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À LA GUERRE COMME À LA GUERRE JOSÉE MONGEAU Chroniques de Ville-Marie TOME 2 • 1665-1667 classique

À la guerre comme à la guerre. Chroniques de …excerpts.numilog.com/books/9782894488065.pdfChroniques de Ville-Marie, tome 1 (1659-1663), Hamac classique, roman historique, 2014

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À LA GUERRE COMME À LA GUERRE

JOSÉE MONGEAU

Chroniques de Ville-Marie

TOME 2 • 1665-1667

classique

À la guerre comme à la guerre

de la même auteure

Et vogue la galère. Chroniques de Ville-Marie, tome 1 (1659-1663),

Hamac classique, roman historique, 2014.

Josée Mongeau

À la guerre comme à la guerre

Chroniques de Ville-Marie

t o m e 21 6 6 5 - 1 6 6 7

r o m a n h i s t o r i q u e

classique

Hamac est une division des éditions du Septentrion.

Photo de la couverture : L’Arrivée des bateaux venus de France, 1931. Aquarelle de Lawrence R. Batchelor, BAC C-011924.

Chargée de projet : Louise Melançon

Révision : Fleur Neesham

Correction d’épreuves : Marie-Michèle Rheault

Mise en pages et maquette de la couverture : Pierre-Louis Cauchon

Si vous désirez être tenu au courant des publicationsde la collection HAMAC vous pouvez nous écrire par courrier,par courriel à [email protected],par télécopieur au 418 527-4978ou consulter notre catalogue sur Internet :www.hamac.qc.ca

© Les éditions du Septentrion Dépôt légal :1300, av. Maguire Bibliothèque et ArchivesQuébec (Québec) nationales du Québec, 2014G1T 1Z3 ISBN papier : 978-2-89448-806-5 ISBN PDF : 978-2-89664-901-3 ISBN EPUB : 978-2-89664-902-0

Diffusion au Canada : Ventes en Europe :Diffusion Dimedia Distribution du Nouveau Monde539, boul. Lebeau 30, rue Gay-LussacSaint-Laurent (Québec) 75005 Paris, FranceH4N 1S2 Vente de droits : Mon agent et compagnie Nickie Athanassi 173 et 183 Carré Curial 73000 Chambéry, France www.monagentetcompagnie.com

Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de dévelop pement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres. Nous reconnaissons éga lement l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

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liste des personnages*

Âge en 1665 – en retrait, les enfants nés entre 1665 et 1667

En France

Louis XIV, 27 ans, roi de FranceJean-Baptiste Colbert, 46 ans, contrôleur général des financesAngélique de Bullion, décédée en 1662, bienfaitrice de l’Hôtel-Dieu

de Montréal

Les habitants de Québec

Monseigneur François de Laval, 42 ans, vicaire apostolique de la Nouvelle-France

Augustin de Saffray de Mesy, décédé en mai 1665, gouverneurDaniel de Rémy de Courcelle, 39 ans, gouverneurAlexandre de Prouville, marquis de Tracy, 62 ans, lieutenant général

des armées du roiJean Talon, 40 ans, intendantJean-Baptiste Patoulet, secrétaire de TalonDaniel Biaille, marchand saisonnierMère Marie Guyart dite de l’Incarnation, 66 ans, fondatrice des ursulines

de Québec

Régiment de Carignan

Henri de Chastelard, marquis de Salière, 65 ans, colonel du régiment

* Les noms en italiques sont des personnages fictifs.

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Balthazar de la Flotte de la Freydière, major du régimentPierre de Saurel, 39 ans, capitaineJacques de Chambly, 53 ans, capitaineAntoine de Pécaudy de Contrecoeur, 69 ans, capitainePierre de Saint-Paul de Lamotte, capitaine du fort Sainte-Anne

François Poisson, 18 ans, soldat de la compagnie de La VarenneCharles des Maignoux, 18 ans, sieur de Laleu, soldat, La Varenneet un millier d’autres…

Les habitants de Ville-Marie

Paul de Chomedey de Maisonneuve, 53 ans, gouverneur de Ville-MarieZacharie DuPuy, 55 ans, sergent et gouverneur intérimaireCharles d’Ailleboust, 44 ans, juge seigneurialJean-Baptiste Migeon de Branssat, 29 ans, procureur fiscalBénigne Basset, 26 ans, notaire royalPierre Picoté de Belestre, 29 ans, officier de la garnisonClaude Robutel de Saint-André, 44 ans, marchandJean Aubuchon, 29 ans, marchand et cabaretierÉtienne Bouchard, 42 ans, chirurgienLouis Fin, serviteur de Maisonneuve

Compagnie de Saint-Sulpice, seigneurs de l’Île de Montréal depuis 1663

Gabriel Souart, 54 ans, supérieur des sulpiciens de Montréal, curé, puis instituteur

Gilles Perot, sulpicien et 2e curé de Ville-MarieFrançois Dollier de Casson, sulpicien et ancien militaire (arrivé en 1665)

Jeanne Mance, 59 ans, infirmière et fondatrice de l’Hôtel-DieuSœur Catherine Macé, 46 ans, supérieure et infirmièreSœur Judith Moreau de Brésoles, religieuse hospitalière et herboristeSœur Marie Maillet, 66 ans, religieuse hospitalièreMarie Morin, 16 ans, novice

Mathurin Jouanneaux, 48 ans, dit « le donné », serviteur de l’Hôtel-DieuMontour, serviteur de l’Hôtel-DieuPetit, serviteur de l’Hôtel-DieuGuillaume Jérôme, serviteur de l’Hôtel-Dieu

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Sœur Marguerite Bourgeoys, 45 ans, institutriceSœur Catherine Crolo, 46 ans, institutriceSœur Aimée Chastel, 35 ans, institutriceSœur Marie Raisin, 29 ans, institutrice

Charles LeMoyne, 39 ans, marchand, interprète, officier de la miliceCatherine Primeau, 36 ans, sa femmeCharles LeMoyne, 9 ans, leur filsJacques LeMoyne, 6 ans, leur filsPierre LeMoyne, 5 ans, leur filsPaul LeMoyne, 2 ans, leur fils

— François LeMoyne, leur fils, baptisé le 10 mars 1666Catherine Moityé, 16 ans, servanteDésiré Viger, 22 ans, domestique et matelot

Jacques LeBer, 32 ans, habitant, marchandJeanne LeMoyne, 35 ans, sa femmeLouis LeBer, 6 ans, leur filsJeanne LeBer, 5 ans, leur fille (fut plus tard religieuse et recluse)Jacques LeBer, 2 ans, leur filsAntoine, 12 ans, apprenti

Urbain Beaudereau dit Graveline, 32 ans, syndic des habitantsMathurine Juillet, 15 ans, sa femme (appelée Matou)

— Gabriel Beaudereau, leur fils, baptisé le 25 juillet 1666

Gabriel DeCelles Duclos, 39 ans, habitantBarbe Poisson, 32 ans, sa femmeMarguerite DeCelles, 8 ans, leur filleGabriel Lambert DeCelles, 5 ans, leur filsBarbe DeCelles, 2 ans, leur fille

— Catherine DeCelles, leur fille, baptisée le 2 mai 1666

René Cuillerier, 27 ans, serviteur de l’Hôtel-Dieu, puis habitantMarie Lucos, 14 ans, sa femme (appelée Marion)

Olivier Charbonneau, 54 ans, laboureur et meunierMarie Garnier, 38 ans, sa femme, sœur de Michelle et de Louise GarnierAnne Charbonneau, 8 ans, leur filleJoseph Charbonneau, 5 ans, leur filsJean Charbonneau, 3 ans, leur filsÉlisabeth Charbonneau, 1 an, leur fille

— Michel Charbonneau, leur fils, baptisé le 2 octobre 1666

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Simon Cardineau, 45 ans, laboureurMichelle Garnier, 35 ans, sa femme, sœur de Marie et de Louise GarnierJacques Cardineau, 9 ans, leur filsJean Cardineau, 6 ans, leur filsGabriel Cardineau, 4 ans, leur filsÉtienne Cardineau, 2 ans, leur fils

— Pierre Cardineau, leur fils, baptisé le 31 mai 1665

Pierre Goguet, 35 ans, laboureurLouise Garnier, 33 ans, sa femme, sœur de Marie et de Michelle GarnierMarie-Anne Goguet, 7 ans, leur filleJeanne Goguet, 5 ans, leur fillePierre Goguet, 1 an, leur fils

— Catherine Goguet, leur fille, baptisée le 1er avril 1666

Claude Jodoin, 26 ans, serviteur des seigneurs de Montréal, puis habitantAnne Thomas, 18 ans, sa femme, fille du Roy 1665

— Claude Jodoin, leur fils, baptisé le 31 janvier 1667

Marc-Antoine Galiber, 35 ans, habitantSuzanne Duverger, 23 ans, sa femme, sœur de Françoise (appelée Suzon)François Galiber, 3 ans, leur filsFrançoise Galiber, 1 an, leur fille

Simon Galbrun, 30 ans, habitantFrançoise Duverger, 30 ans, sa femme, sœur de Suzanne (appelée Fanchon)Jacques-Simon Galbrun, 4 ans, leur filsMarie Galbrun, 2 ans, leur fille

— Jean-Baptiste Galbrun, leur fils, baptisé le 24 février 1666

Pierre Raguindeau, 31 ans, sergent (décédé en août 1665)Marguerite Rebours, 20 ans, sa femme(remariée à Jacques Guitaut dit Jolicoeur, soldat du régiment de Carignan)

André Demers, 34 ans, habitantMarie Chefdeville, 29 ans, sa femmeIls ont 6 enfants.

Jeanne Groisard, 38 ans, fille du Roy 1665 et fille de soi1

1. Fille de soi : fille majeure ayant la capacité juridique. C’est ce que Jeanne Groisard a ajouté à son nom à la signature d’un contrat d’achat de maison.

Jacques Leblanc, 29 ans, habitantSuzanne Rousselin, 21 ans, sa femme, fille du Roy 1665

— Julien Leblanc, leur fils, baptisé le 21 mars 1667

Pierre Mallet, 36 ans, habitantMarie-Anne Hardy, 32 ans, sa femmeGeneviève Mallet, 1½ an, leur fille

— Anne Mallet, leur fille, baptisée le 20 février 1666

Gilbert Barbier dit Minime, habitantPierre Meunier, engagéSénécal, domestique de Charles d’AilleboustMadeleine, voisine de Marion Lucos

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carte de ville-marie et des côtes

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carte des forts du richelieu

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un continent habité depuis des lustres

D epuis la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492, plusieurs pays d’Europe s’engagèrent

dans la course de l’exploration, rêvant des richesses qu’ils pourraient en retirer. À la suite de l’Espagne et du Portugal, la France, l’Angleterre, la Hollande et même la Suède s’implantèrent sur cet immense continent qu’ils croyaient libre, donc à conquérir.

Mais ce continent était habité par divers peuples nomades ou semi-sédentaire qui, bien que vivant fort différemment des Européens, n’en étaient pas moins les occupants. Comme tous les peuples et pays du monde, ces peuplades commer-çaient entre elles, se faisaient la guerre et négociaient des alliances.

Les premiers contacts avec les Européens s’avérèrent fructueux, puisque ceux-ci apportaient dans leurs échanges des objets nouveaux et convoités. Ceux en fer principalement étaient appréciés : marmites, couteaux, haches et outils. Les fusils permirent aux Indiens une nouvelle façon de faire la guerre et l’alcool les amenait plus rapidement dans cet état qui les rapprochait de leurs dieux.

Puis, comme les autres pays européens, les Français déci-dèrent de s’implanter, de coloniser, de s’immiscer dans les guerres autochtones et de signer des alliances. Plus encore, ils envoyèrent des prêtres dans les villages afin de convertir les « sauvages » au christianisme et au mode de vie euro-péen. Dans les villages, au sein des familles, des dissensions

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s’élevèrent entre ceux qui acceptaient de se convertir afin de poursuivre les échanges et les alliances tandis que d’autres voulaient cesser tout contact avec ces Robes noires et revenir à leur vie « d’avant ».

Ainsi l’arrivée des Français rompit l’équilibre.

La Nouvelle-France en ce printemps 1665Ville-Marie avait quelque vingt-cinq ans d’existence et la Nouvelle-France en avait, pour ainsi dire, près de trente-cinq. Certes, Québec avait été fondée en 1608 par le sieur de Champlain, mais ce n’était au début qu’un poste de traite. Les compagnies marchandes avaient vu dans ces nouvelles contrées le moyen de s’enrichir grâce aux pêcheries et pel-leteries tant convoitées. Les hommes recrutés s’engageaient à travailler pour les compagnies à titre de commis, de manu-tentionnaires ou d’interprètes. Outre la solde, les recruteurs devaient payer le voyage à l’aller et au retour, de même que loger et nourrir les engagés. Il y avait peu de familles à cette époque et les recruteurs n’en voulaient pas, c’était trop de bouches inutiles à nourrir. Beaucoup d’hommes seuls se sont engagés pour trois ou cinq ans. Certains sont restés au pays, tandis que la plupart sont rentrés en France, plus riches de quelques louis, fortune suffisante pour s’établir. Le travail était dur, les risques énormes et les conditions de vie difficiles. Maints hommes sont morts du scorbut, de froid ou sous le tomahawk des sauvages.

Puis, en 1629, quand les frères Kirke vinrent s’emparer de Québec au nom du roi d’Angleterre, la plupart des habi-tants et engagés retournèrent en France avec Champlain. Quelques-uns restèrent et se mirent au service des Kirke, ils furent considérés plus tard comme des traîtres ; d’autres encore, ayant l’habitude de la forêt, s’ensauvagèrent.

La France et l’Angleterre firent la paix, la guerre se termina et Québec fut rendue à la France en mars 1632 par le

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traité de Saint-Germain-en-Laye. Comme des oiseaux migra-teurs, la plupart des habitants revinrent avec Champlain. On peut donc dire que c’est à partir de là que la colonisation commença vraiment : des hommes s’engagèrent à s’établir, des familles complètes émigrèrent et même des femmes seules s’aventurèrent. La forêt environnante était à la fois une richesse et une menace. Richesse, parce qu’elle recelait tout ce que la vieille France n’offrait pas au plus humble de ses sujets : terres à défricher, à cultiver, bois pour construire et chauffer, gibier à chasser, à manger. Et menace, parce que là se cachait l’ennemi, le sauvage à l’affût qui tuait le laboureur au travail, qui abattait la femme au champ et l’enfant au puits. C’était alors une société d’exil basée sur l’entraide.

Puis on ouvrit un poste de traite en amont de Québec, aux Trois-Rivières. Champlain avait réalisé qu’il valait mieux aller chercher la fourrure là où elle se trouvait et, par consé-quent, se rapprocher des Indiens qui la leur fournissaient. Puis Ville-Marie fut fondée, quelque huit années plus tard, défaisant le fragile équilibre économique qu’avaient mis au point les marchands de Québec. Depuis l’établissement d’une foire annuelle encore plus en amont que les Trois-Rivières, les plus belles fourrures se troquaient maintenant à Ville-Marie.

La fondation de Ville-Marie avait eu lieu en France, vers la fin des années 1630, dans la tête de certains bourgeois et ecclésiastiques bien pensants. Imprégnés par la lecture des Relations des jésuites, ils avaient voulu fonder un établissement pour la conversion des sauvages. Ayant formé autour d’eux une société de gens pouvant financer leur projet, ils choisirent monsieur de Chomedey de Maisonneuve pour conduire un contingent destiné à la colonisation de Ville-Marie.

Cinquante-quatre personnes, dont quatre femmes, arri-vèrent à Ville-Marie le 18 mai 1642. Ils durent rapidement bâtir un fort avant que les sauvages ne les attaquent. Installés

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sommairement dans une habitation unique, des hommes abattaient et débitaient le bois que d’autres montaient et charpentaient. Les femmes cuisinaient pour tout le monde, reprisaient et aidaient à toutes tâches. Il n’y avait que deux ou trois enfants, arrivés avec leurs parents. Dans cette bour-gade à peine née, la collaboration était la clé du succès.

Les engagés arrivaient au compte-gouttes, ralentissant ainsi la croissance de la petite colonie montréaliste. Pour tout dire, la colonie semblait décroître plutôt que prospérer. Les sauvages, qui n’avaient pas eu connaissance de l’installation des Français sur leur territoire, les avaient laissés tranquilles pendant toute la première année. Depuis lors, des attaques subites avaient fait bien des morts parmi les habitants, et ce n’est pas les quelques naissances qui venaient compenser les pertes subies. En 1651, monsieur de Maisonneuve était repassé en France chercher des subsides et des renforts, et était revenu deux ans plus tard avec une centaine d’engagés, dont quelques femmes. Parmi eux était arrivée Marguerite Bourgeoys, qui s’était portée volontaire pour enseigner aux petites filles. Faute d’enfants à qui faire l’école, elle avait d’abord apporté sa contribution à l’hôpital et auprès des engagés.

À l’automne de 1659 était arrivée la deuxième recrue, une autre centaine d’engagés, parmi laquelle on retrouvait une trentaine de personnes originaires du village de Marans en Aunis2. À leur arrivée en 1659, la bourgade abritait environ 400 personnes, la nouvelle recrue comptée. Les années qui suivirent amenèrent quelques nouveaux engagés qui s’ajoutèrent aux nombreux enfants nés au pays, si bien qu’en ce printemps de 1665, la population comptait environ 500 à 550 personnes. Le défrichement allait bon train et la forêt reculait. Les maisons se construisaient rapidement sur

2. Voir le roman Et vogue la galère, chroniques de Ville-Marie de la même auteure.

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les rares concessions accordées aux colons. La civilisation procurait un certain confort, mais apportait aussi les vices inhérents au commerce des hommes entre eux. Plus il y avait de monde, plus il y avait de mesquinerie, et la petite communauté, si unie dans ses débuts, disparaissait au profit d’une collectivité de plus en plus anonyme.

Si la Nouvelle-France avait eu sept gouverneurs généraux depuis le début du siècle, dont six dans les vingt-cinq der-nières années, Ville-Marie n’en avait eu qu’un seul : le sieur de Chomedey de Maisonneuve. Contrairement aux officiels de Québec qui venaient se refaire une santé financière en Nouvelle-France, Maisonneuve avait fait sienne la mission de la Société de Notre-Dame de Montréal. Il n’avait aucune ambition pour lui-même, aucune famille à faire vivre, aucun héritage à laisser. Sa famille, c’était ses habitants ; son héri-tage, c’était sa ville. C’eut été là son unique ambition s’il n’avait eu cette modestie qui le caractérisait.

Malgré l’accroissement de la population, tant à Ville-Marie que dans toute la colonie, les attaques répétées des sauvages minaient les efforts des colons et déprimaient les autorités qui ne savaient plus quoi faire pour obtenir une paix durable. Chaque année, les nombreux rapports du gouverneur se terminaient en demandant au roi d’avoir la bonté d’envoyer des troupes pour la sauvegarde de la colonie et de fournir des armes pour que les habitants puissent se défendre plus et mieux. Chaque année, le roi avait des guerres à terminer, des frontières à défendre, des choses beaucoup plus importantes en somme, et chaque demande demeurait lettre morte.

Mais depuis deux ans, le roi promettait des armées. Rien n’était venu l’année précédente, qu’en serait-il cette année ? Pouvait-on faire confiance à ce jeune roi Louis, quatorzième du nom, qui entendait gouverner seul ? À l’opposé de son père qui s’appuyait sur un premier ministre fort, le cardinal de Richelieu, puis de sa mère, la régente Anne d’Autriche,

qui avait fait du cardinal de Mazarin son bras droit – et peut-être plus encore –, le roi Louis avait décidé, à la mort de Mazarin, de ne pas s’encombrer d’un premier ministre. « L’État, c’est moi3 », avait-il déclaré. Mais pouvait-il voir seul à tous les aspects de son immense royaume ? L’histoire le dira, mais en attendant ses sujets étaient livrés à eux-mêmes et devaient se défendre seuls.

En espérant un hypothétique secours de France, et malgré les agressions des sauvages, les habitants continuaient à vaquer à leurs ouvrages : s’occuper des bestiaux, labourer et ensemencer la terre, réparer granges et clôtures, et défricher d’autres parcelles. Telle était la vie du paysan, ici et ailleurs.

3. Mot historique (ou folklorique ?) attribué à Louis XIV et qu’il aurait prononcé devant les parlementaires parisiens en 1655. Cette citation n’apparaissant pas dans les registres, les historiens en contestent la paternité.

AU ROY

S I R E,Il y a environ un an, que les enfants vos sujets,

habitants de ce Nouveau Monde, firent entendre l’extrémité du danger où ils étaient ; mais le malheur du temps n’ayant pas permis qu’ils fussent secourus, le Ciel & la terre ont marqué par leurs prodiges, les cruautés & les feux que ces ennemis de Dieu, & de Vostre Majesté leur ont fait souffrir depuis ce temps-là. Ces perfides raviront un fleuron de votre Couronne, si votre main puissante n’agit avec votre parole. Si vous consultez le Ciel, il vous dira que votre salut est peut-être enfermé dans le salut de tant de Peuples, qui seront perdus, s’ils ne font secourus par les soins de Vostre Majesté. Si vous considérez le nom Français, vous saurez, SIRE, que vous êtes un grand Roy, qui faisant trembler l’Europe, ne doit pas être méprisé dans l’Amérique.*

* Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable aux missions des Pères de la Compagnie de Jésus en Nouvelle-France dans les années 1660 et 1661. Père Le Jeune, 1662.

dans la même collectionclassique

Les Aventures de Radisson, t. 2, Sauver les FrançaisMartin Fournier, 2014

Le BâtisseurDanielle Brault, 2008

Entre poudrés et pouilleuxJacques Mathieu, 2008

Antoine, coureur des boisAdrienne Leduc, 2007

La Guerre des autresLouis Simard,

Jean-Pierre Wilhelmy, 1997

L’aventurier du hasardRéal Ouellet, 1996

Et vogue la galèreJosée Mongeau, 2014

Yiosh !Magali Sauves, 2014

Charlotte et la mémoire du cœurJean-Pierre Wilhelmy,

Lorraine Desjarlais, 2014

La Côte-Nord contre vents et maréePauline L. Boileau, 2013

De père en filleLouise Simard et Jean-Pierre Wilhelmy, 2012

Les Cœurs tigrésYves Morin, 2011

Prix de la création 2012 (Ville de Québec/

Salon international du livre de Québec)

Monsieur OlivierMarc-André Tardif, 2011

autres romans historiques à découvrir

Les Aventures de Radisson, t. 1, L’enfer ne brûle pasMartin Fournier, 2011

Prix littéraire du Gouverneur général en Littérature jeunesse 2012

cet ouvrage est composé en new baskerville corps 12selon une maquette réalisée par pierre-louis cauchon

et achevé d’imprimer en septembre 2014sur les presses de l’imprimerie marquis

à montmagnypour le compte de gilles herman

éditeur à l’enseigne du septentrion

Tous les livres de Hamac sont imprimés sur du

papier recyclé, traité sans chlore et contenant 100 % de fibres

postconsommation, selon les recommandations d’ÉcoInitiatives

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En respectant les forêts, Hamac espère qu’il restera

toujours assez d’arbres sur terre pour accrocher des hamacs.