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L'advergaming : au-delà de la gamification, un véritable dispositif interactif au service d'une stratégie de marque durable et efficace.
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1
UNIVERSITE DE PARIS IV – SORBONNE
CELSA
École des hautes études en sciences de l’information et de la communication
MASTER 2e année
Mention : Information et Communication
Spécialité : Marketing, Publicité et Communication
Option : Stratégie de Marque et Branding
L’advergaming : au-delà de la gamification, un véritable dispositif interactif au
service d’une stratégie de marque durable.
Préparé sous la direction du Professeur Véronique Richard
Nom, Prénom : Mougenot Mickaël
Promotion : 2011-2012
Soutenu le : 16 novembre 2012
Note du mémoire :
Mention :
2
Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier mon rapporteur universitaire, Stéphanie Kunert, pour ses conseils
et ses corrections lors de la préparation de ce mémoire.
Je remercie également mon rapporteur professionnel, Cyril Rimbaud, qui a pris le temps de
m’accueillir au sein de son entreprise pour m’orienter dans mes recherches et la rédaction de ce
mémoire.
Je remercie Etienne Candel, Maître de Conférence au CELSA, pour m’avoir donné l’idée du sujet lors
de son cours sur l’interaction et l’interactivité. Mes remerciements vont aussi à Ismaël Sow, ancien
étudiant du CELSA, qui a accepté de m’envoyer son mémoire de fin d’études afin que je poursuive
ses recherches.
Je tenais également à adresser mes remerciements à Eugène Ernoult, fondateur de Babble Planet,
Olivier Gatelmand, fondateur de Flagfriend, et Nicolas Rodoroff, fondateur de Pizza Driver, pour
avoir accepté de répondre à mes questions lors d’entretiens exploratoires.
Enfin mes derniers remerciements vont à Léa Besson qui m’a accompagné et supporté tout au long
lors de la rédaction de ce mémoire, de la première à la dernière ligne.
3
Sommaire
1. Le brand content en ligne pour répondre à la crise des marques et de la
publicité ............................................................................................................14
A) Une crise de la publicité ................................................................................................ 14
1. La publicité aujourd’hui ..................................................................................................... 14
2. Le déclin publicitaire .......................................................................................................... 16
3. L’attention publicitaire au cœur du débat ........................................................................ 21
B) Une évolution « digitale »............................................................................................. 26
1. A l’origine, des valeurs de liberté et indépendance du web ............................................. 26
2. L’évolution des agences de publicité................................................................................. 29
C) Le brand content comme opportunité ........................................................................... 30
1. Brand content : définition et exemples ............................................................................. 30
2. Pourquoi les marques optent pour le brand content ? ..................................................... 33
3. Quels avantages par rapport à la publicité classique ? ..................................................... 34
2. L’advergaming, un dispositif interactif qui participe à une création de valeur
durable pour les marques. .................................................................................37
A) Le jeu vidéo et la publicité ............................................................................................ 37
1. Histoire du jeu vidéo : De Pong à Angry Birds ................................................................... 37
2. De la publicité dans le jeu vidéo ........................................................................................ 45
3. Pourquoi le marketing investit le jeu vidéo....................................................................... 48
B) L’advergaming, vers une expérience de marque différente et participative ................... 50
1. Gamification : analyse d’une tendance ............................................................................. 50
2. Emergence de la gamification : La réalité est cassée, les jeux peuvent la réparer. ......... 53
3. Advergaming : définition et enjeux ................................................................................... 58
4
C) De l’interactivité dans l’advergame .............................................................................. 61
1. Quelle représentation de l’interactivité dans l’advergame ? ........................................... 61
2. Approche user centric : Quelle place pour le joueur dans ce dispositif ? ......................... 64
3. Approche brand centric : quelle place pour la marque dans ce dispositif ? ..................... 67
3e partie : Recommandations : L’advergaming comme outil d’une stratégie digitale
globale efficace et durable. ................................................................................69
A) De la nécessité de créer des jeux de qualité .................................................................. 69
1. Publicité et jeux-vidéo ne font pas forcément bon ménage ............................................. 69
2. Culture vidéo-ludique : l’exigence des joueurs ................................................................. 71
3. La qualité du contenu : la condition sine qua non pour réussir ........................................ 72
A) De la nécessité de rester cohérent ................................................................................ 74
1. L’advergame, représentant des valeurs de marque ......................................................... 74
2. Le game design au service des codes de la marque (logo, nom, charte graphique) ........ 76
3. Limites de l’advergaming .................................................................................................. 77
B) L’advergaming au centre d’une stratégie digitale durable ............................................. 78
1. Le risque du « coup de pub » inefficace et destructeur .................................................... 78
2. La solution d’une communication de long terme ............................................................. 80
5
Introduction
Paradise City
La course bat son plein sous le soleil éclatant de Paradise City. Au volant de votre Ferrari Enzo vous
semez vos concurrents un par un à plus de 300 km/h, enchaînant les dérapages contrôlés et la
conduite à contre-sens tout en évitant les accidents en pagaille. Pas de doute nous sommes bien
dans un jeu-vidéo, le jeu de course d’arcade Burnout Paradise1. La première place se profile alors
qu’il vous faut encore aborder un dernier virage à toute vitesse : accélération, frein à main, puis
nouvelle accélération pour finir en beauté, la victoire ne semble plus pouvoir vous échapper. Alors
que vous apercevez la ligne d’arrivée au loin au fond de cette ligne droite, un détail attire votre
attention dans le décor : une affiche publicitaire pour Barack Obama ! Le message « Early Voting
has begun. Voteforchange.com » est soutenu par la mention « Paid for by Obama for President »2.
Cette publicité a été largement commentée et reprise sur Internet et les autres médias lors de la
campagne présidentielle américaine en 2008. Il s’agit en effet de la première publicité pour une
personnalité politique dans un jeu vidéo. Cette forme de publicité appelée « in-game advertising »
est définie de la manière suivante par Ismaël Sow, auteur du mémoire La Publicité dans les jeux
vidéo : révolution ou impasse ? : « l’in-game advertising correspond principalement à l’insertion de
bannières publicitaires dans les jeux. Ce type de publicité est particulièrement présent dans les jeux
de simulation sportive »3. La publicité in-game désigne en effet les encarts publicitaires statiques
(inamovibles, inchangeables) ou dynamiques (évolutifs, mises à jour régulièrement) présents dans
certains jeux, considérés alors comme supports de communication par les annonceurs. Ainsi cette
forme de publicité interroge sur l’hybridité du jeu vidéo, entre contenu et média, entre dispositif
ludique et support de communication.
Nous tenterons ici de poursuivre les recherches d’Ismaël Sow autour du jeu-vidéo et de la publicité,
dont la problématique de mémoire était : « Pourquoi un média tel que le jeu-vidéo, avec une si
grande audience, et dont les avantages pour la publicité ont été tant vantés, demeure malgré tout
un canal publicitaire mineur ? ».
1 Burnout Paradise, Sortie le 24 janvier 2008 en France, Editeur Electronic Arts, Développeur Criterion Studios. 2 Cf annexe 1 : Affiche publicitaire in-game « Barack Obama », dans Burnout Paradise. 3 Mémoire « La Publicité dans les jeux vidéo : révolution ou impasse ? » de Ismaël Sow (p. 63) – Master 2 Professionnel Option CTN, année 2010-2011 - CELSA Paris-Sorbonne – Ecole des Mines d’Alès
6
Selon moi, et suite aux conclusions de ce mémoire, il était intéressant de se pencher sur un autre
cas de publicité innovante, déjà évoquée par Ismaël Sow, celui de l’advergaming. Donnons-lui tout
de suite une première définition afin de poser les bases de ce mémoire : il s’agit d’un néologisme,
contraction d’« advertising » et « gaming », qui désigne un jeu vidéo à vocation publicitaire, dont le
but est de promouvoir une marque ou un produit. Il peut prendre différentes formes, que ce soit un
jeu en Flash sur Internet, une application pour mobile ou un jeu vidéo pour console. Mais alors,
quelles différences entre advergaming et publicité in-game ? Et quelles conséquences sur
l’efficacité publicitaire ?
Les advergames permettent surtout « de rendre la marque accessible en la transformant en objet
d’interactions » selon Olivier Bertin, auteur de l’article Place au Jeu pour Influencia4. Considérés
comme des « sources de nouvelles expériences ludiques au profit d’une immersion originale dans
l’univers de la marque. »5, les advergames remettent en cause le modèle classique de la
communication, et permettent une nouvelle alternative aux publicités traditionnelles en manque
d’efficacité. Si la marque devient « objet d’interactions », il nous reste à définir cette notion, qui
serait au cœur de la stratégie de marque lorsqu’elle fait appel à l’advergaming. L’interaction
suppose un échange entre deux éléments au sein d’un système, il s’agit d’une action réciproque
comme le définit Edgar Morin dans La Nature de la Nature : « Les interactions sont des actions
réciproques modifiant le comportement ou la nature des éléments, corps, objets, phénomènes en
présence ou en influence. »6
De même que l’interaction, l’interactivité est un terme abondamment repris aujourd’hui dans les
médias. Ce sont des objets triviaux, largement utilisés et souvent réappropriés, dont la signification
évolue. Nous tâcherons donc dans ce mémoire de définir en quoi l’advergaming est un dispositif
interactif, car contrairement à la publicité in-game, l’advergaming mise sur l’interactivité entre
l’utilisateur et la marque, tout en se posant comme dispositif de communication pour l’annonceur,
ce que ne peut faire la publicité in-game, statique et fidèle au système archaïque de l’achat
d’espace publicitaire, souvent inefficace auprès des joueurs. Quels sont alors les rapports entre jeux
vidéo et publicité ? Comment le jeu vidéo influence-t-il la publicité et inversement ? Afin de
répondre à ces questions nous nous appuierons notamment sur les études d’Etienne Candel,
Maître de Conférence au CELSA, dont les travaux sur l’interactivité en ligne nous permettront de
4 Article Place au Jeu ! sur Influencia.net, consulté le 10 avril 2012. Lien : http://www.influenciatendance.net/brandcontent/index.php?page=18# 5 Ibid 6 La Nature de la Nature, Edgar Morin, 1977, p. 51 (Editions Seuil).
7
mieux définir cette notion. Il est également nécessaire de préciser que nous aborderons dans ce
mémoire de nombreux advergames en ligne, et que nous chercherons à analyser uniquement les
dispositifs présents sur Internet ou sur mobile afin de délimiter notre sujet d’étude. En effet, le
choix de ce mémoire repose sur un constat simple : de plus en plus de marques proposent des jeux
vidéo publicitaires en ligne ou sur mobile, il semblait indispensable de nous attarder sur ce
phénomène en plein essor.
« The game layer on top of the world »
Avant d’aborder ces questions primordiales, revenons un instant sur une tendance de fond qui
explique en partie l’avènement du jeu vidéo comme outil marketing. En effet, le jeu vidéo a su
évoluer, se renouveler et surmonter les crises pour aujourd’hui arriver à son apogée. De la création
de Pong en 1972, tout premier jeu sur borne d’arcade à connaître un succès populaire, au
lancement de Kinect sur la console Xbox 360 de Microsoft en 2010 permettant de jouer sans
manette, l’industrie vidéo-ludique a su s’imposer comme le premier marché de produits culturels
dans le monde, représentant aujourd’hui plus de 33 milliards d’euros7. Cependant son influence ne
s’arrête pas à de simples chiffres et autres statistiques montrant que la moyenne d’âge des joueurs
est plus élevée qu’on ne le croit et que les femmes sont toutes aussi joueuses que les hommes. Le
jeu a investi notre culture, notre mode de vie, mais aussi notre façon de communiquer. Le processus
de gamification explique donc en partie l’émergence du jeu comme outil marketing. La gamification
est un terme anglais que l’on pourrait traduire par « ludification » en français, mais il manque dans
cette traduction l’aspect vidéo-ludique et la notion de « gaming » correspondant à l’action de jouer.
Afin de rester cohérent nous utiliserons donc dans ce mémoire uniquement le terme de
gamification. Il s’agit du « transfert des mécanismes du jeu vidéo dans la vraie vie, pour la rendre
plus ludique, plus acceptable et plus intéressante » selon l’abécédaire du jeu vidéo présent dans la
revue Tank intitulée Play Time. Communiquer à l’ère du jeu8. Voici donc un premier élément de
définition qui nous permet de mieux cerner notre sujet. Nous irons plus loin dans ce mémoire en
nous appuyant notamment sur les recherches d’Olivier Mauco, Docteur en sciences politiques,
spécialité jeux vidéo à l’Université Panthéon Sorbonne (Paris I) dont la thèse avait pour sujet :
« Jeux vidéo, problèmes publics, régulations privées. »9 La gamification a ainsi permis l’intégration
7 Source : GFK, Magazine Trois Couleurs Hors-série #7 « Games Stories. L’histoire du jeu vidéo » p. 46 (2011 - Editions : MK2 Multimédia) 8 Source : Définition de gamification dans la revue Tank, numéro #1, « Play Time. Communiquer à l’ère du jeu » p. 80 (2012 - Editions : Télémaque) 9 Thèse « Jeux vidéo, problèmes publiques, régulations privées. » d’Olivier Mauco, soutenue le 28 juin 2012 à l’Université Panthéon Sorbonne (Paris I).
8
de pratiques propres aux jeux vidéo dans le marketing. En ce sens, gamification et advergaming ne
s’opposent pas, ce sont deux notions complémentaires puisque l’advergaming découle de cette
invasion du jeu vidéo dans notre quotidien.
Lors d’une conférence TED en août 2010, Seth Priebatsch (fondateur de la start-up SCVNGR)
évoque la gamification lors d’un discours intitulé « The game layer on top of the world »10. A juste
titre, il explique ainsi dans un premier temps que la dernière décennie était celle du social, et
affirme que la prochaine sera celle du jeu. Il énumère notamment les différentes formes que
prennent déjà les mécaniques de jeu dans notre vie quotidienne : “There are credit card schemes
and airline mile programs, and coupon cards and all these loyalty schemes that actually do use
game dynamics and actually are building the game layer.”11 Seth Priebatsch rappelle ensuite que la
structure des réseaux sociaux existe déjà, c’est celle de Facebook qui s’est imposée en modèle. Puis
il en vient aux caractéristiques de chacune de ces « couches » : “The social layer is all about
connections. The game layer is all about influence.”12 Selon lui, l’utilisation des mécaniques de jeu
serait un moyen très efficace d’influencer notre comportement : “It’s actually about using
dynamics, using forces, to influence the behavior of where you are, what you do there, how you do
it.”13 Et la couche ludique, la gamification, pourrait être selon lui plus impactante que la couche
sociale qui a pris place ces dernières années…
Autre point, il est nécessaire de différencier l’advergame du serious game, afin de délimiter une
nouvelle fois le sujet d’étude de ce mémoire. Un serious game est un logiciel qui combine une
intention sérieuse avec des ressorts ludiques. Ses objectifs peuvent être de type pédagogique,
éducatif, informatif, communicationnel ou idéologique, et c’est ici qu’il se différencie de
l’advergame qui n’a pas cette dimension pédagogique, et dont les enjeux sont différents. En effet,
un advergame a uniquement une valeur communicationnelle et marketing pour la marque qui le
conçoit, contrairement au serious game dont l’objectif peut aller plus loin. Dans les deux cas,
l’intérêt est de faire vivre une expérience ludique à l’utilisateur, mais l’advergame se contente de
cette expérience, alors que le serious game va chercher à apprendre quelque chose, former ou
informer l’utilisateur. De plus les serious games s’adressent à une cible bien précise, comme le jeu
10 Traduction : La couche ludique sur le toit du monde, Conférence TedX Boston de Seth Priebatsch, août 2010, visible ici : http://www.ted.com/talks/seth_priebatsch_the_game_layer_on_top_of_the_world.html 11 Traduction : « Il y a déjà des cartes de crédits, des programmes de compagnies aériennes, et des cartes de réduction. Tous ces programmes de fidélité qui utilisent en fait les mécaniques du jeu vidéo et construisent la couche ludique (ou vidéo-ludique) » 12 Traduction : « La couche sociale est faite de connections. La couche ludique se concentre sur l’influence. » 13 Traduction : « Tout renvoie à l’utilisation des dynamiques et des forces, pour influencer où vous êtes, ce que vous faîtes, comment vous le faîtes.»
9
en ligne « Défi Ingénieurs »14 lancé par la SNCF pour attirer de nouveaux ingénieurs sur ses lignes.
Le budget alloué à un serious game est également souvent supérieur à celui d’un advergame. Par
exemple, l’un des plus célèbres serious games intitulé « America’s Army »15 et développé par l’US
Army et Ubisoft en 2002, s’est vu attribué un budget de 7 millions de dollars par l’armée
américaine. Le but de ce jeu de tir tactique en vue subjective (ou FPS) est d’inciter les citoyens
américains à s’enrôler dans les forces armées des Etats-Unis et de soigner l’image de cette
institution. Dans ce mémoire, nous nous consacrerons majoritairement à l’advergame, afin de nous
concentrer sur sa valeur communicationnelle et les conséquences de son dispositif interactif.
« Play Life. Level Up. »
Sortie du travail à 18h30. Il fait beau, les terrasses parisiennes sont déjà noires de monde, vous
vous dites que ce serait bête de gâcher votre temps libre à regarder la télévision en rentrant dans
votre appartement. Vous avez envie de changement, de vous divertir… Curieux, vous jetez un coup
d’œil à vos messages/profil Facebook/compte Twitter/compte Pinterest/boîte mail personnelle :
rien de très intéressant dans cet univers hyper-connecté, sauf peut-être un tweet sur le réseau qui
gazouille. Le message est plein d’enthousiasme : « Fini le travail ! Un petit tour sur Onefeat16 pour
voir quelle nouvelle mission m’attend aujourd’hui. #addiction ». Curieux, vous vous renseignez alors
sur « Onefeat » et téléchargez l’application du même nom pour voir de quoi il s’agit. « Play Life.
Level Up. » le slogan vous intrigue. Inscription via Twitter : en quelques secondes vous faites déjà
partie de ce nouveau réseau. Un message d’accueil apparaît : « Welcome to your life. The best
adventure ever. »17 Le principe est simple : « Onefeat is a game where users complete missions by
uploading pictures »18 nous indique le premier écran après inscription. Onefeat chercherait donc à
faire entrer le jeu dans notre vie quotidienne ? Vous devez alors accepter une première mission, à
choisir parmi les suivantes : « Aller au musée et aimer ça », « Avoir sa photo dans le journal » ou
encore « Boire un cocktail dans un bar ». Certaines missions semblent plus abordables que
d’autres… En acceptant l’une de ces missions vous cumulez des points pour accéder à un niveau
supérieur, le fameux « level up » des jeux vidéo. Pour réussir une mission, il faut bien sûr le prouver
en téléchargeant une photo de vous en action. Certaines missions valent plus de points, comme
« Découvrir un gisement de lave volcanique », mais c’est à vous de choisir quelles missions vous
14 Défi Ingénieurs, développé par TBWA Paris et SNCF, sorti le 26 septembre 2012. Consulté le 30 septembre 2012 : http://defi-ingenieurs-sncf.com/ 15 America’s Army, développé par US Army et Ubisoft, sorti le 4 juillet 2002 sur le site http://www.americasarmy.com/ et consulté le 10 juin 2012. 16 Application mobile Onefeat, développé par Onefeat, disponible sur Itunes depuis 2011. http://onefeat.com/ 17 Traduction : « Bienvenue dans votre vie. La meilleure aventure qui soit. » 18 Traduction : « Onefeat est un jeu où les utilisateurs réussissent des missions en téléchargeant des images. »
10
acceptez. L’application vise donc à influencer nos comportements au quotidien, la vie serait donc
un jeu ?
Gabe Zichermann, co-auteur du livre Game-Based Marketing avec Joseph Lindler, résume ainsi
l’influence des jeux vidéo sur le marketing : « In order to compete with games, marketing must
become a game »19. Le marketing devrait donc s’emparer de la gamification pour perdurer. La
publicité et le marketing ont toujours su refléter la société et s’en inspirer pour mieux influencer le
consommateur, c’est encore le cas aujourd’hui avec l’extension des mécaniques de jeu au
marketing. La démocratisation des jeux vidéo y est-elle pour quelque chose ? Le grand nombre de
jeux disponibles sur mobile ou en ligne et accessibles au plus grand nombre ont certainement aidé
le jeu à s’imposer dans la culture populaire, mais nous verrons par la suite qu’il ne s’agit pas
seulement de démocratisation, mais aussi et surtout d’un besoin d’interactivité auquel répond le
jeu vidéo. « Je n’ai de cesse de souligner combien l’interactivité est la force des jeux vidéo. »20
rappelle Hideo Kojima, l’un des plus influents et des plus grands créateurs de jeu-vidéo, à qui l’on
doit notamment la saga des Metal Gear. Peu connu du grand public, voici comment le qualifient
Jean-Samuel Kriegk et Jean-Jacques Launier, auteurs du livre Art Ludique : « À la fois réalisateur,
producteur et scénariste, Hideo Kojima est sans doute l’un des créateurs les plus perfectionnistes et
les plus respectés du jeu vidéo. »21 Ce dernier est ainsi bien placé pour pouvoir exprimer un constat
simple : l’interactivité est un corollaire du jeu vidéo. Comment cette interactivité est-elle perçue
dans l’advergaming ? En quoi participe-t-elle au processus de communication ?
C’est de ce constat et à partir de l’ensemble de ces questions de départ que nous avons décidé de
définir la problématique suivante : Dans quelle mesure le dispositif interactif qu’est l’advergaming
participe-t-il à une stratégie de marque efficace ?
Afin de répondre à cette problématique, nous nous appuierons sur un corpus de jeux publicitaires
variés, faisant appel à différentes fonctionnalités du Web et proposés sur différentes plateformes.
Commençons par les advergames, ici classés en trois catégories bien distinctes.
19 Source : Introduction, p.6, Game-Based Marketing, Gabe Zichermann et Joseph Lindler (2008 – Editions : Wiley). Traduction : « Afin de concurrencer les jeux vidéo, le marketing doit devenir un jeu » 20 Hideo Kojima, le 11 juin 2010, Article « Hideo Kojima : L’interview à l’écrit. Tout savoir sur MGS Peace Walker. » sur Gameblog.fr, consulté le 12 avril 2012. http://www.gameblog.fr/dossier.php?id_dossier=178&page=3 21 Art Ludique, p.228, de Jean-Jacques Launier et Jean-Samuel Kriegk (2011 – Editions : Sonatine)
11
Les trois premiers sont à classer dans la catégorie des advergames en ligne : Magnum Pleasure
Hunt22 et Magnum Pleasure Hunt 223 se présentent sous forme de mini-sites où l’on retrouve ces
jeux originaux lancés respectivement en mai 2011 et avril 2012 par la marque de glace Magnum du
groupe Unilever. La marque Puma propose quant à elle un jeu en ligne Run Puma Run24 qui fait
appel à la nostalgie des joueurs avec un jeu 8-bit qui rappelle les célèbres jeux sur bornes d’arcade
des années 1980.
La seconde catégorie de ce corpus est l’advergame social. Il s’agit de jeux publicitaires faisant appel
à des fonctionnalités de réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter : l’application Mini-Maps25
sur Facebook développé par le constructeur automobile Mini Cooper et Twitter Scrabble26, un jeu
original utilisant de manière intelligente les caractéristiques du réseau pour promouvoir une
nouvelle version du Scrabble.
Les advergames sur mobile représentent la dernière catégorie de notre corpus : La Chuuute27 et La
Chuuute sur Mer28 proposée par Oasis reprend les mécanismes de Doodle Jump, l’une des
applications les plus téléchargées sur smartphone.
Ce corpus est également composé de serious games comme America’s Army29 dont le but est de
recruter de nouveaux militaires dans l’armée américaine. Défi Ingénieurs30 de la SNCF permet quant
à lui de recruter de nouveaux ingénieurs.
De plus, trois autres jeux de ce corpus ont fait l’objet d’entretiens exploratoires31 par
l’intermédiaire de leurs créateurs respectifs : Babble Planet32 est un jeu éducatif destiné à
apprendre l’anglais aux enfants de 8 à 10 ans. Son fondateur Eugène Ernoult a accepté de répondre
22 Magnum Pleasure Hunt, développé pour Magnum (Unilever) par l’agence Lowe Brindfors et B-Reel, lancé en mai 2011 sur le site http://pleasurehunt.mymagnum.com/, consulté le 12 juillet 2012. 23 Magnum Pleasure Hunt 2, développé pour Magnum (Unilever) par l’agence Lowe Brindfors et B-Reel, lancé en avril 2012 sur le site http://pleasurehunt2.mymagnum.com/, consulté le 12 juillet 2012. 24 Run Puma Run, lancé en juillet 2012 sur le site http://fr.puma.com/runpumarun, consulté le 20 août 2012. 25 Mini Maps, développé par DDB Paris pour Mini France, lancé en juin 2011 sur l’application Facebook https://apps.facebook.com/minimaps/ et consulté le 19 juin 2012. 26 Twitter Scrabble, développé pour Scrabble (Mattel), lancé en juin 2012 sur http://www.twitterscrabble.be/, consulté le 27 août 2012. 27 La Chuuute by Oasis, application mobile éditée par Orangina Schweppes France pour Oasis, disponible sur Itunes et Android Market depuis septembre 2010. 28 La Chuuute sur Mer, application mobile éditée par Orangina Schweppes France pour Oasis, disponible sur Itunes et Android Market depuis juin 2011. 29 America’s Army, développé par US Army et Ubisoft, sorti le 4 juillet 2002 sur le site http://www.americasarmy.com/ et consulté le 10 juin 2012. 30 Défi Ingénieurs, développé par TBWA Paris et SNCF, sorti le 26 septembre 2012. Consulté le 30 septembre 2012 : http://defi-ingenieurs-sncf.com/ 31 Cf annexe 2 : Entretiens exploratoires 32 Babble Planet, serious game développé par The FWA, disponible sur l’App Store depuis mars 2012 et sur le site http://www.babbleplanet.com/fr/, et consulté le 11 juin 2012.
12
à mes questions. Flagfriend33 est une plateforme de jeux géolocalisés dont nous détaillerons le
concept par l’intermédiaire d’Olivier Madelmand, son fondateur. Pizza Driver34 est quant à lui un
jeu mobile innovant qui permet de gagner un produit réel, une pizza, au joueur qui aura réalisé la
meilleure performance sur un jeu bien virtuel. Ces entretiens exploratoires concernent donc un
serious game, un jeu de géolocalisation et un jeu mobile. Ils seront utilisés pour démontrer la
portée de la gamification dans notre quotidien et son influence sur l’émergence de l’advergaming.
Enfin, le dispositif Tipp-Experience35 mis en place sur Youtube sera mentionné dans ce mémoire et
fera l’objet d’une analyse pour l’élaboration de nos recommandations dans la dernière partie de ce
mémoire.
Outre les entretiens exploratoires et l’analyse des différents jeux de ce corpus, la méthodologie de
ce mémoire repose sur une analyse sémantique36 du dispositif interactif qu’est l’advergame
Magnum Pleasure Hunt 2 et une large bibliographie composée de livres spécialisés comme Art
Ludique de Jean-Jacques Launier et Jean-Samuel Kriegk37, Brand Content de Daniel Bô et Matthieu
Guével38, Game-Based Marketing de Gabe Zichermann et Joseph Lindler39, Reality is Broken de Jane
McGonigal40 ou de magazines spécialisés comme la revue Tank « Playtime, communiquer à l’ère du
jeu »41, le hors-série « Games Stories, L’histoire secrète du jeu vidéo » du magazine Trois Couleurs42.
Pour répondre à cette problématique, nous aborderons les 3 hypothèses issues de notre constat.
Nous tenterons de confirmer une première hypothèse : Le brand content en ligne propose un
nouveau modèle de communication capable de répondre à la crise de la publicité et de participer à
une stratégie de marque durable. La publicité classique aujourd’hui rejetée par les consommateurs
est en manque d’attention et d’efficacité. L’émergence du web offre une opportunité sans
précédent aux marques pour diffuser à leur tour un contenu de qualité, détaché des messages
commerciaux relayés dans les autres prises de parole de la marque. Pour confirmer cette
hypothèse, nous nous appuierons notamment sur la Société des Consommateurs de Robert
33 Flagfriend, application mobile éditée par Flagtory, disponible sur App Store et Android Market depuis septembre 2011 et sur le site http://www.flagfriend.com/, consulté le 3 septembre 2012. 34 Pizza Driver, application mobile éditée par Krikoff, disponible sur App Store depuis octobre 2012. 35 Vidéo interactive « A hunter shoots a bear » sur la chaîne Youtube TippExperience, diffusée le 25 août 2010, consultée le 27 octobre 2012 : http://www.youtube.com/user/tippexperience 36 Cf annexe 3 : Analyse sémantique de Magnum Pleasure Hunt 2 37 Art Ludique, de Jean-Jacques Launier et Jean-Samuel Kriegk (2011 – Editions : Sonatine) 38 Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod) 39 Game-Based Marketing, Gabe Zichermann et Joseph Lindler (2008 – Editions : Wiley) 40 Reality is broken. Why Games Make Us Better and How They Can Change the World, Jane McGonigal (2010 – Editions : Penguin Press). 41 Tank, numéro #1, « Play Time. Communiquer à l’ère du jeu » (2012 - Editions : Télémaque) 42 Magazine Trois Couleurs, hors-série #7 « Games Stories, L’histoire secrète du jeu vidéo » (2012 – Editions : MK2 Multimédia)
13
Rochefort43, afin d’expliquer le déclin publicitaire, puis sur l’ouvrage Brand Content. Comment les
marques se transforment en médias signé par Daniel Bô et Matthieu Guével36 pour mieux
comprendre l’évolution des contenus de marques sur Internet.
Par la suite, nous aborderons une seconde hypothèse tournée sur le cœur du sujet : L’advergaming
est un dispositif interactif permettant de créer une relation entre marques et consommateurs.
Après avoir revu l’histoire commune du jeu vidéo et de la publicité, à partir d’ouvrage comme
Mythologie des Jeux Vidéo de Laurent Trémel et Tony Fortin44 ou du hors-série #7 de Trois Couleurs
intitulé « Games Stories. L’histoire secrète du jeu vidéo »40, nous essaierons d’identifier les raisons
de son émergence dans la sphère marketing. Les deux principales références bibliographiques
concernant la gamification seront Game-based marketing de Gabe Zichermann et Joseph Linder37,
ainsi que Reality is broken de Jane McGonigal45. La notion d’interactivité sera abordée à partir des
recherches d’Etienne Candel, Maître de Conférence au CELSA, et d’Etienne Armand Amato, Docteur
en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Paris 8.
Une troisième partie sera enfin consacrée aux recommandations dont le but sera de valider la
dernière hypothèse : L’advergaming participe à une stratégie de marque efficace et durable, non
pas éphémère, par son interactivité et ses capacités communicationnelles. Les recommandations
seront axées sur la nécessité de créer des jeux de qualité pour répondre à l’exigence des joueurs
internautes, de rester cohérent avec l’ensemble de la stratégie digitale globale de la marque, et
d’éviter le risque du coup de pub.
43 La Société des Consommateurs, Robert Rochefort (2001 – Editions Odile Jacob) 44 Mythologie des Jeux Video, Laurent Trémel et Tony Fortin, (2009 - Editions : Cavalier bleu) 45 Reality is broken. Why Games Make Us Better and How They Can Change the World, Jane McGonigal (2010 – Editions : Penguin Press).
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1. Le brand content en ligne pour répondre à la crise des marques et de la publicité
Une crise de la publicité A)
Le portrait de la publicité que dresse le journaliste Nick Summers dans Newsweek est sans appel :
“Time was, advertising was a relatively simple undertaking: buy some print space and airtime,
create the spots and blast them at a captive audience. Today it’s chaos: while passive viewers still
exist, mostly we pick and choose what to consume, ignoring ads with a touch of the DVR remote”46.
Même s’il faut relativiser cette description chaotique, il faut néanmoins noter qu’elle met le point
sur un phénomène qui a considérablement influencé l’évolution de la communication : l’essor du
digital. L’arrivée du web a d’autant plus bouleversé la publicité qu’elle était déjà en crise, critiquée
de toutes parts, annonçant déjà le désenchantement qui était en train de se produire.
1. La publicité aujourd’hui
Une industrie toujours en forme malgré la crise ?
Rentrons tout de suite dans le vif du sujet : « The global advertising industry is estimated at 500$
billion »47 reporte Nick Summers dans Newsweek. La publicité se porte plutôt bien, malgré un
ralentissement de sa croissance et un exercice 2008-2009 plutôt négatif. Selon Zenith Optimedia, le
marché publicitaire mondial devrait croître de 4,3% en 2012 pour atteindre plus exactement 502
milliards de dollars. Les prévisions Monde pour 2013 et 2014 s’établissent respectivement à +5,3%
et +6,1%, ce qui annonce encore de belles années à l’industrie publicitaire48.
Ces chiffres sont cependant à relativiser, tout d’abord car ces estimations ont été revues à la baisse
par Zenith Optimedia, qui avait dans un premier temps annoncé une hausse du marché mondial de
4,8%. La crise de la Zone Euro ayant freiné les investissements publicitaires pour 2012, les
prévisions ont été moins optimistes. Ensuite, il faut noter que le marché est essentiellement tiré par
les pays émergents : « 60% de la croissance totale en provenance des pays émergents »49. En effet,
le Brésil, la Chine, la Russie ou l’Inde tirent largement le marché vers le haut, et représentent à eux
46 Source : Article “Click this ad already!” de Nick Summers, p. 45, Newsweek, numéro du 26 mars et 2 avril 2012 (Editions : Daily Beast Company). Traduction : « Il fut un temps où il la publicité était une entreprise relativement simple : vous achetiez un espace presse et du temps d’antenne, vous créiez des spots et l’exposiez à un public captif. Aujourd’hui c’est le chaos : alors que les spectateurs passifs existent toujours, la plupart d’entre nous sélectionne et choisisse quoi consommer, ignorant les publicités avec une touche de télécommande. » 47 Source : Ibid. Traduction : « L’industrie publicitaire mondiale est estimée à 500 milliards de dollars. » 48 Source : Article « Le marché publicitaire devrait croître moins vite que prévu en 2012 » sur lexpansion.com le 19 juin 2012, consulté le 21 juin 2012. http://lexpansion.lexpress.fr/economie/le-marche-publiciatire-devrait-croitre-moins-vite-que-prevu-en-2012_304882.html 49 Ibid.
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seuls 35% de la croissance mondiale. Ce qui semble logique lorsque l’on sait la croissance
économique de ces pays. Si l’on s’attarde cette fois sur les chiffres du marché publicitaire français,
ils sont certes en hausse, mais bien en deçà des estimations annoncées par Zenith Optimedia au
niveau mondial. Prenons ainsi les données de l’IREP (Institut de Recherches et d’Etudes
Publicitaires) : le marché publicitaire français a augmenté de 1,9% en 2011 pour s’établir à 31,4
milliards d’euros50. Le premier trimestre 2012 est du même ordre selon le baromètre du marché
publicitaire du CNC (Centre National du Cinéma et l’image animée) : « Au premier trimestre 2012, le
marché publicitaire progresse de 2,8 % à 6 464,4 M€ »51. Certes le marché français est en hausse
mais rappelons qu’il a subi une forte baisse de -8,6% en 2009 selon l’IREP52. Les dépenses
publicitaires avaient ainsi subi de plein fouet les coupes budgétaires mises en place par les
annonceurs pendant la crise économique et financière de 2009. Le marché français redémarre donc
doucement après une année noire, mais sa croissance reste inférieure à celle des pays émergents
évoqués plus haut. La France n’est donc pas épargnée par la crise de la publicité, mais plus
globalement, ce n’est pas seulement l’économie qui est en cause.
Le marché publicitaire se répartit de manière inégale sur différents supports médiatiques ou formes
publicitaires : télévision, presse, radio, internet, affichage, cinéma, marketing direct, promotions
etc… Selon l’IREP, le premier support privilégié par les annonceurs en 2011 reste le marketing direct
avec près de 30% des dépenses en communication (29,2% plus exactement). Par marketing direct
on entend mailing, imprimés sans adresse et autres éditions publicitaires. Cependant, l’évolution
technologique pousse à une réduction de ces imprimés, par souci d’économie de papier d’une part,
et pour son côté peu pratique d’autre part. L’e-mailing serait alors envisagé comme un moyen de
remplacement tout désigné. L’email n’est pas un moyen de substitution au prospectus, mais on
peut constater que les dépenses en communication sur Internet ont encore fortement augmenté
en 2011 avec une hausse de 10,6% par rapport à 2010. Cette hausse s’explique notamment par
l’augmentation des e-mailings mais surtout par la prise en compte des publicités sur les réseaux
sociaux dans cette étude. Sans surprise, Internet continue sa forte croissance et le digital prend une
place de plus en plus importante parmi les dépenses en communication. Avec une part de marché
de 5,3%, Internet reste encore en dessous des médias classiques que sont la télévision ou la presse,
50 Source : « Le marché publicitaire en 2011 » sur irep.asso.fr (Institut de Recherches et d’Etudes Publicitaires), le 15 mars 2012, consulté le 21 juin 2012. http://www.irep.asso.fr/actualites.php?id=124 51 Source : « Baromètre du marché publicitaire : mars 2012 » sur cnc.fr, (Centre National du Cinéma et de l’Image animée), le 26 avril 2012, consulté le 21 juin 2012. http://www.cnc.fr/web/fr/barometre-marche-publicitaire/-/ressources/1706821 52 Source : « Le marché publicitaire français en 2011 » sur irep.asso.fr (Institut de Recherches et d’Etudes Publicitaires), consulté le 21 juin 2012. http://www.irep.asso.fr/marche-publicitaire-chiffres-annuels.php
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mais représente presque le double des parts de marché de la radio qui représente 2,8% des
dépenses en communication des annonceurs. La transition vers le digital est donc plus lente que
prévue et certains annonceurs restent encore frileux à l’idée d’investir ce média.
Il y a bien une crise de la publicité, en manque d’investissements et d’efficacité, mais aussi et
surtout en pleine transition vers le digital, les nouvelles pratiques de communication qui découle
des évolutions technologiques. Cependant, nous allons voir que la publicité subit également une
crise de confiance, menant à une publiphobie ambiante, remettant en cause son modèle.
2. Le déclin publicitaire
Une publiphobie ambiante
Dans son livre intitulé La Communication Transformative, Laurent Habib, ancien Directeur Général
du groupe Havas, revient ironiquement sur l’idée que « la publicité est jugée moralement coupable
de tous les maux de la société »53. L’étude « Publicité et Société 2011 » menée chaque année par
TNS Sofres-Australie confirme cette impression en révélant que 81% des Français jugent la publicité
envahissante et que 37% sont publiphobes (chiffres en hausse)54.
Cette publiphobie ambiante se ressent également à travers les mouvements et organisations anti-
pub en France comme les Déboulonneurs, Brigade Anti Pub ou Résistance à l’Agression Publicitaire,
omniprésents depuis quelques années. Leurs valeurs sont d’ailleurs régulièrement reprises
directement ou indirectement par des artistes ou street-artists qui vont plus loin, comme Pixelator
qui recouvre les panneaux publicitaires de New York avec un filtre pixellisant la publicité, rendant
l’image poétique, non-agressive et désintéressée55. La publiphobie va de pair avec un autre
phénomène jugé inquiétant par Laurent Habib : « Près de la moitié des internautes qui fréquentent
assidûment Internet ne perçoivent même plus les bannières publicitaires sur leur écran »56.
De nombreux exemples en annexe57 de ce mémoire témoignent de cette publiphobie et prouvent
que la publicité a besoin de se renouveler et d’évoluer. Elle a longtemps voulu être considérée
comme un art. Aujourd’hui, son détournement et les critiques envers elle sont d’autant plus
53 Source : La Communication Transformative. Pour en finir avec les idées vaines, p. 103, Laurent Habib (2010 – Editions : PUF) 54 Source : Publicité et Société 2011 : Décrochages, étude TNS-Sofres Australie, sur tns-sofres.com le 27 septembre 2011, consulté le 24 juin 2012. http://www.tns-sofres.com/points-de-vue/190E522A5AE444B091DE500B455C83EE.aspx 55 Cf annexe 4 : Pixelator 56 Source : La Communication Transformative. Pour en finir avec les idées vaines, p. 111, Laurent Habib (2010 – Editions : PUF) 57 Cf annexe 5 : Brandalism project & street art
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présents dans la culture artistique moderne, que la publicité ne l’a jamais été. La publiphobie
ambiante se ressent ainsi jusque dans les autres domaines, annonçant finalement son déclin.
La fin du rêve publicitaire ?
« La publicité, c'est l'art des cavernes du XXe siècle » osait commenter Marshall MacLuhan en 1988.
Une manière détournée de la considérer comme une forme d'art, tout en critiquant sa forme
primaire.
Nous n'allons pas ici revoir en détail l'histoire de la publicité, mais plutôt nous concentrer sur la
« publicité du rêve » (c'est ainsi que nous l’appellerons) qui a officié durant les années 1980-1990.
Afin de mieux comprendre cette période, il est tout de même nécessaire de revenir brièvement sur
les principales évolutions dans l'histoire de la publicité, telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Le rêve porté par la publicité durant les années 1980 commence à s'éteindre lentement. Il s'agit là
d'ailleurs d'une autre explication de la publiphobie ambiante évoquée plus haut. La publicité a été
très décriée pour avoir été excessive dans la représentation de valeurs idéales et superficielles
durant les années 1980-1990. Gilles Lipovetsky, auteur de l’Ere du Vide58, reivent dans la revue
Médias sur la place de la publicité dans la société en lui admettant un certain pouvoir : « Il est
évident que les médias et la publicité véhiculent des normes, en particulier concernant le corps des
femmes. Cela a créé un nouveau type de comportement, l’aspiration esthétique. L’image de
référence est devenue celle de la jeunesse et du corps svelte. »59 Outre sa faculté à véhiculer des
références, la publicité valorise le consommateur autant qu’elle le fait rêver dans une ère où
l’individualisme est roi et le narcissisme la norme.
Le rêve publicitaire s'est éteint en même temps qu'est apparu le sentiment de révolte des
consommateurs, qui s'est ensuite traduit un peu plus tard par une volonté de transparence et de
rassurance des marques pour répondre aux attentes des consommateurs. La publicité ne devait
plus vendre du rêve mais rassurer : « Assailli par des inquiétudes de toutes sortes, l’individu
cherche dorénavant à être rassuré. Cela entraîne des changements dans ses choix de
consommateur. Tel est le basculement des années 1990. Quel contraste avec le temps des années
1980 au cours desquelles la consommation exaltait la toute-puissance de l’individu triomphant et
58 L'Ère du vide de Gilles Lipovetsky, Editions Gallimard, paru le 22 septembre 1983 59 Article « La Télévision n’est pas le nouveau malin génie » par Serges Guérin, extrait de la revue Médias N°6, septembre 2005, consulté le 11 octobre 2012 : http://www.revue-medias.com/La-television-n-est-pas-le-nouveau,132.html
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lui proposait d’oublier ses soucis grâce au plaisir éphémère et superficiel ! » commente Robert
Rochefort dans La Société des Consommateurs60.
Un stade de la consommation succède donc à un autre, ce qui se traduit par différentes grandes
tendances de communication liées à ce stade de consommation. L'ère du vide et du rêve n'est pas
aujourd'hui tout à fait terminée, même si elle semble révolue, on retrouve encore quelques-unes
de ses grandes idées dans certaines publicités, notamment pour le luxe et la mode. La campagne de
publicité « Beach Sensation » pour les maillots de bain H&M61 présentant des mannequins au
bronzage superficiel dans un décor de rêve est un bel exemple. Ces publicités n’ont pas plu aux
consommateurs, ni au Fonds Cancer Suédois qui s’était indigné du bronzage excessif auquel incite
indirectement la publicité: « Ces femmes en bikini extrêmement bronzées confirment un idéal de
beauté dangereux pour la santé »62. La marque a ainsi dû présenter ses excuses dans un
communiqué de presse officiel, expliquant que le bronzage du mannequin brésilien Isabeli Fontana
permettait de mieux faire ressortir les maillots de bain de la marque. Quoi qu’il en soit cette
polémique nous apprend une chose : les consommateurs ne sont pas dupes et ils n’hésitent plus à
se faire entendre, notamment sur Internet, lorsqu’une publicité va trop loin.
Les marques ont donc bien compris qu’il leur fallait miser sur autre chose pour communiquer, et on
a vu émerger une nouvelle ère de communication ces dernières années en France et dans les pays
Occidentaux, l’ère de la transparence. S’intégrant dans différentes sphères de la communication, on
la retrouve aisément dans des publicités, des packagings ou même sur des sites Internet. Premier
exemple, le spot publicitaire « Back to the Start » pour la marque Chipotle63 récompensé par un
Grand Prix au 59e Festival International de la Créativité Cannes Lions qui a eu lieu du 17 au 23 juin
2012. L’histoire de ce film de deux minutes est celle d’un agriculteur exploitant une petite ferme
d’animaux, qui va grandir de plus en plus avant d’atteindre une taille critique et industrielle que
l’agriculteur rejette. Il décide alors d’ouvrir à nouveau ces enclos et de laisser libres ces animaux, et
recommencer depuis le début pour ne pas retomber dans un élevage industriel. Il rejoint ensuite sa
famille, dont le fils qui a l’air d’être intéressé par l’élevage lui aussi. Le film se termine sur le
message « Cultivate a better world »64. La marque Chipotle utilise le storytelling pour mieux
60 Chapitre VI « La consommation doit rassurer », p. 139, La Société des Consommateurs, Robert Rochefort (2001 – Editions Odile Jacob) 61 Cf annexe 6 : Publicités H&M (Mai 2012) 62 Source : H&M s'excuse d'une publicité "trop bronzée", Théodore Doucet, sur Europe1.fr le 11 mai 2012, consulté le 12 juin 2012. http://www.europe1.fr/International/H-M-s-excuse-d-une-publicite-trop-bronzee-1079113/ 63 Source : « Back to the Start » de Chipotle Mexican Grill, diffusé à partir du 25 août 2011 sur Youtube. http://www.youtube.com/watch?v=aMfSGt6rHos 64 Traduction : « Cultiver un monde meilleur »
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toucher le spectateur. Selon Christian Salmon, auteur de Storytelling. La machine à fabriquer les
images et à formater les esprits65, le storytelling est l’art de raconter des histoires, dans le but de
convaincre le consommateur. « Mais aussi de le plonger dans une histoire dont il pourrait être le
héros. Le storytelling correspond à la construction consciente de croyances destinées à des
consommateurs en manque de repères. » précise Nelly Quemener, dans son analyse pour la revue
Communication66.
Le storytelling n’est donc pas uniquement un moyen d'orienter le consommateur, il lui permet de
se sentir (un peu) plus actif. La publicité classique a longtemps fait rêver les consommateurs et l'on
peut remarquer que cette notion de rêve est commune à une autre pratique, celle du jeu-vidéo. En
effet, les mécaniques du jeu vidéo tentent de satisfaire le joueur alors que son univers et son
histoire tentent de l'immerger dans un rêve éveillé auquel le joueur aura envie de faire partie.
Nous parlons évidemment ici du jeu vidéo classique, et non du jeu vidéo publicitaire. Des jeux tels
que Grand Theft Auto Vice City67 où le joueur se retrouve totalement libre et capable de faire ce
qu'il veut (ou presque) dans une ville aux allures de Miami. Autre exemple, les jeux de course
automobile comme la série des Burnout ou celle des Need For Speed où le joueur peut déambuler
dans les rues des plus grandes capitales du monde à plus de 200 km/h, relèvent totalement du
rêve. Les univers originaux créés par les studios d'Ubisoft sont également une référence, de Prince
of Persia à Beyond Good & Evil en passant par Assassin's Creed où le héros revit l'histoire de son
ancêtre, un assassin d'élite pendant les Croisades.
Les univers d'autres jeux vidéo mythiques font également penser à des décors féériques, tout droit
issus de rêves. Prenons par exemple, les jeux créés par Shigeru Miyamoto : « la liste des jeux sortis
de l'imagination constitue la plus impressionnante série de chefs d'œuvre vidéo-ludiques que l'on
puisse imaginer. »68
Le personnage le plus célèbre créé par Miyamoto reste sûrement Mario, dont la licence de jeu
vidéo est la plus vendue au monde avec plus de 210 millions d'exemplaires. Mario69 est un plombier
italien moustachu habillé d'une casquette rouge et d'une salopette bleue, apparu pour la première
65 Storytelling. La machine à fabriquer les images et à formater les esprits, Christian SALMON, (2007 - La Découverte). 66 Lecture « Christian SALMON (2007), Storytelling. La machine à fabriquer les images et à formater les esprits », Nelly Quememer, dans Communication, Vol. 29/2 2012. Texte intégral : http://communication.revues.org/index2635.html 67 Grand Theft Auto : Vice City, Rockstar Games, Sorti en 2003 sur PC. 68 Source : Art Ludique, p.404, de Jean-Jacques Launier et Jean-Samuel Kriegk (2011 – Editions : Sonatine) 69 Cf annexe 7 : Super Mario
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fois en 1981 dans le jeu Donkey Kong sous le nom de Jumpman, où il devait secourir une princesse
en détresse70. Le premier jeu dédié exclusivement à ce personnage s'intitule Super Mario Bros. Sorti
en 1985 sur NES (Nintendo), ce jeu prend forme dans un univers féérique où Mario doit tenter de
délivrer la princesse Peach, prisionnière du château de Bowser, sorte de dragon démoniaque
anthropomorphique71. Dans ce périple, Mario est accompagné de son frère Luigi, autre plombier
italien moustachu habillé de vert, et de Yoshi, un dragon vert qui pond des œufs multicolores.
Mario doit traverser le Royaume Champignon et de nombreux « mondes » débordants de
champignons, d'étoiles, d'obstacles et de pièges en tout genre, remplis de tortues à carapaces
rouges, de fleurs crachant des boules de feu, ou encore de Chain Chomp, une boule noire géante se
comportant comme un chien attaché à une chaîne. Autant de péripéties et d’originalités dignes
d’un rêve !
« L'une des plus attachantes facettes du génie artistique de Miyamoto est d'avoir puisé au sein
même de la nature et de ses émotions d'enfant toute l'inspiration des logiciels qu'il a ensuite
conçus pour faire jouer et rêver les générations suivantes »72 commentent Jean-Jacques Launier et
Jean-Samuel Kriegk, auteurs d'Art Ludique. Miyamoto a fait rêver des générations de joueurs grâce
à ces univers et ces personnages. Nous n'avons cité que Super Mario Bros ou Donkey Kong mais
nous aurions pu également évoquer The Legend of Zelda73 où le jeune Link à l’aide de son épée et
son bouclier, traverse le monde fantastique d’Hyrule afin de retrouver les huit fragments de la
Triforce et sauver la princesse Zelda. Ces jeux féériques sont autant de jeux cultes participant à
l’histoire mythique du jeu vidéo.
Tout comme la publicité durant ses glorieuses années, les jeux vidéo font rêver ou ont fait rêver de
nombreux joueurs. Prolonger la relation entre marque et consommateur au sein d'un jeu vidéo
publicitaire permettrait donc de poursuivre le rêve publicitaire d'une nouvelle manière ?
Certainement, mais à condition que le jeu vidéo soit de bonne qualité, sans quoi le joueur
internaute passera son chemin. Faire rêver les joueurs peut s'avérer beaucoup plus compliqué pour
les marques, c'est ce que nous verrons par la suite dans la description du game design et de
l'intérêt de l'advergame pour les internautes-consommateurs. Quoi qu’il en soit, la passerelle entre
70 Cf annexe 8 : Jumpman dans Donkey Kong, sur borne d’arcade (1981 – Nintendo). 71 Cf annexe 9 : Super Mario Bros, sur NES, (1985 – Nintendo) 72 Source : Art Ludique, p.400, de Jean-Jacques Launier et Jean-Samuel Kriegk (2011 – Editions : Sonatine) 73 Cf annexe 10 : The Legend of Zelda, sur NES (1986 – Nintendo)
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jeu-vidéo et publicité établit ici est indispensable pour comprendre l’émergence de l’advergaming
comme pratique de communication.
On retiendra que le jeu vidéo représente une véritable opportunité, dans la continuité de l’âge d’or
de la publicité. Michel Foucault parlait ainsi des espaces ludiques en 1984 : « l’espace de jeu paraît
une utopie dans laquelle je ne suis pas réellement » comme le reporte Tony Fortin et Laurent
Trémel dans Mythologie des Jeux Vidéo. Ils poursuivent alors « les espaces ludiques sont
certainement pour beaucoup des « hétérotopies » au sens de Michel Foucault, c’est-à-dire des lieux
concrets, réels, qui hébergent une utopie. »74. Le jeu vidéo serait donc l’endroit idéal pour allier une
histoire utopique à une expérience ludique. Tony Fortin et Laurent Trémel confirment même que
« les scénarios des jeux vidéo apparaissent en effet souvent fondés sur un itinéraire – le parcours
du héros – assimilés par certains observateurs à celui des contes. » La présence de storytelling est
un autre point commun du jeu vidéo et de la publicité, tous deux peuvent donc logiquement se
rejoindre au sein de l’advergaming, afin d’attirer à nouveau l’attention du spectateur, de plus en
plus actif et exigeant.
3. L’attention publicitaire au cœur du débat
« Aujourd’hui, la rareté n’est plus l’information, mais bien l’attention. A une époque où le public
devient de plus en plus volage, surfant de page Web en page Web, papillonnant de chaîne en
chaîne, le jeu vidéo dispose d’un avantage majeur : il permet de garder disponible l’utilisateur en un
même lieu. »75
La notion de « Return On Attention » semble remplacer progressivement celle de « Return On
Investment » tant utilisée dans le marketing pour mesurer l'efficacité et la rentabilité des actions
marketing. Selon l'abécédaire du jeu vidéo de la revue Tank « le ROA mesure la visibilité d'une
campagne de communication plurimédia. »76 Historiquement, l'attention publicitaire a toujours été
considérée par les professionnels de la communication dans l'élaboration de leurs stratégies. Pour
preuve le modèle AIDA qui représente les différentes phases que doit respecter un message
publicitaire :
74 Mythologie des Jeux Video, p. 30, Laurent Trémel et Tony Fortin, (2009 - Editions : Cavalier bleu) 75 Source : Article « Le jeu, nouvel espace de relations sociales », p. 35 , Tank, numéro #1, « Play Time. Communiquer à l’ère du jeu » (2012 - Editions : Télémaque) 76 Source : Ibid, p 81.
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- Attirer l'Attention
- Susciter l'Intérêt
- Provoquer le Désir
- Inciter à l'Action
C'est bien ce premier point qui nous intéresse : attirer l'attention. Comment capter un utilisateur
hypersollicité sur le web et dont l'attention vaut de l'or à l'heure où les audiences s'écroulent et où
les consommateurs tentent de reprendre le contrôle sur le message ?
Le problème de l’attention publicitaire, développé plus en détails par Daniel Bô et Matthieu Guével
dans Brand Content, Comment les marques se transforment en médias77, fait partie des mutations
au sens large qui ont influencé le monde de la communication ces dernières années.
Ils identifient ainsi trois mutations de la communication :
- L’essor d’Internet et de la numérisation
- L’essor de la communication responsable
- La remise en cause des discours
L’essor d’Internet et de la numérisation est le point qui nous intéresse tout particulièrement car il
révèle les évolutions du contexte médiatique, dont la première est, selon Daniel Bô et Matthieu
Guével, la fragmentation de l’audience et la dispersion des publics : « Le modèle traditionnel de la
communication des marques postulait l’existence de quelques médias de masse, et la possibilité de
réunir un grand nombre de personnes devant un même contenu au même moment. »78 Ce modèle
est aujourd’hui remis en cause par la fragmentation de l’audience causée par la multiplication des
chaînes de télévision et surtout l’arrivée d’Internet. Les auteurs anticipent même que : « la
démocratisation de l’Internet mobile, l’essor de la catch’up TV vont encore multiplier les canaux et
accès individuels aux contenus. »79 Rajoutons à cela l’arrivée de la TNT (Télévision Numérique
Terrestre), le piratage de contenus, et surtout l’essor de la télévision connectée, qui fait aujourd’hui
l’actualité dans le milieu des médias, et qui risque de contribuer fortement à la remise en cause du
modèle traditionnel de la publicité, basé sur l’audience. Le schéma choisi par Daniel Bô et Matthieu
Guével pour représenter les conséquences de l’érosion de l’audience sur la publicité et la qualité
77 Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod) 78 Ibid, p. 16 79 Ibid, p. 29
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des contenus est le suivant : l’érosion des audiences des contenus entraîne une baisse de
l’efficacité publicitaire. En effet - et cela semble logique - s’il y a moins de téléspectateurs, la
publicité touchera moins de monde. Cette baisse de l’efficacité publicitaire a pour conséquence une
réduction des ressources consacrées à la publicité et donc au financement des contenus. Les cibles
de communication n’étant pas forcément atteintes et les indicateurs de performances n’étant pas
satisfaisant, la publicité bénéficie de ressources réduites par la suite. Ce qui entraîne au final une
moindre qualité des contenus et donc, encore une fois une baisse des audiences de ces contenus.
Voilà comment est justement présenté « le cercle vicieux de l’érosion des audiences » par Joseph
Jaffe dans Life After 30-second Spot, repris dans Brand Content80. Si communiquer, c’est
transmettre un message, alors on peut constater aujourd’hui que les marques ont de plus en plus
de mal à communiquer…
Symbole de l’érosion des audiences, TF1 a récemment enregistré son mois d’audience le plus faible
de son histoire avec seulement 22,2% de part d’audience81. Loin des 40% d’audience dont elle avait
l’habitude jusqu’au début des années 2000, la première chaîne française ne cesse de voir ses
audiences chutées. Les causes citées plus haut, à l’origine de cette érosion, participent à la fin d’une
ère médiatique dominée par la course à l’audience où TF1 vendait « du temps de cerveau
disponible » à Coca-Cola selon la célèbre formule de Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1. La chaîne
est ainsi obligée de revoir ses tarifs publicitaires à la baisse, ce qui entraîne une baisse de la qualité
des contenus.
Ainsi, si TF1 ne parvient plus si facilement à toucher une audience large et à l’écoute, on peut
également s’intéresser à la notion de saturation des contenus, de plus en plus actuelle avec la
démocratisation d’Internet et qui remet tout à fait en cause l’efficacité publicitaire. Notons tout
d’abord que par « démocratisation d’Internet » nous entendons l’utilisation de plus en plus
courante d’Internet par des millions d’internautes grâce à l’accès au haut débit en illimité dans des
millions de foyers. On peut considérer que cette démocratisation a débuté à partir de la fin des
années 1990, et que son impact s’est véritablement ressenti à partir des années 2000 avec la
multiplication des fournisseurs d’accès à Internet en France.
80 Ibid, p. 30 81 Source : Article « AUDIENCES JUIN : TF1 AU PLUS BAS, M6 AU PLUS HAUT, NRJ 12 DOUBLE CANAL+ », Julien Lalande, sur Ozpa.com, publié le 2 juillet 2012, consulté le 26 juillet 2012. http://www.ozap.com/actu/audiences-juin-tf1-au-plus-bas-m6-au-plus-haut-nrj-12-double-canal/441729
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Internet, ce réseau mondial informatisé basé sur la liberté, le partage et la gratuité, a permis
d’accéder à une profusion d’informations et de contenus en tout genre. « Il n’y a plus assez de 24
heures d’une journée pour regarder tous les contenus accessibles facilement sur une quantité
croissante de supports »82 résument plutôt bien les auteurs de Brand Content. Cette profusion de
contenus a donc engendré une « hyper-sollicitation de l’attention » : l’internaute est sollicité de
toutes parts et peut faire le choix de choisir librement le contenu qu’il souhaite regarder, il faut
donc que le contenu de marque soit de qualité, attractif et affinitaire pour que l’internaute soit
intéressé.
« Dans une économie de l’attention, seul le contenu capable d’attirer l’attention et de la retenir
pourra tirer son épingle du jeu » 83 confirment ainsi les auteurs. Sur Internet, un spot publicitaire
semble donc peu enclin à attirer l’attention face à des contenus désintéressés, surtout dans un
contexte défavorable que nous avons évoqué précédemment de publiphobie ambiante. Le digital
est un environnement saturé, comment alors favoriser un contenu de marque face à l’hyper-
sollicitation dont sont victimes les internautes ? La profusion de contenus participe à l’inefficacité
publicitaire car l’internaute ne ressent pas l’intérêt de regarder des contenus publicitaires alors qu’il
a le choix. De plus, les nombreuses publicités qui sont visibles avant le visionnage d’une vidéo sur
les plateformes comme Youtube ou Dailymotion, semblent se généraliser mais posent toujours le
problème de l’attention de l’internaute. Comment savoir si l’internaute voit réellement la
publicité ? Comment mesurer l’efficacité de cette pub alors que l’internaute peut être en train de
faire autre chose sur un autre site en parallèle ? Pour résoudre ce problème, de nombreuses
plateformes de vidéo contraignent l’utilisateur à visionner une publicité avant une vidéo : cette pub
se met en pause si l’internaute change de fenêtre sur son navigateur ou s’il coupe le son. Un
dispositif plus que gênant et polémique en termes de liberté de navigation sur le web. Les marques
doivent donc trouver un nouveau moyen d’attirer l’attention des consommateurs afin de faire
passer leurs messages de manière moins contraignante.
Valéry Pothain, auteure de l'article « Les Marques doivent jouer le jeu » pour CB News résume ce
que peut résoudre le jeu vidéo au problème de l'attention publicitaire : « Le consommateur n'a plus
une minute pour regarder un écran publicitaire, mais il arrivera toujours à en trouver dix pour
exploser des cochons à grands coups d'oiseaux avec Angry Birds. Contrairement à l'idée reçue, le
82 Source : Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, p. 37, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod) 83 Ibid, p. 38
25
problème n'est donc pas tant sa rareté que le moyen de se l'accaparer à des fins commerciales. »84
Nous reviendrons plus en détail sur les solutions apportées par les marques pour répondre à ce
manque d'attention (l’advergaming notamment), mais intéressons-nous un instant au rôle du
consommateur dans ce schéma de communication, et la révolution du modèle appelé « top-
down ».
Le modèle révolu de la communication « top-down »
Ce modèle de communication consiste à considérer que la marque (top) communique de manière
magistrale envers ses consommateurs (down). « La démocratisation du métier d'éditeur » comme
l'évoque le livre Brand Content85, permet à tout le monde de créer du contenu et court-circuiter les
médias traditionnels. C'est ce changement de statut qui intéresse actuellement les professionnels
de la communication, où, dans une économie de l'attention, les spectateurs ne vont plus forcément
se tourner vers des contenus publicitaires, mais vont chercher à reprendre le contrôle. En ce sens,
le modèle « top-down » des grands discours de marques est révolu, il laisse place à une prise de
participation du consommateur, de quelque manière que ce soit : « After decades of advertisers
blaring messages at consumers, those consumers now have their own megaphones to blare
back. »86 prévient Nick Summers.
« Le consommateur/internaute est passé de spectateur de campagnes de publicité à acteur
diffuseur de contenus de marque. Il est en attente de divertissement et de sensation, il veut être
surpris à chaque rencontre avec la marque. Il peut pouvoir interagir, personnaliser le contenu pour
ensuite le partager avec sa communauté. Les webséries, les jeux vidéo sont les médias de
l'innovation et du participatif. Ils permettent de faire émerger les marques par un contenu créatif
fort et différenciant. » Selon Romain Mourgue, Directeur New Business d'Ilomba Images87.
Différenciant et participatif, voici donc les maître-mots des contenus attendus par les
consommateurs. Comment se caractérise alors ce changement de statut pour le consommateur ?
Cela passe par du partage sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter en tête), du User Generated
Content (UGC) sur des plateformes vidéo comme Youtube ou Dailymotion, ou d'autres plateformes
84 Source : Article « Les marques doivent jouer le jeu » p.46, Valéry Pothain, CB News, « La pub cherche son gameplay » (Juin 2012 – Dupuis Presse France) 85 Source : Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, p. 36, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod) 86 Source : Article “Click this ad already!” de Nick Summers, p. 47, Newsweek, numéro du 26 mars et 2 avril 2012 (Editions : Daily Beast Company). Traduction : « Après des décennies où les publicitaires pouvaient hurler des messages aux consommateurs, ces consommateurs ont maintenant leurs propres mégaphones pour hurler en retour. » 87 Source : Article « Le jeu, nouvel espace de relations sociales », p. 39 , Tank, numéro #1, « Play Time. Communiquer à l’ère du jeu » (2012 - Editions : Télémaque)
26
proposées par les marques, comme par exemple Procter and Gamble pour la campagne Thank You
Mom où les internautes pouvaient adresser un message de remerciement à leurs mères par
message textuel ou vidéo88.
À la notion de Return on Attention s'ajoute donc celle de « Return on Engagement », dont la
fonction est de « mesurer l'implication et l'interaction des internautes : simple lecture d'un article,
partage et discussion dans un réseau social, rédaction d'un avis, création d'UGC... »89 selon
l’Abécédaire du jeu vidéo de la revue Tank.
L'implication et la prise de participation, voire de contrôle du consommateur, révolutionne donc le
modèle de communication, et favorise l'avènement de nouveaux modes de communication pour
mieux capter l'attention des consommateurs, comme l'advergaming, qui s'est fait une belle place
sur Internet, cette toile vecteur de liberté et d'autonomie de l'utilisateur.
Une évolution « digitale » B)
1. A l’origine, des valeurs de liberté et indépendance du web
« La Quadrature du Net est une organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur
Internet. Elle promeut une adaptation de la législation française et européenne qui soit fidèle aux
valeurs qui ont présidé au développement d'Internet, notamment la libre circulation de la
connaissance. À ce titre, la Quadrature du Net intervient notamment dans les débats concernant la
liberté d'expression, le droit d'auteur, la régulation du secteur des télécommunications ou encore
le respect de la vie privée. Elle fournit aux citoyens intéressés des outils leur permettant de mieux
comprendre les processus législatifs afin d'intervenir efficacement dans le débat public. »90 Telle est
la description de la mission de la Quadrature du Net, symbolique de l’esprit de liberté et
d’indépendance revendiqué par Internet pour assurer son développement dans la gratuité et le
partage.
« Au commencement était le code et la liberté », voici comment Fabien Benoît intitule le chapitre
consacré à la création d'Internet dans les années 1960-1980, dans le numéro 2 d'Usbek et Rica
88 Chaîne Youtube de Procter & Gamble, consulté le 12 août 2012 : http://www.youtube.com/proctergamble?x=us_thankyoumom 89 Source : Abécédaire du jeu vidéo, p. 81 , Tank, numéro #1, « Play Time. Communiquer à l’ère du jeu » (2012 - Editions : Télémaque) 90 Source : « Qu’est-ce-que la Quadrature du Net ? », surlaquadrature.net, consulté le 12 août 2012. http://www.laquadrature.net/fr/qui-sommes-nous
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« Hackers, la révolution cool »91. Ainsi, l’origine d'Internet est marquée par une période où «
chacun peut reprendre librement les idées des autres et les améliorer. Et ce, dans l’intérêt de tous.
C’est dans cet esprit que les hackers composent les premiers programmes informatiques. »92
L'auteur conclut d’ailleurs : « Liberté et partage sont les lignes directrices ». Cependant, dès le
début des années 1970, les grands fabricants de matériel informatique créent des logiciels
« propriétaires » afin d'en restreindre la réutilisation : « ils prônent la fermeture, les hackers
l'ouverture. »93
Richard Stallman, véritable icône du hacker durant les années 1980, s'est toujours opposé au
logiciel propriétaire, et à la régulation d'Internet. Après avoir lancé le GNU (GNU is Not Unix) en
1984, un système d'exploitation libre pour « ramener l'esprit de coopération qui prévalait dans la
communauté des hackers dans l'informatique grand public »94, cet ancien du MIT décide de fonder
en 1999 une encyclopédie libre fondée sur le crowsourcing : Wikipédia. Fabien Benoît revient sur la
création de l’encyclopédie : « Pour Stallman, la quête dépasse le simple cadre du logiciel, elle est
philisophique. L'homme ne doit pas devenir l'esclave des machines et de ceux qui en auraient
l'exclusivité de leur programmation […] Pour lui les savoirs doivent circuler librement. »95
Analysons ainsi cette notion de crowdsourcing, dont on peut ironiquement trouver une définition
très complète sur Wikipédia : « le crowdsourcing, un des domaines émergents de la gestion des
connaissances, est l'utilisation de la créativité, de l'intelligence et du savoir-faire d'un grand nombre
de personnes, en sous-traitance, pour réaliser certaines tâches traditionnellement effectuées par
un employé ou un entrepreneur. »96 En ligne, ce néologisme est donc un moyen de définir le travail
collaboratif reposant notamment sur les internautes comme contributeurs de contenu.
La contribution des consommateurs/utilisateurs sur Internet est de plus en plus sollicitée par les
marques comme un moyen de renouveler les pratiques de marketing et de s'adapter aux évolutions
technologiques.
Le web se doit d'être libre, gratuit, de valoriser les internautes en prônant leur participation et le
partage. Cependant, le développement d'Internet à partir des années 1990 a progressivement
91 Source : Usbek et Rica, numéro 2 « Hackers, la révolution cool », p. 22 (Printemps 2012 – Usbek et Rica) 92 Ibid, p. 22 93 Ibid, p. 22 94 Source : Usbek et Rica, numéro 2 « Hackers, la révolution cool », p. 23 (Printemps 2012 – Usbek et Rica) 95 Ibid, p. 24 96 Source : Article “Crowdsourcing” sur Wikipedia.com, consulté le 10 août 2012. http://fr.wikipedia.org/wiki/Crowdsourcing
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généré de plus en plus d'investissements publicitaires sur le web. Il est donc nécessaire de souligner
le paradoxe qui touche ce média depuis quelques années, alors même que nous allons aborder plus
en détail le sujet de l'advergaming en ligne. Les valeurs d'Internet, si l'on remonte à ses origines
comme nous venons de le faire, sont en contradiction avec celles de la publicité, intéressée et
commerciale, qui prône des valeurs marchandes, et régit le fonctionnement du web puisque la
plupart des business models des sites web reposent sur la publicité. Pour preuve, 97% des revenus
de Google reposent sur la publicité en 201197, ce qui semble logique puisqu'il s'agit du site le plus
visité au monde selon Alexa. Il rassemble 48% des internautes, juste devant Facebook deuxième
site le plus consulté avec 45% des internautes98 et dont les revenus reposent également
majoritairement sur la publicité, à hauteur de 85% en 201199.
Inspirés par les autres médias, de nombreux sites ont basé leur business models sur la publicité, ou
d'autres alternatives répondant à des logiques « commerciales » : billets sponsorisés par des
marques sur des blogs ou des sites spécialisés, intéressement sur des liens renvoyant à des sites e-
commerce, liens sponsorisés dans les moteurs de recherche etc. Tout comme la presse, la télévision
ou la radio, les revenus publicitaires des sites Internet reposent sur leur audience, leur nombre de
visites ou de pages vues. Difficile alors de parler d'indépendance ! Cependant, l'avènement du web
2.0 à partir de 2005, que l'on décrit comme participatif et plus interactif, permettant aux
internautes de devenir plus actifs et contribuer à leur tour à son développement. Grâce à cela,
Internet a évolué, mais les marques ont également dû adapter leurs discours et leur manière de
communiquer. La forme du message a eu une incidence sur le fond : les marques ne communiquent
plus uniquement sur elles-mêmes à destination des consommateurs (modèle top-down), mais
proposent un contenu à un public, parfois détaché de leurs domaines d’activité, de leurs fonctions
commerciales.
L'émergence d’Internet puis de la vague sociale durant les années 2000, avec la naissance de
Facebook et Twitter ont permis aux marques d’entrer en contact plus direct avec leurs publics. De
plus, le changement de discours des marques, dans l'obligation de revoir le modèle classique de la
publicité, dépassé et inadapté, a permis l'arrivée d'un nouveau mode de communication :
97 Source : “Where’s Google making its money” sur PCInpact.com, le 19 juillet 2011, consulté le 22 août 2012. http://www.pcinpact.com/news/64689-google-revenus-publicitaires-assurances-pret.htm 98 Source : Topsites sur alexa.com, consulté le 22 août 2012. http://www.alexa.com/topsites 99 Source : Article « Facebook: 85% des revenus par la publicité, 12% par Zynga » sur Maxisciences.com, le 2 février 2012, consulté le 22 août 2012. http://www.maxisciences.com/facebook/facebook-85-des-revenus-par-la-publicite-12-par-zynga_art21328.html
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le brand content. Avec la démocratisation du web, les marques ont donc saisi cette opportunité,
contraintes quoi qu’il arrive de s’adapter, pour proposer un contenu majoritairement en ligne, dans
lequel s’inscrit l’advergaming.
2. L’évolution des agences de publicité
On comprend un peu mieux la perception de l’incursion du digital dans le monde de la publicité
avec le livre célébrant les 10 ans de l’agence Leg réunissant les plus belles publicités sur papier de
cette dernière. Ce livre intitulé Merde à Internet. Dix ans de publicité sur papier de l’agence Leg100
traduit ainsi parfaitement le ressentiment des publicitaires vis-à-vis d’Internet et son impact dans le
monde de la communication. Le texte de la quatrième de couverture du livre évoque bien de façon
ironique les enjeux du web aujourd’hui, que l’agence Leg tente d’ailleurs d’ignorer : « Internet est-il
le tout média qui va se substituer à tous les média ? L’interactivité sonne-t-elle le glas de la
communication unilatérale ? Twitter est-il le média des post-ados ou des post-addicts ? Facebook
peut-il faire tomber les dictatures ou nous éloigne-t-il du monde réel ? La révolution digitale
restera-t-elle underground ou est-elle déjà dans les mains des firmes ? Autant de questions
auxquels ce livre ne répond pas puisqu’il n’y est question que de publicités imprimées sur
papier.»101
Les agences de publicité ont su évoluer au fil des années pour se doter progressivement de pôle
digital. Les agences ont durant un temps proposé des recommandations basées sur des « stratégies
360° » mixant presse, radio, télévision, affichage, hors média et Internet. Certaines ont déjà
abandonné cette communication à 360°, par manque d’efficacité ou de pertinence, pour se
concentrer sur le digital ou le conversationnel dès l’arrivée des réseaux sociaux. Les agences dites
« conversationnelles » sont des agences spécialisées dans le conseil en communication, sur les
réseaux sociaux ou les sites des marques. Leur expertise est donc bien différente de celle de la
publicité classique. Cependant, les recommandations stratégiques « digitales » ou « sociales » se
doivent d’être en cohérence avec le positionnement des stratégies de communication globales
mises en place par les agences de publicité. De manière générale, les agences de publicité et de
conseils en communication se sont donc intéressées au brand content, favorisé par l’émergence
d’Internet, dont l’advergaming est l’un des meilleurs exemples.
100 Merde à Internet. Dix ans de publicité sur papier de l’agence Leg, (Agence LEG, 2012). 101 Ibid, 4e de couverture.
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Le brand content comme opportunité C)
1. Brand content : définition et exemples
L’avènement du brand content
Afin de définir la notion de « brand content » ou contenu de marque, il faut signaler que nous nous
appuierons essentiellement sur l’ouvrage déjà évoqué en référence, de Matthieu Guével et Daniel
Bô : Brand Content, Comment les marques se transforment en médias102.
Dans une société marquée par la profusion publicitaire, les marques connaissent aujourd’hui des
difficultés pour transmettre leur message publicitaire. Or communiquer, c’est transmettre un
message et « de fait, la publicité fut d’abord et essentiellement l’art de transmettre un message. »
103 Les marques doivent alors faire face à ce problème : « les individus ne cherchent pas à s’exposer
à des messages. C’est au messager d’aller à l’encontre de son destinataire pas l’inverse. Il faut donc
au préalable, réussir à créer le contact et capter l’attention au bon endroit, au bon moment. »104
Nous revenons encore une fois à la logique d’attention publicitaire mentionnée plus haut, comment
les marques peuvent-elles alors résoudre cette équation et réussir à transmettre leur message ?
Comme nous l’avons vu précédemment, les différentes mutations médiatiques que sont la
fragmentation de l’audience, la prise de pouvoir du consommateur-spectateur, la démocratisation
du statut d’éditeur et l’hyper-sollicitation des spectateurs, ont participé à la baisse de l’attention
publicitaire et à la difficulté des marques de capter leur audience. L’internaute change de statut :
du stade de consommateurs, il est passé à spectateur ; de cible, il est devenu public. Public et cible
sont deux entités distinctes 105: à travers l’advergaming et le brand content, la marque s’adresse à
la partie conjointe de ces deux entités. Lorsqu’il s’agit de brand content, il est donc préférable de
parler de spectateurs ou de public plutôt que de consommateurs puisque la marque propose un
contenu et non pas un produit ou une publicité. « Il devient essentiel d’offrir un contenu auquel les
spectateurs accepteront de s’exposer d’eux-mêmes. Sans minimiser le fait que les marques ont
depuis longtemps cherché à concevoir des publicités suffisamment attractives pour émerger dans
les tunnels de publicités télé ou presse, cet impératif se pose aujourd’hui à un niveau nettement
plus élevé. »106 C’est dans ce contexte qu’est apparu le brand content, afin d’offrir une opportunité
102 Source : Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod) 103 Ibid, p. 16 104 Ibid, p. 16 105 Cf annexe : Schéma : public et cible, deux entités distinctes. 106 Source : p. 34, Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod)
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aux marques de renouveler leur communication, une véritable alternative aux différentes solutions
proposées jusqu’alors pour s’associer à des contenus comme le sponsoring, le placement de
produit, ou encore l’in-game advertising, la publicité dans les jeux vidéo.
Une définition du brand content
Donnons maintenant une définition complète du brand content. Il s’agit d’un « contenu éditorial
créé ou largement influencé par une marque. La marque ne se contente pas de parrainer ou
d’utiliser un contenu préexistant, mais assume jusqu’au bout un vrai rôle d’éditeur, finance et
fabrique un contenu souvent à partir de son propre fonds. Les marques dont l’offre de brand
content est suffisamment étoffée deviennent des marques médias. »107 Le contenu est donc au
service de la marque, entièrement, et à l’attention du spectateur, uniquement. La notion de
marque média mérite elle aussi d’être définie. Une marque média est une « marque ayant
totalement assumé et investi le statut d’éditeur, au point de proposer une offre de contenus
suffisamment étoffée pour exister de façon autonome, voire d’être commercialisée comme un
produit à part entière. »108
Un parfait exemple de marque média peut être celui de la marque Red Bull dont le contenu de la
chaîne Youtube109, renouvelé et renfloué plusieurs fois par jour de vidéos de sports extrêmes
tournées à travers le monde, est d’une qualité égale si ce n’est supérieure, à celle d’une chaîne de
télévision. Et sur ce point les internautes ne s’y trompent pas, la chaîne Youtube de Red Bull
compte ainsi plus de 500 000 abonnés et 315 millions de vues, des indicateurs de performance très
largement au-dessus de la moyenne.
Si le contenu est exclusivement à l’attention du consommateur-spectateur, c’est aussi pour lui offrir
une véritable contrepartie, une contrepartie au fait d’être exposé au message de la marque. On
peut ainsi évoquer les notions de don et de contre-don sous-jacentes au contenu de marque : la
marque fait un don de contenu en vue d’un achat futur éventuel (contre-don du consommateur).
« La communication doit s’inviter chez le spectateur comme une expérience riche, avec un bénéfice
immédiat. »110 Divertir, faire vivre une véritable expérience au spectateur, proposer un contenu
intéressant plutôt qu’intéressé, telles sont les clés du brand content. Selon les auteurs, le contenu
107 Ibid, Définition du brand content, p. 182 108 Ibid, Définition de marque média, p. 184 109 Chaîne Youtube de Redbull Energy Drink, consulté le 4 juin 2012. http://www.youtube.com/redbull 110 Source : p. 38, Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod)
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est d’ailleurs un « objet culturel autosuffisant et autonome. »111 Il n’a pas besoin d’être affilié à une
marque pour se promouvoir, bien au contraire. C’est son indépendance qui peut lui garantir un
certain succès sur la toile. On peut prendre l’exemple de BNP Paribas avec la série « Les Colocs »
diffusées sur Dailymotion qui a connu deux saisons et compte près de 4 millions de vues112.
Après avoir analysé les notions de brand content, de marques média et de contenus, intéressons-
nous maintenant à celle de « public ». « Le public est un groupe autonome », il ne s’agit pas
forcément de consommateurs. Le public lecteur du magazine Colors de Benetton n’est pas
forcément acheteur de la marque. « Le public est une collectivité sociale dont les membres
interagissent entre eux. »113 Les membres d’un public constituent potentiellement une
communauté, où ils peuvent partager ou échanger. « Les personnes qui composent un public
débattent, échangent, argumentent et discutent entre eux d’un objet. »114 Dans ce sens, la marque
met à disposition du public un objet, un contenu, qu’il peut à son tour partager sur cet « espace
public » qu’est Internet. L’occasion pour nous de reprendre la définition d’espace public de Jürgen
Habermas : « processus au cours duquel le public constitué d'individus faisant usage de leur raison
s'approprie la sphère publique contrôlée par l'autorité et la transforme en une sphère où la critique
s'exerce contre le pouvoir de l'État »115. Une définition toujours d’actualité… Rendre publique un
contenu sur Internet renvoie donc à cette notion d’espace public, où l’individu est libre de partager
un message, d’échanger, de discuter sur un contenu, de manière indépendante de la marque (sans
que celle-ci ne lui ait imposé cette action).
De plus, la démocratisation de l’édition évoquée par Daniel Bô et Matthieu Guével, permise par
l’émergence du web, offre l’opportunité à tous les internautes de créer du contenu, fabriquer son
site et court-circuiter en partie les médias traditionnels. On constate d’ailleurs l’émergence
d’internautes « stars » sur la toile, qui ont su gagner en notoriété uniquement grâce au contenu
proposé au public. C’est le cas par exemple de Cyprien (Monsieur Dream)116 ou Norman fait des
vidéos117. Ces jeunes comiques ont été révélés grâce à leurs vidéos sur les plateformes de partage
Youtube ou Dailymotion, ils comptent des milliers d’abonnés à leurs chaînes respectives et
totalisent des millions de vues à chaque nouvelle vidéo postée. Certains ont d’ailleurs réalisé des
111 Ibid, p. 54 112 Chaîne Dailymotion des Colocs, consulté le 4 juin 2012. http://www.dailymotion.com/mescolocs 113 Source : Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, p. 69, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod) 114 Ibid, p. 70 115 L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Jürgen Habermas (Payot - 1962). 116 Chaîne Youtube de Cyprien (Monsieur Dream), consulté le 4 juin 2012 : http://www.youtube.com/user/MonsieurDream 117 Chaîne Youtube de Norman, consulté le 4 juin 2012 : http://www.youtube.com/user/NormanFaitDesVideos
33
partenariats avec des marques, comme Norman avec Crunch, qui a fait l’objet d’une web-série de 8
épisodes sur Youtube, où le jeune comique était envoyé selon les choix des internautes dans
diverses destinations pour la campagne digitale « Sors Norman de sa chambre »118 (faisant ainsi
référence aux vidéos amateurs filmées dans sa chambre).
2. Pourquoi les marques optent pour le brand content ?
À la question « Pourquoi la marque devrait-elle opter pour le brand content ?" Paul Veyne répond
ceci : « Pour des marques en quête de reconnaissance ou qui voient leur légitimité menacée, le
contenu éditorial et le financement de divertissement collectif constituent des opportunités à
saisir. »119
Cette analyse anticipait les opportunités qu’allaient connaître les marques avec l’émergence du
« réseau des réseaux ». L’occasion pour elles de soigner leur image, et de dépasser le statut de
simple marchand : « la marque passe du statut de vendeur au statut d’agent culturel à part entière,
dont les intérêts ne sont pas uniquement commerciaux, et avec qui il devient possible de nouer des
relations plus complexes. »120
Les marques peuvent aussi profiter du brand content pour soigner leur identité grâce au contenu.
Cartier nous expose ainsi ses valeurs dans un film intitulé Odyssey et réalisé par Bruno Aveillan,
révélant son identité de marque dans un court métrage de qualité de 3 min 30 à l’occasion du 165e
anniversaire de la marque121.
Dans un autre genre cette fois, les marques peuvent présenter un contenu divertissant, dont le
principal objectif est un objectif d’image : renforcer ou créer de la notoriété. La marque de
chaussures et de mode Converse a notamment financé la création de morceaux et clips musicaux
avec des stars comme Pharell Williams (NERD), Julian Casablancas (The Strokes) et Santogold. Ces
trois artistes ont collaboré ensemble lors de la création du titre original « My Drive Thru » produit
par NERD en 2008122. Converse a poursuivi cet effort de création chaque année, renouvelant les
partenariats avec les stars d’une industrie musicale en crise, proposant alors une solution
118 Chaîne Youtube de Crunch France, consulté le 13 juillet 2012 : http://www.youtube.com/user/CrunchFrance 119Le Pain et le Cirque, sociologie historique d’un pluralisme politique, Paul Veyne (Editions du Seuil, 1976) 120 Source : Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, p. 96, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod) 121 Lancé le 2 mars 2012 sur le site http://www.odyssee.cartier.fr 122 Vidéo My Drive Thru sur Youtube, produite par NERD, postée le 9 juillet 2008, consultée le 15 août 2012. http://www.youtube.com/watch?v=GPZ5fnYFI4Q
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alternative en termes de financement des artistes, avec un rôle semblable à celui d’un label. On
peut retrouver l’intégralité des chansons produites sur le site de la marque123.
Dans cette logique de notoriété et de visibilité, on parle couramment aujourd’hui d’une « course au
buzz », mot trivial sensé décrire la viralité d’un contenu sur Internet. Comment rendre un contenu
viral ? Comment faire pour qu’il soit vu massivement et partagé de la même manière par les
spectateurs sur Internet ? Bien entendu, il semble évident qu’une vidéo sur la récolte du blé pour
Nestlé ou une web-série sur les effets d’un dentifrice Colgate a moins de chance de « générer des
vues » qu’une vidéo interactive pour Nike Football comme My Time is Now124 comptant plus de 20
millions de vues et remplie de contenus cachés dont le jeu vidéo Sonic et un dispositif social
ludique.
Cependant, il n’y a aucune fatalité, certaines marques inattendues tirent leur épingle du jeu. C’est
le cas de la marque de restaurants mexicains Chipotle (déjà évoquée dans ce mémoire) avec son
court métrage Back to the Start. Avec un storytelling travaillé, une réalisation soignée (signée
Johnny Kelly) et une musique adaptée, ce spot pensé par Creative Artists Agency comptabilise près
de 7 millions de vues sur Youtube et s’est fait remarquer un peu partout sur Internet. La chanson
The Scientist de Coldplay reprise par Willie Nelson est même disponible sur Itunes pour 99
centimes, et les fonds générés serviront à financer la « Chipotle Cultivate Foundation ».
Le brand content peut également être l’occasion pour la marque de faire preuve d’innovation, non
seulement sur le fond du contenu proposé mais aussi sur la forme, c’est le cas de la marque de
vêtement Asos qui propose un documentaire sur les cultures urbaines diffusé à partir de septembre
2011, dont la particularité est d’être un catalogue click and buy, où l’internaute peut interrompre la
vidéo à tout moment afin de visualiser un produit125. Le concept avait déjà été proposé par Ikea en
2010 avec un clip vidéo intitulé You’ll always find me in the kitchen at parties126 et chanté par le
groupe Man Like Me, qui faisait office de catalogue pour le géant suèdois de l’ameublement (à
noter que les liens dans la vidéo ont été retirés depuis puisque le catalogue est obsolète).
3. Quels avantages par rapport à la publicité classique ?
123 Site Converse.com, consulté le 15 août 2012. http://www.converse.com/content/landing/music 124 Vidéo interactive My Time is Now sur la chaîne Youtube Nike Football, postée le 18 mai 2012, consultée le 15 août 2012.. http://www.youtube.com/user/NikeFootball/mytimeisnow 125 Site asos.com : http://www.asos.com/urban-tour/ 126 Vidéo Man like Me "You'll Always Find Me In The Kitchen At Parties", postée le 1” octobre 2010 sur Youtube, consultée le 18 août 2012. http://www.youtube.com/watch?v=2Gm9rxNxyDU
35
« Le contenu de marque est une évolution naturelle de la communication des marques »127, cela
permet à la marque d’instaurer une relation directe avec son public. Grâce au brand content et au
web, il n’y a plus d’intermédiaires, les internautes peuvent rentrer en contact direct (ou presque)
avec la marque, ce qui permet à cette dernière de maîtriser un peu mieux cette relation si
complexe qu’elle tente d’avoir avec ses clients.
La marque met à disposition du public un contenu intéressant avant d’être intéressé, elle tente
d’attirer l’attention d’un spectateur sollicité de toute part et dont l’attention attribuée à chaque
contenu est réduite. Cela représente une formidable opportunité pour elle de proposer un discours
différent des codes publicitaires évoqués plus haut. Là où le modèle de la communication top-down
proposait un contenu uniquement tourné dans le but de diffuser un message publicitaire, celui du
brand content tente de dépasser ce classique et d’emmener le spectateur vers plus de
divertissement, d’information ou d’émotion (tout dépend du contenu proposé). Leroy Merlin est
devenu une vraie marque média en proposant un contenu informatif/utile à destination du public
avec son programme court diffusé avant le prime time sur TF1, son site web et surtout son
magazine bimestriel du même nom Du Côté de Chez Vous vendu 2,50€ et diffusé à plus de 500 000
exemplaires depuis plus de 10 ans128. Leroy Merlin se différencie ainsi davantage de ses
concurrents et sortant du cadre de la publicité, et réussit même à devenir le deuxième magazine de
décoration en France depuis 2008 avec plus de 4 millions de lecteurs129.
Autre avantage par rapport au modèle top-down évoqué dans la première sous-partie traitant du
déclin publicitaire, la marque peut profiter du web pour échanger avec son public sur les
plateformes où elle diffuse son contenu, comme Dailymotion ou Youtube. La qualité et la quantité
des commentaires sur ces plateformes sont d’ailleurs considérés comme un critère d’engagement
des internautes envers une marque. Cette dernière se doit ainsi de gérer ces commentaires via le
community management afin d’assurer une certaine image de la marque sur Internet, tout en
profitant de cette fenêtre de conversation pour échanger ou faire participer les utilisateurs. La
marque peut bien sûr échanger sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter où elle diffuse
son brand content, afin de recueillir l’avis des fans ou abonnés qui la suivent.
127 Source : Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, p. 100, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod) 128 Magazine bimestriel Du Côté de Chez Vous, conçu par l’agence Textuel (TBWA), 129 Source : Article « Le magazine de Leroy Merlin devient le deuxième titre de décoration français » sur strategies.fr le 22 septembre 2008. http://www.strategies.fr/actualites/medias/102693W/le-magazine-de-leroy-merlin-devient-le-deuxieme-titre-de-decoration-francais.html
36
Afin de présenter les contenus les plus populaires du moment, la marque Pepsi a lancé à l’automne
2011 sa plateforme digitale Pepsi Pulse, permettant de voir en direct les contenus les plus échangés
et discutés sur Internet à partir du hashtag #Livefornow. « L’initiative vise à rappeler les liens que
Pepsi a toujours entretenu avec la pop culture, et la scène musicale notamment. » est-il précisé sur
le blog Veillebrandcontent.fr130, un bon moyen pour la marque d’asseoir sa présence sur le web,
tout en proposant un « hub » réunissant du contenu de marque. L’aspect social est déterminant
dans ce projet, puisque c’est le partage sur les réseaux sociaux qui permet à Pepsi Pulse de
rassembler sur une même plateforme les actualités les plus populaires.
Image, identité, notoriété, partage, engagement… Autant d’avantages et autant d’exemples que le
brand content propose pour répondre à la crise de la publicité. Comment cela se traduit-il dans
l’advergaming ?
« La publicité n’a jamais été un contenu qui intéresse les gens » rappelle Geoges Mohammed
Chérif, fondateur de l’agence Buzzman. « Il faut offrir aux gens des contenus qu’ils puissent se
réapproprier »131. Après nous être concentrés essentiellement sur la vision brand centric du brand
content et des enjeux pour la marque de l’émergence de l’advergaming, ainsi que sur le contexte et
les conditions dans lesquelles les marques peuvent faire appel à lui, nous allons maintenant nous
intéresser de plus près à ce dispositif. Pour cela, nous allons adopter un point de vue user centric
davantage centré sur l’intérêt des utilisateurs, afin de mieux comprendre son efficacité et son
fonctionnement.
130 Source : Article « Pepsi Pulse, la plateforme digitale musicale de Pepsi », posté le 18 août 2012, consulté le 27 août 2012. http://veillebrandcontent.fr/2012/08/18/pepsi-pulse-la-plateforme-digitale-musicale-de-pepsi/ 131 Source : Interview de Georges Mohammed Chérif dans Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, p. 146, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod)
37
2. L’advergaming, un dispositif interactif qui participe à une création de valeur durable pour les marques.
Suite à notre état des lieux du paysage publicitaire aujourd’hui, de l’analyse de son déclin à
l’émergence d’un nouveau modèle de communication favorisé par le développement du web, nous
allons maintenant analyser de plus près un type de dispositif communicationnel dont le potentiel
reste à développer : l’advergaming. Inspiré du monde vidéo-ludique, l’advergaming prend
naissance au cœur même du jeu, dans son concept et son game design, notions que nous
définirons dans cette partie. Avant d’aborder plus en détails l’advergaming et d’analyser en
profondeur quelques exemples de jeux publicitaires réussis, nous allons tenter de comprendre
comment et pourquoi le jeu vidéo s’est imposé comme dispositif de communication pour les
marques, et quels rapports la publicité et le jeu vidéo ont entretenus depuis quelques années.
Le jeu vidéo et la publicité A)
1. Histoire du jeu vidéo : De Pong à Angry Birds
À l’occasion de l’exposition Game Story qui s’est tenue au Grand Palais du 10 novembre 2011 au 9
janvier 2012132, le magazine Trois Couleurs a proposé un hors-série intitulé « Games Stories,
l’histoire secrète du jeu vidéo »133 sur lequel nous allons nous appuyer en partie afin de décrypter
l’histoire vidéo-ludique. Karl Falcon, auteur de l’article « Si le jeu vidéo m’était conté » dans le
premier numéro revue Tank intitulée « Playtime, la communication à l’ère du jeu »134, revient
également sur cette histoire aux côtés d’Erwan Cario, auteur de Start ! La grande histoire des jeux
vidéo135. Tous deux abordent directement le sujet ainsi : « Le jeu vidéo n’a pas une seule origine. Il
est issu de trois univers assez distincts : celui du monde universitaire, de la télévision mais aussi du
marketing. »136. En effet, le marketing a fortement participé à l’émancipation du jeu vidéo du cercle
universitaire et expérimental dans lequel il se trouvait à la fin des années 1960. Le premier succès
132 Exposition « Game Story. Une histoire du jeu vidéo » au Grand Palais, Galerie Sud-Est, du 10 novembre 2011 au 9 février 2012, RMN-Grand Palais avec la collaboration du musée national des Arts asiatiques Guimet et de l’association MO5.COM. Cf annexe 12 : Affiche de l’exposition Game Story 133 Magazine Trois Couleurs, hors-série #7, « Games Stories. L’histoire secrète du jeu vidéo. » (MK2 Multimédia – 2012) 134 Source : Article « Si le jeu vidéo m’était conté », Kevin Falcon et Erwan Cario, Tank, numéro #1, « Play Time. Communiquer à l’ère du jeu » (2012 - Editions : Télémaque) 135 Start ! La grande histoire des jeux vidéo, Erwan Cario (Editions de la Martinière - 29 septembre 2011) 136 Source : Article « Si le jeu vidéo m’était conté », p. 69, Kevin Falcon et Erwan Cario, Tank, numéro #1, « Play Time. Communiquer à l’ère du jeu » (2012 - Editions : Télémaque)
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du jeu vidéo n’est autre que Pong : « c’est avec Pong que le grand public découvre le jeu vidéo, qui
s’appuie sur une vraie stratégie marketing »137 commente Karl Falcon.
Revoyons ensemble l’histoire de industrie vidéo-ludique marquée par différentes évolutions. Ainsi,
Pong est considéré comme le premier jeu au succès massif qui permit à cette industrie de se lancer
véritablement à partir de 1972. C’est donc un jeu symbolique, tout comme Angry Birds, dont le
succès sur mobile ouvre de nouvelles voies pour l’avenir du jeu vidéo.
La véritable histoire du jeu vidéo débute à partir de 1961 avec Spacewar ! sur l’ordinateur PDP-1,
l’œuvre de trois étudiants du M.I.T : Martin Graetz, Steve Rusell et Wayne Wiltanen. « S’il faut un
peu d’imagination pour y voir des vaisseaux spatiaux, Spacewar ! reste le premier jeu de tir et le
premier jeu avec un personnage. »138
10 ans plus tard, les « jeux de l’espace » envahissent les consoles d’arcade avec notamment
Computer Space en 1971 : « Créé par Nolan Bushnell et Ted Dabney, Computer Space est le tour
premier jeu vidéo à être distribué en série sur le circuit commercial et donc vendu comme un
produit culturel. »139 L’imaginaire futuriste et spatial associé au jeu s’explique par la révolution qu’il
représentait dans l’esprit de son public. Un public restreint et passionné de science-fiction, qui
voyait dans le jeu un avenir technologique utopique. A noter que Nolan Bushnell est un véritable
pionnier de l’industrie du jeu vidéo puisqu’il créa aussi Atari, l’une des premiers géants de cette
industrie. Atari et Nolan Bushnell signeront surtout le jeu Pong140 dès l’année suivante. Ce jeu vidéo
inspiré du ping-pong connaît un véritable succès populaire sur borne d’arcade dans un premier
temps, puis à partir de 1975 en console de salon. Jouable à deux à partir d’un bouton rotatif très
simple pour diriger la raquette et renvoyer la balle d’un bout à l’autre de l’écran, le but étant bien
sûr de déborder son adversaire pour marquer un point.
Crée par Tomohiro Nishikado en 1978, Space Invaders reste le premier blockbuster de l’histoire du
jeu vidéo, son influence sur l’industrie vidéo-ludique et sa place dans la culture populaire sont
incontestables : « Plus de cinq cent millions de dollars de recettes depuis sa parution en 1978, et
une place dans la pop culture à laquelle peu d’œuvres de divertissement peuvent prétendre. »
résume David Elbaz dans Trois Couleurs141. Inspiré de Star Wars et La Guerre des Mondes, voir
137 Ibid, p. 69 138 Ibid, p. 21 139 Ibid, p. 21 140 Pong, sorti en 1972, Editeur et Développeur : Atari - Concepteur : Nolan Bushnell - Cf annexe 13 : Pong 141 Source : Magazine Trois Couleurs, p. 21 , « Games Stories. L’histoire secrète du jeu vidéo. » (MK2 Multimédia – 2012)
39
même du jeu Spacewar! , Space Invaders tire son efficacité et son succès d’un principe simple : la
conservation des meilleurs scores, une révolution à l’époque. Preuve de son importance dans la
culture pop, le street artist nommé Invader s’est emparé de ce symbole pour le propager à travers
le monde. On retrouve encore maintenant l’imaginaire de ce jeu dans notre culture, preuve de
l’influence que peut avoir l’industrie vidéo-ludique sur un public plus large que celui des joueurs, et
son intégration à la culture mainstream. Voici comment Karl Falcon résume l’impact de ce jeu : « S’il
fallait choisir une image, identifiable en une fraction de seconde et capable de représenter à elle
seule le jeu vidéo dans son ensemble, ce serait sans aucun doute un des aliens de Space
Invaders. »142
Autre grande figure du jeu vidéo, Pac-Man143 apparaît sur les écrans des bornes d’arcade au Japon
à partir de 1979 avant d’envahir le monde entier. Le principe de ce jeu très simple consiste à diriger
un personnage jaune et rond dans un labyrinthe en avalant des gommes tout en évitant les
fantômes qui traversent les différents niveaux. A l’origine jouable sur borne d’arcade uniquement, il
a ensuite été adapté sur divers supports dont l’Atari 2600, la NES, la Playstation ou l’Iphone. Pac-
Man est véritablement resté un jeu mythique pour l’ensemble des gamers, mais il est aussi l’un des
jeux les plus populaires dans le monde entier, de par la simplicité de son gameplay et son côté
addictif. Profitons-en pour aborder la définition du gameplay : il s’agit de la jouabilité du jeu, sa
mécanique et sa prise en main. Il est l’élément clé et intermédiaire entre le joueur et le jeu, et
détermine l’efficacité et la qualité d’un jeu.
Revenons à l’industrie du jeu vidéo. En 1981 apparaît pour la première fois dans Donkey Kong un
personnage qui deviendra la licence la plus vendue au monde quelques années plus tard : Mario.
Nommé Jumpman à ses débuts, il aura droit en septembre 1985 à son propre jeu : Super Mario
Bros. Cependant, l’industrie a connu durant cette période un coup d’arrêt sans précédent, dû
notamment à une abondance de mauvaises productions à destination des consoles de salon : « Des
centaines de compagnies se lancent dans l’aventure, saturant le marché de titres médiocres et déjà
vus. »144 De 1983 à 1985, les ventes sont en chute libre, les joueurs fuient les productions
proposées par les industriels, et il faudra attendre la NES de Nintendo145 et Super Mario Bros pour
142 Source : Article « Si le jeu vidéo m’était conté », p. 71, Kevin Falcon et Erwan Cario, Tank, numéro #1, « Play Time. Communiquer à l’ère du jeu » (2012 - Editions : Télémaque) - Cf annexe 14 : Space Invaders 143 Jeu vidéo Pac-Man, sorti le 22 mai 1980 aux Etats-Unis - Editeur Namco, Midway, Développeur Namco, Concepteur Tōru Iwatani. Cf annexe 15 : Pacman 144 Source : Magazine Trois Couleurs, p. 28 , « Games Stories. L’histoire secrète du jeu vidéo. » (MK2 Multimédia – 2012) 145 Nintendo Entertainment System, sortie le 18 octobre 1985. Cf annexe 16 : Console NES
40
que le jeu vidéo relève la tête. Puis suivront dès 1986 The Legend of Zelda signé par Shigeru
Miyamoto et Koji Kondo146.
On retiendra deux enseignements de la crise du jeu vidéo : tout d’abord les joueurs sont des clients
exigeants. Il ne suffit pas de créer des jeux pour les attirer, il faut que ces derniers soient de bonne
qualité. Deuxième enseignement : la crise est une véritable opportunité pour la création, un moyen
de se démarquer dans une période morose. C’est en pleine crise, en 1984 qu’a été créé et révélé
l’un des jeux les plus populaires de l’histoire du jeu, resté célèbre au fil des années : Tetris147. Créé
par l’informaticien russe Alexey Pajitnov, ce « puzzle game » reste indémodable et son principe de
jeu universel. « C’est presque le chef-d’œuvre universel » ose déclarer Erwan Cario148.
Les années 1990 voient éclore l’un des principaux concurrents de Mario restera Sonic, un hérisson
bleu à la vitesse supersonique développé par SEGA en juin 1991149. Créé par Naoto Oshima, ce
personnage devient rapidement une figure emblématique et apporte une nouvelle fraîcheur à
l’industrie du jeu vidéo.
L’industrie évolue en fonction des supports proposés par les grandes marques du secteur que sont
Nintendo, Sega ou Atari. Ainsi, la console portable proposée par Nintendo en 1989 est une véritable
révolution pour les joueurs et les usages vidéo-ludiques en vigueur. La Gameboy va révolutionner
l’approche du jeu vidéo par sa praticité et sa mobilité. Le joueur n’est plus obligé de rester scotché
à une borne d’arcade inamovible ou une console de salon qui nécessite un écran de télévision.
L’activité ludique se fait sur le même support, il est transportable partout et autonome.
Les consoles de salon n’ont pas dit leur dernier mot : en 1994 apparaît une console qui va tout
changer dans les foyers des joueurs : Playstation. Sony rentre ainsi sur le marché des consoles en
proposant un produit évolué avec un fort potentiel de jeux développables sur sa plateforme, et
propose surtout ces jeux à une nouvelle cible, un peu plus âgée, un peu plus adulte : « En lançant
une console de salon au nom explicite – station de jeu – la firme Sony, acteur tardif du secteur,
annonce la couleur. Avec des titres très vite cultes comme Metal Gear Solid, Final Fantasy VII,
Grand Turismo ou Resident Evil, ce sont moins les bambins que les adulescents qui y trouvent leur
146 The Legend of Zelda, sur NES (1986 – Nintendo) 147 Cf annexe 17 : Tetris 148 Source : Article « Si le jeu vidéo m’était conté », p. 72, Kevin Falcon et Erwan Cario, Tank, numéro #1, « Play Time. Communiquer à l’ère du jeu » (2012 - Editions : Télémaque) 149 Sonic The Hedgehog sur Megadrive (1991 – SEGA). Cf annexe 18 : Sonic
41
compte. »150 Ce changement de positionnement marque une vraie rupture avec la stratégie de
Nintendo, dont les univers féériques (que nous avons analysé précédemment) et les jeux aux
décors enfantins comme Super Mario, Kirby ou encore Donkey Kong, semblent logiquement
s’adresser aux enfants, ou du moins demander aux joueurs d’assumer leur part de régression. Sony
instaure alors de nouveaux codes, le jeu vidéo n’est plus forcément régressif, il peut intéresser les
adultes ou les adolescents. Point important, c’est à partir de 1996 que la 3D fait son apparition dans
les jeux vidéo, faisant rentrer le jeu dans une nouvelle ère, à la recherche d’une image de plus en
plus réaliste. Le jeu de course de simulation Gran Turismo restera le jeu le plus vendu sur
Playstation avec plus de 11 millions d’exemplaires dans le monde entier151. La Playstation 2 a été
vendue à 100 millions d’exemplaires en moins de 5 ans, et la Playstation 3 fait aujourd’hui partie
des 3 consoles de salon les plus importantes sur le marché avec la Xbox 360 de Microsoft et la Wii
de Nintendo.
Effectivement, l’arrivée de Sony en 1994 sur le marché des consoles de salon a révolutionné le jeu
vidéo, tout comme celle de Microsoft en 2001 avec le lancement de la Xbox. Cette arrivée d’un
géant de l’industrie informatique dans le secteur des jeux vidéo coïncide avec la fin d’un autre
grand acteur, Sega, qui cesse la commercialisation de sa Dreamcast la même année. L’une des
principales innovations apportées par Microsoft sur console est le jeu en ligne grâce au Xbox Live :
un service de jeu en ligne lancé en 2002 permettant de connecter sa console à Internet… et donc de
jouer en réseau, comme sur ordinateur. Principalement utilisé sur Xbox 360 sur une majorité des
jeux, ce type de service est aujourd’hui adopté par Sony sur Playstation 3 avec le Playstation
Network (PSN). Il permet d’afficher ses scores en ligne, de jouer avec des amis ou encore d’acheter
directement des jeux sur Internet.
Le jeu en ligne a été largement développé sur ordinateur avant de l’être sur console, avec des jeux
comme Warcraft, un jeu de rôle massivement multi-joueur (MMORPG) dont le succès n’a cessé
d’augmenter depuis sa création en 1994, rassemblant une communauté de plus en plus large : « le
jeu a réuni jusqu’à 12 millions de personnes à travers le monde. Un vrai phénomène social ! »152
L’aspect communautaire est l’un des piliers de développement du jeu vidéo à partir des années
2000, via la démocratisation de l’accès à Internet (et l’ADSL) en France. En effet, le jeu en ligne a
150 Source : Magazine Trois Couleurs, p. 33 , « Games Stories. L’histoire secrète du jeu vidéo. » (MK2 Multimédia – 2012) 151 Source : VG Chartz http://www.vgchartz.com/gamedb/?name=&publisher=&platform=PS&genre=&minSales=0&results=200 152 Source : Article « Si le jeu vidéo m’était conté », p. 76, Kevin Falcon et Erwan Cario, Tank, numéro #1, « Play Time. Communiquer à l’ère du jeu » (2012 - Editions : Télémaque)
42
permis aux joueurs d’échanger, de se défier, de partager leurs performances ou leurs univers, voire
une expérience commune en ligne. On retrouve cette idée de partage et d’expérience dans
l’advergaming, qui s’inspire du jeu vidéo et n’hésite pas à voguer sur les différentes tendances qui
font évoluer le secteur.
L’année 2000 fut également un évènement dans le monde du jeu vidéo avec la sortie de The
Sims153 : « il s’agit d’une simulation de vie centrée autour foyer installé dans une suburb cossue qu’il
faut aménager en cédant aux sirènes de la société de consommation » résument Tony Fortin et
Laurent Trémel dans Mythologie des Jeux Vidéo154. Ce jeu devint très vite un succès populaire,
attirant divers joueurs et joueuses de tous âges.
Ces dernières années ont également été marquées par des évolutions majeures dans le jeu vidéo,
tout d’abord avec la sortie de la Nintendo Wii : « En 2006, Nintendo abandonne la surenchère
technique à Sony et Microsoft et part à la recherche de ce qui fit son succès d’antan : le fun ! Un
virage esquissé par l’ancêtre Nintendo 64 […] la Wii va plus loin grâce à des titres très intuitifs et
conviviaux, jusqu’aux exercices de fitness personnalisés, pour séduire les derniers réfractaires au
jeu vidéo. »155.
Et l’on tient ici la principale évolution du jeu vidéo de ces 10 dernières années : Tout le monde
joue ! La démocratisation du jeu vidéo instaurée par Nintendo avec cette console permet de jouer à
plusieurs, surtout en famille. Ces jeux détectent la position de la manette « Wiimote » tenue par le
joueur, et permettent aux joueurs d’être plus actifs lorsqu’ils s’exercent sur cette console. De plus,
la campagne publicitaire de Nintendo pour la Wii n’hésite pas à présenter des familles (voire des
personnes âgées) jouer à cette console accessible à tous156. Julien Villedieu, Directeur Général du
Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV), commentait d’ailleurs l’évolution du profil type du joueur
lors de la Paris Gamification Day157 : « C’est la fin du stéréotype : Avant le joueur était plutôt geek,
masculin et jeune. Aujourd’hui tout le monde joue. Le joueur type est même une joueuse : 52% des
joueurs sont en fait des joueuses ! Et les moins de 18 ans ne représentent maintenant que 16% des
joueurs. » Le joueur type n’est donc plus un adolescent boutonneux et « geek », qui passe son
temps sur sa console. Le joueur type est un joueur occasionnel (ou casual gamer), il joue sur mobile
153 The Sims, développé par Maxis et édité par Electronic Arts, jeu de simulation de vie sorti en janvier 2000. Cf annexe 20 : The Sims 154 Source : p. 20, Mythologie des Jeux Video, Laurent Trémel et Tony Fortin, (2009 - Editions : Cavalier bleu) 155 Source : Magazine Trois Couleurs, p. 39 , « Games Stories. L’histoire secrète du jeu vidéo. » (MK2 Multimédia – 2012) 156 Cf annexe 20 : Publicité Wii 157 Source : Julien Villedieu lors de la conférence Paris Gamification Day le 5 juin 2012 au siège de Microsoft France (Issy-les-Moulineaux - organisée par Services Mobile)
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et de temps en temps sur d’autres supports : ordinateur, console de salon ou console portable.
L’âge moyen du joueur français est de 35 ans et il ne dépense en moyenne qu’un peu plus de 12€
par mois dans ce loisir158.
« On est passé d’un marché spécialisé à un marché de masse, hyper fragmenté. » conclut Julien
Villedieu. Selon lui « nous sommes vraiment à un point de rupture sans précédent sur le marché du
jeu vidéo »159 avec l’émergence du social gaming, du mobile gaming et l’arrivée de la télévision
connectée… De nouveaux équipements, de nouvelles interfaces et des innovations mises à
disposition des joueurs qui s’approprient rapidement ces nouvelles plateformes. Trois tendances
qui sont à éclaircir avant d’aller plus loin, afin de mieux comprendre l’éclosion de l’advergaming…
Commençons tout d’abord par le social gaming : « La pratique du jeu vidéo est devenue sociale »160
rappelle Julien Villedieu. On compte aujourd’hui près de 200 millions de joueurs sur Facebook, ces
derniers font le bonheur d’entreprises comme Zynga, éditeur de jeux vidéo sur les réseaux sociaux.
Ces entreprises profitent de l’attractivité de Facebook et de ses 800 millions d’inscrits pour
favoriser le développement de jeux dits « sociaux », c’est-à-dire des jeux qui incitent à l’interaction
avec les autres joueurs ou une communauté. Cette notion de social gaming définit aujourd’hui à la
fois les jeux présents sur les réseaux sociaux et les jeux qui exploitent des fonctions sociales,
comme le fait de pouvoir rentrer en contact avec d’autres joueurs ou de les inviter à participer à
une partie. Sur les réseaux sociaux, le meilleur exemple reste Farmville161, un jeu populaire
développé par Zynga dont le but est de gérer l’exploitation d’une ferme au quotidien. On observe
par ailleurs une nouvelle typologie de joueurs : les « créacteurs », joueurs impliqués générateurs
d’univers et de plateformes à travers de jeux comme Minecraft162, Little Big Planet163 ou
Trackmania164.
Analysons maintenant la seconde évolution évoquée par Julien Villedieu, celle du mobile gaming.
Fin 2011, on comptait près de 500 millions de smartphones dans le monde. Le développement des
applications sur Iphone a véritablement bouleversé la pratique du jeu mobile. La console portable
doit faire face à un concurrent de poids : « Lancé en 2007, le smartphone d’Apple et son catalogue
158 Source : Magazine Trois Couleurs , « Games Stories. L’histoire secrète du jeu vidéo. » (MK2 Multimédia – 2012) 159 Source : Julien Villedieu lors de la conférence Paris Gamification Day le 5 juin 2012 au siège de Microsoft France (Issy-les-Moulineaux - organisée par Services Mobile) 160 Ibid 161 Farmville, social game sur Facebook (2008 – édité par Zynga). 162 Minecraft sur Internet (Mojang – 2011) 163 LittleBigPlanet sur Playstation 3 (Sony – 2008) 164 Trackmania sur PC (Focus – 2003)
44
de titres particulièrement addictifs ont fait du jeu nomade un loisir partagé jusque dans les poches
de costume des gens sérieux. » commente David Elbaz dans Trois Couleurs165. Ainsi tout comme
Super Mario Bros était en son temps un « killer game », un jeu s’est établi en tant que « killer app »
sur Iphone, c’est-à-dire une application qui incite les consommateurs à acheter le support sur
lequel il est disponible : Angry Birds166. Ce jeu et ses déclinaisons ont atteint le milliard de
téléchargements en mai 2012 !
Tout le monde joue… partout ! Grâce au mobile, le jeu est associé à un objet du quotidien, le
téléphone, sur lequel on peut avoir accès à de nombreuses applications ludiques, pour certaines
gratuites. Une concurrence de choix pour les jeux vidéo publicitaires destinés au mobile…
La multiplicité des supports joue un rôle clé dans l’évolution de l’industrie vidéo-ludique, comme
nous le rappelle Karl Falcon : « le jeu vidéo s’invite désormais sur tous les écrans que nous
possédons. Tablette, TV, ordinateur, téléphone. Tout le monde peut jouer à son rythme, à sa
guise. »167 Cette multiplicité participe ainsi à la démocratisation du jeu dans son ensemble, même si
comme nous l’avons vu plus haut, l’activité ludique est variée. L’auteur poursuit : « Le jeu vidéo
prend aujourd’hui un aspect protéiforme. Il s’adapte au temps de jeu des uns et des autres. Vous
ne jouerez pas de la même manière et sur la même durée à Angry Birds ou Mass Effect. »168 Le jeu
protéiforme risque d’être la norme durant les prochaines années, surtout lorsque l’on analyse
l’évolution des différentes pratiques du jeu : de Kinect sur Xbox 360 où le corps devient manette, au
tactile de l’Iphone, en passant par le cloud gaming qui permet de jouer au même jeu à partir de
différents supports, elles ne cessent d’être innovées et de se renouveler.
L’industrie du jeu vidéo est donc vaste et se rapproche de plus en plus de celle du cinéma, qu’elle a
d’ailleurs dépassé en termes de chiffre d’affaires. En effet, le jeu vidéo est aujourd’hui l’industrie
culturelle la plus prolifique et représente un marché mondial de 33 milliards d’euros. Les 587
millions de jeux vidéo écoulés en 2008 ont également finit de convaincre les plus réfractaires
d’investir ce secteur. Le jeu vidéo s’est démocratisé, il constitue aujourd’hui une industrie très
lucrative et commence à attirer logiquement les professionnels du marketing, que ce soit pour
165 Source : Magazine Trois Couleurs , « Games Stories. L’histoire secrète du jeu vidéo. » (MK2 Multimédia – 2012) 166 Angry Birds sur smartphone (Rovio Mobile – 2010) 167 Source : Article « Si le jeu vidéo m’était conté », Kevin Falcon et Erwan Cario, Tank, numéro #1, « Play Time. Communiquer à l’ère du jeu » (2012 - Editions : Télémaque) 168 Ibid
45
promouvoir les nouvelles productions ou utiliser le jeu vidéo comme support publicitaire,
l’opportunité était trop belle…
2. De la publicité dans le jeu vidéo
Dès 1983, Pepsi s’impose en précurseur et ose détourner le jeu culte Space Invaders pour créer le
premier jeu publicitaire Pepsi Invaders169 sur Atari 2600. Le jeu (développé par Atari), reprenait le
même gameplay que l’original, la seule différence était qu’en lieu et place des envahisseurs (ou «
invaders »), le but du jeu consistait à tirer sur les lettres composant le nom de la marque Pepsi.
Ismaël Sow évoque ainsi les débuts de cette histoire entre publicité et jeu vidéo, en commençant
par l’advergame : « Il s’agit de jeux conçus dans le but d’être plus que des jeux mais aussi des
publicités à part entière. La publicité dans le jeu vidéo tire ainsi ses racines dans le mouvement des
jeux sérieux et s’est dans un premier temps, souvent matérialisée sous la forme d‘advergames
commandés par des marques »170. Cela ne dure qu’un temps avant que la publicité ne se tourne
vers le format de l’in-game advertising, la production de jeux publicitaires étant trop coûteuse sur
console…
In-game advertising
Dans son mémoire intitulé « La Publicité dans les jeux-vidéo : révolution ou impasse ? »171, Ismaël
Sow analysait déjà l’efficacité de la publicité in-game, et sur les raisons de son échec : « Pourquoi
un média tel que le jeu-vidéo, avec une si grande audience, et dont les avantages pour la publicité
ont été tant vantés, demeure malgré tout un canal publicitaire mineur ? »172 s’interroge-t-il. Ismaël
Sow nous rappelle que « la publicité dans le jeu vidéo s’est ensuite diversifiée pour englober une
pratique proche du placement publicitaire et qu’on appelle in-game advertising173. Il s’agit de
l’intégration de publicités, de symboles de marques ou de produits dans un jeu ou une production
ludique. L’expression in-game advertising est tout simplement l’association de la notion « in-game
» qui correspond à tout ce qui se déroule à l’intérieur du jeu, et d’advertising, publicité en anglais.
On peut ainsi traduire l‘in-game advertising par « la publicité dans le jeu ». Outre l’exemple de la
publicité pour Barack Obama intégrée au jeu Burnout Paradise évoquée dans l’introduction de ce
169 Cf annexe 21 : Pepsi Invaders 170 Ibid 171 Mémoire « La Publicité dans les jeux vidéo : révolution ou impasse ? » de Ismaël Sow – Master 2 Professionnel Option CTN, année 2010-2011 - CELSA Paris-Sorbonne – Ecole des Mines d’Alès 172 Ibid 173 Source : Mémoire « La Publicité dans les jeux vidéo : révolution ou impasse ? » de Ismaël Sow – Master 2 Professionnel Option CTN, année 2010-2011 - CELSA Paris-Sorbonne – Ecole des Mines d’Alès
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mémoire, nous pouvons citer de nombreux exemples, qui ont eu plus ou moins de succès. Tout
d’abord, il est nécessaire de préciser que la publicité dans le jeu est largement (et logiquement)
présente dans les jeux de sport comme FIFA 2011174, Madden NFL 2010175, ou encore NBA 2K11
dont la star est Michael Jordan, et où l’on trouve les produits de la marque Jordan tout au long du
jeu, en guise de récompenses pour les actions accomplies (aussi appelées « achievements »)176.
L’histoire de la publicité dans le jeu vidéo est celle d’un échec : l’in-game advertising n’a jamais su
s’imposer comme modèle de support publicitaire. « Planter des panneaux d’affichage dans un jeu
de course auto très rapides ne garantit pas une visibilité absolue, tant le joueur est concentré sur
son objectif, et non sur les éléments du décor. »177 rappelle Frédéric Roy. L’attention portée au jeu
n’est pas la même que celle portée à la publicité présente dans ce jeu. Le joueur est investi et
impliqué non pas dans la publicité, mais dans la partie qu’il est en train de réaliser. La pratique
commune de l’in-game advertising de rajouter des publicités dans les jeux qui requièrent
l’attention du joueur n’est donc pas la meilleure stratégie : « Faute de faire du jeu vidéo un terrain
d’expression de leur publicité, les marques se contentent d’apparaître dans les univers virtuels pour
donner plus de réalisme »178. Cependant, cela pose plusieurs problèmes et de nombreuses
contraintes aux joueurs, aux marques et même aux éditeurs :
Tous les jeux ne recherchent pas à tout prix le réalisme. Ils ne constituent donc pas un support
publicitaire adapté. Des milliers d’exemples sont possibles, reprenons simplement celui de Super
Mario Bros, une publicité dans ce jeu serait considéré comme un sacrilège par les joueurs : un
public exigeant et souvent réfractaire à la publicité et aux contenus commerciaux, ce qui explique
les relations compliquées entre publicité et jeux vidéo. « Les marques qui ont essayé de s’insérer à
l’intérieur des jeux ont eu du mal à se faire accepter par des utilisateurs occupés à tenter de gagner
leur partie plutôt que de se soumettre à des messages commerciaux. » selon Frédéric Roy dans
l’article « Publicité et Gameplay. Ce que la pub gagne au jeu »179.
174 Cf annexe 22 : In-game advertising FIFA 175 Cf annexe 23 : In-game advertising Madden NFL 176 Cf annexe 24 : NBA 2K11 avec Michael Jordan 177 Source : Article « Ce que la pub gagne au jeu » p.40, Frédéric Roy ,CB News, « La pub cherche son gameplay » (Juin 2012 – Dupuis Presse France) 178 Ibid, p. 40 179 Ibid, p. 39
47
Souvent comparé au cinéma, le jeu vidéo n’hésite pas à s’en inspirer comme espace publicitaire. Le
placement de produits est une autre pratique courante dans le jeu vidéo, notamment les jeux
automobiles comme Gran Turismo dans lequel on peut retrouver le concept car GT de Citroën180.
« Le jeu vidéo traditionnel est donc un support publicitaire décevant »181 ou alors cherche-t-il
encore la bonne formule… Non pas en tant que support publicitaire à proprement parler, mais
plutôt en tant que qu’intégrateur de marques au cœur même du jeu, soit dans son gameplay, soit
aux moments clé de l’expérience ludique.
Reward advertising
L’un de ces moments clé est celui où le joueur remporte une partie ou réussit une action dans le
jeu. Il constitue le meilleur moment pour une marque pour rentrer en contact avec le joueur.
Contrairement aux panneaux publicitaires ou placements de produits présents à différents endroits
du jeu, souvent dans le décor, le principe de reward advertising permet de récompenser le joueur
au moment où son attention est maximale. Le principal défaut de l’in-game advertising est de
reprendre le modèle de la publicité des autres médias, inadapté au jeu vidéo, qui pose toujours le
problème de l’attention publicitaire : le joueur est concentré sur son action, pas sur les publicités
qui l’entourent à l’intérieur du jeu. La récompense publicitaire passe outre ce problème
d’attention : le joueur vient de réussir une étape du jeu, il veut savoir ce qu’il a gagné. « Le fait de
transmettre une information via un jeu vidéo permet de toucher les utilisateurs dans un contexte
de concentration et de motivation forte. » rappelle Eugène Ernoult, fondateur du serious game
Babble Planet182.
Offrir une récompense réelle pour une action virtuelle semble donc un véritable avantage pour les
utilisateurs, et représente une véritable opportunité pour les marques. L’application Pizza Driver
reprend ce même principe nous explique Victor Sidoroff : « Pizza Driver est un jeu sur mobile où tu
gagnes ce pour quoi tu joues. Le but du jeu est de livrer le plus de pizzas possible sur un scooter, et
si tu gagnes on te livre une pizza, chez toi, où tu veux quand tu veux. »183
180 Cf annexe 25 : Concept GT by Citroën 181 Source : Article « Ce que la pub gagne au jeu » p.41, Frédéric Roy ,CB News, « La pub cherche son gameplay » (Juin 2012 – Dupuis Presse France) 182 Cf annexe 2 : Entretien exploratoire avec Eugène Ernoult, fondateur de Babble Planet 183 Cf annexe 2 : Entretien exploratoire avec Victor Sidoroff, fondateur de Pizza Driver.
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Le principe de récompense évoqué est aussi la base de l’entreprise Kiip184, créée par Brian Wong en
2010. Kiip propose aux marques d’offrir aux joueurs sur mobile des récompenses bien réelles pour
des actions accomplies en virtuel. Son slogan résume bien le positionnement de cette entreprise :
« Every achievement deserves a reward ! »185 Ainsi, le joueur est récompensé au moment de sa
réussite (achievement moment) via des bons de réduction ou d’autres petites attentions offertes
par les marques. L’intérêt pour ces dernières tourne encore autour de l’attention. Valoriser et
toucher le public au moment où il est ressent un sentiment fort afin d’être sûr que son attention
sera porté sur la marque. Cependant il est difficile de parler d’engagement dans ce cas précis. La
notion d’engagement, autre objet trivial pris et repris dans le langage actuel au point de perdre
tout son sens, correspond à l’acte par lequel un individu s’engage à accomplir quelque chose. Or
l’utilisateur ne prend en aucun cas parti et ne s’engage en rien avec ce type de dispositif, dans
lequel il reste passif et récepteur.
Preuve de l’engouement qui existe autour du reward advertising, Kiip a annoncé en février 2012
l’arrivée de Manny Anekal, ex-directeur de la publicité chez… Zynga ! L’émergence du mobile
explique en partie ce départ du leader des jeux sociaux, alors même que Zynga était accoutumé de
l’in-game advertising et du reward advertising. Dans le jeu social Farmville sur Facebook, on
retrouvait ainsi une ferme McDonald’s186, ainsi que des nouvelles fonctionnalités pour les joueurs
permettant d’améliorer leurs performances avec le McCafé Consumable qui permettait au fermier
d’être deux fois plus rapide.
3. Pourquoi le marketing investit le jeu vidéo
Voici comment le très convaincant fondateur de SCVNGR, Seth Priebatsch, qualifie le jeu video et la
couche ludique qui envahit notre société : “It’s actually about using dynamics, using forces, to
influence the behavior of where you are, what you do there, how you do it. That’s really really
powerful, and it’s going to be more important than the social layer. It’s going to affect our lives
more deeply and perhaps more invisibly.”187 La tendance est au jeu. C’est une tendance forte et
indéniable qui a su se développer à toutes les tranches de la société. Ainsi le jeu vidéo est devenu
184 Site de Kiip consulté le 10 août 2012 : http://www.kiip.me/ 185 Traduction : « Chaque réussite mérite une récompense. » 186 Cf annexe 26 : Mcdonald’s dans Farmville 187 Conférence de Seth Priebatsch - The game layer on top of the world (TedX Boston - Août 2010) : http://www.ted.com/talks/seth_priebatsch_the_game_layer_on_top_of_the_world.html Traduction : « C’est le fait d’utiliser des dynamiques, des forces, d’influence le comportement d’où vous êtes, ce que vous y faites et comment vous le faites. C’est vraiment puissant et cela risque d’être encore plus important que la couche sociale. Cela va affecter nos vies plus profondément et peut-être de manière plus invisible. »
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une pratique populaire grâce à sa démocratisation. Tout le monde joue, partout. Le développement
de nombreux jeux en ligne et sur mobile ont permis aux jeux de devenir pratique courante que ce
soit dans les transports en commun, au bureau ou à domicile. Le jeu vidéo représente donc une
opportunité, un moyen supplémentaire pour les marques de toucher leur public, surtout celles
dont la cible est la plus difficile à capter : les jeunes. Les individus âgés entre 15 et 25 ans passent
progressivement de moins en moins de temps devant leur télévision, et de plus en plus sur Internet
ou sur leur mobile. C’est l’une des raisons de l’émergence du brand content : les marques tentent
d’attirer vers elle un public qui n’est pas soumis à la publicité.
L’advergame est justement un dispositif proposé en ligne par les marques, sur ordinateur ou sur
mobile. Il permet de répondre au problème de l’attention publicitaire en reprenant les mécaniques
du jeu vidéo, tout en l’adaptant à un univers de marque. Le jeu participe à l’engagement de
l’utilisateur par l’interactivité et l’expérience qu’il propose.
De plus, le jeu vidéo est réputé pour sa capacité d’addiction. Certains jeux incitent en effet leurs
utilisateurs à jouer de manière continue ou répétée, de manière fréquente, afin de progresser au
mieux. C’est le cas de jeux de rôle comme World of Warcraft où le joueur doit faire évoluer son
personnage et participer à des combats en équipe en ligne. Olivier Gatelmand, fondateur de
Flagfriend, revient d’ailleurs sur le temps passé en ligne par certains joueurs : « Il faudrait comparer
les temps de jeux moyens passés par les joueurs de Tetris, d'Angry Birds, de World of Warcraft et
de Flagfriend »188. Il sous-entend ainsi que le temps passé à jouer par les joueurs les plus assidus sur
des jeux comme World of Warcraft est bien supérieur à celui passé sur Flagfriend, un casual game
beaucoup moins addictif.
Le jeu vidéo est une activité libre et choisie (sauf dans le cadre d’une addiction), alors que la
publicité est subie par l’individu. Dans le jeu, l’utilisateur est actif, face à la publicité il devient
passif. Attirer cet utilisateur par l’intermédiaire d’un jeu publicitaire est un acte généreux de la part
des marques : elles produisent des contenus interactifs et ludiques de bonne qualité pour le mettre
à disposition des utilisateurs gratuitement. De ce fait, l’advergaming représente également une
véritable opportunité pour les utilisateurs. Si le jeu est de qualité et gratuit, le joueur a tout intérêt
à y prend part afin de passer un moment agréable.
188 Cf annexe 2 : Entretien exploratoire avec Olivier Gatelmand, fondateur de Flagfriend.
50
Autre raison d’investir le jeu vidéo pour les marques, cette activité serait créatrice de liens et
d’attachement : « on aime mieux les gens après avoir joué avec eux »189 confirme Jane McGonigal,
qui ne manque pas d’arguments pour tenter de nous convaincre que les jeux vidéo représentent
l’avenir. « The game industry expects one billion more gamers in the next decade. It will bring us up
to 1.5 billion gamers. »190, une bonne raison de s’intéresser de plus près aux jeux vidéo pour les
marques donc…
Pourquoi le jeu vidéo est-il si addictif ? Par quels mécanismes ce dispositif réussit-il à faire participer
l’utilisateur, et dans quelle mesure les marques se l’approprient-elles ? Comme nous venons de le
voir, les enjeux de l’advergame sont variés et mènent les marques à s’intéresser à ce dispositif dans
un contexte de gamification, tendance que nous allons analyser maintenant.
L’advergaming, vers une expérience de marque différente et B)participative
« C’est inévitable : bientôt nous serons tous des joueurs ! » confiait le journaliste spécialisé en jeux
vidéo, Rob Fahey dans le Times191. Il semblerait que les marques l’aient entendu à voir le nombre
de jeux publicitaires diffusés en ligne depuis quelques années. Magnum Pleasure Hunt, Run Puma
Run, Mini Maps, Twitter Scrabble : autant de jeux proposés aux internautes qui composent notre
corpus d’advergames. C’est à partir de ce corpus que nous allons analyser l’influence du jeu vidéo
sur le comportement de l’utilisateur/consommateur et comprendre en quoi l’advergame est un
dispositif interactif permettant de créer une relation entre marques et consommateurs. Avant cela,
il est indispensable de revenir sur la tendance forte qui a permis l’émergence de l’advergaming,
celle de la gamification.
1. Gamification : analyse d’une tendance
Définition de la gamification
Nous avons défini dès l’introduction de ce mémoire le terme de gamification afin d’éviter toute
confusion avec les autres notions telles que l’advergaming ou les serious games, expressions
empruntées à la langue de Shakespeare qui ne trouvent pas forcément de traduction très heureuse
en français. Rappelons ici que nous avions statué que la gamification pouvait être définie comme
189 Conférence de Jane McGonigal - Gaming can make a better world (TED - Février 2010) : http://www.ted.com/talks/jane_mcgonigal_gaming_can_make_a_better_world.html Traduction : « L’industrie vidéo-ludique attend un milliard de joueurs en plus lors de la prochaine décennie. Ce qui donnerait 1,5 milliard de joueurs. » 190 Ibid. 191 It's inevitable: soon we will all be gamers, article de Rob Fahey dans le Times, le 7 juin 2008.
51
l’extension des mécanismes issus du jeu vidéo dans le réel ou à toute autre sphère externe au
milieu vidéo-ludique. Allons maintenant un peu plus loin avec une définition plus complète, comme
celle d’Olivier Mauco, Docteur en sciences politiques, spécialité jeux vidéo à l’Université Panthéon
Sorbonne (Paris I) : « la gamification est une captation des pratiques existantes par un dispositif
numérique utilisant les spécificités médiatiques du jeu vidéo pour réorganiser le rapport à
l’environnement selon les capacités d’action de l’utilisateur. » Cette définition replace ainsi
l’utilisateur au centre du processus de gamification puisque c’est de ses capacités que s’inspirent
les pratiques gamifiées. Sans l’utilisateur, pas d’interaction sous-entend Olivier Mauco. De plus, la
gamification est dépendante des supports utilisés par le joueur et de l’environnement dans lequel
un dispositif est mis en place.
Citons maintenant quelques exemples afin de mieux comprendre la gamification. Tout d’abord
Babble Planet192, un jeu social destiné aux enfants de 8 à 10 ans souhaitant apprendre l’anglais. Ce
jeu pédagogique, que l’on peut qualifier de serious game, a été développé à partir des mécaniques
du jeu vidéo afin que l’enfant soit plus investi et intéressé que lorsqu’il est à l’école. La promesse de
cette application est simple : « Babble Planet est un jeu éducatif pour apprendre l’anglais en
s’amusant » et donc rendre ludique une pratique qui ne l’est pas forcément. Eugène Ernoult son
fondateur revient pour nous sur la définition du serious game : « L'objectif du jeu n'est pas
uniquement de divertir mais également de toucher ces utilisateurs dans un univers ludique. »193 On
retrouve ici des similitudes avec les objectifs de l’advergame. Il rappelle également à quel point il
est important de savoir concilier pédagogie et ludique afin d’être efficace: « Dans le cadre de
Babble Planet, nous cherchons à obtenir un mélange parfait entre jeu vidéo et contenu éducatif
afin de motiver les enfants à apprendre l'anglais et leur montrer l'intérêt de cet apprentissage. »194
Si l’éducatif réussit à s’allier au jeu dans un serious game, la marque doit réussir à s’intégrer au
mieux dans un environnement ludique dans un advergame.
Voici maintenant le point de vue d’Eugène Ernoult sur la gamification : « L'utilisation de
mécanismes de jeu dans l'éducation existe depuis très longtemps. L'arrivée des nouvelles
techniques ouvrent simplement de nouvelles possibilités pour assurer un apprentissage de qualité
192 Babble Planet, serious game développé par The FWA, disponible sur l’App Store depuis mars 2012 et sur le site http://www.babbleplanet.com/fr/, consulté le 11 juin 2012. 193 Cf annexe 2: Entretien exploratoire avec Eugène Ernoult, fondateur de Babble Planet 194 Ibid.
52
et motivant. »195 Lors de la Paris Gamification Day, il avait également déclaré : « L’école est en
quelque sorte le premier système de gamification, on reçoit des bons points, des notes, pour
passer dans une nouvelle classe chaque année, comme un niveau supérieur. »196 L’occasion pour
nous de faire un point sur les différences entre gamification, pointification, badgification. Autant de
notions qui peuvent sembler floues, d’autant que les frontières entre chacune d’entre elles sont
assez minces. A mon sens, l’ensemble de ces notions ont été inventées pour définir des pratiques
qui existaient déjà depuis quelques années sans porter de noms. Ce qu’il est intéressant de noter,
c’est que ces notions sont autant de dispositifs fonctionnels à analyser pour ce mémoire, car elles
permettent de mieux appréhender l’advergaming.
Si nous nous appuyons sur l’exemple de l’école, les élèves sont soumis à un système de « bons
points » ou d’images récompensant leurs comportements ou leurs bonnes notes. Cependant, cette
pratique correspond davantage à la notion de pointification selon moi, puisque le jeu se limite à
accumuler des points ou des notes pour faire progresser l’enfant. De manière générale, ce mot
désigne le processus par lequel le système de points ou de classement est adopté dans d’autres
domaines que celui du jeu. L’un des exemples les plus connus reste bien sûr le système des cartes
de fidélité permettant de cumuler des points afin d’obtenir une réduction, un cadeau ou toute offre
de produits. La Carte S’Miles SNCF permet par exemple de cumuler des points lors d’achats dans
des enseignes partenaires comme les Galeries Lafayette, Monoprix ou encore Casino, dans le but
d’obtenir des réductions sur les billets de train SNCF. Plus vous cumulez de S’Miles, plus le montant
des réductions est élevé197.
Autre notion, autre nouveau mot, la badgification s’est développé comme une pratique issue de la
gamification. C’est un principe ludique reposant sur l’attribution de badges aux utilisateurs lorsque
ces derniers ont accompli une mission ou atteint leur objectif. La plus célèbre application de
badgification reste à ce jour Foursquare198, un service de géolocalisation où les utilisateurs peuvent
se « check-in » dans de nombreux endroits à travers le monde afin de remporter différents badges.
Le jeu repose sur la participation des utilisateurs qui peuvent créer eux-mêmes des lieux où se géo-
localiser. Conçu comme un réseau social, l’application compte 25 millions d’utilisateurs qui peuvent
195 Ibid. 196 Source : Eugène Ernoult lors de la conférence Paris Gamification Day le 5 juin 2012 au siège de Microsoft France (Issy-les-Moulineaux - organisée par Services Mobile) 197 Site de la carte Smiles : https://www.smiles.fr/, consulté le 10 octobre 2012. 198 Foursquare, application mobile éditée par Foursquare Labs, disponible sur Itunes et Android Market depuis mars 2009. Site de Foursquare : https://foursquare.com, consulté le 10 octobre 2012.
53
ajouter leurs amis sur la plateforme et les concurrencer au quotidien. En effet, Foursquare propose
également un classement comptabilisant les points de chaque utilisateur au sein d’un même réseau
d’amis. L’intérêt du jeu repose sur la collection de badges et sur l’attribution du titre de « Maire »
qui revient à l’utilisateur se localisant de la manière la plus assidue et régulière dans un lieu.
Potentiellement, Foursquare reste une application ludique et addictive exploitable par les marques.
Starbucks a d’ailleurs créé un badge unique, le « Barista Badge » attribué aux clients les plus
assidus199. D’autres marques comme Walmart aux Etats-Unis ont par ailleurs proposé des
opérations permettant de remporter des réductions en magasin via un check-in sur Foursquare
mais l’utilisation en France reste limitée.
Les points et les badges sont autant de mécaniques inspirées des jeux vidéo que l’on retrouve
également dans la gamification. On peut donc également les retrouver dans les serious games, ces
jeux intégrés dans des domaines externes au monde du jeu vidéo : santé, éducation, défense,
finance, ingénierie. Les objectifs de ces jeux sont avant tout de former, d’informer, d’entraîner ou
de communiquer auprès des utilisateurs. L’exemple donné en introduction de ce mémoire était
celui d’America’s Army200, ce jeu en ligne développé par l’armée américaine afin de recruter de
nouveaux soldats. Le principe est simple : les meilleurs joueurs au classement sont contactés par
l’armée pour la rejoindre. On constate une fois encore l’efficacité du tableau de score avec la
réussite de ce serious game. Gabe Zichermann ajoute d’ailleurs “Despite their simplicity,
leaderboards are a highly effective and affordable way to create a funware experience around a
business objective.”201 Funware étant un synonyme de gamification pour l’auteur…
Une fois définie, il nous reste à comprendre comment a pu émerger cette tendance de la
gamification, la principale cause étant que la « réalité est cassée ».
2. Emergence de la gamification : La réalité est cassée, les jeux peuvent la réparer.
Dans son livre intitulé Reality is broken. Why games make us better and how they can change the
world202, Jane McGonigal constate que l’émergence des pratiques vidéo-ludiques en dehors du seul
domaine du jeu vidéo s’explique par le fait que « compared with games, reality is broken. »203 Tout
199 Source : Site de Foursquare : https://fr.foursquare.com/starbucks, consulté le 10 octobre 2012. 200 America’s Army, développé par US Army et Ubisoft, sorti le 4 juillet 2002 sur le site http://www.americasarmy.com/ et consulté le 10 juin 2012. 201 Source : p.62, Game-Based Marketing, Gabe Zichermann et Joseph Lindler (2008 – Editions : Wiley). Traduction : « Malgré leur simplicité, les leaderboards constituent une façon très efficace et abordable de créer une expérience gamifiée autour d’un objectif commercial. » 202 Reality is broken. Why Games Make Us Better and How They Can Change the World, Jane McGonigal (2010 – Editions : Penguin Press). 203 Ibid. p.3. Traduction : « la réalité, comparée aux jeux, est cassée. »
54
d’abord elle établit le même constat que celui réalisé plus haut dans ce mémoire : tout le monde
joue. Et la tendance ne risque pas de s’arrêter puisque comme le précise l’économiste Edward
Castronova, il y a un exode massif vers les espaces ludiques. Jane McGonigal est Director of Game
Research and Development à L’Institut pour le Futur (IFTF), elle est considérée comme l’une des
plus grandes expertes en termes de pratiques vidéo-ludiques. Cependant, nous ne manquerons pas
de prendre du recul par rapport à quelques-unes de ses affirmations, parfois évangélistes. Le fait
est que la réalité ne permet pas de combler les besoins de millions de joueurs à travers la planète.
Dès l’introduction de son livre, l’auteure explique que les jeux permettent d’attribuer des
récompenses, ils nous inspirent, nous engagent et nous rassemblent bien au-delà de ce que permet
la réalité. Les jeux rendent la vie supportable pour la plupart des joueurs, car ils apportent ce que la
réalité ne peut pas leur apporter : un pouvoir, un équilibre, un monde meilleur parfois. Les jeux
vidéo permettraient donc de résoudre cette fracture… Attention à ne pas confondre les jeux vidéo
– vus ici comme une solution – avec un refuge où les joueurs tenteraient de s’éloigner de la réalité.
C’est en effet l’inverse qui se produit avec la gamification puisque le jeu s’invite dans les pratiques
existantes afin de les faire devenir plus engageantes, plus captivantes.
Cependant, un élément du vocabulaire utilisé ici reste à définir concrètement afin d’avancer dans
l’analyse : qu’est-ce qu’un jeu ? En 1957, Roger Caillois s’essayait à une définition du jeu dans
l’ouvrage Les jeux et les hommes204. Selon lui, le jeu est avant tout une activité « libre et
volontaire » : l’activité doit être choisie pour conserver son caractère ludique. Sur ce point, il
semble évident que le jeu ne peut pas être forcé, ce qui lui retirerait tout ludique. On peut ici voir
une différence avec la notion de « travail » qui est, elle, une activité exercée sous la contrainte
(financière, sociale). Le jeu est également « incertain » dans le sens où son issue n’est pas connue à
l’avance par les participants. Dans le cas contraire, on peut alors parler de tricherie. Ensuite, Roger
Caillois définit le jeu comme une activité « improductive » qui ne produit ni biens, ni richesses. Ce
point ne s’appliquer pas au jeu vidéo car selon moi la gamification peut par définition être un
moyen de créer des biens ou des richesses de manière ludique si on l’applique à des secteurs
comme l’industrie. Par contre, il n’y a aucun doute sur le point suivant donné par l’auteur : l’activité
ludique est « réglée », c’est-à-dire qu’elle est soumise à des règles indépendantes de celles qui
s’appliquent d’ordinaire. Enfin, le jeu est une activité « fictive », qui se détache de la réalité. Cette
204 Les jeux et les hommes, Roger Caillois, (Editions Gallimard - 1957)
55
affirmation s’applique aux jeux vidéo classiques mais ne peut en aucun cas être définir un serious
games, ancrés dans la réalité.
De cette définition de Roger Caillois, nous retiendrons ici que le jeu est donc une activité libre et
volontaire, dont l’issue est incertaine et qui est régie par des règles. En ce sens, cette première
approche compte de nombreux points communs avec la définition donnée par Jane McGonigal :
« all games share four defining traits : a goal, rules, a feedback system, and voluntary
participation. »205 Le but est un résultat spécifique que les joueurs vont tenter d’atteindre. Les
règles sont les limites que les joueurs doivent respecter pour atteindre ce but. Enfin, la participation
volontaire est un corollaire de l’activité ludique. Un seul point en suspens : le système de retour
consiste à dire aux joueurs à quel point ils sont prêts d’atteindre leur but. Cela peut prendre la
forme de scores, de niveaux ou de barre de progression, et s’applique presque uniquement aux
jeux vidéo.
Ces deux approches nous permettent de mieux comprendre le terme de gamification, mais
ignorent un élément primordial pour l’analyse de l’advergame : celui de l’interactivité. Point que
n’a pas omis Etienne Armand Amato dans sa définition du jeu lorsqu’il introduit la notion d’un
« informatique interactif » avant d’aborder une définition plus complète qui rejoint sur de
nombreux points celles citées précédemment : « le jeu envisagé comme phénomène engageant […]
est un phénomène artificiel et normatif, problématique et finalisé, qui lui attribue rôles, fonctions
et responsabilités. »206
Ce Docteur en sciences de l’information et communication poursuit sa définition en abordant la
notion d’accomplissement symbolisant la quête du joueur, le but à accomplir : « L’incomplétude
structurelle de cette activité tend vers un état de complétude ultime avec le but prioritaire qui
légitime cette dynamique. »207 Puis il revient sur la nature incertaine du jeu, qu’il considère comme
évolutif et original en précisant que l’originalité est la norme dans le jeu vidéo : « Incertain quant à
son déroulement, et/ou son issue, ce processus informationnel est intégratif. Il structure la spatio-
temporalité d’un microcosme symbolique et original, autonome et évolutif. »208 Il y a donc bien un
205 p.21 Reality is broken. Why Games Make Us Better and How They Can Change the World, Jane McGonigal (2010 – Editions : Penguin Press). Traduction : « Tous les jeux partagent quatre traits distinctifs : un but, des règles, un système de retour, et une participation volontaire. » 206 Source : Soutenance de thèse « Le jeu vidéo comme dispositif d’instanciation. Du phénomène ludique aux avatars en réseau », Etienne Armand Amato, Docteur en sciences de l’information et de la communication (Paris 8 – 2008) 207 Ibid. 208 Ibid.
56
monde virtuel détaché du réel, autonome en ce sens qu’il est un microcosme où se produisent des
actions.
« Il fait sens pour qui le met en œuvre en toute conscience, au moyen d’un système de
communication ouvert, codifié et adéquat. »209 Etienne Armand Amato évoque enfin la vocation
communicationnel du dispositif régit par des règles.
Il devient maintenant nécessaire d’aller plus loin dans la comparaison entre jeu vidéo et réel pour
mieux comprendre la gamification. Pour se faire, Jane McGonigal n’hésite pas à citer le philosophe
Bernard Suits afin d’expliquer l’attrait du jeu par rapport à la réalité : « Playing a game is the
voluntary attemps to overcome unnecessary obstacles. »210 Elle en fait son premier point
déterminant dans l’émergence de la gamification : « Compared with games, reality is too easy.
Games challenge us with voluntary obstacles and help us put our personal strengths to better
use. »211 En effet, le joueur choisit volontairement de surmonter des obstacles, de se rendre la
tâche plus difficile par rapport à la réalité. Tout ceci dans un seul but : trouver un équilibre entre
l’ennui et l’anxiété.
Le psycho-sociologue Mihály Csíkszentmihályi est l’un des auteurs les plus repris par les chercheurs
spécialisés dans les jeux vidéo. Cité dans de nombreux ouvrages explorés lors de mes recherches,
cet auteur est en effet considéré comme l’un des plus grands chercheurs sur la psychologie
positive. Il a notamment élaboré ce que l’on appelle le concept du flow dont le schéma est en
annexe de ce mémoire212. Le flow est un état mental entre l’ennui et la frustration, la difficulté et le
plaisir. Mihály Csíkszentmihályi définit le flow comme : « the satisfying, exhilarating feeling of
creative accomplishment and heightened functioning. »213 Selon lui, la vie quotidienne manque
cruellement de flow alors qu’il est omniprésent dans les jeux et activités ludiques. « Games are an
obvious source of flow and play is the flow experience par excellence. »214 affirme l’auteur. La
solution au bonheur serait donc de structurer notre travail, notre vie quotidienne comme un jeu… Il
s’agit là de l’essence même de la gamification.
209 Source : Soutenance de thèse « Le jeu vidéo comme dispositif d’instanciation. Du phénomène ludique aux avatars en réseau », Etienne Armand Amato, Docteur en sciences de l’information et de la communication (Paris 8 – 2008) 210 Ibid. p.22 Traduction : « Jouer à un jeu est une tentative volontaire de surpasser des obstacles inutiles » 211 Ibid. p.22. Traduction : « Comparée aux jeux, la réalité est trop facile. Les jeux nous défient avec des obstacles volontaires et nous aident à mettre à profit nos forces personnelles pour un meilleur usage. » 212 Cf annexe 27 : Schéma du flow, concept de Mihály Csíkszentmihályi 213 Beyond Boredom and Anxiety: Experiencing Flow in Work and Play, Mihály Csíkszentmihályi (Editions : Jossey-Bass – 2000). Traduction : « le sentiment satisfaisant et encourageant d’accomplissement cré ative et d’intense fonctionnement. » 214 Ibid. p.37. Traduction : « Les jeux sont une évidente source de flow et l’action de jeu est l’expérience du flow par excellence. »
57
Le flow est un état mental que le joueur ne veut pas quitter, pour ne pas être frustré ou pour ne pas
s’ennuyer. Tout l’intérêt du jeu repose donc sur le fait de maintenir le joueur dans cet état de flow.
Un bon jeu est un jeu qui réussit à trouver la bonne combinaison entre la difficulté, le stress et les
obstacles imposés au joueur, et qui fait appel à des compétences précises afin de le valoriser. Il
s’agit du deuxième point d’ancrage de la gamification selon Jane McGonigal, l’activation
émotionnelle : « Compared with games, reality is depressing. Games focus our energy, with
relentless optimism, on something we’re good at and enjoy. »215
Enfin, elle cite quatre autres points qui expliquent le succès de la gamification :
- “More satisfying work”: “Games give us clearer missions and more satisfying, hands-on
work.”216 Le jeu nous rend plus satisfait de ce que nous avons accompli, contrairement à la
réalité ou l’individu est moins valorisé et récompensé dans sa vie quotidienne.
- “Better hope of success”: “Games eliminate our fear of failure and improve our chances for
success.”217 Le jeu retire le stress lié à l’enjeu, ce qui accroît les chances de succès.
- “Stronger social connectivity”: “Games build social bonds and lead to more active social
networks.”218 Contrairement aux idées reçues, le jeu peut-être un facteur de
développement social, un moyen de se connecter avec d’autres personnes partageant les
même centres d’intérêt, afin de construire quelque chose ensemble. L’exemple le plus
probant est le jeu World of Warcraft qui réunit en équipe des joueurs à travers le monde,
afin de réaliser ensemble une mission commune.
- “Epic scale”: “Games makes us part of something bigger and give epic meaning to our
actions.”219 Le jeu dépasse la réalité dans le sens où le joueur peut réaliser des choses
impossibles et participer à des aventures héroïques auxquelles il n’aura jamais accès dans la
vraie vie. Ce point rejoint d’ailleurs l’idée de rêve et la passerelle entre publicité et jeu vidéo
que nous avons mentionné plus haut dans ce mémoire.
215 p.38 Reality is broken. Why Games Make Us Better and How They Can Change the World, Jane McGonigal (2010 – Editions : Penguin Press). Traduction : « Par rapport aux jeux, la réalité est déprimante. Les jeux concentrent notre énergie avec un optimisme implacable sur quelque chose où nous sommes bons et que nous aimons. » 216 Ibid. p.55. Traduction : « Un travail plus satisfaisant : Les jeux nous donnent des missions plus claires et un travail plus satisfaisant.» 217 Ibid. p.68. Traduction : « Un meilleur espoir de réussite : les jeux éliminent notre peur d’échec et augmentent nos chances de success. » 218 Ibid. p.82. Traduction : « Une connectivité sociale plus forte : les jeux construisent des liens sociaux et mènent à des réseaux sociaux plus actifs. » 219 Ibid. p.98. Traduction : « Une aventure épique : les jeux nous permettent de faire partie de quelque chose plus grand et donnent un sens épique à nos actions. »
58
En nous livrant ainsi les clés de la gamification, Jane McGonigal nous ouvre les portes de
l’advergaming, sujet de ce mémoire. Voyons maintenant quel est l’intérêt des marques de
s’approprier ce dispositif, et quel est l’intérêt pour les joueurs d’utiliser cet outil.
3. Advergaming : définition et enjeux
“The future of marketing is games, and it starts today” 220 osait avancer Gabe Zichermann en
introduction de son ouvrage Game-based marketing. Nous allons maintenant lui donner raison à
travers l’exemple de l’advergaming.
Proposons tout de suite une définition complète du sujet d’étude : l’advergame est un dispositif
interactif à vocation publicitaire reprenant les mécaniques du jeu vidéo au service d’une ou plusieurs
marques, afin de faire vivre une expérience à l’internaute dans l’univers de celle(s)-ci.
L’advergaming désigne ainsi plus simplement l’ensemble des pratiques qui concernent les jeux
vidéo publicitaires. Analysons un instant la définition donnée ci-dessus, et commençons par
décrypter cette première affirmation « l’advergame est un dispositif interactif ». L'interactivité est
une activité nécessitant la coopération d’un ou plusieurs utilisateurs avec un système naturel ou
artificiel. Les deux entités, utilisateurs et systèmes, agissent en ajustant leur comportement en
fonction des actions de l’autre. Dans notre cas, le joueur coopère avec le jeu vidéo publicitaire mis à
sa disposition, et ajuste bien son comportement en fonction des retours que lui fait le jeu. On parle
alors de feedback : une action en retour d’un message. A l’inverse, le dispositif vidéo-ludique
s’adapte aux actions du joueur afin de le faire avancer et évoluer dans le jeu. L’advergame est donc
bien un dispositif interactif au sens propre du terme.
Cependant, s’il y a bien interactivité dans le jeu vidéo publicitaire, force est de constater qu’il n’y a
pas forcément interaction : le joueur agit sur le jeu, le jeu n’agit pas sur le joueur. L’action n’est
donc pas réciproque. Sauf si l’on dépasse le point de vue seul de l’expérience proposé par
l’advergame et que l’on rentre dans le second point de notre définition qui concerne sa « vocation
publicitaire ». En effet, si le joueur agit sur le jeu et qu’en retour le jeu communique un message et
fait agir l’utilisateur, alors il semble y avoir interaction… Mais c’est une interaction indirecte car
l’action n’est pas réciproque sur l’instant, elle a lieu bien plus tard et comme en publicité, il est
difficile de prouver l’influence d’un message sur l’action d’un consommateur.
220 Source : p.7, Game-Based Marketing, Gabe Zichermann et Joseph Lindler (2008 – Editions : Wiley). Traduction : « L’avenir du marketing est les jeux, et cela commence aujourd’hui. »
59
Il est donc préférable de se concentrer sur la notion d’interactivité qui est parfaitement adapté à
notre sujet d’étude, plutôt que celui d’interaction, qui serait employé à mauvais escient.
Revenons maintenant sur la vocation publicitaire de l’advergame, il s’agit là du véritable enjeu de
ce dispositif dont la valeur communicationnelle est très importante pour les marques. Tout d’abord,
citons ici Etienne Armand Amato, Docteur en sciences de l’information et de la communication à
l’Université de Paris 8. Dans sa thèse intitulée « Le jeu vidéo comme dispositif d’instanciation. Du
phénomène ludique aux avatars en réseau », il confirme d’ailleurs le double statut du jeu : « le jeu
est à la fois un média en tant qu’il sert de support à un auteur désireux de faire vivre une
expérience de communication particulière qu’expérimenteront les joueurs et d’une matrice qui
produit des sous-messages par définition variables et imprédictibles : les parties du jeu. »221 La
marque utilise donc le jeu comme média pour communiquer un message autant que comme objet
original et interactif.
Nous ne le répéterons jamais assez, tout le monde joue aux jeux vidéo ! Potentiellement, une
marque peut donc toucher une large cible de communication par l’intermédiaire d’un jeu vidéo
publicitaire. Tout le monde joue et tout le monde en parle ! L’article « Vers un monde où tout
devient jeu » paru dans le magazine Sciences & Vie vient une nouvelle fois le confirmer : « Les jeux
simples, accessibles, gratuits ont été ces dernières années, grâce à la diffusion massive des
téléphones portables et des réseaux sociaux, les véritables ambassadeurs du jeu, notamment
auprès des publics féminin et âgé, qui lui étaient jusque-là réfractaires. Désormais tout le monde
joue, à toute heure, en tout lieu. »222 L’advergame en ligne ou sur application mobile est donc un
moyen simple et attractif pour les marques de toucher les consommateurs. Ensuite, le jeu vidéo
transmet un message de par l’univers proposé aux joueurs, le plus souvent un univers de marque
(autre point clé de notre définition). Cela permet à une marque de transmettre le message dans les
meilleures conditions, et sans contrainte de forme (contrairement à la radio, la télévision ou la
presse). De plus, l’advergame résout le problème de l’attention publicitaire que nous avons évoqué
dans la première partie de ce mémoire. Le joueur est beaucoup plus réceptif dans le cadre d’un jeu
auquel il a choisi de jouer, et dans lequel il est actif. Un message peut ainsi être transmis de
manière implicite (simplement avec la représentation des codes de la marque) soit à la fin du jeu
221 Source : Soutenance de thèse « Le jeu vidéo comme dispositif d’instanciation. Du phénomène ludique aux avatars en réseau », Etienne Armand Amato, Docteur en sciences de l’information et de la communication (Paris 8 – 2008) 222 Source : p.122, Sciences et Vie décembre 2011, numéro 1131 (Editions Mondadori France)
60
lorsque l’utilisateur est le plus à l’écoute, après avoir accompli quelque chose. C’est la théorie de
l’achievement moment que nous avons abordé avec l’exemple de Kiip.
Enfin, l’advergame est un dispositif « reprenant sur les mécaniques du jeu vidéo » et dont l’intérêt
est de faire vivre une « expérience à l’utilisateur ». Ainsi, le joueur est beaucoup plus impliqué dans
la relation entretenue avec la marque, notamment car le jeu vidéo est vecteur d’émotion positive
et créateur relationnel. Deux individus qui ne se connaissent pas s’apprécieront davantage dès lors
qu’ils auront joué ensemble à un jeu vidéo, tout simplement car ils auront partagé une expérience
commune permettant de les rapprocher. « People don’t play to win, they play… to play! They enjoy
playing! »223 nous rappelle Gabe Zichermann. Tout le monde ne joue pas forcément pour gagner
mais parce que nous aimons jouer et que cela conditionne notre manière d’appréhender le jeu
vidéo, un dispositif virtuel qui nous permet de ressentir des sensations bien réelles. Voire plus…
Jane McGonigal résume la valeur positive du jeu de manière très simple : « Games make us
happy. »224 Le jeu véhicule des émotions positives car l’utilisateur réalise quelque chose, quelque
chose de bien plus grand parfois que dans son travail ou dans sa vie quotidienne. Il est satisfait de
ce qu’il réalise, même si cela reste virtuel. Par ailleurs, lorsque le joueur se situe dans l’état de flow
que nous avons décrit plus haut, l’expérience n’est que plus bénéfique.
Au sujet de l’interactivité dans le jeu vidéo, Etienne Candel, Maître de Conférence au CELSA,
rappelait également en préambule de son cours sur l’interaction et l’interactivité que l’on ne va
« jamais qualifier quelque chose d’interactif d’un point de vue négatif ».
L’interactivité est donc créatrice d’une relation unique entre marque et utilisateur à travers le jeu
vidéo, une relation qui repose sur des émotions positives, et sur laquelle la marque peut investir
afin de recruter ou fidéliser des consommateurs. Le dispositif interactif que représente l’advergame
trouve donc tout son sens dans cette définition qui met en avant sa vocation publicitaire et
l’expérience dans un univers de marque. Reste à savoir quel intérêt il représente pour la marque, et
d’un autre côté pour l’utilisateur, ce que nous allons analyser avec de nombreux exemples, à
commencer par une analyse sémantique de l’advergame Magnum Pleasure Hunt 2.
223 Source : p.25, Game-Based Marketing, Gabe Zichermann et Joseph Lindler (2008 – Editions : Wiley). Traduction : « Les gens ne jouent pas pour gagner, ils jouent… pour jouer ! Ils prennent du plaisir à jouer ! » 224 Reality is broken. Why Games Make Us Better and How They Can Change the World, Jane McGonigal (2010 – Editions : Penguin Press).
61
De l’interactivité dans l’advergame C)
Après avoir démontré par la théorie que le jeu vidéo publicitaire était interactif, il nous reste à le
prouver concrètement par l’intermédiaire d’une analyse détaillée d’un advergame : Magnum
Pleasure Hunt 2. Dans cette partie nous nous appuierons donc sur l’analyse sémantique de ce jeu
vidéo publicitaire, et nous tenterons d’identifier les leviers interactifs présents dans le jeu afin de
mieux comprendre en quoi le joueur est impliqué par la marque. De plus, il est nécessaire de
détailler une notion-clé qui permet de mettre en scène l’interactivité dans le jeu vidéo, celle de
game design. Concept du jeu dans son ensemble, il définit la jouabilité, la cohérence et la création
du jeu en lui-même. Toute l’interactivité du jeu repose donc dans le game design proposé et la
marge de manœuvre laissé au joueur pour interagir avec le dispositif qui lui est soumis.
1. Quelle représentation de l’interactivité dans l’advergame ?
On retrouve plusieurs éléments de réponses à la question de l’interactivité dans l’analyse
sémantique réalisée à partir du jeu Magnum Pleasure Hunt 2 en annexe de ce mémoire225. Nous
allons ici en exploiter les traits les plus importants.
Un dispositif communicationnel
Dans un premier temps, il est nécessaire de rappeler que l’advergame est un dispositif
communicationnel. Les marques présentes à l’intérieur du jeu Magnum Pleasure Hunt 2
sont Magnum, Bing, KLM, Hotel Fasano et Bulgari. Chaque marque est intégrée de manière à
enrichir l’expérience proposée à l’utilisateur. Afin d’être efficace, le dispositif se doit de proposer
une certaine interactivité, de manière à impliquer l’utilisateur. Dans ce jeu, il est proposé au joueur
de récolter des morceaux et des pépites de chocolat à l’aide d’un personnage féminin. Le jeu
semble d’ailleurs essentiellement s’adresser aux femmes entre 20 et 30 ans aux vues de son
contenu, surtout si l’on en croît le classement disponible à la fin du jeu. Dans la première partie de
l’analyse sémantique du jeu Magnum Pleasure Hunt 2226, j’ai voulu me pencher sur l’aspect hybride
de l’advergame : entre publicité et jeu vidéo. Le jeu de marque combinant ces deux univers, il en
devient un formidable outil communicationnel. Prenons donc l’exemple du jeu Magnum Pleasure
Hunt 2 : « L’ensemble du jeu est construit sur les partenariats établis avec les différentes marques
225 Cf annexe 3 : Analyse sémantique de Magnum Pleasure Hunt 2 226 Ibid.
62
ayant accepté de participer à l’expérience. […] Chaque marque présente dans le jeu a le droit à son
moment d’exposition, le but étant de l’introduire de manière intelligente alors que le joueur est
actif et porte son attention sur le jeu. L’advergame sert de vitrine publicitaire autant qu’il implique
l’utilisateur puisque ce dernier récolte des morceaux et des pépites de chocolats tout au long du
jeu, symboles de la glace Magnum. »227
Les leviers utilisés par la marque pour impliquer le consommateur sont donc ces fameux morceaux
de chocolat qui symbolisent les produits Magnum par une figure de métonymie. Une partie pour
signifier un tout : le morceau de chocolat pour signifier la glace toute entière. La récolte de chocolat
est donc la quête dans laquelle s’engage le joueur dès lors qu’il commence l’expérience. Une quête
de plaisirs intenses ponctuée par les « Infinity Bonus », les pépites de chocolat permettant
d’accéder à davantage de points.
Une nouvelle fois, le dispositif utilise de manière interactive un élément de la marque pour
communiquer sur ses valeurs : « le terme Infinity est également associé au produit proposé en fin
de jeu : le Magnum Infinity qui procure « un plaisir intense, plus longtemps ».228
Le jeu est donc un véritable dispositif communicationnel de par les actions qu’il propose aux
utilisateurs. La marque est par ailleurs omniprésente dans l’ensemble du dispositif avec ses valeurs
d’intensité, de plaisir, mais aussi d’évasion et d’érotisme. Je reviens sur ce point dans la seconde
partie de l’analyse intitulée « Un voyage en forme de rêve éveillé » : « Plusieurs connotations
érotiques de l’ordre du fantasme viennent ponctuer le jeu. Bien sûr le titre est plutôt évocateur :
« la chasse aux plaisirs » sous-entend une autre forme de plaisir que la récolte chocolats. Ensuite, le
personnage principale dirigée par l’utilisateur est une belle femme à l’image réelle (et non en image
de synthèse), en robe marron dorée ou en maillot de bain lorsqu’elle fait du surf. Tout au long du
jeu, les pépites de chocolat « Infinity Bonus » donnent accès à plus de plaisirs puisqu’elles libèrent
des d’autres chocolats. L’aventure se conclut d’ailleurs sur la présentation du Magnum Infinity,
dont la description se conclut par : « un plaisir plus intense… plus longtemps ». Cette phrase fait
référence au jeu précédent Magnum Pleasure Hunt qui était plus court et qui ne comportait pas de
bonus, mais elle fait surtout penser à l’activité sexuelle et rappelle dans ce sens la communication
227 Ibid. 228 Ibid.
63
de certaines marques de préservatifs. L’érotisme est l’une des valeurs de la marque Magnum, elle
est ici parfaitement représentée dans ce jeu vidéo publicitaire aux allures de fantasme. »229
Autre point qui fait de cet advergame un véritable dispositif communicationnel : la possibilité de
partager le jeu ou défier ses amis à la fin de chaque partie. Il s’agit là d’une communication de pair
à pair, entre utilisateurs. En effet, une fois le score soumis au joueur, il lui est proposé de partager
le jeu avec ses amis sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter, des plateformes permettant de
rendre le jeu viral. Il peut également défier ses amis par mail ou sur Facebook et leur suggérer
l’expérience pour tenter de battre son score.
L’interactivité comme outil d’engagement
Le jeu reprend les mécanismes du jeu vidéo afin d’impliquer l’utilisateur dans sa démarche de
communication. Ces mécanismes reposent sur l’interactivité en l’utilisateur et le jeu, on note
d’ailleurs dès le début une véritable injonction à l’interactivité dans Magnum Pleasure Hunt 2 :
« L’emploi de l’impératif lors de l’introduction invite le joueur à réaliser les actions demandées, tout
comme le bouton « Cliquez ici pour commencer » qui permet de lancer le jeu. Durant l’action, des
conseils comme « Sautez ici » (pour accéder aux bonus) sont aussi faits à l’utilisateur, afin de
l’orienter dans le jeu. Les chocolats et les pépites en surbrillance indiquent de manière implicite au
joueur qu’il s’agit de les récolter, associées aux notes positives qui ponctuent la quête à chaque fois
que le joueur attrape un chocolat. Tout est fait pour encourager le joueur à participer et récolter
des chocolats. Le joueur est guidé de manière à lui simplifier la tâche, seules les touches
directionnelles droite/gauche et la barre d’espace sont nécessaires pour interagir avec le dispositif.
Cette règle simple est rappelée à chaque début de niveau. Certains niveaux proposent des couloirs
virtuels où le joueur a juste à déplacer le personnage principal pour récolter des chocolats, un autre
vu du dessus indique dès le début où se trouve la destination via la mention « Exit ». Ces
mécanismes simples visent donc à inciter le joueur à participer et interagir avec le dispositif, en ce
sens, nous sommes véritablement en présence d’un jeu vidéo, mais un jeu au service d’une
marque. »230
Poursuivons l’analyse en rappelant que « les mécanismes utilisés dans cet advergame sont typiques
des jeux vidéo : rail shooter (couloir virtuel qui avance en même temps que le personnage) et jeu de
229 Ibid. 230 Ibid.
64
plateforme sont combinés dans ce jeu à plusieurs niveaux. Le joueur retrouve également des
actions simples typiques des jeux vidéo : course, saut, récolte de points/bonus. Mais aussi des
repères simples : décompte du temps et du score, indication du niveau en début d’exercice (les
fameux « level ») ou encore les cinématiques qui permettent les transitions entre chaque
niveau. »231
Ainsi le gameplay choisi dans ce jeu incite à plus d’interactivité, simplifiant l’action du joueur et
utilisant des classiques du jeu vidéo qui ont déjà fait leur preuve. Cela menant au final à plus
d’implication.
2. Approche user centric : Quelle place pour le joueur dans ce dispositif ?
Nous venons de voir quel est l’intérêt pour la marque de proposer un tel dispositif, et comment elle
arrivait à impliquer l’internaute dans une expérience qui reprend ses codes et ses valeurs. Nous
allons maintenant nous attarder sur le point de vue de l’utilisateur, et tenter de comprendre quel
intérêt il peut trouver dans l’advergame.
Un jeu de qualité pour plus de plaisir
Précisons dès maintenant la condition sine qua non du succès d’un advergame auprès des
internautes : le jeu doit être bon. C’est le cas de Magnum Pleasure Hunt qui avait rassemblé plus de
7 millions de joueurs, jouant en moyenne 5 minutes à l’advergame232. Lorsque le jeu est de qualité,
l’utilisateur va prendre du plaisir à participer à une expérience de marque, non pas qu’il soit
forcément fan ou consommateur de cette marque, mais uniquement parce qu’il lui est proposé est
attractif.
Pour l’utilisateur, un jeu de qualité doit être un dispositif ludique qu’il prend plaisir à jouer et qu’il a
envie de partager avec ses amis. L’état de flow présenté plus haut dans ce mémoire est l’état
recherché par le joueur de manière inconsciente : le jeu doit être assez difficile pour qu’il y ait un
défi à relever, mais ne pas être trop compliqué pour ne pas frustrer le joueur. La mécanique très
simple proposée par Magnum Pleasure Hunt 2 repose sur l’utilisation de trois touches : les deux
flèches directionnelles gauche/droite et la barre d’espace du clavier d’ordinateur. Dès le début du
jeu, le joueur comprend qu’il lui faut récolter les morceaux de chocolats pour améliorer son score,
231 Ibid. 232 Source : Article « Magnum Pleasure Hunt 2, la naissance d’une franchise ? » sur le site Brand and Contents, le 3 avril 2012, consulté le 6 août 2012. Site http://brandsandcontents.com/revue/2012/04/magnum-pleasure-hunt-2-la-naissance-dune-franchise/
65
tout en faisant le plus vite possible puisque le temps est compté. La simplicité du gameplay et du
concept facilitent ainsi l’adhésion du joueur qui va se sentir tout de suite plus impliqué.
De plus, tout le dispositif de Magnum Pleasure Hunt 2 propose une véritable injonction à la
participation. Du premier écran avec le bouton « Cliquez ici pour commencer » aux chocolats en
surbrillance indiquant qu’il s’agit de les récolter en passant par les conseils disséminés tout au long
du jeu comme « Sautez Ici » pour éviter les obstacles. Le jeu est construit de manière à engager
l’utilisateur dans l’expérience.
Gratuité et accessibilité
De plus, l’utilisateur peut y voir un intérêt très simple puisque le jeu est gratuit. Accessible en ligne
depuis partout, tout le temps, Magnum Pleasure Hunt 2 représente une opportunité de défier ses
amis. En effet, à la fin du jeu chaque utilisateur se voit attribuer un score en fonction de ses
performances avant de pouvoir partager le jeu sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter ou de
défier ses amis sur ces mêmes plateformes ou par mail. Magnum propose donc un jeu gratuit afin
d’attirer l’utilisateur, qui peut s’il le souhaite partager le jeu, le rendre viral. Par ailleurs il faut
préciser que Magnum offre le dispositif au consommateur mais n’exige aucune contrepartie : pas
besoin d’inscription ou d’activer sa participation, le jeu est libre d’accès dès le départ.
Contrairement à de nombreux jeux en ligne, Magnum n’offre aucun cadeau aux joueurs, le jeu se
suffit à lui-même. Inutile de faire gagner les utilisateurs, ils sont déjà gagnants en participant à
l’expérience. Alors que de nombreuses marques tentent souvent d’inciter à la participation par
l’intermédiaire de cadeaux, ici Magnum s’appuie uniquement sur la qualité du jeu pour encourager
les joueurs.
Accomplissement personnel et valorisation du joueur
Enfin, le jeu vidéo est toujours l’occasion d’un accomplissement personnel pour le joueur. En
réussissant un score honorable, il sera d’autant plus satisfait que Magnum Pleasure Hunt 2 lui
permet de se comparer aux autres participants. Il peut ainsi tenter d’améliorer son score dès la fin
de sa première partie, ou partager avec ses amis, fier de sa performance. A chaque fin de partie, un
message de félicitations est adressé aux joueurs « Bravo, vous avez gagné ! » mais il faut rappeler
que ce message s’affiche quel que soit le score réalisé. Le joueur a donc le sentiment d’avoir
accompli quelque chose. Il a rempli les objectifs fixés en début de partie : récolter des chocolats à
66
travers le monde. En ce sens, le joueur interagit avec la marque puisqu’il récolte des chocolats
Magnum et des pépites « Infinity Bonus », pour finalement découvrir la glace Magnum Infinity,
produit présenté à la fin du jeu.
De cette manière le joueur atteint irrémédiablement son but, ce n’est pas le cas de tous les jeux de
marque. Cependant Magnum Pleasure Hunt 2 choisit de valoriser le joueur afin de l’impliquer
encore un peu plus dans l’expérience. Une stratégie payante aux vues du succès du jeu sur Internet.
L’interactivité au service de la relation marque-consommateur
Cette expérience est surtout l’occasion pour la marque de nouer une relation forte avec
l’utilisateur. L’interactivité présente dans le jeu vidéo participe à la création d’un passé relationnel,
car comme nous l’avons précisé, le jeu est facteur de relation sociale. L’internaute est plus à même
d’aimer une marque avec qui il a partagé un moment intense ou qui lui a fait vivre une expérience
ludique. Tout le jeu est au service de cette relation marque-utilisateur : de son concept (récolter
des chocolats) à son gameplay (jouabilité simple et de qualité) en passant par son univers (rêve
d’évasion et de plaisir intense).
Enfin, Magnum intervient à la fin du jeu que l’on peut qualifier d’achievement moment, moment de
réussite, d’excitation et de joie ressenti par l’utilisateur alors qu’il vient d’accomplir une action.
Communiquer un message juste après avoir annoncé au joueur « Bravo, vous avez gagné » et près
de 8 minutes de jeu représente une véritable opportunité pour Magnum : l’opportunité de valoriser
et toucher le public au moment où il est heureux afin d’être sûr que son attention sera porté sur la
marque du groupe Unilever. Elle a donc choisi de communiquer sur son produit Magnum Infinity, ce
qui explique la présence des « Infinity Bonus » tout au long du jeu et le choix d’une expérience plus
intense et plus longue. En effet le jeu est plus travaillé et varié que son prédécesseur, et dure en
moyenne 3 minutes de plus.
Par ailleurs, en choisissant un dispositif ludique et divertissant, capable de devenir viral, Magnum
tente non seulement de faire participer l’internaute, mais aussi de lui faire partager le jeu, qu’il
devienne à son tour ambassadeur. La marque ne mise pas sur une inscription de l’utilisateur pour
l’impliquer dans sa communication, elle compte sur la qualité du jeu pour que celui-ci soit relayé et
donne envie à l’utilisateur de le partager et défier ses amis. La démarche plutôt honnête, est donc
pleine de transparence. Le jeu est gratuit et accessible par tous sur Internet, il est même traduit en
67
12 langues ! Magnum a donc pris un risque qui s’est avéré payant puisque plus de 7 millions
d’utilisateurs se sont rendus sur le premier épisode de la saga Pleasure Hunt.
3. Approche brand centric : quelle place pour la marque dans ce dispositif ?
Comme nous l’avons précisé, le jeu se suffit à lui-même dans le sens où il est gratuit et ne propose
aucun cadeau à gagner. Ainsi, toute la valeur communicationnelle du jeu repose sur sa qualité
première : son gameplay, son univers et son concept. Plus le dispositif proposé sera facile et
plaisant à jouer, plus il a de chance d’être utilisé par les joueurs.
De l’écran de début à l’écran de fin, le logo de la marque apparaît tout au long de l’expérience en
haut à droite, à côté du score et du temps qui défile. La page d’accueil fait d’ailleurs la part belle à
la marque, reprenant les codes et l’identité visuelle de Magnum, alors que l’écran de fin présente le
produit Magnum Infinity. Tout le jeu est véritablement au service de la marque et surtout de la
relation marque-utilisateur.
Magnum intervient à la fin du jeu pour présenter le Magnum Infinity, mais on pourrait également
remarquer qu’il y a en réalité différents achievement moments durant la partie : après chaque
niveau accompli intervient une marque partenaire du jeu. Bing Maps apparaît à la fin du niveau 2
pour sortir de New York, l’accès au Bulgari Store fait office de récompense après le niveau 3 sur le
Pont Neuf à Paris, puis KLM propose de voyager à nouveau à la fin d’un niveau 4 plutôt compliqué.
Une fois au Brésil, l’hôtel Fasano propose de recharger ses batteries avec une petite pause à Rio de
Janeiro avant d’attaquer le dernier niveau de surf. Chaque marque intervient donc lors d’un
moment de réussite, moment où l’internaute est le plus à l’écoute, le plus réceptif.
« La présence de différentes marques est également un point clé de Magnum Pleasure Hunt 2, peu
d’advergames ont cette particularité de faire appel à d’autres marques… « Le premier épisode était
composé de nombreux sites web, laissant peu de temps à l’utilisateur d’entrer dans une vraie
relation avec chacune des marques présentées. Ce n’est pas le cas ici, puisque seulement 5
marques entrent en jeu : Magnum, Bing, Bulgari, KLM et Hôtel Fasano. Chacune des marques met
en avant un produit, une offre, un service dans les animations qui rythment les séquences de jeu.
Bing présente sa fonctionnalité Bing Maps, outil de géolocalisation simple à utiliser. Bulgari devient
le symbole du luxe sur la Place Vendôme à Paris, et n’hésite pas à mettre en avant ses produits en
boutique : sacs, lunettes de soleil, bijoux ou parfums… La présence de l’affiche publicitaire KLM est
68
également intéressante, voire surprenante, et fait figure de mise en abyme : une publicité dans une
publicité. En effet, on retrouve ce panneau publicitaire reprenant tous les codes classiques de la
publicité : visuel fantasmatique, slogan accrocheur, signature et marque à l’appui. Cette publicité
est d’ailleurs une forme d’in-game advertising, une publicité dans le jeu vidéo sous couvert de
partenariat avec Magnum. Cette publicité mentionne la signature de la marque : « Journeys of
inspiration », totalement en adéquation avec l’advergame dans lequel elle est présente puisque
Magnum Pleasure Hunt peut être qualifié de « voyage songeur » comme nous le verrons par la
suite. Enfin l’Hotel Fasano présente les vertus relaxantes et la qualité de son service à travers la
pause que s’accorde l’héroïne, lui permettant de se « recharger »233.
Chaque marque véhicule un message qui lui est propre, Magnum se réservant l’avantage du
gameplay et du concept même du jeu. La jouabilité étant simplifiée, les marques profitent des
animations entre chaque séquence de jeu pour attirer l’attention de l’utilisateur de manière
opportune. L’exemple de Magnum Pleasure Hunt 2 est donc plutôt atypique, mais n’en démontre
pas moins ce qu’est l’advergame : un dispositif communicationnel et interactif. De par son
efficacité, ce jeu nous révèle également de nombreux enseignements, que nous allons présenter
dans notre troisième et dernière partie.
233 Cf annexe 3 : Analyse sémantique de Magnum Pleasure Hunt 2
69
3e partie : Recommandations : L’advergaming comme outil d’une stratégie digitale globale efficace et durable.
Comme nous venons de le voir à travers l’exemple de Magnum Pleasure Hunt 2, l’advergaming est
un dispositif interactif permettant de créer une relation entre marques et consommateurs. A partir
de nouveaux exemples et afin de ne pas nous focaliser sur un seul advergame, nous allons ici
démontrer que l’advergaming participe à une stratégie de marque efficace et durable par son
interactivité et ses capacités communicationnelles. Les recommandations qui vont suivre sont donc
axées sur la nécessité de créer des jeux de qualité mais aussi de rester cohérent avec l’ensemble de
la stratégie digitale globale de la marque. Enfin nous verrons en quoi il est nécessaire d’éviter le
risque du coup de pub ou du « buzz », parfois peu efficace dans l’optique d’une stratégie durable.
De la nécessité de créer des jeux de qualité A)
Comme précisé plusieurs fois dans la partie précédente, un jeu publicitaire ne peut être accueilli
favorablement par les joueurs si ce n’est pas un bon jeu. La première raison est culturelle : les
joueurs de jeux vidéo ne sont pas forcément friands de publicité, tout comme les internautes qui
ont dès l’origine du web prôné la gratuité et le partage plutôt que la commercialisation. La seconde
raison est liée à l’activité vidéo ludique : le joueur est exigeant par nature, la qualité du jeu est ce
qui garantit son succès.
1. Publicité et jeux-vidéo ne font pas forcément bon ménage
Nous allons démontrer par l’absurde que publicité et jeu vidéo peuvent se concilier avec l’exemple
du jeu mobile Pizza Driver234. Pizza Driver n’est pas un advergame, il s’agit uniquement d’un jeu
mobile qui repose sur un concept simple de reward advertising. Le meilleur joueur sur jeu virtuel
remporte une pizza bien réelle chez lui. En ce sens, la présence d’une marque de pizza ne
semblerait pas intrusif dans ce jeu, mais viendrait plutôt cautionner l’ensemble du dispositif : nous
préfèrons toujours savoir ce que l’on va gagner avant de jouer. La présence d’une marque de pizza
viendrait donc rassurer le joueur plutôt que le repousser.
234 Pizza Driver, application mobile éditée par Krikoff, disponible sur App Store depuis octobre 2012.
70
Cet exemple fait cependant figure d’exception si l’on en croît la publiphobie ambiante qui règne
chez les joueurs. Tout d’abord par son origine, le jeu vidéo s’est vu comme un art créatif à part
entière, un « art ludique » indépendant pour reprendre les termes de Jean-Samuel Kriegk et Jean-
Jacques Launier235. Cela suppose une certaine liberté dans la conception du jeu, ce que ne permet
pas la présence d’une marque, qui est à l’inverse l’objet de contraintes.
Ensuite, les joueurs internautes ont toujours conservé cette culture du hacking que nous décrivions
dans la première partie, cette volonté de liberté initiée par des hommes comme Richard Stallman,
aujourd’hui Président de la Free Software Foundation. Encore aujourd’hui, la logique de
commercialisation et le marketing présents dans l’univers des jeux vidéo sont très critiqués par les
joueurs, notamment les hardcore gamers, c’est-à-dire ceux passant plusieurs heures par jour à
jouer sur leur console ou leur ordinateur, le plus souvent en ligne.
Cependant, il faut ici nuancer notre propos car même si publicité et jeu vidéo ne font pas bon
ménage, rappelons que l’advergame s’adresse le plus souvent à un public plus large et pas
nécessairement à ces fameux hardcore gamers ! La démocratisation initiée dans l’industrie vidéo-
ludique a influencé les professionnels du marketing. Ainsi, les jeux ne s’adressent pas uniquement
aux joueurs invétérés mais plutôt aux casual gamers ou joueurs occasionnels qui évoluent sur
mobile ou en ligne. Le public n’est pas donc pas forcément réfractaire à ce type de dispositif.
Par l’intermédiaire de ses célèbres doodles (illustrations ou animations en page d’accueil), Google a
d’ailleurs investit et rendu hommage au jeu vidéo à sa manière en proposant des mini-jeux
interactifs durant les Jeux Olympiques de Londres 2012. Quatre doodles ont ainsi été proposés par
Google durant les J.O : Hurdles 2012, Basket-ball 2012, Slalom Canoe 2012 et Soccer 2012236.
Hurdles 2012 proposait par exemple d’effectuer un 110m haies chronométré. La simplicité du
gameplay (les jeux se contrôlaient avec les touches directionnelles et la barre d’espace) et la
capacité d’exposition fournie par la firme de Mountain View ont fortement participé aux succès de
ses doodles rapidement devenus viraux et qui permettaient la compétition entre les internautes.
La gamification des doodles Google en l’honneur des Jeux Olympiques est la parfaite illustration de
la démocratisation des jeux vidéo sur Internet. Google étant le site qui rassemble le plus
d’internautes dans le monde, on constate que le jeu vidéo ne s’adresse plus seulement à une niche,
235 Art Ludique, p.228, de Jean-Jacques Launier et Jean-Samuel Kriegk (2011 – Editions : Sonatine) 236 Doodles Olympics 2012 consulté le 17 septembre 2012 : http://www.google.com/doodles/hurdles-2012
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tous sont potentiellement concernés. Le jeu s’adresse à tout le monde mais encore faut-il que les
internautes soient intéressés. Pour cela, le jeu doit être simple et de qualité car les joueurs restent
exigeants.
2. Culture vidéo-ludique : l’exigence des joueurs
Si l’on doit tirer une seule conclusion de la crise du jeu vidéo qui a eu lieu dans les années 1980,
c’est bien celle-ci : les joueurs sont terriblement exigeants. En effet, de nombreux éditeurs ont à
l’époque profité du développement de l’industrie vidéo-ludique pour proposer des jeux de
mauvaise qualité, pensant que le succès suivrait malgré un level design primaire et un gameplay
médiocre. Malgré les efforts en communication et les dépenses marketing réalisées par certains
éditeurs, le succès d’un jeu repose essentiellement (et heureusement) sur la qualité de son
contenu : l’originalité de son univers, sa jouabilité, son level design travaillé, sa durée de vie, son
scénario, ses graphismes, sa réalisation dans son ensemble.
Les joueurs représentent un public très critique et il est très simple de retrouver leurs avis sur le
web concernant de jeux qu’ils ont jugé mauvais. Les éditeurs se méfient d’ailleurs de l’avis des
internautes à propos de leurs jeux. Pour preuve, Electronic Arts, l’un des plus gros éditeurs de jeux
vidéo au monde, a préféré annuler à deux reprises la sortie son jeu NBA Elite (initialement prévu en
janvier 2011) plutôt que de proposer un jeu qui ne répondait pas aux attentes des joueurs.
Cela s’applique également au reste du public pour une raison très simple : un jeu vidéo perd tout
son aspect ludique, ne satisfait pas l’utilisateur, ne lui fait pas prendre du plaisir s’il n’est pas de
qualité. Un jeu mal réalisé, au level design peu soigné, difficile à manier à cause d’un gameplay qui
n’est pas abouti ne permettra pas au joueur d’atteindre l’état de flow, le laissant frustré ou déçu de
l’expérience proposée. C’est pourquoi, un advergame, encore plus que tout autre jeu, se doit d’être
de très bonne facture s’il veut toucher son public. Plus que tout autre jeu car aucun joueur n’attend
la sortie d’un jeu vidéo de marque comme il attend celle de GTA ou du nouveau FIFA. De plus, un
jeu vidéo de marque de mauvaise qualité risque de détériorer l’image de la marque, surtout que le
public en attend souvent beaucoup. Un jeu frustrant, trop compliqué ou peu divertissant ne
permettra pas à la marque de nouer une véritable relation avec l’utilisateur. Pire, il risque d’avoir
l’effet inverse en créant la déception dans l’esprit du joueur. Ce dernier est donc exigeant à juste
titre : s’il « attend au tournant » un advergame, c’est bien parce qu’il veut vivre une expérience
ludique et non perdre son temps avec un contenu de marque sans intérêt.
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Puma a par exemple réussi à combler les joueurs avec son jeu Run Puma Run237 réalisé en 8-bit qui
reprend les codes graphiques des premiers jeux vidéo sur la console NES de Nintendo : des images
pixellisées, des formes et des couleurs basiques et une musique typique de cette période vidéo-
ludique. Dès son arrivée sur le mini-site dédié, le joueur est invité à choisir un sportif égérie de la
marque Puma : Usain Bolt (sprint), Fernando Alonso (formule 1), Sergio Agüero (football) ou Rickie
Fowler (golf). Il réalise ensuite une course d’obstacles, le but étant d’aller le plus loin possible. Ce
jeu doit une nouvelle fois son succès sa simplicité et sa jouabilité, mais aussi au fait qu’il fasse appel
à la nostalgie des joueurs et que l’on constate avec la tendance du retrogaming. Il s’agit ici d’une
activité qui consiste à collectionner ou jouer à des jeux anciens.
Ainsi, l’advergame ne doit pas se contenter de reprendre les codes du jeu vidéo, son succès réside
aussi dans sa capacité à surprendre le joueur, tous les joueurs, dans son originalité et sa cohérence
avec la marque.
3. La qualité du contenu : la condition sine qua non pour réussir
Comme le précisait Daniel Bô et Matthieu Guével dans Brand Content238 : « le contenu est auto-
promotionnel : il est à lui-même sa propre publicité ». Un contenu de marque se doit donc d’être
de qualité sans quoi le public ne sera pas attiré par ce contenu ou ne sera pas tenté de le relayer à
son tour. La qualité est d’ailleurs une condition sine qua non de viralité et de visibilité sur Internet.
C’est là toute la difficulté de l’advergaming car un jeu vidéo demande beaucoup d’investissements
de la part de son développeur, en termes de budget et de temps. Une marque peut donc mettre
plusieurs mois à développer un jeu vidéo mettant en scène ses valeurs et son univers dans le but de
créer de l’ « engagement », de créer une véritable relation avec le consommateur, de l’impliquer
dans son processus de communication. « Il faut en permanence veiller à ce que l’effort demandé au
consommateur soit proportionné au bénéfice que le contenu peut lui apporter » confirment les
auteurs de Brand Content239.
Par conséquent, les marques doivent faire face à un cercle vicieux (ou vertueux c’est selon) car un
jeu de mauvaise qualité, quel que soit l’investissement qu’il a requis, a peu de chance de devenir
viral ou d’être joué par les internautes. La principale contrainte pour la marque pour faire de
237 Run Puma Run, lancé en juillet 2012 sur le site http://fr.puma.com/runpumarun, consulté le 20 août 2012. Cf annexe 28 : Run Puma Run 238 Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod) 239 Ibid.
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l’advergame un outil efficace dans sa stratégie digitale, reste donc de créer un jeu de bonne qualité
car c’est ce qui va lui permettre de gagner en légitimité en tant que dispositif vidéo-ludique.
La marque de jeu de société Scrabble l’a bien compris en réalisant un jeu original à l’aide de Twitter
pour la sortie de son nouveau jeu Scrabble Trickster. Twitter Scrabble240 est ainsi un advergame
atypique qui met tout à fait en scène les règles du jeu original : créer le message le plus long et
cumuler le plus de points possible à partir des lettres proposées. L’advergame propose ensuite au
joueur de publier son message sur Twitter. La contrainte : le tweet ne doit pas dépasser les 140
caractères sinon il sera impossible de le diffuser sur le réseau social. Ce jeu à la mécanique simple
était initialement dédié à la Belgique, mais il a su profiter de la viralité des réseaux sociaux pour se
développer sur l’ensemble du web et devenir un vrai succès sur la toile. La forte participation des
internautes est ainsi liée à la simplicité du dispositif proposé et à sa capacité virale. L’advergame
remplit également ses fonctions communicationnelles en reprenant les spécificités du produit qu’il
met en avant.
Twitter Scrabble montre ainsi le bon exemple, à savoir faire vivre une expérience participative à
travers un advergame présentant au mieux le produit qu’il doit promouvoir. Les marques doivent
ainsi proposer ce genre d’expérience reposant sur un gameplay simple, un jeu avec une forte
capacité virale, tout en intégrant au mieux le produit ou la marque qu’il défend. Un advergame
devrait permettre non seulement d’attirer l’attention de l’utilisateur et de faire connaître un
produit, une marque ou un évènement mais aussi de faire aimer ce produit, cette marque ou cet
évènement. Tout repose sur la capacité de la marque à créer une relation particulière avec
l’utilisateur. Enfin, l’injonction à la participation et au partage sont des points déterminants dans le
faire agir. Faire aimer, faire connaître, faire agir, on retrouve bien ici les trois points clés d’une
stratégie de communication, une stratégie qui se doit d’être cohérente afin d’être efficace.
Autre exemple incitant à la participation des utilisateurs, le jeu Mini Maps241, disponible sur la page
Facebook de la marque automobile Mini Cooper. Dans ce jeu participatif, les joueurs peuvent créer
eux-mêmes des circuits de course à travers Google Maps. Une fois le circuit créé, le joueur peut
ensuite défier ses amis ou réaliser un temps que les autres participants tenteront de battre. Le jeu
utilisant un moteur de géolocalisation, les voitures Mini se contrôlent par une vue du dessus
240 Twitter Scrabble, développé pour Scrabble (Mattel), lancé en juin 2012 sur http://www.twitterscrabble.be/, consulté le 27 août 2012. Cf annexe 29: Twitter Scrabble 241 Mini Maps, développé par DDB Paris pour Mini France, lancé en juin 2011 sur l’application Facebook https://apps.facebook.com/minimaps/ et consulté le 19 juin 2012. Cf annexe 30 : Mini Maps.
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classique des jeux vidéo comme GTA II sur PC242. La jouabilité est donc relativement simple et
abordable pour la plupart des utilisateurs, et le but du jeu reste basique : gagner une course face à
des concurrents ou réaliser le meilleur temps afin d’être le vainqueur à détrôner. De plus, la
marque met idéalement en scène son produit en proposant à chaque participant de personnaliser
sa voiture (une Mini bien sûr) avant chaque course et de débloquer de nouveaux véhicules en
fonction des performances du joueur. Par ce jeu de course de voitures bien pensé et brillamment
réalisé, Mini parvient surtout à renforcer son positionnement de citadine urbaine et sportive. Lancé
en juin 2011, le jeu compte encore aujourd’hui près de 1000 joueurs mensuels sur Facebook et
s’est vu primé d’un Lion d’Or à Cannes dans la catégorie Direct Lions. Ce dispositif doit
essentiellement son succès à sa qualité et sa viralité sur Facebook, le jeu étant accessible et
partageable très facilement. Nous insisterons sur l’objectif de viralité par la suite, intéressons-nous
maintenant à la cohérence du jeu publicitaire, point clé dans la stratégie de marque.
A) De la nécessité de rester cohérent
Certaines marques voient uniquement le jeu vidéo comme une opportunité sans évaluer le risque
qu’un mauvais advergame peut représenter pour leur stratégie globale. En effet, une marque peut
pâtir d’un jeu vidéo publicitaire de mauvaise qualité ou ne respectant pas ses codes, ou même ne
pas du tout être attribuée à ce jeu. Un mauvais jeu peut décrédibiliser auprès de son public et
retirer toute légitimité à la marque. Afin que les efforts fournis autour de la création d’un
advergame soit récompensés, voici les quelques règles à respecter.
1. L’advergame, représentant des valeurs de marque
Oasis est certainement l’une des marques préférées des jeunes français, c’est en tout cas la marque
française qui compte le plus de fans sur Facebook avec plus de 2,7 millions de fans. Ses
personnages anthropomorphes surnommés les P’tits Fruits sont les principaux artisans de ce succès
depuis le lancement de sa campagne publicitaire « La Source » en 2009243. Dans ce spot, nos héros
publicitaires adeptes des jeux de mots à base de fruits sont à la recherche d’une source d’eau
fraîche. Le positionnement de la marque est d’ailleurs basé sur la joie de vivre, comme l’indique sa
signature : « des fruits de l’eau de source et du fun ».
242 Cf annexe 30 bis : GTA II 243 Campagne publicitaire La Source d’Oasis, agence Marcel (Publicis) - avril 2009 http://www.dailymotion.com/video/x8zqh6_oasis-la-source_fun
75
Ciblant essentiellement les adolescents entre 12 et 18 ans, c’est en toute logique que la marque se
soit lancée dans la création d’un advergame sur mobile. Ce jeu intitulé « La Chuuute »244 (pour faire
référence à « la chute d’eau ») met en scène les célèbres P’tits Fruits tentant de remonter à la
source de cette cascade d’eau fraîche. La marque a raison de capitaliser sur ses héros dans cet
advergame puisqu’il s’agit des personnages publicitaires les plus connus du secteur agro-
alimentaire en France, ils font aujourd’hui partie des codes de la marque. Ensuite, l’eau de source
est un autre élément clé dans ce jeu publicitaire puisqu’Oasis est la seule marque de jus de fruits à
insister sur le fait que ses produits sont à l’eau de source.
Le jeu La Chuuute reprend exactement le même gameplay que l’un des jeux les plus populaires de
l’App store : Doodle Jump245. Le principe est simple : faire monter un personnage par petit saut et
de palier en palier en essayant d’aller le plus haut possible tout en évitant les pièges et la chute. Des
bonus permettent d’accélérer cette montée et le joueur se voit attribuer un score en fonction de la
hauteur atteinte. Tout l’intérêt du jeu réside dans son aspect addictif : une fois la partie terminée
(une fois que le personnage est tombé), le joueur peut recommencer une nouvelle partie mais ne
cumule pas ses scores. La mécanique du jeu incite à réessayer afin de battre son meilleur niveau
retenter sa chance à de nombreuses reprises. A noter que le joueur peut aussi partager son score
sur les réseaux sociaux et défier ses amis, ce qui renforce la mécanique addictive... En adaptant le
jeu Doodle Jump à son univers de marque, Oasis tente donc de faire vivre une expérience ludique et
répétée aux utilisateurs de l’application, ainsi que de favoriser le partage sur les réseaux sociaux,
pour les faire revenir le plus souvent sur cet advergame.
La principale qualité de ce jeu réside donc dans la capacité de la marque à attirer l’attention et la
participation du joueur de manière répétée et durable autour d’un jeu à la mécanique simple mais
addictive. Il est fortement recommandé d’introduire les codes de la marque dans un advergame
comme l’a très bien fait Oasis avec ses P’tits Fruits et l’eau de source. L’association de ces deux
codes marques dans une application ludique représente la marque dans sa globalité, des fruits de
l’eau de source, du fun. En signant cet advergame, Oasis est donc tout à fait cohérent avec son
positionnement et met idéalement en scène ses valeurs de marque autour du jeu et du fun. Si les
joueurs parviennent à s’amuser autant que les personnages de la marque, le jeu ne peut être
qu’une réussite.
244 La Chuuute by Oasis, application mobile éditée par Orangina Schweppes France pour Oasis, disponible sur App Store et Android Market depuis septembre 2010. Cf annexe 31 : Oasis La Chuuute 245 Doodle Jump, jeu mobile édité par Lima Sky, disponible depuis 2009 sur App store et Android Market. Cf annexe 31 bis : Doodle Jump.
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2. Le game design au service des codes de la marque (logo, nom, charte graphique)
L’exemple de Magnum Pleasure Hunt (1 et 2) est probant : la reprise des codes de la marque à
l’intérieur du jeu est indispensable et l’utilisation du game design au service de la marque est
également nécessaire pour une meilleure expérience. Rappelons que par game design on entend
concept du jeu et jouabilité dans son ensemble. Dans notre exemple, le game design tout entier est
pensé pour exposer les valeurs de la marque. De la récolte des chocolats et pépites dans les
différents univers traversés par le personnage principal en passant par l’espace-temps figé, tout
vise à placer le Magnum Infinity au cœur du jeu de manière implicite.
C’est dans ce sens que doivent se diriger les marques afin d’optimiser au mieux l’expérience offert à
l’utilisateur. Tout d’abord il convient d’intégrer l’identité visuelle de la marque, ses couleurs, son
logo, sa typographie, sa charte graphique à l’ensemble de l’advergame. Cela peut se traduire par
des détails graphiques comme la reprise des codes couleurs de la marque pour habiller le
personnage principal du jeu vidéo ou aller jusqu’à l’utilisation d’une égérie pour l’incarner. La
marque peut aussi choisir d’imprégner le jeu de son identité visuelle toute entière… au risque de
rebuter le joueur. En effet, l’utilisateur n’est pas forcément attiré par la marque lorsqu’il se rend sur
un advergame, mais plutôt par le dispositif et l’expérience qui lui est proposé : le jeu lui-même en
somme, non son habillage.
Il paraît donc plus pertinent d’intégrer des codes de marque de manière cohérente et réfléchie,
plutôt que de forcer le trait et vouloir à tout prix marquer le jeu publicitaire de son empreinte.
Ensuite, il semble indispensable de penser le game design de manière à mettre en avant la marque
et à créer de l’interactivité avec le joueur durant l’expérience. Le dispositif est communicationnel
pour deux raisons : il communique un message pendant le jeu et interagit de manière ludique avec
l’utilisateur. Il ne suffit donc pas d’imprégner le jeu publicitaire de la charte graphique de la
marque, il faut concevoir le jeu dès l’origine en intégrant la marque, son univers et ses valeurs afin
de proposer une expérience cohérente.
Le jeu Mini Maps a par exemple parfaitement mis en scène les valeurs de sa citadine sportive à
travers un jeu de course dans les plus grandes villes du monde. La mise en perspective de ce
véhicule avec la vue du dessus ainsi que la jouabilité ont également beaucoup apporté pour
signifier les capacités de la voiture : maniabilité, petite taille et confort de conduite sportive.
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La cohérence d’un advergame dépend donc essentiellement du game design et du gameplay
proposés, ainsi que des graphiques choisis pour représenter l’univers de la marque. Le jeu doit être
pensé dès son origine comme un jeu publicitaire afin de jouer au mieux sur l’interactivité qui sera
proposée dans le dispositif et sur le message communiqué tout au long de l’expérience.
3. Limites de l’advergaming
Concrètement, il faut cependant relativiser les effets de l’advergaming sur le comportement des
utilisateurs. Certes le jeu vidéo publicitaire renoue la relation avec un public dont l’attention est de
plus en plus difficile à capter, mais il reste un dispositif pour l’instant très peu utilisé par les
marques. Et pour cause, son efficacité reste à prouver.
Tout d’abord il faut préciser un élément clé que nous avons omis de mentionner jusqu’alors dans ce
mémoire : un (bon) jeu vidéo publicitaire coûte cher à produire et prend un certain temps à être
réalisé, en générale plusieurs mois. Une marque doit donc prendre la décision d’investir une partie
de son budget consacré à sa stratégie digitale dans un advergame dont le succès n’est pas assuré
pour de multiples raisons : exigence des joueurs, jouabilité, capacité de viralisation, concurrence
des autres jeux gratuits…
En effet, le secteur vidéo-ludique est un environnement ultra-concurrentiel où les marques peuvent
connaître des difficultés pour s’implanter aux vues du nombre de jeux gratuits diffusés chaque jour
en ligne. Et l’on ne parle pas ici de jeux de marque, mais bien de jeux vidéo classiques ! En retraçant
l’histoire du jeu vidéo, nous avons pu constater que l’industrie vidéo-ludique était en plein essor. Le
modèle du free-to-play s’est par ailleurs largement développé ces dernières années en ligne. Ce
modèle propose aux joueurs de jouer gratuitement à un jeu mais requiert un paiement pour
acquérir certaines compétences, débloquer certains décors ou juste pour poursuivre l’aventure. Le
free-to-play repose donc sur un principe de monétisation246 basé sur la gratuité… jusqu’à un certain
point. Aux marques de se différencier en proposant des jeux entièrement gratuits ou capables de
leur faire concurrence. On notera également un autre point de divergence : un advergame est un
contenu de marque, il est par définition dédié à une ou plusieurs marques uniquement et ne diffuse
pas de bannières publicitaires pour d’autres jeux ou d’autres marques qui peuvent parfois
importuner les joueurs. La gratuité a donc ses limites. Ce genre de bannières publicitaires sur les
246 Monétisation : principe de modèle économique sur lequel repose le jeu. Dans un jeu vidéo, cela se traduit essentiellement par des moyens de paiement proposés aux joueurs ou des partenariats publicitaires.
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jeux vidéo gratuits (en ligne ou sur mobile) disparaît lorsque le joueur choisit l’option payante.
L’advergame est à l’inverse disponible dès l’origine dans son intégralité et sans publicité ajoutée.
Le joueur va ainsi rechercher un jeu de qualité, une expérience ludique avant une expérience de
marque. Comme nous l’avons précisé, le joueur est souvent réticent, voir réfractaire à la publicité.
La marque se doit donc d’apparaître succinctement et d’être intégrée au mieux dans l’advergame,
si elle ne veut pas repousser le joueur. Or tout le paradoxe de l’advergame réside dans cette
volonté de communiquer un message, de promouvoir une marque alors que cette dernière doit
rester discrète dans ce dispositif. Comment alors répondre à des objectifs de notoriété ou d’image
si la marque est contrainte de ne pas être omniprésente dans son propre advergame ?
Tout l’intérêt de la stratégie digitale de la marque est donc d’être durable pour être efficace sur le
long terme, et ne pas se contenter d’un seul coup d’essai. L’advergaming est affaire de cohérence
et n’est pertinent que lorsque la marque l’intègre à une stratégie plus globale. Sans quoi, le jeu
publicitaire montre rapidement ses limites, toujours en quête d’efficacité et à la recherche d’une
certaine crédibilité.
B) L’advergaming au centre d’une stratégie digitale durable
L’advergaming n’est donc pas une science exacte, mais plutôt une pratique exigeante en termes de
création et de moyens. Pour réussir à capter l’attention de son public, une marque se doit de
s’intégrer au mieux dans son advergame, mais aussi de le penser en résonnance avec l’ensemble de
sa stratégie digitale.
1. Le risque du « coup de pub » inefficace et destructeur
Le mot buzz est un autre mot trivial utilisé communément dans le langage marketing pour définir
une campagne ou une publicité qui fait parler d’elle sur Internet. Cela peut être de manière
positive, suite à une image ou une vidéo très attractive. Récemment, la marque Red Bull a par
exemple créé le buzz sur Internet en diffusant la vidéo de Felix Baumgartner effectuant un saut
depuis la stratosphère247. Ce mot peut également être employé de manière négative, il s’agira alors
d’un bad buzz, et on peut citer l’exemple de la marque Kit-Kat qui s’est vue propagée une vidéo sur
247 Opération Red Bull Stratos avec Felix Baumgartner le 14 octobre 2012, visible sur le site http://www.redbullstratos.com/, consulté le 15 octobre 2012.
79
Youtube « Kit-Kat Killer » signée Greenpeace248 contre l’utilisation de l’huile de palme dans ses
produits.
Finalement, un buzz en marketing n’est autre qu’un « coup de pub », une manière de faire parler de
soi à un moment précis sur une courte durée afin de communiquer sur sa marque, un évènement
ou le lancement d’un nouveau produit. Cette notion de buzz est souvent associée à un adjectif, lui
aussi souvent employé à tort ou à raison sur Internet, il s’agit de l’adjectif « viral ». Une campagne
de publicité virale se dit d’une campagne reprise sur de nombreux sites et blogs sur le web.
A partir du schéma « Efficacité d’une stratégie digitale dans le temps »249 en annexe de ce mémoire,
on remarquera par conséquent que la courbe de notoriété d’une marque qui applique une stratégie
du buzz est au final bien inférieure à celle d’une marque qui met à profit une stratégie durable, plus
efficace dans le temps.
L’erreur commise par de nombreuses marques sur Internet est de rechercher à tout prix ce coup de
pub, ce buzz viral, au lieu de miser sur une stratégie digitale durable. L’effet d’un coup de pub est
souvent très efficace sur le court terme mais reste temporaire. Il s’essouffle sur le long terme et
peut être destructeur pour la marque s’il n’est pas intégré à une stratégie digitale globale. Il est
selon moi préférable qu’un advergame soit pensé par le prisme d’une stratégie digitale qui peut se
déployer sur de nombreuses plateformes : réseaux sociaux, sites Internet, applications mobiles.
Toute marque qui a les moyens de développer un advergame de qualité se doit de ne pas se limiter
au simple coup de pub, mais penser à ses relations avec les autres outils mis en place. Ainsi, chaque
outil se voit attribuer un rôle bien défini, et l’advergame tient une place de choix en ce qui
concerne l’engagement, l’expérience et la création d’une relation de marque avec l’utilisateur. Le
site Internet misera sur la découverte des produits et la notoriété de la marque, alors que les
réseaux sociaux pourront servir de plateforme d’échange et de conversation entre la marque et les
internautes.
Dans ce cadre, l’advergame prend tout son sens et devient véritablement un outil efficace puisque
son rôle est préalablement défini. La marque peut rester discrète dans ce dispositif
communicationnel puisqu’elle vise à faire vivre une expérience à l’utilisateur. Elle doit cependant se
mettre en valeur et jouer sur l’interactivité proposée par le jeu vidéo pour s’incarner en tant que
248 Vidéo Kit-Kat Killer réalisée par Greenpeace et diffusée en mars 2010 sur Youtube, https://www.youtube.com/watch?v=BNB6-iqQORA, consulté le 9 août 2012. 249 Cf annexe 32 : Schéma : Efficacité d’une stratégie digitale dans le temps
80
personnage central du jeu. Elle peut ensuite profiter des moments où elle capte son attention pour
communiquer un message car l’intérêt du jeu réside dans ce moment de réussite où le joueur est à
l’écoute. Le jeu peut également être une passerelle vers les autres outils mis à disposition des
utilisateurs : applications mobiles, pages Facebook, comptes Twitter ou sites Internet. L’advergame
peut être un relai de ces outils comme il peut tout aussi bien être relayé sur ces plateformes pour
favoriser sa viralité. Mais l’adjectif viral ne doit pas uniquement définir ce genre de jeu vidéo, sans
quoi il perd toute efficacité et nuit à la stratégie de marque globale.
La construction d’une stratégie digitale est une véritable opportunité pour les marques,
l’advergame aussi. Il représente un risque s’il n’est pas pensé de manière homogène avec
l’ensemble de la stratégie, le risque du coup de pub non consistant sur le long terme. Il est donc
préférable de penser une stratégie de communication durable et cohérente, plutôt que de
rechercher le buzz à tout prix.
2. La solution d’une communication de long terme
Un advergame seul est donc un coup d’épée dans l’eau. Il peut être inutile et sans résultat s’il est
isolé du reste de la communication de la marque, et surtout s’il n’est pas pensé de manière
pérenne. Une stratégie de communication ne s’arrête jamais dans le temps, elle doit être continue
et durable si elle veut être efficace. Ainsi, à défaut du coup de pub, l’advergame doit être un
dispositif de communication capable d’évoluer avec le temps. Par ailleurs, l’un n’empêche pas
l’autre : la marque peut réussir à créer un buzz lors de la sortie de son advergame puis répéter
l’évènement par la suite. La célèbre campagne Tipp-Expérience250 a démontré qu’il était possible
d’attirer l’attention des internautes à plusieurs reprises. Ce dispositif interactif diffusé sur Youtube
et signé par la marque Tipp-Ex, proposait à l’internaute de renommer la vidéo originellement
intitulée « A hunter shoots a bear » - le verbe « shoots » ayant été effacé à l’aide d’un blanc
correcteur Tipp-Ex. Une fois la vidéo renommée, l’utilisateur doit cliquer sur le bouton « play » pour
lancer une nouvelle vidéo reprenant l’action qu’il a proposé, comme par exemple « a hunter dances
with a bear ».
La vidéo virale lancée le 25 août 2010 par l’agence Buzzman compte aujourd’hui plus de 20 millions
de vues sur Youtube. Le second épisode a pu capitaliser sur ce succès et se présente sous la forme
250 Vidéo interactive « A hunter shoots a bear » sur la chaîne Youtube TippExperience, diffusée le 25 août 2010, consultée le 27 octobre 2012 : http://www.youtube.com/user/tippexperience
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d’une nouvelle vidéo interactive nommée « Hunter and bear's 2012 birthday party ». Cette fois,
l’utilisateur peut remplacer la date d’anniversaire par celle qu’il souhaite. Reprenant le même
dispositif, ce spot interactif diffusé depuis le 11 avril 2012 compte aujourd’hui plus de 9 millions de
vues, ce qui reste considérable.
S’inspirant de la saga publicitaire, la campagne Tipp-Expérience réussit à capitaliser sur le succès de
la première vidéo afin d’attirer l’attention du public une seconde fois. Cependant, la marque a
laissé passer près de 2 ans entre les deux vidéos, ce qui représente beaucoup sur Internet. Cette
stratégie digitale se révèle donc en dent de scie, ponctuée par des coups de pub efficaces sur le
court terme mais non sur le long terme, alors qu’il serait préférable de communiquer de manière
plus régulière.
Concernant l’advergaming, Magnum et Oasis ont d’ores et déjà lancé ce que l’on peut appeler des
sagas vidéo-ludiques par l’intermédiaire de leurs jeux respectifs : Magnum Pleasure Hunt 1 & 2 et
les applications mobiles La Chuuute et La Chuuute sur Mer pour Oasis. Lancé à un an d’intervalle,
les jeux de la saga Magnum Pleasure Hunt ont su évoluer et proposer une expérience différente,
plus ludique et plus intense à l’utilisateur. Les jeux de la marque Oasis ont quant à eux joué sur la
saisonnalité. Suite au succès de l’application mobile La Chuuute, parmi les jeux les plus téléchargés
de l’App Store durant le mois de son lancement, la marque a choisi de lancer une version estivale à
l’approche des vacances.
Afin de s’inscrire dans une démarche de producteur de contenus attractifs et intéressants, la
marque doit capitaliser sur les efforts produits de manière pérenne et renouveler l’expérience
proposée au public. Une stratégie digitale doit être pensée de manière durable si elle veut être
efficace, c’est à ce prix que les utilisateurs constateront les efforts réalisés par la marque et
s’engageront envers elles.
Le nombre d’abonnés sur une chaîne Youtube ou un compte Twitter, le nombre de fans sur
Facebook ou encore de visiteurs uniques sur site Internet sont autant de critères pris en compte par
les marques pour évaluer « l’engagement » des internautes. Parfois à tort… car l’engagement ne se
limite pas à ces seules statistiques. Il est préférable pour la marque de réfléchir à une stratégie de
long terme pour rester présent dans l’esprit des internautes et créer une relation durable avec eux.
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La création de contenus valorise la marque autant qu’elle valorise les consommateurs-internautes.
La notion de valeur de marque représente « l’attachement à la marque » par le consommateur
selon le Glossaire de la Marque251. Le digital représente une véritable opportunité pour les marques
d’attirer l’attention par l’intermédiaire d’un contenu de qualité. Le brand content permet de
fidéliser un public et une partie des consommateurs en créant une relation particulière avec eux,
par l’intermédiaire d’une expérience enrichissante. L’advergaming est le meilleur moyen pour
construire cette relation, la multiplicité des plateformes, la démocratisation du jeu vidéo et la
gamification ont rendu cet outil accessible à l’ensemble des marques, il serait dommage de ne pas
l’investir d’avantage.
251 Glossaire de la Marque : Interbrand, Jez Frampton (Editions L'Express - 13 février 2008)
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Conclusion
Force est de constater que de nombreuses marques ont réussi à s’adapter face à la remise en cause
du modèle de communication top-down qu’a provoqué l’émergence du web. Les marques ont su
surmonter la crise de la publicité, une crise à plusieurs facettes : un déclin lié en partie à un
ralentissement de la croissance, une publiphobie ambiante et surtout une inefficacité et une baisse
de l’attention publicitaire. Le brand content en ligne permet de résoudre ce problème de l’attention
et d’attirer à lui le consommateur-spectateur, nouveau rôle attribué à un public difficile à atteindre
et plus actif que jamais. Attirer de nouveau l’attention mais aussi impliquer davantage le
consommateur-spectateur restent les défis imposés aux marques afin de communiquer leurs
messages dans un environnement digital concurrentiel et où la culture publicitaire n’est pas
forcément bien accueillie. Par quelques exemples de contenus de marque, nous avons démontré
que le brand content pouvait être une solution efficace, si tant est que le contenu soit de qualité.
Dans ce cas, il se suffit à lui-même, il est auto-promotionnel.
C’est le cas de l’advergaming qui réussit à concilier attention et participation de l’internaute dans le
cadre d’un dispositif communicationnel et interactif. Le jeu publicitaire met en scène la marque
dans un univers qui lui est dédié, un dispositif qui est pensé pour elle. Il communique un message
autant qu’il communique sur lui-même notamment par un principe de viralité omniprésent sur le
web. Le jeu vidéo possède donc un double statut : il est un média qui diffuse un message de
marque, autant qu’il est dispositif interactif en proposant une expérience ludique.
En jouant à un advergame, l’internaute entre en relation avec la marque, une relation plus intense
et plus engageante car le jeu vidéo permet de retenir le joueur plus longtemps et lui offre une
interactivité qu’il ne retrouve pas dans la publicité classique. L’advergaming est un dispositif
interactif qui permet au spectateur de ne plus être passif même s’il ne l’a jamais vraiment été face
à un écran publicitaire. Il propose à l’utilisateur d’aller plus loin et de participer à une expérience
ludique qu’il peut à son tour partager à la fin.
L’analyse sémantique de Magnum Pleasure Hunt 2 nous a permis de mieux comprendre
l’advergame, la place de la marque dans ce dispositif et en quoi le jeu propose une expérience
interactive à l’internaute.
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Le jeu de marque participe à la création de valeur de la marque dans le sens où il permet d’attirer le
consommateur à elle. La valeur intrinsèque d’une marque réside dans sa capacité à influer sur le
choix du consommateur, à l’impliquer dans une relation de fidélité et à prouver son rôle de décision
dans l’acte d’achat. L’advergame doit ensuite faire partie d’une stratégie de marque globale afin de
ne pas être uniquement un « coup de pub », cette stratégie doit être durable si elle veut être
efficace.
Nous avons ainsi confirmé nos trois hypothèses tout au long de ce mémoire afin de répondre à
notre problématique et expliquer en quoi l’advergaming est un dispositif interactif qui participe à
une stratégie de marque efficace. A travers nos recommandations nous avons démontré qu’un
dispositif interactif est efficace si l’interactivité n’est pas « feinte » ou simulée et si le joueur
participe vraiment à une expérience ludique de qualité. De plus, un mauvais advergame ne
participe en rien à une stratégie efficace, bien au contraire, il lui est plutôt nuisible. Enfin, une
stratégie de marque efficace est synonyme de durable sur le web. La marque ne peut se contenter
d’un buzz pour faire parler d’elle, elle est contrainte de communiquer de manière pérenne et
répétée. L’advergame, s’il est suffisamment addictif, participe à cette répétition et peut faire l’objet
d’évolution sur le long terme.
Ainsi, l’advergaming est une pratique exigeante. La marque s’implique autant qu’elle doit impliquer
l’utilisateur, car la production d’un tel dispositif requiert du temps et un certain budget si le jeu en
ligne veut attirer l’attention. De nombreuses marques ont tenté leur chance dans l’advergaming
sans pour autant réussir à exister face à une forte concurrence sur Internet. Le succès n’est pas
toujours au rendez-vous et c’est un risque à prendre pour les marques, parfois réfractaires à ce
type d’investissement en période de crise. Or l’advergaming représente une véritable opportunité
alors même que la gamification envahit notre société. Tout le monde joue, partout et de plus en
plus, le ludique a investi des domaines qui lui étaient étrangers comme l’éducation ou l’information
par l’intermédiaire de serious games. Notre culture est maintenant imprégnée d’une culture vidéo-
ludique.
Il n’a pas été difficile pour moi de trouver des exemples à aborder dans ce mémoire, et une
nouvelle fois dans cette conclusion, tant la gamification est omniprésente, notamment sur Internet.
Voici deux exemples de dispositifs proposés en ligne qui démontrent cette dernière affirmation. Le
premier est un CAPTCHA : « une forme de test de Turing permettant de différencier de manière
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automatisée un utilisateur humain d'un ordinateur. »252 Le CAPTCHA est souvent utilisé lors de
téléchargement de logiciel en ligne, il peut parfois rebuter certains utilisateurs par sa complexité. La
société Are You Human a ainsi proposé le produit PlayThru afin de « limiter les pertes causées par
les CAPTCHAs classiques » est-il précisé dans l’article « Gamifier les CAPTCHAs profite aux marques
comme aux utilisateurs » sur Atelier.net253. PlayThru propose ainsi des mini-jeux personnalisables
par l’annonceur afin de simplifier le dispositif de vérification et surtout de le rendre plus ludique.
Les jeux proposés restent très basiques, l’utilisateur doit par exemple sélectionner les ingrédients
d’une pizza parmi une tomate, du bacon, un maillot de foot et une chaussure, avant de prouver
qu’il est humain et non un ordinateur254. Outre l’aspect ludique, cela évite le désengagement et la
déconnexion des internautes au moment du téléchargement. L’interactivité ludique est une
nouvelle fois au service de l’implication de l’utilisateur…
Autre exemple proposé par des neuroscientifiques : le mot de passe gamifié255. En effet, un
internaute se doit forcément de mémoriser de nombreux mots de passe pour naviguer sur le web,
certains étant plus complexes et sécurisés que d’autres. Ces chercheurs ont ainsi proposé un mini-
jeu reprenant le principe du jeu Guitar Hero où le joueur doit reproduire en rythme une série de
notes musicales. Le jeu propose ainsi d’effectuer une série de notes bien connue par l’utilisateur au
milieu d’une composition entière, afin de repérer les performances du joueur sur l’unique séquence
qui constitue le mot de passe. Si le joueur obtient un taux de réussite suffisant sur la séquence, le
mot de passe est validé. Certes le dispositif n’est pas infaillible mais qu’importe, il témoigne de la
tendance de gamification qui envahit notre quotidien.
De plus en plus de pratiques ordinaires font appel à des mécanismes vidéo-ludiques actuellement,
Seth Priebatsch ne s’y trompait donc pas lorsqu’il parlait de « The game layer on top of the
world »256. Même un trajet de tramway devient un instant ludique ! Plus besoin de console ou de
smartphone. Daniel Disselkoen, un artiste hollandais a simplement collé un petit monstre à la
bouche ouverte sur la vitre d’un tram et un message sur le siège en face du passager. Le but du
jeu ? Fermer un œil et tenter de manger les têtes des passants avec ce monstre. Cet artiste a pris le
252 Définition de CAPTCHA sur Wikipédia, consulté le 14 octobre 2012, http://fr.wikipedia.org/wiki/CAPTCHA 253 Source : Article « Gamifier les CAPTCHAs profite aux marques comme aux utilisateurs », diffusé le 11 mai 2012 sur le site Atelier.net, consulté le 14 octobre 2012 : http://www.atelier.net/trends/articles/gamifier-captchas-profite-aux-marques-aux-utilisateurs 254 Cf annexe 33 : CAPTCHA de PlayThru 255 Source : Article « Le Password dans la peau » posté le 20 août 2012 sur le site Labos Sciences & Vie, consulté le 14 octobre 2012 : http://www.labosvj.fr/news/le-password-dans-la-peau/ 256 Traduction : La couche ludique sur le toit du monde, Conférence TedX Boston de Seth Priebatsch, août 2010, visible ici : http://www.ted.com/talks/seth_priebatsch_the_game_layer_on_top_of_the_world.html
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même tramway pendant quatre ans pour aller en cours. Il cherchait ainsi un moyen de ne plus
s’ennuyer sans faire appel à une machine prévue à cet effet. La vidéo Man-Eater257 a ainsi été
réalisée dans le cadre de son projet « Remake Reality », ou comment revoir la réalité de manière
plus ludique à partir d’idées simples.
Ce mémoire a été écrit à partir du constat que la gamification et les jeux vidéo envahissaient notre
quotidien. Le jeu n’est pas seulement adopté par des pratiques existantes, il l’est aussi dans notre
culture. Lorsque la fanfare de l’Université de l’Ohio reprend les thèmes originaux de nombreux jeux
vidéo à la mi-temps d’un match de football américain258, on peut aisément confirmer que le jeu est
partout. Le jeu vidéo fascine (cette vidéo compte d’ailleurs plus de 14 millions de vues), la publicité
ne l’ignore donc pas et des marques comme Nike n’hésite pas à faire référence à des jeux comme
Donkey Kong ou Super Mario Bros dans son spot publicitaire Game On, World259 et d’ajouter le
hashtag #gameonworld à la fin de ses publicités…
L’évolution de la gamification est à suivre de près, cette tendance laissera sûrement bientôt sa
place à une autre, mais elle est aujourd’hui compatible avec celle du social sur le web, ce qui fait sa
force. La publicité a su profiter de la gamification pour l’intégrer dans son message ou pour
développer des advergames afin de transformer son public en joueurs.
Cependant l’advergaming est lui aussi voué à se développer, que ce soit sur la qualité et
l’expérience de jeu proposée, ou par l’intermédiaire de nouveaux supports de communication. La
publicité a toujours su profiter des évolutions technologiques pour se les approprier et continuer à
toucher les consommateurs. La publicité in-game peut être considérée comme un échec, mais un
autre dispositif fait parler de lui aujourd’hui : la télévision connectée. Elle représente un énorme
enjeu pour le jeu vidéo et ne laisse pas de marbre les annonceurs et les professionnels de la
communication qui se penchent aujourd’hui sur les nouvelles opportunités qu’elle propose. Petite
révolution de la télévision à venir, la télévision connectée risque de modifier notre consommation
des contenus médiatiques tout autant voire plus que ce qu’a provoqué Internet. La télévision
connectée s’est érigée comme « the next big thing » dans l’univers des médias. Les prévisions
annoncent près de 500 millions de télévisions connectées pour 2015 comme l’évoquait Julien
Villedieu lors de la Paris Gamification Day. La télévision connectée permet de retrouver les
257 Vidéo Man-eater de Daniel Disselkoen postée le 28 août 2012 sur Vimeo, consulté le 30 août 2012 : http://vimeo.com/44866791 258 Vidéo The Ohio State University Marching Band- Video games, diffusée le 7 octobre 2012 sur Youtube, consultée le 16 octobre 2012 : http://youtu.be/sAzzbrFgcUw 259 Vidéo Game On World de Nike, diffusée le 2 juillet 2012 sur Youtube, consultée le 3 juillet 2012 : http://youtu.be/SjpYA95oxyA
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contenus médiatiques classiques ainsi que ceux diffusés sur Internet, elle offre des applications
comparables à celles disponibles sur tablette ou mobile. Elle offre surtout un accès au web et donc
aux advergames en ligne. Que ce soit sous la forme de jeux en ligne, d’applications sur télévision
connectée, sur mobile, ou sur les réseaux sociaux, les marques ont l’embarras du choix pour
proposer leurs jeux aux utilisateurs. Les géants de l’informatique tels que Google ou Apple
proposent déjà une offre, alors que la télévision connectée est considérée comme une voie d’accès
au centre de jeu de la famille. Des rapprochements entre éditeurs ou développeurs de jeux vidéo et
fabricants de télévision risquent même de se produire à l’avenir. Associée au transmédia la
télévision connectée offre des perspectives étonnantes… Le transmédia est la pratique qui consiste
à développer un contenu narratif sur différentes plateformes de manière à faire appel aux
différentes capacités de chaque média. Un dispositif interactif comme l’advergame a bien entendu
sa place dans ce type de pratique. Reste à savoir si l’advergaming réussira à investir de nouveaux
supports afin d’être intégré au cœur du foyer ou s’il saura évoluer pour proposer une expérience
encore plus engageante…
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Bibliographie
Brand Content. Comment les marques se transforment en médias, Daniel Bô et Matthieu Guével, (2009 – Editions : Dunod) Les jeux et les hommes, Roger Caillois (1957 - Editions Gallimard) Beyond Boredom and Anxiety: Experiencing Flow in Work and Play, Mihály Csíkszentmihályi (2000 - Editions : Jossey-Bass) Glossaire de la Marque : Interbrand, Jez Frampton (2008 - Editions L'Express)
L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Jürgen Habermas (1962 - Payot) La Communication Transformative. Pour en finir avec les idées vaines, Laurent Habib (2010 – Editions : PUF) Art Ludique, Jean-Jacques Launier et Jean-Samuel Kriegk (2011 – Editions : Sonatine)
L'Ère du vide de Gilles Lipovetsky (1983 - Editions Gallimard) Reality is broken. Why Games Make Us Better and How They Can Change the World, Jane McGonigal (2010 – Editions : Penguin Press). La Nature de la Nature, Edgar Morin (1977 - Editions Seuil) Mythologie des Jeux Vidéo, Laurent Trémel et Tony Fortin (2009 - Editions : Cavalier bleu) La Société des Consommateurs, Robert Rochefort (2001 – Editions Odile Jacob) Storytelling. La machine à fabriquer les images et à formater les esprits, Christian SALMON (2007 - La Découverte) Le Pain et le Cirque, sociologie historique d’un pluralisme politique, Paul Veyne (1976 - Editions du Seuil) Game-Based Marketing, Gabe Zichermann et Joseph Lindler (2008 – Editions : Wiley)
Presse
Magazine Trois Couleurs Hors-série #7 « Games Stories. L’histoire du jeu vidéo » (2011 - Editions : MK2 Multimédia) Revue Tank numéro #1, « Play Time. Communiquer à l’ère du jeu » (2012 - Editions : Télémaque) Article “Click this ad already!” de Nick Summers, Newsweek, numéro du 26 mars et 2 avril 2012 (Editions : Daily Beast Company).
CB News, « La pub cherche son gameplay » (Juin 2012 – Dupuis Presse France)
Usbek et Rica, numéro 2 « Hackers, la révolution cool » (Printemps 2012 – Usbek et Rica)
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Sciences et Vie décembre 2011, numéro 1131 (Editions Mondadori France)
Mémoires et thèses
Mémoire « La Publicité dans les jeux vidéo : révolution ou impasse ? » de Ismaël Sow – Master 2 Professionnel Option CTN, année 2010-2011 - CELSA Paris-Sorbonne – Ecole des Mines d’Alès.
Thèse « Jeux vidéo, problèmes publiques, régulations privées. » d’Olivier Mauco, soutenue le 28 juin 2012 à l’Université Panthéon Sorbonne (Paris I).
Thèse « Le jeu vidéo comme dispositif d’instanciation. Du phénomène ludique aux avatars en réseau », Etienne Armand Amato, Docteur en sciences de l’information et de la communication (Paris 8 – 2008)
Webographie Article Place au Jeu ! sur Influencia.net, consulté le 10 avril 2012 : http://www.influenciatendance.net/brandcontent/index.php?page=18#
Magnum Pleasure Hunt, consulté le 12 juillet 2012 : http://pleasurehunt.mymagnum.com/ Magnum Pleasure Hunt 2, consulté le 12 juillet 2012 : http://pleasurehunt2.mymagnum.com/ Run Puma Run, consulté le 20 août 2012 : http://fr.puma.com/runpumarun Application Facebook Mini Maps, consultée le 19 juin 2012 : https://apps.facebook.com/minimaps/ Twitter Scrabble, consulté le 27 août 2012 : http://www.twitterscrabble.be/ America’s Army, consulté le 10 juin 2012 : http://www.americasarmy.com/ Défi Ingénieurs, consulté le 30 septembre 2012 : http://defi-ingenieurs-sncf.com/ Babble Planet, consulté le 11 juin 2012 : http://www.babbleplanet.com/fr/ Flagfriend, consulté le 3 septembre 2012 : http://www.flagfriend.com/ Article « Le marché publicitaire en 2011 » sur irep.asso.fr (Institut de Recherches et d’Etudes Publicitaires), le 15 mars 2012, consulté le 21 juin 2012. http://www.irep.asso.fr/actualites.php?id=124 Article « Baromètre du marché publicitaire : mars 2012 » sur cnc.fr, (Centre National du Cinéma et de l’Image animée), le 26 avril 2012, consulté le 21 juin 2012. http://www.cnc.fr/web/fr/barometre-marche-publicitaire/-/ressources/1706821 Article « Le marché publicitaire français en 2011 » sur irep.asso.fr (Institut de Recherches et d’Etudes Publicitaires), consulté le 21 juin 2012. http://www.irep.asso.fr/marche-publicitaire-chiffres-annuels.php Publicité et Société 2011 : Décrochages, étude TNS-Sofres Australie, sur tns-sofres.com le 27 septembre 2011, consulté le 24 juin 2012. http://www.tns-sofres.com/points-de-vue/190E522A5AE444B091DE500B455C83EE.aspx Article « La Télévision n’est pas le nouveau malin génie » par Serges Guérin, extrait de la revue Médias N°6, septembre 2005, consulté le 11 octobre 2012 : http://www.revue-medias.com/La-television-n-est-pas-le-nouveau,132.html
90
Lecture « Christian SALMON (2007), Storytelling. La machine à fabriquer les images et à formater les esprits », Nelly Quememer, dans Communication, Vol. 29/2 2012. Texte intégral : http://communication.revues.org/index2635.html « Qu’est-ce-que la Quadrature du Net ? », surlaquadrature.net, consulté le 12 août 2012. http://www.laquadrature.net/fr/qui-sommes-nous Article “Crowdsourcing” sur Wikipedia.com, consulté le 10 août 2012. http://fr.wikipedia.org/wiki/Crowdsourcing Article “Where’s Google making its money” sur PCInpact.com, le 19 juillet 2011, consulté le 22 août 2012. http://www.pcinpact.com/news/64689-google-revenus-publicitaires-assurances-pret.htm Topsites sur alexa.com, consulté le 22 août 2012. http://www.alexa.com/topsites Article « Facebook: 85% des revenus par la publicité, 12% par Zynga » sur Maxisciences.com, le 2 février 2012, consulté le 22 août 2012. http://www.maxisciences.com/facebook/facebook-85-des-revenus-par-la-publicite-12-par-zynga_art21328.html
VG Chartz http://www.vgchartz.com/gamedb/?name=&publisher=&platform=PS&genre=&minSales=0&results=200 Conférence de Jane McGonigal - Gaming can make a better world (TED - Février 2010) : http://www.ted.com/talks/jane_mcgonigal_gaming_can_make_a_better_world.html Conférence de Seth Priebatsch - The game layer on top of the world (TedX Boston - Août 2010) : http://www.ted.com/talks/seth_priebatsch_the_game_layer_on_top_of_the_world.html Article « Magnum Pleasure Hunt 2, la naissance d’une franchise ? » sur le site Brand and Contents, le 3 avril 2012, consulté le 6 août 2012. Site http://brandsandcontents.com/revue/2012/04/magnum-pleasure-hunt-2-la-naissance-dune-franchise/ Article « Gamifier les CAPTCHAs profite aux marques comme aux utilisateurs », diffusé le 11 mai 2012 sur le site Atelier.net, consulté le 14 octobre 2012 : http://www.atelier.net/trends/articles/gamifier-captchas-profite-aux-marques-aux-utilisateurs Article « Le Password dans la peau » posté le 20 août 2012 sur le site Labos Sciences & Vie, consulté le 14 octobre 2012 : http://www.labosvj.fr/news/le-password-dans-la-peau/
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Annexes
Annexe 1 : Publicité in-game – Barack Obama “Early voting has begun”
Annexe 2 : Entretiens exploratoires
Babble Planet – Eugène Ernoult (Fondateur et Directeur Développement)
En quelques mots, comment décririez-vous Babble Planet ?
Eugène Ernoult : « Babble Planet est un jeu social et éducatif destiné aux enfants de 6 à 10 ans pour
apprendre l’anglais. Le jeu se focalise exclusivement sur la pratique orale de l’anglais
(compréhension et expression) grâce à une expérience sonore et sociale innovante. Babble Planet
est le premier jeu éducatif qui va motiver les enfants à vraiment PARLER anglais ! »
Babble Planet est un serious game pour apprendre l’anglais. Quel est votre définition d’un serious
game ? Et en quoi cela peut-il influencer l’enfant dans son apprentissage ?
Eugène Ernoult : « Un serious game utilise des mécanismes de jeu vidéo pour faire passer un
message aux utilisateurs. L'objectif du jeu n'est donc pas uniquement de divertir mais également de
toucher ces utilisateurs dans un univers ludique. L'une des particularités du jeu vidéo est de
permettre aux utilisateurs d'être actifs et de prendre des décisions qui impactent sur la session de
jeu. Le fait de transmettre une information via un jeu vidéo (que ce soit une pub ou l'apprentissage
d'un nouveau mot en anglais) permet de toucher les utilisateurs dans un contexte de concentration
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et de motivation forte. Dans le cadre de Babble Planet, nous cherchons à obtenir un mélange
parfait entre jeu vidéo et contenu éducatif afin de motiver les enfants à apprendre l'anglais et leur
montrer l'intérêt de cet apprentissage. »
Selon vous, qu’apporte le ludique à l’apprentissage de l’anglais ?
Eugène Ernoult : « Le côté ludique, utilisé depuis des années dans l'éducation, permet
d'appréhender l'apprentissage d'une nouvelle manière. Il est très intéressant de présenter la même
information sous plusieurs angles puisque tous les individus ne réagiront pas forcément de la même
manière. Grâce au jeu, les enfants vont pouvoir comprendre des notions qu'il est parfois difficile à
appréhender dans une salle de classe. Dans le cas de l'apprentissage de l'anglais, le côté ludique
nous permet à la fois de mettre l'enfant dans un contexte cohérent en associant des sons et des
images mais également de motiver l'enfant à rejouer et donc à répéter plusieurs fois les mêmes
mots. L'apprentissage par répétition étant une notion très importante dans l'apprentissage des
langues. »
Babble Planet est également un jeu social, en quoi le social peut-il motiver l’enfant à apprendre ?
Eugène Ernoult : « Nous utilisons le social pour deux raisons. Cela nous permet bien sûr de mettre
en concurrence les enfants et les challenger à être le meilleur. Mais nous intégrons des
fonctionnalités sociales dans le but de montrer l'intérêt d'apprendre l'anglais : pouvoir
communiquer avec d'autres personnes. Le fait de montrer à un enfant français qu'il peut jouer et
comprendre un enfant brésilien par exemple va justifier l'apprentissage et lui montrer que l'anglais
est un moyen de communication phénoménal ! »
Concrètement quels sont vos retours sur l’utilisation de Babble Planet, les enfants apprennent-ils
plus vite ou mieux grâce à Babble Planet ?
Eugène Ernoult : « Les retours sont très bons. Les enfants ont d'incroyables capacités à apprendre
de nouveaux sons qui ne font pas partie de leur langue maternelle. Il est critique de stimuler leur
compréhension et leur expression avant l'adolescence quand ils ont toutes leurs capacités. De
nombreux parents nous disent qu'ils sont très étonnés par la vitesse à laquelle leurs enfants
adaptent leur prononciation. Cela leur permet de profiter au maximum de leur apprentissage en
cours et de casser cette timidité que l'on peut avoir lorsque l'on est amené à parler anglais. Il est
93
également parfois difficile d'immerger son enfant dans de l'anglais et Babble Planet permet aux
enfants de s'habituer à l'écoute de la bonne prononciation. »
La gamification est une tendance forte dans le monde de l’éducation, pensez-vous qu’elle va
continuer à se développer ? Et pourquoi ?
Eugène Ernoult : « L'utilisation de mécanismes de jeu dans l'éducation existe depuis très longtemps.
L'arrivée des nouvelles techniques ouvrent simplement de nouvelles possibilités pour assurer un
apprentissage de qualité et motivant. Nous pensons bien sûr que la gamification va continuer à être
de plus en plus utilisée dans l'éducation car cela permet de toucher l'enfant d'une nouvelle
manière. Cependant, nous pensons que l'utilisation de jeu éducatif se fait dans un ensemble. Cela
n'est utile que si l'enfant reçoit une éducation de qualité avec des enseignants pour l'encadrer et le
suivre. Nous pensons que le "blended learning", mélange entre apprentissage "physique" et
apprentissage "digital", est indispensable. »
Pizza Driver – Nicolas Rodoroff (fondateur)
En quelques mots, comment décririez-vous Pizza Driver ?
Nicolas Rodoroff : « Pizza Driver est un jeu sur mobile où tu gagnes ce pour quoi tu joues. Le but du
jeu est de livrer le plus de pizzas possible sur un scooter, et si tu gagnes on te livre une pizza, chez
toi, où tu veux quand tu veux. »
Comment vous est venue l’idée de départ : faire gagner des pizzas en jouant à un jeu vidéo ?
Nicolas Rodoroff : « Nous cherchions une idée jamais faite. On est parti du constat que des milliers
de jeux d'applis diverses sont en ligne chaque jour sur l'App Store. On cherchait une idée de jeu qui
permette de nous différencier. Et puis sinon on aimait bien l'idée de rapprocher un jeu de la vie
réelle. »
Peut-on décrire Pizza Driver comme un advergame (jeu vidéo publicitaire) ou simplement comme
un jeu mobile ?
Nicolas Rodoroff : « Non ce n'est pas du tout un advergame car il n'a pas été réalisé pour une
marque. Même s'il peut y avoir de la publicité à l'intérieur du jeu, Pizza Driver est un jeu mobile
"classique". »
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Pourquoi le jeu est-il si addictif selon vous ? Quel intérêt le joueur y trouve-t-il ?
Nicolas Rodoroff : « Nous avons essayé d'aller au-delà du concept marketing et de proposer un vrai
jeu, avec un gameplay, un level design, un shop. On s'est entouré de graphistes, développeurs,
illustrateurs. Nous voulions depuis le départ qu'il n'y ait pas que la pizza comme principal intérêt du
jeu. Cependant le jeu n'est pas encore fini, nous prévoyons plusieurs mises à jour au cours des
prochains mois pour améliorer la jouabilité. »
Sur quel principe de monétisation repose le jeu ?
Nicolas Rodoroff : « C'est un jeu gratuit, nous sommes rémunérés par les achats "in app" (in app
purchase) et par les publicités qui s'affichent au moment du game over. »
Comptez-vous lier des partenariats avec des marques telles que Domino’s Pizza ou Pizza Hut ?
Nicolas Rodoroff : « Oui bien sûr, nous avons d'ailleurs déjà signé un partenariat avec une
entreprise française du secteur, mais qui n'est pas Pizza Hut ni Dominos's ! »
Flagfriend – Olivier Gatelmand (fondateur)
Pouvez-vous décrire Flagfriend en quelques mots ?
Olivier Gatelmand : « Flagfriend est une application mobile qui transforme la ville en plateau de jeu
social. A l'aide d'un plan, vous pouvez vous localiser et vous emparer des lieux qui vous entourent
(bars, cinémas, écoles musées). Chaque lieu est relié à un jeu. Le meilleur score s'empare du lieu.
Vous pouvez challenger vos amis et les gens qui vous entourent et discuter avec eux grâce au chat
intégré. Les marques et les commerçants peuvent personnaliser les jeux de leurs lieux et
récompenser le talent des joueurs en leur offrant des cadeaux. Flagfriend, c’est aussi un outil
astucieux pour découvrir en un coup d'œil, les endroits importants qui se trouvent autour de vous.
Notre mission : Connecter les gens entre eux et les gens avec les lieux de manière ludique. »
Quelle est la mécanique proposée aux utilisateurs de l’application Flagfriend ?
Olivier Gatelmand : « La mécanique du jeu proposée est un mélange de casual gaming, de
géolocalisation et de compétition. On se localise pour repérer des lieux à capturer. On fait le
meilleur score sur les jeux proposés. Ces jeux sont des minute games aux gameplay simples
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accessibles à tous. Avec Flagfriend, on propose aussi un jeu varié avec plus de 100 jeux sur une
seule application. »
Sur quel principe de monétisation se repose l’application ?
Olivier Gatelmand : « Nous voulons que le jeu soit accessible au plus grand nombre, donc
l'application est gratuite et fonctionne en free-to-play. Nous avons trois sources de revenus
différentes :
- l'achat de monnaie virtuelle : lorsqu'un joueur veut jouer beaucoup et loin de sa zone, il doit
dépenser cette monnaie
- le développement de jeux mobiles pour les marques ou les commerçants
- la publicité géolocalisée »
En quoi Flagfriend se différencie-t-elle des autres applications de géolocalisation comme
Foursquare ?
Olivier Gatelmand : « Flagfriend se différencie des autres applications de jeux sur plusieurs points :
- on est localisé, donc on joue avec les gens et les lieux qui nous entourent
- on a accès à plus de 100 jeux différents au lieu d'avoir juste un gameplay avec plusieurs
niveaux
Foursquare est un outil de recommandation de lieux qui a une mécanique de jeu : celle de devenir
mayor d'un lieu. Foursquare n'est pas vraiment un jeu à proprement parler. Flagfriend est une
véritable plateforme de jeux géolocalisés. Le seul point commun que Flagfriend partage avec
Foursquare est le fait de devenir "mayor" de lieux. »
En quoi le social gaming incite-t-il les utilisateurs à jouer davantage ?
Olivier Gatelmand : «Je ne dirai pas que le social gaming incite à jouer d'avantage. C'est une forme
de jeux différente qui a un attrait évident par le fait qu'on ne joue pas tout seul. On peut se
comparer et rencontrer d'autres joueurs. Il faudrait comparer les temps de jeux moyens passés par
les joueurs de Tetris, d'Angry Birds, de World of Warcraft et de Flagfriend mais je n'ai pas ses
statistiques avec moi. Je pense que le mobile casual gaming se consomme d'une manière
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particulière. Il correspond à une envie, une humeur, un moment de la journée et/ou à un type de
joueur spécifique. »
Selon vous, les applications gamifiées (qui font appel aux mécaniques du jeu) vont-elles
continuer à se développer ? Et pourquoi ?
Olivier Gatelmand : «Oui c'est évident. On vit dans une société de divertissement. Toutes les études
montrent que le jeu aide à adhérer plus facilement. Car il procure du plaisir, il n'est pas ennuyeux.
Les marques, le marketing, la télévision l'ont compris et l'utilisent de manière importante. »
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Annexe 3 : Analyse sémantique – Magnum Pleasure Hunt 2
Le jeu vidéo publicitaire Magnum Pleasure Hunt 2. Accross the World (ou « La chasse aux plaisirs 2.
A travers le monde ») fait ici l’objet d’une analyse sémantique afin de mieux décrypter la vocation
publicitaire et communicationnelle de ce genre de dispositif. Il est possible d’accéder à ce jeu en
ligne à partir d’un site dédié260 où l’on retrouve donc la suite du premier épisode lancé en mai 2011,
Magnum Pleasure Hunt. Accross the Internet261. Nous avons souhaité nous arrêter sur la dernière
version, plus récente et plus aboutie sortie en avril 2012 et dont le succès est tout aussi important.
Mise à plat
1. Message iconique
Arrivé sur le mini-site Magnum Pleasure Hunt 2, l’écran d’accueil invite directement le joueur à
commencer l’expérience. Une femme habillée d’une robe couleur marron chocolat aux reflets
dorés, arrive en courant sur un fond oscillant entre l’or éclatant et le marron foncé. Une
introduction permet de connaître les touches du clavier à utiliser pour interagir avec le dispositif et
diriger cette femme, seule personnage contrôlable du jeu : flèches directionnelles et barre d’espace
sont les seules touches dont doit se préoccuper l’utilisateur. L’introduction fixe également les
objectifs du jeu : récolter le plus de chocolats possibles, et essayer d’attraper les pépites pour
accéder aux bonus. Après quelques secondes de brève formation, le joueur est paré pour
commencer et l’écran suivant l’invite directement à jouer, accompagné d’un décompte « 3,2,1…
C’est parti ! »
260
Site Magnum Pleasure Hunt 2, consulté le 10 octobre 2012 : http://pleasurehunt2.mymagnum.com/ 261
Site Magnum Pleasure Hunt, consulté le : http://pleasurehunt.mymagnum.com/
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Le joueur doit faire avancer le personnage vers l’écran suivant. Il se retrouve alors sur le moteur de
recherche Bing Maps. L’écran est figé sur la ville de New York, et notre personnage peut facilement
attraper les chocolats à disposition en montant sur les éléments de décor : textes, images, onglets.
L’ensemble des représentations graphiques présentes sur les sites Internet que traverse l’héroïne
sont autant d’éléments avec lesquels le joueur peut interagir. De plus, on remarque en haut à
droite que sont indiqués le temps et le score en cours (bien sûr plus le joueur récolte de chocolats,
plus le score augmente).
Level 1 (niveau 1) : en continuant en direction de la carte de New York, le joueur plonge alors dans
une rue new-yorkaise où il doit récolter les fameux chocolats et tenter d’attraper les « Infinity
bonus » en forme de pépites de chocolat. Il devra ensuite traverser un carrefour où se croisent taxis
jaunes et bus de la ville, vue du dessus cette fois.
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Après ce court passage et ces deux niveaux à New York, une cinématique se lance. Le personnage
principal se retrouve sur une page de Bing Maps et dézoome pour quitter New York, faire tourner la
terre et choisir de plonger à Paris.
100
Arrivée dans la capitale parisienne, l’héroïne se retrouve au milieu d’une scène de dispute figée où
un policier inflige une contravention à un homme en scooter. Elle choisit de lui prendre le casque
de ce dernier et d’emprunter son Vespa.
C’est ici que début le Level 3 (niveau trois) : le joueur traverse le Pont Neuf à Paris en scooter
(toujours en récoltant les chocolats et les bonus).
Une fois la Seine traversée, une nouvelle cinématique : l’héroïne inscrit dans une écriture
manuscrite « Bulgari Store Paris » dans la barre de recherche de Bing Maps.
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Une fois dans le Bulgari Store Paris, elle se promène dans le magasin, attrape un sac, essaie une
paire de lunettes avant de s’asperger de parfum. Ce parfum va ensuite la faire rêver pour
l’emmener Place Vendôme, où se tient le Level 4 (niveau 4). Accrochée à des ballons aux couleurs
pastel, notre personnage va ensuite se laisser flotter le long d’un immeuble haussmannien. Le
joueur doit alors la faire vaciller entre les chocolats de manière très lente et très fluide.
Arrivée en haut de l’immeuble, l’héroïne se dirige vers un panneau publicitaire pour la compagnie
KLM Airways qui propose un voyage à Rio de Janeiro au Brésil.
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Le joueur débute le Level 5 (niveau 5) sur une avenue pavée en bord de plage à Rio.
Durant sa course, l’héroïne fait même un arrêt à l’Hôtel Fasano pour se ressourcer : une succession
d’images et une barre de « rechargement » s’affichent à l’écran.
A la fin de cette avenue, l’héroïne se dirige vers la plage. L’image est une nouvelle fois figée et notre
personnage s’empresse d’emprunter la planche d’un surfeur. Il s’agit du dernier niveau, le Level 6,
où le joueur dirige maintenant une surfeuse sur une vague avant de terminer sur un coucher de
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soleil. Un message s’affiche : « Bravo, vous avez gagné ! » et un Magnum Infinity apparaît sur cette
plage soleil couchant, avant le décompte du score. Le dernier écran indique donc le score, le
classement du joueur (parmi tous les joueurs) et propose de partager le jeu sur les réseaux sociaux
Facebook et Twitter ou de lancer un défi à un ami.
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2. Message linguistique
Le premier écran est un écran de présentation, il comporte le nom de la marque « Magnum » au-
dessus du nom du jeu « La chasse aux plaisirs 2 » inscrites en lettres d’or. Le sous-titre « A travers
le monde » vient compléter le nom de ce deuxième épisode. En dessous, un onglet suggère une
invitation « cliquez ici pour commencer ». L’écran suivant propose une introduction et emploie
l’impératif pour inciter le joueur à effectuer les actions nécessaires pour l’utilisation du dispositif :
« Appuyez sur la flèche pour avancer » accompagnée d’une représentation graphique de la touche
du clavier correspondant à la flèche droite. Une fois que le joueur a effectué l’action, une nouvelle
injonction lui est proposée, employant toujours l’impératif. Cependant le joueur peut également
« passer l’introduction » en cliquant sur le bouton dédié.
Une fois l’introduction terminée, le jeu invite l’utilisateur à se lancer par une phrase pleine
d’enthousiasme « 3,2,1… C’est parti ! » Ce décompte rappelle ainsi que le jeu est chronométré, un
compteur s’affiche en haut à droite de l’écran accompagné du score en cours. Tout au long du jeu,
quelques repères linguistiques rappellent ainsi à l’utilisateur qu’il est bien dans un jeu vidéo. Entre
chaque niveau, un message indique alors à quel stade ce situe le joueur « Level 1 : … ». Le
terme « level » qui signifie niveau en anglais, est un terme récurrent du jeu vidéo, qui a d’ailleurs
donné lieu à l’expression « level up » qui signifie passer au niveau suivant. De plus, chaque niveau
annonce le lieu où se situe l’action : New York, Paris, Rio de Janeiro… Chacun des lieux est
représenté symboliquement par une rue, avenue ou pont historique ou typique de la ville, ce qu’on
appelle communément une métonymie.
Autre point, les marques partenaires du jeu ont une belle place tout au long de l’aventure,
puisqu’on retrouve notamment Bing Maps. Le moteur de recherche et de géololcalisation est
l’écran intermédiaire entre chaque niveau. On y découvre ainsi ses fonctionnalités comme la barre
de recherche où l’héroïne inscrit ses destinations. L’une d’entre elles, écrite manuellement, se
trouve être le « Bulgari Store Paris ». Enfin, le panneau publicitaire indiquant le voyage à Rio de
Janeiro au Brésil met en avant la marque KLM Airways. L’affiche reprend les codes de la publicité
classique avec le message « Journeys of inspiration »262 et le slogan « Rio de Janeiro just gets
closer »263.
262
Traduction : « Des voyages d’inspiration » 263
Traduction : « Rio de Janeiro se rapproche »
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Une fois le jeu terminé, l’écran de fin félicite irrémédiablement le joueur, quel que soit sa
performance : « Bravo, vous avez gagné ! » Puis s’affiche alors la glace Magnum Infinity
accompagné un texte descriptif du produit et une signature « pour un plaisir plus intense… plus
longtemps. » qui conclut l’animation. Le dernier écran présente le score du joueur « votre score est
de … » et lui propose de le partager ou défier ses amis par l’intermédiaire des réseaux sociaux
Twitter et Facebook symbolisés par leurs logos respectifs, ou par mail (représenté par une
enveloppe) Chaque action est symbolisée par un bouton, tout comme celle d’afficher ou soumettre
son score, qui permet de se comparer aux autres participants dans un classement. Enfin, en bas de
page de cet écran animé, le joueur peut décider de « rejouer », sous-entendu au même jeu ou de
choisir un « autre jeu » : La chasse aux plaisirs 1.
3. Message scénique
Dès le premier écran de jeu, l’héroïne est constamment en mouvement, courant sur place en
attendant que la partie se lance. Cette femme est en image réelle et non en image de synthèse, les
animations sont donc relativement fluides : course et saut sont les deux principales actions qu’elle
puisse réaliser. Cependant, le jeu n’est pas pour autant « réaliste » au sens propre du terme : les
sauts sont parfois très hauts, et l’héroïne n’hésite pas à survoler des obstacles dès le premier
niveau.
Autre point important, ce jeu fait véritablement la transition entre cet épisode et le précédent. Le
jeu La Chasse aux Plaisirs 1 proposait aux joueurs de traverser Internet par l’intermédiaire de
nombreux sites où l’héroïne, déjà en robe marron dorée, profitait des éléments de décor comme
autant de plateformes sur lesquelles elles pouvaient s’appuyer : zone de texte, images,
représentations graphiques, onglets ou boutons étaient autant d’éléments de décor avec lesquels
elle pouvait interagir. C’est exactement le cas dans le tout premier écran de La Chasse aux Plaisirs
2, où notre personnage se retrouve dans le moteur de recherche Bing Maps, et où l’écran figé lui
donne accès aux différents « plaisirs », comprenez les fameux chocolats, par l’intermédiaire des
images ou du texte présents sur la page. Cet écran est le fil rouge de l’aventure, l’héroïne arrive par
l’outil de géolocalisation Bing Maps et l’utilise comme intermédiaire entre le deuxième et le
troisième niveau afin de rejoindre Paris, puis pour se rendre au Bulgari Store dans cette même ville.
Les fonctionnalités des éléments de décor sont donc exploités au maximum dans l’animation (mais
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pas forcément dans l’interaction puisque le joueur ne peut pas choisir lui-même dans quel lieu il
souhaite se rendre).
Dans chaque niveau, l’action est mise en scène de la même manière que dans les jeux vidéo, elle
reprend ainsi les mécaniques vidéo-ludiques pour inviter au jeu. Le premier niveau dans une rue
new yorkaise, le troisième sur le Pont Neuf ou encore le cinquième niveau à Rio reprennent un
classique du jeu vidéo, aussi appelé Rail Shooter : le décor avance en même temps que le
personnage sauf qu’ici au lieu de tirer sur des ennemis, notre héroïne traverse un couloir virtuel en
récupérant des morceaux de chocolats, le décor avance en même temps qu’elle. Le deuxième
niveau utilise lui une vue du ciel, que l’on retrouve dans les jeux de stratégie, les premiers opus des
Sims ou GTA. Le personnage doit éviter les bus et taxis en traversant l’avenue tout en récupérant
des points. De bout en bout, le joueur ne peut d’ailleurs pas sortir du cadre imposé par le jeu, il doit
suivre le chemin imposé s’il veut terminer le jeu. Par ailleurs, il faut préciser que le jeu avance tout
seul à partir du premier niveau, même si le joueur n’effectue aucune action.
Plusieurs scènes donnent l’impression que le personnage évolue dans un espace-temps différent
puisque les actions sont figées : la scène entre le policier et l’homme au scooter, la visite du Bulgari
Store, l’enfant aux ballons, le surfeur sur la plage. L’héroïne traverse un monde figé. Même les
niveaux semblent arrêtés par le temps, seule compte l’animation du jeu.
Les transitions entre chaque niveau, par l’intermédiaire de scènes animées, permettent de rythmer
les séquences de jeu (l’expérience dure en moyenne 5 à 8 minutes). Après la première séquence, le
personnage tombe dans la carte de Bing Maps pour se retrouver à New York. A la fin du second
niveau, elle se permet de réduire la fenêtre de recherche sur l’outil de géolocalisation et de faire
tourner la terre pour choisir sa destination (encore une fois, le temps est littéralement figé). Après
sa traversée du Pont Neuf, elle choisit de retourner dans le moteur de recherche pour se rendre au
Bulgari Store Paris, où elle va choisir un sac, un bijou, un parfum… Ce parfum qui va ensuite la
mener au niveau 4 sur la Place Vendôme, accrochée à des ballons flottants. Enfin elle décide de
traverser un panneau publicitaire pour se rendre à Rio, où elle n’hésitera pas à emprunter une
planche de surf pour prendre la vague sur un soleil couchant.
L’ensemble de la mise en scène est plutôt poétique et raffinée, rythmée par ces animations et la
musique. Une musique en boucle, comme dans de nombreux jeux vidéo, ponctuée par quelques
sonorités à chaque fois que le personnage s’empare d’un morceau de chocolat ou d’une pépite. Ces
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sons rappellent bien évidemment les jeux de plateformes où le joueur doit récupérer l’ensemble
des pièces pour parvenir à ses fins.
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Analyse
Ce jeu est un exemple parfait pour l’analyse d’un advergame car il est composé par plusieurs
marques et développe une expérience unique, purement ludique, tout en communiquant un
message cohérent avec la stratégie de la marque, entre plaisir et intensité.
Magnum Pleasure Hunt 2 : entre jeu vidéo et publicité
L’ensemble du jeu est construit sur les partenariats établis avec les différentes marques ayant
accepté de participer à l’expérience. Le premier épisode était composé de nombreux sites web,
laissant peu de temps à l’utilisateur d’entrer dans une vraie relation avec chacune des marques
présentées. Ce n’est pas le cas ici, puisque seulement 5 marques entrent en jeu : Magnum, Bing,
Bulgari, KLM et Hôtel Fasano. Chacune des marques met en avant un produit, une offre, un service
dans les animations qui rythment les séquences de jeu. Bing présente sa fonctionnalité Bing Maps,
outil de géolocalisation simple à utiliser. Bulgari devient le symbole du luxe sur la Place Vendôme à
Paris, et n’hésite pas à mettre en avant ses produits en boutique : sacs, lunettes de soleil, bijoux ou
parfums… La présence de l’affiche publicitaire KLM Royal Dutch Airlines est également intéressante,
voire surprenante, et fait figure de mise en abyme : une publicité dans une publicité. En effet, on
retrouve ce panneau publicitaire reprenant tous les codes classiques de la publicité : visuel
fantasmatique, slogan accrocheur, signature et marque à l’appui. Cette publicité est d’ailleurs une
forme d’in-game advertising, une publicité dans le jeu vidéo sous couvert de partenariat avec
Magnum. Cette publicité mentionne la signature de la marque : « Journeys of inspiration »,
totalement en adéquation avec l’advergame dans lequel elle est présente puisque Magnum
Pleasure Hunt 2 peut être qualifié de « voyage songeur » comme nous le verrons par la suite. Enfin
l’Hotel Fasano présente les vertus relaxantes et la qualité de son service à travers la pause que
s’accorde l’héroïne, lui permettant de se « recharger », autre terme employé au jeu vidéo.
Chaque marque présente dans le jeu a le droit à son moment d’exposition, le but étant de
l’introduire de manière intelligente alors que le joueur est actif et porte son attention sur le jeu.
L’advergame sert donc de vitrine publicitaire autant qu’il implique l’utilisateur puisque ce dernier
récolte des morceaux et des pépites de chocolats tout au long du jeu, symboles de la glace
Magnum.
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L’univers choisit par la marque est celui du voyage et non celui des glaces, cependant il s’inscrit
dans un processus de storytelling, point commun entre les jeux vidéo et la publicité. Les deux
racontent une histoire, ici il s’agit de celle d’une femme qui voyage à travers Internet et à travers le
monde, en quête de plaisirs intenses (les chocolats). Ainsi, tout le mécanisme du jeu repose sur
cette quête ponctuée par des « Infinity Bonus » donnant accès à encore plus de chocolats à
récolter. A noter que le terme Infinity est également associé au produit proposé en fin de jeu : le
Magnum Infinity qui procure « un plaisir intense, plus longtemps ».
De plus, les mécanismes utilisés dans cet advergame sont typiques des jeux vidéo : rail shooter
(couloir virtuel qui avance en même temps que le personnage) et jeu de plateforme sont combinés
dans ce jeu à plusieurs niveaux. Le joueur retrouve également des actions simples typiques des jeux
vidéo : course, saut, récolte de points/bonus. Mais aussi des repères simples : décompte du temps
et du score, indication du niveau en début d’exercice (les fameux « level ») ou encore les
cinématiques qui permettent les transitions entre chaque niveau.
Dès le début du jeu, il y a également une véritable injonction à l’interactivité faite à l’utilisateur.
L’emploi de l’impératif lors de l’introduction invite le joueur à réaliser les actions demandées, tout
comme le bouton « Cliquez ici pour commencer » qui permet de lancer le jeu. Durant l’action, des
conseils comme « Sautez ici » (pour accéder aux bonus) sont aussi faits à l’utilisateur, afin de
l’orienter dans le jeu. Les chocolats et les pépites en surbrillance indiquent de manière implicite au
joueur qu’il s’agit de les récolter, associées aux notes positives qui ponctuent la quête à chaque fois
que le joueur attrape un chocolat. Tout est fait pour encourager le joueur à participer à
l’expérience. Le joueur est guidé de manière à lui simplifier la tâche, seules les touches
directionnelles droite/gauche et la barre d’espace sont nécessaires pour interagir avec le dispositif.
Cette règle simple est rappelée à chaque début de niveau. Certains niveaux proposent des couloirs
virtuels où le joueur a juste à déplacer le personnage principal de droite à gauche pour récolter des
chocolats. Un autre vu du dessus indique dès le début où se trouve la destination via la mention
« Exit ». Ces mécanismes simples visent donc à inciter le joueur à participer et interagir avec le
dispositif, en ce sens, nous sommes véritablement en présence d’un jeu vidéo, mais un jeu au
service d’une marque.
Un voyage en forme de rêve éveillé
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Dès le début du jeu, l’héroïne plonge dans la carte virtuelle de New York affichée sur Bing Maps et
se retrouve au cœur de la ville. Le jeu nous indique alors une information importante : il n’est pas
« réaliste ». Réaliste dans le sens où toutes les actions proposées ne sont pas possibles dans la vie
réelle. Il se présente plutôt comme un doux songe… L’héroïne voyage à travers le monde dans un
espace-temps figé, ce qui lui permet de profiter des plaisirs intenses du jeu Magnum Pleasure Hunt
2 plus longtemps, sous-entendu des plaisirs du Magnum Infinity.
En effet, l’espace-temps semble figé dans ce jeu où les animations mettent en scène des situations
arrêtées : terre qui tourne sur elle-même, scène de dispute entre un automobiliste et un scooter,
surfeur immobile sur la page de Rio de Janeiro… Seule l’héroïne est en mouvement et ne se prive
pas du plaisir que représente cet arrêt dans le temps. Le jeu réalise donc un rêve mythique :
pouvoir contrôler le temps qui passe. Paradoxalement, le chronomètre tourne pendant que le jeu
se déroule…
Après son escapade à New York, l’héroïne se retrouve au Bulgari Store à Paris où une simple
vaporisation de parfum représentée par des paillettes dorées l’emmène Place Vendôme, accrochée
à des ballons aux couleurs pastel lui permettant de flotter dans les airs. A noter que cette image
rappelle fortement la publicité pour Miss Dior Chérie, où une jeune fille survole Paris suspendue à
des ballons aux couleurs identiques (ci-dessous).
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A la fin de cette balade aérienne, notre personnage décide de traverser un panneau publicitaire
pour KLM invitant au voyage. Sur l’affiche, le message « Journeys of inspiration » sonne comme une
évidence : tout le jeu tourne autour de ce rêve de voyage, de liberté et d’évasion. L’héroïne réalise
ainsi le rêve de nombreux consommateurs en traversant cette publicité et accomplit le désir
d’évasion ultime.
Enfin, rappelons que plusieurs connotations érotiques de l’ordre du fantasme viennent ponctuer le
jeu. Bien sûr le titre est plutôt évocateur : « la chasse aux plaisirs » sous-entend une autre forme de
plaisir que la récolte chocolats. Ensuite, le personnage principale dirigée par l’utilisateur est une
belle femme à l’image réelle (et non en image de synthèse), en robe marron dorée ou en maillot de
bain lorsqu’elle fait du surf. Tout au long du jeu, les pépites de chocolat « Infinity Bonus » donnent
accès à plus de plaisirs puisqu’elles libèrent des d’autres chocolats. L’aventure se conclut d’ailleurs
sur la présentation du Magnum Infinity et sa description sans équivoque : « un plaisir plus intense…
plus longtemps ». Cette phrase fait référence au jeu précédent Magnum Pleasure Hunt qui était
plus court et qui ne comportait pas de bonus, mais elle fait surtout penser à l’activité sexuelle et
rappelle dans ce sens la communication de certaines marques de préservatifs. L’érotisme est l’une
des valeurs de la marque Magnum, elle est ici parfaitement représentée dans ce jeu vidéo
publicitaire aux allures de fantasme.
La notion de rêve est un point commun entre la publicité et le jeu vidéo. Ce thème est l’un des
points communs entre ces deux univers. La publicité a pendant longtemps voulu faire rêver le
consommateur, avant d’entrer dans une ère de transparence et d’authenticité. Le jeu vidéo est
quant à lui souvent l’objet de scénarios oniriques, de décors surréalistes et d’actions incroyables.
Ainsi, Magnum Pleasure Hunt 2 rassemble la publicité et le jeu vidéo autour du rêve, pour mieux
promouvoir la glace Magnum Infinity et surtout faire vivre une expérience originale et unique à
l’internaute.
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Annexe 4 : Pixelator
Annexe 5 : Brandalism project & street art
24 artistes de huit nationalités différentes ont collaboré pour le « Brandalism Project » dont le but
était de « réaliser la plus grande campagne subversive dans l’histoire du Royaume-Uni »264. Le
brandalism est un mot contractant les mots « brand » et « vandalism », il résume bien la volonté
des artistes publiphobes de « lutter contre la pollution visuelle affectant notre environnement
mental et notre bien-être personnel » selon leurs propres termes265.
Ces artistes provocateurs ont ainsi détourné des affiches publicitaires ou créé des « contre-
publicités » afin de dénoncer la pression publicitaire dont sont victimes les citoyens. Parmi les plus
belles créations du collectif, on remarquera notamment le tombeau code-barre de Paul Insect
installé à Manchester.
264 « Brandalism project : l’art de détourner les panneaux publicitaires », sur lesinrocks.com le 23 juillet 2012, consulté le 27 juillet 2012. http://blogs.lesinrocks.com/plein-ecran/2012/07/23/brandalism-project-detournement-panneaux-publicitaires/ 265 Ibid.
113
Le message Consume This d’Eyesaw installé à Bristol
Le détournement du logo Nike par Shift/Delete intitulé Knike Crime
Plus inquiétant pour les publicitaires, ce genre de détournement sont devenus à la mode, le street
art a même droit à ses expositions, et le mouvement anti-pub inspiré par Banksy fait des émules, à
tel point que le célèbre (et pourtant anonyme) artiste britannique fait figure de chef de file
aujourd’hui, grâce à ses œuvres controversées, très critiques envers la société de consommation.
On retiendra notamment le pochoir de cette fille en pleine chute avec un caddie de supermarché,
peint sur l’immeuble d’une banque du quartier de Mayfair à Londres. L’artiste joue avec les signes,
s’amuse des étrangetés de la rue, pour mieux critiquer la société consumériste et détourner des
affiches publicitaires.
114
Annexe 6 : Publicité H&M (Mai 2012)
115
Annexe 7 : Super Mario Annexe 8 : Jumpman dans Donkey Kong
Annexe 9 : Super Mario Bros Annexe 10 : The Legend of Zelda
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Annexe 11 : Public et cible, deux entités distinctes
Annexe 12 : Exposition Game Story, une histoire du jeu vidéo au Grand Palais
Annexe 13 : Pong
117
Annexe 14 : Space Invaders Annexe 15 : Pacman
Annexe 16 : Console NES Annexe 17 : Tetris
118
Annexe 18 : Sonic the Hedgehog Annexe 19 : The Sims
Annexe 20 : Publicité pour la Wii de Nintendo
Annexe 21 : Pepsi Invaders
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Annexe 22 : Publicité in-game – FIFA
Annexe 23 : Publicité in-game, Madden NFL
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Annexe 24 : Michael Jordan dans NBA 2K11
Annexe 25 : GT Concept by Citroën
121
Annexe 26 : Publicité in-game McDonald – Farmville
Annexe 27 : Schéma du concept de flow de Mihály Csíkszentmihályi
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Annexe 28 : Run Puma Run
Annexe 29 : Twitter Scrabble
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Annexe 30 : Mini Maps et GTA II
Annexe 31 : Oasis La Chuuute et Doodle Jump
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Annexe 32 : Schéma stratégie digitale dans le temps
Annexe 33 : CAPTCHA de PlayThru
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Résumé du mémoire
Partie 1
La publicité est en crise, non pas seulement dans les chiffres mais surtout dans son efficacité. Le
problème de l’attention publicitaire est plus que jamais présent aujourd’hui dans un contexte
d’évolution de la communication lié aux pratiques du web et à la remise en cause du modèle top-
down. Le brand content en ligne est une solution apportée par les marques pour répondre à ce
problème d’attention, il permet d’attirer l’internaute plutôt que d’aller à sa rencontre et de
l’impliquer dans la relation marque-consommateur.
Partie 2
L’advergaming est une forme de brand content à part puisqu’il permet à travers un dispositif
interactif et communicationnel de faire vivre une expérience ludique à l’utilisateur tout en
communiquant un message de marque. Inspirés par la tendance de la gamification, les
professionnels du marketing ont adopté ce dispositif qui fait appel aux mécanismes du jeu vidéo
afin d’engager davantage l’utilisateur. L’analyse sémantique du jeu Magnum Pleasure Hunt 2
permet de mieux comprendre l’interactivité présente dans le jeu de marque et ses enjeux.
Partie 3
Un advergame de qualité et évolutif sur le long terme participe à une stratégie digitale efficace si la
marque l’introduit dès le début et ne compte pas sur l’advergaming pour faire un coup de pub, une
augmentation de la notoriété éphémère qui nuit parfois à la stratégie globale. Penser le jeu
publicitaire comme un élément distinctif de la stratégie digitale en utilisant son interactivité et ses
capacités virales, est le meilleur moyen de capitaliser sur les efforts de la marque dans la
production de ce type de dispositif.
Mots-clefs
Advergaming, advergames, gamification, serious games, jeu vidéo, jeu, joueur, ludique, expérience,
dispositif, interactivité, interaction, engagement, digital, Internet.