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Figure. Principales voies dopaminergiques. Voies dopaminergiques Mésocorticale Mésolimbique Nigrostriée Tubéro- infundibulaire Incerto- hypothalamique Thalamus Cortex cingulaire antérieur Aire tegmentale ventrale Cortex préfrontal Putamen Hypothalamus Substantia nigra Noyau accumbens Cortex enthorinal Amygdale/hippocampe La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 | 121 MISE AU POINT Dépression, schizophrénie, toutes les voies mènent-elles à la dopamine ? Depression, schizophrenia: dopamine disorders? L. Bindler*, M.V. Chopin*, P. Nuss*, C.S. Peretti* U n syndrome de dysrégulation dopaminergique (SDD) observé chez des patients parkinso- niens traités par agonistes dopaminergiques a fait l’objet de publications récentes (1). Cette observation fait écho à celle de troubles psychia- triques apparus pendant et après intervention chez des patients ayant bénéficié de l’implan- tation d’électrodes de stimulation chronique sous- thalamique (2, 3). Le “modèle parkinsonien”, qui comporte notamment les hallucinations, le ralen- tissement psychomoteur et les troubles du compor- tement “d’allure maniaque” du SDD, a ainsi remis au goût du jour une approche dimensionnelle de deux maladies psychiatriques : la dépression et la schizo- phrénie. Plusieurs études suggèrent de concevoir pour ces troubles un filtre dimensionnel commun, sorte de moulinette dopaminergique qui constitue- rait une voie finale commune, confluent de diverses approches étiopathogéniques. Rappel sur les voies dopaminergiques (4) La dopamine est un neurotransmetteur synthétisé à partir de la tyrosine. Les neurones dopaminergiques peuvent être regroupés en 5 voies fonctionnelles (figure) : La voie nigrostriée est composée de projections neuronales de la substantia nigra pars compacta * Service de psychiatrie, hôpital Saint- Antoine, Paris.

Dépression, schizophrénie : toutes les voies mènent-elles à la

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Figure. Principales voies dopaminergiques.

Voies dopaminergiques

Mésocorticale

Mésolimbique

Nigrostriée

Tubéro- infundibulaireIncerto- hypothalamique

Thalamus

Cortex cingulaire antérieur

Aire tegmentale ventrale

Cortex préfrontal

Putamen

Hypothalamus

Substantia nigra

Noyau accumbensCortex enthorinal

Amygdale/hippocampe

La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 | 121

MISE AU POINT

Dépression, schizophrénie, toutes les voies mènent-elles à la dopamine ?Depression, schizophrenia: dopamine disorders?

L. Bindler*, M.V. Chopin*, P. Nuss*, C.S. Peretti*

Un syndrome de dysrégulation dopaminergique (SDD) observé chez des patients parkinso-niens traités par agonistes dopaminergiques

a fait l’objet de publications récentes (1). Cette observation fait écho à celle de troubles psychia-triques apparus pendant et après intervention chez des patients ayant bénéficié de l’implan-tation d’électrodes de stimulation chronique sous- thalamique (2, 3). Le “modèle parkinsonien”, qui comporte notamment les hallucinations, le ralen-tissement psychomoteur et les troubles du compor-tement “d’allure maniaque” du SDD, a ainsi remis au goût du jour une approche dimensionnelle de deux maladies psychiatriques : la dépression et la schizo-phrénie. Plusieurs études suggèrent de concevoir

pour ces troubles un filtre dimensionnel commun, sorte de moulinette dopaminergique qui constitue-rait une voie finale commune, confluent de diverses approches étiopathogéniques.

Rappel sur les voies dopaminergiques (4)

La dopamine est un neurotransmetteur synthétisé à partir de la tyrosine. Les neurones dopaminergiques peuvent être regroupés en 5 voies fonctionnelles (figure) :

➤ La voie nigrostriée est composée de projections neuronales de la substantia nigra pars compacta

* Service de psychiatrie, hôpital Saint-Antoine, Paris.

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RésuméUn syndrome de dysrégulation dopaminergique (SDD) observé chez des patients parkinsoniens traités par agonistes dopaminergiques a récemment fait l’objet de publications. Le “modèle parkinsonien”, a ainsi remis au goût du jour une approche dimensionnelle de deux maladies psychiatriques : la dépression et la schizophrénie. À partir de l’hypothèse d’une voie finale dopaminergique commune, nous avons repris les différentes hypothèses étiopathogéniques de ces deux maladies. L’approche dopaminergique doit être relativisée, mais elle a le mérite de réconcilier les différentes approches et hypothèses étiologiques développées ces dernières années dans ces deux maladies plurifactorielles. Elle ouvre ou relance des pers-pectives de recherche dans le domaine de la neurotransmission dopaminergique et de la pharmacologie des épisodes dépressifs ou psychotiques résistants aux thérapeutiques classiques.

Mots-clésDopamineDépressionSchizophrénie

SummaryPatient with Parkinson’s disease may suffer from behavioural disorders when treated with dopamine agonists. These disorders have been regrouped into a dopamine dysregulation syndrome. We hypothesised that depression and schizo-phrenia may be other specific dopamine dysregulation disor-ders. A dopamine approach of these two disorders may have therapeutic and pharmaco-logical implications.

KeywordsDopamine

Depressive disorder

Schizophrenia

(tronc cérébral) vers le striatum dorsal (putamen et noyau caudé). Elle est impliquée dans la planification et le contrôle du mouvement ;

➤ La voie mésolimbique, projection neuronale de l’aire tegmentale ventrale vers le noyau accumbens, l’amygdale et l’hippocampe, participe aux circuits de la récompense et de la motivation ;

➤ La voie mésocorticale, dont les neurones plus médians que les précédents ont des projections de l’aire tegmentale ventrale vers les cortex cingulaire antérieur, enthorinal et préfrontal, est impliquée dans la concentration et les fonctions exécutives, en particulier la mémoire de travail.

➤ La voie tubéro-infundibulaire, composée de projections neuronales du noyau arqué hypothala-mique vers l’éminence médiane hypothalamique, contrôle la libération d’hormones de croissance via la prolactine ;

➤ La voie incerto-hypothalamique, dont les neurones se projettent de l’incerta vers l’amygdale et l’hypothalamus, est impliquée dans les compor-tements sexuels.Ces 5 grandes voies sont au cœur des hypothèses dopaminergiques actuelles concernant la dépression et la schizophrénie.

Le “modèle parkinsonien”

Plusieurs éléments récents concernant la maladie de Parkinson, comme l’individualisation du SDD, l’observation des effets des agonistes dopaminer-giques ou de la stimulation cérébrale profonde, ont remis sur le devant de la scène les théories dopa-minergiques dans la dépression et la schizophrénie.La maladie de Parkinson idiopathique – et sa triade symptomatique classique (rigidité-akinésie-hyper-tonie) – est connue pour résulter d’une atteinte de la voie dopaminergique nigrostriée. Certains symp-tômes survenant plus tardivement dans l’évolution de la maladie comme la dépression, l’anhédonie, le déficit de motivation ou l’apathie pourraient résulter d’une atteinte dégénérative à plus long terme des voies dopaminergiques mésolimbiques, comme cela a été démontré chez l’animal puis chez l’homme (5). Une étude récente en imagerie cérébrale par tomo-graphie par émission de positrons (TEP) a permis de

corréler la symptomatologie dépressive de patients parkinsoniens avec un déficit en transporteur de la dopamine dans les régions corticales limbiques (6).L’utilisation de nouveaux traitements dans la maladie de Parkinson a permis de préciser les rôles respectifs des différentes voies dopaminergiques. Depuis 2000 ont en effet été regroupés sous une même entité syndromique neuropsychiatrique – le SDD – différents troubles du comportement surve-nant préférentiellement chez des patients traités par agonistes dopaminergiques : hyperactivité nocturne, somnolence diurne, modifications du régime alimentaire, développement d’une activité créatrice et de bricolage, hypersexualité, comporte-ments de prise de risque, jeu pathologique, achats compulsifs, activités répétitives de punding (définies comme relevant d’une intense fascination pour des mouvements répétés et apparemment dépourvus de signification, comme la collection, le rangement ou le déplacement d’objets) [7] et addiction aux traite-ments dopaminergiques (1). Ces troubles semblent régresser à la diminution des doses d’agonistes dopaminergiques prescrites, notamment à la suite de l’implantation d’électrodes de stimulation chro-nique sous-thalamique. Cette dernière technique thérapeutique développée depuis 1995 a permis de préciser quelles étaient les zones limbiques du noyau sous-thalamique impliquées dans le contrôle des émotions. Le lien entre troubles neuropsychiatriques et agonistes dopaminergiques a été étudié plus précisément par certains auteurs qui ont retrouvé, chez l’animal puis chez l’homme, des effets anti-dépresseurs des agonistes dopaminergiques (en l’occurrence le pramipexole) comparables à ceux de certains antidépresseurs sérotoninergiques (8, 9). Plus récemment, il a même été mis en évidence un lien entre les propriétés antidépressives de ces molécules et leur affinité spécifique pour les récep-teurs D3-dopaminergiques, de localisation limbique préférentielle (10). Dans le passé, d’autres substances dopaminergiques avaient déjà été utilisées à des fins antidépressives : l’amineptine (Survector®), retiré du marché parce que provoquant une hypertension artérielle pulmonaire, et le bupropion (Zyban®), prescrit aujourd’hui en France dans le maintien de l’abstinence après sevrage tabagique. Ces deux molé-cules, qui possédaient des effets thymiques modérés

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avec échappement thérapeutique important, étaient surtout efficaces sur le plan dimensionnel (sur le ralentissement psychomoteur, par exemple), plus que d’un point de vue catégoriel (sur la dépression).Ainsi, l’atteinte presque exclusivement dopaminer-gique de la maladie de Parkinson semble constituer un modèle conceptuel in vivo important pour l’étude des voies dopaminergiques et de leurs implications dans la symptomatologie psychiatrique tant dépres-sive que schizophrénique.

Dépression

Le rôle de la dopamine dans la dépression est connu ou supposé depuis plusieurs années. Les progrès en imagerie fonctionnelle ont permis une nouvelle avancée dans la compréhension de l’étiopathogénie de cette maladie. Ainsi, certains auteurs ont repris et complété l’état des connaissances sur la dépression et ont attribué un rôle central à la dopamine dans sa pathogenèse.

Étude sur les récepteurs

Des études d’imagerie fonctionnelle ont permis de préciser les différences de répartition des récepteurs dopaminergiques chez les patients déprimés par rapport à des sujets témoins. Il s’agit en réalité d’études d’imagerie de radioligands du transporteur présynap-tique de la dopamine (DAT) et surtout des récepteurs D2 (11-13). Les résultats, bien que non consensuels, montreraient une augmentation de la fixation de ce ligand au niveau striatal, région anatomique à laquelle on suppose un rôle dans la genèse des états dépres-sifs, chez les patients dépressifs – en particulier chez ceux présentant un ralentissement psychomoteur important. Cette hyperfixation pourrait s’expliquer par trois hypothèses : une augmentation du nombre de récepteurs D2, une affinité augmentée de ces récepteurs, ou encore une hypodopaminergie synap-tique diminuant la compétition de site entre ligand et dopamine. Une étude récente a mis en évidence une hyperfixation d’un radioligand aux récepteurs D2 et D3 du cortex temporal, laissant même supposer une relation linéaire entre gravité de la dépression et hypodopaminergie synaptique temporale (14). Encore discutés, notamment parce que l’anxiété pourrait modifier l’expression des récepteurs D2, ces résultats ouvrent des voies de recherche et pourraient permettre une meilleure compréhension des modifi-cations dopaminergiques liées à la dépression.

Génétique

Des facteurs d’héritabilité de la dépression sont désormais reconnus, représentant 30 à 40 % des cas selon les études. De pénétrance très incom-plète, il est cependant possible d’isoler des poly-morphismes génétiques dits “prédisposants”. En particulier, ont pu être incriminés des gènes codant pour le récepteur dopaminergique D4, pour le DAT présynaptique ou pour la catéchol-O-méthyl-transférase (COMT), dont on connaît le rôle dans l’inactivation postsynaptique de la dopamine (4). L’hypothèse de l’implication de gènes codant pour le récepteur dopaminergique D4 doit être relativisée par la distribution spécifique de ces récepteurs dans des régions qui ne sont pas celles identifiées dans les études d’imagerie.

Interactions sociales

Le déterminisme génétique de la dépression a été relativisé par l’observation d’une pénétrance très incomplète, et on évoque désormais plus volon-tiers une interaction gène-environnement. Certains auteurs tentent d’expliquer cette “pression envi-ronnementale” par une mise en jeu des systèmes dopaminergiques mésolimbiques. Une sensibilité des systèmes de récompense plus importante chez des patients dépressifs que chez des sujets sains a pu être démontrée : la réponse de ceux-là à la prise d’un psychostimulant serait disproportionnée et en lien avec une altération des cortex préfrontal, orbito-frontal et du putamen (15). Plusieurs auteurs ont parlé d’une hyperréactivité au stress “psycho-social”, notamment chez les patients bipolaires ; celle-ci pourrait être médiée par la dopamine et les systèmes de récompense.

Patients bipolaires

Une récente revue de la littérature portant sur les patients bipolaires (16) a confirmé l’hypothèse d’un relargage dopaminergique associé à des états maniaques, comparables pour certains symptômes au SDD provoqué par les agonistes dopaminergiques. Il a même été décrit un cas de virage maniaque sous pramipexole, un traitement agoniste dopa-minergique, ainsi que nous l’avons vu plus haut. En corollaire de cet afflux dopaminergique, il y aurait une down-régulation des récepteurs dopaminer-giques pré- et postsynaptiques, d’où l’apparition de

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MISE AU POINT

symptômes dépressifs en lien avec l’hypodopami-nergie relative. Cette théorie pourrait mener à une meilleure compréhension des cycles des patients bipolaires, plus ou moins rapides selon la réactivité du système dopaminergique, notamment aux stress environnementaux.

Ralentissement psychomoteur

Dans un souci d’approche dimensionnelle, des auteurs ont tenté d’individualiser certaines dimen-sions dépressives comme le ralentissement psycho-moteur ou les caractéristiques psychotiques ou mélancoliques qui seraient les plus “liées” aux systèmes dopaminergiques. En pratique, cela pour-rait mener à des orientations thérapeutiques ciblées.

Données pharmacologiques

Des études ont démontré les effets thymiques puis-sants de certains antidépresseurs à cible d’action dopaminergique privilégiée, comme l’amineptine, retiré du marché français à cause de l’hypertension artérielle pulmonaire qu’il entraînait. D’autres molé-cules ont montré leur efficacité, tel le bupropion. Des agonistes dopaminergiques ont même été utilisés (cf. ci-dessus).On peut également relier les effets thérapeutiques des inhibiteurs de recapture de la sérotonine (IRS) avec le système dopaminergique, tant on connaît les nombreuses interactions entre ces deux systèmes neurotransmetteurs.Ainsi, la notion de voie finale commune dopami-nergique s’intègre à une approche dimensionnelle de la dépression. Elle permet d’interroger la nature de la “symptomatologie résiduelle” ou la résistance aux traitements de première intention : ces dépres-sions-là ne seraient-elles pas finalement des formes plus dopamino-déterminées ? Quelle pourrait alors être la place, dans le traitement de ces formes de dépression, de la dopaminothérapie ou de la stimu-lation magnétique transcrânienne répétée (SMTr), dont on sait que, appliquée en regard des zones préfrontales, elle provoque une augmentation de la concentration dopaminergique striatale (17) ? Ne pourraient-elles pas être considérées comme de bons traitements de seconde intention pour les patients en rémission partielle ? Un récent rapport de la Food and Drug Administration, autorité compé-tente aux États-Unis, semble aller dans ce sens pour la SMTr. D’autres auteurs, comme R. Jouvent (18),

se sont interrogés sur le caractère dépressif de ces épisodes : ne seraient-ils pas de “simples” déficits dopaminergiques chroniques ?

Schizophrénie

Un peu à l’image de ce qui a été estimé au sujet de la dépression, une hypothèse empirique dopaminer-gique avait été évoquée pour la schizophrénie il y a déjà plusieurs années, lors du constat d’une efficacité pharmacologique de molécules antagonistes des récepteurs dopaminergiques (D2 en particulier) sur la symptomatologie schizophrénique. Cette hypothèse avait été un moment ébranlée par la description d’un nombre plus important de récepteurs dopaminer-giques dans de nombreuses aires sous-corticales, ce qui contredisait l’hypothèse initiale de A. Carlsson sur l’existence d’une hyperdopaminergie (19). Les travaux ultérieurs de D.R. Weinberger (20) puis de P. Seeman et al. (21) ont partiellement réhabilité cette hypothèse. R. Murray et son équipe ont récem-ment repris les différentes hypothèses étiologiques de cette maladie sous l’angle dopaminergique pour faire de la dopamine une “voie finale commune” aux hypothèses étiopathogéniques de la schizo-phrénie (22).

Étude sur les récepteurs dopaminergiques

Avec J. Delay, P. Denicker et l’avènement des neuroleptiques en 1952, l’hypothèse de l’étiologie dopaminergique de la schizophrénie, formalisée en 1978 par A. Carlsson, a pu voir le jour : un excès de dopamine serait à l’origine de la symptomatologie schizophrénique. Plusieurs études ont démontré une augmentation striatale de dopamine lors d’un premier épisode psychotique et un relargage dopa-minergique corrélé avec l’intensité des symptômes psychotiques positifs (23, 24). Ce relargage phasique aura d’autant plus d’effets qu’une hypodopaminergie relative chronique aura permis une surexpression des récepteurs D2, ce qui semble être le cas dans la schizophrénie.

Susceptibilité génétique

L’hypothèse génétique de la schizophrénie se fonde au départ sur des études de familles, de fratries et de jumeaux schizophrènes. De nombreux gènes ont été incriminés (Neureguline, Dysbindine, DISC1,

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DAOA ou COMT), menant à l’hypothèse étiologique d’une susceptibilité génétique pluridéterminée. Ces gènes, pour la plupart, participent au système gluta-matergique, lequel est impliqué dans la régulation dopaminergique. Celui de la COMT est, quant à lui, directement en cause dans le métabolisme dopa-minergique des régions préfrontales.

Traumatismes périnataux et obstétricaux

La prématurité, l’hypotrophie et l’hypoxie néonatale sont désormais considérées comme des facteurs de risque de schizophrénie et plus généralement de psychopathologie. De tels événements sont à l’ori-gine d’altérations fonctionnelles hippocampales. Une altération hippocampale bilatérale a été retrouvée chez des patients souffrant d’un trouble schizo-phrénique chronique et une altération unilatérale gauche a été retrouvée chez des sujets en premier épisode psychotique comparés à des sujets sains. Ces constatations ont conduit certains auteurs à considérer les altérations hippocampales comme un facteur de risque de schizophrénie, expliquant ainsi le poids des antécédents obstétricaux dans le spectre étiopathogénique de la schizophrénie.Récemment, des études animales ont établi un lien entre une atteinte hippocampale néonatale et une hyperréactivité dopaminergique lors du développe-ment, laissant supposer le rôle indirect – médié par l’hippocampe – des événements de vie périnataux sur le métabolisme dopaminergique.

Épisodes psychotiques pharmaco-induits et cannabis

Il est bien connu que des produits psychostimu-lants (dopaminomimétiques) peuvent induire des états psychotiques aigus. Les amphétamines, en particulier, peuvent provoquer des états proches de la schizophrénie paranoïde : la psychose amphé-taminique. Au premier rang des facteurs de risque exogènes de schizophrénie, le cannabis est très discuté. De nombreuses études ont démontré qu’une consom-mation cannabique augmentait le risque de déve-lopper la maladie, sans doute en agissant comme facteur précipitant dans une population “à risque”. Cependant, seuls certains sujets consommateurs de cannabis développent une schizophrénie. L’hypo-thèse la plus probable pour expliquer cette diversité

est celle d’une interaction gène-environnement. L’un des gènes candidats pour cette hypothèse est celui de la COMT, notamment impliqué dans le métabo-lisme dopaminergique préfrontal : deux études ont démontré que le risque de développer une psychose chez des adolescents consommateurs de cannabis dépendrait du génotype de ces sujets pour la COMT (25, 26). Ainsi, un polymorphisme allélique d’un gène impliqué dans la “chaîne dopaminergique” pourrait être responsable de la vulnérabilité des sujets au cannabis comme facteur de risque de développer une schizophrénie. L’implication récente du cannabis dans les aspects neurodéveloppementaux et le traitement du signal tant cérébelleux qu’hippocampique, sous-tendue par des hypothèses glutamatergiques de la schizophrénie, doivent cependant faire relativiser cette hypothèse dopaminergique.

Genre

Le sex-ratio de la schizophrénie montre une surrepré-sentation de patients de sexe masculin. Cette donnée pourrait être intégrée à l’hypothèse dopaminergique, à la lumière d’une publication récente de C.A. Munro et al. (27) : les auteurs ont en effet démontré que, chez le sujet sain, la libération striatale de dopamine en réponse à la prise d’amphétamines est supérieure chez les sujets masculins. Étant donné les hypothèses dopaminergiques striatales développées plus haut, cette étude ouvre une voie d’explication du sex-ratio de la schizophrénie.

Événements de vie, isolement social

Ces dernières années, un intérêt considérable a été porté au rôle de l’isolement social, des événements de vie et du stress dans la pathogénie de la schizo-phrénie. Les Anglo-Saxons utilisent le terme “adver-sité sociale” pour décrire ces facteurs de stress propres à la vie en milieu urbain ou à l’isolement (de certains migrants, notamment). Il est admis que ces facteurs participent au spectre des facteurs de risque de développer un trouble psychotique de type schizophrénique. R.M. Murray et al. font entrer ces facteurs de risque dans leur hypothèse de la voie finale commune en s’appuyant sur des études animales qui ont démontré que l’isolement, d’une part (28) et la subordination sociale d’autre part (29, 30) sont associés à des modifications dopami-nergiques et notamment à une augmentation du relargage dopaminergique. Ainsi, pour reprendre

www.edimark.fr

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l’image de R.M. Murray, les événements de vie et le stress pourraient être source d’un embrase-ment de la symptomatologie, attisée par “un vent dopaminergique”, pour reprendre les termes de S. Kapur (31).

Modèle de A.A. Grace

A.A. Grace a développé un modèle de schizo-phrénie qui fait de cette maladie une pathologie des connexions cortico-sous-corticales. En effet, en prenant, lui aussi, la dopamine comme voie finale commune, il décrit une anomalie des connexions sous-corticales antérieures (32). Certaines études ont décrit une hypodopaminergie frontale dans la maladie, responsable de modifications sous-corti-cales : au final, selon A.A. Grace, l’hypofrontalité provoquerait une augmentation de la concentration sous-corticale des récepteurs D2, à l’origine d’une hyperdopaminergie relative, source de la sympto-matologie positive constatée dans la schizophrénie.Ainsi, ce modèle de Grace, un peu moins extrême que le postulat du “tout-dopaminergique” de

R.M. Murray, intègre, dans une pathologie des connexions, les hypothèses dopaminergiques de la schizophrénie.

Conclusion

À partir de données empiriques anciennes et de données récentes d’imagerie et d’étude des récep-teurs, R.M. Murray a redonné une actualité à l’hy-pothèse dopaminergique dans la dépression et la schizophrénie. S’inscrivant dans une approche dimensionnelle des maladies, la théorie de la “voie finale commune dopaminergique” doit certes être relativisée, mais elle a le mérite de réconcilier les différentes approches et hypothèses étiologiques développées ces dernières années dans ces deux maladies plurifactorielles que sont la dépression et la schizophrénie.Elle ouvre ou relance des perspectives de recherche dans le domaine de la neurotransmission dopaminer-gique et de la pharmacologie des épisodes dépres-sifs ou psychotiques résistants aux thérapeutiques classiques. ■

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Références bibliographiques