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Le français dans le monde N°384

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Numéro de Novembre-décembre 2012 de la revue Le français dans le monde.

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ÉPOQUE

4. Portrait

Cédric Villani : l’art et la matière

6. Exposition

Montréal soigne les beaux-arts

7. Tourisme

Voyage à Nantes

8. Économie

Dépenser moins pour soigner mieux

10. Regard

« Le touriste est un voyageur sans alibi »

12. Tendance

Cheval attitude

13. Sport

Jeu de Breizh

14. Portrait de francophone

Octavio, Argentine : en français dans le texte

MÉTIER

18. L’actu

20. Focus

« Des enseignants critiques vis-à-vis de leurs pratiques »

22. Mot à mot

Dites-moi Professeur

24. Clés

La notion d’écrit : lire et comprendre

26. Enquête

Secret défense : le français langue militaire

28. Zoom

Transformer la grammaire en conte de fée

Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org

Le français dans le monde // n° 384 // novembre-décembre 2012 1

SommaireMétier / Enquête

30. Concours

« Le téléphone portable, c’est la classe » : les lauréates se racontent

32. Expérience

L’approche par compétences pour le français en Algérie

34. Histoire

La SIHFLES, 25 ans d’histoire

36. Reportage

Le plurilinguisme au quotidien

38. Innovation

Utiliser le wiki en classe de FLE

40. Ressources

Capturé !

Les fiches pédagogiques à télécharger

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel–Hovelacque – 75013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Rédacteur en chef Sébastien Langevin Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur (Institut français) Secrétaire de rédaction Clément Balta – Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0412T81661. 52e année. Imprimé par IME, Baume-les-Dames (25110). Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Sébastien Langevin, Chantal Parpette, Manuela Pinto, Nathalie Spanghero-Gaillard. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie : Jean-Marc Berthon (MAEE), Jean-Pierre Cuq (FIPF),Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5), Xavier North (DGLFLF), Soungalo Ouedraogo (OIF), Jacques Pécheur (Institut français),Nadine Prost (MEN), Fabienne Lallement (FIPF), Vicky Sommet (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

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MÉMO

58. À voir

60. À lire

64. À écouter

INTERLUDE

4. Graphe

Visage

16. Poésie

Jules Supervielle : « Le regret de la Terre »

42. Nouvelle

Joseph Kessel : « L’arbre qui chante »

56. BD

Conte de Madagascar

66. Test et jeux

Eugène Ionesco

Dossier

● Graphe : visage

● Économie : Dépenser moins

pour soigner mieux

● Portrait de francophone :

Octavio, Argentine

● Clés : La notion d’écrit

● Nouvelle :

L’arbre qui chante

● Dossier: Patrick Deville

et Sylvain Tesson

● Test et jeux

fiches pédagogiques à télécharger sur :www.fdlm.org

numéro 384

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Secret défense : le français languemilitaire

Le récit de voyage : miroir de l’autre, miroir de soi ....................48Écrivains africains : un voyage étonnant et un détonnant miroir.....50Festival Étonnants Voyageurs : quand les artistes redécouvrent le monde.................................52Patrick Deville : « Je suis un écrivain qui voyage »......................54Sylvain Tesson : « Un flâneur perpétuel »...................................55

Littérature de voyage : les écrivains et l’ailleurs

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Ce numéro comporte un supplément Francophonies du Sud

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interlude //

2 Le français dans le monde // n° 384 // novembre-décembre 2012

Le « plus » audio surwww.fdlm.orgespace abonnés

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« L’amitié qui se lit sur les visages et dans les gestes devient commeune prairie dessinée par un rêvedans une longue nuit de solitude. »Tahar Ben Jelloun, Éloge de l’amitié

« La littérature est une affaire sérieuse pour un pays, elle est,au bout du compte, son visage. »Louis Aragon, J’abats mon jeu

« Je les sentais proches, les ruesglaciales et tumultueuses, les visagesterrifiants, les bruits qui coupent,percent, lacèrent, contusionnent. »Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien

La fiche pédagogiqueà télécharger sur :www.fdlm.org A 2

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Visage« Le tendre et dangereuxvisage de l'amourm'est apparu un soiraprès un trop long jour. »Jacques Prévert, Histoires et d’autres histoires

« Le visage humain fut toujours mon grandpaysage. »Colette, En pays connu

« La politesse est à l'espritce que la grâce est au visage. »Voltaire, Stances

« Un train filant en sens inverse raie brusquement la vitred'un long ruban de visages à peine entrevus, sans cesserenouvelés, de plus en plus brouillés, jette mille couleurs,passe vite et disparaît. »Marie Susini, Le Premier Regard

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Textes et photos par Stéphane Beaujean

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Mathématicien hors pair,Cédric Villani fait une entrée

fracassante dans le mondelittéraire avec un hommage

lumineux au travail de l’ombre du chercheur

scientifique.M

a carrière connaîtune période detransition. Je nem’en plains pas,c’est un constat »,

annonce le mathématicien émériteCédric Villani. D’ordinaire, celui-cijongle avec les fonctions de directeurde l’institut Henri-Poincaré à Paris,de professeur à l’université Claude-Bernard Lyon 1 et de membre de l’or-ganisation pro-européenne Europa-Nova. Or, le voilà également aspirédans le tourbillon de la rentrée litté-raire avec un ouvrage inclassable quetoute la critique salue. Théorème vi-vant, c’est son titre, entremêle jour-nal de recherche, confessions in-times, carnet de voyage, suites

d’équations et échanges de courrielsentre chercheurs, le tout sur plu-sieurs années. Une véritable épopéejalonnée d’embûches, qui retrace lacréation, en collaboration avec Clé-ment Mouhot, du fameux théorèmepour lequel Villani reçoit la presti-gieuse médaille Fields en 2010.Cette commande libre passée par leséditions Grasset a permis au mathé-maticien de produire « un témoignagede la vie du chercheur. Je voulais chan-ger le focus, déplacer l’attention sur lerésultat, que le travail devienne lehéros. Celui qui appose son nom au basde la découverte n’est au final qu’un ac-teur perdu au milieu de collaborateurs,de rencontres et d’accidents. Ce n’estpas un livre sur moi mais sur la genèsed’un projet vu à travers moi. »Témoignage rare du monde de la re-cherche mathématique, l’ouvrage estpensé dans ses moindres détails, duchoix des nombreuses typographiesen passant par les modalités d’écri-ture : « À travers ce théorème, un tas de

situation différentes se réalisent. Filconducteur, il soulève le suspenscomme dans un polar. Et au final cedocument est inclassable. Ce n’est ni unroman, ni une biographie, ni même unessai. Il n’y a aucune prise de positionou synthèse. C’est une invitation à pé-nétrer dans un environnement in-connu. Non pas celui de la science,mais celui de la vie du chercheur, cettecommunauté avec ses héros, ses lieux,sa géographie, son langage, ses codessociologiques. J’utilise des éléments

Le français dans le monde // n° 384 // novembre-décembre 2012

Cédric Villani en 5 dates5 octobre 1973 : Naissance à Brive-la-Gail-larde (France).1998 : Soutenance de sa thèse Contribu-tion à l'étude mathématique des gaz et desplasmas.Depuis 2009 : Directeur de l’Institut Henri-Poincaré.2010 : Médaille Fields.2012 : Publication de Théorème Vivant(Grasset).

« Ni un roman, ni une biographie, ni même un essai. »

L’art et la matière

époque // Portrait

Cédric Villani

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personnels uniquement pour permet-tre l’identification au lecteur, pourréussir un bon mélange entre le fami-lier et l’exotique. »

Le nouveau visage de lamathématiqueOr, quel autre mathématicien auraitpu produire un tel livre ? Personne oupresque. Car Cédric Villani, enquelques années, a su dépoussiérerl’image de la profession. Visage d’unescience légèrement excentrique, ilbaigne, dès son plus jeune âge, dansl’univers littéraire de ses enseignantsde parents. S’ensuit un parcours sco-laire exemplaire : classe préparatoire,École normale supérieure de Paris,avant la spécialisation dans la re-cherche mathématique. À l’époque,en tant que président de l’associationdes élèves, il compte déjà parmi lesplus investis dans la vie collective.Thèse en poche, il commence unecarrière de chercheur et d’enseignantà l’ENS de Lyon. Puis vient le tempsdu succès avec la passionnante épo-pée qu’il conte dans son livre et qui luivaudra la médaille Fields : celle duthéorème qui allait résoudre l’amor-tissement Landau. En l’occurrence,expliquer l’attenuation progressive

spontanée du champ electrique dansun plasma malgré l’absence de frotte-ments. Cette théorie de 1946, ample-ment utilisée et vérifiée en pratiquepar les physiciens, manquait jusqu’àprésent d’une base théorique incon-testable et d’une interprétation ma-thématique.Sa notoriété se nourrit égalementd’une extravagance vestimentairecalculée et d’une personnalité singu-lière, qui sont tout sauf un frein à savolonté quasi militante de réhabili-ter, voire de moderniser, l’image de lamathématique. « À une époque, lesmathématiciens s’isolaient à dessein.Aujourd’hui, on est beaucoup plus res-ponsable de ce point de vue là. Com-muniquer nous apparaît primordial,sous peine de voir nos filières se déser-ter, entraînant une coupure des crédits.Ce que j’ai en plus, c’est l’attention desmédias. La médaille Fields a beaucoupaccéléré cette tiède médiatisation queje comptais développer. »Et ça marche. Tous les journaux cou-rent après cette silhouette un peudandy et s’attardent, avec délecta-tion, sur sa dégaine baroque. Maisl’essentiel de la mission est remplie.Avant même ses quarante ans, CédricVillani rayonne, tel le fleuron de l’in-

telligence mathématique, en émis-saire d’une science jeune et radieuse.« En mathématique, le pic de la re-cherche se situe en moyenne entre 35 et45 ans. Soit plus tôt que dans d’autressciences, même s’il y a beaucoup d’ex-ceptions. Poincaré a été prolifiquetoute sa vie par exemple. C’est l’une desrares disciplines où vous devenez vitevotre propre maître, sans trop de cor-pus, ni de longues années d’attenteavant de passer en tête d’une équipe. »

Opération citoyenne Parvenu à ce moment charnière desa carrière, Cédric Villani compteélargir encore son champ d’action.Dans un avenir proche, il entendainsi s’impliquer davantage au seind’EuropaNova, organisation qui mi-lite pour une Europe fédérale plus ef-ficace, notamment à travers le pro-gramme des European YoungLeaders visant à faire émerger un ré-seau transnational pro-européen.« Je travaille à EuropaNova en tant quecitoyen, et non mathématicien. J’aimel’idée que les questions politiques nesoient pas abandonnées à des spécia-listes. Je connais les matières, les insti-tutions, les fonctionnements, et celaconcourt à ma légitimité à m’engager

comme citoyen, à participer au débatpolitique sur des sujets plus larges. J’ysuis le seul, je crois, à venir des sciencesdures au milieu de spécialistes desciences humaines. Cela rejoint mespréoccupations de Théorème vivant,ce désir de rappeler l’existence des cher-cheurs, ces gens de l’ombre dont on pro-fite tous de l’usufruit. »Son théorème, comme une majoritéde découvertes mathématiques, neconnaîtra pas d’application concrèteavant des décennies, s’il en connaîtune un jour. Alors, en parallèle, ce ci-toyen actif mène également soncombat pour le progrès au présent :« Un célèbre hebdomadaire a fait unerecension très bienveillante de monouvrage, alors que le sujet mathema-tique est reputé aride et specialisé ; enrevanche, sur la construction euro-péenne, qui devrait être une entrepriserassembleuse, il adopte un ton grin-cant et moqueur. Pourquoi ? Parcequ’on a oublié le sens de l’Europe, onl’a fait disparaître derriere desconstructions techniques. Il est impor-tant de rappeler ce sens, et tout le rêveformidable que cela représentait. Etreprésentera encore, si nous parve-nons à remettre le sens au cœur de laconstruction européenne. » ■

Le français dans le monde // n° 384 // novembre-décembre 2012

« J’aime l’idée que les questions politiquesne soient pas abandonnéesà des spécialistes. »

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Par Christine Coste

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Nouvelle salle de concert,nouveau pavillon d’art

national et constructiond’un édifice pour accueillirune nouvelle collection : le

Musée des beaux-arts deMontréal prend de

l’ampleur.

Rien ne semble arrêterle Musée des beaux-arts de Montréal dansson expansion. En oc-tobre 2011, l’institu-

tion dévoilait son nouveau pavillond’art québécois et canadien et sanouvelle salle de concert aménagéedans la nef d’une église du XIXe siècleachetée par le musée en 2008 et in-corporée harmonieusement dans lenouvel édifice. Ouverture du pa-villon que sa directrice Nathalie Bon-dil avait décidé d’accompagnerd’une reconfiguration et réinstalla-tion intégrales de toutes les collec-tions du musée couvrant aussi bienles arts premiers, l’art ancien, mo-derne et contemporain que le designet les arts décoratifs. Se furent ainsiquelque 3 400 œuvres sur 40 000que comptent au total les collectionsdu musée, contre 1 700 auparavant,qui furent redéployées en plus de600 œuvres en art canadien présen-tées dans le nouveau pavillon, bap-tisé pavillon Claire et Marc Bourgie,du nom des généreux donateurs de75 millions de dollars qui en font lesmécènes les plus importants. « Un

travail d’édition, de recherche et derestauration sans équivalent dansl’histoire de l’institution fut égalementmené sans que ne cesse la présentationdes expositions », précise NathalieBondil.

Une collection d’édificesAu printemps 2012, l’annonce de laconstruction d’un nouvel édifice pouraccueillir la collection de maîtres an-ciens de Michal et Renata Hornstein– dont la contribution privée à l’his-toire moderne des musées au Québecest l’une des plus importantes du Ca-nada – profile une étape inédite dansle développement de cette institutionmuséale privée, née il y a cent cin-quante ans de l’initiative d’une élitede philanthropes anglophones et sub-ventionnée depuis 1972 par la Pro-vince du Québec. À l’avenir, une desrues adjacentes du musée pourraitaussi se convertir en chemin de sculp-tures en attendant l’ouverture de cenouveau pavillon, en 2017. Rien nesemble donc freiner cet établissementdans son épanouissement ni dans lesuccès de ses exportations dont cer-taines comme « Cuba », « Warhol »,« Tiffany » et « Jean Paul Gaultier » ontfait le tour du monde.

Telle une petite cité dans la ville, leMusée des beaux-arts de Montréalse développe, pavillon après pa-villon, celui des cultures anciennesconstruit en 1912 constituant le pre-mier bâtiment du musée. Progressi-vement, discrètement aussi, au fur età mesure de l’enrichissement de sescollections, il s’est également hisséau quinzième rang des musées enAmérique du Nord. Au Canada, il sedistingue d’ailleurs par ses collec-tions encyclopédiques qui ouvrentgratuitement à un récit de l’histoirede l’art, transportant et fidélisant levisiteur, mais aussi à un récit del’évolution architecturale de la capi-tale du Québec. « Alors que la plupartdes musées en Occident occupent desespaces homogènes continus, le muséea formé en effet avec ses quatre pa-villons d’époques et de structures trèsdifférentes une collection d’édifices quicompose un résumé de l’histoire archi-tecturale de Montréal », souligne sadynamique directrice, ancienneconservatrice au Musée national desmonuments français, arrivée à latête du musée en 1999, et renouve-lée dans ses fonctions pour cinq ans.On ne change pas, il est vrai, uneéquipe qui gagne.■

Le français dans le monde // n° 384 // novembre-décembre 2012

époque // Exposition

Montréalsoigne les beaux-arts

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La nouvelle salle de concert, aménagéedans la nef d’une église.

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7Le français dans le monde // n° 384 // novembre-décembre 2012

époque // Tourisme

Par Jean-Jacques Paubel

Conjuguer l’art contemporainet le tourisme, c’est le pariaudacieux – et réussi – de laville de Nantes.

Par où commencer ? C’est l’inévitablequestion que se pose tout voyageur dé-barqué ce jour-là du TGV qui l’amènede Paris. Le cinéphile, lui, n’a pas d’étatd’âme : il trace son chemin à la re-

cherche de Lola, du côté du Passage Pommeray oude la brasserie art nouveau La Cigale, rendus célè-bres par le film de Jacques Demy qui porte son pré-nom, mythologie cinématographique incarnée parAnouk Aimée et « en-chantée » par Michel Legrand.Agnès Varda, inclassable cinéaste et plasticienne,n’a pas oublié. Fidèle au rendez-vous cinéphilique,elle reconstitue dans ce passage à colonnes haut detrois niveaux, la « Boutique de téléviseurs » des an-nées 1950 tenue par Michel Piccoli et rend ainsihommage à Une chambre en ville, l’autre film nan-tais de Jacques Demy. Il suffit de pousser la porte etd’entrer : on se retrouve dans le film dont la scèneclé, celle du meurtre, passe en boucle sur ces télé-viseurs habillés d’époque.L’amateur d’univers digne de Jules Verne, autreNantais, sait lui aussi où ça se passe : du côté de

l’Île de Nantes. L’Île de Nantes, une île en pleincœur de la ville, 340 hectares le long de la Loireautrefois occupés par les chantiers navals. C’est làque la compagnie La Machine et François Delaro-zière ont installé « Les Machines de l’Île », des ma-chines tout droit sorties des « mondes inventés »de Jules Verne. Le seigneur de ce fabuleux bes-tiaire, sa star, est l’éléphant en bois de Virginie,une mécanique monumentale de grâce en mou-vement et d’émotion de 12 mètres de haut, sansdoute échappée d’un film de Terry Gilliam ou desmondes de Lewis Carroll, peut-être une réminis-cence de celui qui devait occuper la place de laConcorde à Paris. Le pachyderme de fer n’a qu’unconcurrent, lui aussi nantais : La Petite Géante (9mètres de haut), que la célèbre compagnie despectacles de rue Royal de Luxe a déjà promenédans plus de quarante pays à travers le monde.

Carrousel et dragonMais aujourd’hui, la vedette, c’est ce Carrousel im-probable dédié au monde marin. Un carrouselgéant lui aussi, 25 mètres de haut et de diamètre,d’où surgissent trente-cinq animaux fantasmago-

riques : attelage de chevaux à queue de poissons,ailes-nageoires d’une raie manta, poisson-pirate,crabe géant, calamar à rétropropulsion, luminairedes grands fonds… Et ce n’est pas fini. Après les mondes aquatiques, lesmondes aériens à visiter sur les ailes du héron : huit mè-tres d’envergure et quatre passagers à son bord qui sur-volent la galerie des Machines… Autre embarquement,autre voyage, celui que proposent les plasticiens. Là, ilsuffit de dériver du centre de Nantes à l’estuaire de laLoire. Ici, les dix-huit Anneaux lumineux de DanielBuren tracent la perspective. Entre fleuve et campagne,la Maison dans la Loire de Jean-Luc Courcoult, le fon-dateur de Royal de Luxe, « l’homme des voyages extra-ordinaires et des histoires à dormir debout ». Au paradisdes pêcheurs, la Villa Cheminée de Tatzu Nishi, un pa-villon ouvrier juché sur une tour blanche et rouge à 15mètres du sol. Et, à la limite du fleuve et de la mer, pareilà la baleine échouée à la fin de La Dolce Vita de Fellini, leSerpent d’océan de Huang Yong Ping, dragon chinoisfantomatique et immense, démesuré et merveilleux.Fantomatique et immense, démesuré et merveil-leux… Larguez les amarres : c’est ça, le voyage àNantes ! ■

L’éléphant géant, l’animal vedette des « Machines de l’Île ».

à NantesVoyage

Les Anneaux lumineux de DanielBuren, sur les quais de Loire.

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Par Marie-Christine Simonet

époque // Économie

Dépenser moins

États-Unis, Grande-Bretagne, France etAllemagne : quatre pays et autant de

tentatives, laborieuses ou fécondes, pourréformer de façon rentable et efficace le

secteur de la couverture médicale. C’était l’un des enjeux majeurs de sa pre-mière campagne, ce sera l’un des princi-paux thèmes sur lequel se jouera sa ré-élection. En juin 2012, les États-Unis sesont dotés d’une loi historique lorsque la

Cour suprême a validé, dans sa quasi-intégralité, la ré-forme phare du président Obama : la loi sur l’assurancemaladie. Dès 2014, chaque Américain devra être cou-vert par une assurance maladie.En gros, le seuil d’éligibilité à Medicaid (système d’as-surance public déjà existant pour les plus démunis)sera étendu à 16 millions de personnes, avec à la clefune hausse des dépenses publiques, qui financeront la

réforme. Ceux qui n’ont pas accès à Medicaid pren-dront une assurance privée, avec l’aide de l’État sousforme de crédit d’impôt. Barack Obama est le premierprésident américain, depuis Lyndon Johnson, à réus-sir à réformer dans ce domaine.

Grande-Bretagne ou France : faire des économies à tout prixDe l’autre côté de l’Atlantique, le système de soin bri-tannique a connu en 2011 une évolution inverse, avecl’adoption de la très controversée réforme du NHS (leNational Health Service) voulue par les conservateursau pouvoir, et qui prône la libéralisation du système.L’objectif gouvernemental est d’économiser 1,9 mil-liard de livres sur le dos des administrations régionalesqui gèrent le système, et, in fine, de privatiser le NHS,en commençant par les hôpitaux, qui deviendront desentités indépendantes d’ici 2014, tandis que deux ins-tances réguleront, l’une la concurrence, l’autre la qua-lité des soins.

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pour soigner mieux

« Dès 2014, chaque Américaindevra être couvert par une assurance maladie. »

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Réformer l’assurance maladie aux États-Unis, la promesse phare du président Obama.

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L’Organisation mondiale du com-merce (OMC) a revu à la baisse le 21septembre ses prévisions de crois-sance pour le commerce mondialen2012. La hausse sera de 2,5 %, etnon plus de 3,7 %.

Le taux de pauvreté aux États-Unisa tourné autour de 15 % en 2011 :on estime à 46,2 millions, soit qua-siment un Américain sur sept, lenombre de personnes qui viventsous le seuil de pauvreté.

La multinationale agrochimiste amé-ricaine Syngenta a relevé son objec-tif de vente – de 22 à 25 milliards dedollars – de pesticides et semencestransgéniquespour ses huit culturesstratégiques d’ici 2020.

Deux chercheurs norvégiens ont cal-culé que la part du pétrole de l’Arc-tique représentera entre 8 et 10 %de la production globale d’ici à 2050,et que celle du gaz naturel tomberade 22 % actuellement à 10 %.

L’Union européenne (UE) a procédéen septembre au décaissement de19,678 milliards de francs CFA (30millions d’euros) d’appui budgétaireau titre de l’année 2012 pour jugu-ler une grave crise alimentaire auNiger.

Les exportations chinoises vers l’UEont reculé de 4,9 % entre janvier etaoût ; les importations en provenancede l’UE ont crû de 3,1 %. La Chine estle deuxième partenaire commercialde l’UE, après les États-Unis.

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Londres souhaite même exporter dans le monde la« marque NHS », en implantant des filiales des meil-leurs hôpitaux du pays, viades filiales à l’étranger. Cetteréforme attire de nombreuses critiques, résumées dansce commentaire acerbe du rédacteur en chef de la pres-tigieuse revue médicale britannique The Lancet : « Lesgens vont mourir parce que le gouvernement a décidé dese concentrer sur la concurrence plutôt que sur la qua-lité. »Le National Health Service coûte en moyenne auRoyaume-Uni plus de 97 milliards de livres par an. De l’autre côté de la Manche, le système public de santéfrançais, considéré comme l’un des meilleurs aumonde, fait également l’objet d’une grande réflexionau plus haut niveau de l’État. En cause, de nouveau, lescoûts induits par la couverture sociale. C’est un fait, leniveau des dépenses publiques de santé en France estl’un des plus élevés au monde : avec 11,8 % du produitintérieur brut en 2009, il est le troisième plus élevé del’OCDE, après les États-Unis et les Pays-Bas, selon dessources officielles françaises. Malgré la réforme de l’or-

ganisation de la Sécurité sociale en 1996, les dépensesd’assurance maladie progressent à un rythme supé-rieur à celui du P.I.B., ainsi qu’à celui des recettes d’as-surance maladie (cotisations sociales et impôts). Le « trou » de la sécurité sociale s’élèvera pour 2012 à14,7 milliards d’euros.C’est peu dire qu’une réforme de l’assurance maladieest très attendue. Pour la présidente du Medef (le syn-dicat patronal français), Laurence Parisot, ce sera là le« grand défi »du gouvernement socialiste.

La cagnotte allemandeChez le voisin allemand, le système social public cou-vre une plus faible partie de la population que le sys-tème français, puisque au-delà d’un certain seuil de re-venu (salaire individuel de 4 050 € bruts par mois),l’affiliation au régime public pour l’assurance maladien’est plus obligatoire et les contribuables peuvent re-courir à une assurance privée (c’est le cas pour 8,8 mil-lions d’Allemands, soit environ 11 % de la population).Résultat : les caisses publiques d’assurance maladiesont pleines. Selon le quotidien Le Monde du 8 mars2012, leurs recettes se sont élevées en 2011 à 183,6milliards d’euros, pour 179,6 milliards de dépenses.Ceci sans compter les réserves des caisses – plus de 5 milliards – ainsi que celles du fonds de santé, crééespar la loi de 2007 pour centraliser les cotisations qui,elles, s’élèvent à 9,5 milliards. Au total, le système pu-blic d’assurance maladie possède donc une cagnottede plus de 19 milliards d’euros.C’est l’aboutissement des réformes menées entre 1992et 2003, visant à contenir la hausse des dépenses desanté. Dès 2004, les caisses étaient excédentaires. En2007, le gouvernement Merkel a introduit une cou-verture universelle. La couverture santé des enfants estgratuite depuis 2008. La concurrence entre les caissesd’assurance maladie publiques et privées s’est accrueet ces dernières ne peuvent pas refuser d’assurer unepersonne éligible aux conditions de libre assurance. Unfonds pour la santé a été créé, financé par l’impôt, maissurtout par les cotisations. De quoi rendre jaloux... ■

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Londres, octobre 2011. Manifestation devant le parlement contre la réforme du système de santé britannique.

« Le niveau des dépenses publiquesde santé en France est l’un des plus élevés au monde. »

en bref

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« Le touriste est un voyageursans alibi »

Anthropologue, spécialiste dutourisme, Jean-Didier Urbain estprofesseur à l’université Paris-Descartes.

Propos recueillis par Alice Tillier

époque // Regard

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Pourquoi voyager ? Mieux,pourquoi recommencer à

voyager, alors qu’il n’y a paslà d’impérieuse nécessité ?

Réponse de l’anthropologueJean-Didier Urbain.

Votre ouvrage, L’envie du monde,porte non pas sur le phénomènedu tourisme, mais sur lapersonne du touriste lui-même –un terme que vous n’aimez pastrop d’ailleurs…Jean-Didier Urbain : Le terme detouriste est tellement connoté néga-tivement ! Et cela remonte à loin.Dès le milieu du XIXe siècle, l’imageest déjà celle d’un touriste pressé,désargenté, superficiel et bientôtmoutonnier – à partir de l’inventiondes voyages groupés par ThomasCook. À l’encontre de cette image, je

voudrais réhabiliter le touriste. C’estvrai qu’à la différence des autresvoyageurs – le missionnaire, l’ethno-logue, le commercial –, le touriste estun voyageur sans alibi : sa mobilitén’a pas de légitimité hors de son plai-sir. L’histoire du touriste se confondd’ailleurs avec la quête permanented’une utilité : culture, santé, famille,

formation… L’un des arguments lesplus récents étant le tourisme « res-ponsable », « solidaire », « caritatif » :on voit une efflorescence d’épithètesqui est très révélatrice.

Si tout ces arguments ne sontque des justifications, qu’est-cequi, au fond, pousse l’homme àvoyager ?J.-D. U. : C’est bien là le mystère quise pose. On comprend facilement lemigrant économique. Mais pour-quoi, une fois sécurisés, logés, nour-ris, continuons-nous à voyager ? Lesmotivations, au niveau individuelou collectif, peuvent varier au cours

Le français dans le monde // n° 384 // novembre-décembre 2012

« C’est là le mystère :pourquoi, une foissécurisés, logés, nourris,continuons-nous àvoyager ? »

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« Qu’on se souvienne ici du ‘‘Je voyage pourne pas voir la tour Eiffel’’ de Maupassant,stigmatisant la ville comme un objet pho-bique : bien plus comme un point de départ(et de fuite) que d’arrivée (ou de quête). Ouencore, source cette fois objective, qu’onpense aux statistiques, qui révèlent suc-cessivement que la ville, au prorata de sataille, est d’abord un haut lieu d’émissionde vacanciers avant d’en être un de récep-tion. Que la ville est la plus faible des des-tinations en matière de fidélité. Et enfin,que la ville est, dans le champ global del’envie actuelle de voyage, l’espace le pluscristallisateur des peurs de notre tempsque sont l’insécurité, la saleté, le bruit, lapromiscuité, la violence et autres nui-sances et avanies comme la pollution at-

mosphérique, l’inhospitalité ou les prix tropélevés.Mais la ville semble à présent se libérer decette mauvaise réputation et même main-tenant, par son ordre, sa densité et la di-versité compacte de ses services multi-ples, répondre au contraire à ce besoin decohérence et de compréhension : de lisibi-lité du monde, qui manque tant à l’hommecontemporain. Si bien que, renaissance, laville séduit à nouveau et est à ce jour à l’ori-gine d’un tourisme particulier en pleinessor, national et international, porté sur lecourt séjour, le ‘‘saut de puce’’ et le plaisirde la fugacité que propose une brève in-cursion en ‘‘terre inconnue’’, de Lisbonne àVilnius, ou du Caire à Dublin. »

Jean-Didier Urbain, L’Envie du monde, Éditions Bréal, 2011,p. 171.

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d’une vie ou d’une année, mais onpeut dégager des tendances fortes.Et la première est le désir de socia-bilité et de grégarité. Dans des festi-vals ou à la plage, il y a le désir dumême, l’envie de regarder tous dansla même direction. Il est frappant devoir à quel point il y a peu de conflitssur les plages : les gens sont là pour

être ensemble ! Sans aller chercherd’aussi grands groupes, le désir desociabilité passe aussi par le choixd’une société restreinte : des amis, lafamille, sur une île, au Club Med oudans une résidence secondaire –c’est une bulle, un groupe autar-cique et autosuffisant qui est re-constitué.

Que faites-vous de la découvertecomme moteur du voyage ?J.-D. U. : Bien sûr que ce désir de découverte existe, mais il faut com-prendre que le voyage n’est pas seu-lement fait pour voir le monde, il per-met de l’oublier, de le laisser derrièresoi. Tout voyage comprend une di-mension narcissique. Voyager, c’estfaire une expérience identitaire : soitse retrouver soi-même, soit avoir lesentiment de devenir un autre.

Comment le touriste actuelvoyage-t-il ? J.-D. U. :Les voyages obéissent à unevision « très TGV », à un souci de ra-pidité : la durée n’est plus intégréeau plaisir du voyage. Autre élément :l’autonomie. On recourt de plus enplus à des réseaux non profession-nels, affinitaires, associatifs, à untourisme non marchand, grâce no-tamment à Internet, qui favoriseaussi le « voyage de prévention » : levoyage est tellement anticipé qu’il nes’agit plus tant de découvrir que devérifier, à l’image d’un Don Qui-chotte allant voir si le monde est bientel qu’il l’a lu dans les livres  ! Le

voyage ne tolère plus réellementl’imprévu, considéré alors commeun « accident ».

Le touriste était très majoritaire-ment occidental. Il est désormaisaussi massivement indien,chinois… Ce nouveau touriste a-t-il les mêmes aspirations ?J.-D. U. :Les référents patrimoniauxne sont pas toujours identiques.J’aime reprendre cet exemple de tou-ristes indiens faisant un tour d’Eu-rope en dix jours, qui, tout juste arri-vés à Marseille, se sont précipités à lagare Saint-Charles pour voir le TGV !Ils n’étaient pas du tout intéresséspar le Vieux-Port ou la Canebière :pour eux, la France, c’est le TGV.Belle leçon de relativisme. ■

Le français dans le monde // n° 384 // novembre-décembre 2012

Il y a le voyageur pressé qui pratique le fasttourism, l’adepte des voyages décalés, plusrares mais longuement préparés, le trente-naire pour qui le quotidien n’est qu’une pa-renthèse entre deux départs, le retraité qui,lui aussi, bouge, pour être toujours dans unmouvement et avoir le sentiment d’exister…C’est à ce voyageur protéiforme que s’inté-resse J.-D. Urbain dans L’Envie du monde,avec une question fondamentale : pourquoivoyage-t-on ? L’anthropologue remonte auxorigines du tourisme, né en Angleterre dansle pays européen le plus urbanisé, et ana-lyse le lien fort entre tourisme et ville, pouraborder ensuite les tendances actuelles et

les perspectives dans un contexte d’inter-nationalisation forte du tourisme. Car le tou-risme est une construction culturelle, quivarie selon les lieux et les époques, en fonc-tion de l’imaginaire projeté sur les espaces :c’est en cela qu’il est un révélateur fort denos sociétés. L’auteur dégage dans notremonde actuel quatre « désirs capitaux » pourexpliquer le voyage : le désir de sociabilité,la recherche d’une communauté restreinte,l’appel du désert et le désir altruiste. Un re-gard d’anthropologue sur le touriste en tantque sujet, loin des études sur le phénomènedu tourisme, ses statistiques et les pro-blèmes qu’il engendre. ■ A.T.

Le tourisme, une construction culturellecompte rendu

« Le voyage est tellementanticipé qu’il ne s’agit plustant de découvrir que devérifier, à l’instar de DonQuichotte allant voir si lemonde est bien tel qu’il l’alu dans les livres ! »

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attitudeCheval

Par Jean-Jacques Paubel

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À cheval ! L’équitation se révèle en phase avec les aspirations nature

des Français. Le 23 septembre dernier avait lieu la journée natio-nale du cheval. Au Harasdu Mas de l’Air – Ca-bannes, Bouches du

Rhône – , ce jour-là, on peut faire sonbaptême de poney pour les plus petits,de la voltige, du dressage, de l’obsta-cle pour les plus grands. Sans oublierle carrousel des curly pour les aînés. Etc’est comme ça dans toute la France,dans les 1 500 centres équestres quiouvrent leur porte ce jour-là pour lebonheur de tous les Français qui ré-pondent présents à l’invitation.C’est un fait, l’équitation est en trainde devenir un sport de plus en plusgrand public et les Français, surtoutles Françaises, sont de plus en plusnombreux à monter à cheval. Lapreuve : selon un sondage réalisé à lademande de la Fédération françaised’équitation (FFE), ils sont plus de56 % à se dire prêts à inscrire leur en-fant dans un centre équestre et pour77 % d’entre eux, il n’y a pas d’âgepour faire du cheval. Qui plus est, pasbesoin d’aller très loin puisqu’on es-

time que chaque Français n’est paséloigné de plus de 10 kilomètres d’uncentre équestre.

Des vertus éducativesÀ cette raison pratique s’ajoute bien sûr lareprésentation que chacun se fait de cetteactivité synonyme de nature et de com-plicité avec ce qu’il est convenu d’appelerla plus belle conquête de l’homme.« Quand je suis au club, ma tête se vide detoute la liste de choses que j’ai à faire, ex-plique cette cavalière, je me mets en modecheval. »Une « cheval attitude » que SergeLecomte, président de la FFE, attribueaux familles : « Des familles, dit-il, qui sa-vent que l’équitation va rendre leurs enfantsattentifs aux animaux, à la nature, aux au-tres, en leur offrant des moments inoublia-bles. » Inoubliables comme ceux qu’avécus Anne : « Vous ne pouvez vous imagi-ner à quel point j’ai été heureuse et tout ceque le fait de monter à cheval a représentépour moi. C’est une passion que j’ai étécontrainte de mettre au placard depuis tantd’années… J’ai eu l’occasion dans ma viede faire un très grand nombre de voyages :mon voyage sur le dos de ma petite Nouméaa sans aucun doute été le plus beau… »C’est à croire que le cheval, cet animal

tout à la fois doux et imposant, possèdenon seulement des vertus éducatives ,mais aussi des vertus thérapeutiques.Serge Lecomte compare l’animal à un« formidable maître d’école »qui incite lesenfants à se soumettre facilement aux rè-gles collectives. « L’enfant est naturelle-ment dans une attitude d’observation où ilse maîtrise, conscient qu’il doit mesurer pré-cisément les risques qu’il peut ou qu’il nepeut pas prendre. »Écologique, synonymed’évasion, « le cheval est aussi un excellentmédiateur pour sensibiliser les plus jeunesà différents thèmes comme la protection del’environnement et le respect de la nature,de la faune et de la flore », complète un avisrendu en 2010 par le Conseil écono-mique, social et environnemental surl’avenir de la filière équestre.

Tradition françaiseTroisième sport le plus pratiqué deFrance, un million de cavaliers, 700 000licenciés dans un club dont 580 000femmes, deux millions de pratiquants oc-casionnels, l’équitation de « traditionfrançaise », symbolisée par le Cadre Noirde Saumur, a été inscrite par l’Unesco à laliste représentative du patrimoine cultu-rel immatériel de l’humanité. ■

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Par Clément Balta

Je n’ai jamais imaginé cela.Déjà, je ne pensais pas faire cemétier, alors entraîner la n° 1mondiale… » Le 28 janvier2012, en finale de l’Open

d’Australie, la Biélorusse Victoria Aza-renka étrille en deux sets la RusseMaria Sharapova et grimpe du mêmecoup au sommet du classement WTA.Deux ans auront suffi à Sam Sumyk,son entraîneur depuis début 2010,pour succéder à l’ancien coachd’Amélie Mauresmo, Loïc Courteau,au panthéon des Français qui ont eule privilège de s’occuper de la meil-leure joueuse de la planète tennis.Sam Sumyk. Si son nom claquecomme un héros de série américaineet que ses éternelles lunettes noireslui donnent des airs de star holly-woodienne, c’est peut-être que sonhistoire y ressemble. Rien ne prédis-

posait ce Breton né dans la presqu’îlede Quiberon il y a 44 ans à devenirl’un des plus grands spécialistes ducircuit féminin. Gamin fasciné par lapetite balle jaune, il passe des heuresà jouer dans un hangar transforméen improbable court de tennis par lamagie d’un certain Phil Leyshon, unGallois échoué en petite Bretagneauquel il rendra hommage sur lecentral même de Melbourne Park enarborant un T-shirt à son nom.

French connectionL’homme est fidèle et sait d’où ilvient. Devenu enseignant au TC Lorient, il se décide à quitter le gironnatal à 23 ans pour parfaire son an-glais, indispensable à haut niveau. Iltrouve une pige de trois mois dansun camp de tennis en Floride. Il n’ena plus bougé. Son travail et sa téna-cité lui ont permis de prendre encharge une jeune espoir américaine,

Jeu de BreizhMeilen Tu, qu’il portera jusqu’à la 35e

place mondiale. Elle est aujourd’huisa femme – et l’agent d’Azarenka.« Depuis que je le connais, c’est-à-diredepuis 1997, Sam ne change pas. C’estun mec simple, généreux et franc. »Brut de décoffrage aussi : « Sam estvraiment dur parfois et il peut êtrebrutal, confirme ‘‘Vika’’, mais il y atoujours une raison. Il m’aide telle-ment, pas seulement sur le court maisaussi en dehors. »Pour lui, la finalité n’est pas la consé-cration mais le progrès. « Ce qui m’in-téresse dans ce métier, confie-t-il, c’estce que je vais mettre en place pouraméliorer mon athlète. Tous les lundis,on repart de zéro. » Une quête quasiobsessionnelle qui implique uneadaptation et une ouverture perma-nentes. Rien ne l’arrête dans ce qu’ilappelle du «  management à lacarte » : rencontrer Maurice Greenou Jonny Wilkinson, compulser ma-

nuels techniques et biographies, réu-nir coupures de presse ou interviewsd’acteurs dont il admire les perfor-mances, tel Russel Crowe. L’équipe façonnée autour d’Aza-renka fonctionne sur le même credo.Avec un physio et un sparring-part-ner français, le renfort cet été d’Amé-lie Mauresmo comme conseillère,elle prend même des allures defrench connection. « C’est la petite en-treprise de Vika, explique Sumyk. Jene suis que le relais entre les gens. »Toute la raison d’une osmose fonda-mentale selon l’intéressée  : «  Onforme un vrai groupe. On a trouvél’équilibre entre une conduite pro etune façon d’apprécier les bons mo-ments. Pour moi, ce n’est pas une en-treprise, c’est une famille. » Holly-wood en signerait déjà la joyeusefin : la jeune fille prodigue et le bonpère fouettard furent heureux et eu-rent beaucoup de jolis trophées… ■

© Nicolas Luttiau

époque // sportSam Sumyk, ici à l’entraînement

avec Victoria Azarenka lors du dernier US Open. Sa joueuse échouera d’un rien en finale contreSerena Williams.

Mais qui est donc SamSumyk, l’entraîneur de lameilleure joueuse de tennisdu circuit ? Portrait d’unBreton au parcours aussiinattendu qu’exceptionnel.

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Par Caroline Behague

époque // Portrait de francophone [5/6]

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Sa connaissance de la langueet de la culture françaises ont mené Octavio Kulesz

à publier plus de soixante-dix livres d’auteurs français

en Argentine. Désormais, il se consacre à l’édition

numérique.

Il a encore le français sur lebout de la langue. OctavioKulesz revient tout juste de lafoire du livre d’Alger où il pré-sentait devant ses collègues

du Maghreb son rapport sur le déve-loppement de l’édition numériquedans les pays émergents. C’est toutnaturellement en français que leséchanges se sont établis. « Maîtriserla langue française m’a ouvert telle-ment de portes... Ce voyage, commed’autres, n’aurait pas été possible.C’est un passeport pour le monde fran-cophone ».

Octavio, tout comme son frère et sasœur, ont appris le français en im-mersion dès les classes de mater-nelle du lycée français de BuenosAires, le lycée Jean-Mermoz. « Mesparents croyaient qu’un jour nousquitterions l’Argentine pour l’étran-ger. Le réseau des lycées français nousauraient permis de ne pas bousculernotre scolarité. Et moi, j’aimais savoirparler avec mes frères une langue quemes parents ne comprenaient pas. »Finalement, toute la famille reste àBuenos Aires. Mais Leopoldo, lefrère aîné d’Octavio, gagne unebourse d’études pour Aix-en-Pro-vence et quitte l’Argentine pendantpresque dix ans. Après son doctoraten mathématiques, il revient avecune envie, éditer des livres. Octavio termine alors ses études dephilosophie : l’affaire démarre en famille.

Bourdieu en espagnol« Faire le lycée français a eu des consé-quences énormes sur ma vie. Je suis sûrque penser en plus d’une langue vousforce à avoir une vision différente sur leschoses et de toujours chercher un secondpoint de vue. » De plus, Octavio Kuleszdéveloppe une facilité dans l’acquisi-tion des langues étrangères et il ajou-tera, plus tard, l’anglais puis leslangues anciennes comme le grec et,dans une moindre mesure, l’hébreu etle latin à son répertoire. La société d’édition Libros del Zorzalest constituée un peu avant la grandecrise de 2001 qui déstabilise tout lesystème économique argentin. Lepays doit brusquement dévaluer samonnaie. Mais cette crise va consti-tuer une formidable opportunité pourles frères Kulesz.« La plupart des auteurs que nous avonsédités ces trois premières années étaient

Le français dans le monde // n° 384 // novembre-décembre 2012

« Maîtriser la languefrançaise m’a ouverttellement de portes... »

© Christophe Apatie

En français dans le texteOctavio, Argentine

La fiche pédagogiqueà télécharger sur :www.fdlm.org A2

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français : Dolto, Bourdieu, Bataille…Ces auteurs n’avaient jamais été publiésen Argentine, ni, de manière générale, enlangue espagnole », explique le jeunehomme. Grâce au soutien de l’Ambas-sade de France (via le fonds VictoriaOcampo pour l’aide à la publicationd’œuvres françaises) ainsi que du Cen-tre national du livre, Libros del Zorzala publié depuis sa création 70 livrestraduits du français pour un cataloguetotal de 300 ouvrages. La dévaluation du peso argentin leurpermet d’être compétitifs sur les mar-chés latino-américains et même en Es-pagne où ils distribuent leurs livres.Avant la crise, les éditeurs nationauxavaient pratiquement disparu du pays.La plus grande partie des livres distri-bués en Argentine provenaient alorsd’Espagne. « Le milieu culturel argentinest très francophile. Localement, nos pu-blications ont été bien reçues. »Les frèresKulesz s’inspirent d’une collection diri-

gée par Bourdieu, Raisons d’agir – « deslivres intelligents, jolis, très bon marché,courts et faciles à lire » – et créent la col-lection Mirada Atenta, avec des écri-vains des deux nationalités. Deux auteures argentines, Silvia Bleichmaret Ivonne Bordelois, deviennent desbest-sellers en Argentine en vendantdes dizaines de milliers d’exemplaires.La première sera traduite en françaisaux éditions du Félin : Douleur pays.L’Argentine sur le divan.

Culture française etpragmatisme anglo-saxonMais le marché de l’édition change,plus vite encore dans les pays émer-gents que dans les pays développés.Octavio Kulesz décide alors d’ap-prendre une toute nouvelle langue,l’informatique, et se familiarise avecles auxilaires php, html, css... « Avecdes camarades de terminale scienti-fique du lycée, nous avions créé un petit

groupe de programmateurs, à l’époquedu Turbo Pascal, ce qui serait l’équiva-lent du latin aujourd’hui ! Mais j’ai tou-jours conservé une curiosité pour cettediscipline. » Octavio se lance un nou-veau défi  : l’édition numérique etcrée, en 2007, la société Teseo. « La culture ne tourne plus autour dulivre mais autour d’Internet, expliquele professionnel, ainsi les tirages de li-vres se réduisent-ils. » Octavio Kuleszpropose, avec Teseo, des livres aca-démiques à lire en ligne ou imprimésà la demande. En France, les ou-vrages de Teseo – en espagnol – sontdistribués par le géant de la distribu-tion en ligne, Amazon. « La culturefrançaise fait partie de mon bagageculturel. Mais des bourses d’étudesm’ont permis de voyager aux États-Unis et j’ai appris à être moins critiqueenvers les Anglo-Saxons. Ça aussi, jel’avais hérité de la culture française !J’admire l’esprit idéaliste cartésien

mais c’est bien de le combiner avec lepragmatisme anglais », commentel’éditeur.Entre 2007 et 2008, Octavio Kuleszprend la tête d’un réseau de jeuneséditeurs indépendants des pays duSud. Puis il créé un sous-groupe, Digital Minds Network, regroupantplusieurs éditeurs numériques issusde l’Afrique du Sud et de l’Égypte.Petit à petit, des mots anglais tein-tent son vocabulaire quotidien. L’andernier, il rédige puis il présente unrapport sur l’édition numérique dansles pays émergents : « Ces pays vontsauter l’étape de l’impression et de ladistribution classique, pas encore toutà fait installées, pour faire de l’éditionnumérique. » C’est en français qu’ilprésente les conclusions de ce rap-port, l’an dernier, au Centre pourl’Édition Électronique Ouverte(Cléo), à Marseille. « Désormais, jetravaille à créer des livres pour uneseule lecture en ligne, loin de la logiquedes livres imprimés. Le défi est pas-sionnant ! »■

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« Dolto, Bourdieu, Bataille...Ces auteurs n’avaientjamais été publiés enArgentine, ni, de manièregénérale, en espagnol. »

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