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Mécanique & Industries 3 (2002) 593–605 Conception Inversée Intégrée : prédimensionnement de produits par satisfaction de contraintes Inverted Integrated Design: constraint satisfaction for design support system Xavier Fischer a,b,, Jean-Pierre Nadeau b , Patrick Sébastian b , Pierre Joyot a a LIPSI ESTIA, technopôle Izarbel, 64210 Bidart, France b LEPT ENSAM – UMR CNRS 8508, esplanade des arts et métiers, 33405 Talence cedex, France Reçu le 20 septembre 2001; accepté le 6 septembre 2002 Résumé La conception préliminaire de produits est initiée par les objectifs de conception. Connaissant les objectifs fonctionnels, les concepteurs émettent des choix de conception en utilisant les connaissances métiers. Un processus performant doit mener à des conclusions proches des conclusions attendues qui sont spécifiées dans le cahier des charges. La Conception Inversée Intégrée (CII) est une démarche de conception originale qui utilise le cahier des charges non pas comme un document de validation des conclusions obtenues, mais comme un élément générateur des choix. Cette démarche repose sur une traduction des objectifs et propose, en outre, l’émergence de choix de matériaux, de dimensions et de formes à partir de toutes les règles du processus de conception. La CII intègre une méthodologie destinée à traduire le problème de conception sous forme de relations particulières appelées des contraintes. Cette modélisation est basée sur l’usage des techniques de réduction de modèles, et des approches qualitatives. Les solutions de conception sont déterminées par des techniques de satisfaction de contraintes. La méthodologie et le moteur de calcul sont positionnés dans une démarche globale de conception. Méthodologie, moteur de calcul et démarche constituent l’environnement d’aide à la décision appelé CII. Nous appliquons l’ensemble de nos théories à la conception d’appareils à pression. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Abstract Mechanical design is based on aims of schedule of conditions. Design is an inverted integrated process: designers use aims to do design choices. This process, which requires a translation of all objectives, allows the synthesis of ideal dimensions (choices of materials, dimensions and shapes) from explicit and implicit rules. Rules translate all process laws and mechanical laws: mechanical calculus is integrated in design. Inverted Integrated Design (IID) process is modelized from a constraint based representation and a qualitative valuation. Constraints are analytical or are build from neural networks. Consistency techniques are used in CSPs to seek all consistent dimensions. We apply our work to the design of some pressure apparatus. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots-clés : Conception Inversée Intégrée ; Raisonnement à base de contraintes ; Problème de satisfaction de contraintes ; Réseaux de neurones ; Variables floues ; Intervalles ; Éléments finis ; Plaques raidies Keywords: Inverted Integrated Design; Dimensional synthesis; Constraint Based Reasoning; Constraint Satisfaction Problem; Neural network; Fuzzy value; Numerical interval; Finite elements; Strained plate * Correspondance et tirés à part. Adresses e-mail : [email protected] (X. Fischer), [email protected] (J.-P. Nadeau), [email protected] (P. Sébastian), [email protected] (P. Joyot). 1296-2139/02/$ – see front matter 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. PII:S1296-2139(02)01204-6

Conception Inversée Intégrée : prédimensionnement de produits par satisfaction de contraintes

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Mécanique & Industries 3 (2002) 593–605

Conception Inversée Intégrée : prédimensionnement de produits parsatisfaction de contraintes

Inverted Integrated Design: constraint satisfaction for designsupport system

Xavier Fischera,b,∗, Jean-Pierre Nadeaub, Patrick Sébastianb, Pierre Joyota

a LIPSI ESTIA, technopôle Izarbel, 64210 Bidart, Franceb LEPT ENSAM – UMR CNRS 8508, esplanade des arts et métiers, 33405 Talence cedex, France

Reçu le 20 septembre 2001; accepté le 6 septembre 2002

Résumé

La conception préliminaire de produits est initiée par les objectifs de conception. Connaissant les objectifs fonctionnels, les concepteursémettent des choix de conception en utilisant les connaissances métiers. Un processus performant doit mener à des conclusions proches desconclusions attendues qui sont spécifiées dans le cahier des charges. La Conception Inversée Intégrée (CII) est une démarche de conceptionoriginale qui utilise le cahier des charges non pas comme un document de validation des conclusions obtenues, mais comme un élémentgénérateur des choix. Cette démarche repose sur une traduction des objectifs et propose, en outre, l’émergence de choix de matériaux,de dimensions et de formes à partir de toutes les règles du processus de conception. La CII intègre une méthodologie destinée à traduire leproblème de conception sous forme de relations particulières appelées des contraintes. Cette modélisation est basée sur l’usage des techniquesde réduction de modèles, et des approches qualitatives. Les solutions de conception sont déterminées par des techniques de satisfaction decontraintes. La méthodologie et le moteur de calcul sont positionnés dans une démarche globale de conception. Méthodologie, moteur decalcul et démarche constituent l’environnement d’aide à la décision appelé CII. Nous appliquons l’ensemble de nos théories à la conceptiond’appareils à pression. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved.

Abstract

Mechanical design is based on aims of schedule of conditions. Design is an inverted integrated process: designers use aims to do designchoices. This process, which requires a translation of all objectives, allows the synthesis of ideal dimensions (choices of materials, dimensionsand shapes) from explicit and implicit rules. Rules translate all process laws and mechanical laws: mechanical calculus is integrated in design.Inverted Integrated Design (IID) process is modelized from a constraint based representation and a qualitative valuation. Constraints areanalytical or are build from neural networks. Consistency techniques are used in CSPs to seek all consistent dimensions. We apply our workto the design of some pressure apparatus. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved.

Mots-clés :Conception Inversée Intégrée ; Raisonnement à base de contraintes ; Problème de satisfaction de contraintes ; Réseaux de neurones ; Variablesfloues ; Intervalles ; Éléments finis ; Plaques raidies

Keywords:Inverted Integrated Design; Dimensional synthesis; Constraint Based Reasoning; Constraint Satisfaction Problem; Neural network; Fuzzy value;Numerical interval; Finite elements; Strained plate

* Correspondance et tirés à part.Adresses e-mail :[email protected] (X. Fischer), [email protected] (J.-P. Nadeau), [email protected] (P. Sébastian),

[email protected] (P. Joyot).

1296-2139/02/$ – see front matter 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved.PII: S1296-2139(02 )01204-6

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Nomenclature

a valeur d’une variable{b1, b2, . . . , bn} ensemble de valeurs{b1}, {b2}, {b3} vecteurs des biais d’un réseau de

neurones à trois couchesc nombre de critèresC ensemble de contraintes{e} vecteur des variables d’entrées d’un réseau de

neuronesCo variable coût . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . EurosD ensemble des domaines de valeursh épaisseur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . mi indice de sommationki coefficient de pondérationn,n1, n2, n3 dimensions d’ensemblesnx,ny nombre de raidisseurspi, qi,p variablesP(C,V,D) problème par contraintes

Px,Py types de raidisseursQ,T ,U,V ensembles de variablesR ensemble des réels{s} vecteur des variables de sortie d’un réseau de

neuronesw flêche maximale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . m[W1], [W2], [W3] matrices des poids d’un réseau de

neurones à trois couchesµ fonction d’appartenance floueσ répartition moyenne de contrainte dans une

épaisseur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Paσp contrainte maximale équivalente dans une

plaque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Paσr contrainte maximale équivalente dans une

poutre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . PaΦ fonction objectif〈p,a〉 affectation de la valeura à la variablep

1. Introduction

Les démarches classiques de prédimensionnement uti-lisent le calcul mécanique comme un outil de validation.Les codes de calculs numériques, destinés à la simulationdes comportements physiques, permettent de vérifier la co-hérence des choix de conception réalisés. La démarche deconception proposée dans cet article est une démarche inté-grée. Elle met en jeu une logique permettant la définition destructures et le choix de dimensions à partir des règles de laPhysique. Cette démarche est aussi inversée : l’ensemble desobjectifs de conception spécifiés dans le cahier des chargessont traduits sous forme de règles qui sont associées auxrègles de conception et aux règles métiers. La démarche deprédimensionnement présentée est donc inversée et intégrée,et a pour objectif de faire émerger des solutions optimales.

Cette méthode de prédimensionnement suppose de mettreen œuvre :

• une modélisation des connaissances,• une modélisation du raisonnement.

Les connaissances, qui sont les variables du problème,caractérisent le produit du point de vue morphologique et dupoint de vue du comportement physique. La modélisationdes connaissances se décline en la construction du modèledu raisonnement qui intègre :

• les lois de la Physique,• les règles métiers,

• les objectifs de conception et les critères de perfor-mance.

Les lois de la Physique sont construites à partir de modèleséléments finis et de modèles réduits. Les règles métiers s’ex-priment à partir d’approches floues et qualitatives. Les règlesprennent la forme de contraintes. Dans la Conception In-versée Intégrée (CII), la morphologie du modèle de raison-nement intégrant toutes les contraintes montre une grandehétérogénéité. Les contraintes peuvent être des inégalités,des égalités, des conditions, des relations logiques ou dis-crètes. . . Elles lient les variables du problème. Les variablesprennent leurs valeurs dans des domaines discrets ou conti-nus. Les valeurs sont numériques, floues, linguistiques ousous forme d’intervalles.

Afin de donner des solutions de conception cohérentes,nous utilisons des outils de calculs combinatoires établis au-tour des techniques de satisfaction de contraintes (ConstraintSatisfaction Problem ou CSP). Ces outils permettent la re-cherche de combinaisons de valeurs cohérentes au regard detoutes les règles. Ils trouvent leur origine dans les théoriesd’Intelligence Artificielle destinées à la satisfaction simulta-née de règles heuristiques.

Notre approche permet l’émergence de solutions deconception optimales. En effet, chacune d’entre elles res-pecte les objectifs du cahier des charges en terme de :

• comportement physique,• critères de performance et de qualité,• critères de choix relatifs aux métiers de l’entreprise.

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2. Les outils d’aide à la conception basés surl’intégration des connaissances

2.1. Les démarches de conception

Le processus industriel de conception est articulé autourd’un ensemble d’acteurs ayant des compétences et desconnaissances différentes. Ces acteurs utilisent des outilsd’aide à la décision liés à leur métier ; il s’agit d’outilsde CAO pour les concepteurs, de codes de calcul pour lescalculateurs. . . La conception est un métier de spécialistesde cultures diverses, qui disposent de types de raisonnementsdifférents et d’une vision du problème dépendante de leurpoint de vue. Cette hétérogénéité culturelle apporte, sansconteste, une richesse industrielle mais, par ailleurs, soulèvedes problèmes quant à l’exploitation optimale des différentsmétiers et à la prise en compte de l’avis de chacun. Danstous les cas, un nouveau produit émerge de l’associationdynamique des différents spécialistes et des différents outils.

Le processus de conception s’articule encore trop souventautour d’un schéma séquentiel et incrémental [1] (Fig. 1).Chaque phase du processus doit répondre aux attentessuivantes :

• proposer des hypothèses de travail qui émergent descompétences métier du niveau en cours et qui matériali-sent les objectifs de conception,

• remettre en cause ou valider les hypothèses de travaildéjà proposées par les niveaux précédents.

Toutefois, pour limiter les coûts et le temps de conception,le nombre d’itérations doit être réduit. Il est donc souventnécessaire d’accepter des compromis.

Afin de mieux prendre en compte les propositions faitespar les acteurs du processus de conception, l’industrie tend àdévelopper une démarche concourante [2]. Cette démarchefacilite la distribution des tâches et raccourcit les tempsd’études. Elle favorise la perception du problème pourchacun des acteurs mais suppose que tous ont une perceptionidentique de l’objectif à atteindre.

L’industrie tend aussi à développer une démarche deconception simultanée. Elle préconise la parallélisation desactivités [3]. Cette approche est apparue en 1985 et a pourbut de raccourcir de manière importante les temps d’études.

Les activités de conception peuvent aussi être intégréeset intervenir, autant que possible, en parallèle, plutôt que demanière séquentielle [4].

Dans la pratique nous pouvons distinguer deux niveauxd’intégration :

• l’intégration des outils d’aide à la décision,• l’intégration des métiers et des cultures.

L’intégration des outils suppose la création d’un système in-formatique capable d’aider un intervenant, indépendemmentde sa spécialité, à réaliser des choix tout en pouvant accé-

Fig. 1. Processus de conception itératif.

der à toutes les cultures nécessaires. Cet outil reste à réaliserpuisqu’il fait appel à l’utilisation de connaissances et de rai-sonnements disparates dont la formalisation est complexe.Ce niveau d’intégration suppose l’émergence d’outils infor-matiques supportant des théories d’Intelligence Artificiellearticulées sur une adaptation de l’outil lui même à tout typede problème : est-ce réaliste [5] ?

L’intégration des cultures semble être aujourd’hui, parcontre, un concept acquis par la majorité des concepteurs.Nous percevons la nécessité de disposer d’un outil capabled’associer différents modes de raisonnement.

2.2. L’intégration des lois de la Physique en conception

La phase de conception préliminaire est une phase dé-terminante dans le positionnement des choix définitifs. Pourréaliser des choix tout en assurant le comportement physiqueattendu, le concepteur utilise des règles expertes qui font in-tervenir des visions liées à la Physique. Ces règles évitentl’émergence de mauvaises solutions. Cependant, les lois dela Physique sont aussi utilisées pour valider les solutions dé-finies par les concepteurs. Grâce aux codes de calcul numé-rique, un calculateur simule le comportement physique du

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produit pour soulever les incohérences de choix vis à vis desobjectifs explicités dans le cahier des charges.

Nous distinguons donc deux façons d’utiliser les théoriesde la Physique :

• le calcul de synthèse [6] est destiné à aider à laréalisation de choix de conception,

• le calcul de validation est utilisé pour vérifier l’intégritéde la structure, qui doit assurer ses fonctions sous l’effetde sollicitations mécaniques (dimensionnement en résis-tance), et respecter les objectifs en terme d’amplitude dedéformation (dimensionnement en rigidité) [7].

L’intégration du calcul en conception se place aux ni-veaux de :

• l’intégration des cultures, nécessaire pour la synthèsedimensionnelle,

• l’intégration des outils (CAO et codes de calculs paréléments finis), nécessaire pour la validation.

Récemment, sont apparus des environnements qui amé-liorent l’intégration des outils de CAO et de calcul par élé-ments finis. Ils s’organisent autour d’un jeu de questions etde réponses permettant de généraliser l’accès du calcul à desintervenants n’ayant pas de culture en Mécanique des Struc-tures (nous pouvons ici faire référence à l’outil DesignSpacedéveloppé par la société ANSYS). Mais il n’existe pas d’ou-til qui propose une intégration des cultures. Toutefois, denombreux travaux vont dans ce sens. À cet effet, ils utili-sent des concepts d’Intelligence Artificielle.

2.3. L’usage d’outils d’Intelligence Artificielleen Mécanique

2.3.1. Les outils construits autour de la connaissanceDans une démarche de conception industrielle, il arrive

fréquemment qu’un produit nouveau soit obtenu à partir dela modification, plus ou moins substantielle, d’un produitdéjà étudié [8]. Un concepteur a donc tout intérêt à utiliserune base de cas de problèmes déjà traités pour initier touteétude. Troussier [9] propose une caractérisation mécaniquedes problèmes traités sur la base de calculs déjà réalisés.Ainsi, en terme de dimensionnement, tout nouveau problèmemécanique a une solution de départ qui appartient à une basede données de produits validés. Le concept d’intégration ducalcul en conception apparaît dans cette démarche puisquetout problème est caractérisé du point de vue de la Méca-nique. Néanmoins, il est difficile d’avoir une caractérisationuniforme des problèmes et des produits validés : chaque in-tervenant a sa perception du problème ou d’un produit selonsa personnalité et sa culture métier.

Au lieu d’apparaître sous forme de données, les pro-blèmes déjà traités peuvent être qualifiés sous forme decas. Si des travaux proposent des systèmes à base de cas[10] (CBR : Case Based Reasoning), ils proposent rare-

ment un formalisme d’identification adapté au problème dela conception. Comment certifier alors qu’un cas stocké estcorrectement identifié et qu’un problème posé est correcte-ment caractérisé ?

L’approche de la conception à l’aide de bases de donnéesou de bases de cas demande une caractérisation du produit.Cette perception peut être linguistique ou numérique. Cesapproches utilisent des moteurs de recherche qui consistentà retrouver par analogie une solution au problème. Maiscette approche suppose qu’il existe dans la base au moinsun modèle explicite qui répond au problème posé [11].

En conception préliminaire, la perception du produit estsouvent imprécise. Les modèles qualitatifs [12,13] peuventnous permettre de contourner cette difficulté.

Les techniques et les outils d’analyse qualitative sont is-sus du champ de l’Intelligence Artificielle. Les techniquesd’inférence associées permettent de prédire des comporte-ments à partir de données incomplètes sur la définition duproduit. De ce fait, des relations à connotations mécaniquespermettent la synthèse de solutions de conception. Les règlesutilisées dérivent généralement de l’expertise et des habi-tudes professionnelles. Mais la plus grande difficulté résidedans l’écriture des modèles qualitatifs destinés à modéliserle problème de conception.

La logique floue est une des techniques d’Intelligence Ar-tificielle les plus employées dans la modélisation de la pen-sée humaine, superposition d’intuition et de rigueur prenanten compte les phénomènes d’une façon logique ou séquen-tielle [14]. La représentation floue des connaissances permetd’associer à toute donnée numérique une caractérisation lin-guistique avec un degré de véracité. Bennis [15], Hélary [16]et Féraille [17] l’ont utilisée pour déterminer des choix deconception dans le cas de problèmes où les données initialessont incertaines. Leur démarche associe des règles expertesde mécanique et aboutissent à la définition de champs de so-lutions.

Les techniques d’Intelligence Artificielle que nous avonsévoquées permettent de décrire un problème (Fig. 2). Ellesont associées à des méthodes de recherche de solutions, qui,dans le cadre de la conception mécanique, aboutissent à ladéfinition du produit.

2.3.2. Les outils construits autour du raisonnementLa connaissance procédurale [18] est utilisée pour repré-

senter le raisonnement à mettre en œuvre au cours de la ré-solution d’un problème. Ce raisonnement constitue la partieopérationnelle du processus de conception. Certains auteursont montré que les concepteurs découpent naturellement leurdémarche en raisonnements élémentaires [19]. Ces raison-nements élémentaires impliquent les connaissances déclara-tives utilisées pour la description des objets et des états.

Les systèmes experts sont des outils basés sur la notionde règles. Ils sont parfois utilisés à des fins d’intégrationdu calcul en conception. Plusieurs auteurs ont proposédes systèmes experts capables de construire un modèle decalcul, ce qui constitue habituellement une tâche réservée

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Fig. 2. La modélisation des connaissances en conception intégrée.

aux spécialistes [2,20]. Les moyens proposés généralisentl’approche du calcul de validation mais n’assurent pasréellement l’intégration des cultures.

Les approches basées sur la représentation par contraintespermettent l’intégration des cultures et, donc, des règles ex-plicites de Physique et des règles d’expertise en conception.Le raisonnement de conception s’exprime par des relationsélémentaires où les variables prennent des valeurs de typesdifférents (valeurs numériques, intervalles) [21]. Cette ap-proche a l’avantage d’être indépendante de la nature desrègles : règle d’expertise, règle de la Mécanique des struc-tures. . . Mais, il manque à ces travaux des méthodologiesnécessaires à la traduction des raisonnements.

3. Les principes de la Conception Inversée Intégrée(CII)

3.1. Les élements habituels de validation des choixde conception

La démarche classique de conception s’appuie sur unprocessus itératif utilisant le principe d’essais-erreurs. Lecararactère itératif du processus de conception est dû à :

• la phase de dimensionnement qui consiste à faire émer-ger des choix de conception,

• les phases ultérieures destinées à valider les hypothèsesréalisées en usant des règles métiers, des critères spé-cifiés dans le cahier des charges et des simulations decomportements physiques.

Les choix de conception sont usuellement réalisés à partirde règles non explicites. Ces règles sont relatives :

• aux objectifs attendus et explicités dans le cahier descharges,

• aux visions de cohérence entre un comportement phy-sique et des choix de dimensions. Les concepteurs sesont appropriés ces règles empiriques à partir de leur sa-voir faire, et elles sont souvent en adéquation avec leslois de la Physique,

• au contexte métier, c’est à dire les règles liées auxhabitudes professionnelles et à la connaissance de l’étatde l’art,

• aux règlements de conception propres à un art.

Les concepteurs utilisent l’ensemble de ces règles pourgénérera priori des solutions de conception. Ensuite, lacohérence de chacune des solutions est mesurée à partir del’ensemble des règles du processus de conception. Et, enregard du comportement physique attendu, la justesse deschoix de conception est vérifiée à l’aide de codes de calculsnumériques. Chacune des règles du processus, qu’elle soitscientifique ou plus pragmatique, est en mesure de remettreen cause des hypothèses et de conduire à une reconception.

De plus, la phase de validation peut aussi relever desincohérences de choix réalisés avant le dimensionnement.Elle peut dénoncer :

• des principes techniques inadaptés (la phase de re-cherche de solutions est alors à réitérer),

• un cahier des charges trop contraignant (il faut alors userdes flexibilités prévues).

Le calcul numérique participe, au même titre que desrègles moins explicites, à la validation des choix. La dé-marche classique de conception, telle que nous l’avons dé-crite, est itérative. Ce caractère constitue un inconvénientmajeur qui retarde l’émergence de la solution de conceptionet alourdit les coûts d’étude. Nous proposons une évolutionde cette démarche : la démarche de Conception Inversée In-tégrée.

3.2. Une démarche, des méthodes et un outil

L’objectif de la Conception Inversée Intégrée (CII) est derechercher de solutions de conception en assurant :

• l’élimination de toute boucle itérative dans le processus,

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• le respect de toutes les règles exprimées du processus deconception dès les premiers choix,

• l’émergence rapide de solutions optimales.

La Conception Inversée Intégrée consiste en :

• une méthodologie : elle est destinée à traduire leproblème de conception sous une forme particulière,

• un outil : il recherche les solutions de conception sa-tisfaisant au modèle construit à partir de la méthodolo-gie,

• une démarche : elle positionne la méthodologie et l’uti-lisation de l’outil dans un processus global en indiquantles moyens d’utilisation qui conduisent à un processusrapide et performant.

3.3. L’utilisation de la CII pour la recherche rapidede solutions de conception

L’intégration du calcul physique en conception permetune amélioration de la démarche de conception. Pour synthé-tiser des solutions préliminaires physiquement cohérentes,nous préconisons de faire participer les lois de la Physiqueà l’émergence des choix. Cette démarche de conception quiconsiste à faire intervenir le calcul physique pendant la phasede conception contribue à la limitation, voire l’élimination,des essais et des erreurs successifs. De fait, toute solutionde conception est totalement valide du point de vue de laPhysique : les solutions émergent des règles qui les vali-dent. Néanmoins, la démarche de conception intégrée n’as-sure qu’une cohérence entre le dimensionnement du produitet le comportement physique attendu.

Evidemment, une solution de conception est correctesi elle respecte les objectifs de conception. La validitédes choix de conception dépend donc de leur cohérencevis à vis du cahier des charges. Dans une démarche deconception classique, la cohérence des choix de conceptionest confirmée par une évaluation comparative entre lesperformances des solutions et les attentes exprimées dansle cahier des charges. Toute incohérence déclenche uneréitération du processus. Pour limiter l’itérativité, nousproposons de considérer, le plus tôt possible, les règlesexprimées dans le cahier des charges. Ces règles s’associentalors avec les lois de calcul physique. Cette approcheconstitue une démarche inverse de la démarche classique.Les objectifs de conception qui ne sont habituellementque des indicateurs passifs de référence et de comparaisondeviennent des éléments actifs et déterminants dans larecherche de solutions. La démarche de conception que nousproposons, en plus d’être intégrée, est donc inversée.

Les choix de conception sont aussi réalisés à partirde règles métiers. Ces règles proviennent des habitudesprofessionnelles, de la connaissance de l’état de l’art etdes différents règlements de conception. Elles exprimentl’ensemble des techniques utilisées dans le processus de

Fig. 3. La démarche de Conception Inversée Intégrée (CII) : la synthèse desolutions optimisées.

conception. La démarche de Conception Inversée Intégrée(CII) permet la capitalisation de ces règles expertes.

En résumé, la méthodologie intégrée dans la CII garantitl’expression d’un modèle global du problème de conceptionusant de règles traduisant :

• les lois de calcul physique,• les objectifs de conception et les critères de perfor-

mance,• les règles métiers.

Cette démarche assure l’émergence de solutions de concep-tion optimales (Fig. 3) : chaque solution proposée respectenécessairement les objectifs de conception et les lois clas-siques du calcul physique. Une fonction objectif qui re-groupe l’ensemble des critères que le concepteur cherche àoptimiser est maximisée ou minimisée.

La méthodologie, conduisant à l’expression du problèmede conception sous forme de lois particulières appeléescontraintes, repose sur une double modélisation :

• la modélisation des connaissances,• la modélisation du raisonnement de conception.

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La recherche de solutions est ensuite réalisée à partird’une technique combinatoire. Cette technique cherche àaffecter à chaque variable des valeurs respectant toutes lesrègles du modèle.

La CII est fondée sur le concept d’aide à la décision enconception. Nous développons dans les paragraphes suivantsles termes de la méthodologie et de la technique de calcul.

4. Un outil d’aide à la décision pour leprédimensionnement de structures mécaniques

4.1. Une méthodologie conduisant à la modélisationdes connaissances

4.1.1. Notion de connaissanceUn produit est identifié par un ensemble de variables

appelées connaissances. Une connaissance représente unpoint de vue métier et décrit un aspect précis du produit. Cemodèle de connaissances est granulaire puisque le produitest défini par un ensemble fini de variables dont le nombreinflue sur :

• la qualité de la description,• la nature de la description (mécanique, structurelle,

économique. . . ),• les types de points de vue métiers à avoir.

Le niveau de granularité du modèle de connaissancespermet une modularité dans la description. Le processus deconception consiste à affecter des valeurs aux variables nonencore instanciées (par instanciation nous entendons le faitde donner une valeur à une variable) : c’est à dire à quantifiervoire qualifier les variables.

Nous distinguons trois types de connaissances :

• les connaissances qui caractérisent le produit du pointde vue de sa forme, de ses dimensions et des matériauxqu’il intègre,

• les connaissances qui identifient le comportement méca-nique du produit lorsqu’il est soumis à des actions mé-caniques,

• les connaissances qui permettent de mesurer la qualitédes choix de conception vis à vis des objectifs fixés dansle cahier des charges : elles correspondent aux critèresde conception.

L’ensemble des connaissancesV résulte de l’union detrois sous-ensembles :U , T etQ :

V = U ∪ T ∪ Q (1)

Le produit est donc défini parn connaissances dont :

• n1 connaissances définissent les formes, les dimensionset les matériaux de constitution d’une configurationpossible du produit,

• n2 connaissances caractérisent les déformations destructures du produit,

• n3 connaissances mesurent la qualité d’une solution deconception.

On a :

dim(U) = n1

dim(T ) = n2(2)

dim(Q) = n3

dim(V ) = n, n = n1 + n2 + n3

Le produit est défini par un nombre fini de connaissances.Le cahier des charges impose des valeurs à quelques va-riables. Il reste à évaluer les valeurs des variables non ins-tanciées.

4.1.2. Domaines et types de valeursEn conception préliminaire, il apparaît difficile, voire

impossible, d’évaluer numériquement les variables. À cestade, les concepteurs soumettent des zones de solutionspossibles et des champs de validité. Afin de traiter cesvisions imprécises, nous avons mis en place un modèle quiutilise des valeurs hétérogènes :

• des valeurs numériques sont utilisées lorsqu’il est pos-sible de quantifier de manière exacte une variable,

• des valeurs qualitatives permettent de transporter unniveau d’imprécision : nous utilisons les valeurs sousforme d’intervalles de l’ensemble des réels,

• des valeurs linguistiques sont utilisées lorsqu’une va-riable ne peut être évaluée par une notion numérique. Cetype de valeur s’adapte parfaitement aux raisonnementshumains,

• des valeurs floues assurent un consensus entre le niveaulinguistique et le niveau numérique : une valeur numé-rique est caractérisée par une notion linguistique à undegré de véracité près.

Ainsi, une variablep prend sa valeura :

• soit dans un domaine continu de valeurs : c’est unintervalle de l’ensemble des réels :

p ∈ V, a ∈ R oua ⊂ R (3)

• soit dans un domaine discret de valeurs : c’est unensemble énumératif de valeurs :

p ∈ V, a ∈ {b1, b2, . . . , bq} (4)

Si la variablep est définie par une contrainte d’égalitéforçant sa valeur àa alors la variable est affectée de lavaleura :

p = a �⇒ 〈p,a〉 (5)

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4.2. Une méthodologie conduisant à la modélisationdu raisonnement

4.2.1. Propriétés du raisonnement de conceptionLe raisonnement de conception peut être considéré

comme le résultat d’un ensemble de raisonnements élémen-taires. Il se représente sous une forme granulaire et consiste àinstancier les variables n’ayant pas encore de valeurs. Le rai-sonnement de conception est généralement sous-contraint :le raisonnement conduit non pas à une seule solution maisà un ensemble de solutions dont la combinaison des valeursrespecte toutes les règles.

Une autre caractéristique du raisonnement de conceptionest qu’il est abductif. En effet, pour concevoir, les acteursproposent des solutions de conception à partir des objectifsexplicités dans le cahier des charges. Le raisonnement deconception suit donc un chemin inverse de celui qui est im-posé par la démarche classique de conception. Le processusréalisé par les concepteurs est dirigé des conclusions vers leshypothèses.

4.2.2. Modélisation par contraintesPour modéliser le raisonnement, nous utilisons une repré-

sentation à base de contraintes. Une contrainte est une rela-tion algébrique qui lie un sous-ensemble fini de variablesde l’ensembleV . Dans notre cas, lesn variables du pro-blème sont liées entre elles par les contraintes. Le raison-nement de conception se ramène alors à l’expression d’unproblème par contraintesP(C,V,D). Ce problème est spé-cifié par un ensemble de contraintesC, un ensemble de va-riablesV et un ensemble de domaines de valeursD. Ré-soudre un problème de conception consiste, ensuite, à re-chercher les combinaisons de valeurs cohérentes au regarddes règles, bien que ces valeurs puissent être de natures dif-férentes. Un tel problème est un problème Non-Polynomial-Complet (NP-Complet [22]). L’approche par contraintes estadaptée à la modélisation de problèmes exprimés à partirde règles de natures différentes et où les variables prennentleurs valeurs dans des domaines de types différents.

4.2.3. Types et nature des contraintesPour modéliser le raisonnement de conception, nous uti-

lisons des contraintes de natures topologiques différentes :continues (égalités ou inégalités), discrètes, mixtes, dyna-miques et logiques. Elles contribuent à la construction dumodèle de raisonnement de conception qui intègre alors troistypes de contraintes :

• les contraintes de calcul spécifient le comportementphysique du produit lorsqu’il est soumis à des actionsde l’extérieur. Ces contraintes sont construites à partirdes théories de la Mécanique des Structures,

• les contraintes de conception spécifient l’ensemble desrègles liées au processus de conception (habitudesprofessionnelles, règlements de conception, état de l’art)ainsi que les aspects imposés par le cahier des charges,

• les contraintes d’expertise orientent les choix de con-ception et éliminent les cas les plus défavorables.

4.3. La recherche de solutions

4.3.1. La recherche de solutions par satisfactionde contraintes

La CII intègre un moteur de recherche de solutions. Cemoteur donne son sens à la CII qui devient un environnementd’aide à la décision. Elle garantit l’émergence de solutionsde conception sous la forme d’un ensemble de valeursde dimensions, de formes et de matériaux cohérents avecles règles du processus de conception et avec le cahierdes charges. Cet outil fonctionne autour d’une logiquecombinatoire. La technique utilisée consiste à rechercherles combinaisons de valeurs respectant toutes les règles dumodèle de raisonnement : les contraintes. Une solution estdonc déterminée en satisfaisant toutes les contraintes, c’està dire en rendant le problème consistant. L’outil capablede rechercher dans un espace combinatoire les solutionsconsistantes d’un problème de conception est appelé moteurCSP (Constraint Satisfaction Problem).

4.3.2. La recherche de solutions optimiséesL’environnement d’aide à la décision suppose la re-

cherche de solutions optimisées. Contrairement à une dé-marche classique d’optimisation, les outils CSP ne permet-tent pas uniquement de minimiser une fonction objectif. Ilsgarantissent à l’utilisateur d’atteindre les critères qui défi-nissent les objectifs de conception. Toutefois, il peut ne pasexister de solutions satisfaisant les objectifs de conception.Néanmoins, les moteurs d’inférence CSP permettent la re-cherche de solutions autres que des valeurs réelles (inter-valles numériques, valeurs floues, valeurs linguistiques) etl’espace des solutions qu’ils explorent est plus étendu quel’espace des réels.

Une fonction objectifΦ (Éq. (6)) permet de mesurer ledegré d’acceptation des solutions trouvées par les moteursd’inférence CSP. Ces moteurs recherchent les solutionsvérifiant un degré de satisfaction défini par l’utilisateur.Nous avons choisi de définirΦ en pondérant linéairement lescritères de la fonction objectif à partir d’un cas de référencedéfinissant l’expertise du problème. Cette expression de lafonction objectif est adaptée à des cas d’études restreints,et des travaux en cours tendent à généraliser son expressionpour tout type de problèmes :

Φ =c∑

i=1

kipi

qi

c∑i=1

ki = 1

(6)

La fonction objectif introduit un nombre finic de critères.Chaque critère est représenté par une variablepi qui a savaleur de référenceqi définie par les experts et qui estune caractéristique majorante du produit. Les critères sont

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pondérés selon leur importance par un paramètreki . Lameilleure solution aux yeux des concepteurs correspondà une solution où tous les critères ont des valeurs quipermettent une valeur de la fonction objectif inférieure à 1 :

Φ ≤ 1 (7)

L’acceptabilité des solutions décroît donc avec la valeurde la fonction objectif (Éq. (8)). Celle-ci est associée à unefonction d’acceptation floueµ (Fig. 4) :

µ(Φ) = 1− Φ (8)

L’acceptabilité la plus forte correspondant àµ(Φ) = 1suppose un produit où les critères de conception ont desvaleurs trés infèrieures aux valeurs majorantes.

L’utilisation d’une fonction objectif définie à partir del’expertise s’explique par le fait que l’optimisation ne visepas à minimiser la fonction objectif mais à affecter undegré d’acceptabilité flou à un champ de solutions (Fig. 5).L’intérêt des CSP est de permettre une recherche multi-critères. Les solutions atteignent les valeurs données par lesexperts ou les améliorent.

Toutefois, notre approche du problème de conception né-cessite la mise en place d’une modélisation des connais-sances et du raisonnement, d’une part, pour identifier l’en-semble des variables du problème de conception, et, d’autre

Fig. 4. La fonction d’acceptation de la fonction objectif.

part pour identifier l’ensemble des lois liées à l’activité deconception.

5. La nécessité des modèles approchés

5.1. L’expression du raisonnement par contraintes

Les moteurs d’inférence CSP sont issus de travaux del’Intelligence Artificielle permettant de résoudre des sys-tèmes d’équations qui, aujourd’hui, n’intégrent pas d’opé-rateurs différentiels. Les contraintes se présentent sous deuxformes :

• des relations continues : ce sont des relations algé-briques représentées par des égalités ou des inégalités,

• des relations discrètes : ce sont des relations forçant desn-uplets de valeurs pourn variables ordonnées.

La fonction objectifΦ est une contrainte d’expertise.Sa forme est continue. Les contraintes de conception peu-vent s’écrire sous la forme de contraintes continues ou decontraintes discrètes. Les contraintes de calcul sont issuesdes lois de la Physique. Or, ces lois s’expriment souvent àl’aide d’opérateurs différentiels. Elles doivent être transfor-mées pour devenir des contraintes. L’objet des sections sui-vantes est de présenter les techniques que nous mettons enœuvre pour assurer cette transformation. Ces techniques detransformation font appel à la réduction de modèles et à laméthode des éléments finis.

5.2. La construction d’une base d’apprentissage par laméthode des éléments finis

L’élaboration de contraintes de calcul issues de relationsdifférentielles fait appel à la construction d’une base d’ap-prentissage. Cette base contient différentes configurationsd’un produit et les comportements mécaniques qui leur sontassociés. Comme nous l’avons déjà présenté, un produit estdéfini par un ensemble fini de variables. Les configurationsde ce produit diffèrent selon les valeurs affectées aux va-riables.

Fig. 5. La démarche de recherche de champs de solutions optimisées.

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Fig. 6. La construction de la base d’apprentisage.

L’ensemble des configurations est établi en affectant unensemble discret et fini de valeurs aux variables. Le com-portement mécanique de chaque configuration est ensuite si-mulé à partir de la méthode des éléments finis. Le compor-tement est identifié au travers de variables qui sont instan-ciées grâce à ces calculs. À l’issue de ce processus nousdisposons donc d’une base d’apprentissage associant unebase de configurations à une base de comportements méca-niques.

Dans le cas des études de structures mécaniques, la mé-thode des éléments finis assure la simulation du compor-tement d’une configuration d’un produit. Chaque configu-ration de produit se distingue par ses formes, ses dimen-sions et ses choix de matériaux. Nous utilisons la mé-thode des éléments finis pour définir le comportement mé-canique d’une base de configurations différentes de produits(Fig. 6).

La base d’apprentissage est utilisée pour l’interprétationdes comportements physiques du produit étudié soit parl’exploitation directe des configurations, soit par la miseen œuvre d’un modèle d’approximation numérique de cescomportements. Nous avons choisi d’utiliser des modèlesd’approximation neuronaux. Cette approche est justifiéedans le paragraphe suivant.

5.3. Les réseaux de neurones pour l’expression d’une loide comportement mécanique

Les réseaux de neurones sont des outils d’approximationuniversels et parcimonieux qui conduisent à la définition defonctions analytiques paramétrées. La propriété de parcimo-nie garantit la possibilité d’approcher des comportementsphysiques complexes par des relations algébriques mettanten jeu un nombre réduit de paramètres. Cette propriété justi-fie généralement la mise en œuvre des réseaux de neuronesdans les domaines d’applications où on les rencontre (com-mande, modélisation et optimisation de procédés). La par-cimonie est favorable au prédimensionnement de produitspar satisfaction de contraintes dans la mesure où elle permetde limiter le nombre ou la taille des contraintes de calcul.Néanmoins, elle n’est nécessaire que dans les applicationsfaisant appel à une base d’apprentissage contenant un trèsgrand nombre de configurations différentes.

Les méthodes d’approximation par éléments finis sonttrès mal adaptées à la définition de contraintes pouvantêtre traitées par des moteurs CSP. En effet, les approxima-tions qu’elles produisent ne sont ni parcimonieuses ni indé-pendantes de la configuration du produit. La géométrie duproduit est nécessairement traitée comme un paramètre de

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conception défini au travers du maillage et jamais commeune variable de conception. Les techniques de réduction demodèle par réseaux de neurones sont, par contre, facilementgénéralisables à tout type de problème de conception résoluà l’aide de moteurs d’inférence CSP.

6. La conception préliminaire d’un appareil à pression

6.1. Le problème de conception

Nous nous proposons d’utiliser la Conception InverséeIntégrée dans le cadre de la recherche de choix de conceptionpréliminaires d’un appareil à pression. Le produit étudié estune enceinte de déverminage de forme parallélépipédiqueconstituée d’acier non allié P265GH et soumise à unepression interne de 5 bars. Les parois de l’appareil sontdes plaques raidies par des plats. Nous avons ramené leproblème de conception à celui d’une plaque raidie de 2 msur 3 m. Nous recherchons à déterminer :

• l’épaisseur de la plaqueh,• le nombre de raidisseurs longitudinaux (nx ) et latéraux

(ny ),• les types de raidisseurs longitudinaux (Px ) et latéraux

(Py ).

Les choix de valeurs sont réalisés de façon à ce que laplaque raidie ait un comportement mécanique acceptable. Lecomportement est évalué par :

• la répartition de contraintes (σ ) selon un segmentorthogonal au plan de la plaque tel que ce dernier inclutle point où la valeur de contrainte mécanique est la plusgrande,

• la valeur de la contrainte équivalente maximale au sensde Tresca dans la plaque support (σp),

• la valeur de la contrainte équivalente maximale au sensde Von Mises dans les raidisseurs (σr),

• la déformation maximale (ε).

La performance des choix réalisés se mesure selon :

• le coût de mise en œuvre de la plaque raidie (Co),• la flèche maximale (w) de la plaque raidie lorsqu’elle

est soumise à une pression uniforme.

L’ensemble des variables citées précédemment définis-sent la plaque raidie et constituent les connaissances decelle-ci (Fig. 7). Le problème de conception est celui de ladétermination de la meilleure combinaison de valeurs pourh, nx , ny , Px etPy assurant une déformation mécanique mi-nimale, un coût de revient minime et respectant l’ensembledes règles métier.

Fig. 7. Les trois types connaissances pour une plaque raidie.

6.2. Le modèle du raisonnement de conception

Le modèle du raisonnement de conception inclut lesrègles métiers utilisées pour le calcul du coût de mise enœuvre du produit. Les procédés de fabrication ont des coûtsqui augmentent non linéairement et par morceaux avec lesdimensions des éléments [4]. Ces règles, qui émergent deshabitudes professionnelles des chaudronniers, compliquentla phase de conception : faut il d’abord déterminer lemeilleur coût afin de faire peut être émerger les meilleurschoix, ou faut il d’abord déterminer des choix en espérantoptimiser le coût ? Cette phase qui passe par le recherchesimultanée de valeurs repose sur l’utilisation d’approchesqualitatives.

Afin d’éviter l’émergence de solutions non attendues, lecahier des charges est traduit en terme de champs de valeursattendus. A ces contraintes, est associée la fonction objectif(relation (9)) permettant de mesurer le niveau d’acceptabilitédes solutions. Ce niveau est mesuré par rapport au cas deréférence explicité par les industriels. En l’occurence, nousrecherchons une configuration assurant au pire une flèche deU0 = 8·10−3 m et un coût deD0 = 3050 Euros :

Fo = 0,5Co

D0+ 0,5

w

U0(9)

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Tableau 1Les solutions de conception préliminaires pour la plaque raidie

Solution Définition morphologique Niveau de performance Niveau d’acceptabilité

h nx ny Px etPy w Co Φ Degré(10−3 m) (10−2 m) (10−3 m) (Euros) d’acceptabilité

1 5 5 12 plat 1× 25 0,64 2434 0,533 40 %2 5 8 8 plat 1× 20 1,498 2395 0,486 50 %

Fig. 8. L’approximation par réseaux de neurones.

Le comportement mécanique de la plaque raidie estmesuré à partir de variables significatives intégrant unerelation algébrique matricielle construite à partir de réseauxde neurones. A cet effet, un ensemble de calculs paréléments finis ont été réalisés au préalable sur différentesconfigurations de plaques raidies. Les résultats ont enrichiune base d’apprentissage. La relation réduite émergeant dela phase d’apprentissage garantit la définition des contraintesmécaniques et de la déformation en fonction des paramètresde conception de la plaque raidie (Fig. 8).

Le modèle de raisonnement intègre donc l’ensembledes règles à respecter lors de la recherche des choixde conception. Ces règles sont traduites sous forme decontraintes à l’aide des réseaux de neurones ou à l’aidedes approches qualitatives. Elles se rapportent aux visionsmétiers, aux attentes du cahier des charges, aux lois de laPhysique et aux critères de performance.

6.3. Les résultats

Nous avons déterminé deux solutions préliminaires (Ta-bleau 1). Les valeurs de la fonction objectif montrent que leschoix proposés constituent des solutions plus performantesque le cas de référence donné. Les degrés d’acceptabilité ad-jacents sont calculés à partir des visions floues et des degrésde priorité donnés aux différentes contraintes. Les calculsont été réalisés sur un Pentium III 600 MHz. Le temps CPUnécessaire avant l’émergence des résultats est de 1 h 17 min28 s.

Les solutions émergentes sont des configurations accep-tables et inattendues. Cette étude a montré que les solutionstraditionnellement apportées sont sur-dimensionnées tant auniveau mécanique qu’au niveau du coût. Toutefois, les confi-gurations déterminées à partir de la CII n’avaient jamaisété abordées auparavant car imaginées trop risquées, ellesne seraient apparues qu’après un nombre important d’itéra-tions.

7. Conclusion

Nous avons proposé les bases d’un système d’aide à ladécision en conception de produits mécaniques. Ce systèmese décline en une nouvelle démarche de conception appeléeConception Inversée Intégrée (CII). La CII propose de ré-soudre un problème de conception à partir de la définitiondes objectifs en intégrant le calcul mécanique en concep-tion. La CII aboutit à la réduction des boucles itératives enconception généralement dues aux phases d’essais-erreurs.Elle utilise une traduction des connaissances et des raison-nements métiers qui constituent une capitalisation des com-pétences et intègrent directement l’outil d’aide à la déci-sion. Le problème de conception est exprimé sous forme decontraintes qui lient des variables donnant une représenta-tion du produit.

Pour résoudre le problème de conception, nous affec-tons des champs de valeurs cohérents aux variables nonencore instanciées en satisfaisant toutes les contraintes. Acet effet, nous utilisons un moteur d’inférence intégrant destechniques de calcul combinatoire. Ces moteurs d’inférenceCSP nous permettent de rechercher des solutions de concep-tion cohérentes et optimisées qui respectent l’ensemble desrègles de la Mécanique, les règles métiers et les règlementsde conception. La fonction objectif permet d’établir une hié-rarchie d’acceptabilité entre toutes les solutions optimiséesqui émergent.

Chaque solution de conception est définie par un en-semble de variables affectées de valeurs cohérentes au regarddes raisonnements. Certaines variables sont des indicateursde négociation. Le concepteur qui dispose de l’ensemble dessolutions cohérentes a la possibilité de réaliser un choix enanalysant les solutions associées aux valeurs qui lui sem-blent préférables de régler et de gérer. Son choix est d’autantplus judicieux qu’il a pu prendre en compte des incertitudesassociées à des valeurs de nature différente : numériques, in-tervalles, qualitatives, floues et linguistiques.

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