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SAINT AUGUSTIN ET LE PROBLÈME DU MAL : LA POLÉMIQUE ANTI- MANICHÉENNE Michel Sourisse L’Esprit du temps | « Imaginaire & Inconscient » 2007/1 n° 19 | pages 109 à 124 ISSN 1628-9676 ISBN 9782847951059 DOI 10.3917/imin.019.0109 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-imaginaire-et-inconscient-2007-1-page-109.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L’Esprit du temps. © L’Esprit du temps. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © L?Esprit du temps | Téléchargé le 23/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © L?Esprit du temps | Téléchargé le 23/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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SAINT AUGUSTIN ET LE PROBLÈME DU MAL : LA POLÉMIQUE ANTI-MANICHÉENNE

Michel Sourisse

L’Esprit du temps | « Imaginaire & Inconscient »

2007/1 n° 19 | pages 109 à 124 ISSN 1628-9676ISBN 9782847951059DOI 10.3917/imin.019.0109

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-imaginaire-et-inconscient-2007-1-page-109.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Saint augustin et le problème du mal :la polémique anti-manichéenne

Michel Sourisse

Le point de départ du Manichéisme – comme de toutes les gnoses anciennes – est une expérience vécue : le mal et la souffrance sont des faits, incompréhensibles pour l’intelligence et incompatibles avec la bonté du Créateur. Avant Kierkegaard, avant Pascal, ces penseurs, pour la plupart ignorés par la tradition philosophique occidentale, ont eu le sentiment que l’être humain vivait un drame existentiel, car il devait subir, sa vie durant, les assauts du Mal. Et dans ce combat incessant, il ne pouvait être que vaincu, car il doit lutter contre un Ennemi plus puissant que lui, qui finira toujours par le terrasser et l’anéantir. « Absolu, et non pas mitigé, le dualisme manichéen ne peut qu’aboutir à une vision tragique de la condition humaine, non à un quiétisme » écrit H.C. Puech (1979, p. 170) [12]. Les Manichéens ne se sont pas évadés dans le royaume des essences : ils ont considéré l’homme concret, historiquement situé, aux prises avec tous les malheurs qui l’affligent. Les premiers, ils se sont interrogés sur l’énigme de nos origines et de nos fins. La mort leur paraissait une anomalie, même si naturellement elle se justifiait. En cela, ils se montraient plus proches du Christianisme que de l’Hellénisme. Et quant à saint Augustin, s’il s’est libéré du Manichéisme, il ne s’en est jamais totalement affranchi. Il ne faut pas oublier qu’il a été « auditeur » dans la secte pendant près de dix années ! Sa conversion au Christianisme ne l’a pas complètement débarrassé de ses erreurs anciennes. « Son expérience manichéenne n’est pas oubliée : il l’oublie même si peu qu’il l’utilise ». (E. Gilson, (2003, p. 87) [6]. Citons un simple exemple : l’idée d’une masse matérielle et pécheresse (massa peccati) qui forme un bloc de résistance, était familière aux Manichéens. C’est la raison pour laquelle la polémique qui l’oppose à ses adversaires manichéens (avec Fortunat d’abord en 392, puis douze ans plus tard avec Felix) repose essentiellement sur des malentendus : tous interprètent différemment le mot « mal ». Pour Augustin, seul est pris en compte le mal moral, autrement dit le péché (qui a sa raison d’être dans une défaillance de la volonté). Pour Fortunat et Felix, c’est surtout le mal physique qui fait problème, car il n’est pas nécessairement le châtiment du

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péché ; il apparaît donc comme fondamentalement injuste, surtout si l’on songe à la souffrance imméritée (celle des enfants par exemple).

Il est vrai que la position d’Augustin est assez fluctuante sur ce sujet : ses prises de position varient selon les interlocuteurs qu’il cherche à réfuter. Contre les Manichéens, il a tendance à nier la substantialité du mal qui, à la limite, n’est rien : « Je ne savais pas que le mal n’est que la privation du bien, privation dont le dernier terme est le néant (usque ad quod omnino non est) (Saint Augustin, III, VII, 12) [14]. Mais à l’inverse, quand il critique l’hérésie pélagienne, il insiste exagérément sur la corruption de la nature, consécutive à la gravité du premier péché (on retrouvera ce pessimisme dans la théologie de Luther). Toutefois le péché d’Adam, s’il a détruit l’ordre initial voulu par Dieu, n’a pas perverti l’être humain au point de le priver de l’usage de son libre-arbitre. Depuis son expulsion du jardin d’Eden, l’homme est déchu, certes, mais pas au point de perdre le pouvoir de choisir. Il est donc pleinement responsable du mal commis.

Malgré ses fluctuations, Augustin tient à un point ferme sur lequel il ne transigera jamais : puisque Dieu est parfaitement juste et infiniment aimant, ce n’est pas en lui qu’il faut placer la cause du mal. Il faut donc la chercher ailleurs. Mais où ? C’est une question qui a tourmenté Augustin dès sa jeunesse, et qui explique qu’il se soit converti à la religion manichéenne, pensant y trouver une réponse à ses doutes et la résolution de ses problèmes. Il le dit franchement tout au début du De Libero Arbitrio (1, 2, 4) à Evodius qui lui demande : d’où vient le péché ? Augustin répond :

« Tu soulèves là un problème qui m’a violemment agité dans mon adolescence et qui, de guerre lasse, m’a poussé vers l’hérésie et m’y a précipité ».

Quelques lignes plus loin, il réitère sa question :« Nous croyons que tout ce qui existe vient d’un seul Dieu, et cependant que

Dieu n’est pas l’auteur des péchés ».Platon avait déjà posé le problème, presque dans les mêmes termes toujours

dans le souci d’innocenter Dieu :« Ce qui est bon n’est pas la cause de tout ; il est la cause des biens, il n’est pas

la cause des maux » (Platon, II, 379b) [9].Cela entraîne une conséquence théologique importante : si les désordres de

l’univers sont imputables à une « cause errante » différente de la causalité du Bien, c’est que Dieu n’est pas tout puissant. Il règne en maître absolu dans le monde intelligible, et il abandonne le monde sensible à la Nécessité. Et ce que Platon (VI, 493c) [9] dit quand il parle de la « différence essentielle qui existe entre la Nécessité et le Bien » renvoie à toute la cosmologie du Timée : quels que soient les talents du Démiurge, il ne peut fabriquer qu’un monde imparfait. Platon ne dit pas que la matière est la cause du mal, mais il n’est pas loin de le penser. Car si le Bien est un, la matière est multiple (puisqu’elle est divisible). Et si, par ailleurs, comme le dit Aristote (N, 4, 1091b) [1] « la Multiplicité a pour nature le Mal », comment ne pas en déduire que le monde matériel est intrinsèquement mauvais ?

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C’est à cette conclusion logique qu’aboutirent les Manichéens, mais avant eux, Plotin (VIII, 5) [10] le pensait déjà. Il écrit, en effet :

« Le mal ne consiste pas en un défaut partiel, mais en un défaut complet de bien... Lorsque le défaut du bien est total, comme la matière, nous avons le mal véritable ».

Il y a là un radicalisme qu’il est tentant de rapprocher du dualisme gnostique. C’était la thèse de Hans Jonas (1934, p. 6) [8] et l’on ne peut que donner raison à Simone Pétrement (p. 47) [11] quand elle reprend cette thèse et n’hésite pas à affirmer :

« Les néo-platoniciens n’ont pas voulu être dualistes, mais ils le sont plus qu’ils ne veulent. Plotin combat les gnostiques, mais, comme on l’a souvent remarqué, il est lui-même profondément gnostique. Jonas rattache le néo-platonisme au courant gnostique, et non sans quelque raison ».

Augustin (p. 224) [15], lui, ne partage pas le pessimisme grec auquel il oppose l’optimisme ontologique des premiers chapitres de la Genèse. Il écrit, en effet :

« Il ne faut pas dire non plus que cette matière que les Grecs appellent « hylé » est le mal... Et comme tout bien est par Dieu, il ne faut pas douter que cette matière, si elle existe, n’est que par Dieu ».

Oui, mais cela n’empêche pas Augustin de conserver quelques attaches avec le platonisme, et il lui arrive même parfois de parler le langage du Phédon : car la matière est aussi pour lui ce dont l’âme doit se détourner pour pouvoir contempler les réalités intelligibles. L’optimisme demeure malgré tout, car le mal est, à ses yeux, un concept relatif : il présuppose toujours l’existence d’un bien. Il n’y a donc pas co-existence de deux principes, comme pour les Manichéens, mais apparition d’un mal consécutif à un bien qui est donné d’abord. La douleur, par exemple, suppose un bien – en l’occurrence la santé. Encore faut-il que le mal soit une force positive. S’il n’est qu’une « grandeur négative » (comme aurait dit Kant), on ne voit pas comment il exercerait la moindre action destructrice. N’opposant aucune résistance, il n’y aurait pas lieu de le combattre : on ne lutte pas contre le non-être ! Tout l’enjeu du débat qui met aux prises Augustin et ses adversaires manichéens porte sur la question de savoir si le mal est une réalité positive, une substance ou s’il n’est qu’une absence de bien (comme le silence est absence de son). Cette question se confond avec celle de son origine. Nous savons maintenant qu’il n’est ni créé par Dieu ni produit par la matière. Alors, d’où vient-il ?

*

* *

La réponse de saint Augustin à cette question tient en deux mots : “péché originel”. Toute sa théologie (en particulier le difficile problème des rapports de la nature et de la grâce) s’ordonne autour de ce concept. Augustin fait une lecture plus littérale du récit de la Genèse, ce qui lui permet de disculper Dieu du mal commis : le texte dit

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bien, en effet, que c’est le Serpent qui, le premier, a tenté ève, puis Adam. Dès lors, le mal a fait son entrée dans le monde à partir de cette désobéissance initiale, puis il a été transmis, par voie de génération, à tous les descendants de ce premier couple. Effectivement le récit biblique semble situer la chute originelle au commencement du temps comme si l’on pouvait distinguer ici, en l’absence de repères chronologiques, un avant et un après. On imagine alors un temps vécu dans l’innocence paradisiaque auquel aurait succédé le temps douloureux de notre histoire. Quand on voit le problème de manière aussi naïve, on se heurte à des difficultés insurmontables. Et d’abord, que peut bien signifier un commencement absolu du temps ? Tout commencement est relatif, il n’est qu’un point arbitrairement choisi sur une ligne indéfinie. Par ailleurs, le texte hébreu de la Genèse suggère qu’il y a eu non pas un commencement (Berechit) mais plusieurs : on peut considérer que le monde a été créé une première fois ex nihilo, une seconde fois après le Déluge, une troisième fois après le franchissement de la Mer Rouge, etc. L’histoire biblique ainsi comprise serait une création continuée.

Comme l’a fait justement remarquer Jean Guitton (1971, p. 386) [7] : « on peut dire que le problème du mal et celui du temps ont la même source ». Notre condition temporelle est, en effet, au principe de notre fragilité et de notre déchéance. Qui dit temporalité dit ipso facto vieillissement et mort (ce qu’exprime le mythe du dieu Chronos dévorant ses enfants). L’irréversibilité du temps est une fatalité contre laquelle nous sommes radicalement impuissants. Si nous pouvions, comme Faust, inverser le cours du temps et revivre les jours heureux d’autrefois ! Mais ce désir nostalgique ne fait que rendre plus douloureux le caractère fugitif de l’instant qui passe et plus angoissante l’incertitude de l’avenir. Si le temps est un écart, une « distensio animi » comme dit saint Augustin, on comprend que l’expérience du temps soit si difficile à vivre. On ne saura jamais comment les jours s’écoulaient dans le jardin d’Eden. Mais à quoi bon rêver à ce passé immémorial ? Le Christianisme est une religion prospective, tournée vers l’avenir : le Paradis est devant nous, et non pas derrière, comme un Âge d’Or mythique. Mais comme l’écrivain biblique a voulu nous raconter l’histoire des commencements, il a bien fallu qu’il l’enracine dans une protohistoire. Une fois de plus, sur ce point précis, c’est Simone Weil (1950, p. 70) [20] qui a vu juste. Elle écrit en effet :

« La Genèse sépare création et péché originel à cause des nécessités d’un récit fait en langage humain ».

Il ne pouvait pas en être autrement car toute narration est, par essence, diachronique : elle enchaîne donc une succession d’épisodes, comme s’il s’agissait d’une histoire réelle. Mais le texte biblique, s’il nous égare lorsqu’on le lit sans esprit critique et sans souci exégétique, se révèle au contraire extrêmement fécond au plan symbolique. Le Serpent, on le sait, est une figure du Diable – celui que l’Écriture appelle le « Père du mensonge », « Homicide dès l’origine » (Jean, 8, 44). Le Diable ne sait que tromper et induire en erreur. Son discours consiste à

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faire croire que la créature pourra dépasser sa finitude (« Vous serez comme des dieux ») et à éveiller une convoitise illimitée – ce que P. Ricœur (1960, p. 238) [13] appelle « le mauvais infini du désir humain, le toujours autre, le toujours plus ». C’est la pleonexia platonicienne, ou la cupiditas « omnium malorum radix » dont parle saint Augustin. Toute l’astuce du Serpent consiste à faire miroiter aux yeux fascinés de la Femme des perspectives merveilleuses (d’où le symbole du fruit de l’arbre qui apparaît soudain « bon à manger, appétissant d’aspect, et précieux pour ouvrir l’intelligence ». Le Serpent pousse même le cynisme jusqu’à promettre l’immortalité (Genèse 3, 4) à des créatures qui, par nature, sont destinées à disparaître un jour. Il joue donc sur deux tableaux : il suscite un appétit sensuel (en l’occurrence la gourmandise) tout en flattant l’orgueil, qui est oubli de la finitude : à partir du moment où l’être humain aura cueilli le fruit de l’arbre de la connaissance, il sera en possession d’une science quasi-divine. Le Diable ne peut user que d’un double langage parce que le mal est, par essence, duplicité. De là les ruses, les mensonges, et tous les artifices par lesquels les hommes essayent de se duper les uns les autres. Le premier couple était uni (« Celle-ci est l’os de mes os et la chair de ma chair »). A partir du moment où le Serpent entre en scène, une faille commence à se dessiner, la suspicion vient perturber la confiance mutuelle qui existait au départ ; chacun cherche à se disculper sur l’autre : Adam fait retomber la responsabilité de la faute sur sa femme et celle-ci, sur le Diable : « le Serpent m’a séduite ».

Or, la séduction peut être assez forte pour annihiler le libre-arbitre. Si tel est le cas, ève serait plus victime que coupable. Elle a été envoûtée, ensorcelée par la parole du Serpent au point d’être irrésistiblement attirée par l’objet de son désir. Ce n’est donc pas elle qui a pris l’initiative de désobéir. Mais elle s’est laissée entraîner sur une pente fatale à laquelle elle n’a pas eu la force de résister. C’est donc sa faiblesse qu’il faudrait incriminer et non sa volonté délibérée de se rebeller contre son Créateur ; le discours du Serpent a exercé sur elle un charme tel que son esprit s’est obscurci : ayant perdu sa capacité de jugement, elle n’a pas su discerner le bien du mal.

Or c’est précisément pour éviter pareille confusion que Dieu fixe une limite: « Tu peux manger du fruit de tous les arbres du jardin ; mais le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas » (Genèse, 2, 26). Une limite est une séparation. Le travail du Créateur consiste à assigner à chaque être sa place et son rang dans un cosmos ordonné. Il sépare donc la lumière et l’obscurité, puis la mer et la terre, et il interdit aux espèces vivantes de se mélanger. Mais si Dieu sépare, le Diable divise, c’est-à-dire isole, enfermant chacun dans la prison de sa subjectivité, et la « sécession des consciences » (pour reprendre une expression de Nabert) rend impossible l’amour. L’enfer, ce n’est pas les autres, c’est la rupture des attaches et donc le repliement sur soi :

« Je suis au fond de sa faveurCette inimitable saveur

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Que tu ne trouves qu’à toi-même ! » [19]Imaginer un esprit malfaisant, caché derrière le rideau des phénomènes, qui

prendrait un plaisir sadique à tourmenter l’humanité, un peu à la façon du « Malin génie » dont parle Descartes, c’est reculer le problème, ce n’est pas le résoudre. Tout se passe comme s’il y avait une sorte d’antécédence du mal à lui-même. Comme dans le cas de la création du temps, il est impossible de s’arrêter ici à un premier terme : aussi loin qu’on remonte dans le passé, on se heurte toujours à l’énigme du mal « déjà là » – comme le dit, à maintes reprises, P. Ricœur. Car enfin, le Diable lui-même a une histoire, et l’on ne peut pas s’empêcher de poser la question : pourquoi aurait-il chuté ? Est-ce que lui aussi aurait, comme ève, écouté avec complaisance les propos fallacieux d’un autre Tentateur (mais lequel ?) ? On est engagé ici dans une sorte de regressio ad infinitum comme lorsqu’on remonte la série des causes sans pouvoir trouver enfin une cause première. Pour couper court à cette recherche sans fin, Augustin (II, 42) [16] répondait à ses adversaires manichéens, qui lui demandaient : qui a fait le Diable ? par un argument qui est un aveu d’ignorance : « il s’est fait lui-même Diable » (« Iterum dicunt : Quis fecit diaolum ? Se ipse ; non enim natura, sed peccando diabolus factus est »).

Cette réponse a le mérite de clore la discussion, mais elle n’assigne pas vraiment au mal une origine. Donc la question rebondit : pourquoi une créature innocente, comme était Lucifer dans le chœur des anges, se serait-elle détournée de Dieu de son plein gré pour faire son propre malheur ? Peut-on ainsi se damner volontairement ? Augustin raisonne comme si Lucifer était doué d’un libre-arbitre dont il aurait fait mauvais usage. Exactement comme Adam, qui avait été créé libre, et qui a choisi de pécher. Mais le cas de Lucifer est plus grave. Car il voyait Dieu, dans la lumière de l’évidence. Il savait parfaitement que son Créateur était le Souverain Bien et la source de son bonheur, et pourtant il a dit non. Il a refusé la plénitude de l’Être et il a opté délibérément pour le Néant. On pense au mot de Mephisto dans Goethe : « Ich bin der Geist, der stets verneint », « Je suis l’esprit qui toujours nie ». Est-il possible de s’installer ainsi définitivement dans la négation ? Un homme peut se tromper dans ses choix, car le discernement des valeurs n’est pas toujours aisé, et dans cette mesure, ses erreurs sont excusables. Mais Satan percevait clairement et distinctement où était le vrai Bien, mais cela ne l’a pas empêché de s’en éloigner et de se précipiter volontairement dans l’abîme. Décision absurde, insensée. Décision aussi inexplicable que le clinamen d’Epicure, parce que totalement immotivée. Ce n’est pas tout. Si l’on dit que Satan a choisi le mal, on sous-entend qu’il n’en est pas l’auteur, et donc on présuppose une entité (mauvaise) préexistante. Nous butons à nouveau sur l’énigme du mal « déjà là », et nous tournons en vain dans le même cercle. Les religions dualistes étaient très conscientes de ces difficultés, et c’est pour les résoudre qu’elles ont renoncé à chercher une origine du mal (dans le temps ou hors du temps ?). Plutôt que de s’égarer dans de vaines recherches, elles ont décidé, contrairement à l’enseignement de l’Écriture, que le mal existait de toute éternité, qu’il n’était

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donc pas quelque chose d’accidentel et de contingent, mais qu’il possédait une nécessité métaphysique. Ainsi Dieu se trouvait confronté à une puissance hostile, aussi forte que lui. Il ne règne pas en maître absolu sur la création. Le ciel lui appartient, mais la terre échappe à son pouvoir, car elle est le domaine de Satan. D’où l’idée – ou plutôt l’image – d’un combat mythique entre deux Royaumes, celui de la Lumière et celui des Ténèbres, dont l’enjeu est le salut ou la perdition de notre espèce. Certes, toute cette dramaturgie n’est pas biblique ; et pourtant les penseurs manichéens ou cathares n’avaient pas tort de soutenir que leurs thèses n’étaient pas en contradiction avec certains textes du Nouveau Testament. L’opposition de la Lumière et des Ténèbres apparaît dès le Prologue de l’Évangile de Jean. Et dans ce même Évangile (chap. 14, v. 30), Satan est clairement désigné comme « le Prince de ce monde ». Il réapparaît dans l’Apocalypse sous la figure mythique de la Bête, ou du Dragon contre lequel partent en guerre Michel et ses anges, afin de le terrasser pour toujours. Ce qui semble prouver que toute religion est dualiste en son fond.

La théologie manichéenne est complexe, et son étude est difficile en raison de la rareté des textes. On la réduit souvent à un dualisme nettement tranché, et sans compromis possible, entre deux substances antagonistes. C’est effectivement un point essentiel de la doctrine, mais ce n’est pas le seul. Aussi importante, mais beaucoup moins connue, est la théorie dite des « trois temps » qui sont les phases au cours desquelles les deux principes déroulent leur drame. Les deux principes sont d’abord séparés (Premier temps ou temps antérieur), puis ils sont mélangés (Deuxième temps ou temps médian) pour être, dans une phase ultime, à nouveau disjoints (Troisième temps ou temps final). Le temps ainsi décrit ne ressemble en rien à celui d’une attente messianique. Il n’est pas orienté vers un salut du monde, comme dans l’eschatologie biblique. Il est cyclique puisque la phase finale ne fait que restaurer le statu quo ante. Voyons tout ceci plus en détail en nous aidant d’un texte qui résume l’essentiel de ce que l’on pourrait appeler le Credo manichéen, extrait d’un traité retrouvé en Chine [4] :

« D’abord (il faut) discerner les deux principes.« Celui qui demande à entrer en religion doit savoir que les deux principes de

la lumière et de l’obscurité ont des natures absolument distinctes : s’il ne discerne pas cela, comment (pourrait-il) mettre en pratique (la doctrine) ?

« Ensuite (il faut) comprendre les trois moments (qui sont) :Le moment antérieurLe moment médianLe moment postérieur« Dans le moment antérieur, il n’y a pas encore les cieux et les terres ; il existe

seulement, à part l’une de l’autre, la lumière et l’obscurité ; la nature de la lumière est la sagesse ; la nature de l’obscurité est la sottise ; dans tout leur mouvement et dans tout leur repos, il n’est aucun cas où ces deux principes ne s’opposent.

Dans le moment médian, l’obscurité a envahi la lumière ; elle se donne libre

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carrière pour la chasser ; la clarté vient et entre dans l’obscurité, et s’emploie tout entière pour la repousser.

Dans le moment postérieur, l’instruction et la conversion sont achevées ; le vrai et le faux sont retournés chacun à sa racine ; la lumière est retournée à la grande lumière ; l’obscurité, de son côté, est retournée à l’obscurité amassée. Les deux principes sont reconstitués ; tous deux se sont restitué ce qu’ils se tenaient l’un de l’autre ».

Le mal existe à l’état pur dans le temps antérieur. A ce stade, il est inoffensif : tant qu’il est relégué à l’extérieur du monde, il ne peut pas vraiment nous nuire. Il n’exercera ses ravages que dans le temps médian (qui correspond à notre histoire humaine) lorsque l’armée des Archontes passera à l’offensive et commencera à envahir la terre. A une période de séparation va succéder celle d’un mélange, où les puissances adverses seront confondues, comme deux armées dans la mêlée d’une bataille. Ici encore, nous pouvons citer Simone Pétrement (p. 105) [11] :

« Mani assurément décrit comme mauvais le monde des Ténèbres (terra pestifera), tandis que sa Terre de Lumière (terra lucida) est bonne. Mais on voit pourtant que le mal, pour Mani et pour les manichéens, n’est pas tant qu’il y ait des Ténèbres (il y en aura toujours), mais que les Ténèbres s’emparent de la Lumière et la tiennent en esclavage ; comme pour Platon, le mal n’est pas qu’il y ait des passions, mais que ces passions enchaînent la raison et la fassent travailler pour elle ».

Derrière l’exubérance des images qui caractérise leur mythologie, les Manichéens ont eu une intuition très juste : c’est que le mal est de nature agressive. Il ignore la juste mesure. Il faut qu’il aille toujours plus loin dans la ruine et la dévastation et augmente sans cesse le nombre de ses victimes. Il est donc naturellement expansif, cherchant toujours à annexer de nouveaux territoires, tel un conquérant que rien n’arrête dans son ambition. Pour caractériser cette démesure, inhérente à la nature du mal, Philippe Némo, dans son livre sur Job, a utilisé le terme « d’excès ». Le mot est bien choisi, car le mal est toujours excessif. Il déjoue les ruses de notre savoir-faire qui ne parvient jamais à l’endiguer ni à la maîtriser complètement. Comparable en cela à l’hydre de Lerne dont les têtes coupées repoussaient toujours, il renaît sans cesse quand on croit l’avoir extirpé.

Comme Platon l’a vu, le bien est toujours du côté du « péras », de la limite, tandis que le mal s’apparente à l’« apeiron », c’est pourquoi il est sans forme, sans visage. Il y a en lui de l’illimité, comme dans les supplices infernaux des Grecs – la roue d’Ixion, le rocher de Sisyphe, le tonneau des Danaïdes – qui ne finissent jamais.

Et que fait donc le Dieu Très-Haut pour arrêter ce déferlement ? L’objection est classique. C’est même le principal argument utilisé par l’athéisme pour nier l’existence du Créateur. Si Dieu est au principe de toutes choses et si nous sommes ses enfants, il ne peut pas rester indifférent à la souffrance du monde. Posé en ces termes, l’argument est irréfutable. Mais les prémisses du raisonnement

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sont erronées. Elles postulent que la Création est une manifestation de puissance, alors que c’est le contraire qui est vrai : « En créant, Dieu renonce à être tout. La Création est renoncement par amour » (S. Weil, p. 148) [21]. Exactement comme la mort sur la Croix. Simone Weil sait très bien qu’en parlant de la sorte, elle rejoint la pensée des Manichéens. Dans une lettre à Déodat Roché, datée du 23 janvier 1941 et publiée ensuite dans les Cahiers d’études cathares [3], (S. Weil, 1962, p. 65) [22] elle écrit en effet :

« Il y a chez les manichéens quelque chose de plus que dans l’antiquité, du moins l’antiquité connue de nous, quelques conceptions splendides, telles que la divinité descendant parmi les hommes, et l’esprit déchiré, dispersé parmi la matière ».

Pour comprendre ce texte, il faut savoir que les Manichéens considéraient le temps médian comme un long chemin de croix. Jésus, qui se confond ici avec la totalité de l’humanité souffrante (Jesus Patibilis) est en agonie jusqu’à la fin du monde. Comprenons bien le sens de cette crucifixion : elle n’est pas un événement historique qui aurait une valeur rédemptrice. Les Manichéens, comme tous les gnostiques, sont docètes dans leur christologie. Le Jésus historique n’a été qu’un avatar du Père, et sa Passion, telle que la relatent les Évangiles, n’a pas vraiment eu lieu ; elle a été seulement simulée. La véritable Passion est un drame cosmique : c’est l’univers entier qui est cloué sur la « Croix de Lumière ». Dans sa profession de foi, l’évêque Faustus proclame (Contra Faustum, XX, 2) :

« Nous croyons... que la terre, fécondée par les forces et l’effusion spirituelle de l’Esprit-Saint, conçoit et engendre Jésus sujet à la souffrance (Jesus Patibilis), suspendu à tout bois, qui est la Vie et le Salut des hommes ».

Et, pour sa part, le Manichéen romain Secundinus écrivait :« Tu vois le Sauveur crucifié dans le monde entier et dans chaque âme ».François Decret (p. 83) [5], qui cite ces textes, les commente en ces termes :« C’est parce que le Jesus Patibilis est écartelé sur l’univers, où il ne cesse de

subir à chaque instant l’emprise ignominieuse du Mal, que les fidèles s’abstiennent de toute violence sur la nature, Croix de Lumière ».

Certes, la Matière est en soi mauvaise (c’est pourquoi l’Incarnation est impossible) mais elle contient néanmoins des parcelles de divinité sous forme d’étincelles lumineuses disséminées un peu partout dans la nature (surtout dans les végétaux !). Pour les libérer de leur captivité et leur permettre de réintégrer la totalité de la Substance divine, il suffit de se nourrir de fruits et de légumes. Par une mystérieuse alchimie purificatrice, cette part de divinité enfermée dans les aliments rejoindra immédiatement la Terre de Lumière qui est sa patrie d’origine. Il y a donc une sorte de panthéisme latent dans cette conception d’une divinité immanente à la végétation, même s’il faut rester très prudent dans l’utilisation de ce terme, qui se concilie mal avec le dualisme. On peut même se risquer à parler d’un certain matérialisme théologique dans la mesure où les Manichéens ne distinguent pas nettement entre la lumière intelligible et la lumière sensible. Saint

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Augustin a mis du temps à se libérer de ce matérialisme. Il a fallu la lecture de Plotin pour lui ouvrir les yeux. Avant cette découverte, il considérait Dieu comme un corps subtil et resplendissant (cf. 111, 7, 12 [14] : « Je ne savais pas que Dieu est esprit »).

Une fois converti au catholicisme, il devient intransigeant et sarcastique. Il critique les mœurs alimentaires des Manichéens, qu’il juge superstitieuses et ridicules. Il raille sans la moindre charité (lui qui a tant parlé de l’amour !) leur conception du Salut « par la dent et l’estomac » (111, 10, 18) [14]. Et surtout, il s’insurge contre des conceptions aussi grossières de la divinité : des parties de la Substance divine égarées dans la nature, quel non-sens théologique ! C’est oublier d’abord, ce que tout philosophe sait bien, qu’une substance est une monade indivisible : elle ne peut donc pas avoir des parties. C’est rabaisser d’autre part le Dieu transcendant et un que de le mélanger avec la matière. Mais le grief principal que saint Augustin adresse aux Manichéens est leur négation du libre-arbitre : erreur grave à ses yeux, car elle remet en question tout l’édifice conceptuel qu’Augustin a construit sur la base du péché originel.

Si, par hypothèse, un tel péché existait, il ne faudrait pas en chercher la cause dans un mauvais choix initial. Car il y a en nous une puissance mauvaise qui nous détermine à notre insu et qui enchaîne notre liberté. On peut, à la rigueur, continuer à parler de péché, à condition de préciser qu’il est et sera toujours involontaire. Car « ce n’est pas moi qui pèche, mais un autre, quelqu’un ou quelque chose qui n’est pas moi » (Puech. 1979, p. 171) [12]. On n’est pas très loin du concept luthérien de serf arbitre. Augustin réagit vigoureusement contre ce déterminisme en affirmant l’autonomie du libre-arbitre. D’une part, la notion lui paraît exigée par la raison ; d’autre part, elle est attestée par l’Écriture : « Revelavit autem per Scripturas suas sanctas, esse in homine liberum volontatis arbitrium » (Augustin, II, 2) [17]. Aucune nécessité, par conséquent, ne m’oblige à pécher : tout homme demeure entièrement responsable de ses actes et le péché originel n’est pas notre fait : nous le subissons comme un lourd atavisme, comme une tare héréditaire ; et cela, Augustin le savait bien car il connaissait les Écritures :

« Voici, je suis né dans l’iniquité,Et ma mère m’a conçu dans le péché » (Psaume 50).Me voici donc accablé – et ceci, dès ma naissance – sous le poids d’un mal

que je n’ai pas choisi. Où est donc ma responsabilité ? Si je pèche, c’est toujours malgré moi. Saint Augustin en avait fait la douloureuse expérience. Lorsqu’il évoque les désordres de sa jeunesse, c’est pour reconnaître qu’il a été dominé par des passions plus fortes que lui (VIII, 5, 10) [14] :

« L’ennemi tenait en main mon vouloir (Velle meum tenebat inimicus), et il en avait forgé une chaîne qui lui servait à me lier. Car c’est la volonté perverse qui crée la passion, c’est l’assujettissement à la passion qui crée l’habitude, et c’est la non-résistance à l’habitude qui crée la nécessité ».

En quoi cet « ennemi » invisible diffère-t-il du Démon dont parlent les

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Manichéens ? En tout cas, ce qu’il écrit ici, dans ce passage des Confessions, paraît difficilement conciliable avec la thèse soutenue dans le De Libero Arbitrio, où la volonté libre apparaît comme une faculté souveraine.

On trouve déjà dans les épîtres de Paul la dialectique augustinienne de la nature et de la grâce qui, comme on sait, alimentera au xviie siècle les grandes controverses théologiques occasionnées par le Jansénisme. Paul a vécu cette dialectique comme un combat entre la chair et l’esprit. Augustin (VIII, 5, 10) [14] parlait d’un conflit interne à la volonté :

« Ainsi deux volontés, l’une ancienne, l’autre nouvelle, l’une charnelle, l’autre spirituelle, étaient aux prises, et leur rivalité me déchirait l’âme ».

Sans doute s’est-il souvenu des textes dans lesquels Paul dit que le « vieil homme » est ce qui fait obstacle à la croissance de « l’homme nouveau ». Par l’emploi de ces métaphores, Paul voulait signifier la présence en nous d’un « mal radical » qu’on ne pouvait vaincre sans le secours de la grâce. Ce pessimisme est peut-être d’origine gnostique. En tous cas, Mani n’avait pas tort de se réclamer de saint Paul car, comme lui, il croyait à l’existence d’un « mystère d’iniquité » plus vieux que toutes nos faiblesses et contre lequel nous n’avons pas d’autre arme que la foi.

Les Manichéens ont bien vu que le Mal pouvait atteindre aux limites de l’indicible. Leur erreur est de l’avoir hypostasié, d’en avoir fait une substance. En face d’elle, nous le savons, il y a le Bien qui est, lui aussi, une substance. Deux substances, cela ne veut pas dire deux Dieux. « Les dualistes, en matière de religion, sont généralement des monothéistes » (Simone Pétrement). Mais alors, quel est le statut de ces substances ? Sont-elles créées ou incréées ? La substance du Bien est-elle identique à l’être divin ? La substance du Mal est-elle réductible à la Matière ? Mais dans ce cas, l’équilibre ontologique est rompu, puisque Dieu est éternel tandis que la Matière est périssable. D’ailleurs, ce déséquilibre est attesté par le fait qu’en définitive, ce sont les forces du Bien qui triomphent puisque, nous l’avons vu, à la fin des temps, le Royaume de Lumière sera restitué dans son intégrité. Exactement comme dans l’eschatologie biblique car ce qu’annonce le visionnaire de Patmos dans son Apocalypse, c’est la défaite définitive de Satan. D’autres difficultés surgissent : comment peut-on penser la co-existence de ces deux substances ? Sont-elles finies ou infinies ? Si elles sont finies, elles sont créées, et l’on fait de Dieu l’auteur du Mal. Si elles sont infinies, comment peuvent-elles se limiter réciproquement ? Il y en a donc une de trop. Spinoza a bien montré qu’une substance infinie ne pouvait être qu’unique. Toutes ces difficultés disparaissent dans l’Augustinisme puisque le mal est dé-substantialisé : il y a une bonté intrinsèque des choses et le mal, ontologiquement, n’est rien. Il n’est qu’une absence, « une lacune dans le tissu de l’être » (H.I. Marrou). Nous sommes bien là dans le droit fil de la polémique anti-manichéenne. Mais dans certains textes, saint Augustin est moins catégorique dans la mesure où il semble reconnaître une certaine réalité au mal. Par exemple dans celui-ci (3, 11 – 4, 12) [18] :

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« Tout être est bon, et il n’y aurait pas de chose mauvaise si cette chose mauvaise elle-même n’était pas un être ».

Comment pourrait-il en être autrement ? Même dans le Manichéisme, le Mal n’a pas d’indépendance absolue. Tout dualisme implique l’existence de termes séparés. Mais l’idée même de séparation présuppose celle d’une jonction préalable. S’ils étaient totalement étrangers l’un à l’autre, chacun isolé dans sa sphère, les termes ne pourraient pas être mis en rapport. Dire que le mal est un moindre-être, c’est encore le référer à l’être, et donc lui accorder un minimum de consistance ontologique. Dans le platonisme, par exemple, on ne peut parler du monde intelligible qu’en l’opposant au monde sensible. Les deux mondes restent solidaires grâce au concept de participation. On peut même faire remarquer, au passage, que le dualisme platonicien va en s’atténuant avec le temps, puisqu’on trouve, dans les derniers dialogues, de l’intelligible dans le sensible (dans le Timée) et inversement, du sensible dans l’intelligible (dans le Sophiste).

Augustin ne peut donc pas s’en tenir à la thèse de la non-substantialité du mal. C’est pourquoi on trouve chez lui la thèse opposée, celle de la substantialité du péché, ce qui apparente Augustin à ses adversaires gnostiques, comme l’a bien vu P. Ricœur :

« Foncièrement anti-gnostique, la théologie du mal s’est laissé entraîner sur le terrain de la gnose et a ainsi élaboré une conceptualisation comparable à la sienne ».

Les Parfaits cathares, on le sait, ont été victimes de l’intolérance catholique. Toute l’Occitanie médiévale a été impitoyablement ravagée par Simon de Montfort et ses troupes. Mais indirectement, saint Augustin porte une lourde part de responsabilité dans cette Croisade. Les Inquisiteurs pouvaient, en effet, se réclamer de son autorité. Il leur suffisait de lire la Lettre 133 écrite au Commissaire impérial Marcellinus, chargé de la répression des Donatistes. Ils y auraient trouvé la justification de leurs méthodes. Dans ce texte et dans d’autres, Augustin n’hésite pas à préconiser l’usage de la force contre ceux qui se sont égarés dans l’erreur afin de les remettre sur le chemin de la vraie foi. La théorie de l’appel au bras séculier est déjà mise en place : il suffira de la mettre en pratique. C’est ce que feront, avec beaucoup d’efficacité, les tribunaux ecclésiastiques chargés de la condamnation des hérétiques. Ce que saint Augustin ne supporte pas, c’est qu’on puisse penser autrement. Il n’a pas dit : « Hors de l’Église, point de salut », mais il l’a pensé, si l’on en juge par le ton d’intransigeance dogmatique qui est le sien lorsqu’il s’adresse à ceux qu’il appelle des « enfants perdus ». Ce terme regroupe tous ceux contre lesquels il n’a jamais cessé de polémiquer : les Manichéens (« pestilentissima haeresis »), mais aussi les Juifs, les Païens, les Pélagiens, les Donatistes : tous sont exclus de la communion catholique et, comme tels, voués à la damnation. Augustin est donc « manichéen » à sa manière, si l’on réduit le Manichéisme à la coexistence de deux absolus inconciliables. Car pour lui, le monde se divise en deux : il y a la Vérité d’un côté, et l’erreur de l’autre, et

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entre les deux, il n’y a pas de milieu. Il faut donc convertir les hérétiques, par la persuasion, si possible, sinon par le glaive. Ce qui est contraire à la non-violence évangélique. Saint Augustin a élaboré, dans un contexte historique précis, une idéologie qui a pesé très lourd sur quinze siècles de Christianisme. Grâce au concept de péché originel, l’Église a pu développer, principalement au Moyen-Age, les germes de totalitarisme potentiellement présents dans l’ecclésiologie augustinienne. Elle disposait d’un outil conceptuel qui lui a permis d’exercer un pouvoir sur les consciences en les menaçant des peines infernales en cas de désobéissance. Ainsi l’Église et l’État pouvaient-ils veiller ensemble au maintien de la paix civile. Autrement dit, un système clérical a été mis en place et a fonctionné avec ses tribunaux, ses prisons et ses bûchers, comme une puissance temporelle. Cela aussi contredit l’Évangile. Le Christ a nettement séparé les pouvoirs (« Rendez à César... »). Et les prophètes, avant lui, avaient eu le courage de dénoncer les injustices commises par les rois d’Israël. Leur langage n’était pas celui de la flatterie mais de la contestation. La damnation des enfants morts sans baptême est, elle aussi, une autre trahison de l’Évangile. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire l’épisode sur Jésus et les enfants, en saint Marc (10, 13-17). Jésus ne demande pas quels sont ceux qui se sont préalablement purifiés dans les eaux du Jourdain. Non. Le rite est sans importance, à ses yeux. Le Christ ne fait pas de discrimination. Il accueille tout le monde.

D’une manière générale, c’est toute la conceptualisation augustinienne qui serait à repenser et à reformuler différemment. Certains l’ont fait, par exemple Marie Balmary (1999, p. 175, sq.) [2]. En relisant les textes de près, elle a constaté que la théorie augustinienne du péché originel, telle qu’elle a été transmise par la tradition, n’avait pas de fondement scripturaire. Son argumentation repose sur le fait que le mot « faute » n’apparaît pas dans le récit de la chute. On ne le trouve qu’en Genèse 4, donc à propos du crime de Caïn. Ce qui sous-entend que le premier péché ne serait pas la désobéissance d’Adam mais le meurtre d’Abel.

Le problème des valeurs éthiques se déplace : il passe de l’ontologie à l’axiologie. Dès lors, les critères sont clairs : est bien tout ce qui permet à l’être humain de vivre, de grandir et de s’épanouir. Est mal, au contraire, tout ce qui le réduit au rang d’objet et le considère comme une vulgaire marchandise (comme dans l’esclavage et la prostitution). On retrouve ici la distinction kantienne entre les choses qui ont un prix et les personnes qui ont une dignité.

Michel SOURISSE11 rue Joseph Court

76000 Rouen

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BiBLiographie

1. ARISTOTE. Métaphysique.2. BALMARy M. (1999) Abel ou la traversée de l’Eden. Paris : Grasset.3. Cahiers d’études cathares (1949), 2.4. CHAVANNES E. et PELLIOT P. (1913) traduction et annotations de -, in Journal

asiatique, janv.-avril ; cité par Tresmontant C. (1961, p. 293) La métaphysique du Christianisme et la naissance de la philosophie chrétienne. Paris : Seuil.

5. DECRET F. (1974) Mani et la tradition manichéenne. Paris : Seuil.6. GILSON E. (2003) Introduction à l’étude de saint Augustin. Paris : Vrin.7. GUITTON J. (1971) Le Temps et l’Éternité chez Plotin et saint Augustin. Paris : Vrin.8. JONAS H. (1934) Gnosis und spätantiker. Goettingue.9. PLATON. La République.10. PLOTIN. Ennéades 1.11. PÉTREMENT S. (1950) Le dualisme dans l’histoire de la philosophie et des religions.

Paris : Gallimard. 2ème édition. Et (1947) Le dualisme chez Platon, les Gnostiques et les Manichéens. Paris : P.U.F.

12. PUECH H.C. (1979) Sur le Manichéisme et autres essais. Paris : Flammarion.13. RICŒUR P. (1960). La symbolique du mal in Philosophie de la Volonté, Tome II

Finitude et culpabilité. Paris : Aubier Montaigne.14. SAINT AUGUSTIN. (1950) Confessions. (2 vol.) Trad. Pierre de Labriole. Paris,

Société d’édition Les Belles Lettres (Guillaume Budé).15. SAINT AUGUSTIN. (2002) La nature du bien contre les Manichéens, in Œuvres, III.

Paris : Gallimard, Pléiade.16. SAINT AUGUSTIN. De Gen. contra Manich.17. SAINT AUGUSTIN. (1952) De gratia et libero arbitrio. In Dialogues philosophiques Tome

III Paris : Desclée de Brouwer.18. SAINT AUGUSTIN. Enchiridion.19. VALÉRy P. « Ébauche d’un serpent ».20. WEIL S. (1950). Connaissance surnaturelle. Paris : Gallimard.21. WEIL S. Intuitions pré-chrétiennes.22. WEIL S. (1962) Pensées sans ordre concernant l’amour de Dieu. Paris : Gallimard.

BiBLiographie CoMpLÉMeNTaire :

SAINT-AUGUSTIN : (1952) Dialogues Philosophiques Tome II : Soliloques, De Immortalitate animae. De quantitate animae.

(1988) Homélies sur l’Évangile de saint Jean (XVII-XXXIII) in Études augustiniennes (9ème série).

BROWN P. (2001) La vie de Saint Augustin. Paris : Le Seuil.NEMO P. (1999) Job et l’excès du mal (postface d’Emmanuel Lévinas). Paris : Albin

Michel.

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la poléMique anti-Manichéenne

Michel Sourisse – Saint Augustin et le problème du mal

Résumé : Le mal existe mais, ontologiquement, il n’est rien. Il n’est pas créé car, en s’appuyant sur le récit biblique de la Création, Augustin nous dit que Dieu ne produit que du bien. Il n’est pas non plus incréé, comme le pensent les Manichéens, car alors la volonté divine serait limitée dans sa puissance. D’où peut-il donc provenir ? D’une défaillance du vouloir, répond Augustin. D’où sa théorie d’une faute commise par le premier Homme et transmise par voie de génération à tous ses descendants. Mais le réalisme du péché semble contredire la thèse d’une non-substantialité du mal, en sorte qu’Augustin retombe, à son insu sans doute, dans une sorte de « quasi-gnose. »Mots-clés : Manichéisme – Gnose – Dualisme – Libre arbitre – Substance – Ontologie – Axiologie.

Michel Sourisse – Saint Augustine and the problem of evil

Summary : Evil exists but ontologically, it is nothing. It has not been created because supporting his argument on the biblical tale of the Creation, Augustine tells us that God only produces good. It is not uncreated either, as the Manicheans think, because then, the divine will would be limited in its power. So, where could it come from ? From a failure of intent, answers Augustine. That is the origin of his theory of a sin committed by the first man and transmitted to his descendants throughout the generations. But the realism of sin seems to contradict the thesis of the non-substantiality of evil, therefore Augustine falls back, probably without realizing it, into a kind of “quasi-gnosis”.Key-words : Manichaeism – Gnosis – Dualism – Free Will – Substance – Ontology – Axiology.

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NoTeS sur les mots-clés :

Manichéisme : Doctrine religieuse qui tire son nom de son fondateur Mani (né en Babylonie en Avril 216, mort vers 277). Mani se présentait comme le prophète d’une religion nouvelle, inspirée à la fois du gnosticisme judéo-chrétien et du zoroastrisme iranien. Répandu après la mort de son fondateur, de la Chine à l’Afrique du Nord, le Manichéisme sera persécuté pendant dix siècles.

Gnose : Hérésie chrétienne qui se caractérise par le rejet des Écritures juives. Comme Marcion, les Gnostiques (et, après eux, les Manichéens) considèrent que le Dieu violent de l’Ancien Testament n’est pas le vrai Dieu. Le monde matériel est radicalement mauvais car il a été fait par un Esprit du Mal qui préexiste de toute éternité. Il faut s’en détacher par une ascèse rigoureuse pour parvenir à l’illumination et au Salut (Gnose = Connaissance).

Dualisme : Ce terme évoque l’idée d’une séparation absolue entre deux domaines totalement étrangers l’un à l’autre et sans communication possible (La Lumière et les Ténèbres dans l’Évangile de Jean et dans la Gnose.)

Libre arbitre : C’est la volonté qui a le pouvoir de se décider par des raisons bien pesées (libra = la balance). Saint-Augustin prend bien soin de distinguer entre libre-arbitre et liberté. « Si la volonté reste toujours libre, au sens de libre arbitre, elle n’est pas toujours bonne et n’est par conséquent par toujours libre, au sens de liberté » (Gilson).

Substance : Littéralement, ce qui se tient sous (sub-stare). C’est l’être en soi des choses, ce qui les maintient identiques à elles-mêmes malgré les changements apparents.

Ontologie : C’est cette partie de la philosophie qui s’interroge sur l’être des choses, plus précisément sur la contingence de cet être. « Pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas rien ? » (Leibniz)

Axiologie : C’est cette partie de la philosophie qui pose la question du fondement des valeurs morales ou esthétiques. Du point de vue de l’histoire des idées, l’axiologie n’a été possible qu’à partir de la Critique kantienne, qui a bien distingué le plan de l’être (Sein) et du devoir-être (Sollen). La valeur en effet, n’est pas empiriquement donnée. Elle est vécue comme une exigence.

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