5
Canadian Slavonic Papers LES VERS DE YOURI JIVAGO: Quelques remarques sur leurs traductions Author(s): Robert Vlach Source: Études Slaves et Est-Européennes / Slavic and East-European Studies, Vol. 5, No. 3/4 (Automne-Hiver/Autumn-Winter 1960-1961), pp. 217-220 Published by: Canadian Association of Slavists Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41055785 . Accessed: 25/06/2014 05:27 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Canadian Association of Slavists and Canadian Slavonic Papers are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Études Slaves et Est-Européennes / Slavic and East-European Studies. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.196 on Wed, 25 Jun 2014 05:27:57 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES VERS DE YOURI JIVAGO: Quelques remarques sur leurs traductions

Embed Size (px)

Citation preview

Canadian Slavonic Papers

LES VERS DE YOURI JIVAGO: Quelques remarques sur leurs traductionsAuthor(s): Robert VlachSource: Études Slaves et Est-Européennes / Slavic and East-European Studies, Vol. 5, No. 3/4(Automne-Hiver/Autumn-Winter 1960-1961), pp. 217-220Published by: Canadian Association of SlavistsStable URL: http://www.jstor.org/stable/41055785 .

Accessed: 25/06/2014 05:27

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Canadian Association of Slavists and Canadian Slavonic Papers are collaborating with JSTOR to digitize,preserve and extend access to Études Slaves et Est-Européennes / Slavic and East-European Studies.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 188.72.126.196 on Wed, 25 Jun 2014 05:27:57 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Miscellanea

LES VERS DE YOURI JIVAGO

Quelques remarques sur leurs traductions

par Robert Vlach

La fortune tout à fait unique du roman Docteur Jivago par Boris Pasternak - sans en mentionner, provisoirement, les causes - a fait des Vers de Youri Jivago l'œuvre la plus lue, à l'Occident, de toutes les oeuvres poétiques jamais écrites dans une langue slave. Si la grandeur, comme poète, d'un Mickiewicz, d'un Pouchkine, d'un Slowacki, y est reconnue plutôt à la parole de la critique littéraire que par la conviction puisée dans les traductions trop imparfaites pour atteindre un large public, les Vers de Youri Jivago, étant une partie intégrale du roman, ont passé par les mains de millions de lecteurs. Quelle chance, dirait-on, pour un auteur qui, malgré le succès de sa prose, est par son essence même un poète ! Malheureusement, cette occasion exceptionnelle pour la poésie slave de se faire connaître, et, surtout, apprécier à sa valeur réelle, en la personne de Pasternak, a été à peu près totalement manquee. Partiellement, la faute de cet échec retombe sur Pasternak lui-même. Les poèmes qui constituent le recueil sont très inégaux et ne donnent pas l'image véritable de tout son art. Cet avis n'est pas original et a été prononcé trop de fois avant moi pour que je me trouve obligé de le défendre - cela malgré la profession de foi de Pasternak que le roman Docteur Jivago et son supplé- ment en vers sont la seule œuvre dont il n'ait pas à rougir1. Mais la raison décisive du succès seulement médiocre des Vers de Youri Jivago est, comme d'habitude, la pauvreté de la plupart des traductions. De même que les autres poètes slaves, Pasternak n'a pas trouvé de traducteurs qui seraient aussi grands poètes ; il en faudrait bien pour lui rendre justice. Mais sans aller si loin dans les prétentions, ce qu'on a vu, surtout quand il s'agit de soi-disant grandes langues, est une lecture plutôt pénible. La hâte et, probablement aussi le désir de l'économie chez les éditeurs, portent une grande part de respon- sabilité de ce triste tableau qui suit.

Pasternak est, indéniablement, un des poètes les plus difficiles à traduire. Même s'il a atteint, dans les Vers de Youri Jivago, une simplicité étonnante en ce qui concerne la métaphore, en comparaison avec ses œuvres précédentes, il est toujours resté fidèle à son vers serré et condensé, souvent jusqu'au laconisme, à la rime originale et multiple, aux allitérations nombreuses, à une cadence rythmique très sienne. Dépourvue de la forme, réduite aux seules idées, la poésie de Pasternak ne peut présenter qu'un torse qui est une insulte à sa grandeur. C'est ce que j'ai devant moi, en examinant les neuf traductions que j'ai pu me procurer.

Tout de même, il y en a quelques-unes dont les auteurs - et les éditeurs - n'ont pas besoin d'avoir honte. Malheureusement pour Pasternak, deux au- teurs de bonnes traductions appartiennent à l'exil, ce qui limite notablement

217

This content downloaded from 188.72.126.196 on Wed, 25 Jun 2014 05:27:57 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Etudes Slaves et Est-Européennes

leur portée, et, dans le troisième cas, l'auteur représente une petite nation. En ce qui concerne les grandes langues, la nuit est totale.

Je n'hésite pas un seul instant d'accorder la palme au traducteur polonais, Jozef Lobodowski 2. L'œuvre qui ensuite se rapproche le plus de Poriginal a pour auteur un jeune poète tchèque, Jiri Kovtun 3. Quoique très différentes l'une de l'autre, ces deux traductions distancent largement la troisième, qui est suédoise, et qui, à son tour, laisse le champ vide après elle. Il faut immé- diatement répondre à une question qui surgit automatiquement : est-ce que la parenté des langues slaves est la cause principale de la réussite polonaise et tchèque ? Ici je partage entièrement le point de vue que Lobodowski a lui- même exprimé dans un article4 alors qu'il avait terminé sa traduction. Il trouve les rapprochements linguistiques entièrement compensés par les com- plications causées par la signification très souvent différente de mêmes mots dans des langues différentes. Mais encore plus embarrassant est le rythme russe qui confronte le traducteur polonais. Comment doit-il résoudre, par exemple, le problème des dactyles qui abondent en russe ? (Pour un Tchèque, il en est de même avec les anapestes). Et comment faire avec la rime mascu- line, si rare en polonais, mais dominante en russe ?

Ces difficultés sont aussi à la base de celles éprouvées par Lobodowski, et marquent le résultat de son travail. Obligé de se servir le plus souvent de rimes féminines, il allonge, inévitablement, le vers de Pasternak, ce qui, toujours dans la logique des choses, a pour conséquence la dilution de l'original. C'est là où Lobodowski, malgré ses trente années d'expérience de traducteur, commet son péché cardinal : selon sa propre nature poétique, plus robuste (on est presque tenté de dire plus « mickiewiczienne », il surenchérit sur la robustesse pourtant considérable, de Pasternak, de manière que certaines lignes, çà et là, donnent une impression presque pseudo-classique. En voici quelques exemples : Pour iney (la gelée) de Pasternak, on trouve, chez Lobodowski, mrozu szklista wladza (le règne du gel resplendissant comme le verre) 5. / vsio teryalos' v sneznoi mgle sedoi i bel o i (tout se perdait dans la brume neigeuse, grise et blanche) devient Zamiec krecila sie w pôlkole,/ jak na leb z pieca (le tour- billon se tournait en demi-ronde,/ de pire en pire) 6 - mais ici l'idiotisme na leb z pieca a pour composantes les mots leb - le crâne, la tête, et piec - le fourneau. Et cela : / more, kotorym v toumane on k lodke kak po soukhou chol (et la mer, sur laquelle il allait vers le bateau, comme sur la terre ferme) est traduit par / mor za odmety zdy szane,/ co kor nie pod stopy sie sciela (Et les eaux troublées, essouflées,/ qui se répandent sous les pieds avec l'humilité) 7. Ou encore, To, tchto tikho tebe y a rasskazyvayou (Ce que je te raconte à voix basse) s'est transformé en Cos ci bzdurze w niewyraznej mowie (Je te babille quelque chose dans une langue inexpressive) 8. On pourrait continuer.

L'erreur de Jiri Kovtun, lui aussi poète authentique mais d'une nature presque à l'opposé de celle de Lobodowski, est de même tout à fait dans le caractère de sa propre poésie : ce qu'il intercale est trop pâle, trop faible, pour correspondre à l'esprit de Pasternak dont la force dynamique n'a été nullement affaiblie en traitant les motifs religieux - lesquels, je pense, seuls ont pu attirer Kovtun vers lui. Au pire, la traduction de Kovtun sombre dans la banalité. Comment appeler autrement, par exemple, ces adjectifs ajoutés

218

This content downloaded from 188.72.126.196 on Wed, 25 Jun 2014 05:27:57 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Slavic and East European Studies

par Kovtun : mile vody (chères eaux) 9, svudny plamen (flamme séduisante) 10, smutna pavucina (triste toile d'araignée) n, pastuchove snici pod rouny (les bergers rêvant sous les toisons - sans mentionner que ces toisons sont, chez Pasternak, les pelisses) 12. Voici un exemple, non pas entièrement isolé, de la façon dont Pasternak peut tout à fait s'évaporer de la traduction de Kotvun : « Où Marie-Madeleine serait-elle maintenant, si l'éternité ne l'attendait pas » - Kak novyi v seti remesla mnoi zavletchennyi posetitel (comme un nouveau client pris dans le rets de mon métier). Mais Kovtun a le passage suivant : « Mé ulevy, dnes uvizly jste/ v siti, kterou jsem neutkala » (Mes soulagements, vous vous êtes arrêtés dans le rets que je n'ai pas tissé - ?) 13

Malgré toutes ces remarques, la traduction de Kovtun, et davantage celle de Lobodowski, plus routinière et plus fidèle à l'original, méritent le respect.

La traduction suédoise, par Ralf Parland, un bon poète suédois de Fin- lande, inspiré, dans sa propre poésie, surtout par le tragique de l'écoulement du temps, et par Leo Lindeberg, présente un Pasternak quelque peu simplifié, surtout en matière de rime. Si Lobodowski et Kovtun tâchent de préserver la rime aussi rigoureusement que possible, les traducteurs suédois cherchent à alléger - mais non pas à supprimer - la régularité de la strophe de Pasternak, au profit du sens. La rime dont ils se servent, est presque toujours disposée en scheme a, b, c, b, tandis que Pasternak emploie a, b, a, b. Malheureusement, ils simplifient, de temps à autre, le texte même. Dans le Jardin de Gethsémani, par exemple, le nom de Judas disparaît, tout simplement, bien que les traduc- teurs y aient ajouté une ligne supplémentaire. Mais, en général, ils discernent, avec intelligence, ce qui est essentiel pour Pasternak, et leur traduction, sans être brillante, est honnête et acceptable.

Il faut regretter, quand on aborde les traductions dans les grandes langues, que les traducteurs aient semblé ignorer l'opinion du poète sur la rime. Pour leur profit, hélas, tardif, je cite quelques lignes :

Rime riest pas écho, mais c'est Laisser-passer et droit d'accès, Jeton pour laisser au vestiaire La maladie, sa pesanteur, La peur de péché des rumeurs Pour le jeton bruyant d'un vers 14.

A l'exception d'un des traducteurs anonymes de la version française, tous les autres se sont contentés d'une prose rythmée, plus ou moins. Seule- ment une partie des Vers de Youri Jivago en français maintient la forme, et cette partie est de très haute qualité. La supposition s'offre que l'éditeur était trop pressé et confia le reste à une autre personne moins compétente. C'est vraiment dommage, parce qu'il a été démontré plusieurs fois que les Français sont capables de traduire Pasternak d'une manière excellente.

En italien, Pietro Zveteremich et Mario Socrate, de même que Rheinhold von Walter en allemand, ont traduit les poèmes en prose, et il n'est pas indis- pensable de commenter sur des traductions de ce genre. Des deux traductions anglaises, celle de Guilbert Guerney appartient à la même catégorie. Le même ordre pourrait être établi aussi pour la qualité des traductions respectives.

219

This content downloaded from 188.72.126.196 on Wed, 25 Jun 2014 05:27:57 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Etudes Slaves et Est-Européennes

(Je n'apprécie pas la fusion entre la traduction et l'explication, caractéristique pour le dernier nommé, comme : Bellow, in its valley, the Brook Kedron ran...)

Sur la deuxième traduction anglaise, par Eugène M. Keyden, où, dans l'ensemble d'une vaste anthologie des poèmes par Pasternak, 18 des 25 vers du Jivago sont englobés, une très sévère recension a été publiée très récem- ment, par Vladimir Markov15. Je la signerais sans le moindre remords de conscience : bien que nous soyons avertis par la préface, prétentieuse à ou- trance, du traducteur 16, ses manipulations avec la poésie et, surtout, ses tenta- tives de nous rendre, à sa petite manière, Pasternak plus proche nous font subir un choc.

L'inexistence d'une traduction de valeur des Vers de Youri Jivago en anglais montre, hélas, trop clairement que l'approche à Pasternak n'avait ici rien de commun avec l'art, et que tout ce tapage bien connu autour de son œuvre était un abus tout simplement.

Comme un post-scriptum on peut signaler encore huit poèmes de Youri Jivago traduits en espagnol17, d'après la version anglaise (de Guerney). Cela rend tout commentaire absolument superflu.

NOTES

1. Cf. pp. 121-122 dans l'autobiographie de Pasternak, «I Remember >, Pantheon Books, New-York, 1959.

2. « Doktor Zivago », Institut literacki, XLIVe vol. de la Bibliothèque de la « Kultura >, Paris, 1959.

3. L'exilé tchèque n'a pas été en mesure de publier le roman, la traduction de Kovtun, « Basne doktora Zivaga >, a paru comme un livre indépendant, dans l'Edition de « Svedectvi > (le Témoignage), New-York, 1959.

4. « Kultura », Paris, numéro 6/140, 1959, pp. 41-48. 5. Rozlaka, 4e strophe. 6. Zimova noe, 6e strophe. 7. Zie dni, 8e strophe. 8. Biala noe, 3e strophe. 9. Jarni bezeesti, 2e strophe. 10. Babi leto, 5e strophe. 11. Zimni noe, 7e strophe. 12. Betlemska hvezda, 3e strophe. 13. Marie Magdalena, I, 3e strophe. 14. Du poème «Orna tres belle» du recueil «La seconde naissance», 1932. Cite ici de

« Boris Pasternak » par (ves Berger, Poètes d'aujourd'hui, Pierre Seghers, éditeur, Paris, 1958. Traduction par Michel Aucuturier.

15. « The Russian Review », Hanover, N.-H., vol. 19, n. 1, janvier I960, pp. 84-86. 16. « Poems, by Boris Pasternak ». The University of Michigan Press, Ann Arbor, 1959.

P. X. : «I have shunned, in my translation of him, the literal and the neutral ; I have preserved what is literary and ripe in contemporary speech ; I have not aimed to make my version faithful to schoolroom notions of cramped accuracy - but faithful to the spirit of Pasternak's vision of life ...»

17. «La Passion de rasternak», par r. Zendejas, Libro Mex JfcLditores, Mexico, ly^ö, pp. 73-86, «Algunos Poemas de Yurii Yivago ».

220

This content downloaded from 188.72.126.196 on Wed, 25 Jun 2014 05:27:57 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions