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Soudain, un inconnu vous offre un conteneur transport maritime & production mondiale

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transport maritime & production mondiale

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  • Soudain, un inconnu vous offre un conteneurtransport maritime & production mondiale

  • premier cahier, automne 2012isbn [email protected]://reposito.internetdown.org/cahiers/

  • nous avions transport une pleine car-gaison de coton de La nouvelle-orlans anvers sur la Tuscaloosa.

    Blague part, ctait un fameux bateau !First rate steamer, made in USA, portdattache : la nouvelle-orlans. (La nou-velle-orlans !... parlez-moi dune ville,toute en rires, toute en soleil ! autre choseque ces tristes villes du nord, pourries depisse-froid et de marchands de coton racor-nis !) Et notre poste dquipage, quelle mer-veille ! Figurez-vous, Sir, que larchitecteavait eu laudace vraiment rvolution-naire, de prendre les matelots pour deshommes, et non pour des outils ! tout ytait clair et net, lpreuve des mous-tiques, bains et linge propre discrtion,nourriture bonne et abondante, assiettes re-luisantes, couverts tincelants. on avaitmme engag des ngres uniquement pourentretenir la propret du poste, histoire degarder les hommes en bonne forme, la com-pagnie ayant fini par comprendre quunquipage dispo est plus rentable quunebande de dgonfls.

    Lieutenant, moi ? No, Sir, je ntais paslieutenant sur ce rafiot, mais simple mate-lot de pont: un ouvrier, quoi ! Les matelots,a ne se fait plus. un cargo, de nos jours, ce

    nest plus un bateau, cest une machine flot-tante. or, une machine na que faire dematelots, vous le savez aussi bien que moi,mme si vous ny entendez rien ; ce sont desouvriers et des mcaniciens quil lui faut ; lecapitaine se transforme en ingnieur, le ti-monier (mme lui !) tourne au mcanicienet fait bouger des manettes. adieu la ro-mantique vie en mer ! romantique, dail-leurs, notre vie ne la jamais t, selon moi,sinon dans limagination des littrateurs ;et leurs histoires dormir debout nontrussi qu jeter de braves gars, qui eurent leseul tort de croire navement ces auteurs v-ridiques, dans un milieu et une existencepour lesquels ils ntaient pas faits. possiblequil y ait eu, jadis, quelque romantismedans la vie de capitaine ou de pilote ; maisdans celle de matelot, jamais. son roman-tisme, lui, cest de travailler comme unngre et dtre trait comme un chien. Lesballades, les romans, les opras chantent lespilotes et les capitaines ; si lpope du tra-vailleur na jamais t crite, cest quelle etdchir les oreilles de ces messieurs. Yes, Sir.

    Jtais donc simple matelot de pont, rien deplus, et, comme tel, bon tout faire ; enralit on peignait. Comme les machinesmarchent toutes seules et quil faut bien oc-cuper les hommes quand il ny a ni rpara-

    tion ni nettoyage de cale, on passe son temps peindre, et repeindre. Et, comme il y atoujours quelque chose barbouiller, on fi-nit par se demander srieusement si lhu-manit nest pas divise en deux classes : lesmarins dune part et les fabricants de pein-ture de lautre. Quoi quil en soit, les pre-miers doivent une fire chandelle aux se-conds, sans qui les matelots de pont ne sau-raient plus que faire et le lieutenant, ne sa-chant plus comment les occuper, perdrait latte. on ne peut tout de mme pas les payerpour ne rien faire, non ?

    La paie ? pas prcisment leve, non.toutefois, je pouvais esprer, aprs cin-quante ans de travail et dpargne ininter-rompus, faire une entre triomphale dansla dernire catgorie des classes moyennes etmcrier alors avec mes congnres : Dieusoit lou ! Jai mon petit bas de laine enprvision des mauvais jours ! Et, cetteclasse tant considre comme le fondementmme de ltat, jy gagnerais du mmecoup le sentiment dtre devenu un mem-bre utile et respectable de la socit. voilqui vaut bien cinquante annes de travailet dconomie ! on sest assur le ciel, et laterre cest pour les autres.

    B. traven, Le Vaisseau des morts, 1926.

  • 5CArgoS VrAqUierS (vrac sec : craliers, minraliers, ou vrac liquide : chimiquiers etptroliers) pour les matires premires ; rouliers (les roro : roll on, roll off ) avecrampes daccs dembarquement de camions larrire et de dbarquement lavant(les ferries en font partie) ; et porte-conteneurs : voil quoi ressemblent la plupart desnavires de la marine marchande, la marmar . quelques chires : en 2006, tait livrle plus grand porte-conteneurs du monde, lEmma Maersk 394 mtres de longueur,53 mtres de largeur, pour un tirant deau (partie immerge de la coque) de 17 mtres,navigant avec un quipage de treize personnes ; il peut transporter plus de 13000conteneurs. en 2011, Maersk toujours (armateur danois, leader mondial en conte-neurs) a command des chantiers navals sud-corens des bateaux pouvant charrier18000 botes. gageons que lvolution rapide de la taille de ces btiments 1 tmoignenon seulement de limportance du transport maritime dans le mode de productioncapitaliste, mais aussi de lactualit de lexploitation du travail dans le monde.

    Ces vaisseaux circulent sur des routes maritimes bien traces. La principale, voie decircumnavigation, leur fait eectuer un tour du globe en six huit semaines ( une vi-tesse pouvant atteindre 25 nuds, soit 45 km/h) : Asie orientale, dtroit de Malacca,ocan indien, golfe dAden, Suez, Mditerrane, gibraltar, Atlantique, Panama, Paci-fique. La majorit des navires marchands lempruntent jusqu bifurquer le long de

    vogue la galre

    1. Ce gigantisme des navires ncessite un ramna-gement de certaines infrastructures : agrandissementde nombreux bassins portuaires mais aussi du canalde Panama.

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  • 7lignes dites secondaires , la plupart nord-sud : europe atlantique ou Afrique occi-dentale aprs gibraltar, ctes est ou ouest des Amriques du Nord ou du Sud avantou aprs Panama, etc. La navigation sur ces voies maritimes est dtermine, parfois quelques mtres prs, par un maillage complexe de balises diverses.

    Au niveau rgional, dans une logique de cabotage (le short sea shipping , navigationde port en port sur de courtes distances, qui ne ncessite pas de trop sloigner desctes : gnes-Barcelone par exemple), des autoroutes de la mer sont en train devoir le jour dans les bureaux dtude et autres think-tanks de lconomie mondiale. LaCommission europenne en a ainsi dessin une dizaine autour de leurope, de la merBaltique la mer Noire, parmi les trente axes et projets prioritaires dtermins en2005 par le rseau transeuropen de transport. 2 Par exemple, une liaison Vigo-Saint-Nazaire permet depuis 2009 Citron dacheminer ses vhicules construits en es-pagne 3 vers leur march franais, raison dun dpart de navire (des car-carriers)toutes les huit heures.

    travail maritimeLes compagnies maritimes jouent un rle de premier plan dans le transport maritime,en proprit et en artement de navires. Le secteur est trs pars : des centaines decompagnies ne possdent parfois quun btiment ddi une seule ligne maritime,alors que les vingt premires cumulent environ un tiers du tonnage mondial. Le lea-der mondial (en tonnage), japonais, Mitsui oSK Lines, est diversifi sur la plupartdes activits : ptroliers, vraquiers, conteneurs, transport de voitures, croisire, etc.Certains armateurs 4 se spcialisent davantage : le marseillais CMA-CgM (quinzimearmateur mondial, troisime pour les conteneurs) dtient 389 porte-conteneurs surses 398 btiments (103 en proprit, 295 arts chires de 2011). Certaines com-pagnies sont aussi impliques dans dautres pans du secteur maritime : Cosco, princi-pale entreprise tatique chinoise, troisime armateur de la plante, saaire galementdans la construction et la rparation navale, la fabrication de conteneurs, la gestion determinaux portuaires, etc. Dautres types de socits (financires, notamment), ach-

    2. en ce qui concerne sa politique maritime,Bruxelles a dvelopp un programme spcifique, Marco Polo , dans le cadre dun de ces innombra-bles livres blancs, La politique europenne des trans-ports lhorizon 2010 : lheure des choix (2001). Ceprogramme, dont une deuxime mouture a t r-dige pour la priode 2007-2013, vise suggrer,soutenir et cofinancer les initiatives de dveloppe-ment du transport maritime (et fluvial), en insistantsur la ncessit du transfert modal , ociellementpour parer la saturation de plus en plus forte desroutes europennes.3. Premire industrie en espagne, le secteur automo-bile reprsente 6 8 % de son PiB, emploie plus de10 % des salaris et exporte 80 % de sa production(vhicules et pices), principalement en europe,dont la France est le premier destinataire. Lespagneest septime fabricant automobile au monde onoublie souvent que ce pays est un pays industrieldimportance mondiale, et pas seulement tir par lessecteurs de lagriculture, du BTP et du tourisme. Lavirulence de la crise qui sy opre depuis 2011 nestpas que lie aux soubresauts des secteurs bancaire ouimmobilier, mais aussi lactualit de la productionindustrielle.4. Larmateur est celui qui arme les navires (qui-pements et quipages), sans en tre ncessairementle propritaire. Larteur est celui qui loue le navirepour charger tel ou tel fret entre tel et tel port.

  • tent des bateaux pour les louer nus (sans armements) aux armateurs. il existe aussi destransporteurs sans navires, qui louent des espaces bord pour les remplir de conte-neurs quils artent indpendamment des compagnies maritimes.

    * bord, lautomatisation des tches rend les marins fortement dpendants ding-nieurs-experts terriens. Les nouvelles technologies de communication permettent,autrement dit obligent, un suivi permanent et direct qui a rvolutionn le transportmaritime : dornavant ce ne sont plus les commandants qui dcident de la naviga-tion mais des logisticiens qui depuis quelque bureau envoient plusieurs fois par heureleurs instructions, en fonction notamment des prvisions mto. Lquipage, ocierscompris, est ainsi aux mains de larmateur. La pression saccentue sur lensemble dupersonnel navigant et se rpercute sur lorganisation hirarchique bord, du travailmais aussi de la vie quotidienne. organisation renforce par la grande spcialisationdes postes : trois-quatre ociers (de prfrence du pays de larmateur : capitaine,lieutenants, mcanicien en chef ), le personnel de pont (le bosco, un matelot parquart, les autres mcanos et le cuistot) et les ouvriers de maintenance (peintre et sou-deur). De prfrence de nationalits direntes, parlant des langues direntes etavec des contrats dirents, dans ce cadre disolement extrme (si loin des regards) :on comprend bien comment les prolos des mers sont salement exploits et pourquoiles possibilits de contestation 5 (voire de mutinerie), restent tnues.

    Ce sont entre un million et un million et demi de gens de mer qui font fonctionnerla marine marchande, dont un tiers dociers (on ne parlera pas ici du personnelterrestre des compagnies). Historiquement, la plupart des ociers proviennent depays de loCDe (grce, Japon, USA, grande-Bretagne, Norvge, Core du Sud, les grandes nations maritimes ), dautres pays ont, ces deux dernires dcennies, en-trepris des politiques ambitieuses et ecientes de formation professionnelle, met-tant ainsi sur le march des ociers dautant plus concurrentiels que leurs salairessont moins levs : Ukraine, russie et Pologne partir des annes 1990, et surtout

    5. Si lon considre que la syndicalisation est indica-trice des revendications damlioration des condi-tions de travail, signalons que la Fdrationinternationale des travailleurs du transport (iTF) re-vendique ladhsion de 600000 marins lun oulautre des syndicats nationaux qui lui sont alis.

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  • 9inde, Philippines et Chine depuis les an-nes 2000. et limmense majorit des matafs (les marins) reste issue de pays du Sud (Philippines un quart desmarins du monde , Chine, indonsie,Turquie, inde, ghana, etc.). Les contin-gents de larme de rserve sont estims 200000 pour les navigants subalternes,quasi nuls pour les ociers. en mercomme sur terre, lordre du monde estbien prserv.

    Une particularit du secteur : ce sont desmarchands de main duvre qui four-nissent aux armateurs les quipages. en-tre esclavage et salariat, les manningagencies sont parmi les dernires prati-quer le marchandage (interdit par lesconventions de travail partout ailleurs : ilne sagit ni dintrim ni de sous-trai-tance), qui consiste en lachat de force detravail pour la revendre en ltat un pa-tron (classiquement cest le travailleur

    lui-mme qui vend sa force de travail son employeur, mme en passant par uneagence dinterim, qui nest quun intermdiaire). Lopacit lie la grande diversitinternationale des forats de la mer permet un usage courant de faux livrets profes-sionnels (obligatoires). Au-del des arnaques aises en termes de contrat de travail(quand il y en a, et pas question de CDi), cela permet de crer des quipes fort com-posites (autant de langues parles que de matelots), voire de faire embarquer des ma-rins endetts en leur faisant payer des frais dinscription et si ncessaire dtablirdes listes noires de marins lhumeur mutine

  • 6. Prs de 1000 navires sont abandonns chaqueanne par leur armateur, en cas de faillite, quand desavaries ncessitent des rparations trop coteuses,mais aussi quand le taux dartement nest pas sa-tisfaisant il revient alors moins cher de ne pas fairerevenir un bateau vieillissant... cela signifie pour lesquipages dtre coincs bord (et quand ils sontautoriss par les capitaineries descendre se dgour-dir les jambes sur les quais, en aucun cas ils ne peu-vent sortir des zones portuaires, sans titre de sjour),souvent de bien longs mois, le temps quune inex-tricable situation administrative soit dmle parquelques bonnes mes, souvent des associations demarins quand il y en a dans le coin... Ces mauvaisscnarios ne se droulent pas quau Liberia ou en in-donsie : Ste en 2012, 200 marins marocains ontt bloqus pendant plusieurs mois sur trois ferriesdune compagnie marocaine en faillite.

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    Sur un rafiot, la vie est littralement une galre : lieu entirement clos o se tlesco-pent temps de travail, de repos et de loisir. Dun navire en mer, on ne svade pas, quai dicilement, vu comment sont scurises les zones portuaires. Une culturecommune et une solidarit relatives permettent quun tel huis clos ne se transformepas entirement en cauchemar, mais cest surtout la hirarchie et la discipline quimaintiennent la paix sociale. il faut simaginer tout ce petit monde (une quinzainede personnes) enferm dans une bote en mtal pendant plusieurs semaines dansce non-lieu marin plutt hostile, et dont on est totalement dpendant Le corpsdu marin est rythm non seulement par la journe de travail, mais aussi par lalter-nance navigation/escales /vie terre autant despaces-temps auxquels il faut tou-jours se radapter. et on ne compte pas les marins qui passent un an sur un mmerafiot, sans toucher terre. 6 Pour complter ce tableau, il faut galement voquer lebruit permanent des machines (la soute est une petite usine surconcentre et surm-canise) ou ltat mtorologique de la grande bleue. et puis mentionner le faible ni-veau des salaires : la paye moyenne dun matelot qualifi serait dun peu plus de 350euros mensuels hors heures supplmentaires, le temps de travail tant ociellementlimit 14 h par jour.

    en juin 2004, le patron de France telecom marine (secteur cblage : pas exactementtransport marchand, mais mmes conditions de travail) expliquait sereinement dansla presse (var matin) comment rduire de six millions deuros les charges de person-nel : il faut compter deux marins franais pour occuper un poste de travail, selon la rglesix mois in et six mois out. sous pavillon Kerguelen cest six mois bord, un mois etdemi de vacances. pour remplacer les marins franais, nous avons prvu entre 80 et 100recrutements. au niveau des cots, un poste malgache revient quatre fois moins cher quunposte franais. [...] Jai conserv tout lencadrement franais. gure tonnant que de60000 navigants franais en 1950 leur nombre soit aujourdhui descendu en-dessousde 10000 surtout des ociers.

  • 7. Un tel jaillissement technologique est avant toutle fruit dune poque dautres botes avaient texprimentes ds les annes 20 par des compagniesde chemins de fer. Sur la fabuleuse pope du conte-neur, voir lintressante enqute historico-socio-journalistique de Marc Levinson, e box. Commentle conteneur a chang le monde (2011). [Pour les r-frences bibliographique, voir pages 75 et suiv.]8. Antoine Frmont, Les rseaux maritimes conteneu-riss : pine dorsale de la mondialisation (2005).9. La conteneurisation est certes fortement sympto-matique de lhistoire rcente du capitalisme, pourautant il ne faudrait pas rduire le transport mari-time ce secteur. il va sans dire, alors disons-le, quelactivit concernant le vrac continue de constituerun domaine primordial : plus la production indus-trielle augmente, plus les besoins en matires pre-mires (minrales, agricoles, nergtiques) saccen-tuent, plus leur acheminement reste stratgique etcrucial dautant plus avec lloignement continueldes zones de production des centres dextraction.Chaque mare noire nous le rappelle, les soubresautsde la concurrence entre tats autour du Bosphoreitou. Si tant est quon puisse considrer que ces chif-fres soient parlants, donnons-en quelques uns : en2010, un milliard de tonnes de minerai de fer, unmilliard de tonnes de charbon (sidrurgique et ther-mique), deux milliards de tonnes de ptrole, 120millions de tonnes de bl, 30 millions de tonnes deriz ont travers les ocans.

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    enjeux de la conteneurisationLapparition du conteneur (invent, selon la lgende, en 1956, par un chaueur rou-tier reconverti au transport maritime 7) provoqua une vritable rvolution dans letransport : cette bote mtallique, standardise, permet de ne pas manipuler la mar-chandise. La taille de la plupart des conteneurs correspond au gabarit des remorquesroutires de vingt pieds de long (soit 6,096 mtres), ou de quarante pieds lunitde mesure de la marchandise est ainsi devenue un volume, leVP, l quivalent vingtpieds , et non plus sa valeur ou son poids : on dit que le trafic du port de Shanghaien 2007 a t de 26 millions deVP. Un eVP peut contenir environ trente mtrescube de camelote.

    Les premires lignes de transport de conteneurs ont reli les USA leurope et au Ja-pon la toute fin des annes 1960, le conteneur sest alors progressivement impos partir du milieu des annes 1970 comme une vidence pour lensemble de la chanede transport. Au point quon peut armer que la conteneurisation et les rseaux ma-ritimes qui lui sont associs constituent aujourdhui la vritable pine dorsale de la mon-dialisation 8. La conteneurisation a accompagn lvolution du commerce mondial :depuis les annes 2000, plus de 70 % du volume transport par voie maritimeconcerne des produits manufacturs mis en conteneurs, contre moins de 50 % au d-but des annes 1970 (avant les chocs ptroliers), les divers vracs (matires premires) 9et produits semi-finis (composants expdis en assemblage dans dautres usines) com-pltant le tableau. Aujourdhui le foyer de la conteneurisation se situe en Asie orien-tale : l o sont manufactures la plupart des marchandises destines lexportation.

    Avant la crise de 2008, la croissance mondiale annuelle de la capacit de transport dela flotte conteneurise tait suprieure 10 %. en 1997, Maersk transportait200000 eVP, en 2007 deux millions. Sur laxe Asie-europe, le trafic est pass de 4,7 millions deVP en 2001 13,2 millions en 2008. entre 2009 et 2010, la crois-sance des ports chinois (devenus logiquement les plus importants au monde) a tde 20 %.

  • Car le conteneur a permis une meilleure eectivit de lintermodalit (le fait que plu-sieurs modes de transport soient ncessaires pour acheminer une moulinette cafdun point A un point B) : ce concept modle entirement lorganisation du trans-port, que ce soit lchelle mondiale ou locale. La rduction des ruptures de charge (temps perdu de transfert dune marchandise entre deux vhicules) est un souci ma-jeur pour la logistique 10 et cette intermodalit en est la cl : la manutention dun telparalllpipde rectangle entre une remorque de camion, un wagon et le pont dunnavire relve de dplacements relativement faciles par grue ou par portique.

    Pour les agents du capital, le conteneur fut une invention dautant plus gniale quesimple techniquement (degr zro du ttris) et conomiquement bon march (un peude tle et hop, le tour est jou). Par contre, pour les dockers et autres travailleurs por-tuaires, la mise en place de la conteneurisation a signifi une rorganisation radicalede leur travail. 11 en matire de transport maritime, la dure de trajet reste dicile-ment comprimable (bien que des technologies de grande vitesse fassent galementleur apparition pour la circulation sur le glacis maritime 12, voir page 45) : cestdonc essentiellement sur le temps pass par un bateau quai que se nouent les enjeuxdu transport maritime dans les annes 1970 la manutention portuaire immobilisaitles navires environ la moiti de leur temps dactivit, une escale de plusieurs jourstant souvent ncessaire, aujourdhui quelques heures susent d/charger un vra-quier dun tonnage autrement plus important.

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    10. en France, la logistique (manutention, condi-tionnement et transport des marchandises) emploieplus dun million de personnes. Jusque dans les annes 1950, ce sont les entreprises elles-mme qui prenaient en charge lapprovisionnement, lestockage et la distribution. La cration cettepoque (par Toyota) dun systme dtiquetage parfiche (le kanban) pour grer lensemble des tapesde la production et de la distribution annona la r-volution du travail en temps rel (ou juste temps ) qui permet dviter ruptures de stock etcots de stockage. Lvolution technique des der-nires dcennies (informatique et nouvelles techno-logies de linformation) augmente considra-blement la traabilit de la marchandise : lavne-ment du code-barre et lapparition des puces rFiDpermettent de dterminer de plus en plus prcis-ment ce quil y a produire, quand et pour quelledestination. Ces ajustements de plus en plus prcis(galement pour les oprations administratives) si-gnifient pour les patrons des gains de temps de plusen plus levs et pour les travailleurs une intensi-fication accrue des rythmes de travail.11. Mais que ce soit en Amrique du Nord dans lesannes 1950-60 ou en europe au tournant des an-nes 1970 et 80 (espagne, Portugal, Danemark,France, Angleterre, etc.), ils rsistrent avec viru-lence cette oensive, sur des initiatives autonomes(grves sauvages, blocages, sabotages) qui se sonttales sur certains ports pendant plusieurs annes,mme si les syndicats ont souvent russi touerla rvolte. Sur les luttes des dockers europens audbut des annes 80, voir (en anglais) Workers of theworld, tonight !12. Pour reprendre lexpression utilise par Paul Vi-rilio dans vitesse et politique, 1977.

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  • 13. 40 % du trafic portuaire de lUe seectue parles quais belges et nerlandais.

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    quest-ce quun port ?UN NAVire MArCHAND parcourt une ligne maritime uniquement pour relier deuxports. quest-ce quun port ? il sagit certes dun ensemble de quais (foncier, infra-structures, outillage, main duvre), mais avant tout dun point dentre et de sortiedun hinterland : l arrire-pays adoss au port, cest--dire lespace do viennent /o vont les marchandises qui y transitent. Par exemple, on peut considrer que lhin-terland du port dAnvers (130 km de mandres de docks, deuxime port europenaprs rotterdam) stend jusqu Milan, et couvre environ un tiers de la superficie delUnion europenne couloir rhnan aidant. en douze heures, les ports de la rangenord-ouest (faade maritime comprise entre Le Havre et Hambourg) permettentdatteindre en moyenne 18 % de la population europenne (6 % pour les autres ran-ges : Scandinavie-Baltique, Mditerrane occidentale ou orientale, Atlantique) ; en24 heures, plus de 50 % de la richesse europenne (15 % pour la range Scandinavie-Baltique) ; en 48 heures, plus de 50 % de la population de lUe. Au grand dam du pa-tronat portuaire franais, environ 60 % des dix millions de conteneurs qui entrentchaque anne en France transitent par Anvers plutt que par les ports franais. 13 (Lasuite tant souvent, dans les lamentations des intresss : la faute aux dockers, tropsouvent en grve .) en France, la desserte de la rgion rhne-Alpes est prement dis-pute entre Le Havre et Marseille-Fos.

    sur les docks

  • 14. Une soixantaine de ports de commerce, dont unevingtaine dintrt national , sont gouverns parles collectivits locales (lois et dispositifs encadrantles direntes vagues de dcentralisation depuis lesannes 1980).

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    Pour quun hinterland fonctionne, il est ncessaire de connecter au port tout un r-seau secondaire de transport. Les ports sont des plateformes multimodales (dansle jargon : des hub ) o convergent de nombreux autres acteurs du transport :route, rail, navigation fluviale, arien. Seuls certains ports peuvent accueillir les nou-veaux btiments gants, ils fonctionnent alors en hub vers dautres ports plus petits,par dautres liaisons maritimes de cabotage, ou vers des ports fluviaux (les grandesvilles non maritimes et leurs bassins de population ont besoin, elles aussi, dimpor-tantes infrastructures portuaires : pensons Paris, Lyon, Strasbourg, Lille, ).

    que ce soit au sein dune mme range, dune rgion ou dun pays, on retrouve desspcialisations portuaires correspondant lide qui dessine une bonne partie de lamnagement du territoire . en France mtropolitaine, certaines activits se r-partissent plus ou moins entre les sept grands ports maritimes (par ordre dimpor-tance en tonnage : Marseille-Fos, Le Havre, Dunkerque, Nantes-Saint-Nazaire,rouen, Bordeaux, La rochelle) et les ports secondaires 14, par la mise en place de ter-minaux ddis des activits trs prcises : vrac minralier mais aussi bananes Dun-kerque, conteneurs au Havre, fruits et lgumes Ste et Port-Vendres, automobile Montoir (Nantes), hydrocarbures Fos, crales, sable et bois La rochelle, etc.Certes, on dbarque et on charge des conteneurs aussi bien Marseille qu Bor-deaux ou rouen, mais on ne manutentionne pas tout et nimporte quoi sur nim-porte quel quai. Dautant plus que les terminaux sont lous des entreprises qui ontleur propre logique de dveloppement. Un port subit les ondes de choc des fluctua-tions conomiques des secteurs de production auxquels il est li : la faillite de la so-cit isralienne Agrexco en septembre 2011 a grandement branl le projet de fairede Ste le principal port franais en importation de fruits et lgumes car le secteurdu transport est toujours dpendant de la production.

    Pour autant, ne rduisons pas lespace portuaire cette unique fonction commer-ciale : il nest gure possible denvisager la description dun port sans voquer lacti-vit industrielle de larges zones voisines des quais (les ZiP : zones industrielles por-

  • 15. Pour complter cette vocation de lespace por-tuaire, il faut galement signaler lactivit halieu-tique qui nest pas rien dans certains ports, cf. lesenjeux de la transformation de la pche Boulogne-sur-mer ou Ste et aussi le rapport complexeentre les ports et les villes auxquelles ils sont agglo-mrs, en terme de gouvernance et de dpendancesdiverses. Les politiques urbaines rcentes de villescomme Marseille, Nantes, Liverpool, New York ouTanger en sont de bons rvlateurs, o la liquidationdes quartiers portuaires est un enjeu manifeste, coups de rnovations diverses, voire de politiquesculturelles oensives.

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    tuaires), notamment dans la marque quelles impriment lensemble dune rgion raneries, chimie, mtallurgie, cimenteries, transformation agricole, industries m-caniques... en France, il sut de penser aux quatorze sites Seveso qui bordent leport de Dunkerque ou au paysage compos de la baie de Fos-sur-mer et de ltang deBerre pour avoir une ide de lampleur de la chose. Pourtant, lindustrialisation por-tuaire a une histoire qui continue de scrire : au 19e sicle, ce sont les magasins et lesentrepts qui garnissaient les arrire-quais. Lactivit conomique du bout des docksse transforme en fonction de lvolution du commerce maritime, autant dire delhistoire du capitalisme : ngoce industrialisant partir des ressources coloniales (sa-vonneries et huileries Marseille) ; loi de 1928 organisant les activits ptrolires etfavorisant la construction de raneries dans la priphrie des grands ports, pour g-rer larrive du ptrole dirak attribu la France en 1918 ; dveloppement de lin-dustrie lourde assis sur de nouvelles importations favorises par la construction denavires de plus en plus grands dans les annes 1950 ; politique industrielle volonta-riste du V e plan de 1966 sappuyant sur la cration, un an auparavant, des six portsautonomes, relevant de la seule gouvernance de ltat. Puis, la sidrurgie quittantpeu peu la Lorraine et la Savoie pour se relocaliser Fos ; implantations chimiquesen complment du ranage avec la crise qui commence en 1973 ; tentatives de conversion dans les annes 1980 et apparition de nouvelles industries : biocarbu-rant, cimenteries (Lafarge installant des units de production Dunkerque et Ste), disparition de certaines (la construction navale relocalise en Asie dans les an-nes 1990), etc. Notons que linternationalisation de ces ZiP saccentue en Franceces dernires annes (au Benelux, pays moins industriels, des entreprises transnatio-nales se sont installes dans les ports bien plus tt). Lindustrie marque aussi en pro-fondeur lactivit portuaire en fixant de manire prenne (mais pas ternelle) un vo-lume considrable de marchandises, qui ncessite une logistique spcialise dimpor-tance. et le fait que certaines activits de premire transformation des matires pre-mires tendent se drouler de plus en plus dans les pays dextraction a sonincidence sur lactivit portuaire mondiale. 15

  • 16. Suite une longue grve en 2005, la CCi deMarseille-Provence acha le long de sa faade surla Canebire un immense calicot : plus jamais a et a inaugur en 2011 destination des 3500 en-treprises travaillant sur le port, et confrontes tantde grves, les pauvres, le guichet dinformations ur-gence port marseille dans le cadre de son dispositifdcoute 24h/24 plus jamais seul ...17. on ne se lasse pas de rpter le bon mot de War-ren Buet, alors lhomme le plus riche du monde ,en 2006 : La guerre des classes existe, cest un fait,mais cest la mienne, la classe des riches, qui mne cetteguerre, et nous sommes en train de la remporter. 18. Michel Pigenet, Les dockers. retour sur le longprocessus de construction dune identit collectiveen France, 19e-20e sicles (2001).

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    Ainsi, un port concentre les intrts tantt convergents, tantt divergents, de plu-sieurs familles de capitalistes : les multinationales que sont la plupart des gros arma-teurs doivent composer avec une pliade de PMe (manutention, transporteurs rou-tiers, etc.), reprsentes en France par les CCi 16 (associes aux Autorits portuaires),le secteur priv avec le secteur public. Mais surtout, les crispations, voire les antago-nismes, sont forts, entre une vision globale de la mondialisation (porte par des finan-ciers aux capitaux provenant de secteurs aussi trangers au transport maritime que lesont les marchs de limmobilier ou du btiment, qui exigent des rsultats immdiats)et un patronat bien ancr (souvent de longue date) dans une conomie locale. Bref,les quais nous rappellent que la classe du capital nest pas homogne ce dont on sefoutrait bien, si cela navait videmment pas une incidence directe en terme de pres-sions exerces sur les conditions de travail. Car malheureusement tout laisse penserque la conscience de classe des patrons est plus ecace que celle des travailleurs. 17

    *Administrativement, les ports peuvent avoir plusieurs statuts : public (ltat dtientlinfrastructure et la superstructure, et est le seul employeur) ; semi-public (linfra-structure et ladministration restent aux mains de ltat, tout ou partie de la manu-tention est cde au secteur priv, avec ou sans lquipement : portiques, grues, entre-pts, etc. cest le cas de la plupart des ports conteneurs, o les terminaux appar-tiennent des entreprises prives) ; ou totalement priv (ce cas est plus rare Liver-pool en est un). quoi quil en soit, les tats restent souvent de la partie, car les portssont des lieux dimportance stratgique indiscutable en terme dintrt national : nonseulement en terme commercial (il faut bien nourrir la population) mais aussi en af-faires militaires, les flottes de guerre, qui ne sont pas rien dans les dispositifs gopoli-tiques, ayant besoin de tels points dappui. ainsi les ports, lieu par excellence du capi-talisme marchand le plus fluide et ouvert sur lextrieur, sont-ils aussi le monde de lexcep-tion, du monopole et du rglement. 18 Mais la tendance gnrale est au dsengagementrelatif des tats, cela ne surprendra personne.

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    ports africainsArrtons-nous quelque peu sur le dvelop-pement portuaire de lAfrique subsaha-rienne. quatre ranges bordent le con-tinent (nous ne parlerons pas ici du Ma-ghreb, rgion sur laquelle nous revenons unpeu plus loin) : la range ouest, de Nouak-chott (Mauritanie) Cotonou (Bnin) enpassant entre autres par Dakar et Abidjan,ses deux principales places ; la range Cen-tre, des ports nigrians Luanda (Angola) ;la range dAfrique du Sud, avec notam-ment les gigantesques ports de Durban etde Cape Town ; enfin la range est (in-cluant les ports de locan indien Co-mores et Madagascar), de Port-Soudan (surla mer rouge) Dar es-Salaam (Tanzanie).Chaque range ayant rsoudre de com-plexes hinterlands (inscurit des corridorsdans certaines zones, barrires douaniresmultiples et fluctuantes) et des zones mari-times dimportations et dexportations va-ries, tournes vers dautres rgions afri-caines, mais aussi leurope de louest, laMditerrane et lAsie. Historiquement, lactivit portuaire subsa-harienne a t structure par le trafic dex-portation des matires premires nerg-tiques, ptroles bruts du golfe de guineet nombreux vracs solides minraliers, fo-restiers et agricoles (coton, caf, cacao).Pour autant la conteneurisation sy est d-

    Les pressions concernant les rformes portuaires (autrement dit : la privatisation desdocks) sont nombreuses et varies. Ces rformes dcoulent quasi systmatiquementdune recommandation du FMi ou de la Banque mondiale ds que ceux-ci sincrus-tent dans tel ou tel pays pour mieux lintgrer dans lconomie mondiale : en 1997, laBanque mondiale a impos de rnover la gouvernance de plus de 200 ports dans 24pays dits mergents . Ce sont bien entendu les plus grosses multinationales qui in-citent les institutions conomiques mondiales agir dans ce sens. Lentreprise por-tuaire Hong-Kongaise Hutchison Whampoa (dont le boss est lhomme le plus richede Chine ), qui dtient 15 % du march mondial, manipulant 40 millions de conte-neurs par an sur 200 terminaux, dans une trentaine de ports dune quinzaine de pays(en 2008 quatre compagnies contrlaient un tiers des capacits mondiales de conte-neurs), forme un lobby nergique auprs de loMC, pour faire liminer les restric-tions concernant laccs au rachat et au management des ports par une socit tran-gre (notamment au Brsil et au Japon).

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    veloppe de manire remarquable depuis lafin des annes 1990, accompagnant lintgra-tion pleine de ce continent prtendu mar-ginal dans la mondialisation conomique :les ranges ouest et Sud ont plus que doublle nombre deVP traits en dix ans (pour at-teindre respectivement 3 et 4 millions en2010), celles du Centre et de lest ayant triplleur volume (environ 3 millions pour chaquergion, en 2010), faisant du continent le seul ne pas avoir flanch depuis le dbut de lacrise en 2008 en matire maritime (voir plusloin la partie la crise sur le bateau ). Unegrande partie de cette activit est lie uneimportation grandissante de produits manu-facturs en provenance dAsie du Sud-est, leschanges commerciaux avec lempire du Mi-lieu ayant t multiplis par dix (en volume)en moins de dix ans le challenge pour leslogisticiens tant de remplir les conteneurs lexportation : une partie du vrac y est ainsiconditionn de manire indite, seul moyenpour que les botes ne repartent pas vides.Les ctes occidentale et centrale restent 60 % lies leurope du Nord et la Mditer-rane, tandis que les ctes orientales et aus-trales sont principalement tournes verslAsie. Le transbordement transcontinentalest quasi inexistant, mis part Durban etCape Town, ainsi les navires eectuent plusune srie de touchs le long des ctes, deport en port, ce qui incite pour linstant lesarmateurs quiper leurs lignes rgulires de

    navires de moyenne capacit (2000 eVP) mais les projets dagrandissement de Pointe-Noire (Congo-Brazzaville) ou de construc-tion du port en eaux profondes, sur trentekilomtres de long, Kribi au Camerounpourraient modifier cela.Cette croissance ncessite des quipementsinfrastructurels en consquence : les plansdagrandissement, damnagement, de mo-dernisation des docks, de construction denouveaux terminaux, voire de nouveauxports en eau profonde ou mme des ports sec, sont lgion et concernent la quasi-totalitdes quais (une liste des grands travaux enga-gs naurait que peu dintrt ici). et danscette mme priode, la privatisation a tmassivement eectue, de 15 % 70 % de-puis 2000 : la concurrence fait rage entre lesoprateurs privs et autres groupes transna-tionaux qui se ruent littralement sur cesvastes faades ocaniques, le groupe Bollor(historiquement prsent en Afrique centraleet occidentale pour de nombreux autres typesdaaires) se mesurant autant Maersk, Duba Port World, quaux compagnies chi-noises la Chinafrique est en passe de d-trner les derniers rseaux franafricains(encore trs actifs et puissants dans certainspays, ne loublions pas). Mais les agitations portuaires concernentbien plus que lamnagement des docks :quand on sait que les trois-quarts du PiB dela Cte divoire transite par le port dAbidjan

    et 90 % des changes du Bnin par celui deCotonou, on se rend compte que les ports enAfrique jouent un rle encore plus importantdans lorganisation rgionale de lconomieque leurs cousins (loigns) en europe ou enAsie. et la comptition entre ports, entrepays, y semble encore plus rude par exem-ple entre les docks ivoiriens et nigrians.Une des consquences de tout ceci est iciaussi, invitablement, la dtrioration desconditions de travail quoi rpondent lesdockers par de trs nombreux conflits, blo-cages, qui perdurent parfois depuis des an-nes, comme Abidjan et le second port dupays, San Pedro (premire place mondialepour le cacao), o les ouvriers luttent depuis2008 contre les projets de privatisation de laprofession, ports par le Syndicat des entre-preneurs de manutention et de transit (lelong de la crise politique qui a accompagnle changement de rgime en Cte divoire, letrafic portuaire na cess de crotre). Signalonsen mai 2010 des arontements entre dockerset forces de lordre en Mauritanie lors dunegrve gnrale pour rclamer louverture dengociations pour amliorer le statut en dou-blant le prix de la manutention. gageons que lconomie maritime en Afriquesubsaharienne est porteuse de nouveaux ventssous par le capital mondial vers ce conti-nent quil lui reste remodeler de fond encomble.

  • 19. Les termes plus-value ou survaleur serontindistinctement utiliss dans ce texte. ils veulentstrictement dsigner la mme chose. Traduction dunologisme de Marx mehrwert , le terme de sur-valeur est certainement plus juste et plus prcis.Nanmoins le terme de plus-value , de la premiretraduction du Capital, fut tellement usit quil esttoujours comprhensible. ici, le choix de loccur-rence fut laiss au hasard de lcriture. 20. il ne faut pas rduire les nombreux mtiers por-tuaires celui de docker : citons les lamaneurs (quiarriment les bateaux en France non salaris desentreprises de manutention portuaire mais organi-ss en coopratives), les pilotes et remorqueurs, ma-rins spcialiss dans la navigation portuaire, lepersonnel administratif, les magasiniers, etc. Lesgrutiers et les portiqueurs ne sont pas non plus desdockers : administrativement et socialement, ma-nutentions verticale et horizontale ne sont pas lesmme jobs. Nanmoins, nous considrerons ici queles dockers forment la profession emblmatique desrapports de classe qui se trament sur les quais.21. Mme si les armateurs bouillonnent dimposerune modification radicale de lorganisation du tra-vail maritime dans ce sens : que ce soient leurs em-ploys, les marins, qui se chargent dornavant decette tche pour ne plus tre dpendant de salaris(voire de grvistes) dautres botes.

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    travail des dockersAu-del de toutes ces considrations : rle, place, complicits et concurrences des dif-frentes entreprises intervenant dans lactivit portuaire, lemploi de la main duvrereste le point nodal de son fonctionnement cest--dire, on ne le rappelle jamais as-sez, dont le principal rsultat est la cration et laccroissement de plus-value 19. Cestencore et toujours sur le travail vivant que tout se trame, en loccurrence sur lespaules des dockers 20. Les dock workers, ou dbardeurs, sont les ouvriers employs auchargement et au dchargement des navires, travaillant (en quipes) quais et dansles cales ce ne sont en aucun cas les navigants qui manipulent la marchandise. 21Dans la plupart des ports du monde, les dockers sont dornavant employs par lesentreprises de manutention portuaire (dont on appelle aconiers les patrons, ou ste-vedores), et nous verrons que cette question du statut a une longue histoire et une ac-tualit toujours vive. Le mtier de docker recouvre une cinquantaine de tches di-rentes : chargement et arrimage des vhicules dans les rouliers ou dans les car-carriers,fixation des conteneurs en cale, caristes sur les quais, guidage des grues, portiques etgodets-chouleurs pour le vrac, logistique informatique et tiquetage numrique, ges-tion des parcs conteneurs, etc.

    Mme si la mcanisation ( partir des annes 1950) puis la conteneurisation ont for-tement rduit, dans la plupart des ports, le charriage des marchandises par bras dos etjambes, le mtier reste usant et dangereux (on peut utiliser ici le terme consacr : ilsagit dun travail forte pnibilit ) un indicateur en est le nombre daccidents dutravail : on estime quil y en a plus encore que dans le BTP ou la mtallurgie ; un autrela dure de vie qui serait moindre dune dizaine dannes pour les dockers que lesmoyennes nationales dans le spays occidentaux. Le corps des dbardeurs reste soumis de rudes preuves (comme pour tout boulot de manutention, dautant plus que lescharges sont lourdes et volumineuses), sans oublier les nombreux risques daccidentsde circulation sur les quais et lexposition permanente aux alas mtorologiques (exa-cerbs en front de mer). La reconnaissance institutionnelle de cette pnibilit passeaussi par celle des consquences de la manutention de produits toxiques (notammentdans les vracs : engrais, chimie lourde, etc.) et du travail dans des zones trs amiantes

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    (hangars, cales), qui ne sont pas sans lien avec des maladies couramment observeschez les dockers, parfois seulement au bout de quelques annes de travail. en France,lors du mouvement contre la rforme des retraites en 2010, les dockers, en grandemobilisation sur leurs lieux de travail, ont aussi argu de cette pnibilit contre le pro-jet de loi mais cela se droulait surtout dans une queue de comte de la virulente op-position la rforme portuaire instaure en 2008 nous y reviendrons.La question des horaires est, comme partout, au cur des conditions de travail des d-bardeurs : typiquement, le secteur du transport maritime ncessite une flexibilisationaccrue de la disponibilit des travailleurs les heures darrive et de dpart des naviressont fonction des alas de navigation (en mer ou au port de dpart), le travail est enre-gistr et connu la veille (par tlphone 19 h) pour le lendemain 22, en quipes de quartstournants (sept heures avec possibilit de deux heures supp, horaires dcals avec alter-nances matin, soir ou nuit, et modulation hebdomadaire pouvant aller jusque 48heures), six jours sur sept, avec neuf heures de repos entre deux embauches et des heuresde rcupration en fonction des flux portuaires bonjour la vie hors du boulot... Bien sr, la pression sur la productivit est intense sur les quais : les arteurs fontjouer fond la concurrence entre les ports, grce au dveloppement des rseaux logis-tiques pour des hinterlands de plus en plus vastes et imbriqus. Vu de Chine oudune tour de La Dfense, savoir sil vaut mieux dcharger un conteneur pour Lyon Marseille ou gnes ou Anvers nempche aucun logisticien de dormir. Par contre,ce qui peut lui faire faire quelques cauchemars, cest le droulement du temps desoprations quai : rappelons des chires voqus plus haut, il y a une vingtaine dan-nes il fallait plusieurs jours pour charger/dcharger des cargos ; aujourdhui quelquesheures susent manutentionner des bateaux jusqu dix fois plus gros. Le capita-lisme est invariablement une aaire de chronomtre et cest toujours sale tempspour les travailleurs.Le systme de rmunrations reste complexe, puisque mme mensualis, le docker estpay la journe, avec un systme de primes au rendement instaures par les aconiers en France, les salaires peuvent ainsi varier, dun port lautre, dune bote lautre,dun mois lautre, de 1700 3000 euros brut.

    22. Jusque dans les annes 1960-70, sur la plupartdes places portuaires, lembauche seectuait chaquematin, en fonction des mouvements de bateaux : la bousculade tait savamment organise par lescontrematres, pots-de-vin aidant (souvent ilstaient par ailleurs prteurs sur gages ou tenanciersdes assommoirs locaux...), le moindre mouvementdhumeur tant ds le lendemain sanctionn, uni-quement lapprciation des chiens de garde des pa-trons. Bien quencore travailleurs indpendants ou artisans, les dockers avaient une pratique levede la solidarit, en cas de non-embauche de certains,de grves ou darrts-maladie, des caisses communesont vu le jour trs tt, ds le milieu du 19 e sicle,avant mme la cration des premiers syndicats (vers1880-90).

  • 23. Ce ne sont pas non plus les patrons de la manu-tention qui dcident des horaires sur les lignes ma-ritimes. Notons que les manutentionnaires sonthistoriquement les sous-traitants des ngociants quiavaient leurs entrepts sur les quais, et qui impo-saient alors aux compagnies maritimes leurs condi-tions. Les commerciaux sont dornavant hors desenjeux portuaires. Par contre ce sont toujours les ma-nutentionnaires qui vrifient ltat des marchandises,ce qui leur confre un supplment dimportance.

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    statut des dockersLa dfinition et la redfinition permanente du statut de docker traversent et configu-rent entirement lorganisation du travail sur les quais et la vive lutte des classes quiconsquemment sy droule : cette question est historiquement au cur de toutes lesrformes portuaires nous voquerons ici surtout celles qui, en France, ont t op-res depuis 1945, la dernire en date, loi de 2008, se situant dans la continuit desprcdentes.insistons sur une donne dterminante de lorganisation du travail portuaire : lacti-vit y est particulirement fluctuante, car mme avec les technologies modernes denavigation, larrive et le dpart dun navire restent en partie sujets aux alas certes,sur une ligne maritime, les dcalages horaires se comptent dornavant plutt enheures quen jours, mais quelques heures susent compliquer srieusement lorga-nisation du boulot. Les dbardeurs ntant pas (encore ?) lentire disposition des af-frteurs, lobjectif capital du just-in-time contient des limites intrinsques. 23

    Ainsi, cette invitable intermittence constitue le pivot de toute lorganisation du tra-vail sur les quais temps de chmage levs, ncessit dun surplus de main duvredisponible chaque instant mais qui doit donc payer ce temps de rserve ? Len-semble du rapport capital/travail se condense dans ce questionnement haute valeurconflictuelle. Pour un patron, un prolo ne doit coter que lorsquil rapporte leprolo, qui bosse rarement pour lamour du mtier, veut faire payer le patron mmelorsquil ne produit pas, cest bien la moindre des choses. entre patrons et travail-leurs, les tats, qui se doivent de veiller sur ces sites stratgiques, font oce de rgu-lateurs incontournables.en France, cest au 17e sicle que les premires corporations douvriers-artisans sor-ganisent pour obtenir le monopole de la manutention sur le port, aprs avoir prtserment et vers caution aux autorits locales. Suite labrogation des corporations(1791) et avec le dveloppement du transport maritime, les quais souvrent peu peucomme march libre, et durant le 19 e sicle des dclasss de tout poil (proltariat flot-

  • 24. Vie sociale commune (dans des quartiers relguset mpriss par les centre-villes), travail dquipes,combat pour une reconnaissance professionnelle etsolidarit ncessaire face aux jours chms se mlan-gent entre quotidien et mythographie, et transfor-meraient nimporte quel ghetto social en bastionouvrier : cest ici que lon peut inscrire en partie unesyndicalisation toujours remarquablement leve,avoisinant dans certains ports encore les 80 % (lesmoyennes franaises tous secteurs confondus tantde moins de 10 % seuls les ouvriers du livre enfont autant).25. Ce type daccord sest conclu dans un contextegnral de forte conflictualit de classes, souvent mi-nimis (eet Trente glorieuses ), qui a concernun grand nombre de secteurs conomiques et de r-gions du monde, y compris lUrSS (qui ntaitquune variante bureaucratique du capitalisme, ilnest jamais inutile de le rappeler), entre la fin de laseconde guerre mondiale et les annes 1968.26. Ds 1907, les patrons des botes de manutentionportuaire se sont organiss en syndicat. en ce dbutdu 21e sicle, lUNiM regroupe une centaine den-treprises dans 28 syndicats locaux.

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    tant, marins sans navires, errants divers) sont attirs par une tche immdiate et sur-tout physique, au point que certains nont pas hsit parler des quais comme dune lgion trangre du travail (Albert Londres, Marseille, porte du sud, 1927). Pour contrer la combativit des dockers (dont la forte syndicalisation est certaine-ment plus une consquence quune cause 24), non seulement sur les quais (limpactsur lactivit conomique est rel) mais aussi lorsquelle dborde dans les villes por-tuaires, les tats vont accepter dans les annes 1930 dinstaurer des statuts profession-nels. en France, une loi de 1941, renforce en 1947, cre une carte qui garantit sontitulaire une priorit pour lembauche et une indemnisation en cas de non-emploi(via une caisse nationale), ainsi que la mise en service dun Bureau central de la mainduvre dans chaque port comme interface entre patrons et ouvriers, les BCMo de-venant les lieux de lembauche (sur le mode premier arriv, premier plac ). Le statut de 47 fut un compromis dans lair du temps 25 : certes il maintenait unecondition de vacataire, mais il protgeait le prolo contre le licenciement conomique,le docker professionnel ne dpendant directement daucune entreprise, mais duBCMo autant dire quil na pas de patron , grommelait dans les annes 1970 leboss de lUnion nationale des industries de la manutention 26. Mais le patronat sy re-trouvait galement, en ayant disposition une main duvre quil ne lui fallait pas di-rectement grer et qui tait ainsi stabilise (en cette priode de relance conomique delaprs-guerre, il ntait pas compliqu daller voir ailleurs si le boulot ne plaisait pas). Suite la crise des annes 1970, sous la pression dune conomie redynamiser ,tats et patrons nont eu de cesse de dnoncer ce quils avaient alors prtendumentconcd. Ds lors, la faveur dun rapport de force favorable, ils purent inflchir leur profit les rgles en vigueur, comme ce fut le cas une premire fois au tournant desannes 80, dans le contexte du combat europen contre la conteneurisation. en es-pagne, suite une lutte de plusieurs annes, une rforme promulgua (en 1987) uneformule dembauche mixte confie des socits anonymes charges de la gestion duservice public de la manutention portuaire (fin du monopole de lorganisation destravailleurs portuaires), avant de privatiser les terminaux en 1992 pour finir par of-frir en 2011 ce quil restait du personnel de manutention aux entreprises prives.

  • 27. La mise en service du tunnel sous la Manche en1994 fut une des causes de la faible croissance desports britanniques.28. Les dessous de la collaboration syndicats-patro-nat-gouvernement pour la domination du capital(encore sur les dockers de Liverpool) , changes,n92, hiver 1999, .

    en Angleterre, en 1989, ltat supprima le Dock Labour scheme, la loi qui institua en1967 le monopole tatique de lembauche et de limmatriculation des entreprisesportuaires : les patrons de la manutention peuvent dornavant sinstaller et employerleurs propres salaris. en 1992, sur 9300 dockers, seuls 2300 avaient encore uncontrat de travail permanent. Le travail au noir, lintrim la journe, une dgrada-tion gnralise des conditions de travail provoquant une multiplication daccidentssimposrent rapidement comme une fatalit aux travailleurs des quais dans uncontexte de mise en concurrence des ports et des terminaux. Mais le volume de fretnaugmenta nullement 27, et les bnfices ne sengrangrent que sur la baisse des sa-laires : en lespace de quelques annes, ceux-ci furent parfois diminus de moiti, tantpour les dockers rguliers que pour les intermittents. Le dmantlement du statut dedocker fut luvre conjointe de ltat, du patronat et du TgWU, le transport andGeneral Workers union la plus importante fdration du trade union Congress, laConfrence des syndicats britanniques qui ne poursuivaient depuis les annes 50quun mme objectif : intgrer et discipliner ce secteur de la classe ouvrire ouverte-ment marqu dans ses pratiques par une expression autonome de classe et rompu auxpratiques de la grve sauvage. Cest dans une priode de fort chmage que ltat passatout naturellement loensive : en 1995, 400 dockers de Liverpool sont licencispour avoir refus de traverser un piquet de grve. tous, [tat, patrons et syndicat]voulaient le conflit en spculant sur leur isolement et le risque quaucune solidarit rellene se manifesterait : leur calcul se rvla juste avec lacceptation, au bout de deux annes,par les 400 dockers de leur licenciement, cest--dire de leur limination en tant quacteursur la scne de la lutte des classes autour dun modle que tous les autres protagonistes sem-ployaient faire disparatre. 28

    en France, en 1992, aprs plusieurs mois dun violent conflit (92 grves nationales de24 heures en moins dun an, innombrables actions locales, incarcration de cinq ou-vriers du port de Dunkerque, amendes de plusieurs millions de francs et confiscationdes avoirs de leur syndicat, ), les patrons remportent une manche importante : laloi Le Drian (alors secrtaire dtat la mer) supprime le statut de docker, en faisantperdre la profession son statut de vacataire indpendant et cre une convention

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  • 29. Par exemple, en 2004, lUNiM a impos desCertificats de qualification professionnelle pourmettre dfinitivement la main sur le recrutement.

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    collective nationale de la manutention (qui ne concerne donc pas, rappelons-le, lesgrutiers et les portiqueurs) pour casser la logique locale des accords qui prvalaitjusquici, port par port, dans laquelle senlisaient les conflits. Louvrier-docker passealors sous le rgime du droit commun en qualit de salari mensualis . De nou-velles conditions sont imposes aux ouvriers du secteur, et ce, quelle que soit la frac-tion du patronat pour laquelle ils embauchent (transnationale ou locale) : baisse dessalaires et du nombre de postes, rvision des conditions de lembauche (et fermeturedes BCMo) et de lorganisation du travail. 29

    Ce cadeau aux patrons de la manutention peut se rsumer en deux chires : le licen-ciement de 4000 ouvriers et la signature dun plan social de quatre milliards de francs(soit lun des plus onreux laiss la charge des contribuables). en 1982, on comptait13400 dockers intermittents ; en 2002, le nombre de salaris avoisinait les 3800(chire peu prs stable depuis : environ 4000 dockers en CDi et 1000 en CDD, lesdockers occasionnels rguliers (sic)). et cela alors que le volume de fret na pas cessdaugmenter, mme dans ce pays considr comme moins concurrentiel que ses voi-sins europens (Belgique, Pays-Bas, espagne, italie).

  • 30. Dans lhistoire agite entre lUe et les dockers,une pierre blanche a t marque au cours de la mo-bilisation, en 2005, contre un projet de Bolkesteinportuaire (prconisant la rgle du pays dorigine des prolos pour les conditions de travail la placedu pays o seectue le travail), dont le point dorguea t une virulente manifestation Strasbourg (cassemultiple) de 6000 dockers venus de seize pays.Certes ce projet a t mis au placard la suite de dis-sensions survenues entre parlementaires, mais poursr la dmonstration de force et lunit ache nontpas t sans impact sur la dcision finale.

    la rforme portuaire franaise 2008-2011en 2000 est labore la stratgie de Lisbonne, qui vise liminer les entraves auxmarchs des services au sein de lUnion europenne 30 dans le marbre de laquelle estgrave, parmi tant dautres dispositifs, la libralisation des ports. Comme ailleurs, lesquais franais deviennent nouveau le champ de manuvre des divers prtendantsau contrle des activits de la manutention. Ltat y a tout naturellement veill enpromulguant la dernire loi en date qui finalise la privatisation du secteur : en juillet2008, une loi portant rforme portuaire livre par dcrets outillages, main duvreet infrastructures aux mains de compagnies autorises. Pour la forme, le droit substi-tue dsormais les grands ports maritimes (gPM) aux sept ports maritimes auto-nomes et leur confre une trs large, si ce nest une complte autonomie commer-ciale. Chaque gPM sengage dans un projet stratgique , dans la conqute duneposition dominante au sein du grand rseau de la logistique maritime, notammentdans le cadre de la concurrence intra-europenne. Les activits du vrac et du traficroulier sont renforces dans la plupart des gPM, mais cest surtout la conteneurisa-tion qui est mise au cur des schmas de dveloppement.

    Ltat confirme son engagement financier aux cts des socits en exercice : soitcomme ctait le cas auparavant, en recourant la filialisation des activits, soit par laprise de participation financire directe, ou enfin, par le biais de contrats signs avecles chambres de commerce des ports dcentraliss. Afin daccompagner la rorganisa-tion du secteur aux meilleures conditions tant pour le capital que pour lui-mme,ltat apporte dans la corbeille 367 millions deuros. en gnreux donateur, il ore ensus aux firmes nouvellement propritaires une rduction dabord totale puis dgres-sive des impts locaux. et pour faire bonne mesure, il semploie crer et dvelopperdes groupements dintrt public dots dautonomie financire pour conduire, pendantune dure dtermine, des activit de promotion commerciale . Par ailleurs ltat ren-force sa prsence au sein des Conseils de surveillance et sa capacit de veto. il tend lepanel de ses missions rgaliennes (scurit, sret, accs, etc.) : rptons que la poli-

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  • 31. Ltat est plus quun simple agent de promotionou un chien de garde du capital. Sa logique de pou-voir peut, le cas chant, rester autonome. Le capitalnest pas non plus uniforme, direntes factions ycohabitent en son sein. et les concurrences inter-capitalistes peuvent se muer en vritables guerres.Ce qui nenlve rien la cohrence de lensemble. ilen est de mme pour les tats, qui, en tant quagentconomique aussi bien que comme entit gopoli-tique, peuvent se concurrencer les uns les autres, etconnaissent des concurrences internes. Le tout sen-tremlant avec les multiples intrts capitalistes : telun mille-feuilles, les direntes formes dintercon-nexions ne les fragilisent en rien, au contraire. Carau-del des concurrences, des guerres plus ou moinslarves, lconomie perdure. 32. Aprs lpisode de 1992, un syndicat a t crex-nihilo pour saper (eectivement) la CgT : laCoordination Nationale des Travailleurs Portuaireset Assimils (CNTPA) senorgueillit, au nom de lapaix sociale, de navoir organis aucun jour de grvejusque janvier 2011, o pour la premire fois elleappela une journe de dbrayage propos de la p-nibilit.33. Lhistoire de la conflictualit sociale sur les quaisest jalonne dactions de solidarit nationale et in-ternationale, les dockers refusant de manutention-ner les bateaux drouts des ports bloqus.exemples rcents : en fvrier 2010, en soutien dessalaris du port de Nantes-Saint-Nazaire, faisantlobjet de mesures de rquisition alors quils refu-saient de manutentionner un paquebot, plusieursgPM sont bloqus par des grvistes pendant 24heures ; fin janvier 2012, alors quen Belgique lesdockers se mettent en grve contre une rforme deleur statut, inscrite dans le cadre des mesures daus-trit prises ( toute allure) par le nouveau gouver-

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    tique portuaire est au carrefour dune politique (internationale) maritime et dunepolitique (rgionale, nationale et locale) damnagement du territoire et quil nest pasquestion que les tats se dsengagent compltement. 31

    La loi vote en juin 2008 a confirm la rorganisation de la filire telle que lavait an-nonc Le Drian : le gouvernement rpondait favorablement lexigence des patronsde lUNiM de contrler directement la main duvre, au motif davoir investi unepart de leur capital dans loutillage (grues, portiques, etc.). Ltat sest donc appliqu soumettre lensemble des catgories de travailleurs une mme unit de comman-dement , en transfrant les ouvriers de la manutention verticale, rchapps de la r-forme de 1992, des Autorits portuaires vers les entreprises de manutention. Les gru-tiers et portiqueurs des ports autonomes ragissent la hauteur de loensive patro-nale : pendant plusieurs mois, sur les principales places portuaires (excepte celle deDunkerque 32), ils bloquent plusieurs reprises les entres et la circulation. laidedengins de manutention, ils dressent dimposants barrages et multiplient les cou-pures sur le rseau lectrique des quais.

    Durant toute la dure de la lutte, les dockers se solidariseront activement avec leurscollgues. Ce soutien sexprimera aussi au-del des frontires, par lintermdiaire de laprincipale organisation internationale des syndicats de dockers, linternational Dock-workers Council : les ouvriers de Barcelone refuseront de dcharger des navires dtour-ns par des patrons depuis Marseille et Fos, rappelant que la solidarit entre dockersde ports dirents reste une composante remarquable de la conflictualit de classe surles quais. 33 Puis, le 16 juillet, la CgT appelle freiner le mouvement. on le savait dsavant le dbut du conflit, la Fdration nationale des docks et ports (FNDP-CgT) nesopposerait que sur la forme au plan Bussereau . Le sort de la corporation ayant tscell quinze ans auparavant, la centrale sest contente daccompagner ltat, confir-mant la fonction intrinsque de ce quon appelle sans surprise les partenaires so-ciaux : la mdiation et la cogestion. Tout en considrant cette rforme portuairecomme une aberration elle sen est tenue ngocier des points porte de main(pnibilit, retraites, etc.) sans rapport direct avec le fond de celle-ci.

  • Sachant le caractre indispensable de la rforme pour le patronat, la CgT a avanttout cherch garantir sa position dinterlocutrice. Ce quen retour sest empress delui confirmer ltat : soulag dune bataille quil na pas eu livrer, Bussereau annon-ait en dbiteur oblig quil ferait du sur-mesure . Une annonce aussitt salue parla confdration presse de tourner la page. il est vrai que la priode est particulire-ment cruelle pour les fdrations qui nagure furent les chevilles ouvrires du syndi-cat. La dsindustrialisation est passe par l et la direction de la CgT nourrit pourlavenir des ambitions plus modernistes . il faut dire quavec la perte de la moitide ses eectifs en quinze ans, les tensions en son sein et lapparition denseignesconcurrentes, la FNDP-CgT sent le vent tourner. Ainsi, contre sa hirarchie, la sec-tion locale du Havre ne baisse pas les armes : en mai-juin 2010 des grves tournantesponctues dactions coup de poing ont encore lieu contre la privatisation desdocks , bloquant rgulirement des btiments quais ( un bateau immobilis cote70000 100000 dollars par jour , pleurniche la prsidente du groupement havraisdes armateurs et agents maritimes).

    Cest en avril 2011, deux ans et demi aprs la signature de laccord-cadre (octobre2008) que lon peut considrer lpisode clos, avec la signature de la Conventioncollective nationale unifie ports et manutention , qui achve de fusionner len-semble des activits de manutention, lexploitation et la maintenance des outillages,aprs avoir d passer par des conventions individuelles de transfert des derniers per-sonnels salaris des Autorits portuaires (les luttes et ngociations concernant la r-forme des retraites et la reconnaissance de la pnibilit ayant incidemment interfravec le dossier). Lavenir dira si cette ultime tape de privatisation amnera sur lesquais un climat social enfin dtendu, souriant, accueillant histoire de rassurer lescompagnies maritimes.

    nement, de nombreux dockers dautres ports euro-pens ont refus de dcharger les bateaux qui au-raient d appareiller dans les ports flamands. enitalie, en janvier 2008, la quasi-totalit des dockersse sont mis en grve suite au dcs de deux travail-leurs asphyxis lors du nettoyage dun vraquier decrales Porto Marghera, banlieue industrielle deVenise, bloquant pendant plusieurs jours lensembledes ports du pays. Cette solidarit de classe, dautantplus notable quelle se fait quand mme gnrale-ment rare, semble aiguise par une conscience ma-nifeste du rle stratgique des ports dans lconomie qui sest traduit par exemple dans une successionhistorique de refus de charger des navires de guerre :on peut estimer que ces actions dpassent le cadredun simple rflexe conditionn de corporation.Mais bien sr, ces pratiques ne sont pas systma-tiques, permanentes, gnralisables, et de nombreuxcontre-exemples existent. Pour nen citer quun, voquons le mouvementcontre la rforme franaise des retraites durant lau-tomne 2010 : alors que les raneries et les princi-paux terminaux ptroliers (Fos-Lavera et Le Havre)taient bloqus (en grande partie, mais pas entire-ment cf. le jeu trouble de la CgT) par les gr-vistes, les dpts de carburant ont continu dtrealiments par dautres ports franais (Bordeaux,Ste, Port-la-Nouvelle) et surtout flamands (Anvers,rotterdam, Amsterdam) les distributeurs ont putester avec ecacit de nouveaux circuits logis-tiques, et le pays est trs loin de stre retrouv enpanne sche.

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  • 32

    nouveaux ports au MaghrebAu Maghreb, outre laugmentation notabledes investissements directs trangers (iDe)depuis le dbut des annes 2000 et les r-formes successives des codes du travail, ren-forant toutes la prcarisation de plus en plusdemplois, un autre indice de la tendance la relocalisation de la production mondialerside dans le dveloppement des activitsportuaires : y sont en projet, lhorizon 2015,la construction quasiment ex-nihilo des troisplus gros ports (en eau profonde) venir dela Mditerrane, vocation non seulementrgionale, mais galement continentale etsurtout transmditerranenne. Les ctes ma-ghrebines se situant directement le long de lavoie principale de navigation plantaire, il au-rait t plutt tonnant que personne nesonge profiter de cette situation gogra-phique idale. Deux ides-force se dgagent :dune part faire fonctionner ces nouveauxports, capables daccueillir les plus gros na-vires en provenance dAsie, en plateformes detransbordement pour toute la Mditerraneoccidentale ( linstar de Malte pour la M-diterrane orientale). Dautre part dvelopperdes zones industrielles attenantes pour pro-duire en temps rel et exporter en moins de24 heures vers leurope des marchandises quimettent trois semaines arriver dAsie.Le premier projet prendre forme a t lex-tension du port de Tanger (Tanger Med),

    oprationnel (progressivement) depuis 2008pour sa premire tranche : deux terminauxconteneurs (4 millions deVP par an, conces-sions attribues Maersk, CMA-CgM etMSC), un terminal vraquier, un terminal p-trolier (un des plus grands dAfrique) et unport passager. Connect depuis 2011 avec120 ports internationaux par des lignes rgu-lires, son ambition est grande : concurrencerles ports espagnols, notamment Algciras quise situe 15 km vol de mouette, de lautrect de gibraltar, en hub vers leurope delouest, et devenir le premier port africain conteneurs, se prvalant de sa localisation lintersection de la route mditerranenne etdes faades atlantiques nord et sud. Pournourrir sa prtention devenir le numro unmditerranen occidental, une extension de-vrait tre livre en 2015 : Tanger Med ii secomposera de deux nouveaux terminaux d-dis aux conteneurs, qui devraient porter plus de 8 millions deVP la capacit totalede ce port ( titre de comparaison, le portdAlgricas traite 7 millions deVP en 2012,celui du Havre 3 millions, celui de rotter-dam 10 millions). Mais plus encore, le dve-loppement dune zone franche industrielle etlogistique se poursuit, pour atteindre en2015 150000 emplois lusine renault-Nis-san ouverte en 2012 (une deuxime chanede montage sera oprationnelle en 2013, terme 400000 vhicules low-cost seront pro-duits par an, dont une grande partie desti-

    nation de leurope) donne un aperu de lapolitique industrielle du nord du Maroc, quipousse y installer une partie de ses manu-factures en textile et lectronique, toutestournes vers lexport. noter quune grvede plusieurs semaines des dockers, lau-tomne 2011, pour une augmentation des sa-laires et contre des accords de sous-traitance,a ralenti la croissance fulgurante de TangerMed (+ 80 % de volume entre 2010 et 2011).Second projet maghrebin, annonc en2008 : un terminal de cinq millions deconteneurs enfidha, en Tunisie, dont lou-verture dune premire tranche en 2012 a trepousse pour des raisons environnemen-tales (le dragage des quais -17 m nest pasencore matris). La Tunisie cherche aussi se placer en pays de services et de commerce,avec ambition de devenir un acteur du trans-bordement mditerranen (la cration dequais conteneurs est ltude pour dautresports : rads, Sfax, Sousse) et proposant,comme il se doit, dattirer manufacturiersdivers dans des zones industrielles cons-quentes enfhida 20000 emplois indus-triels sont annoncs.Mais la palme des projets revient issad re-brab, premier homme daaires algrien (pa-tron du groupe Cevital), qui a annonc enjanvier 2009 la construction, lhorizon2015, dun port en eaux profondes CapDjinet, 80 km lest dAlger (prs de Bou-

  • merdes). Cap 2015 serait demble le plusgrand port euro-mditerranen, parmi les dixpremiers mondiaux : 20 km linaires de quais(six fois plus que Tanger Med), adosss unezone industrielle de 5000 hectares ptro-chimie, aluminium, sidrurgie, constructionnavale, automobile (350000 units par an),production dlectricit, dessalement deaude mer, avec plus dun millier de PMe detransformation, de sous-traitance et de ser-vices : trente milliards de dollars dinvestisse-ment, pour crer plus dun milliondemplois... Certes, pour linstant, le projetest en proie des blocages administratifs di-vers, qui sont certainement lis des rivalitspolitiques de taille : rebrab ne cache pas sesambitions de devenir un jour prsident dupays... contre le FLN. Mais on peut penserque ce projet est bien dans lair du temps :dveloppement significatif des activits por-tuaires algriennes, notamment Bejaa ;sous la pression dune nouvelle gnrationdentrepreneurs libraux et de lalli histo-rique chinois, nouvelle industrialisation encours (ArcelorMittal vers Annaba, dvelop-pement du textile et de llectronique, etc.)accepte par le FLN, qui se contentaitjusqu rcemment de la gigantesque renteptrolire et gazire. et quand la gnration guerre de libration , au pouvoir depuis1962, aura rendue lme, nombre de verrousvont certainement sauter. Avec plus de 30 %de chmage dune population jeune, ce sont

    plusieurs millions de prolos qui pourront tremis disposition pour le capital mondial pas tonnant que la Chine soit dj large-ment sur les rangs, et que nombre dinvestis-seurs trangers se bousculent dans le pays.Le dveloppement portuaire au Maghreb estpeut-tre plus lent que certains le voudraient,mais on peut penser quil correspond desbesoins eectifs du capital mondial les blo-cages divers (notamment en Algrie et en Tu-nisie) ont certainement vocation tredbloqus rapidement.en tout cas, il nest gure tonnant que le d-veloppement des autoroutes de la mer entrele Maghreb et leurope compte parmi les six chantiers prioritaires de lUnion pour laMditerrane. Dailleurs, un accord pour unhub roulier euro-mditerranen Fos-Mar-seille a t sign en juillet 2010.

    *Sur les docks algrois : en mars 2009, la com-pagnie Duba Port World (DPW), gantmondial de la conteneurisation, entre 50 %dans lentreprise portuaire dAlger (ePAL) dans la foule, le ministre des Transports d-cide dy interdire la marchandise non conte-neurise, sous prtexte de dsengorger la radedAlger, en la droutant vers Mostaganem etoran. La baisse de lactivit est brutale (dunetrentaine de bateaux par jour moins dunedizaine) : 620 ouvriers journaliers et 700contractuels (sur un total de 3200) sont mis

    au chmage en un an. en juillet 2009, 300dockers muts de lePAL DPW protestentcontre la dgradation des conditions de tra-vail : les nouveaux patrons les licencient surle champ, des ngociations leur en font rem-baucher 220. en octobre 2009 le port est pa-ralys quelques jours les travailleurs vontgueuler au sige de lUgTA (confdrationsyndicale du FLN, la seule autorise) pourdnoncer limpassibilit de la centrale face la libralisation des quais et aux pertes dem-plois qui sensuivent, et rclament le droitde sorganiser de manire autonome pour faireface la dferlante de la privatisation le bu-reau les conduit poliment. en mai 2010, lesdockers puis les employs des transitaires (in-termdiaires de transport) des quais algroisse mettent en grve illimite pour dnoncerles carences en scurit, aggraves depuis lar-rive de DPW. en juillet 2010, les dockersalgrois entament une grve tournante (troisjours par semaine) les revendications tantla baisse du volume horaire de travail (contrele 3x8 que DPW essaie dimposer) et uneaugmentation des salaires. Mi-mai 2011,nouvelle grve illgale, pour la titularisationdes journaliers et une augmentation des sa-laires au mme moment, les travailleurs duport de Bejaa, oran, Jijel dbrayent pour desrevendications similaires.

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  • 34. gardons toutefois lesprit que la production in-dustrielle chinoise compte toujours pour moins dela moiti de celle des tats-Unis et que les changesentre lUe et lAmrique du Nord reprsentent 40 %du commerce mondial.

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    DePUiS 2008, les patronats du transport maritime (armateurs, oprateurs portuaires,etc.) ont eu dautres raisons que la combativit des dockers, de se faire quelques che-veux blancs : la crise qui sest installe au sein de lconomie mondiale a eu logique-ment un eet de dflagration sur lensemble du secteur.

    La rduction de la consommation (crise de lendettement priv), donc des importa-tions nord-amricaines puis europennes et en retour celle des exportations asiatiques(-20 % au premier semestre 2009), a provoqu une baisse consquente des flux dematires premires et bouscul un secteur pour lequel les conomies dchelle avaientengendr massification et surcapacit, stoppant net une partie des navires cheminantsur la principale ligne est-ouest. Jamais lindustrie du conteneur navait connu un telralentissement de son activit : - 15 - 30 % entre 2008 et 2009. cela deux raisonsessentielles : dabord, les distances intercontinentales qui sparent les centres dassem-blage industriel asiatiques de ceux de la consommation rognent quand mme unefraction de la survaleur ralise en relocalisant une partie de la production en Asie. 34ensuite, une part des marges que ralisent les secteurs de la production industrielle etde la grande distribution repose sur la pression quils exercent lencontre des entre-

    la crise sur le bateau

  • 35. La mode rcente de lhabitat lger en conteneurs(au dbut pour des logements tudiants) date de cemoment. Municipalits portuaires et armateurs sedemandaient quoi faire de toutes ces botes inutili-ses. Crise du logement aidant, il na pas fallu long-temps pour quun march se dveloppe de manireautonome depuis 2008.

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    prises de transport, pression sur les dlais comme sur les tarifs : le transport ptit ainside sa position intermdiaire et ragit telle une variable dajustement pour les entre-prises en amont comme en aval.

    Sans perdre de vue que le secteur a prospr en surfant sur la vague des mouvementsde la finance (de grands groupes comme goldman Sachs y ont massivement investidans les annes 1990 et le secteur assurance/rassurance y a toujours t incroyable-ment dynamique : plus de vingt milliards de dollars par an), il serait nanmoins trom-peur dexaminer les soubresauts qui lagitent sous langle unique de la crise dite finan-cire. Le transport maritime dans son ensemble alterne les phases de croissance, de re-cul et de concentration.

    Les deux chocs ptroliers de 1974 et 1979 ont entam la dynamique engage ds ledbut des annes 60, prolongeant leurs eets jusquau milieu des annes 80. Aucours de la dcennie suivante, lclatement de la bulle financire asiatique a frappdirectement le secteur. il en est ressorti pur et port par une croissance fulgurantequi durera prs de dix ans, lie lessor de la production asiatique. Ds 2006 on re-doutait au sein mme des principales socits un eondrement du march : les vo-lumes transports sont importants et en hausse, mais seule la concentration du sec-teur dj entame par le rachat doprateurs locaux a permis certains de garantirleur taux de profit.

    Une mesure prise par les armateurs a t la modulation de la vitesse de croisire : uneaugmentation du prix du fuel fait ralentir la rotation des moteurs afin de limiter lessurcots quand, a contrario, la baisse des tarifs pousse leur rgime plein. Cette mo-dulation de mouvement ncessaire une adaptation la situation a men jusqulimmobilisation, larrt pur et simple de nombreux navires et leur reconversion ensilo, en cuve ou en magasin : fin 2009, 1400 bateaux dont 500 porte-conteneurstaient mis quai et dsarms presque 15 % de la flotte mondiale ; la plupart im-mobiliss le long des ctes asiatiques ou, pour plusieurs centaines dentre eux, amar-rs autour du port de rotterdam, souvent recycls en entrepts. 35 Ce discret retour dela pratique du stock prterait presque sourire

  • 36. Pour aller plus loin il faudrait se plonger dans lamanire dont la crise de 2008 a eu des impacts par-ticulirement forts dans lindustrie automobile. Pourune vision densemble du secteur depuis les annes1970, fort clairante sur le contexte actuel, voir re-structuration et lutte de classes dans lindustrie auto-mobile mondiale (recueil darticles parus dans larevue changes), ditions Ni patrie ni frontires,printemps 2010.37. Pour le ptrole brut 1,950 Mdt en 2010, soit+ 4,6 % (1,964 Mdt en 2008) ; pour les produits p-troliers rans : 781 Mt en 2008, 754 en 2009 et793 en 2010 ; pour le charbon sidrurgique : - 6 %en 2009, + 15 % en 2010 ; +13 % pour le transportdautomobiles ; pour les conteneurs : +11,6 % en2010 contre - 8,6 % en 2009.

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    Un exemple plus prcis : le transport maritime des automobiles neuves. environ1300 car-carriers sillonnent mers et ocans. entre 2005 et 2009, cette flotte a cru de40 % en nombre de navires et de 51 % en capacit. La chute brutale des exportationsde bagnoles du Japon et de la Core du Sud en 2008-2009 (- 30 % environ) a peslourd : en 2009, une centaine de car-carriers ont t dsarms, 85 carrment dman-tels. Cela a galement reprsent (au premier semestre 2009) une chute dactivit de60 % Barcelone, 50 % Zeebrugge et Bremerhaven, trois ports europens dimpor-tance dans ce secteur. 36

    en 2010, porte par la reprise de croissance du commerce mondial (+13,5 % parrapport 2009), celle du secteur maritime a t de 6 %, ce qui lui a permis de re-trouver globalement son niveau dactivit davant la crise. 37 en 2010, la croissancemoyenne des ports chinois a t de 20 %, et en europe de 15 %. Mais la crise sins-talle et, aprs la baisse exceptionnelle de lactivit mondiale partir de lautomne2008, la reprise de 2009-2010 a certes t proportionnellement spectaculaire maissemble bien avoir fait long feu. Lextrme volatilit des taux de fret en est un bon in-dicateur : pour le vrac sec, ceux des capesize (les plus grands vraquiers, trop volumi-neux pour pouvoir emprunter les canaux de Suez ou de Panama) sont successive-ment passs de 33000 dollars/jour (2010) 12000 (janvier 2011), 4500 (fvrier2011) pour stablir en moyenne sur le premier semestre 2011 8500, puis subite-ment remonter jusque 32000 dollars en octobre 2011, pour rechuter 10000 endcembre, jusqu 5000 en fvrier 2012 le cot dexploitation dun tel navire tantde 7500 dollars par jour. Ct conteneurs, aprs tre remont jusqu 2000 dollarsen 2010, le tarif moyen journalier de leVP a fini moins de 500 dollars fin 2011;en 2009 le prix dun conteneur entre la France et lAsie tait dj pass en un an de5000 1400 dollars on estime 15 milliards deuros la perte pour les oprateursdu conteneur en 2009. Tout le monde saccorde dire que pour 2012 les taux reste-ront ngatifs, ne couvrant plus les cots oprationnels.

    on assiste donc depuis 2008 la fin dun cycle, que la crise prcipite plus quelle neprovoque. Avec la chute du tarif de fret il devient pressant dpurer un secteur devenulargement surcapacitaire. Mais lopration est rendue dicile car des limites intrin-

  • 38

    sques sopposent son bon droulement : la destruction des navires anciens nest pasenvisageable car la plupart des bateaux en activit sont encore jeunes (en moyenneentre 10 et 15 ans) ; sans oublier que, pour tirer les cots la baisse, les armateurs ontdj redistribu une partie de leurs flottes sur les axes Nord-Sud, moins touchs quela ligne est-ouest, sur laquelle les btiments de gros tonnages remplacent de plus enplus les navires de moindre capacit. La rgulation de la flotte est un complexe exer-cice de jonglage entre navires utiliss, navires dsarms, navires envoys la dmoli-tion et navires en commande dans les chantiers navals, o se rpercutent nombredalas conomiques.

    les deux indices de rfrence

    Le Baltic Dry index est un indice quotidien des prix pour letransport maritime en vrac de matires sches. il est tablisur une moyenne des prix pratiqus sur 24 routes mondialesde transport en vrac de matires sches, tels que les minerais,le charbon, les mtaux, les crales, etc.

    Le Harpex relve les taux doccupation des porte-conteneurs. noter que ces deux indices sont considrs comme majeursnon seulement pour lconomie maritime, mais pour len-semble de lconomie mondiale.

  • 39situation des chantiers navalsLa crise a eectivement fragilis le secteur de la construction na-vale civile : tout peut se rsumer en quelques chires, ceux descommandes annuelles qui sont passes entre 2009 et 2011 de2200 1200 ptroliers, 300 100 chimiquiers, 1200 600porte-conteneurs, etc. Fin 2009 plus de 1000 commandes de na-vires ont t annules. et cette baisse nest pas compense par letonnage global de la flotte, mme si en moyenne les bateauxcontinuent dtre de plus en plus volumineux.

    Depuis les annes 1990, les premires entreprises de construc-tion navale civile sont situes en Asie, principalement en Coredu Sud jusquen 2008, des socits chinoises ayant depuis rafl lamise : plus de 95 % du tonnage mondial sort dornavant deschantiers asiatiques. La prdominance europenne et nippone,construite sur lessor du commerce maritime des Trente glo-rieuses et le dveloppement subsquent de marchs domestiques,sest eondre avec la crise des annes 1970-80 (le Japon a mieuxrsist au coup de vent) car cest alors que sest impos le gigan-tisme comme moyen le plus ecace pour eectuer les conomiesdchelle ncessaires la relance (un porte-conteneurs de 10000eVP plutt que dix de mille eVP) : les chantiers historiquesntaient littralement pas de taille et puis comme toujoursla question salariale a t dterminante. Les sites europens, poursurvivre, ont d se recentrer et se spcialiser dans la constructionde navires forte valeur ajoute : croisire, brise-glaces, quipe-ments oshore, etc. La crise, en europe, ne fait que commencer :face au rouleau compresseur chinois, les entreprises sud-co-rennes (un tiers des livraisons dans le monde sont fournies parHyundai, Daewoo, Samsung et STX) se tournent de plus en plusvers ces mmes secteurs spcifiques...

  • 38. on pourra se reporter ltat des lieux de laconstruction navale internationale publi par lise-mar en 2009 (voir bibliographie).

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    il est noter que cette industrie apparat depuis les annes 2000 dans dautres pays,sous limpulsion soit de politiques publiques (Vietnam, inde, Brsil), soit dinvestis-sements internationaux (chantiers corens aux Philippines, en indonsie mais ga-lement en Chine) ou de rseaux privs nationaux (Turquie) : le poids de ces chantiersest encore faible lchelle de la grande bleue mais lhistoire nest jamais fige. 38

    Une telle situation rsulte du mouvement spculatif qui a aliment depuis dix ans lescarnets de commande des chantiers navals, en particulier ceux du vrac sec (mineraide fer, charbon, crales). Pour les travailleurs des chantiers, les temps venir san-noncent particulirement diciles et la tension est perceptible sur de nombreuxsites. Le recul de lactivit est gnral et frappe sans distinction les chantiers dAsiecomme ceux deurope. Chmage technique et licenciements npargnent aucunsite : 15000 suppressions de postes sannoncent en europe dont 9000 pour les seulschantiers polonais (que ltat a choisi de privatiser). en Allemagne, en Sude et enNorvge, les fermetures menacent des chantiers historiques. Maersk, un des rares ar-mateurs a tre aussi constructeur, a ferm ses chantiers au Danemark, dbut 2012, etdevrait faire de mme avec son site lithuanien, pour ne plus commander quen Asie.en Turquie, 17000 travailleurs ont t mis au chmage technique en juillet 2009.

    en galice, rgion historique dans la construction navale et reconvertie depuis les an-nes 1990 la production de haute technologie, les patrons continuent de fermerchantiers sur chantiers. La riposte ouvrire sy est nouveau faite entendre, rappe-lant que les chantiers navals furent et demeurent dans lhistoire ouvrire espagnoledes lieux de trs haute rsistance. Des luttes deuskalduna sous Franco, celles dePuerto real, Cartagena ou gijon dans les annes 1980 contre les reconversions in-dustrielles engages lorsque la dmocratie et la Cee entraient en espagne, aux mo-bilisations massives de Cadiz en 1995, la mme combativit persiste jusqu au-jourdhui. Dans le port de gijon, dans les Asturies, et celui de Vigo en galice, lestravailleurs des chantiers navals et de la mtallurgie ont multipli les actions au prin-temps 2009 : occupation de sites, barrages, blocages de routes, arontements avec lapolice. entre 2010 et 2011, lespagne a perdu 50 % de ses commandes en tonnage(leurope en moyenne 29 %).

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    en France, les deux derniers sites de construction navale civile 39, Lorient et surtout Saint-Nazaire (chantier en activit depuis le milieu du 19e sicle et ddi laconstruction de (trs) gros navires, actuellement deux-trois par an), ont t rachetsen 2008 par lentreprise sud-corenne STX Shipbuilding via sa filiale STX-France(Alstom en tait le propritaire de 1983 2006, date de leur rachat par la socit nor-vgienne Aker Yards), ltat en tant toujours actionnaire 33 %. Dans les annes1970, lamnagement dune nouvelle forme (bassin) de construction permit la fabri-cation de ptroliers parmi les plus grands au monde. Aujourdhui, cest la construc-tion de paquebots (et de quelques navires de commandement militaire) qui est la rai-son dexister du chantier (pour ce qui est de la marine marchande, le dernier mtha-nier en est sorti en 2006). Depuis 2011, les Chantiers de lAtlantique diversifient leuractivit (tant que faire se peut) en se lanant dans la fabrication doliennes oshore.en 2012, STX-France compte 2100 salaris, et fait bosser pas moins de 4000 salarisde sous-traitants (dont 1000 de nationalits trangres 40). Au dbut des annes 2000,cest plus de 5000 travailleurs qui embauchaient directement chez Alstom...

    Pour faire face la crise, en plus des dernires suppressions de postes (plus de 200 en2009 et de 300 en fvrier 2010), le chmage technique partiel devient quasi perma-nent : dbut 2012, 9000 jours de chmage technique taient annoncs, concernantplus de 500 ouvriers des ateliers de production raison de 1,5 jour par semaine, aux-quels se sont soudainement rajouts pas moins de 11600 jours supplmentaires pourlt lorsquen avril, du jour au lendemain, deux paquebots helvtes (MSC), dont laconstruction devait dmarrer lautomne, ont t dcommands pour tre la se-maine suivante recommands des chantiers italiens. Alors grves et manifs (maisaussi deux mystrieux incendies sur le norwegian Epic en chantier en mai 2010)continuent danimer rgulirement la ville de Saint-Nazaire, o lintersyndicale sem-ble avoir du mal tenir certains ouvriers : plusieurs flics blesss en mai 2009 et rpres-sion judiciaire consquente (quelques peines de prison ferme prononces) on nepeut sempcher de repenser la forte tension dans cette ville dans les grandes mobi-lisations ouvrires de 1955 et 1968. en fvrier et mai 2012, ce sont plusieurs milliers

    39. Un important chantier de rparation navale estsitu sur le port de Brest. Une centaine de naviresde la marmar passe annuellement dans ses formesde radoub.40. en mai 2009, onze soudeurs bulgare