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« QUELLE POLITIQUE CULTURELLE POUR LA FRANCE ?» Alexandre Mirlesse - ENS Arthur Anglade - HEC 26 avril 2006 Débat HEC-ENS à l’École Normale Supérieure Mercredi 26 avril 2006, à 21h Mercredi 3 mai 2006, à 20h30 Table des matières I Dossier historique 3 Introduction 4 I La décennie révolutionnaire (1789-1799) 4 II De la Restauration à la Troisième République, l’organisation des Beaux-Arts 6 III Front populaire, Révolution nationale et Libération 7 1 Le Front Populaire ..................................... 7 2 La Révolution Nationale .................................. 9 3 La Quatrième République à la croisée des chemins .................... 10 IV 1959-1981 : l’institutionnalisation de la politique culturelle 11 1 Les années Malraux (1959-1969) .............................. 11 2 Une décennie 1970 plus libérale : quelle « gestion » de l’héritage Malraux ? ...... 15 V 1981-2002 : Splendeur et misère de l’État culturel 18 1 Jack Lang et l’ « impératif culturel » (1981-1993) .................... 19 2 Depuis 1993, une « fin de l’histoire » de la politique culturelle ? ............ 22 Références 27 1

« QUELLE POLITIQUE CULTURELLE POUR LA FRANCE ?»

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« QUELLE POLITIQUE CULTURELLE POUR LA

FRANCE ?»

Alexandre Mirlesse - ENS Arthur Anglade - HEC

26 avril 2006

Débat HEC-ENS à l’École Normale Supérieure

Mercredi 26 avril 2006, à 21h

Mercredi 3 mai 2006, à 20h30

Table des matières

I Dossier historique 3

Introduction 4

I La décennie révolutionnaire (1789-1799) 4

II De la Restauration à la Troisième République, l’organisation des Beaux-Arts 6

III Front populaire, Révolution nationale et Libération 71 Le Front Populaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 La Révolution Nationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 La Quatrième République à la croisée des chemins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

IV 1959-1981 : l’institutionnalisation de la politique culturelle 111 Les années Malraux (1959-1969) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 Une décennie 1970 plus libérale : quelle « gestion » de l’héritage Malraux ? . . . . . . 15

V 1981-2002 : Splendeur et misère de l’État culturel 181 Jack Lang et l’ « impératif culturel » (1981-1993) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192 Depuis 1993, une « fin de l’histoire » de la politique culturelle ? . . . . . . . . . . . . 22

Références 27

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II Éléments de politique culturelle 28

VI Problèmes organisationnels 301 Un problème d’échelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 302 Une répartition opaque des rôles et du pouvoir de décision . . . . . . . . . . . . . . . 333 Un Ministère du Goût ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 334 Un budget sans cesse menacé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345 Un « grand ministère » pour endiguer la menace ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

VII Vers une gestion sociale du « secteur culturel » ? 361 Le passage aux 35 heures dans le monde du spectacle vivant . . . . . . . . . . . . . . 362 Le dossier de l’intermittence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

VIII L’introuvable démocratie culturelle 391 Démocratie contre démocratisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 392 Politique d’offre et de soutien à la création : des résultats contrastés . . . . . . . . . . 413 Sociologie des publics : des pratiques toujours très différenciées . . . . . . . . . . . . 42

IX Propriété intellectuelle : les défis du numérique 43

X Rôle des acteurs privés : une politique du mécénat ? 45

XI ANNEXE DOCUMENTAIRE 47

Références 52

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Première partie

Dossier historique

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Introduction

L’État culturel est bien le produit d’une lente sédimentation, dont le noyau est constitué dès lerègne de Louis XIV, autour du mécénat royal et de la Surintendance des Bâtiments du Roi. Mais lapolitique culturelle est, quant à elle, une invention essentiellement moderne : elle a même une datede naissance, le 24 juillet 1959, qui voit paraître le décret « portant organisation du Ministère chargédes Affaires Culturelles ». Ce Ministère nouveau, instrument d’une vision messianique et prestigieusede la culture, est sans exemple dans l’histoire. Mais Malraux, le génial prophète, n’a jamais prétendufaire table rase du passé ; son administration, militante et pragmatique, est tributaire d’un siècle etdemi d’interventions de l’État dans le domaine culturel, trop éparses pour constituer une véritablepolitique, mais fondatrices de traditions et de modèles auxquels nous nous référons encore.

Il est donc difficile pour l’historien d’opter entre la représentation des continuités d’une part, quirend compte de la constitution de l’administration culturelle actuelle par superposition des missionset extension progressive des attributions ; et la représentation discontinue d’autre part, visant à dis-tinguer des types historiques d’État culturel (cette dernière méthode étant adoptée par Ph. Poirrier,qui en distingue quatre : l’État des Beaux-Arts, l’État esthétique, l’État libéral, l’État culturel).Choix d’autant plus délicat que la même tension entre permanence et historicité existe au sein dumot de « culture » qui désigne aussi bien une culture universelle et immuable, liée à la conditionhumaine qu’un instantané culturel (à un instant donné, l’ensemble des phénomènes, productions etéchanges d’une société), soumis à l’Histoire.

Préférant les vertus de la pédagogie aux prestiges de la dialectique, nous nous sommes décidéspour une méthode mixte, chronologique et structurelle à la fois : elle nous permettra de dégagerdes types-idéaux de politique culturelle, qui sont présents à des degrés divers dans chacun des âgessuccessifs de l’État culturel. Nous accorderons également une place particulière à sa lente genèse : dela Révolution à la Quatrième République s’étend en effet une « préhistoire » longue et féconde, oùla fragilité des régimes n’empêche ni la continuité de l’action publique ni l’émergence de ce que l’onappelle depuis les années 1960 la politique culturelle.

Pourquoi cette plongée dans l’histoire ? Pour deux raisons. En premier lieu, parce qu’elle révèlel’origine du rôle prépondérant de l’État dans le gouvernement de la culture, prépondérance qui susciteencore aujourd’hui l’étonnement mêlé d’admiration de nos voisins européens ; en second lieu, parceque les modèles que nous y rencontrerons sont autant de sources d’inspiration à l’heure où l’Étatculturel semble en quête d’un sens nouveau. Cette enquête « archéologique » permet en effet deconstater les erreurs passées et d’apprécier à leur juste valeur les effets des politiques qui ont cherché,avant nous, à « accomplir la République » par la démocratie culturelle.

I La décennie révolutionnaire (1789-1799)

L’activité législative de ces dix années est particulièrement intense, et de nombreuseslois témoignent de la place centrale qu’occupe l’instruction publique en général et les arts enparticulier dans le projet de refondation révolutionnaire.

Les premières réformes sont conduites dans un esprit « libéral », que résume assez bien ce passagede la Richesse des Nations :

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« [L’État doit] encourager , c’est-à-dire laisser jouir d’une parfaite liberté tous ceux qui, dansleur intérêt, voudraient essayer d’amuser et de divertir le peuple, sans scandale et sans indécence,par des peintures, de la poésie, de la musique et de la danse, par toutes sortes de spectacles et dereprésentations dramatiques (. . . ) pour dissiper dans la majeure partie du peuple cette humeurnoire et cette disposition mélancolique qui sont presque toujours l’aliment de la superstition etde l’enthousiasme »

Retenons deux exemples : le décret de janvier 1791 (inspiré par Le Chapelier) établissant la libertédes théâtres, et le décret Lakanal de 1793 sur la propriété intellectuelle :

Décret sur la propriété des ouvragespar la voie de la presse ou de la gravure, etc

du 19 juillet 1793La convention nationale, ouï le rap-

port de son Comité d’instruction publique,décrète ce qui suit :

Article premierLes auteurs d’écrits en tout genre, les

compositeurs de musique, les peintres et des-sinateurs qui feront graver des tableaux oudessins, jouiront, durant leur vie entière, dudroit exclusif de vendre, faire vendre, distri-buer leurs ouvrages dans le territoire de laRépublique, et d’en céder la propriété en toutou en partie.

Article 2Leurs héritiers ou cessionnaires joui-

ront du me droit durant l’espace de dix ans,après la mort des auteurs.

Article 3Les officiers de paix seront tenus de

faire confisquer, à la réquisition et au profitdes auteurs, compositeurs, peintres ou dessi-nateurs et autres, leurs héritiers ou cession-naires, tous les exemplaires des éditions im-primées ou gravées, sans la permission for-melle et par écrit des auteurs.

Article 4Tout contrefacteur sera tenu de payer

au véritable propriétaire, une forme équiva-lente au prix de trois mille exemplaires del’édition originale.

Article 5Tout débitant d’édition contrefaite s’il

n’est pas reconnu contrefacteur, sera tenu depaver au véritable propriétaire une sommeéquivalente au prix de cinq cents exemplairesde l’édition originale.

Contre l’avis de Condorcet, favorable à la libre circulation des idées, la Convention prend avecce décret le parti des auteurs. Suivant le vœu de Beaumarchais et de sa Société des Auteurs etCompositeurs dramatiques, elle accorde aux œuvres de l’esprit le même statut que les biens matérielspendant une période déterminée : c’est le premier pas vers la reconnaissance du statut des créateurs.

Mais cette protection se transforme vite en tutelle, et dès août 1793 un décret interdit « les piècescontraires à l’esprit de la Révolution ». D’autres lois visent à encadrer sévèrement la productionartistique, qui doit être mise au service du projet révolutionnaire

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L’action de la Convention n’est toutefois pas univoque, puisqu’elle réagit au « vandalisme » del’an II (destruction des œuvres d’art portant la marque de la royauté) par l’affirmation du principede conservation, dans un décret d’octobre 1793, dont le rapporteur déclare :

« Nous devons tout conserver, et laisser au temps et à la philosophie à épurer nos bibliothèques,comme, depuis cinq ans, elles ont épuré nos lois et nos mœurs »

C’est donc un État culturel de type NATIONAL-JACOBIN qui voit le jour à laRévolution ; la reconnaissance de la notion de patrimoine national en est sans doute le legs leplus important. Il ne sera guère mis en cause par les régimes suivants, comme en témoigne lapérennité des institutions centrales de conservation crées par la Convention (Muséum national,Bibliothèque nationale, Institut national des Sciences).

II De la Restauration à la Troisième République, l’organisa-tion des Beaux-Arts (1815-1935)

Cette longue période voit se succéder en France cinq régimes de nature très différente.Pourtant, malgré son instabilité institutionnelle, l’État ne cesse de développer et d’affermir sesattributions dans trois domaines constitutifs de « l’administration des Beaux-Arts » : la conser-vation du patrimoine national, la protection des arts et la régulation du « marché culturel ».Ces missions « régaliennes » constituent aujourd’hui encore le socle minimal de toute politiqueculturelle.

• l’État conservateur

À la Restauration, la notion de « patrimoine national » apparaît comme l’un des acquis les moinscontestés de la Révolution ; son administration est réorganisée mais maintenue, et le regroupement dedifférents services au sein d’un secrétariat aux Beaux-Arts permet sa consolidation. Sous la Monarchiede juillet est crée une Inspection générale des Monuments Historiques chargée d’inventorier et d’en-tretenir les antiquités nationales. L’écrivain Prosper Mérimée en est l’un des premiers responsables.Sous la Troisième République, les lois de 1887 et de 1913 créent la procédure de classement :

« Les immeubles par nature ou par destination dont la conservation peut avoir, au point devue de l’histoire ou de l’art, un intérêt national, seront classés en totalité ou en partie par lessoins du Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts » (loi du 30 mars 1887, articlepremier)

• l’État, autorité et protecteur des Arts et des Lettres

L’autorité de l’État en matière esthétique date de la création des Académies au XVIIeme siècle.

Elle est encore importante au XIXeme, grâce à la tutelle sur l’École des Beaux-Arts et à la commande

publique qui tend à favoriser les artistes « académiques ». Cette constatation perd toutefois de sapertinence à partir du Second Empire ; le Salon annuel, où sont exposées les œuvres des artisteschoisis par l’Académie, perd son hégémonie quand Napoléon III autorise le Salon des Refusés en1863. Sous la Troisième République, l’académisme décline et les commandes de l’État se diversifient.

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Cette évolution est permise par la création en 1875 du Conseil Supérieur des Beaux-Arts, qui re-groupe des représentant des hauts fonctionnaires, des directeurs d’institutions artistiques, des artisteset des « personnes distinguées par la connaissance qu’elles ont des arts » ; c’est alors un véritableParlement des Arts qui voit le jour, qui guide les choix esthétiques de l’État et influe sur la législation.Ce « système des Beaux-Arts » fait de l’État l’autorité suprême en matière de goût – une attribution,peut-être contestable, mais qui perdure sous des formes différentes jusqu’à aujourd’hui.

• l’État régulateur

Dès la Révolution, l’action de l’État dans ce domaine se révèle ambivalente : d’une part, lepouvoir a cherché à contrôler, voire à contraindre le « marché de l’art » par la voie réglementaire ;mais en établissant le droit d’auteur, il a aussi voulu assurer la situation des « acteurs » de cemarché – les créateurs. Tout au long de la période, une mouvement de libéralisation permet deréduire l’importance de la régulation « coercitive » (la liberté des théâtres est ainsi rétablie en 1864)au profit d’une régulation « protectrice » (la durée du droit d’auteur est ainsi étendue à trentepuis cinquante ans après la mort de l’artiste). La loi de 1881 sur la liberté de la presse marque untournant, en supprimant la censure a priori des dessins de presse notamment, mais l’obligation dudépôt préalable à la préfecture reste valable pour les pièces de théâtre et les chansons.

Notons enfin que l’action de l’État est toujours inspirée par une philosophie libérale, en particuliersous la III

e République ; l’administration ne cherche plus à « gouverner les arts » comme sous laRévolution. Ce libéralisme maintient l’appareil administratif dans des proportions modestes et laisseun large part aux initiatives privées (comme les Universités Populaires au début du XX

eme siècle, oule théâtre ambulant créé par Romain Rolland) ; il évite également les dépenses inutiles qui seraientmal vues d’une assemblée soucieuse d’équilibre budgétaire.

Cette longue sédimentation conduit donc à la stabilisation de l’administration, qui consti-tue notre deuxième « type-idéal » d’État culturel : le « SYSTEME DES BEAUX-ARTS »(Jeanne Laurent). Il constitue rétrospectivement un modèle pour les contempteurs, commeMarc Fumaroli, de l’État culturel actuel émancipé de la tutelle de l’Instruction Publique.

Ce « système » porte l’empreinte des valeurs démocratiques et d’un libéralisme progres-siste, mesuré, soutenu par la foi positiviste. Il est pourtant le fruit d’une lente évolution qui acommencé avec la Révolution française. Pourquoi une telle continuité ? Sans doute parce quechaque gouvernement voit dans l’art un facteur de cohésion nationale – et c’est bien, jusqu’ànos jours, cet impératif qui guide toute politique culturelle.

III Front populaire, Révolution nationale et Libération : lestrois mythes fondateurs de la politique culturelle moderne

1 Le Front Populaire

La politique culturelle embryonnaire qui est mise en œuvre à la fin des années 1930 est essentiel-lement le fruit d’une rencontre inédite entre :

1) quelques responsables politiques, comme Jean Zay (Ministre de l’Éducation Nationale et desBeaux-Arts de 36 à 39) et Léo Lagrange (Secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs), soutenuspar le gouvernement Blum et par une administration solidaire.

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2) Les mouvements culturels et en particulierles associations de jeunesse, en plein essor.

3) Une élite intellectuelle majoritairement anti-fasciste (à laquelle appartient déjà Malraux),qui aspire à créer face aux totalitarismes unvéritable modèle républicain de la culture ;elle bénéficie du soutien sans faille des com-munistes, qui se réapproprient les valeurs na-tionales après leur tournant idéologique de1934-35 et font de « la défense de la culture »l’un des thèmes centraux de la lutte contre lefascisme (comme le montre le discours du dé-puté J. Berlioz, qui présente à la Chambre unprojet de « Grand Ministère des Arts » :

« La France voit ses charges mili-taires enfler d’année en année. Ladéfense de la culture, le renforce-ment du potentiel artistique, sontaussi une forme de défense nationalebien comprise »)

Cette « convergence » objective vient ébranler l’ancien système des Beaux-Arts, dont le représen-tant même, Georges Huisman, exige une intervention accrue de la part de l’État. Cela dit, tous lesprojets de refonte de l’administration artistique sont enterrés par l’Assemblée, qui refuse ainsi la créa-tion d’un Ministère de la Vie Culturelle voulu par Jean Zay et regroupant « Éducation Nationale »et « Création Nationale » (voir ci-contre)

Par une attention nouvelle aux avant-gardes qui se traduit par une diversification de la commandepublique, l’État encourage la création. Parallèlement, la fondation du Musée de l’Homme et du Muséedes Arts et Traditions Populaires témoigne d’un fort intérêt pour ce que l’on appelle encore la « culturepopulaire », du reste soigneusement distinguée de la « Culture ».

Ainsi donc, malgré des résultats contrastés, c’est dans cette brève période que l’État s’assigneune nouvelle mission : la « popularisation », qui concerne indifféremment la culture et les loisirs.Les innovations en la matière sont nombreuses et durables (création d’un réseau de bibliothèquespubliques, efforts de pédagogie dans les musées. . . ainsi qu’une formule promise à un bel avenir :le « mardi populaire » du Louvre). L’idée de « démocratisation culturelle », si essentielle pourcomprendre les politiques ultérieures, trouve donc ses origines immédiates dans la victoire de lagauche en 1936. Il s’agit bien d’un mythe fondateur, qui sera relu par la gauche des années 1970comme la grande œuvre d’un gouvernement porté par le peuple et lui apportant la culture en retour.

Difficile pour autant de parler d’un véritable type-idéal de politique culturelle, mêmesi l’apport du Front Populaire est incontestable : en ces temps de rigueur budgétaire, l’Étatne dispose pas des ressources nécessaires à un réel volontarisme culturel ; il se borne dans lamajorité des cas à reconnaître et encourager les initiatives privées ou les structures préexistantes(c’est le cas pour les associations de jeunesse) ; comme l’écrit Philippe Poirrier, « le FrontPopulaire fut bien le temps de la ’prise en compte’ avant celui de la ’prise en charge’ ».

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2 La Révolution Nationale

Pour Marc Fumaroli – et c’est là l’un des aspects les plus polémiques de l’État culturel –, la pre-mière politique culturelle est celle qu’a mise en œuvre l’État français entre 1940 et 1942. Cependant,cette politique novatrice n’est pas exempte de contradictions, qui reflètent celles du régime : l’élanmodernisateur impulsé par une administration toute-puissante (car affranchie du contrôle parlemen-taire) s’oppose au contrôle étroit des arts ; les subventions relativement généreuses accordées à desassociations culturelles comme Jeune France (qui compte dans ses rangs nombre des artistes d’avant-garde de l’après-guerre), masquent mal les purges successives qui excluent des postes à responsabilitéles administrateurs réputés « modernistes ». Jean Zay, pour sa part, est emprisonné sans procès, puisassassiné par les miliciens en 1944.

Malgré cette épuration violente, l’action de Vichy s’inscrit pour une bonne part dans la continuitédu Front Populaire, en visant à rapprocher le peuple de la culture et à développer l’administrationculturelle, tout en la rationalisant. Elle est en partie conduite par les mêmes équipes, qui ont étédécapitées mais pas démantelées. Trois grandes réformes sont ainsi poursuivies :

a/ la décentralisation, en accord avec les principes régionalistes de l’Action Française – et avec plusd’ampleur que sous le Front Populaire. Des troupes de théâtre subventionnées par le gouvernementpartent ainsi pour des tournées en province.

b/ la popularisation, avec la création de tarifs réduits pour les salles de spectacle et le soutienaux associations de jeunesse (dans un esprit nettement plus autoritaire toutefois : seuls les scoutscatholiques sont autorisés)

c/ l’organisation des « industries culturelles » (avec, dès 1940 la création du COIC*)

La plupart de ces innovations ne seront d’ailleurs pas mises en cause à la Libération.

Toutefois, la philosophie et les objectifs de l’État Français diffèrent radicalement de ceux duFront Populaire, dont la politique s’était fondée sur le rejet de l’embrigadement et du détournementdes arts, travers caractéristiques de régimes totalitaires. Si la Troisième République s’était refusée à« gouverner les arts », c’est bien leur « mise au pas » qu’entreprend le régime de Vichy, qui pratiquemassivement la censure (avec plus de zèle encore que les Allemands dans certains secteurs), proscritles artistes juifs et ne reconnaît que les créations conformes aux valeurs de la Révolution Nationale(en échouant, toutefois, à créer un véritable « art-maréchal »).

Très vite d’ailleurs, la pénurie budgétaire et le durcissement de l’occupation mettent finaux ambitions culturelles de Vichy, qui n’a pas réussi à régénérer la société française. Son actionest donc un échec, mais nous fournit rétrospectivement une bonne illustration de ce que pourraitêtre un État culturel « CORPORATISTE-AUTORITAIRE »

Mais l’Occupation est aussi une période de réflexion théorique et de formation pour lesfuturs administrateurs. L’École des Cadres d’Uriage, jusqu’à sa fermeture en décembre 42, puisle CNR* et la Résistance, sont le théâtre de cette réflexion : de L’Étrange Défaite de Marc Blochà Refaire la France de Michel Debré sont posés peu à peu les grands principes qui dirigeront lapolitique culturelle de la IV

e République.

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3 La Quatrième République à la croisée des chemins

Pendant l’après-guerre, la politique culturelle est soumise aux mêmes vicissitudes que lerégime : portée par l’aspiration au renouveau des mouvements résistants, elle ne peut toutefoisse réformer en profondeur et peine à étendre son action – malgré quelques innovations cruciales.La courte IV

e République est donc bien, pour reprendre l’expression de Ph. Poirrier, l’âge de« l’espérance contrariée ».

• L’espérance

La IVe République est le premier régime au monde à garantir . . .

. . . « l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à laculture » (Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946)

. . . ce qui exige un double effort, de démocratisation et de décentralisation.La démocratisation doit beaucoup au volontarisme de pionniers comme Jean Vilar, à qui Jeanne

Laurent, emblématique sous-directrice des Spectacles et de la Musique, confie la direction du nou-veau Théâtre National Populaire. Ce « théâtre service public » accorde une large place aux auteurscontemporains tout en refusant l’utilisation de la scène à des fins politiques, ce qui lui évite d’êtrerécupéré par les communistes. Il pratique une politique de prix bas grâce aux « billets populaires ».

La volonté affichée de décentralisation aboutit dans certains secteurs, avec la création des BCP*dans les départements, des musées départementaux et de cinq troupes décentralisées ; l’État centraltrouve par ailleurs, dans les premières années de l’après-guerre, un relais efficace au sein des asso-ciations d’« éducation populaire » telles que Peuple et Culture (spiritualiste) ou Travail et Culture(communiste).

Enfin, des progrès sont accomplis dans la protection des créateurs, avec la création de la CaisseNationale des Lettres, l’aide à la première pièce et la loi sur la propriété littéraire et artistique, dont levote en 1957 marque « l’une des étapes fondamentales dans la reconnaissance juridique et symboliquede la condition d’écrivain » (Yves Surel) en offrant une véritable protection sociale aux auteurs.L’État soutient aussi les industries culturelles, notamment le cinéma, menacé par les accords Blum-Byrnes de 1946 qui ouvrent le marché français aux producteurs d’Hollywood. Face à cette menace,les producteurs français se regroupent au sein du CNC* subventionné par l’État ; par ailleurs, lacréation du système d’ « avance sur recettes » permet à la France de résister mieux que ses voisins àla déferlante du cinéma américain – il n’est donc pas étonnant de retrouver aujourd’hui les milieuxdu cinéma en première ligne du combat pour l’ « exception culturelle » !

• Les contrariétés

La timide politique culturelle des années 40 s’essouffle vite, car elle ne bénéficie d’aucun soutiende la part des gouvernements successifs. Les Beaux-Arts doivent se contenter d’un budget de pénuriequi oscille entre 0,1% et 0,2% des ressources de l’État, et subissent de fréquentes brimades de lapart des Finances, qui les accusent de mal gérer l’argent public (une constante dans l’histoire de lapolitique culturelle au XX

eme siècle) ; certaines lois importantes sont aussi bloquées indéfiniment parl’Assemblée.

Pour gagner en autonomie, l’administration des Beaux-Arts avait pourtant cherché dans l’im-médiat après-guerre à s’émanciper de la tutelle de l’Éducation Nationale. Mais le Ministère de laJeunesse, des Arts et des Lettres, créé en 1947, ne parvient pas à s’affirmer, et très vite le « systèmedes Beaux-Arts » fustigé par Jeanne Laurent est de retour. Dans les dernières années du régime, denombreuses personnalités plaident, comme elle pour la formation d’un grand ministère des Lettres.

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D’autre part, la politisation extrême qui accompagne la Guerre Froide entraîne une surdivisiondes associations populaires, qui sont récupérées par les partis et perdent de leur crédit.

Il nous paraît toutefois injuste de conclure à l’échec de la IVe République en matière de

culture, au vu des conditions politiques et économiques très défavorables dans lesquelles elle aconduit son action. Il faut porter à son crédit la décentralisation théâtrale, l’organisation desindustries culturelles et une timide reconquête des publics populaires qui en font le modèle d’unÉtat culturel PROTECTEUR-EGALITAIRE.

La politique culturelle souffre alors bien plus des maux qui sont ceux du régime tout entier(surdivision politique, obstruction parlementaire, instabilité ministérielle) que des décisions deses responsables, qui inspireront en grande partie le « programme » du premier Ministère desAffaires Culturelles dans les années 1960.

IV 1959-1981 : l’institutionnalisation de la politique cultu-relle

De la création du MAC* en 1959 à la victoire socialiste de 1981, il n’a fallu qu’une grandevingtaine d’année à la politique culturelle pour s’autonomiser de façon durable. André Malraux,l’inspirateur visionnaire de cette émancipation, est cependant tributaire des expériences qui ontété menées avant lui ; le système des Beaux-Arts qui avait prévalu jusqu’alors n’est pas aboli,mais étendu. C’est bien par un procès de sédimentation que se construit l’État culturel : au« noyau dur » des Beaux-Arts vient s’ajouter une nouvelle couche d’attributions qui conduisentle nouveau Ministère à jouer un rôle croissant dans la vie politique.

Quatre Ministres jouent un rôle essentiel dans le développement de la politique culturelle :pour reprendre la formule de Jacques Rigaud, « André Malraux (1959-1969) lui a donné sonprestige, Jacques Duhamel (1971-1973) sa crédibilité, Michel Guy (1974-1976) sa modernité etJack Lang (1981-1986 puis 1988-1993) son assise dans l’opinion ».

Mais au-delà des alternances, et quelle que soit l’emprise de ces grands dirigeants surles choix du Ministère, il est frappant de constater la permanence de « tendances lourdes » del’histoire de la politique culturelle telles que l’extension, la décentralisation, la déconcentrationet le passage insensible de la « démocratisation » à la « démocratie » culturelle. Ce sont ausside telles continuités que nous chercherons à faire apparaître.

1 Les années Malraux (1959-1969)

• Le « ministère Malraux »

Sa formation

En demandant à son Premier Ministre Michel Debré de former le cabinet ministériel début 1959,le Général de Gaulle lui donne ce conseil : « prenez aussi Malraux, il donnera de l’éclat à votregouvernement ». Peu après, le 3 février 1959, paraît le « décret 59-212 relatif aux attributions d’AndréMalraux, Ministre d’État » - qui transfère à l’ « ami génial » du Président la responsabilité desservices des Beaux-Arts précédemment rattachés à l’Éducation Nationale, ainsi que la tutelle sur lesindustries cinématographiques, qui dépendaient auparavant du Ministère du Commerce. En revanche,il n’obtient pas le contrôle des affaires culturelles extérieures, qui restent au Quai d’Orsay.

Pendant quelques mois, Malraux reste un ministre sans ministère : il emploie cette période àcréer de toutes pièces une administration nouvelle, sans vaincre le scepticisme des autres membres

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du cabinet qui ne croient pas à ses capacités politiques. Quant aux employés des directions des Artset des Lettres, de l’Architecture et des Archives de France, ils sont pour la plupart très mécontentsd’être ainsi arrachés à leur ministère de tutelle ; certains demandent leur mutation pour éviter de secompromettre dans l’entreprise de Malraux (ce qui risquerait de ralentir leur carrière), et se montrenttrès sceptiques quant à la possibilité d’un « ministère des affaires culturelles » distinct de l’Éducation.Celui-ci voit pourtant le jour en juillet, par un célèbre décret signé du chef de l’État :

Le programme est ambitieux : reste au tout nouveau ministère à se donner les moyens adminis-tratifs et financiers de le réaliser.

Décret n°59-889 portant organisation duministère chargé des Affaires culturelles,

24 juillet 1959Article premierLe ministère chargé des Affaires cultu-

relles a pour mission de rendre accessibles lesœuvres capitales de l’humanité, et d’abord dela France, au plus grand nombre possible deFrançais ; d’assurer la plus vaste audience ànotre patrimoine culturel, et de favoriser lacréation des œuvres de l’art et de l’esprit quil’enrichissent.

Article 2L’administration centrale du minis-

tère chargé des Affaires culturelles com-prend :– un bureau du cabinet ;– un service d’administration générale ;– la Direction générale des arts et des lettres,

à laquelle sont rattachés des éléments desservices de l’éducation populaire qui serontdéterminés par arrété conjoint du minis-tère de l’Éducation nationale et du minis-tère des Affaires culturelles ;

– la Direction de l’architecture ;– la Direction des Archives de France.Est en outre rattaché au ministère chargé desAffaires culturelles le Centre national de la ci-nématographie (CNC), conformément au dé-cret n°59-212 du 3 février 1959 ;

Article 3Le transfert sous l’autorité du minis-

tère chargé des Affaires culturelles des ser-vices ayant pour mission dans les divers dé-partements ministériels de promouvoir uneaction culturelle ou artistique pourra fairel’objet de décrets ultérieurs pris suivant laprocédure fixée par le décret n°59-178 du 22janvier 1959 et sur le rapport des ministèresintéressés.

Article 4Les modalités d’application du pré-

sent décret, notamment en ce qui concernela mission et l’organisation des services, se-ront fixées par arrêté du ministère chargé desAffaires culturelles.

Article 5Le Premier ministre, le ministre

d’État chargé des Affaires culturelles, le mi-nistre des Finances et des Affaires écono-miques, le ministre de l’Éducation nationaleet le ministre de l’Industrie et du Commercesont chargés, chacun en ce qui le concerne, del’exécution du présent décret, qui sera publiéau Journal officiel de la République française.

Ces deux problèmes sont résolus par le bricolage et le militantisme : au risque – assumé – d’enfaire un poste avancé de la contestation du régime, Malraux décide d’ouvrir largement son admi-nistration aux communistes. Plus surprenant encore, il décide de pourvoir les postes laissés vacants

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par les fonctionnaires qui ont tenu à rester attachés à l’Éducation nationale en faisant appel au seulcorps alors disponible sur le marché du travail : celui des fonctionnaires de l’outre-mer, dont ÉmileBiasini devient le charismatique représentant. Enfin, Malraux utilise sa renommée internationale etses relations au sein de l’élite intellectuelle française pour conduire dès les premières années de sonministère un politique de prestige, qui le conduit à prononcer de nombreux et flamboyants discours,en France et à l’étranger. Cela contribue indéniablement à faire connaître l’action du MAC*, dont lerôle symbolique excède de beaucoup les moyens modestes.

Dans les premiers temps, l’arrangement fait merveille. Le militantisme des uns et le sens de l’Étatdes autres permettent à la structure ministérielle de se stabiliser ; Malraux use de son crédit auprèsdu Président pour obtenir une réévaluation des ressources du ministère, qui ne dépassent toutefoisjamais 0,4% du budget de l’État

Sa philosophie.

Comme nous l’avons fait remarquer, le ministère des Affaires Culturelles est fondé sur une ruptureadministrative avec l’Éducation Nationale. Mais cette opposition est théorique, et révèle l’un des traitsconstants de l’action de Malraux : le refus de l’académisme et de la pédagogie. Pour ce nietzschéennon-conformiste et athée, il ne saurait y avoir de médiation entre les chefs-d’œuvre, fussent-ils l’œuvrehermétique d’une avant-garde élitaire, et le peuple, qui doit trouver dans la culture une « religionmoderne ».

Panthéisme spirituel, révélation mystique, culture d’élection : en somme, la métaphore religieusea souvent été utilisée pour décrire l’action d’André Malraux, grand prêtre des cérémonies du régime,qui laisse une marque indélébile sur un ministère qui aura été le sien bien avant d’être celui desAffaires Culturelles.

• Une politique d’élite au service d’une démocratisation « par le haut »

C’est donc sur le refus de la pédagogie que se construit « l’action culturelle » revendiquée parMalraux, qui déclare à son arrivée : « la connaissance est à l’Université, l’amour, peut-être, à nous ».D’autre part, il prend dès 1960 ses distances avec les associations d’éducation populaires, coupablesà ses yeux d’apporter une culture « au rabais » au peuple. Le divorce est consommé quand en 1960le ministère échoue à obtenir leur tutelle : c’est la fin d’un long partenariat qui avait débuté sous leFront Populaire.

La politique culturelle dont Malraux est l’inventeur vise selon ses propres termes à « faire pourla Culture ce que Jules Ferry a fait pour l’Instruction ». Ce projet se traduit par plusieurs grandesréalisations :

- les maisons de la CulturePièces maîtresses du « plan Malraux », ces « cathédrales du XX

eme siècle » doivent être, dansl’esprit de leur fondateur, le lieu privilégié de la rencontre entre le peuple et les chefs-d’œuvre. Ellesdoivent aussi être un espace d’échange, « un petit parlement culturel » selon les termes de Biasini.De plus, fait nouveau, elles sont financées à parité par l’État et la commune qui les accueille : àcet égard, elles contribuent à l’éveil d’une politique culturelle décentralisée en sensibilisant les éliteslocales. Toutefois, seules 8 des 20 Maisons prévues sont construites avant 1969 ; si celles de Grenoble etde Bourges sont des succès, d’autres connaissent un sort moins enviables et sont même municipalisées,comme à Caen où la « cathédrale » se transforme en salle des fêtes.

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Le bilan des maisons de la culture est donc contrasté. Toutefois, par leur exemplarité, elles ontsuscité des initiatives à l’échelon local et témoignent d’une volonté d’enrichir la vie culturelle de ceque l’on appelait encore le « désert français ».

- Une ambitieuse politique du patrimoine. . .. . . qui ne se résume pas à la célèbre loi Malraux de 1962 – établissant une procédure de classement

qui a sauvé de nombreux centres historiques de la destruction (le Vieux Lyon et le Marais, mais aussiles centres historiques de villes moyennes comme Bourges, Sarlat ou Colmar). C’est en effet sousl’égide du ministère que s’achèvent les travaux de reconstruction postérieurs à la guerre et que débutela plus grande entreprise patrimoniale de la V

eme République : l’Inventaire général des Monuments etRichesses artistiques de la France, lancé en 1964. Cette politique est renforcée par l’adoption d’uneloi de programme pour la restauration des grands édifices, qui retrouvent bientôt, comme à Versailleset Vincennes, leur splendeur passée.

- Le soutien aux créateurs contemporains. . .. . . avec lesquels Malraux entretient des relations étroites. Le plafond de l’Opéra Garnier est ainsi

commandé à Chagall ; les crédits du TNP* augmentent, de nouveaux centres dramatiques nationauxsont créés en province ; et surtout, une loi vient poser le principe du « 1% culturel », qui oblige toutchantier public en bâtiment à consacrer 1% de son budget aux équipements artistiques et culturels.Cette loi sera toutefois vivement critiquée par la suite : on l’accusera notamment de favoriser ledéveloppement d’un secteur artistique subventionné, de qualité médiocre.

- Le retour du cinéma dans le giron de la cultureFace à la baisse du nombre d’entrées qui préoccupe le CNC* (placé sous la tutelle du MAC* en

1959), le ministère choisit une politique de la qualité en modulant les subventions en fonction de lavaleur esthétique des films. La création des salles d’art et essai en 1961, ainsi que la mise en placed’un nouveau système d’avances sur recettes, viennent favoriser l’éclosion d’un nouveau « cinémad’auteur ».

- Une formalisation nouvelle de la politique culturelle dans le cadre de la planification.Les émois mystiques du Ministre sont fort heureusement compensés par le souci de rationalisa-

tion d’une administration formée à la rude école de l’après-guerre, qui veut se doter d’instrumentsd’évaluation. C’est à cette fin qu’est créé en 1962 le SER*, confié au sociologue Augustin Girard,qui fournit au ministère des données régulièrement actualisées sur la fréquentation des institutionset les pratiques culturelles, par la méthode de quantification culturelle. D’autre part, des objectifs entermes d’équipements culturels sont intégrés au IV

e Plan, de 1962 à 1965. En 1963, le rapprochementavec la jeune DATAR* lance un timide processus de déconcentration ; enfin, des plans de relancesectoriels sont mis en place par les différentes Direction, comme le plan décennal de M. Landowskiqui préconise en 1969 la création dans chacune des 22 régions d’un conservatoire, d’un orchestre etd’un opéra.

• Une autorité contestée

La contestation à laquelle doit faire face le ministère tout au long des années 60 (jusqu’au défer-lement de mai 68) provient essentiellement de trois types d’acteurs :

- les communes.Certaines tentent en effet de conduire à l’échelon local une politique culturelle indépendante du

pouvoir central. Ce volontarisme résulte soit d’un goût personnel du maire pour la culture (comme à

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Bordeaux, où Jacques Chaban-Delmas consacre plus de 20% du budget municipal à l’action culturelleet crée un festival musical dès les années 1950), soit de l’impulsion d’un parti au pouvoir qui intègre lapolitique culturelle à sa stratégie électorale (comme à Aubervilliers où est fondé en 1965 le Théâtre dela Commune, première institution dramatique « hors les murs »). Ces initiatives locales, toutefois, nesont que tardivement reconnues par le Ministère, qui craint de perdre ses prérogatives « régaliennes ».

- les associations d’éducation populaireDésavouées par l’État, elles ne désarment pas pour autant dans leur combat pour une démocra-

tisation culturelle par la pédagogie et la médiation. Pour faire pièce à la création du Ministère, lescentres culturels communaux se regroupent en 1960 dans la FNCCC*, avec laquelle Malraux refuseratoujours d’entrer en discussion. Par ailleurs, d’anciens groupes comme Peuple et Culture, restent trèsactifs dans les années 1960, et sont relayés dans certaines villes par la SFIO et le PCF ; cette col-laboration efficace, qui concerne la culture au sens large (c’est-à-dire toutes sortes de loisirs) donnesouvent des résultats probants, comme dans la ville de Grenoble qui obtient les JO de 1968 en partiegrâce à une forte mobilisation administrative.

- les artistes.Malraux, pourtant, lutte pour leur assurer une pleine liberté de création : il s’oppose même à

la majorité conservatrice en refusant de censurer les Paravents de Jean Genêt. Cependant, il doitfaire face aux critiques des anciens de la décentralisation théâtrale, et souffre de son attachement auchef de l’État lors de la crise de mai 68. Par ailleurs, il appartient à une génération qui doit faireface à la montée en puissance de la jeunesse ; Jean Vilar est lui aussi chahuté à Avignon en 1968.On peut lire dans ce manifeste de Roger Planchon, écrit à Villeurbanne en mai 1968, l’ampleur del’incompréhension entre des artistes révoltés et un ministre qui n’a pas échappé à l’usure du pouvoir.

Les années Malraux marquent l’apogée d’une politique de « démocratisation culturelle »,dont les premières enquêtes menées par des sociologues (comme Michel Crozier ou Pierre Bour-dieu, qui écrit l’Amour de l’art en 1964 sur commande du SER*) ou des agences d’État (etnotamment le Commissariat au Plan, qui rend un rapport très défavorable sur l’administrationde la culture dans les années 1960) montrent déjà les contradictions.

Ces études font en effet apparaître que cette politique de type MISSIONNAIRE menéepar Malraux au mépris de toute médiation ou pédagogie a surtout profité aux publics cultivés, quiont « hérité » d’un « capital culturel » suffisant pour tirer profit d’une confrontation directe avecles œuvres. Les maisons de la culture, malgré des politiques de prix favorables aux travailleurs,sont surtout fréquentées par les classes moyennes et supérieures ; quant aux pratiques culturellesdes Français, évaluées régulièrement par le Ministère à partir de 1973, elles font apparaître unetrès nette ségrégation des loisirs en fonction du revenu et surtout du niveau d’éducation. À cetégard, le bilan du ministère Malraux est peu satisfaisant, et appelle une refondation.

2 Une décennie 1970 plus libérale : quelle « gestion » de l’héritage Mal-raux ?

• Le développement culturel au cœur du débat public

La « refondation » a lieu entre 1971 et 1973, sous le ministère Duhamel. Elle est permise par laconjonction, unique dans l’histoire de la politique culturelle, de trois volontés politiques : celle duPrésident, celle de son Premier Ministre Jacques Chaban-Delmas qui donne une place de choix à la

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culture dans son projet de « Nouvelle Société », et celle d’un Ministre de la Culture qui jouit d’uneréelle influence politique, son soutien étant indispensable à la majorité parlementaire de droite.

Une fois en poste, Jacques Duhamel s’attache à rationaliser l’action de l’État en insistant surl’évaluation de son action. Il engage pour cela une collaboration fructueuse avec le SER* dirigé par M.de Certeau, qui réalise de nombreuses enquêtes et organise le colloque Prospective du DéveloppementCulturel en 72, d’où est issu le rapport « La Culture au pluriel ».

Ce rapport définit le « développement culturel » en rompant avec la logique de l’« action cultu-relle » qui avait prévalu jusque là. Il représente un tournant majeur à deux égards : en premier lieu, ilprivilégie une acception très large, anthropologique, du mot de « culture », qui ne saurait se réduireaux « chefs-d’œuvre de l’humanité » comme le proclamait le décret de 1959 ; en second lieu, il plaideen faveur d’un effort de médiation pédagogique entre les œuvres et le peuple (au rebours de la théoriedu « choc esthétique » chère à André Malraux) en affirmant que toutes les voies d’accès à la culturesont également légitimes.

Cette évolution théorique se traduit dans les faits par une plus grande « décontraction » qui at-teindra son apogée pendant le « printemps culturel » du ministère Michel Guy (1974-76) qui apparaîtcomme un véritable renouveau : dans le secteur du spectacle, sa politique de nomination favorise lesjeunes créateurs au dépens des « anciens » du théâtre populaire ; c’est grâce à lui que disparaît lacensure cinématographique, remplacée par la procédure de classement X ; enfin, les logiques secto-rielles perdent de leur force, et de nombreux projets associant plusieurs arts commencent enfin à voirle jour.

• Les métamorphoses du Ministère

Au départ d’André Malraux, rien ne garantit le maintien d’un Ministère des Affaires Culturellesautonome, et il se trouve même de nombreuses voix pour proposer un retour à l’ancien systèmedu Secrétariat aux Beaux-Arts. Pourtant, malgré une forte instabilité ministérielle (une dizaine deMinistres se succèdent entre 1969 et 1981), la décennie 1970 va donner à la jeune administration uneassise territoriale et une organisation sectorielle durables, gages de stabilité jusqu’à nos jours. Lesprincipales évolutions institutionnelles sont les suivantes :

- un rôle accru du Président de la République, qui se constitue un nouveau « domaine réservé ».Georges Pompidou, lui-même grand amateur d’art contemporain, prend l’initiative de certains projetsambitieux, comme le CNAC* de Beaubourg qui - fait nouveau - excède par son ampleur le cadre d’unsimple septennat. Il donne aussi une place nouvelle à l’art contemporain dans la commande publique(on lui doit notamment la décoration « postmoderne » de l’Élysée), et prend le risque d’organiserl’exposition « 72/72, 12 ans d’art contemporain » dite « expo-flic » (à gauche) ou « 12 ans de canularscontemporains » (à droite). Quant à Valéry Giscard d’Estaing, malgré le peu d’intérêt qu’il porte à lapolitique culturelle (paru en 1976, son manifeste, Démocratie Française, n’en fait pratiquement pasmention), il accepte de soutenir de grands projets lancés sous Pompidou – comme la transformationen musée d’art pictural de la gare d’Orsay, sauvée de la destruction par Georges Duhamel et JacquesRigaud, auquel il confie la direction des opérations – et d’en proposer d’autres – tels que la Cité desSciences et l’Institut du Monde Arabe. Après lui, François Mitterrand et, dans une moindre mesure,Jacques Chirac, se montrent tout aussi jaloux des prérogatives culturelles du chef de l’État.

- Des attributions toujours incertaines : le Ministère est transformé en un simple Secrétariat d’Étaten 1974, avant de devenir Ministère de la Culture et de l’Environnement en 1976, puis Ministère dela Culture et de la Communication en mars 1981. De fait, son organigramme est fluctuant et sonbudget réduit (à partir de 1975, après une embellie sous Pompidou) ; en 1979, un coup sévère lui

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est porté avec le rattachement de la Direction de l’Architecture au Ministère du Cadre de Vie.À la fin du mandat de VGE, l’État culturel a conservé des proportions modestes et des missionsessentiellement patrimoniales ; sa faiblesse relative conforte la montée en puissance des nouveauxacteurs de la politique culturelle que sont les collectivités territoriales et les agents privés. Le recoursau mécénat d’entreprise est alors évoqué par Jacques Rigaud comme une solution à la fragilitébudgétaire du Ministère dans un essai de 1979 intitulé Pour le développement du mécénat industrielet commercial.

- Décentralisation : cette politique est mise en œuvre lentement et difficilement par l’État culturelqui, sous Malraux, avait peu pris en considération les politiques culturelles menées à l’échelon local.Georges Duhamel, ministre de 1971 à 1973, annonce donc une petite révolution lorsqu’il déclare àl’Assemblée :

« La politique culturelle ne peut être le fait de l’État seul ; un rôle capital revient aux collectivitéslocales »Cette reconnaissance aboutit à la signature de « chartes culturelles » pluriannuelles entre l’État

et les villes – majoritairement communistes ou socialistes – qui conduisent de véritables expérimen-tations culturelles dans les années 1970. L’État s’engage ainsi à financer à parité avec la ville lesprojets qui ont son aval ; il apporte en outre son expertise et sa caution esthétique, tandis que la villese charge des aspects plus logistiques - une « division du travail » promise à un grand avenir.

D’ailleurs, l’État accompagne le mouvement plus qu’il ne l’impulse : la campagne municipalede 1977 voit l’apparition des thèmes culturels dans les programmes politiques locaux (le PS, enparticulier, s’approprie la politique culturelle comme arme électorale, s’inspirant en cela du PCF),et de nombreuses « délégations culturelles » sont crées dans les mairies après les élections. Ellesdisposent de 7 % en moyenne du budget municipal, et jusqu’à 20% à Bordeaux (sous l’impulsion deChaban-Delmas) ou Avignon.

- Déconcentration : jusqu’aux années 70, le Ministère souffre de son excessive concentration ; ilne dispose pas de relais efficaces dans les régions et les départements, et n’entretient pas de rapportsréguliers avec les services culturels des autres ministères (notamment les Affaires Etrangères). L’effort,initié par Duhamel, donne des résultats importants : en 1971, une charte est signée avec l’ORTF* ; lesystème des directions régionales, créées par Malraux juste avant son départ, se généralise et débouchesur la création des DRAC* en 1977, qui donnent une plus grande assise à l’action de l’État ; enfin,le FIC* institué dès 1971 rassemble le MAC, d’autres ministères et la DATAR* autour de projetsculturels de grande ampleur.

- Appel aux acteurs privés : au-delà du recours au mécénat privé précédemment évoqué, le sep-tennat de VGE marque un tournant libéral aussi au sens économique du terme. En 1979, dans unentretien pour la revue Nouvelles Littéraires, le Ministre de la Culture Jean-Philippe Lecat déclaresans ambages :

« Je ne suis pas hostile à un élargissement de l’influence du privé dans les industries culturelles ;mais à condition que le rôle correctif de l’État s’accroisse parallèlement »

L’année précédente, un article d’Augustin Girard, sur le rôle joué par les « industries culturelles »dans la démocratisation avait fait scandale. Le chef du SER* du Ministère y déclarait en effet :

« Le progrès de la démocratisation et de la décentralisation est en train de se réaliser avec beau-coup plus d’ampleur par les produits industriels accessibles sur le marché qu’avec les ’produits’subventionnés par la puissance publique »

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Ce rapprochement avec le secteur privé, vilipendé par une gauche conquérante, trouve son ex-pression la plus radicale dans l’arrêté Moinot de 1979 libéralisant le prix du livre, ce qui menace àcourt terme les petites librairies, incapables de pratiquer les mêmes remises que les grandes surfaces.Les réactions sont si défavorables que presque tous les candidats à l’élection de 1981 promettent sonabrogation ; au PS, Jack Lang (alors nommé à la tête du Secrétariat national à l’Action Culturelle,qui connaît les dossiers presque aussi bien que le gouvernement) prépare dès 1980 la loi qui porterason nom et viendra rétablir le prix unique du livre en novembre 1981. Lors de la présidentielle, cesont donc deux visions différentes de la politique culturelle qui s’opposent à travers les deux candi-dats : l’une, celle de VGE, est modeste, correctrice, fondée sur le respect du marché et des acteurslocaux ; l’autre, celle de Mitterrand, emprunte à Malraux le prestige et la mystique d’un État culturelfort apportant la culture au peuple et faisant barrage aux industries culturelles, en y ajoutant uncaractère festif et syncrétique qui fera le succès de Jack Lang. À cet égard, le 10 mai 1981 est plusqu’un succès politique : c’est une victoire culturelle.

Ainsi, les années 1970 sont plus qu’un entre-deux : c’est bien un souci cohérent de libertéet surtout de modernité qui guide alors l’action de l’État pour jeter les bases de la « sociétélibérale avancée » voulue par un Président qui cherche à susciter la cohésion nationale defaçon immanente – Deux Français sur trois – et non transcendante, comme y prétendait lamystique culturelle d’un Malraux. Au sein de ce projet LIBERAL-PROGRESSISTE, lapolitique culturelle tient le rôle – modeste – qui est le sien ; elle sait se rationaliser, se décrisperpour répondre aux attentes d’une époque moins soucieuse de métaphysique que d’autonomie etd’ouverture, quitte à délaisser quelque peu le grand défi de la « démocratisation culturelle ». LeMinistère acquiert sa forme quasi définitive, assume efficacement ses missions de conservationet laisse aux acteurs locaux un vaste espace ouvert à l’innovation mais aussi à la contestation,dont la gauche saura tirer parti dans sa stratégie de conquête du pouvoir.

V 1981-2002 : Splendeur et misère de l’État culturel

En 1996 paraissait à la Documentation Française l’ouvrage de Philippe Urfalino, Pourune Histoire des politiques culturelles, qui soutient une thèse audacieuse : selon l’auteur, lapolitique culturelle n’a vraiment existé que dans les années 1960 et 1970, avant de se dissoudredans les années 1980 et de disparaître dans les années 1990. Les années Lang sont ainsi cellesde la « municipalisation de la culture », de la professionnalisation des médiateurs culturels, dela conception « entrepreneuriale » et « mobilisatrice » qui promeut une image de la créationcomme étant invention et innovation : il écrit ainsi que « L’action de Jack Lang peut êtreassociée à la fin de la politique culturelle et au triomphe des politiques publiques de la culture ».S’ensuit alors une « période de maturité », où la politique culturelle se réduit à la simple gestiondes affaires courantes

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1 Jack Lang et l’ « impératif culturel » (1981-1993)

Pour l’affirmation de Ph. Urfalino, il faut bien apprécier le tournant idéologique que l’ad-ministration Lang fait subir à la politique culturelle – évolution qui est aussi permise par l’ « ef-fet Lang ». Juriste de formation, ancien Directeur du Festival de Nancy et Secrétaire délégué àl’Action Culturelle du PS, le Ministre pratique avec beaucoup d’habileté l’art de la communica-tion, et sait donner à son administration une popularité inégalée. Il est certain que la carrièreantérieure du Ministre aura beaucoup influé sur ses décisions ; par ailleurs, sa connaissance dumilieu artistique et les nombreux contacts qu’il y entretient lui permettent de transformer la ruede Valois en un véritable Ministère de la création. Mais une fois encore, si la « rupture » queveulent incarner les socialistes est très nette dans le discours, elle ne doit pas masquer certainescontinuités que nous nous attacherons à mettre en évidence.

• Un Ministère renforcé ?

Dans ses 110 propositions aux Français, François Mitterrand avait affirmé vouloir faire de laculture une priorité nationale : dès son accession au pouvoir, la promesse sera tenue et l’engagementdu chef de l’État ne se démentira jamais au cours des deux septennats. Ce soutien présidentiel estassurément un atout pour le Ministère, qui voit ses crédits doubler sur l’exercice 1982, passant de0,4% à 0,8% du budget de l’État. Malgré le « tournant de la rigueur » de 1983, les ressources dela culture continuent à progresser, ce qui permet au Ministère d’étendre son action et de gagner encrédibilité.

Mais l’engagement du Président porte aussi atteinte à l’autonomie du Ministère, bien plus quesous Pompidou. François Mitterrand, atteint d’une manie bâtisseuse sans égale depuis Napoléon III(d’où son surnom de Tonton-Khâmon), établit en 1982 un projet annonçant « les grandes opérationsd’architecture et d’urbanisme » au Louvre et à la Défense, sans prendre l’avis du Ministère ; il ensuit personnellement l’exécution, qui doit être réalisée avant 1988 pour des raisons électorales. Cettepersonnalisation des décisions court-circuite le Ministère et suscite de vives critiques au sein mêmedes rangs de la gauche. Le phénomène s’amplifie même au cours du second septennat, où FrançoisMitterrand impose la création d’un Secrétariat aux Grands Travaux, confié à Émile Biasini, aveclequel il est en relation directe : Jack Lang a très rarement son mot à dire dans des décisions quiengagent pourtant son ministère. La création d’une « très grande bibliothèque », annoncée par lePrésident lors de la traditionnelle interview du 14 juillet 1988, laisse sans voix les administrateurs duMinistère qui l’apprennent en même temps que les téléspectateurs !

Malgré une perte d’autonomie dans ces « domaines réservés », la manne financière permet à l’ad-ministration culturelle de se réformer sans douleur ; elle autorise en effet à l’État central de renforcerle rôle d’expertise de ses échelons régionaux (notamment les DRAC*) sans pour autant diminuer sonsoutien aux initiatives locales. Il est donc plus juste de parler de déconcentration que de décentralisa-tion, puisque l’État tient à garder le pilotage des politiques culturelles et s’efforce de limiter au plusjuste les « transferts de compétences » prévus par les lois Defferre de 1982 et 1983 (les départementsn’héritent ainsi que des archives et des BCP*). La « décentralisation culturelle » des années Lang semanifeste donc par une généralisation du partenariat entre l’État et les collectivités territoriales quipréserve l’intégrité des prérogatives régaliennes du pouvoir central. La « déconcentration culturelle »est en revanche bien réelle ; ses crédits augmentent régulièrement, et elle est formalisée par un décretde juillet 1992 établissant une « charte de la déconcentration ».

(Sur ces questions, voir notre dossier Éléments de politique culturelle, chapitre « décentralisa-tion »)

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• Une nouvelle conception de la politique culturelle

Le 10 mai 1982, jour anniversaire de la victoire de François Mitterrand, paraît un décret portantmodification du décret fondateur du MAC. Tout en assumant l’héritage de Malraux, ce court texteest le signe d’une inflexion durable de la politique culturelle :

Décret n° 82-394 relatif à l’organisationdu ministère de la Culture,

10 mai 1982Article premierLe Ministère chargé de la culture a

pour mission : de permettre à tous les Fran-çais de cultiver leur capacité d’inventer et decréér, d’exprimer librement leurs talents et derecevoir la formation artistique de leur choixde préserver le patrimoine culturel nationalrégional ou des divers groupes sociaux pour leprofit commun de la collectivité tout entière ;de favoriser la création des œuvres de l’art etde l’esprit et de leur donner la plus vaste au-dience ; de contribuer au rayonnement de laculture et de l’art français dans le libre dia-logue des cultures du monde.

Article 2L’administration centrale du Minis-

tère de la Culture comprend :– la Direction de l’administration générale ;– la Direction du développement culturel ;– la Direction des archives de France ;– la Direction du livre et de la lecture ;– la Direction du patrimoine ;– la Direction des Musées de France ;– la Direction du théâtre et de spectacles ;– la Direction de la Musique et de la Danse.– La Délégation aux arts plastiques.

Sont, en outre, rattaché au Ministère :– le Centre national de la Cinématographie ;– le Centre National d’Art et de de Culture

Georges Pompidou ;– le Secrétariat Général du FIC.

Relèvent directement du Ministre :– l’Inspection générale de l’Administration ;– le bureau du cabinet et le service de presse

et d’information.Article 3Des arrêtés du Ministre de la Culture

précisent la Mission et l’organisation dechaque direction ou service

Article 4Sont abrogées toutes dispositions an-

térieurs contraires au présent décret, et no-tamment celles du décret n°79-355 du 7 mai1979.

Article 5Le Ministre de la Culture est chargé

de l’exécution du présent décret qui serapublié au Journal Officiel de la RépubliqueFrançaise.

Un autre texte fondateur tiendra lieu de commentaire : le rapport du Commissariat au Plan paruen novembre 1982 sous le titre « l’Impératif culturel » trace au chapitre « démocratisation culturelle »les grandes lignes du programme socialiste.

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La démocratisation culturelle

Il faut ici distinguer entre le mythe etla réalité : le mythe de la « démocratisation »consistait à croire à l’existence d’un public ho-mogène réceptif à une culture elle-même suppo-sée universelle, et susceptible de s’élargir indéfi-niment pour peu que les facilités matérielles dese « cultiver » lui fussent données. C’est cetteillusion que l’expérience a démentie : le finan-cement par l’État des « secteurs artistiques »est inversement proportionnel à leur fréquenta-tion et d’une façon générale, la politique de dé-veloppement des équipements menée depuis lacréation des Affaires culturelles en 1959, n’a pasréduit les inégalités d’accès aux institutions

Enfin la gestion par l’État de ses insti-tutions nécessite la formation d’administrateursqualifiés. Or il n’y a pas en France de forma-tion intiale organisée des administrations cultu-rels (agents de l’administration et de la planifi-cation culturelle, décideurs locaux et régionaux,gestionnaires d’institutions. . . ), en raison sansdoute du fait que l’on a vécu sur l’idée que laculture constituait un domaine facile à appré-hender et ne nécessitant pas, pour le gérer, decompétences particulières

La réalité a contredit totalement cet apriori : à la fois en raison des masses financièresqu’elle met en jeu, des systèmes juridiques com-plexes sur lesquels elle repose parfois, de la com-pétence en matière de gestion qu’elle exige, lapolitique culturelle nécessite d’être, à tous les ni-veaux, élaborée et mise en œuvre par des agentsbien formés.

Une formation des administrateurs cultu-rels devrait en conséquence être mise en place.Qu’elle prenne la forme d’un système d’enseigne-ment supérieur spécifique ou qu’elle s’insère dansdes formations existantes (. . . )

La culture « cultivée » ne touche qu’uneminorité des Français. Un très vaste public, va-riant selon le cas de 90 à 70 % de la popu-lation, ignore les institutions subventionnées etle taux de leur fréquentation reflète les inégali-tés sociales, aggravées par des inégalités géogra-phique.

Il ne s’ensuit pas pour autant que la dé-fense de la culture cultivée et les efforts pouren élargir l’accès (même si ceux-ci ne peuventpas être à la hauteur des espérances) doiventêtre abandonnés. la leçon qu’il convient de rete-nir est d’un autre ordre : nous devons admettreque la culture nationale, en perpétuelle muta-tion, est le fruit d’apports divers, parmi lesquelsla culture cultivée mérite une attention particu-lière et des interventions spécifiques, mais ne bé-nificie a priori d’aucun privilège. Elle est certesle dénominateur commun des catégories socialesles plus favorisées. Elle ne doit pas avoir la pré-tention d’être seule à laisser des traces dans lamémoire collective. Il faut s’habituer à l’idée queles affluents divers, d’importance inégale maiségalement dignes d’intérêt, contribuent à formercet ensemble hétérogène que constitue la culturefrançaise.

Dans les faits, ce renouveau se traduit par la reconnaissance de la pluralité des cultures : l’Étataccorde sa reconnaissance à des arts réputés mineurs ou illégitimes en fondant un Musée de la BandeDessinée ainsi qu’un Centre des arts de rue, et en patronnant des Festivals de rap ou des expositionsde tags. D’autres actions visent à promouvoir l’expression culturelle, dans un « esprit de fête »revendiqué par le Ministre (avec des manifestations comme la Fureur de Lire ou, bien sûr, la Fêtede la Musique).

Ce brouillage des hiérarchies traditionnelles est amplifié par la confusion nouvelle de la cultureet des « industries culturelles » au sein d’un grand « tout culturel ». Cette politique radicalementnouvelle, et fort éloignée de la doxa socialiste, peut se résumer dans le célèbre slogan de Jack Lang :« culture et économie, même combat ». Cela crée une ligne de clivage au sein de l’administrationentre le « ministère des artistes », chargé du soutien à la création, et le « ministère des industries

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culturelles » qui conduit une véritable politique économique.

• Une évolution peu mise en cause

Malgré les critiques acerbes dont il fait l’objet le Ministère de la Culture langien prend très tôtun caractère exemplaire. Le Ministre renoue en effet avec le panache de Malraux, et accompagnele Président dans des voyages diplomatiques et à l’UNESCO ou il défend la conception françaised’« économie mixte culturelle », qui suppose une large intervention de l’État et la préservation d’unsecteur artistique subventionné. De nombreux pays, en Europe surtout, se dotent à l’image de laFrance d’un Ministère de la Culture. Enfin, la politique de Jack Lang n’est que légèrement amendéelors des deux cohabitations : s’ils se réclament plus explicitement de l’héritage de Malraux et fontdavantage porter leurs efforts sur le patrimoine et l’enseignement artistique, François Léotard (1986-1988) et Jacques Toubon (1993-1995) ne reviennent pas sur les initiatives socialistes, qui ont la faveurde l’opinion publique.

Les années Lang ont donc permis d’étendre le champ d’action de la politique culturelle :l’État devient alors « ANIMATEUR DU TOUT CULTUREL », au prix d’une dissolution– voire d’une dénaturation, selon Jacques Rigaud pour qui la « politique du divertissement »conduit à une « perte de sens » – qui dresse de nombreuses personnalités contre le gouvernement.La « fin de règne » de Jack Lang est marquée par une « révolte des intellectuels », dont nousessaierons de comprendre les enjeux dans nos Éléments de politique culturelle. La politique denomination doit alors beaucoup à la faveur et donne parfois à la rue de Valois l’allure d’une« Cour », où quelques créateurs règnent en maîtres.

La priorité est en effet accordée à la création, ce qui favorise le corporatisme et la secto-risation, éventuellement nuisibles à la qualité de la production (les artistes sont parfois accusésde se soucier davantage des attentes de leur ministère que de leurs propres inspirations) et àl’intérêt général. Toutefois, la déconcentration a fini par avoir raison du « désert français », etle volontarisme des municipalités est désormais de nature prêt à supplanter les défaillances del’État en cas de rigueur budgétaire.

À la veille de la débâcle électorale des socialistes en 1993, plus d’un Français sur deux sedéclare très satisfait de la politique de Jack Lang – et c’est sans doute au peuple qu’il convient,en matière de démocratie culturelle, de lasser le dernier mot.

2 Depuis 1993, une « fin de l’histoire » de la politique culturelle ?

• Les raisons de la crise

Fragilisée par la récession économique qui atteint la France, la position financière du Ministère sedégrade pendant la deuxième cohabitation, en l’absence de soutien présidentiel ; c’est d’ailleurs l’undes handicaps majeurs du Ministère de la Culture, dont la santé financière nécessite une entente sansfaille entre les différents échelons de l’exécutif. À cet égard, l’administration culturelle pâtit beaucoupde la cohabitation, et peut-être plus encore de l’indifférence mal dissimulée de Jacques Chirac pour laculture (le Président aurait un jour déclaré à l’un des ses proches qu’« un quart d’heure de mauvaisemusique vaut mieux qu’une demi-heure de bonne ») ainsi que de la passivité de Lionel Jospin, quiaccorde peu de place à la politique culturelle dans son programme politique essentiellement axé surles réformes sociales.

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L’objectif largement consensuel de 1% du budget de l’État pratiquement atteint, il ne reste plusau Ministère qu’à reconduire les crédits d’année en année ; sa marge de manœuvre est d’autant plusréduite que l’entretien des Monuments construits à l’époque des Grands Travaux absorbe une partnon négligeable de ses ressources. Enfin, le lien privilégié que Jack Lang avait réussi à établir entrele ministère et les créateurs se distend peu à peu avec des ministres moins médiatiques.

C’est donc une impression d’essoufflement que donne le ministère dans les années 1990, périodeoù s’engage parallèlement une réflexion sur sa refondation.

• Une refondation inachevée.

En 1996, le centriste Philippe Douste-Blazy, alors Ministre de la Culture, charge Jacques Rigaud,ancien directeur de cabinet de Jacques Duhamel et auteur, l’année précédente, d’un essai présentantses conceptions de la politique culturelle (L’exception culturelle. Culture et pouvoir sous la V

e Ré-publique) de diriger les travaux d’une commission pour la refondation de la politique culturelle. Lerapport résumant ses conclusions part de « quatre constatations :

– une partie des activités culturelles initiées par l’État échappe au ministère de la Culture– la culture scientifique et technique est largement sous-représentée dans le champ culturel– les rapports des jeunes à la culture sont paradoxaux et insaisissables– le champ de l’action culturelle n’est plus semblable à ce qu’il était dans les années 50 » (Source :

CHMC*)Partant, il réaffirme le rôle essentiel de l’État en matière de formation, d’expertise, de régulation,

de pluralisme et d’innovation – réquérant toutefois un aggiornamento de la politique culturelle, quipermette de « bâtir le socle d’un projet nouveau qui, prenant en compte l’existant, l’étende, le hausseet le renouvelle » grâce à :

– l’encouragement de l’enseignement des arts à l’école et tout au long de la vie, affirmant que« l’éducation artistique et culturelle est un droit permanent du citoyen ».

– la création, au sein du ministère, d’une délégation aux industries culturelles, apte à maîtriserles questions que posent à la création et à la diffusion les évolutions actuelles des industriesculturelles.

– une réorganisation administrative, rendant au Ministère son ancien nom de Ministère des Af-faires Culturelles, le rapprochant des services culturels du Quai d’Orsay et favorisant les re-groupements entre Directions

– un renouveau des rapports entre l’État et les collectivités locales poussant encore plus loin lalogique de contractualisation tout en renforçant la présence du Ministère à l’échelon local parla remise à flot des DRAC.

– la mise en œuvre d’une politique du patrimoine des industries culturelles.

La plupart de ces recommandations ont été prises en considération par le Ministre, et certainesdéboucheront sur des réformes importantes (des efforts seront accomplis en faveur de l’enseignementartistique, et la structure du Ministère sera simplifiée) ; toutefois, le processus n’ira pas à son terme,étant interrompu en 1997 par la dissolution et le changement de majorité.

• De nouveaux défis

En déclarant dans son rapport que « l’action culturelle doit accomplir la République », JacquesRigaud résumait en une jolie formule la raison d’être de la politique culturelle. Cette préoccupationsera d’ailleurs essentielle pour un Ministère qui aspire, dans la seconde moitié des années 1990, à jouer

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un rôle déterminant dans la réduction de la fracture sociale et à « réinsérer la politique culturelle aucœur du pacte républicain ».

Mais un autre défi mobilise l’administration à la fin des années 1990 : l’ « exception culturelle »,dont le principe est défendu par les représentants français lors des négociations sur l’AMI* en 1998.Ce combat pour une mondialisation respectueuses des cultures nationales se mène à l’échelon inter-national, mais aussi européen : en effet, l’UE doit arrêter une position commune avant le sommet deSeattle en 1999, et se range finalement à l’avis de la France en s’engageant à obtenir

« la possibilité pour les États-membres de préserver leur capacité (. . . ) à mettre en œuvre despolitiques culturelles et audiovisuelles pour la préservation de la diversité culturelle »

La position française ne fait certes pas l’unanimité mais suscite l’adhésion de nombreuses nations :la récente adoption de la charte sur la diversité culturelle de l’UNESCO montre bien l’influence quela France a su conserver dans ce domaine.

L’action du Ministère semble à présent englober politiques culturelles, économiques etsociales ; c’est la le trait saillant d’un type-idéal d’État culturel « PARTENAIRE SOCIAL »,acteur central d’un secteur mixte d’économie culturelle dont la santé dépend largement de sonaction régulatrice, à l’échelle française ou mondiale. En l’absence de fort soutien présidentiel,l’administration proprement culturelle a perdu de son prestige et n’est plus au cœur des débatsde société

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Conclusion

De la reconnaissance de la propriété intellectuelle au combat pour la diversité culturelle se sontécoulés deux siècles d’une histoire tourmentée mais aussi remarquablement continue, qui porteconstamment la marque de ce que J. Rigaud nomme la « préférence pour l’institution ». La vi-talité inégalée de la vie culturelle française actuelle est largement tributaire de cette longue traditiond’action publique, qui rencontre dans ce domaine l’un de ses plus éclatants succès.

Tout en s’incarnant sous des formes constamment changeantes, la politique culturelle paraîtsoumise dès ses origines à des tendances de fond qui se sont renforcées au cours des trente dernièresannées, en particulier :

– son institutionnalisation progressive par l’étoffement de l’administration– sa déconcentration permettant une homogénéisation territoriale de l’offre culturelle– sa décentralisation laissant davantage l’initiative aux acteurs locaux, esquissant ainsi une

possible « démocratie culturelle de proximité ».– son extension par l’ajout de missions sociales et économiques aux attributions du Ministère– sa privatisation par l’appel aux industries pour le financement de la culture et l’introduction

des principes de l’économie de marché au sein même du « secteur culturel »– sa dépolitisation avec l’abandon progressif de la mystique des « forces de l’esprit » qui avait

un temps permis à la gauche de s’arroger un véritable monopole de l’action culturelle, et laréflexion d’une droite avertie par sa défaite de 1981.

Ces évolutions marquantes sont toutefois loin d’entraîner une convergence des différentes doc-trines se référant à l’un ou l’autre des types-idéaux d’action culturelle que nous avons établis. Lesdébats récents en sont la preuve : la politique culturelle révèle, voire amplifie les blocages et tensionsimperceptibles qui sont à l’œuvre dans la société française. Elle est devenue, quoi qu’en pensent sesdétracteurs, une fonction vitale de l’État. Toutefois, ses effets demeurent bien dérisoires en l’absenced’une politique de l’éducation : après avoir échoué devant la « fracture sociale », peut-elle encoreprétendre apporter une solution purement culturelle aux maux de notre temps ?

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Index des sigles et abréviations utilisés

– AMI : Accord Multilatéral sur l’Investissement

– BCP : Bibliothèques Centrales de Prêt

– CHMC : Comité d’Histoire du Ministère de la Culture

– CNAC : Centre National d’Art Contemporain

– CNC : Centre National du Cinéma

– CNR : Conseil National de la Résistance

– COIC : Comité d’Organisation des Industries Cinématographiques

– DATAR : Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale

– DRAC : Délégation Régionale aux Affaires Culturelles

– FIC : Fonds (interministériel) d’Intervention Culturelle

– FNCCC : Fédération Nationale des Centres Culturels Communaux

– MAC : Ministère des Affaires Culturelles

– ORTF : Office de la Radio-Télévision Française

– SER : Service d’Etudes et de Recherches

– TNP : Théâtre National Populaire

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Références

[1] Marc Fumaroli. L’État culturel, Essai sur la religion moderne. Paris, éditions de Fallois, 1991.

[2] Jeanne Laurent. La République et les Beaux-Arts. Paris, Julliard, 1955.

[3] Philippe Poirrier. L’État et la culture en France au XXeme siècle. Paris, Le Livre de Poche,

2000.

[4] Jacques Rigaud. L’exception culturelle. Culture et pouvoir sous la Ve République. Paris, Grasset,

1996.

[5] Maryvonne de Saint-Pulgent. Le Gouvernement de la culture. Paris, Gallimard, 1999.

[6] Philippe Urfalino. L’invention de la politique culturelle. Paris, La Documentation Française,1996.

[7] Emmanuel de Waresquiel (dir.). Dictionnaire des politiques culturelles de la France depuis1959. Larousse-CNRS Éditions, 2001.

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Deuxième partie

Éléments de politique culturelle

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« Le conseil qu’Isocrates donne à son Roy ne me semble sans raison : qu’ilsoit splendide en meubles et ustensiles, d’autant que c’est une despence

de durée, qui passe jusques à ses successeurs ; et qu’il fuye toutesmagnificences qui s’escoulent incontinent et de l’usage de la memoire.

(. . . )l’Empereur Galba, ayant pris plaisir à un musicien pendant

son souper, se fit apporter sa boëte et luy donna en sa main une poignéed’escus qu’il y pescha avec ces paroles : ’ce n’est pas du public, c’est

du mien’. Tant y a qu’il advient le plus souvent que le peuple a raison,et qu’on repaist ses yeux de ce dequoy il avoit à paistre son ventre. Lalibéralité mesme n’est pas bien en son lustre en mains souveraines ; lesprivez y ont plus de droict ; car, à le prendre exactement, un Roy n’a

rien de proprement sien ; il se doibt soy-mesme à autruy. »

Montaigne, Essais, III,6.

Introduction

« La politique culturelle est un non-sens ; elle n’aurait jamais dû exister ». À en croire HuguesGall, ancien directeur de l’Opéra de Paris, il semble que la légitimité d’un Ministère de la Culturequi fêtera ses cinquante ans en 2009 ne se soit toujours pas imposée comme une évidence. A l’heurede la rationalisation des choix budgétaires, l’administration culturelle paraît vivre perpétuellementau-dessus de ses moyens ; parent pauvre du budget de l’État, le Ministère fait aussi figure de filsprodigue auprès des économistes de Bercy, dont les plus littéraires en viennent à se demander pourquoila France, au mépris des conseils d’Isocrate, accepte de sacrifier ses fonds publics au service demanifestations culturelles « qui s’escoulent incontinent et de l’usage de la memoire ».

Mais au juste, qu’est-ce qu’une politique culturelle ? L’entretien des Châteaux de la Loire oul’organisation d’un Tecknival à Rennes ? La création d’un Musée des Arts du Cirque à Chalon, ou lacérémonie faisant Jerry Lewis Chevalier des Arts et des Lettres ? La défense de la diversité culturelleà l’UNESCO ou la lutte contre la malbouffe ? Un blocage d’intermittents place du Capitole ? La Fêtede la musique, la préemption du manuscrit de Voyage au bout de la nuit, la réfection de l’Odéonou la promotion de l’année « étonnante Lettonie » ? La proposition de loi établissant une licenceglobale de téléchargement, la décision du CSA classant Baise-moi dans la catégorie « film X », oule choix des boutons de manchette du Ministre pour la montée des marches au festival de Cannes ?La construction de la Pyramide du Louvre ? les 35 heures ? Bret Easton Ellis au Salon du Livre ouJean Vilar à Avignon ?

L’inflation est galopante. A en croire Jack Lang, (« Culturelle est l’abolition de la peine de mort !Culturelle, la défense des droits de la femme ! Culturelle, la réduction du temps de travail ! » - 17novembre 1981), culture et politique deviennent consubstantielles, ce qui ne simplifie pas notre travailde définition. Et pourtant, à y regarder de plus près, le foisonnement des politiques culturelles estsous-tendu par de profondes oppositions de principe, qui émergent dans nombre des débats actuels.De plus, il convient de distinguer entre les politiques culturelles mises au service d’objectifs précis etimmédiats et la politique culturelle, « fonction vitale de l’État », d’essence démocratique, qui vise à

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créer grâce au partage de la culture une communauté nationale cimentée par l’esprit. Ce but ultimefait l’unanimité ; mais comment y parvenir ?

Pour le peuple, par le peuple ? Démocratie ou démocratisation ? culture classique et hiérarchiséeou « tout culturel » ? Culture-patrimoine ou culture-avenir ? Mondialisation culturelle ou identitélocale ? Culture au singulier ou « culture au pluriel » ? Tout au long de notre réflexion, nous seronsamenés à définir ces termes, et à voir comment ils s’incarnent dans les débats les plus contemporains.

Mais si séduisante que soit cette impeccable dialectique, elle nécessite un complément d’analyseque nous apporteront les sciences économiques et sociales, qui trouvent dans le champ de la cultureun terrain d’investigation original. Les données en la matière ne manquent pas, et proviennent dediverses sources : enquêtes annuelles de l’INSEE, enquêtes « pratiques culturelles » du Ministère,comptes de la Nation, etc. (cf. bibliographie).

Ces précautions prises, voici donc quelques éléments de politique culturelle.

VI Problèmes organisationnels

1 Un problème d’échelle

"The nation-state is becoming too small for the big problems of life, and too big for the smallproblems of life." Le célèbre jugement de Daniel Bell, émis en 1995, passe pour n’avoir rien perdu desa pertinence. Dans quelle mesure s’applique-t-il au domaine de la Culture ?

• L’État culturel est-il trop grand pour s’occuper des petites choses ?

Les échelons déconcentrés existent et la décentralisation est depuis plusieurs années une obligationlégale. Mais la réalité de la décentralisation est toute autre : tout se passe comme si le ministèrede la Culture restait la seule autorité, compétente et supérieure, à laquelle s’en remettent peu ouprou les collectivités territoriales. Elles n’ont pas pour la plupart de politique culturelle propre etne concrétisent pas le projet décentralisateur, laissant l’initiative à un État myope, peu souple etpeu mobile, en raison de son imposant gabarit. Il faut établir ce que nous venons de dire sur ladécentralisation.

• Quelle décentralisation ?

Des lois Deferre de 1982 à la loi Raffarin de 2003, le mouvement de décentralisation est amorcéqui opère un transfert de compétence vers les collectivités territoriales (ville, département et région).Ce processus est censé mettre fin à la toute-puissance du préfet et s’oppose ainsi à la logique dedéconcentration. D’après Luc Rouban, elle se matérialise par une « multiplication des instances dedécision ».

• Qu’en est-il dans le domaine de la Culture ?

Première différence : dans un contexte décentralisation, le budget du Ministère de la culture a étédoublé, et sans que les collectivités ne s’élèvent contre ce renforcement de la puissance l’administrationculturelle centrale qui empêche une véritable décentralisation institutionnelle.

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Deuxième différence : il semble que le Ministère conserve la haute main sur les politiques culturellesrégionales, ce que Marc Fumaroli remarque, dans les manifestations culturelles locales, à l’omnipré-sence d’une phraséologie et d’une esthétique qui sont celles du Ministère. Ainsi pointe-t-il dans lespremières pages de L’État culturel, à propos de la promotion des arts plastiques en Provence, un« [. . . ] mythe bureaucratique hexagonal, qui se fait fête à lui-même dans son propre langage, sansse soucier le moins du monde ni de la Provence, ni de son attente, ni de ses aspirations les plusmodestes. » Pourtant, cette manifestation relève exclusivement du Conseil régional de Provence.Nous sommes en présence d’un cas d’espèce : une initiative locale, permise par la décentralisation,qui cherche à se doter de la caution de l’administration centrale, dût-elle pour cela en emprunter lejargon.

Cette anecdote est caractéristique de la situation des collectivités. Il semble qu’elles n’aient passu établir de critères d’évaluation de leurs politiques culturelles et qu’elles soient alors rassurées parl’obtention du « label » de l’État, à travers la reconnaissance du Ministère de la culture. La relativejeunesse des collectivités territoriales ne leur confère pas la longueur de vue de l’État ni son expertiseau moment d’arbitrer entre différentes politiques. De là découle la prééminence persistante d’unecoloration même lexicale des politiques culturelles locales par des administrations locales non encoresociologiquement émancipées.

L’attitude des institutions a une conséquence directe sur les artistes : pour eux non plus il n’ya pas eu de décentralisation réelle : un artiste doit encore, pour se faire connaître, travailler etmontrer son travail à Paris ou en Ile-de-France. Le rapport d’Alain Quemin et Clara Lévy, Carrières,qualifications et compétences, rendu au Département des Etudes et de la Prospective du Ministèrede la Culture et de la Communication en août 1999, a enregistré l’échec de cette décentralisation liéeà la représentation erronée d’un marché international investissant nos régions. Sa réception pour lemoins crispée révèle que, derrière la critique du modèle, les intermédiaires y ont lu la mise en causede leur statut d’experts.

Du point de vue de la décentralisation, le domaine de la culture n’a pas suivi la voie décritepar Bernard Spitz et Roger Fauroux dans Notre État, qui voyaient avec elle le passage d’une gestionpyramidale à une gestion polycentrique dans laquelle l’État joue un rôle d’animateur dont les principesd’action sont fondés sur le partenariat, la synergie et la subsidiarité.

• L’État est-il trop petit pour s’occuper des grandes choses ?

L’État est-il le niveau pertinent pour peser dans les arbitrages internationaux concernant laCulture ? Quelles marges de manœuvre budgétaires ?

Le déficit de taille qu’accuse l’administration culturelle est frappant en ce qui concerne la questionbudgétaire. En effet, les charges fixes et irréductibles accaparent la majeure partie du budget de laCulture, laissant peu de place à l’initiative et au soutien à la création. Et les effets de la loi organiquerelative aux lois de Finance ne se font pas encore sentir (ce point sera développé plus loin). Lesmarges de manœuvre sont très faibles.

• La France a-t-elle une place dans le concert des nations ?

Apparemment pas à l’OMC où la voix de la France s’exprime à travers celle de l’Union Euro-péenne, quel que soit le sujet. Remarquons toutefois qu’en matière culturelle, la position de la Frances’étend assez systématiquement au reste du groupe pour en devenir la ligne commune. Ainsi lors desnégociations portant sur les biens culturels la France a-t-elle pu imposer ses vues grâce au soutien

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immédiat de la communauté européenne. Concrètement, la France a réussi en 1993 à maintenir lesecteur audiovisuel hors du champ des biens concernés par la clause du traitement national et celle dela nation la plus favorisée, faisant valoir l’exception culturelle. Cette doctrine a fait irruption dans ledébat public en 1993 lors des négociations commerciales de l’Uruguay Round. Selon elle, les biens etles services culturels ne peuvent se réduire à leur seul aspect marchand et doivent donc être soustraitsdes négociations de libéralisation des échanges.

L’exception culturelle concerne tout particulièrement l’industrie du cinéma. Elle a permis à plu-sieurs reprises le maintien des aides et des quotas audiovisuels, malgré l’hostilité des Américains,qui arguent par exemple de ce que la taxe prélevée sur les prix des billets d’entrée dans les cinémasconduit à financer le cinéma français. Ainsi l’exception culturelle est mise en avant avec succès en 1993lors de l’Uruguay round, en 1998 lors de la négociation de l’Accord Multilatéral sur l’Investissementet en 1999 avec le projet de création d’une zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unispuis avec la conférence de l’OMC à Seattle.

Cette voix française et singulière se fait également entendre à l’occasion des Conférences desMinistres européens de la Culture, dans lesquelles la France est considérée comme un « hôte demarque » d’après M. Pariente, car sa politique culturelle en fait un exemple envié et unique. Uniquemais seul aussi car si ces rassemblements laissent apparaître une convergence de vues, l’établissementd’un budget communautaire calqué sur le modèle français a peu de chances pour autant de voir lejour, en raison des spécificités nationales.

• Quelles politiques européennes de la culture ?

La régionalisation de la politique culturelle semble passer par des politiques unilatérales - fran-cophonie, Maisons de la France, centres culturels- ou bilatérales, comme le Goethe Institut. Et àl’échelle de l’Union ?

Jean Monnet aurait eu ce mot fameux, sans doute apocryphe : « si j’avais à refaire, je commen-cerais par la culture ». Dès 1949 sont créés la conférence européenne de la culture à l’instigationdu Mouvement européen, un Centre européen de la Culture, des instituts d’études européennes, deschaires européennes dans certaines universités, mais la réalisation la plus importante est le Conseilde l’Europe créé en 1949, à l’initiative de dix États : Bénélux, Danemark, France, Irlande, Italie,Norvège, Royaume-Uni et Suède.

En matière culturelle les avancées comme le programme « Culture 2000 » relèvent plus de l’actionculturelle que de la politique culturelle, davantage dotées symboliquement que financièrement, malgréun volontarisme européen certain sur cette question, en témoigne le front uni à l’OMC. Attardons-nous sur ce programme. Il est né le 22 septembre 1997, de la demande du Parlement européen etdu Conseil des ministres à la Commission de présenter "une approche directrice globale et trans-parente pour l’action culturelle, y compris, entre autres, l’établissement d’un instrument unique deprogrammation et de financement."

L’objectif est double : rationalisation – "une approche directrice globaleet transparente" – aprèsdes années de « saupoudrage » peu visible et peu efficace, et une centralisation – "un instrumentunique de programmation et de financement". Ces deux éléments constituent les fondements d’unepolitique culturelle. Ce changement institutionnel est donc important car il entérine le nouveaustatut que revêt la culture dans la construction européenne. Toutefois, la conclusion du rapport dela Fondation Robert Schuman Pour une politique culturelle est très claire : « une politique culturelleà construire » et d’abord à doter : tant que les moyens seront limités à 0 ,03% du budget de l’Union,toute reconnaissance ne pourra n’être que symbolique.

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2 Une répartition opaque des rôles et du pouvoir de décision

• Quels sont les effets de la sectorisation ?

La sectorisation a longtemps poussé les créateurs à épouser par leurs projets la structure admi-nistrative du Ministère de tutelle, divisé en Directions (du Livre, du Patrimoine, etc.) dont l’avisimporte plus que l’inspiration initiale ou le succès auprès du public. Cette bureaucratie parfois stéri-lisante montre a contrario l’utilité du mécénat d’entreprise, peu soucieux d’équilibre sectoriel et doncplus enclin à accorder ses deniers à des projets « transversaux » (cf. notre entretien avec JacquesRigaud). L’administration Trautmann a tenté récemment d’y remédier en regroupant la Musique, laDanse, le Théâtre et les Spectacles au sein d’une même Direction.

• Pourquoi faut-il simplifier l’administration culturelle ?

Aujourd’hui, la multiplication des offreurs de subvention (Ministères, DRAC, IFCIC, collectivitésterritoriales) est telle qu’elle entraîne une certaine inefficience dans l’allocation des ressources. Leproblème est compliqué par la rivalité entre deux ministères concurrents : la rue de Valois et leQuai d’Orsay, qui a gardé le contrôle de l’action culturelle extérieure. Les décrets fondateurs duMinistère de la Culture lui assignent pourtant de faire connaître l’art français à l’étranger ; mais enl’absence de partenariat, l’administration culturelle française ne parle pas d’une seule voix sur lascène internationale. Ainsi, le Ministère de la Culture peut se vanter de soutenir des projets culturelsinternationaux, mais ne peut rien faire pour empêcher la fermeture de centres culturels à l’étranger.

• Comment contrôler la politique de nomination ?

Selon tous ses détracteurs (et la plupart de ses collaborateurs), l’administration de la rue deValois fourmille de prébendes, passe-droits et autres privilèges. Les effets de réseaux s’y font sentirtant dans le recrutement que dans la politique de subvention, avec d’autant plus d’acuité que lescompétences requises (culture, jugement artistique d’un côté ; créativité et talent de l’autre) relèventd’une appréciation particulièrement subjective qui rend difficile toute promotion méritocratique. Lesconséquences sont visibles : loin de l’esprit du Conseil des Beaux-Arts (cf. dossier historique), lecabinet du Ministre est constitué quasi exclusivement d’anciens élèves de l’ENA parfois mal informésdes réalités du milieu artistique.

Par ailleurs, les opinions du Ministre, du chef de l’État ou de leur proche entourage sont souventplus déterminants lors d’une nomination que les qualifications propres du candidat ; c’est pourquoiil semble souhaitable de revenir à plus de collégialité et de transparence dans le fonctionnement del’administration.

3 Un Ministère du Goût ?

« Qu’il est bon de ne point mépriser ce que la foule admire », écrivait Gide dans son Journal. Etpourtant, qu’il est difficile pour certains artistes de se soumettre au jugement de goût d’un tribunalpopulaire ! Tocqueville, dans sa première Démocratie en Amérique, craignait déjà pour la surviedes « grands genres » (poésie, tragédie, épopée), menacés par des formes plus « démocratiques »(comédie, roman) : en soumettant les oeuvres au suffrage des masses, la société libérale qu’il décritrisque d’anéantir l’art véritable, qui exige une effort du public.

Le jugement de goût, pour autant, est resté en France l’apanage d’une élite artistique et intellec-tuelle (Pierre Bourdieu en étudie les stratégies dans sa célèbre étude de La Distinction), que Malraux

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a cherché à rattacher au Ministère des Affaires Culturelles dès les années 1960. Cette collusion entrele monde des Beaux-Arts et l’administration culturelle a donné à l’État une réputation méritée d’ex-pertise esthétique, dont les effets se font sentir de nos jours. Les politiques locales de la culture,par exemple, s’en ressentent : c’est en général à l’État central que revient l’évaluation de la qualitéd’un projet, tandis que les collectivités locales concernées s’en tiennent à un rôle de financement etd’organisation logistique. Il existe en vérité un « label État » (Thierry Pariente) qui garantit la valeuresthétique d’une création subventionnée ; c’est l’une des raisons pour lesquelles le mécénat privé estconsidéré avec méfiance par certains artistes.

Des situations précises viennent toutefois révéler les défaillances de ce « partage des tâches »,comme lorsque les abonnés de l’Opéra de Montpellier découvrent, mi-figue mi-raisin, le programmepeu accessible qu’a concocté l’État central avec les deniers de la commune. Le coût économique d’unmauvais spectacle est alors supporté par les acteurs locaux sans qu’ils aient eu voix au chapitre.

4 Un budget sans cesse menacé

Comme le relate Marc Fumaroli dans l’État culturel, la question du budget de la Culture estl’objet d’un soupçon permanent et historique du Ministère des Finances. Il montre en effet dans lepassage « Carême contre Carnaval » que le Ministère des Finances voit dans son homologue de laCulture un glouton dispendieux doublé d’un mauvais gestionnaire. L’analyse historique révèle ainsila sensibilité de ce budget aux retournements de conjoncture. Ainsi, sans l’arbitrage du Président,comme Mitterrand, ou du Premier Ministre, comme Pompidou, ses ressources peuvent pâtir de sou-daines coupes budgétaires.

• Quelles ressources ?

Alexandre Siné modélise l’évolution du budget de l’État en la comparant à « un serpent dansun tunnel ». L’augmentation des dépenses de l’État est de plus en plus linéaire et régulière, ce quimarque le renoncement de fait aux grandes relances depuis 1983. Mais elle se fait selon un rythmede progression de moins en moins soutenu, ce qui témoigne d’une certaine maîtrise des dépenses. Nidiminution, ni emballement : les dépenses de l’État augmentent désormais lentement, mais sûrement.

Et les dépenses du Ministère de la Culture ? Elles croissent à une cadence supérieure et plusirrégulière, par à-coups, au rythme des alternances politiques. En 50 ans, les moyens de la politiqueculturelle se sont fortement accrus. Le budget du ministère en 1960 ne représentait que 0,38% dubudget de l’administration centrale. Mais la progression fut ensuite régulière, les crédits doublanttous les dix ans en termes réels, jusqu’en 1990. En euros constants, les moyens du ministère ontaugmenté de 775% depuis 1959, de 400% depuis 1970, de 177% depuis 1980 et de 28% depuis 1990.

• Quel emploi des ressources ?

Alexandre Siné dresse le constat suivant de l’évolution de l’emploi des ressources de l’État.« D’un point de vue qualitatif, l’évolution de la structure des dépenses de l’État montre uneforte rigidification, avec une augmentation très importante de la part des dépenses de l’Étatles plus rigides à court et à moyen terme. La politique budgétaire est désormais, au niveaumacroéconomique, de plus en plus prédéterminée par son passé : toutes choses égales par ailleurs,la marge de manoeuvre qui se dégage naturellement de la croissance est maintenant absorbéepar l’évolution spontanée des dépenses. La rigidité à court terme s’impose aux acteurs politiquesqui doivent arbitrer entre des prélèvements difficiles à augmenter, des ressources compliquées àredéployer, des déficits à contenir et des projets à financer. »

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Fig. 1 – Évolution du budget de ministère de la Culture, 1961-2004 (M€ courants)Source : Ministère de la Culture

La Culture ne fait pas exception et apparaît comme un accélérateur de cette tendance, un caslimite car la rigidification a atteint un point d’inertie budgétaire ramassé dans la formule de M.Pariente « Le 1

er janvier à minuit cinq, l’allocation des crédits du Ministère est finie.» En effet, 99,8%du budget est sanctuarisé ou pré-employé, alloué à des charges fixes comme l’entretien du patrimoineou à des institutions de tutelle. Il n’y a pour ainsi dire aucune marge de manœuvre. Le Ministèren’est plus à cet égard qu’un gestionnaire de patrimoine, organe administratif de reconduction dessubventions, écrasé par un très lourd héritage. Chargé d’assurer la continuité du service public, ilcherche d’abord à remplir cette mission dans laquelle il use toutes ses forces, dont il ne lui reste quepeu pour la politique culturelle.

• Quel est l’impact de la LOLF ?

Les réflexions que nous avons conduites jusqu’ici l’étaient dans l’ancien cadre de loi de finances,qui fractionnait le budget de l’État en enveloppes ministérielles. Les nouvelles dispositions de la loiorganique relatives aux lois de finances du 1

er août 2001 prévoient de découper le budget en 34missions, 133 programmes et 580 actions. C’est rompre avec l’autonomie des ministères au profitd’une logique de performance, car chaque mission est rediscutée chaque année, doublée d’une logiqueinterministérielle. Cette loi apparaît, du moins en théorie, comme une incitation à l’innovation car

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elle permet une gestion plus souple et transversale. Concernant un ministère qui peut, au vu des rai-sonnements précédents, paraître s’ossifier, l’entrée en vigueur de cette loi pourrait briser la glaciationbudgétaire davantage soutenir la création.

5 Un « grand ministère » pour endiguer la menace ?

L’analyse historique montre que le ministère de la Culture souffre d’une position d’inférioritédans les arbitrages avec le ministère des Finances. D’où l’idée régulièrement relancée d’un projetde grand ministère qui regrouperait l’Education nationale et la Culture. Elle s’est déjà réalisée, demanière informelle et avec succès, à travers la communauté de vue qui unissait Jean Zay, ministrede l’Education et des Beaux-Arts, et Léo Lagrange, secrétaire d’État aux Sports et aux loisirs. Cetteproposition revient portée l’UMP dans la motion sur la Culture qu’elle a adoptée à l’issue de saConvention pour un projet populaire. Au regain de force dans les arbitrages ministériels, elle envisageégalement un projet qui lierait éducation et culture. Cela signifie intégrer la culture dans l’éducationet donner une véritable éducation culturelle aux élèves. La première de ses préconisations consistejustement à « Réunir dans un même ensemble l’Education nationale, la Culture et la direction dudéveloppement des médias car l’école et les médias sont les leviers principaux de la démocratisationculturelle ».

Cette proposition marque un retour à l’administration des Beaux-Arts telle que la souhaite MarcFumaroli, c’est-à-dire sous la forme d’un secrétariat d’État rattaché à l’Education nationale. MaisFrançoise Benhamou évoque des effets de prédation induits par ce regroupement, craignant quel’Education nationale phagocyte puis absorbe l’administration culturelle.

VII Vers une gestion sociale du « secteur culturel » ?

1 Le passage aux 35 heures dans le monde du spectacle vivant

La dernière réduction du temps de travail de 39 à 35 heures par semaine a profondément modifiéles rapports économiques et sociaux en France. Aucun secteur n’y a échappé. Il est intéressant d’enétudier les conséquences sur le secteur de la culture, le reste de l’économie faisant office d’expériencestémoins, pour établir, par comparaison, l’existence d’une gestion sociale du secteur de la culture.

• Comment s’est déroulé le passage aux 35 heures dans le secteur culturel ?

Il a été douloureusement vécu. Ainsi, dès le début des mobilisations de 2001, 70% du personneldu ministère de la Culture étaient en grève, provoquant la fermeture de 60 établissements. Le nœudde la discorde tient dans l’équation 35 heures = 36 h 15, ce que l’intersyndicale a refusé. Elle exigeune semaine de 35 heures pour tous, réclame que soient maintenus les congés acquis ainsi que lesacquis sociaux liés aux sujétions de pénibilité particulières, ainsi que le maintien de la référence heb-domadaire pour tous et création d’emplois statutaires, pierre d’achoppement de tout aménagementdu temps de travail susceptible de garantir une vraie qualité de vie. Sur ce dernier point, le mou-vement est apparu divisé puisque la Coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France estplus favorable à l’annualisation du temps de travail, pour atteindre le même objectif.

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• Cette loi a-t-elle été perçue de la même façon par tous ?

Non. Elle a mis au jour une fracture qui traverse les rangs des agents de la Culture. Un membrede la Coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France (www.cip-idf.org) la décrit ainsi :« J’ai l’impression que la distinction entre artistes et techniciens s’est creusée très concrètementdans les théâtres depuis le passage aux 35 heures. Par exemple, à l’Odéon, à cause des 35 heures, lespectacle dans lequel je jouais n’a pas pu être répété la veille de la première, et à Tourcoing, l’équipen’a pas pu répéter trois jours durant à deux jours de la première pour les mêmes raisons. On nesentait pas ça avant dans les rapports entre artistique et technique : tout le monde travaillait ce qu’ilfallait avant une première. L’application des 35 heures a entériné cette distinction entre artistes ettechniciens, elle acte déjà presque cette séparation.»

Ces protestations, ces divergences et ces divisions de vue ont considérablement ralenti les né-gociations sur la réduction du temps de travail et affaibli la cohésion des agents de la Culture. Lafermeté des pouvoirs publics à l’égard des agents de la Culture a été plus grande que pour les autres,quand elle n’a pas été sourde (ignoré ?) aux revendications, comme le Premier Ministre de l’époque,M. Jospin, ironiquement remercié par M. Gall pour son aide dans cette crise. L’adoption des 35hs’est faite dans un climat particulièrement tendu et pesant.

• Pourquoi ces tensions ?

Dans cette branche, plus que dans toute autre, il est difficile de ramener le travail au volumehoraire d’emploi. Puisque « le travail est quelque chose de plus que le travail » pour Hannah Arendt,le travail a une dimension culturelle, à plus forte raison un travail culturel. Ce redoublement del’importance symbolique dont est investi le travail culturel car il échappe à une définition qui selimiterait à un ensemble de gestes ou de tâches à accomplir dans des délais fixés a priori. De plus,La nature de ces emplois est une raison importante du choix de ces métiers, et, à travers eux, d’unemploi qui compte plus pour l’épanouissement personnel qu’il procure que par l’intérêt économique.Ces deux éléments rendent l’emploi culturel peu propice à une adaptation aisée et rapide aux 35heures et expliquent la violence des échanges.

Ils laissent aussi penser qu’une décision de politique générale doit être systématiquement adaptéeaux spécificités de la profession et doit être expliquée avec la plus grande pédagogie.

2 Le dossier de l’intermittence

• Qu’est-ce que l’intermittence ?

D’après la définition juridique, les intermittents sont des salariés en contrat à durée déterminée :toutefois leur statut est privilégié dans la mesure où ils bénéficient des mêmes droits que les détenteursd’un CDD ainsi que des mêmes droits et avantages que les salariés permanents qu’ils remplacent.

Le principe de l’intermittence fait l’unanimité. En effet, il est au fondement d’un régime quireconnaît que certains métiers, de par leurs amplitudes de travail décalées par rapport au reste de lapopulation active, sont des exceptions du monde du travail. Louable considération. Toute la difficultéétant de concilier cette particularité et l’intégration à la sphère du travail commune à tous.

• Comment fonctionne ce régime ?

Le système a été imaginé ainsi : la politique culturelle paie tout ce qu’elle doit payer, au justeprix de ce qu’elle décide d’encourager ; ensuite la politique sociale paie tout ce qu’elle doit payer,

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comme la réinsertion ; enfin l’assurance-chômage paie pour les artistes et techniciens « légitimes »,qui ont besoin d’une couverture tenant compte des spécificités de leurs métiers.

Mais ce n’est pas la situation décrite par Jean-Paul Guillot dans son rapport du 29 novembre2004, Pour une politique de l’emploi dans le spectacle vivant, le cinéma et l’audiovisuel :

« Au fil des années , l’ensemble des acteurs concernées se sont habitués à intégrer les prestationsde l’assurance chômage dans la fixation des prix et des rémunérations, faisant jouer à l’UNEDIC unrôle bien au-delà de la simple assurance chômage .» La dégradation a été amplifiée par la baisse durevenu des intermittents.

• Quels sont les profils des bénéficiaires ?

Le secteur de la culture compte 300000 salariés - dont 100000 intermittents. Cette population esttrès disparate. On remarque en effet que la moitié des 100000 indemnisés perçoivent de petits revenus,inférieurs à 15000 euros par an, ce qui est inférieur à la moyenne nationale. A côté d’eux cela, 20% desintermittents travaillent plus de 800 heures par an et gagnent beaucoup plus. Un autre clivage existeaussi entre les permanents (titulaires d’un emploi artistique en CDI) et les intermittents qui ont uneautre activité significative. Cette seconde coexistence est conforme à l’esprit de l’intermittence et lespartenaires s’accordent à défendre son maintien.

Mais une frange des bénéficiaires en abusent : il existe une catégorie de salariés illégitimes, les« permittents », qui sont utilisés régulièrement par les mêmes employeurs pendant trois à cinqjours par semaine et qui se débrouillent pour avoir le week-end indemnisé. D’autre part, certainstravailleurs qui n’appartiennent pas au monde de la culture stricto sensu bénéficient malgré toutdu régime de l’intermittence : c’est le cas des chauffeurs ou des cantiniers. Ces abus proviennentde la délimitation floue du périmètre de l’intermittence, borné par 47 conventions collectives, dont20 sont en discussion. Cet empilement de couches de statuts fait naître un jeu de niches fiscaleset d’abattements qui n’incitent pas les intermittents illégitimes et surnuméraires à se réorienter etallongent leur période d’intermittence.

Une illustration montre bien les effets pervers du système : d’après l’ancien protocole, un inter-mittent gagnant 3500 euros par an, obtiendrait une indemnité journalière de . . .

. . . 20 euros s’il travaillait 507 heures dans l’année

. . . 25 à 30 euros s’il travaillait 510 heures

. . .moins de 10 euros pour 670 heures de travail

• Dès lors, comment définir la légitimité d’un intermittent ?

Sans doute faut-il passer par une identification claire de l’ensemble du temps de travail afin de lerémunérer, alors qu’aujourd’hui certains temps ne sont pas pris en compte comme les répétitions, lesdurées de montage. Dans son rapport sur l’intermittence, l’économiste Jean-Paul rappelle que, dansle cadre de l’ancien protocole du 26 juin 2003, l’Unedic a versé à chaque intermittent l’équivalent de250 jours d’indemnité par an.

Il semble que la conjoncture se soit retournée, puisque ce sont les intermittents qui apparaissentprotégés alors que le reste de la population active se sent menacée par la précarité. Ce qui vientfissurer l’unanimité de principe et fait s’apparenter le dispositif à un système d’accompagnement à laflexibilité qui met les artistes à l’abri alors que le reste de la population peine à entrer sur le marchédu travail. A la limite du raisonnement économique, ce système crée une forte incitation à entrerdans la carrière artistique.

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• Quelle est la gravité de la crise ?

Cette crise d’identité économique du régime s’ajoute à sa déroute financière : en effet, le régimede l’intermittence est responsable de 25% du déficit de l’Unedic, alors que les intermittents ne re-présentent que 4% des chômeurs indemnisés. Jean-Paul Guillot décrit cette évolution : « En 2003,la majorité de gestion de l’UNEDIC, constatant que le déficit des annexes VIII et X continuait àprogresser, a décidé de mettre en place un nouveau protocole pour ces annexes. Il s’en est suivi unensemble de mouvements de protestation qui ont fortement marqué le secteur. »

La crise des intermittents, dans ce qu’elle a de plus spectaculaire, réside dans ce moment d’in-compréhension de la base face à la première réaction du ministre de l’époque, M. Aillagon, qui s’estsituée d’emblée sur un plan social et technique là où les intermittents attendaient d’être rassurés surleur mission culturelle et symbolique. Le programme du Ministère en est sorti durablement infléchi :R. Donnedieu de Vabres, l’actuel ministre, cherche selon ses propres termes à redonner aux intermit-tents une dignité dans le travail, plus largement à « réencastrer » le secteur de l’intermittence dansla sphère du travail.

C’est aussi la position de J.-P. Guillot qui recommande de « partir de l’emploi et non du chômage »afin de créer le système «pérenne et équitable » promis par le Ministre. Le MEDEF n’a pas pris enconsidération ces recommandations du groupe du suivi, auxquelles la CGT était favorable.

Et la politique culturelle d’être escamotée au profit d’ une tentative tendue de conciliation de ladernière chance, envisagée sur un plan uniquement social et administratif, entre des acteurs crispés,avec pour fond le grondement de la rue. De même, l’économie politique semble n’avoir pas voix auchapitre ; peut-être pourrait-elle cependant servir à la recherche d’une solution efficace, permettantde redonner du sens à un système fondamentalement bon sans le dénaturer.

VIII L’introuvable démocratie culturelle

1 Démocratie contre démocratisation

• Qu’est-ce que la démocratisation culturelle ?

La démocratisation culturelle est historiquement la première politique du Ministère de la Culture.Elle a pour but, conformément au décret de 1959, d’initier un public non-averti à la connaissance,par l’éducation, des chefs-d’œuvre de l’Humanité. Elle se fixe pour mission civilisatrice d’amenerl’ensemble des Français à la révélation patiente et à la contemplation cultivée d’un être culturelexprimé dans la culture des classes supérieures. Il appartient aux agents du Ministère d’aller convertirles masses non éclairées à la Culture comme la Troisième République les a faites entrer dans la religionscolaire. L’enjeu est la diffusion d’une culture qui n’est pas en-soi populaire mais reconnue commesupérieure selon des critères classiques et aristocratiques. La maxime de Louis Védrines résumecette ambition : «Apprendre, comprendre, aimer » avec une relation de causalité entre les trois. Sonprogramme est le suivant : la distinction pour tous.

La démocratisation affecte essentiellement le réel par une conquête de l’espace scolaire. Sa phi-losophie est celle de Malraux et de ses Maisons de la Culture. Pour instaurer une démocratisationculturelle, l’État est à l’origine du mouvement, il est partie prenante et s’implique substantiellement.Son investissement est nécessaire, car une telle politique suppose des moyens, du temps, des effortsconstants. La déconcentration culturelle a sans doute joué un rôle positif en suscitant la création depôles culturels régionaux et en contribuant à diffuser des pratiques artistiques dans ce qui était alorsun véritable désert culturel.

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• Qu’est-ce qui a provoqué le glissement vers la démocratie culturelle ?

L’élitisme républicain contenu dans ce programme ne résistera pas au changement des mentalitéssous l’effet de l’essor des loisirs et de la consommation : le temps manque pour participer à ladémocratisation culturelle, et l’on cherche à avoir une attitude active, comme dans ses loisirs, et àpouvoir choisir, comme lorsque l’on consomme. De plus, les études du SER et celles des sociologuesfont toutefois apparaître que les pratiques culturelles restent fortement ségrégées.

Le glissement vers la démocratie culturelle passera d’abord par le « développement culturel » quisous l’impulsion de Georges Duhamel, élargira considérablement l’acception du mot de culture. maisl’on n’abordera pas ce point, pour retenir l’opposition entre les deux idées.

Forgé au cours des années 70, le concept de démocratie culturelle se substitue peu à peu à celuide démocratisation de la culture. Il ne vise plus seulement à faire partager entre différents groupesde la population les enrichissements offerts par la culture d’une élite réputée cultivée.

Dans la démocratie culturelle, chaque citoyen est aussi membre du corps législatif. Il édicte lui-même les lois auxquelles il se soumet. La démocratie culturelle cherche à mettre en oeuvre la nécessaireparticipation de tous, en tant qu’acteurs et participants critiques, à l’élaboration d’une culture com-prise comme ensemble des valeurs qui donnent aux humains leurs raisons d’être et d’agir, commeexprimé dans la Déclaration européenne sur les objectifs culturels de 1984. En ce sens, la culturen’est pas seulement un domaine qu’il convient de démocratiser, mais elle est devenue une démocra-tie à mettre en marche, ainsi que l’a proclamé Eurocult, la conférence intergouvernementale sur lespolitiques culturelles organisée par l’ UNESCO à Helsinki en 1972. La participation de chacun està la fois un moyen et un but de cette politique. Le texte fondateur de la démocratie culturelle estle rapport La Culture au pluriel résumant les travaux du colloque Prospectives du développementculturel en 1972.

Nous trouvons ainsi dans la Déclaration finale du projet "culture et régions" du Conseil del’Europe réuni à Florence en 1987 que « la participation constitue tout à la fois l’un des moyensd’une politique qui vise la démocratie culturelle et l’une des finalités de cette politique. En effet, ils’agit d’offrir à chacun le développement et le plein exercice de sa capacité de création, d’expressionet de communication en vue de donner une qualité culturelle à tous les aspects de la vie en société ».

La démocratie culturelle est une ouverture généreuse et pluraliste sur les cultures et porte unintérêt particulier à leurs différences. D’où la promotion du rap, élevé à la dignité de culture, demême que la gastronomie. Ces cultures sont envisagées d’emblée sur le mode du lien social et d’unefête républicaine permanente. A l’occasion de ses fêtes comme la Fête de la musique, ses détracteursavancent qu’elle consiste davantage en une célébration de la citoyenneté culturelle récemment acquise,identifiant moyen et but, qu’en un exercice véritable de cette citoyenneté, ou de la citoyenneté engénéral.

Les principes de cette démocratie culturelle sont à rechercher parmi les notions de métissage,de solidarité, de multiculturalisme, d’affirmation de la part créative de l’individu, d’abolition desbarrières entre professionnels et amateurs. Son manifeste est l’intervention de Jack Lang à l’Assembléenationale le 17 novembre 1981, rappelant avec panache que la Culture n’est pas « [. . . ] la propriétéd’une classe » ni « [. . . ] d’une ville, fût-elle la capitale ». La régionalisation devient alors impérativepour établir une égalité devant l’équipement culturel.

L’objectif avoué de concorde civile de la démocratie culturelle ne semble pas avoir été atteint,comme en témoigne la persistance et l’aggravation de la fracture sociale. De plus, Jack Lang a toujoursloué l’« esprit de fête ». Ces deux éléments font paradoxalement du Ministre socialiste l’héritier directd’Adam Smith, père du libéralisme, qui dans Recherche sur la nature et les causes de la richesse desnations faisait cet éloge visionnaire de la démocratie culturelle :

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There are two very easy and effectual remedies, however, by whose joint operation the state might,without violence, correct whatever was unsocial or disagreeably rigorous in the morals of all the littlesects into which the country was divided. [. . . ] The first of those remedies is the study of scienceand Philosophy[. . . ] The second of those remedies is the frequency and gaiety of public diversions.The state, by encouraging, that is by giving entire liberty to all those who for their own interestwould attempt without scandal or indecency, to amuse and divert the people by painting, poetry,music, dancing ; by all sorts of dramatic representations and exhibitions, would easily dissipate, in thegreater part of them, that melancholy and gloomy humour which is almost always the nurse of popularsuperstition and enthusiasm. Public diversions have always been the objects of dread and hatred to allthe fanatical promoters of those popular frenzies. The gaiety and good humour which those diversionsinspire were altogether inconsistent with that temper of mind which was fittest for their purpose, orwhich they could best work upon. Dramatic representations, besides, frequently exposing their artificesto public ridicule, and sometimes even to public execration, were upon that account, more than allother diversions, the objects of their peculiar abhorrence.

(V, 1, 3.)

« Il y a néanmoins deux moyens très faciles et très efficaces qui, réunis, pourraient servir à l’Étatpour corriger sans violence ce qu’il y aurait de trop austère ou de vraiment insociable dans les mœursde toutes les petites sectes entre lesquelles le pays serait divisé. [. . . ]

Le premier de ces deux moyens, c’est l’étude des sciences et de la philosophie [. . . ]Le second de ces moyens, c’est la multiplicité et la gaieté des divertissements publics. Si l’État

encourageait, c’est-à-dire s’il laissait jouir d’une parfaite liberté tous ceux qui, pour leur propre in-térêt, voudraient essayer d’amuser et de divertir le peuple, sans scandale et sans indécence, par despeintures, de la poésie, de la musique et de la danse, par toutes sortes de spectacles et de représen-tations dramatiques, il viendrait aisément à bout de dissiper dans la majeure partie du peuple cettehumeur sombre et cette disposition à la mélancolie, qui sont presque toujours l’aliment de la super-stition et de l’enthousiasme. Tous les fanatiques agitateurs de ces maladies populaires ont toujoursvu les divertissements publics avec effroi et avec courroux. La gaieté et la bonne humeur qu’inspirentces divertissements étaient trop incompatibles avec cette disposition d’âme qui est la plus analogueà leur but, et sur laquelle ils peuvent le mieux opérer. D’ailleurs, les représentations dramatiques,souvent en exposant leurs artifices au ridicule et quelquefois même à l’exécration publique, furent,pour cette raison, de tous les divertissements publics, l’objet le plus particulier de leur fureur et deleurs invectives. »

2 Politique d’offre et de soutien à la création : des résultats contrastés

• Pourquoi une politique d’offre ?

D’un point de vue économique, les effets positifs de l’économie de la Culture sont importants carles biens culturels sont générateurs de bien-être, représentent des investissements à long terme, pro-duisent des effets externes au profit d’autres activités ou pour les générations futures et alimentent laconsommation. Toutefois, il semble qu’une production décentralisée de biens culturels soit défaillante.En effet, des incitations à la production culturelle sont difficiles à mettre en œuvre car le mécanismequi conduit les artistes à la reconnaissance et aux ressources afférentes, est long et aléatoire. Sousl’angle micro-économique, le financement de la Culture ne peut donc pas se faire par le libre jeu dumarché. De là viennent les politiques d’offre et de soutien à la création.

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• Effets et limites des politiques

Une première théorie consiste à envisager un effet multiplicateur de l’investissement culturel.Françoise Benhamou rapporte dans son ouvrage l’exemple du maire de New York de l ’époque,Rudolf Giuliani. Il défendait devant le conseil municipal son projet de bourses pour des institutionsculturelles en arguant de ce que les retombées de la culture auraient atteint 55 milliards de francs pourl’agglomération new yorkaise, en incluant les frais d’hôtel, de restaurant, de transport, liés aux sortiesculturelles. De manière générale, l’investissement culturel peut faire bénéficier toute la zone où il alieu d’une importante économie des retombées. Mais il ne faut pas surestimer ces effets en raison deseffets inverses de substitution –rien ne prouve qu’une autre affectation des aides n’aurait pas eu unrendement supérieur– et d’éviction – ce qui est donné à l’un l’est au détriment d’un autre et financépar lui. Et la logique d’intervention ne doit pas perdre son sens originel en intégrant une logique decontrepartie économique à chaque projet culturel. D’abord parce que l’évaluation de la contrepartien’est pas aisée, ensuite parce qu’on risque de refuser d’aider des projets qui ne généreraient que defaibles retombées.

Ce qui pose en creux la question la plus cruciale pour le Ministère de la Culture, qui est celle desindicateurs de sa performance. La musique sérielle peut connaître un succès supérieur à d’autres ma-nifestations plus populaires, lorsqu’elle n’attire que quelques dizaines de personnes. Il est impossiblede l’aveu des personnes que nous avons rencontrées d’élaborer un indicateur synthétique composéesd’indices pondérés entre eux, comme le très simple dernier exemple le montre. Et quels critères ? Lafréquentation ? On a vu comme elle était relative ; la qualité ? Subjectif et contestable ; l’homogénéitésociale ? douteux, car elle risque d’introduire une logique de quotas.

3 Sociologie des publics : des pratiques toujours très différenciées

• Quels publics ?

La particularité de la demande culturelle est d’être inégale, en raison de l’utilité marginale crois-sante de ces biens. Bourdieu formule cette difficulté à identifier une demande à géométrie très variable,en écrivant qu’il faut « [. . . ] tenir compte du fait que l’absence de culture s’accompagne le plus souventde l’absence du sentiment de cette absence.» En somme, entre deux personnes aux capitaux culturelsdifférents ne naîtra pas de sentiment de frustration, de jalousie ou d’envie de la part de celui qui aun moindre capital. La règle régissant la demande culturelle est schématiquement la suivante : pluson en a, plus on en veut, moins on en a, moins on en veut. Les phénomènes de distinctionviennent compliquer l’équation : il arrive que les mieux dotés accumulent du capital culturel dans unbut de reconnaissance sociale qui peut dévier de la démarche d’enrichissement culturel. C’est un casunique de l’analyse économique : Acis, croqué dans Les Caractères (V,7), est un type qui se rencontrepeu parmi les publics, à la différence d’Arsène (I, 24). Face à l’inégalité, l’État doit organiser uneredistribution des plus dotés vers les moins dotés.

• Quelle est la légitimité d’une redistribution ?

La redistribution, connaissant le principe régissant la demande, n’est pas une évidence. C’est eneffet une manière de décevoir ceux qui détiennent beaucoup de capital culturel et attendent que l’Étatleur en propose à la hauteur de leur contribution, et d’affecter, à perte parfois, cette contribution à unpublic moins bien doté, soit moins demandeur et moins réceptif. L’action redistributive des pouvoirspublics est elle même génératrice d’effets asymétriques. En d’autres termes, face à une défaillancedu marché, l’État introduit de nouvelles distorsions. Il réalise une ré-allocation non-optimale des

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ressources, comme nous venons de le voir. Les États-Unis, jugeant les nouvelles distorsions insuppor-tables, renoncent à un interventionnisme de règle. Au contraire de la France qui considère que leseffets bénéfiques de l’intervention sont supérieurs aux effets négatifs.

• Comment redistribuer ?

En 1982, Augustin Girard présenta les résultats du service des études et de la recherche duMinistère de la Culture. Il montra que l’écart dans les chances d’accès entre un cadre et un ouvrierétait de 1 à 2 pour le livre, de 1 à 1,2 pour le spectacle de télévision et de 1 à 10 pour l’opéra, activitéla plus subventionnée parmi les trois. indiquer la part du prix prise en charge L’inégale distributiondes consommations culturelles, très socialement ségrégées, expliquent l’impact anti-redistributif despolitiques culturelles. Ce qui fait s’insurger des économistes, tel Michael O’Hare, qui accusent l’Étatde d’inciter des créateurs à produire des œuvres vouées à ne susciter qu’une faible audience, etconstruisent la relation suivante : plus les subventions augmentent, moins la chance de voir les œuvresqui en résultent est importante. Néanmoins, une approche plus fine de la population témoigne del’existence d’un effet redistributif des familles les plus aisées vers les familles aux revenus moyens,mais au niveau d’éducation élevé. En revanche, les moins aisés paient certes peu mais sont quasimentexclus de la vie culturelle.

• Deux formes de redistribution

L’État est confronté aux choix suivant : subventionner les producteurs ou les consommateurs.Au vu des réflexions précédentes, la voie privilégiée serait de revenir à la seconde : subventionner

le consommateur. Elle se matérialise par le voucher ou chèque culture dont le consommateur disposepour obtenir des places à des prix inférieurs auprès de différents acteurs mis en concurrence. C’est apriori le meilleur principe car il laisse le consommateur absolument libre. Mais son application poseproblème qui peut conduire à un excès de demande pour quelques institutions culturelles, tandis qued’autres sont en sous-fréquentation. C’est donc la première voie qui est empruntée, en partie pardéfaut, dans la plupart des pays industrialisés.

• Quel avenir ?

On le sent en évoquant ces problèmes : le salut de la culture passe par l’éducation, ce sur quois’accordent tous ceux que nous avons rencontré, et dont nous partageons la conviction. Il s’agitégalement de mettre en garde, avec Françoise Benhamou, contre un économisme généralisé qui vam-piriserait l’analyse. Nous devons toujours avoir présent à l’esprit que tenter d’évaluer la culture butesur l’équivoque inhérent à cet objet.

IX Propriété intellectuelle : les défis du numérique

• Qu’est-ce que la propriété intellectuelle ?

Le terme de propriété intellectuelle est présent dans le droit français (voir le Code de la propriétéintellectuelle). Il est un calque direct de l’anglais, intellectual property, qui est considéré commeproblématique. Ce qu’il recouvre dans son acception courante, sont les droits d’utilisation d’une« création intellectuelle » : invention, découverte, idée, technique, œuvre artistique, marque, etc.

En France, ce terme désigne une discipline juridique qui régit les diverses formes de créationintellectuelle. Elle se subdivise en propriété littéraire et artistique et en propriété industrielle (notons

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le cas particulier des dessins et modèles, de nature hybride). La propriété intellectuelle est une partiedu droit de propriété, qui est la constituante du droit civil qui régit les droits et les obligationsconcernant la propriété. Voir en annexe les articles qui encadrent la propriété intellectuelle et ledécret Lakanal de 1793 dans le dossier historique.

• Droit d’auteur ou copyright ?

Depuis la Convention de Berne sur le droit d’auteur signée par 159 pays, cette distinction n’aplus de raison d’être et les deux termes sont donc synonymes. Le droit d’auteur repose sur l’idéed’un droit personnel de l’auteur ou d’un éditeur, fondé sur une forme d’identité entre l’auteur etsa création. Le droit moral est ainsi constitutif de l’attachement du droit d’auteur à la personne del’auteur plutôt qu’à l’œuvre : il reconnaît dans l’œuvre l’expression de la personne de l’auteur, et laprotège donc au même titre. La protection du copyright se limite à la sphère stricte de l’œuvre, sansconsidérer d’attribut moral à l’auteur en relation avec son œuvre, sauf sa paternité ; ce n’est plusl’auteur proprement dit, mais l’ayant droit qui détermine les modalités de l’utilisation d’une œuvre.C’est en ce sens que droit d’auteur et copyright sont liés lorsqu’il y a litige.

• Le film de la loi Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information(DADVSI)

Tout commence dans la nuit du 21 au 22 décembre par le vote de deux amendements visant àlégaliser les échanges de fichiers sur les réseaux de « peer to peer ». Contre l’avis du gouvernementet du rapporteur UMP du projet de loi Christian Vanneste, des députés de tous bords politiques ontadopté deux amendements visant à légaliser ce qui est aujourd’hui considéré comme du piratage parles industries du cinéma et de la musique. Ils ont pour cela bâti un modèle de licence globale : leséchanges de fichiers sur les réseaux peer to peer, sont autorisés moyennant un système de rémunérationpour les artistes qui pourrait prendre la forme d’un abonnement prélevé par les fournisseurs d’accèsà Internet. Fait peu commun, les débats ont dépassé les clivages partisans et il ne se trouve pas ungroupe parlementaire qui soit unanime sur la question.

Cette licence a recueilli les faveurs des associations de consommateurs comme des représentantsdes artistes par la voix de l’Alliance public-artistes. Citons quelques réactions : la Spedidam, sociétéde gestion de droits d’auteur, membre de l’Alliance, évoque un « choix lucide et responsable desdéputés », tandis que l’UFC-Que Choisir « salue la sagesse des députés ». Elle ajoute que « cettelégalisation [. . . ] va permettre aux internautes de s’approprier en toute sécurité juridique un espacede liberté nouveau, essentiellement destiné à accéder à la diversité culturelle, et aux créateurs d’êtrejustement rémunérés ».

Mais le ministre de la Culture défend la position opposée, comme il l’a déclaré dès l’ouverturedes débats, le 20 décembre : « Je veux récuser toute idée de forfaitisation de la rémunération descréateurs - licence globale ou légale. Cette fausse bonne idée revient, en fait, à renchérir le coût del’abonnement pour le consommateur, et à appauvrir le créateur, puisque sa rémunération ne tient pascompte de l’exploitation et du succès de son œuvre.»

Le texte adopté le 21 mars dernier n’a pas suivi cette voie et a opté pour un renforcement dudroit d’auteur, libre de choisir le support de diffusion de son œuvre. Il tente de créer un espace detéléchargement légal, payant et de qualité. Il réaffirme le droit à la copie privée, mis en cause lorsdes discussions. Au terme des débats n’apparaît pas de véritable vainqueur : les industries culturelles–maisons de disques, d’édition. . . – n’ont rien perdu, tandis que l’internaute n’a rien gagné.

Malgré le volontarisme de cette loi, qui affirme la nécessité de repenser les modes d’échanges de

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contenus et la protection du droit d’auteur, elle n’encourage en réalité que timidement l’apparitiond’un modèle nouveau et cohérent au regard des technologies et de l’évolution des pratiques qu ’ellesprovoquent. En témoignent les phénomènes de buzz autour des sites Internet comme Napster hier,myspace.com ou pitchforkmedia.com aujourd’hui sur lesquels l’internaute peut écouter et téléchargerdes morceaux de musique avant que les interprètes n’aient été engagés par des maisons de disque.Une façon de pirater légalement la musique à un moment et dans un lieu où elle n’est pas encorepiratable. Le groupe des Arctic Monkeys fut ainsi le premier grand groupe découvert par Internet àla barbe des maisons de disques.

De nouveaux modes d’échange communautaire sont à penser, comme le défend Françoise Benha-mou, pour sortir d’un système qui est appelé à connaître des crises et des procès à répétition.

X Rôle des acteurs privés : une politique du mécénat ?

Entretien avec Jacques Rigaud,Président d’ADMICAL - Carrefour du mécénat d’entreprise

Le mécénat peut-il apporter des ressources d’appoint à la politique culturelle ?

L’expression « ressource d’appoint » est révélatrice d’une opinion assez répandue selon laquelle lemécénat d’entreprise ne saurait être qu’un expédient, un pis-aller pour un État incapable d’assumerses responsabilités financières. Pour ma part, je soutiens bien au contraire que le mécénat est unepolitique culturelle en soi et doit jouer le rôle d’un « tiers secteur » de financement de la culture,après les fonds publics et le marché.

Quels sont les avantages du mécénat pour les créateurs ?

L’attrait principal du mécénat est la liberté qu’il laisse à l’artiste. Le soutien d’une entrepriseest rapide et clair, car il est le fruit d’un jugement d’émotion, d’un « coup de cœur » ; le mécèneprivé, qui ne prétend pas à l’expertise esthétique de l’État, accepte souvent de parrainer des projetsqui ne rentrent dans aucune des « cases » du Ministère bureaucratisé. Enfin, les risques de contrôlepolitique sont substantiellement réduits.

Sur ce dernier point, les déboires de l’exposition Bacon au Musée de Fort Worth (Texas, USA)semblent vous contredire : les commissaires avaient eu toutes les peines du monde à trouver desmécènes, les entreprises craignant de se compromettre en s’associant à une œuvre « immorale ».

Sans doute, mais ce cas fait figure d’exception. De tels problèmes sont bien plus souvent causéspar le Congrès américain qui censure régulièrement certaines subventions accordées par le NationalEndowment for the Arts.

Quels sont les avantages du mécénat pour les entreprises ?

Ces avantages sont nombreux mais indirects pour la plupart. Que les dirigeants d’entreprisen’aillent pas s’imaginer augmenter leur chiffre d’affaires par une action en faveur de la culture ! Tou-tefois, dans certains secteurs ultraconcurrentiels (banque, télécommunications) où la concurrencene

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peut se faire ni par la qualité de l’offre ni par les prix, l’image d’une entreprise devient un enjeudéterminant. Il va sans dire qu’un engagement culturel, au-delà de la publicité gratuite qu’il fournità son commanditaire, renforce son capital de sympathie chez ses clients potentiels.

Pour moi, le mécénat induit quatre effets très positifs pour l’entreprise.• l’Entreprise est un monde fermé qui a tout a gagner de l’ouverture sur la création.• Ce partenariat conduit à la stimulation mutuelle de la créativité, de l’entreprise comme du

créateur. L’entreprise apporte sa technicité, l’artiste son détournement ; cette coopération estfacilitée par le développement du mécénat de compétence (le mécène prête ponctuellement sescomptables, ses agents marketing, etc. à l’entreprise de spectacles inexpérimentée qu’il soutient)

• Le mécénat renforce le sentiment d’appartenance des salariés à l’E : par exemple, l’Orchestredu Capitole de Toulouse est soutenu par un regroupement d’entreprises appelé AIDA ; peu àpeu des liens se sont noués qui ont permis le développement de la pratique musicale dans lesentreprises : à l’initiative des salariés, un orchestre mixte capitole/AIDA a même fini par voirle jour !)

• Les artistes ont des antennes, et peuvent anticiper les grands mouvements de la société mieuxque n’importe quelle étude de marché. Leur fréquentation permet sans doute aux entreprisesd’anticiper ce que sera l’ « air du temps ».

Parmi ces arguments en faveur du mécénat d’entreprise, vous n’avez pas évoqué le avantagesfiscaux. N’est-ce pas pourtant le premier motif d’un « investissement » dans le mécénat ?

Détrompez-vous. Selon un sondage récent, 52% seulement des entreprises utilisent les avantagesfiscaux dont elles pourraient bénéficier. On peut en tirer deux conclusions :

1/ ce sont surtout les arguments développés plus haut qui jouent.2/ le système incitatif n’est pas assez « lisible ».

Pourquoi un tel retard français en matière de mécénat ?

Avant tout il convient de distinguer le mécénat privé (des grandes familles), sont les originesremontent à la Renaissance, du mécénat d’entreprise, qui se développe après 1950 surtout aux USA.Dans ce dernier domaine, le retard français existe bel et bien ; ses causes sont multiples. Avant tout,l’idée que « la Culture est l’affaire de l’État » est bien ancrée chez les patrons (qui n’ont pas réponduquand Jacques Duhamel a sollicité le CNPF en +71). Malraux même, dans sa politique de mécénat,restait très régalien (avec la loi crééant, à l’initiative du MAC, la Fondation de France à laquelle lesgrandes entreprises - en particulier dans le secteur nationalisé - étaient invitées à verser des fonds).

Quelle a été l’action d’ADMICAL pour y remédier ?

Dès 1975, dans mon essai la Culture pour vivre, j’avais préconisé un rôle plus important pourles collectivités territoriales et le mécénat. J’ai donc naturellement accepté de prendre la directiond’ADMICAL, fondée en 1979 par trois anciens étudiants qui voulaient s’inspirer du modèle américainde financement de la culture. A partir des disposions légales très contraignantes de l’époque, nousavons noué les premiers contacts avec le patronat.

L’ADMICAL a rédigé elle-même les lois de 1987 et 1990 sur le mécénat et les fondations, et s’estbattue pour que François Léotard et Jack Lang les soutiennent. Récemment, elle a obtenu, avec levote de la loi de 2003, l’assouplissement du cadre fiscal régissant l’activité des fondations - dont lenombre a doublé depuis. Son principal effet aura été de rapprocher le monde de la culture de celuide l’entreprise, et c’est pourquoi nous soutiendrons votre projet de rencontre ENS-HEC.

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XI ANNEXE DOCUMENTAIRE

Témoignage : Hugues Gall,ancien Directeur de l’Opéra de Paris.

• BIOGRAPHIE

Né en Suisse, Hugues Gall y passe son enfance et part étudier à Sciences Po où il fait la rencontred’E. Faure. En 1966, ce dernier est appelé par de Gaulle à l’Agriculture, puis passe à l’Educationnationale pour en préparer la réforme post-68.

« Je suis entré à son cabinet pour travailler à la réforme de l’enseignement artistique. C’est decette époque que datent mes premiers contacts avec la rue de Valois, qui travaillait encore en étroitecollaboration avec l’Education Nationale. »

Puis, en 1971, il se voit confier la réforme de l’Opéra au sein de la Direction de la Musique placéesous l’autorité de Landowski. L’Opéra de Paris est alors paralysé par la rivalité de quelques coteries(PCF, CGT, Francs-maçons, Institut des Sciences Morales et Politiques) qui se partagent le pouvoirdans une paix armée. Au bout de 2 mois, Hugues Gall est nommé Secrétaire Général de l’Opéra (à29 ans).

« Je travaillais donc le matin, au Ministère, à la réforme de l’Opéra, que j’avais pour mission demettre en pratique, l’après-midi, en tant que Secrétaire Général ! ! Mais cette réforme, privée de projetartistique ou politique véritable, s’est révélée difficile et s’enlisait encore plus à la mort de Michelet,remplacé par Jacques Duhamel, un ancien du MRP passé par le Ministère de l’Agri. Pour lui donnerdu sens, il fallait trouver un homme capable de l’inspirer »

C’est en 1971 qu’Hugues Gall entre en contact avec M. Liebermann, compositeur et directeur del’Opéra de Hambourg, alors à la pointe de la création lyrique.

« Il m’a trouvé pas trop con et je l’ai trouvé extraordinaire. Je me suis dit que c’était l’hommequ’il fallait à l’Opéra de Paris, et j’ai négocié l’échange entre les deux opéras. L’innovation a ététrès mal acceptée en F : songez donc, l’Opéra n’avait pas connu de Directeur étranger depuis Lully !Liebermann a été victime d’une campagne de presse antisémite lancée, entre autres journalistes, parDominique Janet dans l’Aurore en 71. Le problème de Liebermann, c’est qu’il n’était lié à aucunecoterie, et n’avait aucune expérience de l’administration à la française. J’ai donc accepté d’être sonadjoint en charge des affaires administratives et financières. En 1981, après l’élection de Mitterrand,Liebermann a été remplacé par Pierre Bergé qui avait les faveurs de l’Elysée ; l’Opéra de Genève m’aalors proposé de prendre sa direction : j’ai accepté. »

Hugues Gall reste alors une dizaine d’années à la tête de l’Opéra de Paris. Il refuse les propositionsde Lang puis Léotard qui veulent le rappeler. Sous la direction de Pierre Bergé, la situation de l’Opérase détériore : à la fin de son mandat, le déficit courant atteint 60MF, et l’Opéra est décrit à l’étrangercomme « international joke ». Hugues Gall accepte d’en prendre la direction en 1993, à condition dedisposer de toute latitude pour assainir la situation. Avant d’entrer en fonction, il écrit un rapportproposant :

«

1) la modification du statut de l’Opéra mettant fin aux mandarinats et établissant un CA restreint.

2) un règlement administratif financier (avec contrôle a posteriori des dépenses par le Ministère, sauffrais exceptionnels engageant l ’État sur la longue durée).

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3) l’allongement du mandat du Directeur de 3 à 6 ans pour mieux planifier la programmation (quidoit être réalisée 3-4 ans à l’avance !).

4) une charte encadrant les pouvoirs du chef d’établissement, qui devient interlocuteur unique desemployés en cas de conflit (évitant ainsi d’être court-circuité par la rue de Valois).

5) un plan quinquennal prévoyant 7 nouvelles productions par saison. »

« La réforme a été un succès : l’Opéra est recapitalisé. Mais je me suis fait aussi beaucoup d’en-nemis à cette occasion parmi les petits fonctionnaires médiocres de ce secteur culturel non marchandet protégé, moins bien payés »

• DISCUSSION

Quels peuvent être les objectifs d’une politique culturelle ?« Je vois trois domaines d’intervention :

1) l’enseignement artistique (une Arlésienne, déjà portée aux nues par Chirac dans sa campagne de1995... mais sans effet sur la politique)

2) les nominations : assurer une promotion au mérite... mais c’est l’inverse qui se produit au seindu MC !

3) une politique de régulation et de rééquilibrage, notamment entre Paris et la province (partie inté-grante de l’aménagement du territoire) »

Quelles sont les conditions d’un renouveau de la politique culturelle ?« Pour une renaissance, il faut la conjonction d’un grand ministre et d’un Président intéressé par

les affaires culturelles ; il faut aussi penser conjointement avec les autres ministères les évolutions de lasociété ; enfin, il faut que l’État central renonce à ses prérogatives esthétiques et laisse les collectivitésterritoriales décider de leur programmation culturelle. D’où une nécessaire réorganisation de l’État,comme celle que propose le projet UMP de « grand ministère » regroupant la Culture, la Rechercheet l’Education, capable de peser face aux Finances.»

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Les syndicats ont un mois pour accepter le nouveau statut des intermittents (LEMONDE | 20/04/06)

Le nouveau texte concernant l’assurance-chômage des intermittents du spectacle est enfin ar-rivé. . .mais sa signature n’est pas acquise. Mardi 18 avril, au terme de leur sixième séance de travail,les partenaires sociaux ont mis un point final aux négociations au siège du Medef, à Paris. Maisles négociateurs se sont donné "un mois", soit jusqu’au 18 mai, pour se prononcer sur le texte. "Iln’est pas déraisonnable d’espérer qu’il y ait un accord", a déclaré Denis Gautier-Savagnac, chef de ladélégation patronale (Medef, CGPME, UPA).

Si la CFTC et la CFE-CGC ont émis un avis favorable, Jean-Marie Toulisse (CFDT) s’est montréplus réservé, estimant qu’il manquait "de nombreuses garanties extérieures à cette négociation". Cedernier fait référence, entre autres, au fonds permanent que s’est engagé à financer le ministère dela culture pour compléter ce nouveau système d’assurance-chômage. La CGT-spectacle, majoritairedans la culture, et FO ont déjà fait part de leur intention de rejeter un texte qui, à leurs yeux, nerompt pas avec la précédente réforme de juin 2003.

Le patronat et les trois syndicats qui devraient signer l’accord (CFDT, CFTC et CFE-CGC) onten effet pris le parti, d’un côté, de verrouiller l’accès à l’intermittence pour ne pas accroître le nombredes personnes concernées, mais, de l’autre, de conforter la situation de ceux qui sont déjà dans lesystème et sont indemnisés au titre des annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) de l’Unedic.

Ainsi, les conditions d’accès au statut sont identiques à celles prévues par le protocole de juin2003 : les artistes devront réaliser 507 heures de travail en 10,5 mois, et les techniciens 507 heuresen 10 mois, pour entrer dans le système et bénéficier d’une indemnisation pendant 243 jours (soit8 mois). Les congés maternité (à raison de 5 heures par jour), les accidents du travail, les heuresd’enseignement (55 heures et seulement pour les artistes, 90 heures pour les plus de 50 ans), serontpris en compte dans le calcul des 507 heures.

Les règles de réadmission dans le statut, en revanche, sont modifiées en faveur des intermittents :les heures de travail pourront être recherchées sur une période de référence supérieure à 10 mois (pourun technicien) ou à 10,5 mois (pour un artiste), moyennant une élévation proportionnelle du seuil de507 heures. Concrètement, pour qu’un intermittent continue de bénéficier de l’assurance-chômage,les négociateurs ont établi une moyenne mensuelle de travail de 50 heures pour un technicien (507heures/10 mois, arrondi à l’unité inférieure) et de 48 heures pour un artiste (507 heures/10,5 mois).Sur cette base, un technicien devrait réaliser environ 557 heures en 11 mois pour rester dans le statut,607 heures en 12 mois, 657 heures en 13 mois, etc. Un artiste, lui, devrait effectuer 531 heures en 11mois, 579 heures en 12 mois...

PÉRIODE TRANSITOIRE

Cette élasticité de la période de référence, introduite dans les négociations il y a un mois, ne faitpas l’unanimité. Pour le Medef, il s’agit d’une "ouverture" qui vise à prendre en compte les rythmesspécifiques ou saisonniers des intermittents. La CGT-spectacle et FO dénoncent une "usine à gaz"et une machine à exclure.

Mardi 18 avril, le Medef a lâché du lest pour emporter l’adhésion des syndicats hésitants : durantune période transitoire de "douze mois suivant l’entrée en application" de l’accord, la moyenne

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mensuelle de travail requise, au-delà de 11 mois, serait de 48 heures pour les techniciens (au lieu de50) et de 45 pour les artistes (au lieu de 48).

L’autre changement concerne le mode de calcul de l’allocation journalière. Les négociateurs ontabandonné la notion de "salaire journalier de référence", jugée inéquitable, au profit d’une formulepréconisée par l’expert Jean-Paul Guillot : désormais, l’allocation journalière devrait refléter l’en-semble des rémunérations perçues et le temps de travail effectué sur la période de référence. Uncoefficient spécifique est affecté aux artistes (0,70) et aux techniciens (0,40), afin de donner un coupde pouce aux premiers.

Ce nouveau dispositif devrait être plus coûteux pour l’Unedic, mais d’autres mesures visent àréaliser des économies : les négociateurs ont réussi à diminuer le nombre de jours indemnisables parmois - égal à 30 jusqu’à présent. Au total, le Medef estime que le protocole du 18 avril générera uneéconomie de 60 millions d’euros, sur un déficit de 889 millions d’euros en 2005.

Clarisse FabreArticle paru dans l’édition du 20/04/06

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Références

[1] Daniel Bell. The World in 2013, New Society. New York, Routledge, 1987.

[2] Françoise Benhamou. Économie de la culture. coll. Repères. Paris, La Découverte, 2005.

[3] Alexandre Sine. L’État impotent, compte rendu de la table rondedu mercredi 7 decembre 2005. Futuribles, (n°313), novembre 2005.http://www.futuribles.com/TablesRondes/07122005Etat.pdf.

[4] Jean-François Sirinelli (dir). Les politiques culturelles municipales – Éléments pour une ap-proche historique. Les cahiers de l’IHTP, (n°16), septembre 1990.

[5] Convention de l’UMP pour un projet populaire. Culture : l’heure du nouveau souffle, synthèsedes propositions. samedi 24 septembre 2005. Paris, Maison de la Mutualité.

[6] CIP-IDF. Site de la coordiantion des intermittents et précaires d’Îles-de-France.http://www.cip-idf.org.

[7] Groupe Réflexe(e). La Décentralisation culturelle pervertie. supplément au numéro 52 de la revueCassandre, Paris, mars-avril 2006.

[8] LOLF. Site du Ministère de l’Économie et des Finances.http://www.minefi.gouv.fr/lolf/index1.html.

[9] Europe. Site de la Fondation Robert Schuman. http://www.robert-schuman.org.

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