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Institut de recherches économiques et régionales Université de Neuchâtel – Suisse VERS UN NOUVEAU DÉVELOPPEMENT POUR LA CHAUX-DE-FONDS ET LE LOCLE Etude dirigée par Denis Maillat, professeur Olivier Crevoisier, directeur de recherche et réalisée par Sophie-Hélène Bataïni, collaboratrice scientifique Août 1999

VERS UN NOUVEAU DÉVELOPPEMENT POUR LA CHAUX DE-FONDS ET … · Me Jean-Philippe Kernen, avocat et notaire; secrétaire général de l’AIP, La Chaux-de-Fonds ... dispose là d’un

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Institut de recherches économiques et régionales Université de Neuchâtel – Suisse

VERS UN NOUVEAU DÉVELOPPEMENT POUR LA CHAUX-DE-FONDS ET LE LOCLE

Etude dirigée par Denis Maillat, professeur

Olivier Crevoisier, directeur de recherche

et réalisée par Sophie-Hélène Bataïni, collaboratrice scientifique

Août 1999

SOMMAIRE

REMERCIEMENTS............................................................................................................................................................ii

RÉSUMÉ.......................................................................................................................................................................................... I

INTRODUCTION .................................................................................................................................................................. 1

PREMIÈRE PARTIE : DIAGNOSTIC GÉNÉRAL .............................................................................. 2

1. L’ÉVOLUTION DU SYSTÈME DE PRODUCTION................................................................................................ 2 1.1 L’éloignement des centres de décisions ............................................................................................. 2 1.2 Une économie basée sur des activités de type secondaire .................................................. 2 1.3 Des activités induites sous-représentées ........................................................................................... 7

2. L’ÉVOLUTION DE LA POPULATION RÉSIDANTE ET DE SES COMPORTEMENTS ........................ 8 2.1 L’augmentation des mouvements pendulaires .............................................................................. 9

3. DES VILLES QUI NE FONT PLUS SOCIÉTÉ ........................................................................................................ 12 4. FAIRE LE DEUIL DU PASSÉ........................................................................................................................................ 13 5. LA QUESTION DE LA GOUVERNANCE LOCALE ........................................................................................... 13

5.1 Le contexte de mondialisation ................................................................................................................ 15 5.2 L’exemple de la Troisième Italie .......................................................................................................... 16

6. RECRÉER L’URBANITÉ DES VILLES.................................................................................................................... 17 7. CONCLUSION DU DIAGNOSTIC : UNE VOIE BASSE, UNE VOIE HAUTE ........................................ 20

DEUXIÈME PARTIE : UN NOUVEAU MODE DE GOUVERNANCE ........................ 22

1. PRINCIPES ET OBJECTIFS ........................................................................................................................................... 22 1.1 Savoir comment faire avant de décider quoi faire.................................................................. 22 1.2 Fusionner les communes pour recomposer le territoire .................................................... 22 1.3 Instaurer un nouveau mode de gouvernance .............................................................................. 23 1.4 Mettre les politiques publiques au service du développement ...................................... 25

2. ANALYSE SECTORIELLE............................................................................................................................................. 26 2.1 La promotion économique ......................................................................................................................... 26 2.2 La culture ................................................................................................................................................................ 30 2.3 L’urbanisme .......................................................................................................................................................... 34

TROISIÈME PARTIE : DES PISTES DE DÉVELOPPEMENT .......................................... 37

1. L’INTÉGRATION DES PRESTATIONS EN MATIÈRE D’ENTREPRENEURIAT................................. 37 2. LA CULTURE COMME INSTRUMENT DE DÉVELOPPEMENT ................................................................. 40 3. L’AMÉNAGEMENT URBAIN POUR REFAIRE DE LA VILLE UN LIEU DE SOCIALISATION ................................................................................................................................................................ 42 4. L’AMÉNAGEMENT URBAIN POUR AMÉLIORER L’IMAGE ET L’IDENTITÉ DES COMMUNES ......................................................................................................................................................................... 43 5. UNE GRILLE D’ANALYSE........................................................................................................................................... 43

ANNEXE I : TYPOLOGIE DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES............................................... 45

ANNEXE II : L’ÉTAT DU CADRE BÂTI RÉSIDENTIEL DES COMMUNES .......... 47

ANNEXE III : LA SITUATION FINANCIÈRE DES COMMUNES ...................................... 50

i

REMERCIEMENTS

Ce travail est le résultat d’une recherche à laquelle de nombreuses personnes ont contribué. Les auteurs assument l’entière responsabilité des propos énoncés dans le présent rapport. Ils tiennent à remercier M. Nicolas Babey, dont la réflexion sur le développement de la région a été particulièrement utile pour élaborer ce rapport. Ils remercient aussi toutes les personnes qui leur ont fait part de leur point de vue sur les villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle. Il s’agit notamment de :

M. Charles Augsburger, président du Conseil communal, La Chaux-de-Fonds

M. Gil Baillod, directeur des rédactions, L’Impartial et L’Express, La Chaux-de-Fonds

M. Pierre-Olivier Chave, directeur général de Précinox; président de l’Association industrielle et patronale (AIP), La Chaux-de-Fonds

Mme Caroline Choulat, Service économique de la Ville de La Chaux-de-Fonds

M. Jean-Pierre Duvanel, conseiller communal, Le Locle

M. Jean-Claude Fatton, président de N-Tec, La Chaux-de-Fonds

M. Pius Felber, vice-président de Tissot SA, Le Locle

M. Pierre Feller, président de Métalem SA, Le Locle

M. Christian Gobat, Service économique de la Ville de La Chaux-de-Fonds

M. Samuel Jaccard, directeur de l’Ecole d’Ingénieurs du Canton de Neuchâtel, Le Locle

M. Paul Jambé, conseiller communal, Le Locle

Me Jean-Philippe Kernen, avocat et notaire; secrétaire général de l’AIP, La Chaux-de-Fonds

Mme Janick Nardin, présidente de « La Grange », Le Locle

Mme Josiane Nicolet, présidente du Conseil communal, Le Locle

M. Félix Schiess, représentant Swisscom, Le Locle

M. Marc Schlüssel, directeur des régions, Tourisme Neuchâtelois, La Chaux-de-Fonds

Madame Frédérique Steiger, Service d’architecture et d’urbanisme de la Ville de La Chaux-de-Fonds

M. Pierre Studer, architecte, Pierre Studer SA, Neuchâtel

M. Denis de la Reussille, conseiller communal, Le Locle

M. Pierre-Alain Rumley, professeur à l’EPFL, ancien chef du Service cantonal de l’aménagement du territoire, Neuchâtel

M. François Thiébaud, président de Tissot SA, Le Locle

Mme Maria Vanoli, responsable du personnel, Tissot SA, Le Locle

M. Hugues Wülser, délégué culturel de la Ville de La Chaux-de-Fonds

M. Pierre-André Zanchi, directeur général de Huguenin Médailleurs, Le Locle

Les membres de la Commission économique de la Ville de La Chaux-de-Fonds

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RÉSUMÉ

Depuis le milieu des années 70, et après plusieurs décennies de croissance, les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle sont marquées par des crises successives engendrant d’importantes mutations auxquelles les acteurs économiques, politiques, sociaux et culturels s’ajustent non sans difficultés.

Avec la mondialisation des activités économiques, de nombreuses entreprises du Haut du canton de Neuchâtel auparavant contrôlées par des dirigeants-propriétaires locaux, sont passées aux mains de cadres et de capitaux extérieurs. Leur développement se fait dès lors avec une implication moins grande dans la vie économique, politique, sociale et culturelle locale. On assiste ainsi à une désintégration du leadership local qui était auparavant particulier à La Chaux-de-Fonds et au Locle.

L’analyse de l’évolution du système de production indique que les communes sont marquées par une division du travail : leur activité économique motrice est essentiellement industrielle et tend à se spécialiser dans la fabrication. Les activités tertiaires disposent d’une assise insuffisante pour se développer et se spécialiser. En plus de cette division spatiale du travail, La Chaux-de-Fonds et Le Locle se caractérisent par une division spatiale de l’habitat. En effet, elles jouent le rôle de villes-centres en offrant des emplois à un nombre croissant de travailleurs pendulaires et frontaliers, notamment du personnel qualifié et des cadres. Autrement dit, parallèlement à la spécialisation dans les activités de fabrication, il y a une tendance à l’augmentation de résidents moins fortunés.

Ces transformations ont provoqué des dysfonctionnements des circuits économiques et sociaux à l’échelle locale. Pour les pallier, les acteurs publics se sont peu à peu substitués aux acteurs défaillants, si bien qu’ils sont parvenus à maintenir, jusqu’à présent, un fonctionnement économique, social et culturel cohérent. Aujourd’hui, faute de ressources humaines et financières, les problèmes que leurs interventions avaient permis d’amoindrir resurgissent : il y a de moins en moins de liens entre les acteurs locaux et de moins en moins de réelle émulation, ce qui rend problématiques les actions menées en partenariat.

L’idée principale que nous avançons est que, pour trouver une nouvelle voie de développement, La Chaux-de-Fonds et Le Locle doivent modifier leur mode de gouvernance, à savoir la manière dont les acteurs locaux (économiques, politiques, culturels, etc.) travaillent ensemble autour d’un problème. Le mode de gouvernance actuel est fondé sur le principe d’égalité de traitement : les critères de choix sont tels que la très grande part des projets soumis sont soutenus. Les ressources disponibles sont donc réparties de manière que chaque acteur reçoive sa part d’aide. Si ce mode de gouvernance a pour vertu d’éviter les conflits, il ne permet en revanche pas de sélectionner les projets les plus porteurs.

Aujourd’hui, les communes ne peuvent plus se contenter de redistribuer les ressources aux activités existantes, elles doivent reconsidérer leurs politiques afin d’encourager les nouveaux projets et y participer en partenariat. Ce n’est plus le principe d’égalité de traitement qu’il faudrait privilégier mais le principe d’égalité de considération, qui implique de ne soutenir que les projets correspondant à des orientations spécifiques

I

connues et répondant à des critères définis porteurs de développement urbain. Les communes doivent aujourd’hui articuler des initiatives endogènes et prendre une nouvelle part active à la dynamique de développement local à long terme. Il s’agit donc pour elles de susciter et d’accompagner des initiatives issues de milieux divers et de les institutionnaliser, afin de transformer des actions sporadiques en actions organisées et continues. La Chaux-de-Fonds et Le Locle participeraient ainsi à la réactivation de leur développement, dont les acteurs privés (économiques, institutionnels, associatifs, etc.) seraient le moteur, comme par le passé. Cette dynamique doit encourager la différenciation et la diversité alors que le principe actuel d’égalité de traitement induit plutôt l’homogénéisation.

Compte tenu du type des problèmes mis en évidence, il apparaît plus important de se concentrer sur les façons de faire que sur les actions elles-mêmes : il est dorénavant essentiel pour les communes du Haut de changer leur manière de résoudre les problèmes et de mener davantage d’actions porteuses de développement. Pour cela, l’adoption de nouveaux modes de communication entre les autorités communales, la population et ses différents groupes d’acteurs s’impose. Ce type d’action il consiste à faire émerger des projets au sein de tous les groupes d’acteurs locaux, de manière à stimuler les différents aspects de la vie locale (économique, politique, social, culturel, aménagement urbain, etc.) et à enclencher une véritable dynamique de développement. En ce sens, l’étude propose les objectifs et les principes d’un nouveau mode de gouvernance.

Objectifs du nouveau mode de gouvernance :

- Identification des véritables enjeux de développement pour les villes du Haut et des fonctions urbaines à améliorer;

- Responsabilisation de la population, notamment des jeunes, vis-à-vis du développement. Chaque résident est acteur plutôt que consommateur (d’espace, de services, de culture, etc.);

- Développement d’idées, identification des ressources existantes, puis réalisation progressive de projets concrets;

- Emergence de leaders dans les différents domaines de la vie urbaine (culture, économie, politique, formation, etc.);

- Reconnaissance de la créativité, de l’innovation et de l’audace;

- Instauration d’un climat d’optimisme.

Principes du nouveau mode de gouvernance :

- Mettre systématiquement les différentes politiques communales au service du développement urbain au sens large (politiques culturelle, artistique, économique, urbanistique, mais aussi politiques en matière de formation, de santé, politique sociale, etc.);

- Appliquer l’égalité de considération en ce qui concerne le choix des projets à appuyer, par opposition à l’égalité de traitement;

II

- N’entreprendre des actions et ne soutenir des projets que dans la mesure où ils sont portés et en partie réalisés et financés par des acteurs distincts des communes, et en particulier par des milieux privés et associatifs. Dans ce contexte, la commune incite et accompagne, en offrant par exemple des prestations en nature, plutôt qu’elle ne dirige;

- Privilégier les projets qui associent les principaux aspects du développement urbain (économie, culture et environnement construit);

- Privilégier les projets qui, à partir des ressources et des capacités des villes du Haut, ont une envergure extra régionale et renforcer ainsi les spécificités de la région et la centralité de ces villes en Suisse, voire en Europe;

- Privilégier les projets qui intègrent les jeunes, y compris les jeunes en formation.

Enfin, l’étude propose d’exploiter les axes de développement suivants :

Les communes doivent élargir leur rôle de promotion économique pour que les différents domaines de développement (économique, culturel, touristique, etc.) s’alimentent les uns les autres. Il est important de favoriser un entrepreneuriat portant sur les industries d’exportation à haut contenu technique mais il est tout aussi important de favoriser les initiatives collectives venant des milieux privés et associatifs locaux et qui permettent de capter les revenus produits par ces activités motrices pour développer des activités induites. Ces activités étant donc essentielles, il faut dès lors avoir une politique à leur égard. La promotion économique de la ville dispose là d’un champ d’action qui lui est propre et qui constitue un complément aux actions de la promotion économique cantonale.

La culture doit servir de levier de développement. La culture joue aujourd’hui un rôle moteur dans le développement urbain. Elle est essentielle pour fixer de nouveaux résidents, en particulier jeunes, et pour attirer des personnes de l’extérieur, que ce soit pour le divertissement, pour les achats ou pour le tourisme. L’activité culturelle assure aussi le rayonnement des villes dans l’espace national. De plus, le développement industriel passe de plus en plus par la capacité d’incorporer dans des objets matériels des compétences culturelles au sens large. Pour ce faire, il faut encourager de nouvelles formes d’actions – diffuses comparativement aux actions traditionnelles qui sont structurantes – devant impliquer les acteurs locaux différemment et de manière plus intense.

L’aménagement urbain participe à la centralité. En ce sens, les communes doivent adapter leurs interventions de manière à refaire de la ville un lieu de résidence attractif, de même qu’un lieu de socialisation. L’aménagement urbain doit aussi être mis à contribution pour redynamiser l’économie induite, notamment le commerce local, et appuyer le développement touristique. De plus, le domaine de l’urbanisme est particulièrement bien adapté à l’exercice de la participation populaire et du partenariat. La façon dont les actions y sont entreprises est donc déterminante dans le développement d’un nouveau mode de gouvernance.

Pour reconstituer une dynamique de développement auprès des acteurs locaux, les communes doivent dorénavant privilégier la subsidiarité et encourager les initiatives des acteurs privés. Il s’agit en définitive de mettre en place une nouvelle dynamique de développement propre au milieu urbain.

III

INTRODUCTION

Les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle ont un riche passé. Le dynamisme industriel qu’elles ont connu constitue un exemple de développement endogène unique en Suisse. Cependant, depuis le milieu des années 70, leur économie est marquée par des crises successives ayant engendré des mutations importantes auxquelles les acteurs politiques, sociaux et culturels s’ajustent difficilement. Ces mutations ont affecté toutes les facettes du développement local et imposent aujourd’hui une révision des objectifs de développement et de la participation des différents types d’acteurs dans ce nouveau contexte. Quels moyens, quelles stratégies, quelles tactiques ces villes peuvent-elles mettre en œuvre pour assurer un développement économique – continuellement remis en question – dans un contexte de mondialisation, de délocalisation des entreprises et d’évolution du rôle des collectivités publiques ?

L’objectif du présent rapport est de construire une vision porteuse de développement pour les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle. Il se divise en trois parties. La première partie dresse un diagnostic du développement économique des communes. Ce diagnostic, à la fois quantitatif et qualitatif, a permis de comprendre le comportement actuel des acteurs, leur processus de décision, ainsi que leur mode de fonctionnement. La deuxième partie du rapport propose un nouveau mode de gouvernance favorisant davantage l'émergence de nouvelles synergies. Compte tenu du type de problèmes rencontrés, il apparaît plus important de se concentrer sur les modalités et façons de faire plutôt que sur le choix des actions elles-mêmes. En ce sens, nous suggérons trois analyses sectorielles portant sur la promotion économique, la culture et l’urbanisme. Elles visent une réorientation du rôle des communes comme acteurs participant au développement économique et mettent en évidence la forme opérationnelle des modes d’action à développer. Dans la troisième partie, nous suggérons des interventions concrètes qui misent sur les potentiels des communes pour relancer leur développement.

Ce travail propose de nouvelles manières de faire devant permettre aux villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle de retrouver une dynamique de développement. Il vise notamment à repenser la place de la culture et de l’urbanisme, activités typiquement urbaines, dans le développement économique et présente le potentiel des villes. Si le diagnostic est critique, c’est pour mieux examiner les opportunités d’avenir; il ne s’agit en aucun cas de porter un quelconque jugement sur des individus ou sur la qualité de leur travail.

1

PREMIÈRE PARTIE : DIAGNOSTIC GÉNÉRAL

Le diagnostic dresse en premier lieu l’évolution du système de production et de la population résidante des communes du Haut et de la population résidante. De manière générale, pour la période 1985-1995, il met en relief un mouvement de fuite touchant une grande variété de ressources communales : la population résidante (au Locle), les activités de recherche et développement, les capitaux, le commerce local et le secteur tertiaire moteur. Ces fuites témoignent du fait que La Chaux-de-Fonds et Le Locle connaissent, en plus d’une division spatiale du travail, une division spatiale de l’habitat. En second lieu, le diagnostic traite de dimensions plus qualitatives traduisant les problèmes de gouvernance.

1. L’évolution du système de production

L’analyse de l’évolution du système de production des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle met en évidence trois aspects principaux.

1.1 L’éloignement des centres de décisions

Avec la mondialisation des activités économiques, le modèle traditionnel de l’entreprise du Haut – souvent familiale, en main d’un dirigeant-propriétaire – a en grande partie fait place à l’entreprise contrôlée par des capitaux extérieurs, voire étrangers. Les préoccupations des directeurs et cadres ayant remplacé les dirigeants-propriétaires ne sont pas liées à l’évolution des villes du Haut parce que les actionnaires sont localisés à l’extérieur de la région et que nombre de directeurs et de cadres n’habitent pas sur place. De ce fait, ils ne s’investissent pas dans la vie économique, politique, sociale et culturelle locale du Haut, comme le faisaient leurs prédécesseurs. On assiste donc à un effritement du leadership économique de La Chaux-de-Fonds et du Locle, leadership qui leur était auparavant particulier.

1.2 Une économie basée sur des activités de type secondaire

Les villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle se caractérisent par un secteur industriel exportateur très développé et particulièrement bien inséré dans le mouvement de mondialisation des activités économiques.

Pour analyser l’économie d’un espace, en l’occurrence les communes, il convient de distinguer leurs activités motrices et leurs activités induites. Les activités motrices, ou basiques, sont les activités économiques qui font entrer de l’argent neuf dans les communes. Concrètement, il s’agit des activités d’exportation puisqu’elles répondent à une demande extérieure. Les activités induites, au contraire, sont engendrées localement par les activités motrices, et répondent donc à une demande intérieure. L’activité économique doit être structurée de telle manière que l’argent neuf provenant des

2

activités motrices soit le plus possible dépensé localement et contribue aussi au développement des activités induites1. Si l’argent est redépensé en dehors de la région, on assiste à un mouvement de fuite. La figure 1 illustre l’économie des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle et met en évidence les mouvements de fuite.

FIGURE 1 : ACTIVITÉS INDUITES ET FUITES DE L’ÉCONOMIE CHAUX-DE-FONNIÈRE ET LOCLOISE

Reste de la SuisseEtranger

Activités motrices(industrie)

Activités induites(construction, commerce,

administration, etc .)

Fuites(importations)

Revenusindustriels

Fuites(services aux entreprises,commerce, culture, etc .)

La Chaux-de-Fondset

Le Locle

Source : IRER.

1.2.1 La Chaux-de-Fonds

L’étude des quotients de localisation2 des emplois montre que les activités motrices3 de La Chaux-de-Fonds ont un niveau équivalent à celui de l’ensemble de la Suisse en 1995 mais décroissant depuis 1985 (tableau 1). Pour leur part, les activités motrices du Locle sont sur représentées par rapport à la Suisse, bien que leur part soit aussi décroissante.

1 Polèse, M. (1994), Economie urbaine et régionale : Logique spatiale des mutations économiques, Paris : Economica. 2 Le quotient de localisation exprime la représentation d’une activité dans un espace donné (ici, les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle) par rapport à un territoire de référence (la Suisse). Une valeur supérieure à 1 signifie une représentation plus élevée que la moyenne suisse. Une valeur inférieure à 1 signifie une représentation moins élevée que la moyenne. 3 La typologie des activités motrices et induites utilisée ici figure à l’annexe I.

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TABLEAU 1 : EVOLUTION DE LA SPÉCIALISATION DES COMMUNES, ENTRE 1985 ET 1995, EN TERMES DE QUOTIENT DE LOCALISATION DE L’EMPLOI

La Chaux-de-Fonds Le Locle

1985 1995 1985 1995 Emplois QL Emplois QL Emplois QL Emplois QLActivités motrices 10 434 1,2 10 668 1,0 4 286 1,5 3 588 1,4Activités induites 8 183 0,8 9 842 0,9 1 770 0,6 2 027 0,6% emploi total CH 0,6 0,6 0,2 0,2

Source : OFS, Recensement fédéral des entreprises.

La spécialisation des villes dans un nombre restreint de branches d’activité du secteur secondaire s’est poursuivie entre 1985 et 1995. Bien qu’elles aient connu une chute de 12,5% du nombre d’emplois, la fabrication d’instruments médicaux, d’instruments de précision et d’optique et l’horlogerie constituent la principale branche de spécialisation chaux-de-fonnière. Les branches de la métallurgie, du cuir et de la chaussure4, tout comme celle de la fabrication de machines et d’appareils électriques continuent de s’imposer5 (tableau 2). Malgré la prépondérance de la branche de fabrication d’instruments médicaux et d’instruments de précision et d’optique et de l’horlogerie, on observe une diminution des écarts entre les branches dominantes.

TABLEAU 2 : EVOLUTION DE LA SPÉCIALISATION DE L’EMPLOI À LA CHAUX-DE-FONDS ENTRE 1985 ET 1995

Emplois 1985

Emplois 1995

Variation 85-95 (%)

QL 1985

QL 1995

Fabrication d’instruments médicaux et d’instruments de précision et d’optique; horlogerie

4 308

3 769

-12,5

10,8

9,7 Métallurgie 274 333 21,5 2,0 3,3 Industrie du cuir et de la chaussure 82 77 -6,1 1,7 3,0 Fabrication de machines et d’appareils électriques

507

778

53,5

1,5

2,7

Source : OFS, Recensement fédéral des entreprises.

Dans la fabrication d’instruments médicaux et d’instruments de précision et d’optique et l’horlogerie, les emplois non qualifiés prennent de l’importance par rapport à l’emploi total, témoignant ainsi de la standardisation de la production. Parallèlement, parmi les

4 Il s’agit d’entreprises fabriquant des bracelets de montres et des écrins. 5 D’après une étude de Rossi, sur les 29 villes suisses les plus importantes en termes de population, La Chaux-de-Fonds obtient le coefficient de spécialisation le plus élevé. Cela indique que la composition de sa structure d’emplois non agricoles est spécialisée par rapport aux autres villes dont la structure est uniforme ou se rapproche de la moyenne suisse. Rossi, A. (1998), La croissance des villes et la diversification : Le cas du chômage urbain de la Suisse, Lugano : SUPSI.

4

emplois qualifiés, la part des emplois manuels – comptant déjà en 19806 pour plus du double des emplois non manuels – augmente elle aussi en 1990, indiquant la spécialisation en fabrication et la faible importance des emplois tertiaires qualifiés. La part des non-qualifiés augmente dans la métallurgie : ils passent de 5,6% en 1980 à 42,3% en 1990. Mais les emplois non manuels qualifiés, bien qu’ils prennent de l’importance par rapport aux emplois manuels qualifiés, restent près de deux fois moins nombreux. Dans l’industrie du cuir et de la chaussure, l’emploi non qualifié augmente. Mais parmi les emplois qualifiés, les manuels – qui étaient six fois plus nombreux que les non-manuels en 1980 – ne sont que 2,75 fois plus nombreux en 1990. Finalement les emplois tertiaires7 occupent une place croissante dans ces trois branches de spécialisation. Toutefois, compte tenu de la faible importance des emplois non manuels qualifiés, il semble que les emplois tertiaires soient banals.

1.2.2 Le Locle

Malgré une diminution de 6,5% de l’emploi total, certaines branches du secteur secondaire sont en forte croissance et la spécialisation de la commune s’accentue (tableau 3). Dans la branche du cuir et de la chaussure ainsi que dans la fabrication d’instruments médicaux, d’instruments de précision et d’optique et l’horlogerie, elle est plus importante qu’à La Chaux-de-Fonds. La branche du travail des métaux s’impose de plus en plus.

Dans toutes les branches citées, les emplois non qualifiés sont en croissance. Parmi les emplois qualifiés, les emplois manuels sont plus nombreux que les emplois non manuels, tant en 1980 qu’en 1990, bien que leur importance diminue fortement. Les emplois de la branche du cuir et de la chaussure sont de moins en moins tertiaires, alors que ceux de la fabrication d’instruments médicaux et d’instruments de précision et d’optique, de l’horlogerie et du travail des métaux le sont de plus en plus. Comme dans le cas de La Chaux-de-Fonds, cette tendance à la tertiarisation porte sur des emplois peu qualifiés.

6 Les statistiques sur lesquelles nous basons cette analyse ont été élaborées à partir des Recensements fédéraux de la population tenus en 1980 et 1990, plus particulièrement à partir des données sur la situation dans l’emploi, alors que celles citées dans les tableaux 2 et 3 sont calculées à partir des Recensements fédéraux des entreprises menés en 1985 et 1995. Du fait de ce décalage et de l’adoption par l’OFS, entre-temps, d’une nouvelle classification des activités, nous présentons les tendances que connaît l’emploi dans les branches de spécialisation identifiées plutôt que les statistiques elles-mêmes. 7 Compte tenu de la classification des catégories socio professionnelles utilisée dans le Recensement de la population de 1990, nous avons considéré comme tertiaires les emplois de dirigeants, les professions libérales et les professions intellectuelles.

5

TABLEAU 3 : EVOLUTION DE LA SPÉCIALISATION DE L’EMPLOI AU LOCLE, ENTRE 1985 ET 1995

Emplois 1985

Emplois 1995

Variation 85-95 (%)

QL 1985

QL 1995

Industrie du cuir et de la chaussure 58 149 157,0 3,4 21,08

Fabrication d’instruments médicaux et d’instruments de précision et d’optique; horlogerie

1 193 1 455 22,0 9,3 13,7

Travail des métaux 85 522 514,1 0,6 3,5

Source : OFS, Recensement fédéral des entreprises.

1.2.3 Conclusion

Cette analyse indique que les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle connaissent une division du travail : leur activité économique motrice est essentiellement industrielle et tend à se spécialiser dans la fabrication, au détriment d’activités tertiaires qualifiées. Les activités tertiaires, qu’elles soient motrices ou induites, disposent d’une assise insuffisante pour se développer et se spécialiser. De manière générale, les emplois qualifiés sont en diminution dans la plupart des secteurs de spécialisation, ce qui à long terme pourrait se solder par une disparition des savoir-faire et des compétences accumulées au fil du temps et qui participent de la spécificité des communes.

Pour les activités tertiaires de soutien aux entreprises que sont les activités informatiques et les autres services fournis aux entreprises, on constate entre 1985 et 1995 une hausse du nombre d’emplois que l’on peut qualifier de services moteurs (tableau 4). Cependant, une analyse des quotients de localisation montre qu’elles restent sous-représentées par rapport à la moyenne suisse. Les activités de recherche et développement ont pour leur part disparu de la statistique dans les deux villes. D’après les entretiens que nous avons menés, il apparaît que cette sous-représentation ne dépend pas seulement d’emplois dans des entreprises de services indépendantes qui ferment ou se relocalisent, mais aussi d’emplois dans les services de recherche et développement de certaines entreprises industrielles qui sont fermées ou relocalisées. Cette analyse va dans le même sens que celle avancée précédemment : les activités motrices sont essentiellement industrielles.

8 Ce quotient doit être interprété avec prudence parce qu’il n’est calculé qu’à partir de 149 emplois.

6

TABLEAU 4 : EVOLUTION DE L’EMPLOI ET DE LA SPÉCIALISATION DE LA CHAUX-DE-FONDS ET DU LOCLE DANS LES BRANCHES DE SERVICES AUX ENTREPRISES, ENTRE 1985 ET 1995

La Chaux-de-Fonds Le Locle

1985 1995 1985 1995

Emplois QL Emplois

QL Emplois QL Emplois QL

Activités informatiques 69 0,8 83 0,4 0 0 2 0,04 R&D 12 0,3 0 0 1 0,1 0 0 Autres services fournis aux entreprises

517

0,5

908

0,6

109

0,3

122

0,3

Total 598 991 110 124

Source : OFS, Recensement fédéral des entreprises.

L’évolution de la spécialisation et de la qualification de l’emploi montre que, tant à La Chaux-de-Fonds qu’au Locle, une division spatiale du travail s’est instaurée à leur détriment. Les services techniques avancés, les services de marketing, de gestion et de conseil juridique, les services financiers et d’assurances, le commerce de détail, l’administration et l’enseignement supérieur ont eu tendance à se déplacer et à se développer dans d’autres zones urbaines. Ils servent ainsi mieux la demande des centres de décision qui se sont développés ailleurs. Au cours de ce mouvement, la production et la formation technique supérieure se sont concentrées dans le Haut, de même qu’un petit secteur de services proches de la production (bureaux d’ingénieurs, centres de R&D industrielle, services d’informatique industrielle, de marketing et de design industriel). Le retard qu’accuse l’économie des communes en termes de tertiarisation nuit à leur développement, puisque les entreprises doivent s’approvisionner hors de la région pour ce type de services.

A cette fuite de revenus s’ajoute le fait que, faute d’offrir une gamme assez étendue de services, les communes sont moins attrayantes en tant que lieu d’implantation pour de nouvelles entreprises ou de relocalisation pour des entreprises existantes, tant du secteur industriel que du secteur des services. L’absence d’hinterland et la situation géographique jouent là aussi un rôle considérable. De même, l’amélioration des liaisons routières a facilité l’accès des activités du Haut à celles du Plateau et du reste de la Suisse, plutôt que l’inverse.

Dans cette transformation des systèmes de production, la promotion économique cantonale exogène – qui a par ailleurs eu des effets bénéfiques en termes d’emploi – a certainement renforcé les mouvements de spécialisation dans les fonctions de fabrication et l’éloignement des centres de décision. On assiste donc à un effritement du milieu local auquel il faudra remédier.

1.3 Des activités induites sous-représentées

Bien que les villes du Haut se caractérisent par un secteur industriel exportateur très développé et particulièrement bien inséré dans le mouvement de mondialisation des

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activités économiques, elles ne parviennent pas à fixer sur place les revenus générés par ces activités. Tant à La Chaux-de-Fonds qu’au Locle, les activités induites, même si elles prennent de l’importance, restent sous-représentées par rapport à la Suisse (tableau 1).

Les activités de commerce de détail et de réparation sont en déclin : si le nombre d’emplois reste à peu près stable, le nombre d’établissements chute, conséquence de l’ouverture de commerces de grandes surfaces (tableau 5). En effet, soit ces commerces sont soit situés en dehors des rues commerciales des centres-villes, soit, malgré une localisation centrale, ils n’exercent pas l’attractivité qui leur est attribuée dans les théories, notamment parce que l’aménagement urbain auquel ils ont été intégrés ne s’y prête pas. C’est à ce phénomène, de même qu’à l’attractivité du commerce frontalier et à la situation excentrée des communes par rapport au Plateau suisse, que sont attribuables le manque de dynamisme des activités induites des centres-villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle et les difficultés que connaissent les petits commerces. La disparition des frontières avec la France et les cantons voisins pourrait modifier les flux de services à la population et contribuer à améliorer la position des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle dans la hiérarchie urbaine.

Dans la branche de l’hôtellerie et de la restauration, la situation est plus positive : le nombre d’établissements et surtout le nombre d’emplois augmentent entre 1985 et 1995 (tableau 5). Compte tenu du fait que l’infrastructure d’accueil touristique est limitée, cette croissance est surtout attribuable aux activités de restauration.

TABLEAU 5 : EVOLUTION DU NOMBRE D’EMPLOIS ET D’ÉTABLISSEMENTS DANS LES BRANCHES DU COMMERCE DE DÉTAIL ET DE LA RÉPARATION ET DE L’HÔTELLERIE ET DE LA RESTAURATION, ENTRE 1985 ET 1995

La Chaux-de-Fonds Le Locle Emplois Etablissements Emplois Etablissements

Total 95 % 85-95 Total 95 % 85-95 Total 95 % 85-95 Total 95 % 85-95Commerce de détail et réparation

2 342

1,8 340 -13,9 376

-0,5

84

-20,0

Hôtellerie et restauration

646

7,1 128 4,1 153

24,4

32

6,7

Source : OFS, Recensement fédéral des entreprises.

2. L’évolution de la population résidante et de ses comportements

La spécialisation du Haut du canton dans des activités de fabrication et l’absence de développement des activités tertiaires supérieures ont entraîné un départ des cadres et des personnes actives dans les services supérieurs. Le taux d’imposition élevé, l’amélioration des axes routiers, l’absence d’une offre de logements haut de gamme, de même que la faible attractivité du commerce local ont certainement encouragé ce mouvement de population.

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La Chaux-de-Fonds comptait 37 687 habitants le 31 décembre 1997, soit une augmentation de 1,2%, par rapport aux 37 229 de 1992. Le Locle avait 11 007 habitants en 1997 et 11 311 en 1992, soit une diminution de 2,7%. Plus du quart de ces populations est constitué d’étrangers, détenteurs de permis. Le tableau 6 présente leur répartition.

TABLEAU 6 : RÉPARTITION DES ÉTRANGERS DES COMMUNES DE LA CHAUX-DE-FONDS ET DU LOCLE, EN 1997

La Chaux-de-Fonds Le Locle

Permis d’établissement (C) 7 574 2 144 Autorisation de séjour (B) 1 720 479 Admission provisoire (F) 277 97 Demandeurs d’asile (N) 309 116 Séjours de courte durée (L) 19 14

Total 9 899 2 850 Part de la population totale 26,3% 25,9%

Source : Communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle.

2.1 L’augmentation des mouvements pendulaires

De plus en plus de personnes employées dans les communes des Montagnes neuchâteloises résident ailleurs et effectuent des déplacements pendulaires (depuis le Val-de-Ruz et le Littoral, notamment). En raison de leur situation géographique, La Chaux-de-Fonds et Le Locle attirent aussi des travailleurs frontaliers. A La Chaux-de-Fonds, ils représentent depuis le début des années 90 environ 9% des personnes occupant un emploi. Au Locle, leur part est beaucoup plus importante, soit 20% des employés en 1992 et 17,4% en 1997.

La figure 2 illustre l’évolution de la provenance des individus travaillant à La Chaux-de-Fonds. Même si en 1997, le nombre d’emplois est inférieur à celui de 1980, il est composé d’une part beaucoup plus importante de pendulaires et de frontaliers. Faute de statistiques adéquates, il est impossible de faire une analyse comparable pour la commune du Locle.

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FIGURE 2 : EVOLUTION DE LA PROVENANCE DES TRAVAILLEURS DE LA CHAUX-DE-FONDS, EN 1980, 1990 ET 1997

0

5000

10000

15000

20000

25000

1980 1990 1997

Année

Nom

bre

de tr

avai

lleur

s

FrontaliersPendulairesRésidents

Source : Commune de La Chaux-de-Fonds.

La part de pendulaires connaît les plus fortes fluctuations. Le nombre d’actifs occupés à La Chaux-de-Fonds a peu varié entre 1980 et 1990, baissant de 2% (388 unités). Toutefois, le nombre de résidents travaillant dans la commune est passé de 17 358 à 15 729, soit une diminution de 9,4% (tableau 7). Le nombre d’actifs occupés au Locle a baissé de 826 unités, soit 14,2%, mais le nombre de résidents travaillant dans la commune a lui chuté de 22,4 % entre 1980 et 1990, soit 1 082 résidents-travailleurs de moins. Ces pertes de travailleurs résidents sont en partie compensées par un nombre croissant de pendulaires. Le Locle est beaucoup plus touché par ces mouvements (30,6% de sa population active occupée en 1997) que La Chaux-de-Fonds (15,3% de sa population active occupée en 1997).

Le tableau 7 recense aussi les communes qui bénéficient le plus de la variation des mouvements pendulaires, entre 1980 et 1990, à destination de La Chaux-de-Fonds et du Locle comme lieux de travail. Il montre que ce sont les mouvements effectués entre les deux communes du Haut qui sont les plus nombreux et qui croissent le plus : en 1990, comparativement à 1980, 471 résidents loclois supplémentaires travaillent à La Chaux-de-Fonds alors que 113 Chaux-de-fonniers supplémentaires travaillent au Locle.

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TABLEAU 7 : VARIATION DES MOUVEMENTS PENDULAIRES À DESTINATION DE LA CHAUX-DE-FONDS ET DU LOCLE COMME LIEUX DE TRAVAIL, ENTRE 1980 ET 1990

Communes de travail ⇒ La Chaux-de-Fonds Le Locle

⇓ Communes de domicile 1980 1990 Variation 1980 1990 Variation

La Chaux-de-Fonds 17 358 15 729 -1 629 519 632 113 Le Locle 704 1 175 471 4 838 3 756 -1 082 Neuchâtel 105 188 83 17 29 12 Les Brenets 61 107 46 149 179 30 Saint-Imier 97 145 48 9 10 1 Autres communes 1 021 1 614 593 274 374 100 Total actifs occupés 19 346 18 958 -388 5 806 4 980 -826

Source : OFS, Recensement fédéral de la population.

Les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle jouent donc le rôle traditionnel associé aux villes-centres, celui de centre de l’emploi qui attire des travailleurs pendulaires et frontaliers. En 1990, 11,4% de la population active de La Chaux-de-Fonds travaillent dans une autre commune, alors que 13,3% des emplois de La Chaux-de-Fonds sont occupés par des pendulaires auxquels il faut ajouter 9% de frontaliers. Au Locle, 27,6% de la population active travaillent à l’extérieur de la commune en 1990, alors que 20,3% des emplois loclois sont occupés par des pendulaires et 16,4% par des frontaliers. D’autres statistiques aboutissent à la même conclusion : pour les deux communes, le nombre de contribuables diminue plus que le nombre d’emplois9, indiquant qu’un nombre croissant d’emplois est occupé par des frontaliers ou des pendulaires travaillant à La Chaux-de-Fonds ou au Locle mais résidant ailleurs.

Mais malgré le fait qu’elles jouent le rôle de villes centres de l’emploi, les communes sont victimes de l’exode résidentiel d’une partie de leurs travailleurs. Elles comptent une part croissante d’emplois ne fixant pas une population résidante, ce qui modifie considérablement la composition de la population. Ainsi, les communes du Haut sont prises à la fois dans une spirale de spécialisation productive des activités de fabrication et dans une spirale de filtrage de la population. Autrement dit, parallèlement à une offre d’emplois concernant surtout les activités de fabrication, il y aurait aussi une répartition résidentielle selon laquelle les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle auraient comme population des résidents moins fortunés10. L’accroissement de la pendularité engendre un accroissement de la division spatiale de l’habitat. L’offre de logements11 des communes contribue effectivement à maintenir dans leur centre les populations les moins à l’aise et entraîne l’exode des mieux nantis.

9 Entre 1985 et 1995, l’emploi augmente de 10,3% à La Chaux-de-Fonds, mais le nombre de contribuables y diminue de 8,8% entre 1992 et 1997. Au Locle, l’emploi diminue de 6,5% et le nombre de contribuables de 9,6% entre 1992 et 1997. 10 La diminution entre 1992 et 1997 du nombre de contribuables ayant un revenu imposable compris entre 1 000 et 50 000 francs signifierait donc que les communes attirent des résidents sans revenu imposable. 11 Un portrait de l’état du cadre bâti dans les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle figure à l’annexe II.

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3. Des villes qui ne font plus société

En Europe, les villes sont traditionnellement le lieu des débats politiques et économiques que connaît l’ensemble de la société. Le dynamisme économique est du ressort des milieux économiques, ce qui leur confère un poids politique, alors que les tâches de redistribution et d’organisation des services publics relèvent des autorités municipales (intégration des immigrants, accès au logement, à une vie culturelle diffuse, etc.). Malgré la division des tâches, le fonctionnement des villes est cohérent, elles forment un système autonome. Toutefois, aujourd’hui, de nombreuses villes éclatent en différents sous-groupes qui n’ont plus d’intérêts communs, ni d’institutions ou de lieux d’interaction communs. L’espace urbain est lui-même fragmenté. Dans ce cas, les villes servent de support territorial à la juxtaposition de groupes d’individus qui évoluent de manière parallèle. Ces derniers se considèrent et agissent comme des consommateurs d’urbanité plutôt que comme des producteurs. Le territoire urbain est alors une alliance de circonstances plutôt que de destins12. En ce sens, les villes ayant suivi cette évolution ne font plus société.

D’une certaine manière, les villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle connaissent une évolution semblable à celle décrite ci-dessus. Comme nous l’avons vu, cette désintégration s’exprime par l’éloignement des centres de décision, le départ des cadres, la spécialisation dans des activités de fabrication au détriment d’activités tertiaires induites et motrices, l’appauvrissement d’une partie de la population locale et la dissociation de plus en plus nette entre la population travaillant dans les communes du Haut et celle y habitant. Depuis la crise des années 70, elle engendre une désarticulation des circuits économiques et sociaux à l’échelle locale.

Pour compenser ces transformations, les institutions publiques ont élargi leur rôle de redistribution, allant jusqu’à se substituer aux acteurs défaillants. De plusieurs points de vue, elles ont donc pris à leur charge certaines des fonctions abandonnées par les entrepreneurs, avec pour résultat qu’elles occupent maintenant un rôle de redistribution accru et dominant, grâce auquel elles sont parvenues à maintenir, jusqu’à récemment, un fonctionnement économique, social et culturel cohérent, dans un climat de consensus et de paix, considéré comme la clé du redéploiement économique.

Pour préserver l’image de villes dynamiques, elles sont intervenues dans un nombre croissant de domaines, au point qu’aujourd’hui, elles sont impliquées dans la plupart des secteurs de l’activité économique et sociale. N’est-ce pas trop leur en demander ? Ne faudrait-il pas que les communes s’attachent à des actions plus ciblées, d’autant plus que leur pratique actuelle ne contribue pas au maintien de la capacité des acteurs à résoudre leurs problèmes entre eux ?

12 Donzelot, J. et M.-C. Jaillet (1997), Séminaire sur les zones urbaines défavorisées en Europe et en Amérique du Nord 1995-1996, CEDOV, Plan Urbain (convention 94 31091 00 223 75 01 du 3 novembre 1994).

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4. Faire le deuil du passé

Ces transformations se déroulent dans une ambiance particulière et contribuent à l’entretenir. D’après certains de nos interlocuteurs, il s’est développé à La Chaux-de-Fonds et au Locle un état d’esprit selon lequel la source des problèmes que connaissent ces communes serait ailleurs : les subventions financières du Canton seraient défavorables à leur égard; on aurait une mauvaise image d’elles; les médias romands, et plus particulièrement lémaniques, les négligeraient; la conjoncture économique leur nuirait; leur situation excentrée, en montagne, avec des conditions climatiques hivernales rigoureuses en ferait des communes isolées; etc. Dans une certaine mesure, cet état d’esprit est confortant car si la source des problèmes est ailleurs, la solution l’est aussi ! Parallèlement, les gens du Haut n’ont pas fait le deuil de l’époque de prospérité qu’ils ont connue jusqu’au milieu des années 70. Dans les témoignages des personnes que nous avons rencontrées, la période faste est toujours évoquée : mise sur pied du Club 44 (1944), du Théâtre Populaire Romand (1961), du Musée International d’Horlogerie (créé en 1902, mais déménagé dans ses locaux actuels en 1974), de la Salle de Musique (1958), avec comme protagonistes des personnalités marquantes de l’époque, telles que Braunschweig, Imhof, etc. Bien que nous soyons séparés de cette époque par une trentaine d’années, elle sert encore systématiquement de référence. Il est étonnant que peu d’éléments contemporains apparaissent dans les discours recueillis. Tout se passe comme si les gens du Haut ne parvenaient pas à parler du présent sans parler du passé. La lecture du présent se fait donc encore trop souvent à travers la description de l’âge d’or. Il est d’ailleurs probable que la période de prospérité des années 1985-1992 ait masqué une transformation fondamentale : l’érosion, voire la disparition, du rôle des acteurs privés dans la stimulation de la vie locale.

La situation actuelle est systématiquement perçue négativement, et de manière plus sombre qu’elle ne l’est en réalité : désintégration, désertification, sclérose, immobilisme, absence d’idées, absence de moyens, etc., autant de mots qui ont systématiquement été cités par les acteurs rencontrés. Or, aussi longtemps que ces références n’auront pas été abandonnées, il sera difficile de cerner positivement le présent et ses potentialités, pour ensuite penser un futur.

5. La question de la gouvernance locale

D’après notre analyse, les différents problèmes évoqués relèvent d’une cause essentielle : le mode de gouvernance des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle, à savoir, la manière dont les acteurs pertinents (autorités politiques, milieux privés et associatifs, acteurs institutionnels, partis politiques, etc.) fonctionnent ensemble autour d’une question. Ainsi, la gouvernance fait référence aux formes de conduite d’une organisation humaine. Il s’agit d’un concept plus large que celui de gouvernement qui réfère plutôt à une structure politique territorialisée13. En ce qui concerne le domaine

13 Benko, G. et A. Lipietz (1992), Les régions qui gagnent. Districts et réseaux : les nouveaux paradigmes de la géographie économique, Paris : Presses universitaires de France, Collection Economie en liberté.

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économique par exemple, la gouvernance locale s’est construite sur une certaine répartition des tâches entre acteurs publics et privés. Elle se manifeste notamment à travers la notion de conditions-cadres. Aux autorités publiques les infrastructures, les terrains, la gestion des impôts, en bref, la mise en place des conditions indispensables à l’activité économique mais qui, d’une certaine façon, sont banales, parce qu’elles ne contribuent pas au renouvellent des avantages stratégiques de l’économie locale. Aux industriels la tâche d’amener un revenu dans la région, d’offrir du travail, de développer et d’adopter de nouvelles technologies, etc.

Avec le temps, cette division des tâches s’est toutefois modifiée. Dans leur souci de corriger les dysfonctionnements du système économique, les autorités publiques sont de plus en plus intervenues afin de maintenir ou de créer des emplois. Dans le même temps, les acteurs économiques ont individuellement sollicité différents types de soutien. Petit à petit s’est instaurée une situation où ils réclament aux autorités communales d’être mis au bénéfice de diverses aides (mise à disposition de locaux, obtention de permis, rabais d’impôts, etc.) au nom du principe d’égalité de traitement. Certaines entreprises vont même jusqu’à faire du chantage au déménagement et à la délocalisation. Sans bien sûr céder à toutes les demandes, les communes répondent autant que possible à ces sollicitations, toujours afin de soutenir l’emploi. Elles sont cependant contraintes d’agir de manière confidentielle car, d’une part, les entreprises demandent que le soutien qui leur est accordé reste discret, voire secret, et d’autre part, les autorités communales ne peuvent pas officiellement favoriser certains acteurs économiques au détriment d’autres. Du côté des acteurs privés, on est conscient de cette situation et on se garde de mentionner en public tel ou tel soutien reçu de la part des autorités.

Officiellement, c’est donc le principe d’égalité de traitement qui domine le mode de gouvernance en vigueur dans les communes du Haut. Ce mode de gouvernance engendre des comportements réactifs plutôt que proactifs, les actions des uns étant décalées par rapport à celles des autres. De plus, il exige de consacrer beaucoup de temps à des problèmes individuels et ponctuel ce qui entraîne la dispersion des moyens sur un grand nombre de personnes, d’institutions et d’associations. Les autorités communales ne parviennent donc pas à élaborer une vision durable de leur développement, une vision à long terme à laquelle seraient associées des modalités d’intervention conséquentes. Il leur est difficile de formuler et/ou de faire accepter des projets mobilisateurs, qui impliquent la sélectivité.

Si ce mode de gouvernance a favorisé un consensus politique important, il n’est aujourd’hui plus facile de l’entretenir à cause de la crise des finances communales14 et, plus généralement, de l’essoufflement du développement économique de la région. L’examen critique du fonctionnement des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle devient une nécessité. Dans une vision à long terme et dans une perspective de développement durable, la stratégie consiste à évaluer les forces et les faiblesses et à sélectionner les projets qui permettent de reconstituer et de développer les ressources spécifiques et les capacités d’initiative des différents acteurs. Il faut également se dégager des modes de faire qui confortent le statu quo et envisager des solutions pour réorienter les moyens financiers et les énergies vers la construction d’un avenir.

14 L’annexe III présente la situation financière des communes.

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Dorénavant, les acteurs publics et privés doivent participer conjointement à la mise sur pied de projets collectifs et interdépendants qui requièrent un partage des idées, des compétences et des ressources, selon le modèle de la communauté. Ce dernier est basé non pas sur une division stricte des tâches entre le public et le privé mais sur l’émergence de projets communs à même de créer les ressources et le climat d’un renouveau économique.

L’adoption de ce nouveau mode de gouvernance suppose donc de remettre en cause la division du travail actuelle, d’admettre que le politique a un rôle différent à tenir dans l’activité économique, et de favoriser certains groupes d’acteurs, notamment ceux qui font preuve d’initiative et de créativité et dont les actions encouragent la diversité dans la ville. Les interdépendances consensuelles ont paralysé l’émergence de projets, il faut maintenant mettre en place les conditions d’une relance. En ce sens, la réorientation de la gouvernance proposée ici est un pari sur l’attitude des acteurs locaux, qui se tiennent actuellement en retrait : ils se mobiliseront et s’impliqueront en fonction des règles du jeu qui leur seront proposées. En fin de compte, il s’agit de mobiliser les énergies de tous les acteurs locaux (économiques, culturels, politiques, etc.) qui doivent comprendre que le développement dépend de la manière de se prendre en main.

Cette réorientation du mode de gouvernance des villes est d’autant plus importante qu’elles doivent dorénavant s’affirmer dans un contexte de mondialisation et donc se différencier et se singulariser.

5.1 Le contexte de mondialisation

Quelles sont les conséquences du mode de gouvernance sur le développement économique de la région ? Tout d’abord, il faut rappeler quelques-unes des principales transformations économiques actuelles. La mondialisation entraîne une spécialisation plus poussée des régions sur un petit nombre d’activités pour lesquelles elles sont compétitives. Quelles sont les caractéristiques des régions qui ressemblent aux villes du Haut et qui ont connu un fort développement au cours de ces vingt dernières années ?

Aujourd’hui, ce ne sont plus les ressources naturelles ou l’offre de travail abondante qui assurent le développement économique, mais des avantages compétitifs immatériels et, en particulier, des ressources spécifiques, que l’on ne rencontre pas ou peu ailleurs. L’Arc jurassien en général possède un certain nombre de ces ressources. En effet, les savoir-faire horlogers permettent non seulement le développement d’entreprises locales, mais entraînent également l’implantation dans la région d’entreprises étrangères désireuses de faire de l’horlogerie. Ces ressources spécifiques ont la capacité d’attirer des investissements sans promotion économique ciblée. Pour être compétitif, il faut donc développer des spécificités permettant de se démarquer, de se différencier. A ce propos, Storper a montré l’importance considérable des exportations françaises, italiennes et américaines en biens « spécifiques »15, dont la compétitivité est liée à des caractéristiques intrinsèques reposant sur des savoir-faire, des connaissances particulières et des apprentissages technologique, (vin, éléments radioactifs, micro-

15 Respectivement 44,90% en France, 82,29% en Italie et 62,54% aux Etats-Unis de la valeur totale des exportations. Storper, M. (1992), « The Limits to Globalization : Technology Districts and International Trade », Economic Geography, vol. 68, n° 1, pp. 60-92.

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électronique, moteurs à réaction, essences, huiles, habillement, machines spéciales, etc.). Ces productions, exportées dans le monde entier, ne sont fabriquées que dans un nombre très restreint de régions.

Devant l’importance qu’ont prise les ressources immatérielles, l’implantation et le développement des activités ne répondent dès lors plus aux mêmes impératifs qu’auparavant. Pour convaincre une entreprise de biens ou de services de s’implanter dans un lieu, il ne suffit plus au secteur public d’offrir des incitations financières alléchantes; il faut un milieu dynamique et attractif pour prétendre accueillir des activités ayant besoin d’externalités et d’avantages comparatifs.

Comment créer de telles ressources ? Elles apparaissent à travers le jeu conjoint des entreprises, des acteurs publics et des acteurs institutionnels dans une région. C’est la capacité à identifier des enjeux communs dans le développement des marchés et des techniques et à imaginer et à mettre en œuvre des projets dans ces domaines qui est déterminante. Or, cette capacité suppose un certain type de gouvernance basée avant tout sur la communauté, dont l’identité la différencie d’autres régions ou d’autres villes. Le succès et la croissance des régions industrielles doivent être envisagés comme le résultat de leur dynamique interne qui consiste à s’organiser pour formuler des projets novateurs.

Ainsi, le local ne s’oppose pas au global, il le sous-tend. Il constitue l’assise grâce à laquelle l’économie évolue sur le plan international. A ce titre, le développement de la Troisième Italie, depuis les années 70, témoigne de la capacité de régions a priori mal dotées et de leurs systèmes de production de s’imposer, grâce à des forces endogènes, à l’échelle mondiale.

5.2 L’exemple de la Troisième Italie

Alors que l’on assistait dans la plupart des pays occidentaux à une rationalisation des capacités de production ainsi qu’à l’internationalisation des investissements, un modèle très différent se mettait en place en Italie16. En effet, dans les centres urbains traditionnels, un certain nombre de systèmes de petites entreprises hautement spécialisées et interdépendantes se sont développés dans les secteurs artisanaux ou industriels tels que ceux de l’habillement, du mobilier, du bijou, du cuir, du textile, mais aussi des machines spéciales, de l’acier et de la construction électronique.

Ce modèle de développement résulte, entre autres, d’un processus spontané de développement local, fondé sur l’existence d’un marché du travail particulièrement favorable et d’un noyau originel de production artisanale. Il donne lieu à un type d’organisation industrielle qui mélange concurrence, émulation et coopération au sein d’un réseau très dense de petites et moyennes entreprises largement relayé, voire suscité par le partenariat avec des autorités ou des institutions publiques. La dynamique actuelle de la région repose sur une tradition de savoir-faire, exploitée par des entreprises très innovantes, spécialisées dans la production d’un bien destiné à être vendu à une clientèle recherchant la qualité et particulièrement flexible par rapport au 16 Amin, A. et K. Robins (1992), « Le retour des économies régionales ? La géographie mythique de l’accumulation flexible » dans Les régions qui gagnent. Districts et réseaux : les nouveaux paradigmes de la géographie économique, op. cit., pp. 123-161.

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prix. Les similitudes de la Troisième Italie avec les systèmes de production chaux-de-fonnier et loclois sont donc nombreuses : tradition, réseau de PME, spécialisation, innovation, exportation, caractéristiques ayant toutes émergé, elles aussi, dans une zone périphérique. Ce qui les distingue, c’est que l’intervention publique en Italie est basée sur un esprit communautaire, partenarial, et particulier à la région. Plutôt que de distinguer par principe l’intervention publique et le domaine privé, on assiste en Italie à une intervention publique située, qui pousse la spécificité des activités économiques locales, encourage l’entrepreneuriat, la création d’institutions partenariales de formation, de veille technologique, de veille concernant la mode et le design, de financement, etc.

Les districts de la Troisième Italie ne sont pas des lieux réunissant les conditions-cadres idéales. Ils sont d’abord régulés par des valeurs de la société civile : la famille, la « loyauté » entre entrepreneurs et salariés, le rôle des collectivités locales, donc par la communauté, par opposition à la société plus organisée, dans laquelle l’intervention publique agit de manière extérieure aux processus économiques. C’est en grande partie le mode de gouvernance des districts industriels qui assure, d’une part, leur succès en fait de développement local et, d’autre part, leur insertion à l’échelle de l’économie mondiale.

Le cas de la Troisième Italie montre que le développement d’une région est basé sur une combinaison de processus exogènes et endogènes : son attractivité dépend de la capacité de son système de production d’être générateur de ressources spécifiques et d’activités nouvelles ainsi que d’établir des interfaces avec l’extérieur. Cela est d’autant plus vrai pour les villes en tant que lieux où se développent les activités de service à la population (centralité) et aux entreprises (spécialisation).

6. Recréer l’urbanité des villes

Une question essentielle pour les villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle est celle de l’urbanité. En effet, les principaux éléments du développement régional décrits ci-dessus concernent en fait l’ensemble des régions. Or, dans ce contexte, les villes ont un rôle particulier à jouer. Nous partons ici du présupposé que La Chaux-de-Fonds et Le Locle désirent continuer de jouer leur rôle de villes au sein de la région de l’Arc jurassien. Quel est donc ce rôle particulier des villes dans la transformation actuelle du système économique ?

La spécificité des villes est d’exercer quatre fonctions, d’autant plus déterminantes qu’elles sont fortement interreliées et qu’elles génèrent des effets d’entraînement17. Ces fonctions portent sur des lieux d’interaction et d’apprentissage qui caractérisent le rôle de la ville par rapport au reste de la région. Concrètement, ces lieux peuvent être des centres de formation et de recherche, des associations professionnelles, des musées, des organisations de foires, des médias, etc. Les quatre fonctions sont les suivantes :

17 Pour plus de détails, voir le texte de Corolleur, F., L. Boulianne, O. Crevoisier et S. Decoutère (1996), Ville et innovation : le cas de trois villes de Suisse occidentale, Working paper n° 9601, Neuchâtel : IRER.

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Une fonction de durabilité et de renouvellement des actions. La ville, en tant que système, réunit des acteurs (entrepreneurs, organismes de formation et de recherche, associations professionnelles et syndicales, autorités politiques et administratives, résidents, etc.), dont la fonction est d’institutionnaliser les projets porteurs de développement (organisation de foires, développement de filières de formation, actions dans le domaine culturel). Par sa capacité de formalisation des institutions, ce système d’acteurs facilite la transformation d’actions sporadiques, basées souvent sur le volontariat, en actions organisées, continues et réalisées par des professionnels. Ces organismes et institutions deviennent à leur tour des facteurs d’attraction pour de nouveaux organismes sur la base d’économies d’échelle, d’effets de réputation et d’image, et surtout de complémentarités, d’autant plus fortes que le tissu urbain est dense et mobilisé. Pour prendre un exemple historique, les écoles d’ingénieurs sont généralement issues, au départ, de cours de formation continue dispensés de manière occasionnelle, puis, ces cours ont été organisés par des associations qui sont devenues de plus en plus permanentes, structurées et professionnelles et dont le financement s’est progressivement stabilisé.

Une fonction d’ancrage dans le bâti. La ville constitue l’assise matérielle de ces institutions en permettant leur ancrage dans le bâti et, par conséquent, leur regroupement et leur permanence. Le développement de nouveaux bâtiments et de nouveaux lieux va également faciliter l’émergence de nouveaux organismes en leur donnant une assise construite. Cela donne lieu à des économies d’échelle pour les bâtiments de formation, la recherche, les foires, les associations professionnelles et les organismes publics. Ainsi, les bâtiments et leur situation physique sont aussi porteurs d’effets de réputation et d’image. Les municipalités peuvent appuyer des initiatives de la société civile en intervenant au niveau immobilier pour fixer ces lieux d’interaction et d’apprentissage dans leur périmètre.

Une fonction de symbolisation. Une ville a une image, une identité qui joue un rôle important dans l’émergence de nouvelles activités qui s’y associent ou de nouvelles professions qui bénéficient ainsi de reconnaissance sociale ou institutionnelle. La fonction de symbolisation porte sur les représentations, bien qu’elle s’appuie aussi sur des éléments matériels (en particulier les bâtiments) et immatériels ou institutionnels (par exemple, la présence d’un organisme de formation délivrant des titres reconnus) et peut même se rapporter à l’ensemble de la ville.

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Une fonction de combinaison productive. La ville est le lieu où se réalise le dépassement de la logique sectorielle puisque les filières typiquement urbaines (communication, design et mode, marketing et publicité, haute finance, activités culturelles et administratives, enseignement) servent la demande des autres secteurs. Le développement de cette fonction passe par la valorisation des ressources existantes et engendre la création de nouvelles ressources qui renforceront les spécialisations productives. En ce sens, il gagne à s’inscrire dans une démarche innovatrice au sens large, c’est-à-dire technique, mais aussi organisationnelle et institutionnelle.

A titre d’exemples récents, deux projets romands mettent en évidence plusieurs des fonctions des villes. A Lausanne, le projet de Maison de la communication, qui réunit en un même lieu les sièges des associations de publicité et de marketing de même que la Fédération romande des journalistes de manière qu’ils puissent y tenir leurs séminaires de formation, témoigne de l’ancrage dans le bâti. Ainsi, dans le domaine multimédia, Lausanne fournit non seulement les ressources pour l’innovation mais aussi le site où elles se combinent.

A Moutier, le Salon bisannuel des industries de l’automation, de la mécanique et de la sous-traitance (SIAMS) s’est imposé comme le principal lieu de rencontre de la région entre professionnels de la machine, de la mécanique et des matériaux liés; entre sous-traitants et donneurs d’ordres; entre industriels et institutions publiques, professionnelles, de promotion de la qualité, etc. Ce salon a permis d’entamer un retour à un dialogue entre acteurs locaux, que les événements politiques des années 1970-1980 avaient pu rendre difficile. La première édition, en 1987, avait été organisée par des industriels liés par l’amitié et s’engageant professionnellement. Dès 1989, l’organisation de la foire s’est structurée autour d’un comité d’organisation et le rôle des acteurs publics s’est accru. La municipalité, bien que ne participant pas directement à l’organisation de la foire, a fortement contribué à sa pérennisation par la mise à disposition de locaux puis la construction de nouvelles infrastructures (construction d’une dalle pour recevoir des machines lourdes, parc de stationnement plus vaste). Ainsi, après s’être tenue dans un garage puis sous un chapiteau, la foire du SIAMS s’est ancrée à Moutier. La commune se considère comme la capitale de la machine-outil et les différents acteurs semblent s’identifier à cette image puisqu’il ont édité à deux reprises une plaquette sur ce thème.

En intervenant selon les quatre fonctions décrites ci-dessus, les communes garantissent l’instauration d’un mode de gouvernance locale porteur d’une dynamique de développement. L’exercice de ces quatre fonctions repose sur des relations avec les différents acteurs locaux, relations dans lesquelles les villes jouent un rôle subsidiaire, à savoir un rôle d’appui aux initiatives privées et associatives. C’est sur cette base que les communes pourront recréer l’urbanité sur leur territoire.

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7. Conclusion du diagnostic : une voie basse, une voie haute

Le développement des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle est arrivé à un point stratégique. Selon les choix qui seront faits, l’avenir se construira entre deux voies extrêmes, l’une basse, l’autre haute (tableau 8).

TABLEAU 8 : DEUX POSSIBILITÉS POUR L’AVENIR DES COMMUNES DE LA CHAUX-DE-FONDS ET DU LOCLE

VOIE BASSE VOIE HAUTE

Spécialisation dans des activités à faible valeur ajoutée

Spécialisation industrielle à haute valeur ajoutée, différents segments de la filière présents sur place, émergence de nouvelles activités urbaines et touristiques

Accueil d’entreprises étrangères sur la base de conditions-cadres banales

Développement d’entreprises de propriété locale et recrutement d’entreprises étrangères sur la base des spécificités locales

Disparition des activités de service aux entreprises

Renforcement des services aux entreprises à forte valeur ajoutée

Absence de leaders économiques, politiques, culturels et sociaux

Présence de leaders engagés dans tous les domaines de la vie urbaine

Aménagement urbain et cadre bâti dégradés Aménagement urbain et cadre bâti assurant une diversification de la population et des activités

Développement économique, activités culturelles et urbanisme demeurent des secteurs séparés les uns des autres

Economie, culture et urbanisme sont trois facettes d’un développement urbain intégré

⇒ ZONE NON ATTRACTIVE ⇒ ZONE ATTRACTIVE

La voie basse est celle dans laquelle les communes sont actuellement engagées, compte tenu du mode de gouvernance que les acteurs y pratiquent. A terme, elle ferait des villes des zones industrielles d’accueil, réceptacles d’entreprises étrangères venant profiter des savoir-faire locaux et des incitations fiscales qui leur sont offerts et qui quitteront la région dès qu’elles trouveront une localisation plus avantageuse. Dans le meilleur des cas, elles seront remplacées par d’autres entreprises, également en déplacement perpétuel. Dans une telle perspective, la main-d’œuvre locale est assurée d’avoir du travail, mais c’est là la seule participation des entreprises à l’économie de la région. Il y a progressivement disparition de la spécificité des ressources locales. Les activités à faible valeur ajoutée ne requièrent que peu de contacts avec des fournisseurs ou des sous-traitants, que ce soit en fait de fabrication ou de services. L’industrie reste désarticulée et ne génère qu’une faible dynamique économique ou sociale. La part des résidents les moins favorisés augmente. La voie basse va dans le sens de l’acceptation et du renforcement d’une spécialisation dans les fonctions à faible valeur ajoutée,

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concernant une main-d’œuvre de plus en plus homogène. Les villes du Haut deviennent essentiellement des zones industrielles ayant perdu leur urbanité.

La voie haute exigerait pour sa part des changements d’orientation et de pratiques : le mode de gouvernance doit être revu de manière que tous les acteurs participent au développement selon leurs compétences et que les fonctions des villes exposées plus tôt soient remplies. Dans la conjoncture actuelle, un développement économique intégré n’arrive pas par hasard : il est construit à partir de projets collectifs. Le dynamisme général et durable doit être insufflé à partir de milieux divers. Au plan industriel, l’identité des communes doit être réanimée. Par exemple, elles peuvent choisir de renforcer les compétences locales existantes en misant sur la spécialisation microtechnique et en promouvant la formation de grappes industrielles (clusters), soit le développement d’entreprises complémentaires qui interviennent dans la mise au point de tous les aspects d’un même type de produit, depuis sa conception jusqu’à sa mise en marché. Ce type d’organisation favorise le développement de pôles de compétence et d’avantages concurrentiels.

Au plan de l’aménagement urbain et du cadre bâti, les communes peuvent lancer des projets qui attireront des professionnels et des cadres, ce qui diversifiera la composition de la population. Cet objectif paraît d’autant plus important que c’est la présence de personnel très qualifié qui assure de l’emploi aux non-qualifiés, très nombreux dans les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle.

Plus spécifiquement, les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle doivent transformer leur mode de gouvernance dans les domaines du développement urbain, de la culture et de la promotion économique. D’une part, elles n’ont plus les moyens d’intervenir seules, d’autre part, le mode de gouvernance qui s’est instauré ne favorise pas les initiatives. Plutôt que de redistribuer les ressources, les communes doivent articuler des initiatives endogènes et prendre une nouvelle part active à la dynamique de développement. Il s’agit donc pour elles d’accompagner les initiatives privées pour relancer le développement local, de les institutionnaliser afin de transformer des actions sporadiques en actions organisées et continues. Cela aura pour conséquence de réactiver un développement endogène durable dans les communes. Il s’agit donc pour La Chaux-de-Fonds et Le Locle de relancer une dynamique dont les acteurs privés (industriels, institutionnels et associatifs) doivent être les moteurs, comme ce fut le cas historiquement. En ce sens, les protagonistes du développement doivent agir de manière partenariale, au profit de la communauté. Et cette dynamique doit être basée sur la différenciation face à d’autres régions plutôt que sur la mise en conformité par rapport à des conditions-cadres standard. Elle doit viser la diversification socioprofessionnelle de la population plutôt que l’attraction et le rejet sélectifs.

De plus, de la même façon que des initiatives publiques et privées se complétant auront une portée maximale, des initiatives chaux-de-fonnières et locloises se complétant et s’intégrant à celles du Réseau des villes de l’Arc jurassien et de Suisse auront une portée maximale. Le rôle d’une ville, dans sa spécificité, se définit par rapport à ses ressources mais aussi par rapport au système urbain dont elle fait partie. Dans ce contexte, et compte tenu du diagnostic dressé dans cette première partie du rapport, quelles actions durables peuvent être lancées ?

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DEUXIÈME PARTIE : UN NOUVEAU MODE DE GOUVERNANCE

La première partie de ce rapport a présenté un diagnostic général de la situation des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle, telle qu’elle nous est apparue après l'analyse des statistiques et des entretiens réalisés. Cette deuxième partie traite plus à fond de la gouvernance locale et rappelle les raisons pour lesquelles il s’agit d’un thème central. Elle propose le renouvellement du mode de fonctionnement afin qu’émergent de nouvelles idées, des projets et des leaders dans les différents domaines d’intervention des communes. Par la suite, trois domaines particuliers sont abordés : la promotion économique, la politique culturelle et l’urbanisme. Dans chaque cas, nous reviendrons sur le mode de fonctionnement actuel et nous suggérerons une manière différente de procéder.

1. Principes et objectifs

1.1 Savoir comment faire avant de décider quoi faire

Compte tenu du mode de gouvernance mis au jour dans la première partie et du fait que la plupart des constats et problèmes identifiés en découlent, il semble nécessaire de se pencher non seulement sur des projets de développement en tant que tels mais aussi sur la manière de résoudre les problèmes. Autrement dit, les communes du Haut doivent s’interroger sur leur manière de résoudre les problèmes et de mener les actions de développement : le « comment faire » est aussi important que le « quoi faire ». Ce constat est essentiel dans la mesure où, d’après les entretiens menés, les acteurs locaux ont peu de projets concernant le développement des communes. Lorsqu’ils mettent en œuvre des projets, ceux-ci sont généralement réalisés indépendamment les uns des autres et, de ce fait, les synergies restent limitées. Dorénavant, il faudrait porter l’accent sur des projets impliquant la participation de plusieurs acteurs afin de susciter des mécanismes plus mobilisateurs. En particulier, le développement devrait être rapidement repensé en termes d’agglomération.

1.2 Fusionner les communes pour recomposer le territoire

D’après les entretiens que nous avons eus avec des acteurs publics et privés, la reprise passe par le renforcement du poids des communes, c’est-à-dire par la fusion des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle, voire des autres communes du Haut du canton.

Actuellement, plusieurs facteurs sont propices à une fusion (dont nous ne discuterons pas des modalités ici) :

1. La situation financière des communes est difficile, elle impose la prise de mesures structurelles. Il est généralement admis qu’il faut faire des sacrifices et réduire le niveau de dépenses de fonctionnement des deux villes. Dans le domaine des services publics notamment, les tâches doivent être réparties entre les communes.

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2. Les communes ont des structures socio-économiques comparables, il faut donc éviter les équipements ou les institutions identiques afin de concentrer les efforts.

3. Du point de vue de la promotion économique, qu’elle soit endogène ou exogène, l’intervention à une échelle plus régionale est devenue incontournable. Il faut aujourd’hui penser « région ». Cette problématique implique le développement de complémentarités entre les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle, mais aussi avec d’autres communes.

4. La fusion des communes ne modifierait en principe pas le portrait politique de la région mais créerait une émulation certaine.

Il est évident qu’une fusion des communes ne doit pas être envisagée dans le seul but de réduire les charges de fonctionnement. Elle doit être pensée en termes de fonctions urbaines et contribuer à enclencher une dynamique de développement comme telle. La fusion devrait constituer le point de départ d’un développement plus riche : nouveau territoire, nouvelles idées, nouvelle vision du développement, nouveaux objectifs et nouveaux modes de participation et de financement. Elle devrait permettre de se rapprocher de la voie haute de développement exposée précédemment. L’important potentiel de cette recomposition territoriale ne pourra toutefois être véritablement exploité que si les différents acteurs s’imposent de nouvelles façons d’intervenir.

1.3 Instaurer un nouveau mode de gouvernance

La manière dont les acteurs publics et privés travaillent ensemble doit être renouvelée. Pour cela, l’adoption de nouveaux modes de communication et de travail s’avère indispensable si l’on souhaite renforcer la capacité de proposition et d’action des différents acteurs.

Pour illustrer ce propos, prenons un exemple. D’après nos entretiens, les commerçants locaux, y compris les prestataires de services touristiques comme les hôteliers, vivent sur des acquis aujourd’hui mis en question. Pourtant, interrogés sur cette situation, ils mettent en cause les politiques communales et l’absence de places de stationnement, sans considérer le rôle qu’eux-mêmes pourraient jouer dans la création d’un environnement porteur. En effet, dans un contexte où la concurrence des grandes surfaces est très forte, le petit commerce ne peut se distinguer que par un service à la clientèle renouvelé et des produits différenciés. Par ailleurs, et dans toutes les villes, le petit commerce ne se développe que par le regroupement dans de grands centres commerciaux ou dans des zones piétonnes (ou tout au moins des zones aménagées pour le commerce). Dans cette situation, la question centrale est la suivante : comment faire pour sensibiliser les commerçants au fait qu’ils doivent collectivement prendre des mesures pour améliorer leur compétitivité et leur attrait ?

La reconstitution d’une capacité de proposition et d’action chez les différents acteurs locaux n’est pas facile à réaliser. Elle est cependant indispensable. Les communes ne disposant pas de baguette magique dans ce domaine, elles doivent maintenir une attitude ouverte face aux nouveaux projets et se montrer prêtes à soutenir des initiatives intéressantes. Les milieux privés et associatifs doivent également adapter leur attitude et participer aux actions proposées par les acteurs publics. Dans ce jeu, les communes ne

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sauraient être de simples pourvoyeurs de subventions pour des projets qui seraient conçus et menés par d’autres acteurs : elles doivent être considérées comme de véritables partenaires en ce qui concerne le contenu des projets. Les acteurs publics doivent aussi faire preuve d’une capacité de proposition et d’action – tout en évitant d’imposer les projets – mais ne devraient agir que lorsque la mobilisation d’idées et de ressources de la part des autres partenaires est suffisante. En somme, il doit être clair que rien ne se fera sans une volonté déterminée de la part des interlocuteurs. Actuellement, les réticences et le manque de dynamisme de certains groupes d’acteurs sont paralysants. Les communes doivent se démarquer par une politique incitative ne tombant pas dans le volontarisme, par un soutien affirmé, mais basé sur les ressources et les capacités que les autres acteurs peuvent mobiliser.

Cela passe certainement par une meilleure institutionnalisation des différents acteurs, sous forme de comités de quartier ou d’associations. Par exemple, avec le Club 44, La Chaux-de-Fonds dispose déjà du lieu de rencontre idéal pour rassembler les acteurs autour de grandes questions et d’enjeux globaux. Il pourrait éventuellement devenir le lieu où sont formulés des projets de développement pour la région du Haut, sur la base d’un processus participatif impliquant la mobilisation des acteurs locaux. Ce type d’action apparaît d’autant plus important qu’il est susceptible de faire émerger des projets auprès de plusieurs groupes d’acteurs locaux, de manière à combiner différents aspects de la vie locale : l’urbanisme et l’économique doivent faire l’objet de stratégies complémentaires, de même que le culturel et l’urbanisme ou le culturel et l’économique.

En ce qui concerne les projets, il est souhaitable d’adopter un processus de sélection. Celui-ci pourrait être basé sur les fonctions urbaines qui doivent être transformées ou améliorées. La sélectivité implique par ailleurs la référence au principe d’égalité de considération, qui doit remplacer celui d’égalité de traitement : le politique n’occupe plus une position hiérarchiquement supérieure et n’impose pas ses décisions mais se transforme en partenaire des autres acteurs et leur témoigne un égal respect. Autrement dit, l’équité doit être privilégiée plutôt que l’égalité, les principes plutôt que les règles. L’autorité pourra ainsi légitimement multiplier les actions, en fonction des situations, et en travaillant avec des acteurs économiques ou culturels particuliers pour élaborer avec eux des projets de développement.

Une telle démarche devrait permettre l’émergence de nombreux acteurs. Naturellement, pour que la population et les différents groupes qui la constituent s’impliquent, les règles du jeu doivent être clairement établies.

Les objectifs de ce nouveau mode de gouvernance pourraient être les suivants :

Identification des véritables enjeux de développement pour les villes du Haut et des fonctions urbaines à améliorer;

Responsabilisation de la population, notamment des jeunes, vis-à-vis du développement des villes du Haut. Les résidents sont acteurs plutôt que consommateurs (d’espace, de services, de culture, de la création d’emplois, etc.);

Développement d’idées, identification des ressources existantes, puis réalisation progressive de projets concrets;

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Emergence de leaders dans les différents domaines de la vie urbaine : culture, économie, politique, formation, etc.;

Reconnaissance de la créativité, de l’innovation, voire de l’audace;

Naissance d’un climat d’optimisme.

Les principes de gouvernance pourraient être les suivants :

Mettre systématiquement les différentes politiques communales au service du développement urbain au sens large : politique culturelle, politique économique, politique d’urbanisme, mais aussi politique de la formation, de la santé, politique sociale, etc.;

Appliquer le principe d’égalité de considération en ce qui concerne le choix des projets à appuyer, par opposition au principe d’égalité de traitement. Par exemple, on pourrait favoriser certaines activités particulières comme le design industriel, dans la mesure où elles témoignent d’un dynamisme particulier et où elles améliorent les fonctions des villes;

N’entreprendre des actions et ne soutenir des projets que dans la mesure où ils sont portés et en partie réalisés et financés par des acteurs distincts des communes, et en particulier par des milieux privés et associatifs. La commune incite et accompagne plutôt qu’elle ne dirige. Dans le contexte actuel, la mixité des dépenses est aussi garante de leur pertinence;

Privilégier les projets qui mêlent les principaux aspects du développement urbain : économie, culture et environnement construit, suivant l’exemple de la Maison de la communication de Lausanne;

Privilégier les projets qui, à partir des ressources et des capacités des villes du Haut, ont une envergure extrarégionale, et renforcer ainsi les spécificités de la région et la centralité de ces villes en Suisse, voire en Europe;

Privilégier les projets qui intègrent les jeunes, y compris les jeunes en formation.

1.4 Mettre les politiques publiques au service du développement

Aujourd’hui, les politiques publiques doivent être considérées comme des services amenant un revenu dans la région et pas seulement comme un service à la population locale. Prenons quelques exemples sans viser l’exhaustivité.

Les politiques de formation, largement soutenues par les autorités des deux villes, sont d’ores et déjà orientées vers une connexion aussi étroite que possible avec le tissu local. Les initiatives visant à insérer les jeunes dans les entreprises du lieu au sortir de leur formation sont essentielles. Mais ces fonctions locales doivent être étendues à l’extérieur. Ainsi, par exemple, les HES devront à l’avenir se montrer attractives envers des étudiants venant d’autres régions de Suisse et de l’étranger. Une stratégie de marketing est devenue indispensable.

Il est évident que l’attractivité des villes jouera également un rôle essentiel dans la venue des futurs étudiants. Il y a là un défi très important. Les jeunes viendront d’autant

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plus volontiers que la région leur offrira des conditions particulières : une connexion au tissu industriel meilleure qu’ailleurs, une vie culturelle particulièrement attractive pour eux et bien sûr un coût de la vie non prohibitif. Si ce pari est tenu, la formation professionnelle pourrait devenir une activité centrale pour le Haut. Elle doit toutefois être pensée comme un service économique à vendre à des personnes venant d’ailleurs.

La politique de santé doit faire l’objet d’une réflexion semblable. On pourrait imaginer développer des prestations spécialisées qui attireraient des clients extérieurs. Le Centre jurassien de réadaptation cardio-vasculaire du Noirmont (Franches-Montagnes), par exemple, grâce à un positionnement spécialisé, apporte un revenu intéressant dans la région. Les hôpitaux du Haut peuvent parfaitement envisager des spécialisations destinées à un marché large.

Les politiques culturelle et sportive, ainsi que l’organisation d’événements (foires, congrès, etc.) doivent servir les loisirs de la population locale mais aussi attirer le public de l’extérieur. Elles doivent également jouer un rôle dans le recrutement d’étudiants d’autres régions et les insérer dans le Haut à la fin de leurs études.

L’adoption d’une politique permettant de profiter des moyens supplémentaires liés à l’éventuelle introduction d’un nouveau système de péréquation financière cantonal s’inscrit dans le cadre des réorientations présentées ci-dessus. En effet, l’apport financier résultant de la péréquation devrait être consacré en finalité à l’amélioration des fonctions urbaines à travers des investissements porteurs de développement.

Afin de rendre plus concrets le diagnostic et les réorientations suggérées, nous abordons à présent trois secteurs particuliers d’intervention des communes : la promotion économique, la politique culturelle et l’urbanisme. Il va de soi que les interventions doivent être liées autant que possible. En ce sens, les équipements culturels des communes du Haut de même que leur aménagement urbain doivent participer de manière efficace au développement économique et touristique local.

2. Analyse sectorielle

Dans cette section, nous revenons sur trois domaines d’intervention. Dans un premier temps, nous faisons une relecture de la situation18; ensuite, nous proposons des démarches à entreprendre en regard du mode de gouvernance.

2.1 La promotion économique

2.1.1 Points saillants

Les promotions économiques cantonales et communales sont en relation étroite. Ce paragraphe traite de l’ensemble des actions de promotion économique qui s’appliquent dans le Haut. Cependant, dans plusieurs domaines, un élargissement de la promotion économique des villes est souhaitable, en particulier pour toutes les

18 Cette relecture est inspirée des entretiens menés mais aussi de la thèse de doctorat de N. Babey intitulée Publicité du territoire et politique urbaine, thèse défendue en juillet 1999 à l’Université de Neuchâtel.

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actions qui renforceraient les activités autres que les activités industrielles d’exportation.

Au fil des ans, les acteurs publics et privés ont développé un mode de fonctionnement basé sur une séparation des tâches. Les ressources de chaque groupes se développement indépendamment et restent méconnues des autres. Il en résulte des clivages fâcheux : des projets intéressants ne peuvent aboutir, ou alors sont concrétisés par le privé et le public de manière indépendante. La réalisation de projets devrait plutôt être le produit de démarches partenariales.

Le problème central des régions du Haut ne concerne pas seulement le nombre d’emplois, mais aussi et de plus en plus leur qualité. Il faut enrayer la spirale de spécialisation dans les activités de fabrication. Parce qu’elles sont routinières, ces dernières entraînent un filtrage et une déqualification des emplois, de même que la disparition d’emplois qualifiés tertiaires (cadres, R&D, design, etc.) et de la demande locale en services spécialisés aux entreprises (informatique, consultance, finance, etc.).

Il est nécessaire d’admettre que le développement économique n’est pas séparé du développement urbain en général. D’un côté, il faut promouvoir l’entrepreneuriat dans tous les domaines (culturel, social, santé, etc.). De l’autre côté, il faut poser que le développement culturel et social des villes est aujourd’hui une condition indispensable à leur survie économique à moyen terme. En ce sens, les projets publics et privés doivent, dans leur concrétisation, participer au développement de l’activité urbaine selon les fonctions décrites dans la première partie.

2.1.2 Vers un nouveau mode de gouvernance

Actuellement, le mode de gouvernance des villes dans le domaine de la politique économique est largement fondé sur une division des tâches entre le public et le privé. De leur côté, les acteurs publics ont une politique économique active qui favorise l’emploi. Ils tiennent à maintenir, officiellement, une égalité de traitement entre les entreprises tout en entrant en matière, dans la pratique, sur des demandes particulières. Du côté des entreprises, il faut distinguer deux attitudes : l’une, collective, consiste à demander des conditions-cadres aussi attractives que possibles tout en critiquant, en public, l’action des autorités qui n’en feraient jamais assez; l’autre, individuelle, consiste à demander aux autorités des avantages particuliers, propres à chaque entreprise (permis de travail, rabais d’impôts, etc.).

Les inconvénients de ce mode de gouvernance sont aujourd’hui nombreux. Premièrement, les services de promotion économique sont surchargés par des problèmes individuels. Deuxièmement, il plane un manque de transparence en ce qui concerne les entreprises qui paient des impôts et celles qui reçoivent des soutiens. Troisièmement, les milieux privés critiquent publiquement cette manière de faire mais la soutiennent en particulier, car chacun pense y avoir son avantage. Quatrièmement, les discussions sont centrées sur la mise en conformité du local par rapport aux attentes qu’on attribue aux entreprises « globales », ce qui incite les villes à construire leur image en fonction de conditions-cadres traditionnelles (disponibilité de terrains et de locaux à faible coût, impôts réduits, permis de travail accessibles, etc.) plutôt qu’en fonction du cadre urbain et des ressources spécifiques. Dans ce contexte, les villes répondent à des demandes

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individuelles plutôt qu’à des actions collectives concernant un pan particulier de l’économie (les activités de design, par exemple). Les projets destinés à améliorer des domaines spécifiques de l’activité économique urbaine (les services de consultance, par exemple) ont de la peine à émerger et à se concrétiser.

Afin de remédier à cette situation, les services de promotion des villes doivent moins mettre l’accent sur leur rôle de « facilitateurs » des activités des entreprises considérées individuellement. Ils doivent aussi développer leur rôle d’animateurs et de partenaires qui montent des projets avec des milieux privés et associatifs variés afin de susciter le développement des activités manquantes. Le développement économique passe maintenant par la création collective de nouvelles ressources spécifiques destinées à améliorer l’environnement des entreprises, une forme de ressource unique qui émerge de la combinaison des atouts caractéristiques des acteurs locaux.

2.1.3 La mobilisation des acteurs locaux dans le développement économique et des acteurs économiques dans le développement local

Actuellement, les moyens mis en œuvre pour promouvoir le développement économique relèvent largement du Canton. L’évolution des promotions économiques des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle est donc en grande partie tributaire d’orientations visant le canton dans son ensemble plutôt que d’orientations spécifiques à leur contexte local.

Produits d’une démarche publique « par le haut », deux volets caractérisent la promotion économique neuchâteloise, l’un exogène, l’autre endogène. Nous ne reviendrons pas sur les avantages et les inconvénients de l’une ou l’autre de ces stratégies, qui sont largement connus. Concernant la promotion exogène, notons toutefois qu’elle a pour conséquence d’orienter le débat de manière particulière. En effet, chercher à attirer des entreprises repose sur un principe simple : le développement économique vient d’ailleurs. Sans contester la part de vérité dans cette assertion, il faut admettre qu’elle a comme effet de laisser penser que le développement économique de la région est indépendant de ce que les acteurs locaux entreprennent. La quête d’entreprises étrangères est devenue une activité routinière sur laquelle compte la population pour assurer le renouvellement des emplois. C’est comme s’il était devenu normal que le Canton et les villes attirent des entreprises qui fournissent des emplois à la population et que cette dernière se confine dans une position attentiste. Or, c’est l’ensemble de la société locale qui doit être capable de générer des emplois qui correspondent à ses besoins. Le développement urbain résulte d’un foisonnement d’activités locales et les autorités n’ont pas à assumer seules la responsabilité du plein emploi. Cela contribue aussi à limiter les discussions sur le développement économique à la mise sur pied de conditions-cadres parfaitement banales, même si elles sont souvent indispensables.

Un autre effet pervers de cette discussion est justement l’enlisement du partenariat public-privé dans une stricte séparation des tâches : les conditions-cadres à l’Etat et aux communes, la production de richesse et l’emploi aux entreprises. Or, cette séparation est l’héritage des idéologies de ces vingt dernières années et du mode de gouvernance décrit plus haut : les communes se préoccupent des conditions générales, attirent des entreprises étrangères pour offrir des emplois à la population et les entreprises locales

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acceptent cette politique dans la mesure où elles parviennent à négocier certains avantages particuliers. Cette conception du développement économique ne correspond pas à ce que l’on peut observer dans des régions industrielles très dynamiques, comme celles de l’Italie du Nord-Est et du Centre, ou dans les métropoles qui se développent rapidement, et dans lesquelles le public et le privé parviennent à s’entendre pour développer des conditions spécifiques (pas seulement des conditions-cadres) pour leur territoire : émergence de savoir-faire originaux uniques, mise sur pied de manifestations nationales et internationales spécifiques, relations particulières entre, par exemple, les domaines de l’art, de la culture et de l’industrie, etc.

Ce qui importe maintenant, c’est d’agir de manière partenariale, en associant les milieux publics, privés et associatifs, sur des projets collectifs, donc qui profitent au développement de l’ensemble d’un domaine ou d’un secteur économique. Aujourd’hui, le succès économique des entreprises apparaît beaucoup plus comme le résultat d’un environnement régional porteur que comme le succès d’un individu isolé et qui serait omnipotent. Dans les régions de la Troisième Italie, l’entrepreneur ne se comporte pas comme un consommateur de prestations publiques mais comme une personne non seulement à même d’utiliser son environnement régional, mais aussi de le fertiliser.

C’est en redéfinissant la manière de travailler entre les acteurs privés et publics que l’on pourra redynamiser collectivement les ressources spécifiques locales. L’enjeu est de briser la spirale actuelle de spécialisation dans des activités de fabrication et d’amorcer la création de nouveaux emplois plus qualifiés et plus diversifiés. Au-delà, c’est bien sûr la reconstitution d’un réseau de participation – formé d’entrepreneurs au sens très large – qui s’implique dans la vie sociale des villes qu’il faut viser afin de générer une trame urbaine plus dense et plus partenariale.

2.1.4 La promotion économique des villes au service de l'urbanité

La politique de promotion économique des villes devrait s’attacher à développer leurs activités manquantes : services aux entreprises (proches de la fabrication) et des services qui caractérisent les activités urbaines (entreprises du domaine de la culture et des médias, associations professionnelles, associations caritatives ou religieuses, etc.).

En effet, dans un système de production régional, les villes ont un rôle particulier à jouer : celui de fournir les services spécialisés aux entreprises et les services urbains à la population de la région. Elles doivent en particulier veiller à développer des lieux d’interaction et d’apprentissage (foires, centres de formation et de recherche, centres culturels, etc.) sans quoi elles ne sont que de simples zones industrielles et résidentielles.

Concernant la promotion des activités locales, culturelles, commerciales et sociales, il est nécessaire d’élargir l’action de promotion économique des villes. En effet, le développement urbain ne passe pas que par les activités exportatrices de type industriel. Il résulte aussi d’activités qui donnent à la ville une envergure extrarégionale comme les foires, les congrès, les manifestations sportives d’importance, de même que d’activités commerciales, culturelles et sociales. Dans ces différents domaines, les communes peuvent jouer un rôle, d’autant que ce n’est pas celui de la promotion économique cantonale, et s’ouvrir des fenêtres extrarégionales.

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De plus, elles doivent susciter l’émergence d’autres acteurs (privés, associatifs, etc.) en appuyant leurs projets selon les fonctions des villes décrites précédemment. L’objectif d’une telle politique est bien sûr de reconstituer une trame sociale dans les différents domaines (industriel, culturel, commercial, associatif, etc.), entre autres à partir de jeunes entrepreneurs que l’on parviendrait à insérer sur place grâce à une vie intéressante et à la reconnaissance de leurs capacités sociales. De manière générale, l’emploi est pour les jeunes un facteur d’attraction nécessaire, mais insuffisant.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, le développement de l’industrie résulte de plus en plus de la capacité d’incorporer des éléments culturels (relatifs aux modes de vie, aux arts plastiques, aux événements culturels et sportifs, etc.) dans des biens matériels. L’horlogerie, qui vend avant tout de la mode, de la tradition, de l’exclusivité, de l’art, etc., en est un des plus beaux exemples. On doit donc se demander sur quelles ressources culturelles sera basé le développement industriel des régions du Haut du canton au cours des vingt prochaines années.

Enfin, le développement d’une ville repose autant sur ses habitants que sur ses entreprises. Mais avec les nouvelles voies de communication, les gens n’habitent plus forcément la commune où ils travaillent. Les statistiques présentées plus tôt montrent que cela est particulièrement vrai pour La Chaux-de-Fonds et Le Locle. Compte tenu de leur difficulté à attirer et à fixer des habitants, il est d’autant plus nécessaire, pour les services de promotion économique des villes, de promouvoir davantage une offre de services personnels (commerce, culture, manifestations, etc.) attractive pour différentes catégories de population. Il s’agit donc de favoriser un entrepreneuriat qui porte sur d’autres objectifs que les industries d’exportation à haut contenu technique et d’appuyer les initiatives collectives venant des milieux privés et associatifs locaux. Elles rendent les villes plus attractives aux résidents et en assurent le rayonnement.

2.2 La culture

2.2.1 Points saillants

Les administrations communales sont les principaux acteurs du développement de la vie culturelle, à travers la commission et le délégué culturels à La Chaux-de-Fonds et à travers le Conseil communal au Locle.

Si certains lieux et événements culturels des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle sont de plus en plus fréquentés, d’autres rencontrent moins les goûts et les intérêts de la population. C’est le cas des musées qui, malgré leur faible fréquentation, continuent de drainer le quart des fonds consacrés à la culture.

Il y a, dans les communes du Haut, difficulté à concilier culture et image avec développement économique et touristique.

La culture est encore considérée comme un plaisir que l’on s’octroie grâce à ce que l’on a gagné dans d’autres activités économiques (l’industrie) plutôt que comme un moteur du développement urbain.

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La sphère politique joue le rôle de premier plan dans le développement de l’activité culturelle dans les communes du Haut19, rôle fondé principalement sur un discours universaliste de la culture. Dans ce contexte, les critères de sélection sont peu discriminants et il n’y a pas de limite à la subvention autre que celle fixée par les contingences financières. De fait, à La Chaux-de-Fonds, les autorités refusent encore rarement de soutenir un projet.

Certes, la notion de qualité d’un projet culturel pose problème puisqu’elle sous-entend une classification des activités artistiques entre des domaines prioritaires et les autres. Or, pour l’instant, cette classification entre en contradiction avec les règles associées aux valeurs universalistes et au principe d’égalité de traitement. Malgré la crise budgétaire, les communes ne disposent pas de critères pour établir des priorités dans le domaine de la culture. Ne faudrait-il pas effectuer les choix d’abord en fonction des apports au développement économique et urbanistique de la ville ?

La commission culturelle et le délégué culturel, dont les rôles sont définis par le Conseil communal, contribuent à maintenir le mode de gouvernance décrit plus haut. La commission a pour rôle de construire le consensus, par des échanges entre les acteurs politiques formant la coordination autour du bien commun, selon les valeurs universalistes, et les commissaires non politisés, symbolisant la collectivité des citoyens et cautionnant le fonctionnement de la commission. Le délégué culturel remplit quant à lui un rôle de médiation avec les acteurs culturels de manière à préserver la stabilité du mode de gouvernance. Ainsi, les conflits sont généralement évités parce que les acteurs culturels connaissent les arguments à utiliser pour obtenir une subvention, des arguments d’abord civiques – les promoteurs d’une forme d’expression artistique doivent démontrer l’utilité sociale de leur projet – et ensuite médiatiques – on doit en parler dans les journaux. Comme dans le secteur économique, les acteurs privés du domaine culturel participent, par leurs interventions, au maintien d’un mode de gouvernance qui leur assure l’égalité de traitement.

Dans ce contexte, la ville de La Chaux-de-Fonds éprouve des difficultés à concilier culture, au sens large, et développement touristique ou économique. Une telle conciliation exigerait d’abord d’évaluer le potentiel de commercialisation d’un objet culturel donné, toute expression artistique n’étant pas forcément « vendable ». Ensuite, une éventuelle commercialisation impliquerait un investissement financier de même que l’identification d’un segment particulier de la population, ce qui va à l’encontre du mode de gouvernance actuel. Comme pour l’identification, investir dans un objet donné requiert, d’une part, d’effectuer des choix, ce qui entre en conflit avec le principe d’égalité de traitement en vigueur, et, d’autre part, de privilégier certaines formes d’expression culturelle et artistique, ce qui va à l’encontre du discours universaliste. En bref, culture et développement se posent plutôt en opposition qu’en complémentarité. Or, si l’activité culturelle locale doit viser les résidents, elle doit aussi désormais devenir un outil pour attirer de nouveaux résidents et des touristes et participer au développement des villes.

19 L’analyse qui suit porte sur le cas de La Chaux-de-Fonds car en raison de la présence d’un délégué culturel, il nous a été plus facile d’obtenir de l’information. On peut vraisemblablement penser que les deux communes ont des problèmes et des pratiques comparables.

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Le même problème de gouvernance se pose autour de l’image de la ville. En effet, dans le cadre du mode de gouvernance en vigueur, structuré par des valeurs civiques, il n’existe qu’une collectivité de citoyens, égaux en droits et en devoirs. Comme dans le cas de la promotion économique, la défense, en public, du particulier met en danger toute recherche d’unité et d’égalité. Dès lors, tout projet de médiatisation ne peut s’effectuer qu’autour d’une seule image, celle qui fait consensus. Pour s’entendre, les acteurs doivent s’arrêter aux propositions qui sont susceptibles de faire l’unanimité. Les propositions originales ou audacieuses sont de ce fait rarement retenues. C’est la raison pour laquelle les campagnes médiatiques chaux-de-fonnières portent depuis longtemps sur les mêmes thèmes : convivialité, savoir-faire technique, vie culturelle intense, nature préservée – thèmes censés embrasser l’ensemble du territoire et séduire habitants nouveaux, touristes et investisseurs potentiels. Du strict point de vue du marketing, cette approche devrait être revue, pour deux raisons, notamment. Premièrement, c’est la volonté de se distinguer qui devrait soutenir la construction et la promotion d’une image. Deuxièmement, toute démarche en marketing sous-entend le ciblage d’une clientèle particulière, qu’elle soit interne ou externe. Mais comment cibler à l’externe un segment particulier quand à l’interne, cette démarche n’est pas appliquée ?

2.2.2 La culture comme levier de développement

La culture joue un rôle central dans les modèles de régénération urbaine depuis la fin des années 70 : alors qu’à une époque, la consommation culturelle primait, c’est maintenant la production d’une culture populaire contemporaine et ses acteurs qui deviennent un levier du développement urbain20.

Les implications spatiales de ce mouvement ont été étudiées dans le cas de la Grande-Bretagne. Elles sont triples21. Premièrement, la culture n’est plus considérée comme une activité induite, un loisir que l’on peut consommer grâce aux revenus provenant d’autres activités; elle est maintenant devenue un élément moteur. Deuxièmement, en recyclant certains espaces dégradés des centres-villes, les activités culturelles ont attiré de nouveaux habitants à proximité, ce qui a contribué à recentraliser des zones auparavant marginales du centre des villes. Troisièmement, les activités de groupes auparavant marginaux (en termes de genre, de groupe d’âge, etc.) sont devenues centrales à la ville et, réciproquement, ont fait de la ville leur centre. Le rôle polariseur de la culture se manifeste donc dans l’occupation de l’espace urbain; nous y reviendrons dans la section sur l’urbanisme.

D’après une étude sur le travail « créatif-intellectuel » dans les agglomérations de Nîmes et Montpellier22, les mondes de la créativité diffuse sollicitent des lieux pour fédérer leurs initiatives, des espaces autonomes pour expérimenter et créer, comme les friches urbaines. La ville est alors envisagée comme un maillage de différents milieux. En principe, cette diversité permet à différents groupes de trouver leur place, en

20 O’Connor, J. et D. Wynne (1996). From the Margins to the Centre : Cultural Production and Consumption in the Post-Industrial City, Aldershot : Ashgate Publishing, Arena Collection. 21 Ibid. 22 Bernié-Boissard, C., L. Dreyfuss et P. Nicolas-Le Strat (1998), Ville et emploi culturel : Le travail « créatif-intellectuel » dans les agglomérations de Nîmes et Montpellier, Montpellier : Université Paul Valéry, Analyses, Recherche en Politique et Economie Sociales (ARPES), mars.

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particulier les différentes classes d’âges. Les classes les plus jeunes sont les plus susceptibles d’opérer cette reconversion de certains sites.

A l’image de ce qui se passe ailleurs, quel pourrait être le rôle des communes du Haut ? Concrètement, et comme dans le cas des interventions en matière d’entrepreneuriat, les communes devraient privilégier les manifestations les plus vivantes et l’entrepreneuriat social (intervention disséminante ou diffuse, portant sur la trame d’activités) plutôt que le financement d’équipements lourds (intervention structurante).

Cette évolution exige notamment des modifications dans la manière même de penser la conduite du budget annuel attribué à la culture. Il ne serait pas inutile de rediscuter la pérennité des attributions, de même que les principes de redistribution qui favorisent trop le saupoudrage. Les principes d’action que l’on pourrait suggérer sont les suivants :

Favoriser les projets multi-acteurs, dont le financement provient de diverses sources et pour lesquels il existe dans le Haut des personnes et associations prêtes à s’investir;

Favoriser des projets qui pourraient avoir des retombées économiques intéressantes, en particulier dans les domaines du tourisme, des activités de design, des métiers d’art, etc. Cela ne signifie pas qu’il faille oublier les manifestations « invendables ». Ces dernières doivent être soutenues dans la mesure où elles sont justifiées par d’autres critères. Cependant, la culture et l’économique ne sont pas incompatibles. Il est nécessaire de favoriser la traduction marchande des objets culturels qui s’y prêtent;

Favoriser les projets qui ont une inscription marquée dans le paysage urbain et qui recréent de la centralité. Les bâtiments affectés à des activités culturelles jouent un rôle important dans la symbolisation de la ville. Ils devraient participer à la restructuration des centres et à leur animation;

Favoriser les activités qui donnent une image spécifique des villes et qui les replacent dans le réseau urbain suisse en les différenciant;

Favoriser les activités disséminantes, qui permettent la production de culture par une quantité d’acteurs, plutôt que les activités structurantes, comme les grandes institutions qui accaparent une grande part des moyens mais ne permettent pas de véritable participation de la population, si ce n’est sous la forme de consommation;

Choisir des thèmes originaux plutôt que des thèmes traités dans de grandes métropoles. Des manifestations comme le congrès de spéléologie ou le championnat du monde d’escrime semblent indiquées, mais cela pourrait être étendu à d’autres domaines, par exemple l’articulation entre le travail social, la psychologie, les arts et les philosophies appliquées qui rencontrent aujourd’hui un grand intérêt.

La politique des acteurs publics en matière d’aide à la culture serait plus inégalitaire puisque certains objets culturels seraient privilégiés selon les principes énoncés ci-dessus. En définitive, l’objectif est d’associer la culture au développement économique à travers les fonctions urbaines. La culture doit apporter du contenu aux diverses facettes du développement et les enrichir. Ainsi, le tourisme – notamment le tourisme de congrès, de foire ou le tourisme industriel, etc. – n’aura une chance de se développer

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que s’il est lié à des activités culturelles, au sens large. Il ne s’agit donc pas de prôner une marchandisation de la culture pour elle-même mais bien de la combiner à des partenariats avec les hôteliers, avec les responsables du tourisme, avec les entreprises industrielles, etc.

Dans le domaine industriel également, la culture peut jouer un rôle important. Par exemple, le dépassement de l’appellation « Swiss made » génère des réflexions chez les entrepreneurs spécialisés dans le haut de gamme autour de la mise en place d’une AOC (appellation d’origine contrôlée) pour compenser un déficit de distinction. Le Musée International d’Horlogerie ou la Fondation pour les métiers d’art pourraient certainement jouer un rôle important et être associés à des projets de groupes d’industriels.

Enfin, cette nouvelle conception de l’activité culturelle urbaine requiert une redéfinition du rôle des acteurs publics dans ce domaine. Il faut notamment laisser une plus grande place aux autres acteurs, une place de partenaire, afin qu’ils s’associent pleinement au développement plus général des villes du Haut. Comme dans le cas de la promotion économique, ce nouveau rôle attribué aux acteurs publics locaux du domaine culturel doit constituer un complément à celui de l’instance cantonale chargée du tourisme.

2.3 L’urbanisme

2.3.1 Points saillants

Les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle connaissent un problème de centralité interne. Les zones de commerce et d’animation sont dispersées et l’axe routier principal constitue une barrière; ces éléments nuisent au développement d’un centre dense et polarisateur.

Les choix urbanistiques ont été faits de manière à ne défavoriser aucun groupe d’acteurs. En ce sens, le centre qui a été défini est trop étendu pour polariser les activités.

La ville n’est plus le lieu de rencontre et d’interactions spontanées entre résidents. L’automobile occupe un espace toujours croissant, d’autant plus important qu’il dépasse l’emprise physique des voies de circulation, notamment par le bruit.

Malgré la réalisation de projets importants dans les domaines de l’architecture et de l’aménagement, il persiste dans les villes un problème de centralité vis-à-vis de l’extérieur.

L’urbanisme est considéré comme un « facilitateur » (et dans le cas où il y a des problèmes, comme un empêcheur) plutôt que comme un véritable levier de développement.

Le mode de gouvernance en vigueur à La Chaux-de-Fonds et au Locle ne permet que difficilement de créer des synergies entre acteurs de différents milieux autour d’objets bâtis. Les projets des acteurs publics sont souvent perçus comme imposés, ce qui interdit toute synergie et toute collaboration potentiellement fructueuse avec les autres

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acteurs. Plusieurs exemples sont révélateurs de ce mode de fonctionnement à La Chaux-de-Fonds. Au début des années 90, un projet de réaménagement de l’avenue Léopold-Robert proposé par le Service des travaux publics de la ville a été balayé par les commerçants qui n’avaient pas été associés au processus de création. Plus récemment, les revendications des commerçants en matière de places de stationnement supplémentaires ont été combattues par les pouvoirs publics, qui ont voulu démontrer aux commerçants que leur chiffre d’affaires n’avait pas été affecté par les nouvelles restrictions promulguées par la ville. Toutefois, avec la création, cette année, d’un groupe de travail composé de commerçants et de représentants du Service économique et du Service d’urbanisme de la commune, la commune et les commerçants semblent abandonner leur mode de relation conflictuel pour adopter un mode de relation basé sur la conciliation et le partenariat.

L’urbanisme et le cadre bâti jouent un rôle important à deux niveaux. Premièrement, ils renforcent l’activité interne des communes aux points de vue social, commercial, résidentiel, etc. Deuxièmement, les centres renforcés attirent des activités exogènes qui participent au développement général. A La Chaux-de-Fonds et au Locle, l’urbanisme contribue peu au renforcement des activités internes aux villes et à la venue de résidents, de commerces, de touristes, etc. Le développement urbain local ne tient pas non plus compte de l’environnement régional. Si des commerces de grandes surfaces se développent en périphérie, ne faut-il pas resserrer et renforcer le centre ? Si des zones comme le Val-de-Ruz attirent de plus en plus de résidents, La Chaux-de-Fonds et Le Locle ne doivent pas offrir un habitat différencié concurrentiel ? Le développement urbanistique suit, en l’occurrence, une logique qui lui est propre alors qu’il devrait être davantage intégré à une politique plus générale de développement urbain et contribuer à l’insertion des deux villes dans leur région et plus largement dans le réseau urbain de l’Arc jurassien et de la Suisse.

Si cela n’a pas été le cas jusqu’à présent, c’est à cause du mode de gouvernance : à La Chaux-de-Fonds, les choix urbanistiques ont d’abord été faits selon l’égalité de traitement, donc de manière à ne défavoriser personne plutôt que pour favoriser des projets de développement. Il en résulte une ville dépourvue de véritable centre, puisque celui qui a été désigné est trop étendu pour polariser les activités commerciales. Le mode de gouvernance a aussi eu des incidences sur le marché du logement et le cadre bâti. Au Locle, pour ne pas provoquer de conflits avec les résidents et maintenir de faibles loyers, les gérances ont négligé l’entretien des façades. Malgré les prix avantageux, les communes restent peu attrayantes comme lieu de résidence, notamment pour des familles disposées à payer plus pour un habitat plus confortable.

2.3.2 L’aménagement urbain comme exercice de participation et de partenariat

Un urbanisme remarquable, pas plus qu’une image de marque, ne peuvent suffire pour soutenir le développement de villes. Certains objets, de même que certains projets d’aménagement, peuvent toutefois favoriser des parties de l’économie induite, en particulier le commerce, ainsi que le tourisme, les activités culturelles et d’animation, et mieux encore devenir des moteurs de développement urbain.

De plus, le domaine de l’urbanisme est particulièrement bien adapté à l’exercice participatif et partenarial qu’exige le renouvellement du mode de gouvernance. En effet,

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il concerne tous les groupes d’acteurs, y compris la population. Les deux exemples qui suivent en témoignent.

Depuis peu, à l’instar de l'Europe, certains cantons n’hésitent pas à plébisciter de nouvelles formes locales de partenariat public-privé par l’entremise de concours d’urbanisme proposés à certaines de leurs communes. Ainsi la commune de Saint-Imier a-t-elle gagné un concours lancé par le canton de Berne et intitulé « Comment renforcer l’attrait des centres régionaux ? ». Le projet imérien a consisté à proposer un processus de création, une démarche itérative, en collaboration étroite avec l’association locale de commerçants. Il n’y avait pas de plan tout fait à imposer d’une manière ou d’une autre aux habitants, propriétaires et commerçants, mais plutôt un groupe de travail réunissant l’ensemble des intérêts locaux. Un groupe auquel l’urbaniste soumet ponctuellement diverses variantes d’aménagement. Ces variantes servent de base à une création véritablement partenariale du paysage urbain collectif. En l’occurrence, l’architecte n’est plus le seul créateur et les autorités n’imposent plus. Si l’enjeu de ce type de formule est bien de prendre le risque d’une confiance accordée à l’autre, cette même formule a l’avantage, non négligeable, de favoriser l’imagination, la confrontation et la négociation, sans oublier que les oppositions – presque inévitables et forcément coûteuses en temps dans une démarche planificatrice « par le haut » – sont potentiellement déjà levées.

Une telle organisation n’est pas seulement envisageable dans le cas d’une ville de moins de 10 000 habitants ayant sauvegardé le lien social à la manière d’un village. La ville de Besançon, qui compte plus de 100 000 habitants, a bénéficié de processus semblables à ceux de Saint-Imier. En effet, dès le début de l’année 1991, l’Etat, la ville de Besançon, la Chambre de commerce et d’industrie du Doubs, l’Union des commerçants de Besançon, la Chambre des métiers ainsi que d’autres organismes privés et publics se sont engagés dans une réflexion sur la redynamisation et la reconquête du centre-ville de Besançon ainsi que sur la création d’un Musée du temps, qui pourrait concurrencer le Musée International d’Horlogerie de La Chaux-de-Fonds. Cette forme de partenariat a débouché sur un projet de développement économique, touristique, culturel et social très ambitieux et porteur de grandes espérances. Grâce à son projet « Chorus » de revitalisation urbaine et sociale, la ville de Besançon a été retenue par la Commission européenne comme Projet pilote urbain23. Ce n’est d’ailleurs pas uniquement le contenu du projet mais le processus de partenariat proposé qui a retenu la Commission. Il consiste à former deux groupes de travail : l’un réunissant plusieurs chefs de service de la municipalité chargés de la rédaction du projet, l’autre les partenaires publics et privés. Sur une période de six mois, le premier groupe a soumis sa réflexion au second qui l’a transformée, nourrie, développée, dans une remarquable attitude de confiance accordée, de négociation et d’imagination.

Ainsi, comme il en a été question au début de cette deuxième partie, plutôt que de développer des projets à réaliser, il est préférable d’identifier des domaines et des acteurs à mobiliser pour recréer une centralité.

23 Vingt-six projets urbains retenus et subventionnés sur 500 villes européennes.

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TROISIÈME PARTIE : DES PISTES DE DÉVELOPPEMENT

Nous basant sur le bilan précédent et les potentiels existant dans les villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle, nous proposons de nouvelles pistes de développement. Elles visent la réorientation de la politique économique, culturelle et urbanistique du Haut, conformément aux objectifs et aux principes du nouveau mode de gouvernance suggéré précédemment. Certaines pistes sont déjà développées et sont prêtes à être concrétisées (♣), d’autres restent à explorer (♦). Dans tous les cas, les interventions doivent être menées dans une perspective de spécialisation, de manière à renforcer les quatre fonctions des villes, à savoir :

le renouvellement des actions,

l’ancrage dans le bâti,

la symbolisation,

la combinaison productive.

Il ne s’agit évidemment pas de solutions « miraculeuses », mais d’exemples d’idées misant sur de potentiels de mise en œuvre et devant permettre de relancer des processus de développement porteurs.

1. L’intégration des prestations en matière d’entrepreneuriat

A l’heure actuelle, un certain nombre de créateurs d’entreprise originaires du Haut réalisent leurs projets à l’extérieur. De plus, les jeunes diplômés partent aussi souvent chercher un emploi ailleurs. La campagne élaborée conjointement par la promotion économique de La Chaux-de-Fonds, la promotion économique cantonale, la commune du Locle et l’Ecole d’Ingénieurs du Canton de Neuchâtel devrait cependant permettre d’augmenter le nombre d’étudiants choisissant de résider au Locle pendant la durée de leurs études. Cette campagne peut se comparer à une opération de promotion exogène, particulièrement intéressante, en ce sens qu’elle mobilise des partenaires du Locle et de La Chaux-de-Fonds, dont des gérances d’immeubles, des acteurs culturels et sportifs. La question à résoudre est la suivante : comment ancrer les jeunes plus durablement et inverser la tendance à l’exode ? On peut penser que si la vie locale est suffisamment attractive en termes de services personnels et culturels, d’aménagement urbain et de cadre bâti, mais aussi d’un climat entreprenant orienté vers le futur, les personnes décideront de résider dans les communes et seront progressivement amenées à y réaliser leurs projets entrepreneuriaux.

Dans ce contexte, promouvoir l’entrepreneuriat concerne avant tout quatre groupes d’acteurs :

les communes, à travers leurs activités de promotion économique;

les industriels, entre autres à travers l’Association industrielle et patronale;

les organismes de formation;

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la promotion économique cantonale.

Cette liste n’est pas exhaustive. Actuellement, ces acteurs mènent leurs projets de manière plutôt indépendante, sans viser explicitement l’enclenchement d’une dynamique de développement économique, culturel, urbanistique et social intégrée. Or, il y a là une occasion pour les communes de se démarquer en renforçant leur rôle dans les quatre fonctions des villes énumérées précédemment, à savoir en fixant leurs priorités et en énonçant des axes de développement choisis en fonction des problèmes auxquels elles sont confrontées et des dynamiques de développement qui se dégagent sur leur territoire. Les actions communales gagneraient à être révisées dans le sens d’une complémentarité avec celles du Canton et d’une meilleure intégration des différents axes de développement, de manière qu’ils s’alimentent l’un l’autre.

Conformément à la conception répandue du développement, selon laquelle l’activité économique au sens strict est au centre de toute dynamique urbaine, les industriels sont les acteurs principaux du développement. Réunis au sein de l’Association industrielle et patronale, ils mènent des actions telles que le projet NRJ-PME (Neuchâtel-Région-Jura) axé sur le premier emploi et le capital de proximité. Financé, entre autres, par la commune de La Chaux-de-Fonds, ce projet se veut la contrepartie privée de N-Tec et vise à promouvoir le lancement et le développement de nouvelles entreprises. Dans la mise sur pied de tels projets, même s’ils élaborent des interventions complémentaires à celles du Canton, les industriels mènent leurs actions en solitaire, indépendamment des autres acteurs. Lorsque les communes sont invitées à participer, c’est dans le but d’améliorer les conditions-cadres et les voies de communication, d’alléger la fiscalité, de faciliter l’obtention de permis pour les frontaliers, de diminuer le coût de l’énergie, etc., mais pas sur le contenu des projets.

Pourtant, les communes du Haut disposent de ressources qui pourraient être mises à contribution dans de tels projets. C’est le cas de l’Ecole d’Ingénieurs du Canton de Neuchâtel, par exemple, important outil d’attraction visant les jeunes. Cette institution sert déjà d’incubateur pour des jeunes désirant lancer leur propre entreprise; les acteurs industriels auraient donc tout avantage à intégrer ces créateurs dans leurs projets. Tant en ce qui a trait à leur élaboration qu’à leur réalisation, les projets de développement doivent passer, pour leur mise en œuvre, par la confrontation des différents acteurs et institutions dont les ressources et les potentiels sont pertinents en regard des grands enjeux mis en évidence ici. Dans le cas de la formation et de l’industrie, le potentiel est important mais peu exploité pour l’instant, l’industrie se limitant à intervenir en ce qui concerne le premier emploi.

♣ Une idée : la fondation d’une Maison suisse de l’entrepreneuriat

La création d’une maison de l’entrepreneuriat, qui regrouperait les organismes privés (l’Association industrielle et patronale, Sofip, les initiatives privées, etc.) et publics (RET SA, N-Tec, les organes de promotion économique des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle) participant au développement des PME, permettrait d’institutionnaliser des initiatives complémentaires et de les ancrer dans le cadre bâti. Il s’agit d’un projet à mobiliser dans l’image et dans l’identité du Haut du canton de

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Neuchâtel puisqu’il reflète des origines : il faut en faire le lieu privilégié de la création d’entreprises en Suisse. Mais au-delà du symbole, cette initiative stimulerait la complémentarité entre les acteurs réunis et faciliterait leur collaboration sur des projets communs, au travers de relations enrichies. Une telle institution faciliterait le recensement des activités industrielles menées dans le Haut du canton. C’est là le point de départ du développement de nouvelles activités de production et de services, permettant la formation de grappes industrielles et renforçant la combinaison productive des villes. Afin d’en faire un lieu de passage obligé pour les entrepreneurs actuels et potentiels, on peut envisager d’associer à la Maison de l’entrepreneuriat une pépinière d’entreprises, ou d’y loger un guichet unique auprès duquel serait disponible toute l’information nécessaire à la création d’entreprises.

Des structures d’encadrement à la création d’entreprises pourraient aussi en faire partie. Le projet genevois Genilem semble avoir beaucoup de succès et a été cité par plusieurs acteurs comme un exemple à suivre. Il s’agit d’une entité spécialisée dans les services aux entreprises en création : elle n’apporte aucun financement, mais un soutien à l’entrée sur le marché de nouveaux entrepreneurs en les aidant à bien cerner leur projet dans un premier temps. Les entreprises font ensuite l’objet d’une sélection, menée par un comité, et celles qui sont choisies seront suivies pendant trois ans sur les plans financier et commercial. En complément à cet encadrement, l’organisme offre des séminaires sur la gestion d’entreprise, les techniques de vente, etc. Des acteurs locaux tels des chefs d’entreprise tenant le rôle de parrain, des syndicats patronaux, des chambres de commerce et des représentants de l’Etat y voient un concept fédérateur qui, d’ailleurs, se répand dans d’autres villes et cantons suisses, de même qu’à l’étranger. Il pourrait s’agir d’un outil intéressant pour stimuler et faciliter l’entrepreneuriat chez les jeunes.

Cette maison ne devrait cependant pas se limiter à l’entrepreneuriat industriel classique. Il serait nécessaire d’y adjoindre des projets innovateurs relevant des domaines culturel, associatifs, des services aux entreprises et à la population.

♣ Une idée : la fondation d’une Maison du design et des métiers d’art

Dans la suite de la création de la Fondation suisse pour les métiers d’art, une Maison du design et des métiers d’art appuierait le développement du secteur tertiaire aux entreprises, les activités de service motrices. De par leur tradition industrielle, les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle disposent d’importantes ressources dans ce domaine : les musées d’horlogerie, l’Ecole d’art des Montagnes neuchâteloises, le Musée des Beaux-Arts du Locle spécialisé en gravure, de nombreuses entreprises de design, de réparation et de marketing, des artisans, etc., certains d’entre eux étant déjà réunis au sein de la Fondation suisse pour les métiers d’art. L’exploitation de ces ressources doit faire l’objet d’une stratégie développée par tous les acteurs impliqués puisqu’ils mènent des activités à haute valeur ajoutée, complémentaires entre elles et avec les activités industrielles existantes. En ce sens, il y a tout le potentiel nécessaire au développement de nouveaux marchés et de nouveaux débouchés. De même, il est indispensable de ne pas limiter les métiers d’art et le design à des activités traditionnelles. Il faut dès le départ leur associer les techniques les plus récentes ainsi que les tendances actuelles des arts plastiques. Une telle initiative prolongerait l’identité

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des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle et miserait sur des acquis pour renforcer le développement de grappes industrielles dans le domaine de l’horlogerie, mais aussi et surtout pour tous les produits industriels qui cherchent à se démarquer de la production banale par l’adjonction d’un design ou d’une opération de fabrication de qualité supérieure. Cette Maison aurait pour but de renforcer une vocation régionale, de la moderniser en y associant les dernières techniques et les tendances les plus modernes du design et de donner une image d’ampleur nationale aux villes du Haut dans ces domaines. Elle pourrait avoir pour ambition de devenir le principal lieu de rencontre de Suisse occidentale dans ces domaines. Le lien avec les activités culturelles et de formation est évident.

♣ Une idée : la création d’une vitrine pour les designers et les artisans

Une vitrine pour les artisans de l’art pourrait être associée à une Maison du design et des métiers d’art. En effet, il existe dans les villes du Haut un potentiel dans le design industriel et dans l’art. L’Ecole d’art des Montagnes neuchâteloises, le patrimoine architectural et l’héritage de Le Corbusier prouvent aujourd’hui que le design est une tradition locale bien ancrée. Cette vitrine, située de préférence sur une artère commerciale, serait mise à la disposition d’artisans, de designers et d’artistes qui l’occuperaient tour à tour. L’impact d’une telle initiative serait triple. Premièrement, en misant sur des potentiels et des ressources encore peu et mal exploités, elle permettrait à des artisans qui ne peuvent assumer la location annuelle d’un espace commercial de se faire connaître et de développer leurs activités. Deuxièmement, elle contribuerait à animer l’artère commerciale en question et à redynamiser le commerce local en offrant des biens à forte valeur ajoutée se distinguant grandement de ceux offerts dans le commerce local et régional, de grande ou de petite surface. Enfin, une telle initiative encouragerait des activités de création et, dans la mesure de leur promotion à l’échelle nationale et européenne, elle nuancerait cette image de « spécialistes de la fabrication » qui marque les communes.

2. La culture comme instrument de développement

Plusieurs des atouts industriels des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle ont un potentiel culturel élevé mais encore peu exploité : c’est le cas des métiers de l’art et du design, qui font le pont entre l’industrie et la culture et dont nous venons de traiter. Il y a là de quoi miser sur des ressources locales pour enclencher des dynamiques industrielle et culturelle qui s’alimenteraient l’une l’autre.

Jusqu’à présent, les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle ont axé leur politique touristique autour de la famille, du loisir et de la détente. Le projet de biodôme (patinoire, piscine, santé, détente, circuits VTT, promenade, etc.) en est un bon exemple. De ce point de vue, et avec des initiatives comme la Route de l’horlogerie ou la collaboration entre les conservateurs des musées suisses et français, les communes profitent de leur place au sein du Réseau des villes de l’Arc jurassien. Mais ce type de tourisme attire une clientèle locale et régionale qui génère peu de retombées dans les communes. Dans le domaine du tourisme également, les services publics gagneraient à dépasser le plan local pour devenir vecteurs du développement régional. Pour ce faire,

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l’élaboration d’une offre touristique spécifique à la région des Montagnes neuchâteloises semble pertinente. Les communes doivent intervenir de manière à compléter le rôle joué par l’organisme cantonal chargé de la promotion touristique.

Adopter cette perspective revient à développer des produits touristiques à thème : tourisme industriel (musées d’horlogerie, moulins souterrains du Col-des-Roches, visites d’entreprises horlogères et quantité d’autres ressources dans les régions environnantes), tourisme lié aux sciences naturelles (musée d’histoire naturelle, spéléologie, parcs à animaux, etc.), etc. Ces produits touristiques doivent être développés en mobilisant de nombreux acteurs locaux concernés (hôteliers, offices du tourisme, industriels, associations diverses, etc.). Cela repose sur l’ouverture et la capacité organisationnelle des institutions publiques et privées, notamment des hôteliers, et sur la mise en commun de leurs ressources autour de projets moteurs. Dans ce domaine, l’audace et la créativité nous semblent être les critères les plus centraux. Le projet des Créactives jurassiennes24 mis en avant par l’anthropologue Sabelli et qui vise la valorisation des richesses disponibles localement pour en produire de nouvelles (ressources humaines, infrastructures, etc.) s’inscrit dans cette perspective. Il en est de même pour l’association de l’Ancienne Poste, au Locle, qui crée actuellement un lieu de socialisation et de culture.

♦ L’Expo.01 présente une occasion à saisir en ce sens qu’elle constitue un élément déclencheur sur un territoire qui dépasse largement la région hôte des Trois-Lacs. Profitant de l’Expo.01, quels projets pourraient être lancés qui contribueraient au développement des villes de façon durable, au-delà de l’événement ? Le séjour des visiteurs sur le Littoral à l’occasion de l’Expo.01 doit les inciter à revenir subséquemment visiter le reste du canton.

♦ Les Itinéraires culturels du Conseil de l’Europe, qui doivent mettre en valeur un patrimoine culturel commun aux Européens, semblent intéressants. Par exemple, on pourrait envisager de proposer un itinéraire sur l’archéologie industrielle de l’Arc jurassien français et suisse.

♦ Pour faire le deuil du passé et le mettre à distance, on peut envisager la préparation d’une exposition participative sur l’âge d’or des communes. Elle mettrait en évidence, dans une perspective critique, plusieurs dimensions de la vie urbaine de l’époque : l’économie, la politique, l’histoire et la culture. Conçue dans un esprit dynamique, une telle exposition serait une occasion de tirer des leçons du passé et de rompre avec l’ambiance nostalgique répandue dans le Haut du canton et qui nuit à son développement.

♦ Les jeunes attirés au Locle par l’Ecole d’Ingénieurs pourraient jouer un rôle important. A la fois producteurs et véhicules de l’image des communes du Haut, ces personnes s’intégreraient d’autant plus dans la région qu’elles auraient eu l’occasion de participer à des manifestations ou à des projets dépassant le cadre strict de leurs études.

24 Euro Concept Images (1998), Les « créactives » jurassiennes, document de travail.

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♦ En ce qui concerne la tenue de grands événements et de congrès, des thèmes originaux ou peu développés ailleurs sont à privilégier. Toutefois, l’exploitation de ce créneau repose sur un travail d’animation locale mené par les autorités publiques et les milieux locaux prestataires de services touristiques (hôteliers, restaurateurs, etc.) afin de développer la capacité organisationnelle des acteurs de la région, notamment en ce qui concerne l’hébergement.

3. L’aménagement urbain pour refaire de la ville un lieu de socialisation

La ville n’est plus un lieu de rencontre et d’interactions spontanées entre résidents, entre autres raisons parce que les piétons n’y ont plus leur place. L’automobile occupe un espace toujours croissant, d’autant plus important qu’il dépasse l’emprise physique des voies routières, notamment par le bruit. L’aménagement de zones piétonnes et de places animées pour y attirer des résidents qui à leur tour les investiront et contribueront à leur animation (bancs, terrasses chauffées en hiver, éclairage de nuit, patinoires, sculpture sur glace, etc.) est devenu indispensable.

♦ A La Chaux-de-Fonds, l’activité pourrait être recentrée autour de la Place du Marché, un atout trop peu valorisé compte tenu de la réputation du marché et du fait qu’il n’attire de loin pas que les Chaux-de-fonniers. Sans investir dans une infrastructure lourde, on pourrait par exemple envisager son ancrage dans le cadre bâti en le couvrant.

♦ Au Locle, on a depuis longtemps l’idée de rouvrir le Bied. Dans ce genre d’intervention, il faut susciter la participation de la population : c’est à elle d’investir et d’occuper l’espace urbain.

En plus de se démarquer par l’offre de produits et services différents et d’améliorer le service à la clientèle, le commerce local peut participer à refaire de la ville un lieu de socialisation, cela par le genre d’activités qu’il permet. Sur rue, dans des zones commerciales denses, il attire les promeneurs.

♦ La commune doit revoir l’affectation des zones commerciales de manière à consolider un centre. Les commerçants doivent rapidement prendre conscience des enjeux auxquels leur activité est confrontée pour participer davantage au développement de ce centre. Selon les expériences belges, le gestionnaire de centre-ville constitue un acteur intéressant. Payé à part égale par la commune et les commerçants, il incarne le partenariat et l’équilibre entre les forces des autorités publiques locales et du secteur privé.

Comme dans le cas de la promotion économique et de l’activité culturelle, les modalités des interventions en matière d’aménagement urbain doivent être le résultat de démarches partenariales.

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4. L’aménagement urbain pour améliorer l’image et l’identité des communes

Le cadre bâti des communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle est peu attractif pour les touristes et les résidents.

♦ La trame urbaine en damier qui distingue les communes du Haut, de même que leurs autres spécificités urbanistiques et architecturales, doivent être mises en valeur à travers des prestations touristiques formelles.

♦ Le parc de logements des centres des communes doit faire l’objet d’une attention particulière, notamment en ce qui concerne les façades au Locle. Les propriétaires-résidents doivent se mobiliser. Ils peuvent être impliqués par le lancement de concours, conjointement avec les gérances. Les commerces locaux peuvent être impliqués par la commandite.

♦ Il semble y avoir pénurie de grands appartements au Locle, alors que les petits logements sont souvent vacants. Une intervention pourrait viser à transformer les petits en grands, de manière à offrir des appartements plus spacieux. Ainsi, les lofts pourraient rendre la commune plus intéressante comme lieu de résidence pour les jeunes. Une telle intervention contribuerait à améliorer la qualité du cadre bâti et à consolider les zones d’habitation existantes plutôt qu’à en développer de nouvelles, tout en diversifiant l’offre de logements et en augmentant l’attractivité de la commune auprès de résidents potentiels.

5. Une grille d’analyse

La grille suivante reprend les principaux aspects des fonctions des villes décrites dans la première partie de ce rapport. En ce sens, elle constitue un outil qui permet de sélectionner les projets sur la base de critères communs, tout en tenant compte de leur spécificité et de leur potentiel quant au développement d’activités urbaines porteuses. Les rubriques recensées dans la grille peuvent être affinées de manière à tenir compte des objectifs de développement fixés par chaque commune et du mode de gouvernance à instaurer. A titre d’exemple, nous l’utilisons ici pour examiner deux projets déjà présentés, celui de la Maison suisse de l’entrepreneuriat et celui de la Vitrine pour les designers et les artisans.

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TABLEAU 9 : GRILLE D'ANALYSE DE PROJETS PROJETS

Maison suisse de l’entrepreneuriat

Vitrine pour les designers et les

artisans Économique X X Urbanistique X Culturel X Animation X X

Nature

Infrastructure Privés (locaux, régionaux, autres) X X Publics (ville, canton, confédération, etc.) X X Mixtes X À déterminer

Acteurs-porteurs

Associatif X X Financement À déterminer À déterminer Q

ualif

icat

ion

des

proj

ets

Faisabilité Obstacles (technique, institutionnel, etc.) Aucun Aucun Création d’institution X Renforcement d’institution X X Durabilité du projet X X Professionnalisation des relations X X

Institutionnalisation

Cohérence avec l’environnement X X Nouvelle construction À déterminer Mise à disposition de locaux existants À déterminer X Renforcement de la centralité interne X

Ancrage dans le bâti

Renforcement de la centralité externe X X Valorisation d’une image existante X X Création d’une nouvelle image X Symbolisation Cohérence avec l’identité de la ville X X Développement de relations intrasectorielles X X Développement de relations intersectorielles X X Ampleur des relations entre acteurs (ville, réseau des villes, canton, Suisse, etc.)

Nationale Régionale

Valorisation de ressources existantes X X Création de nouvelles ressources X X Aspect innovatif X

Fonc

tions

des

vill

es

Combinaison productive

Renforcement des spécialisations productives X X

En favorisant leur différenciation, les communes du Haut peuvent devenir des pôles au sein d’un réseau des villes. L’évolution vers la spécialisation et la complémentarité est possible dans pratiquement tous les domaines : économie, culture, urbanisme, mais aussi dans les services publics variés, comme la santé. Elle requiert toutefois un nouveau mode de gouvernance qui permette la mobilisation des idées et des ressources de milieux divers. C’est un préalable à la réalisation de projets comme la Maison de l’entrepreneuriat ou la Maison du design et des métiers d’art.

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ANNEXE I TYPOLOGIE DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES

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Typologie des activités économiques Activités motrices Activités induites

10 Extraction de houille, de lignite et de tourbe 45 Construction 11 Extraction d’hydrocarbures et services annexes 50 Commerce et réparation d’automobiles 12 Extraction de minerais d’uranium et de thorium 52 Commerce de détail et réparation 13 Extraction de minerais métalliques 55 Hôtellerie et restauration 14 Autres industries extractives 60 Transports terrestres 15 Ind. alimentaires, ind. Des boissons et du tabac 61 Transports par eau 16 Industrie du tabac 62 Transports aériens 17 Industrie textile 63 Services auxiliaires de transport 18 Industrie de l’habillement et fourrures 64 Postes et télécommunications 19 Industrie du cuir et de la chaussure 66 Assurances 20 Travail du bois, fabrication d’articles en bois 67 Services auxiliaires financiers et d’assurances 21 Industrie du papier et du carton 70 Activités immobilières 22 Edition, impression, reproduction d’enregistrement 75 Administration publique, défense, social 23 Cokéfaction 85 Santé et activités sociales 24 Industrie chimique 90 Assainissement, voirie 25 Fabrication d’articles en caoutchouc et en matières

premières 92 Activités récréatives, sportives

26 Fab. d’autres produits minéraux non métalliques 93 Services personnels 27 Métallurgie 95 Services domestiques 28 Travail des métaux 99 Activités extra-territoriales 29 Fabrication de machines et d’équipements 30 Fabrication de machines de bureau, d’ordinateurs et

d’autres équipements informatiques

31 Fab. de machines et d’appareils électriques n.c.a. 32 Fab. d’équipement de radio, de télévision et de com. 33 Fabrication d’instruments médicaux et

d’instruments de précision, et d’optique; horlogerie

34 Industrie automobile 35 Fabrication d’autres moyens de transport 36 Fab. de meubles, de bijoux, d’inst. de musique,

d’articles de sport, de jouets; autres activités man.

37 Récupération et préparation au recyclage 40 Prod. et distribution d’électricité, de gaz et d’eau 41 Captage, distribution d’eau 51 Commerce de gros et intermédiaire 65 Intermédiation financière 71 Location de machines et équipements sans opérateur 72 Activités informatiques 73 Recherche et développement 74 Autres services fournis aux entreprises 80 Enseignement 91 Activités associatives

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ANNEXE II L’ÉTAT DU CADRE BÂTI RÉSIDENTIEL DES COMMUNES

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Dans les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle, l’habitation n’est pas assez différenciée et le nombre de logements bon marché est élevé. Comme le montre le tableau 9, entre 1980 et 1990, les loyers ont connu des hausses inférieures à celles de la commune de Neuchâtel, du canton et de la Suisse dans son ensemble. Les loyers restent donc très en deçà de ceux des territoires de référence : par exemple, le loyer mensuel moyen au mètre carré au Locle est inférieur de 45,8% à celui de la Suisse.

TABLEAU 10 : LOYER MENSUEL MOYEN PAR M2 EN FRANCS, POUR 1980 ET 1990

1980 1990 % 80-90

La Chaux-de-Fonds 3,8 6,3 64,5 Le Locle 3,3 5,8 75,4 Neuchâtel 5,1 9,2 82,7 Canton de Neuchâtel 4,3 7,7 79,1 Suisse 6,0 10,7 79,2

Source : OFS, Recensement fédéral de la population.

Pourtant, la commune du Locle comptait 396 logements vacants en 1997, soit 6,8% de son parc immobilier de 5 803 appartements, constitué à plus de 60% de trois et quatre pièces. Dans la très grande majorité des cas, la vacance dure depuis plus de quatre mois et touche surtout les habitations de deux et trois pièces, cela malgré le fait que leur loyer soit, selon le nombre de pièces, de 50 à 60% moins élevé que les moyennes cantonales. La situation est moins grave à La Chaux-de-Fonds où 2,9% du parc immobilier est vacant.

La faiblesse des loyers et la vacance s’expliqueraient par la vétusté des logements. En effet, d’après les statistiques de l’OFS, 34,5% des unités-logement de La Chaux-de-Fonds et 43,3% de celles du Locle ont été construites avant 1900. De plus, 32,2% des unités-logement de La Chaux-de-Fonds et 35% de celles du Locle construites avant 1961 n’avaient pas subi de rénovation en 1990, soit 29 ans au moins après leur construction. Depuis, toutefois La Chaux-de-Fonds a entrepris des efforts qui lui ont valu le prix Wakker. Il n’en demeure pas moins que l’état du cadre bâti est peu attractif pour certaines catégories d’habitants et ne contribue pas à diversifier la population résidante. Il laisse croire que les efforts de rénovation des immeubles communaux et privés ont été faits de manière à offrir des logements abordables. On retrouve ici le souci de redistribution égalitaire des ressources.

Parallèlement, de nouveaux projets résidentiels voient le jour. La politique foncière est révisée et des modifications de zonage sont faites de manière à permettre la vente de lots sur lesquels sont construites des villas. Ces investissements récents, qui s’inscrivent dans un effort de diversification et de différenciation, devraient accroître le nombre de propriétaires. Déjà, à La Chaux-de-Fonds, la part de propriétaires et de copropriétaires d’appartements et de maisons est passée de 12,8 à 17,4% entre 1980 et 1990. Au Locle, elle a crû de 15,2 à 20,7% pendant la même période.

On assiste donc à un double mouvement. D’une part, malgré le fait qu’elles jouent le rôle de villes centres de l’emploi, les communes sont victimes de l’exode résidentiel

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d’une partie de leurs travailleurs, comme en témoigne le nombre croissant de pendulaires. D’autre part, l’augmentation du nombre de propriétaires résidentiels indique un ancrage de la population. Parce qu’ils visent des espaces communaux différents, ces mouvements ne s’annulent pas mais s’ajoutent plutôt l’un à l’autre, participant à la dégradation du développement local. En fait, si les résidents qui quittent les communes désertent le centre, et ceux qui deviennent propriétaires achètent des habitations situées à la périphérie de la commune, il semble que nous soyons devant un processus de « gentrification » inversé. La Chaux-de-Fonds et Le Locle connaîtraient-elles un développement apparenté à celui des agglomérations nord-américaines, dont les villes centrales sont en déclin alors que les couronnes s’enrichissent, à la seule différence qu’ici, le mouvement serait intracommunal ?

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ANNEXE III LA SITUATION FINANCIÈRE DES COMMUNES

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En suivant la méthode mise au point par Jeanrenaud et Soguel25, les figures 3 et 4 qui suivent dressent un portrait de la situation financière de La Chaux-de-Fonds et du Locle. Elles présentent quatre indicateurs essentiels. La couverture des charges indique le degré de couverture des charges courantes par les revenus courants. La capacité d’autofinancement indique le montant des investissements que la commune peut réaliser avec ses propres ressources, donc sans emprunter. Sa contre-partie, le financement de l’investissement net par emprunt, indique la part de l’investissement net qui doit être couverte par un emprunt, donc par une augmentation de la dette. Enfin, le poids des intérêts passifs indique la part des recettes courantes consacrée au paiement des intérêts passifs. Représentés graphiquement, ces quatre indicateurs forment un losange qui illustre la marge de manœuvre financière des communes et leurs possibilités de développement. Plus il est en zone foncée, plus la situation est critique.

FIGURE 3 : VARIATION DES PRINCIPAUX INDICATEURS DE LA SITUATION FINANCIÈRE DU LOCLE, ENTRE 1988 ET 1997

Couverture des charges

-5-3-11

Capacité d'autofinancement-2.5 2.5 7.5 12.5

Financement de l'investissement net par emprunt

125

75

25

Poids des intérêts passifs

10

5

1988 1997

Source : IRER.

C’est le cas de la commune du Locle (figure 3). D’abord, son déficit de fonctionnement continue de s’alourdir. Ensuite, bien qu’elle se soit améliorée depuis 1988, sa capacité d’autofinancement reste faible, surtout si l’on retient que la commune a accumulé un retard dans le renouvellement de ses infrastructures. Finalement, les besoins en capitaux

25 Jeanrenaud, C. et N. Soguel (1988), Un tableau de bord à l’usage des communes, Dossier n° 14, Neuchâtel : IRER.

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tiers sont excessifs, situation aggravée par le fait que la population de la commune diminue et que l’endettement, déjà trop élevé en 1988, s’accroît toujours.

A La Chaux-de-Fonds, la situation est moins alarmante, même si le déficit de fonctionnement a augmenté depuis 1988 (figure 4). En effet, les indicateurs de sa capacité d’autofinancement, de ses besoins en capitaux tiers et du poids des intérêts passifs se sont améliorés depuis 1988. Au total, les charges augmentent en moyenne de 37,6% entre 1988 et 1997, mais plus spécifiquement, celles de la culture, des sports, des loisirs et des cultes ont crû de 83,7% pendant cette période, celles des actions sociales de 70,4%, celles de la police de 63,5%, celles des immeubles de 48,7% et celles des travaux publics de 44%.

FIGURE 4 : VARIATION DES PRINCIPAUX INDICATEURS DE LA SITUATION FINANCIÈRE DE LA CHAUX-DE-FONDS, ENTRE 1988 ET 1997

Couverture des charges-3-11

Capacité d'autofinancement0 5 10 15

Financement de l'investissement net par emprunt

50

0

Poids des intérêts passifs

7

5

3

1

1988 1997

Source : IRER.

Cette analyse met en évidence des marges de manœuvre très faibles. Les tensions qui ont entouré la présentation des budgets des communes pour 1999 laissent croire que la situation est critique. Comment expliquer qu’au Locle, la croissance des contributions des personnes physiques et morales n’ait pas permis d’améliorer la situation financière ? Est-ce parce que, comme à La Chaux-de-Fonds, certaines charges ont pris des proportions trop importantes ? Cela est en grande part attribuable au report sur les communes de charges auparavant assumées par le Canton.

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