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1 « Quelle urbanité pour les territoires insulaires du Sud Pacifique aujourd’hui ? » - l’île de Tahiti en Polynésie française -

« Quelle urbanité pour les territoires insulaires du Sud Pacifique

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« Quelle urbanité pour les territoires insulaires du Sud Pacifique aujourd’hui ? » - l’île de Tahiti en Polynésie française -

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TABLE DES MATIERES - INTRODUCTION ET PROBLEMATIQUE P.1 - HISTOIRE DE TAHITI ET STATUT POLITIQUE DU TERRITOIRE P.2 - LE TERRITOIRE, ENVIRONNEMENT ET ECOSYSTEME NATUREL P.18 - L’HOMME ET SON TERRITOIRE, UN SYSTEME INTERACTIF P.45 - ANALYSE TERRITORIALE P.80 - STRATEGIE TERRITORIALE ET ARCHITECTURALE P.84 - BIBLIOGRAPHIE P.88

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Le territoire d’étude choisi pour tenter de répondre à cette question est l’île de Tahiti, située en plein cœur de l’Océan Pacifique sud. Cet appendice insulaire de plus de 1000 km² possède aujourd’hui un caractère d’urbanité singulier. Avec un relief montagneux non occupé et atteignant les 2000 mètres d’altitude au cœur de l’île, une population qui dépasse les 150 000 habitants et qui effleure les 1300 hab/km² dans certains quartiers urbains de Papeete, l’urbanité de Tahiti trouve sa forme singulière et exclusive dans une bande littorale plus ou moins peuplée, mince et continue, qui ceinture l’île. Sous ces latitudes, le territoire est soumis, en plus des pressions humaines, à un climat dont les phénomènes peuvent être violents. Plus qu’ailleurs, la manière d’occuper et d’habiter le sol insulaire doit trouver son équilibre avec le milieu naturel.

Aujourd’hui, le déséquilibre qui caractérise l’île de Tahiti, avec une agglomération qui regroupe près de 80 % de sa population insulaire, l’amène à une saturation et un épuisement de son sol. Fortement éprouvée par des évènements climatiques cycliques et extrêmes de plus en plus fréquents, le territoire est devenu plus sujet aux catastrophes naturelles ces dernières années. Si ces phénomènes sont directement liés à sa pluviométrie élevée et sa topographie si accentuée, la progression actuelle d’une urbanisation mal maîtrisée et inadaptée entraîne des modifications de la qualité des sols à absorber et tempérer ces agressions du climat. Le territoire ne peut donc être appréhendé qu’à travers une approche systémique qui pense l’urbanité et son environnement naturel comme liés et interdépendants. Une modification sur l’un entraînant une transformation dans l’autre et inversement. Ainsi, l’urbanité de l’île trouverait sa légitimité et sa propre forme dans la recherche d’un nouvel équilibre entre ces éléments du même ensemble.

Les questions abordées dans cette étude dépassent largement le cadre strict du développement et du devenir urbain des territoires insulaires. Elles sont fondamentales pour leur pérennité, mais sont au cœur des préoccupations contemporaines en vue de l’élaboration de démarches de développement urbain, fondées sur le souci des équilibres écologiques entre l’homme et son milieu naturel. Cette étude tentera tout d’abord de situer Tahiti dans l’histoire, et d’esquisser un statut politique dont l’indépendance naissante devra relever les nouveaux défis de son territoire. Nous décrirons par la suite le milieu naturel de l’île à proprement parler. Ses propriétés géomorphologiques entre autre, fondamentales aux vues des questions que posent l’utilisation et l’épuisement des sols tahitiens, ainsi que ses écosystèmes sources d’équilibre. Enfin, nous nous intéresserons aux interactions qu’il existe entre l’activité de l’homme et son environnement naturel.

L’analyse territoriale tentera de donner les clés de lecture et de compréhension de ce territoire insulaire pour assoire une stratégie d’intervention et de projet. Cette dernière définira la problématique essentielle et les moyens pour répondre à la question du devenir urbain de ce territoire insulaire.

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HISTOIRE DE TAHITI ET STATUT POLITIQUE DU TERRITOIRE

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Deux siècles que cela dure... Deux siècles au cours desquels l'Occident en panne d'exotisme s'est nourri du fantasme océanien avec, comme poncifs souverains, les cocotiers, les lagons et les vahinés. Leur poids symbolique est toujours fort, mais les regards se font de plus en plus clairvoyants sur cet improbable paradis. Située dans l’Archipel de la Société, l’île de Tahiti fait partie de la Polynésie Française. Ce Territoire d’Outre Mer, qui comprend 118 îles réparties en 5 archipels, couvre une superficie émergée de 4.200 km² dispersée sur 2 500 000 km² (équivalent à la surface de l'Europe). Il faut rappeler que ce mythe a une histoire. Il s'est construit par strates successives grâce à une poignée d'explorateurs qui, émoustillés par la luxuriance du paysage et l'accueil bienveillant des insulaires, rapportèrent de Tahiti des récits au lyrisme contagieux. L'Occident, doutant des bienfaits de la modernité, découvrit alors la Nouvelle-Cythère, l'île d'utopie où le mythe du "bon sauvage" pouvait s'épanouir. Une batterie d'écrivains, de poètes et d'artistes prirent le relais. Sous ces latitudes, ils trouvèrent matière à revigorer leur inspiration défaillante et perpétuèrent le mythe. Plus récemment, les photographes, avec des clichés trop parfaits, ont continué à façonner nos représentations. Avec de telles images, forcément simplificatrices, il n'est guère facile d'aborder de manière concrète et pratique la PoIynésie.

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Les îles de Polynésie sont parmi les dernières régions du monde à avoir été peuplées par l'homme et à avoir été "découvertes" par les Européens. LES MIGRATIONS POLYNESIENNES Les archéologues, les linguistes et les anthropologues débattent depuis des années sur l'origine géographique des Polynésiens. Malgré la théorie d'une origine sud-américaine, qu'avait voulu illustrer Thor Heyerdahl lors de l'expédition du Kon Tiki en 1947 entre le Chili et la Polynésie, les spécialistes estiment désormais que les peuples polynésiens sont originaires du sud-est asiatique, qu'ils quittèrent à bord de grandes pirogues voici 3 000 à 4 000 ans. Les premières vagues de migration gagnèrent les îles disséminées au large de la côte septentrionale de Nouvelle-Guinée, avant de se prolonger jusqu'aux îles Fidji et Tonga vers 1500 av. J.-C., puis s'arrêtèrent aux Samoa vers 1000 avant notre ère, composant le peuple aujourd'hui appelé mélanésien. Un millénaire environ s'écoula avant la seconde grande vague de migration vers l'Est, qui dura à peu près du début de l'ère chrétienne à l'an 600, dépassant les îles de la Société et les Tuamotu pour atteindre les îles reculées des Marquises. Une nouvelle pause fut observée avant le mouvement migratoire suivant, qui se déroula vers l'an 850 dans toutes les directions, peuplant les îles Hawaii au nord, l'île de Pâques au sud-est et les îles de la Société au sud-ouest. Un dernier flux amena le peuple polynésien jusqu'aux îles Cook et la Nouvelle-Zélande, en passant par Rarotonga, vers l'an 1000. De fait, les populations de Polynésie française partagent avec les Hawaiiens et les Maoris de Nouvelle-Zélande des ancêtres communs originaires des Marquises. En outre, tous ces groupes humains localisés dans un immense triangle, le triangle polynésien, dont les pointes sont Hawaii, l'île de Pâques et la Nouvelle-Zélande, parlent une langue commune, le maohi. Quant aux motivations qui poussèrent ces populations à émigrer, elles restent obscures. Les thèses les plus couramment avancées font état de guerres qui auraient forcé les vaincus à partir ou d'une pression démographique trop forte sur des terres aux ressources alimentaires limitées.

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LES EXPLORATIONS EUROPEENNES Bien que l'Histoire n'ait retenu que quelques noms, la découverte de la Polynésie fut l'œuvre de plusieurs navigateurs espagnols, hollandais, anglais, français et russes. Les premières approches du Pacifique Sud eurent lieu au début du XVIème siècle, mais n'eurent aucune suite. Ce fut véritablement au XVlllème siècle, fécond en grands voyages de découverte, que l'histoire de la Polynésie bascula. Les pionniers du Pacifique Pendant longtemps, l'océan Pacifique est resté un monde en marge, hors du champ de connaissance des Européens. En 1520, Ferdinand Magellan se lança dans la traversée de ce vaste océan. La seule île de Polynésie qu'il aperçut fut Puka Puka, située à l'extrémité nord-est des Tuamotu. En 1567, l'espagnol Alvaro de Mendaña de Neira appareilla d'Acapulco à la recherche d'une Grande Terre australe qui constituera le Graal des explorations européennes durant les deux siècles suivants. Après avoir découvert les îles Salomon, il aperçut en 1595 les îles Marquises, l'archipel situé à l'extrémité nord-est de la Polynésie, qu'il baptisa Las Marquesas de Mendoza, d'après le nom de l'épouse de son mécène, le vice-roi du Pérou. Queirôs reprit le flambeau de Mendaña et organisa en 1606 sa propre expédition, à l'occasion de laquelle il découvrit plusieurs îles des Tuamotu, avant de rallier les îles Cook et d'autres archipels du Pacifique. Ce voyage marqua la fin des grandes explorations espagnoles dans le Pacifique. Les Hollandais, déjà fortement implantés dans les Indes hollandaises (l'actuelle Indonésie), reprirent le flambeau en 1615-1616 avec Jacques Le Maire, qui traversa les Tuamotu en se dirigeant vers l'ouest. Ce ne fut qu'en 1722 que le Hollandais Jacob Roggeveen découvrit la première des îles de la Société. Cette année-là, il parvint à l'île de Pâques le jour de Pâques, puis prolongea sa route vers l'ouest, traversant les Tuamotu et passant à Makatea pour gagner les îles de la Société où il salua Maupiti, l'île haute située le plus à l'ouest de l'archipel. Les Hollandais furent suivis par les Anglais, conduits en 1765 par l'amiral John Byron, qui, sur ordre du roi d’Angleterre, alla explorer le Pacifique et découvrit les dernières îles des Tuamotu encore inconnues.

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Trois grands navigateurs sont associés à la découverte de Tahiti : Samuel Wallis, Louis-Antoine de Bougainville et James Cook. Ils ont laissé leurs noms gravés dans la mémoire historique des îles. Les récits de ces explorateurs évoquent maintes anecdotes sur la douceur de vivre, la gentillesse des habitants et la légèreté des vahinés, mythes qui ont vite fait, de port en port, le tour du monde. En effet, les premiers visiteurs qui revinrent de Tahiti parlèrent d'abord de la beauté naturelle du pays et de ses habitants, de leur générosité spontanée, et des richesses des îles, dans leurs comptes rendus d'explorateurs. Mais, dans les cours royales comme dans les tavernes, ce qui alimentait les conversations était bien le non-dit, les récits filtrés par les officiels mais dévoilés par les marins : le sexe. Le mythe d'un paradis peuplé de merveilleuses créatures où rien ne viendrait contrarier l'amour était né. Mythe ou réalité ? Des témoignages laconiques de Bougainville rapportèrent que les Tahitiens ne connaissaient « d'autre Dieu que l'amour ». Aux récits parcellaires de Cook, visiblement choqué par les moeurs locales, parlant de chants impudiques, de danses impudiques et de conversations indécentes, les explorateurs tombaient tout de même de haut. Les femmes étaient nues et dansaient nues, mimant des récits explicitement sexuels. Le sexe n'était, pour les Tahitiens, entouré d'aucun tabou, figurant comme une occupation normale et agréable de la vie quotidienne, comme manger. Cela accrédita le mythe du paradis terrestre et les thèses de Rousseau, comme quoi l'homme était naturellement bon, et que seule la société venait à le corrompre. Wallis C'est à Samuel Wallis que revient le mérite d'avoir été le premier découvreur de Tahiti le 17 juin 1767. Si pour ce dernier et son équipage, la découverte de l'île fut un grand moment, leur accueil par les indigènes en fut tout autrement. Comme premier contact avec les îliens, ils eurent droit à des salves de pierres et durent répliquer à coups de canon. Le 23 juin 1767, le Dolphin s'ancra en baie de Matavai ; son capitaine anglais décida de débarquer et de prendre possession de l'île par les armes. Tahiti fut alors nommée « l'île du Roi George III ». Paradoxalement, la démonstration de force des Anglais ne retourna pas les Tahitiens contre les explorateurs. Au contraire, l'entente entre l'équipage du Dolphin et les insulaires s'améliora et les deux bords mirent en place un commerce amical. La monnaie d'échange britannique consistait alors en de simples clous troqués contre des provisions et les faveurs des Polynésiennes : les Tahitiens, qui ne connaissaient pas le métal, furent ravis de recevoir en échange des couteaux, des hachettes et des clous. L'équipage du Dolphin contribua ainsi à l'émergence du cliché qui allait désormais être durablement associé à Tahiti, celui d'un paradis sexuel, préfigurant le déclin de la civilisation polynésienne.

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Wallis resta quelques semaines à Tahiti sans prendre véritablement le temps d'explorer l'intérieur des terres. Bien qu'ayant été le premier à avoir débarqué sur les côtes tahitiennes, Wallis ne fut pas le navigateur le plus connu et le plus important dans l'histoire et la découverte de Tahiti. Arrivés après, Bougainville et Cook furent à l’origine d’une plus ample connaissance de l’île. Bougainville Moins d'un an après Wallis, le 2 avril 1768, Louis-Antoine de Bougainville conduisit ses deux navires l'Etoile et la Boudeuse jusqu'à Tahiti, précisément dans le lagon d'Hitiaa à l'est de l'île. Plus sensible aux charmes de Tahiti et de ses habitants, plus curieux de connaître leurs caractères, Bougainville sut aborder la population de la meilleure manière qui soit et n'eut à subir ni dommages, ni violence de la part des insulaires. Un court séjour de neuf jours lui suffit pour capter l'image de paradis terrestre. Cette vision idyllique de Tahiti et la description des femmes invitant les navigateurs étrangers à l'amour furent rapportées dans son journal, ouvrage qui fit grand bruit en Europe et qui contribua au mythe de Tahiti surnommée «la Nouvelle-Cythère» et à la théorie du «bon sauvage». Ignorant la précédente venue de Wallis, Bougainville déclara Tahiti «terre du royaume français». Il fut aussi le premier Français à effectuer un tour du monde. Le succès de Bougainville est plus littéraire que scientifique. Sympathique et populaire, son charme est en accord avec «l'air du temps». Reçu dans les salons, ses récits se doivent d'être exempts de lourdeur scientifique superflue. La vocation mondaine des récits de l'explorateur justifie le peu de renseignements vraiment utiles sur les îles, les indigènes, la flore et la faune. Cependant, au-delà du manque de résultats scientifiques utilisables, l'importance du voyage de Bougainville se situe au niveau de la masse de renseignements transmis à la France dans l'organisation des expéditions d'explorations officielles. Cook S'il est un explorateur qui fit grandement progresser la connaissance du Pacifique, ce fut bien James Cook, qui au cours de ses trois voyages établit des cartes quasi complètes. La première expédition qu'il entreprit en 1768 fut organisée par la Royal Society of London. Cook devait conduire à Tahiti un savant astronome, Charles Green, chargé d'observer Vénus, dans le cadre d'une mission qui se déroulait au même moment au Canada et en Norvège, ainsi que deux naturalistes spécialistes de la flore et de la faune, Joseph Banks et Daniel Solander. Le 13 avril 1769, le navire l'Endeavour parvint à Tahiti et mouilla en baie de Matavai, proche de la pointe Vénus. Si l'objectif premier de ce voyage, l'observation de Vénus, fut un échec, il n'en fut pas de même pour les découvertes zoologiques et botaniques faites par Banks et Solander. Grâce à ces expéditions, les merveilles

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exotiques du Pacifique Sud purent être portées à la connaissance du public européen. Durant les trois mois de son séjour, Cook observa et étudia précisément les coutumes polynésiennes qu'il rapporta dans son journal de bord. Ce premier voyage ne se limita pas à l'approfondissement de la connaissance de Tahiti, il se poursuivit vers la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Cook revint à deux autres reprises à Tahiti lors de son second voyage (1772-1775) dans le Pacifique. Il en ramena Omai, un jeune Polynésien, qu'il présenta à la haute société d'Angleterre comme le prototype du « bon sauvage ». Après avoir passé onze mois à Londres, Cook rapatria Ornai à Huahine, où il lui fit construire une habitation, lors de sa troisième expédition (1776-1779). II mourut lors d'un affrontement avec les Hawaiiens aux îles Hawaii en 1779. Ainsi, alors que Bougainville, lyrique, s’était contenté de rapporter de Tahiti l’image d’un paradis, Cook et son entourage de scientifiques et d’artistes, plus pragmatiques, ont légué un immense travail ethnographique et scientifique sur Tahiti : outre l’étude de la flore et de la faune, ils rapportèrent des descriptions de la société traditionnelle ainsi que de précieuses illustrations. Alors que les descriptions de Tahiti et de ses habitants alimentaient maintes spéculations intellectuelles en Europe quant à la notion de « bon sauvage », la réalité sur place pour la population ne revêtait pas seulement des aspects positifs. En effet, l’arrivée des explorateurs, suivis de missionnaires, commerçants baleiniers et autres pirates, entraîna un véritable déclin de la population polynésienne : une incontestable corruption des mœurs locales s’installa. Maladies, alcool, armes, interdits culturels et prostitution se développèrent rapidement et eurent des répercutions désastreuses si bien que la société polynésienne faillit se désintégrer suite à ce choc de civilisations. La seule population de Tahiti, estimée à l’époque par Cook entre 50'000 et 140'000 individus, passa à seulement 6'000 individus en vingt ans. Pour exemple de ces agissements, il apparaît crucial d’introduire l’épisode des mutinés du Bounty.

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LES MUTINES DU BOUNTY Les implications européennes dans l'histoire de Tahiti connurent quelques chapitres pittoresques, mais nul ne devait faire autant de bruit que la mutinerie du Bounty, la plus célèbre de toute l'histoire maritime. Cet épisode, que l'on pourrait croire anecdotique, influença profondément le cours de l'histoire de la Polynésie. Il est presque impossible de distinguer le mythe de la réalité. Les faits sont relativement simples : le 26 octobre 1788, le navire anglais le Bounty, commandé par le capitaine William Bligh chargé d'exporter des plants d'arbres à pain vers les Antilles britanniques pour nourrir les esclaves, entra dans la baie de Matavai. Après cinq mois de récoltes et de douceur de vivre, Bligh et son équipage durent appareiller pour repartir vers d'autres contrées. Mais, la période passée à Tahiti fut trop bonne : abandonner les charmes de cette île devint inconcevable pour une bonne partie de l'équipage. Ainsi, éclata très rapidement une mutinerie menée par le second de Bligh, Christian Fletcher. Le capitaine fut abandonné dans une chaloupe avec dix-huit hommes. Ils réussirent à gagner héroïquement Timor en Indonésie, après près de 6 000 km de voyage et à travers les récifs de la Grande Barrière de Corail australienne. Quant aux mutinés et à Fletcher, ils retournèrent vers leur paradis terrestre. Fletcher et son équipage tentèrent à deux reprises de s'installer à Tubuai et échouèrent. Finalement, les mutinés se séparèrent en deux groupes : seize hommes restèrent à Tahiti alors que les autres dont Fletcher abordèrent l'île déserte de Pitcairn, afin de se cacher des représailles de la marine britannique. Cette dernière vint exercer sa vengeance : ceux restés à Tahiti furent renvoyés en Angleterre, transportés dans une cage de la Pandora, pour y être jugés. Dix-huit ans plus tard, on s'aperçut que l'île de Pitcairn était peuplée de descendants de Christian Fletcher. Pitcairn est aujourd'hui le plus petit pays du monde, avec 70 habitants. La plupart portent encore Fletcher comme nom de famille. L'île de Tahiti se nourrit encore de cette vision idyllique qu'en avaient les mutinés et qui les poussa à devenir hors-la-loi pour assouvir une envie irrésistible de rejoindre cette fameuse terre. De plus, le retour de certains de ces mutinés sur Tahiti influença son histoire puisqu'ils participèrent à la mise en place de la dynastie Pomaré.

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L’EMERGENCE D’UNE DYNASTIE : LES POMARE Avant l'arrivée des Européens, le pouvoir était exercé en Polynésie sur une base essentiellement locale : les chefferies, très hiérarchisées, organisées autour d'un marae. À la différence des sociétés européennes, aucun pouvoir central ne détenait une autorité ou une Iégitimité. Ainsi, Tahiti était divisée en de nombreuses chefferies qui, lorsqu'elles se lassaient de se battre les unes contre les autres, s'attaquaient à Moorea. De même, les chefs belliqueux de Bora Bora effectuaient de fréquentes et sanglantes incursions sur l'île voisine de Raiatea, en raison du manque de terres arables dont souffrait leur île. Mais aucun souverain n'était assez puissant pour étendre très loin sa suprématie. Cependant, après le débarquement des Européens et notamment des mutinés du Bounty, les règles du jeu furent modifiées par l’introduction des armes à Tahiti. Cela va progressivement se traduire par une réorganisation complète des structures de pouvoir en place. Les Tahitiens, qui comprirent vite l'importance de l'armement européen, pressèrent les Occidentaux de prendre parti dans leurs conflits insulaires. Cook et les autres explorateurs s'opposèrent énergiquement à de telles propositions, mais pas les mutinés du Bounty. Ceux-ci proposèrent leurs services de mercenaires au plus offrant, c'est-à-dire aux Pomaré. Le roi Pomaré Ier, le premier représentant de la dynastie, s'appelait auparavant Tu et était le neveu d'Obarea, l'ambitieuse cheffesse, qui s'était liée d'amitié avec Wallis, puis Cook et surtout Banks, qui l'avaient prise pour la "reine" de Tahiti. Avant l'arrivée du Bounty, les Pomaré n'étaient simplement qu'un clan parmi d'autres luttant pour le pouvoir à Tahiti, et certainement ni le plus important ni le plus prestigieux. Les mutinés et leurs armes représentèrent pour eux la première étape d'un processus qui leur permit d'étendre progressivement leur souveraineté à l'ensemble de Tahiti. Pomare Ier dominait déjà la majeure partie de Tahiti l'année de sa mort en 1803, avant que son fils Pomaré Il ne le remplace sur le trône. Pour étendre son influence, le roi Pomaré II, fin stratège, s'était converti au christianisme, davantage par pragmatisme que par conviction. Il s'appuya sur les missionnaires protestants anglais, dont l'emprise sur la société était grandissante : ils interféraient aussi bien dans les affaires publiques qu'économiques du royaume. Il consolida définitivement son pouvoir sur les îles Sous-le-Vent en 1815, lors de la bataille de Fei Pi, au cours de laquelle il soumit les chefs traditionnels, hostiles à toute alliance avec les chrétiens. Poussé par les missionnaires, Pomaré II alla plus loin encore en faisant accepter en 1819 par les grands chefs et le peuple un code de lois qui restera dans l'Histoire comme le "Code de Pomaré", qui mit officiellement hors la loi des pans entiers de la culture polynésienne. Pomare II mourut en 1821, probablement d'un excès de boisson. Son fils Pomaré III lui succéda. Il décéda à peine 6 ans plus tard, en 1827, et fut remplacé sur le trône par la jeune reine Pomaré IV. Son

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règne dura 50 ans, au cours desquels elle étendit sa souveraineté à d'autres îles des Australes et conclut des alliances stratégiques avec plusieurs îles de la Société. Elle vécut suffisamment longtemps pour voir son territoire tomber aux mains des Français. Un de ses fils lui succéda, à sa mort en 1877, pour devenir le dernier roi de cette dynastie. Sous le règne de Pomaré V, un pas supplémentaire fut franchi dans la voie de la colonisation. En 1880, Pomaré V abdiqua pour laisser la place à l’administration directe de la France, et mourut en 1891. L’ANNEXION PAR LES FRANCAIS De 1824 à 1900, les occupants de Tahiti et de ses archipels se suivirent mais ne se ressemblèrent pas : ce fut la période de l'investigation scientifique, des voyages les plus importants, qui permit une plus ample connaissance de la Polynésie. Il y eut de nombreuses luttes d'influence entre Anglais et Français qui souhaitaient annexer de nombreuses îles polynésiennes. Elles commencèrent avec le pasteur Pritchard, missionnaire de la London Missionary Society qui, à partir de 1824, essaya d'obtenir de la part de la reine Pomaré IV le protectorat britannique. II y serait probablement parvenu si les Français, en la personne de l'amiral Dupetit-Thouars, ne s'étaient pas interposés. Finalement, les Français s'imposèrent militairement et le gouvernement, représenté par Bruat, obtint successivement de 1843 à 1900 l'annexion des Marquises, des îles Sous-le-Vent, de l'archipel des Gambier et de celui de Tahiti. Reste que la souveraineté française ne s’exerçait pas à l’origine sur l’ensemble des îles de la Société, car certaines d’entre elles avaient conservé leurs chefs locaux et leurs conseillers missionnaires. En 1888, cependant, les îles Sous-le-Vent furent à leur tour annexées par la France, non sans quelques tentatives de rébellion, notamment à Huahine. L’annexion des Gambier date de 1881, tandis que les Australes connurent le même sort en 1900 et 1901. Ainsi, en cette fin de XIXème siècle marquée par la rivalité entre les grandes puissances dans le Pacifique, les cinq archipels tombèrent officiellement dans l’escarcelle des Français et prirent le nom, en 1903, d’ « Etablissement Français d’Océanie » (EFO).

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LA POLYNESIE AU XIXème ET XXème SIECLE : L’ERE DES MUTATIONS Autant le XIXème siècle fut marqué par des bouleversements politiques, autant le XXème fut synonyme de transformations économiques majeures. La période des EFO Les bases du système colonial, jetées au courant du XIXème siècle, s'affermissent au tournant du XXème siècle. A la veille de la Première Guerre mondiale, l'économie était florissante. Les EFO exportaient des produits locaux tels que la vanille, le coton, le coprah, la nacre et les fruits, en échange de biens manufacturés. A partir de 1911, l'exploitation des richesses phosphatières de Makatea (Tuamotu) prit peu à peu le pas sur les autres productions et assura des revenus substantiels à la colonie jusqu'en 1966, date à laquelle le gisement fut épuisé. Cette ouverture vers l'extérieur eut son revers : les crises internationales, en particulier la crise de 1929, n'épargnèrent pas la Polynésie. Cet essor économique et commercial exigeait une main-d'œuvre de plus en plus nombreuse que la reprise démographique amorcée au début du siècle ne permettait pas de fournir. Des colons, en majorité français, s'implantèrent en Polynésie. En 1911, on comptait environ 3 500 Européens dans les EFO. L'immigration chinoise, entamée en 1864 avec l'exploitation cotonnière à Atimaono, se poursuivit : cette communauté s'élève à plus de mille personnes. En dépit de relations parfois conflictuelles, ces trois communautés vont progressivement se mélanger suite à de multiples unions mixtes. Les bases d'une société pluriethnique étaient en place. Bien qu'éloignée des principaux théâtres d'opération, la Polynésie participa directement aux deux conflits mondiaux. Lors de la Première Guerre mondiale, près de mille poilus tahitiens combattirent en Europe contre l'Allemagne. Le 22 septembre 1914, deux croiseurs allemands, en patrouille dans le Pacifique, cherchèrent à se ravitailler dans le port de Papeete. Ils coulèrent le navire français la Zélée et bombardèrent le quartier du marché de Papeete. Les EFO s'illustrèrent une nouvelle fois lors de la Seconde Guerre mondiale. Avec l'entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941 suite à l'attaque de Pearl Harbour, la Polynésie acquit un intérêt stratégique. Afin de contrôler l'avancée japonaise dans le Pacifique, les Américains se servirent de Bora Bora comme base de ravitaillement, en accord avec les autorités de la France libre. Cinq milles soldats prirent pied sur l'île en février 1942. Une piste d'atterrissage de 2000 m, la première de Polynésie, devint opérationnelle en avril 1943. Parallèlement, des jeunes volontaires tahitiens et demis (métis), incorporés dans le Bataillon du Pacifique, luttèrent dès avril 1941 aux côtés des forces de la France libre en Afrique du Nord, en Italie et en France. En 1946, les EFO acquirent le statut de Territoire d'Outre-Mer au sein de la République française. Les prémices d'une volonté d'émancipation

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vis-à-vis de la métropole firent peu à peu jour. Un parti politique, le RDPT (Rassemblement Démocratique des Population Tahitiennes), créé en 1949 par le nationaliste Pouvanaa a Oopa, occupa le devant de la scène politique pendant une dizaine d'années. La Polynésie à l’ère nucléaire Les années 1960 marquèrent un tournant décisif. Le 22 juillet 1957, les EFO devinrent officiellement la Polynésie française. Lors du référendum de septembre 1958, 65% des Polynésiens manifestèrent leur volonté de rester liés à la France. Trois événements rapprochés eurent un impact considérable sur la société polynésienne. En 1961, la construction de l'aéroport international de Faaa contribua au désenclavement de la Polynésie. Dans la foulée, le tournage de la superproduction « Les révoltés du Bounty », avec Marlon Brando, mobilisa des milliers de figurants et déversa des millions de dollars qui enflammèrent l'économie de l'île. En 1963, avec l'implantation du Centre d'Expérimentation du Pacifique (CEP) à Mururoa, la Polynésie entra dans l'ère nucléaire. Le CEP représentait la pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion nucléaire lancée par le général De Gaulle et poursuivie par ses successeurs. Bien entendu, le démarrage des essais nucléaires entraîna bon nombre de réactions plutôt hostiles, mais il a surtout constitué une manne providentielle pour la Polynésie : l’argent y coulait à flot. Les Polynésiens, attirés par le développement économique, affluèrent en masse vers Papeete, le salaire et le niveau de vie y étant bien plus élevés. Le CEP eut pour effet de bouleverser de fond en comble les structures socio-économiques de la Polynésie, projetées sans transition dans la société de consommation. L’agglomération de Papeete connut une explosion démographique et quadrupla en trente ans. Les habitations furent construites à la va-vite, une autoroute, des usines, un port pour conteneurs et un aéroport. Au cours de cette période, l'évolution institutionnelle du Territoire s'est poursuivie. La Polynésie française adopta, en 1977, un statut d’autonomie de gestion, puis en 1984, elle obtint le statut d’autonomie interne, lui conférant de plus larges pouvoirs. Ce dernier fut renforcé en 1990 et élargi en 1996. Les compétences de l'État français diminuèrent au profit du Territoire. La signature d'un Pacte de Progrès entre l'Etat et le Territoire en 1993, par lequel la France s'engagea à poursuivre son aide jusqu'en 2006 et l'arrêt définitif des essais nucléaires en février 1996, sonnèrent le glas de ces « Trente Glorieuses » artificielles. Aujourd’hui, au lendemain de l’ère CEP, la Polynésie française souhaite renforcer son caractère étatique d’indépendance, et se retrouve ainsi face à des enjeux cruciaux de développement et de stabilisation démographique et économique, dont la réalisation permettra de pérenniser son statut de territoire autonome.

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TAHITI ET LA POLYNESIE FRANCAISE EN 2005 : L’APRES CEP L'économie de la Polynésie française a largement reposé sur les importantes retombées économiques et financières du Centre d' Expérimentation du Pacifique. Après la suspension des essais nucléaires en 1992, la Polynésie rentre dans l'ère de l'après CEP. Dans cette perspective, les pouvoirs publics et le Territoire mirent en place un "Pacte de Progrès" visant à faire davantage reposer le développement économique de la Polynésie sur ses potentialités économiques propres. Cependant, en 1995, Jacques Chirac fut élu président de la République française et ordonna la reprise des essais nucléaires à Mururoa. Avec celle-ci, les révoltes indépendantistes et écologiques se réveillèrent sur le Territoire, mettant le feu à Papeete. La ville, en émeute, fut envahie de manifestants venus des quartiers défavorisés, souvent des laissés pour compte de la manne financière des essais nucléaires. Les émeutiers indépendantistes saccagèrent notamment le centre-ville et l'aéroport. Mais loin de se limiter à la Polynésie française, le tollé fut mondial, entraînant des manifestations écologistes un peu partout. Il faut dire que la France était le seul pays développé à continuer des essais réels. L'Australie, la Nouvelle-Zélande, et de nombreuses démocraties occidentales appelèrent même au boycott des produits français. Pour la Polynésie française, le redémarrage du CEP se traduisit d'une part par un nouvel afflux financier, d'autre part par une chute du secteur touristique. La cessation d'activité du Centre d'Expérimentation du Pacifique en 1996, entraîna l'Etat et le Territoire à conclure, le 25 Juillet de la même année, la convention pour le renforcement de l'autonomie économique de la Polynésie française. Il s'agissait de maintenir pendant dix ans, au bénéfice de la Polynésie française, les flux financiers qui résultaient de l'activité du CEP. Aujourd’hui, cette dernière, tentée par l’autonomie croissante de la Nouvelle-Calédonie, aspire de plus en plus à son indépendance. Mais contrairement au Caillou, autosuffisant, elle dépend encore à 50 % de la France, et doit assurer sa transition économique. Pour comprendre les enjeux en présence, il apparaît important de présenter le système politique polynésien. La Polynésie française est un Pays d’Outre-Mer (POM) depuis 2004, doté d’un statut d’autonomie interne mis en place en 1984. L’Etat est, quant à lui, représenté par le haut-commissaire de la République qui fait respecter les lois, les intérêts nationaux et le contrôle de l’administration. Cependant, le gouvernement territorial polynésien a pour mission l’organisation juridique et politique du Territoire.

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Son chef a longtemps été Gaston Flosse (1984-86 / 1991-2004). Acteur politique polynésien depuis plus de trente ans, il a été battu en 2004, lors des élections territoriales, par une coalition d’indépendantistes et d’autonomistes anti-Flosse, menée par Oscar Temaru, devenu, pour l’occasion, le premier Président de Polynésie française. Depuis plus de cinquante ans, la question politique a pour thème l’indépendance du Territoire. Après le colonialisme puis les E.F.O., le statut de T.O.M., l’autonomie de la Polynésie française, le statut de P.O.M. s’est agrandi au fil des années vers la voie de l’émancipation. Nul doute que la Polynésie parviendra à son indépendance un jour ou l’autre, à condition d’assurer l’indépendance économique, politique et culturelle du pays auparavant. Il s’agit, à l’heure actuelle, de l’un des enjeux les plus importants aux yeux des Polynésiens. Ainsi, pour tendre vers cette indépendance territoriale, le gouvernement Temaru devra développer l’économie interne locale, en réduisant la dépendance économique extérieure. Quels sont les fondements de l’économie polynésienne, sur quoi cette dernière repose-t-elle et comment la développer dans un souci d’indépendance et d’autosuffisance? Telles sont les questions fondamentales qui seront soulevées plus tard. Cependant, dans un premier temps, il s’agira de bien connaître le territoire lui-même, son origine, ses caractéristiques physiques et ses potentiels, ainsi que la société en place avec tout ce qu’elle peut engendrer en terme de démographie, d’occupation, d’activité et d’interaction avec et sur son environnement.

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CHRONOLOGIE RECAPITULATIVE - de -3000/-4000 av. J.-C. à -1000: début des vagues de peuplement dans le Pacifique Sud, en provenance du sud-est asiatique - Illème-Vlème siècle: première implantation humaine aux Marquises - de 850 à 1000: à partir des Marquises, colonisation des îles Sous-le-Vent, de Hawaii, de l'île de Pâques, des îles Cook et de la Nouvelle-Zélande - juillet 1595: Alvaro de Mendaha découvre le groupe Sud des Marquises - juin 1767: Wallis débarque à Tahiti - avril 1768: Bougainville arrive à Tahiti et qualifie l'île de "Nouvelle-Cythère" - avril 1769: l'Endeavour, avec à son bord Cook, mouille en baie de Matavai - 1788-1791: mutinerie du Bounty - 1793: début de la dynastie des Pomare - mars 1797: les premiers missionnaires de la London Missionary Society débarquent à Tahiti - 1815: les chefs polynésiens traditionalistes sont défaits lors de la bataille de Fei Pi. PomareIl se convertit au christianisme - 1827: avènement de la reine Pomare IV - 1841: Dupetit-Thouars prend possession des Marquises au nom de la France - 1844-1847: guerre franco-tahitienne - août 1847: Pomare IV accepte le protectorat de la France - juin 1880: Pomare V cède ses territoires à la France - 1900-1901: les Australes sont le dernier archipel à ëtre annexé par les Francais - 1908: début de l'exploitation des phosphates à Makatea, dans les Tuamotu - 1915: mille Polynésiens sont incorporés au bataillon du Pacifique - février 1942: les Américains construisent une base militaire à Bora Bora - août 1957: les "Etablissements Français d'Océanie" prennent officiellement le nom de "Polynésie française" - 1958: par référendum, les Polynésiens choisissent de rester au sein de la République - 1961: ouverture de l'aéroport international de Faaa - 1963-1966: implantation du Centre d'Expérimentation du Pacifique dans les Tuamotu - 1984: la Polynésie obtient un statut d'autonomie interne, modifié en 1990 et élargi en 1996 - octobre 1987: le centre de Papeete est incendié au cours d'émeutes - janvier 1993: signature entre l'État francais et le Territoire du Pacte de Progrès - septembre 1995: émeutes à Papeete, suite à la reprise des essais nucléaires - 1996: arrêt définitif des essais nucléaires - 1997: des cyclones, dûs au phénomène El Niño, dévastent plusieurs îles - 2004-2005: Oscar Temaru devient le premier Président de Polynésie française

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L’HOMME ET SON TERRITOIRE AUJOURD’HUI

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A - LE TERRITOIRE, ENVIRONNEMENT ET ECOSYSTEME NATUREL

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Les îles de la Société sont, sans exception, d’origine volcanique, et se répartissent en îles hautes et en atolls, au profil nettement différencié. Avant de nous pencher plus précisément sur le cas de notre étude, il apparaît intéressant de comprendre la formation d’une île haute comme Tahiti. Les îles hautes naissent au fond de l’océan, puis émergent à la faveur de crises éruptives quasi continues. En effet, à partir d'un point chaud fixe, une colonne ascendante de magma produit un volcan océanique ou aérien. Conformément à la tectonique des plaques, l'île nouvellement formée dérive vers le nord-ouest à la vitesse moyenne de 10 cm/an, s’affaissant d’environ un centimètre chaque année (phénomène de subsidence). Les eaux claires et chaudes de cette région du globe provoquent le développement de constructions coralliennes qui bâtissent peu à peu un récif frangeant, immédiatement adjacent aux flancs sous-marins de l'île. Au fur et à mesure de l'enfoncement de cette dernière, les coraux poursuivent leur croissance, cherchant à se maintenir à la surface des eaux pour capter la lumière nécessaire à leur survie. Ils construisent alors une formation circulaire autour du volcan, la barrière récifale, de plus en plus éloignée de la côte et souvent percée d’ouvertures, appelées "passes", permettant la navigation et les échanges avec l’océan. Entre cette barrière et l’île proprement dite, s’étend le lagon, sorte de zone intermédiaire calme et peu profonde, abritant un écosystème aquatique privilégié et salutaire. Le relief des îles hautes, souvent impressionnant, dépend des effets de l’érosion. Il comprend des caldeiras (anciens cratères volcaniques), des pics, des amphithéâtres, des plaines et des vallées, et parfois des plateaux et des planèzes. Tout ceci tendant à créer différents écosystèmes et climats au sein d’une même île. Ainsi, les îles hautes, comme Tahiti, ont la forme de montagnes posées à la surface de l’océan, ceinturées par une couronne corallienne.

Etapes de constitution d’une île haute

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LA GEOLOGIE DE TAHITI Etant l’une des îles les plus récentes de l’archipel de la Société, Tahiti présente une forme caractéristique très montagneuse due à la juxtaposition de trois cônes volcaniques : Tahiti Nui, le volcan principal ; Taiarapu ou la presqu’île au sud-est, et entre les deux, le volcan de Taravao, aujourd’hui assimilable à un isthme. Tahiti Nui Avec un diamètre et une caldeira de respectivement 35 km et 8 km, Tahiti Nui, le "Grand Tahiti", est le plus grand volcan de l’île et mesure environ 12’700 mètres de haut, dont 10'500 mètres actuellement immergés. C’est une imposante masse de montagnes et de vallées profondes, émergée il y a 1,35 millions d’années et dominée par le mont Orohena à 2241mètres. Taiarapu Avec un diamètre et une caldeira de respectivement 15 km et 6 km, Taiarapu ou Tahiti Iti, le "Petit Tahiti", possède un relief plus doux et plus vallonné avec des plateaux qui se terminent par des falaises. Située au sud-est de Tahiti Nui et reliée à ce dernier par l’isthme de Taravao, la presqu’île ne date que d’un peu plus d’un million d’années et est dominée par le mont Roonui à 1332 mètres. Taravao Le volcan de Taravao a réuni les volcans initialement séparés de Tahiti Nui, au nord-ouest, et Tahiti Iti au sud-est. Ce complexe volcanique est une unité semi-circulaire, effondrée en son centre en une caldeira de 4,8 km de diamètre. Il apparaît dissymétrique en raison de son mode de construction : en effet, il s’est édifié sur les pentes ouest du volcan de Taiarapu, assez fortement inclinées, ce qui a facilité d’importants glissements. L’ajout du volcan de Taravao sur les pentes de Taiarapu conditionne largement la morphologie de cette région. En effet, à la différence de Tahiti Nui et Tahiti Iti qui possèdent tous deux une falaise côtière d’une cinquantaine de mètres de hauteur, celui de Taravao n’en possède pas. Les seules falaises observées sont à l’intérieur, aux flancs des vallées encaissées, profondes et assez courtes. L’unité géomorphologique principale est alors une planèze aux pentes douces (de 3 à 5°) descendant progressivement vers la mer, sans rupture topographique notable. De fait plus jeune que les deux autres volcans de l’île, la structure aérienne de Taravao s’est édifiée en moins de 100'000 ans : les datations K/Ar montrent que la partie émergée s’est construite en quelques dizaines de milliers d’années.

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Les volcans, par les risques qu'ils présentent, apparaissent incontestablement nuisibles pour les sociétés humaines. Mais paradoxalement ils s'avèrent aussi très utiles, plus encore quand ils ne sont plus en activité comme à Tahiti. Au début de l'histoire géologique de la planète Terre (vieille de 4,6 milliards d'années), les nombreux volcans ont, par dégazage, contribué à la formation de l'atmosphère et par condensation à celle des océans, ce qui permit ensuite l'apparition de la vie. Ainsi, les volcans construisent des territoires nouveaux aux reliefs particuliers et diversifiés, qui évoluent grandement sous l’effet de l’érosion et laissent apparaître un réseau hydrographique rayonnant très développé et fort utile. Ces reliefs ont tendance à perturber le régime des vents, à créer des phénomènes de vents locaux et à accrocher les poches dépressionnaires riches en humidité, donnant alors naissance à différents climats plus ou moins chauds et humides au sein de l’île. De plus, les sols volcaniques de type basaltique sont extrêmement fertiles (pour exemple : 2 à 3 récoltes de riz par an en Indonésie au pied des volcans contre une seule récolte en Inde) et permettent, en accord avec le relief, de faire émerger de véritables écosystèmes végétaux en étagement. Il nous semble juste de penser et de dire que le caractère géologique de Tahiti conditionne l’ensemble des caractéristiques de l’île, depuis son relief et son climat jusqu’à son appropriation par les hommes, en passant par son hydrologie et sa végétation. Afin d’aborder notre projet dans les meilleures conditions, une connaissance parfaite de cet environnement apparaît indispensable, afin de ne pas reproduire un autre contresens vis-à-vis du milieu qui s’offre à nous, comme cela a été fait à Papeete.

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LA GEOMORPHOLOGIE DE TAHITI Par géomorphologie, nous entendons étudier les reliefs terrestres actuels de Tahiti et leur évolution sous l’action de l’érosion (le cas particulier du lagon sera abordé ultérieurement). Compte tenu de sa surface (1042 km²), Tahiti apparaît plus massive avec des formes moins hardies que les petites îles avoisinantes, et moins découpée par l’érosion bien que, localement, elle présente des formes très disséquées. En effet, ce qui frappe le plus à Tahiti, c’est l’étonnante variété morphologique des formes de dissection, résultat de l’action d’un climat chaud et humide sur des roches volcaniques diversement consolidées ou d’altérabilités différentes. Quelles sont les conditions de cette dissection du relief de Tahiti, et quelles en sont les formes clairement établies et définissables ? Telles sont les questions auxquelles nous devons répondre à présent. Les conditions du façonnement des modèles de dissection Originellement, Tahiti était constituée de trois grands volcans en forme de bouclier qui étalaient leurs coulées de laves basaltiques fluides tout autour de multiples bouches éruptives ou le long de fissures qui s’ouvraient sur leurs flancs. Ces grandes galettes de lave avaient en général des pentes modérées, ne dépassant pas 10%. Vers la fin de leur construction ces édifices volcaniques en bouclier furent affectés par une phase volcano-tectonique qui conduisit à l’effondrement de leur sommet et à la formation de plusieurs caldeiras. Les remparts vertigineux de ces caldeiras constituent aujourd’hui la trame du relief de Tahiti, et dictent le façonnement de son modelé et de ses paysages. Cependant, au-delà de l’influence des formes de constructions volcaniques, le modelé de dissection de Tahiti est étroitement dépendant des types de roches rencontrées. Les volcans sont, en effet, essentiellement basaltiques, formés de minces coulées dépassant rarement dix mètres d’épaisseur et s’étalant sur de longues distances. Elles sont séparées les unes des autres par des lits (matériaux d’explosion mis en place au début de chaque nouvelle phase éruptive) sans grande compaction. De telles successions de roches dures, largement fragilisées par la prismation, et de roches tendres, scories ou sols fossilisés sous les coulées, sont évidemment très favorables à l’altération et à l’érosion. Ainsi, roches peu cohérentes dans l’ensemble, intensité de l’altération et climatologie agressive se conjuguent pour expliquer la vigueur des formes de dissection de Tahiti.

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Le relief de Tahiti : pentes et formes de dissection Tahiti représente à elle seule près de 30% de la superficie des terres émergées de la Polynésie française (1042 km² sur 3251 km²). Les altitudes y sont importantes : 2241m à l’Orohena, 2066m à l’Aorai, 2110m au Pito Hiti, 1799m au Tetufera pour Tahiti Nui ; 1332m au Roonui, 1306m au Mairenui pour Tahiti Iti. De ce fait, le rapport altitude/surface met clairement en évidence la vigueur du relief, et son étagement forcé. - Les pentes La carte des pentes souligne la faible proportion des pentes inférieures à 10 % en dehors de la plaine côtière et des grandes vallées qui pénètrent en couloirs étroits jusqu'au coeur de l'île. En montagne, les pentes les moins fortes sont situées au sud-ouest de la localité de Taravao où de grandes surfaces peu inclinées (5 à 7%) sont occupées par une agriculture spéculative ou par des pâturages. Dans la région de Papenoo et de Mahina, quelques coulées forment des "plateaux" dont les valeurs de pente sont proches de 10 %. Ils sont occupés par des lotissements ou par des boisements. Partout ailleurs, les pentes inférieures à 10 % sont quasi inexistantes, sauf au coeur de la vallée de la Punaruu, sur le plateau Temanu et, presque au centre de l'île, sur le plateau de Viriviriterai à 900 m d'altitude. Aux alentours de Papeete et immédiatement au-dessus de la plaine côtière, les principaux lotissements résidentiels de Vetea et de Pamatai sont installés sur des pentes fortes, (souvent voisines de, ou supérieures à 30 %). Ceci qui pose de nombreux problèmes de voirie, d'accessibilité aux résidences, d'érosion concentrée et de glissements de terrain lors des fortes pluies. La majeure partie de l'île est donc occupée par des pentes supérieures à 50%, impropres à tout aménagement et qu'il convient de soigneusement préserver du déboisement et des travaux de génie civil. Les pentes supérieures à 120 % soulignent le tracé des caldeiras de façon assez diffuse, et surtout, les sommets de versants des grandes vallées et des grands cirques. Cette disposition est particulièrement nette pour les vallées de Temarua, de la Vaiatiu, de la Punaruu, de la Fautaua et de la Tuauru. Les escarpements de l'Aorai, de l'Orohena et du Tetufera apparaissent également très nettement, ainsi que ceux du groupe des principaux sommets situés au nord-ouest de la caldeira de Tahiti Iti. Les façades rocheuses subverticales sont, somme toute, assez peu nombreuses. La quasi-permanence des pentes fortes ou très fortes de Tahiti souligne la dissection par de profondes vallées.

Profil type océan / lagon / plaine côtière / relief

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- Les versants et les vallées Les vallées ont un tracé rayonnant dont l'origine se situe dans la région centrale de l'île, dans ou sur la bordure de la caldeira. Chacune d'elles éventre très profondément l'édifice volcanique. Il n'est, en effet, pas rare que les versants présentent des amplitudes supérieures à 600 m. A Tahiti Nui, les bassins versants des rivières du nord ont un plan caractérisé par un élargissement vers l'amont, sorte de cirque dominé par les hautes falaises des sommets qui jalonnent le tracé de la caldeira: cirques de la Papeiha, de la haute Papenoo dans la caldeira, de la Tuauru, de la Fautaua et de la Punaruu. Les rivières du sud ne présentent pas cette disposition et sont plutôt de longs couloirs très étroits et très encaissés qui pénètrent jusqu'au coeur de l'île (rivières Faurahi, Vairaharaha, Vaihiria, Vaite et Vaipoo par exemple). Les profils transversaux des vallées, dans leurs parties moyenne et inférieure, sont caractérisés par la rareté des escarpements verticaux, excepté aux sommets des versants. Ils ont plutôt la physionomie de versants rectilignes. A chaque épisode pluvieux, de nombreux glissements de terrain se manifestent de façon aléatoire sur ces versants aux pentes souvent supérieures à 45°. Ce sont des coulées boueuses étroites, entraînant parfois des blocs importants, qui intéressent l'ensemble du versant sur une épaisseur de 1 à 2 mètres et déposent à la base de celui-ci un

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cône de débris qui peut, soit être évacué rapidement par la rivière, soit être tout aussi rapidement colonisé par la végétation. La fréquence du phénomène et son caractère généralisé expliquent la rectitude des versants et le démaigrissement de leur partie supérieure qui fait affleurer quelques corniches basaltiques. Les profils longitudinaux des vallées présentent de fortes pentes, même dans la partie aval des cours, avant les cônes de déjection qui matérialisent le débouché sur la plaine côtière (1 à 2 % dans les derniers kilomètres). À l'amont des plaines alluviales, ces pentes peuvent atteindre 8 à 10 %. A Tahiti Iti, du fait même de la plus faible taille de l'appareil volcanique, les vallées sont moins amples et moins encaissées. Elles présentent cependant la même disposition d'ensemble, avec des versants rectilignes, des pentes longitudinales souvent fortes dès l'amont et des cônes de déjection caillouteux qui jalonnent chaque débouché des torrents sur la plaine côtière.

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- Les plateaux Ce schéma général de la morphologie des vallées de Tahiti est perturbé, pour les plus grandes d'entre elles, par l'histoire même des phases d'édification de l'île. En effet, le long du cours de la Papenoo, de la Punaruu, de la Vaiatiu et de la Papeiha, s'individualisent des plateaux dans lesquels les rivières s'encaissent de plusieurs centaines de mètres: plateau Faufiru (1 150 m), plateau Tetamanu (600 m), plateau Viriviriterai (900 m), par exemple. Ce sont les surfaces plus ou moins bien conservées de coulées bréchiques, de coulées boueuses consolidées et de coulées basaltiques qui se sont installées dans les vallées préexistantes lors de la phase d'effondrement de la caldeira et de l'érosion des remparts de celle-ci. Certaines d'entre elles ont pu descendre jusqu'à la mer. - Les planèzes Les vallées se terminant à l'amont par des cirques isolent entre elles des interfluves de plan triangulaire et des lignes de crête en lame de couteau. Ces plateaux d'interfluves sont bien représentés dans la partie nord de Tahiti Nui. Ils ont la forme typique de planèzes ou plateaux triangulaires inclinés, dont la topographie est dictée par la pente des coulées et le plan par le réseau hydrographique rayonnant. Mais ici, ces planèzes

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sont, en général, intensément ciselées par un réseau de ruisseaux très dense, isolant des crêtes multiples parallèles les unes aux autres. Il y a très peu de surfaces planes, de véritables plateaux, excepté sur les planèzes qui dominent Mahina et Papenoo, sur le versant nord de l'île. On peut suivre leur topographie disséquée sur plusieurs kilomètres: celle de Faaa sur 10 km jusqu'à une altitude de 1 450 m, celle d'Arue sur 5 km jusqu'à 1 000 m, celle de Papenoo sur 6,5 km. Elles sont limitées de chaque côté par les amples versants des vallées et, localement, par de belles corniches rocheuses. Dans la partie sud de Tahiti Nui, les planèzes sont moins fréquentes : on en retrouve au sud-ouest et au sud-est, où la géométrie des bassins versants a isolé celles de l'Ivirairai et de Taravao, très disséquées par de petites vallées rayonnantes qui dévalent sur la plaine côtière par l'intermédiaire de hautes cascades. À Tahiti Iti, elles sont très peu représentées dans la moitié sud-est de la presqu'île. En revanche, tous les versants qui dominent Taravao vers le sud-est sont constitués par de vastes surfaces qui s'inclinent depuis 700m d'altitude jusqu'au lagon et qui portent les plus belles exploitations agricoles de l'île.

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- Les crêtes Dans la partie centrale des deux volcans, les planèzes disparaissent et les bassins versants sont séparés par d'étroites crêtes en lame de couteau, qui dominent de longs versants vertigineux. Véritables murs basaltiques finement crénelés, ces crêtes peuvent être échancrées par des cols qui permettent le passage d'une vallée à l'autre ou par des brèches inaccessibles. La progression sur ces lames étroites est rendue périlleuse par l'instabilité du sol et par les incessants dénivelés entre les points hauts et les points bas de la ligne de crête. Ce sont cependant les seuls itineraires possibles pour avoir accès aux plus hauts sommets de l'île : assimilables à de lourdes pyramides aux versants quasi verticaux, ou à d’étroites arêtes battues par les vents et les pluies. - La plaine côtière Point commun à toutes les îles de la Société, une petite plaine côtière de remblaiement fluvio-littoral se présente sous l'aspect d'un mince trottoir situé entre un et cinq mètres au dessus du niveau de l’océan. A Tahiti, sa largeur peut atteindre au maximum 1,8 km.

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Cette petite plaine est formée par les alluvions déposés par les rivières aux cônes de déjection surbaissés dont les plus importants s'avancent dans le lagon jusqu'à rejoindre la barrière récifale, et par des matériaux coralliens édifiés en levées le long de la côte. Sa topographie de détail est caractérisée par des contre-pentes dues aux levées de plage qui créent des marécages au pied de la falaise (surtout dans la partie sud de Tahiti, région de Papara) et par les bombements des cônes de déjection. La population et les activités se sont localisées pour l’essentiel au dessous de 100 et même de 50 mètres d’altitude, déterminant ainsi ce passage très humanisé qui remonte un peu à l’intérieur des plus grandes vallées. Cette bordure construite contraste avec la "sauvage grandeur de l’île où les obstacles du relief sont encore accrus par les averses incessantes et par une végétation inextricable". Ainsi, caldeiras, vallées, plateaux, planèzes, crêtes et plaine côtière, constituent les différents éléments de dissection du relief de Tahiti. Ces derniers, de par leur formation et l’érosion, tendent à être constitué de différents types de sols et à définir différents climats et écosystèmes, selon un étagement particulier dicté par le relief et les pentes. C’est pourquoi nous montrerons toute l’importance et la prédominance de la géomorphologie de Tahiti sur le reste des facteurs déterminants de ce territoire.

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LA PEDOGENESE DE TAHITI : SOLS ET APTITUDES Par pédogenèse, nous entendons étudier le processus de formation des sols de Tahiti et leur évolution sous l’action de l’érosion. Cependant, cela sera fait de manière brève et non exhaustive compte tenu de la complexité et de la diversité des sols en place. Notre intérêt se portera alors plus sur les potentiels d’utilisation de ces sols, notamment agricoles, toujours en adéquation avec le relief de l’île et par conséquent en rapport avec les pentes exploitables et accessibles. Tahiti, île jeune massive et élevée, dispose donc d’une extrême diversité de sols expliquée par le rôle conjoint de la topographie, du climat et de la roche-mère. Les principaux facteurs de la pédogenèse - Le climat Le climat qui règne à Tahiti est de type tropical humide, avec des pluviosités et des températures moyennes élevées. Bien que ce climat soit fortement tempéré par l’océan et par le relief, l’ambiance générale y est ferrallitisante, c'est-à-dire fortement dégradante, et conduit à une altération de tous les minéraux des roches. Il existe cependant de très nettes différenciations entre les versants au vent, les plus arrosés et les versants sous le vent plus secs. La pluviosité croît en effet très rapidement en fonction de l’orientation aux vents dominants et avec l’altitude. Un chapitre plus précis sur le climat et le régime des vents fera suite dans cette étude, vu l’importance de ces derniers. - La topographie La topographie joue un rôle essentiel dans la diversification et la distribution des sols. Très accidentée, elle est la cause première d'une érosion générale mais graduelle et d'un rajeunissement continu de la couverture pédologique des versants. Des plus fortes pentes aux plus modérées, on passe par toute une succession de sols, des moins évolués aux sols d'évolution ferrallitique. Et lorsque, sur les pentes les plus faibles, s'atténue progressivement l'action de l'érosion mécanique, l'érosion chimique s'accentue. Corrélativement, s'accumulent dans les zones basses, les plaines, les vallées et le lagon, les grandes quantités de sédiments originaires de l'amont. - La roche-mère : le basalte A Tahiti, la roche-mère résulte généralement de la différenciation de magmas. Elle est donc essentiellement basaltique, basique, pauvres en silice, et riche en calcium et magnésium.

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Les caractères généraux des principaux sols A Tahiti, les sols se répartissent en deux grands ensembles: d’une part, les sols des parties hautes évoluant en place, soumis à l'érosion, et, d’autre part, ceux des parties basses, développés dans des matériaux colluviaux ou alluviaux issus de l'amont. Le processus marquant de la pédogenèse des premiers est, outre la désalcalinisation, la désilicification qui débute dès les tous premiers stades de l'altération pour être quasi totale lorsque le stade ultime de l'évolution ferrallitique est atteint. Les seconds, à l'inverse, s'enrichissent de la silice, des bases et des minéraux primaires issus des premiers. Cela les rend d’autant plus intéressant car ils se retrouvent dans des zones de faibles pentes facilement accessibles et exploitables, comme la plaine côtière. Dressons à présent un petit tour d’horizon de ces sols. - Les sols des parties hautes Les parties hautes de l’île de Tahiti comportent donc une succession de sols plus ou moins érodés et d’évolution variable. Souvent riches en minéraux et matières organiques, ils sont malheureusement tributaires de l’érosion qui tend à leur faire perdre leurs qualités. Parmi ces sols, nous pouvons citer les sols minéraux bruts ou peu évolués d’érosion, les sols brunifiés tropicaux et les sols ferrallitiques. - Les sols des parties basses Les parties basses de l’île de Tahiti comportent des sols jeunes et riches sur des matériaux transportés. Les matériaux à l’origine de ces sols sont ceux de la plaine littorale, des terrasses alluviales ou tout simplement ceux qui ont été accumulés au pied des pentes. Ils ont donc une double origine : - l'une, marine, a permis la formation de falaises et à leur pied, la constitution de la plaine littorale. - l'autre, terrestre, résulte de l'érosion qui a soustrait aux flancs des volcans des quantités considérables de matériaux. Ces matériaux, entraînés par les eaux de ruissellement, ont alluvionné les basses vallées, colluvionné au pied des pentes ou recouvert les formations superficielles de la plaine littorale. La couverture pédologique de l’ensemble de ces zones basses colluvio-alluviales est faite de sols peu évolués d’apport, fortement enrichis en minéraux résiduels hérités du basalte, et de sols hydromorphes, de type marécages difficilement drainables et valorisables. Ces derniers sont représentés en très faible proportion, laissant apparaître la plaine littorale et ses basses vallées s’enfonçant dans le territoire comme un terrain propice à l’exploitation et l’expansion.

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Là encore, nous nous rendons compte du caractère déterminant de la géologie et de la géomorphologie de Tahiti, qui conditionnent réellement les différentes qualités de sol, en rapport avec le relief, les pentes et le phénomène d’érosion. Il n’est donc pas étonnant que ces "bons sols" se retrouvent aux bas des vallées, au pied des pentes et dans le proche relief. Nous pouvons réellement parler d’un triptyque fondamental à respecter : relief-pentes/érosion-climat/sols. En effet, tout cela se vérifie sur la carte des sols ci-jointe. Notons également que les géographes de l’Orstom ayant réalisé ce document mettent en évidence, peut être sans y avoir réellement pensé, un des problèmes majeurs de l’agglomération de Papeete, à savoir l’absence de sols naturels pourtant nécessaires à son bon équilibre de fonctionnement avec l’environnement. Il sera donc capital, dans le cadre de notre projet, de tenir compte des sols en présence, d’en conserver suffisamment et de travailler conjointement avec ces derniers, afin d’éviter les problèmes que nous mettrons en évidence plus tard. Il s’agit pour l’instant de présenter réellement les aptitudes culturales et forestières des sols de Tahiti ainsi que leur potentiel agronomique.

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Les aptitudes culturales Le relief montagneux ne laisse que peu de place aux terres utilisables à des fins agricoles. En effet, à Tahiti seuls 10’000ha, soit 1/10 de la superficie totale, sont cultivables sans trop de difficultés et le plus souvent, accessibles aux engins à moteur (plaine, vallées, plateaux et premières pentes). Les contraintes géomorphologiques ou édaphiques, qui régissent les qualités agrologiques des terres, sont multiples : citons les principales. - Les contraintes géomorphologiques - la topographie, les pentes et les possibilités d’utilisation des terres Le relief accidenté, facteur de l'érosion, est le premier obstacle limitant les possibilités de mise en valeur des sols de Tahiti. Plus de 85 % des sols occupent des pentes supérieures à 20 % avec la répartition suivante: 16 % sur les pentes de 20 à 50 %, 47 % sur les pentes de 50 à 100 % et 24 % sur les pentes supérieures à 100 %. Les possibilités d'utilisation des sols décroissent rapidement avec l'accentuation de la pente. Des pentes régulières, facilement accessibles, peuvent recevoir des cultures motorisées jusqu'à 40% et des cultures manuelles jusqu’à 50%, voire 75% pour les meilleurs sols. Aussi, dans un pays où les disponibilités en terres facilement cultivables sont dramatiquement réduites, la mise en valeur de pentes pouvant dépasser 50 % s'avère une nécessité malgré les contraintes. - l’érosion et les mesures préventives Les sols issus de roches basaltiques présentent une assez bonne résistance à l'érosion. Cependant, l’activité agricole a tendance à les fragiliser grandement. En effet, pour des sols sous une pluviosité de 2’500 mm/an, l'érosion emporte chaque année sur des pentes de 50%, cultivées sans précautions, 80 tonnes/ha (1 cm de terre) contre seulement 1 tonne/ha sous forêt dans des conditions similaires. Le rôle antiérosif de la végétation, bonne couverture permanente, apparaît ainsi à l'évidence, et, quelques pratiques simples sont à observer quand des cultures vivrières ou maraîchères sont implantées : on peut ainsi faire une succession rapide des cultures, introduire des plantes intercalaires et, si nécessaire, un paillage, afin de maintenir sur le sol une couverture permanente aussi efficace que possible. - l’emprise de l’eau Les possibilités d’engorgement et d’inondation sont les principaux risques engendrés par la présence de l’eau dans les sols. Il s’agit donc d’être particulièrement attentif à cela, notamment dans les plaines et les terrasses alluviales des basses vallées. De plus, il existe même des secteurs marécageux, engorgés et inondés en permanence.

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- Les contraintes édaphiques - la profondeur des sols Les sols de Tahiti sont, dans l’ensemble, peu profonds, voire absents sur les très fortes pentes. Sur les pentes modérées et sur les plateaux, il s'établit un certain équilibre entre l'érosion et l'altération, et la profondeur des sols demeure faible, n’atteignant généralement pas le mètre. C'est à cette profondeur qu'apparaissent soit des blocs rocheux, soit plus fréquemment une altérité friable (mamu) qui ne fait pas obstacle à la pénétration des racines. Les sols bien plus profonds développés sur les colluvions et les alluvions font exception encore que, pour ces derniers, la frange utile soit fréquemment limitée par la nappe phréatique. - la texture et la structure Tous ces sols sont issus de roches sans quartz et sont donc généralement de texture très fine plus ou moins sableuse. Des observations in situ et des tests réalisés, il ressort une grande stabilité de la structure des sols issus des roches basaltiques. Même sous culture intensive, cette stabilité, dans laquelle le fer joue un grand rôle, fait que les sols de Tahiti se comportent vis-à-vis de l'eau comme s'ils étaient sableux. Cela permet une infiltration rapide dans la tranche superficielle. Le ruissellement et par conséquent l'érosion s'en trouvent ralentis. - la capacité de rétention de l’eau La réserve d'eau utile retenue par le sol, facteur essentiel de la fertilité, est fonction de la quantité et de la qualité des matières entrant dans sa composition. Elle décroît ainsi très nettement des sols des plaines côtières (45 mm) aux sols de certains plateaux (6 à 12 mm), en passant par les sols ferrallitiques des interfluves (25 mm). Il apparaît donc que les sols de la plaine côtière sont les plus performants pour retenir l’eau des précipitations. - la matière organique Une caractéristique frappante des sols de Tahiti est leur richesse en matière organique. Les teneurs les plus faibles sont observées dans les sols peu évolués d'apport des zones basses, plaines ou vallées, où elles atteignent cependant 6 % en moyenne. Partout ailleurs, des pourcentages de 8 à 9 % sont courants et peuvent dépasser 15 voire 20 %, particulièrement sous les landes à fougères et en altitude. La matière organique est douée d'une remarquable stabilité car même les terres cultivées intensivement depuis plus de dix années, et sans apport compensatoire, en conservent des teneurs importantes. Cependant, pour que se maintiennent les rendements, il est nécessaire d'adjoindre un peu de matière organique fraîche aux engrais chimiques.

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- Le potentiel agrologique La capacité agrologique d'une terre, c'est-à-dire ses qualités vis-à-vis de l'agriculture, dépend de l'ensemble des contraintes internes et externes qui s'y rattachent. A Tahiti, la pente, avec son potentiel d'érosion, constitue le premier facteur intervenant dans la classification des terres quant à leur valeur sur le plan agricole. Il est évident, en effet, que des sols de fertilité intrinsèque identique n'ont pas la même aptitude culturale selon qu'ils se trouvent sur faible pente ou sur pente plus accusée. Les terres de Tahiti sont regroupées en sept classes, comprenant tous les sols depuis ceux de bonne capacité agrologique jusqu'à ceux qui sont inaptes à toute spéculation. - les terres de bonne capacité agrologique – classe I Situées en zones planes ou sur de très faibles pentes et facilement mécanisables, ce sont les terres de la plaine littorale, aux sédiments d'origine volcanique, et des basses vallées (sols peu évolués d'apport) qui ne sont pas soumises à l'emprise de l'eau. Ces terres sont les plus riches, les plus productives. Elles peuvent être utilisées pour toutes les cultures et les pâturages ; leur drainage ne présente pas de difficultés. Mais malgré leur richesse, leur culture intensive requiert des apports d'engrais minéraux et d'amendements organiques. - les terres d’assez bonne capacité agrologique – classe II Cette classe englobe des sols de bonne fertilité et autres caractéristiques physiques, situés sur des pentes inférieures à 20 %. Grâce à leur bonne perméabilité, l'érosion y est actuellement peu visible. Les terres les plus étendues de ce type et de cette classe sont localisées sur la presqu'île de Taravao. C'est le domaine des pâturages intensifs; les cultures maraîchères, vivrières irriguées, les plantations d'agrumes s'y développent. - les terres de moyenne capacité agrologique – classe III Ces terres de fertilité variable sont handicapées par trois types de contraintes: la pente qui peut atteindre 50 %, les difficultés d'accès, l'hydromorphie susceptible toutefois d'être réduite.

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Elles regroupent des sols colluviaux, des sols brunifiés et des sols ferrallitiques faiblement désaturés de la côte ouest de Tahiti. Les cultures intensives y sont possibles, associées à de bonnes techniques culturales, avec irrigation et des mesures préventives contre l'érosion. La mécanisation peut se pratiquer jusqu'à des pentes de 40 %. Les sols ferrallitiques fortement désaturés des plateaux des vallées situés au vent de Tahiti, de pentes très faibles mais chimiquement déficients et d'accès difficile, font également partie de cette classe ainsi que les sols hydromorphes des plaines ou des basses vallées, susceptibles d'être drainés. - les terres de capacité agrologique médiocre – classe IV Cette classe regroupe essentiellement des sols ferrallitiques fortement désaturés, doublement handicapés par leur très faible fertilité naturelle et des pentes assez fortes pouvant atteindre 50 %. - les terres de mauvaise capacité agrologique – classe V Cette classe, presque partout présente, comprend les sols ferrallitiques et les sols des pentes comprises entre 50 et 100 % qui ne peuvent convenir qu'au reboisement, et les sols ferrallitiques d'altitude situés sur des pentes inférieures à 50 %, mais très acides et possédant une certaine toxicité. - les terres de très mauvaise capacité agrologique – classe VI Sont regroupés dans cette classe tous les sols d'altitude des pentes excédant 50% et, partout ailleurs, les sols recouvrant les très fortes pentes jusqu'à la limite des possibilités de reboisement (120 %). - les terres de capacité agrologique nulle – classe VII On y trouve les sols des secteurs les plus escarpés de Tahiti, ainsi que les terres marécageuses. Etant donné les pentes raides et l’accès difficile aux îles volcaniques, plus élevées, il apparaît que les zones agricoles à fort potentiel tendent à se limiter aux plaines côtières et aux proches vallées, ayant un sol alluvial hydromorphe jusqu’à 50% de pente. Nous avons clairement mis en évidence le système étagé des sols de Tahiti et leur constitution face à la géomorphologie de l’île et l’érosion, déterminant diverses aptitudes agricoles propres face à la rudesse du climat en place, climat que nous allons étudier de manière plus approfondie dès à présent.

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LA CLIMATOLOGIE DE TAHITI Tahiti est placée sous l’influence prédominante des alizés et bénéficie d’un climat général de type tropical maritime, chaud et humide. Deux saisons s’y distinguent: - l'été austral, appelé plus communément la saison des pluies, s'étale en général de décembre à mars, et se caractérise par des précipitations abondantes et une saison chaude avec des alizés d'est à nord-est. - l'hiver austral ou saison sèche et fraîche de mai à septembre, alimentée par les alizés du sud-est et notamment par le "mara'amu". Cependant, malgré les grandes caractéristiques énoncées ci-dessus, le climat tahitien est loin d’être uniforme. En effet, la géomorphologie de Tahiti (le relief, l’altitude…), abordée précédemment, joue un rôle essentiel dans les nuances climatiques. Il en résulte l’existence de microclimats, ou climats différentiels, sur l’île et la perturbation du régime des vents, eux-mêmes déterminant climatiquement. Ainsi, la climatologie de Tahiti sera présentée à travers les différents paramètres météorologiques à savoir les vents, les précipitations, les températures, l’humidité pour n’en citer que quelques uns. Les vents Sous ces latitudes, des phénomènes dépressionnaires extrêmes, de type cyclones, peuvent être rencontrés. Ces fortes dépressions tropicales balayent les îles avec des vents pouvant aller jusqu’à 400km/h. Cependant, durant la plus grande partie de l’année, Tahiti est soumise aux alizés de nord-est durant la saison chaude et aux alizés de sud-est pendant la saison fraîche. Ces alizés transportent des masses d’air provenant des latitudes moyennes et qui parviennent à Tahiti après un long parcours maritime au cours duquel elles se sont réchauffées au contact de la surface de l’océan et humidifiées sur une épaisseur variable. La situation synoptique, c'est-à-dire la direction et la force des vents, se retrouve extrêmement modifiée par le relief et est difficilement appréciable à l’avance. Cela induit la mise en place de comportements différents des vents comme des phénomènes d’étranglement, d’accélération entre les reliefs, donc tout simplement des types de vents locaux. De plus, les vents déterminent clairement deux types d’exposition, à savoir les versants "au vent" et les versants "sous le vent", qui, selon le relief, introduisent des différences sensibles de climats, par exemple au niveau des précipitations.

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Les précipitations En fonction du relief, du soulèvement des masses d'air qu'il entraîne, de l’altitude et donc de l’exposition aux vents, les précipitations sur l’île de Tahiti sont beaucoup plus importantes sur les versants "au vent" que sur les versants "sous le vent" abrités. Cela s’explique facilement par le fait que les versants "au vent" ont tendance à accrocher plus facilement les poches dépressionnaires aux pluies abondantes. Tahiti Nui en est l’exemple parfait vu la dissymétrie pluviométrique entre ses versants ouest et est. Il est régulièrement possible de voir accrochés des nuages ou des nébulosités aux sommets du centre de l'île, où des hauteurs de précipitations annuelles supérieures à 10’000 mm peuvent être atteintes (haute vallée de la Papenoo, par exemple). Le reste des précipitations annuelles de l’île s’échelonne entre 1700mm, en l’absence de relief, jusqu’à plus de 8000mm. Les précipitations de saison chaude sont plus importantes dans la partie nord de l’île, à cause des alizés de nord-est. Les côtes sud et sud-est sont soumises en saison fraîche au flux de sud-est qui entraîne localement le soulèvement de masses d’air et des précipitations. Les températures et l’humidité ambiante Tempérées par l’océan, les fortes chaleurs sont rares et l’équilibre se maintient entre 24°C et 27°C tout au long de l’année. Plus précisément, pendant la saison chaude, les températures, maximales en février-mars, s’étendent de 24°C à 31°C entraînant une intense évaporation au dessus de l’océan. L’air est saturé d’humidité, la nébulosité élevée, et l’atmosphère lourde et moite. La saison sèche offre pour sa part des températures légèrement plus fraîches, entre 21°C et 28°C, par la présence d’un vaste anticyclone dans le Pacifique sud. L’amplitude thermique entre la nuit et le jour est de l’ordre de 5°C à 8°C, l’océan jouant le rôle de régulateur. L’amplitude altimétrique est, pour sa part, de 0,6°C pour 100m. Quant à la température de l’eau, elle est relativement constante sur l’année, entre 26°C et 29°C. L’humidité, de l’ordre de 80%, est un peu plus forte sur les versants "au vent" que sur les versants "sous le vent". Ce climat tropical, chaud et humide, influe énormément sur le milieu tahitien et ses différents écosystèmes de sols et de végétation. Il détermine de fortes contraintes à respecter mais aussi une certaine adaptation de l’homme à son environnement, ce qui sera explicitée ultérieurement à l’échelle architecturale.

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Les précipitations moyennes annuelles de Tahiti Les températures moyennes annuelles de Tahiti

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L’HYDROGRAPHIE DE TAHITI Les réseaux hydrographiques des îles de Polynésie sont d’autant plus développés que l’altitude moyenne de ces îles est plus élevée. Tahiti est ainsi pourvue d’un lac (Vaihiria), de zones marécageuses (en plaine côtière) et surtout d’un réseau rayonnant de rivières et de ruisseaux très dense, qui résulte d’actions érosives intenses à la surface des anciens cônes volcaniques qui la constituent. Le débit de ces rivières dépend en général de nombreux facteurs tels que le climat, la nature des terrains, la couverture végétale et les caractéristiques morphologiques des bassins versants. Cependant, le facteur de loin le plus important est le régime des précipitations étudié précédemment qui, du moins dans l'île de Tahiti, est étroitement lié à l'altitude ainsi qu’à l'exposition des bassins versants par rapport à la direction des vents dominants. Sans tenir compte des petits ruisseaux côtiers qui drainent moins d'un kilomètre carré, on dénombre 72 cours d'eau sur le pourtour de l'île, dont 46 pour Tahiti Nui et 26 pour Tahiti Iti. Selon la position et l'origine de leurs bassins versants, ces cours d'eau, dont le régime d'écoulement torrentiel est toujours très marqué, peuvent être classés en trois groupes principaux. Le premier groupe comprend ainsi les deux rivières qui drainent les parties centrales de l'île en prenant leur origine sur les rebords internes des caldeiras. Il s'agit de la Papenoo (40km²), la plus grande rivière de l'île, et de la Vaitepiha, principale rivière de Tahiti Iti. Leurs bassins, qui s'ouvrent vers le nord, sont caractérisés par un réseau d'affluents qui convergent radialement, configuration très favorable à une concentration rapide des eaux de ruissellement. Le deuxième groupe comprend les cours d'eau qui prennent naissance sur les rebords externes des caldeiras. Ces derniers ne comportent pas d’affluents importants et leurs étroites vallées divergent vers le littoral de manière rayonnante. Les bassins versants de ce groupe ont des superficies de l'ordre de 10 km² dans la presqu'île et de 10 à 40 km² pour Tahiti Nui. Parmi eux, on peut citer la Punaruu, la Tuauru, la Papeiha ou la Taharuu. Le troisième groupe comprend les planèzes qui jalonnent la périphérie de l'île depuis le niveau de la mer jusqu'à des altitudes dépassant rarement 1 000 mètres. Les bassins versants correspondants, d’une superficie inférieure à 10 km2, sont extrêmement allongés, presque filiformes, et parcourus de cours d'eau quasi rectilignes et dépourvus d'affluents. Les vallées de la Paraura (planèze de Hitiaa) à Tahiti Nui et de l'Aoma (planèze de Taravao) à Tahiti Iti en sont des exemples assez typiques, et il est certain que leur morphologie se prête moins que celle des autres vallées à une concentration brutale du ruissellement.

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Le réseau hydrographique de Tahiti est donc constitué d’un ensemble de lac, rivières et marécages constituants des zones humides de distribution et de rétention d’eau drainées naturellement, véritables régions de contrôle du milieu naturel, végétal et animal, à conserver, à respecter et à mettre en valeur. Le non respect de ces zones capitales, le fait par exemple de les assécher, pourrait conduire, à l’instar de Papeete, à des crues, des glissements de terrain ainsi que de graves problèmes agricoles ayant des répercutions dramatiques sur l’environnement, la société et l’économie. En effet, ce réseau hydrographique assure un parfait équilibre entre le sol et les eaux contribuant à la survie des écosystèmes en place, dont nous allons parler à présent.

Lac, rivière et marécage

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LES ECOSYSTEMES DE TAHITI Si Tahiti a tant séduit, si le mythe de l’île paradisiaque a tant été vanté par les écrivains, artistes et penseurs de tout temps et que le rêve persiste encore, c’est d’abord parce que la nature polynésienne, très diverse, est d’une grande beauté. Une beauté franche, évidente, qui s’applique à tous les paysages, lagons, vallées et montagnes, et à tous ses éléments, coraux, arbres, fleurs et fruits. Cependant, la beauté n’est pas le seul intérêt des écosystèmes de Tahiti qui permettent, de par leur diversité et leur importance, d’offrir d’incontestables possibilités de ressources et de protection de l’environnement et des sols. Parmi ces écosystèmes, seuls deux nous apparaissent véritablement fondamentaux du point de vue de cette étude, à savoir les écosystèmes végétal et lagonaire. L’écosystème végétal Il n’existe pas à proprement parler d’étude phytosociologique de Tahiti. Des formations végétales peuvent néanmoins être distinguées en fonction de l’altitude et du relief, de la pluviométrie, de l’exposition au vent, de l’ensoleillement et de la nature même du sol, tout ceci laissant apparaître un véritable étagement de la végétation dépendant de son milieu. La distribution de la végétation de Tahiti est la suivante : - la végétation littorale de la plaine côtière En raison d’une occupation humaine concentrée en bordure de mer, la majeure partie de cette végétation est fortement artificialisée et les groupements forestiers, par exemple hibiscus et pandanus, ont presque entièrement disparu, réduits à des îlots relictuels, ultimes témoins de la végétation originelle. A la zone côtière, il faut donc à présent rattacher diverses plantations comme le cocotier, des pâturages, des cultures vivrières et ornementales, ou bien encore des espèces utilisées pour la protection des sols ou comme brise vent, tel l’aïto ou arbre de fer, et quelques rares marécages. - les formations de basse et moyenne vallée Occupant principalement le lit des rivières et les parties inférieures et moyennes des vallées, ces formations se développent dans l’étage hygrotropical, avec des pluies de plus de 3000 mm/an. Parmi ces dernières, nous trouvons deux forêts indigènes : La forêt d’hibiscus, jusqu’à 200m d’altitude et ne dépassant généralement pas 12m de hauteur. La forêt Neonauclea fermée et structurée atteignant 15 à 20m de hauteur, jusqu’à 900 m d’altitude. Le bancoulier, espèce exotique, y est également très présent. Nous trouvons également des landes à fougères qui occupent les sols les plus pauvres. Enfin, les cultures maraîchères et les cocoteraies font également partie de ces formations de basse et moyenne vallées.

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- les formations de plateaux et de pentes de basse et moyenne altitude De répartition inégale suivant l’exposition aux alizés ces formations, les plus répandues de l’île, occupent les crêtes et les croupes des plateaux de basse et moyenne altitude, ainsi que les croupes sèches des flancs des grandes vallées. Elles atteignent 600 à 800 mètres sur la côte ouest de Tahiti, et 400 à 500 mètres sur la côte est. Le groupement typique est une forêt basse de 5 à 7 mètres de hauteur, principalement représentée par la "metrosideros". - la végétation humide de moyenne et haute montagne et des parties supérieures des grandes vallées Localisée à moyenne et haute altitude (à partir de 500m) , cette végétation est située dans les parties les plus humides, avec une pluviométrie dépassant 3000 mm/an, et une hygrométrie élevée entretenue par une ceinture nuageuse diurne. Le groupement typique est une forêt basse de 5 à 10 mètres de hauteur, principalement représentée par la "Weinmannia"et la "Ilex-Streblus". Encore éloignée des installations humaines, cette végétation conserve encore son aspect intact et endémique. - la végétation des crêtes d’altitude et des sommets Cette végétation située au-delà de 1500m d’altitude, correspond plus à un maquis qu’à une forêt du fait de l’action des vents, de la lumière et de la baisse des températures. Elle est rabougrie, claire et à haut degré d’endémisme. La végétation tahitienne est donc caractérisée par une biodiversité impressionnante, totalement subordonnée à la géomorphologie et au climat de l’île, créant par conséquent divers milieux. Elle permet de disposer de ressources diverses, tant au niveau matériel (matériau de construction…) qu’au niveau alimentaire, et détermine des zones d’intervention agricole possibles en rapport avec les qualités de sol. Cette végétation est à 45% endémique. Elle a dû apprendre à s’adapter à son milieu et au relief, et connaît par conséquent des prédispositions à retenir les sols en place vis-à-vis de l’érosion, aptitude pouvant s’avérer très importante dans le cadre d’une activité agricole qui fragilise grandement les sols. Il s’agira donc de favoriser une interaction avec cette dernière ou avec une végétation naturalisée plutôt qu’avec une végétation exotique, assurément moins apte à protéger les sols. Enfin, cette végétation est dite sempervirente, c'est-à-dire que son feuillage ne se renouvelle pas selon un rythme saisonnier et qu’elle apparaît toujours verte avec un besoin en eau constant. Cette caractéristique s’avère donc très intéressante par le fait que la végétation joue alors continuellement un rôle très important dans la retenue des sols sans véritable variation saisonnière.

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L’écosystème lagonaire La géomorphologie lagonaire de Tahiti est caractérisée par la présence constante d’un récif barrière isolant séparé du littoral par un lagon plus ou moins large et profond de 186 km², permettant la protection de la plaine côtière affleurante contre les puissantes lames du Pacifique. Les récifs barrière forment des plateformes construites légèrement émergées, sauf exception le long du littoral de Taravao et dans la partie sud de la presqu’île. Ces récifs sont constitués, au fil des milliers d’années, par l’entassement de coraux, cherchant à se maintenir à la surface des eaux pour capter la lumière nécessaire à leur survie. Les plateformes résultantes sont interrompues par 33 passes dans lesquelles des courants violents évacuent les eaux du lagon et des rivières, et permettent la navigation et les échanges avec l’océan. Ainsi, le lagon présente des aptitudes favorables au développement d’une riche biodiversité de la faune et flore aquatique, avec de multiples espèces de poissons et de coraux. Il peut dès lors être assimilé à un véritable potentiel de ressources économiques tant au niveau de la pêche et du tourisme, qu’au niveau de la perliculture qui ne pourrait pas exister sans ce dernier. Si riches, si variés, si éclatants de beauté qu’ils puissent être, les écosystèmes de Tahiti sont également très fragiles, qu’il s’agisse des arbres et des fruits sauvages de la jungle ou des poissons et des coraux du lagon. En effet, ces derniers reflètent l’état de dégradation et de pollution des sols et du lagon, résultant de phénomènes naturels et de l’action de l’homme sur son environnement.

Lagon et récif barrière de Tahiti

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B - L’HOMME ET SON TERRITOIRE, UN SYSTEME INTERACTIF

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Si l’on doit définir la culture polynésienne aujourd’hui, il faut se garder de l’appréhender comme le résultat d’activités intellectuelles plus ou moins réservées à une élite. La culture s'entend ici plus comme l'ensemble des comportements, des croyances, des savoirs et des savoir-faire qui caractérisent un peuple sur son territoire. Ainsi décrite, elle est un patrimoine commun à l’ensemble de la population qui peuple son territoire. Si cette culture, telle qu'elle est vécue aujourd'hui en Polynésie, trouve ses sources dans le passé, elle s'enrichit aussi de la diversité de sa population. Elle se nourrit des cultures soeurs, chinoise et française qui traduisent ses nombreux échanges migratoires à travers son histoire. LA POPULATION TAHITIENNE Aujourd’hui, le véritable Maohi n’existe plus. La Polynésie française est métissée et multiculturelle, et l’on peut facilement identifier trois groupes ethniques majeurs : les Polynésiens, les Chinois et les Européens. Les Polynésiens sont les natifs du pays, ancêtres des premiers colons arrivés il y a plusieurs siècles, et représentent 68% de la population totale. Les "Demis", les métis, vus comme une catégorie privilégiée culturellement, sont quant à eux estimés à 15%, mais ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose, vu que tout le monde est plus ou moins métissé. On considère ainsi que 83% de la population est polynésienne ou assimilée. Les Chinois, estimés à 5%, forment une population très dynamique. Les Européens, quant à eux, en grande majorité français, représentent 12% de la population. Concentrés principalement à Tahiti, ils sont arrivés en masse dans les années 1960, en tant que cadres et employés, afin de travailler sur le CEP ou dans l’administration. Ainsi, au 1er janvier 2005, la population polynésienne était estimée à 252’900 habitants dont 60 % sur l’île de Tahiti, soit environ 150’000 personnes. L’indice de fécondité est aujourd’hui de 2,5 enfants par femme. Le taux d’accroissement naturel annuel, longtemps à 30 pour mille, est en légère baisse mais reste néanmoins soutenu à 13,1. Aujourd'hui le facteur qui influence le plus la croissance naturelle de la population est la baisse de la fécondité. Le taux global de fécondité a été divisé par trois entre le début des années 90 et aujourd'hui. Cependant, plus de 43 % de la population a aujourd’hui moins de 20 ans. Le taux de natalité est encore de 17,6 pour mille et le taux de mortalité de 4,5 pour mille. L’espérance de vie pour les femmes est de 77 ans contre 72 ans chez les hommes. La taille moyenne des ménages tend à diminuer : elle passe de plus de 5 personnes en 1983 à 4,3 personnes en 1996 et 4 personnes en 2004.

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LA REPARTITION DE L’HOMME SUR SON TERRITOIRE La densité moyenne polynésienne est de 72,3 hab./km2. Cette densité moyenne masque une inégalité très marquée dans la répartition de la population par archipel d’une part, et d’autre part dans l’île même. Seulement 67 îles sur 118 sont habitées, mais Tahiti et Moorea, soit 2 îles seulement, regroupent près des trois quarts de la population. La zone urbaine de Papeete, qui s’étend sur environ 40 km2, soit 1% du Territoire, regroupe enfin plus de 60% de la population polynésienne. Cette répartition déséquilibrée s’explique par l’importance économique et culturelle qu’a toujours tenue Tahiti sur le Territoire polynésien. Centre névralgique des échanges économiques et culturels avec le monde, Tahiti a joué, depuis l’époque coloniale, un rôle de vitrine occidentale, gage de modernité et de développement économique. Le flux migratoire le plus significatif pour l’île est apparu durant les années 60, lors de l’installation du CEP. Les populations des îles et archipels voisins se sont rendues ainsi massivement sur Tahiti pour participer à ce qui allait être l’un des facteurs d’enrichissement majeurs pour les trente années à venir. Dès lors, les insulaires polynésiens n’allaient cesser de migrer pour faire de Tahiti l’île la plus habitée et la plus dense du Territoire. Aujourd’hui, Tahiti continue d’être la destination privilégiée des flux migratoires insulaires, mais ces derniers sont en baisse constante depuis l’arrêt des essais nucléaires français. Les populations migrantes se sont alors installées dans la proximité de Papeete, à Faaa, Pirae, Arue et Mahina, qui constitue aujourd’hui l’agglomération continue de Papeete forte de plus de 100’000 habitants. Bien que l’île soit à l’ère post CEP, ces populations restent sur place et si le flux immigrant se réduit, le retour de cette population dans leurs îles d’origines n’a pas lieu. L’accroissement de la population aidant, comme nous l’avons vu, la population tahitienne commence à devenir significative et le déséquilibre de sa répartition pose problème. La macrocéphalie de Papeete et sa sur-densité manifeste, près de 1300 habitants/km² dans certains quartiers, poussent une population, en progression constante, à se redéployer sur l’île. Ce flux qui s’inverse engendre ainsi une progression de la population particulièrement marquée hors zone urbaine, partant de Punaauia à l’ouest et allant jusqu'à Hitiaa à l’est. On note d’ailleurs une progression plus faible dans les communes de la zone urbaine, à Papeete, Arue et Pirae.

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L’organisation de l’espace tahitien présente de grandes singularités. Comme toute la Polynésie française, les montagnes sont vides d’hommes, les étendues littorales très faiblement peuplées et la concentration de la population est très marquée. Cependant, ces caractères s’affirment ici à une toute autre échelle. Sur 220 km de littoral, 180 offrent des densités inférieures à 1000 hab./km2 et forment une figure urbanisée ceinturante et continue, tandis qu’au nord-ouest de l’île l’habitat est très dense et les hommes nombreux. Les constructions débordent du cadre de la plaine et occupent les premières pentes de la montagne jusqu’à des altitudes assez élevées. Dans toutes les communes de la zone urbaine, de Mahina à Punaauia et, dans une moindre mesure, dans la commune de Paea, les densités apparaissent fortes sur la carte. Il faut noter qu’il ne s’agit que de densités relatives ne se rapportant pas à la totalité de l’espace communal, mais seulement au littoral et aux premières pentes de la montagne, jusqu’à une ligne fictive moyenne correspondant à une altitude de 40 mètres au dessus du niveau de la mer.

Dynamique urbaine et urbanisation de Tahiti

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L’HABITAT TAHITIEN L'image que se font aujourd'hui les citadins tahitiens de leur habitat et de leur site ne correspond pas à celle d’une perception européenne de l’espace. Autrefois, avant l'arrivée des Européens, ces perceptions étaient d’ailleurs très différentes : "Les pointes de terre étaient le privilège de la royauté et de la noblesse... les baies profondes appartenaient à la classe des gentilshommes... les rivages et l'intérieur du pays étaient les territoires des gens du commun, en bordure des territoires des puissants" (HENRY, 1962 - Tahiti aux temps anciens). Y a-t-il de nos jours une acculturation générale et une acceptation complète du modèle occidental de perception et de fonctionnement de l'espace urbain ? Ce dernier liant la valeur des sites au prix du foncier et provoquant une hiérarchisation des quartiers et une ségrégation socio-économique? En dépit de cette incertitude, il est certain que la survivance d'héritages culturels polynésiens est liée à la masse relative de la population d'origine polynésienne (75% de la population urbaine). À l'échelle du quartier, cette influence se marque par l'importance du patrimoine foncier hérité, qui favorise le regroupement des familles. Le mode de vie polynésien traditionnel, les valeurs attribuées à l'habitat et aux sites perdurent donc probablement, mais en partie altérés. L’agglomération urbaine de Papeete La ville de Papeete, sur la côte nord-ouest de Tahiti, est née en 1843, du choix du gouverneur français Bruat. La zone fut choisie pour son site portuaire favorable, caractérisée par une passe dans le récif corallien et un mouillage profond et abrité. Cette partie de la côte est en effet "sous le vent" de l’île, à l’abri des vents d’est dominants. Depuis sa naissance sous l’ère coloniale, Papeete s’est développée et n’a cessé de grandir, en assumant le rôle central de capitale de la Polynésie française. - le centre urbain Le centre urbain de Papeete apparaît comme un espace restreint et original caractérisé par un tissu dense et assez homogène, composé majoritairement d'immeubles collectifs de trois étages. II représente 5% de la surface totale de l'agglomération. La distinction entre trois principaux types de quartiers s'impose en fonction des activités dominantes. Le quartier du front de mer, dit moderne, regroupe principalement du collectif résidentiel de luxe. On y trouve toutes les grandes enseignes des banques et des compagnies aériennes, ainsi que des commerces à vocation touristique. Ces immeubles, souvent en béton, de 4 à 5 étages et de style néo-polynésien sont habités par les couches aisées de la population (les Métropolitains, Chinois et " Demis "). Le centre administratif rassemble les institutions du Territoire. Ce quartier se compose uniquement d’immeubles administratifs.

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Enfin, le quartier commercial, comme son nom l’indique, est le plus animé et tient une place centrale à Papeete. C’est en effet le point de passage obligé de tous les "trucks", véhicules de transport en commun, et le lieu du grand marché couvert de Papeete. Dans la proche périphérie du centre urbain, la ville de Papeete s’est étendue en définissant différents types de quartiers liés aux conditions socio-économiques des habitants.

Centre ville de Papeete

Centre urbain de Papeete

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- Les taudis Des emprises résidentielles variées correspondent à des différences socioéconomiques marquées, qui se calquent sur la répartition spatiale des ethnies. Quatre types de tissus s'individualisent. Dans les sites les plus répulsifs, se localisent les quartiers surpeuplés et insalubres. Ces sites sont souvent mal drainés, comme les berges hydromorphes des cours d'eau, le long de la Papeava ou sur le cône de déjection de la rivière Fautaua, les fonds de vallons encaissés et isolés, et les espaces les plus dépréciés (les abords de la piste aérienne internationale ou a proximité des décharges). La comparaison des types de tissu avec la répartition des ethnies montre qu'à ces taudis correspond un peuplement quasi homogène de Polynésiens défavorisés, le plus souvent émigrés des îles. Dans ces îlots de "misère", de promiscuité et de désoeuvrement, s'accumule une population déracinée et souvent sans emploi. Mais ce sont aussi des lieux de jeunesse et de liens familiaux étroits. Ces quartiers sont caractérisés par la densité, la précarité du bâti et la concentration du peuplement. La densité y est supérieure à 40 habitations à l'hectare. Les maisons de plain-pied sont jointives par endroits. Il y a de nombreux agrandissements du corps principal par édification de cabanes en planches. Ces zones d'habitat dégradé et insalubre restent toutefois ponctuelles. Les Polynésiens les appellent du nom de leurs îles d'origine : Quartier Huahine, Quartier Rurutu, Quartier Tubuai. Dans chacun de ces quartiers, un bâtiment domine le paysage. II s'agit de l'un des nombreux temples ou édifices religieux de Papeete. Ces quartiers, peu visités et méconnus, sont souvent masqués par un écran périphérique de maisons modestes mais "respectables", le long des voies de circulation qui se sont superposées à l'ancien parcellaire. Il y a donc eu retrait des taudis à l'intérieur des îlots. Les accès à la rue sont souvent malaisés, rendant impossible la circulation des voitures et difficile l'évacuation des ordures. - Les quartiers modestes Taudis de la vallée de Fantana

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- Les quartiers modestes Les quartiers d'habitat individuel modeste sont très étendus dans l'auréole dégradée autour du centre (Faaa et Papeete, entre la Papeava et la Fautaua). L'existence de plans types élaborés par l'administration est à l'origine de la monotonie du paysage architectural des périphéries de Papeete. Les maisons aux abords peu entretenus mais souvent clôturés sont construites en planches ou en contreplaqué et plus rarement en dur. Les fare pinex (maisons aux murs en fibres compressées) et les fare "ATR", nommés ainsi car financés par l'Agence Territoriale pour la Reconstruction après les dévastations des cyclones de 1983, sont très fréquents. Les maisons "ATR" ne comportent aucun dispositif d'assainissement, ni de sanitaires. Leur aménagement intérieur est laissé à l'initiative du propriétaire qui ne subit aucun contrôle par la suite. Le peuplement de ces quartiers se compose de plus de 80% de Polynésiens et de " Demis ". Les termes de Polynésiens et de "Demis" sont toutefois ambigus pour une population urbaine en réalité très métissée. Ils sont moins liés à la réalité génétique qu'à l'appartenance exprimée et supposée à une culture. La catégorie "Demis" est la plus difficilement identifiable. Elle se définit par trois critères dont le mélange des origines est le plus important, la culture vient ensuite. Le " Demi " présente en effet des caractéristiques culturelles empruntées tant au monde occidental qu'au monde ma'ohi. La langue maternelle est souvent le français, mais il possède tant bien que mal la langue tahitienne. Enfin, les " Demis" se caractérisent, en majorité, par une condition socio-économique plus privilégiée que celle des Polynésiens. En fonction des catégories socioprofessionnelles mais aussi de l'âge et des différentes situations, le "Demi" aura tendance à s'affirmer plutôt Polynésien ou plutôt " Demi". La commune de Faaa apparaît massivement polynésienne, ainsi que les zones les plus défavorisées de l'agglomération. Ces dernières contrastent avec les quartiers européens et chinois qui sont les plus confortables.

Logement économique de type trois pièces

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- Les lotissements aisés Deux types de localisation de l'ethnie d'origine chinoise se distinguent nettement : la localisation originelle en centre-ville, liée aux petits commerces, et les lotissements aisés des pentes volcaniques à partir des années 70. Ceci est la conséquence du règlement définitif, en 1974, du problème de la naturalisation française des Chinois qui, faisant d'eux des citoyens français à part entière, leur permit d'acquérir des terres. L'enrichissement et la diffusion des modes de vie occidentaux ont, d'autre part, favorisé cette évolution. Le peuplement européen se concentre aussi sur les hauteurs (lotissements du Lotus, de Taina, de Pamatai, du Pic Rouge, de Super Mahina, de Mahinarama, etc.) et le long du littoral, dans les sites les plus agréables et les quartiers les plus riants et verdoyants de Punaauia ou le long du front de mer au centre-ville. Ces quartiers à l'habitat confortable et luxueux, se différencient nettement des précédents par la qualité et l'entretien du bâti (maison en dur, densité beaucoup plus faible). En effet, il y a un regroupement des catégories socioprofessionnelles aisées, principalement des cadres, dans les plus beaux quartiers aux densités faibles. L'installation en bord de mer ou en montagne procède donc d'une sélection par l'argent.

Lotissement aisé sur les hauteurs d’un plateau, Super Mahina (photo IRD)

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Les plaines côtières ceinturant l’île Le reste de l’île est urbanisé à la manière de nos villages ruraux européens et habité par une majorité de polynésiens. On y rencontre principalement des constructions de petite taille et de plain-pied, organisées autour d’un centre composé d’une église, d’équipements publics et de commerces. Des exploitations agricoles accompagnent chaque commune. Comme dans les quartiers modestes de l’agglomération de Papeete, on trouve une majorité de fare pinex et ATR. Les constructions s’égrainent le long de la route principale qui fait le tour de l’île. L’accès aux propriétés se fait par de petits chemins, rarement goudronnés et perpendiculaires à la route de ceinture. Ce sont les servitudes. Il est à noter que l’urbanisation de cette frange littorale a été induite par l’ère colonial. La population ayant massivement et quasi totalement quittée les vallées et les plateaux intérieurs, afin de participer à l’économie coloniale. Cela explique le caractère semblable à l’Europe dans l’organisation des villages qui ponctuent la route ceinture.

Habitations le long de la route ceinture, Papara (photos IRD)

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LES RESEAUX DE DEPLACEMENTS DE L’ILE Tahiti, une île raccordée aux réseaux aériens et maritimes internationaux. L’aéroport international de Faaa, commune jouxtant Papeete, tient un rôle d’interface important entre la Polynésie française et le reste du monde. L’ouverture de l’aéroport en 1961 permit en effet, l’intégration du Territoire au réseau aérien mondial rapide, en dépassant l’exclusivité des liaisons maritimes, source d’isolement. En 30 ans, les améliorations successives de la desserte aérienne ont conditionné le développement de l’activité touristique qui est devenu, avec le CEP, le moteur de la croissance de Tahiti et de ses îles. Tahiti assure des liaisons internationales directes avec les Etats-Unis, vers Los Angeles, San Francisco et Dallas. Les liaisons depuis l’Europe et notamment depuis Paris et Londres, se font via les escales américaines citées. Tahiti se raccorde aussi par l’Ouest avec des vols directs sur Sydney, Auckland, Nouméa et Honolulu. Ces points de raccordement permettent alors de gagner l’Asie pour Tokyo, HongKong et Singapour. Tahiti se trouve ainsi à : 6200 km de Los Angeles, 5700 km de Sydney, 8800 km de Tokyo, et à 17100km de Paris. Au cœur du Pacifique Sud, la situation de Tahiti, entre l’Asie et les Etats-Unis, explique le caractère de ses échanges économiques et touristiques avec le monde. Ainsi, les flux les plus importants se concentrent sur un axe nord-est – sud-ouest, joignant l’Europe, l’Amérique du Nord et le continent Australien. Axe qui concentre aujourd’hui plus de 80 % du trafic général. Le trafic international a été évalué en 2004 à 622'774 passagers et 9'896 tonnes de marchandises. L’aéroport de Tahiti - Faaa assure aussi des liaisons inter îles régulières et très utilisées, vers le reste des îles de la Société et les autres archipels polynésiens. Cela permet le désenclavement des archipels voisins trop éloignés et qui souhaitent rester connectés à Tahiti, véritable centre névralgique économique et institutionnel. Enfin, le plus gros du flux touristique transite par Tahiti sans y rester, et rejoint les îles environnantes encore synonymes de paradis. Le trafic intérieur s’élevait en 2004 à 786'415 personnes et 3'416 tonnes de marchandises transportées. Les liaisons maritimes internationales sont centralisées sur Papeete. Son port, à double vocation, assure la majeure partie des échanges de produits entre le Territoire et les autres continents. Ses liaisons sont sensiblement identiques à celles des flux aériens. Les marchandises débarquées représentaient 1'037'645 tonnes en 2004 pour seulement 30'601 tonnes embarquées. Papeete est aussi le point de départ et d’arrivée d’un tourisme de croisière qui se développe de plus en plus dans le Sud Pacifique et qui relie tous les archipels entre eux.

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Les réseaux terrestres de l’île, déplacements et potentiels d’une trame viaire assujettie à sa morphologie. En raison de l’exiguïté de l’île et du relief tourmenté, le réseau de routes goudronnées s’étend seulement sur 230 km. La principale route (113 km), appelée route de ceinture, fait le tour de Tahiti Nui. Il n’existe pas de voie de contournement du centre-ville de Papeete, qui est aujourd’hui traversé par trois axes. Autour de Tahiti Iti, deux prolongements côtiers symétriques, de 17 km de long chacun, mènent jusqu’à Teahupoo au sud et Tautira au nord. Les bornes kilométriques (PK ou Point Kilométrique) servent de repère à partir du centre de Papeete (sa cathédrale) dans les deux directions, est et ouest. Taravao, le point le plus éloigné sur la route de ceinture, est situé au PK 53 Est et au PK 60 Ouest. La singularité de la circulation insulaire s’explique par le taux de motorisation des tahitiens et la morphologie de l’île : - densité des équipements des ménages - Plus de 95 % des véhicules du Territoire polynésien circulent à Tahiti, dont le niveau d’équipement s’apparente à celui de la métropole. Le taux de motorisation élevé provoque une surcharge des infrastructures aux heures de pointe. Tahiti compte 205 véhicules au km contre 30 en moyenne dans les pays développés. A la différence de l’île, la longueur du réseau routier de ces derniers permet de faire face à l’équipement croissant des populations.

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- des contraintes spatiales - Le site étroit de la plaine côtière a contraint la ville et ses réseaux à s’étendre de manière linéaire le long de la côte. Depuis cette artère ceinturante, des connexions distribuent les vallées (activités industrielles et habitats) et les planèzes (lotissements) gagnées par l’urbanisation. Ces contraintes spatiales ont ainsi favorisé le regroupement des activités tertiaires dans le centre-ville de Papeete et ont accentué l’opposition avec une périphérie à vocation presque essentiellement résidentielle. Le réseau des transports en commun couvre aujourd’hui la totalité du territoire habité. Les "trucks", sorte de camionnettes pourvues de bancs en bois installés sur une plate-forme et recouverts d’un toit, restent le moyen de transport collectif typique de Tahiti. Le remplacement progressif des trucks par le bus, accompagne la volonté des pouvoirs publics à moderniser les transports en commun. Ces derniers semblent aujourd’hui insuffisants pour couvrir le taux de déplacement de la population, les dessertes étant efficaces en centre urbain, mais trop faibles dans le reste de l’île, sujet en effet à une croissance importante des flux pendulaires.

Trafic journalier et temps de parcours

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On constate ainsi un fort déséquilibre dans la répartition des déplacements pendulaires des ménages et des transports en commun entre l’agglomération de Papeete et le reste de l’île. Le monopole de Papeete dans l’activité quotidienne des Tahitiens, explique principalement ce profil déséquilibré. Aux vues de sa densité humaine, de sa concentration en activités et de ses réseaux routiers médiocres, la congestion de l’agglomération de Papeete ne peut qu’être constatée et s’amplifie de jour en jour. Des travaux d’aménagement routier seraient nécessaires pour décongestionner l’agglomération et fluidifier ses réseaux. Cependant, même s’il semble que l’amélioration des équipements routiers et des transports publics soit nécessaire, cet engorgement révèle le problème de centralité insulaire de Papeete. Etant donné que l’étalement et le coefficient d’occupation des sols, liés aux contraintes morphologiques et climatiques de l’île de Tahiti, ne peuvent être appréhendés comme pour la plupart des villes continentales, la question d’un redéploiement de la population et de ses activités semble une nécessité. Il s’agirait de trouver une forme urbaine en adéquation avec l’environnement insulaire tahitien. Mais cette forme urbaine, doit être liée aux activités de l’homme sur son territoire et à ses déplacements. La macrocéphalie de Papeete semble aujourd’hui saturée. La question que pose l’organisation des réseaux est alors celle de leur potentiel actuel à accompagner un rééquilibrage de la répartition et des déplacements de l’homme.

Les Trucks : offres globales en sièges et lignes exploitées

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LES CULTES, UNE COMPOSANTE FONDAMENTALE DE LA SOCIETE TAHITIENNE Tahiti, comme toutes les îles de la Polynésie française, se caractérise par une culture fortement imprégnée par ses pratiques cultuelles. Que ce soient les rites et les croyances envers les divinités ancestrales à l’ère précoloniale, ou à travers le protestantisme et le catholicisme sous le joug des missionnaires, le fait religieux a toujours été omniprésent dans l’histoire de Tahiti. Aujourd’hui, les Eglises continuent de jouer un rôle très actif dans la société civile et restent l’une des composantes majeures de la société. Ainsi, par les multiples associations qu’elles animent et contrôlent, et par leur importance dans les débats de société, les Eglises sont encore fortement enracinées dans la réalité populaire tahitienne. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, le paysage religieux fait apparaître des courants de croyances et de dogmes minoritaires qui viennent concurrencer les Eglises protestante et catholique. Ces dernières sont encore majoritaires sur le territoire, mais les Sanitos, Pentecôtistes et Adventistes viennent enrichir cette société multi cultuelle ainsi que sa répartition sur le territoire.

Répartition des lieux de culte

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LA SCOLARISATON, ENJEU DU DEVELOPPEMENT HUMAIN La Polynésie française comptait en 1988 plus de 70 000 jeunes ayant moins de quinze ans, soit près de 40 % de la population totale. Former cette jeunesse nombreuse constituait un défi pour le Territoire, de plus en plus impliqué dans l’éducation depuis que le statut d’autonomie administrative et financière de 1977 a placé l’enseignement public du premier degré dans sa compétence. Et depuis que le statut d’autonomie interne de 1984 a étendu celle-ci au premier cycle de l’enseignement du second degré. Le taux de scolarisation des Polynésiens est aujourd’hui assez important suite à un gros effort financier, il touche près de 70,3 % des enfants de 1 à 20 ans. Mais ce système éducatif puissant a un rendement faible. L’échec et le retard scolaire ne peuvent qu’être constatés. Plus de 30 % des élèves qui arrivent dans le secondaire ont au moins deux années de retard. C’est Tahiti, et notamment l’agglomération de Papeete, qui tient la place centrale du système éducatif territorial. L’enseignement public y est dominant et va jusqu’au niveau supérieur. L’Université Française du Pacifique offre par exemple des troisièmes cycles dans le domaine des Sciences de la Nature et de la Vie, des Sciences des Structures et de la Matière, ou encore du Droit. Papeete et la commune de Pirae concentrent aujourd’hui plus du tiers de la population scolaire totale et la totalité des élèves de l’enseignement supérieur. Le taux de scolarisation y atteint 75 %. C’est ici que le retard scolaire est le moins important et que les enseignants sont les plus qualifiés. Le reste de Tahiti constitue un ensemble homogène avec des taux de scolarisation supérieurs à la moyenne polynésienne et un retard scolaire limité. En revanche, le nombre de formations dispensées y est réduit et bien moins riche qu’à Papeete. La carte suivante montre ainsi l’homogénéité de la répartition territoriale tahitienne pour les classes préélémentaires et élémentaires. Elle fait apparaître des polarités pour l’enseignement secondaire sur l’isthme de Taravao, à Papara, Paea et bien sûr Papeete. Cet enseignement général s’accompagne de quelques pôles de formations techniques ciblées sur l’agriculture ou par exemple sur la connaissance des milieux océaniques et coralliens.

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LES LOISIRS, LE SPORT COMME FAIT CULTUREL L’île de Tahiti possède une extraordinaire richesse de sites pour la pratique des loisirs et du sport. Territoire océanique et montagneux, les activités s’orientent sur le lagon le long du littoral et à l’intérieur de l’île, dans les vallées et les massifs escarpés (mont Orohena qui culmine à plus de 2000 m). A ces pratiques directement liées au site, viennent s’ajouter de nombreuses infrastructures sportives comme les terrains de football, les salles omnisports et divers plateaux sportifs. Papeete et Pirae concentrent près de 40 % de la surface totale en aires de petits et de grands jeux disponibles à Tahiti, ce qui représente 20 % de celle de la Polynésie française. Dans les autres communes de l’île, la qualité des équipements décroît. Si pour Papeete et Pirae la surface des salles omnisports rapportée au nombre d’habitants est de 0,38 m² / hab, elle tombe à 0,05 m² pour les communes périphériques, dont la population utilise les installations de Papeete et Pirae, et 0,14 m² pour les autres communes de Tahiti. Ce déséquilibre manifeste est bien sûr à mettre en rapport avec la répartition de la population tahitienne actuelle, hyper densifiée sur Papeete. Cependant, on voit aujourd’hui des projets d’équipements apparaître le long des plaines côtières, comme à Punaauia par exemple, ou à Papara, avec la construction récente d’un golf. Ceci corrobore l’installation d’un flux migratoire inverse et interne à l’île, qui voit un redéploiement de la population vers le sud du territoire s’éloignant de Papeete. Il faut noter que ces équipements s’adressent autant à la population locale qu’à la pratique touristique. Tahiti tente ainsi d’offrir une qualité d’équipements et de loisirs qui permettent d’assurer la pratique sportive des tahitiens, au rôle social fondamental, et de donner une autre image que celle du sable blanc et des cocotiers aux activités que propose l’île. Ceci mise justement sur la diversité d’une offre riche et de qualité à travers ses infrastructures et l’utilisation de son milieu.

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Répartition des aires sportives de Tahiti

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L’ECONOMIE INSULAIRE L’économie polynésienne est aujourd’hui encore trop tributaire de ses échanges avec l’extérieur. En 2004, la Polynésie française importait pour 1,2 milliards d’Euros et exportait pour seulement 160 millions d’Euros. La balance commerciale du Territoire est en constante diminution depuis 10 ans. Mais elle reste cependant grandement déficitaire et pèse sur son économie. Elle était évaluée en 2004 à moins un milliard d’Euros. La première source de revenus de la Polynésie est sans conteste le tourisme. Avec 211’893 touristes en 2004, elle représente près de 20 % du PIB. Le tourisme a pu être envisagé dans ces régions dès le début des années 60, grâce à l’ouverture de l’aéroport international de Faa-Papeete. Il allait devenir le pilier d’une économie encore essentiellement traditionnelle à cette époque. A partir de 1963, l'économie de la Polynésie française a également reposé largement sur les retombées économiques et financières importantes du Centre d'Expérimentation du Pacifique (CEP). L’économie traditionnelle, essentiellement agricole, qui précédait l’installation du CEP, fut alors totalement transfigurée. Le PIB tripla en 10 ans, entraînant de profondes modifications de la société polynésienne et le recul des activités traditionnelles. Le secteur primaire qui occupait 59,4% de la population active en 1956, n’en occupait plus que 11,8% en 1988. Le CEP fit apparaître ce que l’on peut appeler une bulle économique fictive. Les investissements importants de l’Etat français, pour la mise en place des essais nucléaires, et l’arrivée en masse des fonctionnaires français élevèrent brusquement le niveau de vie insulaire. Les retombées économiques furent immédiates pour les populations locales, et Tahiti subit de gros flux migratoires en provenance des archipels voisins. Mais la perspective de l'arrêt des essais nucléaires en 1996 a conduit l’Etat français à mettre en place avec le Territoire, un Pacte de Progrès visant à faire davantage reposer le développement de l’économie polynésienne sur ses potentialités économiques propres. Aujourd’hui, le PIB par habitant est l’un des plus importants de la zone. Le PIB du Territoire est d’environ 4 milliards d’Euros soit 16’000 Euros par habitant en 2002. La pêche, l'exploitation du coprah et la perliculture sont les trois activités traditionnelles majeures du secteur productif. La culture de la perle noire est devenue la première exportation en valeur du Territoire. Le tissu économique est complété, au delà du commerce, par le développement de l'industrie, du bâtiment et des travaux publics, et de l'artisanat. L’industrie polynésienne est concentrée au trois quart sur l'île de Tahiti. Cependant, l’activité économique reste essentiellement tertiaire. Notamment avec les activités non marchandes qui rapportent près de 30% du PIB. Les activités productives n’en représentent aujourd’hui,

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plus que 10%. L’agriculture ne produisait plus que 4,4 % du PIB en 1994, et pour le commerce la part était de 18,6 %. Les pouvoirs publics s’accordent à dire qu’il serait maintenant nécessaire de redévelopper ces secteurs productifs. D’une part pour diminuer les importations qui traduisent les problèmes d’autosuffisance alimentaire que subit Tahiti, et d’autre part pour diversifier une activité économique encore trop dépendante des retombées du CEP. La pauvreté des laissés pour compte du démantèlement et de l’arrêt des essais nucléaires grandissant de jour en jour. On estime d’ailleurs aujourd’hui à 50000, le nombre de tahitiens dont le niveau de vie se situe en dessous du seuil de pauvreté.

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Les enjeux de l’agriculture tahitienne L’agriculture a longtemps constitué une activité de base de l’économie polynésienne. Economie de subsistance d’abord, elle est passée à une économie spéculative de type colonial dès la fin du XIXe siècle. Mais les bouleversements socio-économiques survenus dans les années 60 se sont traduits par une désaffection massive de cette activité, moins rémunératrice. Dans le même temps, la demande alimentaire se développait et se diversifiait sous l’impulsion d’une population européenne expatriée, qui ne pouvait plus être satisfaite que par un recours croissant aux exportations. L’activité agricole, alors marginalisée depuis plus de trente ans, n’en reste pas moins une composante essentielle de la vie économique et sociale tahitienne. L’agriculture tahitienne se caractérise par la prédominance de petites exploitations à caractère artisanal et familial, d’une superficie moyenne de 3 hectares. Une partie importante de la production demeure autoconsommée et de nombreux producteurs privilégient encore la polyculture. Le recensement agricole de 1995 a permis d'estimer la superficie totale des exploitations agricoles de Tahiti à 4550 hectares, dont seulement un quart est constitué de terres réellement cultivées. Les trois-quarts restants représentent des pâturages naturels, des jachères et des jardins familiaux. Deux principaux types d'exploitations existent, en dehors du jardin familial : Les exploitations habituellement qualifiées de "traditionnelles" en raison d’un système de production proche des anciennes pratiques culturales, représentent environ 85 % de l'effectif pour 55 % de la valeur de la production commercialisée. Elles se caractérisent par leur faible taille, un capital minimal et une main-d’oeuvre surtout familiale. L'absence de matériel les lie, pour les travaux importants, aux interventions publiques. On y trouve des cultures vivrières et une ou deux cultures de rente. Caféiers ou cocotiers ont été remplacés à ce titre par des spéculations adaptées aux conditions et aux besoins locaux, comme les légumes et les fruits. Pour leurs parts, les exploitations "capitalistes", ou en voie de capitalisation, se caractérisent par un capital important en matériel, cheptel ou plantation, le recours à une main-d'oeuvre salariée et des techniques modernes d'exploitation et de gestion. On rencontre ce type d'exploitation principalement, si ce n'est exclusivement, sur la presqu'île de Taiarapu, où certaines atteignent quelques dizaines d'hectares. Ces exploitations résultent de mutations internes effectuées au cours des vingt dernières années. Elles se sont spécialisées dans la production de produits frais destinés au marché de Papeete où elles bénéficient d'un accès privilégié aux grands circuits de distribution, grâce à des liens financiers ou en raison de la régularité de leurs livraisons.

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Les produits de l’agriculture Les cultures traditionnelles d’exportation majeures sont le coprah, la vanille et le café. La principale production agricole reste le coprah, albumen de la noix de coco séché, que l'huilerie de Tahiti transforme en huile brute pour l'exportation ou en huile raffinée pour la fabrication du monoï. Les légumes et les fruits sont d’origine vivrière et maraîchère. Les produits maraîchers sont constitués par des légumes européens introduits par les missionnaires et, dans une moindre mesure, des légumes asiatiques introduits par la main-d'œuvre chinoise. Les produits maraîchers n'ont vraiment fait l'objet de mesures de développement qu'après l'installation du CEP, ce qui explique leur concentration sur Tahiti. D’abord cultivées par une centaine de maraîchers chinois sur les planèzes dominant Papeete, les productions maraîchères se sont déplacées, à partir de 1973-1974, vers la plaine du sud-ouest de I'île, sous l'effet de la pression urbaine et de la dégradation des sols. Depuis 1980, sans abandonner la côte sud, elles se développent sur les plateaux de la presqu’île de Taiarapu. Les tomates, salades, concombres et choux représentent les deux tiers de la production. Les pommes de terre constituent un cas particulier (presque exclusivement cultivées dans les Australes), en même temps que la meilleure réussite d'implantation de légumes tempérés en polynésie. La culture vivrière traditionnelle est représentée quand à elle par les plantes à tubercules qui formaient la base de l’agriculture pré-européenne. En perte de vitesse dans les habitudes de consommation, elles sont encore largement consommées. Les trois quarts sont constitués par le taro, la banane à cuire et la patate douce. D’après les autorités, le maintien de ces productions à leur niveau actuel est une nécessité pour parvenir à l’objectif général d’autosuffisance.

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L'élevage est peu important à Tahiti. La production de viande est insuffisante et le Territoire doit faire appel à l'importation pour couvrir les besoins de la population. Aujourd’hui, l'agriculture tahitienne ne couvre que 20% des besoins alimentaires de l’île. Le recours aux importations est encore massif et trop coûteux. L’augmentation de la production, dont l’objectif est de tendre vers l’autosubsistance, se présente donc comme un enjeu essentiel pour Tahiti. Avec la jeunesse de sa population, la disponibilité de ses terres et les conditions favorables de son milieu, Tahiti possède beaucoup d’atouts à exploiter pour satisfaire les besoins d’un marché en expansion. L’énergie électrique tahitienne Tahiti est équipé d’un véritable réseau de haute et moyenne tension qui alimente toutes les parties exploitées et urbanisées de l’île. En raison de l’absence de toute ressource en combustibles fossiles, sa production électrique est principalement d’origine thermique et hydraulique. Exclusivement thermique à l’origine, aujourd’hui le tiers de la production insulaire est hydro-électrique. En effet, la forte pluviométrie annuelle et le relief très accidenté ont favorisé l’installation de centrales hydro-électriques pour l’exploitation des rivières. Elles se situent d’ailleurs dans la partie de l’île la plus exposée aux précipitations, au sud - est de Tahiti Nui. En 2004, l’île a produit près de 533,5 millions de kWh, dont 143,7 millions par les centrales hydroélectriques. Aujourd’hui, le bilan énergétique de Tahiti ressemble à celui de n’importe quel pays dépendant de l’extérieur pour son importation en hydrocarbures. Cependant, le Territoire veut tendre vers une politique de diversification de ses sources énergétiques, avec l’hydro-électricité développée depuis 1981 et l’énergie solaire utilisée de plus en plus, notamment au niveau individuel et à travers le photovoltaïque villageois. Enfin, si on regarde la répartition territoriale de la consommation électrique, seules les quatre communes d’Arue, Pirae, Papeete et Faaa consomment les trois quarts de l’électricité de l’île.

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POLLUTION HUMAINE ET EPUISEMENT DE L’ENVIRONNEMENT, LE DEREGLEMENT D’UN ECOSYSTEME HOMME/MILIEU Depuis l’arrivée de l’homme sur l’île de Tahiti, sa démarche a toujours été de tendre vers un équilibre entre son mode d’habiter et les richesses et dangers de son environnement. Au début craintives, les populations ont su s’adapter et organiser leur espace vital pour exploiter la nature et s’en protéger. A cette époque, l’homme arrivait dans un système que l’on peut qualifier de stable. Les millions d’années d’évolution et de cohabitation entre faune, flore et climat avaient, sous le couvert de l’adaptation des différents milieux, amené ce système à un état de relatif équilibre. L’arrivé de l’homme allait bien sûr perturber ce fragile équilibre et sa capacité à vivre en harmonie avec son milieu allait être la clé de sa survie. Aujourd’hui, comme nous allons le montrer, l’état d’occupation des insulaires n’est plus en équilibre avec leur environnement. Ces derniers n’ont cessé de le contraindre, de le plier à leurs exigences, poursuivant ainsi cette conquête éternelle de l’Homme, la Culture, qui veut maîtriser la Nature. Il faut cependant insister sur l’influence du colonialisme et des fortes migrations insulaires, dans cette rupture soudaine de l’équilibre mode d’habiter / milieu. En effet, les formes de la ville européenne et les fortes migrations non maîtrisées ont, sans conteste, fait péricliter ce système. Malheureusement, de plus en plus fréquemment, les conditions climatiques extrêmes, rencontrées en ces latitudes, ne cessent de rappeler ce déséquilibre aux Tahitiens, ainsi que leur incapacité actuelle à se protéger face à des catastrophes naturelles, par réaction de plus en plus intenses. Trouver un nouvel équilibre avec l’environnement semble être l’enjeux des Tahitiens pour faire de leur territoire un milieu durable. Mais ceci pose alors la question d’une nouvelle manière d’occuper le sol et d’une nouvelle définition de l’urbanité insulaire.

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Les dégradations du lagon et de son écosystème Le lagon, comme on l’a dit précédemment, est un écosystème fragile qui représente un atout pour le développement de la vie à Tahiti. Cette retenue d’eau peu profonde et délimitée par des barrières récifales, est tout d’abord une niche écologique pour la flore et la faune spécifiques qui s’y développent. Elle représente une ressource vivrière fondamentale pour la pêche locale, mais aussi pour la perliculture. C’est aussi une protection naturelle qui sépare l’île de l’Océan, contre les phénomènes marins et climatiques extrêmes. Tant pour la violence des éléments océaniques qui frappent Tahiti que pour la protection de sa frange littorale contre la sédimentation. Enfin, le lagon est probablement la première attraction touristique, avec ses sports nautiques sécurisés et ses allures turquoises de paradis terrestre. On comprendra ainsi la nécessité que les Tahitiens ont à protéger cet écosystème, ressource insulaire élémentaire. Mais, depuis une quinzaine d’années, la dégradation des récifs est manifeste à Tahiti, comme l’attestent la mortalité des coraux et le développement consécutif des peuplements d’algues. Cette dégradation est très variable d’une région à l’autre de île. D’une part en fonction de l’impact des catastrophes naturelles (cyclones, infestation d’Acanthaster) et du type de récif (barrière et frangeant) et d’autre part en fonction de la pression démographique et des activités qui s’y exercent. La zone urbaine de Papeete, qui concentre plus de 65% de la population polynésienne, est par exemple extrêmement dégradée. Ainsi, la partie frangeante, directement accolée à la côte et subissant de plein fouet les activités humaines localisées sur le littoral, est la plus touchée. De fait, on peut comprendre le rôle d’indicateur que tient l’état de dégradation du lagon et notamment des coraux, dans l’évaluation du degré de pollution et d’épuisement du sol tahitien. - Les pressions naturelles à l’origine des dégradations Les cyclones : Les cyclones ont été rares dans le passé, mais, exceptionnels lors de la période anormale d’El Niño entre 1982 et 1983. La Polynésie française a été ravagée par 6 cyclones et des destructions très importantes de pentes externes à 50, 90, voire 100%, ont été observées. Sur Tahiti, l’impact des cyclones était nettement visible, là où la dalle corallienne avait été complètement abrasée. En 1991, 1997 et 1998 de nouveaux cyclones ont touché les récifs de Tahiti et dégradé les coraux. Accompagnant les périodes cycloniques, les fortes marées basses barométriques, avec un niveau moyen de la mer de 20 à 25 cm au dessous du niveau normal, causent une mortalité importante de l’ensemble des organismes des platiers sous faible hauteur d’eau.

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Les maladies coralliennes : Le blanchissement des récifs, l’infestation d’Acanthaster planci, les proliférations phytoplanctoniques et la ciguatera sont autant de facteurs qui ont mis les communautés coralliennes en danger et qui continuent à menacer l’environnement lagonaire.

Blanchissement du récif (photo R. Hayes IRD)

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- Les pressions anthropiques Les causes majeures de destruction des récifs et de pollution des eaux littorales à Tahiti sont toutes liées à l’aménagement de son sol : constructions de routes, de centrales hydroélectriques, urbanisation du littoral et des pentes. L’activité touristique apporte aussi ses nuisances, mais elles restent limitées, ponctuelles et de plus en plus maîtrisées. Les causes de dégradation sont : - les remblais construits sur les récifs pour gagner du terrain sur la mer - les dragages dans les récifs - la sédimentation terrigène résultant de l’érosion terrestre - la pollution des eaux Les remblais et dragages de récifs : Dans la zone urbaine de Tahiti, où par exemple l’ensemble de l’aéroport est construit sur un remblai gagné sur les récifs, la surface de récif frangeant détruite par les remblais et par les dragages a été estimée à 20% de la surface totale de récif frangeant de cette zone. Les dragages dans le récif pour pourvoir aux besoins en granulats, pour la construction de routes en particulier, ou pour la réalisation d’aménagements maritimes comme les ports ou les chenaux de navigation, ont été l’une des causes majeures de destruction des récifs en Polynésie pendant de longues années.

La sédimentation terrigène : L’hyper sédimentation de matériel terrigène résulte du phénomène d’érosion des bassins versants. Elle est véhiculée par les eaux pluviales dans les lagons et constitue, en particulier à Tahiti où les terrassements se multiplient, l’une des nuisances actuelles les plus importantes sur le lagon. Les causes majeures d’érosion résultent des terrassements en montagne pour l’urbanisation des pentes, l’agriculture, les routes ou les aménagements hydrauliques, qui entraînent le remaniement de quantités considérables de terre. Dans la zone urbaine de Papeete, des

Extraction de matériaux coralliens (photo M. Porcher IRD)

Remblais sur récif frangeant (photo C. Gabrié IRD)

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études sédimentologiques ont montré une accentuation des dépôts terrigènes dans les secteurs ayant subi de gros travaux de terrassement en amont, induisant dans certains secteurs de l’île de profondes modifications du profil littoral, ainsi que la dégradation des récifs frangeants (récif d’Hitiaa, Titaaviri : création d’un delta de 25.000 m2). L’influence de ces apports terrigènes sur la répartition et la diversité des espèces a été depuis mise en évidence. Le tourisme : Les hôtels de Tahiti sont essentiellement localisés en bordure et sur le lagon. Cependant, les nuisances liées au tourisme demeurent, pour le moment, limitées et ponctuelles, mais la pression existe néanmoins, et risque de s’accentuer avec la multiplication à venir du nombre de touristes.

Sédimentation terrigène dans le lagon (photo M. Porcher IRD)

Exemple d’hôtels localisés sur le lagon

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Les dégradations et pollutions du milieu récifo-lagonaire sont tout d’abord dues à l’aménagement même des infrastructures hôtelières (terrassements, creusement des platiers pour chenaux et marinas, extractions de matériaux coralliens, installation de bungalows sur pilotis) et d’autre part dues à l’exploitation de ces hôtels avec les rejets d’eaux usées. Cependant, les hôtels sont de mieux en mieux équipés en station de traitement, et beaucoup plus attentifs quand à l’impact qu’ils ont sur l’environnement. Par ailleurs, les activités nautiques conduisent à quelques dégradations qui tiennent au piétinement ou au bris des colonies coralliennes par la fréquentation des récifs (exemple de la zone urbaine à Tahiti, de Mahina à Punaauia, et Vairao). La pollution des eaux : A Tahiti, les problèmes majeurs de pollution des eaux marines sont donc concentrés dans la zone urbaine de Papeete, dont la zone portuaire, les zones d’habitat sur-densifiées et les débouchés de vallées industrielles. Outre les rejets urbains, les élevages de porcs ont très longtemps constitué une nuisance très importante. Le lagon de Papeete, et en particulier la zone portuaire et urbaine (Arue), se distingue ainsi nettement des autres zones lagonaires de l’île. Ceci en raison des teneurs plus élevées en sels nutritifs et en particules d’azote et de phosphate, mettant ainsi en évidence les conditions d’eutrophisation de ces zones. Cette pollution est d’ailleurs responsable de la progression des peuplements de macroalgues comme les Turbinaria et les Sargassum, dont les biomasses ont doublé en une vingtaine d’années, induisant des modifications de la communauté récifale. Enfin, depuis de longues années, l’ensemble de la zone urbaine connaît une pollution bactériologique.

Pollution de rivières à Papeete (photo IRD)

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Dégradations des sols et mise en danger du milieu humain par les risques naturels Les risques naturels constituent un des principaux facteurs de nuisances pour la population tahitienne. Ainsi, les inondations liées aux pluies intenses ou aux cyclones pouvant survenir au cours de l'été, les glissements de terrain du fait de la nature géologique des îles hautes et l'ensemble des phénomènes marins, au premier rang duquel doit être cité le tsunami, sont autant de facteurs mettant sous pression l’homme et son environnement actuel. Nous connaissons également les conséquences pouvant être catastrophiques des houles marines qui soudainement immergent les terres littorales.

Ces trente dernières années, la forte croissance démographique de la zone urbaine de Papeete a contraint la population à occuper des zones plus sensibles aux risques naturels (pentes raides, zones de réception de chutes de blocs, lits majeurs des rivières…). Aidée par une mécanisation des moyens de terrassement, cette urbanisation, souvent sauvage, a entraîné son lot d'aménagements et d'interventions, modifiant ainsi la qualité même du sol. Des phénomènes météorologiques exceptionnels, tels que le cyclone Alan en 1998, ont mis en évidence les conséquences dangereuses de ces pratiques dans un milieu fragile.

Phénomène de houle marine sur Bora Bora (photo IRD)

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Les dépressions tropicales, même modérées, que connaît régulièrement la Polynésie française, sont également susceptibles de provoquer au bout de quelques jours de pluie des glissements de terrain et des inondations qui peuvent avoir des conséquences dramatiques. L'épisode pluvieux des 19 et 20 décembre 1998 à Tahiti est exemplaire à cet égard :

Exemples de glissements de terrain

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Le terme glissements de terrain recouvre quatre types de phénomènes différents : - Les glissements de terrain : il s'agit du déplacement d'une masse de terre selon une surface de rupture bien individualisée. - Les coulées de boue : liées à la dynamique des matériaux visqueux, il existe en fait une relation entre les glissements de terrain et les coulées de boue qui sont d'ailleurs parfois l'aboutissement des premiers. - Les coulées de débris : phénomène de type hydraulique, ce sont les décapages superficiels engraissés par une végétation plus ou moins importante. - Les ruptures d'embâcle : il s'agit de phénomènes induits, consécutifs à un glissement ayant obstrué un talweg. La remobilisation des matériaux déposés conduit à des laves torrentielles dont la capacité érosive et destructrice est importante. L’occurrence de ces phénomènes est donc contrôlée par deux types de facteurs. Les facteurs de prédisposition, liés à la géologie et la pente par exemple, et les facteurs aggravants ou de déclenchement tels que les événements pluvieux exceptionnels ou les secousses sismiques. Ainsi, dans ces régions, les mouvements de terrain peuvent se produire dans des conditions strictement naturelles. Cependant, au-delà des conditions naturelles, des facteurs exogènes liés à l’activité de l’homme sur son territoire contribuent à aggraver les conséquences de ces phénomènes et augmentent considérablement leurs probabilités d'occurrence. Ces facteurs sont de trois ordres : La modification de la morphologie des sols : c'est l'action la plus visible et pour laquelle les conséquences sont souvent immédiates ou perceptibles à court terme. C’est la modification des équilibres, généralement par terrassement (décaissement en pied de talus, surcharge en tête de versant). Travaux de terrassement ravagés par un glissement de terrain

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La modification des écoulements de l’eau pluviale : l’eau crée dans le sol des pressions qui déstabilisent les versants. Toute modification des modes de circulation de l'eau dans le sol et sur le sol provoque des modifications des équilibres pouvant, le cas échéant, conduire à la rupture. Les origines de ces modifications sont multiples. Elles peuvent être provoquées par l’imperméabilisation des surfaces et l’assèchement des zones humides (routes, parkings), par la modification des modes de cultures et des espèces végétales, ou encore par la surpression ou le manque d'entretien des réseaux de drainage. Sur certaines parties de la route de ceinture, il est indéniable que la construction surélevée par rapport au lagon a contribué à modifier les régimes d'écoulements naturels des eaux. La modification des espèces végétales : dans certains cas, le remplacement d'espèces végétales endémiques, adaptées aux conditions pluviométriques et morphologiques locales, par des espèces allochtones peut parfois contribuer à modifier les écoulements, les conditions hydriques ou la composante minéralogique des sols. C'est le cas avec le remplacement des falcatas par des pinus dans certaines parties de l’île. Ainsi, notre environnement est en perpétuelle adaptation. C'est le jeu quasi endocrinien de l'action et de la réaction, avec un seul " objectif " : le retour à l'équilibre. Ainsi, plus les actions seront violentes, plus les réactions le seront. Plus l'homme modifiera inconsidérément l'équilibre naturel (terrassements, imperméabilisation, suppression des exutoires hydrauliques…), plus la nature réagira violemment pour le retrouver (glissements de terrain, coulées de boue, ruptures d'embâcle). C'est la raison pour laquelle, sur des régions en fort développement et à forte pression humaine comme Tahiti, des catastrophes peuvent apparaître simultanément, surtout lorsque ce développement n'est pas contrôlé ou réalisé sans respecter un minimum de règles.

Schéma des réactions antinomiques urbanisation grimpante / aléas climatiques

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L’épuisement des sols dans les zones urbaines, le cas de Papeete. Si l’on ne voit pas aujourd’hui de constructions hautes dans la zone urbaine de Papeete, l’entassement y est cependant très important, avec des densités d’occupation des sols dépassants comme on l’a vu les 1000 habitants/km² dans certains quartiers. La surexploitation des sols et leur mauvaise gestion ont fait de cette zone un milieu saturé, épuisé et pollué. L’absence de retraitement des eaux usées, le rejet dans le lagon des déchets humains et industriels, le pillage du sol lagonaire, les remblais et l’étanchement des zones humides et marécageuses, le terrassement urbain en dur et la progression sauvage de l’urbain sur la pente, tout ceci a pollué et fait perdre la qualité que les sols de la zone urbaine de Papeete avait à absorber les aléas climatiques. L’équilibre qu’il doit y avoir entre les intempéries océaniques, la qualité des sols à se tenir, à absorber les surplus d’eau, l’équilibre qu’il existe entre les pressions hydrostatiques salines et de pluies dans les sols, ces équilibres sont perturbés et l’environnement vital de l’homme mis en crise. Si nous étudions la nature et la gestion des milieux de la zone urbaine de Papeete, nous pouvons constater certaines de ces dégradations : Le remblai et l’étanchement des zones humides suppriment par exemple, la capacité des sols à absorber et retenir l’eau. On réalise en général ces modifications pour gagner de la surface exploitable ou habitable. En asséchant ces zones ainsi, on les rend imperméables à l’écoulement et au ruissellement. L’eau ne peut alors être évacuée qu’en surface, et inonde la zone si son drainage est inexistant. De plus, l’eau du lagon, salée et plus dense que l’eau douce de ruissellement, exerce une pression hydrostatique dans le sous sol au niveau du littoral. Cette pression est normalement équilibrée par la pression des nappes phréatiques de l’eau issue du ruissellement depuis le relief. Si ces nappes sont asséchées, la pression hydrostatique marine fait progresser alors l’eau salée dans le sous sol du littoral et perturbe ainsi son équilibre physicochimique. Remblai pour l’aéroport de Faaa : le rivage du lagon est complètement artificiel

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Les terrassements et les platiers, réalisés même sur de faibles pentes, modifient aussi les écoulements naturels et la structure des sols. Ils sont de plus accompagnés de modifications de l’état végétal qui accentuent les dégradations par l’érosion notamment. Le rôle de la population végétale endémique est bien sûr fondamental dans la tenue des terres et surtout dans les pentes. Là justement où l’homme étend l’urbanisation de son territoire. L’exemple de la gestion et de l’épuisement des milieux de cette zone urbaine sous pression interroge donc la nature que l’urbanité peut prendre à Tahiti. Ceci en sachant que son devenir est nécessairement urbain, aux vues de la taille de son territoire, de sa démographie et de son organisation. Cependant, cette urbanité doit s’inscrire dans une démarche qui comprend et respecte les nécessaires équilibres qui doivent exister entre l’activité de l’homme et son milieu. Ces équilibres sont à retrouver à travers une nouvelle forme urbaine et la définition d’une nouvelle stratégie d’organisation du territoire insulaire. Ils représentent une nécessité pour assurer un développement durable de l’Homme à Tahiti.

Nouveau lotissement en montagne pour gens aisés à Punaauia Déstabilisation du versant par terrassement et modification de la végétation

Remblai sur le littoral et le port de Papeete

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ANALYSE TERRITORIALE

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- Afin de comprendre, d’analyser et de travailler ce territoire à la morphologie et à l’organisation complexes, nous avons tenté de mettre en place une série d’outils pour en révéler la forme cachée. De ce portrait singulier ressortiront les matériaux du projet territorial - UN SYSTEME RAYONNANT QUI STRUCTURE L’ILE L’organisation des éléments construits, environnementaux et humains de l’île est ainsi représentée d’une manière systémique et géométrisée pour en faciliter la compréhension. L’île s’inscrit dans un système à deux géométries rayonnantes axées l’une sur Tahiti Nui et l’autre sur sa presqu’île, Taiarapu. Cette organisation de l’espace est directement liée à la morphologie de l’île et à la répartition de l’homme et de ses activités sur le territoire. C’est la figure anthropologique de Tahiti. Ce système rayonnant fait apparaître une succession de séquences identiques qui se répètent tout autour de l’île et structurent son occupation. Partant de la caldeira, une rivière majeure, accompagnée d’une route pénétrante, descend en fond de talweg et crée un cône de déjection au niveau de son embouchure sur le lagon. Ces points de fixation, où se concentre la population, font face aux passes qui relient le lagon à l’Océan. Sur ce point singulier, l’Homme s’est installé et a développé un cœur d’urbanité. Depuis cette position stratégique, la croissance des villages s’est développée le long de la frange littorale vers le nord et vers le sud.

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Géométrisation et représentation rayonnante du système multipolaire de Tahiti

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Ces séquences récurrentes, sur tout le pourtour de l’île, structurent ainsi son organisation et expliquent la répartition actuelle des insulaires. Progressivement, l’étalement partant de ces polarités va rendre continue ou presque le développement urbain de ce cordon ceinturant. L’urbanité de Tahiti trouve ainsi aujourd’hui sa forme singulière dans cette frange étroite et quasi continue qu’est la plaine côtière.

L’intérieur de l’île y reste non ou très peu occupé et représente ainsi le réservoir des ressources naturelles insulaires. Nous verrons plus loin le potentiel que Tahiti devra tirer de ses richesses naturelles à travers le devenir de son urbanité et la gestion de ses sols.

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STRATEGIES TERRITORIALE ET ARCHITECTURALE

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- La lecture de ce territoire fait ainsi apparaître un système qui met en relation la géométrie de l’île avec l’organisation et la répartition de l’Homme. Cette représentation du territoire nous permet de le comprendre et de le projeter à travers une vision globale, synthétique et systémique, qui tient la grande et la petite échelle comme liées à travers une même stratégie - Le projet s’inscrit tout d’abord dans une démarche fondamentale qui tend à grouper et densifier le développement urbain pour en limiter l’étalement. Ceci afin de libérer et de préserver au maximum les ressources naturelles locales de l’île. La problématique insulaire tahitienne, liée à l’exiguïté de son territoire, dépasse le cas même de Tahiti. Elle pose la question du rapport de force qu’il existe aujourd’hui entre l’étalement urbain, sa pression foncière et la préservation ou la recherche de surfaces d’exploitation pour la production agricole. Victime de son manque de place et de son recours systématique à l’importation de produits agricoles, l’île doit retrouver des terres à exploiter pour tendre vers un statut d’autosubsistance. Le profil type de l’île fait apparaître comme on l’a vu, une zone de fortes pentes qui sépare actuellement la frange littorale plane, étroite et occupée, des hauts plateaux vierges et difficilement accessibles, les planèzes. Afin de rendre exploitable une partie de ces ressources naturelles et de créer de la surface agricole, le projet tente de travailler l’extension de l’urbanité de frange sur cette zone de fortes pentes. La viabilisation de ces pentes permettant l’accès aux plateaux à fort potentiel agricole pour en permettre l’exploitation. Le projet cherchera ainsi une forme urbaine qui se proposera de répondre à cette problématique de cohabitation et d’interférence entre l’urbanité et le monde agricole. La place et le devenir des territoires agricoles en relation avec l’urbanité nous semblant être l’enjeu et la condition pour la survie d’une urbanité insulaire.

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Identification et viabilisation projetée des planèzes au fort potentiel agricole à l’échelle de l’île

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Zone d’intervention choisie, emprise et situation pour la proposition de projet à l’échelle architecturale et urbaine

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BIBLIOGRAPHIE

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Théories sur la ville et le territoire : « Formes cachées, la ville » P. Berger et JP. Nouhaud, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2004 Lausanne « Les nouvelles conditions du projet urbain », sous la direction d’Alain Charre, Mardaga 2001, Sprimont « Culture, architecture et design » Amos Rapoport, infolio 2000 « La ville régulière, modèles et tracés », sous la direction de Xavier Malverti, Picard 1997, Paris « Alexanderpolder, New urban frontiers », The Rotterdam Arts Council, Thoth 1993, Bussum « Collage City » Colin Rowe et Fred Koetter, MIT Press 1984 « Urban Utopias in the Twentieth Century », Robert Fishman, Basic Books, Inc., Publishers 1977, New York « L’Image de la Cité » Kevin Lynch, Dunod, 1969 Paris « L’urbanisme, utopies et réalités », Françoise Choay, Seuil 1965, Paris « Le crépuscule des villes », E.A. Gutkind, Stock 1962, Paris Concours « E2-contest / Exploring the urban condition » A. Santiard et J. Cadilhac groupe e2, 2002 Paris « Europan 6, entre villes », editions Europan 2001, Paris « Europandom, habiter la ville outre-mer », editions Europan 2000, Paris Sites internet : www.presidence.pf www.fetia-api.org www.urbanisme.pf www.ird.fr Institut de Recherche pour le Développement www.ispf.pf Institut Statistique de Polynésie française www.tahiti-imagebank.com www.spaceimaging.com sites d’imageries satellites www.idrc.ca Urban Agriculture Resources and Publications www.inra.fr le Courrier de l’Environnement www.cirad.fr SDR Service du Développement Rural www.farre.org Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse

de l’environnement