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Centre National de la Recherche Scientifique GDR 2565 Technologies de l’Information et de la Communication et Société Perspectives de recherche sur les TIC en Sciences Sociales: les passerelles interdisciplinaires d’Avignon Eric Brousseau (FORUM, Paris X, IUF) Frédéric Moatty (CEE, CNRS) Février 2003 Avertissement : Le présent document résulte des débats menés au sein du GDR TICS, notamment autour de deux journées de travail organisées en Avignon en juin 2002 par Alain Rallet. Elles ont réuni le Conseil Scientifique du GDR et ont visé à dégager les problématiques pertinentes pour structurer la recherche en sciences sociales sur les technologies et la société d'information ; la notion de pertinence se jugeant à la fois du point de vue de la demande sociale, du point de vue des éclairages à apporter à la recherche technique et du point de vue de l'apport de ces recherches aux sciences de l'homme et de la société 1 . Sommaire SYNTHESE ...................................................................................................................................... 2 0. INTRODUCTION ......................................................................................................................... 4 1. SOCIETE DE LINFORMATION, DE LA COMMUNICATION ET DE LA CONNAISSANCE .................................... 5 2. RÉGULATIONS TECHNIQUES, REGULATIONS SOCIALES ...................................................................... 7 3. COGNITION ET ORGANISATION ..................................................................................................... 9 4. TECHNOLOGIES, REPRÉSENTATIONS, PRATIQUES ............................................................................ 11 5. LOGIQUES DE L ÉCONOMIE NUMÉRIQUE ....................................................................................... 14 6. TIC ET CHANGEMENT ORGANISATIONNEL ...................................................................................... 16 7. NOUVELLES PRATIQUES MANAGÉRIALES ....................................................................................... 19 8. OUTILS, MESURE, DONNÉES , CORPUS ............................................................................................ 21 1 Nous remercions vivement les intervenants lors des journées du GDR — Pierre-Jean Benghozi, Thierry Pénard, Claude Henry, Delphine Gardey, Christian Licoppe, Bernard Conein, Dominique Pasquier, Patrice Flichy, Josianne Jouet, Thierry Vedel, Philippe Gabriel — dont les contributions ont permis de structurer et d'initier les débats. Les réactions des participants furent également particulièrement enrichissantes. Enfin, nous sommes particulièrement gré aux membres du conseil scientifique qui ont bien voulu nous communiquer leurs notes : Pierre-Jean Benghozi, Claude Henry, Josiane Jouet ainsi qu’aux membres du Bureau du GDR TICS — Pierre-Jean Benghozi, Claude Henry, Patrice Flichy, Christian Licope, Alain Rallet.— pour leur réactions sur une première version de ce texte. Naturellement, les signataires de ce document doivent être considérés comme seuls responsables des erreurs qu'il recèle et des partis pris qui le marquent.

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Centre National de la Recherche Scientifique

GDR 2565Technologies de l’Information et de la Communication et Société

Perspectives de recherche sur les TIC en SciencesSociales:

les passerelles interdisciplinaires d’AvignonEric Brousseau (FORUM, Paris X, IUF)

Frédéric Moatty (CEE, CNRS)

Février 2003

Avertissement : Le présent document résulte des débats menés au sein du GDR TICS,notamment autour de deux journées de travail organisées en Avignon en juin 2002 par AlainRallet. Elles ont réuni le Conseil Scientifique du GDR et ont visé à dégager lesproblématiques pertinentes pour structurer la recherche en sciences sociales sur lestechnologies et la société d'information ; la notion de pertinence se jugeant à la fois du pointde vue de la demande sociale, du point de vue des éclairages à apporter à la recherchetechnique et du point de vue de l'apport de ces recherches aux sciences de l'homme et de lasociété1.

Sommaire

SYNTHESE ...................................................................................................................................... 20. INTRODUCTION ......................................................................................................................... 41. SOCIETE DE L’INFORMATION, DE LA COMMUNICATION ET DE LA CONNAISSANCE.................................... 52. RÉGULATIONS TECHNIQUES, REGULATIONS SOCIALES ...................................................................... 73. COGNITION ET ORGANISATION ..................................................................................................... 94. TECHNOLOGIES, REPRÉSENTATIONS, PRATIQUES ............................................................................115. LOGIQUES DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE .......................................................................................146. TIC ET CHANGEMENT ORGANISATIONNEL ......................................................................................167. NOUVELLES PRATIQUES MANAGÉRIALES .......................................................................................198. OUTILS, MESURE, DONNÉES, CORPUS ............................................................................................21

1 Nous remercions vivement les intervenants lors des journées du GDR — Pierre-Jean Benghozi, ThierryPénard, Claude Henry, Delphine Gardey, Christian Licoppe, Bernard Conein, Dominique Pasquier, PatriceFlichy, Josianne Jouet, Thierry Vedel, Philippe Gabriel — dont les contributions ont permis de structurer etd'initier les débats. Les réactions des participants furent également particulièrement enrichissantes. Enfin, noussommes particulièrement gré aux membres du conseil scientifique qui ont bien voulu nous communiquer leursnotes : Pierre-Jean Benghozi, Claude Henry, Josiane Jouet ainsi qu’aux membres du Bureau du GDR TICS —Pierre-Jean Benghozi, Claude Henry, Patrice Flichy, Christian Licope, Alain Rallet.— pour leur réactions surune première version de ce texte. Naturellement, les signataires de ce document doivent être considérés commeseuls responsables des erreurs qu'il recèle et des partis pris qui le marquent.

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SHS & TIC 2

SYNTHESE

Ce texte propose huit axes de travail susceptibles de structurer les réflexions SHS sur les TICet la Société de l’Information ou, plus précisément, la Société de l’Information, de laCommunication et de la Connaissance (SICC).

Société de l’information, de la communication et de la connaissance (Axe 1). Au plan leplus général, la diffusion des TIC dans la société apparaît d'abord comme la résultante del'émergence d'une SICC dont il importe de comprendre les racines et les fondementsidéologiques pour mieux analyser les défis posés par l'émergence de nouvelles formesd'inégalités, de hiérarchie, d'identités individuelles et collectives, de régulations sociales, (etc.)de manière à caractériser et comprendre les modèles économiques, politiques et sociaux engestation et les problèmes de mutations de frontières et d’intégration sociale qu’ils posent

Cette interrogation sur les fondements de la société de l'information conduit à se focaliser surdeux éléments structurant tout modèle économique et social — la régulation et la cognition —autour desquelles les TIC jouent un rôle essentiel.

• Régulations Techniques, Régulations Economiques (Axe 2). Les TIC sont destechnologies de coordination à la fois parce qu'elles sont le support d’échanges etparce qu'elles mettent en œuvre des règles qui se matérialisent dans la programmationdes systèmes d'information. Elles contribuent à bouleverser les modalités de régulationdes collectifs parce qu'elles permettent de contourner certains des dispositifs derégulation sociale pré-existants et parce qu'elle ouvrent de nouvelles voies derégulation. Revenir sur les fondements des régulations collectives, comprendre lesinnovations permises par les TIC en la matière, penser l'interaction entre cesrégulations nouvelles et traditionnelles est un enjeu majeur.

• Cognition et organisation (Axe 3). Par ailleurs, Les TIC sont intrinsèquementporteuses d’effets cognitifs puisqu'elles ont été construites à des fins de calcul, demémorisation et de circulation de l'information. Elles sont le support de nouvellesmodalités de gestion et de production des connaissances qui interrogent à la fois lanature de celle-ci et son caractère collectif tant dans la production que dans son usage.Il est dès lors essentiel de s'intéresser aux modalités et propriétés d'organisation de laproduction et de l'usage des connaissances.

Les problématiques de la cognition et de la régulation renvoient à des niveaux d'analyse trèsgénériques et très transversaux par rapport à l'ensemble des disciplines SHS. Ils n'épuisentpas, cependant, l'ensemble des problématiques liées aux TIC. D'une part, si la séparation entrecognition et régulation est intéressante, elle apparaît comme peu pertinente pour étudier uncertain nombre de questions telles que les nouveaux modèles organisationnels portés par lesTIC dans la mesure où le ressort de fonctionnement de formes organisationnelles telles que les“communautés” dépendent à la fois de logiques cognitives et régulatrices qu'il convientd'aborder simultanément. D’autre part, des problématiques plus précises (souvent ancréesdans une des disciplines SHS) méritent d’être approfondies. On peut en identifier quatre :

• Technologies, représentations, pratiques (Axe 4) Premièrement, les interactions entre latechnologie, les individus et la société doivent faire l'objet de réflexions approfondies. Ils'agit, de dépasser les approches en termes d'impact (qui ignorent à la fois le caractèreendogène de la technologie et les questions complexes d’appropriation de celle-ci par lesindividus et les collectifs) ou celles qui, à l'inverse, considèrent la technologie commeneutre. À l’évidence, l'irruption de nouveaux outils techniques déstabilise, favorisel'expérimentation et l'innovation, modifie les perceptions. Telles sont les raisons pourlesquelles les interactions entre technologie, représentations et pratiques doivent être aucœur des réflexions cherchant à rendre compte des dynamiques sociétales

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SHS & TIC 3

• Logiques de l’économie numérique (Axe 5) Deuxièmement, les TIC et en particulier lenumérique affectent en profondeur l'économie des activités informationnelles et desactivités en réseau. Par ce biais, elles ont une influence profonde sur les propriétés de noséconomies. D'une part, parce que les réseaux ne sont pas simplement le siège d'activitésinformationnelles. Ils sont aussi le support des réseaux de commande de l'économie“réelle”. D'autre part, parce que les innovations organisationnelles réalisées dans la sphère“virtuelle” sont reprises (et adaptées) dans la sphère “réelle” de l'économie. Il importedonc d'approfondir les spécificités de l'économie numérique marquée par unecombinatoire d’externalités et de rendements croissants qui affectent les modalitésefficaces d’organisation de la production et de la consommation, de rémunération desparties prenantes à la production, d’incitation, en même temps que les stratégies desagents économiques

• TIC et changement organisationnel (Axe 6) Troisièmement, les TIC apparaissent commeporteuses de mutations organisationnelles vecteurs de leurs effets sur l’économie et lasociété. Les TIC ne sont pas porteuses en elles-mêmes de modèles organisationnelsdéterminés, plus centralisés ou inversement plus décentralisés, plus hiérarchiques ou aucontraire plus marchands, nécessairement plus flexibles (car la flexibilité programméepeut s’avérer facteur de rigidité en cas de changement brutal de l’environnement), etc. LesTIC permettent avant tout de lever certaines contraintes permettant de choisir les formesorganisationnelles adaptées à l’environnement ou à la stratégie. Cela étant, les TIC et ledéveloppement des activités informationnelles sont porteuses de “modèles”organisationnels centrés sur des formes originales d’intermédiation (info médiation) et derégulation des collectifs (autour de formes renouvelées des communautés). Il importe decomprendre les propriétés de ces modalités d’organisation et la manière dont elless’hybrident avec les formes organisationnelles pré-existantes

• Nouvelles pratiques managériales (Axe 7). Quatrièmement, les TIC sont associées à denouvelles pratiques managériales. Deux axes en particulier sont à approfondir. D’une part,sur le plan de l’organisation interne (et en particulier pour ce qui concerne la gestion desressources humaines), l’implantation des nouvelles formes d’organisation pose la questiondu pilotage du changement organisationnel dans un contexte ou les individus et lescollectifs s’approprient la technologie et développent l’innovation. D’autre part, sur leplan de la gestion des liens entre l’entreprise et son marché, la mise en œuvre de relationsrenouvelées entre l’offre et la demande induit une gestion complexe des relations avec lesindividus et les communautés “clientes” de l’organisation.

Outils, mesure, données, corpus (Axe 8). Le dernier axe de réflexion porte sur les innovationsnécessaires dans les méthodes d’analyse des mutations portées par les TIC et l’émergence dela SI. En effet, des questions nouvelles apparaissent et les appareils statistiques ne sont pasnécessairement configurés pour les saisir. Les réflexions menées au sein des SHS peuventcontribuer à la fois à mieux cerner les questions à analyser et à concevoir des outils pertinentspour les “mesurer”. Par ailleurs, l’usage des TIC fournit en lui-même un gigantesque potentield’analyse à travers les “traces” numériques qu’elles génèrent. Il importe de mener desréflexions sur la manière dont doit s’organiser l’exploitation de ces traces. Elles génèrent eneffet de multiples interrogations techniques, éthiques, organisationnelles, méthodologiques surla manière de les conserver, de les exploiter, et de les interpréter.

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SHS & TIC 4

0. INTRODUCTION

La diffusion des technologies de l'information et de la communication (TIC) au sein de lasociété est devenu un objet central d'analyse pour les sciences sociales. D'une part, cestechnologies accompagnent et sont porteuses de changements sociétaux. D'autre part, autourd'elles s'organisent des phénomènes d'apprentissage, de coordination, de réorganisation,d'innovation, (etc.) qui réinterrogent certains des fondements des sciences sociales.

Compte tenu de ces enjeux, il importe de mener une réflexion sur la manière dont les SHSpeuvent structurer leur effort de recherche de manière à apporter des éléments pertinents pourle développement des sciences sociales, de la recherche technique et plus largement pour lasociété,

Tel est l’enjeu de ce texte qui s'appuie sur une réflexion collective menée par des économistes,gestionnaires, sociologues, politologues, historiens, spécialistes de l'information et de lacommunication, etc. Il vise à souligner les problématiques transdisciplinaires aptes àstructurer les efforts de recherche intra et pluridisciplinaires. Huit problématiques se dégagent.On peut les présenter en partant du plus général — l'analyse du contexte sociétal dans lequelle développement des TIC s'inscrit (1) — pour arriver à des déclinaisons plus spécifiques desmutations auxquelles sont associées les TIC — mutations de l'imaginaire et des pratiquessociales (4), de l'économie (5), des formes organisationnelles (6), des pratiques managériales(7) —, en passant par des niveaux intermédiaires d'analyse où l'on met l'accent sur deuxdimensions transversales des TIC : les mutations qu'elles accompagnent dans la régulation descollectifs (2) et la gestion de la connaissance (3). Le dernier axe de travail estméthodologique : une réflexion doit être menée sur les méthodes de mesure des usages et surles modalités d'utilisation des traces informatiques (8).

On raisonne donc à partir de la représentation suivante des différents axes de travail. Pouréviter toute ambiguïté, précisons que ce schéma est basé sur un découpage de l’objet derecherche pour en dégager des axes de travail aux nombreuses interactions et qu’il ne préjugeen rien de la hiérarchisation de ces axes.

Régulations Techniques, Régulations Sociales

Axe 2

Cognition et Organisation

Axe 3

Technologies, Représentations, PratiquesAxe 4

Logiques de l'Economie NumériqueAxe 5

TIC et Changements OrganisationnelsAxe 6

Nouvelles Pratiques ManagérialesAxe 7

Outils, Mesure, Données, CorpusAxe 8

Société de l'Information, de la Communication et de la ConnaissanceAxe 1

Ces huit thématiques sont toutes traversées par une double perspective.

• D'une part, les pratiques individuelles et collectives associées aux TIC affectent l'ensembledes pratiques économiques et sociales dans une relation de façonnage réciproque. Parexemple les nouvelles modalités de gestion des organisations découlent en partie desnouvelles pratiques qui modifient le comportement des membres des organisations ainsique ceux de leurs clients ou usagers. Les SHS doivent donc envisager simultanément lesdifférents contextes d'usage des TIC : publics et privés, professionnels et de loisirs, etc.

• D'autre part, les TIC n'imposent pas de modèles sociaux dont la logique résulterait del'essence de la technique. Elles sont le produit de la société, mais en même temps laissentou aménagent des possibilités d'innovation. Comprendre les mutations associées aux TICimplique à la fois, d'analyser la dynamique propre d'un certain nombre de phénomènes

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sociétaux, de procéder à un examen approfondi des innovations rendues possibles par lesTIC, de penser l'hybridation des modèles organisationnels préexistant avec ceux qui sontportés par le “virtuel”.

1. SOCIETE DE L’INFORMATION, DE LA COMMUNICATION ET DE LACONNAISSANCE

Au-delà des aspects liés au traitement de l’information, les TIC sont un puissant moyen demise en relation des individus et des groupes qu’il s’agisse de communicationinterpersonnelle, d’échanges économiques, ou encore d’échanges ou de réceptiond’information. Les acquis des recherches passées convergent sur l’absence de déterminismesde nature purement technologiques, économiques ou sociaux et réfutent la mise en place d’unmodèle économique, culturel ou social unique.

Selon les locuteurs, les TIC peuvent être encensées comme des moyens d’élargir, d’enrichirou de maintenir le lien social en l’affranchissant de ses limitations spatio-temporelles ou àl’inverse être accusées de venir le déliter en sapant insidieusement les relationsinterpersonnelles de proximité, perçues comme seule base possible d’une sociabilitéauthentique. Ces visions iréniques ou angoissées de la “société de l’information” dans laquellenous serions entrés rélèvent, au-delà de l’aspect lapidaire de la formule, d’un processus decatégorisation unilatéral et simplificateur des évolutions d’une société complexe (après lasociété de consommation, des loisirs…).

Au delà de l’analyse de l’évolution des interactions sociales, il est nécessaire de penser les“sociétés de l’information”,—au sens large de sociétés de l’information, de la communicationet de la connaissance (SICC) —, comme des sociétés complexes en mouvement, issues d’unprocessus historique d’évolution des moyens de production, de consommation et d’échangedans leurs relations avec les modes de vie. Analyser ce processus conduit à s’intéresser auxfondements idéologiques et culturels qui sous-tendent l’émergence et la diffusion des TICainsi qu’au sens et aux enjeux liés à leur appropriation par les usagers. La prise en compte deces dimensions permet ainsi un recul indispensable pour analyser les transformations defrontière liées à la diffusion de ces technologies ainsi que les problèmes d’intégration socialequ’elles soulèvent.

Analyser les fondements historiques des sociétés de l’information

Il est fondamental d’analyser historiquement l’émergence des “sociétés de l’information”pour en dégager les aspects culturels, économiques ou sociaux, pour tenter d’en périodisertant les grandes étapes et les tendances que les continuités et les ruptures ou encore pour encaractériser les enjeux ainsi que la variété et les principaux régimes d’usage des TIC. A côtéd’aspects macro-historiques, la restitution de l’évolution des “arts de faire” des usagers selonles milieux, les situations et les lignées technologiques permet de dresser un inventaire del’héritage de la culture matérielle qui constitue la trame de fond sur laquelle viennent ou nonse greffer les innovations.

L’analyse des discours qui président et accompagnent l’émergence, l’utilisation ou lesévolutions des techniques ainsi que la variation de ces discours en fonction de leurs auteursconstituent un premier moyen pour dégager les utopies et les idéologies de la science et destechniques qui dessinent et construisent des visions implicites, normatives ou prophétiquespermettant une institution imaginaire de la société. Les utopies et les idéologies qui présidentau développement des TIC, en faisant jouer l’ambivalence entre clarté et ambiguïté dans ladéfinition des techniques et de leurs enjeux, permettent ainsi de dégager des consensusprovisoires qui n’excluent ni les conflits ni les rapports de pouvoir entre les différentsprotagonistes. Les idéologies, les imaginaires et les intérêts des promoteurs, des inventeurs oudes usagers interviennent en effet tout au long du processus concret de développement desartefacts techniques en se confrontant aux limites liées à leur matérialité.

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Restituer le sens et l’enjeu des usages des TIC

Les discours sur l’émergence des TIC doivent cependant être confrontés aux pratiqueseffectives. L’analyse du sens et des enjeux que donnent les utilisateurs à leurs pratiques estainsi un moyen essentiel pour révéler les modèles sociaux émergents. Ces analyses permettentde comprendre comment et pourquoi les individus et les groupes s’approprient (ou non) lestechnologies en les mettant au service de leurs intérêts et de leurs besoins de sociabilité,d’identité, d’autonomie ou d’échange, participant ainsi à la transformation des rapportssociaux ou à celle d’institutions comme la famille, l’éducation ou l’État, et plus largement, àl’évolution des modes de vie. La diffusion massive du téléphone mobile et l’extension de sesusages, par exemple ceux qui sont liés aux nouvelles offres des médias de masse, ne peuventse comprendre sans la rencontre et la mobilisation d’une diversité d’acteurs y projetant leursintérêts (économiques du côté de “l’offre” ; aspirations identitaires, besoinsd’individualisation, de contact ou de mobilité du côté de la “demande”) qui peuvent interagirde manière accélérée et inédite sur les contenus ou les technologies, redéfinissant de ce faitl’offre et ses relations à la demande.

Redéfinitions de frontières, de relations et de modes de coordination : l’exemple du travail

Les TIC et leurs usages jouent un rôle spécifique dans les évolutions en cours qui lesdifférencient d’autres types de technologies en conduisant à des redéfinitions de frontières, derelations ou de modes de coordination dans ou entre différents champs de l’espace social,qu’il s’agisse des liens familiaux et de la sociabilité, des domaines de la formation et de laculture, des activités économiques, citoyennes ou marchandes. Les transformations defrontière dans les rapports entre le travail et le hors travail, au sein de l’entreprise ou dans lesliens interentreprises, au niveau de l’intermédiation ou entre production et consommation ensont de bons exemples.

Ces évolutions du travail, à resituer dans des évolutions plus globales (de l’emploi et de laformation, des liens économiques et marchands, etc.) renouvellent en partie les frontières del’activité professionnelle, des firmes ou des marchés. Du point de vue des organisations et desentreprises, la capacité d’utiliser les TIC devient une composante cruciale des stratégiescompétitives et concerne à des degrés divers tous les acteurs et tous les secteurs d’activité.Elle va de pair avec les stratégies managériales de réorientation des firmes et deréorganisation du travail visant à rénover les modes de contrôle, à obtenir une plus grandeflexibilité et une moindre dépendance à l’égard des marchés, ou encore à redéfinir lesfrontières habituelles de la concurrence et les liens avec les partenaires (§ 6). Il est doncnécessaire de s’interroger sur le rôle que jouent les travailleurs dans les changementsorganisationnels en cours à travers leurs usages et leurs appropriations des technologies, leursnouvelles conduites de communication, de coopération et d’autonomie, dans un contexted’évolution de leurs qualifications, de leur engagement et de leur rapport au travail lié à laflexibilisation des caractéristiques d’emploi. Ainsi, les usages qu’ils ont des différents« portables » (ordinateurs, agendas, téléphones…) leur permettent tant de maintenir le lienavec l’activité professionnelle que de gérer sa mise à distance ou d’activer des réseaux tantprofessionnels que personnels. De plus, la montée de la place des activités symboliques autravail pose la question des apprentissages croisés, des compétences et des appropriations liésaux intérêts que les salariés peuvent investir dans la technique à travers les différentesfacettes de leurs activités professionnelles, marchandes, citoyennes, conviviales, ludiques oude formation.

TIC et intégration sociale : de nouveaux enjeux

Enfin, l’usage des TIC devient un des éléments de l’intégration sociale en particulier enmatière de formation et d’emploi, concernant l'apprentissage, l'’accès aux contenus, aux offresnumérisées ou aux nouveaux métiers. Cela étant les technologies orales et écrites diffèrentselon qu’elles renforcent ou non les inégalités culturelles, qu’elles accentuent ou non lesclivages suivant les qualifications ou les générations, etc. Les questions de la réduction desinégalités d’accès, du maintien ou de la transformation des hiérarchies et de la structuration

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sociale, ainsi que de la soutenabilité des rythmes du changement au cours du cycle de vie oudu point de vue de l’homogénéité sociale constituent un vaste champ de recherche qui n’estpas sans liens avec la question de la régulation de ces technologies.

2. RÉGULATIONS TECHNIQUES, REGULATIONS SOCIALES

Les réseaux numériques participent de la remise en cause des modes de régulation de lasociété qui se sont imposés depuis les “Lumières” autour de la figure tutélaire de l’État-Nation. Deux caractéristiques centrales en sont la cause. Le caractère a-territorialisé desréseaux numériques permet de contourner les régulations étatiques. La capacité deprogrammer le système technique pour contrôler l’accès aux espaces informationnels qu’ildéfinit donne le moyen de créer des régulations auto-exécutoires autonomes desgouvernements et de leur capacité de coercition légitime. Ces éléments, propres auxtechnologies numériques, doivent néanmoins être resitués dans le contexte de lamondialisation et de l’émergence de nouvelles conceptions de la citoyenneté qui sont aussiporteuses de nouvelles formes de régulation où les États apparaissent comme des entitéspotentiellement situées à côté (et non plus au-dessus) d’une multitude d’acteurs définissantdes régulations et les mettant en œuvre.

De nombreuses catégories doivent alors être repensées pour comprendre les propriétés et ladynamique des cadres de régulation économique, sociale, politique, notamment. Par rapportau passé, les “nouvelles” formes de régulation sont marquées par une plus grandedécentralisation, des relations plus horizontales entre instances de régulation, de multiplesenchevêtrements liés à la multiplication des cadres de régulation et à l’appartenance desindividus à de multiples communautés entre lesquelles existent des relations d’intersectionplus que d’inclusion et qui se réfèrent à des systèmes de valeur hétérogènes. Les nouvellesrégulations posent des problèmes de cohérence, légitimité, efficacité — qui ré-interrogent lefondement des sciences sociales — et sont en même temps le siège d’innovations etd’évolutions tentant d’apporter des réponses à leurs propres limites ou à celles des modes derégulation antérieurs.

Autonomie et nature de la régulation technique

Le premier axe de travail à emprunter lorsque l'on analyse les nouvelles perspectives derégulation collectives portées par les technologies de l'information consiste à se pencher demanière plus approfondie sur les spécificités de la régulation par la technique. En effet; la“régulation par le code2” ou par l’architecture informationnelle semble porteuse de propriétésparticulières par rapport aux régulations fondées sur la violence légitime à la base desrégulations étatiques mais aussi communautaires traditionnelles. Sa force obligatoire est enquestion dans la mesure où des codes peuvent se substituer au code, où le code peut êtredécodé et manipulé, où une couche supplémentaire de code peut infléchir les propriétésrésultant de l'utilisation du code.

Le deuxième élément à prendre en compte relève des pratiques régulatrices propres au mondetechnique. Dans le domaine de l'Internet en particulier, à la fois pour des raisons historiques etdu fait des propriétés du bout en bout3 , de nouvelles modalités d'élaboration, de légitimation

2 La notion de “régulation par le code” renvoie au fait que l’écriture de lignes de code informatique commandantl’exécution de procédures revient à imposer aux utilisateur des normes d’usage. L’écriture se traduit en exécutionet il n’y a donc pas de distinction entre la conception (design) de règles ou de normes et leur exécution(enforcement).

3 Le principe du bout en bout est la clé d'une gestion totalement décentralisée du réseau. Il repose sur le fait quel'ensemble de ces composants dialoguent entre eux pour assurer des échanges et le traitement de l'information.

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et de mise en œuvre des normes (techniques mais aussi d'usage) ont été mises au point.L'élaboration des normes repose, par exemple, sur la technique du “rough consensus”consistant à procéder par élaboration incrémentale d'une norme qui est réputée adoptée siaucune contre-proposition crédible ne se construit. Par ailleurs, la légitimation des normesrepose à la fois sur la procédure d'élaboration elle-même et sur des systèmes plus traditionnelsde représentation des intérêts en jeu. Cette dernière repose cependant aussi sur des bases trèsparticulières dans la mesure où aucun accord préalable entre les parties prenantes ne définitl'identité de ces dernières, ni leur statut. Quant à l'exécution de la norme, elle repose à la foissur la technique mais aussi sur des constructions sociales telles que les communautés ou desorganisations internationales d'un genre nouveau comme l'ICANN4. Ainsi, Internetnotamment, a constitué un laboratoire où de nouvelles pratiques régulatrices ont été mises enœuvre. Comprendre ces pratiques et leurs logiques constituent un préalable à l'analyse de leurinteraction avec les modes de régulation plus traditionnels

Hybridations entre régulations et conflits de légitimités

Car l'un des enjeux essentiels derrière l'analyse des questions de gouvernance et de régulationest d'analyser les hybridations entre régulations portées par la technique et régulations plustraditionnelles fondées sur le droit et les institutions politiques. La régulation de l'Internet lui-même constitue un objet d'analyse de ces interactions car, avec l'ouverture de l'Internet àd'autres usages que la recherche, il a fallu substituer à une régulation technique etcommunautaire une régulation ancrée institutionnellement, qui tente aujourd'hui d'associer lesprincipes propres à la régulation technique à ceux des régulations institutionnellestraditionnelles. De nombreux problèmes se posent car, le cas échéant, certains usages entrenten conflit avec ces régulations : droits de la propriété intellectuelle (DPI), régulation descontenus, etc. Par ailleurs, les formes de légitimité propres à la technique — qualité descontributions, implication dans les collectifs, etc. — peuvent heurter de front celles quiprévalent dans les régulations traditionnelles : légitimité démocratique ou politique. Denouvelles pratiques régulatrices en résultent.

Mais les hybridations dépassent le champ de l'Internet, ou même des usages qui y sontassociés (communication, œuvres de l'esprit). Les nouvelles pratiques régulatrices observéesdans l'Internet — associant systèmes de représentation politique traditionnelle, forceséconomiques, et représentants de minorités sociales agissantes — se retrouvent dans d’autresdomaines relevant du politique : mondialisation, environnement, protection des droits del'homme, etc. Ces pratiques sont intéressantes d'un double point de vue. D'une part, ellespermettent de relativiser le rôle joué par la technique dans l'émergence des nouvelles pratiquesrégulatrices en les resituant dans le cadre d'évolution plus large de la conception des pratiqueset de la légitimité politique. D'autre part ; elles conduisent à souligner le rôle joué par lestechnologies de l'information comme outil au service des pratiques sociales, qu’il s’agisse decelles de la « société civile », des puissances économiques ou des Etats.

Ces nouvelles pratiques sociales posent avec acuité la question de la légitimité des formes dereprésentation collective, de la hiérarchie des normes, des procédures de mise en compatibilitédes normes, etc. Ces questions renvoient aussi bien au droit, qu'aux sciences et à la

4 L'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), organisation de droit américain sans butlucratif fondée en 1998, a la responsabilité de gérer les attributions de numéros IP et de noms de domaines.L'IETF (Internet Ingeneering Task Force) est de facto l'organisme de normalisation des protocoles decommunication. Il s'agit d'un des groupes de travail de l'ISOC (Internet Society), une société sans but lucratifdestinée à promouvoir le développement d'un réseau efficace et ouvert, dont les bénéfices s’étendraient au plusgrand nombre. Le W3C (World Wide Web Consortium) est l'organisme de normalisation des langagesmultimédia utilisés sur Internet. Il s'agit d'un club, ouvert aux organisations qui peuvent en acquitter les droitsd'adhésion relativement élevés.

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philosophie politique, en passant par l'économie et la sociologie. Ces disciplines doivent êtremobilisées pour penser la légitimité et l'efficacité des dispositifs de régulation de l'Internet etdes pratiques qui y sont associées, pour établir des parallèles entre les questions posées par larégulation des réseaux numériques et d'autres problèmes “globaux”, pour analyser la manièredont les TIC sont utilisées pour innover en matière de régulation et d'action politique.Inversement, les nouvelles pratiques régulatrices ou politiques sont l'occasion de revenir surdes questions fondamentales — et souvent fondatrices pour les disciplines en question —portant sur les sources et la légitimité des normes collectives, l'organisation optimale desmécanismes de décision et de régulation des collectifs, les propriétés de systèmes politiquesalternatifs, etc. En particulier la thématique de la gouvernance multi-niveaux pose la questiondes modalités d'articulation entre différents dispositifs de gestion du collectif et del’enchevêtrement de légitimités de nature différentes. La nature des droits “fondamentaux”dont doivent être dotés les participants à ces systèmes constitue également une interrogationcentrale. Qu'il s'agisse de droits personnels, des régimes de droit de propriété, des régimesjuridiques présidant à la régulation des relations interpersonnelles, ces éléments déterminent lanature de la société d'information en émergence. Dans la phase de refondation actuelle, lessciences sociales peuvent contribuer à éclairer les choix à faire par exemple dans le cas de larégulation des conflits entre auteurs, producteurs et consommateurs d’œuvres de l’espritqu’illustrent les débats en cours sur la question des droits de propriété des œuvres musicalesou littéraires.

Nouvelles formes de mobilisation politique

Au-delà de ces approches sur le design institutionnel, les TIC constituent un vecteur depratiques politiques renouvelées. Ainsi est-il particulièrement pertinent d'analyser comments'inventent de nouveaux rapports entre les citoyens autour des usages des TIC au sein degroupes d'intérêts et des communautés, comment les technologies sont utilisées par lescitoyens ou par les Etats pour instaurer de nouveaux rapports entre eux, comment ces outilsmodifient le comportement des citoyens, ou les pratiques des administrations. Qu'il s'agissentde systèmes techniques conçus à dessein (e-administration, e-democracy, etc.) ou des usagesspontanés liés à la diffusion de ces techniques, ces pratiques transforment les propriétés denos sociétés politiques, ont des impacts sur le fonctionnement démocratique, affectentl'organisation de l'administration. Un vaste champ de recherche est donc ouvert.

Que ce soit dans l’entreprise, en société ou dans des institutions comme la famille ou l’école,les fonctions, les rôles, les identités et les activités de chacun sont en partie définis, attendus etacceptés et résultent d’un ordre social et économique négocié qui se renouvelle sans cesse tantpour se perpétuer que pour se transformer. Les politiques publiques en matière de TIC et lesprojets sociaux auxquelles elles renvoient, si elles orientent en partie les changements, sontconfrontées à la façon dont les usagers ou les citoyens s’emparent de l’espace public, espacequ’ils contribuent également à remodeler à travers de nouvelles formes de mobilisation oud’expression. Ainsi, une voie de recherche consiste à analyser comment s’organise ladialectique entre l’utilisation de la technologie comme instrument de pouvoir et de dominationet sa mobilisation en faveur de l’autonomie des acteurs qui à travers leurs pratiques tissent denouveaux liens au politique et de nouveaux rapports liant espace privé et espace public.

3. COGNITION ET ORGANISATION

L’entrée dans la “société de l’information” serait également une entrée dans une “société de laconnaissance” où l’accent est mis sur l’acquisition et l’appropriation de connaissances et surla façon dont se construisent les compétences individuelles et collectives à travers desprocessus d’apprentissage et de formation qui doivent se perpétuer tout au long de la vie. À unschéma d’individus puisant et s’appropriant des informations codifiées en s’en forgeant desreprésentations internes, et dont l’acquisition est pensée en termes de coûts ou d’asymétrie,peut s’opposer une vision où les processus de connaissance sont collectifs et émergents et oùse constituent des représentations plus ou moins stabilisées et partagées, incluant des

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connaissances tacites, des normes et des valeurs, ainsi que des façons de faire qui s’appuientsur des perceptions de leur environnement humain, matériel et cognitif.

Une des spécificités des TIC est qu’elles peuvent s’intégrer, soit comme simple élément soitcomme ressource essentielle de l’environnement cognitif des individus ou des groupes parexemple dans une salle informatisée de contrôle d’équipement ou de régulation de trafic. Eninstaurant de nouveaux rapports à l’espace et au temps, elles contribuent à développer, àmodifier et à structurer l’accès à l’information, les réseaux relationnels et les modes deproduction des connaissances. Au-delà des emprunts à l’héritage culturel, il est nécessaired’analyser les relations de façonnage réciproque entre normes et processus cognitifs. Nousreviendrons ensuite sur l’interaction avec l’environnement avant d’évoquer les relations quis’établissent entre cognition et organisation.

Héritage culturel et émergence des normes : la relation perception-cognition-action

En premier lieu, l’appropriation des connaissances se fonde sur un héritage culturel,particulièrement marqué pour les processus cognitifs liés aux supports d’information. Lesnormes et les conventions sociales, juridiques ou culturelles régissant la représentation,l’édition, le format et la circulation des informations constituent le socle cognitif sur lequel seconstruisent les évolutions. Le crédit accordé à une information dépend ainsi fortement de laréputation de sa source. Il est possible soit de s’intéresser à la manière dont les normes ou lesvaleurs façonnent la perception, soit à l’inverse, d’étudier la façon dont les processus cognitifscontribuent à l’émergence de normes sociales autour de l’usage des TIC, soit encore des’intéresser aux co-constructions entre le cognitif et le social.

• Dans le premier cas l’accent mis sur les normes peut se combiner à des questionsidentitaires. Les utilisateurs de l’information ne sont pas réductibles à des usagersstandards. En fonction de leurs identités, de leurs valeurs, de leurs intérêts et de leurscompétences, ils mettent en œuvre des procédures spécifiques de gestion del’information. Ainsi, à une meilleure maîtrise des TIC par les jeunes s’oppose unrecours plus grand à l’expérience chez les plus âgés.

• Dans le second cas, la focalisation sur les phénomènes cognitifs à partir de l’analysedes échanges (verbaux ou traces) lors de l’usage des TIC permet de comprendre laconstruction des normes d’usage de portée locale ou plus générale en actualisant desrègles de conduite préexistantes (nétiquette, présentation de soi dans des forums dediscussion électronique, etc…).

• Ces deux approches peuvent être combinées et l’étude de la relation perception-cognition-action peut être abordée du point de vue de sa construction progressive ausein de collectifs variés avec ses phases de co-construction des représentations, deconfrontation, de négociation, de validation, etc. L’accumulation des tracesinformatisées et leur constitution en corpus permet ainsi de suivre les différentséchanges autour de la constitution d’un document lors de processus d’apprentissage oude coproduction des connaissances.

Situation, environnement et distribution des connaissances

La prise en compte de la situation et de l’environnement permet d’alléger la vision d’un acteurdoté d’un système de représentation complexe des connaissances. Ainsi, dans les modèles decognition située, l’action est ancrée dans le monde, et l’environnement (socialement construit)sert de guide pour l’action grâce aux repères cognitifs et sensoriels, aux contraintes ou auxaides qu’il fournit. Ces modèles sont ainsi particulièrement utiles dans les environnementstechnologiques complexes où les TIC tiennent une grande place et où l’environnement desutilisateurs a été conçu comme une ressource importante du pilotage de l’action.

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Les TIC jouent aussi un rôle dans le fonctionnement de réseaux d’acteurs. La production delogiciel libre correspond ainsi à une coproduction des connaissances dans un contexte où lesfrontières entre l’offre et la demande se redéfinissent. Les modèles de cognition distribuéeentre différents acteurs (humains et machiniques) permettent d’alléger les hypothèses souventirréalistes sur les connaissances ou la rationalité des usagers supposée illimitée alors qu’ilss’appuient de plus en plus sur leur environnement techno-cognitif. L’accent peut ainsi sedéplacer sur les outils d’aide à la décision ou à la représentation des connaissances, sur lesmodifications de l’accès aux ressources documentaires, ou sur les apprentissages de lanavigation dans des réseaux informationnels en transformation. Les modalités traditionnellesd’accès à la connaissance se transforment sous l’effet des technologies numériques quiaménagent des contacts inédits avec des interlocuteurs humains ou machiniques, soulignantl’importance de l’apprentissage sur le tas, de la multimodalité des usages et de la compétencedans leur articulation.

Cognition et organisation

Les questions d’environnement, de réseaux d’acteurs ou d’accès aux informations se posenttout particulièrement dans l’analyse de la relation entre cognition et organisation avec unereprésentation de l’organisation comme un système cognitif. Dans ce cas, l’intérêt se porte surles représentations collectives des savoirs ainsi que sur leurs modalités d’échange, decodification, d’inscription, d’archivage ou d’actualisation sur les supports numériquesexistants. Les modes d’accès, de recherche, de partage, de représentation ou de production desconnaissances se transforment également avec les innovations rendues possibles par lesnouveaux supports (bases de données, structure de réseau, hypertexte, archivageélectronique…). L’informatisation des dossiers médicaux avec les problèmes de suivi, deconfidentialité, de propriété qu’ils posent constitue un exemple des potentialités, des pratiqueset des problèmes découlant des modifications de l’accès à l’information et à la connaissance.Par ailleurs, la sélection de l’information considérée comme pertinente par les outils degestion des données peut, à travers le choix de critères visibles et mesurés relativement à descritères informels ou cachés, avoir des conséquences sur l’activité des membres del’organisation selon que l’on fait appel à ou qu’on les dépossède de leur expérience. Enfin, ledéploiement des TIC engendre des surcharges informationnelles ou la péremptiond’apprentissages, questionnant les modalités d’accès et de sélection de l’information et desconnaissances pertinentes.

D’un point de vue plus transversal, les approches présentées ici soulignent la difficultéd’identifier les unités d’analyse pertinentes pour la cognition (individu, individu-environnement, réseaux, communautés, groupes constitués, organisations…) et de leur degréde consistance vis-à-vis du phénomène analysé. Certaines démarches de recherche permettentde dépasser ou de déplacer ces difficultés en s'intéressant aux modes d’appropriation etd’articulation des connaissances individuelles et collectives, à la constitution desapprentissages dans des réseaux ou dans des environnements assistés par les TIC, auxmodalités de production et de coproduction de la connaissance au sein de groupes constituésou éphémères (tels les groupes de projet), ou encore à la dynamique de communautésépistémiques.

Enfin, l’articulation des processus traditionnels de formation avec les propriétés des TICouvre un champ de recherche riche pour la cognition : par exemple, les problèmes posés parl’adaptation des contenus aux parcours et aux difficultés individuelles, ou ceux liés à leurenrichissement par le recours au multimédia ou à l’interaction.

4. TECHNOLOGIES, REPRÉSENTATIONS, PRATIQUES

Les TIC constituent un cas d’école particulièrement clair pour remettre en cause les approchesde la technique en termes d’effet ou d’impact unidirectionnel, approches qui découlent deconceptions où la technologie est pensée comme exogène à la société. Plus précisément,

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l’étude de ces technologies souligne de fortes articulations entre représentations, technologieset pratiques. Ces technologies s’appuient en effet sur les imaginaires de leurs promoteurs et deleurs inventeurs non seulement lors de leur conception initiale, mais aussi tout au long de leurprocessus de concrétisation Le développement des usages modifie les représentations desutilisateurs sur leurs possibilités et influent sur le sentier d’innovation suivi au travers desphénomènes d’adoption. En modifiant les rapports à l’espace et au temps, les TICrenouvellent l’approche des évolutions et des permanences des liens sociaux, ce qui conduit às’intéresser au rapport au changement des utilisateurs ainsi qu’à leurs pratiques.

La mobilisation autour de la technique et l’articulation entre production et réception des TIC

L’imaginaire que suscitent les techniques et les représentations sur lesquelles elles s’appuientdélimitent des cadres de fonctionnement et d’usage au sein desquels des pratiques et destactiques de conformité, d’invention ou de détournement se développent jouant sur l’évolutiondes technologies au-delà d’une simple logique d’adoption. L’imaginaire des inventeurs, despromoteurs et des utilisateurs constitue ainsi un cadre où se rencontrent et se confrontent desreprésentations à la fois convergentes et concurrentes dans la définition de l’objet techniqueou de ses usages. Ainsi selon les phases du processus de diffusion de l’informatique etd’Internet se sont constituées des règles du jeu propices à des espaces d’investissement,d’expérimentation, de mobilisation ou de démobilisation des acteurs selon leurscaractéristiques sociales et les possibilités de mise en scène et de reconnaissance de leurscompétences. De ce point de vue, il est pertinent de s’intéresser aux différents régimestemporels ou sociaux de mobilisation autour de la technique. L’évolution des critères desélection des utilisateurs et les conditions sociales et organisationnelles d’émergence ou dedisparition d’espaces de jeu permettant des parcours individuels et collectifs inédits doiventêtre interrogées à chaque période du développement des TIC. La façon dont les utilisateurss’approprient les techniques peut ainsi aller de pair avec le maintien des hiérarchies sociales,en s’appuyant par exemple sur les inégalités culturelles (comme dans le cas de l’informatique)ou au contraire contribuer à les modifier lorsque l’investissement dans la technique constitueun facteur susceptible d’être capitalisé dans un parcours d’autodidaxie permettant unevalorisation ou une promotion.

Un aspect complémentaire consiste à analyser l’émergence et le processus de concrétisationdes artefacts techniques ainsi que la restitution des choix opérés face aux contrainteséconomiques, sociales, matérielles afin de dégager les irréversibilités associées aux sentierstechnologiques choisis. De même l’étude des processus de diffusion des objets ou destechniques, hors de leurs milieux d’origine, et plus particulièrement l’étude des difficultés oudes échecs de diffusion permettent de restituer les enjeux et les stratégies, tels qu’ilss’établissent et se déploient lors des moments décisifs, et non tels qu’ils apparaissent aprèscoup une fois les verrouillages effectués. De ce point de vue, l’analyse de la diffusion desTIC, souvent pensée implicitement du côté des concepteurs et promoteurs dans le milieutechnique, pourrait s’enrichir de l’analyse de leur réception, notamment du point de vue desreprésentations et des manières de faire des utilisateurs, en tant que processus articulantproduction et réception et touchant des publics variés. Rappelons que le téléphone mobile enFrance, n’avait pas été pensé à l’origine comme un produit grand public.

Communautés virtuelles, groupes constitués et rapport au changement

Une des propriétés des TIC est de modifier les rapports des individus et des groupes à l’espaceet au temps. La question des évolutions et des permanences des liens sociaux est doncrenouvelée autour de l’émergence de nouveaux groupes, de nouveaux acteurs et de nouvellesformes de coopération en liaison avec les TIC et les possibilités d’interaction à distance et demise en réseau. Ainsi, la figure traditionnelle du lien communautaire supposant la proximitéest remise en cause par les usages des TIC qui induisent un renouvellement, des extensions etdes hybridations de ce lien. Deux figures contrastées peuvent se distinguer. Dans un premiercas, celui de communautés liées à des diasporas dispersées dans l’espace, les TIC permettenttant de rétablir les liens avec les communautés d’origine que, en révélant cette communauté àelle même, être un moyen d’organiser le lien entre les membres de cette diaspora. A l’opposé

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les TIC sont aussi, comme dans le cas des communautés liées au logiciel libre, l’occasion del’émergence de formes inédites d’organisation basées sur la solidarité technique. Dans cesdeux cas se pose, quoique de manière différente, la question des articulations entre tradition etinnovation. Au delà de leur nouveauté parfois radicale, ces collectifs se construisent sur desformes de sociabilité et d’identité déjà constituées. L’articulation entre formes anciennes etnouvelles est alors à étudier de manière concrète en fonction de l’origine et descaractéristiques identitaires de ces groupes, des modalités inédites ou non de participation etde représentation, des formes de lien à la technique, etc… Les comparaisons effectuéespermettront de dégager des clivages et des caractéristiques communes et de révéler destendances émergentes.

De façon complémentaire, l’appropriation au sein de groupes sociaux déjà constituéscontribue à remodeler les frontières de ces groupes et leurs formes de sociabilité, tandis queles identités, les clivages internes ou les conditions d’entrée font également l’objet deredéfinitions. L’analyse de la façon dont les membres de ces groupes s’emparent desévolutions technologiques, en fonction de leur situation, peut aider à révéler tant despermanences que des modifications des phénomènes de structuration sociale ou le caractèrenégocié et en perpétuelle construction des groupes et des identités comme le révèle le cas dela sociabilité téléphonique des jeunes générations.

Des figures contrastées d’appropriation et de rapport au changement se sédimentent, au fil desexpérimentations, dans les groupes et dans les communautés qu’il s’agisse d’engagement, deretrait, ou de “résistance” (souvent légitime). Ces réactions, importantes du point de vue de ladiffusion des TIC, méritent d’être analysées. Elles dépendent notamment du caractère négociéou imposé de l’introduction des TIC, de la prise en considération ou de la négation del’expérience des utilisateurs, de la répartition des bénéfices des investissements dans lestechnologies (en termes financiers, de positionnement social, de reconnaissance de paternité,etc.). Ces questions sont capitales pour le développement des TIC dans la mesure où leséchecs observés de leur diffusion dépendent bien souvent d’une méconnaissance desconditions économiques, culturelles et sociales de leur réception

Analyser les manières de faire

L’analyse des manières de faire permet d’étudier la façon dont les différents formats del’information sont utilisés ou modifiés pour trouver des prises à l’action dans des rapportsavec une matérialité et une structuration des textes et des traces variable selon les supports, del’écrit-papier aux réseaux hypertextes. Il s’agit de mettre en lumière l’évolution des pratiquesdes utilisateurs confrontés à la matérialité mouvante de l’objet technique tandis que leursactions sont situées dans un espace régulé par des normes inégalement connues desprotagonistes. Ces pratiques délimitent des régimes d’usage au sein d’une tradition culturelle,visent à utiliser les possibilités de contact ou d’autonomie offertes par les TIC, à inventer desrègles de conduites ou de navigation, à réguler les débordements potentiels sur l’espace privé,à “contrôler le contrôle” rendu possible par l’exploitation des traces que les usagesengendrent. De nouveaux rapports sociaux à l’information se réinventent donc au quotidientant pour utiliser pleinement les possibilités offertes par les nouvelles technologies que pouren limiter les usages, les excès ou les dérives. Enfin, de nouvelles tactiques invisiblesémergent pour faire face à la surcharge informationnelle ou communicationnelle dans uncontexte où l’amplification et l’intensification globale des échanges peuvent aller de pair avecleur focalisation et leur sélectivité.

Enfin, les recherches centrées sur des secteurs ou des domaines spécifiques de la société ouvisant à les comparer permettent de s’écarter des figures trop générales. Elles montrent lecaractère situé de l’usage des TIC qu’il s’agisse de la famille, du travail, de la formation ou dela santé, des activités citoyennes, économiques ou marchandes. Ainsi, les mondes de laculture, qu’il s’agisse des nouveaux procédés d’inscription matérielle des productionsculturelles, de la dimension sémiotique de la réception, ou encore des nouvelles articulationsentre publics et médias de masses constituent des domaines d’étude particulièrement riches.

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5. LOGIQUES DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

Biens collectifs et stratégies d’appropriation privatives

L’économie de l’information et celle des réseaux numériques sont marquées par despropriétés particulières liées à l’existence de rendements croissants (économie de coûts fixes,rendements croissants d’adoption) et des externalités de toutes sortes. Elles font tendrel’économie des industries concernées vers une économie de “biens collectifs” où l’offre est àdominante monopolistique et où il peut y avoir déconnexion entre consommation etcontribution à son financement (avec d’importants problèmes de décision quant à l’affectationdes ressources). Dans le même temps, ces mêmes caractéristiques des biens informationnels etcelles des TIC rendent possible une auto-appropriation des ressources informationnelles etnumériques et la mise en œuvre de principes de tarification et de commercialisation destinés àcapturer le bien-être des consommateurs (et parfois des autres intervenants dans le processusde production). Cette combinatoire complexe ré-interroge de nombreuses dimensions de la vieéconomique, d’autant qu’elle concerne non seulement les ressources informationnelles mais laconnaissance en général. De multiples possibilités, souvent novatrices, d’organisation desrelations entre l’offre et la demande résultent de ces propriétés de l’économie numérique. Desoutils analytiques appropriés doivent être développés pour mettre à jour ces pratiques et enétudier les propriétés. L’analyse des stratégies des acteurs ainsi que des interactions entre cesstratégies doit conduire à expliquer les modalités de la concurrence entre modèleséconomiques numériques et la dynamique industrielle conduisant à l’émergence de formesorganisationnelles et de stratégies stables. Ces éléments sont indispensables à la fois à lacompréhension des évolutions en cours, à l’identification des stratégies prometteuses et à lamise au point des cadres de régulations propres à maximiser l’efficacité des activitésnumériques, le concept d’efficacité pouvant recouvrir plusieurs interprétations pratiquescontrastées.

Une structuration autour des droits de propriété, des normes ; des médiateursinformationnels

L’économie numérique est marquée par la production de biens complexes (ou bien systèmes)réalisés grâce à l’assemblage de composants. Ces derniers peuvent bénéficier de forteséconomies d’échelle dans la production (ce qui est vrai pour les séquences informationnellescomme pour les composantes des services réseau) tout en étant assemblés de manièrespécifique pour être adaptés aux besoins des utilisateurs. Cette organisation “modulaire” de laproduction engendre de multiples interdépendances — qui peuvent se traduire en externalitésdu fait de l’incomplétude des droits de propriété — dont la gestion débouche sur despropriétés économiques contrastées en fonction des principes mis en oeuvre. Trois catégoriesde mécanismes jouent un rôle clé dans la mesure où ils définissent les conditionsd’interconnexion et d’interopérabilité entre les composants des biens complexes et organisentle régime d’appropriation de la valeur créée par leur production et leur usage :

• Suivant la finesse de découpage des droits de propriété — différenciation des droitsd’usage versus allocation en bloc d’une série de droits aux titulaires — et suivant leurdegré de restrictivité — le titulaire peut obtenir le droit de priver tout tiers de l’usage, oubien un seul droit à rémunération, ou bien encore une seule reconnaissance de paternité—, le régime d’utilisation des composantes de base des biens complexes diffèreradicalement. Il en résulte des structures industrielles, des dynamiques d’innovation et desphénomènes de répartition différents. Mieux comprendre l’économie contrastée desrégimes de droit de propriété – intellectuels et industriels, en particulier — est essentielpour analyser les tendances à l’œuvre au sein des industries de la connaissance et del’information et pour réfléchir, en tenant compte de contextes contrastés — ampleur desinvestissements, des externalités, des effets de verrouillage, etc. — aux régimes depropriété préférables.

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• Dans une économie modulaire, l’ouverture des normes d’interfaçage — i.e. la facilité et lecoût de leur usage — de même que leurs modalités d’élaboration — i.e. suivant qu’ellesrésultent de processus coopératifs et consensuels ouqu’elles sont proposées par un acteur(utilisateur ou industriel) — est également un déterminant essentiel des formesorganisationnelles qui président à la production des biens complexes, en influençantnotamment le régime de concurrence entre les producteurs et in fine la répartition entreeux et entre producteurs et utilisateurs. Il est alors essentiel d’étudier les propriétés desystèmes alternatifs de normalisation à la fois d’un point de vue normatif et positif.

• Les modalités d’assemblage vont également dépendre de la manière dont s’organise lacoordination entre l’offre et la demande (ainsi que la potentielle coordination entreoffreurs d’un côté, consommateurs de l’autre). De ce point de vue, l’économie numériqueest marquée par de multiples innovations qui reposent sur deux piliers essentiels : lesmédiateurs informationnels, d’une part, les communautés virtuelles, d’autre part.

o Les info-médiateurs utilisent en particulier les TIC pour réduire les coûts detransactions entre offre et demande en permettant une rencontre plus efficace entreles deux côtés du marché. Il existe cependant de multiples façons de produire etvaloriser ce service suivant la capacité d’extraction de l’information du médiateur(qui dépend en partie de la transaction qu’il organise avec les utilisateurs de sesservices), suivant ses stratégies d’utilisation de l’information (fondées notammentsur la mémorisation, le croisement et le partage avec des tiers), suivant lesmodalités de financement du service offert (financé par l’offre, la demande, destiers valorisant l’information ou l’audience produite, la vente d’un service ouproduit joint, etc ) ;

o De manière complémentaire, les TIC peuvent être utilisées par des communautéspour gérer de manière collective de l’information et des connaissances dans le but,là encore, de diminuer les coûts de transaction (à la fois en diminuant les coûtsinformationnels individuels et en diminuant les risques d’opportunisme au sein dela communauté). Différentes formes de communautés avec des objectifs très diverspeuvent néanmoins être créées.

Il en résulte des possibilités très contrastées d’organisation des relations entre producteurset des relations entre l’offre et la demande correspondant à des structures de marché ; desmodalités de captation du surplus, des dynamiques d’innovation différentes

Analyser ces trois dimensions de l’économie numérique aboutit à dresser un inventaire desmodèles d’affaires numériques, à mieux comprendre leurs modalités de concurrence ainsi queleurs propriétés tant statiques que dynamiques. La recherche dans le domaine doit allierdéveloppements théoriques et travail de terrain pour mieux comprendre la portée réelle desTIC sur les coûts de manipulation de l’information, pour déterminer la viabilité effective desmodèles possibles, et pour analyser leurs conséquences réelles.

Un tel effort de recherche peut aboutir à deux types de résultats. D’un point de vue positif,plusieurs dimensions des modèles d’affaires numériques peuvent être considérés comme lapréfiguration de nouvelles formes de relations entre l’offre et la demande appelées à sediffuser dans l’économie. Étudier les propriétés de l’économie numérique permet donc demieux caractériser le nouveau régime de croissance et de concurrence. D’un point de vuenormatif, les résultats obtenus peuvent éclairer sur les stratégies optimales à suivre tant sur leplan individuel que collectif. La recherche doit, en particulier, fournir de nombreuses réponsessur les modalités optimales de l’intervention publique — en matière de droit de la propriétéintellectuelle, de politique de la concurrence, de régulation des public utilities, denormalisation, etc. — de manière à concevoir des cadres d’interaction permettant aux agentséconomiques de gérer de manière efficiente le caractère collectif de certaines ressources, lesfortes externalités qui marquent leurs interventions, la flexibilité nécessaire à l’innovation.

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Dynamiques industrielles et macroéconomiques

Au-delà de l’économie propre des activités numériques, le rôle des TIC dans l’économie qu’ils’agisse du plan macroéconomique (croissance, emploi, répartition) ou du planmicroéconomique (dynamique des firmes et des industries) doit être étudié. Deux approchespermettent de compléter l’analyse des logiques de l’économie numérique en tentant de mettreen évidence la manière dont les modèles propres au numérique se diffusent (en setransformant) dans l’ensemble de l’économie.

• Premièrement, ces modèles engendrent de nouvelles dynamiques dans le secteur del’information et de la connaissance. Il convient d’analyser la dynamique de cesindustries (informatiques, télécommunications, audiovisuel, information etcommunication, etc.) en formation et en transformation pour mieux comprendre lamanière suivant laquelle ces industries se (re)structurent, réalisent ou non des gains deproductivité, les transmettent au reste de l’appareil productif.

• Deuxièmement, il convient de revenir sur la manière dont les modèles organisationnelspropres au secteur numérique influencent l’organisation d’autres secteurs del’économie et participent, ainsi, à l’apparition d’un nouveau modèle d’organisationpost-industrielle. D’une part, des études sectorielles doivent être menées pour mieuxcomprendre comment les TIC jouent un rôle dans la restructuration d’un certainnombre de secteurs : santé, transport aérien, finance, commerce, etc. D’autre part, desétudes plus micro-économiques doivent porter sur la manière selon laquelle destransformations affectent l’organisation interne des firmes et celle des relations entreles firmes et leur environnement. Il importe aujourd’hui de dépasser les discours assezimprécis sur la généralisation de formes organisationnelles plus horizontales afin demettre en évidence la diversité des pratiques et des trajectoires. C’est à cette conditionque l’on acquerra une compréhension des évolutions en cours et de leurs conséquencesen matière de d’investissement, de politique d’emploi, de politique industrielle.

Dans les deux cas, un accent particulier doit être mis sur la dynamique de diffusion des TIC etdes pratiques associées au sein de modèles organisationnels, institutionnels et sociauxcontrastés qui peuvent s’opposer le cas échéant à l’adoption de certaines technologies etpratiques. De telles approches sont essentielles pour disposer de meilleures représentations dela diversité et des singularités des transformations économiques et sociales accompagnant ladiffusion des TIC. Elles permettront également d’identifier les capacités de modèlesalternatifs à gérer les processus d’apprentissage et de changement et de bénéficier ainsi devisions plus précises sur les performances respectives de modèles alternatifs dans la société del’information. Ainsi, des travaux méso et micro-économiques apparaissent nécessaires pourrefonder des analyses plus macro-économiques destinées à caractériser le nouveau régime decroissance et à disposer d’outils plus adaptés pour élaborer des recommandations adéquates enmatière de politique économique.

6. TIC ET CHANGEMENT ORGANISATIONNEL

En finir avec le déterminisme technologique

Depuis plusieurs décennies, les sciences sociales ont mis l’accent sur les mutationsorganisationnelles associées aux TIC. D’une certaine manière, ces technologies peuvent êtreconsidérées comme la production endogène de systèmes économiques et sociaux où ladivision du travail s’est heurtée à des difficultés de coordination auxquelles on a tentéd’apporter des réponses technologiques. Cela étant, pendant longtemps, les TIC ont étéassociées à des modèles organisationnels qui auraient été eux-mêmes techno-déterminés. Lestechnologies des années soixante et soixante-dix auraient été porteuses d’une plus grandecentralisation, tandis que celles des deux dernières décennies du XX° siècle auraient produit

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l'effet contraire. Les travaux plus récents mettent au contraire l’accent sur l’idée que les TICs’accommodent de nombreuses formes organisationnelles. Leur introduction dans lesorganisations va cependant de pair avec des changements organisationnels qui suivent deuxlogiques. Premièrement, les TIC libèrent de certaines contraintes organisationnelles etpermettent donc aux organisations d’améliorer leur adaptation aux contraintes de leurenvironnement ou aux spécificités de leurs différentes composantes. Deuxièmement, leschangements empruntent des trajectoires spécifiques découlant des particularités desprocessus d’appropriation, d’apprentissage et d’innovation. L’étude de ces évolutions etadaptations spécifiques conduit à mieux appréhender les propriétés et les potentialités desmutations organisationnelles associées aux TIC

Transformation des propriétés organisationnelles et trajectoires de changement

Ainsi, un axe de travail des sciences sociales consiste à identifier les nouvelles propriétésconférées aux modèles organisationnels par leurs modes d'adoption des TIC. Ces derniers onten effet tendance à modifier ces propriétés. Par exemple, les organisations hiérarchisées etcentralisées sont traditionnellement considérées comme propices à la réalisation d’uneoptimisation systémique tenant compte de multiples interdépendances, au prix d’une faiblecapacité d’adaptation aux changements et aux spécificités locales (du fait des délais detraitement centralisé de l’information et des risques que font courir à la cohérence globale lesadaptations locales). Les TIC ont tendance à permettre aux organisations centralisées dedevenir plus flexibles et plus cohérentes. Il convient dès lors de déterminer les nouvellesdimensions des arbitrages entre alternatives organisationnelles. De la même façon, l’analysedes dimensions permettant de contraster les modèles organisationnels doit être renouvelée. Ilpeut être nécessaire d’ajouter des distinctions en termes de degrés de standardisation desprocédures ou de modalités de partage de l’information aux notions plus traditionnelles deniveau de centralisation des décisions ou de degré de division du travail. Les nombreusesinnovations managériales des dernières décennies seraient ainsi mieux prises en considérationet la manière selon laquelle la technologie influence le design et le fonctionnement desorganisations serait mieux appréhendée. De telles innovations analytiques sont également lacondition d’une analyse renouvelée des arbitrages auxquels font face les décideurs lorsqu’ilsconçoivent des systèmes d’information, des organisations et leurs stratégies.

Une analyse plus pertinente de la manière dont les TIC modifient l’univers de choix desconcepteurs des organisations est en effet une condition préalable à une analyse destrajectoires de changement organisationnel. Les études menées dans le passé soulignent queles technologies créent de nouveaux espaces de choix car leurs utilisateurs découvrent àl’usage à la fois leurs potentialités et les limites des procédures utilisées antérieurement. Ilss’engagent donc dans des processus d’expérimentation et d’apprentissage dont les trajectoiresexpliquent largement les résultats… eux-mêmes porteurs de nouvelles évolutions. Telles sontles raisons pour lesquelles de nombreuses analyses de statique comparative construites sur desmodèles causaux trop simplistes à partir de clivages analytiques qui ne sont plusnécessairement pertinents empêchent de comprendre la nature des mutationsorganisationnelles en cours. Un renouvellement de l’analyse est nécessaire pour comprendre àla fois les impacts économiques ou sociaux des TIC (ou plus précisément les mutationsorganisationnelles dont elles sont un des moteurs) et pour élaborer les mesuresd’accompagnement nécessaires qu’il s’agisse de politiques (de l’emploi et des qualifications,par exemple) ou de techniques managériales.

Comprendre l’infomédiation et la logique communautaire

Le rôle central des TIC dans les mutations organisationnelles contemporaines, de même que lerenforcement du poids relatif des activités informationnelles dans l’économie et lesorganisations en général, conduit à mettre l’accent sur deux piliers des nouvelles formesorganisationnelles (qu’il s’agisse d’ailleurs de l’intra-organisationnel, comme de l’interorganisationnel ou de l’interindividuel) Il s’agit des infomédiateurs et des communautés. Dansun cas comme dans l’autre, un rôle crucial est conféré à des individus ou des communautésdont le rôle principal est d’organiser la circulation de l’information. Les TIC apparaissent

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dans ce contexte comme un outil pour l’extension de leur activité, tant en ce qui concerne ladiversité des fonctionnalités offertes que le nombre des bénéficiaires concernés. Lesdynamiques d’émergence, de stabilité et d’évolution de ces dispositifs doivent être mieuxcompris, de même que la manière dont ils interagissent, instrumentalisent ou sontinstrumentalisés, avec les autres modalités plus traditionnelles d’organisation… qu’il s’agissedes organisations formelles, des communautés ou médiateurs traditionnels. Par ailleurs, uneattention particulière doit être portée sur la manière dont s’organise la production etl’utilisation collective de la connaissance.

Les propriétés des formes communautaires d’organisation — dont les TIC ne sont qu’un dessupports possibles à côté d’identités territoriales, culturelles, sociales — doivent en effet êtreanalysées à la fois en termes de coordination et en termes cognitifs. Les sociétéscontemporaines et les dispositifs techniques qui les supportent favorisent moins uneautonomisation des individus qu’une inscription singulière de ces derniers au sein decommunautés multiples auxquelles ils appartiennent. Ces communautés ont des propriétés entermes d’élaboration et de diffusion de valeur, de connaissance, d’information, de services quijouent un rôle essentiel en matière économique et sociale, de bien-être et d’identitéindividuelle. Il appartient aux diverses sciences sociales d’abord de mettre au point desdispositifs pour contraster de manière pertinente les différentes formes de communautés etanalyser de manière plus précise leurs propriétés. Dans ce contexte, il est essentiel decomprendre comment les TIC participent à la fois à la formation de nouveaux types decommunautés (“virtuelles”) et à la transformation des modalités de fonctionnement decommunautés préexistantes, d’analyser en quoi elles sont un facteur facilitant la multi-appartenance des individus et la plus grande segmentation de leurs modalités d’engagementdans les collectifs. Tout ceci afin d’étudier les propriétés des communautés et des systèmescommunautaires qui en résultent.

Ainsi, l’analyse de la manière dont les TIC transforment les formes organisationnelles propresà nos économies et nos sociétés passe par un retour sur l’analyse de formes traditionnellesd’organisation — la forme communautaire — et par un examen des nouvelles pratiquessociales qui les marquent aujourd’hui notamment à travers la multi-appartenance etl’appartenance “à la carte”. Dans le même temps, dans la mesure où les technologiesnumériques et leur usage sont un puissant vecteur de nouvelles pratiques communautaires,l’analyse de l’émergence, de la structure et des propriétés des communautés “virtuelles” ou decelles qui sont impliquées dans la production des TIC (communautés de l’open source, bienentendu, mais aussi celle des développeurs de l’Internet, ou le milieu innovateur de la SiliconValey), constitue un terrain particulièrement pertinent pour les sciences sociales, à la foisparce qu’on dispose d’une expérience historique observable (grâce notamment à denombreuses traces informatiques qui peuvent permettre de mieux comprendre desphénomènes d’émergence, d’auto-organisation et d’évolutions) et parce qu’il s’agit de lieuxd’élaboration de nouvelles pratiques (de partage des connaissances, de gestion desexternalités, etc.).

Réorganisations de et dans l’espace

Une dernière dimension à explorer en matière d’organisation des activités a trait àl’organisation spatiale. Une vision naïve communément répandue est que les TIC ont poureffet de faire disparaître l’espace, en abolissant les distances et les points saillants telles lesagglomérations, du fait de leur désormais large diffusion et de la forte interconnexion desréseaux. Des conclusions souvent erronées en sont tirées en matière de choix de localisationdes activités (qui n’obéirait plus qu’à une logique de-coût absolu des facteurs) et d’impact desTIC sur le développement des territoires. Les travaux empiriques approfondis montrent dequelle façon ces technologies n’affranchissent pas des besoins (et des contraintes) de mise enprésence physique et soulignent comment l’espace continue d’être profondément structuré parl’accès aux réseaux de transports, aux aménités liées à l’existence d’agglomérations ou à laprésence de ressources naturelles, à la localisation de la main d’oeuvre ou à celle desinfrastructures. Les TIC affectent les propriétés de l’espace, plus qu’elle ne les gomment, et

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élargissent la palette des alternatives disponibles en matière de choix d’organisation spatialedes activités.

Il appartient donc à des disciplines comme la géographie, l’urbanisme, la sociologie,l’économie de mettre à jour la manière selon laquelle de nouvelles modalités de gestion del’espace permettent d’agencer de nouvelles formes d’organisation et de distribution desactivités dans l’espace. De tels travaux sont évidemment indispensables pour réfléchir àl’aménagement de l’infrastructure informationnelle des villes, des nations, des régions et desorganisations. Bien au-delà, ils ont une portée en matière de politique urbaine,d’aménagement du territoire, de développement et de commerce international. Cela impliquenéanmoins de passer d’une logique posant les TIC comme facteur de localisation des activités,à une problématique centrée sur la capacité ouvertes par ces technologies pour réagencer lesrelations entre individus et entités distants, d’une part, de gérer différemment les contraintesinhérentes à l’espace — comme les phénomènes de congestion ou inversement les économiesd’agglomération —, d’autre part.

7. NOUVELLES PRATIQUES MANAGÉRIALES

À la confluence des nouvelles logiques économiques et concurrentielles portées parl’économie numérique et des nouvelles capacités organisationnelles portées par les TICémerge le questionnement sur les principes de gestion et les pratiques managériales querequièrt le nouvel environnement. Les technologies numériques semblent considérablementélargir la palette des outils de gestion (en fournissant aux managers des capacitéssensiblement améliorées d’intelligence stratégique, de contrôle de gestion et de pilotage) enmême temps qu’elles accroissent la complexité des décisions puisqu’il s’agit de piloter deschangements en partie non-maîtrisables face à des évolutions constantes de la technologie etde l’environnement concurrentiel. Dans ce contexte, tant les pratiques de gestion, que lessystèmes d’information qui en sont les supports, doivent être pensés pour pouvoir s’adapter àdes apprentissages, à des reconfigurations modulaires, à l’apparition de nouvellesopportunités, à une redéfinition permanente des frontières. Il en résulte des approches trèsouvertes de la notion de performance et des pratiques de gestion renouvelées mettant l’accentsur l’évolutivité et l’apprentissage

Réalités et mythes de la révolution du contrôle

Trop souvent dans le passé, les TIC ont été conçues comme des outils d’approfondissementdu contrôle et de la maîtrise organisationnelle. Dans la lignée de la tendance historiqued'approfondissement du contrôle, les TIC ont été perçues comme le support d’uneoptimisation parfaite de la gestion interne de l’organisation et des liens avec sonenvironnement. Au sein de l’organisation, les TIC étaient censées permettre une coordinationréactive de l’ensemble des composantes de l’organisation, tout en étant le support d’uneoptimisation fondée sur l’analyse systématique des résultats individuels et collectifs. Àl’extérieur de l’organisation, les TIC ont été perçues comme un ensemble de ressourcespermettant de comprendre voire de maîtriser les comportements des consommateurs, d’unepart, de mettre en concurrence, de sélectionner et de contrôler des fournisseurs avec lesquelsla coordination pouvait être flexibilisée, d’autre part. Si de telles tendances à la rationalisationsystémique et complète de l’ensemble des activités productives existent bel et bien, il estnécessaire d'en nuancer la perception en procédant à un examen systématique et rigoureuxdes réalisations effectives de manière à mettre à jour tant les limites des outils techniques quecelles qui affectent les organisations elles mêmes. Faire preuve d’un certain scepticisme àpropos des discours managériaux et des promoteurs des TIC paraît indispensable pourcomprendre la portée effective de la systématisation d’une gestion scientifique et de plus enplus individualisée du marketing, de la généralisation du contrôle de gestion et des pratiquesde concurrence par comparaison (benchmarking), de la rationalisation systématique desinterfaces et interdépendances entre fonctions, de la rationalisation, l’intégration et laflexibilisation de nombreuses tâches et processus à forte composante informationnelle (néo-

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taylorisme) et analyser les conséquences de ces pratiques sur les performances effectives desentreprises, sur le service apporté aux clients ou aux usagers, sur le bien être et l’efficacité dessalariés (en n’excluant pas les impacts sur le marché du travail : précarisation, apparition denouveaux métiers et transformations des anciens, etc.), sur les structures industrielles (effetsde hiérarchisation et de redistribution), etc.

Au-delà, il convient de mener des réflexions et des recherches sur les éventuellesincompatibilités de ce modèle du contrôle managérial total avec d’autres principes, tels que ladécentralisation et la responsabilisation, reconnues aujourd’hui comme essentiels dans uneéconomie fondée sur les connaissances et l’innovation et dans une société post-industrielle oùles aspirations des citoyens évoluent. Écartelés entre des exigences contradictoires, lesmodèles managériaux qui s’imposent réalisent des hybridations, soit en segmentantl’organisation et en y appliquant différents principes au gré des circonstances, soit eninventant de nouveaux modèles. Les identifier et déterminer les circonstances dans lesquellesils sont efficaces est essentiel. À une caractérisation des nouvelles pratiques gestionnairespermises par les TIC du fait des possibilités accrues qu’elles offrent à la fois en matière decontrôle, de centralisation des décisions et de standardisation des interactions, mais aussi decoordination informelle et horizontale entre unités autonomes, doit donc venir s’ajouter uneanalyse contingente des impacts — en matière de productivité, compétitivité, adaptabilité, etc.— de ces principes managériaux dans différents contextes concurrentiels, industriels oucommerciaux.

Le management du changement, de l’innovation et des apprentissages

La vision des TIC comme élément moteur d’une rationalisation complète et réalisable doitnon seulement être nuancée, mais aussi sérieusement remise en cause si on admet que cestechnologies permettent moins une fluidification et une automatisation de l’existant, qued’initier des procédures d’apprentissage et d’innovation. Dans ce contexte, en effet, l’analysedes méthodes managériales adaptées renvoie très explicitement à celles des formesorganisationnelles et des méthodes de mobilisation des ressources humaines, de gestion desprocessus collectifs, de coordination centrées sur la gestion des connaissances et desinnovations. Des travaux récents insistent en la matière sur la flexibilité des formesorganisationnelles elles-mêmes, sur la capacité individuelle et collective à adopter denouveaux outils et des méthodes de travail en évolution constante. Cette conceptiondynamique des organisations en reconfiguration permanente a des impacts importants surl’ensemble des techniques de gestion — stratégie, production, logistique, R&D, marketing,GRH, finance et contrôle de gestion — et naturellement sur la conception des systèmesd’information qui les supportent.

Ainsi, dans une perspective “gestionnaire” les travaux sur les TIC doivent dépasser lesréflexions sur le management technologique ou des ressources technologiques telles qu’ellesont souvent été menées par types d'outils (ERP, intranet, courrier électronique, centred’appels, groupware, commerce électronique, EDI, plates-formes de marché) ou par fonction.En prolongeant certaines perspectives structurationnistes, il apparaît plus fructueux de mettrel'accent sur la gestion des projets et les processus de décision conduisant à l'adoption et lamise en oeuvre de ces outils à la fois pour mieux comprendre les aléas des processusd’adoption, d’apprentissage, d’innovation, de diffusion (et les effets structurels induits), detransformation des modes de représentation des pratiques, et pour mettre à jour, le caséchéant, certains éléments des “bonnes pratiques” sans oublier d’identifier les élémentscontextuels qui les caractérisent et en se gardant des rationalisations abusives a posteriori.L’approche structurationniste met en effet l'accent sur la construction progressive dessystèmes techniques et insiste tout particulièrement sur le caractère équivoque destechnologies, ainsi que sur les capacités d'appropriation différenciées des utilisateurs. D'oùl’accent sur les études d'usage et les liens à établir avec les sciences cognitives (effetsd'imitation, d'adaptation) et les approches sociologiques de l'innovation.

Flexibilité et interactivité dans la gestion des systèmes d’information

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Dans cette dernière perspective, il est intéressant d’envisager l’usage des TIC commetechnologie invisible incorporant des outils de gestion, façonnant les organisations etcanalisant les comportement individuels dans la mesure où tant sur le plan idéologique quepratique, la mise en œuvre des systèmes d’information peut être utilisée par leurs concepteurscomme les vecteurs de nouvelles visions de l’organisation et de ses missions, de mêmequ’elles s’avèrent normatives pour les processus de travail et les interactions entre lesmembres de l’organisation. Cela étant, une fois encore, il faut se défier des approches tropmécaniques dans la mesure où ces tendances bien réelles sont affectées par les réactions desutilisateurs qui innovent dans les usages des systèmes techniques et ont toujours le choix dene pas adopter ou de contourner le système normatif.

Dans un tel contexte, la gestion même des SI doit dépasser une approche trop normativeconsistant à identifier les outils propres à l’optimisation de différents processus correspondantà un modèle organisationnel idéal. Ce modèle n’existant pas, il apparaît plus opportun deconcevoir des systèmes d’information marqués par une double caractéristique. Premièrementils doivent être flexibles et ceci dans deux acceptions. D’une part, ils doivent pouvoir évolueravec les pratiques. D’autre part, ils doivent pouvoir se recombiner avec d’autres au gré desreconfigurations de l’architecture, des frontières et des partenariats de l’organisation. Au-delàdes normes techniques de communication et d’interopérabilité, cela pose le problème de ladéfinition de formats d’information et de procédures de traitement de cette dernière,modulables et flexibles. Deuxièmement, les SI doivent être pensés comme supportd'acquisition et de capitalisation des connaissances à la fois dans une perspective d’utilisationdes ressources disponibles (cartographie de la connaissance, création de dispositifs de partage,etc.) et sous l’angle de l'entreprise apprenante (gestion/évaluation/construction desqualifications et compétences, e-learning, dispositif d’acquisition des connaissances et desuivi des innovations, etc.).

8. OUTILS, MESURE, DONNÉES, CORPUS

Articuler approches théoriques et méthodes d’investigation est une question centrale dans lessciences sociales. Le recours aux TIC a ainsi permis de transformer profondément lesméthodologies de recueil, de codage et de traitement automatique des données numériques,textuelles ou graphiques. Leurs usages actuels conduisent à générer, à renouveler et àmultiplier les traces électroniques matérialisant des échanges ou des pratiques : courriels,forums de discussion, suivis de parcours sur le web, mesures d’audiences, etc…. Il est doncimportant de développer des méthodologies innovantes de traitement des données et desarchives électroniques tant d’un point de vue statistique, que langagier ou sémiotique. Lestraces obtenues n’ayant généralement pas été constituées à des fins d’enquête, il faut lesconstruire en tant que corpus de données, ce qui pose des problèmes de méthode et dedéontologie. Par ailleurs, les potentialités de développement des traitements automatiquesnécessitent de repenser et de renforcer les articulations avec les méthodologies classiques dessciences sociales tant pour éclairer et expliciter les pratiques analysées par des entretiens oudes suivis, que pour objectiver le choix des caractères retenus, la pertinence des métrologiesou les résultats obtenus par la confrontation avec les observations de terrain.

Les approches théoriques à utiliser et des méthodes d’investigation permettant de lesconstituer, de les enrichir et de les valider grâce au recueil de données empiriques constituentun enjeu central pour toutes les disciplines des sciences sociales. Il est renouvelé par leschangements associés à la rapide diffusion des TIC, changements non seulement du contextepurement technique des enquêtes, que celui du contexte du recueil des données voire mêmeplus largement du contexte institutionnel. Ainsi, le maintien à l’identique des anciensdispositifs d’enquête devient illusoire dans le cas de la réalisation d’enquêtes téléphoniques, lerecueil des données devant tenir compte de l’évolution des pratiques de sociabilitétéléphonique, et en particulier de la diffusion massive des téléphones portables. Au delà duchoix de l’appel sur un appareil fixe ou un portable, lorsque ces deux modalités sontpossibles, la méthodologie utilisée doit tenir compte de l’environnement spatio-temporel dans

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lequel se trouve plongé l’enquêté, même lorsqu’il s’agit d’une simple prise de contact. Maisau delà de la simple maintenance des outils méthodologiques existants, se pose celui del’amélioration des enquêtes existantes, la création de sources innovantes, le développement denouvelles formes d’investigation et la création de nouveaux corpus ou encore l’améliorationdu suivi, de l’usage et du traitement des données.

L’amélioration des enquêtes existantes et la création de sources innovantes

Un premier volet de l’amélioration des enquêtes concerne l’amélioration de l’accessibilité etun meilleur partage des sources de données existantes. Ce problème peut parfois relever demoyens strictement techniques, compatibilité des sources et des systèmes techniques ou miseen réseau des données. Mais d’autres questions peuvent également se poser comme cellesliées à la confidentialité des données, à leur coût, à l’évaluation de leur qualité, aux intérêtsdes producteurs de données et à la reconnaissance de leur travail, à la qualité de ladocumentation existante, à constituer, à maintenir ou à développer en fonction de la variétédes usages. Enfin, plus largement, il est nécessaire d’établir des liens entre producteurs etutilisateurs des données dans la mesure où il peut être difficile de se servir de données, mêmerelativement standardisées, en faisant comme si elles n’étaient pas construites ou en ignorantles modalités et les difficultés particulières de leur construction.

Le dispositif d’enquête COI sur les Changements Organisationnels et l’Informatisation dans lechamp de l’industrie en France constitue un bon exemple de création de source statistiqueinnovante qui capitalise une collaboration entre économistes, sociologues et gestionnairesavec les statisticiens du travail. Cette enquête mérite à la fois d’être renouvelée et de voir sonchamp étendu au delà de l’industrie. Son originalité est de recueillir à la fois des informationssur l’organisation des entreprises auprès des dirigeants et sur l’organisation du travail auprèsdes salariés. Au delà d’un simple enrichissement des sources par la juxtaposition de données,ce dispositif d’enquêtes pose des problèmes méthodologiques inédits. Dans quelle mesure lesreprésentations des dirigeants et des salariés peuvent elles converger ou diverger et commentanalyser ces divergences ? Comment délimiter les questions les plus pertinentes à poser auxdirigeants et aux salariés ? La réponse à de telles questions n’est pas possible en se limitant auseul traitement statistique, elle nécessite la mise en œuvre de post-enquêtes thématiquespermettant d’interroger les enquêtés tant sur les phénomènes d’imposition de sens que sur lasignification qu’ils donnent à leurs réponses.

Enfin un axe de recherche de nature plus méthodologique consiste à analyser lesmodifications du processus d’enquête liées à l’introduction des TIC qui conduisent à repensernon seulement ses modalités mais aussi les choix liés à son organisation. Il peut s’agir decomparer les réponses obtenues par des enquêteurs par écrit ou sur informatique en présenced’enquêtés, à celles obtenues à distance par téléphone, ou à travers des questionnaires autoadministrés, écrits ou informatisés. L’auto-administration des questionnaires ou de la collecten’est pas en soi la solution optimale. Ce type d’enquête s’il peut être adapté à certains publicsspécifiques peut se révéler contradictoire avec le contrôle de l’absence de biais dans le recueildes données ou entrer en contradiction avec le maintien et l’amélioration de la qualité, de lafiabilité ou de la confidentialité des informations recueillies. Plutôt que de supposer uneamélioration inéluctable il est nécessaire d’analyser les nouveaux points critiques du recueildes données et d’accumuler les résultats des différentes expérimentations. En particulier leschangements liés à la conception du questionnaire de l’enquête et du plan de sondage, auchoix du mode d’interrogation, à la réception de l’enquête et à la compréhension de sesquestions, ou encore aux contrôles et aux codifications apparaissent essentiels, sans oublier lesaspects déontologiques et réglementaires.

Construire de nouvelles formes d’investigation et de nouveaux corpus de données

Différentes formes d’investigation classiques ou nouvelles sont déjà constituées ou en coursde construction par les équipes impliquées dans le GDR TICS : enquêtes de terrainlongitudinales, analyses comparatives, prise en compte de la multimodalité descommunications, analyse des articulations entre TIC et médias, observation et recueil de

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données empiriques au plus près de l’activité, méthodes automatisées de recueil, de suivi et detraitement de données. L’usage des technologies a pour effet de renouveler, de générer et demultiplier des traces écrites, matérialisant des échanges ou des usages. Internet en constitue unbon exemple, qu’il s’agisse du courrier électronique qui ne remplace pas terme à terme lecourrier papier, du comptage d’internautes, du suivi de leurs parcours sur le web ou de la miseen scène de leurs échanges dans des forums de discussion.

Si l’exploitation des archives électroniques peut révéler certains aspects des pratiques desutilisateurs, l’abondance des traces produites ne constitue pas en soi un critère pertinent. Lesraisons de la constitution de ces traces électroniques étant souvent au départ de naturetechnique ou commerciale, il est nécessaire de les construire comme données, et en particulierd’en maîtriser l’échantillonnage et de construire des corpus aussi homogènes, exhaustifs,cohérents et pertinents que possible relativement aux problèmes que l’on souhaite analyser.

De plus, les archives électroniques ne sont généralement pas suffisantes à elles seules pouranalyser des pratiques ou des contenus et doivent être confrontées à des méthodologiesclassiques d’entretien ou d’explicitation des motivations des pratiques. L’analyse des tracesélectroniques nécessite également la constitution de méthodologies spécifiques d’analysevisant par exemple à typifier des parcours ou des requêtes, à étendre des analyses existantes àces nouvelles sources de données, par exemple pour l’analyse des conversationsélectroniques, à les confronter avec d’autres sources ou d’autres méthodes de recueil dedonnées.

Les traces électroniques conduisent aussi à un regain d’intérêt pour l’analyse des matériauxdont elles sont constitués qu’il s’agisse de textes ou de combinatoires complexes mettant encontact différents systèmes sémiotiques. De ce point de vue les logiciels de statistiquetextuelle ou d’analyse lexicale ne représentent qu’une des multiples voies d’entrée possiblesrelativement à des méthodes centrées sur l’analyse du contenu ou des réseaux conceptuels, surl’analyse sémantique et la construction du sens, sur l’analyse du contexte ou du processus decommunication et de son caractère multimodal. Il est donc nécessaire de renforcer lesapproches multidisciplinaires incluant les sciences de l’information et de la communication, lasémiotique ou la linguistique.