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Une porte s’ouvre. Impact d’un dispositif de raccrochage scolaire sur de jeunes décrocheurs provisoires et leurs
parents.
Liliane Pelletier, Maîtresse de conférences en Sciences de l’Éducation, Icare (EA 73 89), Université de La Réunion
Plan de l’intervention ¡ Présentation du contexte
¡ Le dispositif de raccrochage
¡ Cadre théorique et méthodologique
¡ Principaux résultats ¡ ELEVES ¡ PARENTS
¡ Pistes pratiques pour améliorer la relation école-familles vulnérables.
Le contexte La Réunion : Département d’Outre Mer français
¡ Zone Sud Ouest de l’Océan Indien
¡ Superficie : 2500 km2
¡ Régions ultrapériphériques françaises ¡ La Réunion (France) depuis 1946 ¡ La Martinique (France)
¡ La Guadeloupe (France)
¡ La Guyane (France) ¡ Mayotte (France) depuis 2011
¡ St Martin (France)
¡ 840 000 habitants
¡ Taux de chômage : ¡ 24,6% en 2015 (contre 10% en métropole)
¡ 54,4% chez les jeunes (15-24 ans) en 2015 (contre 24,7% en métropole)
Québec
Terre de métissage avec des vagues successives de migrations Contacts de langues créole – français = « langues-noyau » parlées à La Réunion
Création de l’académie en 1984
Le peuplement de lʼîle (1665) L’époque coloniale : société d’habitation puis de plantation avec import d’esclaves à partir de 1725
§ Réponse à un appel à projet du Conseil Régional « Décrochage en formation initiale » (2014-16)
§ Un dispositif multi-partenarial dans un collège situé en éducation prioritaire depuis plusieurs années (comité de suivi et de pilotage)
§ Un diagnostic partagé et un dispositif co-construit en lien avec le contrat d’objectifs de l’établissement
§ Publics ciblés dans ce projet = élèves, parents et équipe pédagogique
§ Un suivi d’une cohorte d’élèves de 4ème (S2) sur 2 ans – recrutement sur la base du volontariat et en utilisant un questionnaire servant au dépistage (Blaya, 2011, adapté du questionnaire d'évaluation du risque de décrochage scolaire en milieu scolaire (DEMS) du CTREQ (Potvin et al., 2003).
§ Séances portant principalement sur l’estime de soi, animées par une intervenante extérieure à l’établissement (formatrice spécialiste en santé)
§ Actions de formation avec les parents et les enseignants (par la même intervenante)
§ Une demande d’évaluation externe du dispositif de raccrochage réalisée par 2 chercheurs Icare
Le dispositif de raccrochage Il faut tout un village pour éduquer un enfant
Cadre théorique et conceptuel de la recherche
¡ Le décrochage, une réalité complexe
¡ Focus sur les « décrocheurs provisoires » ou les « décrocheurs sur place » (Glasman, 2010)
¡ Les « exclus de l’intérieur » (Bourdieu et Champagne, 1993)
¡ Appréhender les situations de décrochage et raccrochage scolaires en termes de processus, de mouvement, d’interaction, de donation de sens et de tensions.
¡ Référence à une microsociologie interactionniste (De Queiroz & Zolvotscki, 1994 ; Goffman, 1974 ; Lapassade, 1997, 1998 ; Le Breton, 2004 ; Thomas, 1984)
¡ Appui sur la théorie de la reconnaissance (Honneth, 2010 ; Alaoui, 2016)
¡ Réalisation de soi ¡ Estime sociale de soi
Un double processus
¡ DECROCHAGE « provisoire »
¡ Un entre-deux vulnérable (Pelletier et Alaoui, 2016)
¡ L’expression d’une démobilisation scolaire (Ballion, 1995), d’une baisse de motivation, d’un refus de participation, d’absences répétées, de comportements relevant de la déviance scolaire, d’un manque de plaisir affectant progressivement les représentations de l’élève, son rapport à l’école, aux savoirs, à l’enseignant et à ses pairs et à soi-même.
¡ La question de sens est centrale.
¡ RACCROCHAGE scolaire
¡ Une réponse complexe dans le sens où il ne se réduit pas à un simple traitement.
¡ Deux préalables : la reconnaissance et la co-construction d’une définition commune et partagée de la situation (Pelletier et Alaoui, 2016).
¡ La définition de la situation pour cerner le sens que les acteurs en situation de coprésence (Goffman, 1974) confèrent à ce qui se passe dans leur « ici et maintenant » est centrale.
Saisir et comprendre de l’intérieur le sens que les individus donnent au double processus de décrochage et de raccrochage
Cadre méthodologique
¡ Approche compréhensive
¡ Prise en compte des élèves et de leurs parents en tant que sujets complexes.
¡ Démarche inscrite dans l'ethnographie interactionniste (Woods 1990 ; Boumard, 2011) qui se caractérise par « la place centrale qu'occupe la construction du sens chez l'individu, sa "définition de la situation".
¡ Analyse de contenu (Bardin, 1977).
¡ Étude diachronique ¡ FEVRIER 2015 (début du projet)
¡ JUIN 2016 (fin du projet)
¡ Des entretiens semi-directifs
FEVRIER 2015
¡ 15 élèves de 4ème collège (S2)
¡ 10 parents de 4ème
JUIN 2016
¡ 10 élèves de 3ème (S3)
¡ 4 parents de 3ème
Principaux résultats LES ELEVES
¡ « Parce qu’ils ont dit que cela pouvait m’aider à avoir de meilleures notes » (février 2015, Félix, 4ème).
¡ « Pour comme ça un jour je ne serai pas à la traine. Je serai comme tous les autres qui ont un métier » (février 2015, Joachim, 4ème).
¡ « J’attends de ce projet que je m’améliore » (février 2015, Maxime, 4ème)
L’engagement est vécu comme une première forme de réconciliation avec l’école.
¡ « Le dispositif m’a bien mis dans les rangs, ça m’a mis dans le droit chemin et là je trouve j’ai amélioré mon comportement et tout » (juin 2016, Maxime, 3ème)
Le dispositif participe d’un processus de dynamique inclusive.
Principaux résultats : élèves
¡ Amélioration sur l’image de soi : connaissance et confiance
¡ Amélioration de l’estime sociale de soi
¡ Une meilleure perception de l’école
¡ Le dispositif, un lieu d’expression de leurs points de vue
¡ L’amélioration de la qualité du lien pédagogique enseignant-
élèves
¡ L’amélioration de la qualité du lien parent-enfant
Principaux résultats : élèves ¡ Favoriser la persévérance scolaire
13 élèves sur les 15 suivis se sont présentés au Diplôme de fin d’études (DNB). 9 ont été admis au DNB (dont une mention bien). Tous les élèves ont obtenu une affectation post 3ème. 9 élèves ont obtenu une affection correspondant à leur premier vœu.
¡ Réduire l'absentéisme
Il n'y a pas eu d'amélioration sur ce plan. Plusieurs élèves connaissent des situations sociales très difficiles. La seule intervention au niveau du collège trouve rapidement ses limites.
LES PARENTS
« Une porte s'ouvre. »
Véronique, mère de Mathias, février 2015
Liliane Pelletier, Driss Alaoui. Projet de prévention du décrochage scolaire et de “ raccrochage ” : “ Il faut tout un village pour éduquer un enfant ” . [Rapport de recherche] Collège Les Tamarins (Académie de La Réunion). 2017.
Colette, la mère de Corentin
Perception liée au vécu scolaire du parent
Perception liée à son enfant Une école, perçue comme un ascenseur social (Bourdieu)
Perception liée aux finalités de l’école
« Je suis arrivée jusqu'en 4ème, après mes parents, bon ma maman est morte et j’ai arrêté l'école parce que c'était l'école […] payante »*
L’école, c’est… « pour apprendre pour son avenir » « Bein […] j’ai toujours dit à mes enfants « la vie est difficile, maintenant il faut apprendre à l’école, il faut faire comme votre sœur ».
« l’école, c’est pour apprendre beaucoup de choses « bein regarde, aujourd'hui je sais lire, […] je sais faire un papier, je sais faire certaines choses même si je n’ai pas de diplôme, je connais quand même un peu de choses voilà. »
Les verbatim originaux sont en créole.
Une triple tension : Implication parentale/Aide aux devoirs/Expérience scolaire
¡ « Non, je ne le suis pas (impliquée), quand j’étais petite j’ai pas eu la chance d’aller à l’école, je suis allée jusqu’en CM2 et là pour ses devoirs je peux pas l’aider parce que je comprends rien. » (Emeline)
Principaux résultats : parents
¡ Lien entre perception des relations parent/enfant et parent/
élève
¡ Importance de la reconnaissance des parents en tant qu’acteurs
de la communauté éducative
¡ Des micro-évolutions dans l’implication parentale : participation
aux réunions, effort dans le suivi scolaire (pronote)
¡ Des difficultés à être présents régulièrement : prévoir un dispositif
souple articulant collectif/personnalisé
Des microévolutions dans l’implication parentale
Rapport parent/école
Février 2015 Juin 2016
Colette Catégorie 2* Catégorie 4* Oser dire ( m e t t r e d e s mot s su r des besoins)
Elle ne participe pas du tout aux réunions : « Rien cette année, finalement c'est lu la faute li la rien dit a mwin parce que lu connaissait le résultat c'est quoi » « Elle n’ose pas dire ses difficultés : « Ah oui, des fois, bon la plupart du temps mi mette ses frères et sa soeur avec lu parce que les 3 lé toujours avec pour faire zot travail mais mi lé toujours derrière lu “Fais out leçon, prends le carnet” mais comme mwin ma la perdu mes lunettes mi voit pas clair et bein c'est ses frères i fait. »
Elle va aux réunions de temps en temps : « Euh oui, pas tout le temps mais quand lé possible oui.» Elle suit maintenant les résultats de son enfant, elle ose dire sa difficulté à utiliser le web : « Non, mi regarde ce qui donne à mwin parce que moi sur internet mi n’arrive pas à manier un ordinateur »
*Selonlatypologied’Epstein(2001):catégorie2(communica=onentrel’écoleetlafamille)etcatégorie4(lesappren=ssagesetl’encadrementàlamaison).
Les verbatim sont ici en créole.
Pistes pratiques pour améliorer la relation école-familles vulnérables.
¡ La question de l’implication des acteurs dans le dispositif de raccrochage scolaire
¡ Des facteurs essentiels pour augmenter la qualité du lien Ecole-Parents
¡ Des pratiques coopératives pour une coéducation en actes.
Des acteurs essentiels ¡ PLACE CENTRALE DU COORDONNATEUR DU PROJET
(reconnaissance de chacun comme partie prenante, anticipation
de la relève)
¡ ROLE SPECIFIQUE de l’intervenante des ateliers élèves-parents-
enseignants) : son extériorité, sa qualité d’écoute, son empathie
sont des atouts remarquables
¡ ROLE SPECIFIQUE de l’équipe santé/social au sein de
l’établissement secondaire (rôle central de médiateur dans la
construction progressive d’une relation de confiance entre tous les
acteurs)
Des facteurs à prendre en compte ¡ ASSUMER LE FACTEUR TEMPS (durée de 2 ans minimum) et faire en
quelque sorte l’éloge de la lenteur (Carl Honoré, 2007)
¡ INCARNATION DE L’INSTITUTION : une donnée essentielle pour
augmenter la qualité du lien Ecole-Parents : directeur, conseiller
principal d’éducation, infirmière scolaire (interlocuteurs privilégiés)
¡ EQUILIBRE DE L’EDUCATIF/SOCIAL/PEDAGOGIQUE/DIDACTIQUE :
équilibre des dimensions pour que le décrocheur « raccroche »,
équilibre des catégories d’acteurs pour que chacun se sente
considéré, reconnu.
Pistes en direction des parents : pratiques de coopération
¡ Penser les actions en termes d’alliances (faire avec, faire ensemble, dire et se dire)
¡ Réduire les écarts de sens (à quoi ça sert l’école)
¡ Construire une relation de confiance (à quoi je sers)
¡ Sécuriser les parents, construire des horizons d’attente (ce que fait l’école, ce que je peux faire avec l’école)
¡ Développer le sentiment d’appartenance tout au long et tout au large de la vie (ce qui peut être fait ensemble : convivialité et co-élaboration)
En conclusion
« Ça prend tout un village, beaucoup de temps et de la
passion pour éduquer un enfant. »
Références bibliographiques ¡ Liliane Pelletier et Driss Alaoui, « Du décrochage provisoire au
raccrochage scolaire : l’importance de la reconnaissance », Questions Vives [En ligne], N° 25 | 2016, mis en ligne le 02 juillet 2017.
¡ Liliane Pelletier. Analyse de discours de parents à “ l’école des parents ” : vous avez dit co éducation ? . Éducation, Santé, Sociétés, 3(1):119–137, January 2017.
¡ Liliane Pelletier. Relation école/famille(s) en contexte de pluralité culturelle et linguistique. . In France-Canada : identités en mouvance, regards croisés, Angers, France, June 2017. Laboratoire Cirpall (Université d’Angers) and Chaire de Recherche du Canada en études Acadiennes et Francophones (Université de Sainte Anne). Paris : Éditions Riveneuve.
¡ Liliane Pelletier et Annick Lenoir (2018, à paraître), Regards critiques sur la relation école-famille(s). Paris : Éditions des Archives Contemporaines.
