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várias opiniões sobre o livro A antropologia diante dos problemas do mundo moderno de Levi-Strauss

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Critique de Jing Xie pour le Magazine Littraire

Claude Lvi-Strauss se dit un homme du XIXe sicle qui hai[t] les voyages . L'Occident moderne l'inquite et le doit. Il prfre goter les saveurs des cultures lointaines depuis son bureau. Dans ces confrences qu'il a donnes Tokyo en 1986, que les ditions du Seuil publient aujourd'hui, il est pourtant invit parler de la modernit. Son regard loign doit alors oprer une inversion totale : loin de chez lui cette fois, il va se retourner sur lui-mme, et se livrer dans un double sens - lui qui est anthropologue, lui qui est homme occidental du XXe sicle. On connat la passion de Lvi-Strauss pour le Japon (passion qui fait l'objet d'un recueil de textes chez le mme diteur sous le titre L'Autre Face de la lune ). Il collectionne les estampes avant mme de devenir anthropologue, et ses oeuvres ont t traduites en japonais bien avant que les confrences aient lieu. Il s'agit donc moins de professer une discipline mal connue que de se faire comprendre davantage, entre amis de longue date. Sans doute pour cette raison, on est loin ici de la technicit froide dont on fait parfois le reproche au structuraliste. La meilleure faon de se livrer l'autre n'est srement pas d'imposer ses concepts, mais de faire miroiter une diffrence comparable entre moi et autrui. Lvi-Strauss prend l'exemple du Cogito cartsien : mme le concept cardinal de la mentalit occidentale - d'autant plus qu'il est cardinal - est intraduisible en japonais. Parce que le moi japonais est le strict inverse du moi cartsien. Par une lecture l'envers, une comprhension mutuelle peut se raliser entre deux cultures un niveau profond sur lequel se fondent leurs caractristiques et leurs units.
Inversion, mutation, transformation, les techniques du structuralisme se justifient ici par la vocation de l'anthropologie, non pas comme science rcente de l'Occident, mais en tant qu'attitude intellectuelle et morale, celle de l'humanisme. Tout ce qui est humain est digne de connaissance et de reconnaissance, car, prcisment, l'humanit unie et unique est un mirage. L'homme se ralise dans la diversit des groupes.
Mais alors il n'y aurait gure d'anthropologie faire dcouvrir au Japon, ce peuple qui a toujours su emprunter et assimiler d'autres formes culturelles et qui a fait de la cohabitation des dieux natifs et des dieux invits sa grandeur et sa caractristique. Ce n'est donc pas par coquetterie si, aprs s'tre inspir des coutumes, de la littrature et de l'art japonais tout au long des trois confrences, Lvi-Strauss conclut humblement : un anthropologue apprend plus de cette civilisation qu'il n'enseigne cette dernire sa profession.
Ce qui concerne le Japon comme ce qui concerne toute la terre habite, c'est la modernit en train de devenir la civilisation universelle, assimilant le reste du monde autant par sa force que par son idal - pour ne pas dire son idologie. Il n'est pas tonnant que Lvi-Strauss reprenne ici dans une mesure importante, mais prolonge galement, quelques-uns de ses textes (dont notamment Race et histoire , Les trois humanismes , et ses entretiens avec Georges Charbonnier) qui portent sur le rapport entre le monde moderne et l'objet habituel de l'anthropologie. Les problmes de la modernit sont d'autant plus pertinents qu' l'heure actuelle ils restent pour ainsi dire identiques dans le fond et ne cessent de prendre de l'ampleur : la surpopulation, les crises cologiques, la disparition des cultures non occidentales, l'exploitation de l'homme par l'homme, le dsordre moral que suscite le progrs mdical, l'inauthenticit des rapports humains lis des modes de communication mdiatiss et impersonnaliss.
Qu'est-ce que l'anthropologue peut proposer pour remdier aux maux de l'homme moderne ? Ses outils d'analyse sont plutt destins saisir les institutions et les mentalits que l'on nomme confusment primitives ou archaques . Mais, si l'anthropologue va loin dans l'espace et dans le temps, c'est que de loin - Lvi-Strauss se compare un astrologue - il touche le roc (comme l'a dit Marcel Mauss, dont Lvi-Strauss revendique la filiation) : il voit le commun dnominateur , les questions que tous les groupes doivent se poser pour exister en tant qu'humains. numrant ces questions en termes de rapports entre l'homme et la nature, entre un groupe et son origine, entre les diffrents membres d'un groupe, Lvi-Strauss montre l'exception qu'est la civilisation occidentale et industrielle, dont le ressort rside dans un got obsessionnel pour le progrs. Ce diagnostic peut surprendre. C'est l'volutionnisme dans lequel est pourtant ne l'anthropologie que Lvi-Strauss veut ici dnoncer et liquider. Il compare toute culture un joueur disposant de plusieurs cartes. L'volutionniste, l'homme progrs, la socit chaude , c'est celui qui privilgie une seule carte - celle des sciences positives et de l'exploitation toujours plus efficace de la nature rduite une matire brute.
Il va falloir l'homme moderne reconsidrer les cartes oublies et refaire une combinaison. Lvi-Strauss nous rvle ici le grand enjeu de ses thmes prfrs qu'un lecteur plong dans la dmonstration des transformations n'aperoit pas facilement. Partout l'homme a su inventer une nomenclature de parent pour substituer des rapports sociaux aux rapports biologiques. Partout, les groupes donnent un sens au pass afin de justifier le prsent et de se projeter dans l'avenir. Partout, donc, le symbolique et l'imaginaire - les deux cartes ngliges par l'homme moderne - priment sur le rel pour que l'homme existe en tant qu'homme et que le groupe perdure en tant que groupe. En voulant fonder sa biographie personnelle ou son histoire collective sur des vrits objectives , le moderne se mystifie lui-mme. Il a cependant toujours la possibilit d'ter ses oeillres, de s'ouvrir ceux sur qui il s'est longtemps mpris et qu'il a longtemps mpriss, de varier sa structure de valeurs comme l'humanit a toujours su le faire. Ainsi faut-il percevoir l'espoir de l'anthropologue face la modernit. L'homme qui dit har les voyages sans se sentir l'aise chez lui rvle la condition intime de l'anthropologue : il lui faut partir, mais avec nostalgie, puis revenir chez soi, mais muni d'une tranget nouvelle. C'est dans un dtour-retour constant que l'on arrive saisir dans son opposition constitutionnelle le mme et l'autre, et ce priple o il faut se perdre pour se retrouver, Lvi-Strauss le fait avec une immense affection capable d'embrasser l'humanit entire.

Note de lecture : Claude Lvi-Strauss por Jean Jadin (professor aposentado)La confrence "La fin de la suprmatie culturelle de lOccident" in Lanthropologie face aux problmes du monde moderne
de Claude Lvi-Strauss

"La Librairie du XXIe sicle", collection dirige par Maurice Olender, vient de publier sous le titre Lanthropologie face aux problmes du monde moderne trois confrences que Claude Lvi-Strauss pronona Tokyo au printemps 1986 (1). Le trs grand intrt qui est le mien pour luvre de Lvi-Strauss mincite ne pas voquer simultanment plus dune de ces confrences. Je me limiterai donc ici la premire dentre elles, intitule "La fin de la suprmatie culturelle de lOccident" (pp. 13-58).

Sil fallait recommander un jeune tudiant un texte qui lui permettrait dapprhender ce quest lanthropologie, alors quil en ignore peu prs tout, il simposerait, je crois, de citer cette confrence. La clart et la profondeur de lexpos en font en effet la meilleure introduction qui soit ltude comparative des peuples.

Faut-il en dduire que ceux qui connaissent luvre de Claude Lvi-Strauss ny apprendront gure ? Oui et non. Car sil est vrai que lon y trouve principalement des choses dj dites ailleurs, leur admirable synthse rend toute sa force aux ides de Lvi-Strauss, une force qui, sous linfluence dun monde qui pense tout autrement, dcline spontanment ds quon en interrompt la lecture. Ce ne sont pas les convictions en cause qui emporte ladhsion, cest leur calme expos.

Voulez-vous savoir, en peu de mot, quoi se livre lanthropologie ? Voici :
Des faits ngligs ou peine tudis, telle la faon dont des socits diffrentes partagent le travail entre les sexes dans une socit donne, sont-ce les hommes ou les femmes qui sadonnent la poterie, au tissage, ou qui cultivent la terre ? permettent de comparer et de classer les socits humaines sur des bases beaucoup plus solides quon ny parvenait auparavant.
Jai cit la division du travail ; je pourrais parler aussi des rgles de rsidence. Quand un mariage a lieu, o vont habiter les jeunes poux ? Avec les parents du mari ? Avec ceux de la femme ? Ou tablissent-ils une rsidence indpendante ?
De mme les rgles de la filiation et du mariage, longtemps ngliges tant elles semblaient capricieuses et dnues de sens. Pourquoi un grand nombre de peuples du monde distinguent-ils les cousins en deux catgories selon quils sont issus soit de deux frres ou de deux surs, soit dun frre et dune sur ? Pourquoi, dans ce cas, condamnent-ils le mariage entre cousins du premier type et le prconisent-ils, si mme ils ne limposent pas, entre les cousins du second type ? Et pourquoi le monde arabe fait-il, pratiquement seul, exception cette rgle ?
De mme encore, les prohibitions alimentaires qui font que, par le monde, il nest pas de peuple qui ne cherche affirmer son originalit en proscrivant telle ou telle catgorie daliments : le lait en Chine, le porc pour les juifs et les musulmans, le poisson pour quelques tribus amricaines et la viande de cervid pour dautres, et ainsi de suite.
Toutes ces singularits constituent autant de diffrences entre les peuples. Et cependant, ces diffrences sont comparables dans la mesure o il nexiste pratiquement pas de peuple chez qui on ne puisse les observer. Do lintrt que prennent les anthropologues des variations en apparence futiles , mais qui permettent daboutir des classements relativement simples, introduisant dans la diversit des socits humaines un ordre comparable celui que les zoologues et les botanistes utilisent pour classer les espces naturelles. (pp. 23-25)
Mais, me direz-vous, lobservation de ces diffrences est bien malaise pour quelquun qui ne vit pas dans les socits concernes ? Nest-ce pas l un grave handicap ?
Ces socits exotiques sont loignes de lanthropologue qui les observe. Une distance non seulement gographique, mais aussi intellectuelle et morale, les spare. Cet loignement rduit notre perception quelques contours essentiels. Je dirais volontiers que, dans lensemble des sciences sociales et humaines, lanthropologue occupe une place comparable celle qui revient lastronome dans lensemble des sciences physiques et naturelles. Car si lastronomie put se constituer comme science ds la plus haute Antiquit, cest qu dfaut mme dune mthode scientifique qui nexistait pas encore lloignement des corps clestes permettait den prendre une vue simplifie. (pp. 31-32)
Ce qui fait loriginalit de lanthropologie, selon Lvi-Strauss, cest sa triple ambition.

Dabord, atteindre lobjectivit. Ce qui ne se rsume pas faire abstraction de ses croyances, de ses prfrences et de ses prjugs , mais aussi et surtout atteindre [] des formulations valides non seulement pour un observateur honnte et objectif, mais pour tous les observateurs possibles (p. 35).

Ensuite, la totalit, cest--dire voir dans la vie sociale un systme dont tous les aspects sont organiquement lis . Un exemple ?
Il nest certes pas besoin dtre anthropologue pour remarquer que le menuisier japonais se sert de la scie et du rabot lenvers de ses collgues occidentaux : il scie et rabote vers soi, non en poussant loutil vers lextrieur. []
De leur ct, des spcialistes de la langue japonaise ont not comme une curiosit quun japonais qui sabsente pour un court moment (mettre une lettre la poste, acheter le journal ou un paquet de cigarettes) dira volontiers quelque chose comme "Itte mairimsu" ; quoi on lui rpond "Itte irasshai". Laccent nest donc pas mis, comme dans les langues occidentales en pareille circonstance, sur la dcision de sortir, mais sur lintention dun prochain retour.
De mme, un spcialiste de lancienne littrature japonaise soulignera que le voyage y est ressenti comme une douloureuse exprience darrachement, et reste hant par lobsession du retour au pays. De mme enfin, un niveau plus prosaque, la cuisinire japonaise, parat-il, ne dit pas comme en Europe "plonger dans la friture" mais "soulever dans la friture" ou "lever" (ageru) hors de la friture
Lanthropologue se refusera considrer ces menus faits comme des variables indpendantes, des particularits isoles. Il sera au contraire frapp par ce quils ont de commun. Dans des domaines diffrents et sous des modalits diffrentes, il sagit toujours de ramener vers soi, ou de se ramener soi-mme vers lintrieur. Au lieu de poser au dpart le "moi" comme une entit autonome et dj constitue, tout se passe comme si le Japonais construisait son moi en partant du dehors. Le "moi" japonais apparat ainsi, non comme une donne primitive, mais comme un rsultat vers lequel on tend sans certitude de latteindre. Rien dtonnant si, comme on me laffirme, la fameuse proposition de Descartes : "Je pense, donc je suis" est rigoureusement intraduisible en japonais. Dans des domaines aussi varis que la langue parle, les techniques artisanales, les prparations culinaires, lhistoire des ides [], une diffrence, ou, plus exactement, un systme de diffrence invariantes se manifeste un niveau profond entre ce que, pour simplifier, jappellerai lme occidentale et lme japonaise, quon peut rsumer par lopposition entre un mouvement centripte et un mouvement centrifuge. Ce schma servira lanthropologue dhypothse de travail pour essayer de mieux comprendre le rapport entre les deux civilisations. (pp. 36-39)
Enfin, troisime ambition, l objectivit totale ne peut se situer qu un niveau o les phnomnes gardent une signification pour une conscience individuelle (p. 39) Autrement dit, il sagit de ne prendre en considration que des phnomnes auxquels il est communment attribu une signification celle-ci ft-elle errone , lexclusion des phnomnes dont il ne peut tre rendu compte que par des abstractions dont lexistence mme est communment ignore, telles des statistiques ou des donnes conomiques.

On laura remarqu, lorsque Lvi-Strauss illustre lambition de totalit, il parle de lme occidentale et de lme japonaise comme de grammaires diffrentes qui impriment insidieusement leur logique aux comportements les plus anodins. Cest que
[] ces menus dtails, ces humbles faits sur lesquels nous fixons notre attention reposent sur des motivations dont les individus nont pas clairement ou pas du tout conscience. Nous tudions des langues, mais les hommes qui les parlent nont pas conscience des rgles quils appliquent pour parler et tre compris. Nous ne sommes pas davantage conscients des raisons pour lesquelles nous adoptons telle nourriture et proscrivons telle autre. Nous ne sommes pas conscients de lorigine et de la fonction relle de nos rgles de politesse ou de nos manires de table. Tous ces faits, qui plongent leurs racines au plus profond de linconscient des individus et des groupes, sont ceux-l mmes que nous essayons danalyser et de comprendre [] (p.32)
Aussi rigoureuse que soit la recherche en anthropologie, elle suscite des rflexions principielles et morales.

Ainsi, elle conduit Claude Lvi-Strauss distinguer trois humanismes successifs : lhumanisme classique, celui de la Renaissance, qui allait chercher lailleurs auquel se comparer dans lAntiquit, se limitait au bassin mditerranen et ne touchait quune classe privilgie ; lhumanisme exotique du XIXe sicle, li aux intrts de la bourgeoisie, qui englobait lOrient et lExtrme-Orient ; enfin, lhumanisme dmocratique qui, en mobilisant des mthodes et des techniques empruntes toutes les sciences pour les faire servir la connaissance de lhomme, [] appelle la rconciliation de lhomme et de la nature dans un humanisme gnralis. (p. 50)

Elle le conduit aussi insister une nouvelle fois, ai-je envie de dire sur limportance de la diversit, seule faon de se lier des dterminismes supportables. En visant luniformisation,
[] lhumanit se trouve abruptement confronte des dterminismes plus durs. Ce sont ceux rsultant de son norme effectif dmographique, de la quantit de plus en plus limite despace libre, dair pur, deau non pollue dont elle dispose pour satisfaire ses besoins biologiques et psychiques.
En ce sens, on peut se demander si les explosions idologiques qui se produisent depuis bientt un sicle et continuent de se produire celle du communisme et du marxisme, celle du totalitarisme, qui nont pas perdu de leur force dans le tiers-monde, celle plus rcente de lintgrisme islamique ne constituent pas des ractions de rvolte devant des conditions dexistence en rupture brutale avec celles du pass. (p. 54)
Elle lamne enfin cette conclusion faite dune prudence digne de Montaigne :
Comme premire leon, lanthropologie nous apprend que chaque coutume, chaque croyance, si choquantes ou irrationnelles quelles puissent nous paratre quand nous les comparons aux ntres, font partie dun systme dont lquilibre interne sest tabli au cours des sicles, et que, de cet ensemble, on ne peut supprimer un lment sans risquer de dtruire tout le reste. Mme si elle napportait pas dautres enseignements, celui-l seul suffirait justifier la place de plus en plus importante que lanthropologie occupe parmi les sciences de lhomme et de la socit. (p. 58)

(1) Claude Lvi-Strauss, Lanthropologie face aux problmes du monde moderne, Seuil, Coll. La Librairie du XXIe sicle, 2011.

Lhumanisme de Lvi-Strauss : procration, histoire, race 11 juin 2011 | Par christophe lemardel

Claude Lvi-Strauss a t lun des grands intellectuels franais du sicle dernier alors quil fut dune discrtion exemplaire. On lui reprocha la mode du structuralisme alors quil ne fut aucunement responsable de sa gnralisation en dehors de son domaine, lanthropologie. Enfin, sil critiqua lHumanisme, ce ntait pas par pessimisme ou nihilisme, mais parce que son humanisme personnel tait anthropologique et non philosophique.

Comme lnonce lditeur Maurice Olender dans lavant-propos, louvrage posthume Lanthropologie face aux problmes du monde moderne est une parfaite introduction luvre de lauteur pour un tudiant ou un esprit curieux. Antoine Perraud avait dj prsent ce livre ainsi quun autre sorti en mme temps par le mme diteur. Il est bon dy revenir et de dtailler un peu plus son contenu car il comporte des rflexions importantes et actuelles mme si le texte est vieux de vingt-cinq ans (trois confrences prononces Tokyo en 1986). La premire partie du livre sintitule La fin de la suprmatie culturelle de lOccident et vise dfinir la discipline quest lanthropologie et la notion de culture. Le propos de Lvi-Strauss est de montrer limportance du Regard loign (titre dun ouvrage de1983) de lanthropologue, ce qui lui permet davoir toujours du recul par rapport aux faits de socit. Le regard est loign mais il est aussi englobant car lanthropologue est un comparatiste habitu aux diffrences culturelles, o quelles soient, cest pourquoi lhumanisme anthropologique dborde lhumanisme traditionnel (p. 48).La seconde partie en vient lexposition dexemples concrets: Trois grands problmes contemporains: la sexualit, le dveloppement conomique et la pense mythique. Lvi-Strauss aborde l les questions qui font habituellement bondir les philosophes qui se rclament dune thique universelle sans recul culturel et les psychanalystes tributaires de la seule thorie freudienne, cest--dire la procration artificielle, les mres porteuses, lhomoparentalit etc. Aprs avoir rapidement analys les conceptions occidentales, qui oscillent entre une parent sociale et biologique bien que cette dernire prenne paradoxalement de plus en plus dimportance , lA. nonce de nombreux exemples ethnologiques o la parent sociale apparat sous de multiples formes, trouvant des solutions adquates au problme de la strilit: les Nuer du Soudan assimilent la femme strile un homme. En qualit doncle paternel, elle reoit donc le btail reprsentant le prix de la fiance et elle sen sert pour acheter une pouse qui lui donnera des enfants grce aux services rmunrs dun homme, souvent un tranger (p. 71). Sil y a de nombreux cas dinsmination artificielle, il y en a aussi concernant les prts dutrus si insupportables dun point devue thique pour Sylviane Agacinski. Pourtant:Toutes ces formules offrent autant dimages mtaphoriques anticipes des techniques modernes. Nous constatons ainsi que le conflit qui nous embarrasse tellement entre la procration biologique et la paternit sociale nexiste pas dans les socits qutudient les anthropologues. Elles donnent sans hsiter la primaut au social, sans que les deux aspects se heurtent dans lidologie du groupe ou dans lesprit des individus (p. 73). Or, quest-ce qui est le plus thique, le biologique ou le social? Lanthropologie rvle que ce que nous considrons comme naturel se rduit des contraintes et des habitudes mentales propres notre culture (p. 74). Le philosophe pense donc luniversel partir dune culture spcifique, ce qui est tout le problme de notre humanisme, ethnocentrique par essence.Plus loin, Lvi-Strauss en vient une problmatique qui lui fut chre: mythe et histoire. Les socits sans criture tudies par lanthropologue sont dites sans histoire, leur pass tant en quelque sorte mythifi. La rflexion sur les mythes est intressante Ce que les peuples sans criture demandent aux mythes, cest dexpliquer lordre du monde qui nous entoure et la structure de la socit mais celle sur lhistoire lest bien plus pour nous: Mais, quand nous nous interrogeons sur lordre social qui est le ntre, nous-mmes faisons appel lhistoire pour lexpliquer, le justifier ou laccuser. Pour un citoyen franais, la rvolution de 1789 explique la configuration de la socit actuelle (p. 100).Ainsi, limage que nous nous faisons de notre pass proche ou lointain est trs largement de la nature du mythe. Quand nous insistons tant sur la mmoire qui semble reculer puisque le 6 juin de cette anne est pass presque inaperu , nous nous justifions en disant que cest de lhistoire, mais cest bien plus un mythe construit cens nous donner un ordre du monde. Seul lhistorien fait de lhistoire, dautant mieux sil a le regard loign de lanthropologue, ce que na pas le citoyen lambda ni mme le journaliste qui se pique dhistoire (Eric Zemmour). Dailleurs, des vnements trop vite mythifis comme le 11 septembre 2001 nous ont aveugl au point de ne pas voir les vritables volutions historiques que lon constate aujourdhui dans les pays arabes. Enfin, dans la dernire partie Reconnaissance de la diversit culturelle: ce que nous apprend la civilisation japonaise , lA. revient sur la notion de race, quil sempresse de mettre entre guillemets. En bon anthropologue social, Lvi-Strauss rcuse tout intrt la dsormais obsolte anthropologie physique en lui prfrant la gntique. Mais au lieu de la placer avant la culture comme le feraient les racistes, il affirme que la culture dtermine en quelque sorte la gntique: Cest la culture dun groupe qui dtermine les limites gographiques du territoire quil occupe, les relations damiti ou dhostilit quil entretient avec les peuples voisins, et limportance relative des changes gntiques qui, grce aux intermariages permis, encourags ou dfendus, pourront se produire entre eux (p. 116). Et il conclut: Lvolution humaine nest pas un sous-produit de lvolution biologique. Evidemment, le raciste et son esprit de clocher thoris lextrme se moquera toujours de telles dmonstrations puisquil ne cherche aucunement une vrit scientifique mais une justification sa haine.Dans ce petit livre, Lvi-Strauss dmontre limportance de lanthropologie pour un humanisme moderne et universel, concluant sur le relativisme culturel et le jugement moral. Or, aprs que louverture culturelle a t mise en avant, il apparat que le jugement et le rejet de la diffrence reviennent en force. Si la tolrance fait intrinsquement partie de notre humanisme, la raction ethnocentrique aussi. Lhistoire objective est certes enseigne, mais ne lest-elle pas encore comme un mythe, comme un ordre du monde? Lanthropologie, elle, est malheureusement absente des disciplines scolaires, pas mme enseigne en tant quoption.Claude Lvi-Strauss, LAnthropologie face aux problmes du monde moderne, La Librairie du XXIe sicle, Le Seuil, Paris, 2011, 146p., 14,50.

Claude Lvi-Strauss, un regard japonaisLE MONDE DES LIVRES | Mis jour le | Par Frdric Keck Abonnez-vous
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En 1985, Claude Lvi-Strauss visita pour la premire fois Isral et les Lieux saints. En 1986, il fit le tour de l'le de Kyushu, o se sont drouls les vnements les plus anciens de la mythologie japonaise. Deux ans plus tard, il confia, lors d'une confrence Kyoto, avoir ressenti "des motions beaucoup plus profondes" devant le mont Kirishima que devant le temple de David.L'anecdote est rvlatrice d'un trait propre au fondateur de l'anthropologie structurale : ce que certains verront comme une "haine de soi" doit plutt tre envisag comme une critique, ou une "dissolution", du sujet occidental. Selon Lvi-Strauss, alors que la culture judo-chrtienne a dissoci l'histoire du mythe, le Japon a maintenu les mythes en libert, exprimant les puissances d'une nature habite.Lvi-Strauss (1908-2009) nourrissait une vritable passion pour le Japon. Son pre, peintre influenc par les impressionnistes, lui donnait des estampes japonaises en rcompense de ses succs scolaires. Aprs un long dtour par le Brsil et les socits amrindiennes, il attendit 1977 pour mettre le pied au Japon, inaugurant une srie de voyages qui en comptera cinq jusqu'en 1988, et dont l'objectif sera notamment d'tudier le travail des artisans traditionnels. Alors qu'on lui a souvent reproch de rduire les cultures des formes logiques, Lvi-Strauss parle de ce pays avec des lans d'amour, avouant mme y trouver la seule forme de musique non europenne capable de le toucher, ou cuisiner le riz accompagn d'algues...Les deux recueils publis aujourd'hui permettent de mesurer non seulement cet amour de Lvi-Strauss pour le Japon, mais aussi son influence sur le "regard loign" que l'anthropologue a port sur la modernit. Le premier rassemble trois confrences donnes Tokyo au cours du voyage de 1986. Comme les cours de Michel Foucault au Collge de France, le texte de ces confrences circulait jusque-l dans sa traduction italienne. Dsormais, le public franais peut donc prendre connaissance de l'original. Le lecteur familier de Lvi-Strauss y retrouvera les grands thmes de son anthropologie, clairs par les questions trs contemporaines poses par le sida, la gntique des populations ou les mres porteuses. Comme le note Maurice Olender dans son avant-propos, ce texte constitue une bonne introduction l'oeuvre de Lvi-Strauss.Le recueil intitul L'Autre Face de la Lune tonne davantage, car on y dcouvre un Lvi-Strauss moins magistral, plus humoristique, osant formuler des propositions fulgurantes sur un pays qu'il connat mal. Selon lui, en effet, la mythologie japonaise forme une variante d'un fond mythologique d'Asie centrale qui serait pass, d'un ct, en Amrique, et, de l'autre, en Europe ; parce qu'ils se trouvent aux deux pointes du continent eurasien, la France et le Japon auraient dvelopp ce mme fond mythologique dans des directions inverses. Il note : "Si la France, dans la ligne de Montaigne et de Descartes, a pouss plus loin peut-tre qu'aucun autre peuple le don d'analyse et la critique systmatique dans l'ordre des ides, le Japon a, de son ct, dvelopp plus qu'aucun autre peuple un got analytique et un esprit critique s'exerant dans tous les registres du sentiment et de la sensibilit." Ainsi s'ouvre l'espace d'une comparaison, permettant par exemple Lvi-Strauss de mettre en rapport Le Dit de Genji, grand roman courtois du XIe sicle, et La Nouvelle Hlose de Rousseau.Une telle hypothse expliquerait une observation frquente des voyageurs europens au Japon, selon laquelle tous les comportements y sont inverss : "Ils montent cheval par la droite", ils scient en tirant vers eux... Lvi-Strauss rattache ces singularits des structures de la langue : en japonais, le sujet est ce sur quoi finit la phrase, alors qu'il est ce qui la commence en franais. L'anthropologue africaniste Junzo Kawada, qui ouvre ce recueil par un avant-propos et le conclut par un dialogue avec Lvi-Strauss datant de 1993, fait remarquer que beaucoup de ces comportements, comme la monte cheval par la droite, sont en fait le produit d'une histoire militaire rcente et non le reflet d'une mentalit archaque.Pourtant, il faut maintenir ces moments d'incertitude o Lvi-Strauss, confront l'histoire, s'en tire par la logique des mythes. Racontant ses voyages, il dit avoir vu des paysages dvasts par la guerre et recouverts par les camps militaires amricains, mais c'est aussitt pour dtourner les yeux vers une nature prserve, ou plutt reprenant ses droits. La mditation devant le mont Kirishima apparat ainsi comme un dtour ncessaire pour viter de regarder en face Hiroshima - ou, plus prs de nous, Fukushima.

L'ANTHROPOLOGIE FACE AUX PROBLMES DU MONDE MODERNE de Claude Lvi-Strauss. Seuil, "La Librairie du XXIe sicle", 160 p., 14,50 . L'AUTRE FACE DE LA LUNE. ECRITS SUR LE JAPON. Seuil, "La Librairie du XXIe sicle", 204 p., 17,50 .