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Claire Gervais Travail Personnel Encadré Pratiques nocturnes de la ville par les femmes : Le combat pour l’espace Tutrice : Anne Jarrigeon Institut Français d’Urbanisme 2011 - 2012

Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

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« L’espace public est le lieu où les normes sexuées prennent corps. » (Lieber, 2008)

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Claire Gervais Travail Personnel Encadré

Pratiques nocturnes de la ville par les femmes :

Le combat pour l’espace

Tutrice : Anne Jarrigeon

Institut Français d’Urbanisme 2011 - 2012

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Remerciements

Je tiens à remercier toutes les jeunes femmes qui, en acceptant d’être interrogées,

m’ont permis de réaliser ce mémoire.

Je remercie également ma tutrice de m’avoir guidé dans la réalisation de mon

enquête.

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Sommaire

Remerciements .......................................................................................................................... 2

Introduction ................................................................................................................................. 4

Méthodologie .............................................................................................................................. 6

I - Etre seule en ville : une position peu commune, la crainte permanente du danger ............ 8

1) Le poids de la norme : l’intériorisation de la « naturelle vulnérabilité de la femme » .... 8

2) Tactiques pour éviter cette position fâcheuse .............................................................. 12

3) Appréhension des sorties en solitaire et des mauvaises rencontres ........................... 15

II – Contrôle de l’espace : des tactiques pour accéder à l’espace public ............................... 19

1) « Faire attention » : une position « naturelle » ............................................................. 19

2) Se positionner dans l’espace : l’impression de la maîtrise de son environnement,

remède aux craintes nocturnes ? ......................................................................................... 21

3) Quand « se méfier » ne suffit plus : la question de la violence et de ses séquelles ... 27

III – Une enquête dévoilant les limites inconscientes de la pratique urbaine ......................... 30

1) L’influence de la présence masculine dans la création des limites.............................. 30

2) La question de l’ambiance, facteur déterminant dans les choix de sorties nocturnes 33

3) L’aménagement des espaces publics et ses répercussions sur les pratiques

féminines : une influence déterminante ? ............................................................................ 37

Conclusion ................................................................................................................................ 40

Bibliographie ............................................................................................................................. 42

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Introduction

« L’espace public est le lieu où les normes sexuées prennent corps. » (Lieber, 2008).

Partant de ce principe, l'espace public est un lieu où se forgent les identités féminines et

masculines, produits de la société. Le processus de formation de ces identités constitue le

sujet d'étude des Gender Studies, discipline universitaire d'origine anglo-saxonne qui permet

de mieux saisir les rapports entre les hommes et les femmes, mais aussi ce qui fait d'une

femme, au sens biologique, une femme au sens social. De nombreuses auteur-e-s anglo-

saxon-e-s et français-e-s se sont penché-e-s sur la question du genre (Butler, 2005 ; Delphy,

2001 ; Denèfle, 2004 ; Goffmann, 1979), donnant ainsi une matière théorique dense pour le

traitement de mon mémoire.

Néanmoins, les Gender Studies traitent aussi de ce qui peut remettre ces identités en

cause, avec notamment la théorie du « queer », ces « transgenres » qui contredisent les

identités classiques de part une manière de se comporter et des attirances sexuelles qui

transgressent les rapports classiques. Malgré l'intérêt pour la question, et afin de donner un

cadre plus précis à mon mémoire, je ne traiterai pas des usages qu’ont les homosexuels,

mais je me concentrerai sur le cas pratique des femmes hétérosexuelles. Cette catégorie

étant elle-même très large, en prenant compte des tranches d'âge par exemple, je me

concentrerai sur le cas des femmes de moins de 30ans, choix que je justifie dans ma partie

méthodologique.

Marylène Lieber construit son enquête autour de l’idée commune et populaire que la

femme est plus « vulnérable » que l’homme dans l’espace public, et qu’elle doit, pour pouvoir

tout de même assouvir son envie de sortir en ville, développer un ensemble de stratégies et

de tactiques d’évitement pour éviter tout risque potentiel (Jaspard et al, 2007).

Mon enquête se rapproche de cette idée, mais prend une dimension différente. Si je

m’intéresse à l’ensemble des tactiques que développent les femmes, et à la question de

leurs craintes (parfois dissimulées) lors de leurs pratiques de la ville, j’inclus également une

véritable réflexion sur la dimension spatiale de ces stratégies.

La ville, fabriquée pour un citoyen neutre, ne comprend pas la notion de genre. Le

terme même de neutralité cache difficilement le fait que la ville ait été construite, jusqu’à très

récemment, uniquement par les hommes, et pour les hommes. En effet, dans la société

traditionnelle, les femmes sont rapportées à la sphère intérieure du foyer, alors que les

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hommes sont associés à l’extérieur, car seuls actifs du ménage, et ont donc une pratique

plus élargie de la ville.

La ville est alors l’expression d’une domination masculine qui a toujours une influence

sur les pratiques des femmes, en particulier dans un contexte nocturne, où sortir seule n’est

pas considéré comme une pratique correspondant aux normes de bonne conduite (Schiltz,

2007). Au moment où les femmes sont à l’extérieur et calculent leur attitude par rapport aux

dangers potentiels et aux hommes qui pourraient les importuner, elles procèdent aussi à une

véritable réflexion sur leur position dans l’espace. L’aménagement de la ville, la disposition

des rues ou des transports vont donc avoir une influence décisive sur leur choix de tactiques

à adopter lors de leurs sorties nocturnes.

Elles ont intériorisé l’idée qu’elles sont « vulnérables », et par cette position

généralement considérée comme « allant de soi » (Lieber, 2005), elles ont développé des

craintes face à l’épreuve de la ville parfois nettement exprimées par ces dernières. Elles

interagissent alors sans cesse avec leur environnement pour adopter une attitude en

adéquation avec le milieu dans lequel elles se trouvent, afin de se prémunir de tous risques.

On peut ainsi se poser la question suivante : En quoi les pratiques urbaines des

femmes sont influencées par leur environnement, en particulier dans un cadre nocturne ?

Comment leur attitude reflète-t-elle cette double injonction paradoxale, à savoir cette tension

entre leur volonté de pratiquer de manière indépendante l’espace urbain, et l’injonction

normée d’adopter une attitude répondant à leur position « vulnérable » ?

L’enquête a permis de faire ressortir de grands thèmes récurrents au fil des

entretiens, thèmes développés et problématisés au sein de ce mémoire. En premier lieu,

l’image de la femme seule en ville est une position qui concentre les craintes féminines, et

dans laquelle transparaît le poids des normes sexuées. Pour assumer cette position solitaire

la nuit en ville, les jeunes femmes développent alors une grande variété de tactiques qui

relèvent du contrôle de l’espace. Ces tactiques sont alors censées faire baisser les

« risques » qu’elles encourent en sortant seule, et par la même diminuer leurs craintes à

l’idée de sortir seule. Enfin, à travers les entretiens, les jeunes femmes dévoilent la

construction de limites souvent inconscientes dans leur pratique urbaine. Ces limites peuvent

être physiques, par la création de zones d’évitement dans la ville, mais aussi temporelles ou

encore vestimentaires. Autant de limites qui trouvent leur naissance dans l’intégration du

rapport de domination masculine, dans cet espace marqué par le « danger masculin ».

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Méthodologie

Le choix de l’enquête qualitative

La question des pratiques urbaines qu’ont les femmes la nuit est un thème

difficilement abordable par la simple lecture d’ouvrages. Afin de pouvoir aborder le sujet en

profondeur, et de saisir ainsi la diversité des attitudes et des pratiques face aux sorties

nocturnes, il était nécessaire de procéder à une enquête qualitative. La méthode de

l’enquête comporte un double avantage : elle permet, au travers des questions posées, de

toucher un ensemble de thèmes assez variés à propos des pratiques féminines, mais elle

permet aussi, par la forme dialoguée de l’entretien, de prendre en compte les contradictions

présentes au sein du discours de la personne entretenue. La forme de l’entretien permet

ainsi de mieux comprendre le cheminement de la pensée de l’enquêtée à travers la tournure

de ses réponses, processus qui peut être intéressant pour mieux saisir le poids des normes

sur la jeune femme.

Cette enquête se compose d’une série de 15 entretiens auprès de jeunes femmes de

20 à 29ans, étudiantes pour la plupart, mais aussi actives pour quelques-unes d’entre elles.

En raison de mon terrain d’étude, Paris, j’ai compris dans mon échantillon aussi bien des

femmes habitant dans Paris que des femmes habitant en banlieue. La diversité des lieux

d’habitation avait l’avantage de donner à voir des stratégies plus variées dans les transports

ou pour la question du retour, du fait de la diversité des destinations.

Le choix de l’échantillon : pourquoi la tranche d’âge des 20-30ans ?

Le choix d’une telle tranche d’âge, si elle permet de prime abord de cibler un

échantillon plus précis, n’a pas été un choix innocent. Le choix de cet échantillon est le

résultat de mes lectures, notamment celle de l’article de Stéphanie Condon, Insécurité dans

les espaces publics : comprendre les peurs féminines. A travers son article, Stéphanie

Condon reprend les chiffres de l’enquête Enveff (Enquête nationale sur les violences envers

les femmes en France), et met en exergue un constat quelque peu surprenant : si les

femmes de moins de 25ans sont celles qui sortent le plus, ce sont aussi celles qui ressentent

le plus le sentiment de peur pendant leurs déplacements et leurs sorties. Si elles sortent plus

fréquemment que les autres tranches d’âge, elles sont « 68,6% […] qui craignent de passer

par certaines rues et 69,4% dans les endroits peu fréquentés […], contre 61,7% en

moyenne ».

Si le résultat semble paradoxal, il peut aussi être la marque d’une plus grande

sollicitation de ces jeunes femmes par les personnes extérieures qui justifierait l’importance

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de ces pourcentages. Un tel résultat m’a donc intrigué et donné envie d’étudier plus en

profondeur les pratiques de ce groupe de jeunes femmes.

Le choix du type de l’entretien

Pour mener les entretiens, j’ai adopté la méthode de l’entretien compréhensif,

développé par Jean-Claude Kaufmann1. Ce type d’entretien permettait d’instaurer un cadre

plus libre, en créant ainsi avec l’enquêtée une sorte de conversation qui diminuait l’aspect

rigide et lourd de l’entretien. Ainsi, l’enquêtée pouvait librement développer un thème

pouvant mener à des réflexions parfois très pertinentes, et ce sans se sentir jugée sur ses

connaissances de la ville ni ses pratiques.

Seule ma méthode de traitement des données a différé de la méthode proposée par

Kaufmann. Contrairement à la méthode décrite par Kaufmann, qui consistait à un mélange

de retranscription partielle et d’analyse directe, j’ai préféré la méthode plus classique de la

retranscription intégrale, qui me semblait plus simple et plus rapide.

Le choix du plan de métro de Paris

Vers la fin de l’entretien, je voulais réaliser un exercice de carte mentale avec la

personne entretenue, afin d’étudier de façon plus spatialisée la question des limites. L’intérêt

était de partir sur une carte de Paris, mon terrain, afin que l’enquêtée entoure les quartiers

qu’elle fréquentait, et qu’elle barre les endroits où elle ne se rendrait pas. Mais, en me

posant la question des repères, il m’a semblé plus judicieux d’effectuer cet exercice sur un

plan du métro parisien. Les raisons sont multiples : le plan de métro a l’avantage d’être

connu de toutes, et d’être utilisé quotidiennement par les jeunes femmes. La représentation

mentale de Paris est aussi plus aisée par le biais de ce plan, le nom des stations permettant

de situer facilement un quartier dans l’espace parisien. Une carte classique de Paris aurait

alors rendu l’exercice plus long et complexe, de par la présence d’une foule d’informations

rendant plus difficile le repérage d’un quartier par rapport à un autre.

La forme du plan de métro a d’ailleurs été globalement bien accueillie, et appuyée par

l’aveu de certaines, qui auraient été « perdue(s) » face une carte classique de Paris.

1 Kaufmann Jean-Claude, 2011, L’entretien compréhensif, Armand Colin

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I - Etre seule en ville : une position peu commune, la crainte

permanente du danger

A travers cette première partie, je m’attacherai à étudier l’image que les jeunes

femmes ont des sorties seules la nuit. L’idée sous-jacente qui parcourt ces réflexions est

bien celle d’un manque de légitimité à être à l’extérieur en dehors des heures dites

« correctes », et traduit plus largement le poids des normes sociales, bien visibles à travers

les discours des proches et des institutions.

1) Le poids de la norme : l’intériorisation de la « naturelle vulnérabilité de la

femme »

Un manque de légitimité à être seule la nuit dans la rue

Les jeunes femmes que j’ai pu interroger ont, pour la plupart, bien énoncé ce manque

de légitimité. Il n’est pas normal, selon elles, d’être seule dans la rue passée une certaine

heure, et encore plus si cette sortie n’est pas justifiée par une raison précise ou un but à

atteindre. Céline Camus, dans l’ouvrage de Sylvette Denèfle2, relève bien cette idée selon

laquelle les jeunes femmes, si elles sortent le soir, doivent pratiquer l’espace public pour

« une raison précise et légitime », afin de se sentir elles-mêmes légitimes dans cet espace.

Sans cette autojustification, le malaise semble palpable. Violette a bien résumé ce

sentiment à travers son expérience de la Gare du Nord, à 2 heures du matin, un dimanche :

« Enfin, j’avais un peu la trouille, et en même temps pas non plus quoi. Enfin c’est un truc un

peu bizarre qui fait que j’ai une sorte d’autocontrainte, je me dis « putain merde, il est 2

heures, t’es à Gare du Nord, tu devrais pas rentrer à pied » et en même temps je suis

rentrée à pied, et puis voilà quoi. »3. Violette a tenté de comprendre pourquoi elle ressentait

un tel sentiment de gêne, et en prenant un peu de hauteur révèle ce qu’elle nomme « une

sorte d’autocontrainte ». Cette autocontrainte lui donne ainsi le sentiment d’être

« incongrue ».

Mais quelle est l’origine de cette « autocontrainte » qui semble justifier ce manque de

légitimité des jeunes femmes à pratiquer l’espace public ?

Ce processus est fortement lié à une perception de l’espace public comme espace

« hostile » pour les jeunes femmes, cette hostilité étant comprise par ces dernières comme

2 Denèfle S. (dir.), 2004, Femmes et villes, Tours, Presses universitaires François-Rabelais

3 Cf. Annexe n°3 p.53

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une caractéristique « allant de soi »4. Et si ce processus parait aussi bien intégré dans les

pratiques féminines, et porter un aspect presque « naturel » pour les jeunes femmes, c’est

en parti lié à l’efficacité de la double démarche dont il résulte : l’importance des rappels à

l’ordre pour faciliter l’intégration d’un discours prônant la vulnérabilité de la femme face à la

« force » de l’homme.

L’influence des proches et des médias, ou le perpétuel rappel à l’ordre

Les préventions des proches, les mauvaises expériences effrayantes racontées entre

amies, ou encore les faits divers des médias, constituent autant de rappels à l’ordre quant à

la prétendue vulnérabilité des jeunes femmes dans leurs sorties nocturnes. Et si cette

vulnérabilité n’est pas toujours avouée par les jeunes femmes, nombreuses sont celles à

énoncer la présence de rappels à l’ordre de la part de leur famille, amis, des médias voire

même des autorités !

Pauline, 20ans, a ainsi été confrontée à un rappel à l’ordre peu commun : « j’étais en

train de marcher au Kremlin-Bicêtre, […] je me sentais bien […]. Et y a une voiture de flics

qui s’est arrêtée, pour me demander ce que je faisais dehors à cette heure-ci, alors que

j’étais une fille, et que c’était quand même n’importe quoi, et que j’étais irresponsable, fallait

que je rentre chez moi vite fait »5. Dans le cas de Pauline, le message est clair : il s’agit de

faire culpabiliser la jeune femme pour avoir osé s’aventurer seule dans la rue à une heure

que la norme jugeait incorrecte. On retourne ainsi le processus de victimisation : en cas

d’agression, la jeune femme serait alors aussi responsable que son agresseur, puisque

jugée comme « irresponsable » de sortir aussi tardivement. Le discours des deux policiers,

en plus d’être culpabilisant, marque nettement les limites des pratiques féminines dans un

cadre nocturne, et édicte ainsi une norme contraignante contre « l’intolérable indépendance

des femmes »6.

Face à ce rappel à l’ordre très clair, les préventions des proches semblent plus

détournées, en prenant la forme de conseils avisés. Les jeunes femmes qui reçoivent des

rappels de ce genre par leurs parents les décrivent d’ailleurs souvent comme angoissés : « Il

est hyper angoissé »7 affirme Ingrid en parlant de son père. Les conseils avisés semblent

aussi toujours figurés un danger potentiel. Cette démarche est perceptible dans le cas de

4 Marylène Lieber in Chetcutti N., Jaspard M. (dir.), 2007, Violences envers les femmes, Trois pas en

avant deux pas en arrière, Bibliothèque du féminisme, L’Harmattan 5 Cf. Annexe n°3, entretien p.68

6 Cf. Marie-Ange Schiltz in Chetcutti N., Jaspard M. (dir.), 2007, Violences envers les femmes, Trois

pas en avant deux pas en arrière, Bibliothèque du féminisme, L’Harmattan 7 Cf. Annexe n°3, entretien p.37

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Constance : « ma mère, ma sœur […] elles me font « hm bah fais gaffe à toi et tout » »8.

Cette invitation à « faire gaffe » intègre de manière claire cette notion de danger. Sinon,

contre quoi faudrait-il se prémunir ?

Mais le cas de Claire est certainement le plus éclairant, et celui qui montre avec le

plus de force que ces rappels sont surtout adressés aux jeunes femmes en devenir.

Originaire de Marseille, « Moi, j’ai eu le droit de prendre le bus qu’à 14ans, parce que avant,

bah, les parents, ils le sentaient pas trop ». Mais cette précaution semble disparaître quand il

s’agit de son frère : « Mon frère a 11 ans il pouvait prendre le bus, le train […] J’ai toujours

trouvé ça très injuste, mais… Ils ont pas du tout eu la même réaction, enfin surtout ma mère.

Elle avait beaucoup plus peur pour moi »9. On a ainsi, par l’application d’une éducation

différenciée selon le sexe, la marque d’intégration des normes sexuées par des jeunes filles

qui ne sont pas encore des femmes. En multipliant les précautions, par le biais d’un

traitement différencié, et en soulignant la dangerosité de l’extérieur par ce traitement, Claire

a ainsi intégré beaucoup plus facilement l’idée de sa propre vulnérabilité dans l’espace

public, développant ainsi chez elle ce caractère « angoissé » qui va marquer ces pratiques

nocturnes. L’influence de l’éducation sur l’intégration des normes est étudiée par Céline

Camus, qui montre ainsi que les hommes et les femmes intègrent par le biais de leur

éducation les lieux qu’ils sont « légitimes de fréquenter ». La différenciation des sexes dans

l’apprentissage de l’espace entraîne alors une « division sexuelle de l’espace »10.

Enfin, les médias constituent une dernière forme de rappel à l’ordre, plus quotidienne

cette fois, par la multitude de faits divers énoncés dans les journaux gratuits du métro

jusqu’au journal télévisée de 20 heures. Ces récits, qui versent souvent dans le

sensationnalisme, contribuent à la formation d’images effrayantes de la ville, qui vont une

fois encore nourrir le sentiment d’insécurité des jeunes femmes et entraîner une pratique

plus restreinte de la ville. Ce lien entre récits médiatiques et pratiques restreintes de la ville

est montré de manière claire par les jeunes femmes. Laetitia explique ainsi que « toute

seule, rentrée comme ça, c’est pas du tout dans mon optique, avec tout ce que j’entends

dans les journaux, à la télévision, je me sens pas très en sécurité de partir comme ça »11.

Inès, qui semble pourtant moins contrainte dans ces déplacements, semble aussi marquée

par l’influence du discours médiatique : « c’est souvent les médias qui me font prendre

conscience, mais qui me font peur »12. Les entretiens prouvent donc la véritable influence

des médias sur les façons de voir la ville et de la pratiquer par les femmes. Mais ils

8 Cf. Annexe n°3, entretien p.6

9 Cf. Annexe n°3, entretien p.18

10 Article de Céline Camus in Denèfle S. (dir.), 2004, Femmes et villes, Tours, Presses universitaires

François-Rabelais 11

Cf. Annexe n°3, entretien p.39 12

Cf. Annexe n°3, entretien p.54

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permettent aussi, de manière pernicieuse, de continuer de justifier la prétendue

« vulnérabilité » des femmes, en véhiculant constamment l’image de la femme comme

victime face à un agresseur tout puissant, souvent masculin, contre qui elle ne peut rien

faire.

L’assignation des rôles de sexes, une explication claire à cette image de « femme

vulnérable »

Si le rôle des rappels à l’ordre est clair, comment expliquer la transmission si simple

de ces normes sexuées qui fondent la « vulnérabilité » de la femme ?

Les multiples processus de rappels à l’ordre nourrissent un sentiment d’insécurité

chez les femmes. Ce mécanisme contribue à considérer le sentiment d’insécurité comme un

sentiment ayant naturellement cours chez les femmes, comme si celui-ci faisait partie de la

nature des femmes13. Pourtant, il s’agit d’un sentiment construit par une société où

l’assignation des rôles de sexe est encore centrale, justifiant une vision très genrée des

espaces urbains et des pratiques.

Toute la société contemporaine occidentale est construite à travers les

représentations sociales des rôles de la « femme » et de « l’homme » comme êtres

construits (et non comme êtres biologiques). En effet, selon Judith Butler, « le genre est

culturellement construit indépendamment de l’irréductibilité biologique qui semble attachée

au sexe »14. La distinction entre les catégories construites « femme » et « homme » est donc

bien le résultat d’un procédé social qui va, lui, progressivement tenter de justifier la place de

l’un et de l’autre par rapport à son appartenance biologique (la définition des rôles de l’un et

de l’autre se faisant le plus souvent à l’avantage de l’homme, dans une société marquée par

la domination patriarcale). Puisqu’on est un homme, on sera fort et viril, actif et plus

facilement agressif. Puisqu’on est une femme, on sera douce et passive, fragile et

vulnérable. Ces caractéristiques caricaturales ont pourtant un écho réel dans la société,

comme le montre Goffman à travers les différentes interactions existantes entre hommes et

femmes, notamment dans le procédé de séduction15.

L’intégration de ces rôles n’est pas le résultat d’un choix libre pour les femmes. Judith

Butler cite alors la célèbre phrase de Simone de Beauvoir tirée du Deuxième Sexe, « on ne

naît pas femme, on le devient ». Si cette citation rappelle le caractère construit du genre

13

Condon Stéphanie et al. , « Insécurité dans les espaces publics : comprendre les peurs féminines », Revue française de sociologie, 2005/2 Vol. 46, p. 265-294 14 Butler J., 1990, Gender Trouble, Feminism and the Subversion of Identity, New York, Routledge 15 Goffman E., 1977 et 2002, L’Arrangement des sexes, Paris, La Dispute

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féminin, Judith Butler précise que « l’on devient « femme », mais toujours sous la contrainte,

l’obligation culturelle d’en devenir une »16.

L’idée de la vulnérabilité de la femme est donc clairement le résultat de ce processus

d’assignation, réalisé sous le mode de la contrainte pour les femmes. Les femmes

deviennent ainsi un être socialement construit, lui-même contraint dans ces pratiques par un

ensemble de caractéristiques qui vont la placer comme « inférieure » par rapport à l’homme.

Ce rapport d’infériorité par rapport à l’homme persiste encore aujourd’hui, malgré la

présence d’une certaine évolution sociale qui prône une plus grande autonomie pour les

femmes, et ce même dans la sphère publique17, marque d’une domination patriarcale

rampante et toujours bien présente, bien que sous des formes plus ou moins discrètes.

2) Tactiques pour éviter cette position fâcheuse

Face à l’inquiétude d’être seule en ville, et l’existence d’un danger potentiel, les

jeunes femmes tentent d’éviter cette position qui, selon l’heure et les personnes, est

considérée comme plus ou moins dangereuse. Les jeunes femmes développent ainsi des

stratégies diverses pour assurer leur seule présence dans l’espace public.

Une présence physique : rentrer accompagnée

Choix le plus radical, et souvent le plus difficile à mettre en place, certaines jeunes

femmes affirment préférer la présence d’une autre personne à leur côté pour rentrer chez

elles, ou tout simplement se déplacer en ville, passé une certaine heure. Cette personne,

féminine comme masculine, est alors la garante de leur tranquillité pendant toute la durée de

leur présence sur l’espace public, les jeunes femmes pensant généralement que le nombre

va dissuader les âmes malintentionnées d’approcher.

L’utilisation de cette technique, si elle est déjà conditionnée par le fait d’avoir

quelqu’un prêt à les accompagner, est utilisée à des fréquences différentes selon les jeunes

femmes. Sur les 5 femmes à avoir affirmées aimer rentrer accompagnée, seules deux ont

avoué ne rentrer que rarement seules. Dans le cas de Sarah, cette pratique est liée à l’heure

tardive à laquelle elle sort (jusqu’à l’aube quand elle sort en boite), mais aussi aux

mauvaises expériences qu’elle a pu avoir quand elle est rentrée seule : « c’est très rare que

16

Butler J., 1990, Gender Trouble, Feminism and the Subversion of Identity, New York, Routledge 17

Condon Stéphanie et al. , « Insécurité dans les espaces publics : comprendre les peurs féminines », Revue française de sociologie, 2005/2 Vol. 46, p. 265-294.

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dans une sortie je rentre seule justement. […] J’ai déjà tenté deux/trois fois de rentrer toute

seule, et j’ai pas de bons souvenirs. »18

Pour les autres jeunes femmes concernées, il s’agit plutôt d’un ressort occasionnel,

lié à des conditions particulières, comme pour Pauline, 20ans : « j’emprunte les trajets que je

connais bien, sinon, heu, je me débrouille pour rentrer avec quelqu’un »19. La

méconnaissance d’un lieu ou encore l’heure tardive à laquelle on rentre vont être autant de

moteurs pour ne pas rentrer seule, sans pour autant être une pratique constante.

Une présence immatérielle : comment se montrer « indisponible »

Une autre stratégie peut être mise en œuvre par les jeunes femmes n’ayant pas

trouvé d’accompagnateur-trice. A défaut d’une véritable présence physique, les jeunes

femmes construisent une présence factice qui marque leur indisponibilité, et vont ainsi les

conforter dans l’idée qu’on les laissera « tranquilles » grâce à cette tactique. Cette pratique

est le plus souvent utilisée dans le cadre d’une position d’attente, mais aussi lors des

déplacements en transports en commun. Elle est souvent une réponse à une position

statique qui ne permet pas d’échappatoire si la jeune femme se fait aborder.

Cette présence immatérielle est notamment construite par l’utilisation du portable. Ce

moyen de communication se révèle être un véritable outil stratégique pour les jeunes

femmes. Afin de combler l’attente sur un quai de métro, Inès met à l’œuvre cette stratégie

dans le but de détourner l’attention des potentiels gêneurs : « j’appelle quelqu’un, je fais

semblant de parler au téléphone, j’envoie un texto, je fais semblant d’être occupée, pour pas

montrer que je suis… Disponible »20. Autant de stratagèmes tournés autour de ce seul

moyen de communication qui permet d’être en présence de quelqu’un d’autre, de façon

immatérielle.

Montrer son indisponibilité est donc considéré pour les jeunes femmes comme un

moyen efficace de décourager un inconnu qui pourrait être tenté de les aborder. En effet, un

individu sera sûrement moins tenté d’aller vers une personne en train de téléphoner, et donc

moins susceptible d’être à son écoute, que vers une personne qui patiente sur un banc, et

qui ne possède ni portable, ni mp3 (je reviendrai plus tard sur la place cruciale du mp3 dans

les pratiques féminines).

18

Cf. Annexe n°3, entretien p. 35 19

Cf. Annexe n°3, entretien p.68 20

Cf. Annexe n°3, entretien p.54

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14

Quand la foule est une masse rassurante, ou la fuite des rues désertes

Mais la stratégie la plus répandue chez les jeunes femmes reste celle de la recherche

des autres dans l’espace public pour éviter la prétendue dangereuse position de solitude. En

effet, les multiples rappels à l’ordre ont nourri la vision d’une ville dangereuse dans laquelle

la menace de l’agression est permanente, sorte de ville fantasmée où l’ombre de la violence

rôde. Face à cette menace rampante, l’idée de la vulnérabilité de la jeune femme est accrue,

et dans ce sentiment d’oppression, elle cherche la foule afin de se sentir moins seule, et

donc potentiellement moins en danger. Nesrine résume assez bien le choix de cette

stratégie : « Je me fonds dans la masse, je vais où y a beaucoup de gens, je reste jamais

seule et isolée ».21

Les jeunes femmes justifient très souvent ce choix en l’opposant au danger d’être

seule dans la rue, dépeignant par la même occasion le portrait de l’agresseur potentiel,

portrait digne d’un thriller, et qui en dit long sur l’intégration des représentations des médias.

Ainsi, pour Fanny, préférer les rues plus fréquentées, c’est éviter « de se retrouver toute

seule face à un malade »22. Pour Nesrine, « si y a personne, si y a quelqu’un qui veut

t’agresser, y a une impunité certaine, y a personne qui va assister »23. Dans l’esprit des

jeunes femmes règne alors l’idée que seule, et sans défense face à leur agresseur, la

femme doit forcément s’attendre au pire, de par une liberté de l’individu qui ne serait surveillé

par personne. Encore une fois, les représentations des jeunes femmes semblent très

empreintes des « scénarios du pire » souvent présents dans les différents récits des proches

et des médias, scénarios qui les incitent fortement à ne pas emprunter des rues désertes, où

le danger est « forcément » plus grand. Plus que de contraindre leur itinéraire, ce genre de

discours annihilent toutes capacités qu’aurait la jeune femme à se défendre, les confortant

ainsi dans cette position de vulnérabilité.

Les jeunes femmes valorisent donc généralement le choix des rues fréquentées, des

« grandes artères, fréquentées, avec du monde »24, selon les mots de Fanny. La foule

remplit alors la fonction de l’accompagnant. Pour la jeune femme, la fréquentation des

espaces qu’elles empruntent est donc primordiale, puisqu’elle lui permet une certaine

visibilité qui rend, selon elle, toute tentative d’agression dissuasive. Dans ma question sur les

deux itinéraires25, la réponse des jeunes femmes était donc le plus souvent « l’itinéraire le

plus fréquenté ». La réponse de Claire concorde avec la tendance générale : « la sensation

en fait d’insécurité, je la ressens par le vide. […] Mon premier choix c’est la fréquentation en

21

Cf. Annexe n°3, entretien p.36 22

Cf. Annexe n°3, entretien p.41 23

Cf. Annexe n°3, entretien p.36 24

Cf. Annexe n°3, entretien p.41 25

Cf. Annexe n°1, p.2

Page 15: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

15

fait. Et puis, c’est con, mais la visibilité »26. Pour Inès aussi, la présence de cette foule

d’individus va constituer un anneau de sûreté : « quand y a plus de monde, c’est plus

sécurisant »27.

Une autre croyance agite les jeunes femmes : c’est l’idée que si elles sont visibles, et

qu’elles sont prises à partie sur la voie publique, les personnes extérieures viendront

naturellement à leur secours. Pauline, 21ans, formule cette remarque : « je me dis toujours

que si jamais y a quelqu’un qui vient m’emmerder, enfin y aura forcément quelqu’un qui

viendra m’aider »28. On peut observer, dans la permanence de cette conviction, le maintien

de ce que Goffman qualifiera de « galanterie »29. Dans les interactions traditionnelles

observées par l’auteur, la femme, qui est considérée par l’homme comme un être fragile,

sera naturellement secourue par lui en cas de problème ou de danger. Mais comme le

souligne l’auteur, l’évolution des mœurs entraîne une diminution de la pratique de la

galanterie. Les jeunes femmes attendent donc de cette foule anonyme un potentiel secours

qui n’a plus rien de garanti (je traiterai un peu plus loin de l’indifférence fréquente de la

foule).

3) Appréhension des sorties en solitaire et des mauvaises rencontres

Une appréhension qui s’explique avant tout par l’attitude offensive des hommes

A travers les entretiens, un sujet est cité de manière transversale : il s’agit de la

sollicitation, forte et constante, des inconnus auprès des jeunes femmes. Au cours de leurs

sorties, elles sont en effet rarement oubliées par ces individus, en majorité des hommes, qui

vont les déranger dans leur soirée, leur trajet ou leur déplacement, seul ou à plusieurs, pour

tenter une première approche, souvent peu subtile. Marion décrit cette approche, avec « des

petits groupes où ils viennent t’accoster […] « Ha vous êtes très jolie » »30. Les manières

d’être abordées sont très variées (du compliment à l’insulte, en passant par les regards

pesants ou la conversation forcée), l’interaction peut être longue ou courte, mais elles sont

surtout très fréquentes. Pauline, 20ans, dit se faire aborder « au moins ouais, 2/3 fois par

semaine »31, alors qu’Inès est accostée « entre 5 et 10 fois par semaine »32. Cette situation

peut aller jusqu’à devenir quotidienne, comme c’est le cas pour Fanny, qui est abordée « au

26

Cf. Annexe n°3, entretien p.18 27

Cf. Annexe n°3, entretien p.54 28

Cf. Annexe n°3, entretien p.8 29

Goffman E., 1977 et 2002, L’Arrangement des sexes, Paris, La Dispute 30

Cf. Annexe n°3, entretien p.52 31

Cf. Annexe n°3, entretien p.68 32

Cf. Annexe n°3, entretien p.54

Page 16: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

16

moins deux/trois fois par jour »33. Les jeunes femmes ne sont donc jamais tranquilles dans

leurs sorties, et ne peuvent se considérer comme telles, quand elles sont sans cesse

sollicitées par l’intervention intempestive de certains hommes.

En effet, si elles sont sollicitées fréquemment, il s’agit rarement pour elles de

répondre à une information simple comme donner l’heure ou orienter un passant. Le plus

souvent, les hommes qui se permettent cette démarche sont dans la drague « lourde » voire

même l’invitation sexuelle. Claire s’agace d’être abordée de la sorte : « t’as pas vraiment

envie de sortir dans la rue pour que les gens te remarquent, enfin t’es pas un être sexué à

chaque fois que tu fais quoique ce soit ! »34. Dans ces interactions, les jeunes femmes sont

avant tout abordées en raison de leur appartenance sexuelle. Elles sont systématiquement

considérées comme des objets sexués de désir, et non comme des individus à part entière.

Stéphanie Condon étudie aussi, au sein de son article, ce « sexisme ordinaire » présent

dans les espaces publics, en précisant qu’il présuppose « la disponibilité sexuelle des

femmes… non accompagnées »35. Ainsi, la femme seule est, aux yeux des hommes, un être

plus abordable qui sera facilement ouverte à toutes propositions.

Cette manière de considérer les femmes est souvent reprise par les jeunes femmes

entretenues à travers une même image, celle du « bout de viande ». Utilisée à maintes

reprises dans les entretiens, cette expression illustre très bien comment les jeunes filles se

ressentent sous les regards parfois libidineux de certains hommes. Pauline, 20ans, utilise

l’expression avec humour : « t’es une espèce de … D’énorme bout de viande, entouré de

gens qui n’ont pas mangé depuis 3 jours ! »36. L’utilisation constante de ce terme appuie

avec force l’idée d’une femme objectifiée dans l’espace public, et dont l’atteinte de l’intimité

ne constitue pas un obstacle afin de répondre à ses propres besoins et désirs.

Si les jeunes femmes affirment que la façon dont on les aborde n’a souvent « rien de

méchant », elles s’accordent par contre toutes à dire qu’elles ne considèrent pas la

démarche comme normale. Ingrid, par ces propos, résume bien le sentiment général : « c’est

agressif parce que les mecs ils rentrent dans ta bulle »37. En effet, l’anormalité de la

démarche est avant tout liée au fait que des inconnus s’adressent à elles de manière

frontale. Marylène Lieber explicite les raisons de ce sentiment d’anormalité.38 Elle rappelle

qu’il existe 3 distances propres aux interactions : la « distance intime », qui concerne

l’espace direct autour d’une personne, la « distance publique », qui a lieu dans les relations

33

Cf. Annexe n°3, entretien p.41 34

Cf. Annexe n°3, entretien p.18 35

Condon Stéphanie et al. , « Insécurité dans les espaces publics : comprendre les peurs féminines », Revue française de sociologie, 2005/2 Vol. 46, p. 265-294. 36

Cf. Annexe n°3, entretien p.68 37

Cf. Annexe n°3, entretien p.37 38

Marylène Lieber in Chetcutti N., Jaspard M. (dir.), 2007, Violences envers les femmes, Trois pas en

avant deux pas en arrière, Bibliothèque du féminisme, L’Harmattan

Page 17: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

17

avec les personnes inconnues, et enfin la « distance sociale », sorte de demi-mesure dans

laquelle Marylène Lieber inclut « les personnes à l’aise pour les relations sociales routinières

[…] dans un cadre précis », à l’image du serveur. Les inconnus qui abordent les jeunes

femmes transgressent ainsi les distances instaurées, pour parvenir directement à une

« distance intime » réservée uniquement aux proches. Pour Marylène Lieber, cette intrusion

constitue une véritable « tentative d’appropriation de leur personne », forme de violence

symbolique qui peut en préfigurer d’autres, plus concrètes.

Face à ces intrusions, les jeunes femmes ont alors une crainte principale : celle d’un

dérapage dans l’interaction. Pour anticiper ce risque, les jeunes femmes se voient donc

contraintes dans leurs interactions, face à des hommes qui, en plus d’être offensifs dans leur

démarche, peuvent s’avérer violents si la forme de l’échange ne leur convient pas. Elles se

sentent donc contraintes de jouer de politesse afin de ne pas subir de remontrances, idée

que formule Inès : « je me dis que si je réponds pas du tout, ils le prendront très mal, et y en

a qui peuvent devenir agressif »39. Mais la plupart des jeunes femmes n’adoptent cette

attitude qu’après avoir jaugé le taux de risque. Ainsi, si elles ne considèrent pas la personne

comme potentiellement dangereuse, elles auront plutôt tendance à ignorer son intrusion et à

s’éloigner, ce que Constance avoue faire la plupart du temps : « j’ai mon casque sur les

oreilles, dans quel cas je trace, je marche hyper vite, je m’en vais quoi »40.

Une sollicitation permanente qui rend l’acte presque banal, mais dans Paris seulement ?

Si la démarche est perçue comme anormale par la plupart des jeunes femmes, elle

leur parait également banale, puisque quasiment quotidienne. Se faire aborder dans Paris

semble presque faire partie du décor. Un homme vous parle, vous feignez l’indifférence et

continuez votre chemin. Un schéma classique qui ne cesse de se reproduire chez ces

jeunes femmes, même si pour certaines, la banalité de ce genre d’interaction se limite à

l’espace de Paris. Marine affirme qu’ailleurs, ce genre de contact lui semblerait bien plus

suspect: « les gars qui viennent essayer de te parler, ou qui chuchotent des trucs ou des

choses comme ça, ça c’est plutôt banal en fait à Paris […] En dehors de Paris ce serait…

Ouais, ça serait plus bizarre »41.

Cette affirmation peut s’expliquer par la position même de Paris comme grande ville.

L’importance d’une foule quotidienne, et de la promiscuité, générée par les transports en

commun en particulier, augmente le risque de ce genre d’interactions, par la présence d’un

39

Cf. Annexe n°3, entretien p.54 40

Cf. Annexe n°3, entretien p.6 41

Cf. Annexe n°3, entretien p.32

Page 18: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

18

plus grand nombre d’hommes capables de potentiellement aborder frontalement une jeune

femme, de manière malintentionnée ou non.

Face aux mauvaises rencontres, l’indifférence des autres : quand la foule rassurante

devient inutile

Un dernier facteur peut renforcer les craintes des jeunes femmes face aux mauvaises

rencontres. Il concerne la foule, tout à l’heure rassurante et recherchée par celles-ci pour son

caractère dissuasif. Mais cette caractéristique se révèle souvent être une pure chimère

quand les enquêtées sont malgré tout prises à parti dans des endroits fréquentés. Loin d’une

solidarité entre passants, la foule est marquée par une grande indifférence à l’égard des

problèmes qui peuvent exister sur l’espace parcouru. Rares sont les personnes à intervenir,

au risque d’être prises à parti à leur tour. Les jeunes femmes prennent alors conscience que

l’aspect sécurisant de la foule est illusoire, et dans leur expérience ressente une double

solitude : solitude vis-à-vis de l’agresseur, et solitude vis-à-vis de la foule impassible. Ingrid,

alors qu’elle et son amie se font toucher le postérieur par un homme âgé de plus de 40ans à

un arrêt de bus, expérimente l’indifférence des passants. Elle se sent encore profondément

révoltée par cette impassibilité : « on avait heu, je sais pas, 17ans, et les gens ils ont rien

foutu ! […] Ils s’en foutent quoi, et ça ça me fait vachement peur à Paris, c’est justement les

gens autour »42.

L’indifférence des autres peut donc aussi être source de frayeur, renforçant ainsi un

peu plus le sentiment de vulnérabilité dans un espace public qu’on parcourt seule, même en

présence des autres.

L’ensemble des éléments auxquels sont confrontées les jeunes femmes au cours de

leurs sorties nocturnes (sollicitations non souhaitées, indifférence des autres) vont être

autant d’éléments de justification à ce sentiment de vulnérabilité, et aux craintes qu’elles

éprouvent. Mais ils vont aussi être la justification d’une pratique de la ville dictée par le

principe de précaution. Celui-ci va alors être à l’origine d’une foule de stratégies confortant

les jeunes femmes, persuadées de prendre moins de risques en les utilisant. Ces stratégies

sont alors des sortes d’« arrangements » entre l’idée que l’espace public leur est hostile à

certaines heures et leurs sorties effectives »43.

42

Cf. Annexe n°3, entretien p.37 43

Lieber Marylène, « Quand des faits « anodins » se font menaces : A propos du harcèlement

ordinaire dans les espaces publics » in Chetcutti N., Jaspard M. (dir.), 2007, Violences envers les

femmes, Trois pas en avant deux pas en arrière, Bibliothèque du féminisme, L’Harmattan

Page 19: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

19

II – Contrôle de l’espace : des tactiques pour accéder à

l’espace public

Dans cette deuxième partie, je vais donc étudier plus particulièrement les tactiques

que les femmes mettent en place pour pouvoir sortir et ainsi affirmer leur liberté de

mouvements en ville, jouant ainsi avec les normes qui leur concèdent une certaine

vulnérabilité, élément qui, comme on l’a vu, a été inconsciemment intégrée par ces femmes.

1) « Faire attention » : une position « naturelle »

« Se méfier », « faire gaffe » : une réponse qui semble naturelle pour une attitude

construite

Presque toutes les femmes avec qui j’ai pu avoir des entretiens ont répété cette

même expression, comme une litanie : « Je fais attention », « Je fais gaffe ». « On essaie de

faire gaffe »44 affirme Ingrid, comme s’il s’agissait d’une sorte d’attention naturelle, toute

simple.

Pourtant, l’expression « faire gaffe » renvoie, selon Marylène Lieber, à un « long

travail de préparation présenté comme naturel »45. Cette attitude méfiante et prudente dans

l’espace public n’a donc rien de naturel. Elle est le résultat d’une construction mentale

complexe impliquant la fabrication de nombreuses tactiques d’évitement. Cette « véritable

vigilance mentale »46 n’est donc pas une aptitude présente chez la femme de manière innée.

Elle est plutôt le résultat des multiples rappels à l’ordre, et plus largement de l’intégration des

normes sexuées par la jeune femme. Mais cet état semble si bien intégré aux manières de

sortir des jeunes femmes qu’il devient presque un automatisme, une pratique inconsciente.

Ce caractère automatique est bien relevé par Inès : « ça passe par pleins de petits trucs qui,

quand t’es une fille et quand tu sors en ville, même inconsciemment… »47. Inès reconnait

donc à la fois l’existence, au sein de cette attitude, d’une multitude de petites stratégies qui

vont engendrer cette stratégie globale, mais aussi du fonctionnement souvent inconscient de

cette stratégie.

44

Cf. Annexe n°3, entretien p. 37 45

Marylène Lieber in Chetcutti N., Jaspard M. (dir.), 2007, Violences envers les femmes, Trois pas en

avant deux pas en arrière, Bibliothèque du féminisme, L’Harmattan 46

Condon Stéphanie et al. , « Insécurité dans les espaces publics : comprendre les peurs féminines », Revue française de sociologie, 2005/2 Vol. 46, p. 265-294 47

Cf. Annexe n°3, entretien p.54

Page 20: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

20

Les jeunes femmes justifient toutes cette position prudente comme un moyen de

réduire les risques existants au dehors. Pour Nesrine, faire gaffe, « c’est réduire le risque »48.

Inès confirme que « c’est un peu un mécanisme de sécurité »49. Dans cet état de vigilance

permanente, les jeunes femmes sont alors à l’affût du moindre danger, et n’hésite pas à le

contourner, à l’éviter le plus possible, comme l’affirme Marine : « Je m’interdis pas, mais si je

peux éviter, j’évite »50. C’est par le biais de ces stratégies d’évitement que « la crainte de

sortir […] se manifeste […] notamment pour tromper sa peur »51.

Face à toutes ces femmes qui avouent « faire gaffe », une seule se tient en

contradiction avec ce discours, par une vision déconstruite du « risque » et un regard

distancé vis-à-vis des peurs véhiculées. Il s’agit de Violette, qui se refuse à intégrer l’idée

d’un danger extérieur, contrairement aux autres femmes : « j’ai pas envie d’intérioriser l’idée

[…] … D’intérioriser soi-même l’idée qu’on est inférieure et possiblement attaquée,

possiblement une victime de quelque chose »52. Elle refuse ainsi ce qu’elle qualifie

d’ « anticipation paranoïaque », critiquant au passage la position des autres femmes. Mais

sa position constitue néanmoins une exception, quand le reste des jeunes femmes conserve

une vision intégrant l’existence de ces risques en ville.

La contradiction obligatoire des jeunes femmes, entre apparente sérénité et attitude

méfiante dissimulée

A travers les entretiens se profile la permanence d’un double discours, entre liberté et

autocontrôle. La jeune femme énonce toujours à la fois sa liberté à pouvoir sortir où elle

veut, et se refuse à être limitée dans ses sorties. Cette affirmation de leur liberté se fait

toujours en prenant le cas extrême d’une femme qui resterait cloîtrée chez elle, comme le

fait Isaline : « Je resterai pas cloitrée en me disant « holala c’est dangereux, je vais me faire

agresser à tous les coins de rues ». »53. Au contraire de l’image négative d’une femme qui,

envahie par ses propres peurs, n’oserait plus sortir, les jeunes femmes se posent donc

comme des femmes actives et libres de leurs déplacements.

Mais dans le même temps, les femmes entretenues précisent que pour que cette

liberté puisse prendre sa pleine mesure, elle doit être accompagnée par cette attitude de

méfiance, qui joue le rôle de garde-fou pour éviter les risques. Pourtant, cette attitude

semble entraîner une pratique contrainte de la ville, en créant au sein de celle-ci des zones

d’évitement puisque considérées comme zones à risque. Cette attitude semble alors

48

Cf. Annexe n°3, entretien p.36 49

Cf. Annexe n°3, entretien p.54 50

Cf. Annexe n°3, entretien p.32 51

Condon Stéphanie et al. , « Insécurité dans les espaces publics : comprendre les peurs féminines », Revue française de sociologie, 2005/2 Vol. 46, p. 265-294. 52

Cf. Annexe n°3, entretien p.53 53

Cf. Annexe n°3, entretien p.83

Page 21: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

21

opposée à l’affirmation première d’une liberté sans contrainte. Et dans le discours des jeunes

femmes, la première idée contrebalance immédiatement l’autre, comme si elles intégraient

cette attitude contrainte au sein de leur liberté d’agir. La contradiction ne pose par exemple

pas de problème à Fanny quand, après m’avoir affirmé qu’elle sortait sans problème dans

Paris, elle poursuit en ces termes : « je suis pas une angoissée née tu vois. C’est-à-dire que

je, je prends des précautions, je me trimballe pas en jupe avec un décolleté, je, j’évite

d’utiliser des endroits où je sais que c’est réputé pour craindre un peu »54. Cette citation est

bien la preuve d’un véritable mécanisme de langage (affirmation de sa liberté par la

comparaison négative avec l’archétype de la femme angoissée, puis propos nuancé par

l’aveu d’un mécanisme d’autocontrainte), mais aussi que Fanny s’impose des limites dans sa

façon de pratiquer la ville. La prétendue liberté de ces jeunes femmes est en fait une liberté

toute négociée entre elle-même, le danger extérieur qu’elles jaugent, et la norme.

2) Se positionner dans l’espace : l’impression de la maîtrise de son

environnement, remède aux craintes nocturnes ?

En « faisant gaffe », les femmes entretenues dévoilent une multitude de stratégies

pour apprivoiser l’espace public et leurs propres craintes. Je n’étudierai ici que les

principales et les plus répandues, afin d’éviter un effet « liste » laborieux.

Dans la rue : des déplacements en fonction des autres

Pour parcourir la ville comme pour rentrer chez soi, les jeunes femmes avouent

adopter une attitude particulière quand elles se déplacent dans la rue. Les stratégies mises

en œuvre dans ces moments ont un but en commun : ne pas attirer les regards, et ne pas

être dérangée pendant son parcours par un inconnu. Elles tentent d’être les moins

remarquables possibles, tout en signalant aux personnes extérieures qu’elles sont fermées à

toute interaction.

Les jeunes femmes ne stagnent pas dans la rue quand elles sont seules le soir. Elles

sont le plus souvent en mouvement, et ce mouvement est marqué par sa rapidité. Comme si

ces déplacements devaient être les plus brefs possibles, pour ne pas être trop exposées,

toutes affirment marcher vite, et peut-être encore plus vite quand elles rentrent, tard le soir.

Adeline confirme qu’elle accélère le pas une fois la nuit tombée : « J’ai toujours marché très

très vite, et fait de grandes enjambées. Alors peut-être que quand je rentre le soir, je marche

un tout petit chouïa plus vite »55. L’intérêt, en utilisant la vitesse dans ses déplacements, est

de paraître insaisissable et inabordable pour les autres, puisque trop rapide pour être arrêtée

54

Cf. Annexe n°3, entretien p.41 55

Cf. Annexe n°3, entretien p.33

Page 22: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

22

dans sa course, et en même temps bien déterminée dans son parcours vers une destination

précise. Au contraire, une femme marchant lentement et hésitant dans son trajet aura plus

de chances d’être abordée par quelqu’un ayant ainsi plus le temps d’attirer son attention,

sans qu’elle soit déjà loin.

Une autre stratégie partagée par toutes se réfère à la maîtrise du regard. Si, quand

elles disent « faire gaffe », elles répètent qu’elles observent sans cesse tout ce qui se passe

autour d’elles et qu’elles ouvrent « bien grand les yeux », ici le discours change

radicalement. Elles appliquent au contraire la méthode inverse, en baissant la tête et en

évitant de poser le regard sur ce qui les entoure. En effet, le regard peut constituer un signal

d’ouverture et de disponibilité, et regarder sans réelle attention un autre passant qui

remarquerait ce regard pourrait être interprété par lui comme une invitation. Face à cette

possibilité, les jeunes femmes s’efforcent de maîtriser leur regard afin de ne pas attirer

l’attention. Mais cette tactique peut presque devenir un automatisme inconscient, comme

dans le cas de Pauline, 20ans, qui a découvert, un soir, qu’elle appliquait cette stratégie

sans même en avoir conscience : « La nuit je marche comme ça, dès que je croise

quelqu’un, et je m’en suis rendue compte en plus y a vraiment pas longtemps, quand je

croise quelqu’un je baisse la tête. […] C’est un réflexe, je me contrôle pas en plus ! »56.

Baisser la tête pour éviter le regard de l’autre, et une potentielle sollicitation de sa part, fait

donc parti des stratégies permettant d’être la moins remarquable possible.

Une autre tactique permet de montrer, de manière concrète, son indisponibilité.

L’utilisation d’un lecteur de musique type mp3 est souvent citée par les jeunes femmes

comme un moyen de se renfermer et de se détourner du monde extérieur. Pauline, 21ans,

utilise beaucoup cette technique qu’elle considère comme rassurante et protectrice : « j’ai

toujours mon ipod vissé sur les oreilles […] comme ça j’ai l’impression que ça me ferme au

monde extérieur et que ça me protège »57. Elle renvoie ainsi aux autres un signal

d’indisponibilité fort, étant dans l’impossibilité même d’entendre les personnes qui pourraient

tenter de s’adresser à elle. Mais il peut aussi avoir une utilisation plus destinée à appliquer

une surveillance auditive à son environnement, en faisant office de camouflage. Sarah utilise

souvent cette technique afin de tromper son possible agresseur, si agresseur il y a : « ma

technique c’est, quand je rentre toute seule, je mets les écouteurs pour faire croire qu’il y a

de la musique, mais y a pas de musique tu vois. […] En fait c’est pour éviter aussi

l’agression par derrière tu vois. Pour entendre ce qu’il se passe autour de moi »58.

L’utilisation du mp3 peut donc avoir un objectif double, à la fois comme élément rassurant, et

en même temps constituer un outil masquant une surveillance accrue à son environnement.

56

Cf. Annexe n°3, entretien p.68 57

Cf. Annexe n°3, entretien p.8 58

Cf. Annexe n°3, entretien p.35

Page 23: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

23

Il peut ainsi aider à la réalisation de la dernière technique mentionnée, et qui se

traduit plus par une action directe dans l’espace. Dans un contexte nocturne où la jeune

femme serait amenée à rentrer seule, l’idée d’avoir une présence derrière elle peut alors lui

donner l’impression d’être suivi, danger potentiel facteur de « forte pression

psychologique »59. Afin de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une filature, et plus largement de

maîtriser son environnement, la jeune femme va alors soit ralentir sa marche, soit se

positionner sur le côté, le but étant de laisser passer la personne derrière elle. Laetitia, dont

la pratique de la ville est très marquée par la volonté de maîtriser son environnement, utilise

souvent cette technique : « Quand quelqu’un marche derrière moi de trop près, je préfère me

mettre sur le côté et le laisser passer pour que lui soit devant moi et comme ça je sais ce

qu’il fait »60. Par l’utilisation d’une telle technique, les doutes sur les intentions de la personne

sont éludés, et la maîtrise de la jeune femme sur l’espace environnant est maintenue.

Néanmoins, cette technique dénote un certain niveau de craintes que toutes les jeunes

femmes ne possèdent pas.

Dans les transports : attitude particulière et théorie du « bon wagon »

Le cadre différent des transports en commun peut entraîner une attitude différente

par rapport à la rue, notamment du fait de la forte promiscuité. Mais certaines techniques

demeurent tout de même : le regard se doit d’être tout aussi maîtrisé dans les transports que

dans la rue. Souvent, les jeunes femmes, comme Constance, se contentent de regarder leur

pieds pour éviter tout contact visuel : « je regarde mes pieds à la limite, je fais pas trop de

contacts visuels »61. Cette technique est utilisée de manière d’autant plus importante qu’elle

constitue un des codes des transports en commun : dans une situation où la proximité des

corps est importante, la manière de préserver un semblant d’espace vital se fait par

l’évitement des regards, qui permet ainsi de ne pas rappeler cette proximité et ainsi de ne

pas gêner son entourage62. Cette technique n’a là rien de spécifique aux femmes,

puisqu’utilisée par tous, mais elle est peut-être plus indispensable encore pour les femmes

que pour les hommes, afin de ne pas attiser l’intérêt des personnes présentes autour d’elles.

L’utilisation du mp3 est aussi de rigueur dans cet espace, toujours afin de pouvoir

s’isoler des autres, créer une bulle de protection rendant plus difficile toute approche. De

même, la vitesse dans ses déplacements, pour un changement par exemple, est une

pratique largement partagée dans les transports en commun comme le métro, aussi bien par

59

Maillochon Florence et l’équipe Enveff, 2004, « Violences dans l’espace public » in Denèfle Sylvette

(dir.), Femmes et villes, Tours, Presses Universitaires François-Rabelais 60

Cf. Annexe n°3, entretien p.39 61

Cf. Annexe n°3, entretien p.6 62 Ferreira José, 1996, Métro, Le combat pour l’espace : L’influence de l’aménagement spatial sur les

relations entre les gens, Paris, L’Harmattan

Page 24: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

24

les hommes que par les femmes. Cette sorte de règle implicite et imposée est bien rappelée

par Isaline : « dans les métros tout du moins […] faut aller vite, faut se déplacer vite d’un

point à un autre. Donc […] même si on est pas pressé, on va prendre cette attitude »63. Il

s’agit donc plus ici d’un réflexe de célérité que d’une technique de sécurité.

Mais d’autres choix stratégiques sont plus spécifiques aux transports en commun.

Nombreuses sont les jeunes femmes à éviter les stations de métro qui possèdent un grand

nombre de changements et donc un nombre important de couloirs, comme Châtelet ou

Nation. Deux explications sont données à un tel contournement : d’une part, ces « grosses

stations », où le changement est plus long qu’ailleurs, sont souvent considérées comme peu

agréables. Très fréquentées et peuplées, il est plus difficile de se frayer rapidement un

chemin d’une ligne à une autre. Isaline confirme cet aspect désagréable : « Je vais éviter

aussi d’aller dans les grosses stations du type Châtelet, Montparnasse. C’est la galère »64.

Mais ces stations peuvent aussi constituées des lieux de craintes pour d’autres femmes. La

combinaison d’une foule disparate et de nombreux couloirs parfois longs va favoriser le

développement, chez certaines femmes, d’une image négative de ces stations, en les

considérant comme des lieux peu sûrs. Si Claire affirme ainsi ne pas avoir fait de

changements à Châtelet la nuit depuis près d’un an et demi, c’est avant tout parce qu’elle

considère ce lieu comme un endroit où les chances de faire une mauvaise rencontre sont

accrues.

Les jeunes femmes vont alors établir une sélection des stations qu’elles vont

fréquenter, et pour certaines même une sélection des lignes et des moyens de transport

qu’elles vont emprunter ou non. Dans un contexte nocturne, certaines femmes vont éviter

d’utiliser certaines lignes de métro qu’elles vont considérer comme dangereuses dans leur

ensemble. C’est le cas de Nesrine, qui, passée une certaine heure, pratique une sélection

dans les lignes de métro qu’elle emprunte : « je sélectionne aussi les lignes le soir, je

prends pas n’importe quelle ligne »65. Elle dit alors éviter la ligne 4, qu’elle considère comme

globalement « malfamée » et fréquentée par beaucoup de gens « ivres » (personnes qui

peuvent alors constituer une source de danger, dans le sens où elles ne maîtrisent plus leurs

faits et gestes). Elle lui préfèrera au contraire la 14, qu’elle considère comme « propre »

dans le sens où toutes les personnes ne sont pas « ivres ». Cette sélection semble tout de

même se baser en partie sur les on-dit, qui entraînent une vision déformée de la réalité de

ces lignes, mais aussi sur des stéréotypes et caricatures qui peuvent entraîner une véritable

ségrégation spatiale. On va ainsi éviter la 4, qui traverse au Nord le quartier populaire de la

Goutte d’Or (majoritairement considéré par les femmes entretenues comme un endroit

63

Cf. Annexe n°3, entretien p.83 64

Cf. Annexe n°3, entretien p.83 65

Cf. Annexe n°3, entretien p. 36

Page 25: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

25

« dangereux, à éviter »), et préférer la 14, plus récente, et traversant surtout les points

importants et animés de Paris (Saint-Lazare, Châtelet, Gare de Lyon).

Plus largement, certains moyens de transport nocturnes, et en particulier le noctilien,

sont considérés pour beaucoup comme très peu sûrs et à éviter de préférence. Au fil des

entretiens, beaucoup s’accordent à décrire le noctilien comme un moyen de transport

dangereux, en particulier quand celui-ci s’enfonce ensuite dans la banlieue parisienne. Inès,

qui habite à Saint-Denis, et qui considère pourtant que payer le taxi jusque chez elle est

onéreux, refuse d’emprunter le noctilien : « Donc le noctilien toute seule à Saint-Denis,

enfin… Non »66. Mais pour toutes, ce n’est pas le moyen de transport en lui-même qui est

incriminé, mais les personnes présentes à l’intérieur, qui rendent le noctilien peu rassurant. Il

suffit à Nesrine, qui n’a pourtant jamais pris le noctilien, d’avoir vu les personnes attendant

aux arrêts pour être catégorique sur le sujet : « mais je le prendrai jamais ça. C’est malfamé,

très mal fréquenté »67. D’autres, qui l’ont expérimenté, précisent leur critique, en visant avant

tout les personnes qui l’utilisent, comme le fait Ingrid : « J’aime pas les noctiliens, je trouve

que c’est une concentration de tous les gens bourrés de la soirée »68. La réputation du

noctilien se construit donc entre expériences et a priori, souvent nourris par les expériences

des autres, ou encore les discours que l’on peut avoir à son sujet. Il constitue un transport à

travers lequel les jeunes femmes concentrent bien l’ensemble de leurs craintes,

principalement fondées en la présence de groupes de jeunes ivres qui peuvent

potentiellement les aborder, et ainsi constituer une forme majeure de danger.

Enfin, un autre thème est abordé à plusieurs reprises, et donne une explication

intéressante des choix des femmes : il s’agit de la théorie du « bon wagon », termes de

Laetitia. Elle définit par la même occasion ce qu’elle considère comme un « bon wagon » :

« Le bon wagon, c’est celui où y a des femmes, des hommes mélangés. Pas que des

hommes. Heu, où y a pas de personnes qui traînent »69. Le « bon wagon » est donc

nécessairement un lieu de mixité sexuelle, et un endroit dépourvu « d’indésirables » pouvant

les déranger dans leur trajet. Adeline pratique aussi cette sélection, de par une observation

furtive censée repérer immédiatement les « anomalies » pouvant être présentes. Cet

exercice d’observation nécessite donc une concentration importante, ainsi qu’une certaine

expérience pour réussir à déceler directement les rames à éviter. Adeline agit ainsi de la

sorte : « si je vois le métro qui arrive et qu’y a une rame où y a un mec qui titube, bah je vais

prendre la voiture d’à côté »70. Encore une fois, l’image de l’homme ivre semble constituer un

facteur déterminant dans le choix de l’évitement.

66

Cf. Annexe n°3, entretien p.54 67

Cf. Annexe n°3, entretien p.36 68

Cf. Annexe n°3, entretien p.37 69

Cf. Annexe n°3, entretien p.39 70

Cf. Annexe n°3, entretien p.33

Page 26: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

26

L’attente, une non-action qui engendre une position particulière dans l’espace

Dans les deux cas précédents, les jeunes femmes sont inscrites dans une situation

de mouvement, mouvement de leur propre corps ou mouvement du moyen de transport

choisi. Mais les femmes peuvent aussi être confrontées à des situations d’attente (pour

attendre une amie par exemple) qui vont engendrer une position et une attitude particulière

dans l’espace.

Les jeunes femmes peuvent alors reprendre les tactiques mises en place afin de se

montrer indisponibles (comme vu dans la première partie), la situation d’attente engendrant

une vulnérabilité plus grande en raison de leur position statique. Cette position peut alors

être considérée comme un signal d’ouverture pour les personnes extérieures, qui se

dirigeront plus facilement vers elle. Ainsi, pour Inès, « l’attente, ça peut parfois être

angoissant »71, car la femme se retrouve fragilisée durant cette courte période.

Mais l’attente peut aussi être ressentie de différentes manières selon les endroits.

Laetitia, qui a attendu une fois ses amies sur la place de la Roquette, à Bastille, a bien

ressenti cette différence : « attendre toute seule à Bastille, c’est pas comme attendre toute

seule à Saint Michel et à la fontaine où tout le monde se donne rdv là-bas. C’est pas la

même ambiance »72. Elle a en effet mal vécu cette longue attente, de par la présence de

nombreuses « personnes qui traînent » selon elle, présence vue de manière négative car

constituant autant de personnes pouvant potentiellement l’aborder. Mise à mal dans sa

recherche permanente de la maîtrise de son environnement, Laetitia va donc suivre une

attitude de repli défensif, en se positionnant dos contre le kiosque présent sur la place. Cette

position possède un double avantage : elle empêche d’être abordée par derrière, et permet

en même temps de voir tout ce qui se passe autour d’elle.

L’exemple de Laetitia illustre bien les tactiques mises en place par les femmes en cas

d’attente. En plus des stratégies existantes pour marquer son indisponibilité, les tactiques

utilisées ici seront plutôt des stratégies de positionnement dans l’espace, afin de s’assurer le

meilleur contrôle possible.

71

Cf. Annexe n°3, entretien p.54 72

Cf. Annexe n°3, entretien p.39

Page 27: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

27

3) Quand « se méfier » ne suffit plus : la question de la violence et de ses

séquelles

La violence, un acte pas seulement physique

Si toutes ces précautions prises sont faites pour diminuer les craintes des jeunes

femmes à l’idée de sortir le soir, elles ne protègent pas véritablement contre les violences

qu’elles peuvent subir. Les actes de violence sont d’ailleurs loin d’être seulement des actes

physiques. L’enquête Enveff, dirigée par Maryse Jaspard73, a bien souligné la diversité des

violences de genre auxquelles les femmes sont confrontées. D’après les résultats de

l’enquête, près « 1/5ème des femmes a subi au moins une forme de violence dans les

espaces publics au cours des douze derniers mois »74. Si l’enquête a retenu dans ces

critères les insultes, qui constituent les violences les plus fréquentes, elle a laissé de côté les

sifflements ou encore certaines formes de drague « lourde », qui ont pourtant un impact

important sur les pratiques des femmes, comme on le perçoit au fil des entretiens. Ces

interactions doivent aussi être considérées comme des violences, puisqu’elles contribuent

aussi à renforcer les craintes des femmes.

Mais la violence que craignent beaucoup de femmes reste tout de même l’agression

physique, voire sexuelle, ce genre de violence restant la forme la plus rare. Le hasard dans

la sélection des personnes entretenues a fait que plusieurs jeunes femmes, dans l’ensemble

de mon échantillon, ont vécu une agression physique ou des menaces sérieuses

d’agression. Et à travers les différents récits, la position de la jeune femme paraît toujours

semblable : elle était seule dans l’espace public. Le décor diverge ensuite selon les récits :

un quai de gare, des rues désertes, en fin de journée ou au petit matin, ou encore des rues

fréquentées. Car en effet, loin des représentations que les jeunes femmes se font, les

violences n’ont pas forcément lieu dans les rues désertes, mais pour la plus grande part

dans des espaces bien fréquentés (75,5%)75.

Agression personnelle ou agression des autres : la violence nourrit la peur

L’agression subie, mais aussi l’agression d’un proche, va profondément renforcer les

peurs ressenties par la jeune femme. Les jours qui ont suivi l’agression de Marine, frappée

73

Chetcutti N., Jaspard M. (dir.), 2007, Violences envers les femmes, Trois pas en avant deux pas en arrière, Bibliothèque du féminisme, L’Harmattan 74

Lieber Marylène, « Quand des faits « anodins » se font menaces : A propos du harcèlement

ordinaire dans les espaces publics » in Chetcutti N., Jaspard M. (dir.), 2007, Violences envers les

femmes, Trois pas en avant deux pas en arrière, Bibliothèque du féminisme, L’Harmattan 75

Condon Stéphanie et al. , « Insécurité dans les espaces publics : comprendre les peurs féminines », Revue française de sociologie, 2005/2 Vol. 46, p. 265-294

Page 28: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

28

au visage sur un quai de gare par un inconnu qui lui vole ensuite son sac, elle est restée très

marquée par son agression, véritable traumatisme à ses yeux : « deux jours après j’ai

commencé mon stage… Heu j’étais, enfin j’avais très, très peur de prendre encore le

train. […] ça m’avait un peu traumatisée, j’ai fait des cauchemars pendant plus d’un mois

après. […] C’est un truc qui reste »76. Si elle n’a pas été personnellement agressée, Ingrid a

été aussi très touchée par le viol d’une amie proche : « j’ai une copine qui s’est fait violée, et

j’avoue que ça te fait… […] J’ai commencé un peu à prendre conscience, en me disant

« ouais faut quand même que je sois un peu plus sérieuse » »77. Les agressions des autres

peuvent aussi nourrir sa propre peur et ses propres représentations de la ville, de par l’écho

réflexif « et si ça avait été moi ? ».

L’agression peut donc agir comme un puissant rappel à l’ordre, non plus au travers

d’un discours mais d’un acte physique. Pour Stéphanie Condon, « subir de tels actes peut

avoir comme effet l’accroissement du sentiment de vulnérabilité physique lié au fait d’être

une femme »78. Car en effet, ce que les individus cherchent à atteindre à travers ces

violences, ce ne sont pas des personnes neutres, mais bien des femmes en tant qu’êtres

sexuées. Ces actes violents « leur rappellent, en quelque sorte, qu’elles transgressent les

normes sexuées en se promenant seules dans les espaces publics »79.

Le choc : répercussions de l’agression sur les pratiques nocturnes

Ces violences et agressions vont avoir des conséquences concrètes sur les pratiques

nocturnes de ces jeunes femmes, en tendant généralement vers une restriction de leur

liberté d’usage des espaces publics. En effet, selon Marylène Lieber, l’« ensemble (des)

atteintes diverses à caractère sexuel laisse une marque durable sur les manières de

considérer les lieux publics »80.

Les violences peuvent néanmoins avoir des incidences plus ou moins fortes sur les

pratiques urbaines. Adeline, qui s’est fait suivre et interpeller à l’aube par deux hommes dans

une rue non loin de chez elle, n’a pas véritablement changé ses pratiques, mais a plutôt

chercher à conforter ses craintes par l’obtention d’un outil de défense plus concret : une

bombe lacrymogène dans son cas. Si elle avoue néanmoins ne pas la transporter avec elle

ni l’utiliser, son achat a eu un effet rassurant pour elle : « Je crois que c’était un réflexe de…

76

Cf. Annexe n°3, entretien p. 32 77

Cf. Annexe n°3, entretien p.37 78

Condon Stéphanie et al. , « Insécurité dans les espaces publics : comprendre les peurs féminines », Revue française de sociologie, 2005/2 Vol. 46, p. 265-294 79

Ibid 80

Lieber Marylène, « Quand des faits « anodins » se font menaces : A propos du harcèlement

ordinaire dans les espaces publics » in Chetcutti N., Jaspard M. (dir.), 2007, Violences envers les

femmes, Trois pas en avant deux pas en arrière, Bibliothèque du féminisme, L’Harmattan

Page 29: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

29

De surprotection. Genre, j’ai vraiment eu peur, il me faut quelque chose quoi, un truc un peu

transitionnel »81. La bombe lacrymogène a alors permis, pour Adeline, d’éviter de se

restreindre dans ses pratiques en se pensant mieux parer à se défendre.

Mais, pour d’autres jeunes femmes, la violence subie a eu un impact réel sur leurs

manières de sortir. Depuis son agression, Marine ne rentre plus aussi librement

qu’avant : « maintenant j’évite de rentrer seule »82. Elle possède alors des pratiques

beaucoup plus contraintes, puisqu’il n’est pas forcément évident que quelqu’un puisse la

raccompagner chaque fois qu’elle sort. Ce procédé nécessite donc une véritable préparation,

en demandant au préalable à ceux qui vivent près de chez elle s’ils sortent aussi, mais aussi

en s’accordant sur l’horaire du retour. Sarah a aussi été victime d’une agression quelques

mois auparavant : « y en a deux qui sont mis à l’arrière, et ils m’ont pris par le cou, et ils

m’ont tiré les écouteurs et m’ont cogné contre le mur du trottoir »83. Les deux hommes n’ont

pas réussi à voler le casque audio qu’ils convoitaient, mais Sarah tombe inconsciente et

devra être hospitalisée quelques jours. Cette mauvaise expérience n’est pas sans

conséquence. Comme les autres, Sarah a vu ses craintes renforcées par son agression :

« depuis mes agressions, je me sens pas trop en sécurité »84. Elle ne tolère plus non plus les

situations lui rappelant le contexte de son agression : « je ne supporte pas de savoir que

quelqu’un est derrière moi »85.

A travers ces différents cas d’agressions et de violences, le changement des

pratiques qui font écho à ces mauvaises expériences est perceptible, en particulier dans le

cas de Sarah. Par ce puissant rappel à l’ordre que constitue la violence, les femmes vont

contraindre leurs pratiques pour tenter de compenser des craintes qui ont été renforcées.

81

Cf. Annexe n°3, entretien p.33 82

Cf. Annexe n°3, entretien p.32 83

Cf. Annexe n°3, entretien p.35 84

Ibid 85

Ibid

Page 30: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

30

III – Une enquête dévoilant les limites inconscientes de la

pratique urbaine

Dans cette troisième et dernière partie, je traiterai de la question des limites produites

par les stratégies et les représentations que les jeunes femmes ont de la ville.

1) L’influence de la présence masculine dans la création des limites

Une influence certaine dans le choix de la tenue de soirée : le reflet de la relative

« liberté » affirmée par les jeunes femmes

La question de l’habillement, souvent abordée au cours des entretiens, a amené à

des réponses très diverses qui reflètent bien les différentes personnalités des jeunes

femmes interrogées, ainsi que leurs manières d’appréhender la ville. Touchant au corps, la

question du vêtement est particulièrement intéressante pour saisir son importance dans les

interactions homme-femme.

Parmi les jeunes femmes entretenues, certaines se sont immédiatement insurgées à

la question du choix du vêtement. Pour elles, pouvoir s’habiller librement, sans la pression

du regard des autres, est primordial. Le vêtement est alors une manière de marquer leur

liberté, et de le signaler aux autres dans l’espace public, sorte de pied de nez à la norme.

Pauline, 20ans, fait partie de ces jeunes femmes : « Je fais ce que je veux quoi […] J’ai pas

à me transformer si jamais je veux sortir la nuit »86. Face aux règles qui voudraient lui

imposer une tenue qui ne soit pas trop « aguicheuse », Pauline s’affirme en osant sortir en

jupe et en robe. Même position pour Inès, qui dans ses sorties respectent son style

vestimentaire avant les discours de ses proches : « je t’avouerai que je change pas vraiment

ma façon de m’habiller, je mets beaucoup de robes et de jupes »87.

Mais le plus souvent, les réponses des jeunes femmes s’orientent plutôt vers le choix

d’une tenue qu’elles vont qualifier de « correcte », c’est-à-dire passe partout et peu

aguicheuse. Elles font alors plutôt le choix de la sécurité, en sous-entendant que le port de

tenues plus « légères » pourraient être interpréter comme un signe d’ouverture et de

disponibilité sexuelle pour les hommes. Ingrid introduit cette idée sur le ton de la confidence :

« Il faut pas se mentir, quand tu portes une jupe et quand tu portes un pantalon, c’est tout à

fait différent »88. Ainsi, le pantalon sera considéré comme un habit « correct » ne déclenchant

pas de réaction de la part des hommes, quand la jupe sera automatiquement un vêtement

censé « attirer le regard ». Se dresse alors une véritable typologie de l’habit correct et de

l’habit « aguicheur » au fil des entretiens, même si le vêtement le plus cité reste la mini-jupe.

86

Cf. Annexe n°3, entretien p.68 87

Cf. Annexe n°3, entretien p.54 88

Cf. Annexe n°3, entretien p.37

Page 31: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

31

Les jeunes femmes utilisent souvent l’exemple de la mini-jupe pour illustrer ce qu’elles

appelleraient une situation de danger maximum, en particulier quand la nuit est très

avancée. Isaline utilise par exemple l’image de la mini-jupe : « si je sais que je vais rentrer

toute seule à 3h du matin ou 4h du matin, peut-être que je mettrais pas une minijupe non

plus quoi. Parce que justement, pas forcément envie de se faire aborder à tous les coins de

rues pour des remarques pas forcément plaisantes »89. La mini-jupe est donc forcément

associée à un risque accru d’être abordée et embêtée durant ces sorties. Insinueraient-elles

par ses propos que la femme serait, par les vêtements qu’elles portent, en partie

responsable des interactions et des violences qu’elle pourrait subir ? Il n’en est rien. Les

femmes interrogées cadrent tout de suite leurs propos en précisant que les violences subies

sont avant tout la responsabilité de ceux qui les engendrent. Pauline, 20ans, souligne bien

ce fait : « le problème il vient pas de moi, il vient des autres »90, tout comme Sarah exprime

son agacement envers les hommes qui ne comprennent pas le véritable but de la tenue de

soirée : « c’est que t’as envie de te sentir jolie, de sortir et de t’amuser. Nuance, c’est pas la

même chose »91.

Les jeunes femmes sélectionnent aussi leurs vêtements selon une optique d’efficacité

et de rapidité. Ainsi, le port des chaussures plates est souvent préféré à celui des

chaussures à talons, en particulier quand il s’agit de rentrer. Inès explicite la raison de ce

choix : « je les mettrai pas pour rentrer toute seule le soir, parce que, c’est peut-être bête,

mais je me dis si je dois courir, si quelqu’un me court après, et bah je vais pas pouvoir courir

avec des escarpins […] et surtout avec des talons, tu fais du bruit. Et t’attires les regards »92.

Même quand il s’agit de sortir, l’habit doit rester polyvalent, afin de pouvoir affronter les

situations même les plus angoissantes, soit fuir un possible agresseur. Avec le témoignage

d’Inès, on prend alors conscience de toute l’ampleur des conditionnels que doit comprendre

un vêtement. Celui-ci doit pouvoir répondre au mieux à tous les « et si ? » que pourrait se

poser la jeune femme avant de sortir. Il est alors la preuve même d’une préparation

matérielle en amont de l’action de « faire gaffe » : en choisissant un vêtement adéquat, on

fait en quelque sorte déjà « gaffe ».

Mais le vêtement peut aussi une fonction plus étonnante : il peut faire office de

camouflage, dissimulant alors une tenue plus festive sous une autre plus « neutre ». Comme

d’autres, Pauline, 21ans, pratique ce camouflage au moment du retour : « quand je sais que

je vais porter un décolleté, enfin j’ai toujours une écharpe dans mon sac »93. L’écharpe est

alors un accessoire qui va permettre de camoufler une tenue qui pourrait être considérée

89

Cf. Annexe n°3, entretien p.83 90

Cf. Annexe n°3, entretien p.68 91

Cf. Annexe n°3, entretien p.35 92

Cf. Annexe n°3, entretien p.54 93

Cf. Annexe n°3, entretien p .8

Page 32: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

32

comme un message d’ouverture par les autres hommes. Le camouflage peut même aller

plus loin et devenir total, jouant ainsi complétement avec les connotations sociales d’un

vêtement. Cet aspect est dévoilé par l’exemple de Sarah, dont la cousine possède une

méthode particulière pour se déplacer en tenue festive sans attirer les regards intéressés :

« ma cousine a la technique. Elle met un gros boubou par-dessus ses tenues. […] Ils vont

croire que c’est une fille qui sait pas parler le français, pas intégrée, nananani. Elle a pas de

style, ça intéresse personne ! […] Avec un boubou, mais personne te verra, t’es

transparente. Je te jure t’es transparente ! »94. Cet exemple est éclairant, dans le sens où il

montre bien le message très fort que porte un vêtement aux yeux des autres, et en quoi il

peut constituer un élément d’attraction ou de rejet, comme dans le cas du boubou.

La nuit avance, les stratégies changent : le rapport entre temps, pratiques, et l’ombre de

la présence masculine

Une autre limite des jeunes femmes va être influencée par l’ombre de la présence

masculine : il s’agit des limites temporelles, par la mise en place de moments dans la nuit où

il est préférable de rentrer.

Souvent, les jeunes femmes évoquent une scission dans la soirée à l’heure du

dernier métro, limite que beaucoup cherchent à respecter afin de pouvoir rentrer chez elles

par le biais de ce transport. Violette souligne l’idée de cette rupture : « J’ai vraiment

l’impression qu’ici y a une sorte de rupture entre avant le dernier métro et après le dernier

métro »95. Elle sent cette rupture beaucoup plus vive dans Paris que dans son ancien lieu de

vie, Berlin, qui semble posséder des limites temporelles moins nettes. Nombreuses sont

celles à choisir de rentrer à ce moment fatidique, à l’image de Constance : « je sors jusqu’au

dernier métro, sinon je dors chez des amis »96. Si l’alternative de passer la nuit chez des

amis est souvent donnée, n’est dans tous les cas pas considérée la possibilité de rester

dans la ville jusqu’à la reprise des premiers métros, autre limite temporelle marquant la fin de

la nuit. Marion illustre bien cette idée : « j’évite, quand il est minuit et demi ou 6 heures du

matin d’être seule […] Soit je rentre avant, soit je rentre au premier RER ! »97. Pas

d’alternative possible entre ces deux créneaux horaires qui constituent des sortes de limites

temporelles cadrant les sorties nocturnes.

Mais pourquoi un tel évitement du milieu de la nuit ? Plus que le manque de

transports ou encore la fatigue d’une heure avancée, cette rupture est aussi la marque d’un

changement d’ambiance selon les femmes interrogées. Adeline explique très bien ce

94

Cf. Annexe n°3, entretien p.35 95

Cf. Annexe n°3, entretien p.53 96

Cf. Annexe n°3, entretien p.6 97

Cf. Annexe n°3, entretien p.52

Page 33: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

33

glissement d’ambiance, avec l’idée qu’à mesure que l’on s’enfonce dans la nuit, les effets de

la fête s’intensifient, rendant ainsi le contrôle de son environnement plus complexe : « y a

des horaires, tu vas être tranquille, parce qu’il y a du monde, et heu, je sais pas, c’est une

atmosphère où tu te contrôles encore un peu. […] vers 1h 1h30, c’est une ambiance plus

festive, plus détendue, et donc du coup y a plus de risques de dérapages »98. Les heures

données par Adeline correspondent justement à celles des derniers métros. Passé cette

heure, les rues sont désertées par les personnes ayant pris les derniers métros. Ne restent

que les personnes poursuivant, le plus souvent, une soirée festive. Toutes les

représentations des dangers que constituent des hommes ivres dans l’espace public vont

alors être autant d’arguments pour éviter cette tranche horaire, en particulier lorsqu’on est

seule. Encore une fois, l’image de l’agresseur, mâle de préférence, va avoir une influence

considérable sur les choix des jeunes femmes.

Ces choix, aussi bien vestimentaires que de limites horaires, ne sont jamais des choix

complétement libres. Ils sont au contraire toujours une réponse « par rapport à » cet autre

masculin, dont elles cherchent le moins possible à attirer l’attention. En cherchant toujours à

jauger la réaction de cet autre par rapport à leurs choix et à leur manière d’être en ville, ces

jeunes femmes confirment l’idée qu’elles ont intériorisé ce rapport dominant-dominé véhiculé

par les discours institutionnels.

2) La question de l’ambiance, facteur déterminant dans les choix de sorties

nocturnes

Le nécessaire classement entre quartiers « sympas » et quartiers « glauques »

Dans la question des sorties effectives des jeunes femmes, les stratégies mises en

place ne sont pas les seuls sujets abordés. La question était aussi l’occasion d’intégrer ces

stratégies dans la pratique concrète de l’espace parisien, les jeunes femmes citant ainsi les

quartiers qu’elles apprécient et ceux, au contraire, qu’elles tendent à éviter. L’exercice des

cartes de métro99 permet de bien percevoir ces deux catégories de lieux, et ainsi de mieux

cerner l’espace où la jeune femme s’autorise à sortir.

Les sorties nocturnes des jeunes femmes ont en majorité deux destinations

principales, souvent pour une raison festive : l’appartement d’un ami, ou un lieu de

consommation extérieur (bar, restaurant voire club) où elles retrouveront d’autres amis. Pour

la première destination, la jeune femme peut s’autoriser alors un voyage long, parfois à

98

Cf. Annexe n°3, entretien p.33 99

Cf. Annexe n°4, p.96

Page 34: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

34

l’opposé de chez soi, puisque se rendre chez un ami permet toujours de rester y dormir si la

période des derniers métros est dépassée. Ce type de destination se traduit sur les cartes

par un certain éclatement géographique à l’échelle de Paris. Ainsi, Fanny, qui vit dans le sud

du 16ème, a entouré la station Nation, où habitent des amis, tolérant alors de faire la traversée

de Paris pour se rendre chez eux100. Cette distance devient moins tolérable quand il s’agit de

se rendre dans un lieu d’animation extérieur. La localisation du lieu ne permettant pas

forcément un repli chez l’ami le plus proche, la jeune femme sait que le trajet retour sera

nécessaire, élément qui va souvent justifier des sorties dans une zone plus proche du

domicile. Les destinations trop éloignées sont alors mises de côté par la jeune femme.

Violette, qui vit à Porte de Pantin, concentre véritablement ses lieux de sortie dans le nord-

est de la ville, le reste de la carte n’étant même pas pris en compte101. Claire, qui vit à

proximité de Gare de Lyon, va beaucoup plus fréquenter l’est que l’ouest de la ville102.

Certaines néanmoins peuvent avoir des sorties dans des lieux extérieurs très éloignés de

chez elles. Cette exception se justifie avant tout par une pratique passée assez intense de

ce quartier qui constituait leur ancien lieu de vie. C’est le cas d’Inès qui, bien que vivant à

Saint-Denis, sort encore à Place d’Italie, où elle vivait auparavant103.

Mais les sorties extérieures des jeunes femmes ne vont pas avoir comme seul critère

la proximité. Elles vont être l’occasion de distinguer les quartiers « sympas » à fréquenter

des quartiers « glauques » à éviter, deux termes souvent utilisés par les jeunes femmes pour

qualifier ces quartiers. La détermination d’un quartier dans une catégorie ou dans l’autre est

souvent influencée par les expériences qu’a pu avoir la jeune femme dans ce quartier, la

localisation de son lieu de vie, et plus largement son origine sociale et le niveau de craintes

qu’elle peut exprimer. Certains quartiers seront alors perçus très différemment d’une jeune

femme à l’autre. Nombreuses sont celles à dévaloriser le 16ème, arrondissement qu’elles

considèrent comme inanimé et trop guindé pour vouloir s’y rendre. Inès va plus loin, allant

jusqu’à affirmer que ce manque d’animation est source d’angoisse : « je sors jamais là quoi,

ça me fait super flipper ! […] Ya personne dans les rues, y a rien à faire »104. Le manque de

fréquentation est un facteur décisif pour Inès, qui va éviter ce quartier. Mais Fanny, qui vit

dans cet arrondissement, en possède une vision bien différente, bien plus positive. Sa carte

montre bien sa pratique large de l’arrondissement, et plus largement de la partie ouest de

Paris, de manière beaucoup plus importante que les autres jeunes femmes105.

100

Cf. Annexe n°4, carte 8, p.99 101

Cf. Annexe n°4, carte 10, p.100 102

Cf. Annexe n°4, carte 3, p.97 103

Cf. Annexe n°4, carte 11, p.101 104

Cf. Annexe n°3, entretien p.54 105

Cf. Annexe n°4, carte 8, p.99

Page 35: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

35

Mais certains lieux font l’objet d’une vision partagée par toutes les jeunes femmes,

qu’elle soit positive ou négative. Ainsi, Saint-Michel est souvent cité comme un quartier

agréable où les jeunes femmes aiment se rendre, comme Laetitia : « quand je sors sur Paris,

heu, j’ai mes lieux préférés, vers Saint Michel, parce qu’il y a plein de petits restos, il y a de

la bonne musique par-là »106. Bastille semble aussi globalement bien vu pour son caractère

animé et festif, à l’exception de Violette, qui développe à son encontre une critique acide,

appréciant peu le caractère industriel que prend ce quartier « festif » : « à Bastille y a un côté

un peu industriel de la nuit qui me dérange, qui me fatigue un peu. J’ai l’impression d’être au

supermarché de la fête quoi ! » 107. Dans le cas contraire, certains quartiers sont globalement

catégorisés comme quartiers « glauques », désagréables ou dangereux. C’est le cas de

Barbès, et plus largement de la Goutte d’Or, qui jouit d’une très mauvaise image auprès des

jeunes femmes, qui s’y sentent avant tout « mal à l’aise » ou oppressées. Adeline a bien

décrit, à l’occasion d’une balade dans Barbès, ce qu’elle a éprouvé : « t’as l’impression que

les gens te rentrent dedans, t’as l’impression de marcher sur le boulevard Haussmann le jour

des soldes. Et c’est un peu flippant en fait. Y a trop de monde d’un coup, ensuite y a plus

d’hommes que de femmes, heu, la circulation elle est très très vive, et t’as une espèce

d’atmosphère qui est lourde. […] c’est pas une ambiance dans laquelle j’aime être »108. Pour

elle, le sentiment de malaise est avant tout lié à la présence d’une proportion trop forte

d’hommes, mettant à mal la mixité du lieu mais ainsi sa propre légitimité à y être.

Ces représentations négatives de certains quartiers vont entraîner la création de

véritables zones d’évitement dans la ville, découpant celle-ci parfois à une échelle locale, les

jeunes femmes pouvant aller jusqu’à éviter certaines rues considérées comme peu

rassurantes au sein d’un quartier globalement apprécié.

L’aspect « sécurisant » et animé, facteurs décisifs dans la définition d’une ambiance

Les critères qui vont jouer dans la qualification d’un quartier comme sympathique ou

oppressant sont donc avant tout l’aspect « sécurisant », notamment par une grande

fréquentation, et la présence d’une certaine animation commerçante. Ces deux facteurs sont

perceptibles par la négative, en étudiant les descriptions des quartiers que les jeunes

femmes qualifient comme « glauques » ou « dangereux ».

La présence de personnes aux airs plus ou moins malintentionnés, ou encore ivres,

va aussi avoir un impact sur la définition du quartier. Souvent, les jeunes femmes qui

affirment qu’un quartier « craint » font aussi référence aux personnes fréquentant ce quartier,

106

Annexe n°3, entretien p.39 107

Annexe n°3, entretien p.53 108

Annexe n°3, entretien p.33

Page 36: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

36

puisqu’elles contribuent, à leurs yeux, autant à l’ambiance que l’offre commerciale présente.

Constance est très claire à ce sujet : « quand je dis ça craint c’est à cause des gens »109.

La présence de personnes ivres, mais aussi l’existence de trafics, réels ou supposés,

ainsi que de « voleurs », vont aussi avoir une influence conséquente dans la définition d’un

quartier « qui craint », le tout étant souvent dominé par l’idée d’un univers très masculin. La

Goutte d’Or, mais aussi les Champs-Elysées, vont souvent être décrits de cette manière peu

reluisante. Nesrine est très critique vis-à-vis des Champs, qu’elle considère comme un

endroit assez inhospitalier pour les « parisiens » : « la première destination pour les petits

loulous, bah c’est le 8ème, c’est des endroits tape à l’œil, heu, t’as énormément de touristes,

heu, c’est pas agréable comme endroit »110. L’image du « quartier à trafics » est beaucoup

plus liée au quartier de la Goutte d’Or, comme le montre Claire dans sa description de la

Chapelle : « La Chapelle ça craint. […] T’as des mecs qui trafiquent partout, donc… Ouais,

c’est pas du tout sécurisant pour le coup »111.

Tous ces critères dévalorisants pour un quartier sont avant tout liés à la présence de

personnes, alors que la définition du « glauque » pour les jeunes femmes peut dépasser

cette simple présence, pour faire référence à une atmosphère, une ambiance étrange et

désagréable. Ingrid précise ce terme en utilisant l’exemple de Ménilmontant à une heure

tardive : « c’est tout de suite une ambiance un peu genre, Scary movie quoi ! […] La rue de

Ménilmontant elle est faite de plein de petites rues, de petits bars un peu machin… Ouais, ça

c’est glauque »112. Avec un brin d’humour, Ingrid identifie un quartier glauque à une

ambiance qui se rapprocherait de celle d’un film d’horreur : celle d’un environnement étrange

mêlée d’une insécurité omniprésente. Une ambiance glauque peut aussi être causée par un

aspect peu avenant du quartier, surtout en raison du manque d’entretien, comme le décrit

Isaline : « quand on voit, par exemple, des gens qui ont vomi, des gens qui ont pissé contre

les murs, ou… Je trouve ça glauque quoi, c’est pas… Ou quand on trouve un tas de

préservatifs usagés dans un coin, c’est pas très réjouissant »113.

Cette image d’un quartier peu sécurisé, en particulier par la présence de personnes

jugées « indésirables » ou par une ambiance peu rassurante, va entraîner un évitement par

les jeunes femmes de ces espaces, surtout quand, à l’opposé, certains quartiers semblent

réunir tous les critères qui font d’un quartier un lieu de sortie acceptable.

109

Annexe n°3, entretien p.6 110

Annexe n°3, entretien p.36 111

Annexe n°3, entretien p.18 112

Annexe n°3, entretien p.37 113

Annexe n° 3, entretien p.83

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Le poids des on-dit sur la création d’une image négative de certains quartiers

Dans cette dichotomie de Paris, les on-dit et représentations, nourris par les discours

extérieurs, de certains quartiers constituent des arguments de poids dans la sélection des

quartiers par les jeunes femmes. En effet, si certaines dénigrent des quartiers qu’elles

considèrent comme peu recommandables, elles n’ont pour autant jamais eu de véritables

expériences de celui-ci. Si beaucoup vont taire ce poids des on-dit dans leur sélection de

l’espace parisien, Isaline est une des seules personnes qui va reconnaître la part de ces

préjugés dans ses représentations de la ville : « je me fis plus à ce que je peux entendre, et

là la peur augmente plus alors qu’y a pas de raison, je pense. A part certains quartiers où on

sait qu’il faut pas mettre les pieds assez tard »114. Si elle avoue ressentir plus de peur à

l’égard d’un quartier en fonction de ce qu’elle peut entendre à son sujet, cela ne change pas

pour autant ce mécanisme, en affirmant, par un « on » général, une idée qui semble être

aussi plus du ressort des croyances que de l’expérience.

3) L’aménagement des espaces publics et ses répercussions sur les

pratiques féminines : une influence déterminante ?

Si l’ambiance d’un lieu est largement traitée au cours des entretiens, son aménagement

n’est que peu mentionné par les jeunes femmes. Il s’est avéré difficile d’amener ces

dernières à s’exprimer sur le sujet, bien que les éléments de l’aménagement puissent avoir

une influence sur leurs pratiques.

La lumière, un facteur décisif dans le choix de l’itinéraire

Parmi ces éléments, la lumière possède une place majeure. Souvent évoquée en

première, la luminosité des rues peut avoir une influence certaine sur le choix de l’itinéraire.

Elle constitue avant tout un aspect sécurisant pour les jeunes femmes, en contribuant

à une meilleure visibilité de leur environnement, mais aussi à être mieux vue des autres. La

lumière participe alors de cette covisibilité dissuasive, au même titre que la foule. Fanny

développe cette idée en utilisant toujours le cas extrême de l’agression : « La lumière ça

implique que déjà on peut moins se faire surprendre. […] Parce que dans l’obscurité, on peut

se faire agresser n’importe quoi, et des gens passent pas très loin, sans forcément s’en

rendre compte, parce qu’il y a pas de visibilité »115. Pour Fanny, plus qu’être dissuasive, la

114

Cf. Annexe n°3, entretien p.83 115

Cf. Annexe n°3, entretien p.41

Page 38: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

38

lumière permet d’être visible de loin, et de pouvoir ainsi plus facilement alerter le regard du

passant qui pourrait voir la scène.

La lumière participe aussi à l’ambiance générale du lieu. Selon les jeunes femmes,

une luminosité altérée par un filtre va donner une coloration à la rue influençant partiellement

l’ambiance du quartier, en particulier si la rue est peu fréquentée. C’est l’avis de Claire, qui

n’apprécie pas que la lumière déforme la réalité du lieu, élément qu’elle retrouve dans

l’éclairage parisien : « l’éclairage est pas très agréable. Genre le vieil éclairage jaune là, t’as

l’impression d’être à moitié dans un film d’horreur dans certaines rues, franchement c’est

glauque. […] je trouve que se retrouver dans une ambiance jaunâtre comme ça, ça contribue

vraiment à l’ambiance vraiment pas agréable »116.

Le rôle de l’éclairage est donc ambivalent, faisant à la fois figure d’aide pour les

jeunes femmes, et de handicap pour le quartier, en fonction de sa qualité.

L’étroitesse des rues : une image du « coupe gorge » ancien encore vivace chez les

femmes

Autre élément récurrent, la configuration étroite de certaines rues n’est pas

considérée comme très rassurante par les jeunes femmes. Dans un espace restreint, la

maîtrise de son environnement est moins grande, et il suffit d’un élément pour être bloquée

dans sa route. Cette image de la rue étroite, source de danger, rappellerait presque l’image

romancée du « coupe gorge », comme on pouvait qualifier ces rues quelques siècles

auparavant, rues aussi considérées comme le lieu des guet-apens, autant dans les romans

que dans les productions filmiques. Chez les femmes, l’image semble être restée,

notamment nourrie par ces nombreux récits fictifs, de l’avis d’Isaline : « je pense que c’est

l’image aussi véhiculée, mais cette fois peut-être plus par la littérature, et même par

l’impression qu’on est encerclée quoi, qu’on est resserré »117.

La représentation des rues étroites comme lieux à éviter s’explique donc aussi par un

sentiment d’oppression, en particulier quand la rue étroite est entourée de hauts immeubles.

Pauline, 20ans, partage ce point de vue : « qu’une petite ruelle, mal éclairée, avec des

grands immeubles, qui y ait des gens, qui y ait pas de gens, je garderais un peu un

sentiment de « je ne suis pas tranquille » […] les petites ruelles avec grands immeubles, on

se sent vraiment tout petit »118. Le sentiment d’oppression et d’impuissance produit par

l’aménagement peut alors renforcer le sentiment de vulnérabilité qu’éprouve la jeune femme,

ainsi que ses craintes. Ces rues étroites seront alors souvent écartées dans le choix d’un

itinéraire, et ce de manière encore plus forte si celles-ci sont insuffisamment éclairées.

116

Cf. Annexe n°3, entretien p.18 117

Cf. Annexe n°3, entretien p.83 118

Cf. Annexe n°3, entretien p.68

Page 39: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

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Malgré ces caractéristiques, la fréquentation reste le facteur dominant

Néanmoins, si l’aménagement peut avoir une influence sur les pratiques féminines

(certaines avouent par exemple éviter les tunnels, les souterrains ou encore les espaces au

contraire « trop aménagés »), celle-ci reste secondaire face au critère dominant : la

fréquentation des lieux.

Nombreuses sont les jeunes femmes à avoir pour premier critère de choix la

fréquentation avant la configuration du lieu. Dans la question des deux itinéraires119, qui

consistait avant tout à préciser les éléments de l’aménagement pouvant avoir une influence

sur leurs pratiques, elles répondaient instinctivement choisir l’itinéraire « le plus fréquenté ».

Adeline donne d’ailleurs clairement son ordre de préférence au moment de la question sur

l’aménagement : « La foule est plus importante que l’éclairage »120. Inès se montre aussi

détachée vis-à-vis de l’aménagement, la question de la fréquentation et des personnes qui

fréquentent le lieu étant une source de préoccupation beaucoup plus grande : « L’espace ne

m’angoisse pas plus que ça »121. Pour elle, l’espace n’est qu’un lieu que l’on traverse, peu

n’importe la manière dont il est construit.

Nesrine va même plus loin dans son affirmation : « le quartier à la rigueur je m’en

fous […] c’est plus par rapport à la population qui fréquente le lieu »122. La phrase est claire :

l’aménagement du quartier n’est pas pris en compte par la jeune femme, qui ne s’en soucie

nullement, sauf dans des cas exceptionnels, comme l’existence d’une rue peu éclairée en

pleine nuit. Son contrôle se fait uniquement en direction de ceux qui vont être présents dans

cet espace : sont-ils potentiellement dangereux ? Quelles peuvent être leurs intentions en

fréquentant cet espace ? La question de l’aménagement n’a que peu de place face à des

interrogations et des stratégies avant tout mises en place pour se protéger des autres.

119

Cf. Annexe n°1, p.2 120

Cf. Annexe n°3, entretien p.33 121

Cf. Annexe n°3, entretien p.54 122

Cf. Annexe n°3, entretien p.36

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40

Conclusion

L’aménagement n’a donc qu’un impact secondaire et limité sur les pratiques

nocturnes, la préoccupation première des femmes restant les individus qui fréquente

l’espace public avant la configuration de l’espace public lui-même.

Dans les sorties et les pratiques nocturnes des femmes, l’ombre de la domination

masculine persiste, de par la crainte à peine masquée de violences ou d’interactions

contraintes avec cet Autre qui continue d’être, aux yeux de la société, considéré comme le

« sexe fort », la femme se construisant alors dans l’idée de sa propre « vulnérabilité ». Cette

ombre dominatrice contribue à développer et nourrir les peurs des jeunes femmes vis-à-vis

de l’extérieur. Des craintes qui sont, en parallèle, entretenues par la force du discours des

proches et des institutions. Ces discours, qu’on peut aussi qualifier de rappels, constituent

un moyen pernicieux de justifier l’ordre de la domination masculine établi, et la position

fortement dominée des femmes en ville.

Les stratégies utilisées par les femmes sont alors autant de moyens de contourner

cet ordre mis en place, de négocier avec la norme et ainsi de leur permettre d’affirmer leur

liberté de sortir et de pratiquer la ville. Mais la multiplication des rappels à l’ordre, et la forte

sollicitation des femmes dans l’espace public, rappellent qu’il reste encore beaucoup à faire

avant que l’on puisse un jour affirmer qu’une femme peut se sentir pleinement légitime à être

seule en ville la nuit. Pour cela, il faudrait certainement bouleverser les rapports de genre

binaires ainsi que la position masculine dominante.

Néanmoins, j’ai été confrontée, au fil de cette enquête, à des lacunes et des éléments

non résolus ou qui mériteraient d’être approfondis dans un autre travail théorique.

Au travers de l’enquête, de nombreux thèmes ont été abordés. Certains, pourtant

intéressants, constituaient des sujets à eux seuls (comme la question de l’habit pour sortir le

soir, par exemple). Mon enquête traitant d’un sujet plus transversal, ces sous-thèmes n’ont

alors pu être traités que d’une manière partielle. Même si certains ont pu être approfondis

dans d’autres ouvrages, comme la place de l’éducation dans l’apprentissage des normes

sexuées (Denèfle, 2004), d’autres thèmes pourraient constituer de nouveaux sujets de

mémoire potentiels (comme les interactions homme-femme dans les transports en commun

parisiens, par exemple).

J’ai aussi pu constater que l’ignorance des lieux bride les connaissances sur les

pratiques. Certains entretiens se sont révélés assez pauvres en information du fait du

manque d’expérience urbaine des jeunes femmes. Ainsi, Marion, qui confirme avoir une

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pratique étendue de Bordeaux, n’a en revanche qu’une pratique limitée de Paris, du fait de

sa méconnaissance de la ville, qu’elle avoue sans complexe.

En enfin, j’ai réalisé, au travers des entretiens, que la déconstruction des rapports

sociaux dans la ville était un élément de lecture encore difficilement perceptible pour de

nombreuses jeunes femmes. Pour beaucoup d’entre elles, le fait d’être abordée par des

personnes extérieures de façon fréquente serait quelque chose de « normal », « allant de

soi ». Cette prétendue naturalité de ce genre de rapport empêche alors ces jeunes femmes

de les déconstruire pour comprendre ce qui est en jeu dans ces interactions. Cette difficulté

à percevoir ces rapports a rendu parfois plus complexe le bon déroulement de l’entretien, ne

me parlant du coup pas de ces rapports qu’elles jugeaient peu intéressants.

Page 42: Pratiques urbaines des femmes la nuit à Paris - Mémoire de Master 1 Aménagement et Urbanisme, Claire Gervais

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