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Ronsard, Oevvres

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Ronsard

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LA

PLÉIADE FRANÇOISE >

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Cettecollectiona ététiréeà 248exemplairesnumérotésetparaféspar l'éditeur.

330exemplairessurpapierde Hollande.

18 — surpapierde Chine.

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LES QVATRE PRE-

fuil&ERS LIVRES DE

y/;/p,,^;ÏÏ/'LA FRANCIADE.

AV ROT TRES-CHREST1EN, CHARLES

NEVFIESME DL CE NOM.

Roisard.—III.

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L'AVTHEVR PARLE.

Vnlift ce liurepour apprendre,L'autre le lift commeenuieux:Il eft aifé de mereprendre,Maismalaifédefaire mieux.

DE LVY-MESME.

LesFrançoisqui cesvers liront,S'ils nefont ù" Grecs(y Romains,Enlieude monHureils n'aurontOu'vnpefantfaix entre lesmains.

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jffRGVMENS DES LIVRES

DE LA FRANCIADE

DE PIERRE DE RONSARD,

Par AmadisIamin, Secrétaire de la Chambre du Roy.

ARGVMENT DV PREMIER LIVRE.

En ce laborieux ouurage de la Franciade, l'Autheurs'eft propofé la façon d'efcrire des Anciens, &fur tousdu diuin Homère : combien qu'en ce premier liure il

ait principalement imité Homère & Virgile, fi eft-ce

que l'embarquement de Francus eft à l'imitation

d'Apolloine Rhodien. 11refemble à l'abeille, laquelletire fon profit de toutes fleurs pour en faire fon miel :auffifans iurer en l'imitation d'vn des Anciens plus quedes autres, il confidere ce qui eft en eux de meilleur,

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ARCVMENSDESLIVRESDE

dequoy il enrichit (comme toufiours il a efté heureux)noftxe langue Françoife. Or pour venir à ce premierHure, qui eft comme le fondement & proiect du refte

du baftiment, l'argument eft tel. Apres que Francus

fut retourné du long voyage, où fon oncle Helenin

l'auoit enuoyé en diuerfes nations pour en apprendreles moeurs&façons, 5cpar telle cognoiffance fe rendre

fage, ruzé & pratiq Capitaine, ce qu'Helenin auoit

fait, ne voulant qu'il fuft recognu pour enfant d'Hec-

tor entre les Grecs, lefquels penfoyent pour certain

que Pyrrhe filsd'Achille l'euft fait mourir, le précipi-tant du fefte d'vne tour : Jupiter qui l'auoit fauué du

fac de Troye, &en lieu du corps vray auoit baillé vne

feinte de luy à fes ennemis, fe refouuenant du deftin,

pour lequel il l'auoit garenti de fi cruelle mort, & fe

repentant de la deftruction de Troye, enuoye Mercure

meffagerdes Dreux vers Helenin, oncle paternel dudk

Francus, à fin qu'il l'aduertiffe quelles font les derfti-nées de Francion fon neueu, lequel depuis vn an laif-

foit éneruerfa ieuneffed'oifiueté, fansfouci de releuer

fus l'honneur de fes ayeuls. Helenin après auoir ouyle commandement de lupiter (aufil que fon efprit pro-

phétique auoit preuoyance des deftir.s, & prefageoitla grandeur de fon neueu filsd'Hector) luy fit equipperquelque nombre de nauires, dans lefquelles il s'em-

barqua, laiffant Buthrote ville d'Epire, où il faifoit fademeure auec fon oncle & fa mère Andromache. LePoète luy donne compagnie d'hommes guerriers parvne belle &gentille inuention : car le iour du mande-ment de lupiter, tous les Troyens banis eftoient af-femblez par le congé des Princes de laGrèce, defquels

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Ï.A FRANCIADE.

ils eftoient efclaues, pour choumer la fefbe de Cybeleleur Déeffe, tous equippez d'armes telles que fouloient

porter les Corybantes &Curetés, quand ils celebroient

les honneurs de la Mère des Dieux. Iunon fe cour-

rouce, voyant que la gloire des Phrygiens doit reflo-

rir. Cybele &Mars fauorifoient Francion, & luy enfla-

ment le coeur du defir de louange &de vertu. Helenin

luy enfeigne fommairement quel chemin il doit tenir

fur la mer pour venir de Crète à l'emboucheure du

Danube.

ARGVMENT DV SECOND LIVRE.

Neptune gardant encor fon courroux contre les

Troyens, à raifon du pariure Laomedon, employé(outre fes forces) la puiffance de Iunon, d'Iris, &

d'Eole, pour fe vanger fur Francus, voulant enfeuelir

luy &fes deftins fouz la mer. Francion tourmenté des

tempeftes, &ayant perdu tous fesvaiffeaux, fut pouffécontre des rochers de l'ifle de Crète, en laquelle vn

Roy nommé Dicee le reçoit auec toute courtoife libé-

ralité. Ce Roy courant vn cerf, rencontre d'auentureces Troyens endormis fur le riuage, recreuz de tra-uail & laffitude. Cybele auoit enuoyé à ce Roy leDieu du Somne en fonge, pour luy donner enuiedaller à la chaffe ce mefme iour. Francion fait en-tendre à Dicée fon nom, fon pays &fa ville, &l'occa-fion de fon nauigage, & fon naufrage. Les fantaumes

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ARGVMENSDESLIVRESDE

de fes compagnons, que la tempefte auoit engloutis,fe prefentent à luy la nuiét fuiuante : aufquels il dreffe

des tombeaux vuides, appeliez xEvorâçta,&leur fait des

obfeques. Apres il fupplie la Déeffe Venus qu'elle le

vueille garder & fauorifer. Venus enuoye fon enfant

Amour pour bleffer &rendre amoureufes lesdeux filles

du Roy Dicée, nommées l'vne Clymene, & l'autre

Hyante, au mefme inftant que Francion arriueroit au

chafteau. Il fe fait vn feftin, où Terpin chantre tref-

excellent chante vn bel Hymne d'amour. Dicée trifte

conte à Francion la caufe de fa trifteffe, &comme fon

fils Orée eft détenu prifonnier fouz la tyrannie du

Gean Phouére. Francion s'offre à combattre le Gean :

ce qu'il fait de fi magnanime courage, & auec telle

proueffe & dextérité, qu'il le tue, &retire Orée de fa

captiuité. Dicée bien ioyeux embraffe le veinqueur,& chante fon honneur.

ARGVMENT DV TROISIESME LIVRE.

Ce liure contient les amours d'Hyante & de Cly-mene. Clymene, au commencement par grand artifice,& par belles & comme iuftes remonftrances s'efforced'arracher l'affection amoureufe du cueur d'Hyantefa foeur, afin que toute feule elle puiffe iouyr del'amour du Prince Troyen. Ces deux foeurs vont au

temple pour facrifier aux Dieux, afin qu'ils deftour-nent toute mauuaife paffion de leurs efprits. Le fils

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LA FRANCIADE. J

d'Hector va fur le riuage de la mer, où il adreffe fa

prière à Apollon. Leucothoé fille de Protée luy pro-phetife fes fortunes à venir, & Dicée offre au feigneurTroien fa fille Hyante en mariage, lequel le remercie,s'excufant fur le deftin. Orée fils du Roy immole vnehécatombe aux Dieux. Terpin chante vn bel Hymneà la Deeffe Victoire. Venus changée en la vieille pre-ftreffe d'Hécate, vient au cheuet d'Hyante, & enui-

ronne le licl de fa ceinture pleine d'efrrange vertu.Francus célèbre lesfunérailles d'vn Capitaine fon cher

amy. Clymene furieufe, par le confeil de fa nourrice,tafche de fléchir Francion par vne lettre amoureufe.

Cybele transformée en Turnien, compaignon de Fran-

cus, l'admonnefte de courtizer Hyante magicienne,pour apprendre & fçauoir d'elle les Roys, lefquelsdoiuent fortir de fon fang: la mefme Deeffe s'en-vole

après en l'antre de la Ialoufie. La Ialoufie infecte defon venin la poitrine de Clymene. En fin Clymenepourfuiuant fon faux Démon transformé en la figured'vn fanglier, s'eflance dedans le goufre de la mer. LesDieux en font vne Deeffe marine.

ARGVMENT DV OVATRIESME LIVRE.

Dicée fe courrouce, fçachant la mort de fa fille

Clymene, &penfe comme il doit punir Francion, qu'ilfoupçonnoit en eftre caufe. Ce Prince Phrygien faitentendre à Hyante l'amour qu'il luy porte. Hyante &

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ARGVMENSDESLIVRESDE

Francus vont le lendemain au temple: vne Corneille

parle, &aduertit Ambloisde n'accompaigner Francion.

Ce Prince fupplie Hyante de luy monftrer les Roys

qui fortiront de fon eftoc. Hyante difcourt fi elle doit

aimer ou non. Elle commande à Francion d'appreftervn facrifice aux efprits des enfers, &fe parfumer d'en-

cens mafle, & autres femblables fuffumigations. Il

obéit à ce commandement. Le Poëte defcrit vne foffe

& horrible defcente aux enfers. Apres que Francus a

immolé la victime, & inuoqué toutes les puiffances de

l'empire de Pluton, Hyante vient toute tremblante &

folle de fureur, laquelle prophetife audit Francus fon

voyage es Gaules. Elle prédit le fonge du fantofme

qui doit apparoiftre à Marcomire, &ce que fera Mar-

comire ayant en fon armée trois cens Capitaines.

Apres elle difcourt comme les âmesviennent &reuont

en nouueaux corps, & dequoy tout ce qui eft viuant

en ce monde, prend fa naiffance: Que deuiennent les

âmes le corps-mourant, quelle punition elles endurent

aux enfers pour leurs péchez, &.comment elles s'en

purgent, &;par quel efpace de temps. Francion facrifiede rechef aux Deitez infernales, & les âmes fortentincontinent pour boire du fang de la victime. Lors ildemande à Hyante, qui font ceux qu'il voit : &par ce

moyen apprend fommairement l'vn après l'autre lesnomsdes Rois de France, les actes infâmesdes vicieux,&les geftes magnanimesdes vertueux. Bref, ce Hureeftdes plus beaux, pour eftre diuifé en quatre parties : La

première eft d'Amour, laféconde de Magie,latroifiémede la PhilofophiePythagorique, dite p.ETeu.ijiû/.tDoi;.L'Au-theur fe fert exprès de cefte faulfe opinion, à fin que

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LA FRANCIAI)I!. 9

cela luy foit comme vn chemin &argument plus facile

pour faire venir les efprits de nos Roys en nouueaux

corps : car fans telle inuention, il euft fallufe monftrer

pluftoft Hiftoriographe que Poëte. Laquatrième partieconfifte au narré de la première génération des Mo-

narques de France iufques à Pépin, duquel commence

la féconde génération.

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Tu n'as, "Ronfard, compofé cefl ouurage,

Il eft forgé d'vne royale main :

CHARLES fçauant, viâorieux & fageEn efl l'oAutheur, m n'es que Tefcriuain.

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LE PREMIER LIVRE

DE LA FRANCIADE.

AV ROY TRES-CHRESTIEN, CHARLES

NEVFIESMEDE CE NOM.

Mufe,l'honneurdesfommetsde Parnaffe,Guidenia langue& mechantela raceDes Rois FRANÇOISJX/T^J-de Francion

Enfantd'HeclorTroyende nation,Qu'onappelloitenfa ieuneffetendre

Aftyanax& du nomde Scamandre.Dece Troyencontemoylestrauaux,

Guerres,confeils.,Ù" combienfur les eauxIl a defois (endefpit deNeptuneEt de lunon)furmontéla Fortune,Etfur la terre efchappêdepérisAinsque bajlir lesgratis mursde Paris.

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LE I. LIVREDE

CHARLESmonPrince enflez-moyle courage,Pour voftrehonneurïentrepren cet ouurage:

Soyezmonphare & gardez d'abyfmerMa nefquiflotte enfi profondemer.

Défiavingt ans auoyentfranchi carrière

Depuisle iour que la GrèceguerrièreAuoitbrûléle mur Neptunien:

Quand duhaut cielle grand Saturnien

Baijfa lesyeux & vit Troyedeferte,De meintetombe<Ùrmeintbuijfoncouuerte,Secourrouçantfa perruque esbranla,Puis au confeiltous les Dieuxappella.

Du cield'airain lesfondemenstremblèrent

Deffouslepied des Dieuxqui s'afiemblerentTousmarchansd'ordre enleurfiege apprefté:Lorslupiterpompeuxde maiefiè,LesfurmontantdepuiffanceÙ1de gloire,Sevint ajfoir enfon throned'yuoireLefceptre au poing, puis fronçant lefourci,

Renfrongnéd'ire, aux Dieuxparloit ainfi.lamaisau coeurie n'eu telletrifteffe

Nypour mortelpour Dieu nypour Deeffe,Que i'eu la nuiSlqu'onbruloit Ilion:

Quandle cheualpreignantd'vn millionD'hommesguerriers, defa voûteferméeVerfadans TroyevuemoijfonarméeD efpieuxd'efcusde lances<&de dursBranlez es mainsdes Argiuesfoudars.NonfeulementlesDolopcsgendarmesPaffbyentles corpspar le tranchantdesarmes,Maisnosmaifons,facrileges, pilloyentEt de leurs Dieuxles autelsdefponilloyent,Qui reuerezpar la ville TroyenneFumoyenttoufionrsd'vneodeurSabéennc.

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LA FRANCIADT. lj

Làforcenoyentdeux tygrèsfans merci

Le grand Atr'tde& lepetit auffi

loyeuxdefang: le carnacierTydide,Et lefuperbehéritier d'Eacide:

Là l'ithaquoischargédu grand bouclair

Qui nefut fien brillantcommevn efclairQuiça qui là s'efclattede la nue,Gros devengeanceenfanglantoitla rueD'vn peupleau UBfurprins 4y déueftu,Du fer enfemble& dufeu combatu.

Ainfiqu'onvoit vnefiere lionne,

Quela fureur <ùrla faim efpoinçonne,Ajfajfinerle débiletroupeau:

Entre les dentsfanglante en ejl la peau,Quipend encoreenfa mâchoireteinte:Lepajieur fuit qui fe pafmede crainte!

AinfilesGrecsdetailloyent&•brifoyentLepeuplenu: Lesfeux qui reluifoyentSur lesmaifonsà fiâmesenfumées,Donnoyentlumièreaux Princesdes arméesAu meurtreaufang: vnfi crueleffortMonftroitpar tout l'image de la mort.

Et toy limondefiusla porte affife,Haftoisles Grecsardansà l'entreprifeAueçPallas, quifur le hautfommetDu premiermur (horrible enfon armet

Quela Gorgoneafprifi de mainteefcaille)A coupsdepique esbranloitla muraille

Bouffanted'ire, {? d'vneforte voisCommevn tonnerreappelloitles Grégeois,Lesanimantà la vengeancepronte:

Efprits malins,qui n'auez point dehonteD'auoir deftruitvn royaumefi beau,Fait qu'Ilionn'eflplus qu'vn grand tombeau,

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14 LE I. LIVREDE

Et quePriam Monarquede l'Afie,Piteuxfpeblaclel a refpandufa vieSurfes enfans,qui auoitfurmontéTouslesmortelsen iufticeÙ"bonté.

Ce Roypleurantfon ejlat miferablcEn cheueuxgris en barbevénérable,Du cruelPyrrhe extrêmementprejfé,Surmonautel metenait embraffé:

Quandil receutenfa gorge frappéeDe ï Achillinle tranchantde l'efpée,Ouid'vn grand couple chefluy décolla:Bienloin la tejle enfautelant alla !Le corpsfans nomfans chaleur{? fans faceCommevn grand troncbronchadejfusla place.

Cetarrogant qui les Dieux defpitoit,Qui defureur fon pèrefurmontoit,Nonfeulementd'vnefureur maiftrejfeLefer au poing tuoit la tourbeépeffe,Maisoutrageait lefexefémininQui de nature eft courtois& bénin.Il pourfuiuoitau trauersde la fiante.Du preux HeclorAndromachela femme,Qui déplorantpour-neantfon dejlin,Efcheuelée,auoità fon tetin

Prejféfon fils, en qui levray imageDu pèrefien eftoitpeint au vïfage.D'entrefes brasie defrobaylefils :Lors enfa placevnefeinte iefis,Que ieformaypoitrijfant vne nue,Quifut des Grecsenfon lieu recognuëDu toutfemblablea l'héritier d'HeSlor,Mefmescheueuxcrefpelusdefin or,Lesmefmesyeux lefront mefme(? lu taille :Puis cettefeinte à la mèreie baille

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LA FRANCIADE. If

Pour la donnerà Pyrrhe: & toutfoudainCachantl'enfant danslesplis de monfein,le lefauuay de l'efpéehomicide:Levainfansplus fut proyed'AEacide!

le l'aduerti d'aller trouuer aprèsSonfils au temple,oùdeux cheualiersGrecsL'vnefur l'autre amonceloyentla proye,Tout l'or captif de Priam& de Troye,Femmesenfanséf vieillars enchaînez,De leurs maifonspar les cheueuxtraînez:Et qu'il aurait pour merquemanifefteL'ardant efclaird'vneflamecelefieAu haut du chef vray figne qu'il feroit

Pafteurdepeuple, isr qu'vn iour il feroit

Naijlredes Rois, à qui la deftinéeAuoitla terre enpartage donnée.

le n'auoisdit, que toutfoudain voici

Pyrrhevenir, qui rauit tout ainfiL'imagefeint horsdesbras de la mère,Qu'vn loup lefan d'vne bichelégère.Il leporta fur le haut d'vne tour,D'où le rouant & tournant de maint tourEn tourbillons,d'vn bras arméle ruePiedcontre-montau trauers de la rue.

Ainfi tombapar trançonsdécoupéLevain abus dont le Grecfut trompé:Car Francusvit & maugrè touteenuieDefes poumonsva refpirant la vieDedansButhrote,enceschampsoùla voisVitprophétiquees chefnesDodonois,Près Helenin& fa mèreAndromache

Quifans honneurpar les tourbesle cache.

Défialafleur defon âge croiffantVad'vn poil d'orfon mentoniaunijfant,

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\6 LE I. LIVREDE

Et toutfon coeurbouillonnede ieuneffe:

le neveux plus qu'il languiffeen parejfeCommeincognufans fceptre ù" fans honneur,Mais tout rempli deforce <Ùrde bon-heur,le veuxqu'il aille oùfon deftinl'appelleTigefutur d'vneracefi. belle:Sansplus en vain confommerfon loifirParte de là : tel ejl noflreplaifir.

Il difi ainfi: lesDieux qui s'eleuerent,Tousd'vn accordfa paroleapprouuerentEnmurmurantcommeflots de la merDequi lefront commenceàfe calmer,QuandAquilonaffoupitfon orage,Et l'ondebruit doucementau riuage.

Au départir Mercureil appella:Pour obéirMercures'en-alla,Prompt mejjagerà la plante légère,Deuant le thrôneoùl'appelloitfon père.Vole,monfils, où Francuseft nourri,Huchelesvents: dy que iefuis marriContrefa mère& ceuxquifans louangeTrompentfon âge envne terre eflrange.le ne l'aypas du majfacrefauuéPour eftreoififde parejfe agraué,Vnfay-neant enlafleur defon âge:Maisi'efperoyqued'vn maflecourageIroit vn iour des GaulesfurmonterLepeuple rudeÙ1fafcheuxà douter,Chauda la guerre iy ardant a la proye,Poury fondervne nouuelleTroye.Pourcedefloge,Ù"le fais en-aller.« Le tempsperdu neje peut r'appeller.

Apeineeut dit queMercures'apprejle,Sa capelineaffublafur fa tefte,

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LA FRANCIADE. •7

De talonniersfes talonsajfortit,D'vn mandillonfon efpaulevejiit,

Priftfa houjjineà deuxferpens ailée;Puis à chefbas enfonçantfa volée,Oresà poin&e, oresd'vn grand contourHachoitmenutout le cield'alentour:

Ainfiqu'onvoit aux riues de Méandre

L'aigle*

foudricrau hautdel'airfependre,Puis auifantfa proyeentre lesjoncs,CanarsHérons& Cygnesaux colslongs,Raudeà l'entour, i? tournoyantombrageD'vncorpsplumeuxtout lehaultduriuage.Apresqu'il eut de ciel en cielvolé

Viftecourrier defon talonailé,Sevint planter au pied d'vnevallée,OùAndromacheeftoitce tour alléeAuecfon fils, pour repaijlrefes yeuxDesjeux facrez à la mèredes Dieux,

Ceiour eftoit la feftefolennelleQue tous les anson choumoita CjbelleAu moisd'Auril, faifon oùla rigueurDefon Atys luyefchauffale cueur,Que les Troyensauoyenten reuerance,Defils enfils l'honorantpar vfance.

Or' cescaptifspar la Grèceefpandus,De tous coftezauxjeux s'eftoyentrendusPar le congédes Princesde la Grèce,Pourcélébrerle iour de leur Deejfe.Eux equippezde bouclairs<&de dars

Contre-imitoyentlesantiquesfondaisLesCorybansqui d'vne efpefiébande

Danfoyentautour de Cybellela grande.Là lesvieillarsd'vn baftonfecourus,Là lesgarçonseftoyprt^fbjîslïïvçourus,

Ronsard.—I1L / ;.V'' '' \

*Foudrier.qui portela foudre:commeH;tr-qucbuiier,quiportelaharquebtife:Archer,quiportel'arc.

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18 LE I. LIVREDE

Femmes,maris, leur foiiuenantencore

D'ide Ù1de Troye,où la Mèreonadore.A l'impourueuMercureeftarriué,

Qui Helenindifcouranta trouué

(Bien loin du bal près le riuage humide)Sur lesdejlinsde FrancusHecloride.Lerecueillantd'vn profondpenfementCe Dieuluydit: Oy le commandementDe Jupiter, qui courroucémenuoyeParler à toypar la celejlcvoye.

Va (m'a-til dit) oùFrancusefl nourri:• Huche, * Huchelesvents: dy queiefuis marri

François Contrefa mère,& ceuxqui fans louangequilignifieCachentcePrince envue terre eflrange.appe1er.

j, Yrancusc{umaffacrefauneDelavient J JJ J

vnHuchet,Pour eflreainfi deparejfeagraué,celïvncor- yn fay-ncan(en \a f}eur((e foll^ÇTQ.net,duquel ,, . ., r „ n °onappelleMais i ejperoyque d vn majlecourageleschiens& [roif vn 'lotir^esQuillesfuilnOllteràlachaire. Lepeuplerude& fafcheuxà douter,

Chaudà la guerre, & ardant a la proye,Poury fonder vue nouuelleTroye,Dont la mémoireen tous tempsfloriroit,Et par le feu iamaisnepérirait.

PourceHelenin,& toy mèreAndromache,

N'cimolliffezen parejjefi lâche

L'enfantd'Heàlor, à qui lesdeux amis

Ont tant d'honneur& defeeptrespromis:.Oui doit haufferla racePriamide,Doit abaiJJ'erla grandeur AEzonide,Doit veineretout, <ùrquidoit vuefoisEJlrel'ejtocde tant de RoisFrançois,Etpar fus tousd'vn CHARLES,qui du mondeDoit en la mainporter la pommeronde.

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LA FRANCIADD. I9

Fay-leequipperd'hommes<ùrde vaiffeaux,Fay-lemarcherfur l'efchinedeseauxAux lieuxpromis, où[on dejiin le même.«L'honneurs'achepteaux defpensde la peine!

Il n'auoit dit, queplujiojt qu'vn efclair,Porté du vents'efuanouiflenl'air,Et fe méfiantdans l'obfcurde la mie,LaiJJala mèreen efmoydétenue,Et [on marydefrayeur tout tranfi,Voyantvn Dieu qui les tançoitainfi.

En-ce-pendantla ieunefjeTroyenneHaut inuoquantla Berecynthienne,D'encensfumeuxhonoraitfon autel,Chantantmainthymneà fon nomimmortel.Lesvns auoyentleursperruquescouuertesDe noiiueaupampreaux larges fueillesvertes,A longs cheueuxdesZephyresfoufflez:Lesvusbattoyentlestabourinsenflez,Lesvusaufon de laflûte percéeBaloyentarmezvuedanfeinfenfée,Et rechantansdeshynnestour-à-tour

Faifoyentfonnerles riues d'alentour.Lesbonsvieillars à teflesgrifonnèes,

Lesiouuenceauxaux plaifantesannées,Depiedsde mains& de voix refpondoyent,Et leurschanfonsauxflûtes accordoyent.Le Preflre ornéd'vneSotaneblanche,Ceint d'vneboucleau deffusde la hanche,Mitrede pin la troupedeuançoitEt les honneursde Cybelledanfoit.

Entendu cieltes louanges,Cybelle,Mèredes Dieux, Berccynthela belle,Quias le chefde citez attournê,Quias tonchar entriomphetourné

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1.1:i. LIVRE»n

Par deux lions, quandtoyMèrehonorée

Montesau cielà la voûtedorée,Pourallervoir tesfils Ù" tesneueux,Et t'abreuuerdu Neclar aueeeux.

Soisnouspropiceô tref-grande Deeffe,Rompsde tes mainsle lienqui nousprejje,Et de captifsmetsnousen liberté:la par vingt ans tonpeupleejl arrefté

Serffous lespiedsde cejleArgiueaudace.Donnequ'vn iour quelcunde nojlrerace

RefondeTroye,Ù1qu'il repouffeencor

Au ciel natal le noblefang d'HeSlor:Redonnenousvn Royaumeù" r'ajfembleEnvn monceautous lesTroyensenfemble:A fin qu'aimezdu deftinle plus fortNousremuionsheureuxde nojlremort.

Ainfipriant fift redoublerla dance:Lepeuplefuit le Preftreà la cadance'.Le templeenbruit! Cybellequi ouiflLa voix Troyenneau ciels'en refiouifl.

Pendantcefait la prompteRenomméeAufront de vierge h l'efchineemplumée,A voixferrée, auoit ja refpanduQueMercureeft du haut ciel defcendu,Et qu'il auoit d'vnevoix courroucéePar lupiterAndromachetancée,Etpar fus tousHeleninquiffauoitL'arrejl certain quele deftinauoit

Efcrit au cielpour celuyqu'onappelleAflyanax, quifans honneurrecelleSonâge envainfur le bord eflrangcr,Sansdu malheurles Troyensreuanger.

CefteDeeffeà bouchebienouuerte,D'oreillesd'yeux<&de plumescouuerte,

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LA FRANCIADE.

Semoitpar tout qu'Ajiyanax ejioit

Enfantd'HeSior, & qu'on luyappreftoitMaintenauireau combatordonnée,Pour allerfuture ailleursfa deftinée,Princefatal, & quefa mainferaitQuele Troyendu Grec triompheroit:

Et qu'ilfalloit que la ieuneffeaSîiue,Quipar la Grèceeft maintenantcaptiue,SuiuiftFrancusfutur père desRois,

Qui s'en allait dedansle campGaulois

ReplanterTroye&1la raceHeclorée,Poury régnerd'éternelledurée,

Ainji difoit la Famé: ce-pendantHeleninfut fongéant & regardantAu mandementque lupiter luy donne;De centdifcoursenfoy-mefmeraifonneOr pleinde ioye, oresplein de douleur:

Maisceconfeilluyfemblale meilleur.

C'eji d'obéirau grand Pèrecelefle,DonnerFrancusau deftin: & au refieFaireapprefier & nauires£r gensSur terre & mer atlifs & diligens,Nonengourdisdeparefe ocieufc,Maisquipouffez d'vneameinduflrieufe,Sçaurontprudens lespérils euiter,Et par trauail louangemériter.

Commeil penfoit, auifa d'auenturcEn l'air ferain le bon-heurd'vn augureS'offrantà luypourftgne tres-heureux.Fut le coinbatd'vn Faucongénéreux,Qu'vngrand Vautourprouoquantà la guerrePlusfort de bec, d'eftomac(y deferre,Oui ça qui là par le ciel le battoit,Toiimoit,viroit, fuiuoit & tourmentait,

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22 LE 1. LIVREDE

Ni?luydonnantny reposnyhaleineDe s'efehapperpar la celejteplaine.Luypour-neantau combats'animoit:Car le vautour défia le déplumait,Quand lupiter, miracle,le transformeIncontinenten la hagardeformeD'vn aigle noird'audace reiteftu.Commevn rafoir luyfit le becpointu,Aigu courbé,(y fesferres tortuesPlus que deuantfit dures i? pointues.Lorsombrageantd'vn grand ombreleschamps,Prift enfes piedsaiguifez & trenchansLegrand vautour, qu'enfes onglesil tue,Et fait veinqueurs'en-volafus la nue.

Lebonaugure auenudextrementFut du Profeteentenduprowptement:Si quefoudain en efprit délibère,Prenant l'aduis d'Andromachela mère,Et des Deuins& des Pèresgrifons,Luy apprefterdesventeufesmaifonsPournauiguerà ramesmefuréesDeffusle dos desondesazurées,Et s'en aller au gré de lupiter.« Contrele ciel on nepeut refijter.'

Incontinentpar touteChaonieSerefpanditvne tourbeinfinieDe bûcherons,pour renuerferà basMaintchefnevieil toffude large bras.Par lesforeftss'efcarte cefiebande,Qui orevnpin orevnfapin demande,

Guignantde l'oeillesarbres lesplus beaux,Et plus duifansà tourneren vaiffeaux.Contrele troncfonnemaintecongnéeD'vn bras nerueuxà l'oeuureembefongnee,

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LA FRANCIADE. 2^

Qui mainteplaye&•mainteredoublant

Coupdejfuscoupcontre l'arbre tremblant,A chefbranléd'vnelonguetrauerfeLefait tombertout plat à la renuerfeAuecgrand bruit. Le boisejlantbronchéFut par le fer artizan detranchê,Fer biendentébien,aigu quipar forceA grands efclatsfit enleuerl'efcorceDu tronc du pin fur la terre eftendu,En longscarreaux(? enpoutresfendu.

Pleinedebois la charretteattelléeVahaut ù1 baspar mont& par vallée,Qui gemijfantenrouéfous l'effortDupefantfaix le verfoitfur le bord.

Le manouurierayantmatièreprefte,Or' fon compas,orefa ligne apprefteSongneuxde l'amure,& congnantà grands coupsDedansles aiz vnefuitte de clous,D'vn art maijlrierlesvieuxfapins transforme,Et de vaiffeauxleurfait prendre la formeAuventre creux,& d'artificeprontD'vn becdefer leur aguife lefront.

L'vn allongeantle chanureà touteforcePUdejfuspli entorfefus entorfe,Menantla mainoreshaut oresbasFait le cordage,& l'autre pend au masA doublerancdesailes bien-venteufesPourmieuxvolerfus lesvaguesdouteufes,Et pourpajferfur l'échinédel'eau

Plujlojl quel'air n'ejl coupéd'vnoifeau.Incontinentqu'accomplifut l'ouurage,

Déliantla prouèonbêchele riuageCommevnfojfé large Ù1creuxpour pajferLesnefsqu'onveut dansle haurepouffer.

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24 LE I. LIVREDE

Làmaintsrouleauxà la courfiegliffianteloints ïvn à Fautre au milieude lafenteSontejlendus,afin qu'enfiefuiuantLesgrandsvaifificauxgliffiaffenten auant

Defiurle bois qui craquetantfievire

En rond, chargédufaix de la «autre.

Lesmatelotsà la peineindontez,

Deçàdelà rangezdesdeuxcofitezEn trépignant du piedcontrela place,Demainsdebras d'efipaides& defiacePoujfioientles nefspourlesfaire rouler.

Vuefiueurne cejfiede coulerDu front moiteux: vnepantoifiehaleine

Bat leurspoumons,tant ils auoientdepeineA touteforce enhurtant d'esbranlerCesgros fardeauxparejfieuxà couler.Maisà la fin les nauirespoififiéesDedansla mertombèrentefilancées:

La merfionventre en s'ouurantleurprefia,Puis l'anchrecrocheau bordlesarrefita.

Il efitoitnuibl, isr le charmedufiommeSilloitpar tout lespaupièresde l'homme,

Qui demymortpar le reposliéAuoitdu iour le trauail oublié.Tousanimaux,ceuxqui dansl'air fiependent,Ceuxqui la merà coupsd'échinéfendent,Ceuxquelesmonts& lesboisenfermaient,Pris dufiommeilà chefbaififièdormoient.MaisHelenin,quidificourantne cejfieDe repenfier,pour lefiommen'abaififieL'oeilau dormir, ainsveillant{y refilant,Or fiecouchant{? oresfieleuantMilledifcoursdificourtenfiapenfiée.Du Dieucourrier la parole annoncée

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LAFRANCIADE. 2f

Lepreffe tant qu'à touteheureen tous lieux.Il a Mercureau deuantde[esyeux,Et enl'efprit la belledejlhiée,Quipour Francusau ciel efl ordonnée,Dequi lefang & TroyenÙ1GermainDoit enferrerle mondedansfa main.

Incontinentquel'Aubeaux doitsde rofesEut du grand Ciel lesbarrièresdéclofesPrompthors du lit cebonPrincefortit,Sacamifole& fort pourpointveflit,Puisfon fayonpuisfa capea tracéeAfils d'argent fur l'efpauletrouffèe,Prift fon efpéeau pommeaucizelé.

Ainfivefluhors la porte efl alléLe dard au poing commandantqu'onajfembleGratisù" petits au confeil tous enfemble.

Lors les hierauxclaire-voixontfonnéDe toutesparts le confeilordonné:Lepeuplenépour nouuellesapprendreDroit en la place à foulefe vint rendre:

Luydefonfceptre au milieus'appuya,Puis de tels motsfa languedeflia.

PeupleTroyen,Dardaniennerace,Ceiouuenceauquipar la populaceVitfans honneurAflyanaxnommé,Eflfils d'Het'lor quetant auez aimé,Quimagnanimeenfi longuesbataillesDix ans entiersa gardé vosmurailles,Qui le rampart contre terre ruaDes Grecstremblans,qui Patrocle tua,Et retournapompeuxdedansla villeLedosvefludu corfeletd'Achille.

Or cegrand Royquifeul commandeaux Dieux,Qjti honoraHeclor&1nosayeux,

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20 LE 1. LIVREDE

La nuit que Troyecftoitvn grand carnage,Saunal'enfant par vnefeinte image:Sansmaiefé, priué ie l'ay tenuDepeur qu'il fujl des Grégeoisrecognu.le l'ay tranfmispar vne longuevoyeTantojlvers Thebe',Ù" tantojldenersTroye,Voirle tombeaudefon père ù" auffiLesnoirs enfansde Memnon,quid'iciSontejlongnez,nobleraceHeclorée,Et de l'Aurorehabitentla contrée.Enmaintpais iel'ay fait voyager-,Il a cognumaintpeuple{? maintdanger,Cognales moeursdeshommespourfe faireGuerrierpratiq' entoutegrande affaire.

Depuisvn an cePrinceeft de retourSansailion mangeantenvain le /car,Vnfait-neantdèuoyëde la traceDefa tref-nobleù1 vertueuferace,Bienqu'ilfait braueù" fous bonajlre né,Etpour hautsfaits hautementdeftiné.Toufiourspour luycegrand Princemetance,Princede l'air qui lesfoudreseflance,Dequoyfi tard ie le retiensiciSansdefon bienauoir autrefouci :Encorhier (fa puijfanceïattefle)Quepar le Ciel en clairtémanifeflele vy Mercurearriuer deuersmoy,Oui metança de la part defon Roy.

Si tu n'asfoin, dit-il, de ta lignée,Si la vertu de l'heur accompagnéeN'efmeutton coeurà voyagerplus loin,Au moinsconçoyenl'efprit quelquefoinDe tonneueu,& n'eftouffeperdueSa ieunegloire a qui la Gauleeftdeu'é,

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LA FRANCIADE. 27

Dequi doit tiaijhevn millionde Rois,GrandsEmpereurs& MonarquesFrançois.

Pource,Troyensde racemagnanime,Si la vertu natalevousanime,SuiuezceDuc du deftinattiré.Voicile iour tant defois defiré,Où vousromprezleferuagefi rude

Qui vojlrecolferre deferuitude:

Courageamis: c'efimaintenantqu'il faut( Vousdont lefang efigénéreuxi? chaud)

AccompaignerceftebelleentreprifeQue le deftindextrementfauorife.C'ejl plus d'honneurenlibertémourir,Et par fonfang lafranchife acquérir,Quede languir en hontefi vilaine.« Vnbeaumourirornela vie humaine!Il dift ainfi: puisfe leuant de là

Prefi'êdupeuple enfon palais alla.Mars quiaimoitHeclordurantfa vie,

Defecourir Francioneut enuie:Enfa faueur fit fon cocheatteler,Puisfouettantfes cheuauxparmi l'air,Qui à bouillonsfouffloyentde leurs narinesFiâmesde feuardantesù1 diuines,Vintsyabaifier fous le pied d'vn rocherPrès du riuage, oùfaifant deftacherSesbeauxcourfiersle long d'vne verdure,Trèfle<ùrfain-foin leur donnapour pafture.Puis commevn trait roidements'efiançaDedansButhroteoùfa forme laifia,Etprift le corpsl'alleure ù1 levifageD'vn vieil Troyenqu'on ejtimoittrefiage,Lequelfuiuoit enfa ieuneffieHeSlor.

Celuyportait la grande targe d'or

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28 LE I. LIVREDE

De ceftHéros, quandpourgarder fa terreSa maineftoitplus craintequ'vn tonnerre.

Or cevieillard auoit toujours efléPar lesTroyensengrande authorité.En[on femblantceDieu guerrierfe change,Autourdu front des cheueuxblancsarrange,Se labourade rides tout lefront,Marcheau bafloncommelesvieillarsfont,Et d'vnevoix toute caduqueù1 ranceFrancusaborde& en cepoint! le tance.

VrayeTroyenne(T nonTroyen,as-tu

Défiad'Hecloroubliéla vertu,Qui t'engendrapour eftrel'exemplaireCommeil efloit, du labeurmilitaire?Futur honneurdespeuples& desRois?

As-tu, couard,oubliéton harnaisPour (alléchéd'ocieufesplaifances)Vferta vie enfeflins ù" en danfes?Fairel'amour, & tout le iour en vainPleinestourner lescoupesen la main?HonteÙ1vergongne, où efles-vousallées!Nevois-tupas que lesondesfiléesPour t'en-menerfe couurentde vaiffeaux?DreJJ'el'oreille, entenlesiouuenceauxQui bandeà bandeau riuagefe rendent,Et tous armezCapitainet'attendent.

Toyfang tropfroid pour vn ieuneguerrier,Toutengourdidemeuresle dernier

Serf de ta mère,Ù" tefraudes toy-mefnesDu haut efpoirde tant de diadèmes,Et du dejlinqui t'appelleaux honneursPour commanderaux plusbrauesSeigneurs.•<Rienn'ejlfi laid quela froide ieunejfe« D'vnfils de Roy, quife rouilleen pareffe.

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LA FRANCIADE. 2Ç)

Tel n'ejhit pas HeSlorlepère tien,

Quides Troysnsfut iadis lefoutien:

Armes,cheuaux,& toute guerre abliui

Furentfes jeux, &• nonla vie oifîue,Qui te charmantd'vnfommet'a lié,

Ayantta ville & tonpère oublié,Que la vertu, la vaillance& la gloireOntilluflréd'éternellemémoire.

Monjlreà cepeupleau coeurmorneir peureux,

Queta esfils d'vn pèregénéreux.« L'hommenepeutfeignalerfa noblejfe,« S'il n'a lefang efchaufédeprouèffe!

Difant ainfi cegrand DieubelliqueurDe Francionenflamatout le cueur,

Luyarracha le bandeaud'ignorance,Et le remplitd'audaceÙ1d'affeurance.Puisil luyfoufflevn horreurfur lefront,Plus quedauant auxarmeslefijl pront,Et tellementfa ieunejfer'allume,Qu'il apparutplus grand quede couftume:Si que marchantau milieudesplus forts,Haut releuède la tefleÙ"du corpsLesfurpajfoit, commeceDieufurpajfeSur le bordd'Hebre, oufur lesmontsde ThraceTouslesfoldats, quandd'ardeur animéParmila prejfeapparoift tout armé,Couuertde poudre, i? fe plante à l'encontre-D'vn mefchantRoy,quefa lancerencontrePour le punird'auoir contreéquitéVendules loix Ù"trahifa cité.

Telfut Francus.-après ceDieufe méfiePar lesTroyensamafjezpefle-mejle,Et les tançantdans le coeurleurpouffaitVnaiguillonmordantqui lespreffoit,

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50 LE I. LIVREDE

A la vertu r'efcliaufoitleur courage.

Quoy,voulez-vousen vergongneuxferuageViuretoujours, & fans languei? fans coeurs

Toufioursfouffrir l'orgueilde cesveinqueurs>

Rompezfroijfez d'vneailegreffeprefleLe iottg cruelquivouspreffela tejle,Sansplusferuir de pafjetempsiciA cesSeigneursqui vousbrauentainji.Keffentez-vouspar vue belleaudaceDu premierfang de voftrenoblerace:

Enflez-vousd'ire, Ù"vousfouuienneencorDesfaiôls guerriers du magnanimeHetlor,Quifut iadis la craintedesplusbrauesDe ces Grégeoisquivous tiennentefclaues:Vnfeul de vous envaillevn million,Etpar la meremportezWon.EncoreDieu qui regardevospeines,Dieu quia foin des affaireshumaines,Commeles Grecsnevouseft outrageux:« Lafortuneaide aux hommescourageux.

Tel aiguillonleur verfa dedansl'ameVuefureur vue ardeur vneflameDe libertéde vaincreù1 de s'armer,Et d'emporterllionpar la mer.Tandismaintpeupleenarmeseffroyables(Auffiefpaisqueneigesinnombrables

Que l'air glueuxà basfait trébucher,Venantnoschampsdefarine cacher)Vafremiffantau bordde la marine.

Deffousle pas dupeuplequi chemineVolevnepoudre, & fous le pied qui fuitPour s'embarquerla terrefait vn bruit :Fils ne maifonsceshommesne retardent:

Trifiesde loin lesjemmeslesregardent!

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LA FRANC1ADE. 3>

Ils s'affembloyentd'vn piedfermerangez,Dedardsd'efcus& de piqueschargez,Faifantvn bruitfur les riues chenues,

Ainfiqu'onvoit les bien-volantesGruesCrier aigu quandpajfer il leurfautLa merpour viure envn pais plus chaud.

Autant qu'onvoit d'oifeausde tousplumagesAumoisd'Aurilhoftesdes marefcagesS amoncelerpourpondre<h"pour couuer:L'vnà fleur d'eaufes plumesvient lauer,L'autrefous l'eautientfes ailesplongées,Et l'autre pefche à friandesgorgées,Et l'autre tourneà l'entourdefon ny,Peupleempluméinnombrableinfini,Oui en volantfur lesriues cogniiesSepreffeenfembleaujji efpaisquenues:Autantvenoyentle corfeletau corpsD'hommeshfoule au premierfront desbords.La terre tremble& lesflancs qui emmurentLesflotsfalez dejfouslepied murmurentDe tant de gens au riuage arreftez,Tousherijfezde morionscreftez.

Commevnpajleur du boutdefa houlette,Sousla clairtê de Vefperla brunetteAupremierfoir, fepare les cheureauxDesboucscornus,desbéliersles aigneaux:

AinfiFrancusd'vneprompteallegreffeTrioit à part la gaillarde ieuneffeAufang hardy, & laiffoit d'autrepartVieillesvieillards(y enfansà l'efcart,Quifroids n'auoyentny teftenypoitrinePourfupporter la guerre & la marine,Peuplefans nerfs& fans ardeur que MarsN'enrolleplus au rang des bonsfoldars.

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^2 LE I. LIVREDE

Francusveftud'armestoutesdoréesDes mainsd'vn maiftreartizan labourées,Commelefeu d'vn tonnerreluifoit,Et fi grand peupleen ordreconduifoit,Monjirantguerrier fa taille bienformée,Tel qu'onvoit Mars au milieud'vne armée.

Lesmorionslespiquesdesfoldars,Et lesharnaisfourbisde toutespars,Et l'emerydeslamesacérées,

Frappezmenudesfiâmesetherées,Et du rebat du Soleilradieux,Vuelumièreenuoyoientdanslesdeux,De qui Vefclaird'étincellesmenuesEn tremblottants'efclattoitdans les niies,Ainfique luitfous l'ardente clairtéMaintebluetteau plus clair de l'efté.

AdoncFrancusquifetd maiftrecommandeEnfe brauantau milieu de fa bande,Voulantfa maind'vne lancecharger,D'Aftyanaxen Francusfit changerSonpremiernomenfigne de vaillance,Et desfoldatsfut nomméporte-lance,Pheré-enchos,nomdespeuplesvaincusMalprononcé,& dit depuisFrancus:Lancequifut à nosFrançoiscommune

Depuisle tempsquela bonnefortuneFit aborderen GauleceTroyenPoury fonder le murParifien.

Commeil eftoitfur le bordde la riueToutefclatantd'vne lumièreviue,Ainfi qu'vnaftre au rayonefclairci,Voicivenir Andromache,(? aujfiL'oncleHelenin, qui Augure& ProfeteEftoitdes Dieuxvéritable interprète.

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•LAFRANCIADE. }}

CejleAndromache,à qui VeftomacfendD'aifeÙ1de crainte, accolloitfon enfantAplisferrez commefait le lierre

Qui brasfur bras lesmuraillesenferre.Monfils, difoit, que toutfeul i'ay conceu,

Autrequetoy conceuoirie iîayfceuDu grand Heblor: llithye odieufeDemaint enfantma efiéenuieufe.Pourcelefoin quemèreie deuoisMettreenplufieursen toyfeul ie l'auois,le tependoypetit à ma mammelle,le t'ourdijjoyquelquerobenouuelle,Seultu eftoismonplaifir ù1 mapeur,Enfant,mary,feul monfrère Ù" mafoeur,Seulpère Ù1mère,(? voyantla femenceDetous lesmiensgermeren ton enfance,Meconfoloyde t'auoir enfantéMereftantfeul de touteparenté.Du Grecveinqueurla furieufeguerreToutema race a mifefous la terre.

Pour toy la vie ir le iour meplaifoit :Si quelqueennuylamentermefaifoit,En te voyantïallegeoy ma trifleffe,Commefoutiende ma foiblevieilleffe.Las! ie penfoyqu'au iour de montrefpas,Quandl'efprit vole, (y le corpsva la bas,Que tuferoismesobfequesfunèbres,Clouantmesyeux enfermezde ténèbres,Melaueroisle corpsfroid de tièdeeau,Etdegazonsmeferoisvn tombeauPournienterrerau bord de cenuage,Car aux bannisil n'enfaut d'auantage,Serrantenfembleenvn mefrnereposDemonmary lescendresé? les os.

Romani.—III.

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34 LE I. LIVREDE

0 lupiterfi la pitié demeureLà haut au ciel, nepermets queie meureAinsqu'il fe face en armesvngrand Roy,Et que le bruit en voleiufqu'à moy!

Donne,grand Dieu, qu'au milieude la guerre,Puijfieruer[es ennemispar terreMordantsla poudre à chefbas renv.erfezD'vne grandplaye en l'eftomacperfez :

Quedes citez la puijfantemurailleTrébucheà basen quelquepart qu'il aille,Soità cheualfoità pied guerroyant,Et que quelqu'vns'efcrieen le voyant(Fauorifédefortuneprofpere)Lefils vaut mieuxaux armesquele père.

Difant ainfi, pour prefent luy donnaVnrichehabitquefa mainfaçonna,Ohfut portraite au vif la grande TroyeEnfilets d'or ioints à filets defoye,Auecfes mursfes rampars & fes forts.La Xantheerroit pajjementantles bordsDesplis tortusdefa lenteriuiere.Là s'efieuoitla cymeforeftiereD'Idepineufe, oùfourçantfauteloitMaintvif ruijfeauqui en la mer coulait.Aupied du montfut en richepeintureLe beauTroyen,qui chajfoitd'auentureVncerf au boisoù lupiter le vit,Quipar fon aigle en proyele rauit.

Ce ieuneenfantemportédansles nuesTendoitenvain versTroyeles mainsnues.Seschiensen l'air qui pendule voyoient,L'ombrede l'aigle Ù1les ventsaboyoient.HeclorauoitcefterobeportéeLeiour quHélèneen triompheabordée

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LA FRANCIADE. }f

Entra dans Troye,{? depuisnel'auoit

Mife: fansplus de parade feruoitAu cabinet,oùlesplus chèreschofesDe cegrand Prince eftoienttoutesenclofes.

Laluydonnant,Prenez,dit-elï, monfils,Cebeauprefentquede mesmainsiefis,Pour gagefeur d'amitiématernelle,

Ayantde moyfouuenanceéternelle.

Ainfipleurant, Francus elleaccolla.Le corpstoutfeul au logis s'en alla,L'amedemeureenfon fils attachée:Puisfur vn li£lfiesferuans l'ont couchéePour la donneraufommeiladoucyQui desmortelsenchantelefioucy.

EncependantHeleninprend la corneD'vngrand toreauau colpefiant(? morne,Aulargefront, Ù"fans aucuneffortDefon bongré l'amenaitfur le bort:Puis vn grand coup demaillet luydejfierreEntrelesyeux: le toreautombeà terreSur lesgenouxà chefbaseftendu!Il l'efgorgea: lefang s'eft refpanduA longsfilets dans le creuxd'vne taffe:

Parmylefang qu'à bouillonsil amajfe,Méfiaduvin, par trois fois l'efcoulaDefifusla mer,puis Neptuneappella.

PèreNeptun, Saturnienlignage,A quipar fort la mer vint enpartage,Quele Soleiln'a peu iamaistarirPour te laijfer touteschofesnourrir,Entenmavoix: donneque la nauireDeceTroyenfillonneton empireSoustafaneur, <krcejfiele courrouxQjiedéslong tempstu gardes contrenous.

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36 LE 1. LIVREDE

Neptuneouyt la TroyenneprièreA chefhaufféfur l'ondemarinière,Etfe plaignant encored'Ilion,Vnepartie ottroye,Ù"l'autre non.Il ottroyaquela flotte TroyennePaurroit aller dejfusl'ondeEgéenne:Maisne voulutl'autre part ottroyerD'yfeiourner long tempsfans la noyer.Lors Heleninadrejfefa paroleAfou neueu,<ùrainfi le confole.

Courage,Prince, il tefaut endurer:Tu doislong tempsmaintfillon mefurerDela grand' mer,auanfque tu arriuesFatalementaux Pannoniquesriues.Tousn'irez pas: c'efl l'arreft du défini.Maispour celanefauls à tonchemin,Que ie te veux nontout du longapprendre,Depeur qu'vn Dieunem'enviennereprendre.

Sortantduport, gaigne la grande mer,Fayta galère à tour de bras ramer

(Ta mainnefoit du labeurajfoibliejEntreCoryceÙ*l'ijle Aegialie.Quand tu feras au flot LaconienPren à maindextre, {yfage auifebienDe ne heurterau rocherde Malée,Où l'ondeenl'ondeeftafprementméfiée.Là maintferpent isf maintgrand chienmarin

Mangeles nefs, Ù"d'vn gofiermalinHumela mer, quebéantil reiettePlus roideau cielqu'vneviflefagette :

Par tourbillonsla vague quife fuit,Contreles bordsabayed'vn grand bruit.

De là pouffant tes naturesarméesOutre la mer des Cycladesfemées,

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LA FKANCTADE. 37

ReuoirrasTroye& lesfunèbreslieux

Pleinsdes tombeauxde tes noblesayeux.De la finglant a ramesvagabondesPar le dejtroitdes homicidesondes,Voirrasle Pas oùfe noyala SoeurPendueaux crinsdefon béliermal-feur.Tuferas voileau ThracianBofphore,Où llnachide eftantveftueencore

D'vnpoil de boeuf,à coupsd'onglespajfaEnlieude rame,Ù"fon nomluy laiffa.Puis approchantdu grand Danubelarge,Ouipar fept huiz en la merfe dejcharge,Viendrasà l'ijle, à laquelleles PinsDonnentle nom: làfçauras tes deflinsL'vn aprèsl'autre, hofiedela riuiere

De qui la corneeflfi braue& Ji fiere.Cefleuueayantfur la teftevn rouzeau,Et fous l'aijfellevnvafe remplyd'eau,Et du mentonverfant vuefontaine,Te dira tout d'vne bouchecertaine.A tantfe teut: Iunonqui defcendit,En le tançantla voix luydéfendit.

Tandisla troupeau trauail nonoijiue,Letoreaumortrentierfe fur la riue:Ils ontle cuir en tirant efcorché,Puis ejlripé,puis menudéhachéA morceauxcrus : ils ont d'vnepartieSur lescharbonsfait de la chair rojîie,Embrochél'autre, Ù1cuitepeu à peuDe tous cofiezà la chaleurdufeu',Vontdébrochée,en despaniers l'ont mife,L'ont découpée,& fur la table ajjife,Ont pris leurfiege, ont detranchélepain,Ontfait tourner le vin de mainen main,

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•}8 LE I. LIVREDE

Boiuantde rang à tajfes couronnéesD'vn coeurioyeuxl'vn à l'autre données.

Apresqu'ils ont du boireÙ"du mangerOJtéla faim, ils s'allèrent logerAupremierfront de la riue mouilléeSur des lits faits d'herbesÙ" defueillée,Où toutenuit iouyrentdu reposRonflantlefommeau murmuredesflos.

Au découcherdel'Aurore nouuelleLevieil Vandoisdufiflet les appelle(Qui feul eftoit le Pilote ordonné)Voyantle vent enpoupebientourné.VnbruitJe fait par les bancsdu nauire,Puis àfa tafchevn chacunfe retire.SoudainFrancuslefiflet entendit:Lorstout arméfa maindextreeflenditDeffusla terre, iy fesyeux versla nue

Eflantdeboutdeffusla riue nuePriait ainfi: O grand Patarean,A l'arc d'argent, tire-loin, Thymbrean,Garde, Apollon,entièreceftetroupe,Dieud'embarquage,Ù"permetsque ie coupe

Com- $ousheureuxfort la *commandequi tient

\a%Toiïe Manefau bord. A peine eut dit, qu'il vientcordequi Hors dufourreau tirerfa large efpée:tiente a- QU(gu^^ COrdeen deuxparts fut coupée,

Qui la nauireau riuage arrefloitFermeattachéeà vn tronq, qui eftoitD'vn chefnevieilfoudroyédu tonnerreDe quatre piedsejleuéfur la terre;Puis vers le vent adrejfafortparler.

Vent,le balaydes ondes& de l'air,Qui dela nue en centfortes te ioues,Qui cegrand Toutéuentes(? fecoucs,

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LA FRANCIADE. "]<)

Quipeux cent bras ù1 cent bouchesarmer,Vien-t'enpoupierton haleineenfermerDedansma voile, afin quefous ta guidel'aille tenter cegrand Royaumehumide.

Dieu qui le ciel régis de tonfourcy,Sides humainsta natureafoucy,Entenmavoix : Donne,père celefte,Enmafaueur vnfigne manifefte:

Tu le peuxfaire : ondit quequelquefoisTufis volerdeuxpigeonspar cesbois:L'vnfut donnéà lafonpour efcorte:DonnemoyVautre,afin qu'heureuxie porteDemonfalut lefigne tref-certain,Eftantcouuertdufecours de ta main.

Commeil priait, des Dieuxle père {? maifireFitpar troisfois tonnerà mainfenejhe:

Et cependantles rudesmatelots,

Peuplefarouche,ennemydu repos,D'vn crynaual hors du riuageprocheDèmaroientïancre a la mâchoirecroche,Guindoientle mafia cordesbientendu.

Chaquefoldat enfon bancs'eji rendu

Efcheupar fort : de brasÙ*depoitrineIlss'efforçaient: la nauirechemine!Lescris lespleurs dedansle ciel volaient

Dejfousl'adieu de ceuxqui s'enalloient!A tant Francuss'embarqueenfon nauire,

Lesattironsà doubleranc on tire:Leventpoupierqui fortementfoufiaDedansla voileà pleinventre l'enfla,Faifantfifler antennesiy cordage:La nefbienloins'efcartedu riuage!L'eaufous la poupeaboyantfait vn bruit,Qu'vn train d'efcumeentournoyantpourfuit.

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40 LE I. LIVREDEi. A FRANCIADE.

Quivit iamaisla brigadeen la danfeFrapperdespieds la terre à la cadanceD'vn ordreégal d'vnpas iujle & conté,Sanspoint faillir d'vn ni d'autre cofté,Quandla ieuneffeaux danfesbienapprifeDe quelqueDieu la feftefolennife:Il a peuvoir les auironségauxFrapperd'accordla campagnedes eaux.

CejtenauireégalementtiréeS'alloit traînant dejfusl'ondeazuréeA dosrompu,ainfl quepar les bois

(Sur leprintempsau retourdesbeauxmois)Vala chenilleerrante à touteforceAueccentpiedsfur lesplis d'vne efcorce.Ainfiqu'onvoit la troupedes cheureaux

Apetits bondsfuyure lespaftoureauxDeuerslefoir aufon de la Mufette:Ainfilesnefsd'vneaffez longue traitteSuiuoientla nefde Francus,quideuant

Coupoitla merfous lafaueur du ventA large voileà my-cercleentonnée,

Ayantdefleurs la poupecouronnée.Veaufe blanchififous les coupsd'auirons:

L'ondetortue ondoyéaux enuironsDe la carène,<&autour de la proueMaint tourbillonen efcumantfe roué:La terrefuit, feulementa leursyeuxParoifl la mer l? la voûtedesdeux.

FIN DV PREMIER LIVRE.

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LE SECOND LIVRE

DE LA FRANCIADE.

DespuijjansDieuxla plusgaillarde troupeEJloitplantéeaufommetde la croupeDu montOlympe,où Vulcanà l'efcartFit de chacunle beaupalais à part,Qui contemplaientla TroyenneieuneffeFendrela merd'vneprompteaie'greffe:Flotdeffusflot la nauirevoloitVntracd'efcumeà bouillonsfe roulaitSousl'auironqui lesvagues entame:L'eaufait vn bruit luttant contre la rame!

Tout le troupeaudesNymphesauxyeux persMenantle bal deffuslesfilions vers,A chefdrefféregardaienteftonnéesLespins fauterfur lesvagues tournées:Vnfeul Neptun

1couuoitau fons du cueur

ContreIlionvne vieille rancueurGrosde defpit, du iour quemercenaire

(Dieu fait maçon)demandafon falaire

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4^ LE II. LIVREDE

A LomedonPrincede nullefoy.Il demandoitiuflementà ce RoyL'argent promisd'auoir defa truelleFait des Troyensla muraillenouuelle,Quandfe roulaientd'eux mefmeslescaillouxSousfon marteau: le Royplein de courroux

Luydéniafa promejfe,ér pariureEn lefrappant le paya d'vneiniure.PourceNeptuneen ragefe tournoitD'ire boufiquandil s'enfouuenoit:Or voyantTroyeen ceseauxejlancéeDifoit tels motsfurieux de penfée.

Hapanure Dieu vaincupar lesmortels!

Dequoymefert la pompedes autelsFrèreà lupin, raceSaturnienne,Si malgrémoyla cendrePhrygienne,Le demourantd'Achille eft triomphant,Et, qui plus eft, conduitpar vn enfantQuimedéfie, & fans craindremonireDefes bateauxfillonnemonempire>

Dequoymefert le trident en la main,Auoir l'Egidearmurede monfein,Tel qu'a monfrère, auoir pour héritageLa grande mer du Toutfécondpartage,Si le nepuis d'vn mortelmevenger}Il nefaut plus melaiffer outragerSanschaftiercefterace infidelle.« La vieille iniure appellela nouuelle.Le cielvengeura bannyfur meseauxCesPhrygienscoupablesdes trauaux

Queie receu, quandau port deSigéeLesGrecsprejfoientleur murailleajfiegée,Et qu'Ilionpar le coursde dix ansFournitde meurtreaux frères Atreans,

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LA FRANCIADE. 4^

le mefforçayd'vnebriguecontraireDefond en combleà lesvouloirdesfaire:Maisle deftinne le voulutfouffrir,Qui maintenantcesbannisvient offrirA mapuiffanceÙ"changémeconuieDemevengeraux defpensde leur vie.

Difant ainfi,fit Jon char atteler,Quedeuxdauphinsfont viflementroulerA doscourbé,à queuestortillées,Fendantdufein les vaguesefmaillées.Luydejfusl'ondeenfon fiege portéCommevn grand Princeornéde maiejlé,Guidefon char: le charqui va fans peine,Fierdefon Royfur lesvagues le meine:Tritonlefuit, {y VamoureuxtroupeauDesNymphesfoeursqui danfentà fleur d'eau:Lorsdu Troyendeuançantla nauire,Lesventsappelle, (? ainfi leur va dire.

Vents,la terreur des deux & de la mer,Cen'eftpas moyqui vousfis enfermerEnvoz rochers,oùdétenusencrainte

Dejfousvn RoylanguiJJ'ezpar contrainte:Vnfeul lupin lefit contremonfçeu:Afon pouuoirrefiflerle n'aypeu,Car c'eflvn Dieudepuiffanceinuincible:

Ainfiqueluy ie ne vousfuis terrible,'

Vouscareffant& prefîant niamaifon,Quanddechaifnezfortez hors deprifon,Nonà vnfeul, maisà tousquatre enfemble,La renuerfantainfi que bonvousfemble.

Pource,Aquilon,nefouffreplusparmyMonflot falé ce bagage ennemy,Maisd'vngrand vol retourneversEole:

Dy luyqu'il tienneauiourd'huyfa parole,

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44 LE II. LIVREDE

Et lefermentqu'en la dextre il mefit,•Hercule,Quandpar monaide*Herculeil defeonfit.u'eiiautre Quedefon feeptre il face vne ouuerture

Sc.°en'Uqne^ux ventsenclosen leur cauerneobfcure:les vents Qu'il les deftache,<ùrportez d'vn grand bruit

defcoùfirVChargezd'efclair de tempefte& de nuit,quandcf- Par tourbillonsenflentla merde rage,pemuant £t ccs froyensaccablentd'vn orage:

nuéesils Dyluyqu'il rompeau trauers des rochers,ofliifqucntpour mevenger, nauires& nochers.a iarc.

^^ digne n'ejl tellegent pariuréeDevoir longtempsla lumièreetherée:

AJfezÙ1trop malgrénousa vefeuCefang mauditpar tant defois veincu.

Apeine eut dit, qu'il vit la mejjagereIris voler d'vneplumelégèreSortantde l'eau, laquellereuenoit

Devoir Tethys,& au cielretournoit

Grojfed'humeurs.CeDieus'approchad'elle,

Luytendla main, la careffeÙ"l'appelle.Honneurde l'air, va conterà lunon

Que les Troyensennemisdefon nom

Frappentla merà raines retournées,

Enfor-celezdefauffesdeftinées.Si le courrouxboult encor enfon cuev.r,Si le defpitd'vne vieille rancueurSoneftomacencoresefpoinçonne,C'ejl maintenantque le deftinluydonneDefe venger le temps<&le moyen,Perdant FrancusÙ1tout lenomTroyen.Dy quefoudain mettela maina l'oeuure,Quefa puijfanceen l'air elledefcoeure,BraJJantcontreeuxvn amaspluuieux.

A tant fe teut : Iris remonteaux deux,

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LA FRANC1ADE. 4f

Tirant vn arc dejjusles ondesperfesToutbigarré de cent couleursdiuerfes:Puisfous le trofneà limonfe coucha,Et de biaisà [es piedsfe panchaAinfiqu'vnchien,qui craintif & fidelle

Oyantaux boisle veneurqui l'appelle,

(Cerfs & fanglers & buijfonsoubliez)Vientà fon maiftre,Ù1s'endortafes pieds.

Incontinentmaintestroupesde nuesSontpefle-mejleà leur Roynevenues,Commetroupeauxqui bêlentà ïentourDe leur pafteur, quandla poincledu iourEt la roféeaux herbeslesconuie.Et lors lunond'vn tel amasfuiuieLesprejfeenfemble,iy enfon giron preftLeurformevn corps tout ainfi qu'il luyplaift:L'vneelleenfloitde monftrueuximages,L'autredepluye<ùfde venteuxorages:L'autreen bruyantfur l'autrefe roulait,L'autreblafarde<&noiraftrecoulait

Ayantd'azur la robeentre-femèe,Et l'autre eftoitdefeu touteallumée.

Tandisles ventsauoientgaigné la mer,Qji'àgros bouillonsils faifoient efcumcr,Larenuerfantdufond iufquesau fejié:VneimportuneoutrageufetempefteSifflantbruyantgrondant <ùrs'eflcuantA montsbojfusfous lefoufflerdu vent,Branlefur branle& ondedeffusonde,Entre-ouuroitl'eau d'vneabyfmeprofonde:Tantoftenfléeaux ajlres efcumoit,Tantoflbaifféeaux enferss'abyfmoit,Et forcenantd'vne efcumeuferageDeflots armezcouuroittout le nuage:

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46 LE M. LIVREDE

Vnfifflementde cordesù1 vn bruitD'hommess'efleue:vne effroyablenuitCachantla merd'vnepoiffeuferobe,Et tour (y mer aux matelotsdefrobe.L'air fe creuadefoudres& d'efclairs,A longuepoinbleeftincelans<ùrclairs,Drus ï? menus,ù3 les pluyestortuesPar centpertuisfe creuerentdesnues.Maintgros tonnerreenfoufrés'efclattoit,De tous coftezla mortfe prefentoitA cesTroyens: lorsd'vnefroide crainteEn tel danger Francuseut l'ameattainte:De largespleurs il arrofa fes yeux,Puis gemiffanttendit lesmainsaux deux.

S'il tefouuientde noshumainsferuices,Grand lupiter, n oubli'lesfacrificesDupère ?nienJquifus tousles mortelsDe boucsfanglants a chargétes autels.Hà tu deuoisen la TroyenneguerreFaire coulermoncerueaucontreterre,Sans mefauuer par vnefeinte ainfiPour metrahir à cecruelfouci l

l'eujfe eu mapart aux tombeauxde mespères,Où ie n'atten que cesvaguesameresPourmonfepulchre, abuféde l'efpoirQuetes deftinsmefirent conceuoir.

Commeil difoit, les tempeftestroubléesOnt contreluy leursforces redoublées:L'air creuajféd'vn tonnerregrondantEt d'vnepluyeentortis defeendant,Suiuyd'efclairstombezde l'air enpreffeLechoitla merd'vnelumièreefpefj'eAfeu menuqui fur l'eaus'eflançoit,Et des nocherslesyeux esblouiffoit:

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LA FRANCIADE. 47

Desvieuxpatrons la parole efpandueSanseftreouyeen l'air ejloitperdue:L'vncourt icy, l'autre court d'autre part,Maispour néant: le malfurmontel'art!Si eftonnezqu'ils n'ont pour toutesarmes

Quelesfanglots, lesfoufpirs & leslarmes,Lestrijlesvoeux,extrêmereconfortDesmal-heureuxattendusde la mort.

Aucunefoisvue bourrafchefiereHeurtela proue, (? la tourne enarrière:

Aucunefoisla tempejledu vent

Singlela poupe<ùrla pouffeenauant,Romptla carène,& deforte fecouffeEnl'efchouantà coftéla repouffeAuecgrand bruit: le vaiffeaufoufletéDiffbult,fe crèueoùle ventl'a heurté.

Entre lesfeux, le tonnerreÙ"la pluye,La nuit, la greffe, vueardentefurieD'orage emporteà l'abandonde l'eauSix grandsvaiffeauxejlongnezdu troupeau.Maisà lafin la bonaffefortune(Toufioursne vit le courrouxde Neptune)Loinles abordeau riuage incognuDe la Prouence,oùle RhofnecornuEntrerochersroulantfa vifte chargePrèsAlgue-morteen la merfe defcharge.La cesTroyensfur lefable arriuezFurentlong tempsd'hoftelagepriuezSansmaçonnervnemurailleneuue:Touchezaprèsde la beautédufleuue,Loingd'ilionplantèrentà TournonDe leurpatron lesarmes<ùrle nom,Braueguerrier, qui gros de renommée

loignit depuisà Francusfon armée.

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48 LE II. LIVREDE

Septautresnefs contraintespar l'effortDesfouflemensimpétueuxdu Nort,Pirouètantdeffusla vagueperfeDu haut enbasfentent a la renuerfeTomberle maft: l'antennequi lefuit,Bronchadefpus: les cordesfont vn bruitCommevn pin tombeauecquesfes racines,Quandvn torrent des montaignesvoifinesLefait broncher,fracaffant & courbantTousles buiffbnsqu'il rencontreen tombant.

Deuxtourbillonsen ontdeux aualéesA gorge ouuerteenleurs ondesfalèes,Piteux regard! Pallas branlant esmainsSesfeux, terreur des Dieux & des humains,Lancevn efclair dedansl'autre nauire:Le feu mangeard qui fe tourne & fe vireEn tourbillons,courantdepart enpart,Debancenbancde rampart en rampart,Prijl le Pilot, le maffacre& le tue,Et my-bruléfur lesvagues le rue,

Ayantencor'le timondans lepoing,Tant en mourantdefon art il eutfomg.

L'autrenauire oppofantl'artifice,De la tempejleeuitoit la malice,De toutesparts en douterejiftant.Ainfiqu'onvoit vn hardi combatant

Deffusle mur de la ville afjtegéeSeplanter ferme enfa place rangéePour l'ennemydu rampart décrucher,Enfin luy-mefmeeft contraintde broncher,Defes genouxlesforcesluydéfaillent:Car entremille & millequi l'affaillent,Vnpar fur tous le plus brufqueÙ"gaillardToutarméfaute au deffusdu rampart

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LA FRANCIADE. 49

L'enfeigneau poing, ir en donnantpaffageAfes foldats leur donneaujjï courage.Ainfidemille& milleflots voûtez,Quiajfailloientla nefde tous coftezVnleplus haut Ù" le plus fort s'nuance,Etd'vngrand heurtfur le tillacs'ejlanceViàlorieux,puis les autresefpaisQuiça qui Val'entre-fuiuantdeprès,Ro?npentles bords,les bancs& la carène,Et la nauireeiifondrentfous l'arène.L'vnvers le cielpourfecours defon malTendoitles mains, l'autre commea chenalFlottoitdeffusvne antennecaffêe:Lades Troyensla richejfeamaffèePar tant de Rois,fur les ondesroiioit,Semantaux vents i? auxflots de iou'et:

Armes,bouclairs,robesde richeouurageNageoiehtfur l'eau, la proyedu naufrage.

Troisfois la Lune,ér troisfois le Soleil

S'eftoientcouchez,que l'hyuernompareilArméd'efclairsÙ"de vaguesprofondesN'auoitceffede tourmenterles ondes:Sansplus la nef de FrancusrefljloitHautefur l'eau, qui encoress'ejioitSeulefauuée& des eaux& desfiâmes,Ayantperdufes voiles & fes rames,Quandvnfort ventfuiuy de tourbillons,Et de l'horreurdeshumidesfilions,Enlafinglant d'vne bienlonguetraiteLa chaffeau borddu riuage de Crète.

Vnbancefloitdefablon amafféVoifindu bord où Francusfut chafjê,Haut defalaize & debourbeattrainée:Làpour mourirla fiere deflinéeRomani.—III.

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fO LE II. LIVREDE

Uauoit conduit: de tous cojiezle bort,Le banc, la mer luyprefentoientla mort.Commeil pleuraitfur le haut de la poupe,Il s'aduifa d'efliredefa troupeVintcheualiersqui depuis ont ejlé(Ainfiejloitdans le cielarrejlé)

Tiges ù' chefsdesfamillesde France:Leschoiftffanttout le derniers'ejlanceDedansl'efquif, aimanttrop mieuxpérirAu bord, qu'enmer vilainementmourir.Leurspieds n'eftoientà peine enla nacelle,Que le courrouxd'vne vague cruelleLesfit par force au riuage approcher,Et leur nacelleempreintcontrevn rocher,Rocherqui dur efpineux{yfauuageDefon grand dos ramparoitle riuage,Ayant du vent toufioursle chefbatu,Lespieds duflot aboyant& tortu.

Là le Démonquiprejîdeà la vie,En tel danger leurfit naiftrevueenuieDe s'attacher à cesrochersbojfus,Et s'efforcerà gaigner le dejfus.Commeils vouloientauecquesla maincroche

D'onglesaigus grimper contrela roche,Lepremierflot qui les auoit lancez,Lesreculaen arrièrepouffez.S'en retournant: la mer quife courrouce,D'vnflot fécondencoreslesrepouffeContre les bordsraboteux& trenchans.

Là cesTroyensaux caillouxs'accrochansDepieds de mainss'aheurtent& fe bandent,Et en grimpant contre lerocfe pendent,Sedefchiransleslonguespeauxdes dois:L'vn s'attachoitaux racinesd'vn bois,

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LA FRANCIADE. fi

L'autreejfayoitd'empoignervue branche,Puismainfur main, &"hanchedefur hanche,Coudefur coude,enhaletant d'effortPar les caillouxmontaientcontre le bord.L'eaude la mer descheueuxgoûte à goûteDepuislefront iufqu'aupied leur dégoûteBlanched'efcume,(y leurs membresfouflezDe tant devents,fe boufirentenflezrLesflots falez de la gorge vomirent,Efnanouisleurs efpritsfe perdirentDe tant de mauxdébiles&' lafehezCommecorpsmortsfur la riue couchezSansrefpirer,fans parler: maisa l'heureQuele toreauqui tout le iour labeure,Francdu collierretourneà la maifon,Cescorpsfortis delonguepamaifonBaifentla terre Ù1la riue venteufe.

Qjiiconquefois, Terre,fois noushetireufe,(Ce difoient-ils){y loin de tousdangersSauneen tonfein cespanures ejlrangers,Oui ontfouffert maintedurefortunePar le courrouxdes vents& de Neptune.

Commeils priaient, le dormir ocieux

Chajfe-foucyleur vint Jiller lesyeux,Et l'vneà l'autre attachant la paupièreLeurdefrobalefoin & la lumière.

TandisCybelleenfon courageardait

DequoyNeptun'fon Francusretardait:Car elleaimoit(commeeftantPhrygienne)L'enfantd'Hetlor & la raceTroyenne:Pourcefoudainfon char elle attela,Batfes lions, (y vers le Somnealla.

LeDieu vieillard quiauxfongespreftde,Mornehabitoitdansvue grotte humide:

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f2 LE II. LIVREDE

Douant[on huis maintpauotfleurijfoit,Mainteherbeà laift quela nuit choifijjbitPour en verfer le iusdeffusla terre,Quanddefes bras tout le mondeelleenferre.Du haut d'vn Rocvn ruijfeaus'efcoulohRemplyd'oublyqui rompufe rouloitPar lescailloux,dont le rauquemurmureDesyeuxflatez rejferroitl'ouuerture.

Somne,dit eli, le douxforcier desyeux,Le chermignondes hommes& des Dieux,Par qui le mal tantJbit mordants'oublie,Par qui l'efprit loin du corpsfe deflie,Va(ie le veux) en cefteifle oùfoulaientladis fauter les hommesqui balaientAv.fon du ciftre, & de cliquantesarmes

S'entre-choquant,auantureuxgendarmes,D'oeilvigilant en l'antre DitléeuGardaientle* bers dugrand Saturnien,Terrefertile, anciennesretraitesDes Corybans,DaSîyles(? Curetés:Là deleur race ejl encorauiourd'huyVnCorybanlefoutien Ù1l'appuyDe tout honneur,defeiencefemblableAu vieil ChironCentaurevénérable.

Quand il auoit lefang plus généreux,Enfa leuneffeil deuintamoureux:Si qu'enprejfant àfa chèrepoitrinePar amitiévneNymphemarine,D'elle conceutdeuxfilles (? vnfils.Lesfillesfont ainfiquedeux beauxlis,En la maifon de leur père croijfantes,En âge, en grâce, enbeautéfloriffantes,Lefils captif languit depuisvn anEn la prifon d'vn barbareGean,

*IÎLTS,Berceau,motVcn-iloinois-

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LA FRANCIADE. <jj

Qui les mortelsà fin Dieufacrifie,Et d'vnmailletleur defrobela vie:Puisfur fa porte, où diftillele fang,Leteftdesmorts il attachede rang.CeRoyremplyd'honneur<z>de richeffiTientfa maifin ouuertede largejfeAux eftrangers,tant il a grand defirEntrevn millierd'enpouuoirvn choifirQui le revanche,Ù1fin fils luy redonneSeulhéritierdefa noblecouronne.

Va-t'envers luy, ir en te transformantPrefenteluyquandilfera dormant,Autourdu lit centformesefpandues,Piqueursveneurstrompesau colpendues,Lejfes& chiensbocages& forefts,Largesefpieux,cordagesÙ"filets,Limiersardans, cerfsfuiuis à la trace,Et tout le meubleordonnépour la chajfe:

Prefenteluy deshommesincognusEnlongshabitsàfa riuevenus,Sousquifin fils lesarmesdoit apprendre,Etpar leursmainsfa liberté reprendre.

D'vn mefmevol affubléde la nuit,Fantaumevain, porte toyfur le litOù va dormantl'une <Ùrl'autre pucelle:

Fayleurfemblerqv'vneeftoilenouuelleViued'efclairs, d'vn voyagelointain

PaJJantla mer vient loger enleurfein,Et rayannéeenfiâmesbien efprifesBaife leur chairfans ardre leurs chemifes.Va-t'enaprès au bordoù les TroyensDormentrecreusdesflots Neptuniens:

Dejjusleur tefte arrejle ta volée,Leuramefoit enfongeant confolée

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f4 LE II. LIVREDE

Sansauoirpeur deshabitonsdu lieu:Car ia Mercureenuoyédu grand Dieu,Des citoyensa flechyle couragePour enbon-heurconuertir leur dommage.

A tantfe teut, & le RoydufommeilTout chaffieuxennemydu refueil,D'vn chefpanchéquelentementil cline,Et du mentonrefrappantfa poitrine,Serefecou'é,(y forty defon litLe mandementde Cybelleaccomplit.

Incontinentque l'Aubeaux doitsde rofesEut du grand cielles barrièresdéclofes,LeRoyDicé' (de tel nomfe nommaitCe Corybanqui la iujiiceaimoit)Riched'honneur,de terres(? de race,Dreffel'appreftd'vne aboyantechajfe:Sonpalefroyà gros bouillonsfumeuxRemafchantl'or defon frein efcumeuxEJlà la porte, oùà foule fe rendentleunespiqueurs qui deuifantl'attendent:Maintchiencourantcoupleà couplelesfuit:De tous cofiez-la meutefait vn bruit!

Par boisfueillus, par monts<ùrpar valée,Pleinede cris cejtechajfeefl allée.Maintgros fangler de dentscrochesarmé,Maintcerf craintif au largefront ramé

Eftoitia mort, quandau vueilde CybelleVncerfpouffépar embufchenouuelle

Tournant, virant, haletantdr mourantDefoif pantoife, alla vijle courantVersle riuage: & le père DicéeSuiuantfes pas par la poudretracée,Commele cerf à la riueaborda,Où cesgrands corps incognusregarda.

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LA FRANCIADE. 5-5-

Lorsles Troyensenfurfault s'efueillerent,Quide le voir au cueurs'efmerueillerent:

Luyplein d'effroyenpafmaifondeuint,Et defonfonge à l'heure luyfouuint.

D'où ejles-vous(dit-il) de quelleplace,Quelsfont vosnoms,Ù" quelleeftvojire race?

Quellefortune, ouquellemerfans foyVousa trahis}hoftesrefpondezmoy.Car à vousvoir (bien quepleinsde miferes)

N'eftesmauuais,nyfils de mauuaispères.AlorsFrancusbaignantfesyeux depleurs,

Etfoufpirant aigrementf es douleurs

Luyrefpondit: Si iamaisles merueillesDesPhrygiensontfrappé tes oreilles,La longueguerre (? les dix ans d'ajfaux,Lefier Achilleautheurde tant de maux,Lefac, la prife & laflamefunefteDu brazier Grec, nousenfommesle rejfe.Làpourfauuer maifons,temples& Dieux,Femmes,enfuis, moururentnosoyeux,L'vnfur le mur, l'autre au milieudes armes.Hetlor honneurdes valeureuxgendarmesQuim'engendra,ayant centmillefoisTrempélefable au meurtredes Grégeois,Gardantfon père Ù"fa mère& fa ville,Yfut tué par la traifond'Achille.Commevnfapin par lefer abatH,Soncorpsbronchadefes armesveflu,Faifint vu bruit fur la poudreTroyenne:Où duveinqueurla rouéAemonienne

(A£levilain& plein d'impiété)Troisfois le trahie autour de la cité,lefus fauué de laflamecruelle(Miraclegrand!) pendant à la mammelle:

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f6 LE II. LIVRE

l'ay du veinqueurfléchidejfousla loy,Nourryfans nom,bienquegermede Roy.

Ceuxque tu vois d'vn vifageJt blefmeCouchezicy, ont eufortunemefme,De mefmeville, ijfusde mefmepart,Mesalliez defang & de hazart.

Quandfans honneurfans grandeurfans enuie

D'ejlre cognu,ïallois traînant mavieEn Chaonieaux piedsde mesparens,Voicyd'enhautdesfigues apparens:

VoicyMercureenuoyédu grand PèreTancermononcle& menacerma mère,Dequoyforçantle ciel& lafaifonIls enfermaientmagloire enla maifon,iEt quedes DieuxleshautesdeftinéesAuoientpour moyles Gaulesordonnées,la dans le cielpère des Roys receu:Maisle deftin(y lesDieux m'ontdeceu.

Croyantenvain leur promeffementeufe,Promptle medonnea la vagueventeufe,Armanten mer quatorzegrands vaijfeaux,Deviurespleins{y deforts iouuenceaux,Dont ïefperois d'vnebraue entreprifeDouterfous moycefteGaulepromife.« Malheureuxejl gui defdaigneleJien« Pour l'ejlranger: enlieu de tant de bien,Couronne,fceptre & royalmariage,l'ay la merfeule ir lesventsenpartage,Quid'efperance& de biensm'ontcaffê,Et dequatorzevn vaifféaum'ontlaijféQuiprès cebordfans maftir fans antene

Demy-rompus'embourbefous l'arène,Où tout monbieni'auoisfait enfermer,« Si cefl du biencequiflotte en la mer.

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LA FRANCIADE. ^J

« Du boutdu haureondoit veoir la marine:« Malheureuxeft quifur la mer chemine.

Apresauoir trois ioursentierserré,

D'aftrescertains& de voyeefgarè,Toufiourspendufur la vaguemeurtrière,VnbonDémonefmeude maprièreMefecourantd'hommesù" d'armesnu,M'afait grimper à cebordincognu,Proyedesloups i? desbeftesfauuages:Nousignoronsles moeursÙ"les couragesDeshabitans,fi après lesdangersIls ont le cueurpiteux aux eftrangers,S'ils craignentDieu, s'ils aimentla iuftice,Ou s'ilsfont pleinsdefang & de -malice:

Pource,béninayepitié de nous.SoishommeouDieu, i'embraffetesgênons:Si tu esDieu, tu fçais biennoftrepeine:Si tu eshomme,vnedouceurhumaineDoit efmouuoirtoncueurà pajfion,Ayanthorreurde noftreaffli£iion.

Il dit ainfi: levertueuxDicée

Contre-refpond: Cefteterre embrajféeDesflots marins, commetu vois icy,Portevn bonpeupleîsr vn mauuaisaujji:Maisà ce couptafortune meilleureT'a fait furgir où la vertu demeure:Pourcetu fois, hofte, le bien-venu.

Qui eft celuyquipar bruit n'a cognuL'honneurTroyen,& pour garder fa terreLesfaits d'Heclorvn foudre dela guerre >

Il mefouuientqu'vn iour IdomenéMedifeouroit,de nouueauretourné

( Il retournoitnouuellementde TroyeChargéd'honneur,de vaillanceÙ1de proye)

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f 8 LE II. LIVREDE

Qu'après qu'Heblorles Grecquesnauzbrufla,Quevers PriamambajfadeurallaTraiter la paix, mais il ne la peutfaire,Ayant Paris capital aduerfaire:Par courtoifieil logea chezHetlor,Qui l'honorad'vnegrand' couped'or,Richeprefent, oùviuoit entailléeSousle burin la BaleineefcailléeAgueule ouuerte,Ù"maiftrejfedes hors

Faifoitfemblantdedeuorerle corpsDe la pucelleHefioneattachéeContrevn rocher: la mer eftoitcouchéeAu pied du roc, qui deflots repliezDe la captiuealloit baignant lespieds.Perféeeftoitfur le haut de la roche,Ayantau poingfa Cimeterrecroche,Penduen l'air, qui l'Ourque menajfoit,Et desliens l'Infantedelajfoit.

hlomenéme donna ceftecoupe,Queie tienchèreentre vne richetroupeD'autresvaijfeaux, dont ie chérismesyeux,Quandie banquetéauxfeftes de nosDieux.Il eftimoitd'Hetlor la courtoifie,Lesvaillansfaits, les vertus {? la vie,Et ennemyfon honneurn'abaiffoit,Ains iufqu'aucielfes louangespouffbit.

Pourceie croyque voftrebien-venue

Eftpar le vueildesbonsDieuxatténue,Et que le ciel quide nousa foucy,Pourmonfupport lepermettaitainfi.Vousnepreffezvne terre eftrangere:G eft, ô Troyens,voftreanciennemère

Crète, dontTeucreautrefois eft ijfu,De qui le nompour filtre auezreceu:

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LA FRANC!ADE. <jC)

EncoreIda la montagneTroyenneS'ejleueicy, la demeureancienne

Devosayeux, Ù"pourceoftezdu cueur

Commeaffeurez,le foupfon& la peur,Et déformaitRappeliezl'efperance

Surgis au lieu qui fut vojlrenaiffance.Depeu de gens cePrince enuironné

Enfou palaispenfifeft retourné:D'où libéral il enuoyeau riuageDouzemoutons,vn boeufde grand corfageGrasbiencharnu, (y fix barraux de vin,

Coupeshabits i? chemifcsde lin,Pourfeftoyerù1 couurir ceftebandeA quila faim outrageufecommande.« Rienn'eftmeilleurpour l'hommeJbulager« Apres le mal, que le boireÙ1manger!Euxaffamezcesviandesrouirent,Quid'vne autre ameau befoinleurfémirentRauigorantla force de leurs corps.« Car le mangerrend les hommesplus forts!

Tandisla nuit à la robeeftoiléeAuoit la terre efpaiffementvoiléeD'vn manteaunoir ombreux& pareffeux,Lorsquevoicylesfantaumesde ceuxDontla grand mer en vaguesdépartieAuoitles corpsù" la vie engloutie,Enflez,boufis, efeumeux£? ondeux,Aux nezmangez, aux vifageshideux,Quipépiant d'vnevoix longue<ùrlente(Commepouletscherchonsleur mèreabfente)Demains,de piedsfigurons leur mèchef,DeFrancionenuironnoientle chef.

Enfant d'Heffor (difoient-ils)nousnefommesPlus cescorpsvifs, mais feintede ceshommes,

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60 LE II. LIVREDE

QuebienarmezÙ1promptsà toushazars,En tesvaiffeauxtu choijispourfoldars,Sur qui lesventsau fort de la tempefteOnt renuerfécent gouffresfur la tejle:Noscorpsflotans apaflentlespoijfons,Nosefprits (las!) encentmillefaçonsDéprifonnezdel'humainecloflure,Dejfuslis flots errent à l'auenture:

Faynousau moinsfur lebordde ceseauxLe trïfle apprefl de quelquesvains tombeaux.Nepermetsplus qu'abfensdefepulture,Sanspleurs,fans tombeerrionsà l'auenture,Ainspour auoir Caronplus adoucy,Fay noushonneurdejfuscebordicy,En attendant queles eauxpoiffonncufesKepoufferontaux riuesfablonneufesDenoscorpsmorts le vieil inouïedéfaitPour leur baftir vufepulcreparfait.A tant s'enfuit la troupenaufragiereAinfiqu'onvoit vnepoudre legiereS'efuanouir,tournoyant<ùrfuiuantLestourbillonsqui annoncentle vent.

Si toft quel'Aubeà laface rofineEut le Soleiltiré de l'eau marine,Francuss'ejleuc,{yprenant desgazonsFit des tombeaux,funeralesmaifons:Puis refpandantvnefiolepleineD.efang facré en leur demeurevaine,Haut appclloit les âmesqui venaient,Et fur l'obfequecfpaijfesfe tenoient,

Faifant tel bruit, quefont en leurnichéeLesarondeauxattendonsla bêchée:Et tels qu'onvoit au milieude l'ejléSousla plusviue i? brûlanteclarté

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LA FRANCIADE.

Errer efpaisdesmoucheronsenfemble,Et tournoyerd'vn efcadronqui tremble,Grefle,menu,volantde lieux en lieux,Etfi petits qu'ils nous trompentlesyeux.

Bienque voscorps(difoit Francusaux âmes)Nefoient enclosfous cesherbeufeslames,Enattendantvn tombeauplus certain,Contentez-vousde cejl officevain,Et fréquentezen longuepatienceCeslogispleins de nuit & defilence.Efpritsmalins, ne nousfuiuez iamaisOufait en guerre, oufoit en tempsde paix:Ne nous troublezdepeurs nyde menfonges,N'effroyezpoint defantaumesnosfonges,Nenousdonneznyterreur nyfoucy,Et fans nousfuiure arreftezvous icy.

Difant cesmots,pleind'vn foin qui lepreffe,Seulfur la riue ejlongnéde la preffe,Pouffantdu coeurvn longfoufpir amerPrioit ainfi lafillede la mer.

Entenmavoix, PaphienneErycine,Si tu nafquisde l'efcumemarine,Nefouffreplus que tesflots maternelsMefoient autheursde tourmenséternels.AimeVenus,metsen ta fantafieLefouuenirde ceftecourtoifieDont l'onclemiente préférantvfaLorsquela pommeà Pallas refufa,Età lunonqui encoresdolenteD'vn tel refus en touslieux nous tourmente:Et s'il efivray qu'autrefoisas laifféLecielvoutêdu pied des Dieuxpreffe,Et les citezfous tonpouuoirgardéesPourhabiterlesmontagnesIdées,

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02 LE II. LIVREDE

Prife d'amourd'vnpafteurPhrygien,

Ayepitié dumefmefang Troyen:Tugardas bienÙ" IafonÙ1Thefée,Cueursdejîreuxd'affairemal-aifée,Et s'ils n'auoient(Usfauuant depéris)Tantfait pour toyquemononcleParis:

Commeeuxie trace vne affaire bienhaute,Et fi iefaux au deftinfait lafaute,Et nonà moyde rien ambitieux,

Qui n'ayfuiuy quel'oracledesDieux.

Priant ainfi, Venusla marinière

D'oreilleprompteentenditla prière :

Ellevefiitfes fomptueuxhabis,Ornafon chefflamboyantde rubis,

Prift fes aneauxdefuperbe engraueure,Hauffa lefront compofafon alleure,Separfumas'oignit & fe leua:

Puis versAmourfon chermignons'en-va.

L'enfantAmourefcartéde la prejjeDes autresDieux, fous vne treille efpejfeDans le iardin de lupiter eftoitOù Ganymedeaux efchetscombatoit.

Venusde loin commenceà luyfou-rire,Fiata fa iou'éÙ"ainfi luyva dire.

Monfils mavie, Amourmonpetit Roy,Tu es montout, ie nepuis rienfans toy,Mais quandnos traits font alliez enfemble,Il n'ya Dieufi puifiant qui ne tremble:

Laijfe toutfeul louer toncompaignon,Embrajfemoy,baifemoymonmignon,Pensà moncol: monfils, ie te pardonneTousles tourmensque taflèchemedonne,Et de nouueautous les mauxinfinisQuei'ay receupour l'amourd'Adonis.

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LA FRANCIADE. 6}

Sideton trait tu bleffesla penfêe,L'ame&1le cueurdesfilles de Dicée,PourFrancion,Troyendigne d'auoir,Tantil ejl beau,faueur de tonpouuoir:lete donraypour teferuir depageLeleu mignard qui te refembled'âge,Fincommetoy, de qui lespetits doitsTousenfantinsporteront ton carquois,Et ton belarc qui le mondeconquefle:Ilfera tienfi tu fais ma requefie.

AdoncVenusle mit enfort giron,Rofes(?. lis efpancheà l'enuironDefa perruque, Ù" l'endortenfa robe:Puisdoucementdefon fils fe defrobe._S'en-voleen Cypre,où d'encensSabéensFumenttoufioursfes autels Paphiens.

A tant Amourdufommeilfe fecou'e',Sesblondscheueuxarrangeafur fa iou'é,Vuedoubleaile àfon dosattacha,SonbeaucarquoispendillantdécrochaDuprochainmyrte, il empoigneen la dextreL'arc <ùrdesDieuxù" des hommesle maiftre:Puis s'eflançanthors la porte desdeux,Petitesmains,petits pieds, petitsyeux,Serueen l'air : le ciel, l'ondeù1 la terre

Luyfont honneur: Zephyrequi defferreSa doucehaleineodoranteà l'entour,Toutamoureuxva conuoyantAmour.

Or ceftenfantqui trompela ceruelleDesplus rufez,prifl femblancenouuelle,Seherijfanten la formed'vn Tan(Fier animal) qui au retourde l'an

Quandle printempsrameinefes délices,Parmi lesprez fait courir lesgenices:

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64 LE il. LIVREDE

Ilfe fit tel qu'hommene lepeut voir,Corpsinuifible,& puis alla s'ajfoirAu hautCommetde la porte, oùDicée

Superbeauoit fa demeuredreffèe.TandisFrancusfecoiiantenla main

Vniauelotà la pointed'airain,

Ayantau colfa targue à maintehoupe,Versle chafleaumenafa ieunetroupe.Venusla belleau départirdes bords

Songneufed'eux emmantelaleurs corpsD'vnenueufe& obfcurecouronnePour n'eftreveusnycognusdeperfonne.Quandaupalais Francionarriua,Loinds leurscorpsl'air efpaisfe creua,Et leurfigure eftpropre retienneCommeaftres clairs déueftusd'vnenue.

Ce iour Francusà merueilleeftoitbeau,Sonieunecorpsfembloitvn renouueau,Lequeleftendfa robebienpourpréeDejfus lesfleurs d'vnegemmeufeprée:La Grâceeftoità l'entourdefesyeux,Defront de taille égal aux demy-dieux.

Deuantla porte eftoitvn long efpaceD'vne quarrèe<Ù?fpacieufeplace,Où la ieunejfeaux armess'esbatoit,Piquait cheuauxvoltigeait& lutoit,Sautait couroit défendaitla barrière:Haut dans le cielen voloitla poufferel

En ce-pendantque d'ail prompt iy ardantFrancusallait le palais regardant,Frizesfeftonsguillochiséf ouales,Dicéeornéde dignitez royalesAccompaignède deux censiouuenceaux

D'âgepareils aux mentonsdamoifeaux,

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LA FRANCIADE. 6<j

Au doux accueil,d'vne courtoifeforteVintcarejferFrancusoutrela porteLebien-veignant,ù1 d'vn vifage humain

Le tient, l'embraffeù1 luyferre la main.Près de cePrince en robesfolennelles

EJloitfa femmeù" fes filles pucelles,Aquifuzeaux isrfil tout à la foisEftoyentdehafteefcoulezde leurs doits,Tant eWauoyentvn chauddefir en l'ameDevoirFrancus; mainteamoureufeflame,Quide leursyeux à trauerfesvoloit,Commevenindans lefang s'efcouloit.

Tandisle Dieuqui les coeursnousdefrobe,Laiffala porte, <ùrfe miftfous la robeDeFrancion:puis décochantdeuxtraits,L'vnpleind'amour,de grâces {? d'attraits,Qui doucementgaigne lafantafie,Et l'autre pleind'ardante ialoufie,Tirez desyeux du Troyenlespouffa,Et leur raifon enfemblerenuerfa,Troublantleurfang, & remplijfantleursveines,

Foye<&poumonsdefoufpirs Ù"depeines:Puis enriant & fautelant, de làCefaux garçon dans le ciels'en-vola.

Deffousle coeurde cesdeux damoifellesFumoitla playe à mornesétincelles,Lesconfommantiy fondantpeu à peuCommevne cire à la chaleurdufeu :De toutechofeontperdufouuenance,Perduraifon, paroleÙ"contenance,Et leur efprit de merueilleesblouyBienloin du corpserroit efuanouy.Decesdeuxfoeursl'vne auoitnomHyante,L'autreClymene:HyanteeftoitfçallanteRonsard.—III. <

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66 LE II. LIVREDE

Enl'art Magic': maisAmourle plusfort,Qui n'afouci de charmesny defort,De toutesdeux auoit l'ame efchauffée,Et de leurs coeursauoitfait fort trofée.

Ellesbruloyentà petit feu couuertCommevne ejloupe,ou commevn rameauverd

Qu'vneartizane au point! du iour allume:Touten vn coupil entre-bruleù1fume

~i~)'vnfeu cachéqui luit obfcurement.Ainfi AmourcouléfeercttementDedansl'efprit de cesDamesbleffées,Les eftouffoitdefecrettespenfées:Tantoftleur loueen tremblantrougijfoit,Palle tantoft, &. tantoftblanclùffoit,Tantoftejloit de tachestoutepleine,Et par laface ellesmonftroyentleurpeine.

Atant Francusentradans le chafteau,Sonjauelot pofa contrevn râteauOù maintepiqueenfon long eftendueContrele mur au croc ejloitpendue.En cechafteaupar bandefremijfoyentPromptsferuiteurs, dont lesvns tapiffoyentD'ouuragesd'or lesfuperbesmurailles,Portraits tracez d'anciennesbatailles:Autres de rangfur la placeapportoyentTapis ouurez, lesautres appreftoyentLeslits enflezde couuertesvelues,Autresdrejfoyentles viandesejleues,Autres chargeoyentles liautsbuffetsdorezDegrans vaiffeauxd'hiftoiresdécorez..

Sur vne efguiereen raboteufetraceDes Corybanseftoitpeinte la race:CommeBriare enamourfurieux,Defefperédefa Nympheaux beauxyeux,

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LAFRANCIADE. 6j

Allait toutfeul par monti? par bocagelettantvn cri commevn lionfauuage,Et fantaflique errantpar les buijjons

Changeaitfon corps en centmillefaçons,Tant en amourforcenoitfa foliePour mieuxiouyrdefa Cymopolie:Maisà la finfe changeantenferpent,A dosrompufur le ventrerampant,La tinflferrée, Ù" l'ayantembrajfêeD'elleconceutles oyeuxde Dicée.

Survn baffinSaturneeftoitgraué,En cheueuxblancs,de vieilleffeagraué,A la grand' faulx, qui auoit la mâchoireDufang desJîens touterelenteù1 noire:SafemmeKhéeà l'autre bord eftoit,Quipour fon fils vn caillouprefentoitA cevieillard, lesappasdefon ventre:

Deffousfespiedsfe heriffoitvn antre,Ou Iupiter viuoit emmaillottéDu laicl diuin de la chéurealaitté,

CraignantSaturneaffaméde nature

Quifes enfansdeuorepourpajlure.Quand toutfut prefi, cePrincepour mieuxvoir

Soneftranger,à tablelefifl feoirDroit deuantluyauprèsdefes deuxfillesAuxyeux armezd'amoureufesfeintilles:Puisfélon l'ordre (y l'âge Ù" Ushonneurs,Qui haut qui bass'afftrentles Seigneurs.D'vn coeurioyeuxceftegaillarde bandeMit promptementles mainsà la viande,Et feftoyantle Troyeneftranger,Leconuioyentdoucementà manger.

Incontinentquelafaif fut oftée,Et de la faim lafureur furmontée,

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68 LE II. LIVREDE

Ayantle Roypour officediuinA lupiter verfé le derniervinA pleinhanap, inuoquantfa puijfance,Toutedeboutfe leua l'ajftjlanceLoindela table,cmieufed'aller

Apresfouper deuiferÙ"baller.Vnbruitfe fait : la gaillarde ieunejfePrenant la maind'vnebellemaijlrejj'e,S'offreà danfer.-maintflambeauqui reluitDu plancherd'or, vainc l'ombredela nuit!Le vieil Terpinqui defleursfe couronne,Sondosappuyéauflanc d'vne colonneLa lyreau poing, & ioignant à la voisLesnerfsfrapez par l'accorddefes doits,D'vn plaifantfon les inuiteà la danfe.-Le piedcertainrencontrela cadance!

Dieu(difoit-il) qui tiensl'arc enla main,Filsde VenusIwjiedufang humain,Qui dans noscoeurstes royaumeshabites,Quiça qui la de tesailespetitesVolespar tout iufqu'aufond de la mer,

Faifantd'amourlesdauphinsallumer,Dont l'afpre trait a féru la poitrineDes Dieux là haut là basde Proferpine,Pèregermeux,génial, i? qui faisCommeil teplaift les guerresÙ"la paix,Démon<&Dieunourricierde cemonde,Qui du chaosla cauerneprofondeOuurispremier, & paroijpintarméDe traits defeu, Phanetefus nommé:

Double,jumeau, emplumêde vijiejfe,Porte-brandon,archerquela ieunejfeAufang gaillard courtifepourfon Roy:O grand Démon,grand maiftre,efcoutc-moy,

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LA FRANCIADE. 69

Soitque tu fois au milieude la bande

Desplus grans Dieux oùta flèchecommande,Soit qu'il te plaifehabiter ton Paphos,Soit queton cheftu lav.esdans lesflosDe la fontaineErycine,ou quevuide

De toutfouci, de tes vergiers de GuideEntrelesfleurs habitesla verdeur,Vienallumernoscoeursde tonardeur:

De ceftedanfeefchauffele courage.Brajfantfous main quelquebonmariage.AinflchantoitTerpin lebonvieillard:Lesballadinshauffansle cri gaillard,Lesderniersvers du chantre recoupèrent,Et de leursvoix lesfoliueauxfrappèrent.

Seulà l'efcart appuyécontrevn coin,

Veufdeplaifir, pleind'angoijfe isr defoin,Afourci basa poitrinepouffeeDe longsfanglots, eftoit le bonDicée:

Vnfleuueefpaisdefesyeux s'efcoula:Francusl'auife, ù" ainfi luyparla.

C'eji à moy,Prince, à pleurer Ù"à traire

Tantdefanglots à qui tout ejl contraire,A qui la merl'air la terre & les deuxSontobftinezennemisenuieux,

Quim'ont trompédejfousbelleapparance.« // n'efl rienpire aux mortelsqu'efperance!MaistoySeigneurfi fige & ji prudent,En bienscitez Ù1peuplesabondant,Riched'honneurù" de terrefertile,Richedefemmeù1 debellefamille,Nedeuroiseftreen cepoinSilangoureux,Ains lesfoufpirs laifferaux malheureux.

Dicé' refpond,Las!fi ie neftoispère,HojleTroyen,ieferois fans mifere:

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Vnmienfeul fils a caufémontourment,Et s'il te plaift le te diray comment.

Dedanscefteijle habitedefortuneVnfier Tyran la racede Neptune,HorribleÙ"grand, maishommeen cruautéTantfoit cruelne l'a pointfurmonté:Il fait meurdrirtous ceuxqu'il prenden guerre,Ceuxquela meriette contrefa terre,Deffiisl'auteldefon père, Ù"defangHonnitle temple: il attachede rang,Piteux regard! fur la porte lesteftesDesaffommez,miferablesconquefles.Lefer ne peut endommagerfa peau:Il rebondiftcommefait vn marteau

Deffiisï'enclume: envnefeule veinePrès le talon eftfa Parque& fa peine.Milleeftoyentmortspar fa cruellemain,<2uandmoytouchéd'vn naturel humain

Luyfis fçauoir queles bejlesfauuages,Tigres, lionsenuenimezde rages,Quifans raifonviuentparmi les boisGros animauxfans pitié nyfans lois

S'entre-tuoyent(y mangeoyentleurfemblable:Mais l'hommené d'vn efprit raifonnable,Enfantdu cielne doitfaire mourirL'hommefon frère ainçoislefecourir.

Cegrand Geanoyantcejienouuelle,Enflafon fiel de colèrecruelle,Et bouillonnantefeumant& grondant,Sansmaduertir defon courrouxardant,Vintde furie au pied de mamurailleMe desfier enplein campde bataille.Entellepeurfoudain armer lefisMonieuneOrée(ainfi a nommonfils )

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LAFRANCIADE. 71

L'accompagnantde bienpeude gendarmesMieuxequippezde couragequed'armes.

Ceiouuenceauà qui le blondcotonPremièrefleur fort encordu menton.,Fort& hardifit auancerfa trope,Et le premierajfaillit le CyclopeLegrand'Phouére(helas! on nommeainfiCefier Tyranaux piayes endurci)Maispour néantce ieuneenfants'efforce:Car du Gean la monftrueufeforceLeprift captif au beaumilieudesfiens,Puisattachantde vergongneuxliensSa troupeù" luy, defon baftonlesmeineCommevnpajieur fes moutonsen la plaine.Depuisle tempscemalheureuxcruelDe iour en iottra tuéfur ïautelL'vn des captifspour offrandefunefte:Usfont tousmorts: hà, ie meurs!<Ùrne rejteSinonmonfils qui fentira demainLa pefanteurdefa cruellemain.

Ainfidifoit verfantfousfa paupièreDe tiedespleurs vnelarge riuiere,A grosfanglots entre-rompantfa voix:LorsqueFrancusle tige de nosRois,Meudepitié le confole& leflate,Et luy refpond: Faurais vneameingrate,Néd'vn rocheroud'vn tigre conceu,Si mefurantle bienquei'ay receuDe toySeigneur,à madouleurextrefme,Pour tefauuer ie ne t'offroismoy-mefme,Et ceftedextre & ceglaiue trenchant

AJfezpointupourpunir vn méchant.

Faymoy,grand Prince,apprefterfur la placeArmeschenaux:ains que demainfe pajfe

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// cognoiftraqu'vnpère valeureuxAfon malheurm'engendravigoureux,Pour nefiouffrirrégner vue malice

Sansque monbrasvangeur ne la punijfe.A tant Francusà fon parler mitfin,

Puis l'efchançonayant verfé du vinA longsfilets a l'honneurde Mercure,Efiantla nuiclÙ1profonde<ùfobfcure,la les Trionscommençonsà pancherChacunfieleueÙ"s'en-allacoucher.

Incontinentque l'Aubeiour-apporteDu grand Olympeeutdesbarréla porte,Et le Soleilpar les heuresprejfièEutfon baudrieren biais retroujfiêTraçantdu Ciel la voyecoufitumiere,Au chefcoifiéd'éclatantelumière,Cefier Tyrana la muraillealla .Vncheualierau combatappellaLa lanceau poing, le morrionen tejte,Qui biencrejlébrilloitcommetempefieQue lupiter élanceau moisd'efièSur lefommetd'vne iniufiecité.Pourfon deftrierprejfoit laforte échineD'vne cauale: elle auoit la poitrineBlancheÙ"lefront, le refilede la peauHors le pied gauche, efioitdepoil moreau,Qu'vneHarpyeenamourefchaufèeConceutdu vent dejfiusle montRifée.Ilfiemocquoitenfronçant lefourciDu bonDicée,Ù1luydifioitainfii.

Pour championta fiottifemapprefie,Vieilradoté,la PhrygiennetefieD'vn iouuenceauqui fçauroitmieuxramerCommevnforçat, qu'aux batailless'armer.

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Pour le loyerd'vnetelle entrepriseTu as ta fille a ceTroyenprotnife,Panurechetif: cefer dont il mourra,Pourfon douairevn tombeauluy donra.Encordit-on que cebanniJe vante

Quele deftin lesGaulesluyprefente,Voire& qu'il erre où le ciel le conduit:Lepauurefot desoraclesfeduit,Quinefçait pas quefus leschofesnéesNepeuuent rien lesvainesdeftinêes!Crêteejlfa Gaule, Ù1mesbrauesfureursSerontle but defes longueserreurs.

En moynefoit la mort renouuelléeDemonayeullefuperbe Talée,Qu'vneMedéeenfauuant desdangersle nefçay quelspirates eftrangers,Enforcelad'vn magiquemurmure.Des vainsdeftinsde Francuste n'ay cureiTelsfots abusne meviennentpiper:Lefer tranchantne mefçauroit couper,Ny lupiter tuer defon tonnerre:S'il règne au ciel te règne en cefteterre.

De telspropos commeil s'alloit brauant,A large pas Francusvint au deuant:lefuis celuyqueton orgueil mefprifeleuneTroyenautheurde l'entreprife,Qui te veuxfaire auantlefoir fentirA ton malheurquepeut vn repentir.Approchedonc,vien effayerla dextreDe ceTroyendeftinépour tonmaifire:

Quoyquetu fois au combatdangereux,Siferas-tu, Phouére,bien-heureuxD'aller viSlimeà l'ondeAcherontideTuédes mainsd'vnfi ieuneHecloride.

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// diji ainfi: Le crueld'autre partLemefuroitd'vn terrible regardLedefdaignant, commefait enfa voyeVngrand lion vnepetiteproye,Ne le voyantde corpsmaffifnyfort,Défier vifage oud'effroyableport,Defront feuereaux iouftesbienà craindre,Ainsd'vn poil blondqui commençaita poindre,Degrefle taille, Ù1d'oeilferain <&beau,Demaindouillette& de mignonnepeau,Et d'vn regard qui les grâcesfurmonte:Il eut lefront tout alluméde honte,Retintla bride & le tançait ainfi.

leunegarçon, onne combaticiPourremporterà fa mèrela gloireD'vnverd laurier: leprix de la vitloire

N'eft ny Trépiedny ChenalnyEfcu,Maisbienla vie & lefang du veincu,Et la ceruelleen la place efpandue,Les osfemez & la teflependue,Pour eftonnerpar fi piteux effroyCeuxqui voudroyentcombatrecontremoy.

Si de mourirtu conçoisvne enuieCommeennuyédesmalheursde ta vie,« Tu es trompé,le tempsvifle enfort tour« Fait &"défait lafortune en vn iour:Il faut fouffrir l'vne<ùrl'autre fortune,Demainla blancheÙ"auiourd'huyla brune.Mais l'hommené d'vn couragevaillantDoit acheuerfa fin enbataillant.Doncs'il te plaift d'vne braueefcritureEt d'vn beautiltre ornerta fepulture,Vienau combat,tu n'auras à defdainQuand tu mourrasd'vnefi brauemain.

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LA FRANCIADE. ~]<j

TandisFrancusqui le combatdéfère,

Songneuxdés l'aubeauoit defa natureFait apporter le harnaisque veftoitTro'ileà Troye,alors qu'il combatoitContrePeliile, imitantla vaillanceDu bon Heclor,Ù1nonpas lapuijfance,Quepour prefent HeleninluydonnaLeiour qu'au ventfa voileabandonna,Et le pria de garder telle armeure,Contrela mortaffeurancetreffeure.Quandle Troyenau combataniméDe te/teenpied fut richementarmé,LebonDicèeenfecret le conseille,Et loin à part luyfacoute en l'oreille.

Si defortune, hofteTroyen,les deuxDe ceméchantte font viSlorieux,Et qu'à tespieds tu l'abatesà terre,Trancheluy tojl la veinequi luyferreLe moltalon: de telleveinefortNond'autre lieulafource defa mort.Tandislà haut lupiter qui ordonneLesfaits humains,la vicloire te donne:la dans le Ciel eflfilé par ClothonQuide vousdeuxdoit aller chezPluton.

CesChampionsenflamezde colère,Ici Francus,de l'autre part Phouére,D'armesde taille & de couragegrans,Donnonsl'efprit aux cheuauxpar lesflancs,D'vn maflecoeurl'vnfur l'autre couchèrent,Et leurspauois rudementembrochèrent:Du coupdonnéle riuage trembla,Lemontfrémit, lefleuuefe troubla:Etpar efclatsles lancesacéréesFurenttoucherlesvoûtesetherées.

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76 LE II. LIVREDE

Dedanslesmainsleur refloit le tronçon,Qu'euxbienfermez& roidesen l'arçonDe recourir encoress'auiferent,Et leurs efcuspar le milieubriferent:A iour ouuertla targefe cajja:Commevn glaçon le tronçonfe froijfa,Et d'vn tel heurtleurs efchinescourbèrent

Que les dejlriersfur la croupetombèrent,Tant d'un grand coupils s'allèrentchoquant:Puis iufqu'aufang leurs cheuauxrepiquant,Haujjfantla bride,en fin lesreleuerent,Et de la mainleurs coutelastrouuerentBienaiguifez, qui de l'arçonpendoyent,Et de leur trempevn harnaispourfendoyent.

Dejfouslefer fiflant commetempefteOres leur loue, oresfonnoit leur tefte,Ore la temple: vn coupqui l'autrefuit,Grejlemenudefcendoitd'vn grand bruit,Commelesfléaux qui reformenten l'aire,Frappansles donsde nojlreantique mère.

Eux tournoyans<ÙTfe fuiuans deprès,Verfoyentdes coupsplus que la grejle efpês,Qui ne tomboyentJoit de pointeou de taille,Sansdonnerampleouuertureà la maille,La defnouant,rompant& defcrochant:Acier nefer à leur glaiue trenchantNepeut durer, ny bouclenycouraye,Tant de leur mainefi horriblela playe.

Du bonTroyenle cheualfut adroit,Quifans frayeur tournoit en tout endroit:Et la cauale en crainteeftoitfrapéeOyantl'effroydufiflant de l'efpée,L'vn refembloità ceflot

*dizenier,

Boufides vents, horreurdu marinier,

*Dizenier.LesLatinsl'appellentVndadccu~WdHfl.'c'eftladixiefmevague,laplushorri-ble&dan-gereufedetoutes.

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LA FRANCIADE. 77

Qui d'vn grand branleenmenaçantfe vire

Impétueuxfur le borddu nauire:L'autrefemblohau bonPilote expert,Quiplus d'efprit quedeforce fe fert,Ores la proiieores la poupeil tourne,Et vigilant en vn lieu nefeiourne,Ainsadioujlant l'expérienceà l'artD'vn oeilprudent euitele hazard.

Cefier Tyranenorgueillid'audace,Quide Francusla ieunejfemenace,Seroidijfantfur les eftriers,frappaLefin armetdu Troyenqu'il coupaDeuxdoigts allant, if l'ejlonnadeforteQue le tomberd'vne enclumebienforteSeroitlegier au prix de ce couplà,Qui desarçonschancellel'esbranla.Car il fut tel, que la grand' coutelaceFendantVarmetalla dejfusla placeEnmaint efclat defiâmes allumé,Laiffantle poing du Tyrandefarmé.

FrancustroublédepafmaifonextrêmePerdit laforce enfe perdantfoy-mefme;Perdit raifoncontenanceif couleur,Grinçantles dentsde rage if de douleur:Etce-pendantfon cheualle promeineCommeil luyplaift au trauers de la plaine.

Cefier Gean, qui Francusregardoit,Sansfe bougerriant le brocardait.Lorsla palleur qui s'enfantede crainte,Des regardans auoit la face peinte,Et lefang froid qui au coeurs'ajfembla,Fit que Dicéeenfoufpirant trembla.

Mais tout ainfi qu'onvoit deuxcolombellesFrémirdepeur if trembloterdesailes

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78 LE II. LIVREDE

Sousl'efperuieraux onglesbientrenchans,Quide leursnidss'en-volentpar les champsCueillir de l'orge & de l'auoine, à paiflreLeursdouxenfansqui nefont quede naijîreAinfitremblaiten l'eftomacde peurLe coeurtranfi de l'vneù1 l'autrefoeur,Qu'amourbruloitd'vneviueflameche,Et enleurfang tenait teintefa flèche.

TandisFrancus enarmeseut loifirDefe refaire, éf la place choifirPourfe venger, où lefer leplus rare

Entre-ferroit la gorge du Barbare.Troisquatrefoisfon chenalrepiqua,Et d'vn grand heurtfon ennemichoquaToutfurieux de colère& d'audace.Puis defgainantfa courbecoutelace,Droit contreluyfa face retourna,Et de la pointevn eftocluy donnaContrela gorge, oùla boucleferréeDu gorgerin lafchementfut ferrée,Et my-pafméfur l'arçon l'abatit.Aueclefang l'efcumeluyfortitLoinde la gueuleà grosflots ondoyante.Francusleprend, leprefle & le tourmente,Et tellementle courageluy vient,Qued'vne mainÙ1de l'autre le tient,Pouffeér repouffe,<&d'vn tel noeudleferre,Quedes arçonstousdeux tombentà terre

Entre-accrochez,tant lafureur lesfuit :

Dejfusleurs dos le harnoisfait vn bruit!Maisaufji toft que la terre ils prejferent,

Plus que deuantau combats'eflancerentCommelions de puiffanceindontez:Lefer trenchantfacquent de leurs cojiez,

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LA FRANCIADE. 79

Quife cachaitenleur gaineyuoirine,Etforcenezs'entamentla poitrine.Entre l'ardeur, la haine(y les effortsVnefureur leur refchauffale corps.Ici la rage, ici la chaudehonteDes championsle couragefurmonte,Perd leur raifon,fi bienqu'à toutesmains,A vuidescoups,à coupsfermes & pleins,Depointe taille & de trauers ruèrent,Et leursplaflrons en centlieux déclouèrent,Si quele campejloitpar toutfeméDufer jalli de leurscorpsdefarmé.

Maisà lafin tousdeuxprennenthaleineMattezde coups,defueur & de peine:Puis toutfoudain commedeux toreauxfont,Kentrent depieds ù1 de bras & defrontL'vncontreVautre: vnehorreur, vne rage,Vnfier defpitflamboyéen leur vifage:Tantojlpetits, tantoft ilsfe font grands,Tantoftcourbez,tantojl à demy-fiancs,Deffusla iambeoresgaucheoredextre

Contre-auifoyentoù le couppouuoit eflreMieuxaffiné, maispoint nefe trompoyent:Car tout d'vn coupils paroyent& frappoyent,Tousdeuxgrauant aufond de leur mémoireLe chauddefir degaigner la vicloire.

Francusvoyantque le iour luyfailloit,Et quefa mainpour néanttrauailloit,Commevn Gerfaut qui de raideurfe laiffeCalerà bas ouurant la nue efpaijjiDeffusvn Cygneamuféfur le bord:

Ainfidoublanteffortdeffuseffort,Sur le grand corpss'ejlancede rudejfe,Adiouflantl'art auecqueslaproueffe:

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80 LE II. LIVREDE

Sousluyfe rue, (y de près l'attacha:La gauchemainàfon col accrocha,Et dela dextre en-contrebasle tire:Il le tourmente,il le tourne, il le vire,Le choque,heurte, Ù1d'vn bras bientenduLetient en l'air longuementfufpendu:Puis du genoulesïambesluy trauerfe,Et lefifi cheoir toutplat à la renuerfe.Phouéreimprimeen tombantdefon longLa poudremolle: ainfi tombele tronc,Qu'vnvent abat du haut de la montagne,Qui tout aplat s'efiendfur la campagne.

De brasde tefle (? d'onglesbiencrochusCentfois effayeà fe remettrefus,Sedebatant,maisen vain il s'efforce:Car du Troyenla vigoureufeforceTient legenou, commeviblorieux,Sur l'efiomac,lepoignardfur lesyeux.Trois quatrefois de toutefa puifianceL'auoitfrappé, quandil eutfouuenanceQue le trcfpas de cecruelfélonEftoit enclosaux veinesdu talon:Pourceil fe tourne,{? promptementajfeneL'endroitcertainoù trejfailloit la veine:Dufer poignant coupfur coupla chercha,Et veineÙ"vie enfembleluy trancha.

Lefang quiJort d'vnerougefecouffe,Bienloin du corps rendit la terre roujfeA longsfilets : ainfi que d'vn conduit

S'efchappel'eau qui iallifiantfe fuit,Et d'vnelongue(y filante rouféeBaigne la terre à l'entour arroufée:

Ainfilefang bouillonnants'en-alla,Et par lefangfon ames'efcoula,

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LA FRANCIADE.

D'horreur de rage (y de chagrin[uiuie,Deperdre ainfi la ieuneffeÙ4la vie.

Ce corpstoutfroid (y affreuxfe roidit :Commevn glaçon l'ejiomacluyfroidit,Et de[esyeux l'vne i? l'autre prunelleFermafon iour d'vne nuiSiéternelle,

N'ejlantplus riende Phouére,[monQji'vn tronc bronché,[ansface ny[ans nom.

A tant Dicé' d'vneface ioyeufeVintfaluer la main viclorieufe,Baifa Francus,le couronnadefleurs :Tuas (di[oit) effacémesdouleurs,

Vrayhéritierde la gloire HeSlorée,TuantPhouére,{y[auuant monOrée:LebonDémonqui de nousa [ouci,Pour mon[apport t'a bienconduit ici,NobleTroyende proiiejfel'exemple,Encorpsmorteldigne d'auoir vn temple,Et commeHerculeadorédes humains,Tant a d'honneurla[orce de tes mains.

Commeil chantoitceftHymnede viSloire,Voicila nuiclà la courtinenoire

Qui vint auxyeux le[ommeile[pancher:Le balfini chacuns'alla coucher.

FIN DV SECOND LIVRE.

Ronsard.—III.

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LE TROISIESME LIVRE

DE LA FRANCIADE.

L'humidenuiSlqui d'vn fommeilenferreLesDieux au Cielles hommesenla terre,Laiffantcouler lentementfur lesyeuxVnevaleur dufleuueStygieux,Des animauxengluait les-paupières,Trompantlefoin des peinesiournalieres.Mais le dormir qui tient lesyeuxfiliez,Gliffantn'auoitfes prefensdiftilezDejfusle chefdesdeuxfoeursefueillées,D'efpoirde crainte <ùrd'amourtrauaillêes.AdoncHyanteàfafoeur parle ainfi.

D'où vient, mafeur, que iefuis enfouci,Quemaraifon a perdufa puijfance,Quemonpenfer d'vn autreprend naijfance..Queie m'efgare i? qu'vn nouuelefmoyMerauit toute& men-volede moy>

le ne tiensplus de moncoeurque ï efcorce-.Enmoyfe loge vnepuijfanteforce

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84 LE III. LIVREDE

Queie nepuis nyfçauoir ny nommer,Si ce n'eftoitle malqu'on dit aimer.En mesdifcoursie m'efforceà comprendreD'où vientmapeine, ù" fi nepuis l'entendre:

Bref ie n'ay peu nyboirenymangerDepuisle tour que i'ay veu l'ejlranger,Toufiourspendueenfa blondeieuneffeD'oeilou d'efprit : maugrèmoyie confeffeN'auoir iamaisfenti' telle douleur,Qui mefait perdre i? fommeil<ùrcouleur.

Depuisvn iour iefuis touteefperdue,Meconfommantcommeneigefondue.Ah ie memeurs!monmalpourtant meplaif,Et nepuis dire en quellepart il efi:Sanss'arrefter monefprit efl volage:De ce Troyentoufioursle beauvifage,L'honneurla grâce en l'amemereuient:

Toufiourstoufiours& toufioursmefouuientDefon combat,& defa mainguerrièreQui l'accompagneenfa barbepremière.Père des Dieux, quelleaimablevertu!

Quel port il a! commeil s'efi combatuPour lefecours de noflrefrère Orée!Il eft vraymentde la raceHe5lorée!Sa mainfa force (y fon coeurgénéreuxMonftrentaffez qu'il efl dufang des Preux.Si i'eftois libre, ù" fi i'auois puijfanceDe viure à moy,ieferois alliancePar mariageà ce ieuneTroyen.Pluftoftle feudu grand SaturnienTombémenufur monchefmefoudroyé,Pluftoftla terre enfe creuantm'enuoyeSousles enfersmademeurechoifir,Quemonhonneurfoit trompéd'vn plaifir,

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LA FRANCIADE. 8^

Et quepeufage ainfi te memarieSansle congéde ceuxqui m'ontnourrie.

A tantfe teut : Lecoeurluy ejïfailli,Commeruiffeauxles larmesontfailliDefes beauxyeux, prefages defa peine,Quandd'autre part luy refponditClymene,Qui moinsnardoit defecrette langueurPour le Troyenqui luybruloit le coeur.Maisplus que l'autre elleeftoit auifée,Qui ne vouloitvneamourdiuifée,Ainsvouloitfeule en touteaffeblionDameiouyrdu cueurde Francion:Pourceenmentantpar vn grand artificeLuyconfeillaque l'amourefloitvice:

Ainfifon malpar fraude elle cacha,Et l'inconfiancehfafoeur reprocha.

Oùfont, mafoeur, ces refponfeshautaines

Que tu rendoisà tant de Capitaines,Princes Ù"Rois,quepourfes gouuerneursCrête nourrit enpompesù1 honneurs?

Qui trauaillez d'vne amoureufeflameTousà l'enui te courtifoyentpourfemme>

Quoy>feulementd'vn courageendurciNedefdaignoiscesmaris, maisaujfiTumefprifoisles hommesdont l'audace

EJltrop cruelleencontrenojtrerace.

Quoy?difois-tu: commevnfuperbe RoyL'hommecontraint lesfemmesàfa loy:Nonfeulementles eflimemutilesA gouuerner lesfceptres & les villes,Maisfans honneursù1fans point commanderLesfait filer, les lainesefcarder,Ourdir (y coudre,Ù1deparolesbrauesEnfon foyer les tancecommeefclaues.

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86 LE III. LIVREDE

Qu'heureufefut Lemnosau tempspajfé,Où le pouuoirdeshommesfut cajféPar la fineffe<ÙTproueffedesfemmes,Si que les nomsdeshommesejloyentblâmesIA labourerles terres ilsferuoyentSansautre charge,&" lesDamesauoyentEntre leurs mainslefait de la police,Le magijlrat, lesloix, & la iufiice.Oùfont cesmots>où ejl cecoeurfi haut}A tonbefoinle couragetefaut,Qui maintenantà la premièreveueD'vn eftrangeras l'ametoute efmeu'é,Et veux tonnomfans raifondiffamerPour vnpirate 'oncorfairede mer

Quiva cherchantpar les ondesfa proyeSousfaux-femblantderefaire vne Troye:Et par amourefpiant lafaifonDedesbaucherlesfilles demaifon,Au premiervent loin d'amis les emmenéPour leslaifferfur quelquefroide arène:Car eflantfoui defon premierplaifir,Et ne voulantque changerÙ"choifir,Les abandonne& fans tenir promeffeMarchefuitif où l'orage leprejfe.

De tel malheurl'exempleencorevitEn cepais, d'Ariadne quifuiuitMaugréMinos,le pariure Thefêe,Tant ellefut à prendre bienaifée.Mais tout foudain cepirate méchantDefon ferment & à'ellefe fafchant,La quitta feule au matinendormie,

Proyedesloups au riuage de Die.

Pource,mafoeur, d'vnfoin prudent & prontL'honneftehonteattachefur lefront,

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LAfRANCIADE. 87

Et fianstoy laijfieerrer à l'auantureDeseftrangers la tefie troppanure.

Ainfidifoit dijjïmulant,afinDe la tromper: mais Amourleplus finQui nefie trompe\& quipafifioiten elleDenerfisen nerfis,de mouetteen mouette,

Lafiaifioitcauteen[on malnompareil,Qui ne vouloitnyraifionny confieil.

A tant du iour la lumièrefiacréeDedansla chambreejloitpar tout entrée,Quandcesdeuxfioeurs,ainçoisdeuxbeausprintempsSortentdu lit! : ils demeurentlong tempsAfiepeigner, s'atiffer, i? à fairePar le miroirvn vifiagepourplaire:En centfiaçonsils tordentleurs cheueuxOndezcrefipezentre-firifiezde noeuds,Etd'vn long art millebeautezs'attachent:Puis tout le chefd'vn guimpleellesfie cachent,Quibienplififiéiufiqu'auxpiedsleur pendait,Et vn parfiumpar la chambreefipandoit.

Cesbellesfioeursen cepoinfl habillées,D'vn pas fiuperbeau templefiontalléesPourconfiulterà l'oracledes DieuxSur la fiantede leur mal ennuyeux:Ou s'ils vouloyentd'vnemainfiauorableGuarir leur playe aux hommesincurable,Ou s'ils vouloyentmefiprifierfiansfiecoursLeurspafijîonsdiuerfiesenamours,Etfiansefipoirentretenirleursfilâmes.

De toutesparts vnefiuitede DamesLesentournoit: ellesmarchoyentd'vn trainTelqu'ArtemisDeejfieau largefiein,A qui la troujfieÙ"le belarc enfiembleChargentle dos, lorsquefiafiefiteafifemble

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LE III. LIVREDE

Vngrand monceaude Nymphesen vn rond

Vaccompaignant: d'efpaules& defrontElleapparoiftplus haute quefa troupe,Menantle balfur la pineufecroupeDu montTaigete, oufur l'efmaild'vn préDu fleuueEuroteàfon frère Jacre.

Or' cesdeuxfoeursmalades<ùfpeufagesDedansle templeau deuant desimagesDespuifjans Dieuxtriftesfe pourmenoyent:Ores lesyeux fichez ellestenoyentSur la viclime, & courbes& béantes

Prenoyentconfeildes entraillestremblantes,Or' lesgefiersdécoupezregardoyent,Et l'aduenir aux Deuinsdemandoyent.Hàpauuresfoeursmal-fainesde penféesl

Ny pleurs nyvoeuxny offrandeslaijfées,Ny tournoyerdes autels à l'entour

Neguarit point le malquefait amour1La belleHyanteauoit enfa mainblanche

Vnvafe d'or plein de vin, qu'elleefpancheAu beaumilieudes cornes& dufrontDe la viclime: Ùf Clymenequi tond

Le poil facré de la beftele ietteDedanslefeu : Commecepoil craquette,Ce difoit-elle, isf brûletout enfoy,Ainft Francuspuijfe brûler de moy.Maispour-neant cesdeuxfoeursabufêesPrioyentau templeen leursvoeuxamufées:LesDieux malinsleurspriers n'efcoutoyent,Ainsfans effeEiles ventsles emportoyent.

AdoncFrancusque lefouci refueille,S'ejioit leuêdeuantl'Aubevermeille:Du cuir pelu d'vn Ours il fe veftit:Le dardau poing de la chambrefortit

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LA FRANCIADE. 89

marinier.

Afront baffle.Vandois,d'où vint la raceDes Vandomois,lefuiuoit à la trace.Lorsfe laiffant en larmesconfumer,S'alla planterfur le bord de la mer:Et iettant l'oeilfur les eauxTethyennes,Il regardait fi les barquesTroyennesVenoyentà bord: puis voyantle vaijfeauQui leportait *'échouédejfousl'eau

*M°'do

Demi-couuertdefalaize Ù1de bourbe,Lesyeux au cielfur le riuage courbe

Pouffantdu coeurmaintsfanglots en auant,Parlait ainfi aux ondeséf au vent.

Heureuxtrois fois leshommes,que la terre

Enfon giron, mèrecommune,enferreD'vn éternel& paifiblefommeil:Si commenous ils n'ontpart au Soleil,Ils n'ont auffile foin qui nousmartire,

Ny le defir de grandeur ny d'empire.Cepiquantfoin, dont le defirmefuit,Mefait chercherla Gaulequi mefuit,Terre ejhangere, Ù" qui ne veut mattendre,Qiiedufeul nomïay prife fans la prendre.

lefuis (ie croy)la maudijfondes Dieux,Sansdemeuranceerrant de lieux en lieux,Deflot enflot, de naufrage en naufrage,Ayant le vent ir la mer enpartage,Commevn plongeon,qui en toutefaifonAfeulementles vaguespour maifon,Desflots falez il prendfa nourriture,Puisvnfablon luyfert defepulture.

DonneApollon,maiflreffeDeitéDe ceuxquivont baflir vm cité,

Quelquebonfigne, à fin que tu m'ottroyesDes murscertainsaprèsfi longuesvoyes.

6.

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9o LE III. LIVREDE

Si ie nepuis les Gaulesconquérir,Sansplus errerpuiffè-icimourir

Enuelopéd'vne horribletempejle:Aux Dieuxmarinsviclimefoit ma tejlePourfacrifice agréableà la mort,D'vnpeu defable en-îombéfur cebord.

Il dift ainfi, quandhors desflots humidesSortit le ChoeurdescinquantePhorcydes,Et tout lefront de Glauque& Melicert,Et Palémonà l'habillementverd,LevieilTriton à la perruque bleue,Hommed'enhaut& poiffonpar la queue,Tenantes mainspourfceptres leurstridens,Pouffentla nefde Francusau dedansDuprochainport : la nauirepoujfée

Ayantla proue& la poupefroiffèeAlloità force: ainfi que leferpentQuifur le ventreà peineva rampant,Quandvn paffant du coupd'vne houjjine

Luyentre-romptles rejfortsde l'efchine,Plis deffusplis en cent ondesretorsRetrainetire ù" retournefon corps,Il fifle aigu, fon veninil remafche,Et renouerenfemblefe retafche:

Maispour-neant: carfon dosefi perclus.Ainfimarchaitle bateaude Francus.

Hors du troupeaubienloins'efi efcartêeLeucothoéla fille de Protée,A qui Phebuspour mieuxl'authorifer,Donnaiadis l'art deprophetifer:Seslongs cheueuxerroyentfur la marine:Hauteà fleur d'eau elleauoitfa poitrine:Puis regardant le Troyentout tranfi,De luys'approche,<&le confoleainfi.

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LA FRANC1ADE. <pI

Enfant royal, quidois donnernaijfancea A tant de Rois, lafeule patience« Romptla fortune, Ù1malnepeut s'offrir« Oui nefoit douxquand on le veutfouffrir.« Soiscourageux: touterude auanture« Par trait de tempseft douces'onVendure:Pour endurerHerculefe fit Dieu,Tuplanteras ta murailleau milieu

Des brasde Seine,où la GaulefertileTe doit donnervne ijlepour ta ville,Gauleabondanteenpeuplesredoutez,Peuplesguerriers, aux armesindontez,Quetelle terre & plantureufe& belle

Richenourrit d'vne graffe mammelle.Or puis qu'Amourte veutfauorifer,

Sonbeaufecours tu ne doismefprifer:Vacourtiferla iouuencelleRyanteFille du Roy,qu'HécatelapuijfanteAfait preflrejfeenfon templefacrê.Amourquifait toutechofeà fon gré,La maiflrifantluynaître le courageD'vnpoignant trait tiré de tonvifage.Par fa magieellepeut attirerLa Luneen bas, le Ciel fairevirerA reculons,& desfleuues lescourfesEncontre-montrebroujferà leursfources:D'vn clair midi ellefait vne nuit,Dejfousfes pieds la terrefait vn bruit

Quandil layplaifl, ir fon charmecommandeAux infernaux,<ùfà toutela bandeDecesefprits qui defdaignansles bordsDe l'eau d'Oubli, re-vont en nouueauxcorps.Ellequi vit de ton amourgaignée,Tefera voir tafuture lignée,

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92 LE m. LIVREDE

Et tous lesRoisquipartiront de toyForts à la guerre i? prudens à la loy,Qui d'vn long ordre en extrêmepui/fanceTiendrontvn iour le beaufceptrede France.

Maisce-pendantque tu pleures envain

Rongeantton coeurd'vn généreuxdefdainSur cejle riue efcumeufe& deferte,Ah! malheureuxtu as fait vueperteD'vn cherami qui toujiourstefuiuoit,Et dansfon coeurle tienmefmeviuoitSeur compagnonde ta jortune amere.Las! il n'eftplus: lunonpar fa colèreL'a fait mourird'eflrangemort, à finQu'elleempefchafile cours de ton deftin,Maiselleen vainfe rouillede rancune.« La deflinéeeflplus quela fortune.

Vad'vn pied vifte, Ù1lefais enterrer:Sonlibre efprit ne laijfeplus errer

Dejfus le corpsfans auoirfepulture,Qu'il ne tefait vn malheureuxaugure.Serffous ta maintout le mondeil eujl mis.Si la DeejfeenuieufeeuftpermisQu'il eujl enGauleordonnétonarmée.« L'hommen'eftrien qu'vnevainefumée!

A tant la Nympheenparlant deualaSoncheffous l'eau : l'ondequi ça qui laFlot dejfusflot enfe ridant grommelle,D'vn long tortis l'engloutit deffouselle.

TandisDicè' que lefoin tient raui,De Fracionlespas auoitfuiui :Deuxgrans léuriersyffus de bonnerace,

(Fidelleguet) lefuiuoyentà la trace.En l'abordantd'vn vifage adouci,

Luyprift la dextre isr le falue ainfi.

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LA FRANCIADE. 93

Prince Troyen,dont la vertupremièreDupère tien effacela lumière,Quandmonpais endeux ie partirais,Et d'vnepart honoréie t'aurois,Encor' beaucoupieferois redeuableA ta vertu, qui n'apoint defemblable.Tu asfauué monenfantdu danger:Seul tu as peu du Tyranmevanger,Monftrecruel, engeancede malice,MccqueurdesDieux, mefprifeurde iuflice,Quim'ahontantde toute indignité,Defon harnaiseftonnoitma cité.

le t'offrirais en lieude ta prouejfeVngrand amasdepompeuferichejfeBagues, lingots, coupesd'or <ùrvaijfeaux:Mais tu ne veux, ofleur des iouuenceaux,Ta vertu vendreà fi frefle defpenfe:Lefeul honneurteplaift pour récompense.Lefeul honneurenl'antiquefaifonAffiflThefée,Hercules& lafonDedansle Ciel, &1ie t'ojepromettreQueta proueffeencoreste doit mettreNouuelleejloileauprèsde tes oyeuxQue la vertu enrolleentre lesDieux.

Pource,eftranger, la richejfemefprife,Ne rouillepoint ton coeurde conuoitife,Et commePrinceaux armesbienappris.De tes labeurslouangefait le prix.

Entre les biensquefortune labileM'a concédez,ïay vuechèrefille,Qui de beauténefait place à Venus,Dont ja les ans accomplisfont venus

Qu'elledoit ejlre enfleur d'âge menée

Deffousla loydu nopcierHymenée.

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94 LE III. LIVREDE

Sifon printempsne te -vientà defdain,loins par fermentta maindedansfa main,Et de vousdeuxalliancefe face.De tel accordpourra naiftrevue raceGrandeen honneurs,de ccfteterre Rois,D'où tes ayeuxfont ijfus autrefois:Car Ji oncroit à noftrevieilleannale,Crète de Teucreeft la terre natale.

AinfiDicéeen le tentant luy dit,QuandFrancionluy contre-refpondit.

Prince Cretois,qui à bondroit te vantes

D'eftreforti de cesvieux Corybantes,Quipar la loy, amede la cité,Gardoyentleurjceptre en tranquillevnité :Puis qu'il t'a pieu breutmentmefemondre.En peu de mots il mefaut te refpondre.

Vnfouuenirviura toujours en moyPour tant de biensque i'ay receusde toy,Quipanure <£rnud, le iouètdu naufrage,Nem'aspermisfeulementton riuage,Maisajfeurantmafortune Ù"moncours,M'asprefentéta fille Ù"tonfecours.Or fi i'auois puijfancefur mavie,Si du deftinelle n'efloit rauic,EtJi i' eftois porté demonplaifir,le ne voudraiston royaumechoifir:Maisau contraireimpatientde ioyel'irois chercherencormavieille Troye,Et meplairait entre les vieuxtombeauxDe mesayeuxbajtir desmurs nouueaux,Et r'habiter la cendrede mespères:Mais les dejlinsautheursde mesmiferesContremongré metraînent, & mefontEnfoncerl'oeil<ùrabaifferlefront,

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LA FRANCIADE. 95"

Et fans gronderfouffrir à boucheclofeTousles malheursque le ciel mepropofe!Cefier deflinla Gaulemepromet,Quifeulementmarier mepermetEn Germanie,& nonen autreplace:Dufang Troyenméfiéparmi la raceDufang Germain,des Roisdoiuentfortir,Qu'onmepromet le mondeajfuiettir,Dont les vertus, triomphes(? victoiresToutl'vniuersremplirontde leursgloires.Donnefans plus à cePrince TroyenDes charpentiers,du bois, ér le moyenDe rebaftirvueflotte nouuellePourretenter la fortune cruelle,Par qui iefuis maugrémoyfurmontè,Fautedeforce, Ù"non de volonté.

Il dijl ainfi: DicéequiprendgardeAfon maintien,tout eftonnêregardeD'yeux& d'efprk ce Troyenquiparloit,Et l'admirantpour gendrele voulait.Commeils difoyent,voicivenir Orée,Quipour pomperla viSloirehonorée,Et pour aux Dieuxs'acquiter defes voeus,Dedansvnparc auoit choificentboeufsAulargefront, agréablesoffrandes,Entiersisffains, viàlimeslesplus grandes:Etprès la ville en vn bocagefaintManoirdesDieux, religieux ù" craint,Lesamena(on dit qu'en cefteplaceMinosparloit à lupinface à face,Quandil prenait les loix de cegrand Dieu: )Il mit de rang les cent boeufsau milieuDu verdbocage, i? de gazons il drejfeA la ViSloirevn autel d'allegreffe.

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Ç)6 LE III. LIVREDE

Puis d'vnpied libre errant en diuerslieuxIl amufoitfon efprit& fesyeuxA regarder s'il verrait d'auanture

Quelquegrand arbre efgayéde verdure.Nongueresloinfur le tertre prochainVit à l'efcart vn chefneau largefein,Aux larges bras, dont les branchesfueilluesD'vn chef'fuperbealloyentiufquesaux nues,Defes rameauxtout le chefneesbrancha,Etfur la cymeentrophéeattachaDu mort Geanles armesdejpouillées,CuiJJotsfanglans, grêuesdefang mouillées,Maille,plaftron, gantelets & brajjars,Les efperons,le poignard (? les dars,La dureefpée,Ù"l'effroyablecrefteDu moriongardien de la tefte.DeuantVautellesboeufsil affomma:Lefang quifort à gros bouillonsfumaSousle couteaumeurtrierde la poitrine :L'vnla peaucrue arrachede l'efchine,L'vnles eftrippe, (? l'autre peu à peuPour les roftir allumoitvn grand feu :Dedansle cielen voloit lafuméeI

Quandpar le jeu l'humeurfut confumêe,D'ordre enfon rang vn chacuns'approcha,Et pour mangerfur l'herbefe coucha:Le vinfe verfe, &"l'efcumeufecoupeDemain enmainerre parmi la troupe,Quede boncoeurs'inuitantreceuoyent,Et la mouftacheen la tajfe lauoyent.

De la cité les DameshonorablesSortansdehorsenrobesvénérables,Etferenans le cielde leurs regars,Lesmainsenfembleà petits bonsgaillars

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LA FRANCIADE. 97

Menoientle bal: Terpinqui les deuance,Tout lepremieraccordaitla cadance,ChantantceftHynne,<ùrmariantfa voisAu luthpouffédu tremblerdefes doits.

Filleduciel inuincibleVicloire,Dont leshabitsfont pourfiez de gloire,D'honneurdepompe,<ùrdont lefront guerrierEft illuftréde palme<Ù?de laurier :

Quidauant toyfais broncherlesmurailles,Quipens douteufeau milieudesbatailles,Que lafrayeur <Ùriefperancefuit,Qui tout le mondeeflonnesde ton bruit,Quandle Renomaux ailes emplumêesSemépar tout l'ejfroyde tes armées,Lorsquechacunen tremblotantdu coeurAttendfufpensquifera le veinqueur.

Lefang, la mort, la cholereacharnée,Etdesfoldats la licenceeffrénée,Et le mefprisdesgrands Dieux immortelsSuiuentton char: ceneantmoinstu esMèredes Roisdesfceptres & des villes:Tufais germerles campagnesfertilles,Et foifonnerles coutauxde raifins,Honneurdestiens craintede tes voijtns.

Deuqntton charque la Crainte enuironne,MarcheEnyon(? lafiere Bellonne,Et la leuneffeau fang chaud& vermeil,Et le Péril qui n'a point de confeil.

SanstonfecoursMars nepourrait rienfaire,Desfiers Titans tu fus feule aduerfaire,Lorsque ta mèrevn harnais te donna:Pourcelupin d'honneurla couronna,Et nevoulutpar promejfeaffeuréeQuedéformaisfoii^oez^fnfLQariurèe.Ronsard.—m.$t^'~'' '':-\ .''

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98 LE III. LIVREDE

Efcoutemoyvieille racedes Dieux:Du bonFrancuslesfaits laborieux

, Engraueau ciel à lettres immortelles:Enfa fauueur romple volde tes ailes,Et lefauuant de honteù1 demeclief,Suy-letoufiours,& Luypensfur le chef.

Il dift ainfi: la ioyeufeaffembléeA iufqu'aii ciella chanfonredoublée:Tousles coutaux& lesbordsd'alentourNe refonnoientqu'alegrejfe& qu'amour.

Finis lesvoeuxqu'on rendait à Viôloire,VoicyVenusa la paupière noire,Qui du haut cielprécipitant la nuit,Vintdesdeuxfoeursenuironnerle lit.Ellefe changeen la vieillepreftreffeQuifous-minifireauoit de la DéeffeAutels& templeenvénérablefoin :

Toufioursau guet elle efcoutoitde loin

L'abboydeschiens,qui d'HécatecornueEs carrefoursannonçaientla venue,Quandà troisfronts affreufeellearriuoitDedansfon temple,où l'effroyla fuiuoit.

Enfe couchantfur le cheuetd'HyanteLuydifl ainfi: D'vn chefned'ErymanteOu d'vn rocherle rampart de la mer,Daignes-tubienta poitrine enfermer?As-tufuccèdes ourfesla mammelleïAs-tule cueurd'vne louuecruelle,Cueurfans amour,fans grâceny mercy>

Qui du Troyenn'as pitié nyfoucy,Pauure Troyenqui a laifféfa terre,Non commeil dit pour les Gaulesconquerre,Mais tout rauydu bruit de ta beautéA de la merveincula cruauté

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LA FRANCIADE. 99

Pourvoir ta face, i!f s'il ejioitpojjïble,Seioindreà toyd'vn lien inuincible:Et toutefoisfiere defon ennuyTu-voisfa playeÙ"te moquesde luy.

Difant ainfi, defa belleceintureDu lit! ^Hyante encernala clofture.Cejfeceintureétrangementpouuoit,Quela Nature enfe ioiiantauoitDefa mainpropre à filets d'or tijfue.Etd'elle en don Venusl'auoit receue,Quandle boiteuxLemnientant ofaQuepourfa femmeau.ciel il l'efpoufa,Dont ejlforty tout l'ejfrede cemonde:Toutcequi noueau plusprofondde l'onde:Ceuxqui d'vne aile en l'air fe font vn train,Toutcequipaifl la terre au largefein,ToutanimalcazanierÙ'fauuageFut enfantéde cegrand mariage.Quandlaceintureeut verféfa vertu

Dejfusle Ut, lefeu qui n'auoit euEntiereffetl au cueur desdamoifelles,Serenforça de larges efiincellcs,Denerfsen nerjs, d'os en osprifl vigueur,Puis toutfoudainfe fit royde leur cueur.

Incontinentque la belletournée

Chajfantla nuit! au cielfut retournée,LebonTroyenfoufpirantfans confortFeit apprejlerles obfequcsdu mort.Ilfe jrappoit de regret la poitrine,Sefouuenantque la NymphemarineL'auoiteniointdés le tour enterrerSoncheramy, ér ne laiffer errer

Deffusle corps l'efprit à l'auanture,Qu'il neferuifl de malheureuxaugure.

iîaâl

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LE III. LIVREDE

« L'efprit humainquifon Iwftea laiffè,« N'efl pas heureuxfi Styx il n'apajfê :« L'honneurdu corpsdont la vie efl cajpe,« Efl & l'ohfeque,& la terreamajfée« Sur le tombeauqui finit lesdouleurs,« Et desamis lesregrets (y lespleurs.

Premièrementon explanevueplaceLarge en quarré de cent coudesd'efpace,Où au milieuonaffemblevn bûcher,Puisfur la cymevn lit pour le coucher.Par lesfor efls d'vnepénibletraiteVahaut Ù*bas maintelarge charette,Oui gemijfantflouslefaix, apportoitLe bois coupéque lefer abatoit:Auecles coinsle chefnebonàfendreTrébucheicy: onlaijfe la defcendreAuecgrand bruit de la cymedesmontsTremblesormeauxisr tils aux larges fronts:Leflapïntombeisr le pin plus vtilePour veoir la mer: puis on drejfevnepileHautede boisnourrironsdesforefts.Tousles coflezfont parez de cyprès,Le bas de Tede, & de chefnelefefle:Dedansle ciel le bûchera la tefle!

Sur ceflepile au plus haut dufommetPlein deparfums, en larmoyanton metLecorpsdu mort, officecharitable!Toutce qu'il eut enfa vie agréableT fut ietté, fa rame& fon efcu,Outils de l'art dont il auoitvefcu.Francusqui'tient vne torchefumeufe,Boutelefeu : laflamechegommeufeD'vn pied tortu rampantà petit fautEnfe fuiuant s'en-voleiufqu'au haut:

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LA FRANCIADE. loi

Leboiscraquette,<&la pile alluméeTombafous elle en cendresconfumèe,Le ventfouflant dufoir iufqu'au matin.Incontinentle vieil preftre Myftin,Qui du corpsmortfoigneux auoit la garde,Lauela braife Ù1la cendreboiuarde,Choifitles os & les enfermeaufein(Sacrérepos) d'vn vafefait d'airain:Puis arroufa par grand' cérémonieD'vnefainte eau trois fois la compagnie:Lesderniersmotsde l'obfequeacheua,A tantfe teut, <ùrle peuples'en-va.

Francusqui veutfous les ombresdefcendre,Tondfes cheueux,les iettefur la cendreDu trefpaffé,centfois la rebaifant:Chercompaignon,pren de moyceprefent,Triftetefmoinde mafatale perte.Puisà pleinpoing la crucheil a couuerteDefes cheueuxqu'il auoit autrefoisVouezau Dieu qui baigneles François,Blafmantla mortd'vneplainte profonde,Qui rien de bonne laijfe viure au monde.

Tandislesfoeursd'vn regard tout rauylettoientlesyeux (y le coeura l'enuySurceTroyen,dontles larmesiettéesAuoientbeaucouples grâces augmentées.Brefle voyantfi charitableù" fort,Plus quedeuantAmourgaigna lefortDe leur raifon, Ù"fa flèchelafehéeNonplus auxyeux, ainsau cueurfut cachée.Maisplus Clymeneau fang elletouchoit,D'autant queplusfa flame ellecachait.

De toute chofeelleperd la mémoire:Sonefprit pleind'vne triftejfenoire

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102 LE III. LIVREDE

L'effarouchad'imaginations,Troublant[on fang d'effrangespafjions.D'vnfeu couuertelleefcouleJes peinesAux nerfs, aux os, aux mufcles{? aux veines,Et dans lejoye, oùla playefe faitGrandeen douleur,quand Amourdefon trait

Blejfevn amant:fi que depuisla plante

lufqu'à la nuque,vnfoucy la tourmentePointfrape bat. Ellequifent parmySespropres os logerfon ennemy,Penfe& repenfe& difcourt enfa tefte:Sonpenfer vole<ùfiamaisne s'arrefte,

Deçà delà virant Ù" tournoyantCommel'efclair du SoleilflamboyantOui rebat l'ondeà lumièreeflancéeDans le giron d'vne cuueverfée:

Cepromptefclair ore bas oreshautPar la maifonfautelle de maintfaut,Et bondfur bondauxfoliueauxondoyéPirouetantd'vne incertainevoye[oyeuxde voirfes longs rayons efparsDeplace enplace errer de toutespars.

Ainfidifcourtfans arreft de penféeDe trop d'amourla pucelleoffenfée:Survn penfervn autre redoubla,Maisceftuy-cyle meilleurluyfembla:Cefit de prendrevue chambrefegrettc,Et loin à part pleurer toutefeulette.

Defpusvn coffreà bouchefe coucha:

Puis quandfous ïeau le Soleilfe cacha,Se iette au lit : lefommeilqui la preffe,Fit pour vn tempsà fon malprendre cejfe,Maispour-neant: car lefonge trompeurEntre-meflantl'efperanceenla peur

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LA FRANCIADE. IO"j

VintVeffrayer,commeil a de coutumeD'effrayerceuxde qui la playefumeDejfousle cueur, quandle mal chaleureuxPar lefang trahievn vlcereamoureux.

Ellefongeoitpleined'amourextrefmeEntre-dormant,queFrancusdefoy-mefmeAuoitpris bord en Crêtepour oferPrierfon père afin de l'efpoufer,Et quela dextre enla dextre ayantmifeDe l'eftranger, la luyauoitpromife:

Quepar courrouxdefdit il s'en ejloit:

Quele Troyenpour elle combatoitA touteforce, & quetout bouillantd'ireLa trainoitfeule enfa creufenauireBienloin de Crèteen la profondemer,Et quefon père ardantfaifoit armerMillevaijfeauxafin de la pourfuiure,Et lelarron ne laijfer ainfiviure:

Quele riuage ejloit remplydefeus,D'armesde nauz <Ùfdepeuplesefmeus,Faifantgrand bruit, ù1 ce bruit la refueille.Or commeAmourtraiflrementla confeille,Deuantle iour horsdu liclfe leua,Et defa chambreà taftonsellevaTouchantlesmurs,d'vne mainincertaine,Et r'amaffafon efprit à grand' peine,Quelefommeildu corpsluydeflacha:Puisde rechefau USife recoucha,D'amour,depeur & de rage frapée,Oùde recheflefonge l'a trompée.

Toujioursau cueur Francusluy reuenoit,Et lemaintienqu'enparlant il tenoit,Quelgefte il eut, quelport & quelleface,Et quellefut la douceurdefa grâce,

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104 LE III. LIVREDE

Qtiellefa robe,& quelfut fon parler,Sesdouxregardsfa taille if?fon aller,Sonmentoncrefpe<ùrfa perruqueblonde:Ellepenfoit qu'il ny eitftPrince au mondePareil à luy: toujïoursfa doucevoix,Sesdouxpropos &•fes deuiscourtois,Commepafmée& pleinedemerueille,Coupdeffuscoupluy refrappaientl'oreille.

Aucunefoisellefongeoit errerPar les deferts, <&feule s'efgarerEntre rochers,riuieres & bocagesSanscompagnieentrebejlesfauuages,Et queFrancusamoureuxeffrangerLefer au poing la fauuoit du danger.Aucunefoisaprès l'auoir vangéeL'offroitaux loups, afin d'ejlre mangée,Puis derechefde leurs dentslafauuoit,Et fon fecoursluy nuifoit ù'feruoit.Touteenfurfault elles'eji refueillée:Nudspieds, fans robe, affreufe,efcheuelêe,Puis s'acoudantà la reigled'vn banc,Millefoufpirs repouffadefon flanc.

Pauurettemoy! commetoute efmayéeM'ont ceftenuit lesfonges effrayée!L'amem'entremble,& le cueurm'endébat:

Crainte & amourmefont vn grand combat.Certesiefuis touteautre deuenue

Queie n'eftois: ie crain que la venueDe ceTroyenne m'apportemalheur

Autant qu'il fait enfongeant de douleur!

Toufloursïy penfel heureufe<&plus qu'heureufeSiforcenant ie n'ejloisamoureufe,Et fi iamaispour euiter la mortLefils d'Heclorn'euft touchénoftrebort.

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LA FRANCIADli. IOf

Commeau printempson voit vue geniceQuin'a le col courbéfous leferuiceA bondsgaillards courirparmy les champs,A qui le Tan aux aiguillons tranchons

Piquela peau & la pouffeenfurie:Ny les ruijfeauxhojlesde la prairie,Foreftnyfleurs, bocageny rocherNe la fçauroient engarderde moucherDe toutesparts vagabonde& courante:

AinfiClymeneenfon efprit erranteCourt<ùfrecourt,fans voir iamaisoftéLepoignant trait qui naurefon cojlé.

Quedois-lefaire} oùiray-ie}dit-elle.Pourmeguarir perfonnene ?nappelle!le meursfans aide, i? fi ie ne veuxpasQuefoeurnyfrère entendemontrefpas.Faut-il qu'enpleurs ie dijlillema vie}

Quede mafoeurainfi ie medesfieQiiifeulefut monconfeilautrefois,Qui m'aimoitfeule Ù1quefeule ïaimois}Helas ilfaut quemonmalie luy conte!Et quoyClymene,auras-tu point de honteDeconfefferqu'Amourfoit ton veinqueur,Quetu voulais luy arracherdu cueur,Quand l'autre iourpar vnfin artificeTu luyprouuoisque l'amoureftoitvice}Il nem'enchaut elleaura fon retour,La charitédoitfurmonter l'amour:Et fi elle eft de Francusamoureufe,Mefera lieu mevoyantlangoureufe.Pauureabuzée! hé nefçais-tu pas bienQuelesparens defrobcntnoflrebien}Et quepour eux entier ils le défirent,loyeuxau cueurquandles autresfoufpirent}

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IOÔ LE III. LIVREDE

Cen'eft qu'vnfang de mafoeur&1de moy,Elle-prendrapitié de monefmoy!« Foy nypitié ne régnentplus en terre,« Et le parent au parentfait la guerre!Las! queferay-ie? il vaut -mieuxla tenter:L'hommeeftguary quipeutfe lamenter.Il n'ya befteauxforejis tant foit fiere,Qui nefoit douceaux pleurs d'vueprière:Helason dit enprouerbefouuent,« Prière & pleursfe perdent commevent!

Vray,fi Ionprie vueame inexorable:Maismafoeureft Ù*douce& pitoyable:Au pis aller ie nefçauroisfentirEn l'ejfayantquehonte& repentir.

En la façonqu'elle eftoithabilléeNudspiedsfans robeaffreufeefcheuelee,Délibéracontrele mald'amoursDevoirfa foeur& demanderfecours.Elle courut commefon pied la porte,Maisauffi tojl quellefut à la porteSerecula: commele pèlerinQui defortune a trouuépar cheminVnlongferpent horribled'vne crefle,Quififle efcumeir s'enflede la tefte,

Faifant mourirles herbesdu toucher:IlJe recule(? n'ofeen approcher.

Ainfitourna la pucelleen arrière:

DeJJusla langue elleauoit la prière,La larmeà l'oeil, lefoucyfur lefront,Dedansl'efprit vnpenfementprofond,Et maintfanglot fe creuoitenfa bouche,Quand tropd'amour qui la touche^7"retouche,Qui compagnonfes pas alloitfuiuant,Fit auancerfes iambesen auant,

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LAFRANCIADE. IO7

Et derechefla hontelesrecule,Hontela gelé <ùrle defir la bride.Troisfois Amourla voulutfaire entrer,Hontetroisfois Jes piedsvint rencontrer,Troisfois reuint <&troisfois s'en retourne:Sonpas douteuxqui maintenantfeiourne,Maintenantva commeAmour lefeduit,Portéd'ardeur derechefla conduit,Et derechefla hontela repoujfe.Ce Dieuqui bat d'vneforte fecouffeSoncueurdouteux,fi bienla foruoya,Quedans la chambreenfin la conuoyaPleurant envain: commevuefiancéeQuidez long tempsa donnéfa penféeAu iouuenceauquipremierqu'appaiferSaflame, ejl mortauant que l'efpoufer,Ellede dueil <ùrd'amouralluméeLamentefeule enfa chambreenferméeEnJe cachant,de peur quefes regretsNefoient ouis desvoifinsindifcretsOui de brocardspiqueraientla pauuretteToufioursau cueurfon fiancé regrette.D'vn crymuet, à boucheclofe, ainfiPleuroitClymene,Ù1cachoitfon fouci.

Pour raconterfa douleurqui n'a tréue,Oresau boutdefa langue s'efieueLavoixpouffée, &"aux leuresluypend,Ores tombéeaux poumonsredefeendSansnul effecl:car lefon qui ne toucheQu'vnpeu les dents, ne dejferroitfa bouche:

Ainfiqu'onvoit lesfantaumesde nuitOuurir la bouche& nefaire aucunbruit.

Or commeAmourenfureur l'importune,Sansdéclarerafa foeurfa fortune

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Io8 LE III. LIVREDE

Seuleenfa chambreen hafies'en re-va,Où de longspleursfa poitrine laua.A fes foufpirs la bride elledeftache,

Romptfes habits, fes cheueuxelle arrache,

Efgratignée, & d'vn efprit tranfi

Penfoitdouteufe& repenfoitainfi.Quedois-iefaire? helas en quellepeine

Metient Amour!ha chetiueClymeneTu vis fans vie, & folle tu n'asfoin(Cruelle à toy)de toy-mefmeau befoin!

Las! puis qu'Amourta part nefauorife,Par la fureur conduyton entreprife.« Quandla fortune enfe louantnouspert,« Pour la raifonfouuent la fureur fert.Dois-ieprier vn hommequi peut ejlreNefçait monmal?fi ie luyfay paroiffreIl trahiroit monamourfans guerdon.Il efiyffu du RoyLaomedonPrincefans foy, Ù"quiprendrait à gloireD'auoir, trompeur,d'vnefemmeviSloire.Dois-iemeplaindre& mafoeurretenter>

Celaferoit fort ardeur augmenter.Car iefçay bien[Amourmafait fçauante)Que Francionefiamoureuxd'Hyante,Et que mafoeurceTroyenaimemieux

Quefes poumons,fortfoye, nyfesy eux:

le n'enfçay rien,feulementie m'endoute:« L'amantdouteuxtouteparole efcoute.Dois-iepar fraude Ù"par dol controuuer

Qu'aufond du cueurmafoeurlaiffecouuerVnfeu peu chafle& le dire à monfrère?En le difant il meferoit contraire:Pour vnfoupçonne voudroitvn difcordContreceluyqui l'a fauué de mort.

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I,A FRANCIADE. I09

lefouffre tropfans donnercognoijfanceDe montravail: la feulepatience« Eftle remède':vnfeu fouuentefois« Meurtdefon gré quand il n'a plus de bois:

Penfers& pleurs apprejletitla matière

A monbrazier : il faut que toute entièreEnlibertéie meredonneà moy:Vnamoureuxfur luy n'a point de loy!Plusfil à fil fes liensil dejferre,Etplus Amourà la cliainel'enferré.A tousvenansdiray-iemonmalheur}« Direfon malallège la douleur.Non: nymonfang, monhonneur,nyma raceNeveulentpoint quefable ie meface,Et quechacund'vn cueurdijjimulantFlattemonmal, <Ùfpuis ens'en-allantMedeshonore,& tançantfa famillePar monmalheurfacefage fa fille.

Donqqueferay-ie>iray-ie en autrepartCommebanie?Amourqui tient le dardDedansmoncueur enfi profondeplaye,Nepermetpoint qu'autrepaïs ïeffaye:Puispourpaffer maintfieuue & maint rocherle nefçaurois de monflanc arracherCetrait qui metla triflcffeenmesveines,Moncueurenfeu, ir mesyeux enfonteines:Pour le meilleur,Clymene.,il faut mourir,Etpar la mort ton amourfecourir.

Commeenfon cueur ellepenfoit laforteDefe tuer, oud'vneJ"anglefortePendrefon colau boutd'vnfoliueau,Oufe ietter à chefbaifféfous l'eau,Et s'eflouferau plusprofonddes ondes,Ous'en-allerpar lesforeflsprofondes,

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I IO LE III. LIVREDE

Par les defertsdesrochersenfermezSentir deproyeaux lionsaffamez:

Vnepoifonluyfemblala meilleurePour dejlacherfon ainetout a ïheureLoindefon corps, & du corps lefouci.D'vn pefantpas & d'vn pefantfourciMelancholique,enpaffionsoutrée,Elleeflpleurant au cabinetentrée,Où tout le bienqueplus cherelle auoit,D'vnfoin defemmeengarde referuoit.

Surfes genouxellemit vue quejfe,Puismifi la clefenla ferrure efpejfe,La cleftourna, laferrure s'ouvrit.

Là, choiftffant,entremille ellepritVnepoifonqu'ondit que PromethéeA defon fang autrefoisenfantée,Quand le vautour tout heriffèdefaimA coupsde becluy defchiroitlefein :Lefang couladejfus la terre mère,Le Soleilchaudqui toutechofeefclaire,Luydonna l'ejlre, accroiffance<&vigueur :Ellea de tige vn coudede longueur,Rougelafleur, la fueille vn peu noirajlre,Quelaforciere & la fauffemarajlreSçauentcueillirde leurs onglestranchans,Difant dejfusdes motsquifont mefchans:Et n efl poifonqui fi promptedeliureLoindefon amevn corpsfafchède viure.

Quandellevit telleforte poifon,S'efuanouytde longuepamoifon,Rouant lesyeux, & horriblant laface,Et dejes piedstrépigna fur la place:Vnfpafmeauoit tousfes nerfseflendus,Elle cria : fes crisfont entendus

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LA FRANCIADE.

Defa nourrice, à qui dezfon enfanceElle-portaithonneur& reuerence.

Or defortuneà l'huis elle efcoutoit:Car lapucells vn peu dauant s'eftoitA fa nourriceenfegret defcouuerte.Cejlenourrice en doutedefa perte,Toujioursen peur defa fille viuoit,Etpas à pasfoigneufelafuiuoit.D'vn coupdepied la porte ellea poujjée,Puis en voyantla pucelleprejféeDestraits de mort, d'vn parler redouté

Luya ïefpoir dans le cueurreboutéLa confeillant: 0 Princejfebiennée,Enquelmalheurta vie as-tu tournée?

Suyla raifon: le dejlinnepeut rien«Sur l'hommeauteur defon mal& fon bien:« Nousfommesfeuls maiflresde nosfortunes:« Commeil nousplaijl ell'font blanches<&brunes.« Et le grand Dieu bonpère des humains« Lefranc arbitre a mis entre nosmains.« La deftineeà force ne nousmeine,« Oui nepeut rien fur la prudencehumaine« Sinond'autant qu'elleluy donnelieu:«Lefranc vouloirà l'hommefert de Dieu,le ne dypas que lefort n'ait puiffanceSur tout celaqui ça basprend naijfance,Maisonle peut corriger par confeil,Et à la playe appofer l'appareil :

Chacunyfert a foy-mefnede guide.Amourrefembleau fcorpion homicideQui bleffe,& puis à la playequ'il fait,Luy-mefmefert de remèdeparfait.Donqnecrainpoint ton malheurfaire entendreAubeauTroyenbienfacile à furprendre,

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112 LE III. LIVREDE

Et qui de race à l'amour eji appris,Commeneueude l'amoureuxParis,

luge courtois,qui vuidant la querelleDonnala pommea Venusla plus belle.

'

Tous[es ayeuxgrands PrincesgénéreuxFurentiadis des beautezamoureux,Tro'é,Dardan & le beau Ganymede.Contrel'amouron trouue ajfez remède,Quandla raifonfe veut efuertuer,Et nonainjî lafchementfe tuer.« L'amecouarde<ùrvilaines'offenfe,« Toufioursla bonneau malfait reftftance.« L'hommeefl bienfot qui tombeen defefpoir:« Rienn'eftperdu qu'on nepuijfer'auoir :« Champs& maifons& baguesbienouurées« Aforce d'or font toufioursrecouurées:« Par la fortune onperd le bienmondain,« Par ellemefmeon le r'aquiert foudain :« Maisnos threforsne rachètentla vie« Quandvnefois la Parque l'a rauie.

Quandelledort envn tombeaureclus,Cefl fait, lesSoeursne la refilentplus :Il faut defcendreaux bordsAcherontidesVoirRhadamanthe& les trois Eumenides,Et lepalais du frère du Sommeil.

Donquesiouis des rayonsdu Soleil,Et fans defcendreenl'abyfmeprofondeDemeureviuehoftejfede ce monde.Tu es, Clymene,encoreen tonprintemps,Tu n'as d'amourfenty lespaffetempsNy lesplaifirs du chaftemariage.Garde toydonqpour vn meilleurvfage :TenteFrancus & fay luypar efcritSçauoirle mal qui limeton efprit.

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LA FRANCIADE. 1I"]

De telspropos la fille elle admonnejh.Prompteau confeilla pucellefut prejle;Troisfois la plumeelleprijl enfes dois,Et de la mainluy tombapar trois fois :Troisfois elleeut la boucheouuerteÙ"clofe,Puisfoupirant ccfltelettre compofe,Et la voulut de telsmots ordonner.

Salut à toyqui melepeux donner:

L'aueugleArcherm'a tellementblejfeeDe tonamourle coeur& la penfee,Queie mourray,fi guarir tu ne veuxD'vnpromptfecoursle mal dont ie medeulx:Ce Dieu m'afait en cepapier t'efcrireCeque l'honneurmedefendoitde dire,Et i'ay ma boucheouuertemillefois,Mais la vergongnea rejferréma vois.

A cet efcritvueillesdonquespermettreTa blanchemain: l'enncmylijl la lettreDe l'ennemy,la miennevient d'aimerQuide pitié te deuroit enfiamer.Si tu t'enquiersen quoyle tempsiepaffe,Songer,refuer, repenferen ta grâce,Terechercher,i'engager mondefir,Eflmonfeul bien, montout <ùrmonplaifir.Soitque le iour de l'Orient retourne,Soitqu'à midydeffusnousil feiourne,Soitque la merle reçoiueà coucher,lepenfe en toy: Ù"fi n'ay rien plus cherQuede mepaiflre en ta bellefigure.Ainfipour toycentpajfionst'endure,Et fans pouuoirnyveiller nydormirSeuleen monlit ie nefais quegémir,le ne vyplus tant monameaffolleeLaijfantmoncorps en la tienneefl allée.

Romani.—III. S

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114 LE III. LIVREDE

le fuis perdue,& nemepuis trouuer:

l'ay beau lesforts desforciers efprouuer,Riennemefert nyherbeny racine:Tu esmonmal, tu es ma médecine,Tu es monroy, de toyfeul ie dépens.le meurspour toy, ir fi ne m'enrepens.Ayepitié d'vuefille amoureufe:Des voluptezla plus delicieufeC'efi de cueillirvne premièrefleur,Nonvn boutonqui n'a plus de couleur.Tu mediras que iefuis indifcrêteCommenourrieen ceftcifie de Crête,Où lupiter de tant d'amourséprisLepremierlait! de fa nourricea pris,Et que iefuis d'AriadneparenteFille à Minos,qui d'amourviolente

Ofafon père ù1fon pays changerPourvn Thefée,vn pariure ejlranger.Certes ce n'ejlma terre nyma race

Qui mecontraint, c'efifeulementta face,Et ta ieunefle& ton oeilnompareil.Malheureuxeji qui ne voit le Soleil

Quand il efclairc,(y fon oeiltournearrièrePour ne iouyrde fi bellelumière!

OJleton front, oftemoytes beauxyeux,Ofte ta taille égaleaux demy-Dieux,Ton entretien,ton maintien,ta parole,Et quiplus eft, ta vertu qui mabolie,Tu efteindrasde moncucurleflambeau:Mais te voyantfi vertueux& beau,le t'aimerayd'ardeur infatiable,Et fi iefaux, tu en espunijfable.le ne crainspoint commelesDamesfont,De m'appellerfemmed'vn vagabond,

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LA FRANCIADE. I If

Pauurefuitif, qui n'a maifonny Troye:II nem'enchaut, tefuiuant, que iefoye,Pourueuqu'il plaife à ton cueurde maimer,Soitque tu vueille'efpoufemenommer,Soitton efclaue,(? deujjé-ieamuféeTournertonfil autour i'vne fufée.Labeursprefens & futurs ie reçoyrPourueu,Troyen,que iepuijfe eftreà toy.le ne crainàray tespérilleux voyages,Terresnymerstempeftesny orages:Oufi i'aypeur, ïauray peur feulementDe toymontout, & non de montourment:Si iepéris, au moinsen ta prefencele periray: ou ta cruelleabfence(Si tu ne veuxpour tiennem'acquérir)Centfois le iour metu'ra fans mourir.

De tels versfut fon epiftreaclieuér,Puis lafeella d'vne agathe engrauée:La mit aufein d? la.nourrice,<&lors

Vnefueurruijfeladefon corps:Auecla lettre,encor'luy bailla l'amePour luyporter,.& my-mortefe pâme.

TandisCybelle-auoitchangédepeau,Et transforméfon vieil corps envn beau,Prenantlaface & la voix & la tailleDeTurnien(qui depuisla muraille

Baftit de Tours,& la villefonda)Lorsde tels motsFrancionaborda.

lufquesà quand, fils d'HeSlor,fans rienfaireNoustiendras-tufur ce bordfolitaire,Acagnardezenparejfeuxfeiour,A boire,à rire, à démenerl'amour?Aperdre en vain nos iourspar les bocagesSuiuantlescerfs (y les beftesfauuages >

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LE III. LIVREDE

Quenefais-tu ([ans le tempsconjommer)Ceque t'a dit la Nymphede la mer>

CourtifeHyante, afin qu'ellete faceVoircesgrands Roisqui viendrontde ta race:Puis donnevoile, <&fans plus t'allécherVa-t'enailleurs ta fortune chercher.

Ce Turnienauoit la face belle,Lesyeuxlefront, compagnontres-fidelleDeFrancion,qu'à part il efcoutoit,Et fes fegrets enpriué luy contoit.Il eftoitfils de la NympheArifline,Qu'Heclorauoitfousfa maflepoitrinePrejféeau bord dufleuueSimois:Seschersparens enfurent refioùis,Enorgueillisde voir leurfille pleineDufruit yffud'vnfi grand Capitaine.Elleaccouchadejfusle bord herbeuxDufleuuemefme,enregardant fes boeufsQui biencornuspaifloientpar le riuage:D'vn Prince tel il auoitfon lignage.

Cejh Déejfeen s'en-volantde là,Bien loindu peupleà l'efcart s'en allaVoirla maifontouterance<ùrmoifieOù croupifloitla vieille laloufie.

Ceftoit vn antre à l'entour tapiffêD'vn gros halierd'efpinesheriffé:lamais clarté n'yflambaitallumée,Et toutefoisce rieftoitquefumée:Elle eftoitlouche,Ù1auoit le regard,Parlant à vous, tournéd'v'neautre part:Sa dentrouillèeÙ"fon vifage blefmeMonftroientajfez qu'ellemangeaitfoy-mefme,Rongeantfon coeurde haine isr defoucy.D'elles'approche,& luy a dit ainfi.

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LA FRANCIADE. I 17

Vieilledebout:marcheen Crête, (? te hajie:Pren tesferpens, (y de ClymenegaftePar ta poifonlesveines & le cueur:Dans l'eflomacietteluy la rancueur,Le dej'efpoir,lafureur & la rage,Mejlefon fang iT troublefou courage:Tu lepeuxfaire, ipie veux qu'ilfoit fait.A tant s'en vole,& laijfel'antre infait.

Quandlaloufieeut la paroleouyeDe la Dèeffeelle enfut rejiouye:Puis enfrizant deferpensfes cheueux,Ets'appuyantd'vn bajlonefpineux,Alla trouveren Crête lapucelleQuelefommeilcouuoitdeffousfon aile,Et dont le cueurqui de dueilfe fendoit,Entre-dormantnouuellesattendait.IncontinentcefievieillemalineDe la pucelleaffiegeala poitrine,D'vnfroid veninfes léureselleenfla,Et la poifonhaletant luyfoufiaAuxyeux au cueur: & en l'amerenuerfeVnlongferpent, qui en gliffant luyperfeFoye<Ù?poumons; <ùfpuis en defnouantSescheueuxtors, ellealla fecouantMillelezars aufein de la pauurette,Qui la fuçoientd'vnelanguefegrette,Et lentementles membresluy mordoient,Etpar les os leur veninefpandoient.

A tant s'en-va: cependant la nourrice

Efpiantl'heureù" lafaifonpropice,A Francionla lettre prefenta,Et de paroleencoresle tenta.Francusla prijl, ù* après l'auoir leu'é,Dehonteefprisbaijfe en terre la veue:

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I 18 LE III. LIVREDE

Lefang vermeilfur lefront luyfaillit,

Prefquela voixaux poumonsluyfaillit :Puis à la fin d'vne langue eftonnéeTelle refponfeà la vieillea donnée.

Vieilledefloge,oupar lefer tranchantle puniray ton aSletrop mefchant,Ou ieferay chaftierpar le pèreVnfait fi plein d'horriblevitupère,le nefuis pas en cefieifle venuPour tromperceuxà qui iefuis tenu.Le beauParispour HélènerauieDemillenauz vit fa fautefuiuie,Tuerfon père; llion embrafer,Et iufqu aufondfes muraillesrafer.le craindes Dieuxla vengeancehomicide,Et lupiter hojlelierquiprefideAu cueurd'vn Royqui béninveut logerSans le cognoiftrevnfuit if effranger.« Quand l'hojlefaut, il voit toufioursfa tefte« S'efcarbouillerd'vne iujle tempefie:« Car du mefchantle paymenteft contant.Or fi ïeftois de nature inconfiant,Promptau plaifir où Venusnousappelle,Vaimeraismieuxfa foiur Hyantequ'elle:« Elleeft modefte,ir plus que la beauté« L'hommeen la femmeaimel'honnefteté.

Il dit ainfi: vnefroide geléeS'eftpar les osde la vieilleefcouléeTremblantde peur : à la fin ellevaD'vn piedfi promptque ClymenetrouuaEncoreau U61dufommeilajfommée:

Refueilletoymafille mieuxaimée,Ce beauTroyende ta foeurabuféA tonefcrit ù" ton cueurrefufé.

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LA FRANCIADE. I IÇ)

Touteenfurfaut, oyanttelleparoleSerefueilla:fon efprit qui s'en-voleVersl'ejiranger emportédupenfer,Luyfit ainjifes plaintes commencer.

Donquesma lettre a ferui de rifêelHapanure moy! i'eftoismal-auiféeFolled'amour,d'enuoyervn efcritA ce banni,vn rocherfans efprit,Qui n'a fceuprendre aux cheueuxla fortune!

C'ejtvn niaisque la mer importuneCommeil mérite,Ù1qui fortementpertLebienqu'Amourluy afans peineoffert,N'ofantcueillirpour craintede l'efpineLe beauboutonde la rofepourprine!Puis il fe vante, ô le braueEmpereur!Quede la Gauleil fera conquereur,Qui n'afceu veincrevnefille veincue!

Yaydefa honte& l'ame toute efmeueEt tout le cueur: il n'ejl dufang despreux,Maisd'vnpajleur oud'vn piqueur de beufs.Sonfront, fesyeux, fon parler & fa grâce,Sonport royal qui les autresfurpaffe,Sont,ô Venus,indignesdefon corps,Laidpar dedans<&beaupar ledehors:Amecouardeenvn beaucorps logée,Queciel, que terre, Ù"que la merAegéeVonttourmentant: car vray-femblableil efiQueta fottife à lupiter defplaift.DubeauParis, dont tu mensta lignée,La beautéfut d'amouraccompagnée:Hélèneà luyde boncueurfe rendit,Etpar combatsdix ansla défenditPleindefueur de guerres Ù1de peines,Cueurgénéreux,quivalait centHeleines.

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120 LE III. LIVREDE

Maistu ne vaux, ieunebrigand de mer,Qu'à bienramer, (? non à bienaimer.

Puijfeauenir quemafoeurfoit trompée,Etfans efpoirenfes larmestrampée,Soitdelaijféeaufront de quelquebort,Et quelle pleure aux vaguesfans confort.Quandcebannipar honneftecautelleAura tiré le plaijir qu'il veut d'elle,D'vn cueurpariure oubli'rafa beauté:Car l'oeilfeneftreenvain netn'ejlfauté.Si le deftinles Gaulesluy ordonne,Qnen mafaueur centguerres il luydonneAinsque baftir les ramparsde Paris :

Voyeà fesyeuxfes alliezpéris,Qu'il foit chajfé,Ù*quede terre en terreEnfuppliantfecours il aille querre:Puispar lesfiensfurpris en trahifon,Soitmembreà membreoccisenfa maifon.

Difant ainfi, defon chefellearracheSeslongs cheueux,qu'enpleurant elleattacheContrefon licl, Jtgne de chafteté,Et quefon corpsn'auoit iamaiseftéHonnid'amour: puisfa chambreellebaife.

Adieumaifon,que i'ejtoisà monaifeAuparauantquece traiftre incognuA noftrebord naufragefuft venu!

Incontinentla fureur ir la rageDe laloufieemplirentfon courage,Et tellementla douleurlaferut,Quepar les champshurlante ellecourut.

C'eftoitle iour que lesfolles EuantesCriant Bacchusfeulesalloienterrantes

(Ayant lescorps enuironnezdepeaux)Par lesforeftscollinesir coupeaux,

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LA FRANC1ADE. 121

Rochersdeferts campagnes& bocages,Etfur le bord desfablonneuxnuages.L'air refpondoitfous le bruit enroué

D'Euan, d'Iach, de Baffar, d'Euoé.CepuiffantDieu qui bleffelespenféesDe trop de vin, lesauoit infenfées:

Enfes lienscaptiueslesauoit,Et lafureur de raifon leurferuoit.

Cejlepucelleà qui l'erreur commande,S'alla ietter au milieude la bande

Efcheuelée,& d'vn brasforcenéBranloit vn dard de pampreenuironné.

Qui lapremièreenmefuiuant, dit-elle,Decefangler refpandrala ceruelle>Et d'vn efpieula premièreenfon flancFera la playe, &"s'yura de fonfang >Marchoncouronfuiuon commetempefteLespas fourchusde ceftenoirebefteMonftrehideux,qui s'enfuit deuantnous,Armonnosmains& l'affommonde coups.

Sonfaux Démonauoitpour couuerturePris d'vn fangler la menteufefigure.Ellepenfantpar fauffe impreffionQuelefangler fufi le vrayFrancion,Pour le tirer la premièreeft courue,Branlantau poing vnefourche cornue;Et lefangler fans qu'on lepeujl toucherAlla gaigner lefefte d'vn rocher,QuifousJes pieds tenait la merfuiette.

Là ceDémonà corpsperdufe ietteDedansle gouffre: elle qui s'auançaPour l'enferrer en la merfe lançaLepourfuiuant; troisfoisfous l'eau profondeSon corpsalla, trois fois reuintfur l'onde,

S.

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122 LE III. LIVREDE LA FRANC1ADE.

Troisfois leflot le reuintabyfmer.Elle mouraitfans Us Dieux de la mer,Quifouleuant la ialoufetombée,

Luyontdu corpsla Parquedefrobée,Et luyperdantfa figure <ùrfon nomL'ont enrollèeà la trouped'InonEt du vieil Glauqueà la doublenaijfance:

Deffusleseaux luy ontdonnépuiffanceDefaire enflerles vagues& levent,

Nymphede mer, qui depuisa fouuentContreFrancuspoufféfa frenefie,Dedansla mergardantfa ialoufte.

FIN DV TROISIESME LIVRE.

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LE QVATRIESME LIVRE

DE LA FRANCIADE.

Quandla nouuelleau pèrefut venue,D'ardeur& d'ire vuebouillantenue

Prejfafin cueurqui menufanglotoit:Depoingsferrez l'efiomacfe battaitPenfantfongeant iy difcourantlaforteCommefa fille enla mereftoitmorte;

Ilfoufpiroit, {? d'vn bourbierfangeuxDes-honoroitfa barbeù" fes cheueux:Il romptfa robe, & tout priué de ioye,Sonfils Oréeaux oraclesenuoye:Auquel(cherchantd'vn cueurdeuotieuxTroisiours entiersla volontédes DieuxPar mainteoffrandeenviBimeimmolée)Tellevoix fut du Trepièreuelée.

Que le vieillard ejleignele tizon,Et l'arondelleofledefa maifon.

Telleparole endoute refpondu'êFut aifémentde cePrince entendue:

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124 LE IIII. LIVREDE

C'eftde l'amourefteindrele tizon,Et l'effranger chajferdefa maifon,Hommepariure infidelle& fans ame,Et du trefpas defa fille le blafme.

« Ennul paysla foy n'a plus de lieu,

Difoit cePrince,& lupin le grand DieuN'a plusdefoin de l'humainemalice,Et le péchéne craintplus la iuftice.Cefteffrangerpauurechetifù" nu,Vnvif naufrage à mariue venu,Couuertd'efcumeér de bourbe& defable,Ahl quei'ay fait compagnonde matable,Que i'ay voulupour mongendre choifir,Et luypartir materre afon plaiftr,Moquemonfceptre, & mafquèdefeintife,Ma vieille barbe(y mescheueuxmefprife!Et fous couleurd'vn defiinneveutpointPar foy promifeauxfemmeseftreioint,SecondParis, pirate qui confommeSesansfur l'eau: toutefoiscepreud'hommeFin artifan de cauteleuxmoyens,Commehéritierdu malheurdes Troyens,En toute terre à l'impourueufe rue,Séduitdes Roislesfilles & les tue:Puis enfaifant fes galères ramer,Lauele meurdreesvagues de la mer,Metvoileau vent: le vent qui luy refemble,Pouffefa voile{y fa foy tout enfemble:

Et tu le vois, o Dieu,viure ça bas,Tu le vois bien,Ù~nele punis pas!Or pourfoulerpar vengeancemonire,le le veuxpendreau maftdefon nauireCouuertde foufre & defalpeftreardant,Afin qu'enl'air tournoyant&"pendant

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LA FRANCIADE. I 2f

Veftudeflame, ilfente confuméeSa trifte vie efteintedefumée.

Quedis-ie? oùfuis-ie? en quellefolle erreurTroubléd'cfprit mepouffe lafureur >« // nefaut pas qu'vn Prince débonnaire« Dupremiercoups'enflantede colère:« // nedoit croireauxflateurs de léger,« Lecommunbruit eft toufioursmenfonger:« // doit attendre& fagementcognoiftre« La véritéque le tempsfait paroiftre:« l'attendray donq: vn Royne doitfentir« D'vn prompt courrouxvn tardif repentir.

TandisFrancusqui lafaifon efpie,AbordeHyante, i? de tels motsla prie :

Viergefans pair, dont la grâceÙ" lesyeuxPeuuenttenter les hommes& les Dieux,Quifous tes pieds preffesférue ma tefte,Qui de moncueurremportespour conquefteL'orgueilpremier, qui n'auoitpoint eftéD'vn autre amourque du tienfurmonté:Si lapitié, fi l'humblecourtoifiePeut des humainsgaigner la fantafie,Soitde mespleurs toncourageadoucy,Guarymaplaye, <ùrmeprens à mercy.Quandie touchayton ijlede ma dextre,le ne vinspas en tonpalaispour eftreCommeiefuis, miferableamoureux,Ainspour chafferle péril dangereuxQui menaffbitma teftedu naufrage:Mourirdeuoy-ieau plus fort de l'orage,Puis quefur terre Amourmeftplus amer

Quen'eft Neptuneau milieudela mer!« L'hommeferait heureuxen toutechofe,« S'il ne cachaitau fond de l'amecnclofc

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126 LE IIII. LIVREDE

« Lapaffionque nousengendreAmour,« Qui de la vie embrunitle beau iour,« Et verfe au cueurpar mauuaifecouftume« Bienpeu demielÙ"beaucoupd'amertume.Heureuxtroisfois, voirequatre vn rocher,Quifans tendons,fans mufcles& fans chairVit infenjible,& qui n'a l'ameattainte

Ny de douleurnyd'amournyde crainte:le voudrais efireen quelqueriuc ainfi!le viuroisdur fans ame& fans fouci,Où maintenantpar tropde cognoiffancele fens monmal, Ù"fi ie n'ay puijfanceD'admonejlermonefprit affligé,Tantie mefuis à tesyeux engagé.

Il dit ainfi maintelarmeroulée

Deffusla ioueenfin fein efl coulée.

Hyantealorsfoufpirant d'autre partContre-refpond:Troyenil eft trop tardPour deuifer,Ù"la nuiSifommeillev.fiDe nozpropos eJLcefimble-enuieufe,Chacunnousvoit & iette l'oeilfur nous:« Du fait d'atitruy le vulgaire eft ialous:Allondormir, la nuicl nous le confeille,Si le matindez l'AurorevermeilleTe plaift venir au bocagefacréOù mesoyeuxà coftéd'vn beaupréOntfait baftir d'Hécatele grand temple,Plus priuémenten imitant l'exempleDes amoureux,tu mediras tonfoin,Le templefainSi nousfiruant de tefmoin.

Ainfi difant, lesyeux ils abaifferent,Et toushonteuxà regretfe laijferent:Mais lefouci ne laiffafans gémirLesdeux amanstoute la nuitl dormir.

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LA FRANC1ADE. 127

Quand le Soleilperruquede lumièreEut de Teîhysfa vieillenourricière

Enfe huant abandonnéles eaux,Et fait grimper contre-montfes chenaux,Et queïAurore à la mainfafranéeEut annoncéla clarté retournée,Lefoin d'amourquipoignant trauaillaLa belleHyante, au matin l'efueilla,Etpour aller au lieu de la promejfeSereueflitd'vn habitde Princejfe.

En centfaçonsfon chefellepeigna,D'eaudefenteursfon vifagebaigna,Prift vn colletouuert a rare voyeEntre-brochéde fils d'or & defoye,Rarefubtil, à replisbientijfus:

Puis vn beauguimpleafublapar deffusPrimedougéfilé de mainfçauante.Oui la couuroitdu chefiufqu'à la plante:

Soncol d'iuoire enrichitd'vn carquanFait enferpent (ouurage de Vulcan)D'or & d'efmail,merueilleelabouree!

Qu'ilfit iadis pour la DéejfeRhée,Et Rhéeà Nedeen prefentle bailla.

De ceferpent tout le dos efcaillaEnarc-en-ciel,fi bienque la faclureDe l'artifan furmontoit la nature.De Nedeaprèsvn Corybantel'eut,Puis à Dicéeenpartage il efcheut,Qui pour garder tel bien àfa famille,L'auoitdonnédéslong tempsà fa fille.

Hyanteadonqfit fon cocheatteler,D'ardeur defemmeenuieufed'allerAHlieupromis: (? lors douzepucellesDefes fegrets minifiresplus fidelles,

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128 LE IIII. LIVREDE

Quifeulespart en[es grâces auoient,Et dez enfanceen tous lieuxla fuiuoient,D'vn pied léger dedansl'eftableallèrent,

Hafient leurs mains,{y le cocheattelèrent.A chaqueroue ils ententvn moyeu,Douzerayonsfont pafferau milieu

Iufqu'à la gente, Ù*autour de la genteMettentd'airain vne bandepefante,Efpaijfe& large, oùdesdoux argentezA grojfe tejle en ordre efloientplantez.Au limond'or coupleà coupleils attachent

Quatre iumensfouple-iarrets, qui marchentD'vn pas venteux,<ùrfont deffousleurspiezVolermenulesfablonsdéliez.Ellemonta: vnemain tient la bride,L'autre lefouet : fes iumentspar le vuideA bondslégerss'ejlançoientenauant:Lechar rouloitplus vifte quele vent!

Quand les iumentsau templel'ont rendue,Soudainà bas du cocheeft defcendue,Oftaleur bride: ellesnonguiere loinEn hanijjantvontpaiftre lefain-foin,Et trèfleÙ" Thym: puis de mangerfafchéesSefont fur l'herbeau frais de l'eau couchées.

Le templeeftoitd'vn bocage enfourné,De tous coftezd'vn beaupré couronné,Où l'amoureufeaprès lefacrificeD'vn art fubtil controuuevnemalice:Cefut s'affeoir, & faire d'vn grand tourCommeelleaffeoirfes filles à l'entour.

Il n eftpas temps,chertroupeauquel'honore,De retournerà la maifonencore:Sur l'herbetendreil vaut mieuxfeiourner,Aufrais du iour nouspourrons retourner:

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LA FRANCIADE. I29

Chantondanfon,que chacunes'auance,Et la enrôleellemefmecommence.Maisnyle bal, nyautrespaffe-tempsNe luyplaidaient: fes beauxyeux inconjlansToufioursau guet s'efcartoientenarrièreSur les chemins,pour voirfi la pouffiercDéfionsFrancusirait point s'efleuant.A chaquebruit, à chaqueflair de ventElletrembloit,ù" fans ejlreaj]curée

D'yeuxù" d'efprit erroit toute efgaree.DebonmatinFrancusqui s'efueilla,

Defes habits luy-mefmes'habilla:

Priji fan efpéeà la gaine efmaillée,Qu'Hetlor auoit à fou frère bailléePar amitié: carfur tous il l'aimoit,Et fa vaillancei? fon art efimoit.Or Heleninluydonnacefleefpée,Quandil partit, laquellefut trempéeDans lesfourneauxdufebure Lemnien:

Luydonneencorevn poignardNorienAupommeaud'or, à houpesbienperlées,Quedefes doigts Hélèneauoitfilées.

lamaisenfant, iamaisneueudesDieuxN'eut le maintien,la bouche,ny lesyeuxSi beauxquauoit Francuscefie'tournée:Tellebeautédu ciel luyfut donnée,L'oeilpour gaigner, la bouchepourfçauoirEndifeourantfa maifireffecfmouuoir.

Afon coftémenaitpour compagnieLevieil Amblois,dont l'ameefioitgarnieDeprophétie,<ùroutre il auoitfoinDe confeillerfes amisau befoin.

Près le cheminfur le bord d'vneplaineVnormefut, dont la cymeefioitpleineRonsnnl.—III.

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I30 LE 1II I. LIVREDE

Demaintebrancheoùles corbeauxaufoirPrenaientleurperche (y fe foulaient ajfoir.Là defortune importunaux oreilleslazoitfous l'ombrevn troupeaude corneilles.

L'vnefe hauffe,ù3 commeenfe louant

Coupdejfuscoupfes ailesfecoûant,Et heriffantle noir defon plumage,En voixhumaineefchangeafon langage.

Ah! oùvas-tu, vieil prophèteinfenfé,Faux deuineur,qui niais n'a penfé( Bienque tu fois prudent en toutechofe)Quela pucelleaura la boucheclofe,Et tout le cueurreuefcheù1 rechigné,Si ellevoit l'amantaccompagné>

Mauditdeuin, tournele pas arrière,Laijfelefeul vfer defa prière,Et leur déniscompagnon,ne defens:Tu nefçais pas celaque les enfansN'ignorentpoint>va, iamaisCytheréeDefa faueur n'a ton ameinfpirêe.

Le vieil Ambloisqui tellevoix ouit,Dedansle cueurfoudain s'en refiouit,

' u oer- Et cognutbienque la * noireefuantéeneiiic. Auoitd'vn Dieu la parole empruntée.

Pourceen tournantfur le trac defes pasDijl à Francus: Princeamoureux,tu n'as

Befoinde guide: vn Dieu qui te fupporte,Enlieu de moytefert d'heureufeefcorte:

De tesfouhaits ton cueurfera content:Sansnul refusla pucellet'attend

Obeyffante& prefle à te complaire,Par douxpropos commenceton affaire:« Soisdoux entout : le defdaingénéreux« D'vnefille aimevn courtoisamoureux.

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LAFRANCIADE. I3I

Francus luifantde beautezÙ"de grâceLuyapparut d'vne collinebaffeBeaucommeAmour:les rayonsdefesyeuxEftoientpareils à cejl ajlre desdeux,Qui biennourryde l'humeurmarinière

Refpandau cielvue rouffelumière,Et de rayonsredoutables(? crains

Verfela foif'Ù" lafiéure aux humains,

Defa /plaideur effaçantchaqueejloile.Elle qui tint deffusfa face vn voile,

Par le trauers du crefpel'apperceuî.-

Adonqvn trait en l'ameellerécent,Le cueurluybat aufond de la poitrine:

,Sespieds tenuscommed'vne racineNe remuoientnydeçànydelà:

Deffusfa iouevue rougeuralla,Et tout le corps commefueille luy tremble.Ilsfont long tempsfans deuiferenfembleTousdeuxmuetsl'vn deuantVautreaffis.Ainfiqu'onvoit, quandl'air eft bienraffis,Deuxpins plantezaux deux bordsdu nuageNe remuernycymenyfueillageCoisù1fans bruit en attendantlevent:Maisquand ilfoufle & lespouffeenauant,L'vnprès de l'autre en murmurantfe iettcnt

Cymefur cyme,(? enfemblecaquettent:

Ainfideuoientbabillerà leur tourLesdeux amansdeffousle vent d'amour.

Francusvenu, la compagnieattainteDeprompteffroy,fe recula de crainte,Et je cachantfous le bocageombreuxEnleur deuisles laifferenttousdeux.L'amantcognutdez la premièreoeillade

Que l'amoureufeau cueureftoit malade:

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I 32 LE III!. LIVREDE

Quefon efprit cherchoitde s'en-voler:Pourceil laflate, if commenceà parler.

ChaJJela peur if la rougeurqui monte

Dejfustonfront, tu nedois auoir honteDeparlerfeule à moyfeul ef ranger:le nevienpas, vierge, pour t'outrager,Maispour t'aimer: if monhumblecourageNefemblepoint à ceuxdu premierâgeCesrauiffeurs,Herculesif lafon,Qui defroboientlesfilles de maifon:Telleinfolenceau cueurn'eftpoint entréeD'vn quin'a lieu ny terre nycontrée,A qui le cieltout bon-heurva niant.Humbleiefuis eftrangerif priant .-Legrand lupin à tellesgensprejtde,Etfousfa mainles conferueif les guide,Pèrecommunlesdéfendcontre tous:Pourceau befoinïembrajfetes genous:ImitantDieu,fois viergefecourableA moyfuitif priant if miferable.

ladis AriadneenceroyaumeicyPrife d'amourprift Theféeà mercy:Victorieuxfans danger le renuoyePar vn filet qui conduifoitfa voye.« Vngentil cueuraide toufioursautruy!Pour tel bienfaitelleencoreauiourd'huyEjl vn belajtre, if fes feux manifeftesRoulentde nuiclpar les voûtescelejles.le ne requiersrichejfesnythrefors,Ny grand empireenfléde larges hors:le veuxfans plus que ta bontémefaceVoircesgrands Rois quinaiflrontde ma race,Et par fur tousM CHARLESDE vALo Is,Qui l'vniuersenuoirafousfes loix.

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LAFRANCIADE. 1}"j

le bafiiraypour tellerecompenfeMaint templefait de royaledefpenfeEn tonhonneur: (y fi ie puis iamais

AborderSeine,icyie teprometsPar ton Hécate<ùrpar fes triples tejles,Que tous les ans enfolennellesfejlesA iours certainsie te ferày desjeux,Oùfur la lyre à iamaisnoz,neueuxPar vers chantezdiront ta renommée:Et s'il te plaijt efpoufeejtrenomméeD'vnfugitif, ie te donnelafoyDen'efpouferautrefemmeque toy.letefuppli' par ta bellelumière,Quidans moncueurflamboyéla première,Par ton regard, par ta ieunebeauté,Par tonbeauport tout plein de royauté,Par ton Orée,& par l'avieille tefteDupère tien, d'accorderma requefle.

Ainfidifoit Franeusen la louant:

D'aife qu'ell' eufi,fort cueurs'allait louant*« Car volontierstoutefemmedouée« Degrand"beauté,defire ejlre louée..Tel qu'vn SoleilFraneusluyparoijfoit:Maisrien au cueurfi fort nela prejfoitQue lefainQ nomdu promismariage.S'enfouuenantelle ardoitd'auantage,Et conjumoitfa vigueur peu à peuCommeLacireà la chaleurdufeu.Ellevoulait, tant le plaifir l'affole,Touth la fois defgorgerfa parole,Et nepouuoitfa languedémefler,Tant tout d'vn coupellevoulaitparler.Aucunefoiscommevu hommequi erre

D'efprit troublé,datantfes pieds à terre

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134 LE IIII. LIVREDE

Ficlioitlesyeux demy-closù1 honteux,

Aucunefoisde larmestousmoiteuxLesre-hauffoitleuant vu peufa face,Et rabaijfoitfoudain contrela place,Puis d'vnfouris & d'vnparlant fourcySansdire mot tefnioignoitfonfoucy :Maisà la fin en tellepeineextrêmeHontela fit confiâterafoy-mefme.

Vnmalau miennefe trouuepareil,Enmonmalheuri'ay perdu le confeil:Vnnouueaufoin tientmonameengourdie:« Rien n'eftfi fort que ceflemaladie,« Qu'onnommeaimer: ie metrauaille envainEt fi nepuis l'arracher de monfein.D'vn puijjant trait ma raifoneji forcée:

Oftcdu coeurlaflamecommencéeSi tu lepeux, & confiantedefens0_uelesbraziers ne s'allumentplusgrans !le guarirois fi ie le pouuoisfaire!VnDieuplus fort merepouffeau contraire!Du cielmevientcedefaftrefatal,« le voyle bien,Ù" ie choifisle mal!Le traijire amourmeconfeillevue chofe,Et la raifonvneautre mepropofe:Sansmerefoudreincertaineiefuis,Tant ma raifonchancelleen mesennuis!Pour monefpouxvn bannidois-ie future>

Et par les ventspar lestempeftesviureLoinde monpère aueq'vneftranger,Qui n'a rienfeur finon que le danger?Non, cefteterre oùi'ay monparentage,Mepeut donnervn richemariage,Et fans meperdre au gré de monplaifirle peux en Crèteautre mari chuiftr

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LA FRANCIADF.. I•]y

Richede biens,de racenobleù1forte.Ah! ie metrompe, i? monijîene porteDesfils d'Heàlor, &"quand elleen auroit,Nul égalerfa vertu nepourraitNyfa beautényfa ieunejfetendre,Armesd'amour, quiprife mefont rendre.

Vaut-ilpas mieuxfranchemedeflierDe tant d'amour, quemonpère oublierPourvnfuit if qui n'a point de demeure>

0 terre, â ciel!mourirpuijjé-ie à l'heure

Qu'en dejlachantde hontele bandeaule prejferayde mespiedsfon bateau,Sansauoirfoin desvergongneuxdiffamesQue lesvieillars, lesfilles <ùrlesfemmesMeietteroyent: Hyantepour n'auoir

Nyiugementny raifonnyfçauoir,Brute lafciueamoureufeinfenfêeAfes amis ù"fa terre laijféePour vn banni qui n'a maifonnyfoy!

la par efpritprophète i'apperçoyQu'entous endroitsira ma renomméeDe boucheen boucheenvergongnefemée.le n'oferaypar les danfesbaler:HonteÙ"defpit retiendrontmonparler,Et par les lieux oùfera iaffemblêeDesjouuenceaux,i'auray l'ametroublée,Fablede tous, destables le propos:Et lors la terre engloutijfemesos!

Quedis-ie helis! il n'a pas la natureD'hommeméchant,{? fi la conieblureEn regardantfon front ne medéçoit,La cruautéfon beaucorpsne reçoit:Aufond de l'amevn rocher il neporte,Et cepenfer montrauail reconforte:

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I3<S LE IIII. LIVREDE

« Aupis aller, c'ejl vn plaifant malheur« Defecourir quelcunenfa douleur!

Ainfipe?ifoitd'amourtouteaffolée:Francusvit bienqu'elleeftoitesbranlèe.Pourceentouchant[on mentonde rechefEt fes genoux, l'adiura par le chefDefin Hécate,hofteffefamilièreDes basenfers,a"accorderfa prière.

Hyanlefonge à par-foy longuementCommevn qui refueù1 qui n'afintiment,Puis enfurfaut defin deftinpreffeeSerefueillad'vnelonguepenfée:Lors defin front la hontes'en-alla,Et prenantcoeurainfi elleparlaChauded'amourqui aufang luy commande.

Nonfeulementieferay ta demandeNouueauParis, & cognoiftraspar moyCespuiffansRoisqui finiront de toy:Maisquiplus eftfi tu auoisenuieD'auoir monfing mespoumons& ma vie,Moneftomacen deuxie t'ouurirois,Et pour prefentie te les offrirais.Or il tefaut pour chofeneceffaireSçauoirdeuantcelaquetu doisfaire,A fin, Troyen,que les efpritsd'embas

Fantofmesvains, ne t'efpouuantentpas,Et que tonameen rien nefiit attainteEn lesvoyant,defrayeur nyde crainte.Sortond'ici à fin de te monftrerOù les efprits te viendrontrencontrer.

Leuelesyeux, Ù1 regarde à mainclextre,

Voycevallontout defert& champeftre:La tu viendrasaprès trois ioursaufoirQuandle Soleilenl'eaufi laijfe choiri

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LA FRANCIADD. m

le m'eniray par monts(y par valées,Par lesforefispar les eauxreculéesTrois toursentiersloin du regard humain

Couperà ieund'vneferpe d'airainHerbes& fleurs boisracines(? plantes:Puis inuoquantles DeitezpuijfantesPluton, Cerbère,Hécateér tous les Dieux

Quifontfeigneurs desmanoirsftygieux.Trois ioursfinis aufoir fur la vefprèeDans le vallonen la place monftréeTapparoiftray: fois diligent {? cautA préparer de ta part cequ'il faut.

Premièrementarrefteen ta mémoireDe ne venirfans maintebrebisnoire

Quifoit Jlerile: ameineà noirepeauVachesù" porcslesplus gras du troupeau:Ta robefoit d'vneperfonnevenue:Lauetoncorpsdans le courantd'vn fleuuePar trois matins,Ù" troisfois enpriantEt l'Occidentregarde(? l'Orient.

Demafleencens{? defoufre qui fumePuant au nez,,tout le corpste parfume:

Ayele chefdepauot couronné,Et tout le corpsdeverueneenfourné:

Mafchedufel, & pour quelquelumière,Qjiis'obfcurcijfeefpaijfedefumiere,Nypour lesfeux defalpeflre fumeux,Nypour l'aboydesmaftinsefcumeux,Nypour le bruit desidolesmenues

Quifortiront commepetites nues,Nefois peureux,& fans tremblerd'effroyNe tournepoint lesyeux derrièretoy:Car Ji craintif tu retournesla face,Touteftperdu: au milieude la place

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1^8 LE Mil. LIVREDE

Fais vnefoffe affez large, oùdedansLefang verfé desviclimesrefpansTiède& fumeux,6° tout enfembleméfieDu vin du laiàl <ùrdu mielpefle-mefle.

Quand tu verrasque les efpritsvoudrontBoirele fang, <ùrqu'efpaisJe tiendrontPrès de lafoffe au fang toute trempée,Hors dufourreau tire ta large efpée,Et fay femblantde lesvouloir trancher:Car ils ontpeur qu'onne coupeleur chair.Adoncayant l'ametoutegroffieDe la fureur qui vient deprophétie,le te monfray la plusgrand' part de ceux

Quifortiront enfansde tes neueux.le te diray quelquepeu deleurs gefes,Et nonpas tout : lespuiffancescelejlesNeveulentpoint qu'vnemortellevoisLesfaits humainschantetout à lafois.

Or iefçay bienqu'après falloir monfrèeTa racehelasl tu fuiras ma contrée,CommeTheféeabandonnantta foy:A tout le moinsFrancusfouuiennetoyDe tonHyante& deta foypromife.Quand ieferois entre les ombresmife,Maugréla mortmaugrètoute rigueurYaurais toufiourstonportrait! enmoncueur,Et tes beautezdontprife tu melies.Et s'il adulentingrat que tu m'oublies,(Las iefçay bienqu'vn iour tu m'oubliras,Et qu'autrepart efpouxtu te liras! )

Puiffedu Ciel la plus forte tempefeEn mafaueur t'efcarbouillerla tejlePour te punir de ta pariurefoyD'auoir trahi l'héritiered'vn Roy.

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LA FRANCIADE. I3Ç)

Ainfidifant prejfez s'entr accolèrent,Puis au logis par deux cheminsallèrent:Elleenfon char montefansy monter,SonfoibleefpritJe laiffoit emporterApresFrancus,Ù1toutefroide i? blefmeEnfon logis retournafans foy-mefme.

Au iourpromisFrancusnefaillit pas :Il a choifidu troupeaule plus grasEt leplus grand trois genicesveftv.esDe noirepeau, aux cornesbientortues,Au large front, à l'oeilgrand Ô"ardant,Et dont la queueauoit le boutpendantlufquesà terre, Ù"fans coupslesameine:Puis trois brebisgroffesde noirelaine,A langueblanche,à qui l'oeiltrejfailloit,Offrandeentièreoù rien ne défaillait,Que le béliern'auoit iamaiscognues,Grajfesbrebisbiennoires& peines:Prift vnfuzil Ù"frayant de maints coupsLedos dufer encontreles caillons,Enfift jallir dejpusdesfueillesfeichesA pointeviuevn millierdeflameches:Puis enfoujJJantfur lesfueilles vn peu,Defort genéureallumevn petit feuQuideuintgrand, prenantfa nourritureDespins gommeuxquifont fecsde nature.L'air d'alentourd'encensil parfuma,Demaintpauot (y d'ache: il alluma'Troisfeux en rond, fiifant loinde leurs braifesSortir vnflair dont les Démonsfont aifes:Car ils ne vont nymangeantnybeuuant,

Nourris en l'air devapeur ù" de vent.Sousle vallons'eleuoitvn-bocage

Branchefur brancheefpoijjïde fueillage,

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142 LE IIII. LIVREDE

De tefteen pied lecorps luy frijfonnoit,Et rien d'humain[a languenefonnoit.Lorsen rouantfes yeux à demi-morteDeuersFrancusluydijl entelleforte.

Prince Troyenanoblide trauaux,Ouifur la mer asfouffert millemaux,Et qui en dois par longue<ùrlongueguerreSouffrir encor deplus gransfur la terre,En Gaule iras, mais tu nevoudroispasT eftreallé: mille & milletrefpas,Millepérils plus aigusque tempefte

Défia tousprcjls tependentfur la tefte.Commetonpère en défendantfon FortSentitd'Aiax <ùrd'Achillel'effort,L'vn d'euxfils d'homme,& l'autre de Déefi'e:

Ainfi couuertd'vneeftrangereprejfeDoisquelqueiourfentir à tonmalheurMilleennemisd'effroyablevaleur :Si quele coursde la GauloifeSeine

Dufang Troyenondoyratoutepleine,Et dansfes eauxpefle-mefietombezVairra chenaux& bouclairsembourbez.

Maispar fur tout garde toyque lefleuueD'Aineenfes eauxpour iamaisne t'abreuue.Et queRemusfous ombrede vouloirTe marier, ne teface douloir.« La gloire humaineenfin eft periffante,« Et toufioursmeurttoute chofenaijfante.« Pren coeurau refte: auecquela vertu« Tuvaincrastout par le glaiue pointu!Toyparuenuvers lafroide partieOù la Hongrieeft iointeà la Scythie,Tu baftirasprès le bord IftrienSeiourdes tiens, lemur Sicambrien,

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LA FRANCIADE. '43

Que tesenfanspar long fuccésde raceTiendrontaprèspour leur royaleplace.Legrand Soleilqui voit tout defesyeux,Voirratesfils les vusmalicieux,Lesautres bons: la Naturen ajfembleToutesvertus envue race enfemble:Maisenméfiantle bienaueq le mal,Tientla balanceentre-deuxa l'égal:Tousneantmoinshonorezde troféesauront de Mars les âmesefckaufées.Par mainteguerre en maints lieuxdouteront

Huns, Gots, Alains, Ù" au chefporterontMillelauriers enfigne de viSloire,Que leurs voifinsferont place à leur gloire.

la deuxmilleans aurontfini leur tour,Quandta SicambreÙ"les champsd'alentourSerontquittez de ta race GermaineConduiteenfort par vn grand Capitaine,Quifous l'obfcurdes ombresde la nuitVerradormantvn fantofmeenfon lit:« (De Dieu certainçàbasviennentlesfonges,« Et Dieun'eft pas artizan de menfonges.)Cegrand fantofmeaura trois chefsdiuers,L'vn de chouanauxyeux ardans{? pers,Vautre d'vn aigle, & l'autre la figureD'vn grand lion à la mâchoiredure:Puis tous cestrois envn s'ajfembleront,Et cestrois corpsvn hommefembleront,Quimurmurantfe voudrafaire entendre:MaisMarcomir ne lepourra comprendre.

Lorsamaffantfon peupleÙ1le rangeantSoustrois censDucs, hautain ira chargeantL'ardeurdesfiens de guerrièresaudaces,Et tous leurs corpsdefer Ù" de cuiraces:

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144 LE IIII. LIVREDE

Mars en leurs coeursfera fi bienentré,Qu'ils laifferontleurs maifonsde bongré,Prenant congédesvieuxDieuxde leur terre:Loindeuant eux courra la trifte guerre!

Des laboureursleschampsabandonnez

DeJJousleurspieds tremblerontejlonnez,Et desruiffeauxles courfesazurées

N'eflancherontleursgorges altérées

Prefqueefpuifeziufqu'auprofonddes eauxOufoit par eux, oufoit par leurs chenaux,Peupleinuincibleen toutesfortes d'armes,Vaillanspiétons, cheualeureuxgendarmes,Fiers, courageux,'au coeurgros &"ardent,Qui d'Orient iufquesa l'OccidentViélorieuxefpandrontleurs années.Leschampsde Tyr, les terres IduméesLescognoiftront,Ù"toyfleuuequifuisDedansla mer defgorgépar fept huis:Et d'Apollonla rocheinaccefjïble

Cognoijhad'eux la puijfanceinuincible:VoiretousRoisfe verrontfurmontez,Si les Gauloisnefont de leurscoftez.

Or à la fin de troupeplus efpaijfeQuen'efi la neige,ou la grefiequepreffeLe ventd'hyuer,qui bondà bondfe fuit,Et fur le toi5l des maifonsfait vn bruit ;Et plus efpaisque fueillesd'vn bocageDu Rhinventeuxguigneront le riuage:Puisfurmontantpar l''effortdu harnois

Phryfons,Gueldrois,Zelandois,Holandois,Verrontla Meufe,& par forte puijfanceDe leurs voifinsprendrontobéiffance,De toutesparts aimezisr redoutez,Commeguerriersaux armes indontez,

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LA FRANCIADE. 14^

Terreurdes Rois,Ù" desfortes murailles.SousMarcomireauront longuesbatailles

A leurs voifins: Ù1de ceDuc ie veux

Depère enfils te monflrerlesneueux,Et lesenfansyjfus deta lignée,Par qui la Gaulevn iourfera gaignée,Et qui tiendront(fang Troyen& Germain)Lefceptre entier laifi'éde mainenmain.

A tant la vierge vn petit fe repofe,Et Francionluydemandeautre chofe.

Viergel'honneurdes Dames(7 de moy,Toutediuineheureuxgermede Roy,le tefuppli prophètevéritable,

Sage en confeil,dy moys'il ejt croyableQue les efpritsqui font fortis dehorsDe leurs vieuscorps, r entrent ennouueauscorps>

Quellefureur) quellemauditeenuieLestient ainfi de retourner envie?Et d'où leur vient ce furieux amour

Quede reuoir.encorevn couple iour,Se reueftantde mufcles& de veinesPour re-fouffrir tant de nouuellespeines?Et quanddoit l'hommeefperervn repos,Si defpouilléde chair de nerfs& d'os,

Mefmeau tombeaule reposil netreuue,Et d'vnepeau enrecherchevne neuue?

Donquesla mort n'eftla fin de nosmaux,

Puifqu'enmourantde trauaux en trauauxNousremuonspour changer à toute heureErransfans fin, fans reposnydemeure!

A tantfe teut. Ellequi l'entendit,Haute endifcoursluy contre-refponditD'vne voixfâge. Apollonqui la laijfeEnfon bonfenspour vn tempsne la preffe,Ronsarti.—HT. o

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146 LE 1111.LIVREDE

Afin de mieuxpar raifondifcourirDes hautsfegrets quelle vouloitouurir.

Prince ef ranger, tout cequi vit au monde

Efl compoféde la terre (? de l'onde,D'air & defeu (membresde l'Vniuers)Et bienqu'ilsfoyeut quatreelemensdiuersUsfont entrc-euxliez de telleforte,Que l'vn à l'autre enchaînéfe rapporte,Et s'empruntantd'vn accordfe refont,Et changeantd'vn en l'autre s'en-reuont.

Or tout ainfi que le corpsfans vue ame

(Amefurgeon de la diuineflame)Nepourrait viure, ains mourroitfans auoirVnefprit vif qui le corpsfait mouuoir,Et chaud& promptpar lesmembresa placeAinfi la grandevniuerfellemaffeVerroitmourirfes membresdifeordans,S elle n'auoit vn efprit au dedans

Infuspar tout qui l'agite <Ù?remue,Par qui fa courfeen vieefl maintenue,Efprit aBif méfiédans le grand Tout,Qui n'a milieu,commencementny bout.

Des elemenscorruptiblematière,Et du grand Dieu, dont l'ejfenceefl entière,Incorruptible,immortelle,& qui faitViurepar luy tout ce mondeparfait,Vientnojlregenre, (y lespoijfonsqui nouentEt les oifeauxquiparmi l'air fe louent,Leshabitans desbocagesombreux,Et lesferpensqui viuent enleurs creux,Voiredu Ciel lesdiuerfespuiffances,Tousles Démons& lesintelligencesVontde cesdeux commenousfe formant,De Dieu l'efprit, le corpsdel'élément.

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LA FRANC1ADE. 147

De là nousvient la trijlejfe & la crainte,De là la ioyeen noscoeursejlemprainte,L'amour, la haine& les ambitions:

De làfe font toutesnospaffions.Or de noscorpsla qualité diuerfe

Empefclieisf nuit quenojlreamen'exerceSa viueforce enclofeen la maifonDe terre, ainçoisen la morneprifonDes membresfroids qui la chargent<ùrprefient,Et vers le Ciel retournerne la laifjenî.Tant lefardeau terrejlre ù" ocieuxNe luypermetde reuoleraux deux.Elled'enhautnojlrehojlejjevenue

Ejl par contrainteici bas détenue-,Où n'employantja premièrevigueur,Par habitudeÙ' par trait de longueurConfentau corps,<&finit qu'endefpit d'elle

S'ejtant infufeen-la chair corporelleEllefe fouille-& honnijjeaux péchezDont leshumainsont lescorps entachez.

Or quand la.mort aux hommesfamilièreDijfîpeau vent nojlredoucelumière,L'amepourtant aprèslefroid trefpasLaijfantfon corps,fon taq ne laiJJ'epasNyfa fouilleure: elle emportel'ordure

Empreinteenfoy qui longuementluydure:Pourceaux Enfers commevnJonge légerElledeualle,à fin deje purgerEt nettoyerja maculeimpriméeQji'ellereceutdansle corpsenfermée.

En l'air, en l'eau, par lejeu, dansle ventVontexpiant& purgeant îr lauantLesvieux délits de leursfautes commijesA ïexamende Rhadamant'fournifes.

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I48 LE [III. LIVREDE

En ces tourmensaràans iy violansL'vneeft milleans, iy l'autre deuxmil ans,L'autre trois mil, iy nefont foulagéesQu'ellesnefoyentparfaitementpurgées,Et que la tacheadhérantenefaitNette au foujfrir du mal qu'ellereçoit.

Quandvn long tempsdeficelésiy d'annéesL'vnefur l'autre a courfesretournéesOnt nettoyéla macule,iy ontfaitL'efprit diuin eftrepur iy parfait,Et que lefeu de treffimplenatureNe tientplus rien de la terrejlre ordure,Toutauffipur commeil eftoitalors

Quepur (y fimple il vint ennoftrecorps,AdoncMercureà la verge d'yuoireLesaffemblantau fleuuelesfait boire,Fleuuequi fait toutechofeoublier:Car autrementnefe voudroyentlierA nouueauxcorps, iy ne voudroyentplus eftrePour r'aquerir du malpar tant renaiftre.

Ainfiqu'aigneauxen troupesamaffezPar le baftonde MercurepouffezLesâmesvont fur la riue guidéesBoirelefleuueà friandes ondées:Puis à ïinfant perdent toutfouuenir.Lorsvn defir lesprend de reuenir,Et de reuoir leur liaifonpremière,Et du Soleilla celeftelumière.

Atantfe teut : FranciontoutfoudainPrend de rechefvn couteaudans la main,Et d'vne truyeinfertile iy brehaigneOuurela gorge: entombantellefaigneA gros bouillons,dont lefang rentierféTiède fumadansle creux dufoffé,

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LA FRANCIADE. 149

Priant Mercureù" lesfoeitrsEumenides,Nomscraints là bas, vouloirferuir de guidesA cesefprits qui deuoyentquelquefoisVeniraux corpsdes MonarquesFrançois.

Commeil difoit, entrefoufres& fiâmesVoicivenir de l'abyfmelesâmes.Vntourbillontournoyantù1fumeux,Vnfeu depoix refineuxir gommeuxAlloit deuant(qui de puante haleine

Infefloitïair ir leseauxde la plaine)Auecgrand fon, commevn tonnerrebruit

Brifant la nueefpaifje d'vne nuit.AdoncFrancusayant l'amefrappéeDefroidepeur, au poing faqua l'efpéeLesmenaçant: puis fe tirant à partSurvn terreauqui pendoità l'efcartPourmieuxpouuoirleurs vifagescognoiflre,Sçauoirleurs noms,leursformesù1 leur eftre,Lescontemplait,ù1 commetout tranfiAppelleHyante,ù" luy demandeainfi.

Quel eft celuyde royaleapparanceQui d'vn grand pas tous lesautres deuance>Et d'oliuierfe couronnelefront >

Ellerefpond,C'ejl le RoyPharamont,Qui des Françoisabaijfantvn peu VireEt le defir conceufous Marcomire

D'ajfuiettir lesterres ù1 lesRois,Adoucirafon peuplepar les lois,Et leur fierté Sicambroife(? ScythiqueAmollirapar la douceurSalique,Pour retirer du chaudamourde MarsLe coeurfélon de fes brauesfoudars.

Quel ejl ce Prince appuyéd'vne hache

Qui toutfon chefombraged'vnpanache,

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IfO LE 1111.LIVREDE

Aufront feuere, auxyeux gros Ù"ardans,Alonguebarbe, à longs cheueuxpendans,Qui rien qu'horreurnemonjlreenfon vifage>C'eji Claudion,qui l'ocieux courageDes vieux Germainsaux armesrefera,Et leur pareffeen guerre efchaufera,D'ardeur nouuelleanimantleurs poitrine?A conquérirles prouincesvoifines.

Luytout ardant dufeu deguerroyer,Enfantde Mars, doit vn iourfoudroyerL'orgueilRomain; puis d'vnevertu viueDu RhinGauloisoutrepajferla riue,Et la forejl Charbonnièrepercer.Aforte maindoit vn iour renuerferLesTuringeois,& la murailleancienneDe Mont,Cambray,ir de Valencienne,Et de Tournay,Ù1doit rougir lesborsDe Sommetièdeau carnagedes mors:Doit bienauanten Gaulefaire entrée:Nullepuijfanceen armesrencontréeSonmaflecoeurfupporter nepourra:Commevuefoudreen Bourgongnecourra,VaincraTholoze,<ùrles Gotsd'AquitaineCommefapins eftendrafur la plaine:Puis en donnantexempleàfes neueuxDe libertéportera longs cheueux,S'ejtouiffantpour remarqueimmortelle

QiieCheuelutoute Gaule l'appelle.Quel eft celuyqui marchele premier

Aprescesdeux,au vifage guerrier,Qui tient la face aux ajlres eleuée?

C'ejl le vaillant {y iujleMerouée,Afprc ennemides Huns, qui dépendrontPlus dru que grefle, Ù1par force prendront

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LA FRANCIADE. ICI

Pillant brûlant à fiâmesenfumées(Mars toutfanglant conduiraleurs armées)Tréues,Coulongne,& milleforts chajleauxQue le grand Rhin abreuuedefes eaux,Et ru'ront Metsà l'égal de la terre:Cruelleengeance,indontableà la guerre.Lamer ne ietteaux bordstant defablons,Quedefoldats hideuxen cheueuxblons

S'amajferonttropevenantfur tropePour mettreà fac l'OccidentaleEuropeSousAtila cruelPrinceinhumain,Extrêmefléau de l'EmpireRomain.

Contrevn telpeuple efpoinçonnéde rage,Toutacharnéde meurdre<ùrde carnage,Craint commefoudre à trois pointestortu,Ce Merouèeoppofantfa vertuPrès de Chalonsabaijfera l'audaceDe cesfélons: menudejfusla placeL'vn dejfusl'autre adenteztomberont,Si qu'efpanduspar les champsils n'auront

Pour leur tombeauque les bejlesfauuagesSoûlesdufang de leurspuants carnages.

Luyle premierfuiui de fes Troyens,

Regaignerales bordsParifiens,Sens, Orléansér la coftede Loire:

Puis de ton nomFrancusayantmémoire,Le nomde Gauleen France changera:Tonfang verfé par armesvangera,Et nul des tienschargéde tant deproyeNedoit poufferfi haut le nomde Troye,Vaillantmonarque,inuincible,inuaincu,Viéhrieux: autour defon efcu(Frayeur, horreur desguerres efchaufées)Naiflrontlauriers & palmes& trofées,

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,1^2 LEIIII. LIVREDE

Et le premierfera voir aux FrançoisQuevaut l'honneuracquispar le harnais,a 'Puisil mourra: car toutechofenée« EJien naiffantà la mort deftinée.Defin grand nomles vieuxSicambriensSerontlong tempsnommezMerouéens,Et fis vertus auronttant de louanges,Où'aimé desfiens, redoutédes ejlrangesApresfa mort d'inuiolableloyNui tant foit preux, n'aura l'honneurde RoyPortant au .chefla couronneeleuée,S'il n'eftyjpi dela gent Merouée.

L'autrequi vientbaijfant vn peu lesyeuxEnfimbletrifte & enfimbleioyeuxEft-il desmiens? dy le moyie te prie.Cejl C'JiildericRoyde mefchantevie,Ord de luxure, infet de volupté,Au coeurpaillard desvicesfurmonté,Princeprodigue exécrableendefpenfis,Qui pourfournir à fis folles boubancesDefis fuiets rongera tous lesos.Boira lefang, haujferalesïmpos,Taillestributs, & defi orde iniureFaite aux Françoisnourrirafa luxure.Il rauira despucellesla fleur,(Honteauxparensdespères la douleur)Et fera plein de telle nonchalance,Quedéniantaux peuplesaudiance

Confommerapour néant leSoleilSansvoir iamaisnypalais ny confiil.Pourcela Franceà l'eaui coniurêeContrefa vie ainfidefmefurèe,Le chafferadefon throneroyal:Fuira banniversfon ami loyal

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LAFRANCIADE. 1Ç

Royd'Auflrafie,oùfuiuantfon vfageSansréitérerlefaintl droit d'hofielageEt lupiterprotetleur d'amitié,Opiniafireen toutemauuaiftié,(Dieux deftournezvn aSiefi infâmeDu cuev.rdes Rois/) luyhonnirafa femmePour le loyerde l'auoirbienreceu.« L'hommede bien eftvolontiersdeceu!

DeChildericeflirontenla placeLe Duc Gillond'Italiennerace,Qui régira les Romainsà Soiffons,Pire que l'autre en centmillefaçons.

LaFranceadoncquifon Princedefire,Plaignant le Roychajfèdefon empire,R'appelleraChildericfon feigneur.Luyfe voyantenfon premierhonneurDoit amenderpar vcrgongnefes fautes :Si quevaillant, pleind'entreprinfeshautes(Pour effacerdefes péchezle nom)Braueau combatne tafcheraJtnonQuela vertu par les armesfuiuiePerde le bruit defa premièrevie.Adoncfuiura Gillonfon ennemiPar lesrochers,les forejlsù1 parmiLesflots du Rhin: Gillonplein de vergongneS'ira fauuer dansles mursde Coulongne,QueChilderic(Prince guerrier &"caut)Lefer au poing emporterad'affhut:Puisfans donneraux RomainsnullestréuesFerabroncherlesmuraillesde Tréues,Où ceGillonvagabonds'enfuira.Lesfiers Saxonsenbatailleoccira,Il tu'ra Paul de nation Romaine,Et d'Orléans tirant iufqu'audomaine

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1f4 LE mi- LIVREDE

Du richeAnjou,kazardeuxaux dangersSefera Royviftorieuxd'Angers,EtdesRomainsles armeseftoféesAu Dieude Loire appellerapour trofées.

Vois-tuClouisgrand honneurdes Troyens?Qui le premierabhorrantles PayensEt des Gentilslesmenteufesefcoles,Pourfuture Chrijl laiffera lesidoles,Donnantbaptefmeaux Françoisdefuoyez>Et lors du cielluyferont enuoyezVn Oriflame,ejlandartpour la crainteDefes haineux,Ù"l'AmpoulletreffainteHuilefacr-éeonôlionde tes Rois.Son efcujjondeshonnorêde trois

Crapauxboufis-,en changeantde peinture,Prendrales Lisà la blancheteinture,

Prefentdu Ciel: Dieu qui le choifira,D''honneurdeforce ir de biensl'emplira!Nevois-tupas commefortfront ajfembleLa granité ù1 la douceurenfemble,Ayantle bras arméfans eftrearmé,

Enfemblecraint enfemblebienaimé>

Nul ne vaincra ceRoyde courtoifie:Maisquand l'efpéeau poingaura faifie,Nul conquéranttant foit braue de coeur,Dece Clouisnefe dira veinqueur.Il pourfuiura d'vneardante colère

Siagrefils de Gillon, qui fon père

Depojfeda,& fon campajfaudraSi viticmentqueSoiffonsil prendra,Perdant du tout la puijfanceRomaine:

Puis dés le Rhin iufqu'auxriues deSeine,DeSeinea Loire il fera conquerev.r,Des Roisvoifinslefoudre & la terreur.

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IA FRANC1ADE. If f

« Lafortune eft d'inconjlanceemplumèe!Luyconduifantvuegaillarde arméeOutre le Rhin contreles Alemans

Promptsaux combats,aux guerres vehemens,Seraprejféd'vnefi grandefuite,Quetout honteuxde penfer en lafuiteAura recourstantfeulementà Dieu:Lorss'eflançantfurieux au milieuDesAlemans,defa FrançoifeefpéeRendradefang la campagnetrempée,Tu'ra leur Roy,ù" despeuplesdoutezTributspar an luyferont apportez.Lorsenrichidesdefpou-illesconquifesAu nomde Chriftbaftirades Eglifes.Puisfe chargeant (commePrince inuaincu)Le dosdefer isr le brasde l'efcu,Ira de Vienneaborderle nuage.VnCerf chaffémonftrerale paffageAu campFrançois,grand miraclediuinlPrèsde Poitiersfera tremblerle Clin

DeJJbusfes pieds, affailiantde furieAlaricRoydespeuplesde Gothie.

Défia le vent branle les eftandars,Piedcontrepiedfe fichent lesfoudars1oyeuxdefang: tout le coeurleur bouillonne,Vuepouffiereen rond lesenuironne,Et fans relafcheau ?nilieudes trauauxSont rentierfez cheualiersù1 chenaux.Le RoyClouisardantà la conquefte,Perçantfon campoppoferafa tefteContreAlaric : la d'vn coeurhazardeuxCespuiffansRoiss'affronteronttousdeux

Rrav.es,hautains,furieux commefoudres.Sousleurs chenauxdeuxtourbillonsdepoudres

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If6 LEII1I. L1VREDE

Noircirontl'air, & fans auoir reposIci Clouisici le Roydes Gots

Pouffeztournezdefortunediuerfe,Serontportez tousdeux à la renuerfe.Lemolfablon imprimeraleurs corps:Euxreleuezplus ardans Ù*plus fortsCherchantla mortefpandrontfur la placeGréucscuiffbtsmarionsù" cuirace,Suant tousdeux de colère& de coups:Maisà la fin Clouisplein de courrouxFeradu GothviBimea Proferpine,D'vnegrand' playe enfondrantfa poitrine.Ainfi ClouisAlaricoccira:L'ameGothiqueaux enferss'en ira!

Puis s'emparantdesthreforsde cePrince,PrendraTholozeir toutela prouinceD'Alby, Rouargue,AuuergneÙ1Limofin,Et lepais de Garonnevoifin.De là pompeuxd'vnefi noblegloire,DesBourguignonsrauira la viBoire,Lesmaffacrantd'vn courage trop chautPour leforfait deleur RoyGondebaut.

Bref ceClouisd'inuinciblepuifianceDoit bouterhorsfon empired'enfance,Le rendremafle,à fin quetous les Rois

Tremblentde peur aux armesdesFrançois.Defes vertus l'acquiferenommée

Sera fi grande Ù1fi hautefemèe,Quefes enfansneferont maintenusEn leur grandeur, quepour ejlrevenusD'vnpère tel, lequeldurantfa vieNevaincrapas tantfeulementl'enuieDesRoisvaffauxà fon glaiue pointu.Maisfi au large eftendrafa vertu,

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LAFRANCIADE. If7

Qu'enfetielideffousla terre[ombreFera tremblerlesPrincesdefon ombre:Tant vaut l'honneurd'vn Princeaprèsla mort,

Qui en viuantfut équitable& fort !Or pour monftrerquetellecréatureSe"jeflirade celeflenature,Auantfa mort lesfeux prefagieux,Le tremble-terreù1 lesfoudresdesdeuxEsbranlerontfa royaledemeure.« Maisquoy>Troyen,il faut que l'hommemeure!« Enfon bateauCaronprendvn chacun,« Et du tombeaule chemineftcommun.

VoyChildebert(y Clotairefon frère,Qui tousardans d'vneiuftecolère

QueGondebautcommePrince cruelAit fait meurdrir leur onclematernel,Dejjusfon fils Sigifmondde BourgongneDetelle mortvangeront la vergongne.Cesdeuxgrands Roisà la guerreajfemblezDonnantbataille aux Bourguignonstroublez,Lesmeurdrirontd'vnemort tres-amere,Gratifiantaux larmesde leur mère,Quifoufpiroit de nevoir point vangêLecorps royaldefon père outragé.

Ce Childebertù" Clotairegrands PrincesPouraugmenterlesbordsde leursprouincesRompantle droit, la natureÙ"la loy,« (Entre les Roisne durepoint la foy,<cTant le defirde régner leur commande)Frèresgermainsfuiuis d'vnegrand'bandeD'hommesarmezpartiaux ù" médiansVoudronthelas! de leursglaiues tranchans

S'entre-tuer, & rougir les bataillesDufang tiré deleurspropres entrailles.

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If 8 LE Mil, LIVREDE

Maisfur le point qu'ils voudronts'ajfaillir,

Voicydu tour la lumièrefaillir :

Neigesù* ventsù" tourbillons(? grejleDu ciel creuètomberontpefle-mefle

Entre-femezdefoudresÙ"d'efclairs:

Hommes,cheuaux,morions(r boudoirs

Serontfrappez depluyeù" de tonnerre.Vntel miracleappaiferala guerreDecesgermains: le bon Dieul'a permis:Puisde haineuxdeuenusbonsamis,Frèresdefang <Ùrde cueurfans rancune

Ramafferontleurspuiffancesen vue,Fiersaux combats,inuaincuscheualiers:Puis enpouffantmilliersdeffusmilliersD'hommesarmez,par hautesdeftinéesIront gaigner les cymesPyrénées,Princesguerriers, inuaincusde trauaux.Lesmontsd'Efpaigneau bruit de leurs cheuaux

Retentiront,Ù"couuertsde gendarmesLeschampsluirontfous l'efclair de leurs armes.

LorsAlmaricRoydes Gots, qui tiendraSousluy l'Efpagne, ardant lesaffaudra(Nouueaufuzil de l'anciennenoife)Maispour néant: car la vertu FrançoifeDepieds de mainsÙ"de teftepouffantIra des Gothsla force renuerfant.Ce Royvoyantfa puiffancecoupéeDufer Gaulois,fçaura que vaut l'efpéeDe Childebert,qui luyperfmt la peau,CoftesÙ1coeur,ira iufqu'aupommeauD'vnegrand' playeenla poitrine ouuerte:Aueclefang fuira VamedeferteDu corpsGothiq, £r franchedefes osIra chercherlà bas autre repos.

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LA FRANCiADF.. I^Ç)

Cesfrères Rois, ainsfrayeur descampagnes,Ardrontperdrontpilleront lesEfpagnes,Mettantà fac <ùrpeuples& feigneurs:Lorstous enflezde butins<ùrd'honneurs,Et d'vnegloire aux Françoisétemelle,Viendrontreuoirleur terrepaternelle:Puisfans enfansdesvieillardsle confort,CommetousRois,ferontpris de la mort.

Quel eft cefiautre eshontédela face>

Cefi Aribertdes-honneurde ta race,Lenourrijjonde toutevolupté,Quipour tonfils ne doit eflreconté.

L'autred'aprèsqui tout mornefe fafche,Qui tientfa gorge Ù"qui marchantremafcheMaintemenaceÙ"refuetout afoy >

C'ejl Childericindigned'efireRoy,Mange-fuiet,tout rouilléd'auarice,Crueltyran,feraiteur de tout vice,

Lequeld'impoftsfon peupledeftruira:Sescitoyensen exil bannira

Affaméd'or, i? par armescontrairesVoudrarauir la terre defes frères,N'aimantperfonneÙ1deperfonneaimé:Qui deputains vn ferrail diffaméFera menerenquelquepart qu'il aille,Soit tempsde paix oufoit tempsde bataille:En voluptezconfommerale iour,Et n'aura Dieu que le ventre& l'amour.

Lesefcoliersn'auront lesbénéfices,Les gens de bienny honneursnyoffices:Toutfe fera par flateurs eshontez,Et lesvertusferont les voluptez.

lamaisd'enhautla puiffanceceltjleNemonftratantfon ire manifefte,

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.16o I.E UI!. LIVREDE

Et l'ail de Dieu quinousregarde tous,Nemonftratant aux hommesfon courrons.

Signesdefang de meurdresÙ1de guerre,De tous coflezvn tremblementde terre,'Horriblepeur deshommesagitez,,De fond en combleabatra lescitez,lamaisles ventsla terrene creuerentEnplus de lieux: iamaisnes'eleuerentPlus longs cheueuxde Comètesaux deux,Defon malheurfignes prefagieux.

Et toutesfoispour cesmenaceshautesCeméchantRoyn'amenderafes fautes:Maistoutfuperbe envicesendurci,Contrele Ciel eleuantlefourci,O coeurbrûléd'infimepaillardife!Eftoufferacontrefa foy promife,En honnijfantlefaint li& nuptial,Sa propreefpoufe,efpouxtrefdefloyal.

Nylitl nyfoy nyla nuiclamoureufeNedéfendrontGalfondemalheureufe,Qu'en luyprejfantle gofter defa mainNe lafuffoque,homicideinhumain:Ab~led'vn Scythe<Ù?nond'vn Royde France,Lequeldeuoits'oppoferen defenfePour lafauuer, (? luy-mefmess'offrirPluftoftcentfois à la mort, quefouffrirDevoirfa femmeoucaptiueoutouchée:Et toutesfoisauprèsde luy couchée,lointeà fonflanc, le baifant enfon litJ,Seureenfes bras, l'eftranglerade nuiB.Crueltyran! à qui deffusla tefteVire de Dieupend défia touteprejle :Sonproprefang fon crimelouera,Et fa putainfa femmevangera.

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LAFRANCIADE. I6I

Apres la mortdefa femmeGalfomleDoit efpouferfa garfe Fredegonde,Qiii d'vn vifage eshontéde regarsEtde maintienslubriques& paillars.jEt d'vnparler entre l'humbleÙ"le graue,Fera ceRoyde maiftrefon efcloue,Vabefliffantfi biena fes defirs,Qu'il feruira valetdefes plaijtrs :Puis doit apprendreaux defpensdefa vie« Quel'hommeeftfol qui aux putainsfe fie.

Or elleayant affotéfon mariPour mieuxiouir defon ribaud Landri

Qui du Royaumeauoit toute la charge,Folled'amour,à deuxmeurdriersenchargeAfon retourde la chajfebientardDe luypercer la gorge d'vn poignard.Ainft mourrapar lesmainsde fa femmeCeChilpericdes Princesle diffame.

Ellefans peur nyde Dieu ny de lois,Touteeffrontée,ayant encorles dois

Rougesdufang defon mari, pour tairePar vn beaufait le meurdrc<£rl'adultère,Ira guerrière au milieudes combas,Tiendrafon fils de trois moisenfes bras,Traiftrepitié ! pendant a fa mammelle,Dontfon paillard aura pris la tutelle.Puis cefteRoineabominable,ainçoisCefteFurieexécrableaux François,Dequi la tefteattendoit lefupplice,Commefi Dieufauorifoit levice,Viurafept ans enpompes<ùrhonneurAuecLandri, des Françoisgouverneur:Et qui pis eft, morteon la fera Sainte.« Ainfitout va par fraudes ù" par fainte!KonsarJ.—III.

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IÔ2 LE Mil. LIVREDE

L'autrequifuit eft Clotairefon fils,Par qui feront les Saxonsdefconfis,Nefouffrant viure en leur terre occupéeMafledeboutplusgrand quefon efpée,Sage guerrier, viSlorieux& fort,Quipour l'honneurmefpriferala mort.

DeBrunehautPrincejfemiferablePunirafeul la maliceexécrable,Lecorps lié tramant afon cheual.Sesvieuxcheueuxpar montaigneÙ1par valSerontefpars:fi que d'elle tiréeLes cheminspleins defa peaudefchiréeVoirrontfaigner cuijfes,ïambes(y flancs,Et les buijfonss'arroufer de leursfangs.

Bienqu'vngrand Roynepuijfe auoir louangeQuandpar la mort d'vnefemmeilfe vange,Pourtant Clotaireeft abfousdes FrançoisD'auoir vangê lefang de tant de Rois,Quepar poifon,par glaiue (y par cautelleAuoitocciscefteRoinecruelle.

LesLejlrygonsles Cyclopesqui n'ontAufront qu'vn oeil,en leurs rochersnefontSi cruelsqu'elleà toutepeftenée,Qui ourdiffantmenéefur menée,Guerrefur guerre {? débatsfur débats,Feramourirla Francepar combats:Maisà la fin fous lesmainsde ClotaireDoitdefes mauxreceuoirlefalaire.

Cegentil Prince entrefes noblesfaits

Voyantfes gens en.batailledesfaits,Et Dagobertfon fils iufqu'a la tayeCouure-cerueauatteint d'vne grand' playePerdre lefang en longuepafmaifon,Reueftirafon chauuepoil grifon

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LA FRANCIADE. l6]

D'vn morion,armesde la ieunejfe,Et toutfin corpsrefroidide vieilleffe

Refihauferad'vn coeurieune& gaillard :Puis en brojfantlesflancs defin boyardChaudde colère& de menacefiere,Pajfant à noulefil d'vne riuiereIra trouuer le Royfur l'autre bordQuiJe mocquoitdefin fils demi-mort.AlorscesRoisd'vn valeureuxcourageFront contrefront fur le premierriuageS'acharnerontcommeloupsau combat.Le bonClotaireà la renuerfeabatSon ennemi,ù"fa teftecoupéeEmbrochedroite au boutdefin efpée,Auecgratis cris repaffantvers lesfiens :A6ie Gaulois, & digne des Troyens,Defiecle enfiede a iamaismémorable,Tant vaut vn père a fin fils pitoyableI

L'autre quivient en magnifiquearroy,Qui de maintienreprefentevn grand Roy,Eft-il desmiens>Uy-lemoyie te prie.C'eft Dagobertfleur de Cheualerie:Enfa ieunejfeaura le coeurhautain,Reuefiheen moeurs,couperadefa main(AcJeimpiteux)la barbedefin maijlre.Puis par le tempsvenantfin âge à croijlre,DePrincefier deuiendragracieux,Tantfeulementendeux poinclsvicieux,L'vn de nourrirpar trop de concubines,L'autre defaire exceffiuesrapinesSur mainteEglife, à fin d'enrichirvnMoujlierà part du retient*commun:Au refteaccort de bonnesmoeursÙ"Juge,Qui craindraDieu, qui punira l'outrage

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164 LE IIII. LIVREDE

Des orfelins,quiviura par confeil,Qui n'aurapoint en armesfon pareil,Prudentguerrier, quifera fans contrainteL'amourdesfiens, defes voi/insla crainte:

Qui chajferalespeuplescirconcisDefes pais, par qui feront occisLesEfclauons,qui deffusla campagneEJlendramortslespeuplesd'Allemagne,Et les Lombarspar guerres deftruira:

Qui les Gafconsrudementpunira,Et qui rendra la nationferuileDes Poiteuins,& quiPoitiers leur ville

Saccagerapar glaiues <ùrpar feux,Et lafera labourerpar des boeufs,Semantdufel oùfurent fes murailles:Oui deftruira les Hongrespar bataillesTranchantaufer tant depeuplesarmez.Des osdes morts leschampsferontfemezEt leschenauxnageront iufqu'auventreSouillezdefing : la riuiere qui entreDedansla mer, à peinepar fes bordsPourra couler, tant elleaura de morts.

Luytout enfléde gloire militaireRendrafous luyEretaigne tributaire,Et leur royaumeen Duchéchangera.Toutau contraireami defchargera(Aux vns hautain, aux autresdébonnaire)Lesfiers Saxonsfurmontezpar fon père,De trois censboeufsqu'ils deuoyenttous lesans:Puis dejliantdefes membrespefansL'amelégère, aprèsmainteviSloireRendrafon nomd'éternellemémoire.

L'autre quifuit d'honneurenuironné,Qjùa le frontde palmecouronné,

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LAFRANCIADE. 16f

Quija les Turcsmenacedela guerre,SeraClouislequelira conquerreHierufalem<ùrlesSceptresvoifins

D'Egypteiointeaux peuplesSarrazins.Outre la mer bienloindefa patrieTiendrades Iuifs l'heureufefeigneurie,Et fon oft braueÙ1luy braueà la mainBoirontfept ans les ondesdu lourdain:Puis retournépour quelquetroubleen France,Defes enfanspunira l'arrogance,Quipar fiateurspar ieunesgens deceusVerscelleingrats qui les auoitconceus,De tout honneurdégraderontleur mère,Et donnerontla batailleà leur père.

Leurmèreadonc,ah! mèrefans merci,Ferabouillirleurs iambes,Ù"ainfiTousmehaignezlesdoit ietter enSeine.Sansguide irontoù lefleuueles meineA ïabandondesvagues& desvens:Grauefupplice! à fin que les enfansPar tel exempleapprennenta nefaireChofequifoit à leursparenscontraire.Bienque ceRoyfoit magnanime& fort,Soitaumofnier,despanuresle fupport,Pourtantfon ameaux vicesinclinée,De trop de vinfe verra dominée.L'amourla gueule (? lesplaifirs qui fontRougir de hontevn Prince leferontEfclaueRoyde vilaine luxure,Trompantfon nom,foy-mefneÙ1la nature.

Vois-tuceux-ciqui abaijfentlesyeuxHonteuxde voir la lumièredes deux,Qui ne dearoyentav.mondeiamaisnaijlre,Nymoinsav.oirHeclorpour leur anceftrr>

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i66 LE Mil. LIVREDE

Clotaireejl l'vn, ù" l'autre eft Childeri,Theodoricl'autre en délicesnourri,Troisfait-neants, groffesmajfesde terre,

Ny bonsenpaix, ny bonsen tempsde guerre,La maudiffondupeupledefpité.

L'vnpourfouillerfin corpsd'oifiueté,.Pour /l'allerpoint au confeil,nypour faireChofequi fait au Princeneceffaire,Pour ne donneraudienceà chacun,Pour n'auoirfoin defoy ny du commun,Pour nevoir point ny Palais nyluftice,Maispour rouillerfa vie entre le vice,

Traijtre à fin peuple<ùfà foy defloyal,Sansplus monterenfin throneroyal,Ains lefraudant defin naturel guide,A Esbrouinen lafeherala bride,Et lefera foit en guerre ou en paix

Chefdu Confeilù1 Mairedu Palais.

CeftEsbrouinaurafoin desbatailles,De la finance(y d'augmenterles tailles,Et de refpondreà tousAmbaffadcurs;Etfin eftat aura tant degrandeursCommechargéd'vnepeinehonorable,

Qu'il deuiendrafi craint &•redoutable

(En ce-pendantque les RoisamufezA boufinner,desfemmesabufez,Sansnulconfeil,trahis de leur plaifance,Sont Roisde nom,Esbrouinde puiffance)Qu'enpeu de iours cesMairesapprouuezDe tout le peuple,aux honneurseleuez,

Puiffansdefaits deparollo & d'audace,Des premiersRoisabolirontla race,Et fe ferontd'autorité pourueusEux-mcfncsRois, leursfils ù1 leurs neiicas.

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LA FRANCIADE. 167

Pource, Troyen,ne commetstellefaute,«N'eleuepoint endignité trop haute«Quelquevaffal : ton dommageen dépend.«Quandvn Royfaut, trop tard il s'en repent.

L'autrefécondde luxure tout pallePerdra longtempsfa dignité royale,Etfans égard afon fang defcenduDe tant de Rois,fera MoynetonduEt r enfermédedansvn Monajiere.

Le tiers qui vientpenfif<Ù?folitaire,Def esfuiets commepeftehay,A contre-caur desSeigneursobey,Chaudde colère,à régner mal-habile,Ferafoéter le,CheualierBodilleEn lieupublic lié contrevn pofteauToutdefchiréde veines{? de peau.

Bodilleplein d'vn valeureuxcourage,Toufiourspenfifenft vilain outrage,Ne remafchantquevengeanceenfon coeur,Lairra coulerquelquetempsen longueur:Puisfans refpeôide Sceptreou de Couronne

(Tant le defpitfurieux l'efpoinçonne)Toutalluméde honteÙ1defureurFerapayerà ceRoyfon erreurParfon fang propre, enrougijfantfa dextreDedansle coeurdefon Prince<£rfon maifire,Et d'vn tel fielfa vengeanceemplira,Que le Roymort, la Roine il occiraEt fon enfantenclosenfes entrailles.«Il faut qu'vnRoyfait cruelaux batailles,«Maisdoux auxfiens : il faut que lafierté« Soitaux lions, aux Princesla bonté« Commemieux-nezÙ1qui ont la nature« Plusprès de Dieu quetoutecréature.

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168 LE II1I. LIVREDE

Ce Roydoit eftreabufèpar ftateursPefledesRois, courtizansisf menteurs,Qui desplusgrans affiegeantles oreilles,Fontles discrets& leur contentmerueilles.Pource, Francus,fi le Ciel tefait Roy,Sage entretiensdesvieillarsprès de toy,Qui te diront leurs raifonsfans feintifeEn longs cheueuxen longuebarbegrife.

Nevueillespoint pour ConfeillerschoifirCesieunesfols quiparlent à plaijtr.Leplus fouuent lesPrincess'abeftijfentDe deuxou trois que mignonsils choijtjfent,Vraisignoronsqui font lesfuffifans,Quineferoyententre lesartizans

Dignes d'honneur,grojfes lamesferréesDu peuplefimple à grand tort honorées,Qui viuentgras desimpojls& desmaux

Quetes Roisfont à leurs panuresvaffaux.-Tant la faneur qui lesfautes efface,

'•Faitque lefot pour habilehommepaffe!Quellefureur, qu'vn Roypère commun

Doiuechaffertous lesautrespour vnOu deux outrois >ù" blefferpar audaceVnmaflecoeurijju de noblerace,Sansregarderp leflateur dit vray>

Ce Childericdoit cognoiflreà l'effayLemal quivientde croireà flaterie,Perdant d'vn coupfemmeenfant<ùfla vie.

Voy,Francion,cesautres RoisdoutezDevin d'amourde toutesvoluptez,Qui abejlisen vn monceaufe preffent,Et le regard contre la terre baijfent.Vnegrand' nue efparfefur lefrontLesobfcurcift: regarde commeils vont

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LA FRANCIADE. I69

Effeminez,& d'vne alleurelente

Monftrentau front vne amenonchalante.Ah malheureux!ilsferont fils des tiens,Germemaudit, TroyennesnonTroyens:Quitant s'enfaut qu'ilsfoyenten FrancedignesD'auoir an chefles couronnesinfîgnes,Qu'ils nefont pas, pefiedu genrehumain,

Dignesd'auoir l'aiguillon en la main,Roisfans honneur,fans coeur,fans entreprife,Dont la vertufera la paillardife.Leurbeauroyaumeacquispar le harnoisDe tant d'ayeuxtrejtnuinciblesRois,Par la fueur de tant de Capitaines,Par fang par fer par difcours& par peines,Touten vn iourpar lafchetéde coeurPerdrapuiffanceaccroijfance& vigueur!Nevois-tupas commeClouisenpleure>» Tay-toygrand Roy, rien ça-bas ne demeure» Enfon entier : tant plus le Sceptreejl haut,» Et plus il tombeà terre d'vn grand faut.

CesRoishideuxen longuebarbeefpefje,En longs cheueuxornezprejfefur preffeDe.chaifnesd'or ér de carquansgrauez,Hauts dans vn char en triompheeleuezVnefois l'an feront voir leur vifage:Puis tout le refieilsferont enferuage,Laijfantla brideaux Mairesdu Palais,Dont ilsferont efclauesiy valets,Mafquesde Rois, idolesanimées,Et nonpafleurs nyPrincesdesarmées,Quife verronthonnisde voluptez,De leursvajfaux à la fin furmontez.Appren, Troycn,commevn lafchecouragePerd envn iourfon Sceptreèr fon lignage.

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I70 LE 1111.LIVREDE

» // nefaut ejlre aux affairesrétif:» La Royautéefi vn meftieraclif.

VoyChilpericle dernierde la raceDe Pharamond,commeil baijfela face,Moynerazépour fa lubricité,Vnfait-neant moifid'oiftucté,Oui ja cefembleaux plaifirs s'abandonne.

Ceftuyperdra le Sceptre{? la CouronneDu grand Clouis,(y fon MairePépinS'enfera Roypar nefçay queldeftin,En transférant l'ancienHiadefmeDe la maifondefon maiftreà foy-mefme.Bienqu'à grand' peineait quatrepieds de corps,Basdejlature, Ù1de membrespeu forts,Il aura l'ame acliue& vigoureufe:Et de confeil& de prudenceheureufeIl douterala force des plusgrans.Pource,Francus,par tel exempleapprensa Quetout Royaumeaugmenteenaccroiffance« Par la vertu, i? nonpar la puijfance:« Et que DieuJcul qui toutechofepeut,u Perd iy maintientles Sceptrescommeil veut.« Pour les garder l'hommeen vainfe trauaille :« Car c'efl luyfeul qui les ofle& les baille.

Quifont cesdeux quivont marchanta part >

Qui de la troupe ejlongnez,à l'efeartDifcourentfeuls de grans proposenfemble>

A voir leur port l'vn (y l'autre mefembleSage guerrier, Ù1nul ne s'eft monjîréDe tant d'honneurnyde gloire illuftré.

Ccluy,Troyen,qui fait bruirefes armes,Grand Capitaine& pafteur de genfïarmes,Quija fa mainfur vue lancemet,Qui d'vn panacheombragefon armet

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LAFRANCIADE. 17I

Aufier maintien,au fuperbecourage,Qui rien que Marsne monjireenJbn vifage,SeraMartel gouuerneurdes François,NonRoyde nom,mais le maiflredes Rois.Dedansle Cielfera monterl'EmpireDu nomGaulois, & nuldeuantfon ire

N'oppoferany lanceny efcu,Qu'il nefait pris ou.fuitif ouveincu.

VoyquelsLauriers,marquedefa conquejle,.Vontplisfur plis enuironnantfa tefie!Voyfon maintiencombienil ejtgaillard,Et de quelsyeux il enfoncevn regard!Il occirapar bataille cruelleDesforts Saxonsla nationrebelle:Ceuxde Bauiereà mortdefconfira:LesAllemanstributairesjeralufqu'au Danube,Ù4la terre FrizonneRendraveinqutur,.fv.iettea fa Couronne:Prendrad'ajfaut, inueincuCheualier,

Nifines,Marfeille,ArlesÙ"Montpelicr,Beziers,Narbonne,isr toute la ProuenceFeraferuile à fon obeijfance:PrendraBordeaux,& Blaye,ù1 tous lesfortsQuela Girondearroufedefes bords.

VoicycommeEudeEmpereurd'AquitaineLesSarrazinspeupleinnombrableameineContreMartel; à la guerre conduitsPar Abdirameantiquejang des luifs,Qui d'AbrahamÙ"de Sarrafa femmeSevantera: ce cruelAbdirame,Cruelde moeurs,de vifage ù" de coeur,Des puiffansDieux Ù1des hommesmocqueur,Toutacharnéde meurdre& defurie,Enfléd'orgueil, enfléde vanterie,

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\~]2 I.EI1II. LIVREDE

Doit amajferlesfiens de toutesparsFemmes,enfans,vieux& tenuesfoudars,Valets,bouuiers,marchons,à fin quel'ondeD'vn fi grand ofl ejfroyetout le monde.

CesSarrazinsau trauail obflinezOutre-paffantles cloijlresPyrenez,Et file à file efpuifanttoute Efpagne,Seplanterontau pied de la campagneAuecgrands cris, tels quelesgrues fontQuandqueueà queueen ordres'en re-vontHautesau vent, & déhachantles nuesVontdemeureren leurs terres cognuésFuyantl'hyuer: vn cry tranchant£? hautSefait enl'air, tout le ciel en treffaut!La mernepouffeaux riues tant d'areines,De tant defeux lesvoûtesnefont pleinesAu ciel la nuiôl, quede peuplesprefjezDeffousceRoyfe verrontamaffez.Ils tariront le coulantdesfontaines:

Deffousleurspiedsferont tremblerlesplaines,Grands commepins en hauteurefleuez:PrendrontBordeaux(? lespeupleslauczDe la Gironde,Ù"d'ardeur violanteViendrontpttifer les eauxde la Charante,Nepardonnantà templesnymoutiers:D'auares mainsfaccageront Poitiers,Razant chafteaux& villes enfermées,Et près de Tourscamperontleursarmées.

Là l'inuincibleindontableMartelNe s'ejhnnant de voir vn nombretel,Maisd'autant plus ayant l'ameefchauféeQu'il verra grand le gain defon trofée,Chauddelouangeijyd'honneurhazardeux

Ira planterfon campau deuantd'eux

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LAFRANC1ADE. IJ}

Lesmenaçant: la DéejfeBellonneCourradeuant,& Marsqui aiguillonneLe coeurdesRois,pourfauuer demeekefCevaillant Duc, luypendrafur le chef.Ceiour Martel aura tant de courage,Qu'apparoiffantenhauteurd'auantageQuede couftume,ondira qu'vn grand Dieu

Veftantfon corpsaura choififon lieu.

Luytout horribleen armesflamboyantes,Méfiantle fifre aux trompettesbruyantes,Et de taboursrompantle ciel voijinEfueillerale peupleSarrazin,Qjii l'air d'autour emplirade vrlées.

Ainfiqu'onvoit lestorrensaux valéesDu haut des montsdefccndred'vn grand bruit,Enefcumantla rauinefe fuitA gros bouillons,& maiftrifantla plaine,Cafte desboeufsÙ1des bouuiersla peine:

Ainficourrade lafureur guidéAuecgrand bruit cepeupledesbordé.Mais tout ainfi qu'alorsqu'vnetempefteD'vn grand rochervientarracher la tefteTPuis la pouffant& luypreffant lepas,La fait rouler du haut iufquesà bas:Tourdeffustour, bonddeffusbondfe rouleCe grosmorceau,qui rompt,fracaffe ir fouleLesboistronquez,(? d'vn bruit violantSansrefifianceà basfe va boulant.Maisquandfa cheuteentournant eft roulée

lufqu'au profondde la creufevalée

S'arreftecoy: bondiffantil nepeutCourirplusoutre, Ù" d'autantplus qu'il veut

Romprele bord, i? plus il fe courrouffe,Plus le rempart le preffe& le rcpoujjc:

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174 LE IIII. LIVREDE

Ainfi leur campen bandesdiuiféAyanttrouuélepeuple baptifé,Bienqu'acharnéde meurdre& de tu rie,Seracontraintd'arrejlerfa furie.

Chacunde rang enfon ordrefe met,Lepied le pied, l'armet touchel'armet,La mainla main, Ù"la lancela lance,Contrevn cheuall'autre chenals'eflance,Et le piétonl'autre piéton ajjaut.Icy l'adrejfe, icylaforce vaut,Sort (? vertu pefle-mejles'ajfemblent:

Dejfousles coupsles armeuresqui tremblent,Fontvn grand bruit : ViBoirequi pendaitDouteufeau ciel, les combatsregardait.Au moisd'EJîéquand la pauurefamilleDu laboureurtient en mainla faucille,Et fe courbantabat defon feigneurLesefpicsmeurs,descampagnesl'honneur:Tant de moijfon,tant de blondeiauelleL'vnefur l'autre efpaisne s'amoncelleDe touscaftezefparfesfur les champs,Quede corpsmortspar les glaiues tranchansSerontoccisde la gent Sarrazine.En moinsd'vn iour hoftesde ProferpincIront là bas trois censmilletuez,L'vn deffusl'autre en carnageruez.Milleans après les TourangellesplainesSerontencor'de carcajfesfi pleinesD'oz, de harnois, de vuidesmorions,Que les bouuiersen traçant leursfilionsN''oirrontfonnerfous la terre férueQuede grands oz hurtcz de la charrue.Telau combatfera cegrand Martel:

Quiplein de gloire & d'honneurimmortel

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LA FRANCIADE. '75"

Perdra du tout par millebeauxiroféesDes Sarrazinsles races ejloufées,Et des Françoisle nomviSlorieuxPar fa proueffeenuoyraiufqu'aux deux.

L'autre efi Pépinhéritierdefin pèreTant en vertu qu'enfortuneprofpere,Qui marïra la lufticeau harnois,Et régira lesfiens par bonneslois.

Luybas de corps,de coeurgrand Capitaine,Par neufconfliBsajfaillant l'Aquitaine,De Gdifierocciralesfiudars :Il rendraferf le Prince desLombarsDontantfous luy lesforces d'Italie.Romequifut tant defois ajfaillie,Sera remifeenfin premierhonneur:Par luy le Pape en deuiendraSeigneur,Et des Françoisprendrafin accroijfance:Tant le bonzèle aura lors de puijfance!

Par cent combats,par centmillefaçonsDoit renuerfir le peupledesSaxons,Peupleguerrier des Françoisaduerfaire,Et fousfa mainle rendra tributaire.La loypendrafur fin glaiue pointuCraint de chacun: tant vaudrafa vertuDe la fortuneheureufeaccompagnée!Sousluyfaudra de Clouisla lignée,Si en perdant lefang trefancienDespremiersRois,fera ?iaijlrelefien,Donnantlumièreà fa racenouuellePar les hautsfaits defa dextre immortelle.« N'efpererien au mondede certain:« Ainfique vent tout coulede la main:« Enfantd'Hetlor, toutfi change& rechange:« Le tempsnousfait, le tempsmefmenousmange:

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i76 LE Mil. LIVREDE LA FRANCIADE.

« Princesù" Rois<ùrleurs racess'en-vont,« De leurs trefpas lesautresfe refont.« Ckofenevit d'éternelledurée:« La vertufeule au mondeefl ajjeurée!

FIN DV Q_VATRIESME LIVRE

DE LA FRANCIADE.

L'AVTHEVR PARLE.

Si le RoyCharleseuft vefeu,l'eujfeacheuèce long ouurage:Si tojl quela mort l'eut veincu,Sa mortme veinquitle courage.

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ELEGIE SVR LE LIVRE DE LA CHASSE

DV FEV ROY CHARLES IX. RECVEILLY

&ramafie par la diligence de Monfeigneur

de Villeroy.

Soitquece Hureicy ne viuequ'vn Prin-temps,Soitqu'il force la Parque, & viueplus long temps,Par maintfiecle endurcycontrela faux dentéeDesans, dont toutechofeà la fin eft domtée,Jamaison nepourrait (fans ietter larmesd'ail)Lelire, en le voyantainfivejiu de dueil,Noncommevn orphelinqui a perdufon père,Maiscommevn auorton,à qui la maincontraireDeLucinea tranchélefil, fans auoirfçeuNycognoiflreny voir celuyqui l'a conceu.

Tel enfantù1 ceHureontpareillenaiffance,Quin'eurentde leur père onquesla cognoijfance.Toutefoisvn chacunen contemplantle traiùlDefon corps imparfait, voit bienqu'il ejl extrait}De royale lignéeÙ" de haultparentage,Rapportantdefa race au front le tefmoignage.

Or fon père nefut de ceuxqui par les champsVontouurant lesfilions de leurs contrestrenchans,

Ronsard.—III. I3

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I78 AV ROYCHARLESIX.

Nyde ceuxquigardant la troupe camufetteDes brebis,ont esmainslaflujle <ùrla houlette,MaisSeigneurdes François,envertus nompareil,En la terre aujji grand qu'au ciel efî le Soleil,Ouipour n'empoifonnerlesans defa ieunejfeD'amoursny defeftins, dejeux nyde parejje,Et pour tromperl'ennuydesciuilesfureurs,Aima chiens& cheuauxcognoiffeursÙ" coureurs,Et de meuteÙ"d'abboispar brufqueviolence,Desforefts Ù" descerfs refueillerleJilence.

Ilfe feit fi parfait en l'art de bienchajfer,Qu'aux heuresde loifir il envoulut tracerLeprojet de ceHure, aimantla renommée

Qui s'aquiert par la plumeiy par l'encre animéeMieuxque le vain honneurde baftir des chafieaux,Qui tombentà la fin morceauxdeffusmorceaux.Car le tempsqui renuerfeiy fceptres iy Empires,Egalementabbat iy marbresiy porphyres.Mais la ialoufemortdefpited'vn tel fait,Ne luypermijlde voirfon ouurageparfaièl.Ainfipar la tempefteà terre onvoit fiefirieLa RofeAdonienneauant qu'ejlrefleurie.

O Charles,dont lefront ejl vejtude laurier,Tu te peuxbienvanter que tu es le premierDesMonarquesFrançois,qui rompantla couftumeDes Princes, t'es acquis louangepar la plume,Allongeantau tombeaud'vn renomefclarcyLesans victorieuxde ton âge accourcy.

Toutefoisle labeurde ta plumeeftendueSefufl efuanouycommepoudreperdue,Si le tien Villeroy,des Mufeslefupport,N'euft arrachéton fils desgriffes de la mort,Et rauyde ta cendre.Ainfila mainfidèleDeSilènefauua du ventrede Semele

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AVROYCHARLESIX. 179

Bacchus,germeimparfaièl,par la foudre auortê.Et fi leJ'entimentlà bas ne t'ejl ojté,

Aggraué dufommeil,& de la tombevaine,Tu le remercierasd'vnefi doflepeine,Qui a fait commeHercule,enforceant le trefpas,.Quetoymort ton labeurau mondene meurtpas,Monjhantpar tel exempleaux nationsde France,Que iamaisla vertu nemeurtfans recompenfe.

VERS DV ROY CHARLES IX.

à Ronfard.

Ronfard, ie cognoisbienquefi tu ne mevois,Tu oubliesfoudain de tongrand Roy la vois:Maispour t'enfouuenir,penfeque ie n'oublieContinuertoufioursd'apprendreenPoefie:Et pourcei'ay voulu t'enuoyercefi efcritPourenthoufiazertonphantafliqueefprit.

Doncne t'amufeplus à faire tonmefnage,Maintenantn'eftplus tempsdefaire iardinage:Il faut fuittre ton Royqui t'aimepar-fus tousPour lesvers qui de toy coulentbrauesisr dous:Et croyfi tu neviensmetrouuerà Amboife,Qu'entrenousaduiendravne biengrande noife.

RESPONSE AVX VERS PRECEDENS

du feu Roy Charles neufieme.

Charles,enqui le ciel toutesgrâces infpire,Qiii as le coeurplusgrand quen'eft grand tonEmpire,

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l8o AV ROYCHARLESIX.

Vueameprompteif viue, vn efprit généreux,Devertus, defcicnce if d'honneuramoureux,Ouipaffestes ayeuxd'vn auffi long efpaceQue l'Aigle les Autours,dont l'aile nefe lajj'eEnvolant outre l'air d'approcherle Soleil:

Ainfinentre lesRois tu n'as point de pareilQueFrançoistongrand-pere: if Ji l'honneflçhonteLevoulait, ie dirois queCharleslefurmonte,D'autant que nojirefiecle eftmeilleurque lefien,Et que le tempsprefentvaut mieuxque l'ancien,Et d'autant qu'il fut doBeau déclinde vieillejfe,Et tu es toutfçauant en la fleur de ieunejfe.

CarJi ta Maieflé(après lefoin commun

Qu'elleprend dupublic, if d'efcouterchacun,Permettantà tonpeuplevuefacile entrée)Soit enprofe ou envers pour plaifirfe recrée,Donnantquelquerelafcheà tondiuin efpritQuife monflrefoymefmeen monflrantfon efcrit,Et rien s'il n'ejl parfait, ne inéditeoucompofe,Ronfardte cèdeenvers, if Amyotenprofe:Et fuis marryd'auoirfi longuementvefcuAugiron desneufSoeurs,pour eftreainfi veinai.

N'ejfoit-cepas affezde m'auoiren centfortesMonflrél'affetlion que maiftretu meportes,Sansencormevouloirdesfierenmonart,Et en rymeappellerau combatton Ronfard,Defcouurantcontremoyla fureur de tonftilc >

Ainfi le grand Augujteefcriuoit à Virgile:

Virgilequi l'efprit defon maiftrefuiuoit,Pour luy donnerplaifir luy contre-refcriuoit.

Tu m'asdonnédes vers, tres-magnanimePrince,

Afin qu'enimitant ton exemple,i'apprinfeQuepeut vn coeurfuperbe, if pour auoir auffiToufioursl'efprit touchéd'vn vertueuxfouci.

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AVROYCHARLESIX.

Toutesfoiste louant, grand Monarquede France,Tu as plus auancéque ta plumenepenfe:Car tesfaits quelqueiourpar le tempspériront :En monHureà iamaistesbeauxvers fe liront,Que ie veux engrauerenuironnezde gloireSur l'autel le plus fainSl du templede Mémoire,Pour mieuxfaire cognoijireà la pofleritéQueRonfarda vefcurégnant ta Maiefté,Et queta Maieftédeffousellea veu naiftreSa Mufequife plaifl deferuir vn tel maiflre.

VERS DV ROY CHARLES IX.

à Ronfard.

Ronfard,fi tonvieil corpsreffembloitton efprit,leferais biencontentd'allouerpar efcritQu'ilfympathifer'oitenmal auecle mien,Et qu'il feroit maladeaufjlbienquele tien.Maislors que ta vieillejjeencomparaifonofeRegardermaieunejje,envain ellepropofeDefe rendrepareilleà monieunePrintemps:Car en ton froid Hyuerriende verdn'ejl dedans.Il ne te refterien qu'vn efprit grand & haut,

Lequelcommeimmorteliamaisne te défaut.Or doncie te diray quebien-heureuxferais

Si de ton bonefprit vn rayon ie tirais,Ou bienquefans t'ojler rien du tienfi exquis,Par ejludei? labeurvn tel m'efloitacquis.Tonefprit cft, Rinfard, plus gaillard quele mien:Maismoncorps eftplus ieune& plus fort quele tien.Par ainfi ie conclu,qu'enfçauoir tu mepajfe',D'autant quemonPrintempstes cheueuxgris efface.

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IÔ2 AV ROYCHARLESIX.

RESPONSE AVX VERS PRECEDENS

dudit feu Roy Chartes IX.

Charles, tel que iefuis, vousferez quelqueiour:

L'âge voletoufioursfans efpoirde retour.Et commehors desdents la parolefortieNe retourneumais après qu'elleeftpartie :

Ainfil'âge qui fuit par lesfieciescafté,Ne retourneiamaisquandil nousa laifte.

Voyezau moisdeMayfur l'efpinela rofe,Au matinvn bouton,à vefpre elleeft efclofe,Sur lefoir ellemeurt: o bellefleur, ainftVniour eftta naijfanceÙ" ton trefpas auffi..

Si villes,fi citez de marbreseftofées,Si Empires,fi Rois,fi fuperbestroféesVieilliJJent,ie puis bienen imitant le coursDe nature decroiftre,Ù1voir vieillir mesiours.

le vouspaffe, monRoy,de vingt & deuxannées.-

Mais lesvoftresferont fi foudain retournées,Qu'au prix du longfeiour quefait l'Eternité;Qui lesfieciesdeuoreenfon infinité,

Vingt, trente, quaranteans accomparezreffemblentVngrain prèsd'vn monceauoùtantdegrainss'ajfemblent:Et qui meurtce iourd'huy,fait richeoufouffreteux,Quanth l'Eternité, meurtà l'égal de ceux

Qtiengloutift leDélugeen l'eau defmefurée.« Tout termequi finift, n'a pas longuedurée.Etfait toft oufoit tard, il faut voir le trefpas,Et defeendreau parquet desluges de là-bas.

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AV ROYCHARLESIX. 18}

Heureuxtrois fois heureux,fi vousauiezmonâge,Vousferiez deliuréde l'importunerageDes chaudespajfions,dont l'hommene vit francQuandfon gaillard printempsluy efchauffelefang.

De là l'ambition,de là la conuoitife,De là vient la chaleurque Venusnousattife,Et l'ire qui abbat le Fort de la raifon,Ennemisincognuzdu bonpère grifon.

Vousverriez, mongrand Prince, en barbe vénérable

VojlreraceRoyaleautour de vojtre table,CommeieunesLauriers: & Monarquepuijfant,Vousverriez dejfousvous le peupleobeyffant,Vojlreefpargnefournie, <ùfvosvillesFrançoifes,Terreshaures{? ports loin de ciuilesnoifes,Richesd'honneur,depaix Ù" de biensplantureux-,Et vieillardvousferiez plus qu'en ieunejfeheureux.

Il nefaut efiimerquela mèreNature

Lesfaifonsdes humainsordonneà l'auanture,Commevn méchantComiqueenfon théâtrefaitLepremierASiebon, le dernier imparfait:Ellecompofetout d'vne meurefagejfe:Sila ieunejfeejt bonne,auffieft la vieilleffe.

La ieunejfeefl gaillardeÙ" difcourtlibrement,Vieilleffea la raifon, efprit ir iugement:L'vnea l'opinion, & l'autre la prudence:L'vneaimeoifeauxÙ1chiens,amour,cheuauxù1 dance:L'autre aimele bonvin, le bonlift, le bonfeu :

Ainfitoutefaifon diffère de bienpeu,Etprefquel'vne à l'autre à l'égalfe r apporte:Chacunea fon plaifir, maisde diuerfeforte.

Pourquoyen vousmoquantmefaittes vousce tortDem'appellervoifindesombresde la mort,Et de mepeindreauxyeux vuefil fi prochaine,Quandde monchaudEfté ie nefors qu'à grand peine>

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184 AV ROYCHARL'ESIX.

le n'entrequ'enAutonne,& nepeux arriuerDequinzeoudefeize ans aux iours de monHyuer:Voire& puis (fi le Ciel à mavie efi propice)Faire encor'pour le moinsvingt bonsansdeferuice :Et quandle corpsferoit de trop d'âge donté,L'âge nepeutforcer la bonnevolonté.

Deforce ù1 de vigueur mal-gré moyie vouscède.

L'efcorccau prix de vous, nonla fleur ie pofj'ede•Et ie vouscèdeencoreen généreuxefpritQuim'appelleau combatpar vu royal efcrit.

Etbref, s'il vousplaifoitvnpeu prendrela peineDecourtiferla Mufe,ù" boireen la fonteineFillede cechenalqui fifl fourcer le mont,Toutfetil vousrouiriez les Lauriersde monfrontVnfécondRoyFrançois: de là viendrait magloire.« Eftreveincud'vn Royc'efi gaigner la viSloire.

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LE BOCAGE ROYAL

DE P. DE RONSARD.

DEDIE'

A HENRY III. ROY DE FRANCE

ET DE POLOGNE.

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Voicy du "RpyHîNRY iroifiëfine l'image,

Qui me/prisa fa vie ennemis & dangers,

Qui prarciqua les meurs des peuples ejlrangers,Trince tout bon rouxfaim tout vaillant & Toutfige.

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LE BOCAGE ROYAL.

PANEGYRIQVE DE LA RENOMMEE,

A HENRY III. ROY DE FRANCE

ET DE POLOGNE.

Tout le coeurmedébutd'vnefrayeur nouuelle:l'entensdeffusParnafie Apollonqui m'appelle,

l'oy fa lyre & fort arc formerà fon cojlé.

Quelquepart que monpied vagabondfait portéSesLauriersmefont place, Ù"fens mafantafieErrante entre les Dieuxfe fouler d'Ambrofie.Fuyezpeuplefuyez: desMufesfauoryYentrefacre poèteau palais de HENRYPour chanterfes honneurs: afin quedés l'Aurore,De l'Occident,de l'Ourfe, ù1 du riuage MoreSa vertufoit cogneué,<Ù?qu'oncognoiffeauffiQu'vnfi grand Princeauoit meschanfonsenfoucy.

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LE BOCAGE

l'ay lesyeux esblouys,tout le cerueaumetremble,l'ay l'ejlomacpanthois, i'auife cemefembleSur le haut des citez vnefemmedebout,Ouivoit tout qui oyt tout (y qui déclaretout.Elle a centyeux au front cent oreillesen tefte:Dans les voûtesdu Cielfon vifage ellearrefte,Etdefes pieds en terre elleprejje lesmonts,Vnetrompetteenflantdefes largespoumons.

le voyle peuple à foulle acourir auprèsd'elle.« Lepeuplevolontiersfe paift d'une nouuelle.Elleva commencer,il m'enfaut approcher:« Le tempsnefe doit perdre, il n'y a rienfi cher.

Peuplesqui m'efcoutezpenduzà maparole,N'eftimezmespropos d'vnefemmequi vole:Maisque chacuny donneauffiferme crédit

Quefi les chefnesvieuxd'Epire l'auoientdit.La DéeJJeennemieaux tefiestropfuperbes,

Qui lesgrandeurs égaleà la baffeurdesherbes,Quidédaignela pompe<Ùrlefard des humains,A chafliéïorgueil des Françoispar leurs mains.

Eux arrogans de voir leursvoiles trop enfléesDu vent de la Fortuneheureufementfoufflées,D'abonderinfolensenfuccez de bon-heur,

D'obfcurcirleurs voifinsd'Empires& d'honneur,Geanscontrele ciel, d'vneaudacetrop grandeNe recognoiffoientDieu qui auxfceptres commande,Ains contrefa grandeur obftinantlefourcy,Auoientcontrefa mainle courageendurcy:

Qjiandla bonneAdraftie, envengeanttelleiniureCitez contrecitez defaclions coniure,Fit lefoc Ù*le coutreen armestransformer,De leurs vaiffeauxrompuzpaua toute la mer,Lesplainesde leurs as, renucrfaleurs murailles,Et mit leur propre glaiue en leurspropres entrailles:

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189

Si que leurfang vingt ans aux meurtresa fourny,Et Dauid ne vit onqfon peuplefi puny.

Maintenantla Dèeffeinclineà leur prièreDoucene ietteplus leursplaintesenarrière,Ainspour guarir leurs maux, leurfait prefentd'vn Roy

Qu'enlieu de lupiter le Ciel voudraitpourfoy :

Quipar millevertus enfon amelogées,Des Roisfes deuancierslesfautes a purgéesAinfiqu'vneviSlimeexpiant leforfait!Que lepeuplea commis,Ù*qu'elle n'a pasfait.

Encorque la nature en naijfantl'ait fait Prince

Monarqued'vne grande & fertile prouince,Qu'il ait dèsfon enfanceauec le lai£lfucéL'honneurquifon renomaux affresa pouffé,Voireù" quefa vertu qui la terre enuironne,

Luymettefur lefront vue doubleCouronne:

Encorqu'enfa ieuneffe,auant quefon mentonSefrifaft de la fleur defon premiercotton,Ait (chargé du harnais) deuxbataillesguignées,Remisfur les autelsles Meffesdédaignées,Rendula reuerenceaux Imagesbrifez,Affemblezen accordfes peuplesdiuifez,Etfans bouffirfon coeurd'vne noirecolèreA tousfe Joit monftrénonpas Prince, maispère,Il ne doitfe fafcherfi le publiquefonDema trompeluychanteencorevne chanfon.

Le Princegénéreuxdoit les oreillestendre,Et d'ire nes'enfler quandon le veut apprendre.« Dieunefe voit iamaispar la faute affaillir :« Lenaturel de ïhommeefitfouuent defaillir.

Au retourdu pays oùva foujflantBorée,Il trouuafa Couronneenfeéïesfeparée,L'vn tenantceftarticle, & l'autre ceftuy-là:Maisfi tofltquefon front en Franceetincela

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IÇO LE BOCAGE

Rayonnantde vertu, chacunà fon exempleEmbraffanoflreEglife & mefprifale temple,Etferme nefut plus defe&escurieux,Par luyfait zélateurdes loix defes oyeux.

Si tojl le gouuernalne tournela nauire

Erranteau gré du vent, quele peuplefe vireVerslesmoeursdefon Prince, & tafcked'imiterLeRoyqui va deuantafin de l'inuiter.

Nyprifon, ny exil, nyla fiere menaceDe la cordeoudufeu, nyla loy nyla faceDu Sénatempourprénepouffenttant les coeursDu peupleà la vertu, quefont lesbonnesmoeursDu Princevénérable,&1quandlefceptre égaleLa bonne<ùriuflevie à la force Royale.

Pouratteindre aufommetd'vne telleéquitéIl faut la pieté ioinfleà la charité,Et la religiondont reliez nousfommes,Tant elle ejl agréableÙ' aux dieuxÙ"aux hommes!

La loy (toile d'areigne) ejl tropfaible, & nepeutLe Prince enuelopper,fi fon coeurne le veut,S'il ne croit que Dieufeul l'a pour nousapprouv.èe,Sansejlre inuentionpar les hommestrouuée,S'il ne la garantift, fi premierne lafuit,Sifa deuotionfur le peuple neluit.

Quandle ieuneFenix furfon efpauletendrePortele U61funèbre& l'odoreufecendre,

Reliquesdefon père,& plante fanspareilLe tombeaupaternel au templedu Soleil:Lesoifeauxesbahisen quelquepart qu'il nageDefes ailesramant,admirentfon image,Nonpour luyvoir le corpsdemille couleurspeint,Nonpour le voirfi beau,maispourcequ'il efifaint.

Oifeaureligieux aux Mânesdefon père,Tant dela pieté Nature bonnemère

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I9I

A planté désle naiftre enl'air Ù"dans les eaux

La viuacefemencees coeursdes animaux!

Donqueslepeuplefuit les traces dofin maiftre:

Il penddefis façons, il imitei? veut eftreSondifiiple, Ù"toufiourspour exemplel'auoir,Et fi former enluy ainfi qu'envn miroir.

Cela que lesfoudars aux efpaulesferrées,Queles cheuauxflanquez de bardesacéréesNepeut faire par force, Amourlefait feuletSansafjemblerny campnyveftir corcelet.

Lesvaffaux& les Roisde mutuelsofficesSecombatententre-eux,les vajfauxpar feruices,LesRoispar la bonté: le peupledefarmèAimetoufioursfin Royquand il s'en voit aimé.Il fert à'vn franc vouloir,quand il n'ejt neceffaireQu'onlefaceferuir : plus vn Roydébonnaire

Luyveut lafiher la bride & moinsil eft outré,Plus luymefmesla ferre Ù"fert defin bongré,Semet la tefte au ioug fous lequelil s'efforce,Qu'ilficouroit du cols'on luymettaitpar force.

C'ejl alors quele Prince envertus va deuant,Quimonftrele cheminau peupleleJuiuant,Qu'il fait cequ'il commande,& de la loyfuprémeRendla rigueurplus douceobeyffantluy-mejme,Et tant il eftd'honneurisr de louangeepoinSl,Quepardonnantà tousnefi pardonnepoint.

Quelfuiet neferait pieteux Ù" charitable

Deffousvn Roydeuot?quelfuiet miferableVoudroitdefis oyeuxconfommerles threfirsPour hommeeffeminerpar délicesfin corpsD'or, d'argent & defoye, oud'autre pompevaine,Quandle Prince n'aurait qu'vnvejiementde laine?Et qu'il retrancheraitpar edièlsredoutezLesfertiles moiffonsdesordes(joluptez,

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192 LE BOCAGE

CouppantcommeHerculesl'Hydre infâmedesvicesPar l'honneftefueur despoudreuxexercices?

Aforcer par les boisvn Cerf nufront ramé,Enferrervn Sanglier de defenfesarmé,Voirleureterle Lièureà la iambepelué,Voirpendreles Fauconsau milieude la nu'é,Faire d'vnpied legierpoudroyerlesfablons,Voirbondirpar lesprez l'enfluredesballons,A porter le harnois,à courir la campaigne,A domterfous lefrein vn beaugenêt d'Efpaigne,A faulter, à luitter d'vn brasfort <ùrvoûté,Voilàlesferremenstrenchantsl'oifiueté.

Maisporter enfon amevne humblemodefiieC'eji à mongré desRois la meilleurepartie.LePrince guerroyantdoit par tout foudroyer:

Celuyqui fiemaintient,doit bienfouuentployer.L'vn tient la rameau poing, l'autre efpieà la hune:En l'vn eft la prudence,en l'autre ejl la fortune.Toufioursl'humilitégaigne le coeurde tous:Au contrairel'orgueilattize le courrons.

Nevois-tu cesRochersremparsde la marine}Grondant contreleurs pieds toufioursleflot les mine,Et d'vn bruit efcumeuxà Ventouraboyant,Forcenantde courroux,en vagues tournoyantNe ceffede lesbattre, Ù" d'objlinezmurmures

S'oppoferà l'effortde leursplantesfi dures,S'irritant de les voir ne cédera fon eau.

Maisquandvn molfablonpar vnpetit monceauSecoucheentre lesdeux, il fléchit la rudejfeDe la mer, & l'inuite ainfi quefon hofleffeA loger enfon fein: alors leflot qui voit

Que le bordluyfai5l place, en glijfant fe reçoitAu giron de la terre, appaifefon courage,Et la lichantfe iouéà l'entour du riuage.

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ROYAL. IC)}

La Vignelentementdefes tendres rameaux

Grimpes'infinuantaux fejïes desOrmeaux,Et fe plye à l'entour de l'ejirangere efcorcePar amourfeulement,{y nonpas par laforce:Puismariez enfemble,Ù*les deux n'eftant qu'vnFontà l'herbevoijinevn ombragecommun.

Lapeftedes grands Roisfont leslanguesflateufes,EfpongesÙ*corbeauxdes terresfouffreteufes:

Mais lemal le plus grand qu'vn Princepuijfeauoir,

C'eftquandil hait le Hure, & neveut rienfçauoir.Le Roydont ie vousparle & que le ciel approuue,

lamaisenfa maifonl'ignorancene trouue.

Ayantfait rechercher(d'vne belleameefpris)Par tout enfes pays les hommesmieuxappris,Près de luy les approche(y les rendvénérables,S'honorantd'honorerles hommeshonorables:

Deparole il les loué,(y d'honneursauancezCommeils le meritoientles a recompenfez.

Il a voulufçauoir cequepeult la Nature,Et de quelpas marchoitla premièrecloflureDu Ciel, qui tournoyantfe reffuitenfon cours,Et du Soleilquifai61 lejien tout au rebours.

Il a voulufçauoir desPlanettesles lances,Tours, afpeblsiy vertus,demeuresiy diftances:Il a voulufçauoir les cornesdu Croiffant,Commed'vnfeu baflard il fe va remplijfant,SecondEndymionamoureuxde la Lunes

Il a voulufçauoir que c'ejioit queFortune,Quec'ejioit que Dejlin, iy fi lesaSlionsDes AJlrescommandoienta noscomplexions.

Puis defcendantplusbasfous lefécondefiageIl a cogneudu Feula naturevolage,Il a pratiqué l'Air combienil ejl fubtil,Commeil ejl nourrijjierde cemondefertil,

Ronsard.—Ul. 13

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194 LE BOCAGE

Commeil ejl imprimédeformesdifférentes.Il a cogneula Foudre& fes flècheserrantes

D'vn grand bruit par le vague, & fi leSoleilpeintL'arc au ciel enfubftanee,ous'il apparoijlfeint.

Puis il a fait! pafferfon efpritfous les ondes,A cogneude Thetislesabyfmesprofondes,Et du vieillard Protéea contéles troupeaux:Il a cogneuleflot iy le reflotdes eaux:Si la Lunea créditfur Vêlementhumide,Oufi l'amede l'Eau d'ellemefmefe guide,Eflançantfon efprit desterres à l'entourPour ne viure enpareffeÙ" cropirenfejour.

Puis venantfur la terre a vifité lesvilles,Leshommes<ùrleursmeurs& leurs reigles ciuillesPourfçauoir àfon peuplevnfoleil efclairer,Pour luy lafeherla bride oupour la luyferrer,Cognoiffantpar effet!toutesvertus morales.

Puis entrantfous la terre aux cauesinfernalesA cherchélesmétaux, (y d'efprit diligentSçeulesminesde plomb,de l'or <ùrde l'argent,Quellehumeurles engendreesveinesde la terre,Et le cuiure& lefer inflrumensde la guerre.

Puis d'vnfi haut trauail fe voulantdelajfer,Et d'vn braue Laurierfon feeptre entrelajfer,Prenant le Lut en main, que dextrementil guide,Sevafeul foulager en l'antre Piéride,Touteslesfleurs d'Euterpeattachantà fon front.

Apollonqui l'efeoute,&• les Mufesquivont

Danfant autourde luy, l'infpirent de leur grâce,Soitqu'il veille tournervue chanfond'Horace,Soit qu'il veillechanteren accordsplus parfaiSlsLesgejtesmartiaux que luymefmesafaiélsImitateurd'Achille, alors quel'ire outrée

L'enflammoitenfa nef contrelefils d'Atrée,

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ROYAL. 195-

Et quele Priamidearrengeantfis foudarsRompaitd'vn grand cailloula porte desrempars.

Nul Princen'eut iamaisl'amefi valeureuse,Nyfi douédu cield'vne mémoireheureufe.Demielenfin berceaula Mufel'arroufi,Pithonen l'allaittantfi bouchecompofiD'vnedoSleéloquence,afin defaire croire

Cequ'il veutauxfoudarspour gaigner la viôîoire,Ou pour prefcherfin peuple,& par graues douceursLeur tirer defa voixpar l'oreille les coeursCommefin deuancierHercule,dont la langueEnchefnoitles Gauloisdufil defa harengue.

Nul Prince, tantfoit grand, n'a le bruit auiourd'huyDemieuxrecompenferfes firuiteurs queluy,Nyfaire tant d'honneurà leurs cendresfunèbres,Lesrappellantau iour endefpit desténèbres:

Royqui ne peult lesfiens nyviuans oublier,

Nyquand la mort les vientde leur corpsdefiier,Fauorifint les vus defes faneurs premières,Lesautres d'oraifins, de voeuz& deprières.

Quandla Parqueennemieaux Valloisnousrauit

Charles,Aftredu ciel,par touteFranceonvitLesMufesfe cacher:Phoebusnofoit rien dire,

Nyle Dieuvoyageurinuenteurde la Lyre1LesLaurierseftoientfies; fie le bord Pimplean,Lefilenceeffroyoittout l'antre Cyrrhean:De limonÙ"defable, Ù1de bourbeefloupéeClaire ne couroitplus la fourceAganippée.LesMufesmaintenanthonorantfin retour,Couuertesde bouquetsofentreuoir le iour:Phoebusn'a plus la mainnyla voix refroidie,Et des Lauriersfinis la tefte eft reuerdie,Voyantcegrand HENRYdespeuplesconquereurLesaimer, ù'fi plaire enleur doucefureur,

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I96 LE BOCAGE

Et cïvneamequivit d'Apollontoutepleine,Faire parler Thefpie,(? coulerfa fontaine.

Nul poèteFrançoisdes MufesferuiteurNeprefenta iamaisouurageà fa hauteur,Qu'il n'ait recompenfêd'vnprefent magnifique,Honorantle bel art que luymefmeil pratique,Et ne l'ait carefféà'acolladesoud'yeux,Inuitant l'artizan à faire encoresmieux.

Tels eftoientles bonsRoisde l'âge plus fleurie,Numale Sacerdoteinftruit par Egerie :Tel eftoitNumitorÙ1cespères RomainsQui auoientdu labeur les empoulleses mains:Tel Eufrate empalmédefin riuage humideVitSalomonrégnerfur le throne Ifacide,Dont lesfceptres eftoientdespeuplesredoutezPar la loyqueportoientleurs glaiues efpointez,Ayant en lieudufer la douceurpour leur marque.

Telfut le RoyFrançoisdeslettres le Monarque,Tel efi ce bonHENRY,qui Prince tres-humainPortede fes fubieBs les cwursdedansfonfein.

Ny corceletsferrez, ny targues, nyheaume,Ny cheuaux,nyfoudards, negardentfon Royaume,Nyfojfez, nyrempars,maisfa feule vertu

Quile peuple combatfans eftrecombatu.Au contraireAlexandreaffaméd'auarice,

Enfléd'ambition,qui réduit auferuiceLefceptre de Cyrus, & qui fijt fon harnoisLuire commevuefoudre aux riuages Indois,Et cesfiers Empereursde la maifireffeRomme

Qui couuroientvn afpicfous la formed'vn homme

EJlansPrinces cruelseurentcruellefinOu par lefer meurtrier, oupar lefroid veninOnt efpanchéleur vie, ù" mortsfans fepultureOnt eftédes corbeaux&• des,chiensla pafture,

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ROYAL. I97

Sansauoir le loifirque leurscheueuxgrifonsHonoraient leur tejieen leurspropres maifons.

Le bonPrince Trajan & le bonMarcAurelle

Ont vieillarsaccomplileur vie naturelle,Ont veupour leur trefpas la Republiqueenpleurs,Et leurs tombeauxcouuertsde cheueuxi? defleurs.

Nature quipeut tout, dont le ventredejferreToutesperfeBions,ne donneà noftre terre

Rienfi parfait qu'vn Roymodejleàr modéré,Et au poidsde vertu iujlementmefttrê.Seulentre les humainsil a peinte au vifageDe Dieula vénérable& redoutableimage:Il en eft le mirouer: fi par vn vilain trait!De l'imagequ'il porte, il fouille le pourtrait,Si quelqu'vnle diffame,empoifonneoumajjacre,Dieu ialoux de l'honneurdefon faint'fimulacrePunira leforfait, fans laijfer inuangêQuiconqueaura méchantfon portrait outragéEt nefouffrant en terre vnfeul pas defa trace,Perdra luyfes enfansfa maifon& fa race.Puis moyqui de ma langue annoncevérité,Enchanterayl'hijloireà la pofterité.

Ainfidiji la Deeffe,Ù" defa boucheronde

Enuoyade HENRYles honneurspar le monde.

A luy-mefme.

Si l'honneurdeporter deux Sceptresen la main,Commanderaux François& au peuple Germain

Qui de l'Ourfe Sarmatehabitela contrée:Si des Vénitiensla magnifiqueentrée,

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LE BOCAGE

Si auoir tout le front ombragédeLauriers,Si auoir pratiqué tant de peuplesguerriers,Tantd'hommestant demoeurstant defaçonsejlranges:Si reuenirchargéde gloire ù1 de louanges,Si ja commevn Cefar conceuoirl'Vniuers,Vousa fait oublierle chantrede cesvers,

Roydontl'honneurnepeut s'amoindrirnys'accroijlre,Sansvousdire fon non vous le pourrez cognoijlre.

C'ejl, Prince, c'eft celuyqui d'vn coeurcourageuxGrimpa dejfusParnajfeen croupesombrageux,Importunantpour vous lesfillesde Mémoire,QuandDieuprès de larnac vousdonnala viSloire,Quandvoftrebras arméfut le iour des François,Quand la Charante,fleuueau peupleSainèlongeois,Vousveitprefquefansbarbe,ainfiqu'vn ieuneAchille,Foudroyerl'ennemifur fa riuefertile,Remirantenfes eauxvos armes& l'efclairDevoftremorion(? devoftrebouclair,Quiflamboyenttout ainfi quefait vue Comète,Qui gliffantpar le Ciel d'vne crineufetraiteTombedejfusvn camp,Ù" va ftgnant les deuxDe cheueuxrougiffansd'vnfeu prefagieux.

Cefut quand voftremainà craindrecommefoudre,Fiji à la gent mutineenfanglanterla poudre:Quandnosautelsfacrez rouirentleurs bonsSainSls,Et quandmilleeftendarstousdefchirez,Ù" teintsDepouffiereÙ1defang, pour immortelsexemplesD'vn long ordreattachezpendirentà nostemples.

Encorequ'vn tel aBe honoréde bon-heur,Eujl befoinde trouuervnfuperbefonneurQui d'vn bruit héroïqueeuft enflélestrompetes:Si ejl-ceque la voixdesplus brauesPoètesDepeur fut enrouée,& le vent de leurfeinNefortit pour enflerla trompetted'airain,

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i99

Chacuncraignantfa vie enfaifonfi douteufe:Oà celuyfans tremblerd'vue craintehonteufeQui vousefcrit cesvers, affeurèvouschanta:

Sur le haut d'Heliconvos trionfesplanta:Et fi en combatantvoftre lancefceut poindre,Célébrantvoshonneursfa languenefut moindre,Oeuurefi agréableà vousPrinceveinqueur,Quevous louaftesl'Hymne& l'apprijlcspar cueur.

Maisquand toute la Franceà tromperbien-aiféeD'ardentesfaSlions<ùrde guerre embrafèeEftoitfous le razouer, Ù"l'horriblemechefSouftenud'vn filet nouspendoitfur le chef,Et la victoireneutreerrant entreles armesPartizanneesbranloitle coeurde nosgend'armes,Incertainsquiferait par la faneur des deuxDes deux campsfi puijfans lefeul viflorieux:Vouspourfauuer le Sceptre,& nosSaintstutelaires,Nosautels, nos7naifons,vous-mefmesù1 vosfrères,Et voftremère,helas! qui depeur frcmijfoit,Et tout le Cielpour vousd'oraifonsempliffoit:

Vous,dy-ie, en-orgueillideforces animées,

Auprèsde Montcontourcampaftesvosannées,Liurajlesla bataille, oùDieu vousregardoit,Oùfa Croix dejfusvous]ESUS-CHRISTeftendoit.

Làfurent enuoyezpar vosmainsmartialesSeizemillemutinsaux ombresinfernalesViSlimede Pluton: fi que tout Moncontour,La riuiere de Diue, Ù1les champsd'alentour

Sonnoyentdejfousvoscoups,quipauerentlesplaces,Champs,chemins& guerets, de puantes carcaffes,Et d'offemensde mortsl'vn fur l'autre arrangez.

Lesfilions dupais enfurent fi chargez,Voirefi engraiffezde charongneuxcarnages,Et les ventresdeschiensù1 desbeftesfumages

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20O LE BOCAGE

(Tombeaudes ennemis)fi gras & fi refaits,Qu'onle peufl égaler cemoindrede vosfaitsAu plus grand des Romains,tant méritade gloireA l'extrêmepéril vne telle vitloire.

Celuyqui la chanta, raui d'efprit allaSur les eauxde Permejfe,aux Mufesil parla,Lesentretintde vous, isr vousfifl vn telhynne,QueDaurat grand fonneurde la lyre LatineLa daigna bientourner,à fin qu'vndoublevers

Semaftvoftre renompar cegrand Vniuers.Vniour qu'il celebroitlefeu Royvoftrefrère,

SonCharlesfonfeigneur, Prince tout débonnaire,Letançant luydifoit: N'efcriuezpoint de moy,Efcriuezde monfrère, efcriuezdefa foy,Et commefa vertu prodigue de prou'effeS'immolantenmonlieu le Sceptremeredrejfe.

Admiranttelleamourqu'au mondeonne voit plus,Il baftitde Caftor le temple(? de Pollux,Et vous le dédiapour remarqueimmortelleD'vne rare amitiéfi fainte Ù"fraternelle.

C'eftceluyquipour vousencentmillefaçonsFitfonnets ir difcours,ecloguesù" chanfons,Mafcarades,tournois,Ù1chiffres{? deuifes,Et brefqui a chantétoutesvos entreprifes.

Mefmeà voftreberceauquandencorvouspendiezDans lesbrasnourriciers,le iour que vousrendiezCommevn nouueauSoleil, l'empliftde hardieffeDe vous iou'êrvne Odeenfi baffeieunejfe,Et faifiez tout raui, la teftefou-leuant,Semblant,ce luyfembloit,de l'aller approuuant.

Quandvousfuftes eficuMonarquede Polongne,Que Dieufur voftre tefteen pofa la Couronne,Et qu'ilfallut partir d'entre les bras aimezDevosplus chersparens en larmesconfumez:

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Qu'il vousfallut laijfer le douxair de la France,Capitaines,foldats, amis& cognoiffance,Quechacunvousfuiuoit d'vnehumbleaffeclion,Il ne chantaiamaisde telleEleôlion,D'autant qu'elleemportaitdes Françoisla lumièrePour enpays ejlrangeefclairerla première.

Or à voftreretour, qui luift commevn SoleilSortantde l'Océan enfiâmesnompareil,Qui donneiour auxfiens difftpantles ténèbres,Etde noftrefeu Royles complaintesfunèbres:Il a gros d'Apolloncélébréceretour.Leshommesvolontiershonorentplus le iour

Quela nuiôl tenebreufe,& Vefpern'eftji belle

Que l'Auroreau matinquifort toutenouuelle:

Auffivoftreapparoiflreaux Françoisfait fentirPlus d'allegrejfeau coeurque vojlre départir.

Maisainfi quele iour découuretouteschofesQue ïombrefommeilleufeenfes bras tenoit clofes,Brigandages,larcins, <krtout ceque la nuitReceléde mauuaisquand le Soleilne luit:

Ainfinousefperonsque lesguerres ciuiles,Licencesdefoldats, faccagemensdevilles,Quiregnoyentfans frayeur de voftreMaiefté,S'enfuirontesblouisdauant vojlre clairté.

Chacund'vn oeilveillantvos aElionscontemple:Vouseftesla lumièreaffifeaufront du Temple.Si ellereluit bien, voftreSceptreluira :Si ellereluit mal, le Sceptrepérira.« Il faut bien commencer: celuyqui biencommence,« Sonouurageentreprisde beaucoupil auance.

Sire, commencezbiena voftreaduenement,De tout aère la fin fuit le commencement.Il faut bienenfourner: car telle qu'eftl'entrée,Volontierstellefin s'eft toujioursrencontrée.

M-

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202 LE BOCAGE

Vousne venezen Franceà paffervue mer

Quifait tranquille (y calme(y bonaffieà ramer:Elle ejl du haut enbas defaclions enflée,Et de religionsdiuerfementfoufflée:Elle a le coeurmutin, toutefois il nefautD'vn baftonviolant corrigerfon défaut:Il faut auec le tempsenfon fens la réduire:« D'vn chaftimentforcé le méchantdénientpire.

Il faut vn bontimonpourfe fçauoir guider,Biencalfeutrerfa nef,fa voilebienguinder:La certaineBourfolleejl d'adoucirles tailles,Eftreamateurdepaix, (y nonpas de batailles, _,Auoir vn bonConfeil,fa lufticeordonner,Payerfes créanciers,iamaisne maçonner,Eftrefobre en habits,eftre Princeaccointable,Et n'ouïr nyflateurs nymenteursà la table.

On efperede vouscommed'vn bonmarchand,Ouigaillard iy ruzé va les Indescherchant,Et retournechargéd'vne tref-richeproye,Heureuxpar le trauail d'vnefi longuevoye:Il r'apporte de l'or, <ùrnonpas de l'airain.

Auffivousauriezfait vn telvoyageen vain,Veule Rhin, le Danube,tfy la grande Allemaigne,La PoulongnequeMars iy l'Hyuer accompaigne,Viennequi au Cielfe braue de l'honneurD'auoir fceu repoujferle campdu Grand-Seigneur,Venifemarinière, (y Ferrare la forte,Thurin qui fut François,iy Sauoyequi porteAinfi quefait Atlas,fur fa tefte les deux :En vain vousauriez veu tant d'hommestant de lieux,Si vuidedeprofit en vuebarquevaineVousretourniezen Franceaprèsfi longuepeine.

Il faut faire, monPrince,ainfi qu'Vlyfjefit,Qui despeuplescognusfceutfaire fon profit,

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20}

Commeà voftre retourfoigneufementvousfaites,HonorantvoftreEftat des loix lesplusparfaites,

Ayantà vosFrançois,aprèsmille dangers,Enfeignéles vertus despeuplesejirangers.

Maisquoy>Prince inueincu,lefort neina fait eftreSi dotle que ie puiflfleenfeignervn tel maiftre:En difcoursfi hautainsie ne doym'empefcher,Et ne veuxfaire ici l'officedeprefcher.Ma languefe taira : vosSermonsordinaires,La complaintedu peuple, Ù1vospropresaffairesVousprefcherontajflez: cepapierfeulementS'en-va vousfaluer, & fçauo-irhumblementDevoftreMaiefté,fi vousfon nouueaumaiftreLepourrez par fa Mufeencoresrecognoiftre.

Il n'a pas l'Italie enpofte trauerféSur vn chenalpouffif,fuant iy harajflé,Qui a centfois tombéfon maiftrepar la courfie:Il n'a vendufon bienafin d'enflerfa bourfePourvousaller trouuer, Ù1pour parler à vous,Pourvousbaifer lesmains, embraffervosgenous,Profterneradorer: il ne lefçauroitfaire,Son humeurfantaftique eft aux autrescontraire:Ceuxqui n'ont que le corpsfont nezpour telsmeftiers:Ceuxqui n'ont que l'efprit ne lesfont volontiers.

Toutefoisfans courir & fans changerdeplaceIl eft affleuréa"eftreen voftrebonnegrâce :Encorle defefpoirne l'a pas combatu,L'honneuraimel'honneur,la vertu la vertu.

S'il vousplaift l'appeller,fans farder vne excufeIl vousira trouuer auecla mefimeMufeDont il chantaHenry,fon Charles,& auffiVousa prefientfon Roydes Mufeslefiouci:

Oufi voftredifgrâceà cecoupil eflflaye,Ilfera cazaniercommevn vieilMorte-paye

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204 LE BOCAGE

Quirenfermefa vie en quelquevieil chafteatt,Parejfeux, accrochantfis armesau rafteau,Aupais inutile, (y veineude parejfePrès defin vieil harnaisconfinefa vieillejfe.

A luy-mefme.

A vousracede Rois,Prince de tant de Princes,Oui tenezdejfousvousdeuxfi grandes Prouinces,Qui par toute l'Europeefclaireztout ainfiQu'vn beauSoleild'Eflédefla?nesefeiarci,Que l'efiranger admireù1 lefuiet honore,Et dont la maieflénoftreJiecleredore:

A vousqui auez tout, ie nefçaurois donner

Prefent, tantfoit-il grand, qui vouspuiffeejlrener.La terre ejl prefque voflre, Ù"dans le Ciel vousmettre,le nefuis pas vn Dieu, ie nepuis lepromettre,C'efi à faire auflateur : ie vouspuis monmeflierPromettrefeulementde l''encreÙ1dupapier.

le nefuis Courtizan nyvendeurdefumées,le n'ay d'ambitionles veinesallumées,le nefçauroismentir, ie ne puis embrafferGenoux,ny baifermains, nyfuture nyprejfer,Adorerbonneter,iefuis trop fantajlique:Monhumeurd'Efcolier,ma liberté rufiiqueMedeuroyentexeufer,fi lafimplicitéTrouuoitauiourd'huyplace entre la vanité.

C'ejl à vousmongrand Princeàfupporter mafaute,Et melouerd'auoir l'amefuperbe Ù1haute,Et l'efprit nonferuil, commeayant de Henry,DeCharles,de Françoistrente ans efténourri.

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20f

Vngentil Cheualierqui aimede nature

A nourrir des harats, s'il treuued'auanture

VnCourjiergénéreux,qui courantdespremiersCouronne[on feigneur de Palme& de Lauriers,Et couuertdefueur d'efcume(? depoudrièreR'apporteà la maifonle pris de la carrière:

Quand[es membresfont froids débiles& perclus,Quevieillejjel'affaut quevieil il ne courtplus,

N'ayant rien dupajfé que la monftrehonorable,Sonbonmaiftrele loge au plus hautde l'eftable,Luydonneauoineù1foin foigneux de lepenfer,Et d'auoir bienferui lefait recompenfer:

L'appellepar fon nom, & Ji quelqu'unarriue,Dit : Voyezcecheualquid'haleinepoujjlueEt d'ahanmaintenantbatfes flancs à l'entour,l'eftoismontédejfusau campde Moncontour,le l'auois à Iarnac, maistout enfinfe change:Et lors le vieilCourjierqui entendfa louange,Hannijfantisrfrappant la terre, fe fou-ritEt beniftfon feigneur qui fi bienle nourrit.

Vousaurez entiersmoy(s'il vousplaift) tel courage,Sinonà vous le blafme,Ù" à moyle dommage:le refue!voftremainmedoit faire fentirQue la maifondesRoisne logevn repentir.

Mais tefuis importun,la perfonneimportuneNe rencontreiamaisvnebonnefortune :

Laijfonsfaire au deftinqui nousdonnela loy,Le deftinde grand Ducvousa fait vn grand Roy:Puis il nefaut iamaisouparler à fon maiftre,Oufaut de douxpropos les oreillesluypaiftre.

SIRE,voici le moisoù lepeupleRomain

Qui tenait tout le mondeenclosdedansla main,Donnoitauxferuiteurs, par manièrede rire,

Congéde racontertout cequ'ils vouloyentdire :

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206 LE BOCAGE

Donnez-moy(s'il vousplaift) vnfemblablecongé,l'ay la languede rongne<&lepalais mangé,Ilfaut que ie lesfrotte, ou il faut que ie meure,Tant le mal grateleuxmedémangeà touteheure.Puis voicile Printempsoùfe purge vn chacun,Il faut que monhumeurfe purge fur quelcun:Maisie ne puisfans vous!fans voftrefaneur, SiRE,le n'ofe enuenimerma langue à la Satyre.Si efl-ceque la rage Ù"l'vlcerechancreuxMetient de compofer: le mal efi dangereux,Et neplaift pas à tous: maisfi ie vouspuis plaire,Il meplaift, vousplaifant, d'efcrire<ùrde defplaire.

Qui, bonsDieux, n'efcriroitvoyantce tempsici!

QuandApollonn auraitmeschanfonsenfouci,Quandma langueferait fans Mufes,& muette,Encorespar defpit ie deuiendroisPoète.

C'eft trop chantéd'Amour, isr en trop defaçonLa Francene cognoiftque cemauuaisgarçon,Quefes traits, quefes feux : il faut qu'vneautre voyePar fentiers incognusfur Parnajfem'enuoye,Pour meferrer lefront d'vn Laurier attaché,D'autre mainquela mienneencoresnontouché.

Apresquevoftre efprit <&vosmainsdiligentesSerontlajfes dufaix desaffairesvrgentes,Aux heuresde plaifir vouspourrez voftreefpritEsbatrequelquefoisen lifant monefcrit.

S'ily a quelquebraue oumutin quife fafche,Et qui entrefes dentsdesmenacesremafchePourfe voir oude biensoudefaueur défait:Si va plus qu'il nedoit veut monteren crédit,Si quelqv'vnenfaueur defa faueur abufe,S'il fait le Courtifan(? s'armed'vnerufe:Si quelqueviloteuraux PrincesdeuifantContrefaitle boufon,lefat, ou le plaifant:

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ROYAL. 207

es.Si nosPrélats de Cour ne vontà leurs Eglifes,Si quelquetrafiqueur quivit de marchandises,Veutgouuemerl'Ejlat faifant de l'entendu:

Si quelquvn vientcrier qu'il a tout defpenduEn Polongne,& qu'il braue enfléd'vn tel voyage,Et pour lefien accroiftreà tousface dommage:

Si plus quelquevalet de quelquebas meftierVeutpar force acquérir tous les biensd'vn cartier :

Si plus nosvieux corbeauxgourmandentvos Finances,Siplus onfe dejiruitd'habits<&"de defpences,EtJi quelqueaffaménouuellementvenuVeutmangeren vn tour tout voftre reuenu,

Qu'il craigne mafureur, d'vne encrela plus noirele luyveux engrauer lesfaits defon hiftoireD'vn long trait fur lefront, puis aille oùil pourra,Toufioursentrelesyeux ce trait luy demourra.

leferay commevn Ours quele peupleaiguillonne,Qui renuerfela tourbeÙ1mordtouteperfonne,Degrand nyde petit ne medonnantfouciSi l'oeuurevousagrée, ir qu'il vousplaife ainfi.l'ay trop long tempsfuyui le meftierHeroique,Lyrique,Elegiaq': ieferay Satyrique,Difoy-icà voftrefrère, à CharlesmonSeigneur,Charlesqui fut montout, monbien & monhonneur.

Ce bonPrinceen m'oyantfe prenait a fourire,Mepriait, m'enhortoit,mecommandoitd'eferire,D'eftre tout Satyriqueinftammentmeprejjoit :Lorstout enfléd'efpoir qui de ventmepaiffoit.Armédefa faneur ie promettaisde l'eftre:

Ce-pendanti'ayperdu ma Satyreiy monmaiftre.AdieuCharlesadieu,fommeillesen repos:Ce-pendantque tu dorsiefuiuray monpropos.

Il n'y a ny Rheubarbe,Agaric, ny racine

Quipuiffemieuxpurger la maladepoiSirine

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208 LE BOCAGE

Dequelquepatientfiéureux oufurieux,Quefait vue Satyrevn cerueauvicieux,Pourueuqu'on la dejirampeà la moded'Horace,Et nonde luuenal qui trop aigrementpajfe:Ilfaut la préparerfi douce& fi a point,Qu'à l'heurequ'on l'aualle onne lafente point,Et que le mocqueurfoit à moquerfi adefire,One le moqués'en rie, <£rne penfepas l'ejlre.

O Prince monfupport, heureux& malheureux:Heureuxd'auoir l'efprit fi vif & généreux,Et malheureuxd'auoir désla premièreentrée

VoftreFrancerebelleen armesrencontrée,D'ouyr de tous cojiezrefonnerle harnois,Violerla lufiiceÙ1mefpriferles lois,Et prefquetout l'EJlat tomberà la renuerfePar vne dejiinéeà la Franceperuerfe:

Receuezs'il vousplaifi, d'vn vifageferainEt d'vn front déridémonefcrit, que la mainDe la Mufea diclé cejienouuelleannée,Pour en vousejlrenantfe reuoirejlrenée.

Ne la mefprifezpas, bienquefoyezyjfuD'vne race isr d'vn fang de tant deRois conceu,Et nefermezaux vers l'oreilleinexorable:Minerueautant que Marsvous rendravénérable.

Hommene penfez ejtreheureufementparfait :De mefmepeauque nousNaturevousa fait :Dieu toutfeul eft heureux,noflrenaturehumaine

Miferefur mifereen naijfantnousameine:Et nefaut s'esbahirfi nousauonsicyPourpartage éternella peineisr lefoucy.

On dit que Promethéeen paiftrijj'antl'argile,Dont il fit des humainsl'ejfencetrop fragile,Pour donnerorigineà nospremiersmalheurs,En lieud'eau la trempadefueurs & depleurs :

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ROYAL. 209

Car plus l'hommeeft heureux,plus Fortunel'efpie.A telle qualiténous trairionsnojlrevie.

Maisc'ejl trop babillé,il fe faut defpefcher,Soutienten voulantplaire on nefait quefaj'cher.

QuandHerculeou Atlasont chargéfur l'ejchineDecegrand Vniuersla pefantemachine,

Quede colÙ3de tefte& de brasbiennerueux

Sebandentfous lefaix qui tomberaitfans eux:

Si quelquefafcheuxfot arriuoit d'auenture

Qui vint lesamuferd'vne longueefcriture,Ou d'vn maigre difcoursfait enprofe ou envers,

Offenferoit-ilpas contretout VVniuers?

Malin i'offenferoiscontretoute la France,Dont vousportez lefaix dés voflreieuneenfance,

S'importuni'amufoisvoflrediuin efprit(Aux affairesbandé)par vnfafcheuxefcrit.

Dieune demandepas (car Dieurien ne demande)

Qu'on chargefes autels d'vnepefanteoffrande:Il n'aimeque le coeur,il regardeau vouloir,Lafeule volontél'offrandefait valoir.

Ainfifuyuant de Dieu la diuinenature,Vousprendrez monvouloir, ù1 nonmonefcriture.

SONGE.

A luy-mefme.

Nospères abufezpenfoyentque lefongerDu matin, n'ejloitpoint nyfaux ny menfonger.Au contraire,monRoy, iepenfeque tousfongesSansrienfignifier, nefont quedesmenfonges,

Ronsard.—III. I4

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LE BOCAGE

Et queDieu ne voudroit (Dieu qui nepeut tromper)Defantofmesconfusnoflreameenueloper,S'apparoiffantà nous, quandlefommeilcommandeAn corps enfeuelyde vin& de viande:Maisplujiofi enpleintour, alors qu'il ejlpermisDe veiller, ù1 d'auoir lesfens nonendormis,Et fçauoir difcernerfi l'imagelégèreQuipouffenojlreefprit, eftfaujfe oumensongère.Or fans tant difcourir, ie vousdiray lefait! :

Uouuragecommencés'en va demy-parfaicl.lefongeois l'autre nuiclvn peu deuantVAurore,

Quanddu Soleilnaijjant lescheuauxfont encoreEn la mer, & leurs crinss'efpandentpar les deux,Qu'vn buiffonefpineuxfe monjiroità mesyeux,De roncesremparé, fortifiéd'eauviueEt d'vn largefoffê, dont la gliffante riueMemonjiroitque du bas iufqu'auplus haut du bordLe paffageeftoit clos, tant le parc efloitfort.

Dedansfaifoitfa baugevne beflefauuage,Qui iamaisautrepart ne cherchoitfon gaignage,S'auiandantde glands, qui fecsfe defroboyentDes chefnesen Automne,Ù" à terre tomboyent.Lesvoifinsdu pays l'appelloyentLa merueille:Sagueulle efloitdentée,effroyablel'oreille,Ventrelarge Ù1panfu, la peau rudeau toucher,Etfon front fe drejjoit enpointede clocher.

Il n'y auoitfeigneur, marchant, nygentilhomme,Qui n'eufl courula befte,ainfi qu'onfait à RommeLe Buflepar la ville, alors queles RomainsDe traiBs iettezfur luyfe defarmentles mains.

Tranfportéd'vneforte & chaudefrenaifie,Apres tant de coureursil meprift fantaifieDe les deuancertous, {y commebonveneur,Faire bienmonenceinte,& en auoir l'honneur.

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ROYAL. 211

Celane m'effraya,ny nepallit maface,Voyantde mesvoifinsleschiensmortsfur la place,Et les autres bleffezau logis reuenir:Maisplufloft irrita moncourrouxà tenirFort contrele Sangler,fuyuant monentreprife,Ou mourir au combat,ouvoir la befteprife.

le defcouplaymeschiens,& fsr-huant aprèsLesnommantpar leurs noms,il n'y eut nyforefts,Montaignesny chemins,ny lande inhabitée

Qui nefifj'entvn bruitfous ma chajfeamutèe.Errant efgratigné de roncespar les bois,Tantoftd'vn tramde trompe,ù" tantoflde la voixle leur donnoycourage,& leur monflroisla voye:Maiscoiiarsfans la mordreils aboyoientla proyeA gueuleouuerte,ainfi quede nuitl en refuantUsmordentl'ombreaux dents,.& abboyentle vent.

le fisfonnerpour chiens: la trompeles ajfemble.Coupablesde leurfaute ilsfe rendentenfembleTous craintifs à mespieds d'vn vifageabaiffé,Puis commedespoltrons ainfi ie lestancé.

Chiensindignesdefuture vuebefleà la trace,Chiensgris qui démentezvoftrepremièrerace,Dont le bonfainSl Hubertpar lesforeftscherchoitLesfangliers, iy leur hurea fon huisattachait:

Rendez-moymaintenant,,rendezla recompenfeDufoin que i'ay de vous, n efpargnant la defpcnfeNy le bontraitementpour vousfaire nourrir,A fin defurpaffer lesautres à courir.

Auantque le Soleilplonge enla merfa teflc,Retournezau logis brauesde la conquejle,Lemuffleenfanglantè,le corpsnauréde coups,Ou vousferez cefoir le carnagedes loups.

Ainfi les menaçantils monjlroyentau vifage,Abboyantcontrel'air, d'auoir meilleurcourage.

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212 LE BOCAGE

Au plus fort du taillis vn gros hallier ejloit,Dedanspour repofer lefangler fe mettoit,Hallier que le Soleildefes rayonsneperfe,Tant rameauxfur rameauxd'vne obfcuretrauerfeEnfembleentre-lacezle haut s'efpcfiffoit,Et le basplein d'effroyd'ombresfe noirciffoit.

Au milieucropiffbitvue marefangeufe,Oùfouloit à midicefiebefleoutrageufeFouiller,ù" toutfon corpsde bourbereueflir.Là ie pouffemeschienspour lafaire fortir :Là l'efpieudans la main, courageuxie deuanceMa chaffede vingt pas, ie la tanceù" retance,le la preffe&"la hue allant tout-a-ï entour,Mais en vain: car plujloft ie vyfaillir le iour,Qu'elleofaji approcherdu Monftrepour le mordre:Au contraireil s'élance,Ù1les mit en defordre,Maffacrantla moitié,puis morts lesfecouantDu groin les enleuoit,Ù*s'enallait louant.

Troisfois recréad'ahan, ie m'eflensfur la place:Troisfois reprenant coeur,mesarmesèr l'audace,le retourneau combat,defureur tranfportè,Qu'vnfinglier fur meschiens eujll'honneuremporté.Il ejloit défianui51,isr la LunepremièreDoroit le haut desboisd'vne blondelumière,Quand regardantfon arc nouuellementpliéD'vnecornevoûtée,ainfi ie la prié:

Lune,l'oeilde la nui51,qui reluis à trois faces,Deeffedesveneurs, des chemins& deschajfes,Tu as courbétrois fois tes voûtesenvn rond,Et trois foisreplanté tescornesà ton front,Depuisle iour qu'errantpar cesboisie m'amufeAfuiure pour-neantvne beftequi rufe:Guidemamain, Deeffe,& m'enfeignele lieu

D'où iepourrayfanglant retirer monefpieu,

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ROYAL. 2I"5

Et fais par ta faneur que monfouhait aduienne,O desajïres l'honneurvierge Latonienne.

Commeainfi iepriais, la Lunem'entendit,Quifoudain defon ciel en terre defcendit:Puisdefpouillantfon front Ù"fa corneargentine,Prijl la forme<ùfl'habit d'vne miennevoiftne,Qu'ondifoit toute nui5lparler aux animaux,Etpar charmestirer les efprits des tombeaux,

Enforcelerles bleds, ù"faire à contre-courfeLesruijfeaux esbàisretournerà leurfource.

Enmeheurtantdu coudeainfi mevint tarifer:AhmalheureuxVeneur,tu esfot de penferQu'vnmonftrefi cruelfoit néde la natureDesautres animaux: quitte tonauanture,Et chercheautreparti: oubienfois diligentDe trouuervn limier, Ù1des chienstousd'argent :Labeftenefe prendfinon entelleforte.

A tant s'efuanouit: l'air venteuxqui l'emporte,Fiji vn bruitpar la nuiôl,& toutfoudain la peurEfcoutanttelsproposmevint glacer le coeur.

Commeie m'eftonnoisdefa refponfeobfcure,le vousvi, cemefemble,en vne clairtépureReluireautour de moy,mefmefront, mefmesyeuxQuevousauez alors qu'entreles demi-dieux

Devoftrefaint Confeiladminiftreziuftice,Honnorantla vertu, <ùrchaftiantle vice.

Puis mediftesainfi: Quelfort te menaçantTe tientfi tard au boisà l'ombredu Croijfant,Quand les hommeslajfez, Ù1quandtouteautre chofeOubliantle trauail enfon liôife repofe>Contemoytonmechef:c'efi lefaifl d'vnbonRoyD'aider àfon fuiet enpeine commetoy.

O Prince, mais0 Dieu, dont la celeftefaceNe s'apparujl iamaisà noftrehumainerace

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214 LE BOCAGE

Sinonpourfaire bien, s'il vousplaiji meprefterVojlreoreille,en deuxmotsie vous le vais conter.

Six moisfont ja pajfez, quefiant fous la peinele pourchajfevn Sanglier d'vne efperancevaine.Vnevieillem'a dit queiefois diligentDe trouuervn limier& des chienstous d'argent,Si ie veux tellebefteen mestoilesfurprendre:Qu'autrementiem'abufe, & nefaut m'y attendre.

lefuis tout esbahides proposqu'elledit,A qui la raifonmefme&"lefens contredit:Car iamaischiensd'argent nefurent en nature•

C'eft tout cequepeutfeindrevne vainepeinture.Vousrefpondifteslors : Dieun'eftiamaisl'appuy

D'vn coeurquife desfie Ù1ne s'ajfeureen luy.LesPrinces& les Dieux ontpouuoir de tout faire :

Hérétiqueejl celuyquipenfele contraire.

Recouple-moytes chiens,ie te puis ajfeurerQue tu voirrasbientoft cemiracleauerer.

Enmedifant telsmots, d'vne blanchehoujjtneQuevousauiez esmains, vousfrappafics l'efchineDemeschienspar trois fois, (? fondainfans bougerD'vne place, en argent ie lesvy tous changer.Leurvoix ejloit d'argent, leurs mufflesÙ1leur veiie,Les oreilles,lefront, lespattes Ù"la queue,Et n'auez Treforiertant foit ferme(? confiant,Qui ne les euflbienpris pour bonargent contant.

O Prince,fi Cerés,fi Mars & fi NeptuneMe commandoyenttous trois contre la loycommune:L'vn defaire par l'air des naturesmarcher,L'autre d'enfemencerla pointed'vn rocher,Et l'autre fans foudars donnervnebataille,le leur obeyrois.- il nefaut que l'hommeailleContrela Deité, & nefaut point auoirDe doute, que les Dieuxnousvueillentdeceuoir.

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ROYAL. 2If

le m'envais rechajferdejfousvojtreparole

Qui iamaisfans effet!par le ventne s'en-vole,Et fous voftrepromejfe,en laquelledouter

Ceferoit horsdu Cielles Dieux vouloirofter.

Donquesfouuenez-vous,fi la beftemedonte,

Qu'à vousfeul, nonà moy,fera toutela honte:

Vouseftesle motif, ie ne fuisfeulement

Quel'organe qui fert à voflremandement.

Aujfifi ie la prens, tout au plus haut dufefteDevosportauxfacrez l'en appendrayla tefte,Pour donnervn exempleà vospeuplesFrançoisDe ne douter iamaisd'obéir à leurs Rois.Puis i'efcriraydejfous,le celuy,qui lesfongesN'aguieresri eftimoisquefablesù" menfonges,le lescroymaintenant,tant vaut la véritéD'vn miracleenmoyfait par vne Deité.

DISCOVRS DE L'EQVITE'

DES VIEVX GAVLOIS.

A luy-mefme.

La viitime eftoitprefte,ù" mifefur l'autel,

Quandce vaillant Gauloisde renomimmortel,GrandPrince,grand guerrier, grandpafteur des armées,Qtfiauoitfaccagé lesplainesIdumêes,Et foudroyantles champsd'vn armétourbillonAuoit efpouuantéle rocherd'Apollon,Commandeà Glythymie (ainfi s'appelloit celle

Quifut à fort efpouxefpoufemal-fidelle)

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2l6 LE BOCAGE

Prensle piedde l'aigneau, ù" fay pour ton renuoyAux bonsDieuxvoyageursdesvoeusainji que moy.

Ellepour obéirprend le pied de la bejle.Lorsen lieu de l'hoflieil décollala tejleDe la femmeperfide, <&lefang qui iaiïlit,Toutchaudcontre lefront defon maryfaillit.Ainji defonforfait elletombaviâlime,Sans tejle dansfon fang lauantfon propre crime.

LemarifpeBateur d'vn aile fi piteux,Eut le fein <ùrlesyeux de larmestousmoiteux:Vuehorreurlefaifit, il fanglotte fon ame,Et outréde douleurcontre terrefe pâme:Puis a foy reuenurenfrongnantlefourci,D'vne voix effrayéeau Gauloisdift ainfi.

Quoy/ eft-ce là la foy que tu m'auoispromife>

EJî-celà tonferment>eft-ce la dextremifeEn la mienne,ôpariure >après auoir receuLa rançonpour mafemme,ainfi m'as-tu deceu?

Du iourque le harnoisfonna fur tes efpaules,Qu'efpuifantla ieuneffe& laforce des Gaules,Et qu'à ton campnombreuxles ondesdes ruijfeauxNe baftoyentà fournir breuuageà tes cheuaux,Et que l'ambitionque rien ne rejfafie,Tefaifoit commevn feu faccager noflreAfie,le preuymonmalheur,& preuyque noschampsNeferoyentqu'vn tombeaupar tes glaiues trenchans:Mais ie le preuymieux, oyantla renommée

Que ton campaffiegeoitnoflreville enfermée.Près lesmurs de Miletevn temples'eleuoit,

Où Cerésfeshonneurs& fes autelsauoit,Et ce iour defortune on celebroitfes fejtes.Nosfemmescouronnantd'efpicsde bledleurs teftes,Etportant en leurs mainsles prémicesdesfruitsQuela Terre nourriceenfon fein a produits,

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217

Supplioyentla Deeffe,& fa Scmeftrefille,Leurdonnerbonsmaris, ùf planté defamille,Santé,beauté,richeffe,& la grâce desDieux.Leparfumde l'encensfumoit iufquesaux deux :Autour du Templeallait la danfemefurée,Quand voicicommeLoupsà la gorge altéréeOu dufang desaigneaux, oudufang des brebis,Venirton campvejlu deflamboyonshabits,Qtiifans craintedu lieu les autelsdefpouillerent,Et fans refpecld'honneurnosfemmesviolèrent,Autant quel'appétit veinqueurle permettait,Et la ieunefureur qui fans raifon cftoit.

On dit quede Cerésle vénérableimageFremiffantÙ"fiant abaiffafon vifage:Son autel en trembla,fa couleurenmua,Et troisfois de defpit la tejleremua.

Soudainla Renomméeà l'aile bienagile,Deffusle mur rampesefpouuantala ville,

Annonçantaux marisd'vne effroyablevois,Queleursfemmesejloyentla proyedes Gaulois.

Le iour eftoitfous l'onde, ér la nuit ejloiléeAuoitd'vn habitbrun la terre emmantelée,Quand la clameurfe fift, & des enfanspleureux,Et despèrespriuez de leurs lits amoureux.Nonautrementde loins'entendaitla complainte,Queft défia la ville eujl veu l'imagepeinteDe la mortenfes murs, (? lesfeux indontezRiblantpar les maijonsvolerde touscojiez.

Enfin fur la minutâten la places'ajfemblent,Où de milleconfeilsles deuxmeilleursleurfemblentDeprier l'ennemi,Ù"d'vn foin diligentApporterla rançon, (y fléchirpar argent(Poifondes coeurshumains)l'arrogancebarbare,Qui defon naturel ejt tyrante<Ù"auare.

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2l8 LE BOCAGE

Lefaufconduitvenu ayansles pleurs à l'oeil,Et trijlementvejtusde noirshabitsde dueil,Au premierpoint! du tourfortirent de la porte.

Mercureallait deuant, qui leurferttoit d'efcorte,D'vn air enueloppé.A la fin paruenusEn ton oft, (y voyanttes hommesincognus,Harenguerentainfi d'vne douceprière,Pour amollir les coeursde la troupeguerrière,Qui braue enfon harnoïsdonnaitd'vneautre partAjfeuranceaux prions d'vnpaijible regard.

Peuplesenfansde Mars, héritiersde la guerre,Qui coureznojlre Afie,ainfi que le tonnerreCourtgrondantparmi l'air, Ù" à vosDieux Gaulois

Appeudezpour troféeiy nousiy nosharnois:Nevueillezpointfouiller, magnanimesgend'armes,Voshonneursillufirez par la fplendeurdesarmesAufang vil iy couardde nosfetnmes,qui n'ont

Ny corfeletsau dos, nymorionsaufrontPour reuancherleur peau, de nature amufèesA filer leur quenouille,iy tourner leursfufées;Ou bien,fi mefprifantles Dieux iy les humains,Viuezainfi que Loupsdu meurtrede vosmains,Tournezlefer trenchanten nosmaflespoitrines,Et courtoispardonnezaux âmesféminines:Ou fi vouscraignez Dieuprotecteur de la loy,Et la Fortunehumaineinconfiante(y fans foy(Croyantque vosvoifinspeuuentrauir les voftresAinfi qu'en cepais vousrauijjez lesnoftres)Vouscontre-iniuriantdepareillefaçon :Rendez-less'il vousplaift, iy prenez leur rançon,Afin quedéformaisexemptesduferuage,Libresen nosmaifonsfacent nojlremefnage,Et fans plus en vofireoftengager leursbeauxans,Aillentfaire nos lits, iy traiter nosenfans.

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Ils parlèrent ainfi. Cesguerriers de leur tefleFirentfigne aux prians a"accorderleur requejle.« Il n'efi rien qui tant l'hommeameinea la raifon,« Quel'art perfuajtf d'vnedouceoraifon.

Lesvuespar argent retournèrenttroquées:Lesautres qui s'ejioyentdéfiadomeftiquéesEn l'amourdes Gaulois.,lespenfansplus gaillarsAux combatsamoureusque leurs marisvieillars,S'arrejlerentau camp, mefprifantleurs Pénates,LiSls,enfansÙ" maris, pourfuture les Galates.Mafemmefut rouie. Ambajfadeuralors

Teftoisloin du pais, pour rompreles efforsEt l'inftantefureur d'vn Martial orage,Qui défiaconiuroitcontrenoftreriuage.

Si toft qu'à monretour l'hiftoire i'entendi,Tout lefang megela, de crainte refroidi:La honte<&le defpitmefermèrentla bouche,A terre renuerfécommevnefroidefouche,Pleurant ma chèreefpoufe,Ù" n'ayantpour confortRemèdeplus certain queVefpoirde la mort.

En tous lieux que i'allois, où ie l'auois cognue,Soitveillanteoudormante,a»foit en robbe,ou nue,Au iardin,.en la chambre,au cabinetfegret,Tout le coeurniecreuoitde dueil ù" de regret.D'vn pieà mal-ajfeurêmillefois en vne heurele changeoisde logis, de placeÙ1de demeure:Maisen vain : car tous lieux mefembloyentodieux,Et toufioursfa beautévenoitdeuantmesyeux.

Enfonge toutenuiclme reuenoitmafemme,Et tout cela de douxqui nouschatouillel'aine,Et dont lefouuenireftplaifant au penfer,Qu'Amourmefait au coeurcentfois-le tourpajfer.La facequelle auoitquand ellefut rallie,Toufioursmereuenoit: commeellepourfuiuic

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LE BOCAGE

Couroitparmi le templeambrajfantles autelsEt les imagesfaints deshauts Dieux immortels,

Pafmée,efcheuelée,ù1 nonplusfemmeviue,Et s'efchappantde l'vn, de l'autre ejlre captiue,N'ayantautre confortenfonpéril finonM'appeller,{y d'auoir enfa bouchemonnom:Puis toufioursmefembloitqu ellemevenait tendreSesbras croizez enl'air à fin de la défendre.

Deuxfils conceusde nous,germesde noftrechair,

Vraygage d'amitié aux deuxparensfi cher,Qui du tout refembloyentau portraiôl de leur mère,AJJisfur mesgenouxredoubloyentmamifere,Et deleurs tendresmainstouchantmonpoil grifon,Meprioyentde tirer leur mèredeprifon.« AffeSliond'enfansde nature ejlfi grande,« Qu'elle obtientde parens tout cequ'elledemande.

Pour recouurerma vie, Ù"retrouuermoncoeur,Sansqui ie viuotois en extrêmelangueur,le venditout monbien: que menferuoit l'vfage,Quand monmeilleurtrefor ejloit ailleursen gage ?

Toufioursà chaquepas en mafemmerefuant,Chargé de monauoir ie misla voileau vent.Le vent enmafaveur, quipoupierfe refueille,Mepouffade Mileteaux riues de Marfeille.

Du lieu de ta demeureaux voiftns ie m'enquis:Mais l'honneurde tesfaits par les armesacquisM'enfeignale chemin: car il n'yauoit trace

Qui n'eujl ouyfonner le bruit de ta cuiraffe.Entrant enton Palais d'elle iefu cognu:

Puis t'cliquerontde moypourquoyi'ejtoisvenu,

Ainfiie refpondi.L'affeClionextrefmeQue ie porte à mafemme,helas!plus qu'àmoy-mejme,Lespleurs vcrfezpour elle,& les regretsamersM'ontfait vendremonbien, Ù"pajfer tant de mers

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A fin de rachetervuefi chèrechofe.Puis toutfoudain du prix aucc toy ie compofe,Et le mis enta main: maiston coeurgénéreux,Plus centfois de l'honneurque de l'or amoureux,

Forçantta nationqu'onefiimefi fiere,Nevoulut accepterde moyla fommeentière:Tumis cejierançonen quatre lots à part,Vuequarteà mafemme,ù1 l'autre pour mapart,L'autrepour nosenfansÙ1l'autre pour toymaijlre.

Tu mefis vnfejlin, tu m'ajfisà ta dextre,le beudedans ta coupe,& d'vn front adouciHumainemeuttraité tu m'ojlaslefouci.

Quandle vin fut verfè en l'honneurde Mercure,Et la Nui£ifut venueà la courtineobfcure,Tu meliuras mafemme,(? mela fis toucher,Puis en vn mefmelie! enfemblenouscoucher,Sansplus retenir droit nypouuoirdefi'uselle.

Toutefoiso cruel, o barbare infiddle,Apresauoir long tempsen ton Palais logé,En ta couperebeu,à ta table mangé,Apresmonor baillé, après ta foypromifeTu l'as deuantmesyeux cruellementoccije.

LePrince qui long tempscedifeoursentendit,D'vn magnanimecoeurluy contre-rcfpondit.

Citoyende Milete, ejlranger (? monhojle,A fin quehors du coeurl'impreffionie t'ojleQuipourrait a bondroit t'irriter contremoy,Entenstoute l'hiftoire, & l'emportecheztoy.

AuJJitoftque l'Aurore au matinfut venue,Tafemmetoutenuiiï entre tes bras tenue,Oui t'appelloitfonfang, fon coeur& fon fouci,AmbraJJantmesgenoux, mefift fa plainte ainfi.« // eft bienmal-aiféde trompervneamante!Elleayant commefemmevne amedesfiante

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LE BOCAGE

Et vn coeurfaupçonneux(cela leur efifatal)Auant qu'il fuft venu,conieSlurafon mal.

Apresquepar le fer tu m'astiennerauie,Quepar terre & par mer tes armesi'ayfuiv.ieCompagnedeton liât : aprèst'auoir aimé,

Apres t'auoir centfois en te baizant armé,Baillé tan morion,ta lanceÙ" ta rondachc,Etplantéfur ton tymbrevn menaçantpennache:Puisvenudu combat,du trauail ennuyé,Apres fauoir centfois tout le corps effuyéSalled'vnepouffierehonnefte& genereufe,Et tesplayesfuccéde ma léure amoureufe:Apresauoir penféde mesmainstes cheuaux,Tescourfierscompagnonsde tes noblestrauaux,Lesnommantpar leur nom, quifouloyentrecsgnoijheMa voix encorplujloftque cellede leur maijtre:Peux-tu bienmaintenanttes délicesliait;Et pour vn peu de gain perfide metrahir >

Ha! ce n'ejl pas lafoy, ny la dextrefidelleMife en la mienne,helasf quandtremblanteÙ"rebelle

ïambrajfois les autelsde Cerés,appellantLes Dieux à monfecours contre toymevolant.A lafin adiouflantla prière à l'audace,Par force Ù"par amourie t'accordaymagrâce,Pourueu quetu ferais d'vneinuinciblefoy,Toufioursmondefenfeur,fans tefafcher de moy.Mais ie voy(defmentantta promejfehéroïque)Qu'autant commeton coeurta parole eft Gothique:Pourrois-ie bienfoujfrir abfentedetesyeuxEncorevue autrefois vnferuage ennuyeux>

Lepremiermeftoit doux, Ù"leféconden l'ameMeferoit vue mortdont le penfer mepafme.

Tu eftoismonpays, monpère <Ù?monefpous,Et tousperdus en toy ie les retrouuoistous;

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ROYAL. 22}

Seultu ejloismontout, <ùrpour vneparoleMaintenantdansle vent ta promejfes'en-vole.Necrains-tupoint les Dieux>ne crains-tuquelesbois,Lesrochersentonniezde naturels effrois,Lesdefertsremparezde longuefolitudeNecontentaux paffansta fiere ingratitude>

Tu medeuoistuer quandta main merauit,Et nontrahir le coeurqui forcé tefuiuit:Lemourirde ta mainvalloit mieuxquela vie,Et rauie en cepoincl ie n'euffeeftérauie.

En tous lieux où le nomdes hommesi'entendray,Pluftoftpar lesjorefls aux loupsie merendrayQu'enleurs méchantesmains,croyantpar conieBure

Qu'ilsfont tous commetoyde méchantenature.Or puis que monmalheurnefe peut reuancher

De toycruel ingrat, quepar le reprocher,le te reprochera")tafetnencegermée,Que tu as par amouren monventrefemée:Tu deuoispour le moinsauant que mechaffer,Souffrirqueton enfantpeuft toncol cmbrajfer,Te rebaiferles mains, ù1 t'appellerfon père.Leslarmesde l'enfant cuffentfauué la mère!

Baillemoytonpoignard pour nous tuer tousdeux:le teferay defunfôevnfantofmehideux,le rompraytonfommeil,& contre toymarriele te fuiuray toufioursimportuneFurie,Te donnanta manger tonfils pour ton repas:Ainjî doux (mevangeant)mefera le trefpas!

Quedis-ie>monamourneméritevnfupplice.Viuonsdoncà tespiedspour tefaire feruice,Et perdonsmonmary cecaufeureffronté,Qui de tout noftrebienqu'il auoit apporté,T'a bailléfeulementla moitiéde lafomme,Vrayacle delarron, i? nonpas deprend'homme.

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224 LE BOCAGt

Elle medijl ainfi. Lefang froid s'affemblaToutau-tour de moncueur quifoudain metroubla,Douteuxfi ie deuoisl'emoyer tout à l'heureEn ces lieuxténébreuxoùle Trefpasdemeure:Ou bienfi ie deuoismoncourrouxretarder,Et te conterlefait, à fin de te garder.

l'ayfeint cefacrifice, & feint de te conduirePour immolerta femme,& aujji pour te dire

Quevouseftesdeceusde blafmerles Gaulois,Vousautres Afiens,commepeuplesfans lois,Barbaresù" cruels, transportezpar le vice,Ennemisd'équité, de droit! ù" de iuftice.

Deffousla loyeferite enfeignezvousviuez,Et do6lesenpapier lepapier vousfuiuez:Nousautresnousn'auonsque la Loynaturelle

Eferitedansnoscoeurspar vne encreéternelle,Quenousfuiuons toufioursfans befoind'autre eferit,Commeportans nosloix en nofirepropre efprit.

En-terrefi tu veux, oulaiffe aux chiensta femme,Ou la iette en la mer, oula donnea la flame:Vncorps tronquéde tejie ejl vnfardeau pefant,Ne remporteen ta ville vnfi vilain prefent.

Or quant à la rançonque i'ay receupour elle,Et au reftedu bienque ta dextre mecelle,Prenstout, ie n'en veux rien, à fin qu'en tonpaisTufaces au retour tes voifinsesbahis,Leurcontantnosvertus: va chercherta demeure:

Adieu,donnela main, va-t'en à la bonneheure.

HENRY,dont le renomn'ejl feulementalléAuxpeupleseflendusfous le Pôlegelé,Maisde l'Europeentièrea remplitout l'efpace,Tu ne tiensfeulementen la Gaule la placeQue tenoit ceguerrier, maisauffiïéquité,Lesvertus, les honneurs,& la fidélité.

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22f

le voudraisque tonpeuple en armesredoutableSemonjlrqftenuerstoy ouautant équitableQue tu es enuersluy, ou qu'ilfuft enuerstoyAuffifidèle ir bonque tu luy es bonRoy:Lesguerres tous lesans neferoyentattendues,Tesvillesfous ta mainferoyentdéfia rendues,Lesharnoisneferoyentvnfaix à noftredos,Et tesfuiets viuroyentenpaifiblerepos.

Ce-pendantil teplaift en telledejfianceVeincrenon par lefer, maispar la patience:

Vyheureuxcejleannée(r centautres encor,Et en régnant vieillisautant quefifi Nejlor,Et m'eftreine,grand Roy,ainfi que ie t'eftreine.Du labeurprofitableagréableeft la peine.

DISCOVRS OV DIALOGVE

entre les Mufes deflogées,

& Ronfard.

Leitantlesyeux au ciel, <ùrcontemplantles nues,

l'auifay l'autre iour vue troupe de Grues,Qui d'vn ordrearrengé & d'vn vol bienferréReprefentoientenl'air vn batailloncarré,D'auironsemplumezÙ1de roidesfecoujfesCherchantenautrepart autres terresplus douces,Où toufioursle Soleildu rayondefesyeuxRendla terre plus graJJ'e,(? les champsplus ioyeux.

Cesoifeauxrebatant lesplaines rencontréesDe l'air, à grands coupsd'aijleallaienten leurscontrées,Quitant noftrepais <ùrnosfroidesfaifons,Pour refaire leur race& reuoir leursmaifons.

Ronsard.—III. I5

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226 LE BOCAGE

Lesregardant voiler, ie difois en moy-mefme:le voudraisbien, oiseaux,pouuoirfaire de mefmeEt voir de mamaifonla flamevoltigerDefur ma cheminée,i? iamaisn'enbouger,Maintenantqueie porte iniuriépar l'âge,Mescheueuxaujji gris commeejl voftreplumage.

Adieupeuplesniiez,hoftesStrymoniens,Qui volantde la Thraceaux Aethiopiens,Sur le bord de la mer encontreles PygméesMenez,combatléger, vosplumeufesarmées:Allez envos maifons.le voudraisfaire ainjt.« Vnhommefans fouyervit toufioursenfoucy.

Maisen vain ie parlais a l'efeadronqui voile:Car le vent emportaitcommeluy, ma parole,Remplijfantde grands cris tout le ciel d'alentour,Aize de retournerau lieudefon fejour.

De l'air abaijfant l'oeille longd'vne valée,le regardayvenir vne troupe haflèeLajfede long trauail, quipar mauuaisdeflinAuoitfait (cefembloit)vn péniblechemin.

Elle eftoitmal en couche& pauurententveftue:

Sonhabitattaché d'vne efpinepoinclueLuypendaita l'efpaule,Ù"fon poil dédaignéErroitfaile (y poudreux,crajfeux isf mal peigné.

Toutefoisde vifage elle ejloitaffezbelle:Sa contenanceeftoitd'vne ieunepucelle,Vnehonteagréableeftoitdefpusfon front,Et fon oeilefclairoitcommelesAftresfont :

Oiielquepart qu'enmarchantelle tournaftla face,La vertu lafuyuoit, l'éloquence{? la grâce.Monftranten centfaçonsdésfon premierregard,Quefa racevenait d'vneroyalepart,Si bienqu'en la voyant, touteamegenereufeSerechaufantd'amouren eftoitamoureufe.

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ROYAL. 227

D'auant la troupeallait vn ieunejouuenceau,Ouiportoit en Courrierdes ailes au chapeau,Vuehoujjineenmaindeferpens tortillée,Et dejjbuspauure habitvneface éueillée:

Et monjlroità fonport quelfang le conceuoit,Tant la garbe de Princeau vifage il auoit.

Toutfurieux d'efprit ie marchayvers la bande,le luybaife la main,puis ainji luydemande

(Car l'ardeur mepouffbitdefon malconfoler,

M'enquérirdefon nom,&1del'ouyrparler.)

Ronfard.

Quel eft voftrepais, voftrenom& la ville

Quife vante de vous?L'vnela plus habile

De la banderefpond.

Mufes.

Si tu-as iamaisveu

Ce Dieu, qui defon char tout rayonnédefeu

Brife l'air en grondant, tu as veu noflrepère:

Grèceeftnoftrepays, Mémoireeft noflremère.

Au tempsque lesmortelscraignoientles Deitez

Ils baflirentpour nous{y temples<C?citez ;

MontaignesÙ1rochers& fontaines& pries,Et grottes ù1 forefts nousfurent confacrées.Noftremeftiereftoitd'honorerles grandsRois,De rendre vénérable& le peuple& leslois,Faire quela vertu du mondefuft aimée,Et forcer le trefpaspar longuerenommée:

D'vneflamediuineallumer les efprits,Auoird'vn cueurhautain levulgaire a mefpris,Neprifer quel'honneurÙ1la gloire cherchée,Et toufioursdans le cielauoir l'ameattachée.

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228 LE BOCAGE

Nouseufmesautrefoisdes habitsprécieux,Mais le barbareTurc de tout viâlorieux,

Ayantvaincul'AfieÙ"l'Afrique, & d'EuropeLa meilleurepartie, a chaffénojlretropeDe la Grècenatale, Ù"fuyant fes prifonsErrons, commetu vois,fans biens& fans maifons.Oùle pied nousconduit,pour voirfi fans excufesLespeuplesù" lesRois auront pitié desMufes.

Ronfard.

Des Mufes>di-je lors. Eflesvouscelles-là

Que iadisHeliconles neuffeurs appella>

QjieCirre ir que Phocideauouoyentleurs maiflrejfes,Desvers (? des chanfonslesfçauantesDèeffes>

Vousregardant marchernudspieds ù" malempoinSll'ay le cueurde merueilleÙ" defrayeur efpoint,Et merepensd'auoir voftredanfefuiuie,Vfantà vos meflierslemeilleurde mavie.

le penfoisqu AmalthêeeuflmisentrevosmainsVabondance& le bien, l'autre amedes humains:Maintenantie cognois,vousvoyantaffamées,Qu'enefprit vouspaiffezfeulementdefumées,Et d'vn titre venteux, antiquaire& moyfi,Quepour vu bienfolide en vain auez choifi.

Pourfuiure vosfureurs, miferablesnousfommes.Certesvousreffembln aux pauures Gentilshommes,Qui (quandtout efi vendu) leuant la tejleaux deux,N'ontplus d'autre recoursqu'à vanter leurs ayeux.

Quevousfert lupiter dont vousefleslesfilles}Qj'.eferuent vos chanfons,vos Temples& vosvilles>

Ceneft qu'vneparade, vn honneurcontrefait,Richede fantaifie,&' nonpas en effetl.

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ROYAL. 229

Vertu,tu m'as trompé,te penfantquelquechofe!le cognoismaintenantquele malheurdifpofeDe toy qui n'esque vent,puifque tu n'aspouuoirDe conferuerles tiensqui errentfans auoir

Nyfaneurs nyamis,vagabondsd'heureen heureSansfeu, fans lieu,fans bien,fans place nydemeure.

Mufes.

Hà que tu es ingrat de nousblafmerainfi!QuefuJJes-tufans nousqu'vn efprit endurcy,Confumant,cafanier, le plus beaude tonâgeEn ta pauure maifon,oudans vnfroid vilage,Incogneud'vn chacun! où t'ayant abreuuèDeNeBar, iT l'efprit dans le Ciel efleué,Tauonsfaitl defireuxd'honneuriy de louanges,Etfeméton renompar les terres efranges,De tes Roisejlimé,de tonpeuple chery,Ainfl quenoflreenfantennojlrefein nourry.

Dieupunijl les ingrats : à tous coupsquela foudreTrébucherade l'air, tu auras peur qu'enpoudreTu nefentes toncorps, <ùrta tefte briferPour la punitiond'ainfi nousmefprifer.Pourceadjoutecréanceà qui biente confeille:

Aydenousmaintenant,& nousrens la pareille.

Ronfard.

Quevoulezvousde moy>

L'vnedesfoeursalors

Qui la bandepaffoitde la moitiédu corps,Mecontre-refpondit.

Mufes.

Nousaitonsouydire

Que le Prince qui tientmaintenantvoflreEmpire,

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2^0 LE BOCAGE

Et qui d'vn doublefceptre honorefa grandeur,Eft deffustous les Roys des lettres amateur,Careffelesfçauans, <ùrdes Huresfait conte,Ejlimantl'ignoranceeftrevue grande honte:

Dy luyde noftrepart qu'il luyplaife changerEn mieuxnoftrefortune, ù" nousdonneà loger.

Ronfard.

Vousm'impofezau dosvue charge inégale:

l'ay peu de cognoijfanceà fa grandeur royale,C'ejl vn Prince qui n'aimevn vulgairepropos,Et qui ne veutfouffrir qu'on troublefon repos,Empefchétous les ioursaux chofesd'importance,Souftenantprefquefeul tout le faix defa France,Méditantcommeil doitfon peuple gouuernerEtfaire dejfousluy l'âge d'or retourner,Honorerles Vertus<ùrchaftierle vice,

Deffenfeurde la loy,protebleurde Iujlice.le n'oze l'aborder, ie crainsfa Maieftê,

Tant iefuis esblouydes raiz defa clairté :Pourcecercliezailleurs vn autre qui vousmeine.Adieu dotle troupeau,adieubelle neuuaine.

AV ROY CHARLES IX.

Au grand Herculeaniméde courageVousreffemblez: il auoitfon lignageDe lupiter, (y le voftreeft d'vn Roy,Qui commevn Dieu tint la Francefous foy.

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231

Dés le berceaudefa mainenfantineIl eftoujfala raceferpentine:

Vousdés enfanceà la mortauez misLaplus grand'part de vosfiers ennemis.

VnpuiffantRoycontraignoitfa prouéjfe:

NeceJJitéqui ejlgrande Déeffe,Vousa contraint: il eutpour fon confortVnieunefrère, & vous Prince tresfortEnauez deux, qui donnentefperanceD'ejtrefous vous les lumièresde France.

Herculeauoitpour habit le plus beauLe rudecuir del'effroyablepeauD'vn grand Lion,monftrantpar vn telfigneQu'vnrichehabit des Princesn'eftpas digne,Mais la vertu, qui iamaisnefepert,Et qui de robbeen tout âge leurfert.

Vouscommeluy, bienquefoyezgrand Prince,Et riche Roydefi grandeprouince,Ayantvertu pour vojire habillement,Allez toufioursacouftrêfimplement,Blafmantl'orgueil desgrands Rois d'AJfyrie,Qui tous chargez de richeorféuerieD'argent ù" d'or, demy-Dieuxfe monftroientEnflezde pompeà ceuxqu'ils rencontraient,Faifant eftat de robbefomptueufe,Et nond'auoir vne amevertueufe:Ainfimafquezreluifoientpar-deuant,Maisau dedanscen'eftoitquedu vent.

Or ce]}Hercule à tous labeursadextreVnemajjtieauoitdedansla dextreDont il frappait les hommesdeprauez:Dedansla mainleSceptrevous auezDontvous domtezl'impudentemalice,Gouuemanttout d'vneégalepolice.

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2^.2 LE BOCAGE

Herculeallait la terre tournoyant,De touscoftezles Monfiresguerroyant:Et vous tournezvofireroyaume,Sire,PourfainclementnettoyervofireEmpireDe tout erreurù" desMonfiresquivontSansplus auoir la hontefur lefront.

Herculeaimoitù3 l'arc & lesfagettes:Pourpaffe-tempsfi bonarcher vouseftesEt fi certain, que le trait eflancèFrappele but par vosyeux menacé.

SafoeurPallas Dèeffeforte Ù1fageLeconiuifoitbien-heurantfon voyage:Et vousauezvofiremèrequi faitVofirevoyageheureufementparfait.

Apresfa mort HerculemagnanimeAu cielmontadefoy-mefmeviclime,Efiantpurgéfur le mont OEtéen:Vousdefpouillédu manteauterréenIrez au Ciel à la gloire éternelle.Etc'efipourquoy,Sire, ie vousappelleNofireHerculin, qui ferez vuefoisPar vosvertus l'Hercule desFrançois:Car c'efi à vousà qui le Ciel ordonneDu mondeentierle SceptreÙ1la Couronne.

Ainftde vous l'a promisle defiinInexorable,aufufeau aimantin,Dur, acéré,d'inuinciblepuijfance:C'efi queferiez en vofireadolefcence,Efiantbienieuneorphelindemeuré,Vnpeu troublé: car rien n'eft affeuré.

Maisaujji tofi que la blondeieunejfeAura doréd'vne toifonefpeffeVofirementon,<krqu'aux guerres difposLefort harnoisbruirafur vofiredos,

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2^3

Branlantau poing le hamped'vnehache,Et remuantlescreftesdu panacheD'vn morionreluifant tout ainfiQu'vn beauSoleildéfiâmesefclarci,Irez veinqueurdesprouinces lointaines:Oùconduisantvosbataillescertaines,Et vosfoldatsfous lefer frcmifj'ans,Etvos chenauxau combathaniffans,Lelis Françoisplanterez,fur la riueOù du Soleille chariotarriue,Quandvers lefoir lajfè defes trauauxDansl'Océan abreuuefes chenaux

Fumans,fuans Ù?foufiansdes narinesLe tour tombédansles ondesmarines:Etfur lebordoù il fort horsde l'eauFraisgaillard ieuneainfi qu'vn iouuenccau

Quipour l'amourdefa belleguerrièreMonteà chenal,Ù"pajfe vue carrière,En cesdeux mersle Cielfera louerDe vos harnais lespoudres,Ù"graucrDu bout tranchantde vofireforte lanceLenomfacré de CharlesÙ1de France,Et de Henry, Ù1de tousvos ayeuxQuifont au Ciel à la table des Dieux.

Or cedeftinqui tel bienvousdefire,N'a feulementdefignévoftreEmpire,Fai5lsvertueux,triomphesde bon-heur,Villes,chafteaux,dontvousferez Seigneur,Terres<ùrmers: mais il a d'auantageDépeintvos moeurs,vosyeux, voftrevifageEt vofire taille, afin qu'cfiantvenu

Fuffiezde touspar vosfigues cognu:Et pour remarqueil a bienvoulumettreDevofirenomla capitalelettre,

M-

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2^4 LE BOCAGE

VnC. fatal, lettre quipar neuffoisA commencéle beaunomde nosRois.

Ce Roy qui doit (ce dit la Définie)Tenirfousfoy la terre dominée,Aurale teint commeentrenoir (r blond,Paile-vermeil,le vifage vnpeu long,Lesyeux chaftains,la taille droitte ù" belle,

Pofémaintien,la grâce naturelle,Vnevoix douce,vn parler fige Ù"pront,Bellela gréue & la main& lefront,Ayant au corpsvne amegenereufe,Et la ieuneffeaSliueÙ" vigoreufe.Au reftehumain, nontrompeur,nonmoqueur,Nonrenfrongné,nonremplyde bascoeur,Nonabufeur,noncontrouueurde rufes,Etpar-fur tout grand hoftelierdes Mufes:Qui de la main, en laquelleil aura

L'eftocfanglant, enfa tente efcrira,Commevn Cefar, des Hures,dont la gloireDesans veinqueurscombatrontla viSloire,Portant au front deux replisde Laurier,Pour ejtre enfemble& fçauant Ù1guerrier :

Car pour bienfaire il faut qu'vn Royfe férueDe l'vne <ùrl'autre excellenteMinerue.

Or en voyanttous ces/ignés en vous,lefuis certain (ainft le croyonstous)

Qu'ejlesce Royde qui la ParquefageA tant rendupar efcrit tefmoignage,Vousordonnanttout cegrand Vniuers:Et c'eft pourquoyie vousoffremesversAuecl'ouurier, qui bouillonned'enuie

D'vfcrpour vousfes plumesi? fa vie.

Doncq' attjjitoftque la villevertu

Vousarmeradufort glaitiepointu,

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2-)ï

Et qiion orra pour l'honneurde vos GaulesLe corfelet[minerfur vos efpaules,Ayantla fleur dela ieuneJJ'eattaint,Des ennemiscommevnefoudre craint :

Allez combatre,allez,à la bonneheure

Conquérirtoutfous fortunemeilleure,Et fait veinqueurr'apportez à foifonMilleLauriersdedansvoftremaifon.

Moyplus armédeplumesqued'efpée,Suiuraydu campla viàloiretrempée

Aufang veincu.Si quelqueCheualierFait vn beaucoup entournêd'vn millierDes ennemis,ieferay fous maplumeSonnerfon coupcommevn fer fur l'enclume,Qu'vn noir Vulcandesdeux hanchestortuBat au marteaudefiâmesreueftu.

l'ay d'vneardante &• brufquefantaifieDés la maminelleaiméla Po'éfie,Ainft qu'onvoit les hommesvolontiersOu par deflinfuture diuersmeftiers,Ou par l'inftinBde leur propre natureL'vn la Muftque,<ùfl'autre la Peinture,L'vn va du ciel les aftresrecherchant,Et l'autre vit ouguerrier ou marchand.

Moyqui l'honneurplus que les bienscftime,Néd'vne race antique isf magnanime,Francd'auarice ù' pur d'ambition,Librede toutehumainepaffion,D'vn efprit vif, ardant iy volontaire,Pour la vertu ïay quitté le vulgaire,Villes,chajleaux,bourgadesér marchez:Et fuis allé par lesantres cachez,Par les deferts, riuages& montaignes,Suiurelespas desneufMufes compagnes,

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2]6 LE BOCAGE

Qui toutenuiSim'enfeignentpar les boisA ne chercherautres maiftresque Rois,Et à poufferiufqu'aux troupesceleftesCeuxqui enguerre ont oféde beauxgeftes,Et qui d'vn coeurauantureuxù" fortVuelouangeachètentpar la mort.

Quiconqueaura pour marquemémorableDans l'ejlomacvueplayehonorable,S'en-vienneà moy: fin coupfi noble& beauPriué d'honneurn'ira fous le tombeau.

PourcemonRoy, s'il vousplaift que iefaceLa Franciade,oeuurede long efpace,Oyezmesvoeux: il ferait bienfaifonQu'euffiezefgard à moncheueulgrifin,Sur qui défial'autonnaletempefteAfait grefler quaranteansfur la tefle:

Bien tojl femblableau bonchenalguerrierQtiifouloit eftreau combatlepremier,Et tout couuertd'vnebellepoufftereGaignoitveinqueurlepris de la carrièreLechefornéde rofes, maintenant

Languitpoujjif à l'eftable,prenantSansnulfoucy defleurs nyde batailleLepeu defoin quefin maiftreluy baille.

Doncqs'il vousplaift, Sire, n'attendezplusQjteiefois vieil, impotent& perclus,

Fafcheux,hargneux, ayant l'ameeflourdieEt tout le corpsde longuemaladie.

Maisor' que i'ay tout l'efprit vigoureux,Le genoufort, ir lefang généreux,Commandezmoy,Ù"m'aimeztout enfemble,Et m'honorez: ces troispoinSls(ce mefemble)Fontle Poèteheureux&1glorieux,Lefont gaillard, lepouffent iufqtt'auxdeux.

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237

Carfans honneurla MufcconsomméeDe long trauail s'alambiqueenfumée,Et l'efcriuainqui n'a leplus fouuentQji'vnepromejfeauffifroideque vent,DeuientpoujjifÙ"rétif à Vouurage:

Lefeitl honneurluyhauffele courage,Qiiandil fe voit d'vn Prince bientraité,Commeiefuis de vojireMajefté.

A luy-mefme.

Si lesfouhaits deshommesauoientlieu,Et fi lesmienseftoientouysde Dieu,le luyferais vue requejle,Sire,Devousdonner,nonvn meilleurEmpire,Nonplus de grâce ouplus grande beauté,Nonplus deforce ouplus de Royauté,Ou plus d'honneurpour illuflrer voftreâge,Maisvousdonnerfix bonsans d'auantage.

D'où vient celaqu'au retourdes beauxmoisOn voit lesfleurs, les herbes,Ô*lesbois

Croijirefoudain, Ù1les Roisde la terre

Qui dejfousDieu ont lefécondtonnerre,Qui doiuenttant de Prouincestenir,Mettre en croiffantfi long tempsà venir?Alors qu'vnPrince a pleine cognoijfanceDefes fuiets, il a plus de puiffance.

Quand lupiter dedansCrète habitoit,Et qu'Amalthèeen l'antre l'alaitoit,Et quepetit auccquefa compagneNederampaitfur Ide la montagne,

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2^8 LE BOCAGE

// n'efloitcraint, bienquefa maieftèDeffusfon front monfiraftmainteclairtè.

Maisaitjjitofi qu'il gaigna le trophéeDufort Briare, ér du gean Typhée,Et qu'il eut mis la foudre entrefes mains,Lorsil fut craintdes Dieux& des humains.

Charles,c'eft vousà qui le deftindonneNonfeulementla fuperbecouronne

Quevosoyeuxdefur le chefportoient,Et de leur nomlespeuplesfurmontoient:Le cielamyde vosvertus, appelleVofireieunejfeà vicloireplus belle.

Incontinentque vofirebeaumentonSeradoréd'vn iaunijfant cotton,CommeAlexandre,aurez l'aineaniméeDu chauddefirde conduirevuearméeOutre l'Europe, Ù"d'affautsvehemens

Ofterle Sceptreaux puiffansOttomans,Quifous leursmainspar armesontf aifieTout le meilleurd'Europe(y de i'AJie,Lefquelshardis d'hommesÙ1de vaiffeauxOnt d'attirons ia couuertesleseaux

Qu'onvoitflotter deffusla mer Tyrrhene:Ont ia campéleursfoldars fur l'arèneDe la SicileÛ"de Calabre,afinQuenofireloypar le Turcprennefin :S'il ne vousplaift d'vn valeureuxcourageVofirepuijjanceoppoferà leur rage.

Et bienqu'ilsfoient hautains(y glorieuxDe tant de Rois lesRoisvièlorieux,Et que d'enflureils aynt l'ainegroffie,Si craignent-ilspourtant la Prophétie.

C'eji qiCvngrand Royde Francedoit vn ionr,En lesdoutant(y chajfantdufeiour

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ROYAL. 239

QueConftantinejleutpourfa demeure,

Rompreleur Sceptre, ù" d'vnefoy meilleure

Gaignerles coeursdespeuplesAfiens,De Circoncisenfaire des Chrejliens,Françoisd'habits, de moeurs,<Ù?de langage.

le meprometspar figne Ù"par prefage,Et par augure & par fort, que c'efl vous

Qui les deuezabbatreà vosgenous,Et que vousfeul en aurez la viSloire,Et de Mahomeffacerezla gloire.

l'entendéfiavosfoldars fremijfans,Et les cheuauxfautans & hennijfans

Deffouslefaix de vos brauesgend'armes:

le voyl'efclairdu belacier desarmesSousle Soleils'efclatter iufqu'aux deux :le voyvoftreoftconduitpar les bonsDieux,Sansque la peineoula peur lefurmonte,Défiacampéfur le bord d'Hellefponte.

CouragePrince! encor n'eftes-vouspasLepremierRoyde France,qui lespasAuraplantéfur la terre PayennePour lefouftiende noftrefoy Chreflienne!

V11RoyLouysendojfédu harnois

T a drejféles honneursdes François.Ce GodefroyieuneDucde Lorraine,

D'hommescroifezcouurittoute leurplaine,Print Cormoranle grand Gean, Ù"fiftSi vaillammentqu'après il defconfijlTousles Payenspar la gent baptifée:

Caffa leur Sceptre,ér leur gloire briféeDejfousfes pieds en triomphefoula,Etcombatantfe fift Seigneurdelà.Vousplus grand RoydeuezbienvouspromettreLesfaits qu'vn Ducà fin a bienfceu mettre,

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24O LE BOCAGE

Panurede biens,& richede bon-heur,Quipar vertu s'acquiftfi grand honneur.

Là vousvoirrez tant de villes hautainesFieresdu nomde cesvieuxCapitaines,Alexandrie,Antioche,(? aujjlCellequi richeejleuelefourciDu nomd'AuguJle,<&cellequi la gloireRetientencor'd'vneheureufeviBoire.

Là vousvoirrez millepeuplesdiuers

D'habits, de moeurs,de langage, couuertsL'vn de Laurierisr l'autre de lierre,Vousfalucr le Seigneurde leur terre,Et remerquantenvouscentDeitezVousprésenterleurs coeurs{? leurs citez.

De l'autre part la Grècequi ejl telle

Qu'onqueenbeautéterre nefut plus belle,Oui a conceutant de peuplesguerriers,Et tant defronts couronnezde Lauriers,MèredesArts, des Philofophesmère,Dont l'aineviue ingenieufe& clereAbandonnala terre (pefantlieu)Et d'vn grand coeurs'en-vola iufqu'à Dieu,

• Le voulut voir, le cognoijireù1 l'apprendre:Puisfe laiffantpar les Ajlres defeendreLeurfifi des noms,(? cognutleur vertu,Vit le Soleildefiâmes reueflu,Defin argent vit la Luneaccoujirée,Et fon beauchar qui conduitla Serêe:

Cognut leurstours diftances& retours,Cognut les ans, les heures, Ùf les iours:Sceutle Defiin,& cequ'ondit Fortune:

Cognutle haut isr le basde la Lune,L'vnimmortel,l'autre amydu trefpas:Sceutla raifonpourquoytombentcàbas

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ROYAL. 241

Fiâmes,efclairs& foudres &1tonnerres:

Cognut de l'air lesaccordsÙ1les guerres,Cognutla pluye& la neige& le vent.

Puis telsfecrets hautementefcriuantDemainen mainlesfijl à l'hommeapprendre,Et tout le ciel en terrefijl defeendre,Ne laijfant rien en la voûtedes deuxDontfon labeurnefujl viclorieux.

Bref cejleGrèce,oeildu mondehabitable,Qui n'eut iamais, ny n'aura defemblablc,Demande,helas! vojlre bras tres-ChrcftienPourdefon col dej]errerle lien,LienBarbare, impitoyable{? rude,Qui toutfon corpsgeinnedeferuitudeSouscegrand Turc, quiprcfquede l'efpritDu peupleGreca cliajfèIefus-Chrijt,Et luypillant fes enfansù" fes villesLe rend efclaueà chofestrejj'eruiles.

Or ji la Foyvous efmeutà pitié,Si vousportez aux panuresamitié,Vousdeuez,Sire, armervosmainsfidellesPour rachetertant d'âmesimmortellesQuifous Mahoms'en-vontdéfiapérir,S'il nevousplaift bientojl lesfecourir.

Ah! fi iepuis iufqu'à tel âge viure

Quevos combatsmaplumepuifj'efuture,Toutau milieudevos affautsdiuers,

Fifres, tabours, ie chanteraymesversA l'enuyd'eux, fi bienqu'onpourra dire

Quevos canonsferont placeà ma Lyre.Alorsd'Aurat qu'Apollona nourry,

Belleauqui eji desMufestant chery,Nemevaincront,nonpas Apollonmefme:Car pleind'ardeur 6" d'vneenuieextrême

Romani.—m. 16

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242 LE BOCAGE

Debienchanter, commetout furieuxVojlrebeaunomi'enuoirayiufqu'aux Dieux.

le chanterayque la bonneNature,Et que le Cielfur toute créatureVousontformé,(? qu'a vousfeul ils ontMisdedansi'ame, en l'efprit {? au front,Ce qu'ils auoientde mil ans en efpergne,Et que Vertu,nonle Sort nousgouuerne.

Tandisla paix envoz terresflorijfeQui voftrepeuple (T VOSPrincesnourrifj'e:

Florijfeauffi la lujlice& les lois

lufques au iour que le puijjant harnaisPour lefoufliende vosfertiles GaulesFacevn grand bruit fur vos ieunesefpaules:Et que tenant lesarmesen la main

Soyezl'honneurde tout le genre humain,

Faifant marcherdeuantvous la lufiice,Pour corriger les mefchans<&le vice :

Et lorsfera vojlreSceptrepuijfantDe iour en iour envertu florijfant,Et ferez dit commele bonAugujle,Nonpas vn Roy, maisvnpère tres-iujie.

DISCOVRS,

à tres-illuftre & tres-vertueufe Princeffe,

Elizabeth, Royne d'Angleterre.

Moncoeurefmeude merueilleufeferreVoyantvenir vn Françoisd'Angleterre,Lors qu'il difeourt combienvojlrebeautéDonnede lujlre à vojlre Royauté:

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241

Beautéqui eft engrâce Ji extrême

Querien ne peut la veinerequ'ellemefme,Pour eflrefeule exempletrefparfaitSur qui le Cielfi grand miraclea fait :Puis en rompit le mouleefmerueillablePour n'en refaire au mondedefemblable,Afinque telle en terre vousfujfiez,Et que pareille en beautévousn'eufjtez:Alors ie dy,fi cefteRoyneAngloifeEft enbeautépareilleà l'EfcoJfoife,On voit enfembleenlumièrepareilsDedansVneIfle efclairerdeuxSoleils.

On dit qu'au tempsqueles DieuxvifitoientCa basla terre, <ùrprefensla hantoient,Quel'ifle voftrealloit librefur l'onde,CommeDeloserrante<Ùrvagabonde,Et quefon piedpar vu nouueaudejlinN'eftoitferré d'vn lienainiantin,Maisfans tenir à nullechaifnedureFlotdefurflot erroit à l'auanture.

Souuentefoisle nocherHirlandoisL'a rencontréeau riuage FlandroisPies defa neffur la vague efleuêe,Puis au retour bienloin l'a retrouuêe:

Aucunefoisfautant commevn moutonS'alloit iou'érau riuage Breton,Puis enflottant oùfon pied luycommande,Seblanchiffoitde l'efeumeNormande:

Aucunefoiss'en-venoitballoyerLeflot qui vienta Boulongneondoyer,Puis toutfoudainfauteloit à la riueOù l'Océan à Grauelinearriue:Puis alloit voir les Orcades,aprèsD'vn long cheminretournaitvers Calais.

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244 LE BOCAGE

Vniour eftantversCillaisarreftée,

Voicyvenir le Dieu marin Protée,

Qui defou gré vagabonds'abfentoitBienloin d'Egypte oùProphètehabitait,

Ayantlaifféfa demeurefertilleTrop irrité contrefa proprefille,Quipar prefent l'auoit misdans les laz

(Commeil dormait) du Prince Menclas.Or il auoitpar vn long nauigage

Dcfiapaffè d'Herculele bornage,RnzéMarfeille,Ù1ia voyoitla merContreles bordsde Gafcongneefcumer:

Défiaplus basà la riue voifineVoyoitflotter la vague Poiteuine,Sahiant toufioursen nouantplus auantLeflot qui va la Bretagnelauant.

Commeil eftoita la riue qui baigneLeport Icin d'vne ondeufecampaigne,Il veit voftre Ifle, <ÙTfi toft qu'il la veitFlottantfur l'eau, fa beautéle rauit :Lors abaiffantcontre la merfa tefteFiji à Neptunevue tellerequefte.

Père Neptune,à qui leflot chenuPar fort ietté enpartage ejl venu,Lorsquevous trois, Saturnienlignage,Decegrand Toutdiuifiezl'héritage,Auxautres Dieux ne laifiansrien finonLafeule peur d'vnfî horrible nom:

O Poujfe-terre, Embraffe-terre,ô PèreDontlefourcy la marinetempère,Et qui trahied'vn char à deuxcheuauxVoleslégerfur la croupedeseaux,Et des grands ventsappaifant leshaleines

Calmeslefront de tant d humidesplaines:

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MT

Si de tonfang, Père, iefuis forty,Et que vers toy ma Mèren'ait me/ity,Donneà mapeinevue trêuemeilleure,Et mepermetscefteIJlepour demeure.

A peineeut dit, queNeptunel'ouyt,Et de la voix defon fils s'efiouyt:Puisfendant l'eau defon efchineblueMitfur la merfa tefte cheuelue,Et luy refpond: Cen'ejl pas toymonfilsQii'on doit nier, à quipère ie fisDondestroupeauxqui ronflentfur l'arèneDamans aux bordsd'Egypte(? de ?alêne:Entre encefte[fie, Ù"endon la reçoyOui ejt, monfils, ajfez richepour toy.

Difant ainfi, de toute la puiffanceDefon Tridentfrappa le bord de France,Et tellementfon bras il eftendit,Qu'enlefrappant endeux parts lefendit :Puis de/liantde la racine entorfeLefondement,le pouffea touteforce,Et le tirant enarrache vn morceau

Qu'il fijl rouller bondà bonddefurl'eau

lufquesà l'IJle, ù1 lesvnijl enfemble:Commevn maçonqui defa chauxaffemblePierre à la pierre, Ù1 à coupsde marteauDedeux rockersfait fortir vn château.

Puis enplongeantdejfousl'IJle qui erreEncor fous l'eau, la lia contre terreD'vn eftroit noeud,commevn TifferanfaitQuanden ouurantfa tramefe desfait:Adoncil prend desdeux tramesenfembleLesboutsrompus, Ù"d'vn noeudlesaffembleFil contrefil, puis d'vn filet entier

Ourdiftparfaite vue toile au méfier :

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246 LE BOCAGE

AdoncProté ioyeuxenfon courageD'vn tel prefent, guigne le bordà nage:Baiza lu nue, isr la terre accolla,Puis vray Prophèteà l'ifle ainfiparla.

IJlequi fus folitaire <Ù"deferte,D'afpres buiffonsù" d'efpinescouuerte,Hautemaifondes Sangliersefcumeux,Et des grands Cerfs au large front rameitx,Oui n'euz iamaisla poitrineferucDufoc aigu de la crochechante.Vntempsviendra (& le voicyvenir)Qu'onte doit voir triomphantetenirLe premier rang entre toutes lesIjlesQuifont en biensù1 en peuplesfertiles :

Et quandNepiun de la mer gouuerneurAppelleralesIjlespar honneur,Tu marcherasdeuant l'IJlede Crète,Bienqu'ellefait la nourricefecreteDe lupiter, ir marcherasaujjtDeuantSamos,de Iunonlefouci,Et deuantKhodcingenieufe,encore

Que le Soleilfur touteselleadore.Bienloin bienloin les Orcadesviendront

Apres ta queue,& petites tiendront

Rang après toy, & grandeferas telle,Quede tonfein a la large mamelleAlaiSlerasmille vaillansArtus,Grands Roisarmez defer & devertus:

Dufang Tyran les mainsauront trempées,Et desgrands coupsde leurs grandes efpées,En combattantpour l'honneurde l'AmourFerontfonner lesforefis d'alentour.

De tels guerriers courrapar tout le mondeL'honneurfameux, Ù1de leur table ronde,

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ROYAL. 247

GrandsPallad'msde louangeanimez,Oui aux combatsarmezÙ1defarmezPour lefecours despanuresDamoifellesHardisferont des emprifesfi belles

Quele vieil tempsn'enfera le veinqueur,Tantvaut l'Amourefpris en vn boncoeur.

Delà viendrontles Preux & les Gendarmes,De la viendrontles efcollesdes armes,Combats,affauts, barrièresiy tournois,Et de brifer lefer fur le harnais.

Entre cesPreux doit régner vn Prophète,Oui vif Ù"fain, vuefemmeparfaicleEnart magiq enfermeradedansVnfroid tombeaupoury finer fes ans.

En ce tombeaul'amefera viuante,Et dedansl'amevue voix reformanteEntre les os, qui dira les dejiinsEt lesdangersaux noblesPallad'ms,Oyantl'oracle en mainteù" mainteforteDe la defpouilleenfembleviue & morte.

De tous les Dieuxtu feras enhonneur:

Mefmeslunonrefpandrale bon-heur

Deffustes champsdefa pleinemammelle:Vnfeul Bacchus,helas!pour l'amourd'elleTehayra, ir commea tes voifinsN'enrichiratescoutauxde raifins.

Maisquelquetour Gèresla vagabondeAyant tournéles quatreparts dumonde,Cherchantfa fille au trauers des humains,Tenantdeux Pinsallumezenfes mainsDoit arriuer laffiéea ton riuage,Quipour du vin te doitfaire vn breuuageNon corrofif nyviolent, nyfort,Trouble-cerueau,miniftrede la mort,

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248 LE BOCAGE

Maisinnocentà la prouinceAngloife:Et de Ceresfera nomméCeruoife,Quife pourrafi gracieux trouuer

Que tesvoifinss'en voudrontabreuuer.Bientofl verra ta terrefrutlueufe

Eftreen Palaisfuperbe <ùrfomptueufe,Et en citez <ùrenportsfpacieux,Dont lesfommetsvoifinerontles deux.

CefteCerésa"Abondancecompaigne,Fera iaunir defroment ta campaigne,Et tous tes champsauront le ventrepleinDeminesd'or <Ù?d'argent & d'eflain,Qu'au plus profondde tesplus richesveinesLegrand troupeaudes NymphesfouterrainesIront cherchant,choifijfant affinant,Louant, cuifant, ir d'vn marteaufonnantDefur l'enclume,à la fournaife neuueFerontd'argent ondoyervn grand fleuue,Qui doitferuir de monnayeh chacun:Car à chacunl'argent fera commun.

Bientofl courantau trauers de la plaineA crins efpars,foufflantà groffe haleine,Brufque, afpre, allègre, au combatle premierVerrashanir le beaucheualguerrier.

D'autre coftéle long de tes riuages,Entre lesfleurs au milieudesherbages,Oufur les montsaux verdoyanscoupeaux,Verraserrer milleieunestroupeauxBlancscommelai6l, dont la LuneamoureufeDe leurs toifonsferoit biendeflreufe:Car commeon dit, la Luneeut le coeurprisD'vne toifonblanchede richepris.

Ainflqu'onvoit defurl'arèneblondeDe la grand mer, vue ondefuture vne onde,

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ROYAL. 249

Puisfur vne autre vne autre s'efleuer:Ainfi verras à l'eftablearriuer

Deuerslefoir, ouà midyfous l'ombre,Degrands troupeauxvnefoullefans nombre

L'vnaprès l'autre, (y marchanten auantD'vn ordre long ironts'entre-fuiuantTroupefur troupe emplijfantles eftables:

Lesvnsferont d'âge & de poilfemblables,Lesvns cornus,& lesautres laineus,Dont les toifonscrefpesde mille noeudsPrendrontle teint de centcouleursdiuerfes1laune, incarnat, grifes, noiresù1perfes,Que les grands Roistourneronten habits

Ornezdu donde tes richesbrebis.Bien toftverras la Tamifefuperbe

MaintCygneblancloger dejj'usfon herbe,

Hoflesfacrez, puis efleuezaux deux,Toutà l'entour des bordsdélicieuxletter vn chant,pourfigne manifejleQuemaint Poète, (y la troupe celefteDes Mufesfoeursy feront quelqueiour,LaiffantParnajfe,vn gracieuxfeiour,Pour enuoyeraux nationseftrangesDes RoisAnglais lesfameufeslouanges.

Puisfe tournantdeuersle pied mangéD'vn chefnecreux, aduifevn camplogéDe maintsfourmis, qui dedansleur tefniereBrillaient couuertsde paille Ù"defougère.

Change,Neptune,enpeuple (cedit-il)Toutcemonceaudiligent &"fubtilA trauailler, &"à mettreenreferueLe bienqui l'hommeÙ*la vie conferue,Pour eftreaélifs ù*foigneux tout ainfiQu'eft lefourmyau labeurendurcy.

16.

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2fO LE BOCAGE

A peine eut dit, que le chefneremueSansaucunventfa perruquemenue,Et enbranlantfes rameaux,accordaCeque Protée enpriant demanda.

Lors cesfourmistranfmuezfe trouuerentVnplus grand corpsfur deuxpieds ejleuerent:Aux deuxcoftezdesefpaulesleurpendCommerameauxdesgrands bras: <ùrplus grandDeuintleur chef,<ùrplus grande leur bouche:Etpour le creuxd'vnefauuage fouclieVontpar les champsde rang, commeils foulaientAller l'efté quandles champsils pilloient,Lorsqu'ils chargeaientfur le dosparte-proyeLesgrains de bledpar vue eftroittevoye.

Cesanimauxde nouueautransformezDegrands outilsfe virent tous armez:L'vnplante aux champsvneforte charrue,L'autre enfes mainsporte vne bifague,L'vntient vn van, l'autre tient vn râteau,L'autrevnefourche, &1l'autre vn grand couteau:Mais la plus-part branlaitarmesguerrières,Haches,poignars, piques, lancesfrefnieres,Degrands arcs d'Ifs, desflèches,des carquois,Et fur le dos leurfonnoit le harnois,Racede gens vaillante& magnanime,Afpreau combat,(y qui guerrière eftimeL'hommeeftreheureuxiT combléde bon-heur

Quandpar la vie il achetél'honneur.AdoncProtévoyanttant de gens d'armes

Oui deftroientde nature les armes,Pareils en âge, enforce isr envigueur,De telpropos leur molliffoitle coeur.

Contentezvous, enfuis, de voftre terre,Et fi ardans ne courezh la guerre:

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2<jl

Commeamoureuxdu[ung nebataillez,Et vos voifinspar armesn'affaillez:Par vousne[oient enpoignantesefpéesNy vosrâteaux nyvosfauls dctrampécs,Et ne creufezvosfapins envaijfeaux,Et pour le gain ne tourmentezles eaux.

Soientvos efprits amoureuxdefcience,Du coursdu Ciel, ayez expérienceDesArts humainsqui font l'hommecourtois:Vosgrand

1s Citez ornezde bellesLois,

Ne leschangeantquand ellesfont receuesPour autresLoixnouuellementconccu'és:Aimezles bons,chaftiezles mefchans,Et bien-heureuxviuezparmyvos champs.Las! i'ay grand peur que-ce morceaude terre

Qui de la Franceefl faillit à l'Angleterre,Caufenefait de malheurauenir.

Commeejlranger nefe pourra tenirDeretournerau lieu defa naiffance,Et vousaprès auecq'forte puijfancePour le r'auoir franchirez voftrebord,Mettantfans fin vos terres en difcord.

N'offenfezpoint par armesnypar noife,Si m'encroyez,la prouinceGauloife:Car bien qu'ilfuft defiinêpar lesCieux

Qji'vn tempsferiez d'elle viÛorieux,LemefmeCielpour ellea voulufaireAutre dejlinau voftre tout contraire.

Le Gauloisfembleau Sauleverdiffant-,Plus onle coupe,is' plus il eft naijjant,Et re-iettonneen branchesdauantage,Prenantvigueur defon propredommage:Pourceviuez commeamiablesfoeurs:« Par les combatslesSceptresnefont feurs.

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2^2 LE BOCAGE

Quandvousferez enfemblebien-vnies,L'Amour,la Foy,deuxbellescompagniesViendrontça bas le coeurvousefchaufer:Puisfans harnois,fins armesù" fans fer,Etfans le doz d'vn corfeletvousceindre,Ferezvos nomspar touteEuropecraindre:Et l'âge d'or verra de toutesparsFleurirles Lisentre lesLeopars.

Tu neferas, Ijle bien-accomplie,Claire d'honneur& de vertu remplie,Sinonau iour qu'vneRoynenaiftra,Quicommevn Aftreicy apparoiftra:Elleaura nomElizabet,fi belle

Qu'autrebeauténefera rien près d'elle.

CeftePrinceffeau coeurRoyal<ùrhaut,Pleined'vn fang tout magnanimeù1 chaud,leunedeface Ù1vieillede prudence,Par grande ardeurfera la guerre en France:Et couurirales efchinesdes eauxDemajh, defujls, de voiles,de vaijfeaux,Qui de leurs creux,fur l'arènefemeeFerontefpandrevue moijjonarméeD'hommeschargezde harnoisfremijfans,Et de chenauxaux combatshenni/fans,Et de piétons, dont les armesferréesEfclaterontfur les eauxazurées,Et fur les champsvnfeu brillant <£rclairCommevuefoudre, ou commevn long efclairQueIupiter tout courroucédejferreSur vneville enfigne de la guerre,Oufur le maft d'vne nauireenmer,Pourvnfignal qu'il la veut abyfmer.

MaisrencontrantvneRoyneprudenteQui des Françoisfera fige régente,

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ROYAL. 25"5

Viued'efprit ù1 meurede confeil,Retirerafoudain fin appareil,Apresauoirfa gloire accompaignêeAu premierbordd'vneville gaignèe.

Puisfans auoir de Marstrop defouci,Elle eftantRoyne,<ùrl'autre Royneaujjï,EftimerontlesMartialesfiâmesDuirepluftojl aux gendarmesqu'auxfemmes,Qui de natureont lefexe plus doux,Enclinà paix, ennemyde courroux.

Pourceonverra bientoftfleurir entreellesDesamitiezpour iamaiséternelles,Oui lesferontplus craindrequeles Rois

Quifur le dosont toufioursle harnais,D'autant qu'onvoit la paix eftremeilleure

Que le difeordqui en enferdemeure.A tantfe teut le Dieumarin Proté,

Qui du riuage en la mer eftfauté :La mer l'enferme,Ù" l'eau quipirouette,Fiji mille toursfur le chefdu Prophète.

DISCOVRS,

à ellc-mefme.

LES PAROLES Q.VE DIST MERLIN

le Prophète Anglois efmerueillé de voir

Artus en fa ieuneffe accomplyde toutes vertus.

Quand lupitcr legrand père desRois

FeiftnaiftreArtus ornementdesAnglois,

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2^4 LE BOCAGE

Pourvn ckef-d'tssuureÙ1merueilledu mondeII amajfatoute la terre & l'onde,Lefeu léger, Ù" les Aftresqui fontA tousmortelsporter defur lefront(Commeil leurplaift) cent diuerfesfortunes,Blanchestantoft, tantoft noiresiy brunes,Verfantfur nousle nefçay queldeftinQui nousmaiftrife& fuit iufqu'à la fin.

Il choijijll'eau la plus claireù" luifante,La terre aprèsla moinsdure Ù1pefante:Lesmift enmajfe,Ù" enfift du leuain:Il la paitrift longuementenfa main

Uamolliffantdefon doigt bienagile,Commevn potier amollijlfort argile.

Tournantla terre en hommela forma,Souffladedansvnfeu qui animaLa maJJ'erude, ù" defoypareffeufe,D'vne ameviueardenteÙ"genereufe,Semblableau feu quiprompt, chaudù" légerFuyantla terre au cielfe va loger.

En ce-pendantles trois ParqueschenuesSontà l'entourde l'Image venues

Ayant au col trois quenouillesd'airain,

Fufeauxdefer : puis tirant de leurfeinVuefillace {? blanche& déliée,L'ont tout au rond desquenouillesliée.

Mouillantfouuent defaliue leurs doigtsPinçoientlefil d'vn accord toutestrois,Et de la trameen tourbillonsfuiuieD'vn beaufufeaufilaientfa blanchevie,La polliffantd'vne mordantedent:Puis pour durer contretout accident

Qui va troublant desmortelsle courage,D'vn triple brin renforçaienttout l'ouurage,

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ROYAL. 2ff

Afin qu'ensembleil fufi (y blanc(y fort,Blancen beauté, (y dur contre l'effortQue le malheurouque l'enuieameine,

Brifant le coursde nojtreviehumaine.Lors lupiter quifeul prejtdoit là,

A hautevoix tousles Dieux appellaPour comtemplercefteImageparfaitteQiiepour miracleau ciel il auoitfaitte,Leurcommandantd'vnfront paifible(y doux

Qu'elle receuftvn beauprefentde tous.AdoncAmourd'vne alaigrefecoujje

Luyrenuerfatous les traits defa troujfeDedanslesyeux: nonfeulementfes traits,

Maisfes douceurs,fes grâces,fes attraits

Quivoletoientfur Jon chef, commeAuettesVolentautour desplus doucesfleurettes.

Venus,d'oeillets(y de rofesa peintLa couleurviue{yfrefchede fon teint:Marsluy donnala taille iïy la proiieffe,Pallasprudence,£y lunonla richejfe:Phoebusluyfift le chefaufîen pareil,Et Promethéluy donnale confeil,L'efprit Mercure,iy Pithonla faconde:Puis lupiterle fift defcendreau monde.

Si toft qu'à bas l'image defcenditLa Renomméeaux grandsyeux l'entendit.

Lors nefouffrant quela bellevenueD'vn hommetel fift long tempsincognue,Laiffa coulercommeles Nymphesfont,Ses longs cheueuxà l'entourdefon frontEtfur le dos : puis elleprift fes ailesA cent couleurs,grandes, longuesiy belles,Faitesde rang à cerceauxinégaux,Tellesqu'onvoit cellesdes Papegaux

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2f6 LE BOCAGE

( Prefentdel'Inde) eftretoutes couuertes

D'azur, de rouge, Ù" depeinturesvertes,Et fe monftrerdiuerfesà nosyeuxAinfiqu'Iris en vn tempspluuieux:Ellecacha centlanguesenfa bouche,Printfou cornet, quefoudain elle emboucheA iou'éenflée,Ù"promptementde làSur le Palaisd'Europes'en-vola.

Europeauoitfur fa robeengrauéeMainteprouinceà fils d'or efleuée,Maintecité, maintsfleuuesùf maints ports,Et maintemerferuant defrange aux bordsDefon habit, maintedroitemontaigne,Mainteforeft, maint lac, maintecampaigne,Et maintfablonfur lesplis iaunifliintDefon habiten or refplendiffant:Sonoeilfut plein, toutfon front ù" fa faceDemaiefté,de douceurÙ' de grâce.

Defur fon chefmaintecouronneeftoit:Dedansla mainmaintfceptre elle portait,Et hauteajjîfe en vn throned'yuoireDe toutesparts s'enuironnoitde gloire, .Et de loyauxquiflambonsà l'entourDefes beauxdoigtsfaifoient vn autre tour.

Commeelleveut, cefteEuropecommandeAux Roisfceptrez ajjls d'vne grand bandePrès defon throne: vn a lefront ioyeux,L'autre marryfiche à terre lesyeux,L'autre ruzé difcourt enfa penfèeDemettreà fin la guerre commencée,L'vnvit enpaix, l'autre neveutfinonPar le harnoisacquérir du renom:L'vn eftheureux,& l'autre n'ejl profpere,L'vn eft Tyran, l'autre règne enbonpère,

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ROYAL. 2f7

L'vn eftprudent, l'autre mal-auifê:

L'vnramajfantdefon.fceptrebriféLesgrands efclatsmiferables'eftonne,Et l'autre voit à terrefa couronne:L'vn efl vieillard {? Vautreieuneenfant,L'vn efl veincu& l'autre triomphant.

Touta l'entourfont les Ducs ù1 les Comtes,

Que toy Fortuneen vn iour tu furmontes,Et depompeuxlesfais aller feulets,Degrands Seigneurstransformezenvallets.

Auprèsdu throneeftoientgrandes Pri?iceJJ}s,

Royv.esde nom, Marquifes{? Duchejfes,Oui venaientvoir Europebienfouuent:

L'vnederrière& l'autre alloit deuant

Selonle rang, lefang Ù"le lignage.Ellesouurantà l'eguillevn ouurage

Brodoientenfemblea traits longs & parfaitsDe leur pays lesgejles & lesfaitsEt l'origine, Ù1les longuesAnnales,Grand ornementdes dignitez Royales.

Or aujfitojl que l'EuropeentenditLa hautevoixque la FaméefpanditAu ciel, en mer & ça bas en la terre,Elleappellafa mignonneAngleterre,

Luycommandantd'aller voir que c'eftoitQueceftevoixpubliquementchantait.

Toutaujjî tojl qu'Angleterreeut ouyeTellenouuelle,elleenfut refiouye:Et fupplia la Famédepouuoir(Pour le redireà l'Europe)aller voir

Cejtebelle ameen beautéfi parfaiteQjt'ellecornoitauecquesfa trompette.La Renomméeadonqfe mifl deuant,Et l'Angleterreaprès ïalloit fuiuant,

Rimant.—III. >7

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2fS LE BOCAGE

Toufioursparlant^d'vnfi plaifant vifageDontia le nomauoit prisfon courage.

Incontinentque cejleNympheeut veuCe nouueaitcorpsde beautéfi pourueu,Dequi la face &1douceÙ1genereufeEujtpris les Dieux, elleenfut defireufe,Et en drejfant lesyeux pleinsdefouciVerslupiter, fift fa requefteainfi:

Grand lupiter qui habitesles nues,A qui des coeurslesfiâmesfont cognués,Si i'ayfuiay ta hautemaiefté,Si i'ayfidèle à tonferuice ejlé,Si tu m'as humbleen tous lieux rencontrée,Defi belleamehonorema contrée.

Ainfipriant la Nymphedemanda,Et d'vn clin d'ail lupiter l'accorda.

Incontinentcentmillecourtoifies,Toutesvertus dedansle Cielchoifies,Et tout l'honneurqui fert de luftre aux RoisVinthonorerle beaupays AnglaisFils de Neptun, tout enuironnéd'onde,Etfeparé desmalicesdu monde.

Alors que l'âge aura de tonprintempsVnpeu meurylesplaifirs inconfians,Et que l'ardeur qui les guerres anime,Te rendraPrince Ù1fort & magnanime,Toutesforefts, tous rochersd'alentourNeparleront que d'armes isf d'amour,De palefrois, d'efeuyers,de querelles,Et de vengerl'honneurdes Damoifelles,Denains, combats,isr de pontspérilleux,D'enchantemens,de hazards merueilleux,Levrayfubietl de cejletable ronde,Oui defon nomdoit couurir tout le monde:

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2f9

Et de laquelle,o très-vaillantArtus,Serasl'honneurpour teshautesvertus,Et de tous Rois,qui bouillansde ieunejfeVoudrontvn iourimiter ta proueffe.AuJJîes-tu la faclure desDieux.Nefois pourtant d'vn tel heurglorieux:Tant plus en haut leschofesfont poujpes,Plus contrebas ellesfont abaijfêesPar la fortune, à quin'ejl rienfi cher

Quevoir d'enhaut lesPrinces trébucher.Mais toy, qui prensdesDieuxmefnesla vie,

N'espoint fuiecl, commevn peuple,à l'etiuic,Plus puiffant quelle, Ù"la voirra? mourir,Et tescombatshéroïquesfleurir,Sansquefa limeodieufeles ronge.« Toutevertu mefprifela menfonge.

Ainfi Merlind'Artus profetifoit,Et vray deuint tout celaqu'il difoit.

DISCOVRS

à trefilluftre & vertueux Prince,

Philebert Duc de Sauoye, & de Piémont.

VousEmpereurs,vous Princes,ù1 vousRois,Vousqui tenésle peuplefous vos lois,

Oyezici de quelleprouidenceDieu régit tout par fi hauteprudence.Vousapprendrez, tantfoyez-vous appris:Puis vousaurez vousmefnesà mefpris,Et cognoiftrezpar prennemanifefte<(Que toutfe fait par le vouloir celefte,

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2ÔO LE BOCAGE

« Oi'.ifeul va l'hommeù" hauffant& baiffant:« Qui d'vn bergerfift vn Roytrefpuiffant,« Et vn grand Roypour tropfe mefcognoijire« Entre lesboeufspermijl longuementpaiflre.C'ejl du grand Dieu le ingénienttreshaut,

C'ejifon aduis: murmureril nefautContrefon vueil, Ù1l'hommeà boucheclofeDoit approuuertout ce que Dieudifpofe.

Qui oferoitaccufervnpotierDe n'eftreexpert enl'art defon méfier,Pourauoir fait d'vne maffefemblableVnpot d'honneur,l'autre moinshonorable>

D'enfaire vn grand, l'autre plus ejlreci,Plomberceluy,i? dorer ceftui-ci,Ou lesfrefler, oubienfi bonluyfemble,Quand ilsfont faits, les cajfer tous enfemble?Lespotsfont fiens, lefeigneur il en eft,Et defa roué il fait ce qui luy plaijl.

Quivoudrait doncaccuferd'iniujliceLe Tout-puijfant, commeauteur de malice,Si d'vne majfeil fait vn Empereur,Et de la mefmevn pauure Laboureur>

S'il pouffeen bas les Rois& leurs couronnes,Et s'il fait Rois lesplus baffesperfonnes

>

S'il va tournant les honneurscommeil veut?« // ejl agent, feule caufequipeut,« Nousfes fuiets qui recelionslaforme« Bonneou mauuaifeainfi qu'il noustransforme:« Aucunesfoisil nous leueaux ejlats,« Deshauts honneursil nousdeualeen bas,« Nousfait fleurir <ùffleflrir en mefmeheure,« Et changeanttoutfans changementdemeure.

Il nefaut point pour ma caufeapprouuerVntefnoignage es hifloirestrouuer,

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Nyrechercherleshiftoiresantique!Nydes Romainsnydes hommesAttiques.ToyPhilebert,DucdesSauoifiens,M'enfourniras plus queles anciens.

Donquesà toymaparolle iadreffe,Mettantà part leshiftoiresde GrèceEt des Romains,pour te chantericiEt ton bon-heur,<ùrtonmalheuraujfi,Nontout du long, il faudroit vn Homère.Maisdiscourantl'en diray lefommaire.

Quandpar fortune, oupar le vueildes deuxLepère tien eutveu deuantfesyeuxToutfon pais réduitfous la puiffanceDefon neueu,vn puijfantRoyde France:Et d'autre-part qu'vn Empereurplus fortLe maiftrifoitfous ombredefupport,Et que ta terre en cepoin5loccupéeNe te reftoit que la cape(? l'cfpée,SimpleSeigneur,ayant de ta maifonPerdu le biencontredroit ù1 raifon,Toujioursen douteefpiant lafortuneQui nete fut qu'à regret opportune:« (Car volontierslefort impétueux« Romptle dejjeinde l'hommevertueux):

Qui euftpenfèqu'après tant de trauerfes,Que lesbeauxfaits de tesguerres diuerfesEn tonpais plus grand t'eujfentremis,Eftant amide tous tes ennemis>

Or quand Cefar mitfes gens en campagnePourchaftierles Princesd'Allemagne,Lorsta vertu qui faneur rencontra,Plus que deuantilluftrefe monftra:Et fis fi bien, que l'Empereur,qui oresNe t'auançoit en nullecharge encores,

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2Ô2 LE BOCACE

Lesfaits guerriers de ta mainapprouua,Et aux honneursles plus hautst'eleua:Maiston attente ejioit defefperéeDe regaigner ta terre defirce.

Quanddes FrançoisFrançoisle Royfut mort,Sonfils régna plus quele pèrefort,Qui de chenaux,de piétons,de gendarmesRemplitl'itale, Ù"mit l'F.fpaigneen armes,Serra VAnglaisenfon rempart marin,Et courageuxalla boiredu Rhin:

Qui par prouejfe& par ruze de guerreSefijl Seigneurd%rejle de ta terre:

Quifut ajfez pour perdre tout efpoirDeplus iamaiston douxpais reuoir

Ny tesfuiets, commechofeimpojjible,Eftantveincu d'vn veinqueurinuincible:Et toutefoista vertu tant ofa,Qu'à la grandeur du veinqueurs'oppofa.Car quandles Rois& d'Efpaigne<&de FranceL'vn contrel'autre armèrentleur ptîiffance,Par tonmoyenl'EfpaignolajfemblaPremierfon camp,dont la Francetrembla.

Lorstu rompisles murscommevnefoudreDe Terouane,(? mis Hedinenpoudre,Et commevnfeu qui s'apparoifi es deuxAux nautonniers,figne prodigieux,Tu fapparus, & brûlant nosvillagesTu nouscomblasde centmilledommages:Et monftrasbienen te monftrantveinqueur,Perdant ton bien, n'attoirperdu le coeur.

Longtempsaprès la FortuneennemieA tes dejfeinsfe voulut rendre amiePour te remettreen tonpremier honneur,Etpour cefaire appellale Bon-heur.

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26"j

Bon-heur(dit-elle) il eft tempsdepermettreA cegrand Duc qu'ilfe puiJJ'eremettreEn[on pays, ie l'ay trop ojfenfé:Il faut qu'ilfoit par moyrecompenféD'vn doublehonneur,l'vn de veincreà la guerre,L'autre d'auoir par amitiéfa terre :

C'ejl vn guerrier lequeln'afon pareil

Ny en vertu, encombat,ny confeil,A quima mainfi long tempsdefpitéeA defrobéfa gloire méritée:Maismaintenantie le veux eleuer.

Pource, Bon-heur,de/logepour trouuerEn quelquepart la Vicloire,{? la meineOù cegrand Duc eft campédans la plaine.Vousdeux enfembleallez dedansfon ojl,Et le pouffantdites luy, que bientoftDreffefes pas vers la forte murailleDe Saint-Qjtentinpour gaigner la bataille:Faites qu'enordre il guide Us Germains,Sonplus grand heur doit venir de leurs mains:

Et quefans crainte il combatel'armée

Que i'ay pour luy à la fuite animée.De là fon heur, de làfon biendépend,Par cemoyenilfe doitfaire grand,Doit acquérir vue gloire éternelle,Et recouurerfa terre paternelle.

A-peineeut dit que Bon-heurs'eleua,Et viftementla Vicloiretrouua.

Vicloireauoit de grans ailesdorées,Bienpeu s'en-faut des Princesadorées:

Sonoeileftoitdouteux& mal-certain,Sonfront fans poil, inconftantefa main:Elle<ùrceDieudedans le campentrèrentOù cegrand Prince enarmesrencontrèrent.

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2.64 LE BOCAGE

Va(dit ceDieu) la Vitloireejtpour toy,Vaviflement,combale campdu Roy:Tu tournerastes ennemisenfuite,Ayant Vitloire& moypour ta conduite:Car autrementfans l'aide de nousdeuxLefait feroit de ta part hazardeux.

A-tantfe teut le Bon-heur,qui à l'heureEntra cheztoypoury faire demeure.De telspropos lors toyefpoinçonné,Ayantton campbrauementordonné

Auffifoudain qu'vn torrent desmontagnesA gros bouillonstombefur les campagnesPerdant l'efpoir dupanure Laboureur:

Auffifoudain tout remplidefureur,D'ire, d'ardeur, de coeur(r de prouèffeTu renuerfasla FrançoifeieunejfeLa lanceau poing, Ù1pauas tous les champsDemortsoccisfous tes glaiues trenchans.

La Paix adonc, quidu thronecelejleVeitles effetsde la guerre molefle,Et que le mondeerroit tout dévejluDefoy, d'honneur,d'amour&"devenu,Enfoufpirant s'adrejfaversfon père,Et de telsmotsadoucitfa colère.

Si des mortelstu as quelquefouciPèreéternel, ne lesfouffres ainfiS'entre-tuer commebejiesfauuages,Ainsd'vn accordadoucileurs courages.

Lefang verfé desmeurtresmutuelsSiedaux Lyons& aux Tygres cruels:Nonaux humainsconuiennentles querelles,Quepar le nomde tesfils tu appelles,Et qui enfembleenfermetéd'efpritSont baptifezen ton fils IESVS-CHIUST:

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2Ôf

Pource,Seigneur,en mafaneur te plaifeFléchirleurs Rois,Ù1leurs guerresappaife.

Ainfi à Dieu cefteViergeparla,Quanddu haut Ciel en terre deualaPoury trouuervn Charlesvénérable,VnAnneauffide FranceConneflable,

Aufquelsfa voix ainfi elle aidreffa,Et dans leurs coeursfa parole laiffa.

Nefoujfreplus, toyCharles,qui as prife,Grand Cardinal, la chargede l'Eglife,Que les Chrefliensde meurtresinhumains,OublionsDieu, enfanglantentleurs mains;

Tu en auras par lespeuples ejlrangesDe tous cojlez immortelleslouanges,Et des Françoisferas enchacunlieuAuectonfrère honorécommevn Dieu.

Toyd'autrepart Conneflablede France,Perdant la guerre ourdi vne allianceEntre cesRois, & les conioinsamis:« Souuentamisonvoit les ennemis,lefuis la Paix du Ciel vers vousvenue.

Et cedifant ellerompit la nue

Qui la couuroit, i? de rayonsardansLeurenflamatout le coeurau dedans,

Encouragezdu defir de parfaireEntre deux Roisvn accordneceffaire.

Ce quifut fait: car après maintdifcordEt maint débat ils ont efiraint l'accord

Qui tientferrez en amitiénosPrinces,Donnantreposà toutesfes Prouinces:Etpar lequeltefut auffirenduTonbeaupais que tu auoisperdu,EJlantamimaintenantde la France

Que tu vouloisfaccager par outrance:

>7-

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266 LE r,OCAGE

Contrelaquelleenfureur tu auoisCeint tonefpéeù1 vejiule harnoisPour la dejlruire: ô ingénientdeshommes!Et maintenanttu aimes,ù" tu nommesLe Royton frère, en lieude le nommerTonennemi,& ton courrouxamerEn amitiépour tout iamaistu changes,Et des Françoispar la paix tu te vanges.

Or tu lias pas commepar vn deflinMisfeulementton entreprifeà fin,En regaignant tes terres détenues

Quifous ta mainvolontiersfont venues.Où tes oyeuxvnpeu moindresque Rois,Par Jt long tempsauoyentdonnéleurs lois:Tu as aufficommepar deftinéeLa Soeurdu Roypour efpoufeemmenée,La Marguerite,en qui toute bonté,Honneur,vertu, douceur{? maiejlè,ToutenobleffeÙ1toute courtoifieOnt dansfort coeurleur demeurechoifte.

Et bienquemille ÎT millegrans Seigneurs,Richesde biens, dépeuples&•d'honneurs,La Margueriteenfemmeeuffentrequife,La deftinéeà toy l'auoit promifePour iouirfettl de cebiendeftré,Pour qui maint Princeauoit tantfoufpiré.

Or ceftevierge envertus confomméeD'vn coeurtreshautdeflaignoit d'eflreaimée,Et commevn rocqui repoujfela mer,Hors defon coeurpouffoitle feu d'aimer.

Ainfiqu'onvoit vue bellegenice,A qui le col n'efiprejféduferuice,Loingdes toreauxpar les champsfe iouant,Aller du pié l'arènefecouant,

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267

Haujfer lefront ù" marcherfans feruageOùfon pied librea guidéfon courage,Sanspoint auoir encoresalentourDu coeurfenti lesaiguillons d'amour.

Ainfi marchait& ieuneÙr toutebelleEt touteà fqy la royallePucelle:Elleignorant lesfaux allechemensDufaux Amour& fes attouchemens,Sesfeux, fes arcs, fes flèchesÙ"fa trouffi,Et le douxfiel de Venusaigre-douce,SuiuoitMinerue,Ù1par elle approuuez,Eftoyentlesarts que Pallas a trouuez.

Aucunefoisauecfes Damoifelles,Commevuefleur ajfifeau milieud'elles,Tenait l'aiguille, ù1 d'vn art curieux

loignoit la foyeà l'or induftrieuxDejfusla toile, oufur la gaze peinteDefil enfil preffoit la laine teinte,Et d'vn tel foinfon ouurage agençait,Ojied'Arachnêle méfier effaçait.Maisplusfon coeurelle addonnoitau Hure,A la fciençe, à cequi fait reuiureL'hommeau tombeau,ù" les doclesmeftiersDe Calliopeexerçaitvolontiers,En attendantque FortunepropiceEujl ramenétoyfon futur Vlyjfe:Seuleenfa chambreau logis t'attendoit,Et des amanschajlefe defendoit.

Maisquand tu vis fauteler lafuméeDe tonpais, ellein-accouftuméeDu feu d'aimer, par va trait tout nouueauRécentd'Amourtout le premierflambeau,Otii déglaçafa froidure endormie,Et defaroucheil la rendit amie:

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268 LE BOCAGE

FléchitJon coeur,lequelauoit apprisD'auoir Venus<ùrfes ieux à mefpris:Et commeonvoit vneglace endurcieSousvn Printempss'efcouleraddoucie,Ainfilefroid defon coeurs'efcoula,Et enfa place vn Amoury vola:

Voyantceluyauquelains qu'eftrenée,Pour femmeeftoitpar deftinordonnée.

Or viuez doncheureufementviuez,Et deuant l'an vn enfantconceuezOuifoit à père & à mèrefemblable,D'vn beaupourtrait à tousdeux agréable:Viuezenfemble,& d'vn ejlroit lien

loignez tousdeux lefang SauoifienEtde Valoisen parfaite alliance:Si qu'à iamaisfoupçonÙ"desfianceSoitloing de vous, & en toutesfaifonsLa paixfieurijfe entrevosdeux maifonsDe ligne en ligne, (? fur lesfils qui d'elle

Naiftront aprèsd'vne race étemelle.

A TRESILLVSTRE PRINCE CHARLES,

Cardinal de Lorraine.

l'ay procès, Monfeigneur,contrevoflregrandeur,Vouseftesdéfendeurér iefuis demandeur:

l'ay pour monaduocat Calliope,isr pour iugePhebusqui vous cognoift,i? qui eft monrefuge:Et pour voftreaduocatvous auezfeulementIl meplaift, iele veux, c'eft moncommandement.

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269

Or deuant queplaider il nefaut penfer eflrePrinceny Cardinal, Monseigneur,nymonmaiftre,IJJude Charlemagne,(? de ceGodefroyQui par armesfe fift de PaleftineRoy,Ny onclede la Royne,ou celuyqui la gloireRemportafur Luther d'vnefainâie viôioire:Ou celuyqui ce règnea purgé desmutins,A6leplus grand que ceuxdesEmpereursLatins.

Mais ilfaut penfereflrevn d'entre le vulgaire,Et perfonnepriuée: autrementmonaffaireAurait mauuaifeiffue, (y fans heureuxfuccésleferois en danger deperdre monprocès.

Pourcene venezpoint commevn Dieu de la France,Aduocatneprendrait contrevousma defenfe.Ne parlez point aujji: car voflredotle vois

Quifçait gaigner les coeursdespeuples & des Rois,A qui la triple Grâce, Ù1Pithonoù abonde

L'éloquence,ont verféle mielde leurfaconde,Vousfaifant vn Neflor, trop diferteferoitQue le tort éloquentdu droit! triompherait.« Toutemauuaifecaufeauecart bienplaidée« Eftplus que le bondroit fouuent recommandée.

Doncfans vouloirpar art la miennedefguifer,MonaduocatvousveutfimplementaccuferSefiant enfort droit (tout iuge véritableDonnepour l'innocentlafentenceéquitable:)Et fi vousennuyezde vousvoirfurmonté,l'en appelleà vousfeul, {? à voflrebonté.

Or de vousaccuferil prend la hardiefj'eDe liauoir vers Ronfardgardé voflrepromejfe.« Touthommequi ne veutfa promejfetenir,« Sedoitfélon la Loyfeuerementpunir :« Puis d'autant plus fe doit tenir la foy promife,« Qu'ellevient& d'vn Prince,& d'vn Pafleurd'Eglife:

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27O LE BOCAGE

« Ou ne promettrepoint : peu d'honneureft receu« Quandpar le grand feigneur lepetit eft deceu.

Il dit par fes raifonsque déslafienneenfance(Si celapeutferuir) eut de vouscognoijjance,Et en mefmeCollège,ir fous mefmeRégent:Il dit qu'en croiffantd'âge il eft creu diligentA vousfaire feruice, Ù1vousa quantau refteEntous lieuxhonorécommechofecelefte:Puis quand lesaiguillons d'Apollonù" l'erreurDont s'efchauffentlescoeurs,le mirentenfureur,Et quela MufeGrecque,ù" la MufeLatine

Luyeurentviuementenflaméla poitrine,Il conceutvoshonneurs,& en toutefaif011N'a cejféde chantervous& voftremaif on.

Quandvoftrefrère aifnè,par fuperbe entreprifeEngarda que deMetsla cité nefuft prife,Et que Cefar enfléde vengenceÙ" d'orgueilVit en lieu d'vn trophée,vn horriblecercueilDefes hommesoccis, quiplus neremportèrentL'Aigle, quepour enfeigneenfan campils plantèrent:Il chantala desfaite, & fi haut il voila

Quefon vers généreuxla vlSloireegalla :Et fi voftrefrère eut vne belleviSloire,CeRonfardn'eutpas moinsenfon oeuurcde gloire.

Puis quandpar la vertu que l'heur accompaigna,Voftrefrère a Renti la bataille gaigna,Et que tous les Flamansù" lespeuplesd'EfpaigneAfon brasfoudroyantquittèrentla campaigne,Il célébrafa gloire, & par fon versfut misLa hontedoublementau front des ennemis.

Puis quand leschiquaneursfe tourmentoyentd'enuie

Dequoyvousreformiezles procès& leur vie,Sanscraindre leurfureur, leur fraude Ù"leur courrons,Vousfiera la luftice, &•la mift dedansvous:

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ROYAL. 2yi

A Rommevous l'enuoye,oupoint nefut deceuê,Car ellefut de vousbenignementreceuë,Commeenvn coeurgentil de vertus réparé,Qui luy eftoitdu Ciel pour logispréparé.

Puis quand voftreparent le grand Ducd'AuftraJieEut la fille du Roypour efpoufechoifie,Et que le palais veuf deprocès& de plaidsVit, en lieud'aduocats, diuerspeuplesefpaisCrier HymenHymen,& lesfueillesfacréesOrner defes pofleauxlesfuperbesentrées:

Pafleurmenafa Mufeau chafleaude Meudon,Il célébrala Grotte, Ù"vous enfift vn don.Aufon defon flageol danferentles Naiades,Danferentles Syluains,danferentles Dryades,LesSatyrescornus,les Faunes& les Pans,Et lesCerfsfauteloyentà l'entour deleursfans :Tout Meudontrejfautafous les vers quifonnerentLe beauChant nuptial, lesforefls l'entonnèrent,Echoles rechanta,£y plus de millefoisVoftrenomfut appris aux antres{? aux bois:Tantvaut le gentil fon d'vne Mufefacrèe,Quandpar vn bondeftinaux Princeselle agrée.

Lorsqu'il fallut changerÙ"tourner le difcord,Difcordhydreteftu, en vnpaifible accord,Vousfuftes enuoyècommevnfige MercureA chafleauCambrefis,pour en prendre la cure,Et vousfaire apparoiftreau milieudu Flamant,De l'Anglois, de l'Ibère vn diuin truchemant:Il compofavoftreHynne,& commevnepucelleOui va parmi lesprez en lafaifon nouuellePour chargerfon panier Ù1fon giron defleursQjii bigarrent les champsde diuerfescouleurs:Ellene laiffefleur nypetite nygrandeSansenfaire vn bouquet,puis va trouuerfa bande

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272 LE BOCAGE

Qui l'attendfur la riue, & verfantfon gironMonftretoutes lesfleurs desiardins d'enuiron:

Ainfînil ne laijfa nygrande nypetiteVertuqui fufl en vous, qu'ellenefufl defcrite,Il en ourditvn Hynne,<ùrfortant de[es mainsVousenfijl vn prefent, à fin queles Germains,

L'Efpaignol,Ù1l'Anglais, & toute l'ajfemblêe(Oui de diuifionserroit toute troublée)

Apprinjfentvosvertus, & qu'il euftce bonheur

D'eftreaux peupleslointainschantrede voftrehonneur.

Quand lesFrançoismutins,ains pejlesde la France,Armèrentcontrevous l'erreur Ù1l'ignorance:

Quand lepeuple incertain errant deça-delaTenaitl'vn ceftefoy, Ù*l'autre cejie-là:Et quemilleplacarts diffamoyentvoftre race,il oppofafa Mufeà leurfélonneaudace,Lesdesfianttoutfcul, & hardi tant ofa,Quefa poitrine nue à leurs coupsoppofti,Bienpeufe fondant de leur rage animée,Pourueuqu'il fufl fauteur de voftre renommée,Vnchacunfe taifant : car onnefçauoit lors

Qui desdeux campsauroit les deftinsles plusforts.Il refueillaBa'ifpour repoufferl'iniure

Qu'on vousfaifoit à tort, par fa docleefcriture:/DesAutels<ùrBelleau,Ù"milleautres efpritsFurentpar fon confeilde vosvertus efpris.Il n'efcriuit iamaisqu'il neuft la bouchepleineDesilluftresvertus de Charlesde Lorraine,Quemille <ùrmillefois en mille Ù"mille lieux

Efparfes il fema commeeftoilesaux deux.

Qtiandil auroitfend leplus cruel barbare,Encorefon fcruice & fa plumeajfez,rare

Efchaufferoitvn Scythe,(? béninle voudroit

Fauoriferfur tous& luygarder fon droit.

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ROYAL. 273

Adiouftezd'autre part qu'il ne vous importune,Etfoit bienoufait mal, il fouffrefa fortune,Seconfianten vousfans talonnervospas,Sansvousfuture au Chafteau,à la chambre,au repas,Commecevieil Prélat, las! qui nefe contenteDevoir enfa maifoncentmillefrancs de rente,MiferablePrélat! nyfon cheftout grifon,Ny le reposaimableenla vieillefaifon,Ne l'ont peu retirer queferf il nefe rendeEt au vouloird'autruyfa liberténe vende.

Celuypour qui ie plaide eft d'autre naturel,Bienpeufe fouciantde cebientemporelOui s'enfuitcommevent, &• n'eftoitla contrainte,Il neferait ici par mabouchefa plainte.Il a le coeurfi haut qu'il aimemieuxmourirSansfupport ir fans biens,que de les acquérirPar importunitêcommeceuxqui vouspreffent,Et iamaisen reposvos oreillesne laijjent.

Et toutesfois,Seigneur,après que ceRonfardA defpendupour vousfon labeurér fon artA vousrendreimmortel,pour toute recompanceVnautre a pris lefruit defa vaine efperance,Vousne l'ignorant point : car par voftre moyen(L'ayant misen oubli)vn autre a pris fon bien:Il vous en aduertit & vousenfift requefte:Il tendit lesfilets, vn autreprijl la quefte.

Maisfortune Ù"faneur, qui ont la plusgrand'partDu monde&"de la Court, n'y eurentpas efgard :« Ainfilesgros toreauxvont labourantla plaine,« Ainfi lesgras moutonsau dosportent la laine,« Ainfila moufcheà miel enfon petit eftuy« Trauailleenfe tuant pour le profit d'autruy.

Tout le bienqu'on amajfeauecquestrop depeine,Iamaisaucunprofit au pojfejfettrn'ameine,

KousarJ.—III. I8

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274 LE BOCAGE

Etfe tourne enmalheur,quand celuyqui le quiert,Auecquestrop de peine<Ùrde trauail Vacquiert:Et mefmequand il voit que toufioursondiffère,Et qu'à la vertu mefmevn indigneonpréfère.« AuJJitrop chèrementvn bien-fait ejl vendu« Quand l'hommepour l'auoirfon âge a defpendu.Ha! que vousfufies fols panurespères defaireApprendreà vos enfansle méfier literaire;Mieuxvaudroit leur apprendrevn publiqueméfier,Vigneron,laboureur,maçonou charpentier,Queceluyd'Apollon,ou celuyqui amufeLesplus gentils efprits des bayesde la Mufe,Titres ambicieux,quifans eflreauancezLesfait eflimerfols, furieux, infenfez.

SainàlGelais qui effloitl'ornementde noftreâge,Qui premierdes Françoisnousenfeignal'vfageDefçauoir chatouillerles oreillesdes RoisPar fa lyre accordanteaux douceursde la vois,Qui au Ciel égalaitfa diuineharmonie,Vit (mal-heureuxméfier!) vue tourbeinfinieDepoltronsauancez,& peu luyprofitoitSonluth, qui lepremierdesmieuxappris efioit.

Du Bellayquiauoit grimpé deffusParnafe,Qui auoit efpuifêtoute l'eau de Pegafe,Et dedansmefmegrotte auecquesmoydancè,Nefut, fiecle defer! d'vn feul bienauancé.O cruautédu Ciel, ô malignecontrée,Où iamaisla vertu qu'enfard nes'eft monftrée!Puis quelesfols, lesfots, les ieunescourtifansSontpouffezen crédit deuant les mieuxdifans!

Il faut donnerlesbiensà ceuxqui les méritent,Bienqu'ilsfoyent loin du Prince: ainftlesbiensprofitentQuandilsfont peu cherchez: de là vient le bon-heur,Et par là fe cognoifile vouloirdu Seigneur.

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275-

Quand le Prince n'auanceaux honneursles Poètes

Quifont du Dieu treshaut lesfacrez interprètes,Quifçauent deuinerér fonger & preuoir,Qui ont l'ainegentile Ù"prompteà s'efmouuoir,Commevenantdu Ciel, par vengencediuine

Toufioursdans le royaumearriue ou lafamine,La pefle, ou le defaflre,ou la guerrey prend lieuPour n'auoir honorélesminijlresde Dieu.

lepenfois, ôPrélat, qui nas point defemblable,De qui l'efprit eft vif, ardent ù1 admirable,Quevousferiez fauteur de ce troupeaudiuin:MaisPhebusen celamefut mauuaisdeuin,Puis qu'en vojlreprefence& deuantvoftreveue

Cejleinnocentetroupeeft par vousdefpourueue.Prélat, neparlez point, taifez voftreoraifon,

Dont Orateurfacond abondezà foifon:Il nefaut point ott'irvojlredotle éloquence,Quipourroitfubuertir des luges lafentence:Il faut payer l'amende,autrementl'équitéNeferait qu'vn nomfeint, fans nulleautorité.

Ainjïdit Calliope,Ù"Phebusvousfifl taireDepeur d'eftreveinqueur: puis confultantl'affaireAuecle bonNeflorCardinalde Tournon,Et le doôleHofpital immortelde renom,Apresauoir tous trois la matièreefpluchée,Et d'vne Ù1d'autrepart la raifon recherchée,Vousfuftes condamnéà l'amendevers moy,A payermesdefpens,monPrélat, <Ù?ie croyQuevousacquiterezbientojl devoftredétePour n'encourirl'aigreur d'vn mefdifantPoète.

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276 L'EBOCAGE

DISCOVRS

à trefuertueux Seigneur François de Montmorenci,

Marefchal de France.

Lepetit Aigle, aprèsauoir eftêSansplumeau nid tout le long de l'Eflé,Incontinentquela faim Ù1la mère

Levont chajjant, la ndiuecolèreLefait fortir hors de l'aire, ù" s'enfuitOù lefang chaud& le coeurle conduit,Faire la guerre aux Cygnesde Méandre

Ou aux Canars, lefquelsn'ofentattendre

La isuneardeur de ceguerrier nouueau,Ainsfroids de peurfe cachentdeffousl'eau.

Le beauPoulain,yffu de bonnerace,

Brufque(? gaillard, laijfant dejpusla faceEt fur le colpendrefes longs cheueux,En defnouantfes jarrets biennerueux,Courtde luy-mefme,ù" brufqueenfa furieFait millebondsle long d'vneprairie,Sefaçonnantpour deuenirguerrier,Et d'vu grand coeurs'eflancerle premierSur l'ennemy,portant entreles armesLa barde auxflancs, iy au dos l'hommed'armes:

Rendantfon maiftre<&foy-mefmesappris,Pour du Laurier enfembleauoir lepris.

A l'hommefeul il faut plus d'artifice,D'autant quel'art à l'honneureftpropice.Tousanimaux,foit ceuxqui vont nouant,Ceuxqui pendusen l'air fe vont louant,

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ROYAL. 277

Ceuxquipriuez, ceuxquifauuages viuent,Sanspajjîon leur naturel enfuiuent.L'hommefans plus charpentierdefes maux,A fa natureadiouftedestrauaux,L'honneur,le gain, l'ambition,l'enuie,Et luy-mefmeeftle tyran defa vie.

Vousmongrand Duc, mongrand Montmorenci,Commeprudent neviuezpas ainfi;

Car ejlongnédespajjionsvulgaires,Vousn'adiouftezaux humainesmiferesLesmauxforains, que lesfoins temporelsVontaccouplantaux malheursnaturels.

L'ambition,le gain Ù1l'auarice,Et la vertu quife farde du vice,Menace,peur, nymefmela prifonN'ont esbranlévoflrefaine raifon:Et c'eftpourquoy,Seigneur, ie vousadmirePlus dupenfer que de l'ofer eferire.

Aufti, monDuc, defage pèreyjfu,Sage (? vaillant auez eftèconceu,Et de nature aimezles chofesgrandes,Chenaux,foldats, aux champsmenerlesbandes,Dont les harnoisau SoleilflamboyansDardentlesfeux dedansl'air ondoyans.Vousauezpris de luy la preuoyance,Leiugement,le confeil,la prudence,Le meuraduis, lafageJJ'eiy l'honneur,Et quiplus eft, la grâce Ù" le bon-heur:Puis vousauezla matièreajfez amplePour vousformer au paternelexemple,Patron parfait, qui de luy-mefmefaitPourfes enfansvn exempleparfait.

Ainfi Chironnourrit le iev.neAchille,Nourrit lafon: l'vn renuerfala ville

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2J& LE BOCAGE

Du vieil Priant, <&remplitd'hommesmortsXantheefcumant<ùrfanglant iufquaux bords:L'autrepremierautheurde la Gallée,Degrands cueillersfrappa l'ondefalée,Fiji eftonnerles Nymphesde la merDe voir ainjî desfoliueaux ramer

Defur les eauxaux hommesincognues,Et de verjer tant d'efcumeschenues.

Commecesdeuxbien-appris& bien-nez,Vnrang d'honneurprès du Royvous tenez,Grand gouuerneurdefa villepeupléeQuifous vos loix eft conduite<ùrréglée

C'eft toyParis admirablecité,Grandornementde cemondehabité,De tes voifinsla crainte {y la merueille,A qui le Cieln'a donnédepareille,Mèred'vnpeuple abondant(y puijjant,Heureuxen biens,en lettresfloriffant.

Dedansle Ciel tu mets la teflefiere,Tuas le dozfendud'vne riuiereAu large cours,aux grandsports fruclueux:Tu as lefront fuperbe (y fomptueux,Qui desvoyansejionnelescourages:Tonventreeftplein de meftiers(y d'ouuragesQui acheuezne trouuentiamaisbout.

O grande en biens, enfçauoir (y entout,le tefalue & celuyqui te guide,Lafchant,ferrant commeil tefaut la bride.

Quandvn maçon,vn peintre, vn charpentier,Vnmenuifier,vn orféure,vn potierFontvue erreur, pourcela RépubliqueNefe perdpas, ny l'Eftat Politique:Si vne veineouvn mufclenefaitOfficeau corps, le corpsn eftpas desfait.

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ROYAL. 279

Maisquand le chefoùla raifon repofe,Sansy penferfaut en la moindrechofe,Lepéchémarche,ù" la faute defcendSur tout le corps, qui tout foudainfe fentMorneouperclus, outombeen léthargie,Et tout d'vn coupperd la force & la nie:Car par le chefle corpsvit feulement,Et du cerueaule corpsa mouuement.

le m'esbahisdesparolesfubtilesDu grand Platon, qui veut régir lesvillesPar vnpapier & nonpar aSiion:

C'eftvne belle& docleinuention,Qui toutesfois nefçauroitfatisfaire :Elle eft oifme,il faut venir aufaire :

Ainfiquevous quifçauez contenterPar l'effet!feul, ï? nonpar Pimenter,TenantParis dejfousvos loix prudentesPleined'humeurs& d'amesdifférentes,D'hommesdiuers: l'vn tfi fier, l'autre efi doux,L'vn ejl bénin,l'autre plein de courroux,L'vn qui veut tout, l'autre rien ne demande,Etfi à tous la feule loycommande.

Commevn Pilote àfon tillac ajjisVoyantl'efcueil,d'vn fens froid & raffisGuide la nefparmi les vaguesperfes,Bienqu'ellefoit de centpiècesdiuerfes,Devoiles, mafts, de cordagesdiuers,L'vnva tout droit, l'autre va de trauers,Et toutesfoisl'aduis d'vn hommefagePar artifice efi maifirede l'orage:

Tant par-fur tousondoit l'hommeefiimerOui eftprudent enterre & fur la mer,Dont lefouci bienmodérétempèreSousluy le peuple,à la guife d'vn père,

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28o LE BOCAGE

Nond'vn tyran defureur allumé,Craint de chacuni? de perfonneaimé:Car en tous lieuxla doucecourtoifieDupeupleaccortgaigne lafantaifie,L'ame,le coeur,le courageÙ1la main.

La cruautéengendrele defdainEt le mefpris,<Ùrl'ire qui bouillonneD'vnefureurfantajhque Ù1félonne.Pourcevn tyran ne vit iamaisbienfeur :» Levraybouclierd'vn Prince eft la douceur.

DISCOVRS

à Monfleur de Foix.

Tonbonconfeil,ta prudence& ta vieSerontchantezdu doèleOuthenouie,A qui la Mufea mis dedansla mainL'outilpour faire vn vers Grec Ù"Romain.Il eft bienvray quefeul tu deuroisprendreSi beau trauail: mais tu n'ypeux entendre:Et toutefoisla Nature t'a faitEn cemeftierexcellent& parfait :Puis le labeurde ta chargepublique(Où ton efpritfoigneufements'applique)Nepeutfouffrir que tu penfesà toy,Du tout penfif aux honneursde tonRoy.

Ainfita peineheureufeledemande,Et mondeuoir qui efttien, mecommandeDe te louer, & d'vnmal-plaifantfonChanterta gloire enfi baffechanfon.

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ROYAL. 28l

Hà, que les Glixfont heureuxqui fommeillentSix moisen l'an, ir point nefe recueillent!Helas, de Foix, ie voudroisvolontiersAuoirdormi trois bonsans tous entiers:

le n'eujfeveu, ôvengenceenragée!Par [es enfansla Francefaccagêe:le n'eujfeveu le tort biendebatuSedefguifer du mafquede vertu:le n'eujfeveu violer l'innocence,Et toute chofealler par impudence:le n'eujfeveu leshommestranfportezDepafftonfaillir desdeux coftez,Sansplus auoir la raifonpour leur guide,Commevn cheualquigallopefans bride.le n'eujfeveu nospeuplescjlonnezDe coeur,defens, d'efprit abandonnez,Tousefperduscommeattaints de l'orage,Tremblerde peurfans force nycourage,le n'eujfeveu lesMinijtresfoufflezD'vn nouueauvent & d'impudenceenflez,Pleins de douceur& de mignoterie,Poufferlepeuple en ardantefurie,Plus mitouinsauiourd'huyque nefontNosMendionsfeneftrezpar lefront.

le ne di pas quemaint iy maintMinijlreNefait fçauant, neface honneurau titre

Qui pourfa feBe a doBementefcrit,Car lespremiersont toufioursbonefprit :Leursfuccejfeursferont d'vne autreforte,De qui la voix <Ùrl'efpaulepeuforteS'abaijferadeuantqu'il j'oit dix ans,Et neferont nypromptsny bien-difins,Tenantau peuple en chairele langageQuauiourd'huyfont nosPrejhes de village :

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202 LE BOCAGE

« Car à la fin par vn communmalheur« Toufiourslepire ejl maiftredu meilleur.

Le Tempsailé en s enfuyantameineLa corrupteleà noftre racehumaine:Et bienqu'au guet-foyonsde tous cofiez,Sifommes-nousmaugrénousemportezPar le deftin,qui toutechofetire :

Ainfiqu'onvoit,la petite nauireAufil de l'eaufe laijfer entraîner,Sil'auiron on ceffede mener.

le n'euffeveu nos.terresdefo-léesDe laboureurs,ny nos.citezvolées,Nos bourgs deferts, las! & fi n'euffeveu

Nyrauager nyflamboyerlefeuSur lefommetdes maifonsembrazées,

Ny nosautelsprofanezde rifées,Où nosayeuxen la bonnefaifonSouloyentà Dieufaire leur orcifon.

Maisfommeillantfous-la-terrepoudreufeVeuffedormid'vnemort bien-heureufe,Et en mapart k n'euffepoint fentiLemal venud'vn fiecleperuerti.

De telsmalheursla nouuèlleas bienfceueOutre la mer, & prefent ie l'ay veuë:

I'ay veu le mal, Ù" enmaudimesyeux

Trijles tefmoinsdefaits fi vicieux..

Hà, qualitésfois ay-ie defiréd'.eftreDedansvn bois vn gros chefnechampeftre,Ou vn roaherpendu defur la mer,Pour n'ouyrpoint cevieil fieclenommer,Siècledefer qui la vertu confomme.-Le hayffantil mefafchoit d'eftrehomme,Et maudiffoyma raifon qui faifoitQue le malheurfi vif me defplaifoit.

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ROYAL. 283

Or le malheurd'vn fi fafcheuxefclandreS'efi en tous lieuxfi loin laifférefpandre,Que toyqui fus en Ambafiadeabfent,As enduréautant commeprejhit,Ayantfouffert dedanscefleijle AngloifeBeaucoupde malpour la guerre Françoife,Rigueurs,prifons .-auffieft-ce, de Foix,Bien la raifon qu'vnparent de nosRoisCommetu es, couremefmefortune,Et qu'à la leur la tiennefoit commune:« Leplus fouuentpar vn mefmemechef« Lesmembresont la peinequ'a le chef.

lefuis marri qu'vn fi cruel naufrageViennes'efpandreau milieude noftreâge,Lors qu'onvoyaitde mainthommefçauantEt le labeur& le nomen auant,Et la ieuneffeaffez,proprementnée

Eflredu tout aux lettresaâdonnée:Bienque toufioursles MonarquesfceptrezSoyentfoupçonneuxdespeuplesfi lettrez.

On dit bienvray que lors qu'vnpopulaireEft tropfçauant, queprompt il délibèreVnfait hautain,pour du colfecou'êrLe ioug feruil qui trop le vient nouer,Etpour lerompre il fe bande& inuenteMillemoyensd'acheuerfon attente.

Cefont ceux-là qu'il faut craindre, <&non ceux

Qui ont l'efprit greffier & parejfeux,Maffede plombau Ciel noneleuée,Et vrais chartiers à porter la couruée:

Toybienruzé aux affaires,fçais bien

Lifant cesvers,fi ie di mal ou bien.Or il ejt tempsque ceproposie change

Pour re-vifer au blancde ta louange,

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284 LE BOCAGE

Dontie m'eftoisentirant feparé,Plein de courrouxqui m'auoit efgaré.

Toyle premieryfpu de haute race,abandonnantdu vulgaire la trace,As embraffê,remplid'authorité,La Loyqui rendà chacunéquité,Fait Sénateurde cefleCourtfuprême,Qui enfçauoir n'a pareil qu'ellemefme,Oùtu luifois envertu tout ainfiQu'vn beauSoleilde rayonsefclarci,Quandbalançantd'vnemain équitableLedroit douteux,iuge noncorrompable,

Faifoisiujiice, & fans égard d'aucunRendoisla loydroituriereà chacun.

Puis te haujfantpar mériteshonneftes,De Conseillerfus Maijlredes requeftes,Puis enttoyéen Ambaffade,a finQue tonefprit prompt<ùrgaillard & finNefe rouillaftfans manieraffairesQuifont au peuple& aux Rois neceffaires.

Tu neferas fi foudain arriuè,Queja ta place eft au Confiaipriué :Et fi ma Mufieenta faueur augurele nefçay quoyde la chofefuture,Vniourpremierà l'entour de nosRoisAuras les Seaux, ir garderas leurs lois,Quandl'Hofpital defpouillêdefon voilleDedansle ciel luira commevne eftoile:Car ton efprit courtizan& fubtil,Accort,prudent, & courtoisù" gentil,Eft de ton heur la future trompeté,Et moyi'enfuis le prefent interprète.

Il nefaut point l'Oracle defdaignerQuApollonveut par la Mufeenfeigner.

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28r

Quandvne terre eji de nature bonne,Elleproduit lefroment qu'on luydonnePleined'vfure: aujjt tu as produitA doublegrain fertilement lefruit,Dont tu auoisenfemencétonâgePar les leçonsd'AriJlotelefage,Et de Platon, qui teferuent defortContrele heurt du Dejiin& du Sort.

Car enpuifant de leur clairefontaineTant defçauoir, tu en as l'amepleineQuife defgorge, Ù1monjlrepar effaitAuxyeux de tous la vérité dufait.

Et c'ejipourquoynojireKoynequiprifeLesplus parfaits, d'vne meureentreprifeT'a bienchoifipour te mettre en honneurEt marier ta fortuneau bon-heur.« Toutevertu n'eji quefable commune,« S'ellen'efi iointeà la bonneFortune,« Et la Fortuneheureufenepeut rien« Si la vertu ne luyfert defoujlien:Biensquele Ciel enpeu d'hommesajfemble,Et que toutfeul tu poffedesenfemble.

FIN

DV PREMIER BOCAGE ROYAL.

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SECONDE PARTIE

DV BOCAGE ROYAL.

A TRESILLVSTRE

& trefuertueufe Princeffe, la Royne

Catherine de Medicis,

mère du Roy.

Royne,qui de venus paJJ'esArtemijîe,Et Porcie (? Lucrèce,à qui la PoefieEt l'outil immorteldesbonsHijloriensOntfait rauir l'honneurdesfieclesanciens,Et femmefurpajfer les hommesde leur âgeEnpuijjance, en confeil,enprudence,en courage,Monjlrantà leursfuiets deparole (y defaitLa vertu de leur fexe inuincibleir parfait.

Royneà qui nojireRoycommefils obtempère,Dcjfousqui le Françoiss'entretient(y tempère,

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288 II. BOCAGE

Quifife au gouuernalpar iugemensprudensSçaisreculerla nef despérils euidensPour la conduireau port: car tant plus tu rencontres

D'erreurs, d'opinions,defeSiesÙ"de monftres,(Quefage tu occiscommeHerculetua

L'Hydrequi contreluycent teftesremua)Plus ta viBoireejl grande, ù1 tant plus eftoféesTu verras tesvertus d'honneurs<ùrde trofées:Attendantque tonfils fauorifé des deuxPortelefceptre en mainqueportoyentfes ayeux.-

(Lequelcroifi dejfoustoycommevnefleur nouuelle

Croifipour le pajfetempsd'vneieunepucelle,Quefoigneufeellearrofe {y la cultiue, à finQu'vnegentillefleur croiffed'vnpetit brin.)

Si à plus haut dijcours tu n'as prefté l'oreille,Entensvn peu monconteù" tu oirras merueille.

L'autre iour que i'ejlois(commetoufioursiefuis)Solitaireisr penfif (car forcer ie ne puisMonSaturneennemi)fi loin ie mepromeineQuefeulie m'efgaraydefurles bordsde Seine,Vnpeu dejfousle Louureoùles Bons-hommesfontEîiclosejtroitementde la riue ù1 du mont.

Là commehors de moyï accufoisla FortuneLa mèredesflateurs, la maraftreimportuneDes hommesvertueux, en viuant condamnezAfouffrir le malheurdes Aftresmal-tournezle blafmoisApollon,les Grâces, ù" la Mufe,Et lefage méfier qui mafolie amufe:Puispenfantd'vne part combieni'ayfait d'efcris,Et voyantd'autrepart vieillir mescheueuxgrisApres trente<ùffept ans, fans que la dejlinéeSefoit enmafaneur d'vn feul poinB enclinée,le hayjfoismavie, & confejfoisauffiQue l'antiquevertu n'habitoitplus ici.

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289

le pleuroisdu Bellayqui ejioit de monâge,Demonart, de mesmoeurs,iy de monparentage,Lequelaprès auoir d'vnefi doèlevois

Tant de fois rechantélesPrincesi? les Rois,EJlmortpanure chetif,fans nullerecompenfe,Sinondufameuxbruit que luygarde la France.

Et lors tout defdaigneux{? tout remplid'efmoy,Regardantvers le Ciel, ie difois à par-moy:

Quandnousaurionsferui quelqueRoyde Scythie,VnRoyGotou Gelon,en la froide partieOù le large Danubeefile plus englacè,Nojlregentil labeurferait recompenfe. ,

Ainfiverfant del'oeildesfontainesameres,Dedansmoncerueaucreux iepeignoisdes Chimères,Quand ie vy arriuer vn Deuinqui auoitLaface de Rembureà l'heurequ'il viuoit:Sonfront eftoit ridé,fa barbemal-rongnée,Sa perruque à gros poil nycourtenypeignée,Sesonglestous crajfeux, lequelmeregardaDespieds tufqu'à la tcfie, Ù"puis medemanda:

D'où es-tu, oùvas-tu, d'où viens-tu à cefteheure/Dequelsparens es-tu>(y oùefi ta demeure?

le luy refponsainfi: lefuis de Vandomois,le n'ay iamaisferui autre maifireque Rois,l'ay long tempsvoyagéen ma tendreieunejfe,Defireuxde louange, ennemideparejfe.

A lafin Apollon& fes SoeursvolontiersEn l'antre Thefpienm'apprindrentleurs métiers,A bienfaire des vers, à bienpoufferla lyre,Afçauoirfredonner, a fçauoir deffusdireLeslouangesdes Rois, Ù" enmillefaçonsAfçauoir marierlescordesaux chanfons:Ils mefirent dormir en leur grotte fecrete,Melouèrenttrois fois Ù"mefirent Poète,

Ronsard.—Ul. '9

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29O II. BOCAGE

M'enflamerenti'efprit de furieufeardeur,Et m'emplirentle coeurd'audaceù" degrandeur.

Lorsie n'eu pourfuiet les vulgaires personnes,Maishardi ie mepris aux Roisporte-couronnes:(O doôleRoyFrançois,fi tu euffesvefcu,Feujfepar ta faueur monnoir deftinveincu!)le celebrayHenry& fes oeuuresguerrières,Voireen tant defaçonsù1 en tant de manières,Que les plus noblesPreux qui viuentauiourd'huyPar l'encre nefont pas tant célébrezqueluy :

Quemevaudrait ici fes louangesredire,Puis qu en millepapiers vn chacunlespeut lire?

Apres ie celebrayenmille chants diuersLa Roynefon efpoufe,honneurde l'Vniuers,Et fis de tous coftezaux nationseftrangesPar le vol de maplumecfpandrefes louanges,le chantayla grandeur defes noblesayeux,Et de terre eleuezie les misdans les deux :le chantayles eauxd'Ame, & Florencefa fille,Commele beauPhebusnommala TufquevilleDu nomde la pucelle,après auoir eftèArdentementraui desrais defa beauté,Et commeAme prédit dumilieudefon onde

QjieRoyneelleferait la plusgrande du monde,Et que le nomdefemmeautrefoisà mefpris,Par elle emporteraitfur les hommesle pris.

Maisainfi que Vefperla CyprienneeftoileDeplus larges efclairsilluminele voileDe la nuit tenebreufe,(y fur tous lesflambeauxDontle Ciel ejl ardant, lesfiensfont lesplus beaux:

Ainfi Ù" la vertu, la grâce (y le mériteDe lafv.nte Ùf diuine& chafleMarguerite,Fille du RoyFrançois& la foeurde Henry,Et du Duc d'Orléansqui ieunem'a nourri,

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291

Mefemblerentauxyeuxfur les autres reluire.Pourcete la choifilefuiet de malyre,

Laquelleayant l'efprit defon père, eut à gréLe labeurquei'auois à lespieds confacré:Et commevertueuj'e(? d'honneurtoutepleine,

S'oppofantà monmal, charitablemift peineD'auancermafortune, & fille ù*foeurd'vn RoyDaigna bien, 0 bonté!fe fouuenirde moyMaisen perdant, helas!fa clairtù couftumiere,Commeaueugleiefuis demeuréfans lumière.

Touftoursenfa faneur, foit Hyuer,foit au tempsDe la chaudemoijfon,puijfe naiftrevn PrintempsSur les montsdeSauoye,Ù"quelquepart qu'elleaille,

Touftoursdeffousfes piedsvn pré defleuri s'efmaille,Dedansfa bouchenaijfevnemannede miel,Et luyfoit pour iamaisfauorable le Ciel.

Fleur(y perlede pris Margueriteparfaite,Apresquela bontéde nature t'eut faite,AJfemblantpour t'orner vue confeBionDece qui ejlplus rare enla perfeélion,Elle en rompit le moulle,à fin quefans pareilleTufuffes ici bas du mondela merueille.

Que te diray-ieplus>après auoir vféCordes<ùrluth isr fujt, ie mefuis abuféA chanterlesSeigneurs: aujjï ie n'en rapporteEn lieudefon loyer qu'vne efperancemorte.» Si efl-ceque lesvers ont aux hommesmortels» ladisfait ériger & temples(? autels.Cerésn'a pas efléDeefferenomméePour auoir defon blednoftre terrefemée,Ny Pallaspour auoir monftrél'art defiler,Efcarderlestoifons, ou l'huile diftiler:LesHuresfeulement,de mortellesPrinceJJ'es(Et nonpas leurs meftiers)les ontfaites Déejfes.

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292 II. BOCAGE

LesHuresont à Mars les armesfait porter,Le trident à Neptun, lafoudre à lupiter,Lesailes à Mercure,Ù" leur bellemémoireSans lesVerspérirait aufond de l'ondenoire.

L'autre iour que i'eftoisau templeà fainSi Denis,Regardant tant de Rois enleurs cachottesmis,Qui n'agueresfaifoient tremblertoute la France,Qui tous enflezd'orgueil, de pompeér d'efperanceMenaientvn camparmé, tuoientiy commandaient,Et de leur peupleauoientles biensqu'ils demandaient,Et les voyantcouchez,n'ayansplus que l'efcorce,Commebûchesde boisfans puijfancenyforce,« le difois à par-moy: Ce nefi rien quedesRois:D'vn nombrequevoicy, à peineoudeux ou troisViuentaprès leur mort, pour n'auoir efléchichesVersles bonsefcriuansù1 les auoir fait riches.

Puis metournant, helas! vers le corpsde Henry,le difois, O monRoy, qui viuant as cheryLesMufes,quifont foeursdesarmesvaleureufes,Tonamepuijfe viure entre les bien-heureufes:Au haut de ton cercueilfoient toufi0ursfleuriJJans,Les beauxoeilletspourprez Ù1les Hzblanchifl'ans,Et leurfouaue odeuriufqu'au ciel à toymonte,Puis quede ton Ronfardtu asfait tant de conte!

le porteraismonmal beaucoupplus aifément,Si enfraudant lesbons, lefort inceffammentN'aua?içoitles mefchans: maisquanden moncouragele voy tout aller mal, de dueilprefque i'enrage.

le mefafche de voir leshommesejlrangers,Changeurs,poftes,plaifans, vfuriers, menfongers,Qui n'ont nyla vertu ny lafcienceapprife,Pojfederauiourd'huytous les biensde l'Eglife:De làfont procédeztant d'abus infinis,Et tu les vois, ô Dieu, & tu ne les punis!

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293

Et nousfacre troupeaudes Mufes,qui nefommesVfuriers,ny trompeurs.,ny affajjïneursd'hommes,Quiportons lefus Cliriftdansle coeurarreflé,Nefommesauancezfinon de pauuretê:

Lambin,Daurat, Turneb,lumièresde noftreâge,DoSles{? bien-viuansen donnenttefmoignage.

Quevouseftestrompezde vos intentionsO panurestrefpaffezl qui par deuotionsEnfraudant vospareilsfondajles de voz rentesA nosrichesPrélats les mitresopulentes:Mieuxeuftvallu ietter voftreargent en la mer,Quepour telledefpenfeen vain le confumer!

Telsbiensnefont fondezpour ejtre recompenfeDeceuxqui en la guerre ontfait trop de defpenfe,Pour en pouruoirleursfils : ou les donnerà ceux

Quifont aux CoursdesRoisdespilliersparejfeux.Telsbiensnefaut donnerpar faneur nyprière,Nyà ceuxqui pluftofifont voler la poujjiereSousles cheuauxdepofle, & haletant bienfortApportentles premiersnouuellesde la mort:

Maisà ceuxque Ioniuge eftrede bonnevie,A ceuxqui désenfanceont la vertufuiuie,Et à ceuxquipourront viuementempefcherDe ramperl'herefteà force de prefcher.Vnnombrebienpetit efloignèd'auarice

Accompliflauiourd'huyfainementfon office,Prefche,prie, admonefle,& prompt à fo'n deuoirAuecla bonnevie a coniointlefçauoir.

le medeulsquandie voy cesignorantes bejtesPorter commeguenonsles mitresfur leurs teftes,Quipar faueur ourace ou importunitéSontmontez,ô vergongne! en telle dignité.

Bienquede Mahometla loyfoit vicieufe,Si eft-cequedu Turc la prudencefoigneufe

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294

Choifitentre lesfiens lesplus gentils ejpris,Et ceuxqui ontfa loyplusdextrementappris,Et fage les commetcommegraues ProphètesPour contenirfon peuple, Ù1garder fes Mujquetes.

Las!les Princesd'Europeau contrairede luyDes Pajleurs ignoranscommettentauiourd'huySur lefacre troupeaude la ChrejlienneEglifeQue lefus par fon fang a remisenfranchije.De là Dieufe courrouce,©"delàfont ifiusTant d'erreurs que l'abus a faujfementconceus.

Enfantezpar enfansquifans moeursnyfeienecsSontgardes de ïEglife ù1 de nos confeiences.

Ilfaudroit les ofier, & pour l'honneurde DieuEnmettrede meilleursfans faneur en leur lieu:Car le bien de lefusn'ejl pas vu héritageQui vientde père en fils <&retourneenpartage :Il ejlcommunà tous, lequelonpeut ofler,Tantojidiminuer(? tantoft adioujlerSelonque le miniflreen ejl digne & capable,Demoeursnoncorrompu,de vices noncoulpable.

Toyquiviensaprèsmoy,qui voirras en meintslieuxDe mesejerits efpars le titre ambitieuxDe Francus,Francion,<Ù?de la Franciade,Qu'égaler ie deuoisà la GrecqueIliade:Nem'appellementeur,pareffeuxnypeureux,l'auois l'efprit gaillard (y le coeurgénéreuxPourfaire vnfi grand oeuureen toutehardieffe,Maisau befoinles Roism'ontfailly de promeffe:Ils ont tranchémoncours au milieude mesvers :Au milieudes rochers,desforejls, desdejertsUs ontfait arrefterpar faute d'équipageFrancusqui leur donnait [lionen partage.

Pourcei'qy refolude m'en-allerd'icyPour trainerautre-part ma plumeÙ"monfoucy

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29r

En eftrangepays, feruant vn autre Prince:« Soutientle malheurchangeen changeantde prouince.Car que feruy-ieicyfans aide (y fans fupport ?

L'efpoirquime tenait, fe perdit par la mortDu bonPrince Henry,lequelfut l'efperanceDemesvers, Ù"de moy,& de tonte la France.

Alors le bonvieillard quim'arrejla le pas,Memefuralefront auecquesvn compas,Mecontemplades mains leslignesquifont droites,Cellesquifont en croix, cellesquifont eftroites,Cellesd'autour le poulce,(y cellesdes cinq nions,Lesangles malheureux,les angles quifont bons:Troisfois mefifi cracherfur la feichepouffiere,Troisfois ejlernuer,Ù1troisfois enarrièreMeretournalesbras, trois fois lesramena,Et troisfois tout autour d'vn rond mepromena:

Fiji despoinSlscontreterre, après il les aJJ'embleEnmèrestout d'vn rang {y enfilles enfemble:Il enfifi vnfommaire,& en rouant lesyeuxTroisfois deuersla terre ù1 troisfois vers les deux,Medit à baffevoix . Monfils, la Poe'fieEfi vn malde cerneauqu'onnommefrenefte,Ta tefte en efi malade,il te la faut guarir,Autrementtu ferais en danger demourir.

Tu refemblesaux chiensqui mordenten la ruéLapierre qu'vnpaffant pour lesfraper leur rué :

Ainfitu morsautruy commefol infenfé,Et nontoypauurefot qui t'es feul offenfé.

Enquel âge, ô bonsDieux! orespenfes-tuefire>Penfes-tuquele cielpour toyface renaifireEncor lefiede d'or, oùl'InnocenceeftoitSur le haut dela faux queSaturneportoit >

Ce beaufiecleefi perdu, & nofireâge enrouillée(Oui des panureshumainsla poitrine a fouillée

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296 II. BOCAGE

D'auarice iy d'erreur) ne permetque le bienAux hommesd'auiourd'huyviennefans faire rien.

Pourceauecquestrauail il faut que tu l'acquières,Non enfaifant desvers qui neferuent de guieres,Nonà prier Phoebusqui ejideuenufourd :Maisil te faut prier lesgrands Dieux de la Court,Lesfuture, lesferuir, fe trouuerà leur table,

Difcourirdauant euxvn contedeleBable,Les courtizer, les voir, isr Usprejferfouucnt.Autrementton labeurnefer oit que duvent,Autrementta fcienceÙ" ta lyre eftimèe(Pourn'vfer d'vn tel art) s'enirait enfumée.

Ledefaftremalinqui tourmentét'auoit,Se tournerdeuerstoyplus doux nefe deuoit

Que lors que Catherineauecquesfa prudencePar naturelleamourgouuerneroitla France:Ce qui eftarriué pour faire reflorirL'anciennevertu qui s'en alloit périr.Sanselle iy fans fa race en oublyfuft Athènes,Et tant de nomsfameuxfierez par tant de peinesPlaton, Socrate,HomèreeujfentejléoccisD'vne éternellemortfans ceuxde Medicis.

CefteRoyned'honneurde telle race ijpu'ê,Ainçoisque Calliopeenfort ventrea conceuë,Pourne dégénérerdefes premiersayeux,Soigneufea fait chercherles Hureslesplus vieuxHébreuxGrecs& Latins, traduits ir à traduire:Et par nobledefpenfeelle ena fait reluireSonchafleaudefainôl Maur, à fin quefans dangerLe Françoisfujl veincueurdufçauoir ejlranger.

Sifa bonténonfeinte, au plus beaudu ciel néeNechangecommeRoyneenmieuxta deftinée,Laijfel'ingrate France,& va chercherailleurs

(Si tu lespeux trouuer) autresdejlinsmeilleurs.

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297

A elle-melme.

Commevne belle& ieunefiancéeDequi l'amourrefueillela penfée,Soufpireaprèsfon amynuift ù1 iour,Et trifte attend l'heuredefon retour:

Si chaudeardeur de le voir la transporte,Qu'à la feneftre, au chemin,à la porteCentfois le iour Ù"cent va regardant:Maisen voyantquele tempsce-pendantDefi promeffea iapajféfon heure,En s"enfermantdedansfa chambrepleure,Gémit,foufpire Ù"mordle lift en vain.

Puis difcourantd'vn iugementmal-fainSur cequipeut retarder la prefenceD'vn ieuneamant, à toutechofepenfe,Refue,difcourt, & pleined'amourfaitQuefon penfern'eft iamaisfatisfaitPar vn douter, qui mal-fermechancelle,

Feignant toufioursquelquecalifenouuelle.De tel defir touteFrancequipend

Devosvertus, voftreprefenceattend,Et le retourde nosdeux ieunesPrinces,Qui dejfousvouscognoiffentleurs Prouinces.

Mais quandon dit que Phebusaux grandsyeuxAura courutous lesSignesdes deux,Et que la Luneà la cocheattelléeDe noirschenaux,fera renouuellêePar douzefoisfans retourner icy,Paris lamentei? languit enfoucy,

19.

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11. BOCAGE

Et nefçauroit, quoyqu'il penfeou regarde,Songerlepoin6l qui fi loin vousretarde.

Seroit-cepoint le Rhofneimpétueux>

Le coursde Seineaux grandsportsfruclueuxEftplusplaifant. Seroit-cepoint Marfeille

>

Non, car Paris efl villefans pareille:Bienque Marfeilleenfes tiltrcs plus vieuxVantebien-hautfes Phocenfesayeux,Oui d'Apollonfuyons l'oracle& l'ire,A fon riuage ancrèrentleur nauire.

L'air plus ferein despeuplesefirangersEt le douxvent parfuméd'OrangersDe leur douceurvousont-ilspoint rauie>

La pefte lielas! vousa toufioursfuiuie.De Languedoclespâlies Oliuiers

Sont-ilsplus beauxque lesarbresjruitiersDevoftreAniauï oulesfruits que ToureinePlantez de rang enfes iardinsameine)le croyque non. T vit-onmieuxd'accord?Mars en tous lieuxde voflregrâce eft mort.

Quivous tientdoncq'fi loin de nous, Madame>

C'eft le defirde confumerla flameQuipeut refter des ciuilesfureurs,Et nettoyernosprouincesd'erreurs.

Voftrevouloirfait fait a la bonneheure;Maisretournezen lafaifon meilleure,Et faites voir au retourdu PrintempsDevoftre front tousvospeuplescontents.

VoftreMonceauxtout gaillard vousappelle,SainSl-Maurpour vousfait fa riue plus belle,Et Chenonceaurendpour vous diaprezDemillefleursfon riuage Ù1fes prez :La TuHierieau baftimentfuperbePour vousjait croijlre isrfon bois (y fon herbe,

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299

Et déformaisne defirefinonQued'enrichirfon front de voftrenom.Et toutefoispar promeffeaffleuréeIls ont enfemblealliance iuréeDe leur veftir de noir habit de dueil

lufquesau iour que les raiz de voftreoeil

Leurdonnerontvne couleurplus neuue,

Changeantenverd leur vieille robevenue,Et que iamaisils neferont ioyeux,Beauxnygaillards qu'au retour de vosyeux.

Si vousvenez,vousverrez vosallées

Dejfousvos pas d'herbesrenouuellées,Etvos iardinsplus verds & plus plaifansSeraieunir en la fleur de leurs ans:

Ou bien, Madame,ils deviendrontfteriles,Sansfleurs, fans fruit, mal-plaifans,inutiles,Et peu vaudra de les biendifpofer,Lesbienplanter, ù" bienles arrofer:Le iardinierne pourrafaire croiftreHerbe71efleur fans voir l'oeilde leur maiftre.

Défiale tempsÙ"la froidefaifonQui voftrechefafait demy-grifon,Et lesfoucis vouscommandentdefaireHonneftechère, & doucementvousplaire.

A[fez& trop ce RoyaumepuiffantA veufon Sceptreenfon fang rougiffant:A veu la mortde troisRoisen peu d'heure,Etd'vn grand Ducque toute Europepleure;

AJfeza veu l'audacedu hamoisVousrefifter, & corromprevos lois,Et vos citez l'vne à l'autre combatre.

Or maintenantil eft tempsde s'esbatre,Et de ietter dedansl'air bien-auantTousvosennuisfur les ailesdu vent.

Page 307: Ronsard, Oevvres

joo

Qui déformaisvousayantpour maiftreffe,Craindradu Rhinl'effroyableieuneffe,LesEfpagnolsaux guerres animez,Ou lesAnglois horsdu mondeenfermez?

Voftregrand nomque la grand' RenomméeSemépar tout, eftplus fort qu'vnearmée:Carfans combattre,auecquela vertuVousauez tout doucementcombatu.

Si m'encroyez,vouspajferez lerefteDevos longs ioursfans que rien vousmolefte.Il eftbienvray queprefidantau lieu

Quevous tenezdejfousla mainde Dieu,Nefçauriez eftrevn quart d'heurefans peine:Maisdeplaifir il faut qu'ellefoit pleine,Entre-mejlantle douxauecl'amer,Et nelaijfer voftreefprit confumerSoustelle charge aucunementamere,Si le plaifir lefoucyne tempère.

Quandvoirrons nousquelquetournoynouueau>

Qiand voirronsnouspar tout Fontaine-bleauDe chambreen chambrealler les mafcarades>

Qiand oirronsnousau matinles aubadesDe diuersluths mariezà la vois,Et lescornets,lesfifres, leshaut-bois,Lestabourins,lesflûtes, efpinettesSonnerenfembleauecquelestrompettes>

QuandvoirronsnouscommeballesvolerPar artificevn grand feu dedansl'air>

Quandvoirronsnousfur le haut d'vnefceneQuelquelanin ayant la iouepleineOu defarine ou d'ancre, qui dira

Quelquebonmot qui vousrefiouyra>Qiand voirronsnousvne autre PolyneJJe

TromperDalinde,& vne ieuneprejfe

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3oi

De tous coftezfur les tapis tendus

Honneftementaux girons efpandusDe leur Maiftreff'e,(y de doucesparolesFléchirleurs coeurs& les rendreplusmolles,Pourfainclementvn tour les efpoufer,Et chajiementprès d'ellesrepoufer>

C'ejl en cepoint, Madame,qu'il faut viure,Laijfantl'ennuyà qui le voudrafuture.

Devoftregrâce vn chacunvit enpaix:Pour le Laurierl'Oliuier efiefpaisPar touteFrance,& d'vne eftroittecordeAuezferré lesdeux mainsde Difcorde.

Mortsfont cesmotsPapaux & Huguenots,LePreftre vit en tranquillerepos,Levieilfoldat fe tient à fin mefnage,L'artizan chanteenfaifant fin ouurage,Lesmarchezfont fréquentezdesmarchans,Leslaboureursfans peurfement leschamps,Lepafteurfaute auprèsd'vnefontaine,Le marinierpar la merfe promeineSanscraindre rien: car par terre & par merVousauezpeu toutechofecalmer.

En trauaillant chacunfait fa tournée:Puis quandau Ciel la Luneefi retournée,LeLaboureurdeliuréde toutfoingSefied à table,Ù3prend la taffe au poing,Il vousinuoque,& remplyd'alegreffeVousfacrifie ainfi qu'àfa Déeffe,Verfedu vinfur la place: (y aux deux

Dreffantles mainsèr fouleuantlesyeux,Supplieà Dieu qu'enfanté trefparfaiteViuiezcent ansen la paix qu'auezfaite.

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302 II. BOCAGE

ELEGIE.

lefuis certainque vojlre bonefpritDira foudain qu'il verra ceftefcrit,Que ierefembleau marinierqui donne

Reposau Ciel quandla marineejl bonne,Et defes voeuxne va point tourmenter

Neptuneen l'eau, nyau Ciellupiter,Lors quele vent em-poupefon nauire,Faifant cheminoùfon coeurle dejïre.

Maisquandl'orage enla mer lefurprend,Et quandfa mort deffusla vaguepend,Palle Ù1tremblantfait centmilleprièresPour efchapper,aux Nymphesmarinières:Si qu'enfi dure isrfafcheufefaifonToutefa boucheejlpleine d'oraifon,Croizefes bras, i? entellefortunePrometen voeuxdegrands donsà Neptune:

Puis s'il Cevoit efchappédu danger,S'enfuit gaillard, fans coulpablefongerCommeil doit rendreaux Dieuxfur le riuage,Sesvoeuxiurez au milieude l'orage.

De telleerreurvouspourrez m'accufer.le le confejfe,<&nepuis m'excufer:lefens mafaute, ir fçay bien qu'elleejlgrandeEt pour cela pardon ie vousdemande.

Quand iefuis aife à monreposicy,Sanspafjion, affairesoufoucy,Enfléde bruit ir braued'efperance,le ne vousfais ny court ny reuerence,

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ROYAL. -JO1}

le ne vouscherche,-(? à'vn defirefpointDevoshonneurs,ie ne demandepointSi ma MufeeflfujfifianteÙ"propiceCommeelledoit, à vousfaire feruice:le ne vais pointtroublervofire repos,Romprevofireaife, outranchervospropos:Car[ans mentirieferois confidenceD'abufiertrop de vofirepatience.

Et fi iefaux, commecerte iefaux,Dufeul deuoirprocèdentmesdefaux,Etdu refpeÉitrop grand queie vousporte,Envouscraignant<ùrhonorantdeforteQue ie nepuis de vosyeux approcher,Tant ie lesaimei? crainsde lesfâcher.

Nonque iefois de naturegrojfiere:

l'ay l'efprit vif, l'ameprompte& legiere:Tantfeulementla crainted'ennuyerMevient lespieds & la langue lier.

Maisquandfortune icym'eftaduerfaire,Quand ie nepuis defpefchermonaffaire,Quandquelqueennuymedefrobel'efpoir,Quandonne veut maMufereceuoir,QuandvnfafcheuxChryfophilerechineA maprière, oumetournel'efchine,Ou parle à moypar fraude ér par courrons,Pourmonfupport ie meretire à vous,le vouscarejfeisr courtize& fupplie,Etpar efcrit, Déejfe,ie vousprieCommemontout, & nefuis abufiè:

Auffide vousie nefuis refufé,Tant vousauez l'amegentille Ù"pureQui les vertus aimedefa nature,Et quinefouffre, en defpitdu malheur,

Oji'vnvertueuxfait veincude douleur.

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J04 II. BOCAGE

C'eft la raifonpourquoyie ne confejfeQuedesvertus la belletroupe efpejfeSoitretournée(ainft qu'ondit) aux deux,Abandonnantcemondevicieux.

Car vousvoyant,DeBeaune,enterrefutureToutesvertus, on lespeut dire viureToutesenvous, isr en vousellesfontApparoiffanttoutesfur voftrefront :Si queceluyquide prèsy prendgarde,Vousregardant, en vous il les regarde.En cefteCourt la plus-part font menteurs,Trompeurs,caufeurs,mefdifans,affronteurs:Vousprefquefeuley eftesvéritable,Phénixd honneurquin'a point defemblable.

DISCOVRS.

Oufoit que les mareftsde l'Egypte fécondeSoientpères limonneuxdes hommesde ce monde,Soit qu'ilsfoient engendrezdes vieux chefnesplantez,Oufait que desrochersils naijfentenfantez:Si eft-ce, monSanzay, quefans faueur de raceLeshommesfontyffiisd'vnepareillemaffe:Ils eurentfang pareil Ù1pareil mouuement,Et furent tous égauxdèsle commencement:Sanspointfe foucierd'honneurnyde noblejfeEftoientfans nul méfier,fans art ù"fans adrejfe,Et viuoientpar lesbois commepeu courageux,Desglans tombezmenudes chefnesombrageux.

Si tojl quelesvertus leshommesefueillercnt,Efpoinçonnezd'honneurà l'enuytraunillercnt:

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3°f

L'vncreufa lesfapins, {? fe donnantau ventAlla trop conuoiteuxd'Occidentau Leuant:L'autrepour agrandir lesbornesdefa terre,

Fiji despicquesdefrefne, Ù"courut à la guerre;Usbaflirentcitez, ils choijîrentdes Rois,Ils drefferentdes camps,<&chargez de harnois,Lesarmesenla main, au combatfe pouffèrent,Et les grandes Citez à terre renuerferent.

Lorsl'honneurqui voloitdeffusles campsarmez,Lesrendait viuementaux armesanimez,Deforte quechacunauoitplus grande enuieDe la mort, quefauuer honteufementfa vie :Et pluftoftdefiroità la guerre mourir,Queviure enfa maifonfans louangeacquérir.« Noftrevie mondaineeft caduque<ùrmortelle,« Et la bellelouangeeft toufiourséternelle.

Celuyqui defiroit de monftrerfa vertu,Portait fur le harnoisdont il eftoit veftu,Ou deffusfon bouclier,vne recognoiffance,Afinque par la preffeon cognuftfa vaillance.

L'vn auoit vn Serpent, l'autre auoit vn Lyon,VnAigh, vn Léopard: ainfi vn millionPar lesfieclespaffez d'Enfeignesfont venues,Queles races depuispour figne ont retenues,

Efcuffons& Blafonsde leurspremiersayeux,Que la guerre en-noblitpar faits viSlorieux:

Auffipour inciter leurs races a bienfaire,A poufferleur vertu outre le populaire,Et à contregarderpar nobleffede coeurL'honneurqueleurs parens ontacquispar labeur.

Mais tout ainfi qu'onvoit la FortunemondaineAller en decadance& n'eftrepoint certaine:

Auffinevoit-onpas en chacunefaifonToufiSursenmefmeeftat vne mefmemaifon,

Ronsard.—III. 20

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306 II. BOCAGE

Ainsfouuent ellechangeÙ" d'armes(? de race ;« Car toutechofehumaineen ce basmondepaffe.

La tienne,monSanzay,fans auoir rien mué,A toufioursfort honneuren mieuxcontinué,Commele vif furgeon d'vne race éternelle

Quifans l'aide d'autruy re-uit toufioursen elle:

Tige du noblefang des Comtesde Poitiers,Dont tespredecejfeursfurent vrais héritiers:

Qui auxfteclespajfez, enprenantallianceEsplus richesmaifonsdu Royaumede France,Ont iufquesauiourd'huyauecq authoritéMaintenuleur nobleffe&1leur antiquité.

Or toyqui leurs vertus <Ùrleur gloire pojfedes,Et qui de droite ligne à leursarmesfuccedes,Tu n'as voulufouffrir que leur nomen-noblyDe tant de beauxhonneursfuft prejféde l'oubly:Mais tirant du tombeauleursarmes isf leur gloire,Tu as dedansvn Hureordonnéleur hijloire,Portrait leurs Efcujfons& leursBlafons, afinQue ta noblemaifonneprenneiamaisfin,Et quemaugréles ans ta Lignefloriffante

Croiffedefils en fils a iamaisrenaijfante.

Toufiourspuiffe ta race augmenteren honneur,Et toufioursta maifonfoit pleine de bon-heur,llluftre de vertus, <ùftoufiourspuiffeviure

Auecquesvn Sanzayvn Konfarddans ce Hure.

DISCOVRS A CECILLE

Sicilien.

DoàieCecille,à qui la PiérideAfait goufterde l'ondeAganippide,

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?c>7

A defcouuertlesantres Cirrheans,Afait danferfur lesbordsPimpleans,A menévoir baigner en la fontaineSur Helicon,ceftebelleNeufuaineQuelupiter en Mémoireconceut,Et pourfa race enfon Ciel la receut:

le te confeffeheureuxenmillefortes,Nonpour le nomfi fameuxque tu portesVenantde Vlfle,où le Gean TyphéPrefquedefouffre& defoudre eftouffé(Gean rebelleà fouffrir indocile)Enfe tournantesbranlela Sicile,

Eftantlajféde porter d'vn cojlêLefoufpiral de Vulcanindonté:

Nonpour autant quele grand fieuue Alphêe,Ayantd'amourla poitrine efchaufée,Reuoits'amieà cachettes,laijfantSonbordfacré d'Oliuierspalliffant,Et fous la merfansy méfierfon ondeCouleléger d'vnevoyeprofonde,Nefe laijjant à Neptuneenfermer,Afinquepur desvaguesde la merVienneembrafferfon Arethufechère,SesOliuiersluydonnantpour douaireEt fonfablon desAthlètescognu,Eflant defleuuevn plongeondeuenu

Nonpour-autantque la MufeLatine,La MufeGrequeont mis en ta poitrinele nefçay quoyde grand & de parfait,Quipajfe en Erance,& reuerertefaitDe cesefprits à qui rien nepeut plaireS'il n'eft du tout ejîongnédu vulgaire :

Nonpour-autant quecourtois& humainAux étrangers tu ne cachesta main,

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j08 II. BOCAGE

Maisdoucementles truites ér careffes,Les bien-veignantd'honneursù" de richejfes:

Maispourautant que tu vois deplus prèsQuenous le port & lesyeux ù" lestraitlsDe lafplendeurde ton Prince, qui pajfeL'Honneurd'honneur,isr les Grâcesde grâce.

Cecille,on dit qu'après que les GeansFurent brujlez, l'vn fur l'autre cheansAux champsde Phlegre, ér que l'ardentefoudreLeur triple efchelleeut brifécommepoudre,Foudrequel'Aigle enfon becapportoit :

Que lupiter pompeufementeftoitHautain, d'auoir defehargéfa vengeanceSurfi mefehante(y malheureufeengeance.

Et toutefoiscommevn veinqueur,douteux

Qu'il ne reftaft quelqueracined'eux,Qui de nouueautroubleraitfa vicloire:Pour effacerla race isf la mémoire

De telle gent, du haut Ciel deualla,Et bras à bras noftreTerreaccolla,La rempliffantdefa femenceheureufe,Semenceforte, ardente& vigoreufe,Digne d'vn Dieu, quela Terre receut,Dont toutfoudain lesRois elle conceut,Portraits fierez de la haute lujiice,Pour chaftierles Geans,iy leur viceS'il en reftoit: puis ce DieudefiroitDefe mirer aux enfansqu'il aurait,Et par les Roiscognoijlrefa puijfance:« Car du grand DIEVles Roisfont lafemblanee.

Quand la douleurd'enfanterla preffa,A corpspreignant eftendrefe laijfaSousvn grand Palme: & commeenfa geftneTroisfois appellea fonfecours Lucine,

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ROYAL. 309

ElleinuoquaIupiter, quides deuxlettoit fur elle Ù"fon coeurÙ"fesyeux :

Puis au milieud'vne longuetranchée,Ens'efforçantdes Roisejiaccouchée.

La Maieftéfes grandes mainsauoitSouslesenfans,la FortuneferuoitDefiage-femme,isr la Vertuchenue

Eftoit du Cielpour commèrevenue.Touscesenfansnefe refembloientpas :

Lesvusauoientpetit corpspetits brasPetitesmains : les autresau contraireAuoientgrands mains<ùrgrands bras, pour deffaireSouseux lepeuple, & fous euxfaire armer

D'hommesla terre, & de vaiffeauxla mer.L'vn en naijfant efloitvieillard Ù"fage,

L'autre n auoit nyforce nycourage,Vnfait-neant, <ùrl'autre généreuxEfloitde gloire Ù"d'honneuramoureux,Et prefque enfantnepenfoitqu'à la guerreEt d'abaijferfous luy toute la terre,Commele noflre,à qui lesdeux amisOnt de grands donsdés naijfancepromisPour ioindrevn iourpar fidèle alliance

VoftreSicilleauecquesnoflreFrance.Incontinentque Iupiter lesvit,

L'ardanteamourfon couragerauit,Et bouillonnantenfon coeurde grand' aife,Impatientles accolleÙ" les baifeL'vnaprès l'autre, Ù1d'eux père communBaillafa foudre enprefensà chacun,

Difant ainfi : Ma race, ie vousdonne

(Outre l'honneur,le SceptreÙ"la Couronne

Quevous tiendrezdejfousmonbraspuiffant)Commeà mesfils lefoudrepuniffant:

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}IO II. BOCAGE

Nonpour blefferou pour tuer la raceDe l'innocentei? [impiepopulace,Maispour punir les Geansferpens-piezSi par audaceensembler'alliezMeguerroyoient,oufi gros d'arroganceIls conspiraientcontrevojlrepuijjanceLors n'efpargnezlafoudre Ù"la ruez,Etcommemoyfaccagez i? tuezD'vnfeu fouffré la raceTitanine:

RenuerfezmoyBriarefous Arine,Et derecheffous EtnerenfermezTyphécouuertde charbonsallumez,Et rembarrezPorphyreen Tenarie.

Quandvousvoirrez que leurfotte furieSeradontéeÙ"férue dejfousvous,A monexemplearrejlez le courrons,Et riexercezd'unerigueur félonneToutevengeanceainfi qu'vneLyonne,Ou commevn Tygre aux grands ongles tranchans,Qjii d'Hyrcanieerre parmy les champs:

Croyez, enfans,que chofetant n'approcheDema bonté,que defauuer fon proche,Et pardonnerà beaucoupqui aurontSansy penfertrop haut drejfêlefront.

Si ie voulais touteslesfois qu'enterreL'hommem'offenfe,ejlancermon tonnerre,Ejlant toufioursde courrouxanimé,Enpeu de tempsieferois defarmé.

Maispour donneraux peuplesvne crainte,Souuentd'Athosou la cymeeft attainteOu du Ceraune,ou iefais trébucher

Dejfousmonbras la tefted'vn rocher,Ou ie renuerfevne tour qui menaceMonCielmoquédefa voifineaudace,

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311

Ou lesforejis dontles arbres d'autourSontfi efpaisqu'ils defrobentle iour.

Cefont les buts,fur quipère ie vifeLestraits armezde ma cholereefprife,Ne refpandantà tous coupsde mamainMesdardsdefeu deffiirle genre humain.

Et c'ejl afin que lepeuplequi tremble

Devoir morceauxdejfurmorceauxenfembleD'vngrand rocherpar les champsrenuerfé,SachequeDieu eft là haut courroucé,

Qu'il règne au Ciel, & qu'il darde la foudreEt qu'enfon lieu les rochersfont enpoudre.

Et lors prenant exempleà mapitiéS'entre-aimerontviuant en amitié,Adoucijfantl'ardeur deleurs couragesSansfe tuer commebeftesfauuages.

Difant ainfi il enuoyales RoisSeschersenfansrégner en tous endrois,Et fur leur chefefpandantfa largejfe,Aux vus donnaitvnegrande richeffe,Auxautresmoindre,ainfi qu'il luyplaifoit :Car à fon gré fon vouloirfe faifoit.

Maispar fur tousfa faneur eftmonftreeDeffusla France,Efpagne& ta contrée

Qu'il couronnade gloire Ù"de bon-heur,Et iufqu'au ciel en enuoyal'honneur,Sacré berceaude Cerèsla très-belle

Qui nourrijl tout defa graffemammelle.

Tefmoinsenfont Archimede,& celuyQui courtizanauoit vn doubleeftuy,L'vnplein de vent & l'autre definance,Et ce Pajleur qui fut dèsfon enfanceEnArcadie,<ùrfur Menalevit

Pan qui fleutoit, dont lefon le rouit.

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312 II. BOCAGE

Or commeonvoit quelesRois encemonde

Apresleurpère ont la placeféconde,Haut-ejleuezen grandeur ù1 enpris :Despuijfans Rois leshommesfauorisPar la vertu, ont la troijiefmeplaceHaut-ejleuezdefurla populace.

Ainfique toy Cecille,dont le nom

N'ejl enfermédejfousvn bas renom,Mais envolantaux deux boutsde ton IJleA fait ta gloire abondante& fertille,T'a fait du peupleÙ"des grands bien-aimê:Tant vaut l'honneurquand il efi renommé.

Nonfeulementta viue renommée

N'ejl chichementde ta mer enfermée,Maisfranchijfant le rempartSicilois

S'ejl apparue au grand peupleGaulois,Et fait cognoijlreà mesMitfesfacrées,Pour te porter en diuerfescontrées,Et faire aller ton nompar ïvniuers :Car ta louangeejldigne de mesvers.

A E. DE TROVSSILY

Confeiller du Roy en fon grand Confeil

Trouffily,tous les arts appris en la ieunejfeSeruentà l'artizan iufquesà la vieilleffe,Et iamaisle mejlieren qui l'hommeefi expert,Abandonnantl'ouurier, par l'âge nefepert.

Bienquele Philofopheayt la tefle chenue,Sonefprit toutefoisfe poujfe outrela nue:

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in

Plus le corps ejl pefant, l'efprit ardent & chaut,Plusforce la matière, Ù"s'en-vole là haut.L'Orateur qui le peuple attire par l'oreille,

Celuyqui difputant la vérité refueille,Et le vieil Médecinplus il paJJ'een auant,Plus il a depratique, & plus dénientfçauant.

Maisce bon-heurn'ejt propre à nojlre Poëjie,Qui nefe voit iamaisd'vuefureur JaifieQu'au tempsde la ieunejfe,Ù" n'a point de vigueurSi lefang ieune& chaudn'efcumedans le coeur:

Sang qui en bouillonnantagite la penféePar diuerfesfureurs brufquementeflancée,Et pouffenojlreefprit orebas orehaut,Selonque nojlrefang ejlgénéreux& chaud.

Qui s'enfle dans noscoeurs,nous trouuantd'auantureAu méfier d'Apollonpréparez,de nature.

Commeon voit enSeptembreaux tonneauxAngeuinsBouillir en efcumantla ieunejfedes vins,

Qui chaudeenfon berceauà touteforce gronde,Et voudrait tout d'vn coupfortir horsdefa bonde,Ardente, impatiente,Ù" n'a point de reposDe s'enfler, d'efcumer,de iallir à grosflots,Tant que lefroid Hyuerluyait dontéfa force,Rembarrantfa puijfancees prifons d'vne efcorce:

Ainfila Poefieen la ieunefaifonBouillonnedans noscoeurs,qui n'afoin de raifon,Seruede l'appétit, & brufquementanimeD'vn Poètegaillard la fureur magnanime:Il dénientamoureux,il fuit les grands Seigneurs,Il aimelesfaueurs, il chercheles honneurs,Etplein depajjions,en l'efprit ne repofeQuede nuiôi Ù"de iour ardant il ne compofe:

Soupçonneux,furieux, Juperbe& defdaigneux,Et de luyfeulementcurieux<ùrfongncux,

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31-4 II. BOCAGE

Sefeignant quelqueDieu: tant la ragefélonneDe fon ieunedeftr (on courage aiguillonne.

Maisquand trente cinq ans ou quarante ontperduLefang chaudqui eftoites veinesrefpandu,Et queles cheueuxblancsde peu à peu s'auancent,Et que nosgenousfroids à tremblottercommencent,Et quelefront fe ride en diuerfesfaçonsLorsla Mufes'enfuit Ù1nosbellesckanfons,Pegafefe tarift, isr n'y a plus de trajj'eQui nouspuiffeconduireau fommetde Parn'affe,NosLauriersfont fechez, Ù" le train de nosversSeprefenteà nosyeux boiteux(T de trauers:

Toufioursquelquemal-heuren marchantles retarde,Et commepar defpit la Mufeles regarde.Car l'aine leur défaut, la force isr l'agrandeurQueproduifoit lefang enfa premièreardeur.

Et pourcefi quelqu'vndefire eftrePoète,Il faut quefans vieillir eftre ieuneil fouhéte,Prompt, gaillard, amoureux: car depuisque le tempsAura deffusfa tefteamafféquaranteans,

Ainft qu'vnRojfignoltiendra la boucheclofe,Quiprès defes petitsfans chanterfe repofe.

Au Rojfignolmuet toutfemblableiefuis,Quimaintenantvn vers defgoiferie nepuis,Et falloit quedes Roisla courtoifelargeffe(Alors que tout monfang bouillonnoitde iewiejfe)Par vn riche bien-faiB inuitaftmesefcritsSansmelaiffervieillirfans honneur(y fans pris:MaisDieu ne l'a voulu, ne la dure Fortune

Qui lespoltrons efleue,Ù1lesbonsimportune.Entre tous lesFrançoisi'ayfeul le plus efcrit,

Et la Mufeiamaisen vn coeurnefe pritSi ardant que le mienpour célébrerles geftesDenosRois,que i'ay mis au nombredes Celefles.

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ROYAL. 315"

Pur monnobletrauail ils font deuenusDieux,l'ay remplyde leurs nomsles terres <&les deux:Et fi de meslabeursqui honorentla France,le neremporterien qu'vn rien pour récompense.

DISCOVRS DV VERRE.

Ceuxqueles Soeursaimerontplus que?noy,Commevn d'Aurat, d'vn vers digne de toyFerontfçauoir aux nations lointainesDe tes vertus les louangeshautaines;

Quant efide moy,le n'oferoy,Brinon,Sur monefpauleefleuerton renomPour engarderque la mortne l'enterre:Il mefujfi.fifi l'honneurd'vn feul verre

Lequeltu m'aspour eftreinesdonné,Efi dignementen mesvers blafonné.

O gentil verre, oferoy-iebiendireCombienie t'aime, ù1 combienie t'admire>Tu es heureux,& plus heureuxcelayQui t'inuentapour noyernofireennuy!Ceuxqui iadis les Canonsinuenterent,Et qui d'enfer lefer nousapportèrent,Méritaientbien que la bas RhadamantLes tourmentafid'vn iufie chaftiment:Mais l'inuenteur,qui d'vn efprit agileTefaçonna,fufl-ce legrand Virgile,Ou les Nochersqui firent fans landiersCuire leur roftfur les bordsmariniers,Méritaientbiende bailler en la placeDe Ganymedeà lupiter la tafie,

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3l6 II. BOCAGE

Et queleur verre auJJItransparentqu'eauSefift au ciel vn bel Aflrenouueau.

Non, cen'ejl moyqui blafmePromethée

D'auoir la flaineà Iupiter oftèe:Il fift très bien:fans le larcin dufeu,Verregentil, iamaisonne t'euft veu,Et feulementpar les boisles FougèresEuffentferuy à nosvieillesSorcières.

AuJJïvraymentc'eftoit bienla raifonQu'vnfeu venant defi bonnemaifonCommeeft le ciel, fuft la caufepremière,Verregentil, de te mettre en lumière,

ToyretenantcommeceleftielLerond, le creux, ir la couleurdu ciel:

Toy,dy-ietoy, le ioyaudeleBable

Q_uifers les Dieux (y les Roisà la table,

Quiaimesmieuxenpièces t'en-aller

Qu'à tonSeigneurla poifonreceler:

Toycompagnonde Venusla ioyeufe,Toyquiguaris la trifteffeefpineufe,Toyde Bacchus& des Grâces lefoin,Toyqui l'amyne laiffesau befoin,

Toyqui dans l'oeilnousfais coulerlefomme,

Toyqui fais naiftreà la teftede l'hommeVnfront cornu,toyqui nouschanges,toyQuifais aufoir d'vn Crocheteurvn Roy.

Auxcoeurschetifs tu remetsl'efperance,La vérité tu metsen euidence,Le laboureurfongepar toy de nuibl

Qjiedefes champsdefin or eft lefruiSt :Et lepefcheurqui ne dort qu'à grand' peine,Songepar toy quefa nacelleeftpleineDepoijfonsd'or, ù" le dur BûcheronSesfagots d'or, fort plant le vigneron.

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•J'7

Maiscontemplonsde combientu furpaffes,Verregentil, cesmonjlrueufestajfes,Et fujt-ce cellehorriblemajfed'or

Quele vieillard GerineanNefiorBoiuoitd'vn trait, Ù" que nulde la bande

N'eujlfceu leuer, tantfa panfe eftoitgrande.Premièrementdeuant queles tirer

Hors de leur mine, il faut plus defchirerUantiquemère,<ùrcentfois envue heureCraindre leheurt d'vue voûtemal-feure;Puis quand cejl or par fonte Ù"par marteaux

Laborieux,sarrondift en vaijfeaux,Toutcizelédesfablespoétiques,Et burinéde médaillesantiques,O SeigneurDieu! quelplaifir ouquelfruiBPeut-il donner?finonfaire de nuit!

Couperla gorge à ceuxqui le pojfedent,Ou d'irriter quandles pèresdécèdent,Leshéritiers à centmilleprocez,Ou bienà table,aprèsdix milleexcez,Lorsquele vin fans raifonnousdelaiffe,Faire cafferpar fa groffeur efpaijfeLe chefde ceuxqui n'agueresamis,Entre lespots deuiennentennemis?Commeiadisaprès trop boirefirentLesLapithois,qui les monjiresdesfirentDemy-cheuaux:Mais toyverre ioly,Loinde tout meurtre, en te voyantpoly,Net, beau, luifant, tu esplus agréableQu'vn vaijfeaud'or, lourdfardeau de la table:Et fi n'eftoisaux hommesfi communCommetu es,par miraclevn chacun

Vcflimeroitdeplus grande value

Qa'vn diamant, ouqu'vneperle eflite.

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318 II. BOCAGE

C'ejl vn plaifir quede voir r'enfrongnêVngrand Cyclopeà l'oeuureembefongné,Qui te parfait de cendresdefougère,Et dufeul vent defon haleineouuriere.

Commel'efprit enclosdansl'vniuers

Engendrefeul millegenres diuers,Et feul entout milleefpecesdiuerfes,Au ciel, en terre, Ù3dans les ondesperfes:

Ainfile ventpar qui tu esfor/né,De l'artizan enla boucheenfermé,Large,petit, creuxougrand, tefaçonneSelonl'efprit i? lefeu qu'il te donne.

Qiiedirayplus >par efpreuueie croyQueBacchusfut iadislaué danstoy,Lorsquefa mèreattainte de la foudre,Enauorta pleindefang <Ùrde poudre:Et quedés lors quelquere[ledefeuTe demeura: car quiconquesa beuVncoupdans toy, tout le tempsdefa viePlusy re-boit, plus a de boire enuie,Et de Bacchustoufiourslefeu cruelArdfon gozier d'vn chaudcontinuel.

le tefaille heureuxVerrepropicePour l'amitié, ér pour lefacrifice:

Qiiiconquefoit l'héritier qui t'aura

Quandie mourray,de long tempsnevoirraSonvin ne gras nepouffédansfa tonne:Et tous lesans il voirra fur l'AutonneBacchusluy rire, <ùrplus quefes voifinsDansfon prejfouergennerade raifins:Car tu esfeul lemeilleurhéritageQui puiffeaux miensarriuer enpartage.

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ROYAL. -JIÇ)

AJMOVR LOGE'.

A N. de Pougny.

Amourauoit d'vn art malicieux

Surpris la foudre à lupiterfon père:

Luyquipardon à fa faute n'efpere,Pour efchapperabandonnales deux.

Dedansla mainauoitvn piftoletBienefmorcè,la pierre bienafjife.-

L'air luy fait voye,& le ventfauorijeA cegrand Dieuqui s'enfuyoitfeiilet.

De rOrient iufquesà l'OccidentVniour entier erra de place enplace:La grande mer qui noftreterre embraffe,Sentit combienfon brandonejlardent.

Lafroide humeurlespoijjbnsne défend,Nylesforefts lesanimauxfauuages :

Bois(y rochers,riuieres Ù1riuagesSontenflamezd'vn fi petit enfant.

Il n'efpargnoit.nyieunenygrifon :

Promptà frapper, d'vn coupenbleffamille:Debourg en bourg il va, de ville enville,Etpeuferuoit aux hommesla raifon.

Il eftoit las d'errer & de tirer,Et plus au ventfes ailes il n'allonge,Quandfur le poinSlque le Soleilfe plonge,Cherchalogis voulantfe retirer.

Troisquatrefois à l'embrunirdu iour

Il fijl fonner le marteaufur ma porte:

Soudaindu lie! vers lebruit ie meporte,Ventr'ouurel'huis, lors ie cognusAmour.

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•}20 II. BOCACE

Vnefrayeur pdusfroide qu'vn glaçonSaifitmesos, ie perdis contenance:

Car déslong tempsïauois eu cognoijfance,A monmalheur,de cemauuaisgarçon.

N'efi-cepas toyquifus long tempsà moy,Quand tout tonfang bouillonnoitde ieunejfe,Qiii te donnaymaintebelleMaiftrejfe>

Ouure, Ronfard, ie veux loger cheztoy :

Qui te preftay mesflèches& mesdars,Qui te baillay tousmesfecrets en garde,Qui lepremierdeuantmonaudntgardePortoisl'enfeigneentre tousmesfoldars >

le luy refpons, Tu ne m'eseftranger:

le te cognoisartizan demalice:

Malheureuxejl quivit à tonferuice,Etplus maudit qui te daigne loger.

Petitesmainspetits pieds petitsyeux,Oifeauléger qui volesd'heureenheure,Sansfoy,fans loy,fans arrefl nydemeure,Quela parejfe a mis entre les Dieux:

Sorcier,charmeur,affetê,mefdifant,Confiten mielisr enfiel tout enfemble,Toncoup deflèche au coupd'aiguille femble,Petiteplaye, & le mal bien-cuifant.

Tes meilleursbienscefont foufpirs Ù"pleurs,Larmes,fanglots, defefpoiriy la rage,Vnelangueurqui troublele courage,Prifons, regrets, complaintes{y douleurs.

Tu perds le temps,finet, a meprier :

Va-t'enailleurs, tel Dieuie ne reuere:Tu as befoind'vn hojieplus feuereQui tous les iours te vueillechaflier.

lefuis trop doux, il te faut vn SeigneurQui te commande&"qui foule ta tefle1

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ROYAL. 321

Qui rudementta ieunejfeadmonejie:

Tu ne vaux rienfans vn vieil gouuemeur.Il merefpond,Qiielleville ejl-cecy>

Efi-cepas Blois? ie la penfecognoifire.-

l'y pourroybienpour vue nuibl repaijtre,

Quelqueamoureuxaura de moyfoucy.Vrayment,Amour,ie te voy bienpuny

D'aller fi tard & mendiertongifte:Il efiminuiSi: par-ce marcheplus vijle,Monteau Chafteau,& demandePougny.

Il efigaillard, courtoisù1 généreux,Il cognoijlbientestraits Ù" ta nature:

Celuyfera bien-heureufeauanture

LogerAmourcommeeftantamoureux.MoncherPougny, puis quelefort fatal

Mefait errer, loge moyie te prie :

Ainfitoufiourspuijfes-tu de t'amieAuoirfaueurfans crainted'vn riual.

Pougnyrefpond,le reuereton nom,le fuis des tiens, il faut queie t'enfeignePlace à loger : va-t'en oùpendl'enfeigneDu Cheualier,le logisy efibon.

Tu trouuerasendiuerfefaçonAffezde lieux: car la Court ti'efipas grande:

Chafquelogispour hofiete demande,Mais le meilleurc efi l'Efcu d'Alançon.

Si tout efi plein, ie veux t'enfeigneroùTu logeras:& pourceneregretteLe tempsperdu, la meilleureretraitte

Qiiifoit icy, c'efi à l'hofield'Anjou.Là tu auras, fi tu es arrefié,

Vngiflefeur : maisfi tu esfauuage,Fier, defdaigneux,inconfiant(? volage,N'y logepas, tu ferais mal trai&ê.

fcarf. —m. 2'

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•J22 II. BOCAGE

Cebelhojieleft enrichyd'efmail,Deperlesfont lesportes eftofées,Palmes,lauriers, couronnes<&troféesPendentde rangfur lehaut duportail.

D'vn tel logis lefeigneur redoutéVacouronnéd'honneur& de ieunejfe:Marsiy Pallas, la vertu, la prouejfe,Pour compaigniehonorentfon cofté.

Levicieux ence Palais nefait,CommelieufainSl, ny entrernyfortie :Tellemaifonpar le Cielfut baftiePoury loger vn Prince trefparfait.

H dift ainfi, & Amours'en-allaVersvousSeigneurde la terre Angeuine:

C'ejl vn enfantde nature maline,Qu'en lieud'amerAmouron appella.

Il faut le battreÙ" lefaire crier,

Romprefin arc, luyojlertouteschofes,Et tant d'oeillets,<ùrde chaifnesde rofes,ïambes& bras efclauele lier.

Etfi Venusapportait enfa main

Rançonpour luy,prens lefils & la mère,Lespunijfant d'vneiufiecolèreCommeennemisde tout le genre humain.

Maiss'ils vouloienttousdeux abandonner,

Craignant tonnom,leurs mauuaifespenfées,Pardonne,Prince,à leursfautes pajfées:VnPrincedoit lesfautes pardonner.

DISCOVRS.

Vousquipaffez en trifteffele iour,

Ajfiuiettisfous l'empired'Amour,

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ROYAL. -523

Crueltyran des humainespenfées:

Vousqui viuezd'efperancescajfees,Vousque Fortune,Amour,& la douleurVontabufant, efcoutezmonmalheur,Malheureflrange,autant efmerueillableQu'en montourmentie n'aypoint defemblable.

Maispar oùdois-ieen mesvers commencerLemalquivient grieuementm'offenfer>

Commevn cheminqui en croixfe trauerfe,Demaintevoyeencarrefoursdiuerfe.Fait lepiétondu cheminefgarer:

Ainfi le maldiuers mefait errerDemonpropos,fi queie nepuis dire

D'où, ny commentprocédamonmartyre:Et toutefoisicy ie le diray,Medéclarantle mieuxqueiepourray.

De monmalheurl'occafionpremièreFut la durtêde ma cruellemère,

Laquelleeftantfans coeurù1fans pitié,Fit auorter manouuelleamitié,Mèreafin fils à tort mal-gracieufiPar le rapport d'vne vieilleenuieufeQuihayjfoitmaMaiflrefj'e,<ùrfaifoitQu'à mesparensmonamourdefplaifoit.

Quiconquefiit ceftevieillemauâite,

Perijfe.ô Dieux/ iuftementinterditeDufeu (y a"eau,& la clarté desdeuxNefiit iamaisagréablea fis yeux.

La pauuretétoufioursluyface guerre,Et fans fecours aillede terre en terre

Cherchantfin pain, Ù" trefpaffeà la finNue, affamée,au milieuiïvn chemin,Oùfans honneurd'aucunefepultureSoit desmajtins(? des loupsla pafture.

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324

SQIIefprit aille errant par lestombeaux,Ou reueftudeplumesde corbeauxSur lesmaifonstoutenui6lfe lamente,Et d'vn long cry lesvoifinsefpouuente,Puis quepar fraude ellea voulublefferL'honnefleamourqu'onne doit offenfer.

Demontourmentiefis certainmonpère-:Mais luyvieillard, qui du tout obtempèreAuxpajjionsde cellequi mefit,Parla pour moy,mais rien à monprofit :Car remettant toute l'affaire à celleDont ie nafquis, la renditplus cruelleContremonmal, commeayantfeule à foyPouuoirde père Ù1de mèrefur moy.O cruauté d'vne mèreobjlinée,Qui defon fils corromptla deftinée!

Mamèredonq' eft caufedu tourment

Queie reçoy,<ÙTvousdiray comment.

Ainfiqu'on voit quentreceuxd'vn lignageLa priuauté s'augmented'auantage,Et l'amitiés'enflameplus auantPar le moyendefe voir bienfouuent:

Ainfivoit-onqu'Amourqui tout difpenfe,Souuentfe méfieentre tellealliance,Et tant il ejl gaillard Ù"vigoureux,Quedes coufinsil fait desamoureux.

Commeil aduint à moyqui melamente,Trouuant vn iour vue mienneparenteEn vnfeftin (parented'ajfez loin)Quifut depuisl'argumentde monfoin.Car ejlimantejlre cltofeciuileD'entretenirvneDamegentileDequi i'eftoisvn petit allié,Incontinentie mefenti lié,

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ROYAL. -j2f

Fait prifonnierde[on deuisJî fage,Qu'il euftguigné d'vn Scythele courage.

le mevy prendreefclauedefesyeux,Où lesAmourscourtois& gracieuxEftoyentlogez, armez defes oeillades,Qjti d'vnfeul coupmesfins firent malades:Si qu'enviuant enautruy loin de moy,Plein defouci, de trijlejfe & d'efmoy,Autrepenfer n'auoisen la penféeQuela beautéque i'auois enlacéeAufond du coeur,qui fuiuoit entous lieuxMonfouuenirfe monflrantà mesyeux,Et nefouffroit, tant mefaifoit deprejfe,Quefur l'amourla raifonfufi maijlreffe:Pourceiefus long tempsmaladeainfi,Sansrencontrernypitié nymerci.

Maiscommeonvoit que la premièreenuieD'vn ieuneamanteftfouuent ajfbuuieOu par l'eftudeoupar autre moyen,ï entre-rompile noeude ce lien,Qui d'autre amourm'auoitferré la voyeEftantfort ieune,Ù"aujjï que i'auoyeVnfrère aifnéen âgeflorijfant,Qui plus que moyejloitfort & puijfant,Et qui deuoitfélonfa deftinéeAller bientoft fous lesloix d'Hymenée.

Or quand la Parqueeut cefrère rauy,Et quetout feul de monnomie mevy,S'offrantà moymaint richemariage,L'amourpremièrearreftamoncourage,Dont ie gardois encoresen l'efpritLefouuenirÙ*le portrait eferit.

Pour tout remèdevn iour ie délibèreDe racontermesamoursàfa mère,

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J26 II. BOCAGE

Lafuppliant n'auoir le coeurmarrySi pour amiiedeuenoismaryDe la beautédefa fillefi belle,Qu'autredefir ie n'auoisfinond'elle.

La mèreadonq qui mespropos ottit,Lesaccordant tout moncoeurrefiouit:Maispour tel heurne faillit mamifere.Car la rigueur de mafafcheufemèreFraudantmoncoeur,mapeine&"monefpoir,Opiniajlre oppofa[on vouloirAu mienforcé, & pour monmal accroijlreNevoulut onq' lesvertus recognoijlreNela famille oùie voulaisparti,Ayantfon coeurde monbiendiuertiPar lesrapportsd'vne vieilleMegereContrem'amieinfâmemenfongere-,Et toutesfoisardent iene laiffêD'entretenirmondejfeincommencé,Faifant entendreà monpère la peineDe trop aimer, dont i'auois l'amepleine.Difant ainfi: Père s'il tefuuuientDu premierfeu qui en ieunejfevient

Brujlerles coeursdefa flameamoureufe( Heureuxfuiet d'vne amebien-heureufe)le tefupplie aide à monamitié,Et père, pren de ton enfantpitié,De moyqui meursfans tenir embrajféeCellequi vit Koynede mapenfèe.

Ne fois, monpère, homicideà grand tortDe tonfeul fils, qui n'attend quela mort,S'il ne te plaijt qu'il eflaignefa flameEnfi beaulieu qu'il defirepourfemme.

Las! fi tu veux à monbienconfentir,Tumeferas vn tel aifefentir,

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VI

Mettanta fin ma vertueuseenuie,

Quedoublementi'aurayde toy la vie,Et doublementferas monpère iciMedonnantvie & m'oflantdefond.

De telsproposmonpère ï'arraifonne:Luyqui ejhit de nature tresbonne,Me dit: Monfils, i'aypitié de ton mal,Lequelne trouueen amoursfon égal,Louantbeaucoupta volontéconfiante,Qui nefe doitfrujher defon attante.

Maispour-autant quevieilleffema faitPar maladieimpotentÙ1desfait,le nefçaurois à ton vouloircomplaire:Car déformaiscen'ejl plus monaffaireDe meméfierde nopcesny de rien:

Lefeul vouloirde ta mèreejt le mien.Pourcemonfils, flechi-lapar prière:

Son coeurn'ejl point d'vne LionnefiereNy d'vn Sanglier, tu pourraspar douceurEnfoufpirant luy amollirle coeur.

Ainfidifoit. Lorsie lamente& crieDeuantniamère, Ù"la prie Ù" reprie,Et par douceuri'effayed'arracherEnfoufpirant cefer Ù1ce rocher

Qui luy armait la poitrinefi dure,Pour n'ej"coûterla peinequet'endure,Mettanttoufioursau deuant defesyeuxL'extrêmeennuyde monmalfoucieux,La nourritureÙ"beautéde lafille,Et lesvertus de toutefa famille.

Maispourneant ie cuidoisl'enflamer:

Car millefois plusfourde que la mer,Quipar le ventfe roullefur lefable,A maprière eftoit inexorable.

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•528 II. BOCAGE

Alorsmedit cellequi m'engendra:Tonpère vieilfera cequ'il voudra,Car d'vn père eji la puijfancebienforte:Maisquant à moy,plujiojimillefois morte

l'iray là bas, que te voir marié

Enfi bas lieudont tu es allié.

Ce moteftoit le dernier coupd'efpéeDont elï penfoit auoir du tout coupéeMonefperance,helas1 qui fioriffoitD'autant plusfort qu'elle la meurdriJJ'oit.

Moyrefolude pourfuiuremaprife,le fi certainsmesparens de l'emprife,Qui tousd'accord louèrentmonconfeil,Et monamour qui n'a point depareil,Et la langueurvéritable& nonfeinteD'vneamitiéfi confiante<ùrfi fainte.

Adonq'penfantpar le tempsacquérirCeplaifant mal lequelmefait mourir,

ToufiourscherchoisoccafionexprejfeD'aller aux lieuxoù eftoitma Maiftrejfe.

Longtempsaprès tant de trauaux pajfez(Par la douleurl'vn fur l'autre amaffez)

Preuoyantbienquema peinedolente

Aurait plantéevne amourviolente

Dedansle coeurde Madame,isr qu'auffiAutantque moyelleaurait defouci,le refolu,pourfoulager ma vie,Devifiter vnefi chèreamie,Dont le portrait dedansl'efprit i'auois,Et de luyfeul enmourantie viuois.

Or trouuantfeule vn iourmafeule Aimée

(Car la maifonfouuent m'eftoitfermée,Depeur helas/ quefi la priuautêD'vnefi douceÙ"plaifantebeauté

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329

M'eftoitcommune,vne enuieuferageNe rallumaftmamèredauantage: )le luycontaylefeu qui mebrufloit.Dont la chaleurauxyeux mejlinceloit:le luycontayque te mouraisfans elle,Quefa beautémefembloitfeule belle,Que defoufpirs moncoeurte nourrijfois,Qued'ellefeule attrifté ie penfois,Qu'elle eftoitfeule£? mavie Ù"moname,Monfang, montout, machaleur & maflame,Et quemoncoeurn'auroitautre aliment

Quedefonger en ellefeulement,Et maintproposie difois,quefait direAmouralors qu'oncontefon martyre.

En-ce-pendantà longs traits ie humoisDefes beauxyeux les beaustraits que i'aimois,le m'enlaçaisenfes trejfesdorées,le contemploisfes lettrescoloréesDefrais oeillets,& fon front oùeftoitAmourau guet quimoncoeurcombatoit.

le contemploisfon maintien& fa grâce,Et fon beau teintqui les rofesefface:le defroboisdefes beautezvnpeu,Doux alimentpour eneftrerepeuEnfin abfence,ainfi que l'hommefageQui entreprenddefaire vn long voyage,MainteviandeamaffedansfonfeinPour refifterlonguementà lafain.

Sa mèreadonqfuruenantfut ioyeufeDe telleamourfi fainte (? vertueufe,Et approuuantmalonguepaffion,De tous les deux loual'affeBion,Medefcouurantfa volontécelée,Dont ïeu depuismonameconfolée.

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33° "• BOCAGE

Vntempsaprès vne nopcefuruint,O iour heureux! oùmachèreamevint,Quiparoijfoitau milieude la prejjeCommeparoift Dianela DeeJJePar-fur le choeurde[es Nymphes[autant,Quandprèsd'Eurote elleva s'esbatant.

Là ne mepleut ny danfenyaubades,Nyballadinsaux difpoftesgambades,Fifres, cornets,ny les hauboisqui fontAller la danfeégalementen rond :

Ny lesfeftins, les vins, ny les viandes,Sucres,douceurs,confituresfriandesNemeplaifoyent:feulementmeplaifoitCecorpsdiuin, qui chaftemefaifoitViure& mourir, contemplantenprefenceD'vn oeilgoulu toutemonefperance.

D'vnfeu pareil nosfoupirs embrafez,Et nosdefirsfurent beaucoupprifezDes afiïftanslesplus grans de la bande,Qui admiroyentvne amitiéfi grande,Et de ma mèreaccufoyentla rigueurQui s'oppofoitfi cruelleà moncoeur.

La nuiilfuruint, & Amourqui meronge,Meprefentamesdélicesenfonge,Etparmi l'ombreen efprit mefift voirTant de beautezque i'auois veu lefoir.

Lorsie difois, Ofonge qui m'abufes,Mefortunant defi plaifantes rufes,De tout monbieniefuis tenuà toy,Quifans pitié as eupitié de moy:Si qu'en defpitde lafiere rudejfeQui tientma mère,accollantma Maiftreffele l'ay baifée,ù" feul tu m'asheure

Quandplus monfait eftoitdefefperé.

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T]l

Leverdpauot tonproprefacrificeSur tonautel à touteheurefleurijfe,Etpuijfies-tueuiter le courrouxDe lupiter, puis que tu mesfi doux.

Ainfiviuant enfi douteufeattente,Des deux coftezmaintparti fieprefienteDe mariage,<ùrnul ne vint à fin,Eftant rompupar vn heureuxdefiin.

Hà! queferois-ie auprèsd'vne autrefemmeSinonduplombfans vigueur iy fans ame>

Queferoit elleauprèsd'vn autre auffiQuefroide & morteÙ1palle defouetLoindefon coeur?Amourqui nousfait plaindreNenousfçaurait en autrepart conioindre,Tant le defiinà tous les deux communDe nosefprits en naijfant nefifi qu'vn.

Lorsmefforçantd'vnecomplainteamerele retentayle vouloirde ma mère,Luydéclarantle danger oùi'efiois:

Qu'vntel fardeaufur le coeurieportois,Qu'enbrefveincu ie laijferoisla vie,Etfi foudain elle n'auoit enuieDemalléger oumedonnerconfort,Ou'entrefiesbras elle auroit vnfils mort.

Maispour-neantie luy fais ma requefie,Tant de la vieilleelle auoit en la tefteLesfaux rapports qu'elleluy racontait,Quemespropos ny mespleurs n'efeoutoit,Efiant ioyeufeis" brauede maperte.

En-ce-pendantla foire fut ouuerte

Defaint Germain,où ceuxqui ont le coeurAdoloréd'amoureufelangueur,Où ceuxqui ontvne ardeur véhémente

D'eftre butind'vne nouuellcamante,

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332 "• BOCAGE

Où ceuxquiontvne ardeur de parlerA leur Maifireffeoùils n'ofentaller,Où ceuxqu'Amourà[on confeildemande,Vontamoureuxd'vnegaillarde bande.

Làpar bon-heurma Deeffearriua:Moncoeurdeuantauecq'elles'en-va,Et puis monpiedmeconduitpar la preffeOù ie trouuaymamortelleDeeffe.

Là ie n'auoismonregard attachéOufur lafoulle oudefurle marché,Oufur le bienquipendoitaux boutiques:Maiscontemplanttant de grâces pudiquesQui reluifoyentfur lefront de montout,le ne trouuoiscommencementny boutEnfa beauté: beautéqu'Amourm'apeinteDedansle coeurcommechofetreffainte.

Là deuifantde nos trijtesmalheurs,Elleaugmentaplus viuesmesdouleurs,Selamentantde ma mèrecruelle,Quifans raifonnefaifoit conted'elle,Defes vertus, defa condition,Et qu'elleauoit mauuaifeaffectionEnfon endroit,fe monftrantinfenféeD'offenferceuxqui ne l'ont offenfée.

Lorsfon courrouxi'appaifaydoucement

Luyremonftrantfon mérite,ér commentMafolle mèreauoit tort de mefdireDefes vertusque tout le mondeadmire.

Vniourallant, commefouuent i'allais,Voirvne Dameà quiparent i'ejtois,Et elleaujjî, la mèreprefque mifeEndefefpoirde courrouxfut efprife:Selamentait,pleuroit, (y gemiffbit,Queles vertus defa fille onpaffoit

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•m

Dejjbusfilence, i? que tel mariageEfioit trop long <ùfde trop de voyage.

Ellealleguoit enpleurantne pouuoirSaieunefille enautre lieu pouruoir,Tant elleauoit à mondire affeurance:

Quefes parensluy enfaifoyentinfiance,Et qu'afprementtoufioursluy reprochoyentDen'auoirfoin de ceuxqui luy touchoyent.

Pourceelle eflantd'ennuyatténuée,Et de vouloirprefqueà demimuée,Aux champsalla, menantauecquesfoyMontout, moncoeur,mapromejje& mafoy :Où ie courud'vne courfehajléeReconfortercejledefeonfortée,Aujfipour voir lesyeux de cefie-laAufeu defquelsmoncoeurfe re-brula.

Afon retourpar heureuferencontreEn quelquenopeeencor ie la rencontre,Où pourfçauoir fi du tempsla longueurNem'auoitpoint effacédefon coeur,Demaintproposen proposie l'attirePour la tenter, ne mevoulantrien dire,Ainsretiréeen vn penferprofond,Ny biennymalfroide ne merefpond.Maisà lafin de mondire esbranlée,Renditdu tout monameconfoléeEn màffeurantdefa fidelle amour.Lorstout raui iefens naiftreà ïentourDe monefprit vne ioyeincognueQui par fa boucheau coeurm'efioitvenue.

Donq pour toufioursa monaife la voir,Soudainiefis à fa mèrefçauoir(Pour confommermonoeuurepropofée)Qjfelleferoit mafuture efpoufée,

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334 H. BOCAGE

La choiflffantpour femmedéformais,Et quepour Dameautre ri'auraisiamais:le luycontayle danger de ma vie,Et la rigueur de ma mère,& l'enuie

Qu'vneflateufe auoit d'vn tel parti,Dont tout le mal, helas! efioitforti.

La mèreadonq' de mesraifonsefmeu'è,Sagepermit qu'vnefi douceveiïëEntre nousdeux déformaisfe feroit :

Quedefa part meurementpenferoitAumariage(? à mafoy promife,Pour mettrefin à fi belleentreprife.

Voilacomment,Maiflreffe,i'ay vefcuDepuisle iour quemonoeilfut veincuDevos beauxyeux : & fait que la 'tournée

Fujiau matindes ondesretournée,Fujivers lefoir quand le SoleilcouchantVadans la merfes chenauxdejlachant,Ou quandla Luneerrantefe promeine,Pourvofireamourie n'ay languy qu'enpeine.

O grand Amour,grand oifeaupar le dos,Qui t'es logé au profondde mesos,

Ayant choijipour maifonma mouélle,Qui es arméd'vneflèchecruelle,Et d'vnflambeauque iefens danslefein,Oy maprière & mefois plus humain:

Fay iete pri' que maMaiflreffevoyeD'vn oeilbénincepapier que ïenuoye,Oùfont dépeintsla plus part de mesmaux:

Qu'ellene metteenoubli mestrauaux,Et quetoufiourselleait enfa penféeNoftreamitiéfaintementcommencée,Toufioursmettantau deuant defesyeuxDefon ami lesennuisfoucieux,

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m

Et quefa mèreautrepart nefiechiffe,Et que le Cielmondeffeinaccomplijfe.

Fay quela mienneau courrouxendurci,Enmonendroitait le coeuradouci,Et qu'en lieud'eftrea tort infupportable,S'amolliffantdeuienneplus traitable,Sanscroireplus les malheureuxproposDecevieil chiencontraireà monrepos,Qui porte enuieaux vertus de la belle

Qui n'a femblableentout cemondequelle,Parfaite autant que monmalbien-heureux

Pajfe l'ennuyde tous lesamoureux.EtJî, ô Dieu, tu parfais ma requefte,

le t'appendrayfur le haut de la tefteCommeen trophéevn rameaude Laurier,Pour le loyerdefauuer tonguerrier.

DISCOVRS.

C'eftoitau poinil du iour(quandles plumesduSommeNefilent qu'à demiles jeux laffez,de l'homme,Qui veilletout enfemble,Ù1tout enfembledort,Nepris ny retenudufrère de la Mort)Lors que raui d'efprit, commevue idolevaine

Quifans corpsfur le bord d'Acheronfe promeine,le mevy tranfportéfur le haut d'vn Rocher,

Duquelonnefçauroitfans ailes approcher,Ou bienfans vn efprit qui vaut mieuxquedesailes,Quandgaillard ilfe pouffeaux chofesimmortelles.

Au plushaut dufommetde ceRocherpointu,Efl vn templed'airain qu'a baftila Vertu:

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J36 II. BOCAGE

D'airain en efl la porte, ù" par grand artificeD'airain plus clair que verre eflparfait l'édifice.

Là de tous lescoflezde cegrand VniuersLespeuplesfont affisen desfieges diuers:L'vn bas Ù1l'autre haut enfon rangy habite,Et chacunafon lieufélon qu'il le mérite.

Auprèsd'elleefl affifea fon dextrecoftéL'Eftude,la Sueur, le Labeurindontê,L'Honneur,la Preud'hommie,Ù1ontpour leur voiftneAndroniqueÙ1Phronefe,& leurfoeurSophrofyne.Cepeupleà l'enuironde la Nympheefpandu,Decorps, d'efprit isr d'ameenelle efl efperdu,Qui nefe peutfouler de la voir: & l'appelleSoncoeur,fesyeux, fon fang, fa maiflreffeù1fa belle,

Luyoffrecorpsù1 biens, & tafcheà dejjeruirSagrâcepour l'aimer &"pour la bienferuir.

La Deeffen'eflpas de corpsefféminéeCommecellequi efl desflots de la mernée:Sonoeilefldoux <ùrfier, fon fourcil vn peu bas,Sonregard eflfemblableà celuyde Pallas

Quandfa maineflpaifible,& l'horribleBellonneContrelesfiers Geansn'irrite fa Gorgonne.

Tant plus elleefl aimée,& tant plus elleprendPlaifir à contraimer, (y iamaisnefe rendQuepar honnefteté,douceurÙ" courtoifieN'ait defes pourfuiuansgaigné la fantaifie,Et ne leur ait par figne & par preuuemonflrèQuen la quefled'amourils ontbienrencontré.Aucunefoisfur l'vn fon regard elleiette,Sur l'autre aucunefois: car elle efltantfuietteAux pajjionsd'amour,quefon coeurnepourroitViureà fon aifevn iour s'il ne s'énamourait.

Qjiandelleaimequelcun,commemaiflreffedouceLefouleueaux honneurs,aux richejfeslepouffe,

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337

Luydonneentre lesRoisvn honorablelieu,Et lefait du vulgaire admirercommevn Dieu :Maisà ceuxqu'ellehait, commefiere ennemie,Leurprometdeshonneur,prifon & infamie.

Sur tousfes pourfuiuansd'vn oeilvif Ùf ardant,

Courtoifeellet'allait doucementregardantMontrefdocleRouuere,(y commeamourla touche,Tout ainfi que le coeurellet'ouurit la bouche,Teflattant de cesmots: Ami, que le troupeauDesMufesallaita chèrementau berceauDe leurspropres tetinspour future merueille:Puis quandtu deuinsgrand, l'indujlrieufeabeilleDefort mielamajfèfur lesfleurs du Printemps,En l'antre Thefpiente nourrit bienlong temps,Où Phebus,ér Python,ér la belleCythere,Et Mercurequi eft des bonsefprits le père,Ontfi bienton mortelendiuin transformé,Que tu fus dés enfancevn miracleeftimé,AyantchoifiMorelpour vertueufeguide,QuifurmonteChironle maijlred'Eacide.

Tu n'auoispas dix ans, qu'oyantpubliquementTespropresoraifonsformerfi doclementEt t'oyantdifputer outre tonâge tendreDesArts qu'onnefçauroit qu'en la vieilleffeapprendre,le fus toute rauie, &1dés le mefmeiour

Que ie te vy, ie misdedanstoymonamour.Tut'en apperceusbien: car toufioursdepuisl'heure

Songneux,tu as cherchéla place oùie demeure,Où tu es arriué par centmilletrauaux,Par rochers,par torrens,par plaines(y par vaux,Par halliers& buijfons,qui lesautres retiennent,Et recreusdu cheminà monPalais neviennent

Ainfique tu as fait, à fin d'yfeiourner :Car lefouci mondainles enfait retourner.

Ronsiml.—III. 22

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3^8 II. BOCAGE

Au bas de ce Rocherau milieud'vne prèeDemeureviteDeejfeen drap d'or accouftrée,Sesbrasfont chargezd'or, iy fon cold'vn carcan,Labeuringénieuxdesfeuuresde Vulcan:Sonfront eft attrayant,fa peau tendreiy douillette.Sonoeiltraiftre iy lafcif,fa face vermeillette,Et fes cheueuxondez, anneleziy trefi'ezSontdefueilles de Myrteiy de rofe enlacez:Sa maineftmolleiy grajfe, iy fon oeiln abandonneLefommeilparefieuxquemidi ne rayonne:Au refteelleeft endanfe, enfeftins iy déduit,Et rienfors le plaifir, indifcrete, nefuit,Braue,en-poinbl,découpée,iy pour eftreapparenteEllea défiavendule meilleurdefa rente.

Toufioursaux grans cheminsen centmillefaçonsElleourdiftdesfilets, iy tend deshameçonsAppaftezde délice,iy elleen mainteforteAux geftes, à la voix, iy auxyeux elleenportePour prendrelespafians,fi bienque leplus fin(Sansl'aide de raifort)s'y empeftreà la fin :Elleprendbienfouuent ma robbe,iy fi transformeSon mafquedefguifèen ma nàiueforme.

On dit qu'vn iour Venusfans père la conceut,Monftrefier iy cruel, du dueil qu'ellerécent

QjiHebéieuneDeejfeefpoufoiten lieud'elleHerculedefpouillédefa robbemortelle:Et auorta dupart, en opprobreiy defdainQu'Herculede-fur elle auoitmifela main,Et luyauoit laifféaufront la cicatrice

Qui defcouureà chacunfon nomiy fi malice.Or cefteVolupté(ainfife fait nommer

Cellequiveutfa vie en plaifirs confommer)M'arreftelespafians, iy tant elle eft mignarde,Qii'enyurezde plaifirs, de telsmotsles retarde:

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ROYAL. -J39

O panuresabufez, que le nomde VertuAfaujfementfeduitsI pauurepeuplevejluD'vne robbede boue,à laquelleNature

Trop chichen'a donnéfinon la pourriture!Vouspenfez-vous,mortels,faire de nouueauxDieux,Et de terre chargezvoler iufquesaux deux?

Laijfezmoycesdejfeinsqui nefont que menfonges,QueChimèresen l'air, quefables & quefonges,Et mortelsn'efperezfinon que le trefpasQui eft voftrehéritage, &""Vousfuit pas à pas.

Quellefureur, humains,quelleardentemanie

Voftrefotte raifonfi follementmanie,Quevouloirpar trauail en cheueuxblancschercherle nefçay quellefemmeajjtfeen vn Rocher,De qui le nomeft vain ù1 vaine ï'entreprife>

Hé! qu'enrapportez-vousfinon la barbegrifePour touterecompenfe,ouquelquemalfoudainQui vousfait trefpafferdu iour au lendemain'

En-ce-pendantles ans de la ieuneffetendre

Quevous deuriezenjeux ù" en plaifirs defpendre,Seperdentcommevent, ù1 ne r animentplusVoscorpsde longueeftudeimpotens(y'perclus.

Si Vertunefilloit vosyeux de piperie,Vouscognoiftriezbientoft quelleeftfa mentcrie.La Naturey répugne,Ù" vousmonftrecombienVertupipe vos coeursfous ombred'vn faux bien:

Celuyquifuit Nature eftfage, & nefe laiffeSéduiredes appasde telleenchantereffe.

Qu'acquifliadisSocrate, Ariftoteisr Platon,

Pythagore,Thaïes, TheophrafteÙ" CritonPouraimer la Vertu,fors vue renommée

Quifera par les ans, commeilsfont, confommée?Dequoyfert le renomau mort qui nefent rien?Malheureuxeft celuyce-pendantqu'il eftfien,

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340 II. BOCAGE

Qu'il fent, qu'il voit, qu'il oyt, qui nefait bonnechère

Sansconfamerfa vie enpéniblemifereApres ie nefçay quoyqu'onnepeut acquérirQuepar longuetriftejfe, en danger d'en mourir.

Quevoirrez-vouslà haut queronces<&qu'orties>

Ici vous nevoirrez quefleurettesfortiesDufein du Renouueau: ici le beauPrintemps,La ieunejfe& l'amourhabitenten tous temps:

Ici l'hommevieillijl enplaifir deleblable,Et s'en-vafoui de vieainfi qued'vne table.

De tels mots Voluptéarreftelespajfans,Qui mal-fainsdu cerneau,nefont affezpuijjans,Ainfique tu asfait, defe boucherl'oreillePour iouyrdu plaifir qu'ici ie t'appareille.

Pourcemoncher ami, dés enfancecognu,Tufois enmonPalais leplus quebien-venu,Il faut queie t'embrajfe,Ù1que iete carejfe,Puis quetu as dontél'ocieufeParejfe,Et fans auoir ouyles chantsde VoluptéTu esfur monRocherpar ejiudemonté.

Cefteieunerufée ef fi fort cauteleufe,Qu'enlieu de tefouler d'vnedouceurmielleufe,T'euftprefentédufiel, Ù1commeà fon amantDonnévnfrejle verre en lieud'vn Diamant.

Doncquestu m'as aimépour l'amourde moy-mefmeSansefpoirde loyer: auffid'amour extrêmele t'aimeen recompenfe,isf n'auras enretourDem'aimerde boncoeurfinonque monamour.

Toufioursmesamoureuxontde moyiouijfance:« Lesmondainsamoureuxviuent en indigence« Deftrantla beauté,<ùfl'hommedefireux« Pour nauoirfon fouhait, eft toufioursmalheureux..Maismonfidélieamantfans ardeur inconfianteSecontentede moy,de luy ie mecontente:

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Et fans plus defirer il a tant de plaifir,Que iefuis pour iamaisla fin defon defir.

Pourmefaire l'amouril nefaut qu'onfe farde,Qu'au miroirparejfeux laface onfe regarde,Qji'onfoit bienparfumé,ou qu'onfait bienveftuD'vn drap d'or par rayonsà lafoye battu,Qu'onface destournois,qu'onforte à la campaigne,Qu en armesongalopevn beaugenêt d'Efpaigne,Qu'onfoit biengaudronné: le neveux point cela,Monamourfeulementfe donneà celuy-làQui m'aimeplus que luy, qui mefuit à la trace,Et de rien n'eftfoigneux quede mabonnegrâce.

Tel amanteft heureuxadmirablei? parfait :Il nepenfe iamaisnyne dit ny nefaitRiendont il fe repente,<ùrenfoy-mefmefermeIl eftfon but, fa fin, fon limite& fon terme,Sonparfait {?fon tout : quandle Ciel tomberait,

L'efclatfans l'effroyerfa teftefrapperait.Toushumainsaccidensil defdaigneÙ"mefprife,

Il defdaignelaflameenfa maifon efprife,Prifon, terre Ù"argent, trahifonsde valets,Perte d'habillemens,de biensÙ"de Palais,DefemmesÙ"d'enfans, Ù"confiantil fe ioiicDe l'aueugleFortune,<ùrdes tours defa roue.Mn'a iamaisfouci du changedesfaifons :Car tout enuelopêd'immobilesraifonsS'enfermed'vn rampartclosde Philofophie,Qui mefprifele Tempsër Fortunedcsfie.

Il eft richefans biens,il vit heureufement,Et parfait de touspoinéts il a contentement:Hfçait tout, il voit tout, ù1 la lourde ignoranceDedansfon eftomacnefait point demeurance:Ilfe cognoiftfoy-mefme,Ù"ne doutede rien :Sansailleurs s'efgarer il demeuretoutfien,

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^42 II. BOCAGE

Et nullepaffionfoit d'ire, ou[oit d'enuie,De douleuroude peur ne tourmentefa vie.

En cefteterre baffeil n'ejlimerien grand :Car fon efprit au Ciel à touteheurefe pend,Où la grandeur de Dieudefi près il aduife,Que toutechofehumaineenfon coeuril meprife:Et rien tantfoit ejirange, ou douteux,ou noitueau,Prefentou aduenirnojfenfefon cerneau.

Il a chaffédefoy touteforte de vice,fardante ambition,la vilaineauarice,Luxurediffolue,Ù"s'eftfait pour m'aimer,Vnhommetoutparfait qu'onnefçauroit blafmer.

Ainfi rien n'apparoijïau mondemiferable,Quifait fors monamourétemelù" durable.La richeffefeperd, la force Ù1la beauté,Faueur,crédit, honneur,nobleffe,royauté,Commeneigeau Soleil, ou commelafuméeQuipar le ventfoujfléeen l'air ejl confumée:Sansplus monamoureuxne s'esbranleiamais,Plusferme que le rocfur lequelie le mets.

L'infâmepauuretène rongefa poitrine,Indigencenefaim defurluy ne domine-,Lemondeeftfon pays, il n'eji point ejlranger,Il va iufquesà l'Inde, {y reuientfans danger:Et quandle Sortmalinoula Fortunedure

Luymenacele chef ie m'oppofeà l'iniure,Etplus eftenfondré,plus ie le tire enhaut,Et iamaismonfecoursau befoinne luyfaut.

le lefais de doSlrineÙ1d'honneurl'exemplaire,le le tire bienloin des tourbesdu vulgaire,le l'auanceen crédit, ie le pouffeaux honneurs,Et difcret ie le rens entre lesgrans Seigneurs:

Ainfiqueie t'ay fait, amiableRouuere,Qui peux entremcflerle doux(y lefeuere,

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141

Et qui fçais par vn art gracieux <ùrcourtois

Pratiquer lesfaneurs desPrinces(y des Rois.

Tes moeurs& ta prudenceontfait que Ionte voyeChoifipourferuiteur du grand Duc de SauoyeEt defa chèreefpoufe(ameheureufe)qui faitNojlreâgepluspoli, plus diuin (? parfait,Quifur toutePrinceffea franchementfuiuie

Muyquifuis la Vertudés le iour defa vie.Or fus embraffez-moy,tant pour auoir cefiheur

Qued'ejlre d'vn tel Duc fidélieferuiteur,Qued'ejlreferuiteur de telleMarguerite:Etpour-autant auffique tafoy le mérite,Qui nepourra iamaisfe feparer de moy;Car iamaisvn boncoeurne violefa foy.

Ainfite dijt Vertudefa bouchevermeille:

A-tant le iourfut grand, dr fur ce ie m'efueille.

DISCOVRS

A MONSIEVR DE CHEVERNY,

Garde des Seaux de France.

Celuyqui le premierdu voiled'vnefablePrudentenueloppala chofevéritable,Afin que le vulgaire au trauersfeulementDe la nuiclvift le iourisr nonrealement,Il nefut l'vn deceuxqu'vn corpsmortelenferre,Maisdes Dieuxqui ne vit desprefensdela terre.

Lesmyfteresfacrez du vulgaire entendus,

Refemblentaux bouquetsparmi l'air efpandus,Dont l'odeurfe confommeau premiervent qui s'offre,Et ceuxdnrent long tempsqu'ongarde dans vn coffre.

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344 II. BOCAGE

NojiremèreNature entre les Dieux<ùfnous

Quefift Deucaliondu get defes caillous,

Miftla Luneau milieuqui nousfert de barrière,A fin que desmortelsl'imbecillelumièreS'exerceà voir la terre, (y d'art audacieux

N'ajjembleplus les montspour efpierles deux.Poutre nosdeuanciersont dit par artifice,

Qu'autrefoisIupiter récentà fon feruiceDeuxhommesdifférentsde moeursisr de deftin,Dont la diuerfevie eut différentefin.Il les repeut tousdeuxde celefteambrofie:Usauoyentà fa table vueplace choifie:

Rienn'efioitbonaux deux qu'ils n'euffentapprouué,Et premiersConfeillersdefon ConfeilpriuéParticipoyentenftmblea la grandeur royale.

L'vn auoit nomMinos,l'autre auoit nomTantale,L'vnfage, l'autre fol ••ce TantaleeffrontéAux hommesreuelades Dieux la volonté,Pource celuyqui l'air defes foudresfepare,Lefift tomberdu Ciel au profonddu Tartare,Mourantdefoif en l'eau, de faim entre lefruiâl.

Aucontraire,Minosfut fagementinftruit,Il eut la bouchefobre: & iuge véritable

S'affitde Iupiter par neufans à la table.Puis reuenuça basfonda de bonnesloix,Fut Prince droiturier : fi bienque les CretoisLe voyantabonderen lufticefuprefme,Le penfoyenteftrefils du grand Iupitermefme.Voilacommeles vieux ontdextrementtafchèD'emmantelerle vrayd'vnefable caché.

Iupiter nefut oncny Minosen laforteQuenospèresl'ont feint : tout celafe rapporteAux Rois, aux Magifirats Ù1à leurs ConfeillersQui gouuernentl'oreille, Ù"font leursfamiliers.

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HT

Ta prudence,Hurault, tonferuicefidelle,Ta bonneconscience,& tonRoyqui t'appelleA l'honneurfouuerain (l'ayant bienmérité)T'ont donnédesFrançoisl'extrêmeauthorité.

La Francemaintenantqui tes aclesregarde,Te baillenojlrePrince Ù1fa Couronneengarde :

Tu l'as commeen depoft,& de luy ce-pendantAuxpeuplesfes fubiets tu t'es fait refpondant.

HENRYnefaudra pas, Huraultfera lafaute :Pourcetu doispreuoir d'vneprudencecaute

QuelleOurfedoitfa nefconduirepar la mer.

La vague enfa faueur nefe veutplus calmer,La tempejîel'a prinfe, Ù1faut beaucoupd'vfagePour la menerau port entièredu naufrage.

Il faut pour gouuernervnpeuplediuiféAuoir commetu as, l'efprit bienaduifè,Nonpas à faire pendreouromprefur la roué,Gettervn corps aufeu dont laflammefe ioué,Afaire vue Ordonnance,à baftir vn Edit,Quifouuent eftdu peupleen grondant contredit:

C'ejl la moindrepartie oùprétend la lujlice.La lujlice (croymoy)c'ejl de punir le vice,Se chaftierfoy-mefme,eftreiuge defoy,EJlrefonpropre maiftre& fe donnerla loy,

l'aimeles gens de bienqui ont cequ'ils méritent,Qui vers eux,vers lepeuple & vers le Roys'acquitent,Quiau confeild'eftat ne viennentapprentifs,Quidonnentaudienceaux grans & aux petits.

le n'aimepoint cesDieuxquifont tropgrans leurstemples,Qui defimplesmortels(trompezpar faux exemples)Veulent,auant purger leurs proprespayions,Commanderaux humeursde tant de nations,Et fans cej/erde boire ainfiqu'vn hydropique,S en-graifferfeulement,& nonla République,

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H6

Harpyesde Phinée,& qui nefont qu'vn tourDe Cajior& Polluxattendre le retour.

le nefçaurois aimer l'impudenteentreprijeD'vn qui cherchefortune en-vnebarbegrife,Et moinsvn affettè,vn bateleurde Court,Qui la faueur mendie& fuit le ventqui court:Maisi'aimevn hommedroit, nonferuiteur du vice,Quipreffefous lespiedsla Court (T l'auarice,Qui mieuxvoudraitmourir quecorromprela Loy,Qui aimeplus l'honneurqu'vn mandementde Roy,Qui laiffeà fa maifonla bonnerenommée,Et nonpas la richejfeen vn coffreenfermée:Au rejlegalland homme,iy quiprendfon plaifirQuandfa chargepubliqueendonnele loifir,Sansvouloirpar faueur aux autresfaire croire

Quela corned'vn Buffleeflvne dent d'yuoire.Lesfablesont chantéque iadis Phaéthon

D'vnpetit poilfolet fe couurantle menton,Deceud'vn ieune coeurqui toutechofeefpere,Entreprijlde guider le cochedefon père:Maisesblouydes rais qui fortoyent du Soleil,Veincude trop defeu perdit force <ùrconfeil,Les bridesluy coulantdefes mainsefperdues,Tombantà bras efpars, à ïambeseftendues,A cheueuxrenuerjez, haufféde trop d'orgueil,Tombadedansle Pofon humidecercueil.

Autant en efl d'Icare, {? de ceuxdont l'audace

Tropprès du grand Soleilfont eleuerleurface.S'ils n'attrempentleur vol, toufioursmal à proposLeurplumageciré s'efcoulede leur dos.

Bienmeilleureeftfouuentla médiocrevieSanspompe,fans honneur,fans embufched'enuie,Quede vouloirpajfer engrandeur le commun,Pourfe faire la fable ù" le ris d'vn chacun,

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347

Et enpenfantfiller tousles Argus de France,

Eux-mefmess'aueugleren leurpropre ignorance.l'ay veudepuis trente ans vn nombred'impudens

Rapetajfeursde loix courtizansÙ"ardens,Quifans honte,fans coeur,fans ame(y fans poitrineAbboyentles honneursà faire bonnemine.

le les ay veusdepuisde leur maijlremocquez,Et despeuplesau doigt notezÙ" remarquez.Car bienque la faueur qui 71'apoint de ceruelle,Lespoujfaften crédit, le peuplequi ne celle

lamaisla vérité,Jtffloit de tous cojlezLeport impérieuxde leursfronts cshontez:« C'eftautre chofed'eftre, & vouloiraparoijlre.« L'eftregift enfubjlance,apparoir nepeut eftre« Qu'imagination: maisen la vanité« Souuentl'imaginer corromptla vérité.

Beaucoupde Pha'èthonsfe font monftrezenFrance,Dont le vol trop hautaina fraudé l'efperance.

Des vieuxJiecleslafable ejl hiftoireauiourd'huy.Lafortune (croymoy)n'eftpas certainappuy,Maisla feule vertu qui lesmalheursdesfie,Quis'armedes couteauxdela Philofophie,Quimonftreque la vie ejt le iouétdufort,Et quele vray bonheurne vientqu'après la mort.

Nevois-tula pluspart deshommesqui tefuiuentA ta table au chafteau>c'eftpour autant qu'ils viuentSouston authorité, nonpour l'amourde toy.Lafaueur a touftourstels corbeauxprès defoy.D'vn vifage hypocriteen mentantils t'adorent :Où ceuxqui de boncoeurt'eftimentfcrt'honorent,Ne tepreffent iamais, ù" ne veulentfinonQu'vnaccueilde ta face, Ù"célébrerton nom.

Or toyqui es nourripar la meftneprudence,Aux affairesrompudés ta premièreenfance,

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•548 II. BOCAGE

Ne feras Phaéthon,volant ainfi qu'ilfautMoyenentredeuxairs nytrop bas nytrop haut:Et fçauras difcernerquiplus d'honneurmériteOu l'hommenonfardé, oulefaux hypocrite,Ou celuyque la Mufeallaite enfongiron,Ou celuyqui s'engendreainfi qu'vnpotiron,Quiforce fon deftin,Ù"d'vne ameeshontée

Tantoftà face baffe,& tantoftremontée.Ils ontde tous coftezdes Palaisdiaprez,

Richesenleurs maifonsde rentes isr de prez,

Mangeanten vaiffèauxd'or: mais ils nepeuuentfaireQu'ils nefoyent (ce qu'ilsfont) remarquezdu vulgaire.

Lepeuple nevoit pas tellesgens de bongré:Car ils nefont montezde degré en degréAinfi que tu as fait, qui as déston ieuneâgeAu confeildes gratis Roisfait tonapprentiffage,Sansdefroberl'honneur,d'où bienfouuent il fautQue le ieuneignorant trébuched'vn grand fault.

Voypar nosRoispaffez les dignitez données,Et voyleurs officiersdepuisquaranteannées:Tu n'enverras vnfeul qui ait long tempsduré,Ou le peuplecontreeuxa toufioursmurmuré,Ou bannisde la Court ontfenti la difgrâce.« Quand lafaueur ne rit, la fortunefe paffe.

Il nefaut pour celacommevnfaux citoyenPerdreforce ny coeur,maismettretout moyen,Artificei? fçauoir, mefmela propre viePouraider, fecourir Ù"feruir fa patrie :Et desprefensdesRois nefe faut retirer

Quand ils nousfont donnez,fans trop les defirer.La Frances'efiouiftqui tes vertus admire,

Dequoytu veux guider le cours defon Nauire,En lieu de voir l'orage Ù" lesvagues s'armerElle efperefaint Hermeapparoijlre enla mer:

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149

Elleefperefous toyfe foulager de tailles,Et plusde[es citezne voir lesfunérailles,Et que l'Eglife en paix, fans payer tant defois,Frira commeelledoit pour l'amede nosRois:

Que lesgens defçauoir auront les bénéfices,Leshommesvertueuxlesgrades des offices.Car noftrePrince efi bon, tref-iufte Ù1trefchrejiien,Quifera toujtoursbiens'on le confeillebien,Seulbonpère <&bonRoydefa Franceloyale.

Lorsrepeud'ambrofieà la table royale,Tuferas le Commisde noflrelupiter,Sonprudent confeillerpour luyfaire euiterParmi lesflots mondainsles radesperilleufes,Et le menerau port des chofesbien-heureufes:Puis commevrayMinos,par la fplendeurdesloisTuferas aujji dit le Pharedes François.

Les efprits Demi-dieuxdes Huraults tesancejlres,Qui ont eu commetoy nosPrincespour leurs maijhes,Seronttous rejïouis, quandils oyrontlà bas

Que tu fuis leursvertus, leurs gejles& leurspas.Bloiss'en refiouira,& tonfleuuede Loire,Et moyqui desFrançoiscélèbrela mémoire,

ChanteraynouueauCygneen mesvers ta grandeur,Commeceluyqui vit ton humbleferuiteur.

FIN

DV SECOND BOCAGE ROYAL.

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LES

ECLOGVES ET MA-

SCARADES DE PIERRE

DE RONSARD.

»&• •&•

A

TRESILLVSTRE ET TRESVERTVEVX

PRINCE FRANÇOIS DE FRANCE DVC

D'ANIOV,FILS ET FREREDE ROY.

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M

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A TRESHAVT ET TRESVERTVEVX

PRINCE FRANÇOIS DE FRANCE,

Duc d'Anjou, fils & frère de Roy.

• Pleffiseftlamai-fonoùletient fonAlteffe,quandildemeureàTours.

Tandisque la vaillance,amed'vn boncourage,Vouspouffeà regaigner l'ancienhéritageDes Princesvosayeuls, (? qu'amidu harnoisVousmarquezplus auant lesbornesdes François,Aimantmieuxla fueur, la poudre& la proneffe,Que rouiller au* Plejjîsvosbeauxansde pareffe:Paris metient ici, oùpar l'imprejfion

l'enuoyemesenfansen toutenationConceusde monefprit par vneardente vécue,

Ainfique lupiter duJien conceutMinerue,M'ouurant(fans emprunterde Vulcanle couteau)Par peine Ù"par trauail monfertile cerneau.Lesenfansde ï'efprit vn longfiede demeurent,Ceuxdes corpsiournaliersainfiqueles ioursmeurent.

le vousay confieramesEclogues,afinQuevojtre beaurenomne prenneiamaisfin,Nonplus queles Pajleurslefilet de monHure.

LesRoisÙ1les Pajleursont mefmeejlat deviure :

Ronsard.—III. 2Î

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3f4 ECLOGVES

L'vn garde les troupeaux,par l'autre font conduitsLespeuplesfous la loyde leursfceptres réduits.PourceHomère,quivit par longuesrenommées,Appelloitles gratis Roisles Pajleursdes armées.

Dauid d'vn fimplePajlre, & de basfang ijfu,Par les Prophètesoingt, au thronefut receu:Puis deftrantl'honneuroù tout MonarqueafpirePlus outrepar la guerre augmentafon Empire.

Moyfed'vn BergerotdeuintLegtjlateur,Deuint grand Capitaine,(? commevngrand pafteurGuidapar lesdefertsfes troupesvagabondes,Et fift pafferfon peuple entre lesmursdes ondes.

Pourcene dédaignezcevulgaireprefent:Et croyez,mongrand Duc, que rien n'eftfi duifant,Ny qui tantfe conformeaux grandesfeigneuries,Quel'eftat des Bergersù* de leurs Bergeries.

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BERGERIE.

LES PERSONNAGES.

Le premier joueur de lyre dira le Prologue.S'enfuit après le Choeur des Bergères.

ENTREPARLEVRS.

Orleantin, Angelot, Nauarrin, Guifin, Margot.

PVIS

Le premier Pafteurvoyageur. Lefécond Pafteurvoyageur.

PVIS

Le fécond ioueur de lyre.

PVIS

Deux Pafteurs dedans vn antre,l'vn reprefentant la Royne,

l'autre Marguerite, Ducheffe de Sauoye.

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LE PREMIER IOVEVR DE LYRE

COMMENCE.

Leschefinesombrageux,quefans art la NaturePar les hautesforefts nourrifià l'auanturCySontplusdouxaux troupeaux,ù' plusfrais aux BergersQueles arbres entezd'artifice esvergers:

Des libresoifeletsplus douxefi le ramageQuen'eft le chant contraintdu RoJJïgnolen cage,Et lafour ced'vne eaufaillante d'vn rocher

Eft plus douceau'pajfiantpourfa foif eftancher,

(Qiiandfans art elle couleenfa riue ruftique)Quen'eft vnefontaineen marbremagnifique,lallijfantpar effort envn tuyaudoréAu milieude la courtd'vn Palais honoré.Plus belleeft vne Nympheenfa cotteagrafée,Aux coudesdemy-nuds,qu'vneDamecoiféeD'artificefoigneux, toutepeinte defard :Car toufioursla nature eft meilleureque l'art.

Pource ie meprometsquele chantfolitaireDesfauuages Pafteursdoit d'auantageplaire(D'autant qu'il eft naïf, fans art <ùrfans façon)Qu'vneplus curieufe& fuperbe chanfon

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ECLOCVEI. ^7

De cesmaiftresenflezd'vneMufehardie,Quifont tremblerle cielfous vne tragédie,Et d'vn vers ampoulléd'vne effroyablevoisRedoublentle malheurdesPrinces & desRois.

Efcoutezdonc, leôieurs,les mufettesfacréesDenosPrincesfeigneurs de diuerfescontrées,Quifont diuerfementtout ainfiqu'il leur plaiftD'amoureufeschanfonsfonnercefteforeft.

Ce nefont pas Bergersd'vnemaifonchampeftreQui mènentpourfalaire aux champsles brebispaiftre,Maisde hautefamille& de raced'ayeux:Quiportant en la mainle Sceptreen diuers lieuxOnt défendul'Europe, <ùren touteaffeuranceEngrejféleurs troupeauxpar lesherbesde France.

Le Choeur des Bergères compofé de douze, affifesdedans vn Antre, fix d'vne part, & fix de l'autre.

Lapremière partiedu cofté dextre commence en chantant.

Si nousvoyonsentrefleurs & boutons

Paiftremoutons,Et noschéureauxpendrefus vneroche,Sansque le loupfur lefoir enapproche

Defa dent croche:Si Hzflorir & rofesnousfentons,Voyansmourirtouteherbeferpentine:Si nousvoyonsles Nymphesà minuit

En leur /impievafquineMenervn bruit

Danfantaux bordsd'vnefourceargentine:Si nousvoyonslefiecle d'or refait,

C'eft du bienfaitDe la BergèreCatherine.

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3f8 ECLOGVEI.

L'autre partie fort de l'Antre du cofté gaucheen chantant.

Quandnousirons baignerUsgrades féauxDenos troupeaux

Pour leur blanchirergots, cornesif laines,Semantpar tout lesrofesà mainspleines

Sur lesfontainesEt les ruijfeaux:

Quandnousferonsaux Nympkesleferuice,Et d'humbleoffice

Irons verfant lefang d'vn aigneletDedansdu.laiil.Pourfacrifice:

Lorsnousferons de gazonsvn autelTout couuertde branchemyrtine,

Et par vn voeufolennel,De la NympheKatherine

Inuoqueronsle renométernel:Puis d'âge en âgeEn humblehommage

Dedansfon templeefpandronsmillefleurs,Honorantfon vifage.

Car tant qu'Amourfe nourrira depleursEt de douleurs,

Deuantnosyeux nousauronsfon image.

Le Choeur des Nymphes toutes enfemble fe prend parla main, & dit cefte Chanfon en danfant : puis feretirent en l'Antre d'où elles eftoient forties.

Nousauonsveud'vn Princela ieunejfe,D'vn Princefils d'vne grande Dêefje,

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ECLOGVEI. 35"9

Dont la beauté,la grâce (? lesvaleursOrnentnos champs,commeau matin i'AuroreOrne le ciel, quandfon beaufront coloreTout l'Orient de perles& defleurs.

Puijflentfes ans croiftrecommela rofeQu'vnepucelleen diligencearrofeSoir £? matinpour s'enfaire vn bouquet,Afin qu'vn iourfi hautementil croifle,Quefur les Roisautant il apparoijjeQu'vneforeft par-dejjus vn bofquet.

Au bonCarlin le cielface la grâceDevoir çà bas lesenfansdefa raceToutcourbéd'ans despeuplesadoré:

C'eflce Carlinpromisdes dejtinées,Sousqui courrontles meilleuresannéesDu vieil Saturne& dufiecledoré.

Les quatre Bergers & la Bergère fe prefententenfemble fortans d'vn Antre à part.

Orleantin commence.

Puis que le lieule tempslafaifon Ù1l'enuie

Qui s'efchaufentd'amour,à chanternousconuie,Chanton donques,Bergers, <ùrenmillefaçonsA cesgrandesforefts apprenonnoschanfons.

Icyde cent couleurss'efmaillela prairie,Icy la tendrevigne aux ormeauxfe marie,Icy l'ombragefrais va fes fueillesmouuantErrantesçà ù" làfous l'haleinedu vent:

Icy depré en pré lesfoigneufesauettesVontbaifant& fuçant les odeursdesfleurettes:

Icy le gazouillis enrouédes ruijfeauxS'accordedoucementaux plaintesdes oyféaux,

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"j6o ECLOGVEI.

Icyentre lespins lesZephyress'entendent.Nosflûtes ce-pendanttropparej/eufespendent

A noscolsendormis,if fembleque ce tempsSoità nousvn Hyuer, aux autresvn Printemps.

Sus donquesen cefiAntre ou dejfouscejiombrageDifonsvne chanfon:quant à mapart, ie gagePour le prix de celuyqui chanterale mieux,Vncerf appriuoiféquimefuit en tous lieux.

le le defrobayieuneau fond à'vne valléeAfa mèreau dospeint d'vnepeau martelée,Et le nourryfi bienquefouuent le gratant,Le chatouillanttouchantlepeignant i? flatantTantojlauprès d'vne eau tantoftfur la verdure,Endouceie tournayfa fauuage nature.

le l'ay toufioursgardé pour ma belleThoinon,Laquelleen mafaueur Vappellede monnom:

Tantojl elle le baife, ù" defleurs odoreufes,Enuironnefon front i? fes cornesrameufes,Et tantojlfon beaucol ellevient enfermerD'vn carquanenrichyde coquillesde mer,Où pend vnegrand' dentdefanglier, qui refembleEn rondeurle CroijfantquiJe re'iomtenfemble.

Il vafeul & penfifoùfon pied le conduit;MaintenantdesforeJls les ombragesil fuit,Maintenantil fe mireaux bordsd'vnefontaineOu s'endortfous le creuxd'vne rocheprochaine.-Puis il retourneaufoir, (y gaillard prenddu painTantoftdeffusla table, ir tantojl enma main,Sauteà l'entour demoy,& defa corneeffayeDe cofferbrufquementmonmaftinqui l'abaye:Fait bruirefon cleron,puis il fe va coucherAu giron de Thoinonqui l'ejlimefi cher.Il fouffrequefa mainle cheueftreluymettePlein de houpesdefoye, ù" fi doucele traite

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ECLOGVEI. 361

Quefur le dospriué le baft elle luy met.Ellemontedeffus& fans craintelefait

Marcherentre lesfleurs, le tenantà la corneD'vnemain, iy de l'autre en centfaçonselle orneSa croupede bouquets(y de petits rameaux;Puis le conduitaufoir à la fraifcheurdes eaux,Et defa blanchemainfeule luy donneà boire.

Or quiconquesaura l'honneurde la viSloire,Seramaiftredu cerf, bien-heureux& contantDedonnerà s'amievnprefentqui vaut tant.

Angelot.

le gage mongrand bouc,qui par mont(y par plaineConduitfeul vn troupeaucommevn grand Capitaine:Il eftfort iy hardy, corpulentiy puiffant,Brufque,prompt, efueillé,fautant (y bondijfant,Qui grate enfe iouantde l'ergot de derrière

(Regardant lespaffans)fa barbementonnière:Il a lefrontfeuere iy lepas mefuré,La contenancefiere iy l'oeilbienajfuré:Il nedoutelesloups tantfoient ils redoutables,

Ny lesmaftinsarmez,de collierseffroyables,Maisplantéfur le haut d'vn rocherefpineuxLes regardepaffer, (y fi fe inocqued'eux.

Sonfront eft remparéde quatre grandescornes.Lesdeuxprochesdesyeuxfont droitescommebornes

Qti'vnpère defamille efleuefur le bordDefon champqui eftoitn'agueresen difcord:Lesdeux autresqui font prochainesdes oreilles,En douzeou quinzeplis fe courbentà merueillesCommeondesde la mer, (y en tournantfe vontCacherdejfousle poil qui luypendfur lefront.

2h

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362 ECLOGVEI.

Dés la poinbledu iour cegrand boucnefommeille,N'attend que le Pafteur tout le troupeaurefueille,Mais il fait vngrand bruit dedansl'eftable,Ù1puisEnpouffant le crouilletdefa corneouurel'huis,Et guide les chéureauxqu'a grandspas il déuanceCommede la longueurd'vnemoyennelance,Puis les rameineau foir à pas contezÙf longs,Faifantfousfes ergotspoudroyerlesfablons.

lamaisen nul combatn'a perdu la bataille,Ruzé désfa ieuneffeen quelquepart qu'il aille

D'emporterla viiloire: aujji lesautres boucsOnt craintede fa corne,& le réitèrenttous,le le gage pourtant: voycommeil fe regarde,Il vaut mieuxquele cerf queta Thoinonte garde.

Nauarrin.

l'ay dansma gibbecierevn vaiffeaufait au tourDe racinede buis, dont lesanfesd'autourPar artifice grand demefmeboisfontfaites,Où mainteschofesfont diuerfementportraittes.

Prefquetout au milieudu gobeleteji peintVnSatyre cornu,qui defes bras efireintTout au trauers du corpsvne ieunebergèreEt la veutfaire choirdeffousvnefougère.

Soncouurechefluy tombe,& a de toutesparsA l'abandondu ventfes beauxcheueuxefpars:Dontelle courroucée,ardante enfon courageTourneloin du Satyrearrière le vifageEffdyantd'efchapper,Ù" de la dextremain

Luyarrachele poil du menton& dufein,Et luyfroiffe le nezde l'autre mainfenejlre,Maisenvain: car toujîoursleSatyreeft le maijlre.

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ECLOGVEI. 363

Troispetits enfansnudsde iambesisr de brasTaillez au naturel touspotelezÙ1grasSontgrattez à l'entour: l'vn par viue entrepriseVeutfaire abandonnerau Satyre[a prife,Et d'vneinfantemainpar deux Ù1par trois foisPrend celledu Bouquin,Ù"luy ouureles doits.

L'autreplus courroucé,d'vnedentbienaiguëTientceDieu rauijfeurpar la cuijfepelue,Setient contrefa gréue, Ù"fi fort l'a mordu

Quelefang fur la cuijfeefl par tout efpandu,

Faifantfigne dupouceà l'autre enfantqu'il vienne,Et quepar l'autre iambeà bellesdentsle tienne:Maiscejlautre garçon pour-neantfupplièSetire à doscourbévne efpinedupié,Afis fur vngazon de vertepimpernelle,Sansfe donnerfoucyde l'autre qui l'appelle.

VneGenijfeauprèsluypendfur le talon,Qui regardetirer le poignantaiguillonDe l'efpinecachéeaufond de la chairviue,Et tellementefl touteà cefait ententiue

Quebéanteelle oublieà boire & à manger:Tant elleprendplaifir à cepetit berger,Qui en grinfant des dents, tire à la fin l'efpine,Et tombede douleurrenuerfèfur l'efchine.

Vnhoubelonrampant a bras longs ér retors,De cecreuxgobeletpajjementeles bors,Et court enfe pliant a l'entour de l'ouurage:

Tel qu'il ejl toutesfois,ie le metspour mongage.

Guifin.

le metsvne houletteen lieude tonvaiffeau.L'autre tour que i'efiois affisprès d'vn ruijfeau.

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364 ECLOGVEI.

RadoubantmaMufetteauecquesmonalefne,le vydefur le bord le tige d'vn beaufrefneDroitfans noeudsirfans plis: lors meleuantfoudainVempoignayd'alegreffevn goydedansla main,Puis couppantpar lepiedle tige arméd'efcorce,le lefis chanceler& trébucheràforceDefur lepré voifineflendudefon long:En quatregros cartiers i'enfisfier le tronc,Au Soleiliefeichayfa verdeur confumée,Puis i'endurcyleboispendu à lafumée.

A la fin le baillantà Iean, cebonouurierM'enfijl vue houlette,& fi n'y a chèurier

Ny berger en cebois, quine donnaftpour elleLa valeurd'vn Toreau,tant ellefemblebelle.Ellea par artificevn millionde noudsPour mieuxtenir la main, tousmarquetezde clous:Et afin quefon pied neJe gafte à la terre,Vncerclefait d'airain de touscofiezleferre:VuepoinBedefer leboutdupiedfouftient,Rempartde la houlette,où le Pafteur fe tient

Defurla iambegauche,<&du haut il appuyéSamain, quandd'entonnerfa Mufettes'ennuyé:

L'anfeeflfaite de cuiure, Ù1le haut defer blancVnpeu long &1courbé,oùpourraientbiende rancDeuxmottespour ietter au troupeauqui s'efgare,Tant lefer efl creuféd'vn artifice rare.

VueNymphey ejtpeinte, ouuragenompareil,EJfuyantfes cheueuxaux rayonsdu Soleil

Qui deçàqui delàdefurle colluypendent,Et defurla houletteà petitsflots defcendent.

Ellefait d'vne mainfemblantde ramajferCeuxdu cojtéfeneftre& de lesretroufferEnfrifons fur l'oreille, & de l'autre elleallongeCeuxdu dextrecoftémignotezd'vne efponge

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ECLOGVEI. 36^

Et tirez fil à fil, faifant entrefes doitsSortir enpréfigurantl'efcumefur le bois.

Auxpiedsde cefteNympheefivn garçon quifembleCueillirdes brinsde ionc,& leslier enfembleDe long & de trauers courbéfur le genou:Il lesprejfe du pouce, & lesferre d'vn noud,Puis il fait entre-deuxdesfenejtreségales,Façonnantvue cage à mettredes Cigales.

Loinderrièrefon dosefigifante à l'efcartSapanetièreenfléeen laquellevn RenardMetle nezfinement,ir d'vne ruze efirangeTrouuele defieunerdu garçon & le mange:Dont l'enfant s'apperçoitfans efirecourroucé,Tant il efi ententifà l'oeuurecommencé.

Si mettray-iepourtant vue tellehoulette

QueVejiimeenvaleur autant qu'vnemufette.

Margot.

le mettraypourceluyquigaignera leprix,VnMerlequ'à la glus en nosforefisiepris :Puis vousdiray commentil fut ferf de ma cage,Et commeil oubliafon naturel ramage.

Vniour en l'efcoûtantfifler dedansceboisle receugrand plaifir du iargon defa vois,Et defa robbenoireÙ1defon becquifembleEfirepeint defafran, tant iaune il luy refemble:Etpourcei'efpiayl'endroitoù il buuoit

Quandau plus chaut du iourfes plumesil lauoit.Or enfemant le bordde vergettesglv.êes,

Ou lespremièreseauxdu ventfont remuées,le mecachayfous l'herbeau pied d'vn arbriffeau,Attendantque lafoif fcroit venir l'oifeau.

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^66 ECLOGVEI.

Aufji toft quele chaudeut la terre enflamée,Et quelesboisfueilluz herijfez de ramée

N'empeJchoientque l'ardeur des rayonslesplus chauxNevinjfentaltérer le coeurdes animaux,CeMerleouurant la gorge, & laijjant l'aile pendreCommemattèdefoif, envolant vint descendreDejfus le bordglué, iy commeil allongeaitLe colpour s'abreuuer(pauuretqui nefongeoitQu'à prendre[on plaijtr! ) fe vit outre couftumeEngluer tout le col (y puis toute la plume,Si bienqu'il nefaifoit en lieu de s'en-volerSinonà petit bondsfur le bordfauteler.Incontinentie cours,& prompteluydefrobbeSadouceliberté, le cachantfous marobbe:Puisrepliant d'ofier vnpetit laberint,Dema cagefeulet prifonnier il deuint.Etfuft que leSoleilfe plongeaftdedansl'onde,Fuji qu'il monjïraftau iourfa belle treffe blonde,Fuft au plus chaudmidy,alors que nostroupeauxEftoienten remafchantcouchezfous les ormeaux,Si bienie le veillayparlant à fon oreille,Qu'enmoinsde quinzeiours il fut vue merueille:Et luyfis oublierfa ruftiquechanfonPour retenirpar-coeurmaintebelleleçonToutepleined'amour: i'ayfouuenanced'vne,Bienque l'inuentionenfoit ajfez commune,le la diraypourtant : car par làfe verraSi l'oifeaufera cherà celuyqui l'aura.

Xandrin mon doux foucy, mon oeillet, & ma rofe,Qui peux de mes troupeaux & de moy difpofer :

Le foleil tous les foirs dedans l'eau fe repofe,MaisMargot pour t'amour ne fçauroit repofer.

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ECLOGVEI. 367

// enfçait mille encore&"milledeplus belles

Qu'il efcouteen cesbois chanteraux pajiourelles:

Car il apprendpar-coeurtout celaqu'il entend,Et bienqu'il meJ'oit cher, te le gage pourtant.

Les Chanfons des Pafteurs.

Orleantin.

Quelpoignantcreue-coeur,quelleameretriftejfeVoustenoit, ôforefis, quandla blondeieunejfe

Quifent toufioursla Bife entrerenfin harnois,Sanscraintebrigandale Sceptredes François?Et s'enflantde l'efpoir d'vnefaujfe viâloireVintboireen lieu du Rhinles eauxde nojireLoireContrevn ieuneorfélin, dont lepère MontéAuoit leur nationremifeen liberté?

En cetempsconiurèla Franceen defpit d'ellePortoit defurl'efchinevne gent fi cruelle,Et voyantcontrefoy tant de guerriers nouueaux

Souftenoitpar defpit lespieds de leurs chenaux.Phoebusfe recula, & lafaifon chargée

De neigesapperceutceftetroupe enragéeSaccagernosmaifonsau milieude l'Hyuer:Car jamaisle Soleilne voulut approuuerSi cruelbrigandage, abhorrantquele vice

Allaftlefront leuêfans crainte de Iujlice.Lepeuple auoitperdu toutefidélité,

Lecitoyeneftoitbanydefa cité,Lesautelsdefpouillezde leursSainSlsTutelaires,Lestemplesrefembloientaux defertsfolitairesSansfeu, fans oraifon, & les PrefiresfierezSentaientdeproyeaux loupsfur l'autel majfacrez.

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^68 ECLOGVEI.

Nul tant maigre troupeaunefe traînaitfur l'herbe

Qu'il nefuft égorgépar l'ennemyfuperbe,Qui d'vne mainbarbareemportaitpour butinGras Ù"maigre troupeau,<&Pafteur (y mâtin.

LesFaunesér les Pans, <ùrlesNymphescompagnesSecachèrentà'effroyfous le creux desmontagnes,Abominanslefang (? les glaiues tranchans,Et nulle Deitén'habitaitplus aux champs.

La hontede mal-faireétroit entre les armes,Et les harnoiscraquansfur les doz desgendarmesLuifoientde tous coftez: brefil n'y auoit lieux,Tantfuffent ejlongnezny reculezdesyeux,Il n'y auoitmontagne,oupendantevallée,Ou defert, ouforeft de verd emmantelée,Ou rocherfi pointu, qui nefentift la mainEt la barbarevoixde l'auare Germain.

Lesherbescommençaientà croiftrepar les rues,Oifiuespar les champsfe rouillaientles chantes:Car la terre irritée Ù1dolentede voirSesfils s'entre-tuer, leur niait fan deuoir,Et en lieu de donnerdes moijfonsabondantes,Nepouffait quechardonsù1 qu'efpinesmordantes:

Voire& fi du haut ciel quelquebonDieu n'euftmisVnremorsvergongneuxau coeurdesennemis,La Franceefloitperdue, & fa terre couuerte .De tant de gras troupeauxfuft maintenantdeferte,Et banisde noschampseuffionsejté contraintsAller en autrepart implorerautresSaints.

Maisvn Bourbonquiprendfa celefteorigineDu tige de nosRois, & vne CatherineOnt rompule difcord, & doucementontfaitQueMars, bienque grondant,fe voitpris {? desfait.

CefteNymphe& Royale,<Ùrdignequ'on luydreffeDes autels, tout ainfi qu'à Paiesla Déeffe,

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ECLOGVEI. 369

La premièrenousdit : Pafteurs,commedeuantEntonnezvoschanfons(y les ioiïezau vent,Etaux grandesforejlsfi longuementmuettes

R'apprenezlesaccordsde vosvieillesmufettes,Et menezdéformaispar lesprez vos toreaux,Et dormezfeurementfous lefrais des ormeaux.

EllenousrebaillanoschampsÙ1nosbocages,Ellenousfift rentrer en nospremiersherbages,En nospremierscourtils, & d'vn front adoucyChajfaloin de nosparcs la peur & lefouci.

Et pourcetous lesans à iourscertainsdefejiesDonnansreposaux champs.,à nousù" à nosbeftes,Luyferonsvn autel tout pareil qu'à Iunon,Et long tempspar lesboisfera chantéfon nom.

Lesbois le chanteront<&lescreufesvallées,Et les eauxdes rocherscontre-basdeualléesLedirontà l'enuy,Ù1Echoqui l'oirraSifouuent rechanter,fouuentle redira.

Il n'y aura foreft oùfon nomfur l'efcorceDes chefneslesplus beauxnefoit efcrit à force,Et qu'à l'entour du nomnependentmillefleursEnmille chapeletsde diuerfescouleurs.Il n'y aura Berger,foit qu'au matin il meine,

Soit qu'il rameineaufoir fon troupeauporte-laine,Quifongeant &•penfantÙ*tramant vn difcoursQued'ellefeulementeft venufon fecours,Ne luyverfe du miel, Ù1qu'il ne luy nourrijfeA part dansvneprée vne blancheGeniffe:Ne luyfiicre aux iardins vn Pin leplus efpais,Vnruijfeaule plus clair, vn Antre le plus frais,Et luyoffrantfes voeux,hautementne l'appelleLa mèrede nosDieuxla FrançoifeCybelle.

O Bergèred'honneur, lesfaules nefont pasAux aigneletsféurezfi gracieux repas,

Ronsard.—III. 24

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J70 ECLOGVEI.

Nyle Printempsn'ejl pointfi plaifant auxfleurettes,Ny la roféeaux prez, nyles blondesauettesN'aimenttant à baiferlesRofes& le Tliin,Quel'aimeà célébrerles honneursde Catin.

Angelot.

Quandle bonHenriotpar fiere deftinéeAuant la nuiB venueaccompliftfa 'tournée,Nostroupeauxpreuoyansquelquefutur dangerLanguiffoientpar les champsfans boireny manger:Et bejlansÙ"crians & tapis contreterre

Gifoientcommefrappez de Vefclatdu tonnerre.Touteschofesça baspleuroienten defconfort:LeSoleils'en-nuapour ne voir tellemort,Et d'vn crefperouillé cachafa tefieblonde,Abominantla terre en vicesfi féconde.

LesNymphesl'ont gemyd'vnepiteufevois,LesAntresl'ont pleuré, les rochers(r les bois:Vouslefçauez, forefts, qui vif eses bocagesLesloupsmefmele plaindre, Ù1les Lionsfauuages.

Cefut ceHenriot qui remplyde bon-heur

Remiftdes Dieux banisleferuice enhonneur,Et fe monflrantdes arts leparfait exemplaire,Efieuaiufqu'au ciel la gloire militaire.

Toutainfi que la vigne ejl l'honneurd'vn ormeau,Et l'honneurde la vigne eftle raifin nouueau,Et l'honneurdes troupeauxeftle Boucqui les meine,Et commeles efpicsfont l'honneurde la plaine,Et commelesfruicls meursfont l'honneurdesvergers,Ainfice Henriotfuft l'honneurdesBergers.

Quantesfois nojlrefoc depuisfa mortcruelleAfendu lesgueretsd'vnepeine annuelle!

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ECLOGVEI. 371

Qui n'ont rendufinon en lieude bonsefpicsQu'Turaie, qu'Aubifoin,que Ponceauxmutils!

Lesherbespar fa mortperdirent leur verdure,Lesrofes& leslis prindrent noireteinture,La belleMargueriteenprift trifte couleur,Et l'oeilletfur fa fueille efcriuitfon malheur.

Pafteurs, enfa faueurfemez defleurs la terre,Ombragezlesruiffeauxdepampres& de lierreEt de gazonsherbusen toutefaifon verts

DreJJezluyfon fepulcre& y grauez cesvers :

L'ame qui n'eut iamaisen vertu fon égale,Icy laiffafon voile allant à fon repos :Chefnes faites ombrage à la tombe Royale,Etvous Mannedu ciel tombez deffus fes os.

0 Berger Henriot, en lieude viure en terreToutepleinede peur, de fraudes & de guerre,Tu vis là haut au Ciel, où mieuxqueparauantTu vois deffoustespieds lesaftres (y le vent,Tu vois deffoustespieds les aftresiy les nues,Tu vois ïair Ù1la mer <ùrles terres cognues,Commevn Angeparfait defliédufoucyEt dufardeau mortelqui nous tourmenteicy.

O belleameroyaleau Ciella plus hauffée.Qui te mocquesde nous& de noftrepenfée,Et des appas mondainsqui toujioursfont fentirApresvn court plaijtr vn très-long repentir.

Ainfiqu'vn beauSoleilentre les bellesâmesEnuironnéd'efclairs, de rayonsù1 defiâmesTu reluis dans le Ciel, ù" loin de toutepeurFait Ange, tu te ris de cemondetrompeur.

Où tu es, le Printempsneperdpointfa verdure,L'oragen'y eftpoint, le chaudny la froidure,

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•J72 ECLOGVEI.

Maisvn air pur Ù*net, Ù"le SoleilaufoirCommeicy nefe laijfeen la marinechoir.

Tuvois autresforejls, tu vois autres riuages,Autresplus hauts rochers,autresplus verdsbocages,Autresprezplus herbus,Ù1ton troupeautu paisD'autresplus bellesfleurs qui ne meurentiamais.

Et pourcenosforejls, nosherbes<ùfnosplaines,Nosruijfeaux<ùrnosprez. nosfleurs Ù*nosfontainesSefouuenantde toy, murmurenten tout lieu

Que le bonHenriotejl maintenantvn Dieu.Soispropiceà nosvoeux: le teferay d'yuoire

Et de marbrevn beautempleau riuage de LoireOùfur le moisd'Auril aux iours longs (y nouueauxleferay des combatsentre les PajloureauxAfauter, à luterfur l'herbenouuellete,Pendantau prochainPin leprix d'vnemufette.

Làfera ton lanot qui chanteratesfaits,Tesguerres, tes combats,tes ennemisdesfaits,Et tout ceque ta maind'inuinciblepuijfanceOza pour redrejferla houlettede France.. Or adieugrand Berger: tant qu'onverra les eaux

Souftenirlespoijfons, & le vent les oifeaux,Nousaimeronston nom,isrpar cefteramée

D'âge en âgefuiuant viura ta renommée.Nousferons enton nomdesautelstous les ans

Verdsde gazonsde terre, Ù1commeaux Egipans,AuxFaunes,aux Satyrs, teferonsfacrifice :TonPerrot le premier chanteraleferuiceEnlongfourpélisblanc, couronnéde cyprès,Et aufon du cornetnousferonsauxforejlsApprendretes honneurs,afin que ta louangeReditetous lesans, par les ans nefe change,Plusforte quela mort, fleurijfante entout tempsPar cesgrandesforefis commefleurs au Printemps.

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ECLOGVEI. ^yj

Nauarrin.

Quene retourneau mondeencorecebel âgeSimple,innocent<ùrbon, oùle mefchantvfageDe l'acier & dufer n'ejloitpoint en valeur,Trop enprix maintenantà noftregrand malheur!

Hàl belâge doré, oùl'or n'auoitpuijjance!Maisdorépour-autant que la pure innocence,La craintede mal-faire, <ùrla[impiebontéPermettaientaux humainsde viure enliberté.

LesDieuxvijïblementfe prefentoientaux hommes,Et Pafieursde troupeauxpar ceschampsoù nousfommesAu milieudu bejlailnefaifoient quefauter,Apprenantaux mortelsle belart de chanter.

Lesboeufsen ce tempslà paiffansparmyla plaine,L'vnà l'autre parloient, <&d'vne voixhumaine,Quandles malheursvenoient,predifoientlesdangers,Et feruoientpar les champsd'oraclesaux Bergers:Il ne regnoit alors nynoife nyrancune,Leschampsn'efloientbornez,Ù"la terre communeSansfemernyplanter, bonnemère, apportaitLefruit qui defoy-mefmeheureufementfortoit :Lesprocez n'auoientlieu, la guerre nyl'enuie.

Lesvieillardsfans douleurfortoient de cejlevieCommeenfonge, Ù" leurs ans doucementfiniffoient,Ou mangeantde quelqueherbeilsfe raieuniffoient,-lamais du beauPrintempslafaifon efmailléeN'efloit(ainfi quelle efl)par l'Hyuerdefpouillée.

Toufioursdu beauSoleilles rayonsfe voyoient,Et toufiourspar lesbois lesZephiress'oyaient:

Toufioursle Rojjignolchantoitpar la verdure:Touscesvilains oifeauxd'abominableaugure,

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374 ECLOGVE1.

Orfrayesù" Chouansquifont cornusau front,Sur le haut des maifonsne chantoientcommeils font.

La terre par le ciel encor n'efioitmaudite:Sonfein ne produifoitencoresl'Aconite,Vitriol,Arfenic,nytous cesvégétaux,Nyle pront Argent-vif,principedes métaux,Ny tout ce quePluton cacheenfon patrimoine,Nydesfortespoifonsl'exécrableAntimoine:MaisMyrrheprecieufe<ùrl'Amomequi fentSi doucementau nez, & le BafmeÙ*l'Encent:Chacunfe repaiffbitdeffouslesfrais ombragesOu de laiôl oude glan ou defraizes fauuages.

Car le boeuflaboureur,après auoirfuèCommeil fait fous le ioug, pour lors n'eftoit tué,

Ny la doucebrebisqui les robbesnousdonne,Sa gorge ne tendait au couteaude perfonne.

O faifongracieufel helas, que n'ay-ieeftêEn vn tempsfi heureuxen cemondealaité?

Maintenantonne voit que Circes,queMcdées,QueCacuseshontezaux mainsoutrecuidées,QueBufirs, Geryons,que Vertomnesnouueaux

Quife changenten Tygre, enSerpens,en oifeaux,Et coulentde la maintout ainfi qu'vneAnguille,Et aux moijfonsd'autruy ont toufioursla faucille.

Il mefouuient vn iour qu'aux rochersde Beart

l'allay voir vne vieille ingenieufeen l'art

D'appellerles efprits horsdes tombespoudreufes;D'arrefier leSoleilÙ"lesfourcesondeufes,Et d'enchanterla Luneau milieudefon cours,Et changerles Pafteursen TygresÙ*en Ours :Ellepreuoyantbienpar magiquefigureQue la bontéfaudroit en la faifonfuture,Meconduitdans vn antre, où ellememontraVntableauqu'à maindextreattachérencontra

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ECLOGVEI. m

Et le lifant m'apprijl dés enfanceà cognoiftreLe grand Pan des Bergersde touteschofesmaiftre:Memonftramillemaux en cejletable efcrits,Dont les hommesferoienten peu de tempsfurpris :La Guerre, le Difcord,mainteSeôlediuerfe,Et le mondeesbranlétomberà la renuerfe.

Maisprencoeur(cedifoit:) cartantquelesgrandsRoisDe la GauleaimerontlesPafieursNauarrois,Toujïoursleursgras troupeauxpaifirontfurlesmontagnes,Lefromentiaunirapar leurs blondescampagnes,Etn'auront iamaispeur quelesprochesvoifinsEmportentleurs moiffbns,ou coupentleurs raijtns.

Pource,ieuneBerger, il tefaut dés enfance,Aller trouuerCarlin le grand Pajleur de France,Taforce vientde luy. Lorsfuiuant mondeftinEn Francete vins voir le grand Pajleur Carlin,Carlin que ïaime autant qu'vnevermeillerofeAimela blanchemainde cellequi l'arrofe,Quelesprez les ruijfeaux, lesruijfeauxla verdeur:Car defon amitiéprocèdemagrandeur.

Guifin.

Houlettequifoulois esplainesIduméesCommetroupeauxrangez conduirelesarmées,Qui as régi Sicile& lesmontsCalabrais,Et la ville, tombeaude la ferenevois,Maintenantie te tiensde père enfils laijfée,Qui dure n'as ejlépar lesguerres cajfée,Et qui dois gouuernerencoresdeffbusmoyLestroupeauxde Carlin monPajleur isr monRoy.

Icy lesgrands forejh que les ans renouuellent,

Icy, Carlin, icylesfontainest'appellent,

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jjë ECLOGVEI.

LesRochersù1 les Pins, <? le Ciel quiplus beauSe tournepour complaireà ton règne nouueau:Toutechofes'efgayeà ta bellevenue,L'air n'efiplus attrijlé d'vnefafcheufenue,La mer rit enfes flots, fans foufles ejl le vent,Et les Affresau Ciel luifentmieuxque deuant.

O grand Pafteur Carlinornementde noftreâge,Haftetoyd'aller voir tonfertil héritage,Enuironnetes champsÙ" contetes Toreaux,Et entensdéformaisles voeuzdes Paftoureaux.

Katerineta mèreà ta maindextreajjifeD'vn voyagefi beauconduira l'entreprise,Et tefera pajfer par tes villes, ainftQuepajj'epar le Cielvn bel Aftreefclarci.

L'honneur& la vertu iront deuantta face,Lesfleuues,les rochers,les bois teferontplace,Et le peupleioyeuxen chantantfemeraTousles cheminsdefleurs oùtonpied pajfera:Car tu es cegrand Royque tant de deftinéesNouspromettaientvenir après longuesannéesPour gouuernerta France,Ù"pour eftrele Roy,Maispluftoft le reBeur despeuplesÙ" de toy,

On dit quandtu nafquis,que lesParquesfatalesAy'ansfujeaux égaux & quenouilleségales,Et nonpas le filet & la tramequi eftDediuerfefaçon tout ainfi qu'il leur plaift,ïettant fur ton berceauà pleinesmainsdeclofesDes oeillets& des lis, dufafran & desrofes,Commencèrentainfi: Charlesqui dois venirAumonde,pour le mondeen reposmaintenir,Et quipar le deftinen FrancedeuoisnaiftrePour eftredesgrands Roisle Seigneur{? le maijire,Entensce quele Ciel immuableenfa loy,Et nosfuj'eauxd'airain ont deuidêde toy.

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ECLOCVEi. ^77

Dejfbustonnouueaurègne (auantque l'âge tendre

Laiffeautour de ta lêurevn crefped'or efpandre)L'ambition,l'erreur, la guerre, & le difcordPar lespeuplescourrontimagesde la mort:Onfera pour tenir lesvilles ajjeuréesDesfoffez, desrampars, desceinturesmurées,Et l'horriblecanonpar lefoulfre animéVomiradefa bouchevn tonnerre allumé.

Onfera de râteauxdes poignantesefpées,Lesfaucillesferont en lamesdetrampêes,V'auantureuxNocherd'auarice conduitIra voirfous nospiedsl'autre Pôlequi luit.

D'autres Tiphysnaiftront,quipleinsde hardieffeEJÏirontpar la Franceencorevne ieuneffeDe Cheualierserrans dans Argon enfermez:Encoresonvoirra desAchillesarmezCombatredeuantTroye,& lesriuierespleinesDecarcajfesde morts, rougir parmy lesplaines.

Maisfi tofl que lesans en croijfant t'aurontfaitEn lieud'vn iouuenceau,hommeentier& parfait :Lors la guerre mourra, lesharnois<ùrlesarmes,Les querellesmourront,lesplaintes û* les larmes,Et tout ce quidépenddu vieil SiècleferréS'enfuira,donnantplaceau belâge doré.

Leshommesreuoirrontles Dieuxvenir en terre:Le Cielfans plus s'armerd'vngrommelanttonnerre,Sansplusfaire la grefleÙ*la neigecouler,Fera defurles champsla mannediftiler.

LesPins, vieuxcompagnonsdesplushautesmontagnes,En nauirescreufezne voirront les campagnesDe Neptuneventeux: carfans voguerfi loinLa terre produira toutechofefans foin,Mèrequi nefera commedeuantferrieDe râteaux aiguifezny defoc de charité.

24.

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378 ECLOGVEI.

Car les champsde leur gré, fans toreauxmugijfansSousle ioug,fe voirrontdefroment iaunijfans.Lesmoiffonsn'aurontpeur desfaucillesvoûtées,Nyl'arbre de Bacchusdesferpettes dentées:Car toufiourspar lesprez l'ondoyantruijfeletIra coulantde vin, de neclarÙ1de laiEl.

Lemieldiftillera de l'efcorcedeschefnes,Et lesrofescroiftrontfur les branchesdesfrefies :Le bélier enpaiflant au milieud'vn pré vertSevoirra tout le dosd'efcarlatecouuert,Depourpre l'aignelet, <£rla barbedeschéuresDeuiendrafinefoye à l'entour de leurs leures:Lescornesdes toreaux deperles, <ùrencorLerudepoil des boucsiaunirade fin or.

Bref tout fera changé,<ùrle mondedifformeDes vicesdu iourd'huy,prendra nouuelleformeDefloustoy, qui croiflraspour auoir cebonheur,O Princebien-heureux,d'eftrefon gouuerneur.

Ainfifur tonberceauces trois Parqueschenues

Chantaient,qui toutfoudain s'en-volerentes nues:Et alors les Pafteursen l'efcorcedes boisGrauerentleur chanfon,afin que tous les moisAuxflûtes des bergersellefuft accordée,Et parmylesforefts dans lesarbres gardée.

Margot.

Soleilfource defeu, hautemerueilleronde,Soleil, l'ame, l'efprit, l'oeil,la beautédu monde,Tu as beau t'efueillerdebonmatin, Ù1choirBien tard dedansla mer, tu nefçaurois rien voirPlus grand que noftreFrance: & toyLunequi erresMaintenantdefur nous,maintenantfous lesterres,

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ECLOGVEI. 379

Enallant & "venanttu ne vois rienfi grandQuenosRois,dont le nompar le mondes'efpand.

Il nefaut point vanter ceftevieilleArcadie,Sesrochers,nyfes Pins: encorequelle die

Quefes Pafteursfont naiz auant quele CroijfantFuji au Ciel, commeil eft, de nuiclapparoiffant.La Francelafurpaffe enantresplusfauuages,En rochers,enforefts, enfources, en riuages,En Nymphesir enDieux, quibéninsfont contentsDefe monflrerà nous& nousvoir en tout temps.

0 bien-heureufeFranceabondanteÙ1fertile!Si l'encens& le bafmeen tes champsne diftile,Si l'AmomeAfienfur tes riuesne croifi,Si l'Ambrefur lesbordsde ta mer n'apparoift:

Auffile chaudextrême& la poignanteglace'Ne corromptpoint ton air: Ù4la mefchanteraceDes Dragons, des Lionsfi fièrementmarchansCommeils font autre part, negaftepoint tes champs.

Quedirons-nousicyde la hautemontagneD'Auuergne,<Ùrdes moiffbnsde la grajfe Champagne,L'vneriche entroupeaux,Ù"l'autre richeen bléAu voeudes laboureursd'vfure redoublé?

Quedironsnousd'Anjou & des champsde Touraine,De Languedoc,Prouence,oùl'abondancepleineDefillon enfillon fertile fe conduitPortant fa riche Corneenceintede beaufruit >

Quedirons-nousencorde centmilleriuieres

Qui arrofentlespiedsde tant de villesfieres,Dont lefront nousfait peur enallant au marché,Tant il eftdans le Cielfuperbementcaché>

C'eftelle,dont le ventreenfemencefécondeAprodigue enfantéles miraclesdu monde,CesbrauesCheualiersaux armesprompts<ùrchauds,CesTriftans, cesOgers, cesRolands,cesRenauds,

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j8o ECLOGVEI.

Êf cegrand Charlemagne& Martelqui deuoreLesanspar fon renom: (y toyCharlesencoreQui croispour deuenirla fplendeurde nosRois,Afin que toute Europeaille dejfousteslois.

C'eft la mèrefertile abondanteen la raceD'hommesmaflesefprits, qui dédaignantla maffeDe la terre brutale, ontpouffeiufqu'aux deuxNonfeulementlecoeur,mais lefoin ù" lesyeuxAux Aflresattachezpar la Phitofophie,Et du grand lupiter ontgoufiél'AmbroJïe:VnTurnebe,vn Budé,vn Vatable,vn Tufan,Et toydiuin Dorât, des Mufesartizan,Quipremieranoblyde l'honneurde ta peine,As aux peuplesFrançoisdetoupélafontaineD'Helicon,Ù"premierpar tesvers as tourné

Permejfeenl'eau de Seineau bord noncouronnéDe laurierscommeEurote,ains d'hommes,dontl'enclumeAforgé tant d'efcritspar l'outil de la plume.

Adiouflezà fon los tant de palais dorez,Tant de marbrespolis, à force elabourez,Entraillesdesrochers,quifont par artificesMaintenantl'ornementdesroyauxédifices,loignezà fa richeffe& l'vne Ù1l'autre mer

Qui viennentaux deux bordsde la Franceefcumer,Et groffesde batteauxapportentdesSauuagesLa nouuelleAmériqueà nospremiersriuages.

Adiouflezd'autrepart tant d'arts quifont meilleurs,Engraueursù" fondeurs, imagiersér tailleurs.

Adiouflezla Mufique,adiouflezla peinture,Voiretous lesprefensque la richenatureEt le cielplusbéninontverfé de leurs mainsPour embellirla terre & lespauureshumains.

QuelleMufepourrait égaler tesmérites?

C'eft toyqui as nourrydeuxbellesMarguerites,

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ECLOGVEI. 381

Quipaffentd'Orient lesperlesen valeur :

L'vnevit dansle Ciel exemptedu malheur

Quecefiecle a rouillédefeulesÙ"de noifes,Ayantrégi long tempslesterres Nauarroifes.

L'autreprudenteÙ1fage Ù"fécondePallasFidèleà Jbn grand Duc, embelliftdefes pasLeshautsmontsdeSauoye,Ù1commevne DèeffeMarchepar le Piedmontau milieud'vneprejjeQui courtà grandefoule, afin defaire honneurA cefang de Vallaisqui caufeleur bon-heur.

Quedirons-nousencorde la maifonde France>Si vn pauure PajieurJe lamenteenfouffrance,S'il a perdufes Boeufs,s'il eft mangédes Ours,Cejlenoblemaifonejlfeulefon fecours,Luychajfeloinde luyfa hontemiferable,Luyredonnefes boeufs,fes champs(y fon eftable,Ou lefait d'eflrangerdomeftiquePajieur,

Luyoftede l'efprit la fombrepefanteur,Lerend richeÙ1gaillard, {? luyapprendà direPar les hautesforefts les chanfonsde Tityre.

Làfleuri]}la vertu, l'honneurÙ"la bonté,La douceury ejl iointe auecla granité,Ledefir de louange<ùrla peur d'infamie,Et tout cequi dépendde toutepreud'hommie.

Là lespères vieillardsen barbe<ùrcheueuxgrisConduifentleurs enfanspour y ejlrenourris,Etpour mettrevne brideà leur ieunejfefolle :Car de toutevertu la Franceejl vne ejcolle.

le te falu'êheureufeÙ"fécondemaifonQuifleuris en tout tempsfans perdre taJ'aifon,Mèrede tant de Rois,mèrede tant de villes,De liâmesÙ"de ports & de terresfertilles.

Lebon-heurte conduife,<ùriamaisle difcordNepouffetes Bergersau péril de la mort :

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•582 E.CLOGVEI.

Maisvnis d'amitiépuijfent defur leur tefleDes ennemisveincusr'apporter la conquejle,Et puijfenten tous lieuxfe monjlrerferuiteursDe leur Prince Carlin le maijlredes Pajleurs:

Afin quepour iarnaisnoftreFrancerefembleAux troupeauxbienvnis quife ferrent enfemble.

Toufioursta terrefoit abondanteenfroment:La Nielleque l'air enEflé vaformant,Ne ronge tes efpics, (y iarnaisla geléeN'enuoyeà tes brebisny tac nyclauelée:La famine& la pefleaille bienloin de toy,Etbien-heureufe vy deffousvnfi bonRoy.

Le premier Pafteur voyageur.

L'ardeur qui la ieuneffeéchaufede louange,M'afait errer long tempsen mainteterre ejtratige,Pour voirfi le mériteegaloit le renomDes Rois,dont i'ay cognulesfaces Ù"le nom.

l'ay pratiqué leurs moeurs,leursgrandeurs, leursaltejfes,Leurstroupeausinfinis, leursfuperbesricheffes,Leurspeuples, leurs citez, & les diuerfesloisDontfe font obéir lesPrinces & lesRois.

le vypremièrementle grand Pafteurd'Efpagne:

Affifeà fon coftéïapperceufa compagne,Quiprendfa noblerace i? fon eftreancienDes Valloisdefcendusdu noblefang Troyen,Fille de Henriot,foeurde Carlin, & filleDeCatin, lefourjon defi noblefamille.

le vy cedemy-Dieuen Efpagneadoré,le le vy d'Orient tellementhonoré,Quepour richeprefentfon Inde luy enuoyeCentvaijfeauxtous les ans chargez de iauneproye.

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ECLOGVEi. 383

le le vycraint, aimé, reueré,redouté,Pleind'vne amegaillarde Ù1d'vn coeurindonté,

Royde tant de troupeauxque ie n'enfçay le conte:Car vn nombrefi grand la mémoirefurmonte.

Mais leplus grand plaifir dont ie repeumoncoeur,Cefut quandie cognuque cePrince veinqueurDeshommes& defoy, aimoittant nojireFrance,Qu'ilfouftenoit Carlin appuydefon enfance,Et qu'en lieudefurprendre ou de rauir fes biens,Bonfrère luygardait fes fuieBs anciens,

Luyprejloitfes guerriers, le couuoitfous fon aile,Tant vaut vue amitiéquand elleeflfraternelle.

lamaispour cebien-faitnepuijfes-tu grand RoySentirfe rebellertespeuplescontre toy,Et iamaisen ton U51nepuijfe arriuer noife,Puifquetu esfi bonà la terre Françoife!

Paffant d'autre coftéi'allay voir lesAnglais,Régionoppofèeau riuage Gaulois:le vy leur grande mer envaguesfluôiueufe,le vy leur belleRoynekonnejleù" vertueufe:Autourde fon Palais ie vy cesgrands MylordsAccorts,beauxisf courtois,magnanimes{yforts :le lesvy tous aimer la Franceleur voifine:le les vyreuerer Carlin Ù"Catherine,Ayantiurè la paix, ù" ietté bien-auantLa querelleancienneaux vagues & au vent.

le vy des Efcoffoisla Roynefage <ùrbelle,Oui decorpsù" d'efprit refemblevne immortelle:

l'approchaydefesyeux, maisbiende deuxSoleils,DeuxSoleilsde beautéquin'ont point leurspareils :le lesvy larmoyerd'vne claire rofée,le vy d'vn beaucryftalfa paupièrearroféeSefouuenantde France,& du Sceptrelaijfé,Et defon premierfeu commevnfongepajfé.

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384 ECLOGVEI.

Qui voirroit en la mer cesdeux RoynesfameufesEn beauté,trauerfer lesvagues efcumeufes,Certes onles dirait, a bienles regarder,Deux Venusquivoudraientau riuage aborder.

Facebien toft le Ciel que leur ieuneffeefclofeCommevne bellefleur, ne refembleà la rofeQuifaniftfur l'efpine, ù" languijfantependSa tefte, & fon parfum inutile refpand,Perdant odeur{? teint <ùrgrâceprintanierePourn'eftrepoint cueillieenfa faifonpremière.Quandvne tendrevigne eftpendanteaux ormeaux,Enforce & en vigueur elleeftendfes rameaux,Fait ombrageaux Pafteurs: maisfi rien ne la ferre,Sansforce & fans vigueur ellelanguijl à terre,Rampedefur la place, ù" d'vn brasflejlrijfantEnfoy-mefmelanguijl, le mefprisdupajjant.

Soientdoncquesà deux RoisleursieuneffesliéesD'vn amouréternel,afin quemariées,

Roynesfans perdre tempsenfantentd'autres Rois,Puis que leurs Maieftezaimenttant lesFrançois.

Le fécond Pafteur voyageur.

La mefmeardeur de gloire, & la bouillanteenuieDevoir les eftrangers,m'afait voir l'Italie,Terregrajfe & fertile, où Saturnehabitoit

Quand lepeupleinnocentde glan fe contentait.

l'ay veu le grand Pafteurde tant d'amesChreftiennes,l'ay veu dedansvn lac les barbesanciennesDe cespèresBergersqui gouuernentfous euxPar prudence{? vertu vn peuplefi heureux.

l'ay veule grand Berger de la belleFlorence,Florencequife dit deCatin la naijfance:

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ECLOCVEI. ffi

l'ay veu lefleuued'Ame& le Mincecornu,Qui eftpar le berceaude Tityrecognu,Où le DucMantouanennemyde tout viceAux peuplesfes fuiets administreïuftice.De là m'enretournantcontre-mont,i'allayvoirLe beauPalais d'Vrbin, efcolledefçauoir.

le vy des Ferraroisle Pajîeur ir le maiftre,QuiCevanted'auoir de Rogerpris fon ejlre :le vyfa forte ville <Urle Pau menaçant,Qtù va commevn Toreaupar les champsmugiffant:

GrandsPafteurs,grands Bergers, qui ont la foy iuréeAu grand Prince Carlin d'éternelledurée,Qjiiaimentfa grandeur, Ù" qui d'vn coeurloyal.Redrejfentfa Couronne& fon SceptreRoyal.

De là m'enretournantie pris ma droite voyePar les champsde Piedmont,par lesmontsde Sauoye,Où ie vy cegrand Ducqui n'a point depareilSousla voûtedu Ciel, en armesny confeil,Animéd'vneforce & prompte& vigoreufe,Ayantpris desSaxonsfa racegênereufe,Et du Cielfon efprit, qui magnanime& chautA toujtourspourfuiet vnpenfer grand & haut.

A fon dextrecoftéie vyfa femmeajjtfe,FleurÙ"perle d'honneurquenoftrefiecleprife,La tante de Carlin que la Grâcea nourry,Lafille de François,Ù" lafoeurde Henry,La mèredesvertus qui iuftementmérite

D'eftreenfemblevueperle Ù1vne Marguerite.Bienloin defa maifonfoit malheurisr mefchef:

Ledouxmielfousfes pieds, la mannefur fon chefPuijfe toujtours couler,(? les lis & lesrofesAu plusfroid de l'hyuerfoyentpour ellesdéclofesAux buiffbnsde Piedmont: ir enlieu d'vn TorrentLe laicl par la Sauoyeaille toujtourscourant

Ronsard.—III. 25

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386 ECLOGVEI.

Murmurantfort renom,puis que tant elleejiimeLeschanfonsdes Pajleurs, leursflûtes ù1 leur rime.

L'autre Berger voyageur.

Quefaites-vousici, BergersquifurmontezLes Rojjtgnolsd'Auril quandd'accordvouschantez?

Quefaites-vous ici? vousperdez cemefembleLa parole i? le tempsa rioter enfemble:L'vnfur l'autre n'aura lepris viSiorieux,Eftanségalementles chersmignonsdes Dieux.

Apollonér Paies<ùrPan vousfauorifent,Et tous à qui mieuxmieuxvoushonorent<&prifent :Etpource abandonnezvosprix & vosdifcords,Et venezefcouterlesmerueilleuxaccordsDedeuxpèresBergers, qui dejjousvne rocheVontdire vnechanfondontTityren'approche.

TouslesBergersdes champsy courentd'vngrandpas :Tousles chêuriersdesmontsen defcendenta bas,Et lesplus grans rochersabaijfent les oreillesSur VAntrepour ouyrdefi doucesmerueilles.

Maintenanten cherchantmonBélieradiré,l'ay veu les deuxBergersdans l'Antre retiré,Qui ontdéfia laflûte à la léurepour direle nefçay quoyde grand quApollonleur infpire.

Venezdonq' les ouirfans difputer en vain,OJtezde vosflageols <ÙTla boucheù" la main:Vousejtestousvnis d'amitiémutuelle,Puis la paix entrevousvaut mieuxque la querelle.

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ECLOGVEI. 387

Le Choeur des Bergères.

Vayfongéfur la mi-nuit

Ceftenuit

Quand le douxfommeilnouslie,QuemilleCygneschantoyent,

QuifortoyentDu cojléde l'Italie,

l'en ay veu d'autres aprèsPlus efpais

Venirdu cojléd'Efpagne,Et d'autresforts ù1puijjans

BlanchijfansDu cojléde l'Allemagne:

Puis envolant tout en rondSur lefront

De Carlinluyfaire fefte,Et doucementleflatant

En chantant

Luyprédire vue conquefte.Vayveuprefque enmefmetemps

LePrintempsFlorir deuxfais en l'année:Dieu cesfonges nouspermet,

QuiprometQuelquebonnedeftinée.

Le fécond ioueur de Lyre.

Vniour au mefmelieuoù nousfommesici,DeuxBergèresayansde leur racefouci,

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] 88 ECLOGVEI.

Bergèresde renom,defamille excellente,L'vnemèredu Roy,l'autre du Royla tante,L'vnevenantde France& l'autre de Piémont,Setrouuant en cejl Antreoù cesdeux Pajleursfont,Apresauoir long tempsdifcourude grans chofes,Qui aux entendemensde toushommesfont clofes,AppellerentCarlin leurpetit nourriçon,Et luyfirent par ordrevue belleleçon.

Or d'autant queleurs motscontenoyentla doclrine

Qu'il faut qu'vn ieuneRoyretienneenfa poitri?ie,Portant dedansle coeurleur précepteimprimé,S'il veut eftredesfiens biencraint & bienaimé:

LesPajleursd'ici près, pour neperdre la gloireDe tels enfeignemensfi dignesde mémoire,Par vn voeufolennelaux Dieux ont ordonné

Qu'ence tnoistous lesansà iour déterminéCouurantl'Antre defleursÙ1lesprez de carottes,Deux Pajleursrediroyentmot à mot lesparolles,Qu'autrefoisà Carlin cesBergèresont dit,Et que la viue Echopar cesboisrefpandit :Afin que desPajleurs la ieuneffenouuelle

Apprennetous lesans vne leçonfi belle.Or ils vontcommencer,s'il vousplaift les ouir,

D'enfeignemensfi beauxvouspourrez refiouir,Et vouscouchantaufoir près dufeu les redireA vos ieunesenfansà fin de les inftruire :« Car ny large moiffon,nytroupeauxengraiffez,«Ny bledsdans lesgreniers l'vnfur l'autre amaffez« Nevallent lefçauoir, de l'efprit l'héritage :« Par la feule leçonle Pafteurdeuientfage.

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ECLOGVEI. 389

Le premier Pafteur.

Puif-quetu es, monfils, de tant de Pafteursmaiftre,QueDieu danstonherbagea mistant de troupeaux,II nefaut feulementfçauoir lesmenerpaijlre,Sçauoirles engraiffer,fçauoir tondreleurspeaus.

Le fécond Pafteur.

Ce n'efirien deguider milleboeufsenpafture,Il faut les conferuerÙ1enauoirfouci,Il faut detonbeflailcognoijlrela nature,

Corriger tesBergers, te corriger aufji.

1.

Quandlespetits Bergersfont aux champsvnefaute,« Petite ellene tire vn repentiraprès :« Maisdes maiftresPafteurs elledénientfi haute,« Qu'ellepaffe engrandeur lesplus hautesforefts.

11.

Et pource,monNepueu,il faut désta ieunejjeApprendrela vertu, pour guide lafuiuant :« C'eftvnfermetrefor qui leshommesnelaijfe,« Lesautresbiensmondainss'en-volentcommevent.

1.

Pour viure bien-heureux,crain Dieufur toute chofe:Seul ilfaut l'adorer(T au coeurl'imprimer,Et le prier aufoir quandle Soleilrepofe,Et dés l'Aubedu iour quandilfort de la mer.

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•JÇO ECLOGVEI.

II.

« Le feul commencement& la fin defcience,« EJi craindrele Seigneur,Ù1maintenirla joyDespeuplesefpandusfous ton obèijfance,Quifont enfansde Dieu auffibiencommetoy.

i.

Soisparé de vertu, nonde pompeRoyale:« Lafeulevertu peut lesgrans Rois décorer.« SoisPrincelibéral : toute amelibérale« Attire à foy le Peuple,ir fe fait honorer.

il.

Portedefur lefront la hontede ?nal~faire,Auxyeux la grauitê, ù" la clémenceau coeur,La lufticeen la main, ù" de tonaduerfaire,Fuji il moindreque toy, nefois iamaismoqueur.

i.

Rensle droit à chacun,c'eft la vertu premièreQu'vn Roydoit obferuer: fois courageuxÙ"fort:« Laforce du courage eftla viue lumière« Qui nousfait mefprifernous-mefmesir la mort.

n.

Nefois point arrogant, vanteur ne téméraire,Turongne,opiniajlreÙ"fuperbeà la main,« Mutin, chagrin, defpit: lePrince débonnaire« Doit ejlregracieux amiable& humain.

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ECLOGVEI. 39I

Mefprifela richejfe,& toutesfoisdefireCommeRoyvaleureuxd'augmentertonbonheur,Et par armesvn iour agrandis ton EmpireMoinspour auoir du bienquepour auoir honneur.

11.

Soisferme enta parole, <ùrde vainepromejjeN'abufetesfuiets, ir aux trompeursne croy:

Celuyquipar le nezainfi qu'vnOursfe laijfeMenerpar lesflateurs, n'eftdigne d'eftre Roy.

1.

Soistardif à courroux,ir point ne te confeillePar ieunesefuentezqui n'ont appris le bien:Maishonorelesvieux isr leurprefle l'oreille,Et feul de ton eerueaun'entreprensiamaisrien.

11.

Soisconfiantér hardi auxfortunesprejpes,Magnanimeau péril, pront d'efprit & de main:Et iugeant l'auenir par leschofespaffeesSerrele tempsprefent, n'attensau lendemain.

1.

Chajfel'Oifiueté la mèrede tout vice,Et grandSeigneurapprenlesmeftiersd'vnfoldart :

Sauter, luter, courir, eft honnefieexercice,Bienmanierchenauxù" bienlancerle dart.

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392 ECLOGVEI.

II.

Exerceton efprit aux chofesd'importance.Auxaffairesquifont de tonpriué Confeil,« L'efprit enejiplus fain : l'oifeufenégligence« Sillelesyeux desRoisd'vn malheureuxfommeil.

i.

Tu dois cognoiftreceuxqui te font duferuice,Lesaimerles chérirpour leur fidélité:Et à fin qu'après toyhonoreron lespuijfe,Haujfe-lesaux honneurscommeils ont mérité.

11.

Par flateurs, par menteurs& par femmesne donne

Nyprefensny ejlats, malheurs'en eji fuiui :

Que lafeule vertufeulementon guerdonne:Si tu lefais ainfi, tu feras bienferui.

Ne renuerfeiamaisl'anciennepoliceDu pays oùles loix ontfleuri fi long temps:Ce n'eft que nouueautéqui couuevne malice:Si vn s'en refiouijl,mille enfont mal-contens.

ii.-

Iamais',fi tu m'encrois, nefouffrepar la tefteDe tonpeupleordonnertesftatuts nytes loisi« Lepeuplevariable eft vneeffrangebefte,« Qui defon naturel eft ennemides Rois.

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ECLOGVEI. 393

I .

N'offetifele communpour aider à toy-mefme,Des grans Ù*des petitsfois toujiourslefupport :« La propre conscienceefi vue genneextrême,« Quandnousauonspéché,qui toujioursnousremord.

11.

Et bref, moncherNepueu,pour régner prens exempleAux Roistesdeuanciers,Princescheualeureux:Si leursfaits pour patron ta ieunejjecontemple,Tuferas nonpas Roy,maisvn Dieubien-heureux.

Le Choeur des Bergères.

Toutainfî qu'vneprairieEft portraite de centfleurs,CejleneuueBergerieEftpeintede cent couleurs.

LePoèteici negardeL'art de l'Eclogueparfait :

Aujjîla MuferegardeA traiter vn autrefait.

PourceEnuiefi tu pincesSonnomde broquarslégers,Tufaux : car cefont grans Princes

Quiparlent, & nonBergers.Il mefprifele vulgaire,

Et ne veutpoint d'autre loySinonla grâce deplaireAfes Mufes& au Roy.

25.

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594 ECLOGVEII.

ECLOGVE II.

LES PASTEVRS.

Aluyot & Frefnet.

Paijfezdoucesbrebis,paijfez cefteherbetendre,Nepardonnezauxfleurs :vousn'enfçauriez tantprendrePar l'efpaced'vn iour, que la nuibl enfuiuantHumiden'enproduifeautant qu'au-parauant.

De là vous deuiendrezplusgrajfes & plus belles,L'abondancede laicl enfleravosmammelles,Et fuffirez affezpour nourrir vosaigneaux,Et pourfaire en tout tempsdesfromages nouueaux.Et toymonchienHarpautfeure ù" fidèlegardeDemontroupeaucamus,leue l'oeil<&pren gardeOiieie nefois pillépar les loupsd'alentour,Ce-pendantqu'en cebois ie meplaindrayd'Amour.

Or-fus monAluyot,allonie tefupplieSoulageren chantantlefoin qui nousennuyé,Allonchercherlefrais de cet antre mouffïi,Creufédedansleflanc de ce tertre boffu:Et là nousfouuenansde noschèresamies,Ouifont de nos langueursdoucementennemies,Tousdeux endeuifantpar ordrenousdironsNosplaintes aux rochersquifont aux enuirons,Afin que quelquevent rapporte à leurs oreillesLesfoucis que nousfont leurs beauteznompareilles.

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ECLOGVEII. 39^

Nousfommesarriuez dedansVAntrefacrê :le m'envay le premier(s'ainfi te vientà gré)Te chanterma complainte: ayant ouyla mienne,Secondantma douleur, tu mediras la tienne.

Frefnet.

Ma belleMarion,de qui lefouuenirMefait commeNiobeen rocherdeuenir,Pour l'abfencede toy ie haymapropre vie,Qui defdaignantmoncoeur,maugrèmoyt'a fuiuie,Pour loger entesyeux, qui oresdefi loinMeremplirent le coeurde triftejjfe<&defoin.

Rienne m'efiagréableaprèsfi longueabfence,l'efperefans efpoir: la peur isf l'efperanceCombatentma raifon, mais l'amoureufepeurAJfautmapatience,Ù1veinetoufioursmoncoeur.

Rienne merefiouift: fait que la belleAuroreDe rofesér d'oeilletsl'Orient recolore,Oufoit quele Soleilpendeenbasfes chenaux,Il voit mesyeux enpleurs i? moncoeuren trauaux.

Quandlefoir eft venu, ie contemafortuneMaintenantauxforefis, maintenantà la Lune:

l'erre de bois en bois, car en lieude dormir

impatientd'amour ie nefais quegémir:Oufi le long trauail defortune m'ajfomme,Et méfait par contrainteauxyeux coulerlefomme,Cent fantofmesdiuerss'apparoiffentà moy,Qui mefont en dormanttremblerle coeurd'ejfroy:ie refue, ie difeours,ie bâille, ie m'allonge;

Tantoftfon beauportrait qui mercuientenfonge,Mefuit, mefuit, metient, <ùfen le pourfuiuantPour le prendre enmesbras, ie nepren que du vent.

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396 ECLOGVEII.

C'eji grand cas qued'aimer! vne amoureufeplayeNefe guarifi iamaispour chofequ'onejjaye:Plus onla veutguarir, & plus lefouuenirLafait toufioursplus viue en noscoeursreuenir.

l'ay beaumepromenerau trauers d'vn bocage,l'ay beaupaijlre mesboeufsle longd'vn beauriuage,l'ay beauvoir le Printempsdefurles arbrijfeaux,Ouyr lesRofjignols,gazouiller les ruiffeaux,Et voir entre lesfleurs par lesherbesmenuesSauterles aigneletsfous leurs mèrescornues,Voirles boucsfe choquer,isf tout lelong du iourVoirlesbéliersialouxfe battrepour l'amour.

Ceplaifir toutefoisnon-plusne mecontente

Quefi dufroid Hyuerla JifflantetourmenteAuoit terni les champs,Ù"en millefaçonsRuédeffuslesfleurs la neigeÙ" lesglaçons,Et quelesfaints troupeauxde centNymphescompaignesNevinffentplus de nuiôidanfer ennosmontaignes.

Bienque monparc foifonneen vachesÙ" toreaux,Et quefous mafaneur viuentcentpafloureauxQuifçauent tous iou'érdes doucesCornemufes,Des Nymphesles mignons,des Faunes(r des Mufes:Bienque mondouxFlageolfur tous le mieuxappris,Quand il meplaijl chanter,feul emportele pris :Bienqu'ennullefaifon le douxlait nemefaille,L'vnepart deuientcrefme,iy l'autre part fe caille,L'autre deuientfromage, vn mol, l'autre feiché,Le moleftpour manger, lefec pour le marché:

Et bienquemesbrebisnefoyent iamaisbrehaignes,Bienque milletroupeauxbeflentpar les campaignes,le voudroisn'auoir rien, Marion,jînon toyQueie voudroispour femmeen monantre chezmoy,Et parmi lesforefls loin d'honneurù~ d'enuie,Vferen te baifant le reflede mavie.

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ECLOGVEM. 397

L'orageeft dangereuxaux herbesi? auxfleurs,Lafroideur de VAutonneaux raifins quifont meurs,Lesventsaux bledsd'Auril : maisl'abfenceamoureufeA l'amant qui efpereeft toufioursdangereufe.

Taypour maifonvn antre en vn rocherouuert>DeLambrunchefauuage Ù"d'Hierre couuert,

Qui deçàqui delà leursgrans branchesefpandent,Et droit fur le milieude la porte lespendent.VnMefliernouailleuxombragele portail,0à fans crainte du chaudremafchemonbeftail:Dupiê naift vn ruiffeau,dont le bruit deleclableS'enroueentre-cajfédescailloux{y dufable,Puis au trauers d'vnpré ferpentant demaint tour,

Arroufedoucementle lieu de monfeiour.Delà tu pourras voir Paris la grande ville,Oà de mespaftoureauxla brigadegentillePorte vendreau marchécedont le n'ay befoin,Et toufioursargentfrais leurfonnedans le poing.

Là s'il teplaift venir, tu feras la maiftrejfe,Tu meferas montout, ma Nymphe& ma Deeffe,Nousviurons& mourronsenfemble,Ù" tous lesiours

Vieillijfantnousverronsraieunir nosamours:Tousdeuxnouseftendronsdejjousvn mefmeombragiTousdeux nousmèneronsnosboeufsenpafturageDés lupointedu iour, les remenantaufoirQuandle Soleiltombanten l'eaufe laiffechoir:Tousdeux les mèneronsquand leSoleilfe couche,Etquand de bonmatin il fort horsdefa couche:A toute heureen tous lieux enfemblenousirons,Et dejfousmefmeloge enfembledormirons.

Puis au plus chauddu iour, eftanscouchezà l'ombre,Apresauoir contéde mestroupeauxle nombre,Pour chajferlefommeil,ie diray des chanfonsQuepour toy ie compofeen diuerfesfaçons.

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•598 ECLOGVEII.

Alorstoy doucementfur mesgenouxajjtfe,Maintenanttu ferais d'vne doucefeintifeSemblantdefommeiller,maintenanttu feroisSemblantde fefueiller, puis tu mebaiferois,Et prejferoismoncolde tes bras, enla forteQu'vnormeejlenlacéd'vnevigne bienforte :

Maintenanttu romproisde tonbaifermonchant,Maintenanttu trois de tes léurescherchantA m'ofterleflageol hors de la léuremienne,Poury mettre enfin lieu le couralde la tienne:

Puis tu mebaiferois,(y mevoulantflaterTu voudroisquelquefoisauecquemoychanter:

Quelquefoistoutefeule, & commelanguiffantele te verrais mouriren mesbraspallijfante,Puis te refufciter,puis mefaire mourir,Puisd'vn petit fou-ris mevenirfecourir,Puis en millefaçonsde tesléuresvermeillesMerebaiferlesyeux, la boucheÙ" lesoreilles,Et coupfur coupietter despommesdansmonfein,Quei'aurois ù" d'oeilletsù" de rofes tout plein,Pour reietterau tien qui maintenantpommelleCommefait au Printempsvuepommenouuelle:

Seinoù logeait Amour,qui le trait me tiraAu coeur,qui autre nomdepuisnefoufpiraQue le tien Marion, tefmoinen eft ceChefne,Où cesvers l'autre iour i'engrauayd'vne alefne:

Les ondes refuiront contremont les ruiffeaux,Sansfueilles au Printemps feront les arbriffeaux,Venus fera fans torche, &Amour fans fagette,Quand le Pafteur Frefnet oubli'ra Mariette.

Sustroupeaudeflogeon,ïay d'efcliffeisr d'ofier,Acheuantmachanfon,acheuêmonpanier-,

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ECLOGVEII. 399

Voicila nuiElquivient, il mefaut menerboireMongrand boucefcornêqui a la barbenoire.

Or adieuMarion,machanfon,iy le iour:Leiourmelaijfe bien,maisnonpas ton amour.

Ainfîdifoit Frefnet: Aluyotau contrairePour l'amourdefa Damevne chanfonva faire.

Aluyot.

Ma lanette, moncaur, dont ie n'ofeapprocher,Tant lesyeuxfont ardans, pluspolie à toucher

Quela plume d'vn Cygne,iy plus frefche(y plus belle

Quen'ejl au moisd'Auril vne rofe nouuelle,Plus doucequele miel,plus blancheque le lait,Plusvermeilleen couleurque le teintd'vn oeillet:Voici(il m'enfouuient) le mois(y la tournée

(0 doucefouuenanceheureufe(y fortunée!)Oùpremierie te veypeigner tes beauxcheueux,Ainçoisfilets dorez, mesliens (y mesnoeuds.le vydefa mainpropre Amourlesmettre en ordre,Et filet àfilet en deuxtreffesles tordre :

l'en coupaylesplus blonsiy lesplus crefpelets:Lestournant en cordonst'enfy des braffeletsQueie porte à mesbras,figne que tu tiensprifeEn tes crefpescheueuxmoncoeuriy mafranchife:le lesgarde biencher, car en nullefaifonle neveux efchapperdefi belleprifon.

Maintefille en voyantmaface ieuneiy tendre,Où la barbecommenceencoresà s'eftendre,M'a choifipour amy: hier mefmeMargotQuifait fauter Jes boeufsaufin du harigot,Tu la cognais, lanette, enuoyalaquelineVersmoy,pour medonnerdefa part vn beauCygne,

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400 ECLOGVE II.

Et medijl, Cejie-làqui te donnececi,Auecque[on prefent à toyfe donneaujji:

Prenfon prefent & elle,ajfez ellemérite,

Ayantlesyeuxfi beaux,d'ejlreta fauorite.Mais ie la refufay: car plujloftque d'aimer

Autrequetoy, moncoeur,doucefera la mer,Ledoux mielcoulerade l'efcorced'vn Frefne,Et lesrofescroiftrontfur les branchesd'vn Chejne,Lesbuijfonsporteront lesoeilletsrougiffans,Et leshaliersronceuxles beauxlis blanchiffans.

D'autant que du Printempsla plaifante verdure

EJlplusdouceaux troupeauxque la triftefroidure,D'autant qu'vnarbre entérendvn iardinplus beau

Que le tige efpineuxd'vn rudefauuageau,D'autant qu'vn Oliuierfurpaffe en la campaigneD'vnfaulepallijfant la perruquebrehaigne,Et d'autant qu'au matin la belleAubequi luit,Surmontede clarté les ombresdela nuiSl:

D'autant, ma laneton.defurtoutepucelleTufemblesà mesyeux plus gentille& plus belle:CesHouxm'enfont tefmoins,iy cesPins quetu voisSurmonteren hauteur la cymede cesbois,Où m'esbatantvn iour ïengrauayfur l'efcorceD'vn Chefnenonridé, ceftEpigrameàforce.

Quand Aluyot viura fans aimer laneton,Le Bouc fe veftira de la peau d'vn Mouton,Et le Mouton prendra la robbe d'vne ChéureEt aura comme vn Bouc barbe deffous la létrre

l'ay l'ametouteefme'ùei? le coeurtout raui,

Quand iepenfeen ce iour oùpremierie te vyPorter vn beaupanier (ainfi qu'vnebergère)Allant cueillirdesfleurs au iardin de ma mère:

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ECLOGVEII. 4OI

Si toft queie te vy, fi toft iefit deceu,le meferai moy-mefme,& depuisie n'ayfceuSoulagerma douleur: tant l'amoureufeflameDescendantiufqu'au coeurm'auoitembrafél'ame.Tu auoistes cheueuxfans ordre défiiez,Frizez crefpezretors,primes& déliezCommefilets defoye : & de houpesgarnieTe pendaitaux talons ta bellefouquenie.

Tafoeurallait après, fallois aprèsauffi:Et commeie voulais te contermonfouci,Las! iem'efuanouy,îy l'amoureuxmartyreQui mepreffoit le coeur,ne melaiffa rien dire.

A la fin reuenude tellepafmaifon,Lebouillantappétitfurmonta la raifon,le te contaymonmal: mais toyfans eftre attainteDema tr'ifledouleur,te moquasde maplainte.

Or commetu cueilloisvitefleur de ta mainPar feintife, vn bouquette tombade tonfein(Où maintefleur eftoit l'vneà l'autre arrengée)Lié de tes cheueux& defoye orengée:le l'amaffe& l'attache au bord de monchapeau,Et bienqu il foit fany, toufioursmefemblebeau,Commeayant la couleurde maface blefmie,Qiii maugrèmonPrintempsfe fleflriflpour m'amie.

Ainfique iepleurais pour monmalappaifer,Tufautes a moncol, medonnantvn baifler:Ha ie meursquandïy penfe! & de ta bouchepleineDe rofes, meverfas dansl'ametonhaleine:Cedouxbaiferpaffa (dont i'ay vefcudepuis)Soudainde nerfs en nerfs, de conduisen conduis,Deveineenveineaprès, de mou'êlleen mouélle,M'allumanttout lefang d'vne chaleurnouuelle,Si bienqu'en toutesparts, en touteplace (? lieux

I'ay toufiourston baiferau deuant de mesyeux :

Ronsard.—III. 2(1

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402 ECLOGVEII.

l'enfan toujioursl'haleine,ù" depuisma MufetteN'a peu chanter[mon le baiferde lunette.

Doux eft du Rojfignolla ruftiquechanfon,Et celledu Linot(y celledu Pinçon;Douxeft d'vn clair ruijfeaulefautelant murmure,Biendouxejl lefommeilfur la douceverdure:Maisplusdouceef maflûte, {? les vers que de toyle chante,quand tu esajjife auprèsde moy.

l'oy toujioursdansmonAntrevne bellefontaine,Monlit d'herbesejl fait, ma placeejl toutepleineDe toifonsde brebis,que le ventfijt broncherL'autre iour contrebas dufejle d'vn rocher.De l'ardeur du Soleilautant ie mefoucie,Qu'vnAmantenchantédesbeautezde s'amieSefoucie d'ouïr fon père le tanfer.Car Amourne lefait qu'enfa Damepenfer.Autant qu'onpeutfonger en dormantde rïcheffes,Autant i'ay de troupeaux: fur leurs toifonsefpejfesTousles iours ie m'endorsfans medonnerefmoyDufroid : car la froideur ne vientpas iujqu'à moy.Maisce-pendantqu'ici ie chantema lanette,

Vefperreluit au Ciel d'vne clarté brunette:Le tempscouleJï tofl que ie ne lefens point,Le Soleileft couché: maïs l'ardeur qui mepoingt,Nefe coucheiamais, i? iamaisne s'alente

(Donnanttréuea moncoeur)tant elle eft violente.RemèdecontreAmourie nefçaurois trouuer,

Voireeuffé-ieauallé tous les torrensd'Hyuer,Et beu tous lesglaçons desmontaignesRifées,Tant i'ay defa chaleurlesveinesefchaufées.le nepuis qu'en chantantma douleurcontenter:Monconfortfeulementne vient quede chanter.

La Cigalefe plaift du chant de la Cigale,Et Pajleurïaime bienla chanfonpajlorale:

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ECLOGVEIII. 403

UAigneaufuit l'herbecourte, Ù1le douxChéurefueïlEJlfuiui de la Chéure,& le bois du Chéureil:Chacunfuit fon dejir, Ù"t'aimema MufettePoury chanterdeffusles amoursde lanette.

Or adieu Ianeton,le iour Ù"machanfon:D'vn ruiffeaumurmurantfi plaifant n'eft lefon,Lefommeiln'eftfi doux, ny lesieunesfleurettesDu Printempsnefont pasfi doucesaux Auettes,Queles versmefont doux, voire autant quetesyeuxQuifont toufioutsAmourde moyvictorieux.

ECLOGVE III.

ov

CHANT PASTORAL

fur les nopces de Monfeigneur Charles

Duc de Lorraine, & MadameClaude,fille deuxiefme du Roy

Henry II.

LES PASTEVRS.

Bellot, Perrot, & Michau.

VnPajteur AngeuinÙ1l'autre Vandomois,Biencognusdes rochers,desfleuues<ùrdes bois,Tousdeux d'âgepareils, d'habit ér dehoulette,L'vn bon'loueurdeflûte Ù"l'autre de mufette,L'vn gardeur de brebis& l'autre de chéureaux,S'efcarterentvn iour bienloin desPaftoureaux.

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404 ECLOGVEIII.

Tandisque leur heflailpaijfoitparmi la plaineVnpeu deffousMeudonau riuage de Seine,Laifferentleurs mafins pour la craintedes loups,Bienarmezde collierstousherijjezde clous.-Et montantfur le dosd'vne collinedroiteAu trauers d'vne vigne, envnefente ejiroite,Gaignerentpas à pas la Grotte de Meudon,La Grotte que Chariot (Chariot de qui le nom

EJlfaint par lesforejls) a fait creufer fi bellePour eftredes neufSoeursla demeureéternelle:Soeursqui enfa faneur ontmefprifèl'eseauxD'Eurote& de Permejfe,ù1 les tertres iumeauxDu cheueluParnajfe,où la fameufefourcePrift du Chenalvolant&"le nomÙ1la courfe,Pourvenir habiterfon belAntre efmaillé,Vneloge voûtéeenvn rocentaillé.

Si toftque cesPafteursdu milieude la rotte

Apperceurentlefront de la diuineGrotte,S'enclinerentà terre, Ù" craintifshonoroyentDebienloin le repaireoùlesSoeursdemeuroyent.

Apres ïoraifon faite, arriuent à l'entrée

(Nuds de tefte(? de pieds) de la Grottefacrée:Car ils auoyenttousdeux & fabots <ùrchapeaux,Reuerantlefaint lieu, pendusà des rameaux.

Euxdeuotsarriuez au deuantde la porteSaluèrentPallas qui la Gorgonneporte,Et le petit Bacchus,qui dansfes doigts marbrinsTientvn rameauchargéde grappes de raifins :Selauentpar trois fois de l'eau de la fontaine,Seferrent par trois fois de troisplis de veruene,Troisfois enfournentl'Antre, & d'vne baffevois

Appellentde Meudonles Nymphespar trois fois,Les Faunes,lesSyluains,(? tous les DieuxfauuagesDesprochainesforejls, desmontsÙ" desbocages:

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ECLOGVEIII. 40^

Puis prenanthardieffeils entrèrentdedansLefaint horreurde l'Antre, <&commetous ardansDetrop de Deitê,fentirent leur penféeDenouuellefureur brusquementinfenfée.

Ils furent esbahisde voir le partimentEn vn lieufi defert, a"Vufi beaubafliment:Leplan, le frontifpice,& lespiliers ruftiques,Qui effacentl'honneurdes colonnesantiques:De voir que la Natureauoitportrait les mursDegrotefquefi viue en desrochersfi durs:Devoir les cabinets,les chambres(? lesfolles,Lesterraffes,fejlons, guillochis& ouales,Et l'efmailbigarré, qui refembleaux couleursDesprez quand lafaifon les diaprédefleurs :Ou commeïArc-en-ciel quipeint a fa venueDe centmillecouleursle deffusde la nue.

LorsBellot(? Perrot (de telsnomss'appelloye?itLes Pafleursquipar ï Antreen reuerencealloyent)Nefe peuuentgarder de romprelefilence,Et le premierdes deuxBellot ainfi commence.

Bellot.

Printemps,naiffez, croiffez,& de millefaçonsCouurezlesprez nouueauxdefleureufesmoiffons,Afin qu'enles cuillantfraifchementiefaçonnePour lefront de Chariotvuebellecouronne.

Pafleurs, puis que Chariotnousdaigne regarder,Commenousfoulionsfaire, il nefaut plus garderPour la craintedes loups, nosbrebiscamufettes,Quifans craintepaiftront au bruit de nos mufettes»Noschéuresfans danger lesSaulesbrouteront,Et nos toreaux fous l'ombreaffisremafcheront

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406 ECLOGVEIII.

L'herbageà feuretéfous lesfons de Tityre:Et nousautresbergersneferonsplus que rire.

Qtteiouer, quefluter, quechanter&•dancer,Commefi l'âge d'or vouloitrecommencerA régner deffousluy, commeil régnait a l'heure

QjteSaturnefaifoit enterrefa demeure.Nousluy baftironsd'herbevn autel commePan,

Nouschommeronsfa fefte, & au retour de l'an,Tout ain/i qu'à Paies, ouà Cerésla grande,Troispleinsvaijfeauxde laiSl luyverfantpour offrande,Inuoqueronsfort nom: Ù"boiuantà l'entourDe l'autel, nousferons vn banquettout le iour,Où lanot Limofinpendrala chalemieA tous Bergersvenonspour l'amourde s'amie:Car c'eft vn demi-Dieu,à quiplaifent nosfons,Quifait casdes Pafteurs, qui aimeleurs chanfons,Quigarde leurs brebisde chaud& defroidure,Et en toutesfaifons lesfournift de pafture.

Quelquepart que tu fois, Chariot,pour ta vertuEn tes léurestoufioursfauourerpuiffes-tuLedoux fuccre Ù" la manne,& manger tout enfembleLe miel,qui endouceurà tes proposrefemble,Et toufioursquelquepart que tu voudroisaller

Puijfent deffoustes pieds lesfontainescoulerDevin Ù1de neôîar, & loin de tonherbageLe Cielpuiffe ruerfa foudre isrfon orage:Lescornesde tes boeufsfe puiffent iaunir d'or,D'or le poil de tes boucs,& la toifonencorDe tes brebisfoit d'or, & lespeaux quiheriffentDe tes chéuresle dosdefin or fe iauniffent.Pan le Dieu chéure-pieddesPafteursgouuerneur,Augmenteta maifon,tes biensir tonhonneur:

Toufiourspuiffed'aigneauxpeupler ta bergerie,De ruiffeauxargentins arroufer ta prairie,

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ECLOGVEIII. 407

Et toufioursd'herbeefpaiffeemplirtes gras herbu,De toreauxtoneflable,<&tonparc debrebis,Puis que tu esfi bonifr que tu daignesprendreQuelquefoin des Pafteurs& leursflûtes entendre.

A-tant fe teut Bellot,ù1 à peineauoit dit,Qu'enpareille ChanfonPerrot luy refpondit.

Perrot.

Nymphesfilles des eaux, des Mufeslescompagnes,Quihabitez les bois,les monts,& les campagnes,PermettezmoychantervoftreAntrede Meudon,Quedesmainsde Chariotvousreceuftesen don.CommeAmphiontira lesgros cartiers de pierrePour emmurerfa ville aufon de fa guiterre:

Ainficebeaufeiour Chariotvousa confiruitDe rochersquifuiuoyentdefa voix le douxbruit.

Ceuxqui viendront, Chariot, ouboire en ta fontaine,Ou s'endormirauprès,fe voirrontl'amepleineDefainétePoefie, iy leurs vers quelquefoisPourrontbienrefiouir les oreillesdesRois.

Ici commeiadisen cesvieuxtabernaclesDe Delpheù* de Delos,fe rendrontles oracles:Et à ceuxquivoudrontà la Grotte venir,Phebusleur apprendrales chofesà venir.Chariot ie te fuppli' ne rougis point de honteDe nousfimplesBergersfaire vn petit de conte:

Apollonfut Berger, ù" le TroyenParis:Et le ieuneamoureuxde Venus,Adonis,Ainfique toyporta au flanc la panetière,Etpar les boisfonna l'amour d'vne Bergère:Maisnul des Paftoureauxen VantiquefaifonCommetoy, n'a bafti des Mufeslamaifon.

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408 ECLOGVEIII.

Toufiourstout à l'entourla tendremoufley croijfe,Lepoliotfleuri en tout tempsy paroiJfe:Le lierre tortu recourbéde maint tourT puijfefus fon front grimper tout à l'entour,Et la bellelambruncheenfembleentortillée

Laiffeefpandrefes bras tout du long de l'allée:

L'auetteen lieude rucheagencedans les trouxDesruftiquespiliers,fa cire(y fon mielroux,Et lefrejlon arméqui les raifïns moijfonne,Defon bruit enrouépar l'Antre ne bourdonne:Maisles beauxgrefillons,qui de leurs cris trenchansSaluront lesPafteurs à leur retourdes champs.MaintegentilleNymplie,Ù"maintebelleFée,L'vneaux cheueuxpliez, (? l'autre defcoifée,Auecqueles Syluainsy puijfe toutenuitFoulerl'herbedespieds aufon de l'eau qui bruit.

Toufioursceftemaifonpuijfe auoir arroféeLe bas d'vnefonteine, Ù" le haut de rofée:Toufioursfait aux Pafteursfon taillis ombrageux,Sanscraintede la foudre oudu fer outrageux:Et iamaisaufommetquandla nuitl eft obfcure,Les Chouansannonceursde mauuaifeaduentureNes'y viennentpercher, mais les RoffignoletsVoulantchanterplus haut que tousnosflageolets,T defgoijenttoufiourspar la verte raméeDu bonPafteurChariot la bellerenommée,Afin que tous les vents l'emportentiufqu'aux deux,Et du Ciel puijfe aller aux oreillesdes Dieux.

Ainfifiniji Perrot, & l'vn &1l'autre enfemble(A qui tout le pied droit par bonaugure tremble)Sortenthorsde la Grotte, & àfin depouuoirMieuxchanterà loifir s'en-allerentaffoirL'vn defurvn gazon, l'autre fur vnefauche:Et lorsde telspropos Bellotouuritfa bouche.

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ECLOGVEIII. 4O9

Bellot.

Perrot, tous lesPafteursne tefont que louer,Te vantent lepremier,[oit quevueillesiouerDu Ciftre oudu Rebec,& la Mufettetienne,Tant ilsfont abufez,comparentà la mienne:

le vouloisdés long tempsfeul àfeul te trouuer

Loinde noscompagnons,à fin de t'efprouuer,Pour maiftre te monftrerqu'autant te tefurpajfeQu'vnehautemontagnevne collinebaffe.

Perrot.

MonBellot, il ejl vray queles Pafteursd'ici

M'eftimentbonPoète,<&ie lefuis auffi:Maisnontel qu'eft Michau,ouLancelotqui formeSi biende la Mufetteaux riues de Garonne,Etmonchant au prix d'eux eftpareil au Pinçon,Qui veut du Koffignolimiter la chanfon.Toutesfois,monBellot, ie nete veux defdire:Si tu es bonThyrjis,ieferay bonTityre.Commence,ie n'ay point le couragefailli :

L'ajfailleurbienfouuent vaut moinsqueVaffadit.Il faut pour le veinqueurque nousmettionsvn gage:Quant à moy,pour leprix ie depofevne cageQue iefis l'autre iour voyantpaiftre mesboeufs,Deuifantà Thoinetqui s'égaleà nousdeux:Lesbarreauxfont de TU,& laperchetteblancheQui trauerfela cage, eft d'vneCoudrefranche:Depeluresde lonc i'ay tiffu tout le bas:A l'vn des quatre coingsla coqued'vn LimasPendd'vn crin de cheual,voirede telleforteQu'ondiroit a la voir quellemefmefe porte.

26.

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4IO ECLOGVEIII.

I'ay creuféd'vn Sureaul'auge bienproprement,Et les quatrepilliers dupetit bafiimcntSontd'vnegrojfe ronceen quatreparts fendue:Et le cordontreffèduquelelle ejlpendue,Belinmel'a donné,houpétout à l'entourDes couleursqu'il gaigna de Caton l'autre iour.

I'ay dedansprisonnièrevue ieuneAlouette,Quidefgoifefi bien, qu'hierma CaffandretteQueïaime plus que moy,m'enoffritvn veaugrasAufront défiacornu,voire Ù1fi ne l'eut pas:Toutesfois tu l'auras fi tu megaigncs ores,Mais ie t'ajfeurebienque tu ne l'as encores.

Bellot.

Pour la cageù" l'oifeauie veux mettrevn panierD'artifice enlacédevergettesd'ozier,

Large<ùrrondpar le haut, qui toufioursdiminueEntirant vers le bas d'vnepointemenue:

L'anfetfi faite d'vn housqu'à force i'ay courbé:Envoulant l'atenuir le doigt ie mecoupé

Auecquemaferpette : encoresde laplayele medeuls, quanddu doigt monflageollet i'ejfaye.Toutcegentil panier efiportrait par-dejfusDeMercure& d'Io, & des centyeux d'Argus:10efipeinte en vache,{y Argus envacher:Mercureefi tout auprès, qui du haut d'vn rocherRoullele corpsd'Argus, après auoir coupéeSon coldufer courbédefa trenchanteefpéetDefonfang naifi vn Paon, quifes ailes ouurantVadeçà(y delà tout lepanier couurant.

Il mefert à ferrer desfraizes & des rofes,11mefert à porter au marchétouteschofes:

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ECLOCVEIII. 411

MonOliue,moncoeur,defirede le voir,Ellemeveutdonnerfon maftinpour l'auoir,Et fi ne l'aura pas : ie te le metsengage,l'en refufe trois fois la ventede ta cage.

Maisqui nousingérât qui enprendra lefoin?Vois-tucebonvieillardqui vient à nousde loin>A luyvoir au mentonla barbevénérable,Le chefdemicouuertd'vnpoil gris honorable,La houletteen la maind'vn nouailleuxcormier,Le hauquetond'vn Daim, c'eftMichaulepremierDes Pafleursenfçauoir, auquelfont reuerence

Quandil vient en nosparcs, tous les Bergersde France.

Perrot.

le le cognais,Bellot,ie l'ay ouychanter:Autantcommetu fais, ie l'ofe bienvanter :Car il a bienfouuentdaignéprendre la peineDe louer meschanfonsà Chariotde Lorraine.

Michau.

Quedites-vous,garçons, des Mufeslefouci>Ici le boisejl verd, l'herbefleurift ici,Ici les petits montsles campagnesemmurent,Ici de toutesparts les ruijfelets-murmurent:

Nefoyezpoint oififs, Enfans,chanteztoufiours,Maiscommeauparauantne chantezplus d'amours,Eleuezvosefprits aux chofesbienplus belles,QuipHÏJJentaprèsvousdemeurerimmortelles.

N'auez-vousentenducommePan le grand Dieu,Legrand Dieu quiprefideaux Pafteursde ce lieu,

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412 ECLOGVEIII.

Par mariageajfembleà fa fille ClaudineLe beauPajhur Lorrain,de tellefille digne?

C'ejl le ieuneChariot,tige defa maifon,Parent de cesPafteursqui portentla Toifon,Et coufinde Chariot le bonhofiedes Mufes,Duqueltoufioursle nomenflevoscomemufes:Et de cegrand Franchi,qui à coupsde leuiers,Defondes, ù1 de dars a chajféles bouuiers

Qui venoyentd'outre-mermangernospafturages,Et menoyentmaugrènousleurs boeufsen nosriuages.

Là nefe doit dreffervn vulgaire feftin;

Depuislefoir bientard iufquau premiermatinLafefte durera, & les bellesNaiades,LesFaunes,les Syluains,Dryades,Oreades,LesSatyres,les Pans tout le iour balleront,Et de leurspiedsfourchusl'herbettefouleront.Decebeaumariageentonnez,vos Mufettes,Monjtrez-vousauiourd'huytelsfonneurs que vousefles,Chantezcejlealliance,(y cebon-heurfacré :Lesdeuxfrères Lorrainsvousenfçauront bongré.

Pany tiendrafa Court en MaieftêRoyale,Auprèsde luyfera fon efpoufeloyale,Etfon fils défiaRoy,ù1fa diuineSoeur

Quipajfe defon nom& la perle & la fleur.Sus donc chante,Bellot,commencequelquechoufe:

Tu diras l'efpoufé,Perrot dira Vefpoufe:Car il vaut mieux,Enfans, célébrercebeau iour,Qji'vfer vos chalumeauxà chanterde l'Amour.

Bellot.

O Dieu quiprens lefoin des nopces, Hymenée,Laijfependrea tondos ta chapeenfafranée,

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ECLOGVEIII. 413

Tonpiedfoit enlacéd'vn beaubrodequinbleu,Et portesen ta mainvn clair flambeaudefeu :

Efternuetrois fois, & trois fois dela tefteFayfigne de bon-heurà la nvcierefefteDe Claudine& Chariot, à fin quedéformaisLe mariagefoit heureuxpour tout iamais.

Ameineauecquestoy la CypriennefainteD'vn demi-ceinttiffu deffusles hanchesceinte,Et fon enfantAmourtenantl'arc enfes mains,Pourfe cacheresyeux du Princedes Lorrains.

Cen'ejl pas vn Berger, quivulgaire ù" champejlreMeineaux gaiges d'autruy vn maigre troupeaupaiftre:Maisqui a centtroupeauxde vaches<ùrde boeufs,De boucs& de bélierspaiffanslesprez herbeusDe Meufe& de Mofelle,& la fertile plaineDe Bar, quife confineaux terres de Lorraine.

Il s'eleueenbeautéfur tous lespafloureauxCommevn brauetoreaufur lesmenustroupeaux,Ou commevn Pin gommeuxau refonnantfueillageTientfon chefpommelupar-deffusvn bocage.Qui plus ejl,fon mentonenfa ieunefaifonNefe fait que crefperd'vne blondetoifon.

Bergers,faites ombrageauxfontainesfacrées,Semeztous les cheminsdefleurettespourprées,Defpandezla Mufette,Ù1de branlesdiuers

Chantezà ce Chariotdeschanfonsù" desvers.

Qu'il te tarde beaucoupque Vefperne t'ameineLa nuicl où tu mettrasvnefin à ta peine!Soleil,hafte ton cours,accourcitonfeiour,Chariota plusbefoinde la nuiclque du iour.

L'amitié, la beauté, la grâce, & la ieuneffeApprejlerontton licl, Ù1par grande largejfeVnepluyed'oeilletsdeffusy faneront,Et d'ambrebien-fentantlesdrapsparfumeront:

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414 ECLOGVEIII.

Millegentils Amoursayantpetites ailesVolerontfur le H6i,commees branchesnouuellesDesarbresau Printempsreuolentles oifeaux,Quife vontefgayant derameaux enrameaux:lamaisvigne aux ormeauxfi fort nefait liéeCommeautour de toncol ta iev.nemariée

Qui d'vn baiferpermista boucheembafmera,Et d'vn autreplaifir ton coeurallumera.

C'eflvne primefleur encorestoute tendre:

Efpoux,garde toybienbrufquementde la prendre.Il lafaut laijfer croiftre,& nefaut fimplementQue tenter cejlenuiôile plaifirfeulement.Commetes ans croiftront,lesfiens prendrontcroijfance:Lorsd'elleà pleinfouhait tu aurasiouyjfance,Et trouuerasmeilleurmillefois le plaifir :Car l'attente d'vn bienaugmenteledefir.

Or lefoir efivenu, entrez en voftrecouche,Dormezbras contrebras, Ù"bouchecontrebouche:La concordeà iamaishabiteen voftrelit ;

Chagrin, diffenfion,ialoufie& defpitNevous troublentiamais, ains d'vn tel mariagePuijfenaiftrebientoftvn généreuxlignageMéfiédufang Lorrain<&dufang de Valois,QuiPartenopevn iour remettefousfes lois,Et puijfecouronnerfes royalesarméesSur le borddu lourdainde palmesIdumées.

A-tant fe teut Bellot, & Perrot tout gaillardEnflantfon chalumeau,luy refpondd'autre part.

Perrot.

O LucineIunon,qui aux nopcesprefides,Etde Paonscouplez,où il te plaift, tu guides

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ECLOGVEIII. 4If

Toncochecommeventfur terre isr dans lesdeux,Brauede Maiefté.commeRoynedes Dieux,AmenéPafithée& la Mufediurne

Quiprefideaux banquets,aux nopcesde Claudine.Commevuebellerofe ejl l'honneurdu iardin,Quiaux rais du Soleilefl efclofeau matin,Claudineefl tout l'honneurde toutes les Bergères,Et lespajfe d'autant qu'vn Chefnelesfougères:Nullene l'a gaignèea fçauoirfaçonnerVnchapeletdefleurspour fon chefcouronner:Nullenefçait mieux ioindreau lis la fraifche rofe,Nullemieuxfur la Gaze vn dejjeinne compofeDefil d'or & defoye, ù" nullenefçait mieux

Vaiguille démenerd'vn pouceingénieux.Commeparmicesbois volentdeux tourterelles

Que ie voytous les toursfe carejferdes ailes,Sebaiferl'vne l'autre, Ù"ne s'entre-ejlongner,Maisconfiantesdefoy toufiourss'accompagner,Qui de leur naturel iufqu'à la mortn'oublientLespremièresamoursqui doucementleslient :

Ainfipuijfes-tuviure en amoureuxrepousIufqu'à la mort, Claudine,auecqueton efpous.

le m'en-vayfur le borddesriues plusfecrettesCueillir enmonpanier vn monceaudefleurettes,A fin de lesfemerfur ton U5igénial,Et chanterà l'entour.cebeauChantnuptial.

D'vnefi bellefille eft heureufela mère,Tonpère eft bien-heureux,bien-heureuxefl ton frère,Maisplus heureuxcentfois & cent encorfera,Qui d'vn maflehéritier enceintetefera:Heureuxfera celuyqui aura toutepleineSa bouchede ton ris: & de ta doucehaleine,Etde tesdoux baifers, quipajfent en odeurDesprez les mieuxfleuris la plus fouauefleur :

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4l6 ECLOGVEIII.

Heureuxqui dansfes brasprejfera toutemie

ToyClaudineaux beauxyeux dufang des Dieux venue,Qiiihardi taftera tes tetins verdelets

Quifemblentdeux boutonsencorenouuelets:Et qui licenciéd'vne libertéfranche,Rebaiferatonfront, & ta bellemainblanche,Et qui dèmeflerafil a fil tes cheueux

Eollaftranttoutenuicl, & faifant milleieux:

Celuyfrira la nuit que centnuits dureencore,Ou bienquede cent ioursne s'efueillel'Aurore,Afin quepareffeuxlong tempspuiffecouuerSesamoursen ton litl, & point nefe leuer.

Mais lefoir efivenu, & Vefperla fourrièreDes ombres,a verfépar le cielfa lumière:Ilfaut s'aller coucher.Quoy>tu tremblesdu coeur

Ainfiqu'vnpetit Fan qui trembletout depeurQuandil a veu le loup, ou quandloin defa mèreIl s'effrayedu bruit d'vnefueille légère.Il nefera cruel: car vne cruautéNefçauroit demeurerauectelle beauté.Demainaprèsauoirfon amitiécognue,Tu voudraismille foisque la nuiclfujl venuePourretourner tenter les amoureuxcombas,Etpour te rendormirdans le pli defes bras.

Sus des-habilletoy, &"commevnepucelleQui de bienloinfa mèrea fonfecours appelle,N'appellepoint la tienne,£r vienpour te coucherPrès dufeu qui te doit tes larmesdefecher.

Celuypuiffeconterle nombredesarènes,Leseftoilesdesdeux Ù"les herbesdesplaines,Qui conterales ieux de vos combatsfi dous,Defquelspour vne nuitl vousneferez pas faouls.

Or fus esbatez-vousù" en toute lieffePrenezlespaffe-tempsdela bréueieunejfe

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ECLOGVEIII. 417

Qui bientofi s'enfuira, & au nombredesans

Qui vousfuiuent tousdeux égalezvosenfans.Tonventredéformaisfi fertile puijfe eftre,Qued'vnfang fi diuinpuijfe en breffaire naijlreDesfilles ù1 desfils : desfils quiporterontLesvertus de leur Père empreintesfur lefront,Et qui dés le berceaudonnerontcognoijfanceQued'vn Père très-fort auront pris leur naijfance:Lesfilles en beautezengrâce (y en douceurPar figues donnerontvn tefmoignagefeurDe la pudicitéde leur mèrediuine,Qui de nofiregrand Pan reçoitfon origine.

Ainfidifoit Perrot, qui retenantlefonDefon pipeaud'auoineacheuafa chanfon.Echoluy refpondoit: les bois qui rechanterentLebeauchant nuptial, iufqu'au ciel leportèrent.

Lors Michaus'efcriant s'aJJYitau milieud'eux,Puis diftenapprouuantla chanfonde tousdeux.

Michau.

Vofirefleute, garfons, à l'oreilleeftplus douce

Que le bruit d'vn ruijfeauqui iazefur la moujfe,Ou quela voix d'vn Cygne,oud'vn KoffignoletQui chanteau moisd'Auril par le boisnouuelet.De Manneà tout iamaisvosdeux bouchesfoient pleines,De rofesvos chapeaux,vosmainsde marjolaines:Iamaisen vosmaifonsnevousdéfaillerien,Puis que les chalumeauxvousentonnezfi bien.

Quechacunpar accords'entre-donnefon gage:Perrot, pren le panier, Ù1toyBellotla cage:

Retournez,mesenfans, conduirevos toreaux,Et viuez bien-heureuxentre les Pajloreaux.

Kmtsttril.—III. 37

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4l8 ECLOGVF.S.

CHANT PASTORAL,

à tres-illuftre & vertueufe Princeffe Madame

Marguerite de France Ducheffede Sauoye.

le ?nefafchois de la pompedes Rois,Et pour la Court ie viuoispar lesboisSeul h par-moyfauuage {? folitaire,Loindes Seigneurs,des RoisÙ" du vulgaire :

Plus meplaifoit vn Rockerbienpointu,VnAntrecreuxde mouffereueftu,Vnlongdeftourd'vnefeule valée,Vnviffourjond'vne ondereculée,Vnbelefmailqui bigarre lesfleurs,Voirvn beaupré tapiffêde couleurs,Ouir iazer vn ruiffeauqui murmure,Et m'endormirfur la ieuneverdure,

Qu'eftreà la Court, & mendierenvainVnfaux efpoirqui coulede la main.

Au moisde Mayque ïAube retournéeAuoit efclofevne belle'tournée,Et quelesvoix d'vn milliond'oifeauxCommeà l'enuydu murmuredes eaux,

Qui haut qui bas contaientleurs amourettesA la rouféeaux vents& auxfleurettes,Lorsque le ciel au Printempsfe fou-rit,Quand touteplante en ieuneffefleurit,Quand toutfent bon, Ù1quand la douce terreSesriches biensdefon ventre dejferreTouteioyeufeenfon enfantement.

Errant toutfeul toutfolitairement

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CHANTPASTORAL. 419

l'entre en vn pré, du pré en vn bocage,Et du bocageen vn defertfauuage,Où i'auifay vn PafieurquiportaitDeffusle dosvn habit qui ejioitDe la couleurdesplumesd'vne Grue:Sa panetièreàfon cojlépendueEftoit d'vn loup, if l'effroyablepeauD'vn ourspelu luyferuoit de chapeau.

Lorsappuyantvn piedfur fa houlette,

Defon bijfacaueindvue Mufette,Lamet enbouche,& fes léuresenfla,Puis coupfur coupen haletantfouflaEt refouflad'vneforte halenéePar lespoumonsreprife if redonnée,Ouurant lesyeux if drejfant lefourcy:Maisquandpar tout le ventrefut grofjyDe la Chéurette,if qu'ellefut egalleA la rondeurd'vne moyenneballe,A coupsde coudeen repouffela vois,Puis ça puis là faifantfaillir fes doitsSuslespertuis de la Mufettepleine,Commefaifi d'vne angoijfeufepeine,Palle if penftfauec le triftefortDefa Mufetteourdit telle chanfon.

Petits aigneauxquipaiffezfous magarde,Plus que deuant il vousfaut prendregardeDe voftrepeaupour la craintedes loups,Et de bonneheureaufoir retirez vous:Plus ne verrezfauter parmylespréesNyles Syluains,nyles Mufesfacrées:Tousnospaftisnefont plus habitezCommeilsfouloientdesfain&csDeitez.

Plus ne paiftrcz poliotny lauande,Ledur chardonfera vojlre viande:

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420 ECLOCVES.

Et fi verrez en toutes lesfaifonsLa ronceaigué efcardervos toifons.

Et toyHarpaut, qui tefoulais défendreContreles loups, maintenantfaut apprendreD'eftrehumble& doux, {y neplus abboyer:Il faut apprendreà-fléchir& ployer,Et te couchant(puisqu'il n'y a plus d'ordre)Flatter les loupsquandils te voudrontmordre.

Et toy Mufette,à qui prefquei'auoisPar fept conduitsdonnéla mefmevois

Qjt'àfon flageol auoit donnéTityre,Plus tu n'aurasceplaifir d'ouir dire,La belleNymphea fait casde tes chants,Carfa grandeurabandonnenoschamps.Plus ne voudracefteNymphediuineAfon grand Pan qui la Francedomine,Commeautresfois, tes chanfonscélébrer.Quetardes-tu? va-t'en te démembrerDepièceà pièce, Ù1fi tu peux, transformeToncorpsventeuxenfa premièreforme:

(Tufus iadisfur la riue d'vne eau,S'il menfouuient, de pueellevn rofeau: )Et là toufiours,quand tu feras attainteDequelquevent, nefonnequemaplainte.

Dedansle creuxd'vn rochertout couuertDebeauxLauriers, eftoitvn Antrevert,Où au milieufonnoitvnefontaineTout à l'entourde violettespleine.Là s'ejleuoientles oeilletsrougiflans,Et les beauxHzen blancheurfleuriffans,Et l'ancolieenfemencesenflée,La bellerofe auecla giroflée,La pâquerette& lepajfe-velours,Et ceftefleur qui a le nomd'Amours.

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CHANTPASTORAL. 421

Cejiefontaineen ruijfeauxfeparéeBaignoitlesfleurs d'vne courfeefgaréeS'entre-laflanten centmilletortis,Quenychéureaux,nyvaches,nybrebis

D'ergotsfourchusn'auoientiamaisfoullée,NylesPafleursdeleurs leuresfouillée.

Vniour d'Efté qu'encoresle Soleil

N'afes cheuauxdeuallezaufommeil,Et qu'il fe monjlreencorplus haut qu'vneaulneDedansle ciel tout bigarré de iaulne,Depers, de bleu: ie veyprès d'vn rocherVngrand troupeaude Nymphesapprocher,Toutesayansenleurs bellesmainsblanchesVnbeaucofintijju de ieunesbranches.

En ce-pendantquel'vnefe baignoit,L'autrefautoit, ù1 l'autrefe peignait,le veisvenir vne belleCharité,Queleshumainsappelaient Marguerite,DesimmortelsPafithéeauoit nom,Toutediuineenfaitls ù" enrenom.

Ellemarchantà trèflesdefcoifféesApparoiffoitla Princeffedes Fées:Vnbeaufurcot de lin bienreplié,Frangé, houpé,luypendait iufqu'aupiè:Etfes talonsquifoulaient la verdure,Deuxbeauxpatins auoientpour couuerture:VnCarquand'orfon col enuironnoit,Etflan beaufleinfans branlerfe tenoit

Prejfébienhaut d'vne boucleazurée,Tellequ'onvoit la belleCytherée.Ellecentfois d'vnfeul trait defes yeuxAuoitflechyleshommesù1 lesDieuxSansfe fléchir: car laflèchepoufleeDe l'arc d'Amourne l'auoit point bleffée,

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422 ECLOGVES.

Etfienne&•francheauoit toufiourseftèParmylesfleurs en toute liberté.

A peineauoit dans lesondesvoifinesLauéfes bras ù"fes ïambesmarbrines,Que toutfoudain (oufoit qu'il vinfl des cieux,Ou[oit qu'il fujl vn Faunede ces lieux)le veisvenir par eftrangeauentureVnDieucachéfous mortellefigure,Qui refembloitle pajieur DelienGardant les boeufsau bord Amphryfien.Ou le Troyen,dont l'ardente ieunejfeDonnala pommeà Venusla Déefje.Sesbeauxcheueuxfous vn ZephiremolEn petitsflots ondoyoientà floncol:Sesyeux, fon front, fon allure (y fon gejieEftoit pareil à celuyd'vn celefle:Commevn Pafleurportait dedansfa mainVnehouletteà petits doux d'airain,Oùfur le boutdejfusl'efcorcedureDe deux béliersfe monflroitla figureQuife choquaient,<&auprèsd'eux eftoitVnloupportrait qui les chiensaguettoit.

Si toft qu'il veit ceftebelleDryade,Blefféd'amouril en deuintmalade:Et commevnfeu qui aux efpicsfe prend,Et depetit aprèsfe fait plus grand,Puis tout à couptrouuant matièreprefteVientauxforefts, ù1 enflameleur tefte:

Ainfi l'amourtellementl'embrafa,QuecefteNymphea lafin il ofaRauir au dos, l'emportantenSauoyeCommevn Lyonle douxfuc d'vneproye.Tantfeulementl'en entendyla vois

Efuanouyeau milieude cesbois,

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CHANTPASTORAL. 42^

Quiparuenoità monoreilleà peine,Commela voix de quelqueNympheenpeine.

Or en voyantdans ceschampsl'autre iourVnpigeonblanc empiétéd'vn Autour,Qui l'emportaitpour luyferuir de proyeDeJJuslesmontsde la-hauteSauoye,le preuybienl'infortunefutur,Et l'engrauaydedansle tige durDececoudrier: encorl'efcorceverteDel'engraueureapparoijlentre-ouuerte:T adiouflantcesvers pleins defoucyQu'encorevn coupie vais redire icy:

A tondépart lesgentillesNaiades,Faunes,Syluains,Satyres{y Dryades,Pans, Deitezde cesAntresreclusSontdifparus, &"n'apparoijfentplus.

Loinde noschampsFlores'en efi allée,D'vn habitnoir Pomones'ejt voilée,Et Apollonqui fut iadis berger,Dedansnoschampsnedaigneplus loger,Et le troupeaudesneufMufescompaignesAinfi qu'enfriche ont laiffénosmontaignesPour le regret de leur dixièmeSoeur

Qui lespaffoit de chant& de douceur:

Brefde nos boistoutesDeitezfaintes,Cyprisla belle,& fes GrâcesdefceintesEn nouslaijfant pourfi piteux départLa larmeà l'oeil,habitentautre part.Plus les rochersnyles AntresrufliquesNeferont pleinsdefureurs Poétiques:Echofe taift, Ù"neveut plusparler,Tant a regret de te voir en-aller.

Las! maintenanten ta fafcheufeabfenceLe champingrat tromperalafemence

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424 ECLOGVES.

Sedémentant,(y en lieude moiffonsNe produiraque roncesisr buijfons:Si que ie crainsque malheurne vousvienne,Qu'enautrefleur vn Aiax tiedeuienne,Et que Narciffeencor'neJoit mué,Et d'ApollonHyacinthetué,Et qu'enSoulfyne iauniffeClytie,Et quela peaudu SatyreMarfyeNefaigne tant, quedu dosefcorchéNefe refacevn grand fleuue efpanché,Puis que Manto& la NympheEgerieN'ontplus lefoin de noftrebergerie.

O demy-Dieux,ô gracieux efpritsQui depitié le coeurauez efpris,O monts,o bois,oforefts cheuelu'és,O rougesfleurs, iaunes,pâlies & blues,O terre, ô ciel, ôfontaines (? vens,Faunes,Syluains,Ù1Satyres, i? Pans,Et toyClion, quifus iadisma Mufe,Entremesmainscajfeta Cornemufe,Puis qu'aujjt bienfans faueur Ù"fans losPendroiten vain vne charge à mondos.

PafteursFrançois,n'enflezplus les Mufettes,Pourfon départ ellesferont muettes:Dedansle ciel leur chantefuanouy,Commeil foulait, nefera plus ouy:Si m'encroyez,allonsen Arcaàie,Etfiechiffonsde noftremélodieRoches<ùrbois,tygres, lyonsù1 loups,Puis que la Francecft ingrate vers nous:Puis quela Nympheen quifut l'efperanceDes bonsfonneurs, s'efcarte loin de France,Allonsnous-en,fans demourericyPoury languir en peine& enfoucy.

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CHANTPASTORAL. 42^

Quifera plus d'vn annuelofficeParmyles boisaux Mufesfacrifice>

Quiplus defleurs les ruijfeauxfemera>

Quiplus le nomde Paies nommera

Parmyleschamps>iy qui plus aura cureDenos troupeauxù1 de nojlrepafture>

Quiplus à Pan daigneraprefenterLesPafloureauxpour lesfaire chanter}

Qui de leurflûte appaiferalesnoifes>

Qui iugera deleurs chanfonsFrançoifes>

Qui donnerale prix aux mieuxdifans,Etfauuera leurs vers desmefdifans>

Adieutroupeauquiprès moyfouloisviure,Adieu Vandome,adieu, ie la veuxfuturePar lesrochers,les antres <Lrles bois,Sauoifienen lieude Vandomois.

Dansle pays oùla belleAtalanteMettra lespieds, toujioursdejfousfa plante,Fuji-ceenhyuer, lesrofess'efclouront,Et de laitJ doux lesfontaines courront,Les chefnescreuxparlerontles oracles,Plus que iamaisonvoirra de miracles.Car les rochersnoflrelangue apprendront,Et lespinçonsroffîgnolsdeuiendront:Tousles Pafleursau retour de l'année

Luydedi'ront vnefefle ordonnée,Ferontdes voeuz.& donnerontleprisA quifera de chantermieuxappris :Si qu'à iamaiscommevne colombellePar les Pafleursvolera toute belleDeboucheen bouche,& par mille beauxversSonnomcroiflra dedansles arbresverds,Qui garderont dans l'efcorceentaméeA tout iamaisfa viue renommée,

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426 F.CLOGVES.

Pour deuenirplus vieillequelqueiour

Queces rochersplantez tout à l'entour.Tant qu'onvoirrafur les Alpeschenues

Ou s'appuyerou dégoûter lesnues.-Tant qu'enhyueronvoirra les torransAuecgrand bruit encontre-valcourans:Tant que les cerfsaimerontles bocages,L'air les oifeaux,lespoiffbnsles riuages :Tant que monfang moncorps animera,Tant quema mainmaMufetteaimera,Toujïourspar tout fans repos<ùrfans ceffele chanterayceftebelleDéejfeLa MARGVÉRITÉ,honneurde nojtretemps,Dont la vertu fleurift commevn Printemps.

Et toy ChanfonJi rudementfonnée,Demeureicy oùie t'ayfaçonnéeDedansce bois,au pied de cerocher:Il nefaut plus de la Court approcher,Oùfans appuy tu rougiroisde honte,Et de ta voixonferait peu de conte.

Or fus paiffezpaijfezpauuresbrebis,Allezpar l'herbe, empliffez-vousle Pis,BroutezbroutezceftedouceverdurePour emporteraux aigneauxnourriture,Qui en beflantdans le toitl ont defirDevousfucer le laiâi tout à loifir.Et quoytroupeau! tu es infatiable,La nuit! arriue, il faut gaigner l'ejlable:

Voicyles loupsqui ont accoujluméDebrigander quand le iour eft fermé,Usfont le guet, & plus de rien n'ont crainte,Car la bontépar leschampseft eftainte.

A tant le iourpeu à peu s'embrunit,Et le Pafteur commele iourfinit

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ECLOGVE1111. 427

Sonchantrural .•dépenditfa Mufette,Dedansfa mainempoignafa houlette,Chaffantdeuant le troupeletmenu

Harpautfon chien& fon bélier cornu.

ECLOGVE IIII.

ov

DV-THIER.

LES PASTEVRS.

Bellot, Perrot, Bellin.

DefortuneBellot Ù1Perrot deffousl'ombreD'vn vieil chefnetouffuauoientferré par nombre,L'vn à part fes brebis,ù1l'autrefes chêureaux.Et tousdeuxfur la lèureauoientles chalumeaux:L'vnÙ" l'autre tenoitfon efchineappuyéeSur l'efcorced'vn chefne,Ù" la iambepliéeEn croixfur la houlette,Ù1leur maftineftoitCouchéprès de leurspieds, qui les loups aguettoit.

Ce-pendantqueBellot chantaitfa Dianette,Et quePerrotfaifoit apprendreàfa MufetteLefaint nomde Chariot, & d'Annot, que lesbois,Lesfleuues£y les montsont ouytant defoisRedireà fon flageol, que cesDieuxle cognoijfentMieuxquelesgras troupeauxle Thimdont ilsfe paiffent:

Voicyvenir Bellin,quifeul auoit erréToutvn tour à chercherfon bélieradiré,Qu'à peine il ramenait,ayant liéfa corneA vn lajfet coulantd'vn tortis de viorne.

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428 ECLOGVEMil.

Or ceBellineftoitde chanterbonouurier,D'habits& de façonsrefembloitvn chéurier,il auoit enla mainvue houlettedure:Sa Mufettependaitau long defa ceinture,Demoellede ioncilportoit vn chapeau,Enlieu d'vnpaletocfe veftoitd'vnepeauD'vn chéureaumarquetéde couleurnoire& blanche,Qu'vneboucled'airain luyferrait fur la hanche:D'vn chèureulauortévn baudrier il auoit :Sonmaftinà gros poil pas à pas lefuiuoit,Oui abayoitfon ombre,i? mordoità la fejfeLe bélierqui traînerpar la cornefe laiJJ'e.

Si toftque ie le vy,fi toft ie le cognu,Et luycriayde loin: Tufois le bien-venu,Couchetoyprès de nous, oufi lemolombrageDu chefnete defplaift,voy ceftAntrefauuage,Aufond de cevallonnous ironsfi tu veux,Et là tu chanterasle tiers auecnousdeux.

Au boutde l'Antreformevne viuefontaine,Sesbordsfont pleins de moujje,<ùrlefond d'vnearèneQue l'ondeenfautelant fait iallir ça <ùrlà,Et dit-on qu'autrefoislafontaineparla.

Vnevignefauuage efl rampantfur la porte,Qui enfe recourbantfur le ventrefe porteD'vne longuetraînée, & du haut iufqu'àbas

D'infertilesraifins laiffependrefes bras.Lesfiegesfont de tuf, Ù" autourde lapierre

Commevnpajfementverd court vnfep de lierre.L'Antren'eftguiere loin, tu le verras d'ici

Si tu veuxt'ergottér, oute tenir ainfiDeboutcommeiefuis, ou grimper à cefinie,Ou biend'vnfault léger monterfur monefpaule.

Maisnebougeond'icy, ceftombrageeflbienfrais,Et bienfrais eft le vent quivient de cesforés:

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ECLOGVE1111. 429

Biendoux ejt ce ruijfeau, biendoucescesBergèresQui defgoifentleur chant auprèsde cesfougères.Tonbélierles oit bien, qui nefait qu'efcouter,Et depuisleur chanfonn'a pas daignébrouter.

Bellin.

Nebougeon,monPerrot, l'ombredu chefneejt bonne:

Icyparmylesprez la belleherbefleuronne,Icy lespapillonspeintsde millecouleurs,Et les moufchesà mielvolletentfur lesfleurs :

Icyfur lesormeauxfe plaint la tourterelle,

Icy le colombeaubaifela colombelle,Philomelefe deult, ér d'vn gentil babil

Progné d'vne autrepart lamentefon Ityl.Devousdeux vne Eclogueà l'enuyfoit iouée:

Perrot, les Loupsm'ontveu, mavoix ejl enrouée,le nefçaurois chanter,& quand ie le voudrois

(le iure par ton bouc)encorie nepourrois:Car onm'a defrobéà ceftematinéeL'anchede monbourdonque tu m'auoisdonnée,

l'ay bienveu lelarron qui s'enfuyaitde moy,Et tant plus à Thenotie le monjlroisau doy,Plus il gaignoit lebois, Ù1fe cachoitderrière

(Afin qu'onne le vift) d'vneefpeJJ'eronciere.

Perrot.

Cen'eflpas d'auiourd'huyqu'onvoit force larronsEntrelesPaftoureaux; par tousles enuironsDe cesprochainstaillis onnevoit autre chofe:C'eftpourquoymonmajiintoute nui6inerepofe,

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430 ECLOGVEIIII.

Et nefait qu'abayer,Bellotencoreshier,Commeil dormoitfeuletfous l'ombred'vn coudrier,Perdit fa chalemie,& fon pipeau d'auaine,Quivalaient biend'achatquatre toifonsde laine.

Depuisie vy Thoumin,qui dans le carrefourOù tu vois cejl ormeau,enfloittout à l'entourLesveinesdefon col, pour vouloircontrefaireBellot:mais lepipeau ne le voulait fas faire,Ains d'vnfon miferableirritoit par les champsLesGeais i? lesPiuers à refpondreàfes chants.

Et moy,i'ay bienperduma Louretoute entière,QuePernetdefrobadedansmapanetière,le haflaymonmaftinaprès le larronneau,Quifi près lefuiuit, qu'il le prift au manteau:Il fe fauua pourtant, & de la Louremienne

Toufioursfonnedepuis, & iure qu'elleejifienne.lanotfçait bienque non: car il mela bailla,Et de nuiôî ir de iour curieuxtrauaillaPour m'enfaire iouer, contrefaifantla MufeQui chantales Bergerses boisde Syracufe.

Ne laiffepour cela, monBellot, dechanter:Lesboisnefont pas fourds, ils pourront t'efcouter.Echonnousrefpondra, iy nousferons égalesNos ruftiqueschanfonsà la voix des Cygales.Chantonl'vn aprèsl'autre, Ù"en cefiefaçonQuePhoebusaimetant, difonsvue chanfon.

Bellot.

Mesvers au nomde Pan il faut commencer,Mufes:Pan efl Dieudes Pafleurs,il a demoyfouci,Il daignebiendanfer dejfousmescornemufes,Il afoin de la FranceÙ1de mesvers auffi.

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ECLOGVEIIII. 43I

Perrot.

Aufaincl nomdePaies il faut que ie commence:Paiesainfi que Pan aimeles Paftoureaux,Aubruit demonflageolbienfouuent elledanfe,Ellea foin de mesvers, & de tousmestoreaux.

Bellot.

Diane,qui les cerfs vafuiuant à la trace,A qui tout le beaufront en Croiffantapparoift,Necognoijlpas fi bienen courantà la chaffeLa meutedefes chiens,commeellemecognoijl.

Perrot.

Plioebusle cheuelu,Dieu quiprefideà Cynthe,M'aimeplus quefon Luth: iefais fa volonté,Toufioursfes donsie porte, aufein fon Hyacinthe,SonLaurierfur lefront, fa trouffeà moncofiè.

Bellot.

Deuxpetits ramereauxie porte à monOliue,Dénichezd'vn grand ormeà grauir mal-aifê,Afinde la baifers'elleveut que ieviue:Autrementie mourrayfi ie n'eftoisbaifé.

Perrot.

le portay l'autre iottr deux tourtresà CaJJandre,Et monprefent& moybeaucoupelleprifa :Defa blanchettemainl'oreillemevint prendreEt plus de mille-foisdoucementmebaifa.

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4}2 ECLOGVEIIII.

Bellot.

// nefaut comparermaBergère à la tienne,Nonplus qu'vnefleur viue à desboutonsfaniz:La tienneejl toutebrune, (? tufçais que la mienne(Tu la vis l'autre iour) ejlplus blancheque Hz.

Perrot.

Lacouleurblanchetombe,ù" la couleurbrunette

Ejl toufioursenfaifon, Ù1nefe fleflrit pas:On cueultdu Bacietla fleur toutenoirette,LeHz qui ejl tout blanc,bienfouuent tombeà bas.

Bellot.

le ne veuxplus aller oùma Nymphefeiourne,l'y pers toufioursmoncoeurefgarêqui lafuit,Commevn boucadiré qui lefoir ne retourneA refiable& d'amours'efgare toutenuit.

Perrot.

le n'ofevoir la mienne,ellem'afait maladePlus de trois iours entiersen extrêmelangueur:le nefçay quelsamoursfortoient defon oeillade,Qui de centmilletraits mepercèrentle coeur.

Bellot.

Monmaflin,garde biende mordremamignonneSi ellevientmevoir, ains baife luy lespieds:Maisabayede loin,fi de quelqueperfonneAumilieude nosjeux nousefiionsefpiez.

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ECLOGVEIIII. 433

Perrot.

Yaimebienmonmaflin,par luy ie vy m'amieL'autre tour que le chautmefaifoit fommeiller:Elleiettoit desfleursfur ma boucheendormie,Monmaflinabayoità fin de m'efueiller.

Bellot.

Que toufioursAuanfonmaugrêïâge fleurijfe:Car il aimeles vers, Ù1tous ceuxqui lesfont,le pais àfon honneurvue belleGenijfe,Qui de blanchecouleurporte vne efloileaufront.

Perrot.

MonDu-thier dans le Cielpuijfeprendrefa place,Il aimeceuxquivont les Mufespourfuiuant:le luypais vn Toreauqui les PafleursmenaceDe la corne,(? dupied pouffel'arène au vent.

Bellot.

QuiconqueaimeAuanfon,par fes champstouteschofesLuypuiffent àfouhait venir detoutespars :

Quelquepart qu'il ira, les oeillets& lesrofes,Et fuft-ce aux ioursd'hyuer, luy naiffentflouslespas.

Perrot.

Quiconqueaime Du-thier, qu'il flechijfeles marbres,Qu'enparlant le douxmiel luycoulede la vois,Le Regelicefoit racine defes arbres,Deflucrefes rochers,de canellefes bois.

Ronsard.—III. 28

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434 ECLOGVEun.

Bellot.

S'il eft vray que ie chanteaujji bienqu'esmontaignesChantentau moisde Mayles douxRojjignolets,

Nymphesie vousfuppli', paijfezpar cescampaignesD'herbettes<ùfdefleurs mespetits aignelets.

Perrot.

S'il eftvray que ie chanteaujji bienque Tityre,Et que du premierrang toufioursvousm'auezmis,

Nymphesie vousfuppli', que montroupeaun'empire,Paiftez-lede bonneherbe,& luyenflezle Pis.

Bellot.

De laitl puijfent coulerles ondesde monLoire,Sesbordsfoientpour iamaisd'hyacinthesfemez,Et de cesbellesfleurs quigardent la mémoireEt le beaunomdesRoisen ellestransformez.

Perrot.

MonLoir coulede miel,fon arènefait pleineDeperles <ùfrubis, & fa riue d'efmail,Sescouftauxde raijïns, & defromentfa plaine,Demannefes forefts, ù'fes prez de beftail.

Bellot.

Maisd'où vient que monbouc,quifautoit fi alaigre,Qui gaillard dans cesprez cojfoitcontremesboeufs,Depuisqu'il vit ta chéure,eft deuenufi maigre>

le nefçay qu'il aurait, s'il n'eftoitamoureux.

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ECLOGVEIIII. 43f-

Perrot.

La chêureque tu dis,fur vne pierre dureAuortal'autre iour, depuiselle nepaifiNyfaule nefouteau, c'efîvn mauuaisaugure:

Bellot,fi tu lefçais, dy le moys'il te plaift.

Bellot.

le cognoisdes Pafteurs, qui nosboeufsensorcellentDe regards enchantez:puiffent ils arriuer

Auecquesleur troupeauquandlesfleurs renouuellent,Au PrintempsenAfrique, enla Thracel'Hiuer.

Perrot.

Dece taillisprochaindeuxvieillesfont forties,Qui m'ont enforcellêmonpauure toreaublanc:

Puiffentellesdormirau milieudes orties,Apresauoir gratté leurs corps iufquesau fang.

Bellot.

Si i'auoismonOliue, ù" les barbesdesléuresDe mesboucseftoientd'or, Ù"fi tant d'or i'auois

Quedepoil fe heriffeen la peau de meschéures,le ne voudroispas eflrevn Faunede cesbois.

Perrot.

Simesbrebisportaient vnetoifondorée,Si i'auoisma Caffandre,ù" mesbéliers cornusAuoientlesergots d'or, au coeurde ceftepréele bajliroisvn Templeà la belleVenus.

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4^6 ECLOGVEIIII.

Bellot.

la la chaleurfe pajfe, <ùrle Soleils'abaijfe,Lesventsfont abaijfez,les boisdormentfans bruit:Mais laflamed'amourqui iamaisnemelaijfe,Plus s'allumeen moncoeur,plus s'approchela nuicl.

Perrot.

La nui6inourrit le mienqueie nepuis efteindre,Aualler toute l'eau de la mermefaudroit :Maispour boirela meril neferait pas moindre,Plus ie l'arrouferois& plus il reuiendroit.

Bellot.

Defurdeux chefneteauxhier a touteforceAuanfonie grauay auecquesvn poinçon:Lesdeux chefnescroiftront,<ùrla nouuelleefcorcePortera iufqu'auCiel le nomde d'Auanfon.

Perrot.

A la DêejfeEchonquipar lesboisrefonnel'apprensle nomDu-thierfi fouuent ir fi bien,Queparmylesforejls cejleNymphenefonneNyentre les rochers,autre nomque lefien.

Bellot.

Houmaflin! va chajfermonboucque ie voypendreSur le haut de ceroc, ilpourroit trébucher:

Fay-leicy venirpaiftre, où l'herbeeft la plus tendre.Si ie prensmahoulette!il fe fait bienchercher.

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ECLOGVEIIII. 437

Perrot.

Prèsdes mèrespaijfez, paijfezparmy l'herbettePetit troupeaud'aigneaux, pour la craintedesloups:

Toufioursdeuersle foir la beftevousaguette,Nevousejlongnezpas, elle courrafur vous.

Bellot.

Dymoyquelleherbefait leshommesinuifiblesMifedefur la langue, à fin de l'efprouuer,Dequi lannefaifoit des chofesimpojfibles:Tu meferas vn Dieu, fi tu la peux trouuer.

Perrot.

Maisdeuinetoy-mefme,<ùftu feras ProphèteLeplus grand desPafteurs,de quelleherbeeft changéLe coeurd'vnepucelle,<ùrde cruelleeftfaitePlus douceàfon amy,quandelle ena mangê>

Bellin.

// nefaut point entrer enfi longuedifpute.MonBellotmonamy,prens de moycefteFlûte:

Fredel,cebonouurier,de Buisla façonna,Etpar quatrepertuis le vent il luydonna.

Toy, Perrot, prens aujficeftebelleChéurette:Sonventreeftfait de Cerf,fon anchede Coudrette,Sonbourdonde Prunier: jamaisneperd le vent:Car elle eftbien ciréeÙ"derrière& deuant.

Perrotprift la Chéurette,(y feul par lesvalèesEt les bordsplus fecrets des riues reculées

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4^8 ECLOGVEV.

AlloitformantDu-thier: Du-thierfonnoitfa vois,Et Du-thier refpondoientlesantres i? lesbois.Il lefonnoit aufoir quandle Soleilfe couche,Lefonnoit au matinquandil fort defa couche,Lefonnoit à midyalors que les troupeauxRemafchentleur viandeà l'ombredesormeaux.Car il aimoitDu-thier, autant que lesAuettesAimentau moisd'Auril les odeursdesfleurettes,Lesbrebisla rofêe: Ù*dés cefleheure-làPerrot laijfa les bois, & aux Rois s'en-alla.

ECLOGVE V.

LES PASTEVRS.

Carlin, Xandrin, Lanfac.

Deuxfrères Pajloureaux, qui auoientpris naiffanceDePan qui commandaitnagueresà la France,Tousdeux d'âgepareils, fe rencontrantvn iour

Apprindrentauxforefls à parler de l'amour:Tousdeuxauoientappris d'enflerles cornemufes,L'vn dejfous Ainyotle grand amydesMufes,Et l'autre dejfousSelue,à qui PhebusdonnaSaLyre& fort Laurierquand il le couronna.

Tousdeuxeftoientfçavans, bienappris a femondre,Bienappris à chanter,bienappris à refpondre:Tousdeuxapparoijfoientmiraclede leur temps,Faifansnaiftredesfleursplujiofl queleur printemps.

CommeCarlinvn iour retournaitde la chaffe(L'vn auoitnomCarlin, l'autre Xandrin) il paffeAuprèsd'vnefontaine, oùfon frère Xandrin

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ECLOCVEV. 439

Paiffbitfes gras aigneauxdeverd trèfleÙ1de thim:

AuJJitqft que Carlin l'apperceut, il s'efcrie.

Carlin.

Xandringentil Pafteur, chantonie tefupplie:Tousles Bergersd'icy ontejliméde toyQue tu esplusfçauant à bienchanterquemoy:le vienspour t'ejfayer,& tefaire cognoijlreQu'en l'art de bienchanterie ne trouuemonmaiftre.

Xandrin.

Carlin gentil Berger, iefuis preft dechanter:Maisauant le combatil nefaut fe vanter,

Approche,mevoicy: ie teferay cognoijlreQu'en l'art de bienchanterie ne trouuemonmaifire.Maisqueveux-tugager >

Carlin.

Toutce quetu voudras:le gage deux aigneaux, gage deux chéureauxgras.

Xandrin.

En lieude tes aigneauxie veux mettrevnetaffeQui quatrefois le prix de tongagefurpajfe,Nouuellementtournée: encoresellefentLa cire &•le burin: vnevigne défientToutà l'entourdesbords, qui de raifins chargéeEft de quatre oude cinqpucellesvendangée,L'vnetient vnpanier, l'autre tient vn couteau,Et l'autre defes pieds prejfele vin nouueau

Quifembles'efcoulerenfa voûteprofonde.A l'ombrede la vigne eftvne Nympheblonde

A cheueuxdéliez, quife couureleflanc

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440 ECLOGVEV.

Et le corpsfeulementd'vn petit linge blanc:DeuxSatyrescornusfont auprès de la belle,Qui ont lesyeux enflezde trop veillerpour elle,Bleffezdefon amour: maispeufe challant d'eux, •

Quelquefoisdefur l'vn, quelquefoisfur lesdeux

Mignardefon regard, Ù*fe prend à fou-rireLeurdonnantle martel, <ùrne s'enfait que rire.

VnPefcheureft ajfis au borddu Gobelet,Qui courbéfait femblantde ietter vnfiletDans la merpour pefcher,puis de toutefa forceEt de mains<ùrde nerfs & de veiness'efforceDe le tirer fur l'eau: fes mufclesgrands <ùrgrosS'enflentdepuisfon chefiufqu'aubas defon dos :Tout lefront luydégoutte,& bienqu'ilfoit vieil homme,Le labeur toutefoisfes membresne confomme:Sonret eft deffbusl'eau, & diriezà le voir

Qu'en tirant il ahanne,Ù1ne lepeut r'auoir.Ma léureau Gobeletn'a touchépoury boire:Tu l'auras toutefoisfi tu as la viSloire.

Carlin.

le gage vne Mufetteau lieu de ton vaijfeau,Quime coufteen argent la valeur d'vn Toreau,Qued'vn ligneul ciré au genouil i'ayfait coudre:Sonventreeftpeaude Cerf,fes anchesfont deCoudre,Sonbourdoneftde Buis,fon pipeau de Prunier.

C'eft vn chef-d'oeuuregrand! Seluince bonouurierEn cesboisl'autre iourmela venditbien chère:le la voulaisdonnera Margot la Bergère,Margot quipar lesboisgarde icycommenousLes troupeauxde Catin, Ù1fait la guerre aux Loups.

Ou bienfi tu neveux, ie metsmapanetière:D'vn auortonde Bicheeft la peau toute entière:

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ECLOGVEV. 44I

Et te diray commenti'ay receucebon-heur

Quede l'auoir pour mienne(y à'en ejirefeigneur.L'autre tour engardant mesboeufsence bocage,

le vyqu'vn Loupfuiuoit vue Bichefauuage,Et la prejfoitfi fort que défia la tenait,Et d'haleineisr de poulsmoindreelle deuenoit:Ellebattait desflancs,fa langue ejioit tirée,Commeeftantja du Loupla proyedefirée:

Quanden prenantmonarc te le bandayfoudain,le le courbeen Croiffantde la feneftremain,le l'eflongnedufront, puis commebienadextre,De l'autre ie l'approcheà la mammelledextre:L'arcfoudainfe desbande,& le trait fait vnfin,Qui pajfant vijîementde buiffonenbuiffon,Siflant<ùrfendant l'air, entamad'auentureLa bichefous le coeurde mortelleouuertureVnpeu dejfousl'efpaule: elletombeà genoux,Et le Loups'enfuitfremijfantde courroux.

l'approche& la découpe,(sr commeie m'arrefteAvouloirdécerclerles tripes de la befte,le vy tremblervn Fan, lequelmefemblabeau,De tachesmarqueté: t'en efcorchayla peau,l'enfis mapanetière, oùquatreou cinq cachettesSe trouuentlà dedanscommebelleschambrettes,L'vneà mettrelepain, l'autre à mettre desnois,L'autreà mettrela fonde& monvaijjeaude bois.Or tienne ellefera, fi Pan tefauorife,Eftantvictorieuxdefi belleentreprife.

Xandrin.

Quifera nofireiuge, & voudrafans faueurDonnerau mieux-difantla vitloire & l'honneur?

Appellonce Pafteurqui eft dobleen Mufique,Qui de tels différentsentendbienla pratique :

28.

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442 ECLOCVEV.

C'efl celuyquemonchienabbaye:vois-tupasCommegaillard il vientdeuersnousle grand pas>

A voirfa panetière& fa grife iaquette,Sonchapeaufait de ionc,fa fondeiy fa houlette,C'efl le Pafteur Lanfac,des Mufeslefoucy,Dont le renoms'honoreen autrepart qu'icy:LeTybrcl'a cognu, (y leseauxargentinesDe la Toiturequi court touteblanchede Cygnes.

Carlin.

luge-nousfans faueur, donneà celuyleprixQuifera de nousdeux à chantermieuxappris :

Noflrecombatne vientpour noifeny querelle,C'eflpourvoir qui aura Maiflrejfela plus belle.« Tousdeux neflommesqu'vn :bienfouuent l'amitié«Par vn ioyeuxcombatrenforcede moitié.

Lanfac.

Or-Jus afflfez-vous,icyl'herbeeflfleurie,Icy la vigne tendreaux ormeauxfe marie,Icyl'ombrageeflfrais, icynaiffentlesfleurs,Icy le RoJJtgnolrechantefes douleurs,

Icyl'ondemurmure,iy legentil ZephireAutrauers de ceboispar lesfueillesfoufpire.Carlin, chantepremier, iy toyXandrinaprèsFais en luy refpondantretentir cesforefts.

Carlin.

Du puijfantlupiter lesPrinces ont leur eflre,LesRoisau tempspafféefloientdes Pafloureaux:

Apolloniy Mercureautrefoisont fait paiftre(Fils de Dieuxcommenous)icy basles troupeaux.

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ECLOGVEV. 443

Xandrin.

PanprefideauxPafteurs, du ciel il meregarde,Il entendmaprière, il efcoutemeschants:Sur la FranceÙ1fur moyde bonoeilil prendgarde,Il nourriftmestroupeaux<ùraugmentemeschamps.

Carlin.

Depuisle mortelcoup,qui (tout le coeurmeferreLàs! quand il m'enfouuient,d'angoiffesér de pleurs)EnuoyaPan au ciel, la plus fertille terreN'a produit que chardonsen lieude bellesfleurs.

Xandrin.

En lieude bonFromenteftforty la Nielle,Chardonspour Artichaux, Chenardepour Safran:Toutechoseeft changée,Ù1la RofenouuelleEt les Lisfontfleftris aux plus beauxioursde l'an.

Carlin.

Quevousejiesheureuxd'auoirpris accroijfance,

Chefnesquifaites ombreà cesboisd'icyprés!Lespetits buijfonnetsn'ontforce nypuijfance:le voudraiseftregrand commecesgrands forefts.

Xandrin.

L'âgenefert de rien, pourueuque le courageSoitgrand <&généreux: cesbuijfonsque tu vois

Quinefont auiourd'huyfinon vn peu d'ombrage,Deuiendrontquelquefoisauffihautsque cesbois.

Page 451: Ronsard, Oevvres

444 ECLOGVEV.

Carlin.

Paiffezdoucesbrebis,paiffezen cefleplaineBonneherbe,& toymonchiengarde bienmontroupeau.Çniandi'auray le loifir, toutesenlafontainele vous iray lauerpour vousblanchirla peau.

Xandrin.

Boucqui frappes du pied, Ù1de la cornepouffesLefront de meschéureaux,fois déformaisplus doux:Il nefaut irriter meschêuresquifont douces,Autrementtu ferais la pafturedes Loups.

Carlin.

Ne reuiendraiamaisceftefaifon doréeOù lesPafteursChariotspar leschampsfleurijfoient>

Quandla terre portoitfans eftrelabouréeLesbledsqui de leur gré par leschampsiauniffoient>

Xandrin.

Entre leshommesvifs toufioursvit l'efperance,Pren courageCarlin, cebontempsreuiendra:Les eauxcourrontde laiSi, le mielprendra naiffanceDes Chefnes,& l'Hyuer le Printempsdeuiendra.

Carlin.

Fleuues,enfansde VAir, (y vousfleurs bien-aimées,Si chantantvoshonneursquelquehonneurie reçoy,Paiffezà monfouhait mesbrebisaffamées,Et fi Xandriny vient,faites luy commeà moy.

Page 452: Ronsard, Oevvres

ECLOGVEv. 445-

Xandrin.

Herbesqui fleurijfez, doucesplantesfacrées,Si aufon de mesvers ie vousvais esbatant

Paijfezà monfouliait mesaigneaux par cesprées,Et fi Carliny vient qu'il enreçoiueautant.

Carlin.

Nymphes,moncherfoucy, permettezque iefaceDesvers tels que Franchicegrand Pafteurdiuin:Ou biens'il nevousplaift mefaire cejlegrâce,Envoeuie luypendray monflageol à ce Pin.

Xandrin.

Bergers, d'vn verd Laurierfaites vne couronnePourhonorermonchef: carfi le CielialousDe l'honneurdes Pafieursbeaucoupd'âge medonne,

l'efpere quelquetour ejlremaifirede vous.

Carlin.

De monflageol vn iour puijfé-ietant apprendre,Que ie chanteà l'enuyleshonneursde Catin

Qui doucem'a nourry, commevnemèretendreSonenfant leplus chernourrijldefon tetin.

Xandrin.

Ainfique toy ie veux chanterleshonneursd'elle,

l'efperedefa maindesLaurierstriomphons:Douceellem'a nourry, commeautrefoisCybelleSur les montsIdeansnourrijfoitfes enfans.

Page 453: Ronsard, Oevvres

44<5 ECLOGVEV.

Carlin.

le veuxde gazonsverds,pour mieuxluyfaire hommage,

Luydrejfervn Autel couuertde Poliot,Où de Cormiertaillé ie mettrayfon image,Celledes deuxFranchis,cellede Henriot.

Xandrin.

le veux chanterdeuxversfur montuyaud'auéne:

Levent lesportera le longde cespajîis :

Catin temporifant fouffrit beaucoup de peinePourgarder nos troupeaux quand nous eftions petits.

Carlin.

Quenetiens-ie en mesbras la doucePaftourelleQjù le coeurm'a rauy d'vn regard gracieux>

Qui de corpsÙ"de taille <ùrde face eftfi belle,Queiefuis trop heureuxde languirpour fes yeux>

Xandrin.

le nevoudroisauoir les troupeauxd'Arcadie,

Ny des plus richesRoisles treforsplantureux:

Si i'auoisfeulementvn baifer de m'amie

Deffouscesverds coudriers,ieferais trop heureux.

Carlin.

Si tofi quedansceschampsarriue Galatée,Lesherbes(? lesfleurs naiffentpar tout icy;Maisfi tofi qu'autrepart fa veueeftefcartêePours'en-aller de moy,lesfleurs s'en-vontaujji.

Page 454: Ronsard, Oevvres

ECLOGVEv. 447

Xandrin.

Si toft que dans ceschampsarriue Pafithêe,Par tout où elleva le beauPrintempsla fuit :Maisfi toft qu'autrepart fa veiïéeft efcartéePours'enfuir de moy,le beauPrintempss'enfuit.

Carlin.

le garde a Galatêevn bel ejfeind'abeilles,Quibruyantdoucementla belleendormiront:le luygarde vn Chêureauqui défiafait merueillesDebondirdefur l'herbe,& de cofferdufront.

Xandrin.

le garde à Pafithêevne Linoteen cage,Qjiei'ay prife à la glus, (y fi bienl'autre iourle luyfis oublieren vnfoirfon ramage,Quemaintenantfon chant n'eftfinon que d'amour.

Carlin.

Bouc,le marybarbude montroupeauchampeftre,Vadire à Galatéeà fin de l'enfiamer,Que le diuin Protée afouuentmenépaiftreDu grand PrinceNeptunlestroupeauxfous la mer.

Xandrin.

Bélier,fidèleguide à mesbrebisfertiles,Vadire à Pafithêe(elle chanteicyprès)Q_uePallas toutefeule aillehabiter lesvilles,le veuxauecquePanhabiter lesforefts.

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44§ ECLOGVîV.

Carlin.

C'efivnechofetrijîe au boisque lafroidure,Aux Merlesl'Efpreuier, aux Riuieresl'Efté,Au PafteuramoureuxvneMaiftrejfedure

Quigarde aprèsla mort à Plutonfa beauté.

Xandrin.

Seul ie nefensd'Amourlesflèchestrop cruelles:O père lupiter, ô Déeffes& Dieux,Vousaueztous aimé,<ùrles beautezmortellesVousontfait autrefoisabandonnerles deux.

Xandrinauoit finy, quand Carlin quis'auance

D'enflervne autre Flûte,a chanterrecommence.

Carlin.

Loupsamisde cesbois,qui de iour& de nuitAguettez le troupeauquipar l'herbemefuit,Pardonnezà mesboeufs,pardonnesà meschéuresEt à mesboucscornusquiportent barbeaux léures.

Et quoymonchienHarpaut, tefaut-il fommeillerEftantprès d'vn enfantquand tu deujfesveiller>

Brebis, ne vousfeignez brouter tout monherbage:Tantplus il eft tondu il renientd'auantage.Paijfez-vousde bonneherbeÙ1vous enflezle Pis;Le laitl que vousaurez, fera pour vospetitsQui beflentdans le tait. Quoy>vousnefaites conte

De lesaller penfer>n'auez-vouspoint de honteDevouloir tout le iour par lesprez feiourner>

Voicyla nuiôi qui vient, il s'enfaut retourner.Carlinvoulaitpartir, quandXandrinqui entonne

Vnautre Chalumeau,telle Chanfonluyfonne.

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ECLOGVEV. 449

Xandrin.

Toutainjï qu'vnbeaufruit eft l'honneurd'vn verger,Et vn troupeaubiengras eji l'honneurdu Berger:Ainjï, frère Carlin, l'honneurde noftreenfanceC'eft noftreCatherine,ainçoisde touteFrance.Le mielpuijfe coulerdejfuselleen tout temps,Naijfedeffbusfespiedsà itimaisvn Printemps,Que iamaisle malheurfa hautejjen'abaiffe,Qu'ellefoit des Françoisla nouuelleDéeffe,Qu'elleefcoutedu ciel nosplaintesi? nosvoeux,Etfoit garde à iamaisde FranceÙ1denousdeux.

Lanfac.

C'eftplaifir qued'ouyr gémirvne Genijfe,D'ouyr le Rojjtgnol,d'ouyr l'ondequi glijfeA val d'vn haut rocher,d'ouyr contreles bordsLesflots de la grand merquandles ventsnefont forts:Mais c'eftplus grand plaifir d'entendrevosMufettes,Quipaffenten douceurlesdouceursdes Auettes.

Vosbouchesà iamaisfe remplirent de miel,Et toufîoursfains & gais vousmaintiennele cielEn honneurs,en vertus, & enforces égales,Puifquevosdeux ChanfonsfurmontentlesCigales.

Que l'vn donnefon gage a l'autre de boncoeur,Car l'vn n'a point eftédejfusl'autre veinqueur:Viuezpar lesforeftsfans haine& fans reproche,Adieu GentilsPafteurs, adieu, la nuit s'approche.

Ronsard.—III.

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4fO ECLOGVES.

LE CYCLOPE AMOVREVX.

Contrele mald'amourqui tous lesmaux excède,L'artificen'inuentevn plus certainremède

Quefe plaindrede luy & desSoeursemprunterLa voix quipeut du coeurlesfoucis enchanter.Mais ilfe trouue à peinevn hommeentrecentmille

Quipuiffefe guarir: car Phebusn'efifacile,Et neprefie l'oreille à tous les importuns;Puis desfçauantesSoeursles arts nefont communs,Autrementon voirroit leurs chanfonstriuiales,Side leurs donsa tousfe monfiroientlibérales.

le fçay bien,d'Efpinay,que vousfçauez commentOnfe peut alléger d'vn fi gaillard tourment:

Apollonvoushonore,& ceftebelletropeQuifuit par lesrocherslespas de Calliope:Puis vousejtescourtois, i? iefçay bienauffiQue rien ne vousplaift tant qu'vnamoureuxfouci:Vousnefuftes conceudansvn defertrufliqueD'vn tigre d'Hyrcanie,oud'vn lion d'Afrique.Cefl pourquoyde Sicileau riuage Breton

renuoy cePolyfeme,à qui tout le mentonRudes'efpaijjïjfoitd'vnenoirefilace,Qui luy couuroitlefront, les temples& la face.Car Amourqui refueilleen nous les appétits,Domteauffibienles grands commeil fait lespetits,Par luyvousapprendrezque les Rois (y les PrincesEt les grands GouuerneursdesRoyalesprouinecs.Qui ont le coeurhautain Ù"lefang généreux,Nefont pas feulementdes beautezamoureux:

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LE CYCLOPEAMOVREVX. 4f ï

Maisceuxqui lestroupeauxconduisentenpafture,Lespauures idiots, lesmonflresde NatureCachenten la poitrineau plusprofonddu coeurL'vlcerequiprouientd'amoureufelangueur:Commevn Cyclopefiji, qui l'ameauoit doutéeDe l'amourqu'il portait a vue Galathêe,Naiadede la mer, dont il efioitefpoint,Etpourfa recompenfeellene Vaimaitpoint.

Or cegrand Polyfeme,horreur de la Sicile,EnfantNeptunien,cruel<ùrdifficile,Pourfe faire plus beau, d'vn râteaufe peignait,Et d'vne largefaulx la barbefe rongnoit,La merfut fon mirouér,fa mainefioitpetite,Et de poil herijféfa poitrinevelue:Soncorps efioitgéant, & au milieudufrontIl portait vn grand oeilcommevngrand bouclerrond:Il tenoit enfon poing au lieud'vne houlette

Vnfapin esbranché,il auoitfa MufetteBruyanteà centtuyaux, (? du haut du collet

lufqu'au bas des genouxpendaitfon flageolet,Dans lequelil flutoit iour (? nuitl, menantpaiftreSur le bordde la merfon gras troupeauchampeftre.

SaMaiftrejfeil n'aimoitcommepour des bouquets,Pour despetits anneaux,pour vn tas d'affiquetsQuedonnele berger (implementà s'amie:

MaiscommeforcenéÙ"tout pleinde manie

Apreselle enrageoit: maisAmourle plusfinPar l'aide des beauxvers le guarit à la fin.

Vniour voyantdu bordfa cruelleMaitrejfeQttife peignaitfur l'ondeainfi qu'vneDeejfe,S'ajjiflfus vn rocher,& d'vn larmoyantfonTournédeuersla mer chantaceftechanfon.

O belleGalathêeenfemblefiere ù" belle,

Pourquoyieunebeautém'eftes-vousfi cruelle?

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4f2 ECLOGVES.

Pourquoyme tuez-vous? ne vaudroit-ilpas mieuxMetuer de centmortsquiviennentde vosyeuxMourantauprèsde vous, que languir enferuageBannyde voftregrâce, au bord de ce riuage>Vosyeux dedanslesmiensontverfé tant d'amour

Quepour eux iefoufpire Ù1pleurenui61<Ù?iour,Et tantfuis alluméd'vneardeur incurable,Quemontroupeautoutfeul s'en retourneà l'eftableQuand lefoir eft venu,Ù"fans conduiteaujfiS'en reuientau matinfeulet repaijlreici.

Lesgransvaijfeauxchargez,qu enmeriefoulaisprendreEn mesbrasqu'au deuantde bienloinï allais tendre,Vontvoileau gré du ventfans plusmecraindrerien,Quifuis emprifonnédedansvoftrelien,Puis qu'il vousplaift, Maiftrejfe,& fi nauez enuieD'vnfeul petit baifermefoulager la vie,A qui ja la vigueur Ù"la force défaut:Et cequi plus medeult, c'eft qu'il nevousen chaut!

O montaigned'Etna que d'ici ie regardeBrujlerinceffammentd'vneflamequi gardeSa nourritureenfoy! commevousau dedansAmourm'a tout bruflédefes flambeauxardans,Dont onpeut la chaleurpar mesfoufpirs comprendre.Helas! voftrebrafierfe couured'vne cendre

Quipar foisfe rallume, ir couurir ie ne puisD'vnecendrelefeu dont embraféiefuis.

OfontaineArethufe,amoureufeancienneDece Dieuqui prefideà l'ondeAlphéienne,lefuis efmerueilléqu'enboiuantde voftreeau,Et mebaignant dedans,ie n'efteinsleflambeauOu Amourdedansle coeurfi chaudementm'allume,Et quevoftrefroideur ma chaleurne confume!

O rochersendurcisau bordde ceftemer,le voudroismepouuoiren pierre transformer

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LE CYCLOPEAMOVREVX. 4<jj

Pournefentir plus rien, commechofeinutile,Nonplus quefait Niobeau rocherde Sipylel

0 forefts, que ie porte enuieà vojlre bien!Et d'autant, $forefts, quevousneJentez rien,Et d'autant que toujioursvojlre chefrenouuelleDePrintempsenPrintempsfa perruque nouuelle:Mais ie ne puis changermonamoureuxefmoyQui toujioursm'accompaigneir fe vieillijl en moy.

0 mer, bienquefoyez & cruelle& amere,le nevouspuis ha'ir: car vous ejlesla mèreDecellequi m'occifl: on chanteque Venus

Nafquitd'efcumeblancheentrevosflots chenus,

Toutefoiselle ejldouce: (? par nulleprièrele nefçauroisfléchir cefteautre marinière,CefteVenusféconde,en qui la cruautéDe la merapparoifiauecquesla beauté.

l'aimepour monconfortde voir la pierreponceQui nagedejfusl'eau ù1 iamaisne s'enfonceNonplus quemonpenfer, qui ça qui la nouant

Ainfique Galatéeen l'eaufe va louant.l'aime biendes Daufinsla gentille nature,

Quimal-gardez desflots, ontfenti la pointureD'aimerainfi que moy: maisleurfort amoureux

Ejl tropplus quele mienen amourbien-heureux.l'aimel'efpongeaujji, d'autant qu'elleejlvtile

A m'effuyerle pleur qui de mesyeux diftile.l'aimeauffi le coural, d'autantqu'il ejlpareil

Auxléuresde m'amiei? àfan teint vermeil:Seulementie mehay,defefperé,pour n'ejlreAiméde cebel oeilqui du miens'ejlfait maiftre.

O Nymfequi m'aueztout le coeurembrafè,Tendezmoyvojlre bouchea fin d'ejire baifé.On dit qu'au ciellà haut vngrand lupiter tonne,Qui defes feux ardenstous lespeuplesejlonne:

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4f4 ECLOGVES.

Voftreoeilmejl Iupiter, qui tout m'afoudroyéD'vn regard que m'auezdans le coeurenuoyé,Et fi nauezfouci d'efleindreen nulleforte,Non d'vnpetit fou-ris la flameque te porte.

Las! vousvenezici pour iouerfur leshors

Quandfeule vousvoyezquetoutfev.l te m'endors,Et pour merefueillervousmetirez l'oreille,Puis en l'eau vousfuyezfi toft que ie mefueille:Tantfeulementles chiensquigardent montroupeau,CourentaprèsvoflreombreÙ" lafumentfur l'eau.

Quemauditfoit le iour que ie vousveispremièreCueillirparmi cesprez desfleurs auecma mère/le vousferuois de guide, & ie n'ayfceu depuis

Moy-mefmemeguider, tant efgaré iefuis.De tefle<ùrd'eftomacie deuinstout malade,

Monoeildeuint terni, ma couleurdeuintfade :Ma mèrefceut monmal, qui iamaisnevoulutTantfeulementvousdire vn motpour monfalut.S'ellevouseufl contémapajfionnouuelle,Peut eftrequ'eufftezfait quelquechofepour elle.

Hà queiefuis marri qu'en naiffantie neprisLa formed'vn poijfon,à fin d'auoir apprisA biennager pour voir deffousleseauxprofondesQuelplaifir vousauez a iouerfous les ondes!

Toufioursà pleinesmainsie vouseujfeportéDes rofesau Printemps,desoeilletsen Eflé,Dufafran en Autonne,<ùfnonpas tout enfemble,Maiscommelafaifon àiuerfe lesaffemble;Au-moinsi'euffebaifévoflremain<&vos bras:Car baifer voflreboucheil ne m'appartientpas.

Sortezde l'eau, Maiflreffe,Ù1fortant qu'onoublieDeplus s'en retourner, commeAmourqui melieMefait ici pour vousfur cebordfeiourner,Oubliantvers lefoir deplus m'enretourner:

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LE CYCLOPEAMOVREVX. 4f5"

Etfouffrezdéformaisquefans vousle rittageDecejiegrande mer[oit battude l'orage.Mieuxvaudroit en monAntre auecmoydemeurerPourfaire du fromage<ùrle laicl prejfurer,Tirer deuerslefoir le Pis aux vachespleines,Conduireles aigneauxpar les herbeufesplaines,Voirfauter les chêureaux,cojferles bouuillons,Qu'habiterde la merlesfterilesfilions.

Sortezdoncde voftreAntre, Ù1venezdés cefteheure

Habiter lefeiour de ma doucedemeure:Vousferez à monoeilplus blancheque les lis,Plus vermeillequoeilletsnouuellementcueillis,Plusdroite que le ionc, plus verte ù1 plusfleurieQuen'eft au moisd'Auril vue ieuneprairie,Plus douceque l'ombrageau pafteur repofè,Etplus plaifanteà voir qu'vn iardin arrofê.

Sinonvousmeferez plus dure, o Galatée,Q_uen'eftvue geniceencoresnondoutée,Plusfuperbe qu'vn Paon, plus volagequevent,Plusfuyarde qu'vnCerfqueles chiensvontfumant,Plus afpreque lefeu, Ù"plusfauffe Ù"menteufeQuen'eft de voftremer l'apparenceventeufe:Si vousmecognoijjiez,vousviendriezde bongréVous-mefmeshabiteren monAntrefacre.

lefuis richeentroupeaux,foit à corneouà laine,Lesvns errentaux bords,les autres en la plaine,Lesautresplus légers grimpentfur le rocher,Et lesautress'en-vontfur lesfleurs fe coucher,L'vn repofeà l'eftable,& l'autre deffousl'ombre:

Brefi'ay tant de troupeauxqueie n'enfçay le nombre,Auffifans les conter iefçay que touteft mien:« Panure eft celuyquifçait le nombredefon bien.

le trouuayl'autre iour le cauerneuxrepaireD'vne Ourfe bienpeine, & dedansvuepaire

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4^6 ECLOGVES.

Depetits ourfelets,qui défiapourront bienSeiouer auecvousfans auoir peur de rien:Ilsfont fort efueillez,peufarouches,i? femblentEftrefrères bejfons,tant fort ilsfe refemblent:le les trouuaypour vous, ie lesvousgarde auffiS'il vousplaift de venirdejpuscebord ici

M'embrafferenvos bras, isrpoufferhors de l'ondeDevoftrechefmarin la belletrejfeblonde.

Venezdonquesà moyfans vouloirdeftournerVosyeux du beauprefent que ie vousveux donner:Certesie mecognois,ie nefuis fi difformeQueplaifir ie neprenneà contemplermaforme:Maface l'autre iourfur l'ondei'efprouuayQuandla mer ejioit calme,& beauieme trouuay.

Si monchefheriffèdefes cheueuxombrageMonefpaule& mondoscommevnfueillu bocage,Et fi velu de crins monejlomaceftplein,Nepenfezs'il vousplaift, que celafoit vilain:Vnarbre n'eftpoint beaufans efpaiffefueillée,Vncheualfans longs crins, la laine entortilléeFait bellela brebis, lesplumesles oifeaux,Longuebarbe<ùrlong crin font les hommesplus beaux.

le n'ay qu'vn ail au front: le Soleilqui nousdardeLeiour defes rayons,d'vnfeul oeilnousregarde.La Lunen'a qu'vn oeil,ie n'ay qu'vn oeilaujji:

Compaignondu Soleili'allège monfouci.Adiouftezd'autre part queNeptuneeft monpèreQui commandeà vos eaux: vous l'aurez pour beau-pereS'il vousplaift m'efpoufer,(y fi par amitiéDe cepauureCyclopeauez quelquepitié,Qui ne trouue allégeanceau malqui le tourmente,Sinonquand il vousvoit, oubienquand il vous chante.

PauureCyclopehelas! quellefureur a pris,Furpurde trop aimer,follementtes efprits>

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LE CYCLOPEAMOVREVX. 4T7

// vaudraitmieuxpenferà tonpetit affaire,Allaiter tes aigneaux(y tesgenicestraire,Et lacertes paniersfur ce bordtout le iour,

Qued'eftrefans rienfaire à chanterde Vamour:Ou en aimervne autre, oufeindre dans toy-mefmesQuetu esbienaiméde celleque tu aimes.Carfeindre d'eflreaimé (puis que mieuxon nepeut)Allègebienfouuent l'amoureuxquife veut

Say-mefmesfe tromper,fe guarijfant la playeAujjibienpar lefaux quepar la chofevraye.

39.

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LES MASCARADES,

COMBATS ET CARTELS, FAITS A PARIS

& au Carnaval de Fontaine-bleau.

CARTEL I.

Apresauoir pour l'Amourcombatu,Suiuantle train d'honneur<ùfde vertu,Et fait fçauoir d'vnemainvaleureufeQuepeut l'ardeur d'vneflameamoureufe.-

Apresauôir les Damesfc-envangerEt trauerfémaintpays efiranger:Pleinde ieunejfeéf d'amitié loyalele viensd'Irlande en cefteCourt Royale,Où de tout tempsonvoit de toutesparsDes Cheualiersaujji vaillansqueMars.

Amourqui peut lesplusvaillanscontraindre,Ne m'a conduit icipour me complaindre,Pour accuferfes traits oufa rigueur :Carfon belarc n'off'enfepoint moncoeur,

Nylefouci quifait naiftreleslarmesDe larges pleursne baignepoint mesarmes.

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MASCARADES. 4T9

Vertuqui eft nourricede monfeu.M'a tellementd'vne Damepourueu,Qu'en laferuant ie neveux autre attente.Defes beauxyeuxfans plus ie mecontente.

En defirantie nedefirerien,Ne iouijfantie iouisde monbien,Toutmonparfait habiteenmaparfaite,Mavolontédefon vouloireftfaite.

le vis en elle, ellevit dedansmoy,Cen'eft qu'vn coeur,qu'vneame<Ùrqu'vnefoyEt qu'vn efprit qui tient liez enfembleVndoublecorpsquidu toutfe refemble:Elleeft heureufe,Ù1iefuis bien-heureux,Et bien-aimé,iefuis bienamoureux.

Enfon penfer vit toufioursmapenfée,Sonameenmoy,la mienneenfoy pajfèeFait que cherchantie metrouueenfesyeux,Etm'y trouuant ie ne cherchepas mieux.

Ainjt Amourqui a toutepuiffance,Fait de noscoeurs& de nousvneeffence,Car ie neveux pour moncontentementSinonl'aimer & la voirfeulement,Et l'honorercommechofetrejfainte.

Et c'eft pourquoyie n'ay point l'ame attainteDe trifte ennuycommevn tas d'amoureux

Quifans efpoirfont toufiourslangoureux.Doncfi quelqu'vnde la troupe veutdire

Quela beautédont la grâce m'attire,Toutesbeauteznefurpaffe d'autant

Quedefur tous ie m'eftimecontant,Vienneau combattenterma hardiejfe:Auantpartir il faudra qu'il confeffeQuerien n'approcheau pris defa beauté,

Ny nullefoy près de ma loyauté.

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460 MASCARADES.

CARTEL II.

Ayant l'oeiltrijle &' pcfant lefourci,Vaymillefois tout remplidefouci,Entre les bois, lesmonts& lesriuagesContéma plainteaux beftesplus fauuages,Efchiiufantl'air defoufpirs amoureux,

Penfantau bienqui mefait malheureux.Il n'y a boisny rochetantfait dure,

Antre, defert, ny ruijfeaunyverdureLas! qui nefait tefmoinbien-ajfeuréDu malque i'ayfi long tempsenduré.

Maiscognoijfantque les rochesdefertes,AntresÙ"monts, (? hautesforefts vertes

(Commen'ayans nycoeurnyfentiment)N'auoyentpouuoird'entendremontourment:le viensdesboisaux hommes,pour mefaireEntendred'eux, quifeuls de monaffairePeuuentiuger, blafmantla cruauté

D'vnefi ieune(? parfaite beauté.

Quelleajfeuranceejl feure entreles Dames,Si leur donnantlefang, le corps, les âmes,Si leur prenant & faneur <ùrfupport,Pour recompenfeon n'a rien que la mort>

Ofexe ingrat & remplide malice,

Indignehelas qu'on luyfaceferuice!0 fier defini ô ciel infortuné1.

Pourquoym'as-tu dés ieunejfedonnéPour metuer, vne Damefi belle?Ellefçait bienque ie languispour elle,

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MASCARADES. 461

Que ie l'adore, (y que ie l'aimemieuxCentmillefois que ie nefais mesyeux,Moncoeur,monfang : car ie n'aimema vieSinond'autant qu'elleenfera feruie.

Doucebeautéqui fais honteau Soleil,Regardevn peu montrauail nompareil,Nefois enfemble& fi belleéf fi fiere :« Touterigueur s'amollitpar prière :« Toutgentil coeurs'efchauffed'amitié:Soisdoncplus douce& prens de moypitié.

C'ejt aux Serpens(T aux beftesfélonnes,Aux Tigresfiers, aux Ours & aux Lionnes

D'ejire cruels, Ù1nonpas à tes yeuxQjiifont fi beaux,fi doux& gracieux.Garde toybienque Dieu ne te puniffe:« L'ingratitudeeft vn horriblevice,<cVicecruel, méchant(T malheureux,« Et nonlogeableenvn cceurgénéreux.

Las! fi mafoy, fi ma douleurextrême,Si t'aimerplus millefois quemoy-mefme,Si mesfoufpirs, mesplaintes& mespleursPour recompenfeontcentmilledouleurs,

Mauuaifechère,efperancestrop vaines,Refus,dédains,paroles incertaines,Et vn proposnoniamaisajfeuré,Et vn efpoirqui eft defefperé:Sii'ayfenti les rufesdont lesfemmesSçauenttromperlesplus gentillesâmes,le veux mourir, pour nenourrir au coeurSi longuementvne tellelangueur;« Car par la mort l'ennuyfe peut desfaire.

Et toutesfoisla mortnefçauroitfaireQue ie n'honore& prife montrefpas,Et qu'aux efprits ie ne contelà bas

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462 MASCARADES.

Quela beautépour qui ie meurseji telle

Qu'onn'envoit point au mondedeplus belle.

Donq'fi quelqu'vnveutfouflenir ici

Que la douleuroùiefuis endurci,Nevaille mieuxque toute iouyjfance,Vienneau combatefprouuermapuiffance:le fouftiendrayque telle cruautéMerendheureuxpourfi grande beauté.

CARTEL III.

Si le renomdesCheualiersFrançois,Et la vertu desmagnanimesRoisDontvous tirez vojtre racefi belle,N'eujfentvoulude tout tempsfou(hnirLesaffligez,vousne voirriezvenirVersvous ici cefiehumbleDamoifelle:

Laquellevient, Sire, vousrequérirDenousvouloirau befoinfecourir,Nousredonnantla libertérauie :Et pour auoir de nouscompajfion,Vousplaife ouir de quelleopprefilonVnfier Tyran tourmentenoftrevie.

D'illuflrefang Ù" d'antiquemaifonFufmesdeuxfoeurs, quiviuons enprifon,En bonnegrâce Ù"en vertusparfaites:

Heureufeslas! fi nousn'eufjionsportéDefur lefront tant de ieunebeauté,Et fi le Cielplus laidesnouseufifaites !

Noftrebeauténousa fait vn grand tort:Car pour auoir trop de beautez, tropfortD'vn grand Tyranhelas! fommesaimées,

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MASCARADES. 463

Qui ne pouuantnoschafletezforcer,Sontrop d'amourenhainea fait pafferNousretenantenprifon enfermées.

Ceglorieuxd'Arcalaiisyjpu,Par artifice édifiera fceuVuegrand tour inacceffible(T forte,Oùil nousfait centmillemauxfentir,Et pour n'auoir liberté defortir,DeuxCheualiersa misdeuant la porte.

Or nousauonspar Vrgandeentendu

Que le malheurdejjusnousdefcendu,Et la mijereoù noftrevie abonde,Nefe perdrafinonpar les effortsDe deuxguerriers ieunes,courtois& forts,Enfansd'vn Royle plus vaillant du monde.

Etpour-autant, Sire, quela vigueurQui de prouéjjeallumevojlre coeur,Et celleaujji de HenryvojlrefrèreVousfont enfemble& vaillans& courtois,Nousefperonsqu'envejlantle harnaisTousdeuxpourrez l'entreprijeparfaire:

Et nepourront cesdeuxgrans Cheualiers,Bienqu'on lesvante aux armeslespremiers,Vousrejijler que n'ayez la vicloire

Digne du lieu dontvous ejlesvenus:

Ainjîjerez par le mondecognusDeuxgrans guerrierspleinsdeforce & de gloire.

CARTEL IIII.

Demeure,Cheualier,& enla mefmeplaceArrejle tonchenalÙ" retienston audace:

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464 MASCARADES.

Carfoit quelafortune oufoit quele malheur,Ou[oit quele defird'efprouuerta valeurTemeineà ceChafteau,entensles auentures

Quetu dois acheuer,difficiles& dures.Encoresque tu fois vaillant ù" martial,

Si tu n'es Cheualierà ta Dameloyal,Tune pourraspaffervne archequife treuue,Où la fidèleamourdes Cheualierss'efpreuue.

Donquesde paffer outreeffayeril nefautSi la fermeamitiédansle coeurte défaut,Et fi parfaitementcelletu n'asferuieQue tu deuoistenir plus chèreque ta vie.

Ce Chafleauque tu vois, n'afeulementle mur

Sauuage,folitaire, inacceffiblei? dur,Mais il eftpar dedansencoresplus terrible,Plein depeur Ù" d'effroy,Ù"d'vne craintehorribleDefantômes,d'efprits ù" de brafiersardans :

Toutefoisagréableà ceuxqui font dedansAutantquepar dehorsà tous il eft eftrange.

Six vaillans Cheualiersd'éternellelouange,Fauorifezde Mars, ieunes,auahtureux,Magnanimes& forts i? loyauxamoureux,Legardent nuiSl<ùfiour, Ù" d'vne eftrangeforteContretous affaillansen défendentla porte.

Or toyquiconquefois animéde vertu,Qui as en millelieuxpour l'amour combatu,

Regardeen queldangerfollementtu te iettes,Et au pris de ta vie vn repentir n'achettes.

Regarde, Cheualier,auant que t'efprouuer,Lemoyend'enforlirfi tu enpeux trouuer.

Voyle campplein de fang de tant deforts gtn-d'armes,Bordéde tous coftezde toutesfortes d'armes,

Piques,haches,poignards : de toutestu prendrasPourvenir au combatcelleque tu voudras,

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MASCARADES. 46^

A cheually a pied efprouuantta prouéJJ'eContrevn desfix arméd'amourù1 de ieunej]"e.

Or fi tu es veincu,ï AmantviblorieuxPorterapour trophé hautain& glorieuxTa defpouilleà fa Dame: Ù"fi tonbrasfurmonte,Tu porteras lafienneà cellequi te donte:Et ton corps enchaifnêprifonnierdemourra,Quifans pouuoirmourir, centmillefois mourra.

l'ay veumaints Cheualiers,dont la fiere affeurance,Lesgefies iy le port donnoyentquelqueefperanceD'efforcerle Chajleau,qui enfin s'en reuont

Remportonspour l'honneurla hontefur lefront,Et en lieu de la gloire, ha! recompenferude,De libres Cheualiersfont mis enferuitude,Et toufioursabaifiantvers la terre lesyeuxN'ofentplus regarder leur Damenylesdeux.

CeChafteauque tu vois,par armesn'eftforçable,Par fraude oupar furprinfe : il eft inuiolable,Il l'a toufioursefté,(y lefera toufiours,Commeeftant lefeul fort desfidelles amours.

Pource, monCheualier,arrefte tafurie,Et par lefang d'autruyfoisfage ie teprie :Ne combaspoint, à fin que neftant le plus fortT'achètesvne honteaux defpensdela mort,Ou penfebiendeuantqu'ejfayerl'entreprife:« Trop tard onfe repentquandla faute eft commife.

LE TROPHEE D'AMOVR

à la Comédie de Fontaine-bleau.

lefuis Amourlegrand maiftredesDieux,lefuis celuyqui fait mouuoirles deux,Ronsard.—111. 3o

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466 MASCARADES.

lefuis celuyqui gouuernele monde,Qui lepremierhors de la maffeefclosDonnaylumière<Ù*fendi le ChaosDontfut bajli ceftemachineronde.

Riennefçauroit h monarc reftfter,Riennepourrait mesflècheseuiter,Et enfantnud iefais toufioursla guerre:Toutm'obeyjl,les oifeauxefmaillez,Et de la merlespoijfonsefcaillez,Et les mortelshéritiersfur la terre.

La paix, la trêue, & la guerre meplaiji,Dufang humainmonappétitfe paiji,Et volontiers ie m'abreuuede larmes:Lesplus hautainsfont pris à monlien,Le corfeletaufoldart nefcrt rien,Et le harnaisne défendlesgend'armes.

le tourne(? change& rentierfe & desfaisCe que ie veux, iy puis iele refais,Et demonfeu touteameeftefchaufée:lefuis de tous le Seigneur& le Roy:Rois(y Seigneursvont captifs deuantmoy,Et de leurs coeursïenrichis montrofée.

De Jupiterle Sceptrei'ay douté,

lufqu'auxenfersi'ay Plutonfurmonté,Et de Neptuneay bleffèla poitrine:De rien nefert aux ondesla froideur,Que les Tritonsnefententmonardeur,Et que monfeu n'embrafela marine.

La volupté, la ieuneffemefuit,Uoifiuetéen pompeme conduit,lefuis aueugle,{? fi ay bonneveué,lefuis enfant6°fuis père des Dieux,Faible,puijfant, fuperbe,gracieux,Et fans vifer iefrappe à Vimpourueue.

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MASCARADES. 467

L'hommeeft deplomb, de rocherÙ" de bois,Qui n'afenti lestraits de moncarquois:Seul te lefais & courtois<&adeflre:Lescoeursfans moylanguijfentrefroidis,le les rendschauds,animezÙ1hardis,Et brefiefuis de toute chofemaiftre.

Qui ne mevoit, au mondenevoit rien:lefuis du monde(? le mal & le bien,le fuis le douxÙ1l'amer tout enfemble,le n'aypatron nyexempleque moy,lefuis montout, mapuiffance<Ùrma loy,Etfeulementà moyfeul ie refemble.

LE TROPHEE DE LA CHASTETE'

en la mefme Comédie.

PourmonTrophéeen cechar triomphantPris & captif ie meineceftEnfantQui des mortelsa furmontéla gloire:le vousdiray commeie l'ay veincuPar la vertu d'vn merueilleuxefcuQui de ce Dieum'a donnéla viSloire.

Amourvoyantquefeule entre les Dieuxl'auois vn trait duften victorieux,Et que du tout ie n'ejioisfa fuiette,Pourmedouterprift l'arc en vuemain,Lefeu en l'autre, & maffaillanten vain,Perditd'vn coupfa flame <Ùrfa fagette.

Pour refijler à cePrince animé,D'vnfort bouclierl'cflomacie m'arme,

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468 MASCARADES.

Fait de confiance<Ùrdeperfieuerance,Où ïAmoureuxau trauersfiemiroit,Et tellementiufiqu'enl'aineeficlairoit,Qu'il cognoififoitd'vn regardfionofifenfie.

Voulantfionarc contremoydefcocher,Trouual'eficuaujfiidur qu'vn rocherToutà l'entour enuironnéde glace,Quidefionarc la puiffanceamortit,Etfionardeur enfroideur conuertit,Et tousfiestraits brifiadefiurla place.

Lors levoyantfiansarmes(y tout nu,Pourprifionnierie l'ay depuistenu,Enle menantdevantmonchar enpompe:Et par defipitïay cajfiêfioncarquois,Efte'mtfionfieu,rompufionarc Turquois:C'efitbienraifionque le trompeuron trompe.

MASCARADES

faites à Bar-le-Duc.

LES QVATRE ELEMENS

parlent au Roy.

La Terre.

le t'ay donné,CharlesRoydes François,Nonpas vnjleuue, vne ville, ouvn bois,Maisen t'ouurant marichejfieféconde,De tous les biensque i'auois efipargnéDepuismilleans, ie t'ay accompagnéPour eftrefiait le plusgrand Roydu monde.

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MASCARADES. 469

La Mer.

Autant que i'ay d'ejeûmesù" deflosLorsque les ventscheminentfur mondos,Et quele Ciel à Neptunefait guerre,Autant de force Ù"d'honneuri'ay donnéA cegrand Prince heureufementbien-né,Pour efireRoyle plus grand de la terre.

L'Air.

le nourristout, touteschofesi'embrajfe,Et mavertupar toutechofepaffe:le contrainstout, ie tiens tout enmesmains:Et tout ainfique de tout iefuis maiftre,Pour commanderau mondei'ayfait naiftreCeieuneRoyle plusgrand des humains.

Le Feu.

Ceque i'auois de clair ù1 de gentil,Deprompt, de vif, de parfait, defubtil,le I'ay donnéà CharlesRoyde France,Pour illufirerfon Sceptretout ainfiQu'onvoit le Ciel de mesfeux efclairci,Et que Dieumefmea de moyfon effence.

LES QVATRE PLANETES

refpondent.

Le Soleil.

Ce n'ejl pas toy, Terre,qui cegrand RoyAs tant remplide puijfancc,c'eji moy

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47° MASCARADES.

Dequi l'afpeB aux Roisdonnela vie,Et peut leur Sceptreengloire maintenir:Doncfi tu veuxton direfoujlenir,Vienau combat,ici ie te desfie.

Mercure.

le donneaux Roisl'aduis& la prudence,Et le confeilquipajje la puijfance,Commei'ayfait à Charlescegrand RoyPourgouuernerla terre vniuerfelleEt fi la Merveut dire que c'efi elle,le dy que non,foujlenant que c'efimoy.

Saturne.

le fais long tempsles Royaumesdurer,Et lesgrands Roislonguementprofperer,Quandd'vn bonoeili'efclaireà leur naiffance,Commea ce Royque i'ayfait de ma main,Et nonpas l'Air, mol,variable<&vain :S'il lefouftient, qu'ilfe metteendefenfe.

Mars.

lefais les Roisvaleureux& guerriers,Etfur leurfront ieplante les Lauriers,Quandennaiffantmonflambeauleur efclaire:Le Feun'a fait vn Princefi gentil:' Car le Feueftde nature infertil,Et s'il le dit iefouftiensle contraire.

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MASCARADES. 471

LE IVGEMENT DE IVPITER.

Appaifez-vous,neiouezplus desmainsVousElemens,Ù1vousquatrePlanètes

Quifous monSceptreaujjî humblesvous ejlesQuedejfousvousfont humblesles humains.

Vay,nonpas vous,par mespropresdejfainsMis ence Roytant de vertusparfaitesPour gouuernerles terres quei'ay faites:« Car du grand Dieules oeuuresnefont vains.

Etbienqu'il foit encoreieuned'âge,Désmaintenantleveuxfaire vnpartageAuecquesluy de cemondediuers;

l'auraypour moyles deux ù" le tonnerre,Etpourfa part cePrince aura la Terre:

Ainfinousdeux auronstout l'Vniuers.

STANCES

à chanter fur la lyre, pour l'auant-venue

de la Royne d'Efpaigne à Bayonne.

1.

Soleil,la vie Ù1la force du monde,Grandoeilde Dieu, Soleilpère du iour,Monteà chenal,<Ô"tire hors de l'ondeTonchar quifait pour noustrop defeiour :

Hafteton cours, ù1 en FranceaccompagneL'autrebeauiourqui reluiten Efpagne.

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472 MASCARADES.

II.

Lune,ornementÙ"l'honneurdufilence,Ouipar le Ciel erres en centtrauaux,Retienla nuicl, Ù"arreftela danceDes Aftresclairs conduitspar tes chenaux:

Fayplaceau iourdont le bon-heurajfembleFils, mère& fille, & deux Sceptresensemble.

m.

Il nefaut point qu'au iour de la venueLe Soleilluife, vn autre iourviendra

Qui de l'Europeefclaircirala nue,Et tout le mondeen lumièretiendra:Tant lesvertus dufils & de la mèreEt de la fille efpandrontde lumière.

mi.

O fiecleheureux,Ù"digne qu'on l'appelleLefiede d'or, fi oncqueenfut aucun,Où l'Efpagnold'vneamitiéfidelleAimela France,<ùrlesdeux nefont qu'vn :

C'eftvn plaifir qu'enl'efprit il faut prendre,Le corpsn'ejt pas digne de le comprendre.

v.

LeCiel defpit defi belleaffemblêe,Commeialouxs'en vouloitirriter :

Ayantde l'air la fureur redoublée,

Faifoitgrefier Ù1pleuuoir & venter:Lemoisde luin qui defirela gloireDe telleveu'é,a gaigné la viâloire.

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MASCARADES. 473

VI.

Parmi les champscroifl'entlesfleurs déclofes,Car telleveuëeft digne du Printemps:Entre les lis, lesoeillets&rles rofesElledoit eflre,<&non enautre temps.Commelesfleurs croiflenten nosprouinces,Ainflcroiftral'amitié de cesPrinces.

VII.

L'autre Printempsla Roynevit fa fille,Et cePrintemps[on autre elleverra:Vneeft défia la mèredefamille,L'autre bientoft d'vn beaufils lefera:En-ce-pendantfa Franceelle viftte.Et par exempleà bienfaire l'incite.

VIII.

VnAftreheureux, ô Royne,te fift naijire,Carfeulementtu n'esmèred'vn RoyQui desFrançoistient le Sceptreen la defltre,Et d'vn grand Duc quipromettant defoy:Maistu esfeule entre tant de PrïncejfesMèrede Rois,de Roynes<ùrDuckefles.

IX.

Par les cheminsoùpaflerontles Dames,Naiftrontlesfleurs, & les ruiffeauxprendrontLegoufl de miel, les odeursÙJles bâmesEt lesparfumspar les champss'efpandront:

Deflousleurspieds la campagnearroféeS'efiouirade manneÙ" de rofée.

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474 MASCARADES.

X.

Levent tiendrafin haleineendormie,Vulcanesmainsn'aura point demarteaux:TantfeulementauecFlores'amie

Zephyreira parmi lesprez nouueaux:Toutfera plein de ioyeù" d'allegrejfeA l'arriuer d'vne telle Princejfe.

XI.

La charité& l'amourmaternelleSedesfi'rontd'vn combatgénéreux,La mèreayantfis enfansautour d'elle,Et les enfansleur mèreà l'entour d'eux:

C'efipaffionqui fi fort nousenflame,Qu'onnepeut dire Ù1qu'onfint dedansl'amc.

XII.

Si le Lioni? le Tigre effroyablePar les rochersdéfirentvoir leursfans,Ha, combiendoncVhommeplus raifinnableDoit defirer de reuoirfis enfans!Quifuit lesfiens, eft digne qu'onle nommeVnmonftrefier fous la formed'vn homme.

XIII.

Chajfela nuicl, Ù"te monftres,Aurore,Et de la merapportesen tonfeinLe iour heureux,quepar penfir i'honoreCommepropiceà tout le genre humain:Puis vole au Ciel,(? d'vne aile légèreDece beauiourfois aux Dieuxmejfagere.

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MASCARADES. 47Ç

XIIII.

Ha le voici,ja voici la barrièreDu iour déclofe& le ciel s'efpanir.Sus enuieuxreculez-vousarrière,Cen'efi pour vousque ceiour doit venir,Qui d'vn noeudferme eftreindral'alliancePlus que iamaisde CafiilleÙ"de France.

LES SEREINES

reprefentees au Canal de Fontaine-bleau.

La première parle.

De l'immortelles Roisfont les enfans,Usontpar luy leurs Laurierstriomphons,Ilsfont par luyrelierezenla terre,Usontde Dieule portrait fur lefront:Dieulesinfpire, Ù"tout celaqu'ilsfontVientdu grand Dieu quidarde le tonnerre.

Or cegrand Dieu à l'exempledefoyFiji pour miracleenFrancenaiftrevn Roy,Dont lafemencea nulleautrefécondeEftoitparfaite, Ù1commele Soleil

Qui de clarté ne trouuefonpareil,

Vefquitfanspair, tant qu'il vefquitau monde.Cefut Henryde tousbiensaccompli,

D'vne ameviue ayantle corps rempli,Semblableaux Dieuxdefaçons& de gejies:Sonefprit fut embellide vertu:Car en naijjant du Ciel il auoit euTout le bon-heurdeslumièrescelejles,

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476 MASCARADES.

// fut enguerre vn Princetref-vaillant,Soigneux,atlif diligent <ùrveillant,Voire& fembloitque Marsluyfift feruice;En tempsdepaix fon peuple corrigeoit,Chaffoitle maldefa terre, {? logeaitPar les citez la craintede luftice.

Or tout ainfi commeil eftoitparfait,Tel commeluyfon peuples'eftoitfait :

Verturégnait par toutefa contrée,Qui d'vn chacunle rendait honoré:Etbref c eftoitle belâge doréOùfleuri]]oitSaturneauecAftrée.

Pourfaire honneurà vnfiede fi beau

(Qui refembloità cemondenouueau

Quandnosayeulsn'eftoyenttels que nousfournies)Apparoiffoyentles Nymphes<Û?les Dieux,Et fans auoir vn voilefur lesyeux,Nedefdaignoyentla prefencedes hommes.

Par lesforefts les Syluainshabitoyent,Faunes<ùrPans aux bocageschantoyent,Et fur les montsdanfoyentles Oreades.-

La merauoitfon Glauque& fon Neptun,Defurles bordsvenaitiouer Portun,Et lesruiffeauxabondoyentdes Naiades.

Maisquandle Ciel qui nefe peut fléchirPar nosfoufpirs, fe voulut enrichir,O Ciel cruel! de la mortd'vn tel Prince,Le mondefut defpouilléde bon-heur,Fut déueftud'ornement& d'honneur,Et la Vertulaiffa noftreprouince.

Enlieu depaix, d'amouriy de bontéVintla maliceau vifage eshonté,Haines, difcordsù" faôiionsde villes :

Defirdefang les hommesfift armer,

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MASCARADES. 477

L'ambitionaprèsvint allumerLegrand brazierdesquerellesciuiles.

Lepeupleadonctransportéd'appétit-,Tout infenféd'armesfe reuejlit:Lorsla raifondejfousUspiedsfut mife:

Brefle Fraîiçoispar fa dejloyautéDefon pays arracha la beauté,Commevn ïardinfacagé de la Bife.

Alorsles Dieuxd'vn tel fait defplaifans,Voyansla Royne<ùrfes fils enbas ansDe touscofteztourmentezde la guerre,Pournefouiller leursyeux en regardantLefang verfè deffouslefer ardant,Par grand defpitfe cachèrentfous terre.

L'vns'enfermadans le creuxd'vn rocher,L'autre s'alla dans vn arbrecacher,L'autreenvn antre, i? l'autrefous les ondes:

Ainfiquenous, qui depuisce temps-làQue le malheurd'ici nousexila,N'auionsau Cielmonftrénos treffesblondes:

Sinonce iour de long tempsattendu,Où CharlesRoyde Henrydefcendu,Vrayhéritierdes vertus defon pèreDefur fon peuplea maintenantpouuoir:Et c'ejlpourquoynousvenonsici voir

CeieunePrince en qui la Franceefpere.Nousvenonsdonc,o Roy,félon raifon

Tefaluer enla bellemaifonQueta largeffeà tonfrère a donnée:Où s'il teplaijl, pour te rendreplus feurDe l'aduenir, oylesvers de maSoeur,Quiva chantertouteta deflinée.

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478 MASCARADES.

PROPHETIE

de la féconde Sereine.

0 Prince heureusementbien-né,Quifus bénidésta naiffancePar l'Eternel, qui t'a donnéToutesvertus enabondance:

Crois cro-is,(y d'vne maieftéMonftretoy lefils de ton père,Et porte aufront la chafletéQuireluit auxyeux de ta mère.

Car en eftant commetu esAux vertus nourri dés ieuneffe,Tupafferastous les mortelsDebonefprit (y de prouéjfe.

La Francefe peut affeurerDefe voirfoudain eflrenèeDeshonneursquon doit efpererD'vne Royautéfi bien-née.

Et bienqu'onpuiffeapperceuoirPar les rayonsde ta lumière,

L'heureufefin que doit auoirVnfils nourri de telle mère:

Si veux-ie encorpour l'auenir

(DesdejlinsProphètesnousfommes)T'ouurir ce quine peut venirEn la cognoiffancedes hommes.

NonfeulementpacifirasDu tout la Francedifcordante,Maisplus que iamaisla ferasDebiensisr d'honneursabondante.

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MASCARADGS. 479

Et menantenguerre auectoyTonfrère appuydetes louanges,Veinqueurdes Rois, leferas RoyDemaintesnationseffranges.

Soustoy la malicemourra,L'erreur, la fraude ir l'impudence,Et la menfongenepourraRejifterdeuant ta prudence.

Puisayant vefcttcommeil faut,Defpouillerasle mortelvoile,Etprès de tonpère là hautTuferas vnebelleeftoile.

Et toymèrerefiouytoy,Mèrefur toutesvertueufe,Qui as nourri ce ieuneRoyD'vne prudencefifoigneufe.

Rien toftauras de tes trauauxLa recompenfefeure & bonne,

Quandtu verras tousfes vajfauxS'humilierfousfa Couronne.

Et toyfon frère, en qui refpandLe Cielfon heureufeinfluence,Taforce Ù"grandeur ne dépendQu'à luyporter obeyffance.

Tonauantagevient dufien,Ta gloirefans lajienne eftvaine,Tonbienprocèdedefon bienCommevn ruiffeaudefa fontaine.

Viuezdoncamiablement

Faifansvosnomspar tout efpandre,Viueztous troisheureufementCharles, Catherine,Alexandre.

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482 MASCARADES.

II.

L'vndu Ciel tient le milieu,DesAftresclairtépremière:Et l'autre commevn grand DieuAux terres donnelumière.

1.

L'vnn'ejl iamaisoffenféD'oragesny de tempefie:

L'obfcurejl toufiourspercéDesbeauxrayonsdefa tejie.

11.

L'autrea toufiourscombatuLesguerresif les enuies,Et fait fentir fa vertuAuxpuiffancesennemies.

1.

L'vn efl autheurde la paixChajfantle difcorddu monde,

llluftrant defes beauxrais

La terre, le cieléf l'onde.

11.

Et l'autre ayant du difcordLa puijfancerencontrée,A mis les guerres à mort,Et la-paix enfa contrée.

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MASCARADES. 483

I.

ToutAftreprend duSoleilSa lumièretant foit haute:Car c'ejl l'Aftre nompareilLibéralfans auoirfaute.

11.

Du Royvientforce ir vigueur,Honneur<ùs*grandeur royale,Et tout hommede boncoeur

Cognoiftfa mainlibérale.

1.

LeSoleileftcouronnéDefeux qu'en terre il nousdarde,Et tout Aftrebientourné

NoftrebonPrince regarde.

11.

DenoftreRoyla grandeurPareil au Soleilrejfemble,Qui ietteplus defplendeurQueleseft01lesenfemble.

1.

Bref leSoleilefclairantPar tout, qui point ne repofe,De Charlesrieft différantSeulementqued'vne chofe.

Page 489: Ronsard, Oevvres

4^4 MASCARADES.

II.

C'ejl quele Soleilmourra

Apresquelquetempsd'efpace,Et Charlesau CieliraDuSoleilprendrela place.

CARTEL

pour le Roy Charles IX, habillé en forme de Soleil.

Commelefeu furmontetoutechofeQuideuant luypour refifler s'oppofe,Ainjidu fer de monglaiue pointuToutCheualierà terre efi abatu :Lesplus vaillansredoutentma puiffance,Et la mortpendfur le boutde ma lance.

Amourmepouffeerrant de toutesparsPour ejfayerlesfortunes de Mars,Et de monnomremplirla terre <ùrl'onde,Pourauoir place en cefteTableronde,Où lesvieux Preux autrefoisauoienteuVnlieu d'honneur,loyerde leur vertu.

Or defdaignantleshazards de la guerreCommedonteurdesmonftresde la terre,Par haut dejir au Ciel ie fuis monté, ""'

Où du Soleili'ay l'habit emprunté,Afin defaire aux eftoilesceleflesCommeaux mortelsmesvertus manifefles.

Doncfi quelqu'vn,foit d'enhautou d'embas,Veutefprouuerma puiffanceaux combas,

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MASCARADES. 48^

S'adrejfeà moy,ie luyferay cognoiftreA coupsferrez combienpoife ma dejlre,En l'vniversne trouuantmonpareil.Quipajferoitde vertu le Soleil>

CARTEL

fait pour vn combat que fift le Roy en l'Ifle du Palais.

Lefort Soleilne s'offenfedesnues,Nymesvertuspar la terre cognu'èsN'ont iamaispeur descombatsoutrageux:

C'eft mondefir, mesesbats,Ù1mesjeuxQuedeporter fur le dos la cuirace,Monennemyrenuerferfur la place,Et bienbrofferle deftrieraux tournois,Encentfaçons efclaterle longbois,Et de gaigner le prix à la carrière,Et d'eftrefeul veinqueuren la barrière.

Et fi quelqu'vnpar vn combatnouueauVeuteffayermapuijfancefur l'eau,Il fentira qu'autant iefçay de guerreDeffusleseauxcommedeffusla terre.

lefuis errant, vagabond, effranger,Qui vais cherchanten touslieux le danger,Afin qu'au mondeen armesonmevoyeSuiurevertupar toutehoniiefievoye:Monennemy(auant quele SoleilTombeen la mer)defon fang tout vermeil,Afon malheurmepourra biencognoiftre,Portantau dos lesmarquesde ma defire*

Page 491: Ronsard, Oevvres

486 MASCARADES.

// ne verra moncouragefaillir,Et l'affaudrayen lieu de m'affaillirPour retrancherpar lefer fon audace:« Tel a grand peur qui bienfouuentmenace.

CARTEL

contre l'Amour.

Dedeux Amoursonvoit la terre pleine,L'vn ejlfans mal,fans trauail & fans peine,

Prompt (y foudain, qui loin de cebas lieuNoscoeursefleueaux myfteresde Dieu:

Si que laiffant les terres (7 les nu'ès,Cherchedu Ciel les traces incognues,Et par vn vol à l'efprit coujiumier

Relogel'ameenfon logispremier,Et la ioignant à fa premièreejfence,Decegrand Tout luy donnecognoiffance,Si bienque l'hommeen contemplantfe faitNonplus terreftre, ains Celefteparfait.

Telleamoureft aux vertueuxtrès-belle,

Qui d'autant plus toutesamoursexcelle,

Que l'efprit eft defon bieniouyffant,Et quele Ciella terre va paffant.

De telleardeur commechaînonsdépendentMilleautre' ardeurs, qui ça basfe refpandentDedansnoscoeurs,& nousferuent de loy,Commede craindre& reuererfon Roy,Boncitoyendéfendrefa patrie,Et pour lesfiens abandonnerla vie,

Page 492: Ronsard, Oevvres

MASCARADES. 487

Son compagnonenarmesfecourir,Pour le renomlesLauriersacquérir.Et mefprifertoutefortuneextrême,Et le publiq aimermieuxquefoy-mefme.

Or ie n'appelleAmour,[mon celuyQui nousmaintientér nous tire d'ennuy,Nouspouffeau ciel,nousfait aimernosPrinces,Et d'vn grand coeurfecourir nosprouinces,Pour les amisfe monflrerhazardeux,Afin d'auoir le mefmefecours d'eux

Quandquelquemaloutrageuxnousoffcnce:Pour tel effetl'amitiéfe commence.

Or l'autre Amourqui maiftrifeles coeurs,Eftl'artifan de toutesnosdouleurs,Aueugleenfant,quel'humainemaliceA misau cielpour fauteur defon vice.

Mille combatsau mondefont vertusPar le moyende la folle Venus:Thebesir Troyeenfurent faccagèes.Car de l'Amourlesfureurs enragéesPar vn defpit s'attizans peu à peu,D'vn petit boisallumentvn grand feu.

L'hommebien-néfe fouille dediffame,Idolâtrant les beautezd'vnefemmeleuneauiourd'huy,demainvieille, & qui n'eftBellefinon d'autant qu'ellenousplaifi,Et par vn teint quipipe noftreveue:Au refteelle eft de bonfens defpourueué,Prompte,légère, inconftante,& fumantLenaturel des vagues& du vent.

Malheureuxeft & dignede mifere,Quifait appuyde chofeJt légère,Quimomentaineen riens'efuanouift,Et defa fleur vn printempsne iouift.

Page 493: Ronsard, Oevvres

488 MASCARADES.

Toutebeautén'eft quechofefardée,Haie autant commeelle eft demandée.

L'hommegrojjier lesfemmesaimera,L'hommegaillard ne les eftimera,Sansvaletervnefotte Maiftrefte,Sinond'autant que l'affaire le prejfe:Pour la contrainteil aura d'ellefoinCommecherchantle remèdeau befoin,Sefondant defoy-mefmeÙ*nond'elle,Laiffer la vieille, Ù"prendre vne nouuelle,Sanspaffion: car c'eft vn grand plaifirEn n'aimantrien de changer& choifir.

Donqcheualierspour chofemalheureufeNousdeteftonsvneflameamoureufe,Et fouftiendronscontre tous affaillans(Quand ceferoientde cesfameuxRolands)QueCupidoneftvn Dieu d'iniuftice,Qui la ieunejfeapaftede tout vice,Et qu'on le doit commepernicieuxBanir bienloin de la terre & desdeux.

AVTRE CARTEL

pour l'Amour.

L'hommequi n'aimeeft vn Scythefauuage,Viuantfans coeur,fans ame& fans courage:On nefçauroitfe pajfer de l'AmourNonplus qu'onfait du Soleil(y du iour.

Ainftque l'ame en noftrecorpsentrée

Efmeutle corps, ainfi l'amourfacrée

Page 494: Ronsard, Oevvres

MASCARADES. 489

Entréeen l'ameefmeutl'amepar foyPour luyferuir depatron Ù1de loy,Et la poufferaux plusparfaites chofesQui[oient en terre oudans le cielenclofes.

Or ceflAmourqui gouuernelesdeux,Commeejloignéde l'hommeÙ1defesyeux,Vifiblementnefe donneà cognoijlreAufens humain: car il efttrop grand maiflre.Defa grandeur on nefçauroit parler ;Si haut que luy l'hommene peut volerPour conceuoirfes diuinespuiffances:Maisde l'Amourautheurde nosnaiffances,

TerreftreÙ"bas, qui nojlrehumanité

Rendprefque égaleà la Diuinité,Depère enfils conceuantnosfemblables:Pour reparer lesfieclesperdurables :

De cegrand Dieupère de volupté,Par qui le peupleeft doucementdonté,Qui nouschatouille& fe méfieen nosveines,

MaiftreÙ"feigneur desaffaireshumaines,le veuxparler, <ùrdire quefans luyL'hommemourroitpleindefoin & d'ennuy.

Vnplus grand biennefe trouueen la vie,DefoyfafcheufeÙ1bouillanted'enuie,D'ambition& d'honneurimportun,Quede trouuerentre millequelqu'vnAuquelonpuiffeauecquesconfianceDirefans fard celaquel'amepenfe.Amournousfait telplaifir efprouuer:Uamitiéfait le bonamytrouuer.

Commepourrait vn hommefociableAuoirparty qui luyfuft agréablePour viure enfembleen toute loyauté,Sanss'allier à la doucebeauté

î'-

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49° MASCARADES.

D'vne trejfage (? vertueufeDame>

Pour n'eftreplus quedeuxcorps envue ame,Vnfeul efprit, quife laijfe enflamerTantfeulementdufeul honneurd'aimer,Ne cherchantpoint defon ardeur extrêmeAutre loyerfinon quel'amourmefme,Qu'enbienaimantdefe voir bienaimé>

Qui autrementa le coeuralluméOu d'auarice oud'autre conuoitife,Indigneil efl qu'Amourlefauorife:Telleamoureftpleinede paffton,Qui ne cognoiftque la perfeclionD'amourn'eft rien qu'vneamourmutuelle,Quife commence& fe finift enelle.

Pource,Seigneurs,qui les armesfuiuez,Et aux Palais desgrands Princesviuez,Si m'encroyez,apprenezdés ieunejfeA bienchoijtrvne belleMaiftreJ/e:« N'en prenezpoint de laides: la laideur« Cachetoufioursvne lentefroideur« Qui hors du coeurla chaleurnousarrache:« Vncorpsdifformevne amelaide cache.

Or tout ainfi qu'vn vifagefans fard,Courtois& beau, tout gentil & gaillard,Eft le miroiterd'vne amebienparfaite:Ainfila face horriblety contrefaiteEft le miroiteroù l'on voit par dehors

Eftrevn efprit aufji laid que le corps.Pourceautrefois les Mufesimmortelles

Ont les Vertuspeintesen Damoifelles,Pourfaire voir clairementà chacun

Que les Vertus& les Damesn'eft qu'vn.Les Damesfont deshommesles efcolles:

Leschaftiansde leurs ieunejfesfolles,

Page 496: Ronsard, Oevvres

MASCARADES. 49I

Lesfont courtoisvertueuxÙ1vaillants.TelsontvefcucesfuperbesRolands,

Renauds,Trijians, pleinsd'vneameamoureufe,Qui defireuxde gloire auantureufe,Commeles Dieuxs'acquirentdesautels,

Faifantpar tout des gejlesimmortels.Cefut Amourautheurde telleaffaire:

Carfans ce Dieuils n'eujfentfceu rien faire.Qui voudradonqfoy-mefmefe douter,Et iufqu'au ciel par louangemonter,Et qui voudrafon coeurfaire paroiftreGrandpar-fur tous, defoy-mefmele maiftre,Soitamoureuxd'vne DamequifçaitRendrel'Amantvertueuxù" parfait.

L'hommemal-néqui les Amoursmefprife,N'acheueraiamaisbelleentreprife,Ainstout perclusdefens <ùrde raifonNebougerapoltrondefa maifon.

AuxtempspaffezÙ1lafon (? ThefèeDemainteaffaireeffrange& mal-aiféeSontretournezenuironnezd'honneur,

AyantAmourpour guide Ù1gouuerneur.Les Damesfont pleinesde courtoifte,

Ont le coeurhaut, hautela fintaifie.On voit toufioursla femmede moitié

Surpajferl'hommeenparfaite amitié:

Tefmoinen eft la vertueufeAlcefleQuife tua pourfon efpouxAdmete,Où nul Amantnefe fçauroit trouuerMortdefa mainpourfa Damefauuer.

Tout coeurdefemmeeft armédefiance:

Celuyde l'hommeeftplein d'impatience,Menteur,pariure, incertain{? léger,Double,fardé, trompeurù" menfonger.

Page 497: Ronsard, Oevvres

4Ç2 MASCARADES.

Or s'il fe trouuevneamitiébienfaite,D'âge, de moeurs,en loyautéparfaite,C'eftvn treforqui bien-heureuxfe doit

Garder, d'autant que bienrare onle voit,Et quechacuncontempleenfa partieLafainSïeamourdont la leur eftfortie,Qu'onne voit plus commeonfoulait icyDepuisle tempsque lepeuple obfcurcyD'erreur, defraude & de vicesinfâmesAinfiqu'il doit, n'honoreplus lesDames:Car toujtoursrègneau mondelemalheur,Quandplus n'yfont les Damesenhonneur.

Donqfi quelqu'vnennemydefa vie,Ou tropfuperbe outrop enfléd'enuieVeutfouftenircommeprefomptueux,Qu'aimern'eft point vn actevertueux,Et qu'onne doitferuir les Damoifelles,Ou lesfe ruant enprendre de nouuelles,'Vienneau combat: ie luyferayfentirQue le mefdireapportevn repentir,Etvergongneuxconfejferpar contrainte

Quebienaimerejivne chofefainile.

POVR LE ROY

habillé en Hercule, & Pluton trainé deuant luy.

CeCheualierd'inuinciblepuijfanceEft Hercules,qui venantaux EnfersA mismaporte <ùrmonSceptreà l'enuers,

. Et rnoyPlutonfous fon obeyffance.

Page 498: Ronsard, Oevvres

MASCARADES. 49}

Luytout ardant de triompheÙ" degloire,Le triple chefde CerbèreenchaînéMetfous le ioug, par lequelejl trainéSonchariot enfigne de victoire.

Il a tiré de l'abyfmeprofondeCesCheualiersquevoyezà l'entour,Et du Tartare où ne luit point le iour,(En meforçant) les rameineen cemonde.

Lefquelspour rendreefpoinçonnezd'enuieGrâcesau Dieuqui lesa rendusfrancs,TousCheualiersquiferontfur lesrancsVeulentcombatreaux defpensdeleur vie:

Etfi leur force au combatnefurmonteTousaffaillans, luy-mefmefa vertuVeutemployerpour mettreau combatu

Dejfuslefront la vergongne<Ùrla honte.

CARTEL POVR LE ROY

HENRY II I.

Ceflhabitblancque ieporte, Madame,Eflpour monftrerla blancheurde monameEt ceftefoy parfaite en loyautéQu'au coeurie porte aimantvoflrebeauté.

Toutevertu, tant foit elle admirable,Defoy n'ejl point à la miennefemblable,D'autant qu'onvoit affezd'autres vertus.« L'hommeloyal icynefe voit plusSi cen'ejl moy,qui dans le coeurrencontreTellevertu quepar dehorsie montre

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494 MASCARADES.

A la couleurqui refembleà la foyQuepour fuiet en l'aineie reçoy.

Que l'incarnat tant qu'il voudrafe vante,Le iauneaujji qui l'amoureuxcontante,Et le verd-gay que Venusaimetant :Tellescouleursnemeplaifent, d'autant

Qu'vn teintfardé leurs beauteza fouilléesL'vnedans l'autre eftrangementméfiées.

Commelefimple en tout ejl plusparfaitQue le méfiéquide plufieursfe fait ;

Ainfile blanc commefimplefurpaffeToutecouleuroùla mefleurepaffe.Simpleeft le blanc,le refleeft compofé,Où l'artificea lefard appofé:Car entombantdefa fimple nature

S'eficorrompupar diuerfeteinture,Et n'eft plus beaupar la mutation,Commeeflongnédefa perfetlion.

Donqqui voudra, pour accoujlrementporteVnhabitpeint de mainteeffrangeforte,Soitbigarré du corps commedu coeur,Toutecouleurfans la blanchecouleur

N'eft à bondroit parfaite nylouable:Le blancndiffeulementeft capableDe receuoirtoutescouleurs,& peut .

Changerfa formeen tout celaqu'il veut,Où l'accidentdes autresn'a puiffanceDe retourneren vne blancheeffence.

Le Ciel ejl blanc, la lune, Ù" leflambeauDu grand Soleilpour ejlreblanc, eft beau:Poureftreblancheeft bellela lumière:La couleurblancheeft toufioursla première.

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MAS'CARADES. 49T

DIALO.GVE

pour vne Mafcarade.

AMOVR ET MERCVRE.

Amour.

Hérautdes Dieux, quvnefille d'AtlasConceutléger, pren tes ailes cognu'ès,Et trauerfant le long chemindesnues

Laijfiele ciel, Ù"t'en-vole là bas.

Mercure.

Filsde Venus,quiportes en tesmainsL'arc qui aux Dieux & aux hommescommande,Pourquoyveux-tu que du cielle defcendePour aller voir la troupedes humains>

Amour.

lupiter veutpar le confeildesDieux,Qu'aillestrouuer le plus grand de la raceDes trois commisà conquérirla placeEt tous lesforts du Chajteaupérilleux.

Mercure.

Quellecontréea produit cebon-heur>

Qui mettrafin hfi hauteentreprise>

Qui efl celuyquele cielfauorifeSur tous les trois, de proiiejfe& d'honneur?

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496 MASCARADES.

Amour.

le te diray lepays ir le nomDeceguerrier qui a tant depuiffance:Charleefl[on nom,fon paysefi la France,Dont les vertusfurpajfent le renom.

Mercure.

C'eftaffezdit: tu medonnesla loy,le vais partir, il faut quei'obeyjfe,Ilfaut, Amour,qu'on tefaceferuice,Lesplusgrands Dieux obeyjfentà toy.

MONOLOGVE

de Mercure aux Dames.

Dames,iefuis le courrierAtlantide,

Qyi trauerfant le grand efpacehumideCommevn oifeaudefon volfouflenu,Porté du ventfuis en FrancevenuPar le confeilde ceDieu qui tempèreHommes<ùrDieux, de toute chofePère,Pour enuoyervn CkeualierFrançoisAfpre à la guerre, & le plus fort destrois,A qui le Cielfous bonnedeftinéeA déslong tempsla conquefteordonnéeDu fort Chqfteaupérilleux, quel'AmourTientremparèdepérils a l'entour.

H nefaut point qu'vn Cheualiers'apprefleAu long labeurd'vne telleconquefte,

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MASCARADES. 497

S'il n'efi aimédes Dieux Ù1du Deftin:

Quiconquefoit qui la doit mettreà fin,Seracherydesdeux ù1 de Nature,Et referuépour fi hauteauanture.

Premièrementd'vn courageindontèVoirral'Enfer quiflamboyéà cojlé,Et baignerafiesarmeshomicidesAu tièdefiang desfieres Eumenides,Et desfureurs des Gorgonnes.qui ontVnoeilfaroucheenfoncéfous lefront.

Riende Plutonnevaudra laproiiejje,Soulfre,fumée,ér groffieflameefpejfeContreceluy,dont le puijfiantbouclairNecraintnyfeu nyflamenyefclair.

Victorieuxdupéril de la defilre,L'autrepéril l'attend à lafeneftre:Cefont trauaux Ù1labeursvehemens,Gennes,horreurs,la maifondestourmens:Où maintevoix enfoufpirs eftendueHorriblementde loin eft entendueDes malheureuxqui autrefoisriauoientGardélafoy qu'auxDainesils deuoient.

Pource,Amoureux,gardez l'amourfidelleDepeur d'entrer enpeinefi cruelle.

Ayantforcé cedanger par vertuEt par l'effort defon glaiuepointu,Secouronnantde louange& de gloire,D'vn tel Chafteaugaignera la vicloire:Puis il doit voir vn beau iardin, ainçoisVnParadis, des délicesle chois,Oùfleurs & fruibls en abondancenaijjent,lit à l'enuyl'vnefur l'autre croijfent:Où les plaifirs & lesAmoursiumeauxVontvoletantde rameauxen rameaux.

Ronsard.—III.

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498 MASCARADES.

Là le troupeaudesNymphes(y des Fées,D'oeillets,de liz iT de rofescoiffées,Leferont digne au regard de leursyeuxEt dela table & de la voix des Dieux,En luydonnantentièreiouyffanceDe tousles biensqui Jont enleur puijfance,Voirede ceuxque cegrand VniuersFait naiftreau iour, pourfes tourmensfouffers:Tant vuefin de tout plaifir ejlpleine,Quandla vertu l'achetépar la peine.

POVR VNE MASCARADE.

IVPITER.

lefuis des Dieuxle Seigneur<&lepère,Tout élémentà monSceptreobtempère,Le coursdu Cielma reigle vafuiuant :Dedansla nu'éarméde montonnerrele fais tremblerles ondes& la terre,Haut-ejleuéfur les ailes duvent.

Basà mespieds lespeuplesie regarde,Rois,Empereursfont en mafauuegarde,Etpar fur tousCharlesqueï aimemieux:Entre nousdeuxpourfuprémeauantageDu mondeentier auonsfait vn partage,A luy la terre, & à moytous les deux.

Dema maifon,fans melefaire entendre,Mars & Amourontbienofédefcendre,Accompagnanttrois Cheualiersde nom,Oui eflrangersfont abordezen France

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MASCARADES. 499

Pour le cognoiftre,<ùrvoirfi fa puijfanceEJioitpareilleau bruit de[on renom.

Or ie cognaiscePrince magnanimeQui les combatsplus que la vie eftime:Il leur voudrafon brasfairefentir,D'vn brauecoeurajfaillant cesgendarmes,Etpar l'effort de toutesfortes d'armesLeurattacher au front le repentir.

Pourceie vien lefouftiende ce Prince,Sansendurerqu'enfa mefmeProuince,Deseffrangers puiffeeftrecombatu.Pourfon fecours Pallas ie luy ameine,Quipunira de vengeancefoudaineMarspar la lance, Amourpar la vertu.

PALLAS.

Du haut du Ciel iefuis icy venue

Deffusle dosd'vne légèrenue,Traçant enl'air vn voyagenouueau,Par la prière en courrouxaniméeDecegrand Dieu, quimefift toutearmée,Malgré lunon, naifiredefon cerueau.

Moyfoeurdes Roisen armesie protefteDonnerfecoursà marace celefte,Et d'enfermermoncorpsde toutesparsDe deux harnais : l'vn eftfait defageffe,L'autre trempéd'ardeur Ù1deprouéjfe,L'vn contreAmour,& l'autre contreMars.

Marsfurieux tout alluméde rageA millefois prouoquémoncourage,Et mefprifémaforce enfe brauant:Maisquandma lanceau combatle menace,

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fOO MASCARADES.

// perd le coeur,Ù1s'enfuit de la placeLoinde mesbras commevnepoudreau vent.

QuandCupidonpar blandiceoucautelleMeveut blefferdefa flèchecruelle,Ou de moncorpsfinementapprocher,Deuantfes yeux ie monftrema Gorgonne,Qui d'vn regard telle crainteluydonne.

Que toutfur l'heure il dénientvn rocher.CesieunesDieuxcontreCharlesmonfrère

Ontfait armer vneforce contraire:Seuleie puis empefcherleur moyen,En luydonnant& fecours & remède,Commeiefis au vaillant Diomede

Qui combattaitdeuant le mur Troyen.le veux ruer ainji qued'vnefoudre

Cegentil Mars terrafféfur la poudre,Et en defpit defes trois CombatansLedefarmerau milieude la guerre,Ou Venuoyerla bas defiousla terreBienloin du Cielauecquesles Titans.

Et fi Amourapprochede ma lance,Afes defpenscognoiftrama vaillance,Bienqu'autrepart monbras il ait cognu:le briferayfes cordes(? fes flèches,

Romprayfon arc, efteindrayfes flameches,Prendrayfa trouffe,Ù"l'enuoyraytout nu.

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MASCARADES. fOI

CARTEL

fait promptement, enuoyé à leur Maiefté par le Nain

des huidl Cheualiers eftranges.

Huic~ïCheualiersde nationejirange,Autantvaillans qu'amoureuxde louange,Rauis du nomquipar le mondecourtDevosvertus, Sire, & de vojlre Court,

Eftoientpartis efpoinçonnezde gloireDe remporterdescombatsla viôloire:Mais le chemin& le trop longfeiourLesa trompez: car ne venantau iourDevos Tournois,ontperdu l'espéranceDeplus montrer enarmesleur vaillance,S'il ne vousplaifl leurfaire ouurir le Pas,Et commanderautres nouueauxcombas.

Donques,grand Roy, quetout le peuple eftimeEnfantde Mars,fi l'honneurvousanime,Si la vertu vousefchauffele coeur,Nepermettezqueleur ieunevigueurSerefroidijfe, (? leur chaudeproiiejfeSansl'employerfe rouilledeparejfe:Usfont tousprefls aux combatsde montrer

Queplus vaillans onne peut rencontrer.Ils combatrontcommehardisgendarmes

lufqu'à la mortde toutesfortes d'armesEt à chenal<ùrà pied; car ils ontLaforce en main,l'audacefur lefront.

Ilsfont vejlusd'vtiediuerfeforte :L'vn du haut Ciel la richecouleurporte

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^02 MASCARADES.

Lebleu, qui eftfigne certainauxyeuxQuefon efprit eftfauory des deux.

L'vnla couleurd'vne Colombea prife,Pour tefmoignerqu'Amourlefauorife:

L'autreacouftréd'vn habillementblanc,Apparoift iufte<ùrmagnanimeir franc :

Vautre quiprend la noire couuertureSemonftreferme &1confiantde nature :

Le Cheualierparé d'vn habitverd,Eft d'efperanceÙ1d'amitié couuert:

L'autreacouftréde couleurgrife, monftreQu'enbienaimanttoutepeineonrencontre:

Celuyqui a l'incarnat deffitsfoy,Monftredu coeurla confiance& lafoy :

Et le dernierqui l'habit iauneporte,D'vn bonefpoirfon amourreconforte.

Voylales huiôi qui veulentbatailler,S'il vousplaift, Sire, en armesleur baillerLieude Tournoy,&•ne vouloirdéfendreQuedejfousvous la guerre onpuiffeapprendre.

Or pour-autantque les ieunesfoudarsSansCupidonnefont cherizde Mars,lefuppliray les DamesfauorablesA cebefoinleur eftrefecourables:Car bienfouuentleplus fort eftdonté,Alorsqu'Amourn'eftpas defon cofté.

MASCARADE.

Las!pour auoir aimétrop hautEtn'auoirferuy commeil faut,

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MASCARADES. fO^

Amource tourmentnousaccordeDenousbattre lefein de coups,Et vouscrier à deuxgenousMercy,pardon, miséricorde.

CARTEL POVR LE ROY

HENRY I I I .

Vaypar a6ieslaborieuxRendumonnomfi glorieux,Si richede maintevicloire,Que ie veux auiourd'huymontrer

Que iefuis biendigne d'entrerDedansle beauTemplede Gloire.

lefuis feur qu'onn'en doutepas,Tant les honneursde mescombats

M'appellentà telle entreprife:Sansplus il faut cemefmeiourloindremonMars auec Amour,Et quefon arc mefauorife.

Mars rendvn Prince généreux,Amourlefait auantureux:Heureuxqui tousdeuxles ajj'emble.Mesdames,foyez monfupport,Lecoeurd'vn guerrier eftplus fortQuandMars & Amourfont enfemble.

Page 509: Ronsard, Oevvres

f04 MASCARADES.

AVTRE CARTEL.

Troisguerriers incognus,de nationejirange,Ont laijfé leur paysdefireuxde louange,Pourvenir efprouuerauecquele harnoisLaforce Ù" la vertu desCheualiersFrançois:

Afinqu'enacquéranthonneurpar leursprouéjjesSoientdignesd'eftreaimezde leursbellesMaiJlreJJes.

Chacuncourra trois coupsen mafque,Ù1qui mettraPlus defois en la bague, AmourluypermettraDegaignerfeul lepris, nefiantpour rien contéesLesattaintesquifont fans effeôlemportées:Et quandles affaillans& les tenansferontEgaux {? nonveincus,derechefils pourrontRecommencerla courfeÙ1retenter la gloire,Tant que l'vn deffusl'autre emportela vicloire.

Premierquede courir, cesguerriers bienapprisIront autour du camp, & toucherontlesprisTelsqu'ils voudrontchoifirfans refpecldeperfonne,Quiferont attachezau haut d'vne Colonne:La mainviclorieufeaura le pris touché,Quele veincupayra honteuxdefon péché:Supplianthumblementque le RoynousordonneDes lugespour garder noftredroit!, & qu'il donneFaueurà la valeur du Cheualierveinqueur:Lafaueur d'vngrand Prince efl l'amed'vn boncoeur.

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MASCARADES. fOf

MASCARADE.

Aux Dames.

le voirrois à regret la lumièredu tour,l'aurais ingrat foldat combatttfous Amour,Portéfes eftendars,Ù"fuyuifes armées,Si voyantmaintenantfes armesdiffamées,Et luyfait prifonnier, lié contrevn rocher,le ne venaisicyfes liensdétacher,Et luy rendre auiourd'huyfa libertépajfée,CommeAndromèdel'euftpar les mainsdePerfée.

C'ejl bienfait de domtercescruelsanimaux,Et cesmonjlresquifont aux hommestant de maux,Qui defang & de meurtreontfanglantèla face-.Maisd'outrager Amourpèrede noftrerace,Lemeneren trofée,<ùrluyferrer les mains,C'efi enfembleoffenferles Dieux(y les humains.

Celuyfuccele laitl d'vnefiere Lionne,Qui Venusiniurie, & fin fils emprifonne,Sansrefpeblerce Dieu, quivengeurdoit venirBientoft l'arc en la mainà fin de lepunir.

Dés le premierregard fans autre tefmoignage,Voyantfin poil, fin front, fes yeux & fin vifage,Il deuoitbienpenferqu'vnediuinité

EJloiten ceftenfant-,maïstrop devanité

Aueuglafa raifonpourfes fautesaccroiftre,Commeaux TyrrheneansquinepeurentcognoijireBacchusen leur nature, & depuisen la merSeveirentpar leurfaute en daufinstransformer.AinfiNiobeapprift par fin orgueilfinefieQu'onne doit offenferla puiffancecelejle.

Page 511: Ronsard, Oevvres

MASCARADES.

Eft-cepas faire au ciel iniurei? des-honneurDedire quel'Amour, du mondegouuerneur,Soitmefchant& cruel & autheurde tout vice?Et luyattribuernojlrepropremalice?Contrefa déitê Geansnousbataillons:Amournefaut iamais, nousfommesqui f niions.

C'ejl luyqui degrofitersnousa rendushonnefles,Qui nousappriuoifantnousfepara desbcftes,Et defes beauxdefieinsrempliffantnosraifons,Nousapprijl à baflir bourgades<irmaifons.

C'ejl luyqui desvertus nousenfeignela voye,C'eft luyquipar efprit aux Démonsnousenuoye,Qui nousrauifl de nous, (r qui nousloge aux deux,Et nousrepaiftde manneà la table desDieux.

Defon aileporté, efclalrêdefes fiâmes,Défionsvoftrefaneur, ie viensicy, mesDames,Pour vengerfon iniure, (y l'ojler horsd'efmoy-Ledeuoird'vnfujet c'ejiaider àfon Roy.

CARTEL

pour le combat à cheual, en forme de Balet.

CesnouueauxCheualierspar moyvousfont entendre

Que leurspremiersayeulsfurent fils de Méandre,A qui lefleuueapprit à tourner leurschenauxCommeil tourneÙ"fe vire isffe plie enfes eaux.

Pyrrhe en cellefaçonfur le tombeaud'AchilleFeitvne danfearmée:& aux bordsde SicileEnéeen décorantfon père de tournois,Feitfauter les Troyensau branledu harnais,

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MASCARADES. )OJ

Où lesieunesenfansen centmillemanièresMéfièrentles replisde leurscourfesguerrières.

Pallasqui les conduit,a defa propremain

Façonnéleurs chenaux,Ù1leur donnalefrein,Maispluffofivn efprit, quifagementlesguidePar art, obeiffanta la loyde la bride.

Tantoftvous lesvoirrez à courbettesdanfer,Tantoftfe reculer,s'approcher,s'nuancer,S'efcarter,s'efloigner,fe ferrer, fe moindreD'vnepointeallongée, Ù"tantoftd'vnemoindre,Contrefaifantla guerre au femblantd'vnepaix,Croizez, entrelaffezde droit (y de biais,Tantoftenformeronde,& tantoften carrée,Ainfi qu'vn Labyrinth,dont la trace efgaréeNousabufelespas enfes diuerschemins.

Ainfiqu'onvoit danferen la merles Dauphins,Ainfî qu'onvoit volerpar le trauersdes nuesEn diuerfesfaçonsvnetroupe de Grues.

Or pour voir noftreJtecle, oùprefideHenry,En toutedifciplinehonneftementnourry,Oùla perfetlionde tousmefliersabonde,Autant qu'il eftparfaiél Ù"leplus grand du monde,CesCentauresarmezà noftreâge incognus,Au bruit d'vnfi haut Princeen Francefont venusPour lespeuplesinftruire,<ùrles rendrefacilesAutantquefous lefrein leurs chenauxfont dociles,Et faire defon nomtout lemonderauir,Afinque toutechofeapprenneà leferuir.

Page 513: Ronsard, Oevvres

^08 MASCARADES.

CARTEL

pour les Cheualiers celeftes, ou Diofcoures.

NousfommescesGémeaux,dont la valeurextrefmeNousfait eftimerfils du grand lupiter mej'me,Quifendifmespremiers, compagnonsde lafon,Neptuned'auirons, allantà la Toifon:

Quipar terre ù" par merveinquifmesles brauadesDes Qolchiensen terre, en merdesSymplegades,Et quifuyans lepeuple iy fon cheminbattu,

Fufmesoffresdu ciel conduitspar la vertu,Dont lesrayonspour marqueencorefur nos teftes

Reluifent,redoutezdes ventsisr des tempejtes.Tousdeuxmemoratifsde nospremiersmefliers,

Le cielpour ceftenuibl nousquittonsvolontiers,Et defironsencore,immortelsque nousfommes,R'ejfayerles combats<ùrles trauaux des hommes.

Doncfi quelcunvouloit en armesmaintenir

Que les ieunesguerriers quele tempsfait venir,

Pajfaffentde valeurceuxà qui l'âge antiqueImprimaitdedansl'ame vueardeur héroïque,Etvueilleles mortelsfur les Dieux ejleuer,Qu'il viennefur les rangs : nousvoulonsluyprouuerA combatde cheual,par lance<&par efpée,Quefon opinionfaujfementefl trompée.,Et que les demy-Dieuxpar la vertu nourris,Sur tous les Cheualiersdoiuentgaigner lepris,Leurfûfant confefferpar preuuemanifefteQuel'hommedoit céderà la race celefte.

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MASCARADES. ^09

CARTEL

pour les Cheualiers de la Renommée.

Et ce char triomphant,& fa Damehabillée

D'azur, qui de centyeux eft toufioursefueillée,Et ce courrierejléquifeul marchedauant,Qui enflela trompette,iy la fait bruireau vent,De languesceflerobbeiy d'oreillesfemée,Vousenfeignentajfez que c'eftla Renommée,Et que cesCheualiersqui d'elleontpris le nom,Ont par toute l'Europeefpanduleur renom.

Voyezcommedu chefellefrappe la nue,Voyezcommefon piedpreffe la terre nue.•Celadit quel'honneurdes coeursvictorieuxSe commenceen la terre, iy fe finit aux deux.

La gloire mendiéeà l'aidedefortuneNedurepas long tempscommechofecommune.-Maiscellequi s'acquiertpar lafeule vertu,Nevit iamaisfon bruit par le tempsabbatu.L'vnea pour fondementlaforce du courage,Et l'autre vue efperanceincertaine(y volage..

Cesvaillans Cheualiers,descombatsdefireux,Et de la Renomméeimmortelsamoureux,Ontfuiuant la vertu, la mèredes louanges,Fait fentir leur prouêffeaux nationsejlranges,Seclateursde Thefé,d'Herculeiy de lafon,Et de cespremierspreuxdel'antiquefaijon.

AufficefleDéeffeà fa fuite les meine,D'honneursiy de faneursrecompenfantleur peine.

Page 515: Ronsard, Oevvres

^IO MASCARADES.

Et de l'amourdu peuple, ayant bienmérité

Queleur nomfoit efcrit auecq' l'éternité.

Defiransconfumeraux fiiiclsd'armesleur vie,Pouffezd'vneféruente<ùfgenereufeenuie,Ils viennentfur les rangspour la baguecourir,Et leprix ù" l'honneurtout enfembleacquérir,Et faire en ce tournoypreuuede leur ieuneffe.Marsaimel'action, les armes,la proueffe.

CARTEL

pour les Chevaliers des Flammes.

Si lesyeux pénétraientau profondde nosâmes,Nousn'aurionspoint befoind'habitschargezdeflammes:Désle premierregard ils voiraient qu'au dedansNousnefommesquefeux <£rque braziersardens:Maispuis que l'oeilnepeut noftreaccidentcognoiftre,Il faut par le dehorsle vousfaire apparoiftre.

Nospenfers,qui toujiourstournenttout à l'entourDe la perfonneaimée,{? fe meuuentd'Amour

(Commetout mouuementefl chauddefa nature)Nousenflammentle coeurd'vneflammefi pureEt fi belle,qu'en lieude nousfaire mourirNousfentonsfon ardeur doucementnousnourrir.

Il nefaut s'esbahir,fi noftrecharfe pareD'artificesdefeu : fi Vefuue(y LipareSemblentbrûler dedans: chacunfuit fon defir,Et nousfuiuons lefeu commenoftreplaifir.

On dit qu'en Cypreeftoit iadisvuefournaife,Enqui la Pyralideau milieude la braife

Page 516: Ronsard, Oevvres

MASCARADES. H'

Entretenaitfa vie, isrfe mouraitalors

Que la flammefa mèreabandonnaitJ"oncorps.Nousenfommesde mejme: ainfi vit (y s'engendre

Auxfourneauxlesplus chaudsla froideSalemandre.

Ainfife puiffentd'air maintesfortes d'oifeaux,De terre la Couleuure,& lespoijfonsdes eaux.

Animauxquiprenezdufeu vos origines,Venezviure ennoscoeurs,venezen nospoiblrines,Paiffezvousdes ardeursque l'Amourverfe en nous,Et viuez commenous,d'vn alimentfi dons,D'vnfi douxaliment,que mefmeïAmbrofieSi doucementau ciel lesDieux ne rejfajfte,Viuansde noftrefeu, dontnousfommescontens,Commemoufchesà mieldesmoiffonsdu Printemps.

Celuyqui fift d'Amourla premièrepeinture,

Luydonnantdesbrandons,nefift à îauenture,Maispar raifon, voyantque ceDieudefa mainBruloitér mer i? terre, Ù"tout le genrehumain.

Efcoute,grand Amour,grand Daimonchargéd'ailes,Quandla mort rauira nosdefpouillesmortelles,Par tafaintle faneur deuenustransformezNousvoulonsluire au Cieldeuxflambeauxallumez.

Tun'auraspas grand'peineà nouschangerenflammes,Puis que lesyeux ardensde noscruellesDames,Et ton traiSi embrazéqu'au coeurauonsreceu,Auoitnos corpsviuaus défiatournezenfeu.

FIN

DES ECLOGVES ET MASCARADES.

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NOTES

i. LA FRANCIADE,p. i.L'éditionoriginalede LaFranciadeformeun volumein-40com-

prenant14feuilletsnonchiffréset 229pages.Elleestimpriméeencaractèresitaliques.Letitre,ainsiconçu,portela marquedeBuon,avecla devise: Omn'wmmmecumporto.

LES

QUATRE PREMIERS

LIVRE (sic) DE LA FRANCIADE.

AV ROY

TRES-CHRESTIEN, CHARLES,

NEVFIEMBDE CE NOM.

PAR PIERRE DE RONSARD,

GENTILHOMMEVANDOMOIS.

A PARIS,

Che^ Gabriel IIitou, demeurant au Clo^ bruneau,à l'enfeignc faincl Claude.

15-72.AVfiC PRIVILEGE DV ROY.

Ronsard.—III. J5

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5"I4 NOTES.

Auversodu titreontrouvel'extraitduprivilègegénéraldonnéà Ronsard«lexx. iourde Septembre,l'anmilcinqcensfoixantc.»Il est suivid'unecessionquefaitle poèteà GabrielBuon,desesdroitssur «la Franciadc,iufqucsau termedefixans...Acommencerdu iourqueleditHureferaacheuèd'imprimer.» Aprèscettedéclara-tionvientla mention:«Acheuéd'Imprimerle13.deSeptembre.»Les feuillets2-5et le rectodu 6°sont occupéspar l'épîtresui-vantequia disparudeséditionsultérieures:

Av LECTIVS.

EncorequeI'hiftoireen beaucoupdefortesCeconformeà laPoë-fie, commeen véhémencede parler,harangues,deferiptionsdebatailles,villes,fleuues,mers,montaignes,& autresfemblableschofes,oùle Poètene doibtnonplus<juel'Orateurfalfifierlevray,fi eft-cequandà.leur luiet ils fontauffieflongnezI'vndel'autrequele vrayfenïblableefteflongnédela vérité.L'Hiftoirereçoitfeu-lementla chofecommeelleeft,oufut, fansdefguifurenyfard,&le Poëtes'arrefteau vrayfenïblable,à cequipeuteftre,&à cequieu:défiareceuenla communeopinion:le neveuxconclurequ'ondoiueeffacerdu rangdesPoëtesvu grandnombrede Grecs&Latins,pourhonnorerd'vn fi vénérabletiltreHomère,Virgile,&quelquesautrespareilsd'inuention&defuiet:i'ofefeulementdire(li monopiniona quelquepoix)quele Poëtequi eferitleschofescommeellesfont,ne méritetant que celuyqui lesfeint,ce lereculeleplusqu'illuyeftpoffibledel'Hiftorien:nontoutefoispourfeindrevuePoëfiefantaftiquecommecelledel'Anode,de laquelleles membresfontaucunementbeaux,maisle corpsefttellementcontrefaitcvmonftrueuxqu'il refiemblemieuxauxrefucriesd'vnmaladedefieurecontinuequ'auxinuentionsd'vnhommebienfain.Il faut que l'Hiftorien,de poincïen poinft,du commencementiufqu'àla fin,deduifefouceuure,oùle Poëtes'acheminantverslalin,&redeuidantle fuzeauaureboursdel'Hiftoire,portédefureur& d'art(fanstoutesfoisfe foucierbeaucoupdesreiglcsdeGram-maire)cv fur tout fauoriféd'vnepreuoyance&naturelingénient,facequela fin de fon ouurageparvnebonneliaifonfe raportcau commencement.le dy cecypourceque la meilleurepartiedesnoftrespenfequela FranciadeferitvnehiftoircdesRoisdeFrance,commefi i'auoisentreprisd'eftreHiftoriographe&nonPoëte: BrefceHureeftvuRomancommel'Iliade&l'/Eneide,oùparoccalîonleplusbrefuementque ie puisie traittede nosPrinces,d'autant

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pr

quemonbuteftd'efcrirelesfaiâsdeFrancion,&nonde filenfil,commeles Hiftoriens,lesgeftesde nosRois: &fiie parlede nosMonarquespluslonguementquel'art Virgilienne le permet:Tudoisfçauoir,Lecteur,queVirgile(commeen toutesautrescliofes)en cette-cy,eft plusheureuxquemoy,qui viuoitfousAuguftefécondEmpereur,tellementque n'eftantchargéquede peu deRois&deCefars,nedeuoitbeaucoupallongerlepapier,oùi'aylefaixde foixante&troisRoisfurlesbras.Et fi tumedisqued'vnfigrandnombreiene deuoiseflirequelesprincipaux: le te ref-pondsque CharlesnoftreSeigneur& Royparvue genereufe&magnanimecandeur,n'a voulupermettreque fesayeulxfuflentpréférezlesvnsauxautres,à finquela bontédesbons,&lamalicedes mauuais,Iuy fufientcommevn exempledomeftique,pourleretirerduvice,& le poufferà la vertu.Au refte,i'aypatronnémonceuure(dontcesquatrepremiersliureste feruirontdefchan-tillon)pluftoftfur la naïuefacilitéd'Homère,quefur la curieufediligencede Virgile,imitanttoutesfoisà monpolîiblede l'vn &l'autrel'artifice& l'argumentplusbaftyfur la vrayfemblancequefur la vérité:Car pournediifimulercequ'ilm'enfembleie nefçauroiscroirequ'vnearméeGrecqueayeiamaiscombatudixansdeuantTroye: le combateufteftéde troplonguedurée,&lescheualiersy euffentperdulecourage,abfentsfi longtempsdeleursfemmes,enfans& maifons: auffiquelacouftumede laguerrenepermetqu'on combatefi longuementdeuantvne forteville,envn païseffranger.Et dauantageie ne fçauroiscroireque Priam,Heâor,Polydame,Alexandre,&milleautrestelsayentiamaisefté,qui ont tous lesnomsGreqs,inuentezparHomère: Carfi celaeftoitvray,lescheualiersTroyenseuffentportéle nomdeleurpaïsPhrygien,& eft bienaiféà cognoiftre,parlesmefmesnoms,quela guerreTroyennea eftéfeinteparHomère,commequelquesgrauesauteursont fermementailuré: lesfablesquien fontfortiesdepuisfont toutespuifecsde la fourcede ceftHomère,lequelcommefilsd'vnDamron,ayantl'efpritfurnaturel,voulants'infinueren lafaueur&bonnegrâcedes,/Eacides,&auffi(peuteftre)quelebruitde telleguerreeftoitreceuen la comuneopiniondeshommesde ce tempslà, entrepritvne fi diuine&parfaitePoëfiepourferendre&enfembleles/Eacidesparfonlabeurà iamaistrèshonorez,le fçaybienquela plusgrandepartiedesHiftoriens&Poètesfontdu coftéd'Homère,maisquandà moy,ie penfeauoirdit lavérité,me foumetanttouioursà lacorrectionde lameilleureopi-nion.Autanten fauteftimerde Virgile,lequellifanten Homère,qu'jEneene deuoitmouriri la guerreTroyenne,&quafapofterité

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f l6 NOTES.

releueroitle nomPhrygien,&voyantque lesvieillesAnnalesdeiontempsportoyentqu'/Eneeauoitfondélavilled'Alba,oùdepuisfutRome,pourgaignerlabonnegrâcedesCefars,quifevantoyenteftrefortisd'IulefilsdVEnee,conceutcettediuine/Enéidequ'aueqtoutereuerencenous tenonsencoresauiourd'huyentrelesmains:Suiuantcesdeuxgrandsperfonnagesi'ay fait le femblable: carvoyantquele peupleFrançoistientpourchoietrefaflureefélonlesAnnales,que Francionfilsd'Hedor,fuiuyd'vnecompagniedeTroyens,aprèsle facdeTroye,abordaauxpalusMx-otides,&delàplusauantenHongrie: i'ayallongéla toille,&l'ayfaitvenirenFranconie,à laquelleil donnalenom,puisen Gaule,fonderParis,en l'honneurdefononclePtfris:Or'ileftvraj'-femblablequeFran-ciona faittel voyage,d'autantqu'il le pouuoitfaire,& fur cefondementde vrayfemblance,i'aybaftimaFranciadedefonnom:Lesefpritsconçoiuentauflïbienque les corps.Ayantdoncvueextrêmeenuied'honorerla maifon-de France,& par fur toutleRoyCharlesneufïefmemonPrince,nonfeulementdigned'eftrelouéde moy,maisdesmeilleursefcriuainsdu mondepour feshéroïques&diuinesvertus,&dontl'efperancene prometrien demoinsauxFrançoisquelesheureufesvictoires-deCharlemaigncfonayeul,commefçauentceuxquiontcet honeurde le cognoiftredeprès,&enfembledélirantdeperpétuermonrenomà l'immortalité:fondéfur lebruitcommun,&furlavieillecréancedesChroniquesde France,ie n'ayfceutrouuervnplusexcellentfuietqueceftui-cy-Or' commelesfemmesquifontpreftesd'enfanterchoififlentvn bonair,vnefainemaifon,vn richeparrainpourtenirleurenfant,ainfii'aychoifileplusricheargument,lesplusbeauxvers&leplusinfigneparraindel'Europepourhonorermonliure,&foutenirmonlabeur:Et fi tu medis,Lecteur,queiedeuoîscompofermonouurageenversAlexandrins,pourcequ'ilsfontpourle iourd'huyplusfauora-blementreceuzdenosSeigneurs&DamesdelaCourt,&detoutelaieunelïeFrançoife,lefquelsversi'ayremislepremieren honeur,iete refpondsqu'ilm'eufteftécentfoisplusaiféd'efcriremonoenureen versAlexandrinsqu'auxautres,d'autantqu'ilsfontpluslongs,&parconfequentmoinsfuiets,fansla honteufeconfciencequei'ayqu'ilsfententtropleur profe.Or toutaiufiqueiene lesaprouuedutout,fice11'eften tragédiesouverrions,auïïiie ne lesveuxdutout condamner,l'en laifl'eà chacunfonlibreiugementpourenvfercommeil voudra: le reuienfeulementà ce qui touchemonfait: Tene doutepasqu'onnem'accufedepeud'artificeencequelaharanguedeIupiteraucommencementde monpremierliureefttroplongue,&queie nedeuoiscommencerparlà,Tu doisfçauoir

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quetrentelignesdeLatinenvallentplusdeibixantedenoftreFran-çois,&auffiqu'ilfailloitqueie meferuilfedel'induftriedesTra-giques,où quandle Poëtene peutdefmeflerfondire,&quelachofeeftdouteufe,il faittouiourscomparoiftrcquelqueDieupourefclaircirl'obfcurde la matière: leshommesne fçauoientcommeFrancionauoiteftéfauuédufacdeTroye,vu feulIupiterlefça-uoit: Pource,i'ay eftécontraintde l'introduirepourmieuxdef-nouërla doute,S:donnerà comprendrelefait,&mefmesi Iunonlaquelleeft p'rinfeicycommeprefqueen tousautresPoètespourvuemaligneneceffitéqui contreditfouuentauxvertueux,commeellefità Hercule: maisla prudencehumaineeftmaitreffedetelleviolentefatalité.SituvoisbeaucoupdeFeintesencepremierliurecommeladefcentedeMercure,l'ombred'Hector,lavenuedeCybele,Marstransformé,i'ayeftéforcéd'envfer,pourperfuaderauxexilezdeTroyequeFrancionefloitfilsd'Hector,lefq.uelsautrementnel'euf-fentcreu,d'autantqu'ilspenfoieutquele vrayfilsd'Hectoreftoitmort, &auffiqueFrancionauoittouiourseftéafiézpauurementnourri,fansautoritéRoyalle,nyaucundegrédemédiocredignité.Quelqueautrecurieuxen l'ceuured'autruyme reprendradequoyie n'ay fuiuyla perfeétereiglede Poëfie,ne commenceantmonliureparlafin,commefaifantembarquerFrancion.encoreieune,&malexpérimenté: celuydoitentendrequ'Heleninfononclel'auoitdéliaenuoyéen plufieursbeauxvoyages,pratiquerles moeursdes

peuples,&desRois: &qu'àfonretourenCahonieoùfonOncle&famèrehabitoyent,futprefTédepartirparla contraintedudeftin>imitanten cecypluftoftApolloineRhodienqueVirgile,d'autant

qu'il m'afemblémeilleurde le faireainfi: & fi tu me dis qu'ilcombattroptoft,&en tropbasaageleTyranPhouere,ie teref-

pondsqu'Achillecombatiten pareilaage,& renuerfales forte-reffesdes alliezde Troye,ayantà peinelaifféla robbedefemme

qu'ilportoit: fonfilsPyrrbefitdemefme,&beaucoupdauantagefinousvoulonscroireà QuinteCalabrais.Or,Lecteur,pournetevouloirtropvendremamarchandife,ny auffipourlavouloirtropmeprifer,ie tedyqu'ilnefe trouuepointdeliureparfait,&moinslemien,auqueliepourrayfélonlalongueurdemavie,leiugement,&la fyncereopiniondemesamis,adiouteroudiminuer,,commeceluyqui ne iure en l'amourde foymefmes,nyen l'opiniaftretéde fes inuentions.le te fuplirayfeulementd'vnechofe,lecteur,de vouloirbienprononcermesvers&accommodertavoixà leur

paffion,&non commequelquesvns leslifent,pluftoftàla façond'vnemilîiue,oudequelqueslettresRoyauxqued'vnPoëmebien

prononcé: & te fuplieencorederechefoù tuverrascettemerque!

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vouloirvnpeuelleuerta voixpourdonnergrâceà cequetu liras:Brefquandtu aurasachetémonliure ie ne te pourra}'empef-cherde le lire ny d'endirecequ'ilte plairacommeeftantchofetienne,maisdeuantquemecondamner,tupourrasretenirceQua-trin par lequeli'ayfermécepréfacepourfermerla boucheà ceuxquidenaturefontenuieuxdubien&del'honneurd'autruy.

Vnliftceliurepouraprendrc,L'antrelelijlcommeenuieux:Il ejlaifêdemereprendreMaismalaifèdefairemieux.

Tu exeuferaslesfautesdel'Imprimeur: cartouslesyeuxd'Ar-gusn'yverroientaffezclair:mefmeen la premièreimpreflion.

Au versodu6°feuillet,immédiatementaprèscetteépître,vientunSONNETENFAVEVRDEMONSIEVRDEKONSARD,&defa. Frariciade,signé: RENÉBELLETANGEVIN.

Feuillets7, 8 et 9 (recto): LESARGVMENSDESQVATREPREMIERSLIVRESDELAFRANciADE,parAin.Ianiyn.(Voyezp. 3-9 duprésentvolume.)

Feuillet9 (verso):IN FRANCIADAP. RONSARDIAD CA-ROLVMREGEMG. ValensGuellius(GermainVaillantde laGuérie).

Feuillet10 (recto): AVSEIGNEVRDE RONSARD.Sonnet,signéPP. initialesde l'auteurprécédentqui étaitabbéde Pim-pont.'

Feuillet10 (verso): IN P. RONSARDIFRANCIADA.SignéPP. suivid'undistiquelatin signé'i.DELAVARDIN.

Feuillet11 (recto): IN PÉTRIRONSARDIFRANCIADA10.AVRATVSPoëtaRegius.

IN P. RONSARDIFRANCIADA.Signé: 1. PASSERATIVS.

Feuillet11(verso): SONNET,signéAMADISIAMIN.

Feuillet12(recto): autreSONNET,signéAMADISIAMIN.

Feuillet12 (verso): Quatrainsanstitre,signé: si. NICOLASfegretaireduRoy.

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T'9

Feuillet13(recto):SONNET,A P. DERONSARD,signéDETROVSSILH.

Feuillet13(verso): PortraitdeRonsard,suivid'unquatrain.Feuillet14(recto): SONNET,AP. DERONSARD.

r TesbeauxversanimedelafuiactefureurQuirouledePermcffe,aueklontfaitquerelle:AmourfeditfeigneurdelafourceimmortelleDontpremiertupuifoisvuefi doucehumeur.

Marsarmédeta main,&delaviveardeurQuifait viurelesRoismalgrél'ondecruelle,IureVoeuureeftrcfien,commela trouppebelleDesviergesd'Hclicou,net'eniugel'auteur.

QuantleDieuDclien,lepèredeta lyre,Etpèredetesvers,humain,apaifel'ireDecesDieuxmutine: C'eftbien&vous&moy,

Dift-il,quiluydonnonscettealeinediuinc,MaisautreDieulà basn'échauffefapoitrine,QuelafaintefaneurdeCHARLESfongrandRoy.

R. BELLEAV.

Ce sonnet,qui auraitdûprendreplacedanslesOEuvresdeBel-leau,n'a été recueillini parGouverneurniparnous.Nousrépa-ronscetoublienleréimprimanticien entier,aulieude nouscon-tenterd'enfairemention.

Feuillet14(verso):Portraitde CharlesIX, avecquatrainsignéA.1. (Voyezp. 10du présentvolume.)

La paginationdu volumeest très fautiveen certainsendroits.Auversodela page229ontrouve:Fautesfuruenuesà l'impreffion...

En 1573,édition,de formatin-16,publiéechezBuonet compre-nant8feuilletsliminaireset 103feuilletschiffrés.

En1574,édition,égalementin-16,publiéeàTurinparJean-Fran-çoisPicoetcomprenant7 feuilletset 204pages./Onen trouvedesexemplairesdontle frontispicen'estpointdater

Dansla plupartdeséditionscollectivesdesOEuvresde Ronsardfaitesde sonvivant,l'épîtreplacéed'abordpar lui en têtedeLaFranciadea été supprimée.Danscellequi a été publiéeen 1623,ellea étéremplacéeparlaPréfacesuivante,qui setrouveauxpages581-590du tomeI :

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T2o

PREFACE SVR LA FRANCIADE,

TOVCHANTLE POEMEHEROIQVE.

Av LECTEVRAPPUILNTIF.

CarmenreprehanditequodnonMultadlcs&multalituracoërcuit,atqiieProefeâumdecicsnoncajïigauUadvnguem.

Il nefautt'efmerueiller,Le&eur,dequoyien'aycompofémaFran-ciadeen versAlexandrins,qu'autrefoisen ma ieunefie,par igno-rance,ie penfoisteniren noftrelanguele rangdescarmesHéroï-ques, encoresqu'ilsrefpondentplus aux fenairesdesTragiquesqu'auxmagnanimesversd'Homère&deVirgile,leseftimantpourlorsplusconuenablesauxmagnifiquesargumens<kauxplusexcel-lentesconceptionsdel'efprit,quelesautresverscommuns.Depuisi'ayveu,cogneu,&pratiquépar longueexpérience,queie m'eftoisabufé: carils fententtrop la profetresfacile,&fonttropeneruez&flaques,fi ce n'eftpourles traductions,aufquelles,à caufedeleur longueurils feruentdebeaucouppourinterpréterlesfensdel'Autheurqu'onentreprend.Aurefte,ilsonttropdecaquet,s'ilsnefontbaftisdela maind'vnbonartifan,quilesfaceautantqu'illuyferapoiliblekauffercommelespeinturesreleuees,&quafifeparerdu langagecommun,lesornant&enrichhTantdeFigures,Schemes,Tropes,Métaphores,Phrafes& Periphrafeseflongneesprefquedutout,oupourle moinsfepareesdela Profetriuiale&vulgaire(carleftyleProfaïqueeftennemycapitalde l'éloquencepoétique)&lesilluftrantde comparaifonsbienadaptées,de deferiptionsfiorides,c'eftà direenrichiesde paflemens,broderies,tapiheries&entre-laflèmensde fleurspoétiques,tant pourreprefenterla chofe,quepourl'ornement&fplendeurdes vers,commeceftebraue5ctrès-excellentedeferiptiondu Sacerdotede Cybele,Chloreus,enFonziefmeHuredesiEneides: &le cataloguedesCapitainesenuoyezà la guerre:puisla fin du feptiefmeliuredes /Eneides: &cefteinuetereequerellede cesdeuxbonnesDameslunon&Venusaudixiefme.Relifanttellesbellesconceptions,tu n'aurascheueuenteftequi ne fe drefled'admiration.Et encored'auantage,fi tu lis

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pi

attentiuementle huicticfmedu mefineAutheur,quandVenusflatte& enjôleion maryVulcanpourle perfuaderde forcerdesarmesà fonfilslEnca:

Dixêrat,& ititwishiucatqnehinrdittalace.rtis:

iufquesau vers,

HcccpaterJEoliisproperatdumLewniusoris.

Etd'auautageii tu lis cefteoraiibnindignée&farouchedeIarbasà Iupiterfoupère,oùtu verrasvufoemimt,vnlittusarandum,

Et mtneilh Pariscunifemiitirocomitaiu:

&ceftelamentationmiferablede la pauurevieillemèred'Euryalcvoyantla teiledefon filsfichéefurle hautd'vnelance,il n'y acceurfi dur qui fepeuftcontenirde pleurer.Et ceftebrauevan-teriedeNumanus,beaufrerede Turnequi fecommence,Isprimamanteaciem,iufquesà cevers, Taliaiadaniemdiâis:ik la colèred'Herculetuant Cacus: & ceftelamentableplaintede Mczencefur le corpsmortde fonfilsLaufus,Semilleautrestelleseefta-tiquesdeferiptions,que tu liras en vn fi diuinAutheur,lef-quelleste ferontPoëte,encoresquetu fuflesvn rocher,t'imprime-ront desverues,&t'irriterontlesnaïfuescinaturellesfcintillesdel'amequedésla naiflancetu asreceuës,t'inclinantpluftoftà ceme-ftierqu'àceftuy-là:cartout hommedéslenaiftrereçoitenl'ameiene fçayquellesfatalesimpreflkms,qui le contraignentfuiureplu-ftoftfonDeftinquefavolonté.

LesexcellensPoètesnommentpeufouuentleschofesparleurnompropre.Virgilevoulantdeferirele iouroula nuicl,ne ditpointAmplement&en parolesnues,Il eftoitiour,Il eftoitnuicl:maispar.bellescirconlocutions,

PojleraPboebealujlrabatiampadeterras,HuuwntèmqueAurontpolodiutoucratum'oram.

Puis,Noxtrait&placidumcarpebantfejfafopare.mCorporaperterras,fyluoequc&foeuaquicraniAzquora,citnimédiavoluunturjideralapfu,Ciivilacetornaisager,pecudes,piclieque.voluercs.

&milleautres.

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Ï22

CefteVirgilîanedefcriptionde la nuifteftprifeprefquede motàmotd'ApolloineRhodien.Voycommeil defcritle Printemps:

VertnouogeliduscanisciimmontibusbumorZÀquitur,&Zephyroputrisfe glebarefoluit.

Labourer,ver1èreterram.Filer,tolerarevitamcolo,tenuiqueMi-nerua.Lepain,DonalaboratoeCereris.Le vin, PocuîaBacchi.Tellesfemblableschofesfontplusbellesparcirconlocutions,quepar leurs

•propresnoms:mais il en faut fagementvfer: car autrementturendroistonouurageplusenflé&boufiquepleindemajefté.Tun'oubliraslesdefcriptionsduleuer&coucherduSoleil,lesSignesquife leueutSecouchentauecluy,nylesferenitez,orages&tem-peftes:

IpfepatermédianimboruminnoàecorufeaFulminamolilurdextra. Puis,

.., HkjlagrantiAutAthonant Rbodopenautalla CcrauniateloDejicit.ingeminantAufiri &denfifiimusimber.

Tu enrichirastonPoëmeparvarietezprifesde la Nature,iansextrauaguercommevn frenetiq.Carpourvouloirtrop éuiter,Sedutoutte bannirduparlervulgaire,fi tu veuxvolerfansconfide-rationpar le trauersdesnues&fairedesgrotefques,ChimèresSemouftres,& nonvnenaïfue,&naturellepoefie;tu ferasimitateurd'Ixion,quiengendradesPhantofmesauHeudelégitimesSenatu-relsenfans.Tu doisd'auantage,Ledeur,illuftrertonceuuredepa-roles recherchées& choifiesSed'argumensrenforcez,tantoftparfables,tantoftparquelquesvieillesHiftoires,pourueuqu'ellesfoientbriefuementeferitesSedepeude difeours,l'enrichi(faritd'Epitheteslignificatifs&nonoififs,c'eftà direquiferuentà la fubftancedesvers,&parexcellentes,&toutefoisrares,fentences:Carfi lesfen-tencesfonttropfréquentesen tonoeuureHéroïque,tu le rendrasmonftrueux,commefi tout toncorpsn'eftoitcompoféqued'yeuxSenon d'autresmembres,qui feruentbeaucoupau commercedenoïtrevie:fi ce n'eftoiten laTragédie&Comédie,lefquellesfontdu tout didafealiques&enfeignantes,8equ'il faut qu'enpeu deparolesellesenfeignentbeaucoup,commemiroûersde la viehu-maine,d'autantqu'ellesfontbornées&limitéesde peud'efpace,c'eftà dired'vniourentier.

Lesplusexcellensmaiftresdecemeftierlescommencentd'vne

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f23

minuictà l'autre,&nondupoindduiourauSoleilcouchant,pourauoirplusd'eftenduëSedelongueurdetemps.

LePoëmeHéroïque,quiefttoutguerrier,.comprendfeulementlesactionsd'vneannéeentière,&femblequeVirgiley ait failly,félonqueluy-mefmel'efcrit:

Annuusexadiscompleturmenfûnisorbis,ExquorelliquiasditditipteoffaparenttsCondidimusterra.

Il y auoitdéfiavu anpafiequandilfit lesjeuxfunèbresdefoupèreen Sicile,& toutefoisil n'abordade long tempsaprèsenItalie.

Tousceuxquiefcriuenten Carmes,tantdoctespuifient-ilseftre,nefontpasPoètes.Il y a autantdedifférenceentrevnPoëte&vuVerfificateur,qu'entrevnbidet&vngénéreuxcourfierde Naples;&pourmieuxles accomparer,entrevn vénérableProphète&vnCharlatantvendeurdetriades.Ilmefemblequandie lesvoyarmezde mefrnesbaftonsque lesbonsmaiftres,c'eftà diredesmefmesvers,desmefmescouleurs,desmefmesnombres&pieds,dontfeferuentlesbonsautheurs,qu'ilsreflemblcntà cesHerculesdefgui-fezes Tragédies,lefquelsacheptentlapeaud'vnLionchezvnpelc-tier,vnegroffemaffuechezvn charpentier,&vnefaufieperruquechezvnattiffeur:maisquandcevientà combatrequelqueMonftre,la maffueleurtombede la main,&s'enfuyentducombatcommecouards& poltrons.Cesverfificateursfecontententde fairedesversfansornement,fansgrâce&fansart, & leur fembleauoirbeaucoupfaitpourlaRepublique,quandilsont compofédelaproferimée.Au contrairele Poëtehéroïqueinuente&forgeargumenstousnouueaux,faitentreparlerlesDieuxauxhommes&leshom-mesauxDieux,faitharanguerlesCapitainescommeil faut,deferitlesbatailles&aflauts,factions&entreprifesdeguerre:'feméfiedeconieeturerlesaugures,&interpréterlesfonges:n'oublielesexpia-tions&lesfacrificesquel'ondoità ladiuinité:tantoftil eftPhilo-fophe,tantoftMédecin,Arborifte,Anatomjfte&Iurifconfulte,fc fer-uant de l'opinionde toutesfectes,félonque fon argumentledemande:Bref,c'eftvnhomme,lequelcommevnemoucheà mieldelibe&fuccetoutesfleurs,puisenfaitdumiel&fonprofitfélonqu'ilvientà propos.Il a pourmaximetres-neceflaireenfonart,dene fuiureiamaispasà pas lavérité,maisla vray-femblance,&lepofiiblc:131fur le pofïible,ce fur cequi fepeutfaire,il baftitionouurage,laiïfantlavéritablenarrationauxHiftoriographcs,quipour-

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fuiueutde fil en efguille,commeondit enprouerbe,leurfubieftentreprisdu premiercommencementiufquesà la fin. Au con-traire,lePoëtebienaduifé,pleindelaborieufeinduftrie,commenceionceuureparle milieude l'argument,ècquelquefoispar la fin:puisil déduit,&pourfuitfibienionargumentparleparticulierac-cident&euenementde lamatièrequ'ils'eftpropoied'efcrire,tan-toftparperfonnagesparlonslesvusauxautres,tantoftparfonges,prophétiesSepeinturesinféréescontrele dosd'vnemuraille&desharnoiSj&principalementdesboucliers,ou purlesdernièrespa-rolesdeshommesquimeurent,ouparaugures&vold'oifeaux&phantaftiquesvifionsde Dieux& de démons,oumonftrueuxlan-gagesdeschenauxnaurezà mort: tellementquele dernieradedePounragefe cole,fe lie& s'enchaifnefi bien& 15à proposl'vndedansl'autre,que la finfe rapportedextrement&artificiellementau premierpoinclde l'argument.Tellesfaçonsd'efcrire,<ktelartplusdiuinque humaineft particulierauxPoètes,lequelde primefaceeftcachéauLecteur,s'iln'a l'efpritbienrufépourcomprendrevu tel artifice.Plufieurscroyaitquele Poëte&Ï'Hiftorienfoientd'vnmefmemeftier: maisilsfetrompentbeaucoup,carcefontdi-uersartifans,quin'ontriendecommunl'vn auecquesl'autre,finonles deferiptionsdes chofes,commebatailles,affauts,montaignes,forefls&riuieres,villes,affrètesde camp,ilratagemes,nombredesmorts,confeïls&pratiquesdeguerre:encelail ne fautpointquelePoëtefaille,nonplusqueÏ'Hiftorien.Au refte,ils n'ontriendecommun(commei'aydit) finonque l'vnnel'autrene doitiamaismentircontrela véritédelachofe,commea failliVirgileau temps,c'eftà direen la Chronique,lequela faiciDidonfillede Beluseftredutempsd'iEnée,encorequ'ellefuftcentansdeuantpourlemoins:maisil inuentatellerufepourgratifierAugufte&lepeupleRomainvainqueurde Carthage,donnantpar les imprécationsdeDidon,commencementde haine&:de difeordemortelleentrecesdeuxfloriflantesnations.Laplusgrandepartiedeceuxquiefcriuentdenoftretemps,fetraînenteneruezà fleurde terre,commefoibleschenillesquin'ontencorla forcede grimperauxfaiftesdesarbres,lefquellesfe contententfeulementde paiftrela baffehumeurde.laterre,fansaffecterla nourrituredeshautescymes,aufquellesellesne peuuentatteindreà caufedeleurimbécillité.Lesautresfonttropempoulez,&prefquecreuezd'enflurescommehydropiques,lefquelspenfentn'auoir.rienfaitd'excellent,s'il n'eftextrauagant,creux&boiiiïy,pleinde fongesmonftrueux&deparolespîafées,quirefem-blcntpluftoftà vujargondegueuxoudeBoëmicnsqu'auxparolesd'vncitoyenlionnelleetbienappris.Si tu veuxdémembrerleurs

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NOTES. 5-25-

carmes,tu n'enferasfortirqueduvent,nonplusqued'vneveffiede pourceaupleinedepois,quelespetitsenfanscreuentpourleurferuirdeiouët.

Lesautresplusrufeztiennentle milieudesdeux,nyrampanstropbas,nys'efleuanstrophautau trauersdesnues,maisquid'ar-tifice&d'vnefpritnaturel,elabouréparlongueseftudes,principa-lementpar lalecturedesbonsvieuxPoètesGrecs&Latins,deferi-uentleursconceptionsd'vn ftylenombreux,pleind'vnevénérableMajefté,commea faift Virgileen fa diurneiEneïde.Et n'enchercheplusd'autres,Lecteur,enla langueRomaine,ficen'eftoitdefortuneLucrèce:maisparcequ'ila eferitfesfrenaifies,lefquellesil penfoiteftrevrayesfélonfafecte,&qu'iln'a pasbaftifonoeuurefur lavray-femblance&fur lepoffible,ie luyoftedutoutle nomdePoète,encorequequelquesversfoientnonfeulementexcellens,maisdiuins.Au refte,lesautresPoètesLatinsnefontquenaquetsdecebraueVirgile,premierCapitainedesMufes,nonpasHoracemefmes,fi ce n'eftenquelques-vnesde fesOdes;nyCatulle,Ti-bulle,&Properce,encorequ'ilsfoienttref-excellensen leurmeftier:fi ce n'eftCatulleen fon Atys,&auxNopcesdePeleus: lereftene vautla chandelle.Stacea fuiuila vray-femblanceenfaThe-baïde.De noftretempsFracaftors'eftmonftrétref-excellenten faSyphillis,bienquefesversfoientvnpeu rudes.LesautresvieilsPoètesRomainscommeLucain& SiliusItalicus,ontcouuertl'hi-ftoiredu manteaudePoëfie: ils eufl'entmieuxfait,à monâduis,enquelquesendroitsd'eferireenprofe.Claudianen Poèteen quelquesendroits,commeau RauiflementdeProferpine:le reftede fesceu-uresne fontqu'Hiftoiresde fontemps,lequelcommeles autress'eftplus eftudiéà l'enflurequ'àla grauité.Girvoyansqu'ilsnepouuoientégalerla MajeflédeVirgile,fefonttournezà l'enflure,&à iene fçayquellepoiufte,&argutiemonftrueufe,eftimanslesverseftrelesplusbeaux,ceuxquiauoientle vifageplusfardédetellecuriofité.Il ne fauts'efmerueiller,fi i'eftimeVirgileplusexcellent&plusrond,plusferré,&plusparfaitquetouslesautres,foitquedésmaieuneffemonRégentmele lifoità l'efcole,foitquedepuisie me foisfaitvneIdéede fesconceptionsen monefprit(portanttoufioursfonHureen la main)oufoitquel'ayantapprisparcoeurdésmonenfonce,ienele puill'eoublier.

Aurelie,Lecteur,iete veuxbienaduertir,quele bonPoètejettetoufioursle fondementdefonouuragefurquelquesvieillesAnnalesdutempspalfé,ourenomméeinueterée,laquellea gagnécréditaucerueaudes hommes.CommeVirgilefurla communerenommée,qu'vucertainTroyeunomméiEnùe.chantéparHomère,eftvenu

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p6 NOTES.

aux bordsLauiniens,luy,fesnauires& ionfils,oùdepuisRomefutbaftie,encoresqueleditjEnéenevinftiamaisenItalie:maisiln'eftoitpasimpoffiblequ'iln'y peuftvenir.Surtelleopiniondéfiareçeuëdu peupleil baftition liurede l'Enéide.Homèreaupara-uantluy en auoitfait de mefme,lequelfondéfur quelquevieilcontede fontempsde la belleHeleine&de l'arméedesGrecsàTroye,commenousfaifonsdescontesdeLancelot,deTriftan,deGauuain&d'Artus,fondalàdeflusfonIliade.CarlespropresnomsdesCapitaines&foldatsTroyensquiparloyentPhrygien,&nonGrec,&auoientlesnomsde leurnation,monftrentbiencommeeuidem-mentcen'eftqu'vnefictiondetoutel'Iliade,&nonvérité: commede Heflor,Priam,Polydamas,Antenor,Deïphobus,Caffandre,He-lenus,&prefquetouslesautresforgezauplaifird'Homère.

Or imitantcesdeuxlumièresdePoëfie,fondé&appuyéfur nosvieillesAnnales,i'aybaftymaFranciade,fansmefoucierficelaeftvrayounon,ouCinosKoysfontTroyensouGermains,ScythesouArabes: fi Francuseft venuen Franceou non: caril y pouuoitvenir,meferuantdupoffible,&nondelavérité.C'eftle faitd'vnHiftoriographed'efpluchertoutescesconfiderations,& non auxPoètesquine cherchentquele poffible:puisd'vnepetitefcintillefontnaiftrevn grandbrazier,& d'vnepetitecaffinefontvuma-gnifiquePalais,qu'ils enrichiflént,dorent& embelliffentpar ledehorsdeMarbre,IafpecePorphire,de guillochis,oualles,frontif-;pices&pieds-deftals,frifes&chapiteaux,&pardedansdeTableaux,tapifleriesefleuées&bofieesd'or & d'argent,&le dedansdesta-bleauxcizelez& burinez,raboteux&difficilesà tenires mains,àcaufede la rudeengraueuredesperfonnagesqui femblentviurededans.Apresils adjouftentvergers& iardins,compartimens&largesallées,félonquelesPoètesontvnbonefpritnaturel&bienverféen toutesfciences,&dignedeleurmeftier: carla pluspartne faitrienquivaille,femblablesàcesapprentifsquinefçauentquebroyerles couleurs, & nonpaspeindre.Souuienne-toy,Leâeur,de ne laifferpalierfousfilencel'Hiftoireny lafableappartenantàla matière,& la nature,force& proprietezdes arbres,fleurs,plantes& racines,principalementfiellesfontanobliesdequelquesvertusnonvulgaires,&fi ellesferuentà la médecine,auxincanta-tions& magies,&en direvn mot en partantparquelquedemivers,oupourle moinsparvn Epithete.NicandreautheurGrect'en monftrerale chemin:&Columelleen fonIardin,ouurageau-tantexcellentquetu le fçauroisdefirer.Tun'oublirassuffiny lesmontaignes,forells,riuieres,villes,republiques,haures& ports,cauernes& rochers,tantpourembellirton ceuiire,par là, & le

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fairegrofïïren vn iuftevolume,quepourte donnerréputation&feruirdemarqueà lapofterité.QuantauxCapitaines&conducteursd'armées&foldats,tu en diraslespères&lesmères,ayeux,villes,&habillements,&leursnaiflances,&ferasvnefablelàdefïus,s'ileneftbefoin,comme,

HicAmmonefatitsraptaGaramantideNympha.

Puisen vn autrelieuparlantd'Hippolyte,

înftgncmquemmaterAriciamifitEdttàumEgeriahteisHymettiacircumLUtara.

Puis autre part, parlantd'Helenorqui eftoittombéde la tourdemy-bruflé:

QuorumprimoiuusHelenor,MoeoniorégiquemfentaLicymniafurthnSufiulerat,vetitîfquéad Troiammiferatarmis.

Quantaux habillemens,tu les veftirastantoilde la peaud'vnLion,tantoftd'vnOurs,tantoft

\Demt'JfaabLamaPanthcroetergarétorquons.

Tu n'oublirasà fortifier& afleurertonefprit(s'ileftendoute)ouparvnaugure,ouparvnoracle,comme,

AircxfollicitusmonjlrisoraculaFauniFatidicigenitorisudit. Puis,

AjpicebisfenosIcetantesagmineCyows.

Et en vneautrepart,

EeceleuisfummodeverticevifusluliFunderelumenapex.

Il ne fautauiïïoublierles admonellemensdesDieuxtransformezen vulgaires.

FormaiumverlituravisAntiquwninBuleni;hicDardanioAucbifoeArmigevani'efuit.

Tu ne tranfpofernsiamaisles parolesny de ta profeny.detes

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f28

vers:carnoftrelanguenele peutporter,nonplusquele Latinvufolecifme.Il fautdire,LeRoyallacoucherdeParisà Orléans,&nonpas,A OrléansdeParisleRoycoucheralla.

I'ayelled'opinionen ma ieunefTe,quelesversquieniambentl'vn fur l'autre,n'eftoientpasbonsen noftrepoëfie;toutefoisi'aycognudepuislecontraireparla le&uredesAutheursGrecs&.Ro-mains,comme,

LauiniavenitLitîora.

I'auroisaufïipenfé,quelesmotsfiniflansparvoyelles&diphthon-gues,& rencontransaprèsvn autrevocablecommençantparvuevoyelleou diphthongue,rendoientle versrude:i'ayapprisd'Ho-mèreSede Virgile,que celan'eftoitpointmal-feant,comme,fubÏUoalto,Ionioin magno.Homèreenefttoutplein.le m'alfeurequeles enuieuxcaqueteront,dequoyi'allegueVirgileplus fouuentqu'Homèrequieftoitfonmaiftre,&:fonpatron: maisie I'ayfaittoutexprés,fçachantbienquenosFrançoisontplusdecognoilTancedeVirgile,qued'Homère&d'autresAutheursGrecs.le fuisd'aduisdepermettrequelquelicencea nos PoëtesFrançois,pourueuqu'elle,{bitrarementprife.Delà fontvenuestantdebellesfiguresquelesPoètesenleurfureuronttrouuées,franchisantlaLoydeGrammaire,quedepuislesOrateursde fensraflïsontilluftrées,&leurontquafibaillé^ours&crédit,faifansleurprofitde lafolied'autruy.

Quantauxcomparaifonsdonti'ayparléaucommencementaftezbriefuement,tu leschercherasdesartifansde fer&desveneurs,commeHomère,pefcheurs,architectes,mafïbns,& briefde tousmeftiersdont la naturehonoreleshommes.Il fautlesbienmettre& lesbienarrangerauxlieuxpropresdeta Poëfie:carce fontlesnerfs&tendonsdesMufes,quandellesfontplacéesbienà propos,&feruantesà la matière:finon,ellesfontdutoutridicules&di-gnes du fouet.Nefoisiamaislongentesdifeours,fi cen'eftquetu vueillesfairevn liuretout entierde ce mefmefubjet.CarlaPoëfieHéroïquequieftdramatique,&quineconfiftequ'ena&îon,ne peutlonguementtrai&ervnmefmefujet,maispaflerdel'vn àl'autreen centfortesde varietez.Ilne fautoublierde faire,à lamodedesanciens,descourtoifiesauxeftrangers,desmagnifiquesprefensdeCapitaineà Capitaine,de foldatàfoldat,tantpourcom-menceramitié,quepourrenouuelerl'ancienne,&pourauoirdepèreen filslogélesvnschezlesautres.Tu embellirasde brauescircon-ftancestes dons,&ne lesprefenterastousnudsnyfansornement,commeleprefentdu RoyLatinà JEnee:

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NOTES. ^29

Slabant1eroeiitumultidiinproefcptbusalth.OmnibusextemploTcucrisiubetordineduciInjlratosojlroaîipedes,piâifquctapetis.Aureapeâoribusdemijfamouillapendent,Teâiaurofuîuummanduntfubdenttbusaurum.AbfentiJEnececurrum,geminôfqueiugalesSemineabcethereoJpirantesnaribustgnem,Illorumdegénie,patriquosdcedalaCirceSuppofitademairenothosfuratacreauit.

Et au cinquième:

Ipfisproecipuosdudoribusaddithonores,Viâorichlamydemauratam.

VumédiocrePoètefe fuftcontentédecela,ciu'euftpasadioufté,

PurpuraMaandroduplicîMeliboeacucttrrit.

Encoremoins,

IntextûfquepuerfrondofaregiusIdaVeloccsiaculoceruoscurfûqttefaligat,Aceranhelantiftmilis.

Encoreiamaisvu mauuaisPoëtene fe fuftibuuenude cediuinhemiftiche,

...Soeuitquecanumlatratusadauras.

Tu n'oublirasà fairearmerlesCapitainescommeil faut,detoutesles piècesde leursharnois,fuitque tu les appellesparleurnompropre,ou par periphrafes: car celaapportegrandornementâ laPoëfièHéroïque.

Tu n'oublirasauflila pifte&battementde pieddescheuaux,& reprefenteren tes versla lueur & la fplendeurdes armesfrappéesde la clartéduSoleil,&à fairevolerlestourbillonsdepoudrefoubsle pieddes Soldats& des cheuaux,courantsà laguerre,le crydesSoldats,froiïîisdepicques,brifementdelances,accrochementdehaches.&lefoudiaboliquedescanons&harque-bufes,qui fonttremblerlaterre,&froifîerl'aird'alentour.Si tuveuxfairemourirfurlechamp,quelqueCapitaineou Soldat,il lefautnaurerau plusmortellieudu corps, commele cerueau,le

Ronsard.—J1I. U

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coeur,la gorge,lesaines,le diaphragme:&lesautresquetuveuxfeulementblefter,es partiesquifontlesmoinsmortelles: &en celatu doiseftrebonAnatomifte.Siquelqueexcellenthommemeurt,tu n'oublirasfonEpitapheen vne demieligne,ouvne au plus,engrauantdanstesverslesprincipauxoutilsde fonmeftier,commede Mifenequiauoitcftétrompetted'He&or,puisauoittiréla ramede bonnevolontéfoubsiEnee: carc'eftoitanciennementl'exercicedegrandsHéros&Capitaines,&mefmedecesquaranteCheualliersqui allèrentauecïafonenColchos.Tuferasinduftrieuxà efmou-noirlespartions& affe&ionsdel'ame,carc'eftla meilleurepartiede ton meftier,pardes carmesquit'efmouurontle premier,foità rireou à pleurer,afinquelesLc&eursen facentautant aprèstoy.

Tu n'oublirasiamaisderendrele deuoirqu'ondoita laDiuinitc,oraifons,prières,&facrifices,commençant&unifianttoutestesac-tionsparDieu,auquelleshommesattribuentautantdenomsqu'ila depuiffances&devertus,imitateurd'Homère&de Virgilequin'yont iamaisfailli.

Tunoterasencores,Lefteur,cepoincl:quite mèneratoutdroiclauvraychemindesMufes: c'eftquele Poëtene doitiamaisprendrel'argumentde fonceuure,que troisou quatrecensansne foientpartezpourle moins,afinqueperfonneneviueplusdefontemps,qui le puifTede fesn&ions&vray-femblancesconuaincre,inuo-quantlesMufesquife fouuiennentdu parte,&prophetifentl'ad-uenir,pourl'infpirer& conduireplusparfureurdiuinequeparinuentïonhumaine.Tu imiterasles effectsde la natureentoutestes deferiptions,fuiuantHomère.Cars'il faitbouillirde l'eauenvn chauderon,tu le verraspremierfendrefonbois,puisl'allumer& le foufler,puisla flameenuironnerlapanfedu chauderontoutà l'entour,&Tefcumedel'eaufeblanchir&s'enflerà grosbouil-lonsïiuecvn grandbruit: Seainfïdetouteslesautreschofes.Caren tellepeinture,oupluftoftimitationde laNature,confiftetoutel'amede laPoëfieHéroïque,laquellen'eftqu'vnenthoufiafme&fu-reur d'vn ieunecerueau.Celuyquideuientvieil,mattéd'vnfangrefroidy,peutbiendireadieuauxGrâcesSeauxMufes.

Donc,Ledeur,celuyquipourrafairevntelouurage,Sequiauravnebouchefonnantplushautementquelesautres,&toutefoisfansfeperdredanslesnues,qui aural'efpritpluspleindeprudenceSed'aduis,&lesconceptionsplusdiuines,&lesparolesplusrehauf-fées&recherchées,bienartifesenleurlieuparart &nonâ lavo-lée,donne-luynomdePoëte,& non au verfificateur,compofeurd'Epigrammes,Sonnets,Satyres,Elégies,Seautrestelsmenusfatras,

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NOTES. fj I

où l'artificene fe peuteftendre: lafimplenarrationenrichied'vnbeaulangage,eftlafeuleperfectiondetellescompofitions.

Veux-tufçauoir,Lecteur,quandlesversfontbons&dignesdela réputationd'vnexcellentouurier?Suy leconfeild'Horace:ilfautquetu lesdefmembres&defaffemblesdeleurnombre,raefure&pieds,quetu lestranfportes,faifantlesderniersmotslespremiers,&ceuxdumillieulesderniers.Situ trouuesaprèsteldefaffemble-mentde la ruinedubaftiment,debelles&excellentesparoles,&phrafesnonvulgaires,quite contraignentd'enleuertonefpritoutreleparlercommun,penfequetelsversfontbons&dignesd'vnexcel-lentPoëte.Exempledesmauuaisvers:

Madame,enbonnefoy,icvousdonnemoncoeur:N'ifeipointenuersmo\s'ilvouspîaijlderigueur.

Effacecoeur,&rigueur,tun'y trouuerasvnfeulmotquine foitvulgaireoutriuial: Oùfitu lisceux-cy,

Sonharnoisilendoffe,&furieuxauxarmesProfenditpar lefervnfcadrondegenfd'armes:

tu trouuerasau defmembrement& delliaifonde cesdeuxcarmes,qui teferuentd'exemplepourlesautres,toutesbelles&magnifiquesparoles,Harnois,endojfe,furieux,armes,profendit,fer,fcadron,genf-d'armes.Celafedoitfairetantquel'humainartificele pourra:carbienfouuentlamatièrenyleferrsnedéfirentpastellehauffeuredevoix,&principalementlesnarrations&pourparlersdesCapitaines,confeils&délibérationses grandesaffaires,lefquellesne deman-dentqueparolenue6cfimple,&l'expofitiondufaifl:: cartantoftildoiteftreorné,&tantoftnon: carc'eftvnextrêmeviceà vnOrféurede plomberdel'or. Il fautimiterlesbonsmefnagers,quitapiffentbienleursfales,chambres&cabinets,&nonlesgaletas,oùcou-chentlesvalets.TuauraslesconceptionsgrandesSehautes,commeie t'ay plufieursfoisaduerti,&nonmonftrueufesny quinteflen-cieufescommefont cellesdesEfpagnols.11faudroitvn Apollonpourlesinterpréter,encory feraitbienempefchéauectousfesoracles&Trépieds.

Tu n'oubliraslesnomspropresdesoutilsde tousmeftiers,&prendrasplaifirà t'en enquerreplusquetupourras,&principale-mentdelaChaffe.Homèrea tirétoutesfesplusbellescomparaifonsdelà.leveuxbient'aduertir,Lecteur,deprendregardeauxlettres,&fer»sjugementdecellesquiontplusdefou,cedecellesquienont

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H*

le moins.Car A, O, V,&lesconfonesM, B, &lesSS, finiflantslesmots,&fur touteslesRR,quifontlesvrayeslettresHéroïques,fontvnegrandefonnerie& batterieauxvers.SuyVirgilequi eftmaiftrepafféen la compofition&ftrucluredescarmes: regardevupeuquelbruitfontcesdeuxicyfur la fin duhui£tiefniedel'M-neide:

Vnàomîtesruere,ac totumJpumareredudisConttulfumremis,rojlrisftridentibusteqnor.

Tu en pourrasfaireen ta langueautantquetu pourras.Tun'oublierasauffid'inférerentesversceslumières,oupluftoftpetitesâmesdela Poéfie,comme,

llaliammettreiacens,

quieftproprementvn Sarcafme: c'eftà dire,vnemocquerie,quelevainqueurfaitfurle corpsnauréà mortdefonennemy:

Et fratremnedéfèrefrater.Et didcesmoriensremimfciturArgos,Seminecèfquemicantdigiti,ferrumqîieretraâant.

Aurefte,Leâeur,fi ie te vouloisinftruire&t'informerde touslespréceptesquiappartiennentà la PoëfieHéroïqueil mefaudraitvneramede papier: Maislesprincipauxquetu asleu auparauant,te conduirontfacilementà la cognoiffancedesautres.Or venonsànosverscommunsdedixà onzefyllabes,lefquelspoureftrepluscourts&prenez,contraignentlesPoètesde remafcher&ruminerpluslonguement:&tellecontrainteen méditant&repenfant,faitleplusfouuentinuenterd'excellentesconceptions,richesparoles&phrafeselabourées: tant vautla méditation,quipar longueurdetempslesengendreen vn efpritmelancholique,quandla bridedela contraintearrefte& refraintla premièrecourfeimpetueufedesfureurs& monftrueufesimaginationsdel'efprit, à l'exempledesgrandesriuieresquibouillonnent,efcument&fremiflentà l'entourdeleursremparts: oùquandellescourentla plainefanscontrainte,ellesmarchentlentement&parcfTeufement,fansfrapperlesriuagesny d'efcumesny de bruit.Tu n'ignorespas,Ledeur,qu'vnPoëtenedoitiamaiseftremédiocreenfonmeftier,nyfçauoirfa leçonàdemy,maistoutbon,tout excellentiktout parfait: la médiocrité

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eft vn extrêmeviceen la Poëfie,il vaudroitmieuxne s'enméfieriamais,&apprendrevnautremeftier.

D'auantageie te veuxbienencouragerde prendrelafagehar-dieffe,d'inuenterdesvocablesnouueaux,pourueuqu'ilsfoientmoulez&façonnezfusvnpatrondéfiareçeudupeuple.Il eftfortdif-ficiled'efcrirebienen noftrelangue,fiellen'eftenrichieautrementqu'ellen'eftpourle prefent,demots& de diuerfesmanièresdeparler.Ceuxquiefcriuentjournellementen elle, fçauentbienàquoyleurentenir:carc'eftvueextrêmegeinedefeferuirtoufioursd'vnmot.

Outre ie t'aduertide ne faireconfciencede remettreen vfagelesantiquesvocables,&principalementceuxdulangageWallon&Picard,lequelnousreftepartantdefieclesl'exemplenaïfdelalangueFrauçoife,i'entende cellequi eutcoursaprèsquela Latinen'eutplusd'vfageen noftreGaule,&choifirlesmotslespluspregnnnts&fignificatifs,nonfeulementduditlangage,maisdetouteslesPro-uincesde France,pour feruirà la Poëfielors quetu en aurasbefoin.

Malheureuxeftle debteur,lequeln'aqu'vnefeuleefpecedemon-noyépourpayerfoucréancier.Outre-plusfi lesvieuxmotsabolispar l'vfageont laifféquelquereietton,commeles branchesdesarbrescouppezfe raieuniffentde nouueauxdrageons,tu le pourrasprouigner,amender&cultiuer,afinqu'ilfe repeupledenouueau:exemplede Lobbe,quieftvnvieilmotFrançoisqui lignifiemoc-querie&raillerie.Tupourrasfairefurle nomle verbeLobber,quilignifieramocquer& gaudir,& milleautresdetellefaçon.Tutedonnerasde garde,fi ce n'eftpargrandecontrainte,de te feruirdesmotsterminezen ion,quipartentplusde troisouquatrefyl-labes,commeabomination,teftification: cartelsmotsfontlanguif-fants,& ontvnetrainantevoix,&quipluseft,occupentlangui-dementla moitiéd'vnvers.C'eftautrechofed'efcrireenvnelanguefloriffautequieftpourle prefentreçeuëdupeuple,villes,bourgades&citez,commeviue&naturelle,approuuéedesRois,desPrinces,desSénateurs,marchands&trafiqueurs,&decompoferenvnelanguemorte,muette&enfeueliefousle filencede tantd'efpacesd'ans,laquellenes'apprendplusqu'àl'efcoleparle fouet&;parla lefturedesliures,aufquelleslanguesmortesil n'eftlicitederieninnouer,difgraciéesdutemps,fansappuyd'Empereurs,nydeRois,deMa-giftratsny devilles,commechofemorte,laquelles'eftperdueparle fildes ans,ainfique fonttouteschofeshumaines,quipendentvieilles,pourfaireplaceaux autresfuiuantes&nouuelles:carce

.n'eft la raifonquela naturefoittoufioursfiprodiguedefesbiens

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ù deuxou troisnations,qu'ellene vueilleconferuerfusricheflesauftibien pour les dernièrescommeles premières.En telleslanguespaflées&defuncîes(commei'aydit)il nefautrieninnouer,commeenfeuelies,ayantrefignéleur droidauxviuantesqui Au-rifienten Empereurs,PrincesSeMagiftrats,quiparlentnaturelle-ment,fansmaiftred'efcole,1*vfagele permettantainfi: lequelvfagele permeten la mefmefaçonquele commerce&traficdesmon-noyéspourquelqueeipacedetemps;leditvfagelesdeferiequandil veut.Pourceil ne fe fauteftonnerd'ouïrvn motnouueau,nonplusque de voirquelquenouuelleIocondalle,nouueauxTallars,Royales,DucatsdefaiiiclEftienne,&Piftolets.Tellemonnoye,foitd'oroud'argent,fembleeffrangeau commencement: puisl'vfagel'adoucitcedomeftique,la faifantreceuoir,luydonnantauthorité,cours,& crédit,cvdeuientaufiîcommunequenosteftons& noseleusau Soleil.

Tuferastres-aduiféenlacompofitiondesvocables,&nelesferasprodigieux,maisparboniugement,lequeleft lameilleurepartiede l'homme,quandil eftclair6vnet,&nonembabouinénycor-rompude nionftrueufesimaginationsde ces robinsdeCourquiveulenttoutcorriger.

le te coufeilled'vferindifféremmentde tousdialectes,commei'aydéfiadit:entrelefquelsle Courtifanefttoufioursleplusbeau,à caufede la MajeftéduPrince:maisil ne peuteftreparfaitfansl'aidedesautres:carchacuniardina faparticulièrefleur,Setoutesnationsontaffaireles vuesdesautres: commeen noshauresSeports,la marchandiiebien loin cherchéeen l'Amérique,fe débitepar tout.ToutesProuinces,tant foient-ellesmaigres,feruentauxplusfertilesde quelquechofe,commelesplusfoiblesmembres,&lespluspetitsdel'homme,feruentauxplusnoblesducorps.le teconfeilled'apprendrediligemmentlalaugueGrecqueSeLatine,voireItalienne& Efpagnole,puisquandtu les fçaurasparfaitement,teretireren tonenfeignecommevn bonfoldatSecompoferen talanguematernelle,commea faitHomère,Hefiode,Platon,Ariftote,&Theophrafte,Virgile,Tite-Live,Sallufte,Lucrèce,Semilleautres,quipartaientmefmelangageque leslaboureurs,valetsSecham-brières.Carc'eftvn crimedelezeMajeftéd'abandonnerlelangage.de fon pays,viuantcvflorifiant,pourvouloirdéterrerie ne fçayquellecendredesanciens,Seabbayerles veruesdes trefpafiez,&encoreopiniaftrementfebrauerlàdefTus,&dire,I'atteftelesMufesqueiene fuispointignorant,&ne criepointeh langagevulgairecommecesnouueauxvenus,quiveulentcorrigerle Magnificat:en-coresqueleursefciïtseftraugers,tant foient-ilsparfaits,ne feau-

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m

roicnttrouuerlieuaux boutiquesdesApothicairespourfairedescornets.

Commentveux-tuqu'onte life,Latineur,quandà peinelit-onStace,Lucain,Seneque,Silius& Claudian,quine feruentqued'ombremuetteen vneeftude; aufquelson neparleiamaisquedeuxoutroisfoisenla vie,encorequ'ilsfuffentgrandsmaiftresenleurlanguematernelle?&tu veuxqu'onte life,quiasapprisenl'efcoleà coupsdevergeslelangageeftranger,quefanspeine&natu-rellementcesgrandsperfonnagespartaientà leursvalets,nourrices&chambrières.O quantesfoisay-iefouhaitéquelesdiuinestelles&facréesauxMufesdeIofepheScaliger,Daurat,Pimpont,D'Emery,FlorentChreftien,Pafferat,vouluffentemployerquelquesheuresàfihonorablelabeur,

GallicaJequanlisaitollf.tgloriaverbisf

le fupplietres-humblementceux,aufquelslesMufesontinfpiréleurfaueur,den'eftreplusLatineursniGrecanifeurs,commeilsfontplusparoftentationquepardeuoir: & prendrepitié,commebonsenfants,de leur pauuremèrenaturelle:ils en rapporterontplusd'honneur&de réputationà l'aduenir,ques'ilsauoient,à l'imita-tion de Longueil,Sadolet,ou Bembe,recoufuou rabobiuéie nefçayquellesvieillesrapetafferiesde Virgile6cdeGiceron,fanstantfe tourmenter: carquelquecliofequ'ilspuiffentefcrire,tantfoit-elleexcellente,ne fembleraquele cryd'vneOye,auprixduchantdecesvieilsCygnes,oifeauxdédiezà PhebusApollon.Apreslapre-mièrelecturede leursefcrits,onn'entientnonplusdecontequede fentirvnbouquetfani.Encorevaudroit-ilmieux,commevnbonbourgeoisoucitoyen,rechercher&fairevn Lexicondesvieilsmotsd'Artus,Lancelot&Gauuain,oucommenterleRomaindelaRofe,ques'amuferà ie nefçayquelleGrammaireLatinequia pafféfontemps.D'auantagequ'ilsconfiderentcommele Turcen gaignantla Grèce,en a perdulalanguedutout.LemcfmeSeigneuroccu-pantpararmesla meilleurepartiedetoutel'Europe,où onfouloitparlerlalangueLatine,l'atotalementabolie,reduifantlaChreftienté,defi vafte& grandequ'elleeftoit,au petitpied,ne luy laiffantprefquequelenom,commecellequin'a plusquecinqoufîxna-tions,oùlalangueRomainefedébite: &n'eufteftélechantdenosEglifes,&Pfalmes,chantezau lutrin,longtempsy a quela langueRomainefe fuftefuanouye,commetouteschofeshumainesont leurscours;&pourle iourd'huyvautautantparlervnbongrosLatin,pourueuque l'on foitentendu,qu'vnaffettélangagede Ciceron.

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n6

CaronneharangueplusdeuantEmpereurs,neSénateursRomains;&lalangueLatinenefertplusderienquepournoustruchementeren AUemaigne,Pologne,Angleterre,& autreslieuxdecepays-là.D'vnelanguemortel'autreprendvie, ainfiqu'ilplaiftà l'arreftduDeftin&à Dieuqui commande,lequelne veutfouffrirque leschoiesmortellesfoientéternellescommeluy,lequelîefupplietres-humblement,Le&eur,te vouloirdonnerfa grâce,&ledefird'aug-menterle langagede ta nation.

Quantà noftreefcriture,elleeftfortvicieufe&corrompue,&melemblequ'ellea grandbefoindereformation:&deremettreen fonpremierhonneur,le K, &le Z, & fairedes charaâeresnouueauxpourla doubleN, à lamodedesEfpagnolsn, pourefcrireMonfei-gneur,&vne L, double,pourefcrire,orgueilleux,le t'en dirayd'auantage,quandi'enaurayleloifîr.A Dieu,candideLecteur.

DefcriptasferuarevicesoperûmquecoloresCurego,n"nequeo,ignorôque,Poetafalutor?Curnefcirepudensprauéquâmdifceremalo?

Resgeilieregûmque,ducûmque&triftiabellaQuopoflintfcribinuméro,monftrauitHomerus.

HOR.

Homère,defcien.ce&denomillujlrc,Et leRom-tinVirgileajfe%nousontmonjîrèComment&parquelart, &parquellepratiqueIlfaïloltcompofervnouurageHéroïque:Dequellefortehaleine,&dequeliondeversVariéd'argumens&d'accidensdîners.Vayfnyuileurpatron; àgênons,Franciade,Adorel'/Enéide,adorel'Iliade:Reuereleursportraits,&lesfuyd'aujfiloingQu'ilsm'ontpaffèd'ejprit,d'artifice&de/oing:Miraclenonejlrangeà celuyquicontempleCesdeuxgrandsDemy-dieux,digneschacund'vnTemple,L'vnRomain,l'autreGrec,à quilesdeuxamisEt lesMufesauoicnttoutdit &toutpermis,Et nonà moyFrançois,dontla languepeuriche.

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f 37

Couuertedeballierstouslestoursfcdesfriche,Sansmots,fansornemens,fanshonneur&fanspris,CommevnchampquifaitpeurauxplusgentilsejpritsDeslaboureursactifsà nourrirleursmefnages,QuitournentlesgueretspleinsderoncesfanuagesEt d'herbesauxlongspieds,retardementdesboeufs,Afauted'artifansquin'ontpointdouanteuxDesfrichènyvirélacampagneferne,Quimaintenantreuefchearrefteleurcharrue,Lutttantcontrelefocd'herbesenuironnê.Maisquoy?prenonsengrécequinousejïdonné,Achetionsnofïretafche,&croyonsd'affeuranceQuecesdeuxejîrangerspourrontlogerenFrance,Sila Parquemerit, refehaufantlafroideurDeshommesbienadroitsàfuturemonardeur,Sanscraindredescaufeursleslanguesvenhneufes,PourueuquenousrendionsnosProuincesfameufes,Nond'armes,maisd'eferits:carnousnefommespasDenatureinclineàfuiurelescombas,MaislebaldesneufSoeurs,dontla ventenousbaillePlusd'ardeur,qu'auxfoldartsdevaincreà la bataille.Ilsnefontvlcere\finonpar ledehors,Auxïambes&auxbras,&fur lapeauducorps:Nousaufonddel'ejprit&auprofonddel'ame,TantVaiguillond'honneurviuemeninousentame,La Mnfeentellepartdefontraiâvapoignant:Et encorquelecoupn'apparoiffefaignant,Sieft-cequ'ilnousbleffe,&nousrendfantafiques,Chagrins,capricieux,hagards,melancholïques,VaijfeauxdontDieufcfert,faitpourprophétiser,Oufaitpourenfei'gner,foitpourauthorifer,Veftusd'habitsgreffiers,parparolesruralesLesarrejlsdeNature&leschefesfatales.TelsduvieilApollonlesMinijhcsefoient,Oufujlfur le trépied,oufuji lorsqu'ilschantoient:Et telsceuxd'auiourd'huy: carl'antiqueCybelle(LaNaturei'enlen)n'alaryjamammellcPourmaigren'allaiterlesSièclesauenir,Nynefera iamais: cefcroitdeneuirVuemerebrebaigneenlieud'cjlreféconde.Touttelqu'auparauantferatouftounleMonde.Or commeil phùftà Dieulesjieclcs&lesans

H-

Page 543: Ronsard, Oevvres

5"}8 NOTES.

Apportentà nosversricheffes&prefans,Créditentrelesrois,oitfouucniparfortuneVuprendlebienacquisà toute,vuecommune.Celas'ejlloufioursfait, & toafioursfe fera,Tantquelemondeentieren/esmembresfera.Maintcourtauxieuxd'Olympe,vnfeulleprixemporte:Lachancedesmortelsrouledetelleforte.

OnconnaîtencoredeuxautreséditionsséparéesdeLaFranciadc:1573,Paris,Buon,in-16,8 et103feuillets;— 1574,Turin,I.-F.Pico,in-16,7 feuilletset 204p. Il y a desexemplairessansdatedecettemêmeédition.

Ce poèmedevaitavoirvingt-quatrelivres,commeL'Iliade.Col-letét dit à ce sujet: «Il eït fi vniyqueRo11farden nousdonnantcet eichantillond'vnpoëmcépique,auoitl'intentionde nousdon-nerlapièceentièrequeClaudeBinetrapporte,enquelqueendroictde fa vie,qu'il luyen auoitmoiiftrélesargumensdesdouzepre-miersHures,ceque ClaudeGarnierm'aconfirmédepuis,lorfqu'ilme diél que feu Iean Gallandiusles gardoitencoreparmyfespapiers.»Ronsarda expliquelui-mêmelacausedel'interruptiondesonpoème.(Voyezp. 294duprésentvolume.)

Diverspoètesont entreprisde donnerà La Franciadcdessuitesqu'ilsn'ontpaspousséesjusqu'aubout: JacquesGuillauta publiéuncinquièmelivreà Parisen 1606et unsixièmeà Bourges,chezM.Levet,en 161$,in-8°;Cl. Garnier,l'un descommentateursdeRonsard,a donnéaussi,en1604,un livrede La Franciadc,in-8°.

La Franciadca étémiseparlescritiquesduxvr° siècleaumêmerangqueles plusgrandspoèmesde l'antiquité.EstieunePasquiers'exprimeainsidansle chapitredesesRecherchesdelaFranceinti-tulé: QuenosPoètesFrançois,imitantlesLatins,lesontfouventcfgale~,&quelques-foisfurmontez(nv*VII, c. x del'édit.de 1643): «laDieuneplaifequeie mettefacilementnoftreRonfardau parangondugrandVirgile: Car ce feroitblafphemer(fi ainfivoulezqueiedie)contrel'ancienneté,toutes-foisie vousprienetrouuermau-uais fi ie vousapporteicy des piècesde l'vn & de l'autrefurmefmesfuiets,par lefquellesvousverrezque s'ilempruntaquel-quesbellesinuentionsdeVirgile,il lesluypayafur le champà fihautintereft,qu'ilfemblequeVirgileluydoiuedu retour.»

Nousnouscontenteronsde signalercescurieuxrapprochementsqueleurétenduene nouspermetpasde rapporterici.

Dansla Prccellencedulangagefrançois,HenriEstienneen a faitd'autresdumêmegenre.Ildit (édit.de1579,P-22):«Entrelestra-

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NOTES. f}9

du&ionsdespartagesde Virgile,Ouide,ou autre,faiclesparlesplusexcellenspoètesFrançoisdece temps(dontie feraycompa-raifonaueclesItaliennes)neferaoubliéecellede PierreRonfard,d'vnlieuqueVirgilea prisd'ApolloniusRhodius.» Un peuplusloin (p. 24) il rapprochedu morceaudu IIe livrede VEnéide(v.469)qui commencepar:

Vejlihulumanteipfumprimoquein liminePyrrhusExultât...

et del'imitationqueTAriosteen a faite(ch.XVII, st. n) :

Stafit laportail red'Algier...

cesversde Ronsard:

DatantlaporteefloitcejleraceHedorec,Luifanteenvuharnois,dontlaclartéferréeDufoleilrebatue,esblouiffoitlesyeuxD'vntremblantemeri,volantiufqucsauxdeux.Ellecrejpoitvudardenfa dextrcfupcrbe,Semblableà ceferpeut,quipudemauuaifeherbeSortducreuxdela terre,&auprintempsnoitucau,Sonvieilhabitchangé,reprendmutuellepeau.Droitdeuerslefoleilil dreffefa poitrine,Efchaufantlesreplisdefa glijfanteefchine:Bragarddefa ieunejfe,&encentnoeusretorsAccourcit&alonge&enlacefoncors,Relîche&repolitfesefcaillcsbieniohites,Sijjlantà colenflédefa langueà troispointes.

«La comparaifondontvfeVirgileparlantdePyrrhus,&Arioftefparlantde fonRodomont,eft icipar Ronfardaccommodéeà fonFrancus:Semifeenparolesfipropres&figraues,qu'ilfemble,enfurmontantAriofte,quant&quantcombatreVirgile.»

LéonFeugère,parlantdes versque nousvenonsde rapporter,dit: «Jelesaicherchésenvain...On remarquerad'ailleursquecesont desalexandrins,tandisqueles versdeLaEranciadesontdedixsyllabes.»(LaPrécellenceduLangageFrançois,p.53.Éd.dei8>o).Faut-ilcroirequ'Esticnnea rapportéiciquelquesversappartenantà unessaiduPoèmeenversalexandrins? Celaparaîtd'autantplus

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Ho

vraisemblablequ'ildéclare,danssonAbbregcdel'Artpoétique,n'avoiremployéd'autresverspourLaFranciade,quecontresongré«efpe-rantvniourlafairemarcherà lacadenceAlexandrine.»

2. ...iedefrobay...,p. 14.Dansl'éditionde 1623,qui contientles commentairesde Mar-

cassusetde Richelet,ontrouve,mêléesautextedeLa Franciade,un certainnombrede notesévidemmentde Ronsardlui-même;nousreproduironslespluscurieuses:

«I'ay elle contraintde reprefenterIupiterà la modedesPoètestragiques,lefquelsfontparlervn Dieu,quandla chofeeftdutoutdefefperée&horsdela cognoiffancedeshommes.Pourcehommeviuautn'euftfçeufçauoircommentFrancusauoitefté fauué,fiïupitermefmes,qui l'auoitgaranti,ne l'euilraconte.»

3. Cachantl'enfantdanslesplisdemonfein,p. 15.«C'eftcequedifentlesLatinsfinus: c'eftoitvnepiècede drap,

ou d'autrefemblablematière,large& longue,plîée,coufue,&entéeà la robe,enla partiequieftdeuantl'eftomac,qu'ilsretrouf-foientpardeffusl'efpauledextre,&dubouts'encouuroientlatefte:carilsne portoientpointdebonnet.I'ayveudesvieillesmédaillesdetelleforte.»

4. ...foudrier...,\>.ij,La notede Ronsardsurcemot,quenousavonsreproduiteen

manchette,setermineainsidansl'éditionde 1623: «Surtelsmotsdéfiavfitezcercçeus,i'ayforgéFoudrier,fuyuantHorace.

LicnitjfemperquelicebitSignalum.proefenlenotaproducerenomen.

Celaeftpermisauxlangagesvifs,dont lespeuplesvfentauiour-d'huy,nonauxlanguesmortes,commela Grecque&.Romaine,lef-

quellesne peuuentplusrieninnouer: commecellesquiont faitleurtemps,enfeueîies&dutout efteintes.»

5. ...commande...,p. 38.

Dansl'éditionde 1623, notcsc termineainsi: «LesGrecsl'appellentTrpupj'/ifnov,lesLatinsrudens.»

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H'

6. LE SECONDLIVREDELAFRAXCIADE,p. 41.LaBibliothèquenationalepossède,sousle n° 193141du fonds

français,unmanuscritin-foliodecesecondlivreprovenantdufondsSaint-Germain.

7. Allaitàforce.,.,p. 90.Dansl'éditionde 1623:

Alloitmehaigne...

Ony lit à l'occasionde cemot: «Mehaigne,perclus,cequelesGrecsappelloientTmpo'ç.NoscritiquesfemoquerontdecevieilmotFrançois:maisil lesfautlaiflercaqueter.Aucontraire,iefuisd'opi-nionquenousdeuonsretenirlesvieuxvocablesfignificatifs,iufquesà tant quel'vfageen auraforgéd'autresnouueauxen leurplace.»

8. Puisenfoujflantfur lesfueillesvnpeu,p. 139.Toutcequi précèdeet cequisuitestassezdifférentdansl'édi-

tionde 1623.Icion lit :

Quel'alnmetteau becdefoulfreadonqPrompterécent: lafiamevoleen-long;Puisejlargieauitiafa pajlureDespinsgommeuxquifontfecsdenature.

Celadonnelieupourlemotavivaà cettenote: «renditviue,»quisembleindiquerqu'ilétaitnouveaudanscetteacception.

9. ELÉGIESVRLELIVREDELACHASSEDVFEVROYCHARLESIX..., p. 177.

Ce livrea été imprimépourlapremièrefoiseu 1625.Lesversde Ronsardn'y ont pasétéjoints.M. Chevreullesa recueillislepremierdanssonéditionpubliéeen1857.

10.RESPONSEAVXVERSPRECEDENSdufeuRoyCharlesneufieme,p. 179.

Cetteréponseetcellequ'onlit auxpages182-184,ontparupourla premièrefoisdansunpetitrecueilintitulé:

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f42 NOTES.

LES

ESTOILLES A MON-

SIEVR DE PIBRAC,

ET DEVX RESPONSES A DEVX

Elégies enuoyéespar le feu Roy Charles à Ronfard,Outre, vne Ode à Phoebus,pour la fanté dudit

feigneur Roy.Puis Vn difcours au Roy Henry troifiefme à fon

arriuée en France.

Par P. de Ronfard GentilhommeVandomois.

<APARIS,

Chez GabrielBuon, au cloz Bruneau,à Venfeignede fainSl Claude.

*17hoAuecpriuilege du Roy..

in-40de 14feuilletsnonchiffrés.DanscetteéditionlesdeuxélégiesdeCharlesIX sontseulement

indiquéespar leurspremiersvers. Il existeune troisièmeélégiebeaucoupplusconnue,maisd'uneauthenticitéfortdouteuse:

L'artdefairedesvers,dentons'enindigner,Doitefireà plushautprixqueceluyderégner.TousdeuxégalementnousportonsdesCouronnes;Mais,roy,ielesreçois,&Poète,tu lesdonnes.Tonejprit,enflamméd'vnecelefleardeur,Efclatteparfoy-mefme,&moyparmagrandeur.SidueoftèdesDieuxiecherchel'auantage,RonfardeflleurMignou&iefuis leurImage.Talire,quiraititpardefi douxaccords,T'afferuillesefpritsdontien'ayquelescorps;Ellet'enrendlemaiftre,&tefait introduireOuleplusfierTyrannepeutauoird'Empire.

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T41

Cette,piècese trouveà la page548deYHiJloircdeFrancedepuisPharamomiiufqu'àLouysXIIIÏ... Paris,Antoinede Somniaville,MDCLU,in-40.Ily a lieudesupposerqueJeanRoyer,auteurdecelivreet dcplusieurstragédies,s'estamuséà composercesvers.Ilssontmeilleursqueceuxqu'ilécrivaitd'ordinaire;maisquisaitsisonamiRotrou,qui luia consacréunepiècede versassezéten-due,en tête de sonTrophéed'armesHéraldiques(1655,40),n'yapasmislamain?DanslesrecueilsoùlapièceattribuéeàCharlesIXa étéinsérée,ona ajoutéen têtelesquatrederniersversdel'élégiede lapage181:

TonejpriiejîRotifard...etc.

et à lafin:

Elleamollitlescceurs&foumetla beauté:lepuisdonnerla mort,toil'immortalité.

11.LE BOCAGEROYAL,p. 185.L'éditionoriginaledesOdesdeRonsardpubliéeen 1550a pour

titre: LesquatrepremiersHuresdesOdesde PierredcRonfard,en-fcmblefonBocage(voyezTomeII, p. 471,note45).Quatreansplustarda paru:

?*à LE BOCAGE

DE P. DE RONSARD

VANDOMOYS, DEDIE' A

P. de Pafchal, du bas païs

de Languedoc.

A PARIS,

Chej la Venue Maurice de la Porte, au cloyBruneau, a VenfeigneJainâ Claude.

Auec priuilege du Roy.

'ÎH-

Cevolume,de formatin-8°,se composeJe quatrefeuilletsnonchiffréset de cinquante-sixfeuilletschiffrés.Auversodutitresetrouvele portraitde Ronsard;lesfeuilletsI, 2, 3 et lerectodu

Page 549: Ronsard, Oevvres

^44 NOTES.

quatrièmefeuilletsont remplisparle privilègegénéralaccordéaupoète« le quatriefmeiour de larmier,L'ande grâce1553.,» etpar le transportde ce privilègefaitparRonsardà laveuveMau-ricede laPorte,pourlesquatrepremierslivresdesOdeset LeBo-cage,au termedesixans.Onlitau versoduquatrièmefeuillet:

ACHEVE D'IMPRI-mer le vingtfeptième

iour de Nouembre,mil cinq cens cin-

quante qua-tre.

Il imported'ailleursderemarquerquemalgrél'identitédu titrele contenudecesdiversrecueilsestfortdifférent.

Dansl'éditionde 1623au versodu titre du Bocage(t. 1,p. 678)onHtlesverssuivants:

CommevitSeigneurpraticq&foigneuxdume/nageRegardeenfa forejloudedansfonbocageMillearbresdifférentsdefueilles&defruict:L'vnpourVouurageeftbon,VautreindocilefuitLa maindel'artisan;Vautredurderacine,Tantoftvavoirlaguerre,&tantojïla marine:L'autreeftgrejle&chancelle,&Vautreffacieux,Sesbrasdurs&fueillusenuoyeiufqu'auxdeux:AhifidansceBocageonvoitdetoutesfortesD'argumentsdifférents,commetu lesapportes,OMufe!aulaboureurquifçaitbiendéfricherTondomaine,&ftuintlecercler&bêcher,Prodiguanttesprefensà celuyquis'employé.

StaceentrelesRomainsnousenmonjlrala voye,Combienqu'ilfuflfansart,defureurtranjportè,BeaucoupplusampoullcquepleindeMajeflc:Cartousceuxqu'onoytbraire,&heurterà laporteDesMufes,n'entrentpasenleurTemple,deforteQu'ilfautpar longIrauailfepurger&luflrerDemûclenleurfontaineauaniqued'yentrer,S'initiernouiceenleurdancepriuce:«Lelabeuraffuluforcetoutecouruèc.

Page 550: Ronsard, Oevvres

NOTES. f4f

12. ... vouslouaftesl'Hymne&l'apprijlesparcueur,p. 199.Il s'agitde l'Hymneix dulivreI, qui a pourtitre:Du Roy

HenryIII. RoydeFrance,pourlavidoireàeMontconlour,etquicom-mencepar:

Telqu'vnpetitaiglefort.

13.Alorsd'Juraiqu'Apollona nourry,Belleau...p. 241.

L'éditionde 1623porteAmyotaulieudeà'AuraietSauleaulieudeBelleau.

14. DISCOVRS,à...Elizabeth,Royned'Angleterre,p. 242..Cettepiècea parud'abord,en 1565,sousce titre:Elégieà la

mageflcdelaRoy11ed'Angleterre,au premierfeuilletdurecueildécritdanslanote16.

15. DISCOVRSA CECILLE,p. 306.Cettepiècea paruen 1565au feuillet48du recueildécritdansla notesuivante.

16. LESECLOGVESET MASCARADES,p. 350.La Bergerie(éclogue1)et lesMascaradesontparud'aborddans

lerecueilsuivant:

ELEGIES,

MASCARADES

ET BERGERIE,

Par P. de Ronfard Gentilhomme Vandomois.

oA la Maiejléde la Royned'Angleterre.

A PARIS,

Chez Gabriel Buon, au clos Bruneau,

à l'enfeigne S. Claude.

if6f.

cAttecpriuilegc du Roy.

Kmsard.—in. î5

Page 551: Ronsard, Oevvres

H<5 NOTES.

Cerecueilin-40secomposede quatrefeuilletsnonchiffréset dequatre-vingt-septfeuilletschiflrés.Il commenceparune curieusedédicaceen proseà la reineKlisabcth,qui,bienquesignaléeparGandar,n'a pas été reproduiteparBlanchemain.On la trouveradansnotre Appendice.Les piècesquicomposentce volumeontpassédepuisdanslesdivisionsdiversesdesoeuvresdeRonsard.Plu-sieurssontentréesdansLeBocageRayai.Voyezci-dessuslesnotes14-16.Danscerecueilla Bergerieest «Dédiéeà la maiefiédela Royned'Efcolle.» La Bibliothèquenationaleen possèdeunexemplaire,surletitreduquelon litl'envoimanuscritsuivant:

Pour Monfieur de Fidit??

Ronfard.

Page 552: Ronsard, Oevvres

TABLE DES MATIÈRES

CONTENUESDANSLE TROISIEMEVOLUME

LES QVATRE PREMIERS LIVRES

DE LA FRANCIADE.

' Pages.

Argumensdes liures de la Franciade 3Le premier liure de la Franciade 11Le fécond liure de la Franciade 41Le troifiefme liure de la Franciade 83Le quatriefme liure de la Franciade 123

ELEGIESVR LE LIVREDE LA CHASSE

DV FEVROYCHARLESIX. . . . 177Vers du Roy Charles IX à Ronfard 179

Refponfeaux vers precedens du feu Roy Charles

neufieme 179

Page 553: Ronsard, Oevvres

f48 TABLEDESMATIÈRES.

Pages.

Vers du Roy Charles IX à Ronfard 181

Refponfe aux vers precedens dudit feu RoyCharles IX 182

LE BOCAGEROYALDE P. DE RONSARD.

Panégyrique de la Renommée, à Henry III Royde France & de Pologne 187

A luy-mefme 197A luy-mefme 204

Songe. A luy-mefme 209Difcours de l'Equité des vieux Gaulois. A luy-

mefme 21fDifcours ou Dialogue entre les Mufesdeflogees

& Ronfard 22fAu Roy Charles IX 230A luy-mefme 237

Difcours, àtres-illuftre&tres-vertueufe Princeffe,

Elizabeth, Royne d'Angleterre 242

Difcours, à elle-mefme 2f$Difcours à trefilluftre & vertueux Prince, Phile-

bert Duc de Sauoye & de Piémont 2^9A trefilluftre Prince Charles, Cardinal de Lor-

raine 268

Difcours à trefuertueux Seigneur François de

Montmorenci, Marefchal de France 276Difcours à Monfieurde Foix 280

Page 554: Ronsard, Oevvres

TABLEDES'MATIÈRES. $"49

SECONDE PARTIEDV BOCAGEROYAL.

Pages.A trefîlluftre &trefuertueufe Princeffe, la Royne

Catherine de Medicis,mère du Roy 287A elle-mefme 297Elégie 302Difcours 304Difcours à Cecille, Sicilien 306A E. de Trouffilly Confeiller du Roy en fon

grand Confeil 312Difcours du verre 'jifAmour logé. A N. de Pougny 319Difcours 322Difcours 335"Difcours à Monfieur de Cheuerny, Garde des

Seaux de France Î4î

LES ECLOGVES ET MASCARADES

DE PIERREDE RONSARD.

A treshaut & trefuertueux Prince François de

France, Duc d'Anjou, fils& frère de Roy . . ^3

Eclogue I (Bergerie) 35"5"

Ecloguell 394

Eclogue III ou Chant paftoral 4°3

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f fO TABLEDESMATIÈRES.

Pages.

Chant paftoral 418

Eclogue 1111ou Du-thier 427

EclogueV 4^8Le Cyclope amoureux 4f o

LESMASCARADES,COMBATSET CARTELS,

FAITSA PARIS&AVCARNAVALDEFONTAINE-BlEAV.

Cartel 1 4^8Cartel II .... 460Cartel III 462Cartel IIII 461Le Trophée d'Amour à la Comédie de Fontaine-

bleau 46^Le Trophée de la Chafteté en la mefme Co-

médie 467Mafcaradesfaites à Bar-le-Duc 468Le Iugement de Iupiter 471Stances à chanter fur la lyre, pour l'auant-venue

de la Royne d'Efpaigne 471Les Sereines reprefentees au Canal de Fontaine-

bleau 475"

Prophétie de la féconde Sereine 478Chanfon recitée par les Chantres 480

Comparaifon du Soleil & du Roy 481Cartel pour le Roy Charles IX, habillé en forme

de Soleil 484

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TABLEDESMATIÈRES. ffl

Pages.Cartel fait pour vn combat que fift le Roy en

l'Ifle du Palais 48fCartel contre l'Amour 486Autre Cartel pour l'Amour 488Pour le Roy habillé en Hercule . 492Cartel pour le Roy Henry III 493Dialogue pour vne Mafcarade 49fMonologue de Mercure aux Dames. ..... 496Pour vne Mafcarade 498Cartel fait promptement, enuoyé à leur Maiefté. foiMafcarade fo2Cartel pour le Roy Henry III fo]Autre Cartel 5-04Mafcaradeaux Dames fofCartel pour le combat à cheual, en forme de

Balet fo6Cartel pour les Cheualiers Celeftes, ou Diof-

coures. fo8Cartel pour les Cheualiers de la Renommée . . ^09Cartel pour les Cheualiers des Flammes. ... f 10

NOTES ./f' yL;r>f.j 2

VV>^FIN DE LA TABLE.I •j i i .-_I

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LE QUINZEMAIMILHUITCENTQUATRE-VINGT-DIX

PAR ALPHONSE LEMERRE

25, ruedesGrands-Augustins

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