commesil voulaitconstammentfuir lescatastrophesnaturelles.Et celles-cile poursuivirent commesi ellesvoulaient entrerdanslhistoirede lalittrature.

    Journaldesjourstremblants,page103

    LeSalondulivrede

    Paris2012pratique

    Extrait

    Ecrire, nest-cepasmanierunelanguetrangredetoute faon?

    Parcours

    Duvendredi 16aulundi19mars,portede Versailles,boulevardVictor,Paris15e.

    Entre: 9,50.Gratuitpour lesmoinsde18 anset lestudiants.

    Renseignementsetprogrammecomplet:www.salondulivreparis.com

    1960YokoTawadanat Tokyo.

    1982Elle sinstalleenAllemagne,o elletudieles lettresallemandes.

    2001-2009Ellepublieenallemandet enjaponaisNarra-teurs sansmes,Trainde nuitavecsuspects,Lilnu, LeVoyage Bordeaux (Verdier).

    2003 EllereoitleprixTanizaki

    2005puislaMdailleGoethe. ULFANDERSEN/GAMMA

    2 0123Vendredi 16mars 2012

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.03.16

    3/12

    Unreportage,unrcitetunromanrendentcomptedelacatastrophedu11mars2011:lesisme,letsunami,laccidentnuclairedeFukushimaetleurssuites.Troisapprochesdiffrentespourdirelindicible

    Carnetsdapocalypse

    Fukushima.Rcitdun dsastre,deMichal Ferrier,Gallimard, Linfini, 264p.,18,50.MichalFerrierest Tokyo,o ilvit etenseigne,le vendredi11mars2011,quand,audbutde laprs-midi,commenceletremblementde terre, lvidencetrsviolent.Ausismesuccdentle tsunamietlaccidentdela centralenuclaire deFukushima. MichalFerrier quitteTokyo

    etpartsurleslieuxdelacatastrophepourcomprendreet crireces rcitssauvsdeseaux.

    LOcandanslariziredeRichard Collasse,Seuil,300p., 19.SosukeSakainaque 17ans aumomentdutremblementde terre etdu tsunamiqui dvastentle Nord-Estet particulire-mentsaville,Kesennuma, unimportantportdepche.Ilfaitpartiedesrescaps,maistoutesa famillea disparu.Ilentre-prendalorsun journaldela catastrophe,leCahierdeSakaiSosuke,avantdtre

    rejointparson jeuneoncle,Eita,venudeTokyo,quifaitsontourlercitdesesjournesKesennuma.

    JosyaneSavigneau

    Ecriresurlacatastrophe.Ecrireaprs la catastrophe. Dans lepremier cas, on fait un travailde journaliste. Dans le second,onse pose, encrivain,la ques-tiondelalittratureetdudsas-

    tre. Les deux approches ne sont bien srpasantagonistes,mais complmentaires.

    Bien qucrivain, lAmricain WilliamT.Vollmann, avec Fukushima. Dans la

    zoneinterdite, achoisiloptionjournalisti-que.Enrevanche,lesFranaisRichardCol-lasse et Michal Ferrier qui, tous deux,viventauJapon,ontvoulurpondreparlalittrature.Lepremierparlafiction,etsontroisime roman, LOcan dans la rizire.Le second, dj auteur de plusieurs livressurle Japon,choisitle rcit, avecFukushi-ma. Rcit dun dsastre. Comme la fait,

    aprs le sisme de 2010, le Hatien DanyLaferrire(Toutbougeautourdemoi, Gras-set), avec lequel Ferrier dialogue dans letrs complet numro de la NRF, DuJapon (n599-600,370p., 22,dirigparPhilippe Forest).

    William T.Vollmann aime aller sur leterrain.Ildevientalorsreporter,prenddesrisques, veut tout voir de trs prs. Il estchez lui, en Californie, quand il apprendquau Japon le sisme et le tsunami ontprovoquun graveaccidentnuclaire lacentrale de Fukushima. Immdiatement,ilprendlavionetdcidedeserendredirec-tement dans la zone interdite, avec unquipement assez rudimentaire et undosimtre pour mesurer le taux deradioactivit.

    Ilobserve,il est lcoute, recueilledestmoignages. Je considrais que la ques-tion du racteur tait le vrai sujet. Aussinavrants quaient t le tremblement deterre et le tsunami, les dgts taient

    accomplis (). Mais cette autre horreurenveloppede becquerels,de sievertset demillirems ne faisait que commencer et

    personnene savait quelle en tait la gravi-t. Il met en cause les experts, stonneque les gens continuent de penser que lenuclaire est une bonne chose et prf-rent parler de zone contamine pluttque radioactive. Ces 90 pages, un longarticle de magazine en somme, sontpleines dinformations. Elles ne seraientpasdcevantessilonnavaitpaslescom-pareraulivredeMichalFerrier.

    La tragdie est tellequon hsite direquecetexte-lestmagnifique.Pourtant,illest,avecunesortedemagie.MichalFer-rier,dontlespremirespagesdu rcitsontconsacres au vase sismographe deZhang(Chine, IIe sicle),devientun sismo-graphe de la catastrophe en cours. Le lec-teur est avec lui ce 11mars 2011 Tokyoquand quelque chose grogne, frmit,demande sortir. Tout dabord ce nest

    rien, un mouvement infime, insignifiant,quelque chose comme une flure surlivoire dun mur, une craquelure sur unos. On est avec lui et on sait quon ne le

    quittera pas jusqu la dernire page. Onvitavecluicebruitquidevientvacarme.

    Quand chacun constate que ce sismefait peur aux Japonais, habitus auxsecousses,la paniquesinstalle. UnAmri-cainhurlequilfaut se sauversur lheure,des Franais plient bagage. Un historienjaponais travaillantsur la secondeguerremondiale ne les mnage pas: La dban-dade!La dbcle! Unespcialitbienfran-aise! Michal Ferrier ne quitte pas leJapon.Ilvoitdabordsabibliothquedislo-que,leslivresrpandussurlesol: Ponge,au milieu de tout ce mange, sen va sansemphaserejoindreterrelesptalesdepru-nier,dontil sest toujourssentiproche. Et,avant de prendre la route, non pour fuir,maispour pouvoircrire quelquesrcitssauvsdeseaux,ilrevientlalittrature.Claudel etLe Dsastrejaponais (1924),vi-demment, mais aussi Le Dit des Heik,dont il cite un long passage, qui enapprend beaucoup plus sur la situationactuelleque lesmessagestour touralar-mantsetlnifiantsdesmdiasetdugouver-nement. Un grand sisme est un mal-heursansretour,ditnotammentcechef-duvrede lalittraturemdivale.

    AKyoto,toutredevientformeetmlo-die. Mais, plus au nord, les gens meu-rent. Cest l quil faut aller pour com-prendre. Javais vu des milliers dimagesdela catastrophe avant de monter dansleThoku (le Nord-Est, la rgion touche),critFerrier.Rien ne mavaitprpar unetelle dvastation. Cest un tapis de

    dbris. Deskilomtres et des kilomtres degravats. Tout est aplati, aplani, ras, ara-s. Ausismeet ses rpliquesa succdletsunami: Cestparle sonquele danger

    arrive. Laclameurde leaule prcde.On apeur dabord par lorei lle, par le tympan.Au large la ligne de lhoriz on sest leve.Maiscest parle bruitque lavague sappro-chedansun brouhahadepluie.

    Lamortest partoutluvre, lesresca-ps sont comme hbts. Ils ont survcucar ils ont pu monter assez haut. Cer-tains cherchent en vain lendroit o se

    trouvaitleurmaisondevantunetenduede boue parseme de chiffons. Et le pire,cest lodeur, lodeur stupfiante de laboueetdupoissonmort .Kesennuma,un

    desdix plusgrandsportsdu Japon, a tlittralement clat par le sisme, puis

    pulvrispar le tsunami.Cest prcisment Kesennuma que

    Richard Collasse a choisi comme lieu deLOcandans larizire .SosukeSakaiestunlycen de 17 ans, dont toute la famille vitl,delapche,depuisdesgnrations.Lar-rire-grand-mreKiku, neen 1915,racon-

    tait toujours lhistoire de la Vague, letsunamiauquelelleavaitsurvcu.Elle nepourra pas parler de celui de 2011, qui la

    emporte, avec toute sa famille, sauf lejeuneSosuke.Dansla premirepartiede sonroman,

    intitule le Cahier de Sakai Sosuke,RichardCollasse raconteheure parheurecejouro tout sest dtraqu. Au lycedeSosuke,cest la fin ducours demusi-que que le tremblement de terre se pro-duit.On demande tousde sortirdans lacour.SosukerejointsonamieAoi,qui par-tage sonamour duviolon.Mais, trsvite,lasur deSosuke, employe dela mairie,annonceau micro larrivedu tsunamietrecommande de se rfugier sur les hau-teursdelaville.Onvoitsurgirunbateaude pche port par la vague. Il fautessayerde monter,et monter encore.Aoiencourage Sosuke. Mais cest elle qui estemporte par la vhmence du flot deboue.SamainglissedecelledeSosuke.

    AvecSosuke,cetenfantperdu,ondam-buledanslavillemconnaissable,o sontouverts lahtedes refugesde fortuneet

    desmorgues. Ilfinitpar retrouversa mai-son.Ceuxquiysontencoresontmorts,lesautresontdisparu.Sasuratenurestersonposte,pourcontinuerdediffuserdesannoncesetaiderses concitoyens.Ellenapas survcu. Sosuke ne retrouvera quelemplacement de son bureau et unephotode familledlave.

    Lhistoire de Sosuke est mouvante,sonne juste, et ce roman serait excellentsil sarrtait la page200, la fin duCahierdeSakaiSosuke.MaisCollasseaajout une seconde partie, le RcitdEita,etvraimentonadumalsintres-sercetoncle,venudeTokyosurordredesonpre.A 24ans, cest un oisif dsabus,insupportable qui, soudain, en lisant lejournalde Sosuke,se dit: Jai pris enhor-reurmon passismeamorphe, moncynis-me dsabus. La rdemption par laconfrontationaveclemalheurabsolu?Onnycroitpasuneseconde.

    Il vaut mieux essayer de remonter

    ttons vers la surface, avec le chapitreLa vie reprend, de Michal Ferrier. Amoins que ce ne soit quune demi-vie,quand la mort sociale est en marchepourtousceuxqui onttirradis.p

    Signalons galement laparutionle 22mars deLEquivalencedes catastrophes (AprsFuku-shima), deJean-LucNancy,Galile,80 p.,13.

    Fukushima. Danslazoneinterdite (Intothe ForbiddenZone),deWilliamT. Vollmann,traduitdelanglais(Etats-Unis)parJean-PaulMourlon,Tristram,90p., 9,80.QuandWilliamT.Vollmann,crivainamricain,apprendque lesismedu11mars2011a entran, Fukushima,leplusgrave accidentnuclairecivildepuiscelui de Tchernobyl(1986), ildci-dedeserendreauJapon,auxlimitesde

    lazoneinterdite.Selon sestermes, unrcitde chosesque nouspouvons pei-necroire,et encoremoins comprendre.

    Javais vudesmilliersdimagesde la catastrophe,critFerrier.Rien nemavaitprpar unetelledvastation.

    ParolesdeJaponais

    Surlactenord-estduJapon,

    le20mars2011.HISASHIMURAYA MA

    S a l o n d u l i v r e 2 0 1 2 Traverse

    VOICIUN LIVREquilfaut ache-ter.Passeulementparceque lesrecettesdes ventes seront versesauxsinistrsdu Thoku(touslescontributeurset traducteurssontbnvoles), maisaussiparcequilestun kalidoscopedesractionsdesJaponaisaprsle 11mars2011.Ony trouveles faits,les analyses,lacolre,le deuil,lhumouraussi,lafiction, laposie.Mmesi,commele rappellePhilippeForest,personnene peutparleraunom desvingt millevictimes.Cequi nesignifiepasquilfaillesetaire.Cequemontredemblele romancierKatsuhiko Taka-hashi,qui sesentaitpourtantincapabledcrire. Lun revoitlelieudelamaisondesonen-fance,aprsquesamreatemportepar le tsunami.Un

    autredemandede nepasselaisserenvahirpar le sentimentdimpuissance. LejournalistescientifiqueYoshioShioyalivreunelargeanalysesur lenuclairecar,prciselessayisteYichiIkeda, la deuximecatastrophe,le nuclaire,est en coursdvolu-tion.Ilfautdonc sortir dunuclaire,commele rappellentplusieursauteurs,dontle PrixNobelKenzabur (lirepage5).

    Certains choisissentde poserlaquestion de lalittrature,telle critiqueJinnoToshifumi,avecsa rflexionsur leromande

    guerre depuis lors .Carcestbiendune sorte deguerrequilsagit, aprslaquelleil fautreconstruire.Et larchitecteToyoItoproposeune maison pourtous, pourque lessinistrstrou-

    vent,provisoirement, unpeudapaisement.

    LetrsironiqueettrsmilitantGenichiroTakahashifait partiedeceuxquidcidentdcrirequandmme delafiction.Dounetrsbelle nouvelle. Onest le11mars2011,jourdecrmoniedefin de scolarit.Momentfestifquandsoudain le temps trem-ble.Lederniermotrevientlaposieet auxhakus deBanyaNatsuishi,dontceluiqui donnesontitreaulivre: Archipeldessismeset destsunamis,centralesetcerisiersenfleurs.p Jo. S.

    LArchipel dessismes.

    Ecritsdu Japonaprs le11 mars2011,sousla direction de

    CorinneQuentinet CcileSakai,PicquierPoche, 416p., 9 .

    30123Vendredi 16mars2012

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.03.16

    4/12

    LafemmetrompeEnempruntantsontitreuneptredePaul, ToshioShimao (1917-1986)semblaitplacersonromansouslesignede laculpabilitchrtienne. Et,pourtant, ce livredune extraordi-nairefroideur danslanalysevacue

    toutecrisede conscience.Le narra-teur,double transparentde lauteur,traumatisparla guerre laquelleilavaitconsacrses premierslivres,atrompsafemmependantplusieursannes.Ellesenrendcompteetlac-cabledans une scnedouloureusedontilest lui-mmecomme absent.Ellele mitraillede questions. Lesrponsesne sontpasdonnes,si bienquelelivretoutentier,loindtreunemiseenlumiredelafauteconjugale, serecentre surla victimedela trahison, quisombredanslafolie.Deladultreonnesaurapres-querien.Le lecteurpeutpenserquilvientdudliredelafemmetrahie,tantles symptmesde dmencesac-clrent, contraignantlemari lafaire interner. Cehuisclos,auquelparticipentleurs deuxenfants, estdcritavecun mlangede distance

    scientifique et dervolte contrelhys-trie. Cest larmequetu asappristouta?, demande,per-due,lpousefloue.pR.deC.aLAiguillonde lamort

    (Shinotoge),

    deToshio Shimao,traduit

    dujaponaispar Elisabeth

    Suetsugu,Picquier,642p.,

    23.

    Une tasse de thElgantromanhistorique, cettepre-miretraductiondun romandeKenichiYamamotoconjugueintri-gueclassique et vritableshabiletslittraires.Au prtextedu suicide,ordonnpar le shogunToyotomi

    Hideyoshi(1536-1598),du grandmatredethSennoRiky,enfvrier1591, lcrivainrussitunecompositionsavante et plaisante.Nen 1956, ilsinscrit, samanire,danslacontinuitdegrandscontem-porainsde lalittraturecommeYasushiInoue(Le Matrede th, 1991)ouducinma,commeKeiKumai(La

    Mort dunmatre de th,1989).Avecsavoir-faire,letexteva dunperson-nage lautre, tournantautourde lacrmoniedu th,donnantsonmys-tre sentirplusqucomprendre.Au-delde lareconstitutionde lan-cienJapon, le lecteurapprcieralespersonnagesfminins, lachrono-logiefluide, lalternancede lenteurarienneet dintensit. pNils C.AhlaLe Secretdu matrede th

    (RykiNe Tasuneyo),deKenichi

    Yamamoto, traduitdu japonaispar

    YokoKawada-Simet SylvainChupin,

    Mercurede France,370 p., 24,80.

    Raphalle Leyris

    LesnuitsdHlneMoritasontenco-rehantes par1Q84. Elle a consacrplus de deux annes traduirecette trilogiede HarukiMurakami,

    dont le dernier volet vient de paratre, etses rves restent traverss par certainesscnes. Surtout, raconte-t-elle, dans ledemi-sommeil qui prcde lendormisse-ment,je retraduisdes passages, jesuis sai-sie par les remords Cette obsession

    1Q84 nest sans doute pas trangre aurythme trs intensif auquel elle a tra-vaillsurceroman 1617pagesau finalnilaviditaveclaquelleleslecteursfran-ais attendaient cette somme de la starjaponaise. Une telle persistanceest aussi,biensr,lieaufaitquelatraductionpro-cdedune forteimprgnationavec lima-ginaireet lesmotsdunauteur,etquilest

    difficile de sen dtacher. Mais plus quepourbeaucoupdautreslangues,latraduc-tiondepuis lejaponaisrelvede ladapta-tion. Si Patrick Honnor et Ryoko Seki-guchi ont tous deux recours limage,rpandue,de linterprtation, commeon parle dune interprtation musicale,leurconsurCorinneAtlan,quifutlapre-mire passeuse de Murakami en France,parle dun important travail de recra-tion. De quoi redoubler les angoisses etlesdoutes naturelsdu traducteur, prover-bialement suspectde trahison.

    Neparlonsmmepasdupassagedunecritureen idogrammes celle, linaire,de notre alphabet: Il faut se rsoudre

    perdre une dimension du texte , ditCorinne Atlan. Le japonais, expliquePatrick Honnor, est extraordinaire-ment loign du franais. Par sa struc-ture, dabord: il ne possde ni article, nigenre, ni nombre. Surtout, il est une lan-gue dite agglutinante, dont la gram-maire repose sur lassemblage des l-ments basiques de la phrase: Quandvous traduisez un texte de langlais ou de

    lespagnol, par exemple, il y a 95% dechances pour quun verbe reste un verbe,

    pareil pour un adjectif, etc., poursuitPatrickHonnor.anestpaslecasdansle

    passage du japonais au franais. Parconsquent, le but nest pas de traduiretant phrase par phrase que scne parscne : Il sagitmoins,dit-il, duntravaildegrammairienquede lecteur.

    HlneMoritavoqueuneautrespcifi-cit japonaise: Les rptitions, que cesoient celles de mots ou mme dpisodesentiers,ne drangent pas.En franais,ellessont considres comme rdhibitoires.

    Alors, il faut procder de petits ajuste-ments. Je sais que les traducteurs amri-cainsdeMurakami,quileconnaissentbien,ontla permissionde coupercertainspassa-

    ges Mais il fautadmettre quuntexte quivientdailleursdoittre lucommetel, sansvouloirlelisserselonnoscritres.

    Le rle du traducteur est-il dtreaussifidle que possible au texte original oudenlivreruneversionrecevableparleslec-teurs franais? Ryoko Sekiguchi, qui tra-duitdujaponaisverslefranaisetinverse-

    ment, dit quelle simprgne du premierjusqusaisir ses caractristiquespropres,enmatire derythmeet desens, avant dechercher les restituer: Jappelle a le

    pasde Papa: quandvotre premonte les-calier,vouslereconnaissezloreille,mmesi vous ne savez expliquer prcisment

    pourquoi.Cest celaque jessaiede rendre.

    Pour cela, cette Japonaise installe Parisdepuis1997travailleentandem,sou-vent avec Patrick Honnor, que ce soitpourtraduiredesromansoudesmangas:La traduction en duo, assure-t-elle, aug-mente lexactitude laquelle on peut pr-tendre parvenir. Le plus souvent, ellelaisse les dialogues son cotraducteur.

    Questionde naturel, dit-elle. Danslesconversations,explique PatrickHonnor,mon objectif est de faire dire aux person-nages exactement ce que lauteur auraitcrit siltaitfranais.

    Si le passage au franais entrane desajustementset despertes,tous lestraduc-teursinterrogsrefusentlidequilexiste-

    raitdesmotsoudesidesintraduisi-bles. Ou alors, tout est intraduisi-ble,etce quelonfaitnestquunrafis-tolage ignoble, sexclame PatrickHonnor. Mais on na pas dautrechoix ! Corinne Atlan le formuleautrement, citant Walter Benjamin,quicrivaitdansLa Tchedu traduc-teur(1923): Le langagede latraduc-tion enveloppe sa teneur comme un

    manteau royal aux larges plis. Celasignifieque latraductionne tombe jamais

    parfaitement, mais quen mme temps,elleest unvtementmagnifique,qui estl

    pour mettre le texte en valeur. En cas deremordset dinsomniesprofessionnelles,cest une image rconfortante dans la-quellese draper.p

    Rende Ceccatty

    Le temps de Judith Gau-tier, deHuysmanset dePierreLotiest-ilrvolu?On a longtemps lu lesromans et les pomesjaponais pour ce quils

    avaientdexotique.Onleslitpr-sentpource quils ontduniverselet de moderne. Dhtrogneaussi: il ny a plus un Japon, mais

    desJapons.Le japonisme a stagnjusqu la seconde guerre mon-diale; puis le crime dHiroshima(aot1945), en suscitant dans lemondeentierunsentimentdhor-reur,et auJaponune autre littra-ture, a modifi le regard des Occi-dentaux,etenparticulierceluidesFranais.

    Ds laprs-guerre, la fictionjaponaise sest renouvele, maisleslecteurs franaisen onteu uneconnaissance dcale: cest dansles annes1950 et 1960 que sonttraduits Kawabata (1899-1972) etTanizaki(1886-1965),qui ontpour-tantmerg avantla guerre.Et lestroisnouveauxvenuslesurra-listeKbAbe(1924-1993),fantas-tique et visionnaire, le provocantYukioMishima(1925-1970),rudit,prcieuxet ractionnaire,le nova-teur Kenzabur (n en 1935),

    politiset, en mme temps,oniri-que ne nous deviendront fami-liersqulafindesannes1970.

    Lecinmajaponaisapprofonditnotre connaissance de la cultureniponne,avecles films deKinuga-sa , Mizoguchi, Kurosawa,Kobayashi, Imamura, qui obtien-nent des prix occidentaux (Cannes, Venise, Hollywood).Et,dans une deuxime vague, plusnostalgique, avec ceux de Naruseet dOzu. Mais le prix Nobel attri-bu(en1968)Kawabata,figuredubeau Japon, et le suicide deMishimadanssatentativedecoupdEtat paramilitaire dextrme-droite (en 1970) brouillent lavision.LeJaponrestelointain,bienquilcommencedevenirunerf-rence pour toutes sortes de cra-teurs,crivains,cinastes,philoso-phes, stylistes, sociologues, mili-

    tantspolitiques.

    Marguerite Yourcenar sembal-lepour Mishima, dont elletraduitle thtre et auquel elle consacreunessai,maisaussipourLe Dit duGenji oupourlespomesdeBash.Jean Genet sintresse non seule-mentauxactivistesdextrmegau-che, auxquels il va rendre visite,mais aussi aux rites funraires etauthtren,quilvnre.En1970,RolandBarthes,guidpar MauricePinguet, trouvedans lempire dessignes unmiroirdesonpaysint-rieur. Marguerite Duras, avec

    Hiroshima mon amour (1989),inventeuntitredefilmquidevientunslogandeplusenplussonore.

    Mais ce nest quaprs le Nobelattribu en 1994, que la litt-raturejaponaiseenvahitles librai-ries franaises. Des lacunes sontcombles. Si certains chefs-duvreclassiques taient depuislongtempstraduits,ilfallaitrattra-per des retards, notamment pourSseki Natsume (1867-1916) avecOreillerdherbe,Le Voyageur,Clair-Obscur, pourgaiMori(1862-1922)avec Vita sexualis et, tout rcem-ment, Chimres (Rivages), pourIchiy Higuchi (1872-1896) avecQui est le plus grand?, pour KenjiMiyazawa(1896-1933)etpour KafNaga (1879-1959). Les Feux, deShhei oka (1909-1988), cit pardanssondiscoursduprixNobel(Moi,dunJaponambigu),racon-teunpisodeterribledecannibalis-medurantlafindelaguerre.Passinaperu lors de sa premire tra-

    duction, il est retraduit par Rose-Marie Makino, dterminante pas-seuse. La bouleversante FumikoHayashi (1903-1951) qui inspiratant le cinma de Naruse (Nuages

    flottants,1949)etletrsenvotantKunioOgawa(1927-2008)(Le Riva-

    ge dune tentation, 1972) ne sontpublisen franaisquau dbutdecesicle.Denouveauxnomsappa-raissent qui font voler en clatslimage duJapon traditionnel(RyMurakami, Hitonari Tsuji PrixFemina tranger 1999 pour Le

    Bouddhablanc , Rieko Matsuura,HiromiKawakami,Nao-ColaYama-

    zaki, KazumiYumoto), tandis que

    deplusanciens(lestroisromanci-res Taeko Kno, Fumiko Enchi,Minakoba ou linclassable KenjiNakagami) simposent. Et YkoTsushima, la fille dOsamu Dazai,estalorsrvlecommeuneexcep-tionnelle reprsentante de lauto-fiction, intrieure, discrte, parmomentsvertigineusedans lana-lyse. Le panorama sest fminis.Ce nest que justice pour un paysdontlespremiersromans(lesjour-naux de cour du XIe sicle) furent

    critspar desfemmes.Une fois les uvres traduites,les chelles de valeurs restent-elles les mmes? Chaque auteurconserve-t-il sa juste place? Si lesprixAkutagawaouTanizaki,defac-tures aussi ingales que nos Gon-court ou Mdicis, lis, l-bascommeici,desloisdemodeetdemarch, sont traduits la dlureMieko Kawakami, pour Seins etufs (ActesSud,lirepage8),lecr-bral Toshiyuki Horie pour Le

    Marais des neiges (Gallimard, lirepage5),degrandstextespeuventtoujours passer travers lesmailles des diteurs. Sans parlerde la critique, souvent frappe deccitoudesuivisme.

    Lesuccsde HarukiMurakami,longtemps prpar(au Seuil, puischezBelfond)entraneun mouve-ment ambigu. Ce traducteur de

    Carver,habile conteurmenant ses

    intrigues au rythme dun manga,vulgarisant la culture japonaiseou europenne et exploitant ungot populaire du surnaturel,devient un auteur gnrationnel,grcedescampagnespromotion-nellesde typeanglo-saxon.

    Si lon regarde quelques-unesdestraductions suscitespar lan-niversairedu 11mars2011et parleSalon du livre, on peut avoir uneide de ltat des lieux: un oublirparavecun grand roman auto-

    biographique, transfigur par lestyle, paru au Japon en 1960,LAiguillon de la mor t, de ToshioShimao (1917-1986) (Picquier, lireci-contre),latraductionopportunedu roman prmonitoire duncrivainoriginaire de Fukushima,Hideo Furukawa (n en 1966),

    Alors Belka, tu naboies plus? (Pic-quier), une nouveaut de YkoOgawa, Les Lectures des otages(ActesSud).Ogawaestuncasfran-ais, comme Banana Yoshimotoestuncasitalien.Cesdeuxroman-cires trsdiffrentes jouissentrespectivement et exclusivementen France et en Italie de statutsdexception: leurs livres y sontattendus, fidlement traduits,tousrespectset mme encenss.Une situation assez singulire etdissonante pour semer le doutesur lobjectivit des paysages vus

    delautrectde lafrontirep

    Sans oublierDbarrassedeltiquetteexotique,la littrature japonaiseapparatmoderneetuniverselle

    Pourenfinir

    aveclejaponisme

    Panorama S a l o n d u l i v r e 2 0 1 2

    CorinneAtlan,premirepasseusede

    MurakamienFrance,parledun importanttravail de recration

    Denouveauxnomsapparaissent quifontvolerenclats le Japontraditionnel

    LacrmoniedelatraductionTrsloignedufranais,lalanguenipponencessite,pourtretraduite,unlongprocessusdimprgnationpuisdadaptation

    FREDERIKFROUMENT

    4 0123Vendredi 16mars 2012

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.03.16

    5/12

    Sourire, sindigner, rflchir.

    HermanceTriay

    DlicesdeSseki

    Dapparenceanodine, ce recueildesepttextescourtsde Sseki(1867-1916) est aussidlicieux quepossible.Lartdlicat de lauteurde

    Je suis un chat (Gallimard,2005) nabesoinque dequelques phrasespour

    spanouir. Parfoisseulementdetroismots. On recommanderatoutparticulirement LaLettre etLeProfesseurKoeber.AinsiqueLe Moineauau becrose, vritabledmonstrationde souplesseet dha-biletromanesque,dont lironiedou-ce permetdes variations tonnantesdecouleuretderythme.Danscettehistoireparodiqueet tragique,toutestparfaitdanssondtailcommedanssonmouvement.Plusquunefriandisepour lesamateursde Sseki etmieuxquuneintroductionpour

    ceuxquinontpas(encore)frquentlundespremiersclas-siquesdelalittraturejaponaise delaprs-Meiji. pN.C.A.aUnejournededbut

    dautomne, de Sseki,

    traduitdu japonaisparElisabeth Suetsugu,Picquier,92 p., 12.

    Parcours

    Densit deHorie

    Unepetitevilleaupieddes monta-gnes.Une stationdaltitudesans par-kingsgigantesques ni htelsclin-quants.Un atelierde calligraphierservauxenfants,une colede cui-sinequiretrouveet exhaussedessaveursperdues,un magasin de dis-quesdont lamnagementobsdeunpropritairemin parsa petitetailleChaquelieu,chaqueexistenceordi-nairetrouventici unedensithu-mainechargede nostalgieet desobrepudeurquilielesrcitsdecerecueil.Livrantles indicesdautantdepasserelles,ToshiyukiHorie, dcou-

    vertilyadixansdanslarevuebres-toiseArsenal,etdjpublichezGalli-mard(Le Pavde lours, 2006),campeununiversprenant,sansesbroufe.Delabelleouvrage. pPh.-J.C.aLeMaraisdes neiges (Yukinumatosonoshhen), deToshiyukiHorie, traduitdu japonaispar AnneBayard-Sakai,Gallimard, Dumondeentier, 194p.,19 .xaDcouvrezlintgralitdes choix

    littrature japonaisedu Mondedeslivres surLemonde.fr/livres

    Pierrot-la-Gravit,dIsakaKtar, trad.par CorinneAtlan, Picquier,468 p., 22,50.Il y aun anHiroshima,

    dHisashiThara, trad. par Rose-MarieMakino,Arla-Poche, 64p., 5 .

    Bashseigneur ermite.Hakus,d.bilinguepar Kemmokuet DominiqueChipot,La Tableronde,480p., 25.Boy,deTakeshiKitano, trad. parSilvainChupi, Wombat,128 p.,15 .

    Propos recueillis auJaponpar

    PhilippePons

    Alors que de grandesvoix du Japon sesont tues, le PrixNobel de littrature1994 reste lune desraresfiguresrappe-

    ler sans faillir les valeurs huma-nistesdontse rclamaitle pays aulendemaindeladfaitede1945,aupremier rang desquelles le paci-fisme. Kenzabur fait dsor-maisdelthiqueladimensionpri-

    mordiale de toutes les questionscontemporaines, commencerpar lusage de lnergie nuclaire.Le dsastre de Fukushima sera aucentre du roman auquel il tra-vaille actuellement, tout en ani-mantun mouvement, Au revoirau nuclaire. Dans cet entretienauMonde, n de deux rencontres,compltes de messages par faxcalligraphis la main, raturs etpleins de rajouts, il exprime unedouble inquitude: celle que res-sentson pays aprs le11 mars 2011et celle dun crivain au soir de savie qui continue mener le com-bat pour une morale de lessen-tiel.

    Dansla revuelittraireGunzo,vouspubliezenfeuilleton,depuisjanvier,unromandontle titreen anglais

    estIn LateStyle (Dansunstyletardif), inspir parlacatastrophedu 11mars.Quelatvotre cheminement?

    Le critique amricain EdwardSaid (1935-2003) ma beaucoupappris. On Late Style. Music and

    Literature Against the Grain (Pan-theon,2006)futlultimeenseigne-ment quil ma donn. Il voquelinquitude que ressentent lesartistes au soir de leur vie. A samort,javaiscommencunromanen suivant la voie quil a trace.Puis jai dcouvert,avec laccident la centrale de Fukushima, quectait mon pays qui sombraitdans la catastrophe, et jai dcidde reprendre ce roman en coursdcriture en plaant le narrateurau milieu des ruines du dsastredu 11mars. Mon cheminementintrieurconcideavec lacatastro-

    phequevitleJaponetjessaiedex-primer ce que ressent un simplecitoyen. Cest ma propre vie quitransparat dansce roman.

    LebombardementdHiroshimaetde Nagasaki futlepointdedpartduneprisede conscien-cepolitique.La catastrophedeFukushimapsera-t-elleautantdansvotrevie?

    Un jour, un journaliste dHi-roshima ma demand: Est-cequelemondesesouvientdelamis-rehumaine Hiroshima lasuitedu bombardement? Cette ques-tion est reste grave dans mammoire. Aprs laccident Fukushima,lapremireimagequimest venue lesprit fut celle deces dizaines de milliers de mortsdes bombardements atomiques,et des survivants qui endurrentdes souffrances incommensura-bles. Les occupants amricainsexaminaient les victimes,mais neles soignaient pas: ils voulaientjuste connatre la puissance des-tructricedelarmenuclaire.Nousnavons connu les effets duneexpositionaux radiations que parlasuite,grceauxexamensmenspardesorganismesprivs,quiontrvllapparitiondecancerschezles irradis, et leur caractre par-fois hrditaire. Aprs laccident

    de Fukushima, les mdecins trai-tant des irradis dHiroshima

    furent les premiers mettre engarde contre lesrisquesencourusparleshabitantsdesrgionsconta-mines.Pour desannes,le Japonsera confront aux suites deFukushima.Jusquprsent,labo-litionde larmenuclairea tmaproccupation majeure. Dsor-mais, larrt des centrales est laprioritdemonactivitcitoyennecommede mon travaillittraire.

    Lanaturea eusa partde respon-sabilitdans cettecatastrophe,maislaplusgranderevientlimprvoyancehumaine. Pen-sez-vousque lesJaponaispren-drontconsciencedes errementsdunecroissancequi asservitladmocratie laloi duprofit?

    Cette catastrophe met en lu-mire lafragilitde ladmocratiejaponaise. Serons-nous capables

    de ragir ou bien resterons-noussilencieux? OnsauradansdixanssileJaponmriteencorelappella-tion de nation dmocratique. Jemaperois que jamais je navaisressenti aussi profondment lemanque de maturit de la dmo-cratiejaponaise.Car cette crisenese rduit pas au dsastre deFukushima. Le plus dsesprantpour moi est la conspiration dusilencedescompagniesdlectri-cit, desadministrations,du gou-vernement et des mdias pourcacher les dangers. Depuis mars2011ontt dvoilstantde men-songes etil yen aprobablementdautres... La rvlation de cettecomplicitdeslitespourdissimu-ler la vrit me bouleverse. Som-mes-nousun peupleaussifacileberner?

    Comment lesJaponais,premierpeuple atomisdumonde,ont-ils taussi aismentconvaincusde lasret delnergienuclaire?

    LorsdesbombardementsdHi-roshima et de Nagasaki, javais10ans et jai prouv un senti-ment de soulagement: la guerretait finie et je pourrais aller lcole. Puis, en grandissant, jaipris conscience quen dpit de laConstitution, qui stipulait le

    renoncementlaguerre,leJaponoffrait lle dOkinawa aux Etats-Unispourentreposerleursarmesnuclaireset quilsengageaitsurla voie de lutilisation pacifiquede lnergie atomique. Jai critalors Notes de Hiroshima (Galli-mard) et Notes dOkinawa (nontraduit) pour dnoncer ces dri-ves. Lautre pilier de la Constitu-tionde 1947,la dmocratie,a clai-rement draill avec la catas-trophedeFukushima.Jespreunsursaut de la socit civile pourexiger le dveloppement desnergiesrenouvelableset lapriseen compte des alertes des sismo-logues.

    A pr s F ukushi m a, unerflexion morale simpose: on nepeutjuger lnergienuclairesim-plement en termes de producti-vit. Les victimes des bombarde-ments atomiques ont t les pre-mires souligner la dimensionthiquede cesbombardementset appeler ne pas faire subir dautres les mmes souffrances.Lesdirigeants politiques ontigno-rsleurappel.Latrahisoncom-menaaveclaloide1956surlutili-sation delnergie nuclaire desfins pacifiques. Nous en avonsrecueilliles fruits Fukushima.

    Quelest lerledela littraturedansce cheminementversun

    peudhumanit?Une phrase de Milan Kunderamaccompagne dans lcrituredIn Late Style : En commenant

    par lui-mme, chaque romancierdevrait liminer tout ce qui estsecondaire,prnerpourlui etpourlesautresla moralede lessentiel.Mon rle, en tant que romancierjaponais, est de me battre pourliminer les centrales nucl-aires.Tout mon travail prendrasenslejourolasocitcivilejapo-naise aura russi achever songrand uvre (en franais) :faire triompher, pour la premirefois peut-tre, la volont popu-laire.Je creavec lespritun sensde double catastrophe latente:celle que vit le Japon aujourdhuiet celle que connat tout crivainausoirdesavie.p

    Notesde Hiroshima,(Hiroshimanoto),de Kenzabur,vientdeparatreen poche (traduitdu japo-naisparDominiquePalme,Folio,272p., 6,50).

    Sans oublier

    parutions

    OLIVIERMETZGERPOUR LEMONDE

    Depuisunan, lePrixNobeldelittrature1994militeenfaveurdelasortiedunuclaire

    Kenzabur:Sommes-nousunpeupleaussifacileberner?

    Sal o n d u l iv r e 2 0 12 Entretien

    1935Kenzaburnatdansle suddu Japon.

    1958A23ans,remporteleprixAkutagawa,pourGibierdlevage(Folio).

    1965Uneaffairepersonnelle(Stock)voquesonfilshandicap,dontlexistenceinfluencefortementsonuvre.

    1994 IlreoitleprixNobelde littrature.

    2005Adieu,monlivre(paratre chezPicquieren2013).

    50123Vendredi 16mars2012

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.03.16

    6/12

    Histoiredunlivre S a l o n d u l i v r e 2 0 1 2

    LeKawabatainfiniLamortduPrixNobelalaissinachevLesPissenlits, lundesesgrandsromans.Maislauteurnelevoulait-ilpasainsi?Quaranteansaprssa

    publicationauJapon,levoicidisponibleenfranais

    NilsC.Ahl

    Si Yasunari Kawabata(1899-1972) est en Fran-ce parmi les plus lus etles mieux traduits descrivains japonais, onne souponne pas tou-

    jours lampleur considrable deson uvre. 439titres de fiction(romans,nouvelles,textes pour lajeunesse), selon le compte tabli

    par Ccile Sakai dans son incon-tournable tude (malheureuse-ment puise),Kawabata,le clair-obscur(PUF, 2001) auquelil fautajouter des essais et de nombreu-seschroniques littraires.

    Un compte quil conviendraitprobablementde rviser,maisquidonneuneidedelimmensepro-duction du premier Prix Nobeljaponais. Dansce contexte,cepen-dant,lapublicationenfranaisdes

    Pissenlit s nest pas le fruit duhasard. Elle nest pas de ces fondsdetiroirsquelonexploreopportu-nment lapproche dun Salondu livre. Il sagit dun texte ton-nant, remarquable bien desgards, en plus dtre le dernierroman de lauteur, sa dernireentreprisedenvergure.

    Aujourdhui assez largementcomment par les spcialistes de

    Kawabata, le texte est considrcomme faisant partie de sesuvres importantes ou mar-quantes (pour reprendre le ter-me utilis par Ccile Sakai dansson ouvrage), dans la foule (unpeu en de, juste ct) de sesincontestables chefs-duvre:

    Paysde neige,Le Grondementde lamontagne,Les BellesEndormies

    Publidansle mensuelShinchentre1964 et 1968, Les Pissenlitstmoigne dunecriture plusieursfois suspendueet reprise, ralentiepeut-treparlgeetltatdesantparfois prcaire de lcrivain. Lat-tribution du Prix Nobel en 1968interrompt sa rdaction. Durantles quatre annes quil lui reste vivre,soumis une vietrpidante,trsaffectparle suicide deMishi-ma(1970),minparlinsomnie,sur-men, souvent malade, Kawabata

    nyrevient pas. Laissinachev,leromanparatdanslesmoisquisui-vent sa mort, rectifi daprs sesnotes par son fils adoptif, Kaori

    Kawabata, universitaire et profes-seur de russe. Demble considrcommeun trslongprologue untextequinauraitjamaisvulejour,ilsurprendparltrangetdesafor-me et la reprise de plusieurs th-mesclassiquesdesonauteur.

    Cardequoisagit-il?Dundialo-gue.Entreun homme et unefem-me, plusieursheures durant, reve-nant de lasile psychiatrique de lavilledIkutacernepardesmilliersdepissenlits. Ilsy ontlaiss Inko,matresse de lun, fille de lautre,quisouffredeccitpartielle.Ilarri-

    ve en effet quen pleine treinteInko ne voie plus le corps de sonamantquiluiditalorsdebaisserles paupires pour garder sonimage.

    Cette utilisation systmatiquedu dialogue est exceptionnelle:Kawabata a crit des scnarios defilm,maisjamaisde picede th-tre. Dans Les Pissenlits, linachve-mentestautantlefruitdescircons-tances, probablement, quun chovident lobsession de la lacune,de labsence, du manque, qui tra-verse letexte.Carle lecteurcoute

    la mre et lamant, certes, maischerchelavoixdupersonnageprin-cipaldu roman: celledont lincipitscellejustement lenfermementet

    ladrobade.Onnesaitpasloriginedu mal dont souffre Inko, sinonpeut-treuntraumatisme,celuidela mort de son pre quelle a vuesansvoirenfin,daprslercitdesa mre qui ntait pas elle-mmesurleslieuxdudrame

    De fait, linachvement des Pis-senlits ne contreditpas la force decet ultime roman de Kawabata qui a souvent jou avec lidedun rcit infini ou ininterrompu.Et, selon Ccile Sakai, il faut aussivoir dans la mtaphore de la vue(ou plutt de la ccit) une vraie

    synthse du thmercurrent chez Kawa-bata de lincommuni-cabilit, de lopposi-tion entre le clair etlobscur.On leretrou-ve ml par ailleurs une influence boudd-histeclassiquedanslarptition apparem-

    mentanecdotiquedunescne sai-sissante, lasile dIkuta. Unvieillard recopie la formule dunmoine zen: Il est ais dentrerdans le monde du Bouddha, ma-lais dentrer dans le monde desdmons. Uneformule queKawa-bata reprendra dans son discoursderceptionduprixNobel.

    Au Japon, aujourdhui, commeTanizaki ou Mishima, Kawabataest considr comme une figureincontournabledu patrimoine lit-traire, maisa certainementperdudesoninfluence.LaDanseusedIzu

    estencoreunerfrencepopulaire,mais en raison de ses multiplesadaptations cinmatographiques,surtout, prcise CcileSakai,Pays

    de neige, une rfrence scolaire.Pour le reste, lactualit du PrixNobel 1968 va samoindrissant.Quefaut-ilpenseralorsdelarriveenFrancedesPissenlits?Unecurio-sittardivemaischarmante?Satra-ductrice,HlneMorita,parlerai-

    sonde la vigueur,dela force,de lnergie de la langue et duroman: un grand bonheur detraduction.Un bonheurde lecture,

    galement. Car ltrange familia-ritdesPissenlits marque.

    Ultimeroman de Kawabata,LesPissenlits donne limpressiondune uvre de la sdimentationplutt que de la maturit. Ou dugrand ge. Comme si le reste de

    luvre autant que lauteur et lescirconstances lavaient compose,dansune formeradicaleet pure,inhabituelleet pourtantlogique.p

    Auteursetditeurs: toutvabien,mais

    LesPissenlits (Tanpopo),deYasunariKawabata,traduitdu japonaisparHlneMorita,AlbinMichel, 200p., 18.

    POURINKO,cestparune ballede ping-pongque tout com-mence seffacer.Commeun symboledu va-et-vient,delchange,de la lutteetdu balletentre soiet lautre, entresoietlemondequilui

    estprogressivementdrob.Maismmesiellene levoitplusquandil luifaitlamour,Hisanosen moque.Illaime,ilaimesa maladie.Toutle

    contrairede samrequi prendla dci-sionde linterner,hante parlidequInko,un jour,puissene pasvoirsonenfantet letue.De retourde

    lhpitalpsychiatrique,entre lespissen-litsqui bordentlechemin, lejeunehommeet lamrese confient,se sou-tiennent et sopposent.

    Leurbavardageboutdesoufflejouesurlesmots.Ilstournentet retournentlessouvenirs dInko,et seconcentrentrapidementsurlecorps,leplaisiretlapeur, lasensationetla mort. Inkoest-elleatteintedeccitparcequelleavu(sansvoir)lachutefataledesonprecheval?Onnensaurariendeplus:cecorpsdisparatet sabme.

    Dailleurs, ce quicomptedansLes Pis-

    senlits, cestle corpsdisparu,ltreinte.Rpte, renouvele, mtaphorique,contredite,ironique, quimporte.Lesprotagonistes,lesmains et lescorps

    changent,parfoismmeils seffacent.Ontreint,onest treint,on esttou-joursseul,pas moinsni plusquaucurde cettelongueconversation. Aufildu texte,le rcitrevient,les rpliquessontmoinsvives, lesrveriesrepeu-plentla nuit.Lecteur,crivain:commeunemreetun amantquidiscutentdunejeunefemme folleatteinte deccit partielle.Cet ultimelivrede Kawa-bataest galementune miseen scnedela littrature. Inacheve? Infinie.p

    N.C.A.

    L a v i e l i t t r a i r e

    Dialoguedelamreetdelamant

    Pierre Assouline

    Commentdes auteurspeuvent-ilssedireen majorit satisfaitsdeleursrelationsavec leurditeurtouten pointant desdysfonction-

    nementsimportantset en leuradressantdesreproches si fondamentauxquon envient sinterrogersur lextension lexi-caledudomainede lasatisfaction? Ily alun mystreaussiimpntrablequeceluiquiconsisteorganiserunSalondulivre Parisqui seproclamelaplus

    grandelibrairie de France etnenfassepasmoins payer lentre 9,50 sanssusci-terla moindrefronde? Oublionscettelgremanifestation dhumeurdu tempsola colrentait pasencoretaxe.

    LaSCAM,quiperoitet redistribuelesredevancesdesdroits de reproductiondesauteurs,etlaSocitdesgensdelet-tressesontassociespour mettresurpiedleur4e baromtre desrapports,disons,contrasts, entreceux qui cri-ventetceux quilespublient.Cettetudedopinionconcerne1 145 crivainsadh-rentsde cesassociations.Un ressentiqui

    avaleurdenqute.Il enressort unecris-pationcertaine,condenseen un para-doxequiestun vritablecas dcole:lesauteursse disentdans leurmajorit glo-balementsatisfaits,maisAh,ce maissi lourdde sous-entendus,de non-dits, derefoulements! Rarementune conjonc-tiondecoordinationauraautant pes.Onlesentaitlorsdelaprsentationdubaro-mtre2012 lundi12 marsdansles locauxdelaSCAM:ilyavaitdumaisdanslair.Et passeulementparceque,de lavisunanime,les diteursconsacrentmoinsdetempsquavantauxauteurset surtout leurmanuscrit.

    Passons surlobservationdun premierphnomnesommetoute prvisible: silauteurest gnralementsatisfaitdesrelationsavec sonditeurlorsde lasigna-tureducontrat,et quillestencore peuprsaumomentdeleurtravailcommunsurle manuscrit,il lestbeaucoupmoinslorsquesurvientlinstantfatalde lexploi-tationcommercialeet plusdutoutlorsdelapromotion(ilnestpasdauteurqui

    neseplaignedenepastrouversonlivreen librairieet dtrelobjetde lindiffren-ce mdiatique).Un diteurprsenttentabiendexpliquerquune insatisfactionmatriellepouvait correspondre unesatisfactionhumaine, maisil ne convain-quitgure. Decrescendodu bonheur,cres-cendo delamertume.Celafaitpenser quelquechoseLhistorienPascal Ory,vice-prsidentdela SCAM,devaity pen-seraussi puisquilcommenta: Lors-quoninterrogeles couplessurleurmaria-

    ge,ils se disentglobalement satisfaits,alorsque dansle mmetemps lacourbedesdivorcesne cesse daugmenter!

    Enmargedela lgalitMaisltudecomporte despointsplus

    saillants.Larmunrationtoutdabord: lamajorit(60 %)des auteurstouche moinsde10%dedroits.Les-valoirensuite:silamoyennesesitueentre1500et3000,ilsne cessent dediminuer.Enfin lestra-ductions,lesadaptationslcran,lamiseaupilon: l,dsquilsagitde dnoncer

    despratiquespastrscatholiquesenmargedelalgalit,celacommencesen-tirleroussi,maislesfaitssontttus;ilapparatainsiquunauteursurquatreaapprisque sonlivre taitparu ltrangerparunevoixautrequecelledesondi-teur;etunemajoritdentreeux(58%)disentnavoirjamaisourarementreu lesdroitsaffrents;quantaunumrique,cestencoreembryonnaire,mais tantlaSCAMque laSocitdes gensde lettresdnoncentunepratiquequilselesauteurs,dans lamesureo lepartagedesdroitssurle livrenumriqueestalign surceluidulivrepapieralorsqueleprixdupremierestinfrieurde35%celuidusecond.Oncomprendquunintervenantaitreconnulatribune:Ceux quiviventdela crationvontavoirdeplusen plusdemalenvivre. Ecrivains,vous avezplusquejamaisintrtvoustrouverunmtierct,unvrai!

    Onallaitoublierlemeilleur: lareddi-tiondes comptes.Autrementdit, lobliga-tioncontractuellepour lditeurde faire

    parvenir sonauteur unefoisparan lacomptabilitprcisedeson livre: miseenplace,ventes,stocks,retours,etc.Ormoinsde lamoitidesauteursla reoi-ventet,unecrasantemajorit,ceuxqui lobtiennent aimeraient changerdesystme, luiprfrant unecomptabilitfondesurlessortiesdecaissedeslibrai-ries. Onne sauraitmieuxdirelamfiancedesauteurs, laisss danslignorancede lafortunerencontrepar leurlivre. Faut-ilprciser quece manquement leursenga-gementsplaceles diteursdanslillga-lit,pourneriendiredumanquementlaparole donne? Labussurla redditiondescomptes estfondamentalcar il sagitdeviolationde contrat,alorsque l-valoiret lesdroits,essentielspour leniveaudevieetlepouvoirdachat,sontsoumis larbitraire durapportde forcesentreauteursetditeurs.En fait, cettetudeest accablante.Et partcela? ava.Onpeutmmedirequelesauteurssontglobalementsatisfaitsde leursrelationsavecles diteurs, maisp

    Extrait

    Ima-Tenko,danseusebut.MARTINEFRANCK/MAGNUM PHOTOS

    Ce textenest pas

    deces fonds detiroirsquelon explore lapprochedun Salondulivre

    Moi,toutce queje sou-haite,cestfaireunmariageheureuxavec Inko.

    Un mariageheureux,dites-vous? JesuisdsolequInkosoitdanscettat

    Pour cequiest de sontat,vousavezune faondele percevoir,une faondelapprhender,Mre, trsdiffrentesdesmiennes.

    Cest vousqui avez res-sentison tatavecterreur,quilavez perucommeabo-minable,pluttquemoi, quisuis samre.Alorsquelleestdans vosbras,vousluideve-nezinvisible,ellefrissonnedepeur,elle se contorsionneenpleurant, nest-cepas ? Cestunpeudlicat dire,maisvouscomprenezbienquilnesagitpasalorsdesa jouis-sancede femmeEn som-me,elledevient folle, non?

    Mais pourmoi, cesttel-

    lementadorable.Cestavanttout attendrissant.

    LesPissenlits,page219

    6 0123Vendredi 16mars 2012

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.03.16

    7/12

    DerniersmotsCesont deshistoiresracon-tespardesvoixquinesontplusde cemonde.Lorsdunvoyagedans unendroitquelcrivainjaponais YkoOgawane dsignepas claire-

    ment,huit touristes sontprisenotagepar desmembresdunegurilla. Enferms,ilsontnanmoinsla libertdeparler.Lun aprslautre,ilsracontentun momentsensi-blede leurhistoire avantdeprir. Onentrepar effractiondanscesparoles.Cestunlivre defiction maison nepeutsempcherdepenserlamort,bienrelle.La littra-turea lepouvoirdelacceptertoutenla dfiantconstam-ment.Cestla raisonmme decesrcitscaptivantsquiretrouventalors une fonctionprimitive: sauverlessentielavantde disparatre.p

    Amauryda CunhaaLes Lecturesdes otages

    (Hitojichino Rdokukai),deYko

    Ogawa, traduitdu japonaisparMartinVergne,ActesSud,256p.,20.

    Jul

    liard

    www.julliard.fr

    En librairie le 22 mars

    Philippe-JeanCatinchi

    Luvre dAkira Yoshimura

    (1927-2006)resteencorelar-gement dcouvrir. Lcri-vain est souvent rduit

    son roman port au cinma parShoheiImamura(LAnguille,adap-tdUnetincelledanslestnbres,couronndunePalme dor Can-nesen1997).Ilacertesconnuquel-questraductionsfranaisesimpor-tantes (toutes chez Actes Sud),maisqui peinent dfinirla vraiedimension de luvre. La Guerredes jours lointains interrogeait labarbarie moderne; Le Convoi deleau conjuguait une morbiditquicousineaveclegothiqueanglo-saxon et une simplicit narrativedune efficacit implacable; Li-bertconditionnellejouaitdupara-doxe dun largissement qui naf-franchitpas lecriminel dela fauteexpiemais lexposedavantage

    Cesrflexionspolitiquesouall-goriques ne rsument pas len-gagement romanesque de Yoshi-mura. Avec LArc-en-ciel blanc,recueil de nouvelles paru entre1953et1967,cestpluttdu ctde

    Naufrages que le lecteur revient.Dcrit sanslaisserfrmirla moin-dre motion, le garonqui dcou-vrele funestestratagmedespau-vrespcheursleurrantlesbateauxles soirs de tempte pour quilschouentestleparentdesprotago-nistesdu recueil.

    Unorphelin piesa grand-mreetdcouvre la chambresecrte oelle entenddisparatre,un adoles-centhantparleritueldescrmo-niesfunraires accomplitsans fai-blir une mission quil prend pourle destin; deux enfants sous-traientde nuitun chevalpromis

    lamortettententdenrayerlinvi-table; un nourrisson enfin, conudunviol,ruineleschancesdebon-heurdunjeunecouple.Autantdevignettes terribles composesavec une lgance et une sobritterrifiantes. Annonce, promise,

    souhaite,lamorthantechacunetles stratgies pour la mettre dis-tance chouent immanquable-ment.Lemondeanimal,siprsent,noffre quun miroir la cruautdes hommes, escargots sacrifispour la satisfaction rafrachis-sante de gamins innocemmentbarbaresou talonmartyrispourlesbesoinsde lascience

    Composs dans l e Japondaprs-guerre, ces rcits de lamortluvrepossdentunefor-ceenvotante.p

    NilsC.Ahl

    Loccasion est trop belledajouter un nom lalongue liste des victi-mes de la mtaphoreastronomique: AtsushiNakajima (1909-1942)

    est un mtore. Depuis deux ans,cette figure atypique de la litt-rature japonaise de lentre-deux-guerres grossit vue dil et detlescope. Plutt toile myst-rieuseetfilante,apriori.Unecurio-sit, un phnomne clesteparmidautres, peut-tre, mais remar-quable.

    Ce queconfirmela parutiondece recueil apparemment htro-clite,LeMal duloup, quirassembledes textes dpoque et dinspira-tiondiverses.Ce faisant,il permetunregardrenouvelsursesautreslivres, prcdemment traduits, lencore disparates(croit-on). Entredes contes capricieux (Histoiredu

    potequi fut changen tigre, Allia,2010), un roman romanesquemaispastrop(La Mort de Tusitala,Anacharsis, 2011), et Trois romanschinois vraiment chinois (Allia,2011),le critiquesyperd sinon lelecteur.Etencore,onpassesurunenouvellesolitaire,publieen 1997(loccasionde laprcdentemise lhonneur du Japon par le Salondu livre).

    Pourtant, quil sagissedu style,

    duregistreou desinfluencesdAt-sushi Nakajima, si, parfois, lche-veau semble impossible dm-

    ler, il tient avec une force rare. Dephilosophie en littrature, dunincipit facile une compositiondavant-garde,lamalgameestpar-fait. Trop parfait. On souponneunbrouet: legot estfort,inhabi-tuel, droutant. Un ton, une cri-ture sont immdiatement recon-naissables, synthse unique din-grdients apparemment impossi-bles marier. Dans ce recueil, oncompte au moins deux textesessentiels, quidisentla cohrencederrirelincohrence.

    Tout dabord, la nouvelle quidonne son nom au livre, Le Maldu loup, trs emblmatique,dont la mlodie est aussi lgreque douloureuse. Un court essaitestamentaire ensuite, de quatrepages seulement Sous lesarbres pieuvres probablementrdig sur son lit de mort. Pour lereste, de brves fictions, exem-plaires, qui rappellent les nourri-turesspirituellesgalementclassi-queset modernesdelauteur,destenouest.Maisgalementsesitin-raires dhomme, lacm expan-sionniste de lempire, du nord ausud, cette fois (jusquaux Palaosquelonretrouvedans Atolls).

    Mort 33 ans, Nakajima laisseune uvre mince, visionnaire,marqueparuneformetrssingu-lire de curiosit et dennui. Untat dme, un branlement mta-physique, ressenti par le person-nage principaldu Malduloup,Sanz,commeunenauseetcom-me une ivresse. Ladjectif sim-pose: existentiel. Sanz, labridu besoin, libre de son destin

    aprs la mort de son pre, choisitdene pasrechercherlarussiteetlagloireensocit.Ilsefface,dans

    lacontinuitdunesantfragileetdun caractre contradictoire, lafois orgueilleux et pusillanime. Ilchoisit un emploi convenable etdiscret dans un lyce de jeunesfilles,ilestclibataire,secret.Vide.

    Mmedonnermangerauperro-quet ou aux deux perruches aga-

    pornis jaunes est une corve .Sanz restait sur le lit, hbt.

    Ctaitcommesi lesressortsde soncorpsetdesonespritavaientcass.

    () Une pave, voil ce quil estdevenu,prisdans unetorpeuroilne ressent plus ni angoisse nisouffrance. Laviede Sanz?Unequte, celle delle-mme, de lui-mme. Une recherche qui ne

    dbouche sur rien,sinon le quotidien, lavanit, la rptition voirela btise,laveu-glement, labandon.Symptomatiquement,lercitseperddanslessables (ou plutt laventure, dans unev ille dserte ), ne

    dnoue pas ce quil ny a pas dnouer.Cestainsi.Et alors?

    Cestdanscesentimentvague,arrogant, dsespr que rsidetoutelaforcedelaproseinactuellede Nakajima. Toute son actualit,

    de fait . Laut eur, pourt antconscient de son poque, de sesexpriences etde laguerre,dit unbesoindcrirequirpondmoinsune exigence de sens qu uneconfusiondes sens. A un dsqui-librequi napas dge,une nause,unvertige. Sonuvrese construiten sparpillant, en se diluant, encherchant par cercles toujoursplusgrandsceindreuncurinvi-sible. Le vertige existentiel, sonsyncrtisme si personnel, sonOrient et son Occident frappenttoujours juste. Un authentiquecrivain.p

    Sans oublier

    S a l o n d u l i v r e 2 0 1 2 Critiques Littrature

    Annonce,promise,souhaite,lamort hantechacun

    Uneuvremince,visionnaire,marquepar uneformetrssingulirede curiositet dennui

    LeMaldu loup (Rshitsuki),dAtsushiNakajima,traduitdu japonaisparVroniquePerrin,Allia, 108p., 9.

    LArc-en-cielblanc,

    dAkiraYoshimura,traduitdu japonaisparMartinVergne,ActesSud,182p., 17.

    Ilestmort33ans,en 1942,aprsavoirparcourulempireduSoleil-Levantsonapoge.Sonuvre,droutante, trouvesacohrencedanslesnouvellesdeceMalduloup

    AtsushiNakajima,lexistentialiste

    LescruellesvignettesdAkiraYoshimuraQuatrenouvelleslgantesetterriblespourentrerdanslunivers romanesquedunauteurmconnu

    70123Vendredi 16mars2012

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.03.16

    8/12

    aDu16 au31mars: crivainsdansle9-3Lalittraturecontemporaineest lhonneurpendantdeuxsemaines Clichy,Drancy,Rosny-sous-Bois,Pantin... Au pro-grammedecette12e ditiondu festivalHorslimites: rencontres,ateliersgraphiques et brunchsmusicauxavec ArnaudCathrine,DaliborFrioux,Carole Martinez,LydieSalvayre,NathalieKuperman,... Lecture-performancede Jean-CharlesMasseralesoirde linauguration,vendredi16 mars, Bagnolet.www.hors-limites-2012.fr

    xaJusquau25mars:ateliersau CentquatreEnmarge delexpositionLenversetlendroitqui setientauCentquatre(Paris 19e) et quiinterrogela cration contemporaineenlong,enlargeeten travers, lesamateursde paradoxessontinvits unesrie derencontrespour saisirlenverset lendroitdelimagepolitique(GrardLefort)de lhumain(ThierryHoquet) dela monnaie(AndrOrlan),de lme(SandrineWillems)...www.ensad.fr

    x

    aDu30marsau1eravril:escaleBordeauxLEscaledu livre fteses10 ans. Pourcettenouvelledition,romancierset essayistessont convis sesaisirdesthmeslespluscontemporains, de Guantanamo Facebook, desAnony-mousouFukushima.Place estfaitegalementaux uvresdupatrimoine : cellede lamricain H. D. Thoreau(1917-1862)seraprsente parMichel Onfray.Rendez-vousaussi avecDanielPennac,Alexis Jenni,Jean Rouaud,VroniqueOvald, MichalFerrierou AnneWiazemsky.www.escaledulivre.com

    Lamourfantme

    UNAMIMOIsenamusait:lesAnglais?Des guindsexcentri-ques.LesAllemands?Desbrutesmlomanes. LesItaliens? Desmenteurssympathiques.Les Por-tugais? Desftards mlancoli-ques.LesFranais?Dessduc-teursarrogants,etc.Il nestquetropais defairela listedes cli-chscontradictoiresqui tentent,dsesprment,de saisirlessencedetel outel peuple.Mais,surleJapon,il semblequily enait plusquesurtouteautrergiondumonde: paysultramoderne,ptride traditions,terre de technologieet de spiritualit,nation desyaku-zasetdelacourtoisie,royaumedelacommunicationpeupl de gensindchiffrables,et lonpourraitcontinuerainsi linfini.

    Autantdire que PhilippePelle-tieravaitvraimentfortfaire.Ceprofesseur luniversitLyon-II,spcialistedu Japon,a publiunouvrageintitulLaFascinationdu

    Japon,danslequeliltentede

    dconstruireles clichsattachscepays vaste programme.

    Premireidefausse: LeJaponest une le. Non,le Japonestunarchipel,faitdequatregrandesleset deplusieursmil-liers depetites, dont430sonthabites.Or ilne sagitpas seule-mentduneerreurfactuelle, cartoutcontribue ainsi unehomo-

    gnisation la foistopographi-queet socioculturelle du Japon,dontlextraordinairediversit estsouventignore. Autre idereue, les Japonaisfonttoutlecontrairede nous,puisquilsconduisent gauche,criventver-ticalement,replientleurs doigtspourcompter,ce quiavaitpoussE.S.Pattonpublieren1903 LArtdetout faire rebourschezles

    Japonais.Cependant, causedu principe

    dela collection,dontlesdiversauteurssaccommodentavec plusoumoinsde bonheur,PhilippePelletierse sentparfois obligde

    contestertoutesles idesreues,mmelorsquellessont vridi-ques.Ainsi,ilconsacreunesec-tionentire critiquercetteidereue: Le Japon,paradis delahautetechnologie, maisnarrivegure nousconvaincreducontraire,et pourcause.Autreidereue dveloppeparlauteur: LeJaponestsanscesse

    frapppar les catastrophes natu-relles. Aprsle tsunamide 1896,quifit27000victimes,ouceluide1933,quitua3000personnes,lesismedeKobeen1995,quifitplusde6 000morts,et latragdiedu11mars2011,quienfitplusde20000,on estsurpris,et mmeunpeugn,quecetteassertiontragiquementvraie soitprsentecommeune simpleidereue.

    ImagesambivalentesMaisquelleest doncsam-

    thode? Quest-ce aufondquuneidereue ? Sont-elles forcmentfausses? Faut-iltoujoursles com-

    battre? Autantde questionsquilneposepasetquelepositionne-mentcomplexe de la collectionsoulvevidemment.

    Parailleurs,pouranalyserlima-ginairedu Japon,on sattendaitcequilutilisepeuouproulestra-vauxsi prcieuxdEdwardSaid(1935-2003)sur lorientalismeetlesacquis destudes postcolo-nialesilnenestrien.Or,leJapon,quelOccidentatentdecoloniser,est aussiune puissancecoloniale,ce quiproduitdes ima-gessouvent ambivalentes,quilconvenaitdanalyser. Du coup,fautedun vritablecadretho-rique,celivredePhilippePelle-tier, quiestpourtantun bonconnaisseur du Japon,nous laisseunpeusurnotrefaim .p

    Jean-ClaudeGallotta, chorgraphe

    Troisfemmes

    Tokyo

    Commentpeut-ontrejaponais?

    dEric Chevillard

    Sans interdit

    A titre particulier

    JEME SOUVIENSdeslongssjourspasssau Japonavecmacompagnie,et desfortsmomentspartagsavec latroupequenousavions crel-bas pourdvelopperlide dunedansecontemporaineuniverselle.Cest doncavec un plaisirimmense,lecuret lespritpleinsde rminiscences,que jeglissenouveauverscepaysavecSeinset ufs, ltonnantromandeMiekoKawakami.

    Lapremirepagedu cahierintimede lapetite Midoriko,11ans,dvoilesesinterrogationsjuvnilessur lavie desovuleset desspermatozodes, surles menstruationset lestransfor-mationsinluctablesdeson corpsde femmeen devenir.

    Midorikoarrivechez satante,la narratrice,dansun petitappartementde Tokyo, avecsa mre,Maliko,qui vientdtreabandonneparsonmari.Pourconjurersonchagrindamouretbouleversersonapparence,celle-ci a dcidderecourir lachirurgieesthtique,unepratiquevantepardespublicitsocci-dentalesqui trouventun chodansson espritfragilis.Malikorve dAugmentationMammaire,avecles majuscules.Ce pro-jetprovoquerejetet dgotchez safille,pradolescente,quifiniraparneplussexprimerqueparcrit.Leclimatentreellessetend,et latmosphrede Tokyorejaillitsur lescomportements,plongeantcestrois femmesmeurtriesdans ladrliction.

    SueuretregardsAvec Seins etufs, MiekoKawakamiexpose uneautre vision

    ducorps.Danslepetitappartementde lanarratrice, elle nouspermetde nousinsinuerdanslexistencede cestroisfemmes,dentrerdansleurintimit.Dehors,noussuivonsla descentedelapetitefamilledanslemtrotokyote.Lasueuretlesregardsnousentranentaucurdelaviejaponaise,cadenceparlercitincisifet ironique, bienquetendre, deMiekoKawakami.Elle opre uneplongedouce-amredansla viedeshabitantsde cetteville chaudeet tentaculaire, dunesductiondange-reuse, limagedufugu,ce poisson lachairtrsrecherchemaismortellepourleconsommateursi elle napast prpa-re parun cuisinierspcialis.

    Unsoir,lesdeuxsursdcidentdeserendreauxbainspublics. Noussuivonsles descriptionstoujoursfuselesdeMiekoKawakamisurle droulementprcisde cemomenttrsprisdes Japonais,le bainpartagen nudit.Un changesurra-listesinstalle aucours dundialogueprovocant,qui rappelle

    LeBanquet, dePlaton,sur ledroitdesfemmes disposerdelles-mmes.Lesdeuxsursregardentles corps,le leur, celuides

    autres,senivrentde cesdcouvertes.Mais,toujours,revient laquestiondeMaliko: faut-il,ounon,se faireremodelerlesseins?Plustard,la narratricese retrouveavecsanice,toujours

    muette, imaginerunesoiredevantun feudartifice,cetteautrepassionjaponaisequi excitele scintillementurbain. Ellesattendent Maliko.Mais celle-cinarriveraque tarddans la nuit,aprsles avoirinquites.Compltementivre, elleprovoqueunebagarreavecsa fille,et lesdeuxpersonnagessinsultentautourdunevaleursuprme: lanotiondevrit.MiekoKawa-kamiinventealorsunehistoiredufsdignedunopratriste.De scnespuissantesen motsaccusateurs,lauteurrvleununlesnoirssilencesdunefamillequirglesescomptes.

    Lcriturede MiekoKawakami se poseavec insistanceet com-passion surle corpsdes femmes,danssesrecoinsles plusinti-mes.Ellefaitdeuxlesrefletsdunmondeolepassdestradi-tionslaisse laplace unemodernitjoueusemaissansdestin:Jeme regarde: doa vient,touta? Oava? Aucuneide.

    Moncorps est l flotter,coup par le cadredu miroir,indistinc-tement,ternellementl. Ceromanaudacieuxetinquietsemblenousdirebeaucoup,avecpeudemots,dunJapondeplusenplushantparsonavenir.p

    Le feuilleton

    Agenda

    Jereviendrai avecla pluie(Ima,Aini Yukimasu),deTakujiIchikawa,traduitdu japonaisparMathildeBouhon,Flammarion,320 p., 19,50.

    LaFascinationduJapon.

    Idesreuessurlarchipeljaponais,dePhilippePelletier,d.Le CavalierBleu,Idesreues,272p., 20.

    Le livre phnomne. 3millionsdexemplaires vendus au

    Japon, clame le bandeau quiceint lelivre.Et laquatrimedecouverturesurenchrit: Suite son immense succs, le livre a

    inspir un film et une srie tl encensspar la critique, ainsi quun manga sacrbest-seller. Voil qui pose un livreet quinous somme de prendre docilementnotre place dans la queue comme tout lemonde.Atortouraison,lamateurdelit-trature se rtracte instinctivementdevant de tels succs de librairie. Il luidplat daller grossir les foules. Et puis,cest bienlouche, un pareilconsensus.Nevoudrait-onpas encore luivendreune deces fabulettes de la world literature, uneniaiserielaPaoloCoelho,dumerveilleuxde pacotille, de la philosophie sentimen-

    tale, du mlo cuisin aux petits oignonstire-larmes? Oril ya biende cela, eneffet,avec le roman de Takuji Ichikawa, Je re-viendrai avec la pluie ; mais de cela, il r-chappe,miraculeusement.

    Certes,ce livre flirte dunbout lautreavecla mivrerie, dunct,le ridicule, delautre.Il avance petits pas japonaissurle fil fragile tendu entre ces deux cueilset,silpencheparfoisouvacille,silcornequelques-unes de ses pages sur lun oulautre, trs vite il se rtablit et retrouveson quilibre gracieux. Son charme natdailleursen bonne partiedes risquesprispar lauteur qui, ingnument peut-tre,saventure sur un terrain si propice auxharlequinadesles plushorripilanteset lesplus sottes: le roman damour. Pas ledrame passionnel, les caressespleines degriffes,les baisersqui mordent,cettelutte mort qui fait lordinaire de nos vies etdesrcitsqui sensuivent.Non. Le romandamour tout en dlicatesses et suavits,

    ommelamortquirdeapportededou-cesconsolations.Takumi a perdu sa femme. Modeste

    employ,il est en revanche un phobiquede haut niveau, sujet des crises dan-goissequilelaissentpuis.Ilsesentmou-rirdsquilquittesonquartieroulecercletroit de seshabitudes. Mon nom figure

    probablement quelque part sur la listerouge desespcesmenaces, dit-ilde lui-mme.Il lvesonfilsde6 ans, Yji,avecbeaucoupdebonnevolontetun flagrantmanquededispositions.Leursjoursseres-semblent, serptent, ilsles traversent auralenti, dfinitivement endeuills. Pour-tant, peuavantde mourir,Mio a promissonmariquellereviendraitlasaisondespluies.Ici, le chroniqueurmesurela diffi-cult de sa tche, laquelle lui est compli-que par une traduction souvent justemais qui nvite pas quelques lourdeurs.Etnotamment le momentest malchoi-si lorsque Takumi, en promenade dans

    la fort avec Yji, doit (essuyer) de lapointe des doigts les gouttelettes qui obs-

    truaient (ses) cils pour sassurer quil nerve pas et que la silhouette apparuedevantluiestbiencelledeMio,safemme,oudumoinsdufantmedecelle-ci, dra-

    pedun cardiganrose cerisier.Elle a donc tenu sa promesse, elle est

    revenuedu monde desmortspourveillersur les siens. Cependant, comme on pou-vait le craindre, un voyage spatio-tempo-rel aussi foudroyant a laiss quelquessquelles: Mio est amnsique. Takumientreprend alors de lui faire le rcit de savieantrieure,tandisque,desonct,mue

    par dinfaillibles rflexes de fe du logispeuinforme desrvolutionsrcentesdelasocitconcernantlepartagedestches,elleremetdelordredanslappartementetdansle rgimealimentairede lafamille.

    Lafemme-fantmeserait-elleunfantas-mejaponais?Onpourraitlepenserenvo-quantcettetraditiondediscrtion,dechu-chotements, de pas feutrs et de frous-frous de la Japonaise telle que le cinmanouslamontre lenvi.Toutefois, Mioestune femme moderne. Cest bien elle quiforceledestinunepremirefoisensimpo-santdanslaviedeTakumiquitentaitdela

    fuir pour sabandonner ses nvrosesaprsquelquesmoisdechastesfianailles.Etpourtant,reconnat-il,phrnologique-ment, tu taissuperbe. Paradoxalement,limagedecettesurprenantedclaration,ltranget du rcit tient la candeur des

    sentimentsquisyexpriment,commesilalittrature stait depuistoujours complu embrouiller laffaire et que Takuji Ichi-tawalui restituaitson vidence.

    Vraiment?, demande tout proposYji, et mme la nuit, endormi, la ques-tion lui chappe: Vraiment? Et la r-ponse quil obtient le plus souvent estcelle-ci: Hmm. Et si lenfant collectedanslesruinesduneusinedescrous,despignons, des rouages, ce nest pas pourremonter le Meccano dcevant du rel,mais pour ensevelir profondment sespicesdtachesdans un terrainvague.SiTakumi prouvede la piti pource jeunehomme crois dans un parc, qui se rvecrivainmaisne parvient pas crireuneligne parce que, selon lui, les chosesimportantessont toutesconsignes dansleDictionnairepratiquedu quotidien, cestaussi quil le plaintde ne savoiraccueillirsimplement le mystre et, avec celui-ci,

    lmotion qui finit par lemporter sur lescepticisme amus du lecteur. Est-ilconvenabledprouverdudsirpourlefan-tmedesafemme?Hmm.p

    Louis-GeorgesTin

    Chroniques S a l o n d u l i v r e 2 0 1 2

    Lauteursaventuresurun terrain propiceauxharlequinadeslesplushorripilanteset les plussottes

    Seinsetufs (Chichito Ran),

    deMiekoKawakami, traduitdu japonaisparPatrickHonnor, ActesSud, 112p., 13,50.

    EMILIANOPONZI

    8 0123Vendredi 16mars 2012

  • 7/31/2019 Supplment Le Monde des livres 2012.03.16

    9/12

    CatherineSimon

    EnvoyespcialeMoscou

    T

    rois crivains et puissen va: cethiver,dans

    les cortgesanti-Pouti-ne qui ont envahi lesrues de Moscou, ilstaient trois: linven-

    teurdu polar tsariste,BorisAkou-nine,lagranderomancireLudmi-la Oulitskaa et le pote trublionDmitri Bykov. Mais est-ce euxquon a entendus?

    Le temps o les crivainsjouaient un grand rle dans la viepublique est rvolu , remarqueBoris Akounine, qui reoit avecson pouse dans leur bel apparte-ment du quartier de Kitay-Gorod.Le crateur du dtective privEraste Fandorine et de la nonnePlagiese qualifielui-mme den-tertainer, de professionnel dudivertissement.Si sa notorit estgrande,sil faitpartiedes vedettesde la contestation, aux cts de

    top-blogueurs, de musiciens, dejournalistesetde gensdautrespro-fessions , Boris Akounine ne seprend pas pour un Sartre ou unSoljenitsyne.

    A bien y regarder, pourtant, ilnyagurequelescrivains,singu-lirement les romanciers, quiosent sattaquer au seul sujet quivaille dans la Russie de VladimirPoutine: le pass monstrueux dela terreur et du goulag dontlhomme fort du Kremlin est lafoisleproduitetle prolongement.

    Cestquilneleslchepas,illeurmord la nuque, le fantme delUnionsovitique.Il lespoursuit,jusque dans les rcits de science-fiction, comme Mtro 2033, best-sellerde DmitriGlukhovski(LAta-lante,2011),o lonvoit scharper,danslemtrodeMoscou,lessurvi-vants dune guerre nuclaire aux

    couleurs de guerre froide. Vingtans aprs son effondrement,lURSS demeure lobsession cen-trale des crivains de languerusse, confirme le critique litt-raireKonstantinMilchin, 32ans.

    Onnapasdefutur,onnaquedu pass. Cest comme un poisonquientrepartout, regrettelejour-naliste, qui donne rendez-vousdansun cafbranchducentredelacapitale,designpur,potironla carte et world music en fondsonore. En finissant dcriremon

    premierroman, la fin des annes1990,jepensais quelUnionsoviti-queallaitsortirdemoi,commeuneballe quon extrait dune blessure.Celanesestpaspassainsi,sesou-vient, dans un courriel adress deMontral, la romancire russo-phone (et gorgienne) Elena Bot-chorichvili, 52 ans. La balle stait

    logeenprofondeur,ilfautcroire.Jeunes ou moins jeunes, ns,

    comme plusieurs lindiquentspontanment, aprs ouavant la mort de Staline (1953),nulnchappe laimantdupass.Les romans de Boris Akouninesedroulent lpoquetsariste; ceuxde LudmilaOulitskaagrnent lesannes sovitiques, comme untraumatisme denfance exorcis linfini, souligne Milchin. Autregenre, autre style, mais hantiseanalogue: le trentenaireVsevolodBenigsen, crivain anti-utopi-que, donn comme une figuremontante de la nouvelle gnra-tion, met en scne, dans son der-nier roman (non traduit), une le-ville cre par le KGB o sontregroups les dissidents, libresdcrireceque bonleursemble.

    Bienvenueen enferCeluide laRussie de Vladimir Poutine, qui

    commenasacarrirecommefonc-tionnairedu KGB?Sous sonrgne,commedanslleperversedeBenig-sen,aucuncrivainnepeuthonn-tement se targuer de subir la cen-sure du pouvoir la tlvisionconcentrantlattentiondesgardes-chiourmes du rgime. Akounine(aliasGrigoriChalvovitchTchkhar-tichvili)estlepremierlereconna-tre,endpitdesmenacesdesnatio-nalistes, quilui reprochentses ori-ginesgorgiennes.

    Ecrivain, cela sonne fier,disait Maxime Gorki (1868-1936),clbrit de la littrature soviti-que. Aujourdhui, cela sonne fai-ble.DansHomo sapiens,deViktor

    Pelevine(Seuil, 2001),le hros est un potedmissionnaire, recy-cldanslapublicit.AlinstardelaRussieduXXIe sicle? La fin delURSS, louverturesoudaine au mondeextrieuretaucapita-lisme priv, la libertd e v oy ag er , d econsommer,desedis-

    traire,a faittournerles ttes: Lalittrature est tombe de son pi-destal,duncoup,rsume,Paris,IrneSokologorsky, ancienne pr-sidentede luniversitParis-VIII etfondatrice, en 1987, de la revuebilingueLesLettresrusses.Limpor-tancedulivre,colossalelpoquedu rideau de fer, quand ni le cin-ma ni la tlvision sans parlerdInternet ne baignaient la viedesgens,a beaucoupdiminu.

    ArkadiBabtchenko,35ans,jour-naliste,en saitquelque chose. Sonrecueil de rcits sur la Tchtch-nie,La Couleurde la guerre, publi Moscou au dbut des annes2000 (Gallimard, 2009), na passuscit beaucoup de ractions,reconnat-il. Certes, son livrentaitpas le premier voquerleconflit. Mais aucun deux na faitscandale. Le silence ne vient pasdu rgime, mais de la socit,

    remarque Babtchenko, dont lescrits ont t salus par JonathanLittell.

    Si lancien conscrit Babtchenkoen veut Vladimir Poutine, cestdabord pour cela. Parce que cethomme,pourtre lu[iltientauxguillemets], a cyniquement lancla seconde guerre de Tchtchnie(officiellement acheve en fvrier2000). Le reporter, au crne rasmais aux manires de gentleman,dit prouver de la haine pure lencontre des dirigeants russes etdePoutineen particulier.

    Dautres raisons expliquentson hostilit: les trois chanes detlvision prives,o ila travaill,

    ont t successivement fermessur ordre du pouvoir. Le ch-mage, ajout aux preuves de laguerre, forge le caractre. Babt-chenkoatdetouteslesmanifes-tationsanti-Poutineetilvaconti-nuer. Je suis le pre dune petite

    fille de 5 ans. Je ne veux pas quellegrandisse dans un pays xno-phobe,gangrenpar lacorruption,menac par le fascisme ortho-doxe, explique-t-il dune voixcalme.

    Le jeune homme vit au sud deMoscou,danslundecesocansdeHLM dont on ne voit pas la fin.Comme lcrivain Iouri Bouda.Cestdailleursleurseulpointcom-mun. Pas question, pour Bouda,58 ans, auteur de Potemkine ou letroisime cur (Gallimard, LeMonde des livres du 9mars),daller manifester place Pouchki-ne.Rservvis--visdesmanifesta-tions de cet hiver, les premiresdune telle ampleur depuis vingtans,ce natif de Kaliningrad, passdes marges de lempire la ban-lieuedeMoscou,raillelescortgesde nantis (Je les connais, ce sontmes amis), citadins diplmsqui gagnent lquivalent de

    3000 ou 4000 par mois, voya-gentet savent se faireentendre,siloinde laRussieden bas,celledescampagnes silencieuses, o on

    survit peine, o tout est dgueu-lasse: la nourriture, les soins,lcole,le logement.

    Pareillement rvolte par lapauvret de millions de Russeset par lindigence des servicespublics un crime dEtat, dit-elle,LudmilaOulitskaa,59ans,afait le choix inverse. Elle a expri-

    m publiquementson oppositionau rgime. Sans tapage, cetteromancire adule en Russie (etau-del) donne beaucoup de sontemps et de son argent auxorphelinatscommeauxbiblioth-quesrusses.

    Dansla confrontationentre lacultureet labrutalit,cesten rgle

    gnrale la seconde qui gagne ,

    relveOulitskaa. Endpitde cet-te triste ralit,les dfenseursde laculture continuent rsister,ajoute la romancire, pouse dupeintreAndreKrassouline,enpr-parant le caf dans la petite cui-sine de leur appartement mosco-vite. L,on estautourde latable,sourit-elle. Je vous parle franche-ment, sans avoir peur quil y aitquelquunderrirelaporte.Donc,il

    ya uncertainprogrs Maiscom-menttournerpourdebonla pagesovitique?

    En lcrivant, semblent rpon-dre tous ceux, en Russie ou endehors, qui sobstinent dfen-dre la culture et la littrature.LURSS est le cadavre dun ogre

    gant,quina past enterr()Onajetunpeude sciuredessus,ensedisant quil allait pourrir tout

    seul,ironise Vladimir Sorokine,

    dansunrcententretienlhebdo-madaire Ogoniok. Pour LonidGuirchovitch, auteur de Schubert Kiev (Verdier, Le Monde deslivres du 9mars), ilnya pas dediffrence,dun point devue stylis-tique,entre Poutineet (leblogueurAlexei) Navalny, qui exaltentpareillement les foules en transe.Tantquelepaysnaurapasrecon-nu la nature criminelle du rgimesous lequel il a vcu, rien ne peutchanger, ajoute Guirchovitchdans un courrier quil nous aadressdHanovre, en Allemagne.

    Consciente de ce refoulementmaladif, la patronnede la maisonddition NLO, Irina Prokhorova surdumilliardaireMikhalPro-khorov soupire: Les pays delEst peuvent toujours faire porterla faute lUnion sovitique. P