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Les GAFAM, notre oligopole quotidien
Nikos Smyrnaios, Université de Toulouse
Parution le 21 avril 2017
Le point de departThèse sur le journalisme en ligne (2005)
Constat de terrain: les plus importants acteurs du journalisme en ligne ne sont pas toujours des médias
Acteurs « extérieurs » (FAI, portails, moteurs de recherche): puissants canaux de distribution
Vecteurs de technologie, idéologie, argent, pouvoir
Depuis la tendance s’accentue: emprise renforcée de GAFAM sur les industries culturelles et médiatiques, révélations de Snowden, polémiques sur Google Books, Google News, Facebook Beacon etc.
Puis il y a eu ça …
Puis il y a eu ça …
The Counterforce : forme la plus spectaculaire de la critique radicale de l’internet contemporain
S’enracine dans une longue tradition critique:
Barbrook & Cameron, « Idéologie californienne », 1996
Tiziana Terranova, « Free labor », 2000
Ippolita, « Luci e ombre di Google », 2007
Objectif de ce livre: offrir un cadre théorique cohérent pour cette critique radicale de l’économie politique de l’internet
Lier superstructure / base matérielleVision globale sur la structure oligopolistique des GAFAM
In fine : « dévoiler les ressorts de la domination, les rendre intelligibles, mais aussi irrecevables, c’est-à-dire dénoncer un
certain ordre social pour s’en émanciper », F. Granjon
Le propos
1. Principalement que l’internet contemporain est dominé par un oligopole constitué d’un petit nombre de multinationales, bénéficiant des conditions favorables et caractérisés par des logiques et stratégies communes
2. Secondairement que la fonction stratégique contrôlée par cet oligopole est celle de l’intermédiation informationnelle (infomédiation), définie comme la capacité à organiser les marchés et les usages de l’information numérique
Un peu d’histoireL’internet n’a pas été conçu pour un usage commercial mais
comme un bien public, exemple classique du paradigme keynésien qui a couté des dizaines de $Md au contribuable US
Mais à la fin des 70s la jonction entre néolibéralisme et déterminisme technologique a légitimé le marché comme seul
vecteur d’innovation
Solow (croissance exogène) + Bell (société postindustrielle) = si la croissance dépend de l’innovation technologique et si, au
sein des sociétés postindustrielles, la majeur partie de l’innovation provient de la « révolution informationnelle », alors il
faut « informatiser » l’économie
+ école de Chicago = l’innovation ne peut venir que par le marchéDépassement technologique de la critique du capitalisme
Un peu d’histoireDans les 80s expérimentations d’extraction de valeur de
l’informatique connectée
« J’ai commencé à réaliser que je m’étais marchandisée(commodified) moi même (…) Je créais mes pensées intérieures
comme un moyen de production pour l’entreprise qui était propriétaire du support sur lequel je postais, et cette marchandise était vendue à d’autres consommateurs/marchandises comme du divertissement. Ca veut dire que j’ai vendu mon âme comme une chaussure de tennis et je n’ai jamais tiré aucun bénéfice de cette
vente », Carmen Hermosillo, The WELL, 1994
Domaines propriétaires pour publics captifs (Compuserve, Prodigy, Genie)
Privatisation de British Telecom et démontage de AT&T
Un peu d’histoire
Dans les 90s traduction politique en processus massif de dérèglementation et de privatisation
Privatisation des opérateurs publics de télécoms en Europe
Le 30 avril 1995: décision de l’administration Clinton pour privatiser l’infrastructure de l’internet et permettre les usages
commerciaux .
Une décision jamais débattue (McChesney), prise dans l’ombre sous la pression des lobbys et dans l’indifférence des geeks
Financiarisation (capital risque, hedge funds) + culture startup
Un peu d’histoireL’internet dominé par un oligopole : un projet explicite encensé
par Wall Street à la fin des années 90.
Mais il ne s’est pas réalisé comme le prévoyait la « théorie de la convergence »: contenus + réseaux
Les conditions de l’oligopole
Une économie favorisant la concentration
Non rivalité des biens numériques, économie à coûts fixes=> rendements croissants
Externalités positives => marchandisation des biens communs
Abaissement des coûts de transaction
Performance absolue/performance relative
Effet de réseau
Les conditions de l’oligopole
L’absence de régulation
Idéologie de l’autorégulation
Incapacité de gérer la complexité des technologies (p.e. Pagerank)
Lenteur et manque des moyens
Pas de volonté politique,
Dumping fiscal
Les conditions de l’oligopoleUne économie financiarisée
Afflux de capitaux à la Silicon Valley
L’attrait des investisseurs génère un effet de levier qui fournit à ces acteurs des ressources exorbitantes
Les conditions de l’oligopole
Une économie mondialisée
Stratégies et produits indifférenciés à l’échelle mondiale
Des acteurs oligopolistiques concentrés sur un territoire réduit (Côte Ouest des US)
Conception de produits et décisions stratégiques centralisées
Organisation matricielle qui permet de diriger des divisions locales avec très peu de marge de manœuvre (commerciale) ou
d’initiative sauf exception (p.e. YouTube)
Les conditions de l’oligopole
Le travail sous-traité et précaire
Apple => Foxconn
Facebook, Youtube => modérateurs philippins
Amazon => Mechanical Turk
Sous-traitance en cascade du travail « blue collar »
Digital labor : « réduction de nos liaisons numériques à un moment du rapport de production », A. Casilli
Les conditions de l’oligopoleUne rentabilité exceptionnelle
Taux de profit deux fois supérieur à la moyenne de Wall Street(10,6% moyenne du S&P 500®)
Les stratégies de l’oligopole
L’infomédiation une fonction centrale de l’internet
Kimon Valaskakis (1982): l’enjeu principal ne se situe pas dans l’accroissement de la quantité d’information disponible, mais bien
dans la manière dont les ordinateurs participent au tri et à l’organisation de celle-ci, en remplacement des humains
Hagel & Rayort, 1997: appariement d’une offre & d’une demande en exploitant les données accumulées de deux côtés
Relations coopétitifs avec les offreurs de contenus(exemple des éditeurs avec F. Rebillard)
Les stratégies de l’oligopole
L’infomédiation une fonction centrale de l’internet
« l’ensemble de segments d’activité et de dispositifs numériques qui permettent la mise en contact des internautes avec tout type
d’informations en ligne mais aussi avec d’autres internautes »
1. une position d’intermédiaire informationnel
2. la production d’assemblages d’informations via des plateformes
3. des modèles d’affaires dépendant essentiellement des commissions sur les transactions et de l’exploitation des données
collectées sur les utilisateurs
Les stratégies de l’oligopole
Infomédiation algorithmique et « sociale »
Des algorithmes qui exploitent de manière industrielle « l’agrégation automatique des jugements incertains, dispersés et
aléatoires de la foule des internautes » D. Cardon
Classer et hiérarchiser à partir de « métriques destinées à décrire les formes relationnelles du social » D. Cardon
« architecture organisationnelle de la visibilité » qui définit ce qui est possible de percevoir, ou pas, parmi l’immensité des
possibilités, T. Bucher
Les stratégies de l’oligopole
Les stratégies de l’oligopole
Concentration verticale
la réunion sous un même pouvoir de décision de tout un ensemble d’activités complémentaires qui constituent une chaine de production (soit par propriété, soit par accords exclusifs)
Equipements informatiques
Systèmes d’exploitation
Data Centers
Réseaux de télécommunication
Concentration verticale
Les stratégies de l’oligopole
Concentration horizontale
la réunion sous un même pouvoir de décision de sociétés qui produisent des biens ou des services substituables, c’est à dire
assurant une fonction comparable pour l’utilisateur final
1. communication interpersonnelle et intergroupe (courrier électronique, la messagerie instantanée et le réseautage social)
1. accès à des contenus et des informations (search, téléchargement, streaming etc.)
Courier électronique
Réseautage/messagerie
Search
Musique
Vidéo
E-book
La domination publicitaire
Dallas Smythe (1977): « audience-as-commodity »
Jhally (1984): « watching as working »
S. Parasie (2008): la critique de la publicité désarmée
E. Zuckerman (2014): l’invention de la publicité ciblée, le péché originel de l’internet
Le Web 2.0, nouveau nom de la collecte et de l’exploitation en masse des données sur les internautes
La domination publicitaire
Conclusion
« La centralisation croissante de l’internet contemporain entre les mains d’un petit nombre d’entreprises oligopolistiques contraire aux principes fondateurs de l’internet », Tim Berners-Lee, 2016
Que faire ?
logiciel libre ; production collaborative et financement participatif ; infrastructures pair à pair ; cryptage systématique des
communications ; blockchain; gouvernance décentralisée
Est-ce possible de résister à cette concentration uniquement par des alternatives sans mettre en cause le capitalisme (néolibéral) ?