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De la Grèce ancienne à Byzance

Les mots et Les

monnaies

mer

Les mots et Les monnaiesde la Grèce ancienne à Byzance24.11.2012 – 17.03.2013

exposition organisée par la Fondation martin Bodmer en collaboration avec le musée Benaki, athènes

Comité d’honneur

Pour la GrèceAimilia Yeroulanou, Présidente du Conseil d’administration, musée Benaki Ioannis Fikioris, Président, Welfare Foundation for social & Cultural affairsHélène Molokotos, Vice-présidente, Relations publiques, association des Dames Grecques de GenèveProf. Dusan sidjanski, Professeur honoraire de l’Université de Genève, Président du Comité suisse pour le retour des marbres du Parthénon

Pour la suisseLaurence Gros, Présidente de la Fondation martin BodmerProf. André Hurst, ancien Recteur, Professeur honoraire de l’Université de GenèveProf. Pierre ducreY, ancien Recteur, Professeur honoraire de l’Université de Lausanne, Directeur de la Fondation HardtMario Botta, architecte

Comité scientifique de l’expositionCharles Méla, Professeur honoraire de l’Université de Genève, Président du Centre européen de la culture, Directeur de la Fondation martin BodmerAngelos delivorrias, Professeur honoraire de l’Université d’athènes, Directeur du musée BenakiVasiliki Penna, Professeur assistante, Université du Péloponnèse, Conseiller numismatique de la Fondation kikpeSylviane Messerli, Docteur de l’Université de Genève, Fondation martin Bodmer

ConceptVasiliki Penna

Commissaire de l’exposition Vasiliki Penna en collaboration avec Sylviane Messerli

Commissaire artistique de l’expositionÉlisabeth MacHeret, Conseil artistique, Responsable de la scénographie du musée de la Fondation martin Bodmer

Preparation de l’exposition Jean-Michel landecY, architecte, collaborateur pour la scénographieFlorence darBre, Conservatrice-restauratrice, fmb

Patrizia roncadi, Responsable de la gestion du musée, fmbStasha BiBic, Collaboratrice scientifique, fmbClaire duBois, sécretaire de direction, fmbStéphanie cHassot, Responsable de la Communication, fmbYannis stoYas, numismate, Chercheur, Collection numismatique kikpeEvangelia GeorGiou, numismate, Collaborateur scientifique, Collection numismatique kikpeElectra GeorGoula, archéologue, Département des expositions et publications, musée Benaki

Catalogue édité par Vasiliki Penna, Éditeur en chef, avec la contribution de Cécile Morrisson et publié par meR Paper Kunsthalle, Gent

Équipe éditorialeYannis stoYas

Evangelia GeorGiou

Nicolas duciMetière

essaisProf. Charles Méla

Prof. Angelos delivorrias

Prof. ass. Vasiliki Penna

Sylviane Messerli

Prof. André Hurst

Ute WartenBerG kaGan, Directrice exécutive, american numismatic societyYannis stoYas, Chercheur, Collection numismatique kikpeAndrew MeadoWs, Directeur adjoint, american numismatic societyProf. François de callataÿ, Chef du département des cabinets muséologiques de la Bibliothèque royale de Belgique, Professeur à l’Université libre de Bruxelles, Directeur d’études à l’École pratique des hautes études, Paris Charikleia PaPaGeorGiadou-Banis, Directeur des recherches, Fondation nationale de la Recherche scientifique, athènesProf. Ioli kalavrezou, Dumbarton oaks Professeur d’histoire de l’art byzantin, Université HarvardCécile Morrisson, Directeur des recherches émérite, Centre national de la Recherche scientifique, Paris, Conseiller numismatique de Dumbarton oaks

noticesProf. ass. Vasiliki Penna

Yannis stoYas

Nicolas duciMetière, Directeur adjoint, responsable de la Bibliothèque de la Fondation martin Bodmer

traductionNadia coutsinas (anglais-français)

Photographes de l’expositionLaziz HaMani

Kostas Manolis (essai x, figs 1, 7)Leonidas PaPadoPoulos (exhibit cat. 46)

Conception graphiquestudio Luc Derycke, Luc derYcke, Jeroen Wille

assistance conception graphiqueJan rutten, Ellen deBucquoY

imprimé parPrinter trento, italy

Droits réservés. aucune partie de ce livre ne peut être réimprimée, reproduite ou utilisée par des moyens électroniques, mécaniques, ou d’autres moyens, connus à l’heure actuelle ou inventés par la suite, incluant la photocopie et l’enregistrement, ni dans aucun stystème de stockage d’information ou d’extraction de données, sans la permission sous forme écrite des éditeurs et du directeur de publication.

isBn: 978-94-9069-384-8D/2012/7852/133

meR Paper Kunsthallemolenaarsstraat 29 B-9000 Gent Belgiumt +32 (09) 329 31 22f +32 (09) 329 31 [email protected]

Catalogue d’objetsi — l

PlanChes

5 Charles Méla8 angelos delivorrias10 Manos dimitrakopoulos

13 Proœmium Monnaies et mots : Perception et métaphore Vasiliki Penna

21 i Les mots et les monnaies sylviane Messerli

29 ii Écrire et monnayer : égalité, légalité? andré hurst

39 iii Éclats du passé : les émissions monétaires des hommes illustres Vasiliki Penna

53 iv La perception des mythes antiques : récits et représentations ute Wartenberg Kagan

65 v Reflets de la terre et du cosmos sur les monnaies antiques et médiévales Yannis stoyas

81 vi Le monnayage et l’écriture de l’histoire grecque antique andrew Meadows

91 vii Les fabuleuses richesses des rois hellénistiques : monnayages et Weltmachtpolitik

François de Callataÿ

103 viii Écrire et monnayer l’histoire du monde romain Charikleia Papageorgiadou-banis

117 ix Images du sacré à Byzance Ioli Kalavrezou

127 x Kharaktèr : l’histoire de Byzance et ses voisins par le texte et l’image Cécile Morrisson

I XImaGes DU saCRÉ

À BYZanCe

Ioli Kalavrezou

Lorsque l’on évoque le sacré dans la société byzantine, ce qui vient immédiatement à l’esprit ce sont les symboles, figures, images et bâtiments associés au christianisme et aux pratiques qui lui sont liées. Le sacré était vécu à travers les mots et les images, et lors des liturgies, il était accompagné de chants. La composante visuelle, cependant, était bien intégrée à la vie quotidienne des Byzantins et était présente dans tous ses aspects, spécialement dans les expressions de la piété privée. À chaque fois que l’on songe au monde byzantin, la première chose qui vient à l’esprit ce sont ces images extraordinaires. À travers les siècles, les Byzantins ont développé dans leur art religieux un langage visuel simple et très précis, lequel est resté constant pendant des siècles. en d’autres termes cet art – religieux aussi bien qu’impérial et public – a une forte continuité iconographique qui semble peu varier si l’on n’en connaît pas les règles. L’une de ces règles cependant est que l’art donne au spectateur des indices ou le guide sur la façon dont une image doit être lue. De cette façon, la continuité des thèmes iconographiques permet une certaine flexibilité avec un minimum de variations. Ceci est particulièrement visible dans les petites images qui ont un espace restreint, comme les monnaies, où une petite différence peut donner, par exemple dans la représentation du Christ, un sens tout différent1.

117

118 Ioli Kalavrezou

en raison de sa forte continuité iconographique, ce vocabulaire visuel était en quelque sorte disponible et pouvait être utilisé par l’ensemble de la population, sans aucune distinction de classe, d’éducation ou d’autres aspects. Chacun pouvait posséder ou s’exprimer avec les mêmes images et les utiliser pour sa propre dévotion. ainsi, le Christ, la Vierge ou tout autre figure de saint et leurs images étaient là pour tous, et chacun pouvait les regarder et trouver la connexion personnelle avec le sacré qu’il espérait. Les types iconographiques immuables qui ont été développés facilitaient ce processus et créaient un monde universel d’images et de symboles qui est devenu l’expression visuelle du sacré pour les Byzantins.

Comment se manifestait-il et comment était-il organisé? Durant tout le moyen-Âge les Byzantins ont été réputés pour la décoration intérieure de leurs églises, et particu-lièrement lorsque celles-ci étaient recouvertes de mosaïques. Ceci visait à exprimer la présence du divin à l’intérieur de ces structures. L’extérieur restait simple en terme de matériaux utilisés, généralement des briques avec un peu de marbre, définissant l’unité architecturale. mais une fois dans l’espace intérieur, le visiteur se retrouvait dans un monde différent. Particulièrement, les décorations avec les tessères dorées couvrant les espaces entre les représentations du Christ, de la Vierge et des saints créaient le sentiment d’être dans un lieu irréel. entouré de figures saintes – le Christ, au-dessus de tout au centre de l’église, la Vierge dans l’abside où l’on célèbre la sainte commu-nion et les saints sur les murs alentours – le croyant se retrouvait dans le paradis sur terre. Dans cette expérience, la lumière jouait le rôle le plus important. se reflétant sur les tessères de verre et d’or, elle créait des rayons apparaissant où que l’on se place, descendant du ciel pour illuminer différents espaces et différentes figures à l’intérieur de l’église. La lumière pénétrant dans ces lieux sacrés était perçue comme une lumière divine. C’était le type de rencontre avec le sacré que le profane vivait une fois dans l’église, écoutant la parole de Dieu, avec les hymnes remplissant l’air. De nos jours encore, en visitant les rares monuments qui ont conservé leurs surfaces de mosaïque, il est possible de ressentir l’extraordinaire sentiment d’élévation que pouvait engendrer cet espace architecturalement complexe avec les figures saintes sur ses murs.

mais l’homme byzantin, dans son existence quotidienne, avait d’autres moyens de montrer son respect et d’exprimer sa dévotion au sacré. Il s’agissait d’objets et d’images, bien plus proches de son quotidien, avec tous les hauts et les bas qui peuvent pousser à se tourner vers le divin, pour demander de l’aide ou exprimer sa gratitude. Dès les premiers siècles du christianisme, le croyant a ressenti le besoin d’avoir quelque chose de tangible à tenir ou à regarder, qui pourrait l’aider au moment d’établir un contact avec une puissance. Par exemple, nous trouvons un certain nombre de petites pierres semi-précieuses gravées, principalement des camées, représentant la scène de l’annonciation. elles étaient utilisées comme des amulettes personnelles, ou enkolpia, fig. 1a

119Images du sacré à Byzance

portées par les femmes2. elles semblent avoir servi de phylactères ou amulettes porte-bonheur, et la scène de l’annonciation est un thème associé de façon évidente au désir d’enfant et plus généralement à la fertilité. ainsi, il semble que la Vierge de l’annonciation soit devenue une image très populaire sur les objets personnels de dévotion utilisés par les femmes. Les tendances de ce type, exprimant le désir de se connecter à marie d’une manière plus personnelle, sont devenues populaires. elles sont liées au désir de trouver aide et protection, comme c’était le cas avec certains autres saints, comme par exemple avec les saints médecins Côme et Damien (les anargyres) ou les saints militaires Démétrios et théodore.

Cependant, particulièrement après la période de l’iconoclasme, époque où toute représentation figurée était réprimée et le croyant ne pouvait vénérer que l’image de la croix3, nous trouvons une approche du sacré qui va entièrement dominer la pratique et la relation entre l’individu et le divin : il s’agit de la notion d’intercession. L’intercession comme concept était déjà exprimée visuellement dès le vi e siècle, par exemple dans l’icône de la Vierge à l’enfant en majesté du mont sinaï, où la Vierge est flanquée par deux saints martyrs4. Ceux-ci semblent avoir un rôle d’intercesseurs entre l’humanité et le Christ et la Vierge car ils regardent directement à l’extérieur, établissant un contact visuel avec le spectateur, contrastant ainsi avec les figures sacrées et leur regard distant. Il est possible que ce type d’images ait été populaire à l’époque mais comme seuls peu d’exemplaires ont survécu, il n’est pas possible de spéculer plus avant.

fig. 2

Camées double face avec des scènes de l’annonciation (vie siècle ap. J.-C.) et la Déisis (xe siècle ap. J.-C. ?).

Bibliothèque nationale, Cabinet des médailles, Paris

fig. 1 a, b

Miliarésion d’argent, Basile i er, Constantinople, ca. 868–879.musée Benaki, athènes

fig. 2

120 Ioli Kalavrezou

Cependant, les discussions et débats durant la période de l’iconoclasme sur la nature du divin et la question de savoir si les hommes, simples êtres humains, pouvaient ou devaient représenter le sacré, ont mis en avant ce qui avait été défini au Concile d’Éphèse de 431. Il avait été décidé qu’à travers l’humanité de marie, la théotokos, le Christ était devenu homme et cet argument était utilisé en faveur de la représen-tation du Christ, car seule sa nature humaine est représentée et non sa nature divine. À présent, les qualités humaines de marie, plus que son utilité comme source de la doctrine, étaient directement mises en évidence. La promotion de la maternité de marie est devenue explicite dans les textes et a été suivie d’un nouveau langage visuel. en tant que mère du Christ, elle est considérée comme la personne la plus appropriée pour s’adresser à lui. elle est devenue l’intercesseur ultime pour tout un chacun5.

Une nouvelle image de marie a été développée, où apparaît clairement son nouveau rôle d’intercesseur. avec saint Jean-Baptiste, l’autre figure humaine la plus proche du Christ, considéré comme le dernier des prophètes, ils interviennent ensemble auprès du Christ. ainsi, au ix e siècle, à la fin de l’iconoclasme, une nouvelle composition, celle de la Déisis, a été créée pour exprimer le rôle donné de façon appropriée à la Vierge et à saint Jean. Il s’agit de l’une des images les plus simples mais les plus expressives qui aient été conçues du concept de prière ou de supplication entre l’homme et le sacré. Dans une simple symétrie, le Christ, debout ou trônant, est placé au centre de la composition et est flanqué par saint Jean d’un côté et la Vierge de l’autre, qui, légèrement tournés vers lui, prient et communiquent avec lui au nom de l’humanité. L’un des plus splendides exemples de Déisis se trouve dans la galerie sud de sainte-sophie, et date probablement de la toute fin du xii e siècle. Bien qu’il s’agisse là d’une mosaïque monumentale représentant le sommet de cet art dans la cathédrale de Constantinople, cette image était généralement utilisée sur un plan privé sur de petites icônes conservées dans les foyers ou dans des chapelles privées, comme par exemple dans l’abside de la chapelle funéraire de la Pammakaristos6. Ce thème a également été intégré dans les compositions du Jugement dernier où marie et saint Jean s’adressent vraiment au Christ Juge afin de sauver l’humanité7.

fig. 3 : voir cat. n° x

fig. 4

Vierge orante, hématite (?), xe–xie siècles ap. J.-C.musée Benaki, athènes

fig. 3

121Images du sacré à Byzance

Quant aux icônes privées de la Déisis, nous en avons trois exemplaires impériaux de périodes différentes. L’une de ces icônes a été réalisée pour Constantin VII et a probable-ment été la première à inclure toutes les catégories de figures saintes et pas uniquement la triade Christ, marie, saint Jean. Il s’agit d’un exemple de ce qui a été considéré comme une Déisis étendue, où l’intercession inclut des apôtres, des Pères de l’Église, des martyrs et des saints militaires qui collaborent à ce processus. Dans ce cas, la cour céleste participe et aide Constantin VII à sortir victorieux de ses combats militaires ou autres8. La popula-rité de la Déisis comme icône privée se retrouve même sur l’une de ces amulettes avec l’annonciation des vi e–vii e siècles mentionnées plus haut. sur le camée de Paris, à une date ultérieure, probablement au x e siècle, la scène de la Déisis a été gravée au revers et une inscription ajoutée : Θ(εοτό)κε βοήθι τὴν δούλιν σ(ου) Άνα, « théotokos, aide ta servante anna »9. Il est intéressant d’observer qu’en ajoutant, quelques siècles plus tard, la Déisis, la prière en image et en mots, le but de la scène de l’annonciation acquiert bien plus de force pour son nouveau propriétaire. De plus, cela nous montre clairement, à nous qui étudions ces objets, le but de l’amulette et la durée et la continuité de la pratique de se tourner vers la Vierge pour demander assistance et protection.

La reconnaissance de la maternité de marie, qui est ΜΗΤΗΡ ΘΕΟΥ, a beaucoup changé la façon dont le sacré est entré dans la vie des Byzantins. Une émission en or de Léon VI (886–912) du debut du x e siècle est un bon exemple d’introduction de marie sur les monnaies. C’est d’abord le Christ qui a été placé à l’avers des monnaies d’or de

fig. 1b

Déisis, mosaïque murale, galerie sud, sainte-sophie, ConstantinoplePhoto de l’auteur

fig. 4

Solidus en or, Justinien II, Constantinople, 692–695.musée Benaki, athènes

fig. 5

122 Ioli Kalavrezou

Justinien II en 692–695, un geste audacieux que de représenter la figure la plus sacrée sur la surface des pièces de monnaie. Cependant, nous devons reconnaître dans ces portraits du Christ Pantokrator non le sacré dont nous parlons ici, mais l’autorité qui valide le pouvoir de l’empereur, une image de l’idéologie impériale à l’époque. Comme les inscriptions l’indiquent, le Christ est le roi de ceux qui gouvernent et l’empereur est son serviteur10. Léon VI, en introduisant la Vierge marie sur ses monnaies d’or, avait une intention différente. ayant probablement grand besoin d’un héritier pour établir une dynastie, Léon ne s’est pas tourné vers la scène de l’annonciation mais vers marie elle-même afin qu’elle intercède pour lui. L’émission en or montre la Vierge repré-sentée en orante, qui est la position de prière et d’intercession, avec le titre +maRIa+ au-dessus de sa tête et en outre la légende nouvellement établie et abrégée h o (ΜΗΤΗΡ ΘΕΟΥ – mère de Dieu) flanquant son image11. C’est la première fois que la figure de la Vierge est placée sur le monnayage en or à Byzance. on peut presque ressentir le désespoir qui a poussé Léon à cette décision. C’est également probablement l’une des premières fois que le titre officiel de « mère de Dieu » est utilisé. À partir de ce moment et jusqu’à nos jours, ce titre est devenu l’inscription classique placée à côté de sa tête. sur cette monnaie, elle est non seulement l’intercesseur, mais son rôle de mère a été particulièrement souligné, de façon appropriée pour la requête de Léon. sa représentation comme celle qui assiste et aide les empereurs et approuve leur pouvoir va devenir un lieu commun dans les siècles suivants12.

Bien que ces images soient impériales dans leur sujet, elles représentent bien la relation, la dévotion et les égards des Byzantins envers cette figure sacrée. Ce qui est exprimé sur ces petits objets se trouve représenté sur les icônes dans les églises ou celles conservées dans les maisons. Le fait de posséder une icône avec par exemple le saint d’après lequel on a été nommé créait une relation spéciale avec la figure du saint qui était votre protecteur direct. Ce type de liens et d’associations peut également être vu dans le choix des figures de saints qui apparaissent sur les monnaies. L’archange michel se trouve sur les monnaies d’Isaac II ange en raison de son patronyme ou sur celles de michel VIII Paléologue en raison de son prénom, et il est clairement figuré comme son protecteur sur les émissions postérieures à 1261, après sa reconquête de

fig. 5

fig. 6

Solidus d’or, Léon VI, Constantinople, ca. 905–908.musée Benaki, athènes

fig. 6

123Images du sacré à Byzance

Constantinople13. Ces saints, tout comme la plupart des figures sacrées, en un sens participent à la vie des Byzantins, ou plutôt y sont présents à travers les images.

L’empereur ne se tourne pas uniquement vers la Vierge pour l’aider à lutter contre ses ennemis – un autre aspect de la Vierge puisqu’elle a été vue sur les murailles de Constantinople, défendant la ville du siège par les arabes au vii e siècle – une série de saints militaires se tient à ses côtés durant ses campagnes militaire et ses batailles. Dans le grand psautier manuscrit produit pour l’empereur Basile II au tout début du xi e siècle, il est représenté de face, en habit militaire, tenant son épée et une longue lance sur son côté, avec l’ennemi vaincu à ses pieds. mais le plus important dans cette composition, c’est la relation de Basile avec le sacré qui a été introduite dans l’image. tout d’abord, le Christ, placé dans le ciel, reconnaît sa victoire et le couronne par l’intermédiaire d’anges envoyés poser une couronne sur sa tête. mais il s’agit là de la relation spéciale et privilégiée qu’entretiennent les empereurs avec le divin, puisqu’ils sont choisis par Dieu pour gouverner. Le plus intéressant dans cette image, ce sont cependant les portraits des six saints militaires représentés comme des icônes. Ce sont ses protecteurs, qui se tiennent à ses côtés, de même que pour n’importe quel autre soldat sur le champ de bataille. L’empereur et l’homme du peuple se tournent vers ces intercesseurs pour de l’aide. Cette image montre dans une composition sophistiquée la façon dont les Byzantins étaient liés au sacré. Cet amour pour les figures saintes et sacrées dont ils peuvent se sentir proches est une manière plutôt directe et non voilée d’exprimer à la fois le respect, la dévotion et la familiarité. À travers les icônes, croix et autres enkolpia, ils rapprochent le sacré de leur monde et de leurs besoins. Cela leur apporte un sentiment de sécurité et de confiance. Les saints militaires accom-pagnent les empereurs sur leurs monnaies à partir des Comnènes, une dynastie issue de l’aristocratie militaire14.

fig. 7

Basile II couronné par le Christ, aidé par des saints militaires, illustration pleine page, ca. 1000.

Biblioteca marciana, ms gr. Z 17, fol. IIIr, Venise

fig. 7

124 Ioli Kalavrezou

Dans un autre type d’icônes – pas celles de saints individuels – on peut voir le Christ ou la Vierge, en une approche similaire mais plus large du sacré. Il s’agit de quelques moments choisis de la vie du Christ et de la Vierge, qui, de même que les amulettes de l’annonciation, avaient leur place dans la vie quotidienne des Byzantins. Quand on examine les icônes privées destinées à la dévotion personnelle et que l’on se limite par exemple aux icônes en ivoire, on peut remarquer qu’un tiers du nombre total de ces icônes en ivoire représente la Crucifixion. Le second sujet le plus populaire est la Dormition (Koimèsis) de la Vierge15. Les deux scènes représentent le salut, la Cru-cifixion à travers la mort du Christ et la Dormition, d’une façon littérale et visuelle, montre qu’il existe un espoir de résurrection après la mort. La sélection étroite des thèmes suggère qu’ils ont été choisis parce que leur sujet est en rapport avec la vie de chacun. Ce sont des thèmes largement considérés comme étant liés au salut, apportant au croyant l’assurance d’un éventuel triomphe sur la mort. Ils offrent une consolation dans les moments difficiles de la vie. Les deux représentent les figures les plus saintes du christianisme, lesquelles ont souffert pour les hommes. Le Christ par sa propre mort sur la croix et la Vierge par sa souffrance maternelle dans la perte de son fils. ainsi, dans ces images, le sacré touche directement l’expérience de l’homme de tous les jours. Il est donc possible de dire que les composants visuels de la piété et de la dévotion envers le sacré ont trouvé une place dans l’environnement quotidien et les activités des Byzantins, participant à leurs réussites autant qu’à leurs peines.

Ce langage visuel, développé au cours des siècles, a été soigneusement protégé. Les images étaient un sujet de discussion, particulièrement durant les débats de la période iconoclaste mais également après, de sorte que leur place et leur rôle dans l’Église et la société étaient bien définis et que leur autorité et leur pouvoir n’échappaient à personne. La large gamme de ce phénomène n’a cependant pas atteint le monnayage, où le Christ, la Vierge et un choix de saints étaient également représentés. La monnaie a un autre usage et les images du sacré sur les monnaies avaient une fonction différente. Comme cela a été évoqué plus haut, il était déjà audacieux au vii e siècle de placer la figure du Christ sur une monnaie destinée à des transactions matérielles. Là cependant ces figures sacrées servent l’idéologie impériale, laquelle, à Byzance, était étroitement liée à une vision théocratique du monde. Les figures sacrées étaient placées sur les monnaies soit pour définir la relation de l’empereur avec le Christ, soit pour solliciter une aide, par exemple avec la présence de saints militaires. Il n’y avait jamais de scènes narratives sur les monnaies. Les figures sacrées étaient étroitement liées à l’empereur, à sa position et à ses actions. Comme cela a été souligné il y a un certain temps par Bellinger, ce sont deux mondes différents liés au sacré, lesquels ne doivent pas être confondus16.

125Images du sacré à Byzance

notes

1. Le Christ bénit habituellement avec sa main droite devant son corps mais il peut également bénir avec son bras droit étendu vers la droite, dirigeant ainsi le spectateur vers l’autre face de la monnaie, où la famille impériale est représentée. Voir par exemple les émissions en or de Léon VI avec son fils Constantin (DOC 3/2, p. 513, Class II, Pl. XXXIV, no 2.3).

2. nous savons cela par les inscriptions qu’elles portent et qui donnent le nom féminin du porteur. Voir Pitarakis 2005, p. 158.

3. Durant l’iconoclasme, le miliaresion d’argent est introduit par Léon III (ca. 720) adoptant l’image de la croix accompagnée de la légende « Jésus Christ sois vainqueur ». Cette tendance non-figurative s’est poursuivie jusqu’à alexandre (912–913).

4. Weitzmann 1976, vol. I, pp. 18–21, no B3.5. Kalavrezou 1990.6. Belting et al. 1978.7. Il existe deux icônes du Jugement dernier sur le mont sinaï, et dans l’art monumental on peut voir une belle

Déisis sur une mosaïque du xi e siècle à torcello, dans la basilique de santa maria assunta (notre-Dame de l’assomption), voir Glory of Byzantium, 1997, p. 437.

8. oikonomides 1995, pp. 73, 769. avisseau 1992, pp. 277–278, no 184. La Déisis comme représentation visuelle a été établie au ix e siècle et est

devenue assez populaire au x e siècle. Il est très possible que ce tout nouveau sujet avec un nouveau proprié-taire ait été ajouté au camée, exprimant très clairement le but de cette amulette.

10. Pour l’iconographie du monnayage de Justinien II, voir Breckenridge 1959; voir également DOC 2/2, pp. 568–570 et 644–645.

11. DOC 3/2, pp. 508, 512 (Class I), pl. XXXIV, nos 1a, 1b.2 ; Kalavrezou 1990, pp. 170–171. Ceci étant une mon-naie, comme on la considère traditionnellement, la lettre P (rho)t est écrite avec le caractère latin R dans les deux inscriptions et non avec la lettre grecque.

12. La Vierge représentée avec un empereur tenant le sceptre surmonté d’une croix apparaît pour la première fois sur les monnaies de nicéphore Phocas (963–969). Pour une étude de la Vierge, voir Penna 2000, pp. 209–217.

13. Voir dans le présent volume, C. morrisson, « Kharaktèr : l’histoire de Byzance et ses voisins par le texte et l’image », fig. 5.

14. Comme cela a été traité pour les sceaux de plomb dans Cheynet et morrisson 1995, pp. 28–30.15. Il existe également un certain nombre de représentations de la nativité que je placerais dans la catégorie des

icônes, qui traitent directement de la naissance et de la mort, comme il est possible de les vivre dans une famille et de l’espérance du salut.

16. Bellinger 1956, p. 70 ; Penna 2002, p. 13.

Bibliographie et abréviations

Avisseau 1992 : avisseau, m. (article de catalogue), dans : J. Durand (éd.), Byzance. L’art byzantin dans les collections publiques françaises (catalogue d’exposition, Louvre, 3 novembre 1992 – Février 1993), Paris, pp. 277–8, no. 184.

Bellinger 1956 : Bellinger, a., « the coins and Byzantine imperial policy » Speculum 31 (1956), 70–81.

Belting et al. 1978 : Belting, H., mango, C., mouriki, D., The Mosaics and Frescoes of St. Mary Pammakaristos (Fetiye Camii) at Istanbul (Dumbarton oaks studies 15), Washington, DC.

Breckenridge 1959 : Breckenridge, J. D., The Numismatic Iconography of Justinian II, american numismatic society, numismatic notes and monographs 144, new York.

126 Ioli Kalavrezou

Cheynet et Morrisson 1995 : Cheynet, J.-C. et morrisson, C., « texte et image sur les sceaux byzantins : les raisons d’un choix iconographique », dans : n. oikonomides (éd.), Studies in Byzantine Sigillography 4 (1995), pp. 9–32.

DOC 2/2 : Grierson, Ph., Catalogue of the Byzantine coins in the Dumbarton Oaks collection and in the Whittemore collection. 2, Phocas to Theodosius III, 602–717. Heraclius Constantine to Theodosius III, 641–717, Washington, DC 1968.

DOC 3/2 : Grierson, Ph., Catalogue of the Byzantine coins in the Dumbarton Oaks collec-tion and in the Whittemore collection. 3, Leo III to Nicephorus III, 717–1081. 2, Basil I to Nicephorus III, 867–1081, Washington, DC 1993.

Glory of Byzantium, 1997 : evans, H. C. et Wixom, W. D. (éds), The Glory of Byzantium : Art and Culture of the Middle Byzantine Era, A.D. 843–1261, new York.

Kalavrezou 1990 : Kalavrezou, I., « Images of the mother : When the Virgin mary Became Meter Theou », DOP 44 (1990), pp. 165–172.

Oikonomides 1995 : oikonomides, n., « the Concept of ‘Holy War’ and two tenth-Century Byzan-tine Ivories », dans : t. s. miller et J. nesbitt (éds), Peace and War in Byzan-tium : Essays in Honor of George T. Dennis, S.J., Washington, DC, pp. 62–86.

Penna 2000 : Penna, V., « the mother of God on Coins and Lead seals », dans : m. Vassilaki (éd.), Mother of God. Representations of the Virgin in Byzantine Art (Benaki museum, 20 october 2000 – 20 January 2001), milan, pp. 208–217.

Penna 2002 : Penna, V., Byzantine Coinage, Medium of transaction and manifestation of imperial propaganda, nicosia.

Pitarakis 2005 : Pitarakis, B., « Female piety in context : understanding developments in private devotional practices », dans : m. Vassilaki (éd.), Images of the Mother of God, aldershot, pp. 153–166.

Weitzmann 1976 : Weitzmann, K., The Monastery of Saint Catherine at Mount Sinai : The Icons. Vol. I : From the Sixth to the Tenth Century, Princeton.