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Nourriture et « météo » sont deux facteurs élémentaires, intimement liés, de la vie des hommes. Qui ne connaît la « marchande des quatre-saisons » vendant les fruits et légumes du moment, ou l’imprévoyante cigale de La Fontaine, « fort dépourvue / Quand la bise fut venue » ? L’ alimentation et le temps qu’il fait sont deux « phénomènes totaux » : ils relèvent d’une expérience corporelle, de facteurs émotionnels et d’un appren- tissage socioculturel. Ils déterminent la vie quotidienne à tous les niveaux ; et les hommes cherchent à régler cette double dépendance par des normes collec- tives, dans une visée de contrôle, de prévision et de protection. Dans ce volume, les contributions de chercheurs d’horizons disciplinaires différents – météorologie, géographie, histoire, sociologie, littérature – étudient le lien étroit entre food and weather sous tous les aspects. Chacun subit le rythme des repas et celui des saisons, le « temps qui passe » et le « temps qu’il fait » : le repas en plein air les associe de la façon la plus frappante. L’ état du ciel et les nourritures et boissons représentent une expérience partagée, voire une communauté. Considérée dans la longue durée, l’identité d’un groupe est donc déterminée à la fois par ses représentations d’un climat donné et par une culture alimentaire spécifique. Avec les contributions de Karin Becker, Kim Beerden, Xavier Browaeys, Urs Büttner, Mariano Bussi, Monique Chastanet, Alain-Gilles Chaussat, Jane Cobbi, Anne-Hélène Delavigne, Jean-Christophe Fichou, Rossella Galletti, Richard Galliano-Valdiserra, Maja Godina Golija, Carine Goutaland, Sylvie Guichard-Anguis, Cornelia Lüdecke, Maria Bernarda Marconetto, Marzia Mauriello, Sabine Merta, Alexis Metzger, Vincent Moriniaux, Denis Neiter, Roswitha Neu-Kock, Henry Notaker, Joji Nozawa, Francisco Pazzarelli, Jean-Robert Pitte, Fabrice Poncet, Patrick Ramponi, Helga Sanità, Martine Tabeaud, Alice Van den Bogaert, Anouchka Vasak et Anne-Claire Yemsi-Paillissé. Sous la direction de Karin Becker Vincent Moriniaux Martine Tabeaud L’ALIMENTATION ET LE TEMPS QU’IL FAIT ESSEN UND WETTER – FOOD AND WEATHER L’ALIMENTATION ET LE TEMPS QU’IL FAIT ESSEN UND WETTER - FOOD AND WEATHER Karin Becker Vincent Moriniaux Martine Tabeaud Sous la direction de Karin Becker, Vincent Moriniaux et Martine Tabeaud L’ALIMENTATION ET LE TEMPS QU’IL FAIT ESSEN UND WETTER – FOOD AND WEATHER ÉDITIONS HERMANN Depuis 1876 www.editions-hermann.fr DANS LA COLLECTION MÉTÉOS Becker Karin (dir.), La pluie et le beau temps dans la littérature française, 2012. Becker Karin et Leplatre Olivier (dir.), La brume et le brouillard dans la science, la littérature et les arts, 2013. Becker Karin, Moriniaux Vincent et Tabeaud Martine (dir.), L’ alimentation et le temps qu’il fait, 2015. Belleguic ierry et Vasak Anouchka (dir.), Ordre et Désordre du monde, 2013. Berchtold Jacques, Le Roy Ladurie Emmanuel, Sermain Jean-Paul et V asak Anouchka (dir.), Canicules et froids extrêmes (II), 2012. Brot Muriel, Destination Arctique, préface de Jean Malaurie, 2015. Desarthe Jérémy, Le Temps des saisons, 2013. Ducos Joëlle (dir.), Météores et Climats d’hier, 2013. Howard Luke, Sur les modifications des nuages. Suivi de Goethe, La Forme des nuages selon Howard, édition présentée par Anouchka Vasak et préfacée par Emmanuel Le Roy Ladurie, 2012. Le Roy Ladurie Emmanuel, Naissance de l’histoire du climat, 2013. Mann éodore A., Mémoires sur les grandes gelées et leurs effets, édition présentée par Muriel Collart et préfacée par Emmanuel Le Roy Ladurie, 2012. Metzger Alexis, Plaisirs de Glace, préface de Jean-François Staszak, 2012. Metzger Alexis et Rémy Frédérique (dir.), Neiges et glaces, préface de François Walter, 2015. Pekonen Osmo et Vasak Anouchka, Maupertuis en Laponie, préface d’Élisabeth Badinter et post- face de Jean-Pierre Martin, 2014. Karin Becker enseigne la littérature française à l’université de Münster (Allemagne). Elle a publié une thèse de doctorat sur la casuistique amoureuse du Moyen Âge et une thèse d’habilitation sur la gastronomie dans le roman du xix e siècle. Elle a récemment dirigé La pluie et le beau temps dans la littérature française (2012), « Studia alimentorum 2003-2013 » (Food & History 10.2, 2013) et, avec Olivier Leplatre, La brume et le brouillard dans la science, la littérature et les arts (2014). Vincent Moriniaux est maître de conférences en géographie à l’université Paris-Sorbonne (Paris 4) et directeur adjoint de l’UMR CNRS 8185 ENeC (Espaces, Nature et Culture). Il a sou- tenu une thèse de doctorat sur Les Français face à l’ enrésinement xvi e - xx e  siècles. Il a dirigé, avec Frédéric Alexandre La Méditerranée (2001), avec Isabelle Lefort La mondialisation (2006), Nourrir les hommes (2008) et, avec Vincent Marcilhac, Les établissements de restauration dans le monde (2012). Martine Tabeaud est professeur de géographie à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), direc- trice de l’UMR CNRS 8185 ENeC (Espaces, Nature et Culture) et co-fondatrice du réseau « Perception du climat ». Elle a soutenu une thèse de doctorat sur Climatologie descriptive et imagerie satelli- taire et une thèse d’État sur L’ Atlantique tropical austral : l’ eau atmosphérique et le climat en milieu océanique. Elle a, entre autres, publié l’ ouvrage de référence Climatologie (1992) cinq fois réédité, et, plus récemment, avec A. Kislov, Le changement cli- matique : Europe, Asie septentrionale, Amérique du Nord (2011) ainsi que « Le nuage » (Géographie et cultures 85, 2014). 35 € ISBN 978 2 7056 9047 2

Le vent qui seche les chèvres. Quelques réflexions autour de la cuisine, de la nourriture et des « phénomènes météorologiques » dans les Andes méridionales

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Notre objectif est d’explorer et de réfléchir 5 à quelques idéesrelatives aux lieux qu’occupent les cuisines andines, particulièrementcelles du Nord-Ouest de l’Argentine dans leur relation avec des êtresou des phénomènes définis usuellement comme « météorologiques » :les vents, les pluies, les sécheresses ou les gelées. Pour mieux appro-cher ce sujet, nous nous concentrerons principalement sur le rapportentre « les vents » et « les fumées » – et de là la relation avec d’autres « êtres » ou « événements » ; afin de montrer la relation de continuité et de transformation qui s’opère au sein des cuisines.

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  • Nourriture et mto sont deux facteurs lmentaires, intimement lis, de la vie des hommes. Qui ne connat la marchande des quatre-saisons vendant les fruits et lgumes du moment, ou limprvoyante cigale de La Fontaine, fort dpourvue / Quand la bise fut venue ?L alimentation et le temps quil fait sont deux phnomnes totaux : ils relvent dune exprience corporelle, de facteurs motionnels et dun appren-tissage socioculturel. Ils dterminent la vie quotidienne tous les niveaux; et les hommes cherchent rgler cette double dpendance par des normes collec-tives, dans une vise de contrle, de prvision et de protection. Dans ce volume, les contributions de chercheurs dhorizons disciplinaires diffrents mtorologie, gographie, histoire, sociologie, littrature tudient le lien troit entre food and weather sous tous les aspects. Chacun subit le rythme des repas et celui des saisons, le temps qui passe et le temps quil fait : le repas en plein air les associe de la faon la plus frappante. L tat du ciel et les nourritures et boissons reprsentent une exprience partage, voire une communaut. Considre dans la longue dure, lidentit dun groupe est donc dtermine la fois par ses reprsentations dun climat donn et par une culture alimentaire spcifique.

    Avec les contributions de Karin Becker, Kim Beerden, Xavier Browaeys, Urs Bttner, Mariano Bussi, Monique Chastanet, Alain-Gilles Chaussat, Jane Cobbi, Anne-Hlne Delavigne, Jean-Christophe Fichou, Rossella Galletti, Richard Galliano-Valdiserra, Maja Godina Golija, Carine Goutaland, Sylvie Guichard-Anguis, Cornelia Ldecke, Maria Bernarda Marconetto, Marzia Mauriello, Sabine Merta, Alexis Metzger, Vincent Moriniaux, Denis Neiter, Roswitha Neu-Kock, Henry Notaker, Joji Nozawa, Francisco Pazzarelli, Jean-Robert Pitte, Fabrice Poncet, Patrick Ramponi, Helga Sanit, Martine Tabeaud, Alice Van den Bogaert, Anouchka Vasak et Anne-Claire Yemsi-Pailliss.

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    Sous la direction de Karin Becker Vincent MoriniauxMartine Tabeaud

    LALIMENTATION ET LE TEMPS QUIL FAITESSEN UND WETTER FOOD AND WEATHER

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    Sous la direction de Karin Becker, Vincent Moriniaux et Martine Tabeaud

    LALIMENTATION ET LE TEMPS QUIL FAIT ESSEN UND WETTER FOOD AND WEATHER

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    ditions Hermann

    Depuis 1876

    www.editions-hermann.fr

    DANS LA COLLECTION MTOS

    Becker Karin (dir.), La pluie et le beau temps dans la littrature franaise, 2012.Becker Karin et Leplatre Olivier (dir.), Labrume et le brouillard dans la science, la littrature et les arts, 2013.Becker Karin, Moriniaux Vincent et Tabeaud Martine (dir.), L alimentation et le temps quil fait, 2015.Belleguic Thierry et Vasak Anouchka (dir.), Ordre et Dsordre du monde, 2013.Berchtold Jacques, Le Roy Ladurie Emmanuel, Sermain Jean-Paul et Vasak Anouchka (dir.), Canicules et froids extrmes (II), 2012.Brot Muriel, Destination Arctique, prface de Jean Malaurie, 2015.Desarthe Jrmy, Le Temps des saisons, 2013.Ducos Jolle (dir.), Mtores et Climats dhier, 2013.Howard Luke, Sur les modifications des nuages. Suivi de Goethe, La Forme des nuages selon Howard, dition prsente par Anouchka Vasak et prface par Emmanuel Le Roy Ladurie, 2012.Le Roy Ladurie Emmanuel, Naissance de lhistoire du climat, 2013.Mann Thodore A., Mmoires sur les grandes geles et leurs effets, dition prsente par Muriel Collart et prface par Emmanuel Le Roy Ladurie, 2012.Metzger Alexis, Plaisirs de Glace, prface de Jean-Franois Staszak, 2012.Metzger Alexis et Rmy Frdrique (dir.), Neiges et glaces, prface de Franois Walter, 2015.Pekonen Osmo et Vasak Anouchka, Maupertuis en Laponie, prface dlisabeth Badinter et post-face de Jean-Pierre Martin, 2014.

    Karin Becker enseigne la littrature franaise luniversit de Mnster (Allemagne). Elle a publi une thse de doctorat sur la casuistique amoureuse du Moyen ge et une thse dhabilitation sur la gastronomie dans le roman du xixe sicle. Elle a rcemment dirig La pluie et le beau temps dans la littrature franaise (2012), Studia alimentorum 2003-2013 (Food & History 10.2, 2013) et, avec Olivier Leplatre, La brume et le brouillard dans la science, la littrature et les arts (2014).

    Vincent Moriniaux est matre de confrences en gographie luniversit Paris-Sorbonne (Paris 4) et directeur adjoint de lUMR CNRS 8185 ENeC (Espaces, Nature et Culture). Il a sou-tenu une thse de doctorat sur Les Franais face l enrsinement xvie- xxe sicles. Il a dirig, avec Frdric Alexandre LaMditerrane (2001), avec Isabelle Lefort Lamondialisation (2006), Nourrir les hommes (2008) et, avec Vincent Marcilhac, Les tablissements de restauration dans le monde (2012).

    Martine Tabeaud est professeur de gographie luniversit Panthon-Sorbonne (Paris1), direc-trice de lUMR CNRS 8185 ENeC (Espaces, Nature et Culture) et co-fondatrice du rseau Perception du climat . Elle a soutenu une thse de doctorat sur Climatologie descriptive et imagerie satelli-taire et une thse dtat sur L Atlantique tropical austral : l eau atmosphrique et le climat en milieu ocanique. Elle a, entre autres, publi l ouvrage de rfrence Climatologie (1992) cinq fois rdit, et, plus rcemment, avec A. Kislov, Le changement cli-matique : Europe, Asie septentrionale, Amrique du Nord (2011) ainsi que Le nuage (Gographie et cultures85, 2014).

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    ISBN 978 2 7056 9047 2

  • Table des matires

    Introductionpar Karin Becker, Vincent Moriniaux et Martine Tabeaud ................. 5

    PREMIRE PARTIE APPROCHES PHYSIOLOGIQUES: LE CORPS

    ENTRELALIMENTATION ET LE TEMPS QUIL FAIT

    I. Nature in Cookbooks: Imitation, Control and Submissionpar Henry Notaker ............................................................................................... 15

    II. Catgories alimentaires et mtorologie enHimachal Pradeshpar Alice Van den Bogaert ................................................................................ 25

    III. Wetterfhligkeit und Ditetik. Skizzen zur literarischen Wissensgeschichte eines kulturellen Symptomleidens 1800/1900par Patrick Ramponi ........................................................................................... 39

    IV. La graine et le soldat: survie alimentaire etmtorologie en temps de guerre, daprslercit de Mario Rigoni Stern, IlSergente nella Nevepar Richard Galliano-Valdiserra ................................................................... 57

    V. Pour une belle journe de pluie, ctaitunebelle journe: dboiresalimentaires etmtorologiques dansUnebelle journe dHenryCardpar Carine Goutaland ........................................................................................ 67

    VI. Poetische Frchte Rilkes Dichten im Jahreszykluspar Urs Bttner ..................................................................................................... 81

    DEUXIME PARTIE APPROCHES MTOROLOGIQUES

    DELALIMENTATION: DU MTORE LA SAISON

    I. Le vent qui sche les chvres. Quelques rflexions autour de la cuisine, de la nourriture et des phnomnes mtorologiques dans les Andes mridionalespar Francisco Pazzarelli, Bernarda Marconetto et Mariano Bussi ... 95

  • 444 Lalimentation et le temps quil fait

    II. Dictons, saisons et alimentation paysanne. Le cas de la Corrze (Limousin) de la fin du xviiie sicle aux annes 1930par Monique Chastanet .................................................................................. 105

    III. For Everything There Is a Season. The Anthesteria and Intercalation: a Possible Proxy-indicator for Weather Conditions?par Kim Beerden ................................................................................................ 127

    IV. Les nourritures caniculaires. Leon de lcosystme japonais, en priode de rchauffement climatiquepar Jane Cobbi .................................................................................................... 141

    V. Se nourrir la mer sous des climats inconnus du xvie auxixesiclepar Jean-Christophe Fichou ........................................................................... 155

    VI. Pinguinragout und Robbensteak Lebenundberleben whrend der heroischen ra der Antarktisforschung (1897-1916)par Cornelia Ldecke ....................................................................................... 169

    VII. Seasonality and Resistance Strategies: theNeapolitan Christmas Feastpar Helga Sanit, Rossella Galletti et Marzia Mauriello ................. 187

    TROISIME PARTIE APPROCHES ALIMENTAIRES DES PHNOMNES MTOROLOGIQUES: DELALIMENT AU REPAS

    I. Le sarrasin lpreuve du mauvais temps (xviiie et xixesicles)par Alain-Gilles Chaussat et Denis Neiter .............................................. 205

    II. Le temps de la viande et le temps desbouchers-abatteurspar Anne-Hlne Delavigne .......................................................................... 233

    III. Les vents secs et la conservation des viandespar Vincent Moriniaux ................................................................................... 245

    IV. Lorage et la neige dans la pice th (chashitsu): lagastronomie japonaise et le temps quil faitpar Sylvie Guichard-Anguis .......................................................................... 257

    V. Le pain et le vin dEmmanuel LeRoy Ladurie ............................ 273

  • Table des matires 445

    VI. La temprature de consommation des vinspar Jean-Robert Pitte ....................................................................................... 283

    VII. Un cidre de glace la franaise ?par Alexis Metzger ............................................................................................. 291

    VIII. Le vin et le temps quil fait dans les Indes orientales nerlandaises au xviiesiclepar Joji Nozawa ................................................................................................. 303

    IX. Comme beurre au soleil. Les beurres normands par tous les temps au xviiie siclepar Fabrice Poncet ............................................................................................. 315

    X. The Impact of Weather on Rhythms andStructure of Meals in Sloveniapar Maja Godina Golija ................................................................................ 329

    XI. Saisonale Rezepte und Kochbcher um die Jahrhundertwendepar Sabine Merta ............................................................................................... 339

    XII. Cuisine et manires de table enEspagne: lestapas enterrasse, un dispositif lpreuve du tempspar Anne-Claire Yemsi-Pailliss .................................................................. 355

    XIII. Vom Mahl im Freien zum Picknick Dokumente derKunstpar Roswitha Neu-Kock .................................................................................. 367

    Conclusion. La marchande des quatre-saisonspar Anouchka Vasak ........................................................................................ 387

    Rsums des contributions Zusammenfassungen der Beitrge Summeries of the Contributions ............................... 393

    Les auteursDie AutorenThe Authors ........................................... 435

  • ILe vent qui sche les chvres Quelques rflexions autour de la cuisine,

    de lanourriture et des phnomnes mtorologiques dans les Andes mridionales

    Francisco Pazzarelli, Bernarda Marconetto et Mariano Bussi 1

    INTRODUCTION: LA MTO, LA CUISINE ETLETHNOGRAPHIE

    Il pleuvait depuis plus dune semaine et la pluie ne sarrtait pas. Les canaux dirrigation dbordaient. Les nouveaux pturages verdoyants coloraient les coteaux des montagnes, les potagers exhibaient des plantes de mas dun vert intense. Et mme si les gouttires du toit ne parvenaient plus contenir les eaux, les gens taient heureux: il y avait finalement de la pluie, de la bonne pluie 2.Cependant, ce matin, la grand-mre de la famille est sortie de la cuisine en annonant que les pluies allaient cesser car le fourneau brlait trs bien. Rceptifs cette sea 3 (annonce), une partie de la famille est alle tout de suite lenclos pour traire les chvres qui avaient leurs pattes enterres dans un bourbier de guano (excrment). Ils ont galement vrifi les dires de

    1. Il sagit dun article crit trois mains, lordre a t dcid par les auteurs.2. Huachichocana existe une diffrence entre pluie et orage. La premire vient

    du bas, il sagit dune bruine accompagne parfois dun brouillard qui persiste. Cest cette pluie qui permet que leau pntre bien dans la terre. Lorage vient du haut (de la Puna, des montagnes), avec des nuages obscurs et chargs deau, accompagns de tonnerre et dclairs. Cest la premire, la bonne pluie qui est attendue quand les cultures doivent commencer pousser.

    3. Dans le texte nous utilisons litalique pour les expressions locales. En ce qui concerne sea nous avons choisi de conserver le terme en espagnol car il na pas de traduction satisfaisante.

  • 96 Lalimentation et le temps quil fait

    lagrand-mre: effectivement le vent avait commenc souffler, la fin des pluies prsageait aussi que la saison de fromages arrivait sa fin. Ils se sont alors prpars tre tmoins du fait que le vent scherait les nuages de leur eau et les chvres de leur lait. (Huachichocana, t 2013. Carnet de terrain Francisco Pazzarelli.)

    Durant lt, Huachichocana est submerg de liquides. Et ceux-ci ne proviennent pas seulement de pluies ou dorages, cest aussi du lait que les chvres convoitent aux humains pour faire leurs fromages. Tout coule donc en quantit pendant lt. Cependant, labondance de fromages ne dure pas longtemps, car avec lautomne les pluies sarrtent et les vents schent les chvres, qui nont plus de lait. Lannonce de la fin des pluies peut aussi scouter dans les fourneaux des cuisines, lintrieur des maisons o une partie des fromages sont produits: le feu crpite fort et sans cesse, le feu qui parle, est le sea annonciateur de la fin des pluies.

    Lexemple prsent plus haut restitue une scne de vie dune petite communaut aborigne situe dans les Andes dans la province de Jujuy, au Nord-Ouest de lArgentine. Elle permet de sinterroger sur les relations entre la cuisine et la mto, deux champs conceptuels ordinairement spars. Pourtant, des travaux ethnographiques ont dj montr que les cuisines andines ont des connexions troites avec dautres mondes et que les transformations des substances et des matires que succdent lintrieur, permettent de fabriquer et daltrer les concepts dont la vie quotidienne se nourrit 4. Par consquent, si la nourriture et la transformation des produits alimentaires dans les cuisines traduisent diffrents types de relations entre les humains

    4. Pour des exemples sur ce sujet, voir Eduardo Archetti, El mundo social y simblico del cuy, Quito, CEPLAES, 1992 ; Lucila Bugallo, Quipildores: marcas del rayo en el espacio de la puna jujea, Cuadernos FHyCS-UNJu 36, 2009, p.177-202 ; Francisco Pazzarelli, La importancia de hervir la sopa. Mujeres y tcnicas culinarias en los Andes, Antpoda. Revista de Antropologa y Arqueologa10, 2010, p.157-181 ; Bill Sillar, TheDead and theDrying: Techniques for Transforming People and Things in the Andes, Journal of Material Culture, vol.1, n3, 1998, p.259-289 ; Alison Spedding, Semitica de la cocina pacea andina o porqueras que se hacen pasar por comida, Revista UNITAS, n10, 1993, p.51-60 ; Mary Weismantel, Alimentacin, gnero y pobreza en los Andes ecuatorianos, Quito, Abya-Yala, 1994 ; Mary Weismantel, Viachina: hacer guaguas en Zumbagua, Ecuador, in D.Arnold, Gente de carne y hueso. Las tramas del parentesco en los Andes, LaPaz, ILCA-CIASE, 1998, p.83-96.

  • Le vent qui sche les chvres 97

    et les non-humains, quen est-il avec les dnomms phnomnes mtorologiques ? Quelle classe particulire dtres constitue ces phnomnes dans lunivers andin et quelles relations spcifiques qui stablissent avec le monde de la cuisine et de lalimentation ?

    Notre objectif est dexplorer et de rflchir 5 quelques ides relatives aux lieux quoccupent les cuisines andines, particulirement celles du Nord-Ouest de lArgentine dans leur relation avec des tres ou des phnomnes dfinis usuellement comme mtorologiques: les vents, les pluies, les scheresses ou les geles. Pour mieux appro-cher ce sujet, nous nous concentrerons principalement sur le rapport entre les vents et les fumes et de l la relation avec dautres tres ou vnements ; afin de montrer la relation de continuit et de transformation qui sopre au sein des cuisines.

    Ce travail sappuie sur des travaux ethnographiques mens par les auteurs linterface mto/cuisine/nourriture parmi des communauts indignes et paysannes du Nord de lArgentine, en particulier dans la communaut de Huachichocana (Province de Jujuy) et le village de LosCastillos (Province de Catamarca).

    I. LES VENTS QUI SCHENT

    Huachichocana, les pluies dt (entre dcembre et mars) prsagent lanne venir: dans ce cas, la notion danne sche ou pluvieuse ne rfre pas seulement la quantit de prcipitations mais aussi aux potentiels agricoles et pastoraux. Les cultures seront plus abondantes, de meilleure qualit, et les animaux seront bien nourris si lanne est plus pluvieuse. En termes culinaires, cela influe sur les possibilits de recettes puisque certains produits seront alors dispo-nibles en quantit. En particulier les fromages, dont la production est intimement lie la quantit de lait que les chvres invitent. Ce ne sont pas uniquement des aliments, dont les fromages, qui sortent des cuisines de Huachichocana, mais aussi des seas comme celui rapport par la grand-mre aprs avoir observ son fourneau.

    Le crpitement du feu de la cuisine et la fume qui slve des bois de chauffage prdisent le rgime des pluies de lt: si le foyer fume beaucoup et quil est difficile allumer, cest lannonce que les pluies

    5. Cette rflexion est une partie des recherches en cours menes par les auteurs. Il sagit dun essai de systmatiser des matriaux surgis des travaux du terrain que nous avons lis aux sujets discuts au Colloque.

  • 98 Lalimentation et le temps quil fait

    vont continuer ; si en revanche il sallume rapidement et brle bien (en dpit de lhumidit prsente) cest la sea que les prcipitations diminueront ou finiront bientt et que la pluie va arriver. La fume est donc une sea. Dfinir une sea nest pas une chose simple. Ils existent diverses ethnographies qui abordent le sujet 6 ; nous pouvons essayer demployer ici le concept de petit vnement, avec lequel les personnes dialoguent, et qui de plus annonce des faits sans lien apparent avec lvnement dialoguant.

    Revenons aux fumes. Cette sea renvoie en particulier aux pluies par lintermdiaire du bois de chauffage qui produit diffrents types de feux et de fumes: celui qui brle plus ou celui qui brle moins et fume. Pourtant cette sea ne parle pas des bois de chauffage en train de se consumer mais du futur. Elle annonce les conditions des bois de chauffage de demain 7. Durant la saison sche les bois de chauffage sont bien secs, par consquent, ils brlent bien. Si ces bois de chauffage (secs), commencent brlercomme humides, ils annoncent que la pluie viendra et, en consquence, humidifiera le bois. De mme, durant la saison pluvieuse, les bois de chauffage sont trs mouills et donc difficiles allumer ; mais si tout coup ces mmes bois de chauffage commencent brler comme secs, cest la sea que les pluies vont finir et que le soleil va revenir pour scher le bois. Cest une anticipation sur des processus en voie de ralisation que les personnes ne peuvent pas encore apercevoir ni dans le ciel, ni dans les bois. Ici la fume culinaire est un intermdiaire entre un vnement et celui qui suivra ; ainsi, elle les connecte partiellement.

    6. Pour quelques rflexions, dfinitions et exemples sur des seas dans les Andes, voir Lucila Bugallo, art.cit. ; Zenn Gomel Apaza, Crianza del agua en la cultura Pukara contempornea, in J.Van Kessel et H.Larran Barros, Manos sabias para criar la vida. Tecnologa andina, Quito, Abya-Yala/IECTA, 2000, p.93-105 ; Olivia Harris et Thrse Bouysse-Cassagne, Pacha: en torno al pensamiento aymara, in X.Alb, Races de Amrica. El mundo aymara, Madrid, Alianza Editorial, 1998, p.217-281 ; Porfirio Salas, El dilogo con las seas en la agricultura andina, in J.Van Kessel et H.Larran Barros, op.cit., p.248-272 ; aussi Juan Van Kessel et Porfirio Salas, Seas y sealeros de la Santa Tierra. Agronoma Andina, Quito, Abya-Yala/IECTA, 2002, 309p.

    7. Un exemple similaire: Quand la fume produite par le bois ou le guano au moment de cuisiner monte au ciel, dune manire continue sans interruption, elle annonce la prompte chute des pluies ou que les pluies continueront tomber normalement. Au contraire [] si la fume se dplace vers le sol, elle annonce que durant les jours suivants un veranillo (petit t) se produira, parce que les pluies cesseront de tomber, Porfirio Salas, art.cit., p.268.

  • Le vent qui sche les chvres 99

    Aprs la sea du fourneau, comment se matrialise la fin des pluies ? Principalement par laction du vent, celui qui sche les nuages et les laisse sans eau. Dans le cas ethnographique, le vent qui a commenc souffler ce mme matin ntait pas une sea: il agissait en soufflant, et a commenc lentement scher les nuages. Son action tait tellement efficace que non seulement il schait les nuages de leur pluie mais aussi les chvres de leur lait.

    De ces consquences simultanes ressort un lien entre la diminu-tion des diffrents types de liquides (pluies et lait) et laction dun mme agent, le vent. Nous pouvons dire que cette relation stablit dans le cadre dun systme de fluides agissant sur les relations entre diffrents types dtres et dvnements: le vent asschant tous les liquides quil trouve sur son passage, que ce soit lhumidit comprise dans les nuages, le lait des chvres, ou bien les bois de chauffages. Le vent sche tout de la mme faon, et finalement, quand il a tout sch dans les cuisines familiales, il ny a plus de fromage, puisque les chvres nont plus de lait pour inviter.

    II. LES VENTS QUI APPORTENT

    Los Castillos, un petit village rural de Catamarca, au Nord de lArgentine, on dit que le vent apporte les geles pendant lhiver entre juillet et aot. Or, les geles blanches et la glace ne sont dsires par personne, cause de leurs rpercussions sur les cultures et les arbres fruitiers.

    Afin de conjurer ces dangers, certains dispositifs sont mis en uvre par les paysans: on dit quil est ncessaire de couper la gele par des activits spcifiques. Pour couper la gele, il faut faire face au vent qui apporte le froid. Et comment ce vent hivernal se coupe-t-il ? Avec de la fume. La fume ncessaire pour loigner le vent sobtient en allumant des amas de feuilles sches sous les arbres pour stopper les geles et protger les plantes du froid. De plus, le vent peut aussi tre chass par la fume des fours pain, quand ils sont allums pour cuisiner pendant les jours dhiver 8.

    8. Pour un exemple sur la fume et le froid dans les Andes aymaras, voir Gilles Rivire, Temps, pouvoir et socit dans les communauts aymaras de laltiplano (Bolivie), in E.Katz, A.Lammel et M.Goloubinoff, Entre la terre et le ciel. Climats et socits, Paris, IRD-IBIS, 2002, p.357-373.

  • 100 Lalimentation et le temps quil fait

    Couper les geles implique, fondamentalement, larrt du vent pour quil napporte pas le froid. La fume est ici cruciale pour la protection de la maison. Sans ce casernement thermique les arbres fruitiers ne seraient daucun profit. Il en est ainsi des orangers, qui sont splendides durant cette poque, ainsi que dautres plantes ou herbes, comme la ruda (rue) qui est principalement utilise et consomme en aot pour nettoyer et faire front aux sorcelleries.

    LosCastillos, les personnes regardent le ciel, attentifs lappa-rition des nuages, que se chargeront de couper la gele. Les nuages sont une sorte de fume, capable de provoquer les mmes effets sur le vent. En ce sens, et suivant la logique locale, les fumes des avions raction (rares cet endroit) coupent les geles aprs avoir arrt le vent.

    Lhiver Huachichocana est galement domin par la prsence des vents, qui parfois amnent les froids et les geles, et dont les effets sur les animaux peuvent aussi tre diminu en brlant des piles de guano (excrments) sec, et en permettant que la fume rentre dans les enclos imprgnent les animaux et tout lespace. Comme dans dautres rgions des Andes, on dit que des vents importants en aot annoncent de bonnes pluies estivales, puisquelles apportent les futurs nuages. Cependant, dans la mme communaut, le vent dt en finit avec les pluies, non parce quil emporte les nuages mais parce quil les sche.

    Dans le mme sens, LosCastillos, couper la gele ne signifie pas que le vent emporte le froid, mais quil empche sa venue. Il semblerait que les vents apportent toujours mais jamais nemportent.

    Huachichocana, nous avons trouv des formes similaires pour conjurer laction du vent ou larrive des nuages aux moments inop-portuns. Il existe aussi des manires de ne pas convoquer le vent, en suspendant par exemple certains vents humains qui pourraient lappeler, comme celui des instruments musicaux vent caas ou sikus qui ne doivent pas se jouer pendant ces mois 9.

    Les exemples ethnographiques au sujet des phnomnes mto-rologiques qui se conjurent pour protger les cultures sont abon-dants. Ils existent des dispositifs qui permettent dloigner ces tres

    9. La bonne pluie peut finir si quelquun sopla (souffle) parce que cette action appelle le vent. Ces souffles sont seulement permis quand une pluie risque dabmer les cultures ou si elle complique les semences. En t, surtout sil sagit dun t sec, il ne faut pas souffler ; une grand-mre cachait les instruments caas de ses petits-fils pour quils ne jouent pas avec pour se divertir.

  • Le vent qui sche les chvres 101

    ou ces phnomnes, parmi lesquels la pluie, le vent, la grle ou les geles. Souvent la fume est considre comme indispensable, et ce pour diverses raisons. Ainsi, pour les sahumadas les fumes gnent les yeux du vent et de la grle et les font partir 10. Parfois, on offre de la nourriture pour sduire ces tres et les convaincre de partir 11. Ces offres de nourriture seffectuent par lintermdiaire des mouvements dair, puisque certains de ces tres, comme les morts, mangent par les souffles et les fumes.

    III. VENTS, FUMES ET CUISINES

    Il est donc possible de tenter une synthse de notre exercice de rflexion. Nous pouvons affirmer que dans diverses rgions des Andes, les vents au nombre de dix ou plus, dans une seule communaut sont des lments mtorologiques importants 12. Ce sont des tres qui entretiennent des relations entre eux et avec les humains. Ces liens ont dj t travaills par des ethnologues qui ont signifi le caractre multi-rfrentiel de divers concepts andins 13.

    Dans le cas prsent cest le vent qui nous fait passer des enclos des chvres jusquaux nuages de pluie et aux geles, pour finir dans les cuisines travers les foyers o brle le bois. Ainsi, le vent qui sche les nuages et les chvres, et qui est annonc par le feu et la fume

    10. Dautres exemples ethnographiques confirment cette relation: pour loi-gner les grlons, les gens brlent du soufre avec dautres lments afin que la fume rentre dans les yeux, voir Zenn Gomel Apaza, art.cit., p.97. Certaines fumes comme celle des sullusdes nes sont du poison pour les grlons, voir William Carter et Mauricio Maman, Irpa Chico. Individuo y comunidad em la cultura aymara, LaPaz, Editorial Juventud, 1989, p.289-290.

    11. Dans quelques conversations avec le grlon, il est invit boire un verre ou on lui souffle de la nourriture, qui a t prpare pendant la journe (souffler se rfre dans ce cas linvitation goter par lodeur), voir Zenn Gomel Apaza, art.cit., p.104. Aussi les morts mangent travers de ces souffles, voir Mario Vilca, El diablo por la cocina. Muertos y diablos en la vida cotidiana del norte jujeo, Estudios sociales del NOA/Nueva Serie, n12, 2012, p.45-58.

    12. Pour un excellent exemple de lanalyse de la figure des vents dans les Andes, voir Ina Rsing, Dilogos con divinidades de cerros, rayos, manantiales y lagos. Oraciones blancas Kallawayas, LaPaz, Hisbol, 1995 et Rituales para llamar a la lluvia. Rituales colectivos de la Regin Kallawaya en los Andes bolivianos, LaPaz, Los amigos del libro, 1996.

    13. Denise Arnold et Juan de Dios Yapita, Hacia un orden andino de las cosas. Tres pistas de los Andes meridionales, LaPaz, Hisbol/ILCA, 1992, p.274.

  • 102 Lalimentation et le temps quil fait

    descuisines, est un vent qui dpouille. Sur ce sujet, certains auteurs ont montr une relation entre souffles et dpouiller, ou le souffle ou soplido peut dpouiller les personnes de leurs nimus ou forces vitales 14. De plus, trs souvent, quelques forces vitales se manifestent comme des souffles ou des mouvements dair: par exemple quand le diable entre dans les cuisines pendant le Carnaval, il peut prendre la forme dun tourbillon 15.

    Par ailleurs, nous avons voqu le vent qui apporte. Il apporte le froid et doit tre chass par la fume que les personnes obtiennent par diffrents feux, en particulier ceux des fours pain. Ces vents apportent aussi des nouvelles, bonnes et mauvaises, et des seas. De ce fait Jujuy et Catamarca, ces diffrentes catgories de vents sont lies des logiques locales relatives aux fumes culinaires. Ces fumes peuvent tre, comme les vents, de diffrents types, et se manifester comme des seas prmonitoires Jujuy ou des dispositifs prventifs Catamarca.

    Ds lors, est-il possible de prciser le lien entre fumes et cuisines dans leur relation avec le temps quil fait ? Les cuisines sont des lieux privilgis o beaucoup de choses sont diagnostiques et ngocies. La famille y passe une grande partie du jour, cuisinant, partageant la nourriture et devisant sur les travaux quotidiens. Comme des exemples ethnographiques lont dj dmontr, certains seas, comme la suie des murs des cuisines permettent, deffectuer des prdictions mtorologiques 16. Certains auteurs indiquent aussi des prdictions associes au sacrifice et la lecture des entrailles des cuy, petits rongeurs domestiques qui sont allaits dans les cuisines prs du feu jusqu leur mort 17.

    Dans les cuisines se produisent une grande varit de manipula-tions, entre des matires et des substances, qui tablissent desrelations

    14. William Carter et Mauricio Maman, op.cit., p.307-308 ; Mario Vilca, art.cit., p.54 ; voir aussi Lucila Bugallo et Mario Vilca, Cuidando el nimu: salud y enfermedad en el mundo andino (puna y quebrada de Jujuy, Argentina), Nuevo mundos, mundos nuevos, 2011, en ligne: [http://nuevomundo.revues.org/61781] ; Xavier Lanata, Ladrones de sombra. El universo religioso de los pastores del Ausangate, Lima, IFEA/CBC, 2007.

    15. Mario Vilca, art. cit., p.52.16. Porfirio Salas, art. cit., p.269.17. Eduardo Archetti, op.cit.

  • Le vent qui sche les chvres 103

    entre diffrentes personnes, tres ou vnements 18. Ainsi, la prosprit delanne dpend des offrandes, pour alimenter de faon diffrentielle les parents, les trangers, mme les animaux. Elles sont prpares pendant des heures sur les foyers des cuisines, aux occasions festives et rituelles. Les libations sont partages avec la Pachamama, les montagnes et les Saints pour quil y ait de bonnes pluies, des pturages pour les animaux et de leau pour les cultures.

    Les cuisines sont des espaces dune inestimable sociabilit. Cest l o les relations sinitient au moment de partager un plateau de nourriture lintrieur de la logique locale de commensalit. Il nest pas rare, donc, que ces espaces condensent une bonne partie des seas qui dialoguent avec les humains sur les vnements proches venir, comme le vent dans ce cas.

    Nous pouvons aller plus loin dans linterprtation. Huachichocana, les vents, en tant que mouvements dair, la cuisine et la nourriture sont lies parce que le souffle ou la vapeur des nourritures constitue laliment des tres non humains, comme les morts.

    Comme nous lavons dj signal avec des exemples ethnogra-phiques sur les dispositifs pour loigner certains phnomnes, les vents lient les tres et les vnements, soit parce que les offrandes sont transportes la faon dun service quand on les brle, soit parce quils ont une influence directe sur les tres que nous associons des phnomnes mtorologiques (en faisant un feu pour que la fume coupe les geles ou pour atteindre leurs yeux et les effrayer) 19. Ainsi, nous pourrons dire que les fumes constituent lune des formes de relation entre les personnes et les autres tres comme le paysage ou les phnomnes mtorologiques avec qui lon vit quotidien-nement. Mais elles constituent galement un des langages de ces tres qui sert communiquer avec les personnes.

    Par exemple: la Lagune Noire dans la rgion de la Puna (plateau 4 000m daltitude), prs de Huachichocana, sirrite facilement. Elle est connue dans la rgion pour avoir mang des personnes et des animaux. Le changement de couleur de ses eaux reflte les tats

    18. Eduardo Archetti, op.cit. ; Francisco Pazzarelli, art.cit. ; Alison Spedding, art. cit. ; Mary Weismantel, op.cit.

    19. Voir Ina Rsing, Dilogos con divinidades de cerros, rayos, manantiales y lagos. Oraciones blancas Kallawayas, d.cit., p.99, 184 ; aussi Ina Rsing, Rituales para llamar a la lluvia. Rituales colectivos de la Regin Kallawaya en los Andes bolivianos, d.cit., p.294, 344.

  • 104 Lalimentation et le temps quil fait

    dme de la lagune, les gens sont attentifs ces variations au moment de passer proximit delle. Un autre signe de son irritation rside dans lapparition dun tourbillon de vent do schappe de la vapeur ou humito (petite fume). Ici encore, un tourbillon, soit une forme particulire de vent, la vapeur et la fume sont convoqus. Comme vents et fumes sont lis par des relations de continuit, celles-ci supposent ncessairement des transformations. Ainsi, certains types de vents pourraient tre considrs comme des versions de certains types de fumes, et vice versa.

    Pour finir, revenons au vent qui sche. Comment alors interprter le vent qui sche le bois de chauffage, comme il schera les chvres et les nuages par le biais dune fume particulire ? partir de nos recherches ethnographiques nous suggrons que le vent passe travers le bois de chauffage devenant alors fume. Or, cest seulement comme fume, quil peut dialoguer avec les humains durant lt, et quil peut devenir une sea capable dtre interprte. En dautres mots, cest en tant que sea que le vent arrive passer dabord par le bois puis par les montagnes et les enclos des animaux ; les personnes finissent par le reconnatre en tant que fume plus quen tant que vent. Cest ce moment que le vent a besoin du feu des cuisines pour dialoguer avec les humains. Lorsquil commence souffler comme un vent il est trop tard, il est dj l pour scher les nuages. Et cest ce type de pense andine 20 qui relie des concepts multi-rfrentiels et nous oblige lier naturellement cuisine et mtorologie ; alors que la pense occidentale les prsente comme des domaines dissocis. Dans les cas ethnographiques que nous avons prsents, vent et fume apparaissent comme connects, au moins partiellement, et prsentent une relation de continuit rendue possible par lintermdiaire du feu: la fume est un vent transform.

    20. Denise Arnold, op.cit.