Quand on refuse on dit non - Kourouma, Ahmadou.pdf

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    DU MME AUTEUR

    AUX MMES DITIONSLes Soleils des indpendances

    roman, 1970

    et Points , n P166

    prix de la Francit

    prix de la Tour-Landry de lAcadmie franaiseprix de lAcadmie royale de Belgique

    Monn, outrages et dfisroman, 1990

    et Points , n P556

    prix des Nouveaux Droits de lhommeprix CIRTEF

    Grand Prix de lAfrique noire

    En attendant le vote des btes sauvagesroman, 1998

    et Points , n P762

    Grand Prix de la Socit des gens de lettres

    prix Tropiques

    Livre Inter 1999

    Allah nest pas obligroman, 2000

    et Points , n P940prix Renaudot

    prix Goncourt des lycens

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    prix Amerigo Vespucci / Saint-Di-des-Vosges

    AUX DITIONS ACORIA

    Le Diseur de vrit

    thtre, 1998

    AUX DITIONS GALLIMARD-JEUNESSE

    Yacouba, le chasseur africainroman, 1998

    AUX DITIONS GRANDIRLe Chasseur, hros africain

    1999

    Le Griot, homme de paroles1999

    TEXTE INTGRALISBN: 2-02-068022

    DITIONS DU SEUIL, SEPTEMBRE2004www.seuil.com

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    Aux courtisans bahis dontaucun ne croyait que la menace

    serait mise excution, Djigui

    lana la fameuse parolesamorienne : Quand un hommerefuse, il dit non , et joignantlacte la parole, il commanda

    quon harnacht incontinent soncoursier.

    Ahmadou Kourouma,Monn, outrages et dfis

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    Table des matires

    Chapitre I

    Chapitre II

    Chapitre III

    ote sur la prsente dition

    Supplment au voyage de Birahima

    Synopsis

    FRAGMENT 1 - Arrive Bouak

    FRAGMENT 2 - La rbellion du Grand Ouest

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    Quand on refuse on dit non

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    I

    Le singe qui sest chapp en abandonnant le boutde sa queue dans la gueule du chien na pas danslchappe la mme allure que les autres de la bande.

    Quand jai su que la guerre tribale avait atterri enCte-dIvoire (La Rpublique de Cte-dIvoire est untat de la cte occidentale de lAfrique. Elle est commetoutes les rpubliques foutues de cette zone,dmocratique dans quelques domaines mais pourrieusquaux os par la corruption dans tous les autres.)

    Quand jai su que la guerre tribale y tait arrive,

    ai tout laiss tomber et je suis all au maquis (bar malfrquent) pour me dfouler (me librer descontraintes, des tensions). Je me suis dfonc et cuit(drogu et sol). En chancelant et en chantant, je suisrentr la maison. En arrivant, jai cri haut plusieurs

    fois lintention de Sita, la femme de mon cousin : Jemen fous, la guerre tribale est l. Je suis all dans machambre et jai sombr dans le sommeil.

    A mon rveil, tout le monde tait autour de moi. Ily avait Sita ma tutrice, la femme de mon cousin, ses

    enfants, les enfants des cousins et dautres personnes.Tous me regardaient comme une bte sauvage tire dufond de la brousse par un chasseur. Et Sita ma

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    demand : Petit Birahima, quas-tu fait ? Est-ce que cest

    bien, ce que tu as fait ? Jai rpliqu :

    Je men fous, je men fous. La guerre tribale estarrive en Cte-dIvoire. Hi Pi !

    Jai mis le pied dans le plat pour provoquer Sita. Jeleur ai dclar tout haut, eux qui taient RDR dioulas(musulmans nordistes) et opposants :

    Le prsident Gbagbo a beau tre bt (Bt est lenom dune tribu de la profonde fort de la Cte-dIvoire), cest un type bien. Le prsident Gbagbo est leseul avoir t un vrai garon sous Houphout, le seul avoir eu du solide entre les jambes. Il a t le seul

    opposant Houphout (Houphout a t le dictateurbonasse et rancunier du pays pendant la guerrefroide).

    Ces dclarations ont rendu folle Sita. Elle mainflig une bonne gifle et des coups de poing bienappuys. A chaque coup de poing, je rpondais :

    Gbagbo le prsident est un type bien ! Pan ! Cest un Bt mais un type bien ! Pan ! Un type bien ! Et ainsi de suite. Les coups de Sita et mes rpliques

    ont dur prs de cinq minutes.

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    Entre-temps mon cousin est arriv. En entendantmes rpliques, il a t cur (cur signifie, daprsmon dictionnaire, dgot). Il a ronchonn, il arebrouss chemin et il est parti vers sa clinique. Je ne

    devais jamais plus le revoir car cest quelques joursaprs que la guerre tribale est arrive pour de bon Daloa. Cest Daloa que je me trouvais quand jaiquitt le pays sauvage et barbare du Liberia.

    Sita, sa femme, je lai revue. Elle tait professeur

    de franais au lyce de Daloa. Cest auprs delle queai eu raconter ce blablabla.Mais avant dentrer dans la guerre tribale en Cte-

    dIvoire, suite ininterrompue de massacres et decharniers barbares, je vais vous prsenter mon pedigree

    (daprs mon dictionnaire, pedigree signifie vie dechien errant sans collier).Un jour, a viendra, je serai peinard comme un

    enfant de dvelopp (dvelopp signifie ressortissantdun pays dvelopp. Un pays du Nord o il fait froid,o il y a de la neige), et tous les enfants dAfrique avecmoi. Allah lomniprsent qui est au ciel nest pas pressmais il noublie jamais aucune de ses cratures sur terre.Mme au vautour aveugle, il accorde sa pitanceournalire (sa pitance signifie sa nourriture, son

    attik). Pourquoi il moublierait, moi, petit Birahima,qui ai commenc rgulirement courber mes cinqprires journalires ? Bon, pour le moment, cest pas

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    a ; pour le moment, a marche pas fort, le calvairecontinue (calvaire signifie, daprs mon dictionnaire, lamerde, le bordel). Mais Allah nest pas oblig demaccorder tout de suite largent profusion, pour

    acheter un gbaga et marier Fanta, la plus belle femmedu monde. Moi, Birahima, je suis dingue de Fanta.Faforo (cul de mon papa) !

    Aprs les guerres tribales du Liberia et de SierraLeone, je croyais que ctait le comble (signifie le

    summum, lapoge). Non, le bordel dans la merde aucarr continue. Me voil perdu et vagabondant dans lesmassacres et les charniers barbares de la Cte-dIvoire.(En Cte-dIvoire, les armes loyalistes et rebellesmassacrent les habitants et entassent les cadavres dans

    un trou. Cest ce quon appelle un charnier.)Cest toujours moi, petit Birahima, qui vous aiparl dansAllah nest pas oblig.

    Il y a quatre ou six mois (je ne sais exactementcombien), jai quitt le Liberia barbare de CharlesTaylor, son dictateur criminel et inamovible. Je meprsente ceux qui ne mont pas rencontr dansAllahnest pas oblig. Je suis orphelin de pre et mre. Jesuis malpoli comme la barbiche dun bouc. Jemploiedes gros mots comme gnamokod (putain de ma mre),faforo (cul de mon papa), walah (au nom dAllah). Je

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    parle mal, trs mal le franais, je parle le franais devrai petit ngre dun enfant de la rue dAbidjan, je parlele franais dun gros cuisinier mossi dAbidjan. Walah(au nom dAllah) !

    Jai fait lenfant-soldat (small-soldier) au Liberia eten Sierra Leone. Je recherchais ma tante dans ces foutuspays. Elle est morte et enterre dans ce bordel deLiberia l-bas (bordel de pays signifie cloaque,bourbier). Je pleurerai toujours ma tante. Une bonne

    musulmane qui me cuisait toujours du riz sauce graineavec gombos. Faforo (cul de mon pre) !Jai t recueilli par mon cousin Mamadou

    Doumbia, docteur Daloa en Cte-dIvoire. Daloa estune ville en pleine terre bt. Cest la capitale du pays

    bt. Le Bt, cest une ethnie, une tribu ivoirienne de lafort profonde dont nous parlerons beaucoup. (Quandcest un groupe de blancs, on appelle cela unecommunaut ou une civilisation, mais quand cest desnoirs, il faut dire ethnie ou tribu, daprs mesdictionnaires.)

    Les Bts sont fiers davoir plein divoirit ; ilsparlent toujours de leur ivoirit (ivoirit : notion crepar des intellectuels, surtout bts, contre les nordistesde la Cte-dIvoire pour indiquer quils sont lespremiers occupants de la terre ivoirienne). Les Btsnaiment pas les Dioulas comme moi parce que noussommes opportunistes, versatiles et obsquieux envers

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    llah, avec les cinq prires journalires (opportunisteset versatiles signifient que nous changeons chaqueoccasion comme des camlons). Et nous, les Dioulas,sommes toujours en train dacheter des fausses cartes

    didentit pour avoir et obtenir livoirit. Nous sommestoujours en train de rclamer les terres que les Btsnous avaient vendues pendant les priodes o la terreappartenait ceux qui la cultivaient. La priode bniedu dictateur roublard, sentencieux et multimilliardaire

    Houphout-Boigny. Les Bts ont commenc chasserles Dioulas et reprendre les terres du pays bt quandGbagbo est mont au pouvoir par des lectionscontestes. Au cours de ces lections, la gendarmerie estalle chercher des Dioulas en ville et les a fusills

    comme des lapins. Puis les a largus la dcharge deYopougon comme les vraies ordures. a puait. aempestait tout le quartier. On les a balancs dans untrou bant creus sur place et on a appel cela lecharnier de Yopougon. Le fameux charnier deYopougon ! Le charnier de Yopougon a t le premier.Beaucoup de charniers allaient suivre dans la guerretribale et barbare de la Cte-dIvoire. Malgr denombreux charniers, les Dioulas sont toujoursnombreux en Cte-dIvoire. Ils pullulent comme descancrelats, des sauterelles, Daloa et dans tout le paysbt environnant.

    Jai dj dit que mon cousin Mamadou Doumbia

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    mavait mis comme apprenti chauffeur chez Fofana, unDioula comme lui et moi. Il ma plac lcolecoranique chez Hadara, un imam (chef religieux), pourque japprenne les versets du Coran. Hadara est aussi

    un Dioula. Malinks, Snoufos, Mossis, Gourounsis,etc., sont kif-kif pareils des Dioulas pour un Bt. Enralit, les vrais Dioulas sont des Malinks comme moi.

    ous, les Malinks, sommes une race, une ethnie, unetribu du Nord de la Cte-dIvoire. Nous grouillons dans

    tous les pays sahliens de lAfrique de lOuest : Guine,Mali, Sngal, Burkina, etc. Partout en train de chercher faire du profit avec du commerce plus ou moins lgal.Les Dioulas ou Malinks naiment pas les Bts, ils semoquent deux. Ils les trouvent trs violents et trs

    grgaires (qui suivent docilement les impulsions dugroupe dans lequel ils se trouvent). Les Bts sonttoujours prts manifester et tout piller (les maisonset les bureaux). Ils sont toujours prts se battre.

    Moi, petit Birahima, jai dj dit que je suis unDioula comme mon patron Fofana et comme monmatre Hadara. Fofana est un Dioula qui possde quatregbagas (camionnettes Renault pour le transport encommun). Il est mari quatre femmes. La dernire estla prfre, elle est bien instruite. Elle a une licence etenseigne langlais dans un lyce de la ville. Fofana

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    courbe rgulirement les cinq prires par jour et jenependant tout le mois de ramadan.

    Mon matre Hadara est un imam. Il est obsquieuxenvers Allah. Il le prie et dit le chapelet tout le temps. Il

    ene pendant tout le mois de carme et trois jours parsemaine les autres mois de lanne. Il enseigne larabeet le franais dans un tablissement appel une medersa.

    Voil ce que je peux dire sur moi et sur monenvironnement. Ceux qui veulent savoir plus que a sur

    moi et mon parcours nont qu se taperAllah nest pasoblig, prix Renaudot et neuf autres prix prestigieuxfranais et internationaux en 2000, et traduit dans vingt-neuf langues trangres. Cest pour dire quils naurontpas une trop mauvaise lecture.

    Ils apprendront, entre autres merveilles, que jaiquatre dictionnaires pour me dbarbouiller et expliquerles gros mots qui sortent de ma petite bouche. Larousseet Petit Robert pour le franais franais des vraisFranais de France ; le Harraps pour le pidgin (lepidgin est une langue composite ne du contactcommercial entre langlais et les langues indignes) ;lInventaire des particularits lexicales du franaisdAfrique noire pour les barbarismes danimistes aveclesquels les ngres dAfrique noire de la fort et de lasavane commencent salir, noircir la limpide etlogique langue de Molire. Le Larousse et le PetitRobert permettent dexpliquer le vrai franais franais

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    aux noirs animistes dAfrique noire. LInventaire desparticularits lexicales du franais en Afrique noireessaie dexpliquer aux vrais Franais franais lesbarbarismes animistes des noirs dAfrique.

    Mais jai employ trop de blablabla pour dire qui jesuis et o je suis. Maintenant, racontons ce qui sestpass dans ce criminel de pays appel la Cte-dIvoire.Racontons ce qui sest pass dans cette fichuebordlique ville bt de Daloa.

    Je commenais savoir bien aboyer lesdestinations des gbagas, bien rciter les versets duCoran, et la clinique de mon cousin Mamadou Doumbiamarchait merveille lorsque, dans la nuit, tralalatralala. Faforo (cul de mon papa), les rebelles du Nord

    plein de Dioulas ont attaqu Daloa paisible. Lespremires heures, jtais content, trs content. La guerretribale tait l et bien l, comme au Liberia et en SierraLeone. Ils taient sortis de partout. Ctait en majoritdes Dioulas, des chasseurs traditionnels, les fameuxdozos quon appelle au Sierra Leone les kamajors. Ceschasseurs taient bards de nombreux grigris, denombreuses amulettes au cou et aux bras (les grigris etles amulettes sont des objets magiques de protection).Les loyalistes, les soldats de Gbagbo qui dfendaient laville, ont tir plusieurs fois sur les assaillants sansparvenir les tuer. Les balles ne les pntraient pas cause de leurs grigris et de leurs amulettes. Walah (au

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    nom dAllah) ! En fait, les soldats loyalistes qui nevoulaient plus mourir pour le rgime du prsidentGbagbo ont pris prtexte de linvincibilit suppose ourelle des assaillants pour se dbarrasser de leurs armes

    et dcamper toutes jambes. Ils se sont dbarrasss deleurs armes et aussi de leurs tenues militaires et ils sesont rfugis dans la fort. Dans la fort, ils se sont biencachs comme des taupes.

    Les rebelles taient matres de la ville sans coup

    frir (sans difficult). Ils ont rassembl les gendarmesqui navaient pas eu le temps de fuir. Ils les ontmitraills comme des btes sauvages. Ils ont jet lescorps dans un charnier, ils ont fait des cadavres unimmense charnier. Le charnier va pourrir. La pourriture

    va devenir de lhumus (humus : matire organiqueprovenant de la dcomposition des matires animalesou vgtales). Lhumus deviendra du terreau. apermet de terreauter le sol ivoirien. Cest ce que jaiappris en feuilletant mes dictionnaires. Donc lescharniers, a permet de terreauter la terre ivoirienne.Les charniers donnent du terreau la terre ivoirienne.Cest le terreau des charniers qui permet la Cte-dIvoire davoir un sol riche qui nourrit du bon caf, dela bonne banane, du bon hva, et surtout du boncacao. La Cte-dIvoire est le premier producteur dumonde de cacao et produit le meilleur cacao qui fait lemeilleur chocolat du monde. Faforo (cul de mon pre) !

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    Les gendarmes de Daloa ont t massacrs et lescadavres jets dans un charnier parce que ce sontdautres gendarmes, le 26 octobre 2000 Abidjan, quiont enlev et rassembl les Dioulas puis les ont

    mitraills et ont jet leurs corps dans un charnier gant Yopougon (Yopougon est une cit-dortoir au norddAbidjan). Les autres fonctionnaires loyalistes que lesrebelles ont pris ont t tus un un parce que chaquecadavre faisait un escadron de la mort en moins,

    disaient les Dioulas. Les escadrons de la mort, ce sontdes hommes en uniforme et en 4 4 qui arrivent lanuit, cagouls, et qui enlvent les habitants, surtout lesDioulas, les militants du RDR, les chefs religieux donton trouve les corps cribls de balles dans des fosss,

    souvent en dehors de la ville. Les escadrons de la mortont fait, depuis le 19 septembre, plus de deux centsvictimes. Deux cents morts en cachette, en catimini.Sans quon ait jamais pu prendre les tueurs la maindans le sac. Bizarre ! Cest pourquoi on croit quils sontprotgs, quils sont proches du pouvoir du prsidentGbagbo.

    Pour fuir la mort, tous les cadres dioulas, tous lesopposants au rgime sont alls trs loin dAbidjan et dela Cte-dIvoire griller leur arachide (aller griller sonarachide, cest senfuir). En France, Dakar, Ouagadougou, etc.

    Les Dioulas de la ville de Daloa, aprs la victoire

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    des rebelles, taient contents. Ils croyaient avoirdfinitivement gagn et, comme chaque fois quils sontcontents, ils ont courb des prires. Les imams disaientdes chapelets et faisaient les obsquieuses courbettes

    devant Allah. Ils priaient et chantaient autour desmosques. Une grande fte de victoire. Les Dioulas, lesmusulmans ignoraient que quelque chose qui na pas dedents allait les mordre vigoureusement (proverbeafricain qui signifie que quelque chose de terrible les

    attendait).En effet, quand le prsident Gbagbo a vu que lesDioulas ftaient leur victoire Daloa, capitale du paysbt, il est entr dans une colre rageuse. Il a cri : Merde ! merde ! Parce que le prsident Gbagbo est

    lui-mme dethnie bt. Il a mis tout le budget de laCte-dIvoire sur la table. Il a recrut des mercenaires prix dor (les mercenaires sont des soldats blancs lasolde dun gouvernement africain ; on les appelle aussiles affreux). Il a fait venir les mercenaires du mondeentier ; de lAfrique du Sud, des pays de lEst, de laFrance, de lAllemagne Le prsident Gbagbo a bienfait. Ctait la seule chose quil lui restait faire. Il a euraison parce que les militaires soldats loyalistes taientpoltrons comme une bouillie de sorgho.

    Les loyalistes, avec les mercenaires blancs leurtte, ont attaqu nouveau les rebelles. Ils les ontfoutus hors de la ville de Daloa parce que les

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    mercenaires ne croyaient pas aux grigris, aux amulettesdes chasseurs. Les loyalistes et les mercenaires taientmatres de la ville. Ils ont ft leur victoire en tirantdans les rues pour terroriser la population. Ils taient

    accompagns des jeunes militants bts du parti duprsident Gbagbo, des suppltifs, des jeunes patriotes.Cest dabord dans les mains de ces militants, de ceseunes patriotes, de ces suppltifs quils ont laiss la

    ville de Daloa.

    Ces jeunes militants ont tir de leurs maisons un un les Dioulas valides et ont fait main basse sur (se sontappropri) tout ce qui pouvait tre emport. Ils ontaussi arrt les valides et les imams (ce sont les chefsreligieux avec des turbans achets La Mecque). Mais il

    faut le dire haut : ils nont pas arrt les vieillards, lesfemmes ni les enfants parce quils taient catholiques.La religion de Jsus-Christ interdit formellement auxcatholiques de faire le moindre mal des enfants, desfemmes, des vieillards et des invalides innocents.

    Quand les Dioulas ont su quils risquaient dtretous arrts un un et dtre tous srement zigouillsun un en catimini, ils se sont rvolts. Il fallait queleur massacre soit public. Il fallait que la presseinternationale assiste leur arrestation et srement leur mort. Ils se sont donn le mot. Brusquement, ilssont tous sortis de leurs maisons, de leurs cachettes, etont envahi les rues pour rejoindre les mosques. Les

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    rues de la ville de Daloa devinrent aussi blanches quedes feuilles blanches, blanches de Dioulas en boubousblancs. Tous marchaient vers la mosque centrale. Ceuxqui parvenaient rejoindre la mosque avaient chapp

    larrestation. Les gens arrts avant la marche sur lamosque (les imams et les Dioulas valides) ont tous temmens hors de la ville sur la route de Gagnoa. Lesmilitants, les militaires loyalistes et les mercenaires leuront demand leurs cartes didentit de livoirit. Ils ont

    dchir les cartes didentit de livoirit et ont fait de cescartes didentit une flamme vacillante, ondoyante,dansante. Puis les militaires loyalistes et les jeunesmilitants ont apport et donn des pelles, des pioches etdes dabas aux Dioulas valides, aux imams et toutes les

    personnes arrtes. Les Dioulas valides et les imams ontcreus un grand trou profond et bant. Au bord du trouprofond et bant, les loyalistes ont fait aligner lesDioulas valides et tous les arrts. Ils les ont mitraillssans piti comme des btes sauvages. Ils ont fait deleurs cadavres dimmenses charniers. Les charnierspourrissent, deviennent de lhumus, lhumus devient duterreau. Le terreau de lhumus des charniers est toujoursrecommand, bon pour le sol ivoirien. Cest le terreaude lhumus des charniers qui enrichit la terre ivoirienne.La terre ivoirienne qui produit le meilleur chocolat dumonde. Walah (au nom dAllah, lomniprsent) !

    Puis les militants, les loyalistes et les mercenaires

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    se sont disperss travers la ville, la recherche desDioulas cachs dans les maisons, les Dioulas quinavaient pas pu se rendre encore la mosque. Ceuxquils prenaient, ils dchiraient leurs cartes didentit de

    livoirit avant de les tuer un un. Un Dioula mort, afaisait une fausse carte didentit divoirit en moins fabriquer : a faisait une rclamation de terre vendue etreprise en moins. Ils en ont tu beaucoup, des Dioulas, Daloa, aprs avoir dchir beaucoup de fausses cartes

    didentit de livoirit. Faforo, bangala de mon pre(bangala, daprs lInventaire des particularits dufranais dAfrique noire, signifie cul) !

    Jai dj dit que mon cousin Mamadou Doumbiatait un docteur, un chirurgien. Il avait une cliniqueadjointe sa villa dhabitation Daloa. Il tait aussi ungrand chef, un cadre du RDR (Rassemblement desRpublicains), un parti dopposition ayant en majoritpour militants des Dioulas du Nord.

    Quand les loyalistes, avec les mercenaires, lesaffreux, ont conquis la ville de Daloa, mon cousin taitdans sa clinique, en train doprer des blesss. Desescadrons de la mort qui le recherchaient sont venusmettre la main son collet, lont enlev et lont emmenen 4 x 4. Gnamokod (putain de ma mre) !

    Les jeunes patriotes bts du Front patriotique

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    ivoirien sont arrivs aprs les escadrons de la mort. Ilsont pill la villa et la clinique. Ils ont tout embarqu,sauf les blesss et leurs lits. Parce que les blesss et leslits ne se vendent pas, ne rapportent rien de rien du

    tout. Les militants bts ont ensuite incendi la villamais pas la clinique, par respect pour les malades. Ilsnont pas incendi la clinique avec les malades parcequils sont de trs bons catholiques. La doctrine deJsus-Christ interdit de faire le moindre mal aux

    blesss. Faforo (cul de mon pre) !Moi, petit Birahima, quand jai vu a, jai couru,ai fui comme un chien surpris en train de voler le

    savon noir de la mnagre, comme un homme qui aprovoqu un essaim et qui dtale devant les abeilles.

    Jai couru perdre haleine sur la route de Man, vers lafort pour my cacher. Brusquement, je suis tomb face un barrage de loyalistes, avec des militants armsusquaux dents. Jtais tomb dans un traquenard. Il

    mtait impossible de rebrousser chemin, ni daller droite ni daller gauche. Ils mont arrt ; ils montconduit dans la fort, loin de la route. L, jai trouvbeaucoup de Dioulas comme moi. Ils taient tous assissous la garde de soldats et de militants FPI arms. Noustions nombreux assis en rond. Dautres Dioulasterroriss sont arrivs sous la garde dautres jeunesmilitants. On les a obligs sasseoir parmi nous. Nousavons constitu une foule de Dioulas tremblants de

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    peur comme des feuilles, faisant pipi dans lespantalons, courbant nos dernires prires. Nousattendions la mort.

    Moi, petit Birahima, jai pens ma mre, ma

    grand-mre, ma tante, aux quelques bonnes journesque javais vcues, au bon riz sauce graine que magrand-mre me servait.

    Ils nous ont demand nos cartes didentit delivoirit. Mes compagnons de malheur ont sorti leurs

    portefeuilles. Moi, je navais ni portefeuille ni cartedidentit. Ils ont recueilli les portefeuilles, en ont sortiles cartes didentit de livoirit. Ces cartes ont t misesen miettes. Les miettes ont t rassembles et misesdans le feu. Les cartes didentit ont t lobjet de

    flammes blanches, ondoyantes et dansantes. Lesmilitants ont remis les portefeuilles aux chefs militaires(deux sergents et deux caporaux-chefs). Les chefs sesont loigns dans la fort avec les portefeuilles. Ctaitleur butin.

    Des militants sont arrivs avec des pioches et despelles quils nous ont jetes. Chacun a pris un outil et acommenc creuser, creuser un charnier gant. Noustions plus dune centaine, un charnier gant pour plusde cent cadavres dioulas. Le terreau de lhumus descharniers, cest toujours bon pour le sol ivoirien, aterreaute le sol pour les cultures du caf, du cacao. LaCte-dIvoire est le premier producteur de cacao du

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    monde et elle produit le meilleur cacao du monde.Faforo (cul de mon pre) !

    Nous tions en train de creuser le charnier sous lasurveillance des soldats et des militants. Nous rcitions

    nos prires de Dioulas, des bissimila profusion. Leurschefs, loin dans la fort, avaient vid nos portefeuilleset taient occups apprcier le butin, compter le gainobtenu sans aucun effort.

    Brusquement, nous avons entendu des clats de

    voix, des cris et mme un coup de fusil. a venait de lafort. Walah (au nom dAllah) ! Les Dioulas disent ceproverbe : Quand cinq filous te chapardent deux ufsdans ta basse-cour, laisse-les partir avec leur butin ; tuauras de leurs nouvelles au moment du partage.

    Le partage de largent recueilli dans nosportefeuilles avait oppos les chefs. Ds que le coup defusil a clat, les militants qui nous surveillaient onttous fonc vers le lieu do il tait parti. Et nous quicreusions le charnier nous sommes trouvs sans garde.

    ous avons jet les outils et nous nous sommesdisperss comme les oiseaux de la touffe dans laquelleon a lanc une pierre. Chacun est parti dans son sens.Les suppltifs ont tir. Plusieurs Dioulas ont tatteints ; ils sont tombs.

    Moi, jai continu ma course folle vers la ville.Sans regarder derrire, sans regarder gauche ni droite. Juste droit devant moi. Et je suis tomb juste sur

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    la concession (maison-cour) de mon matre Hadara quise trouvait vers la route de Man. L, jai vit la salle onous apprenions le Coran, au milieu de la cour. Jaifonc vers lappartement de sa premire femme en

    criant : Cachez-moi, cachez-moi ! Je suis poursuivipar les militants !

    On ma conduit dans lappartement de sa premirefemme et introduit dans sa chambre coucher. Sansattendre, je me suis roul sous un lit. Aussitt, les

    femmes ont fait descendre les draps jusquau sol pourme dissimuler. Et on a ferm la chambre coucher double tour. Jtais haletant, mon cur battait lachamade (comme un tambour). Javais peur quonentende mes souffles loin, mme dehors aprs les murs.

    Je suais comme un lpreux enferm depuis quatreheures dans une case sans fentre pendant la chaudesaison. Je grelottais de peur. Les militants sont passs.Ils ont demand aux femmes si elles navaient pas cachdes fugitifs. On ne leur a pas rpondu et, sans insister,les militants et les soldats ont poursuivi leurs recherchesplus loin.

    Le soir, la chasse lhomme, le bordel avaientcess dans la ville. Il ny avait plus de soldats ni demilitants, ni de jeunes Bts dans la rue. Fanta est entredans la chambre avec un gobelet deau. Quand jaiconstat que ctait Fanta quon mavait envoye, jaitout de suite tout oubli, mme les soldats et les jeunes

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    militants bts. Elle ma demand de me dgager pourboire. Jai roul nouveau et je me suis redress. Je mesuis assis et jai bu le gobelet deau. Elle en a apportdeux autres qui ont t vite ingurgits (gloutonnement

    absorbs). Cest une fois abreuv que jai pu lever lesyeux et observer Fanta.

    Mme les yeux gonfls par une journe de pleurs,elle paraissait belle comme un masque gouro. LesGouros sont une ethnie de Cte-dIvoire. Quand cest

    une communaut de toubabs (de blancs), on dit unecivilisation, mais quand cest des noirs, des indignes,on dit tribu ou ethnie (daprs mes dictionnaires). Lessculpteurs gouros font de trs beaux masques pourdanser. Mme dans le malheur, Fanta paraissait belle

    comme un masque gouro. Et, quand jai fini de boire etquelle ma demand le gobelet, je lai tenu fort de peurquelle sen saisisse et reparte dehors.

    Elle ma parl, malgr la rage au cur. Elle maappris que le couvre-feu tait institu partir de dix-huit heures. Elle ma appris aussi lenlvement de sonpre et de son frre par les escadrons de la mort etcertainement leur excution.

    Allah en Cte-dIvoire a cess daimer ceux quisont obsquieux envers lui (qui exagrent les marquesde politesse ou dempressement par servilit ou parhypocrisie). Cest pourquoi il a fait en sorte que lesmilitants bts dtestent les imams. Chaque fois que les

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    escadrons de la mort voient un imam, ils lassassinenttout de suite. Ils lassassinent tout de suite parce quilest trop obsquieux envers Allah. Allah en a marre de lagrande obsquiosit des imams. Walah (au nom du

    Tout-Puissant misricordieux) !Youssouf Hadara tait limam de la troisime

    mosque de Daloa, la mosque de lest de la ville. Iltait le pre de Fanta. Il tait le recteur dun coursdarabe, une medersa laquelle mon cousin mavait fait

    inscrire. La medersa, ctait bien sr pour la formationreligieuse, mais aussi pour prparer le certificatdtudes. La prparation au certificat dtudes par descours du soir tait assure par Fanta et ses camaradesdu lyce. Ils le faisaient dans le cadre dune association

    bnvole dalphabtisation dadultes. Fanta nousenseignait le franais, lhistoire et la gographie. Jesuivais ses cours deux fois par semaine entre vingt etune heures et vingt-trois heures. videmment, je buvaisce que Fanta enseignait. Walah ! Elle tait belle commecest pas permis.

    Je commenais mieux rciter les versets duCoran pour ma prire. Ma prire commenait treconforme la recommandation du Coran et avec tout ae narrivais pas avoir de la chance. Cest--dire tre

    encore aim dAllah. Mais je ne dsespre pas. Faforo(bangala du pre) !

    Youssouf me prsentait tous ses amis qui

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    visitaient la medersa : Voil Birahima, un ancien enfant-soldat qui a fait

    la guerre du Liberia. Il buvait, fumait, se droguait.Maintenant la grce dAllah est descendue sur lui. Il a

    tout cess , disait-il en souriant.Il me considrait comme son propre fils ; il

    maimait comme lenfant de sa prfre. (Dans lesfoyers polygamiques, toutes les femmes ne sont pasgales. Il y en a une qui est aime plus que les autres,

    cest la prfre. Les enfants de la prfre sont souventaims plus que les autres enfants. Cest pourquoi enfrique existe lexpression : aimer un petit comme

    lenfant de sa prfre. Daprs mon dictionnaire.)Youssouf maimait comme lenfant de sa prfre. Mais

    moi, cest sa fille que jadmirais, que jaimais la folie.Jtais dingue delle. Je me suis permis plusieurs fois dele lui avouer : Fanta, je taime la folie. Avec lesourire et sa grce naturelle, elle ma toujours rpondu : Moi je taime aussi mais comme un jeune frre. Celane me suffisait pas parce quelle tait trop belle. Faforo(bangala de mon pre) !

    Allah ne stait pas content de la faire bellecomme un masque gouro. Allah lui avait permis de seservir en priorit avant de donner le rebut de la beautaux autres filles. Cest pourquoi il lui avait donn profusion ce qui, parmi les beauts, brille comme lorparmi les autres mtaux, je veux parler de lintelligence.

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    Fanta tait intelligente. Elle tait intelligente maisintelligente comme cest pas permis. Combien de foisfaudra-t-il le rpter pour que tout le monde me croie !

    Ds sa tendre enfance, elle avait acquis une

    prodigieuse mmoire en apprenant par cur des versetsindigestes du Coran. Ainsi, quand Fanta est entre lcole franaise, quatre annes ont suffi pour quellepasse son certificat dtudes. Puis ce fut le brevetlmentaire et, en juin dernier, elle russit brillamment

    le bac Lettres avec mention. Elle attendait une boursepour poursuivre ses tudes religieuses au Maroc. Desurcrot, elle avait la souplesse et lenjouement dunmargouillat lisse de la savane. Parfois, je restaissilencieux, mon regard fix sur elle pour contempler

    comme Allah lui avait bien agenc le nez, la bouche, lefront, les yeux. Quand elle me surprenait en train deladmirer, elle disait avec un sourire : Birahima, jetaime comme un frre. videmment, cela ne mesuffisait pas, cela ne pouvait pas me suffire.Gnamokod (enfant naturel de la mre) !

    Donc, aprs que je suis sorti de ma cachette sous lelit (daprs mon dictionnaire, on dit pas que je sois sortiparce que a, cest le subjonctif et que lacte a bien eulieu dans le pass) et que Fanta ma donn boire, noustions tous les deux dans la chambre, seulement nousdeux, en tte tte. Elle tait assise sur le lit sous lequele mtais tout lheure rfugi. Moi, je mtais

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    accroupi sur la natte de prire de sa mre place aumilieu de la chambre. Elle ma demand si ctait vraique javais t enfant-soldat. Pour la premire fois,avais loccasion de me faire valoir devant Fanta

    Je rpondis tout de suite que javais tu beaucoupde personnes avec le kalachnikov. Avec un kalach, jepouvais tuer tous les Bts, tous les loyalistes, tous lesaffreux. Tous la fois. Je mtais drogu au dur. Javaispill des maisons, des villages. Javais viol

    Au mot viol , elle ma arrt en criant : Cestvrai a ? Jai compris que javais dit une btise et je me suis

    repris en ajoutant : Cest au Liberia, a. Jamais enCte-dIvoire. Et jai continu raconter mes exploits.

    Javais voyag travers la fort noire. Jtais rest dessemaines et des semaines sans bonne nourriture ni eaupotable. Je peux paratre un garon gentil mais, enralit, je suis un dur des durs. Jai commenc contertoutes mes aventures deAllah nest pas oblig, maiselle ma pas laiss terminer. Elle revenait sur le seulpoint qui lintressait : Birahima, tu sais utiliser lekalachnikov. Tu sais tuer comme les militants bts.

    Jai expliqu que je pouvais descendre des milliersde personnes, tuer sans piti des femmes, des enfants,des hommes. Crer des charniers et des charniers pourfaire du terreau, de lhumus pour terreauter, pourenrichir le sol ivoirien, des milliers de charniers sans

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    penser un instant Allah. Je ne pense pas Allahlorsque je tue. Je massacre sans piti. Cest pour que lecacao de Cte-dIvoire reste le meilleur du monde.Jaime la Cte-dIvoire et je veux que son cacao reste le

    meilleur du monde. Donc, avec un kalach, tu peux accompagner,

    protger une personne qui veut aller Bouak, dans leord, en zone rebelle ? ma-t-elle demand.

    Je me suis lanc dans des envoles. Avec un

    kalach, jaccompagnerais, je protgerais. Avec unkalach, je massacrerais tous les militants, tous les jeunespatriotes, tous les loyalistes. Et, joignant le geste laparole, je me suis lev, le bras gauche reprsentant lekalach tenu par la main droite, jai cri :

    Tac tac tac Walah ! Faforo ! Avec un kalach,e me rvolterai, je refuserai ! Au mot refuserai , elle ma arrt : Et quand on refuse, on dit non, a affirm

    Samory. Je lui ai demand de rpter les propos de Samory. Samory a affirm que lon dit non quand on

    refuse, quand on ne veut pas. Je suis rest pensif un instant, rptant sans cesse : Non non non

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    II

    Le couvre-feu avait t dcrt de dix-huit heures six heures du matin dans la ville de criminels et debarbares, Daloa. Ds sa leve, je faisais pied la routeavec Fanta (je partais, je voyageais avec Fanta). Ctaitle lendemain matin dune guerre tribale barbare. Toutesles routes taient encombres de rfugis fuyant la villecomme sil y avait la peste. La route que nous suivionstait noire de rfugis presss comme des diarrhiques.Ils navaient pas comme nous attendu la leve ducouvre-feu pour se mettre en route. Curieusement, dsla sortie de la ville, nous avons rencontr des rfugisvenant en sens contraire, allant do nous venions.

    Walah (au nom du misricordieux) !Ctait toute la Cte-dIvoire qui tait sur les routes

    comme une bande de magnans (grosses fourmis noiresqui se dispersent quand on met le pied sur la bande).Surtout les femmes. Elles portaient toutes sur la tte un

    plat maill ou un seau en plastique. a contenait despagnes empils et dautres maigres objets personnelsquelles avaient pu sauver la hte. Elles taient suiviespar leurs enfants en bas ge et certaines avaient au dos,serr fortement dans un pagne, leur dernier bb. Les

    bbs piaillaient comme des oiseaux pris au pige.Ctait bien fait pour le peuple ivoirien ! Il gotait ceque vivait le peuple librien depuis cinq ans. Les

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    politiciens ivoiriens aidaient ces criminels de voyous dechefs de guerre libriens. Jai demand Fanta si ctaitmrit pour le peuple ivoirien. Elle a rpondu :

    Mon pre, ton matre Youssouf, a dit que

    lomniprsent au ciel, Allah, nagit jamais sans raison.Toute preuve pour un peuple ou bien sert purger desfautes ou bien signifie la promesse dun immensebonheur. Ce bonheur immense, pour le peuple ivoirien,pourrait tre simplement la dmocratie. La dmocratie

    est labaissement des passions, la tolrance de lautre. Ainsi avait-elle conclu avec un sourire que jauraisvoulu boire. Je navais rien compris sur place. Mais cequelle disait devait tre vrai parce quelle tait vraimentbelle ! Vraiment, elle tait intelligente ! Walah (au nom

    dAllah) !Pour le voyage, Fanta avait attach ses cheveuxavec un mouchoir de tte (un foulard) enroul. Elleportait un boubou trs large et des tennis aux pieds.Sous le boubou, elle stait habille en garon avec desculottes courtes. Deux culottes enfiles lune sur lautre.Quand jai vu a, jai compris quelle avait peur de sefaire violer et jai regrett ce que je lui avais dit sur mesexploits dans le pays barbare du Liberia. Je lai tout desuite rassure et je lui ai dit :

    Moi je violais les filles au Liberia mais pas ici enCte-dIvoire. En Cte-dIvoire, les filles ne sedroguent pas comme au Liberia.

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    Elle na rien rpondu. Elle paraissait toujoursmfiante. Elle avait au dos un sac touareg.

    Une semaine avant que les jeunes militants btslaient enlev et zigouill (fusill), Youssouf, le pre,

    avait emmen Fanta sa fille au fond de sa chambre. Illui avait montr un vieux kalach quil venait dacqurirauprs de Libriens de passage. On ne sait jamais cequi peut arriver dans ce temps et ce pays de fous ,avait-il annonc, prophtique et sentencieux. Il avait

    cach larme dans les livres de la grande cantine. Hiersoir, Fanta tait alle chercher le kalach.On a longuement discut sur le point de savoir qui

    de nous deux devait porter larme. Toujours mfiante mon endroit (elle craignait de se faire violer), elle tenait

    cacher larme sous son large boubou de femme. Moi,aurais le sac de bagage de Touareg sur le dos. Je lui aiencore rpt que je navais jamais viol en Cte-dIvoire, elle pouvait me faire confiance. Je savaismieux quelle manipuler le kalach. Ctait moi quidevais lavoir porte de main. Fermement, je conclusque je ne laccompagnerais pas si je ne portais paslarme.

    Et comment pourras-tu cacher le kalach avec tachemisette et ta culotte courte ? me demanda-t-elle.Fermement, je lui rpondis nouveau que je ne seraispas du voyage si je navais pas darme. Elle staitarrte un instant pour rflchir et, brusquement, elle

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    tait repartie vers la maison de son pre. Elle en taitrevenue avec un vieux tafla (boubou dune seule piceavec des manches longues et larges). Jai enfil tout desuite le tafla. Il balayait le sol, mes bras et mes mains se

    perdaient dans les manches. Je ne pus mempcher desourire et de lui avouer que ctait ce quil me fallaitpour cacher larme :

    Cest bien, trs bien. Je ressemble ainsi un petitDioula ayant fui lcole coranique et demandant

    laumne , avais-je ajout.En effet, je ressemblais un malheureux enfantfoutu perdu dans le boubou trop large pour lui.Jinspirais la piti, un vrai enfant de la rue qui tout lemonde donnerait laumne sans hsiter. Personne ne

    pouvait souponner que je cachais une arme. Je suivais,tais coll Fanta et, dans le flot de rfugis, ellepassait pour ma mre ou ma grande sur. Nous avonsintgr le flot montant vers le Nord. Le soleilcommenait slever. Le flot de rfugis spaississait.Parmi ceux qui se joignaient la colonne, il y avaitquelques blesss. Ils protgeaient leurs lsions par desmorceaux de pagne de diffrentes couleurs. De tempsen temps, au-dessus des colonnes, slevaient despleurs fatigus et qui avaient faim. Walah (au nom duTout-Puissant) !

    Nous tions maintenant loin de la ville, peu prs dix kilomtres. Fanta paraissait rassure :

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    Ici, en pleine fort, nous navons pas craindredes escadrons de la mort ou des jeunes militants FPI ,a-t-elle dit.

    Elle a commenc par mannoncer quelque chose

    de merveilleux. Pendant notre voyage, elle allait mefaire tout le programme de gographie et dhistoire de lamedersa. Japprendrais le programme dhistoire et degographie du CEP, du brevet, du bac. Je serais instruitcomme un bachelier. Je connatrais la Cte-dIvoire

    comme lintrieur de la case de ma mre. Jecomprendrais les raisons et les origines du conflit tribalqui cre des charniers partout en Cte-dIvoire (cescharniers qui apportent de lhumus au sol ivoirien).

    Et elle a commenc.

    Ce qui arrive en Cte-dIvoire est appel conflittribal parce que cest un affrontement entre des ngresindignes barbares dAfrique. Quand des Europens secombattent, a sappelle une guerre, une guerre decivilisations. Dans une guerre, il y a beaucoup darmes,beaucoup de destructions matrielles avec des avions etdes canons mais moins de morts, peu de charniers.Dans les guerres de civilisations, les gens ne meurentpas comme dans les conflits tribaux (tribaux, pluriel detribal). Dans les conflits tribaux, les enfants, lesfemmes, les vieillards meurent comme des mouches.

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    Dans une guerre, les adversaires tiennent compte desdroits de lhomme de la Convention de Genve. Dansun conflit tribal, on tue tout homme qui se trouve enface. On se contrebalance du reste comme de son

    premier cache-sexe. La gographie dun pays comme la Cte-dIvoire

    comprend son milieu naturel, sa population et sonconomie , me dit Fanta avec son sourire de miel (demiel parce que javais envie de tout boire).

    Elle a commenc par me demander si je savais lesraisons pour lesquelles il ny avait que de rares, de trsrares descendants desclaves noirs ivoiriens aux tats-Unis, au Brsil et dans les Antilles. Je lui rpondis quetais ignorant comme la queue dun ne. Javais arrt

    mon cole au cours lmentaire deux. Je navais pastudi lorthographe, le calcul, la gographie nilhistoire. Et que je comptais sur elle pour devenirfortiche dans toutes ces matires savantes. Elle sarrtaet rpondit sa propre question savante en mapprenantla gographie de la Cte-dIvoire :

    La cte ivoirienne tait appele la Cte des MlesGens par les marchands desclaves, cause delinhospitalit des habitants. Ils nosaient pas syaventurer, de peur de sy faire manger par desanthropophages. Ctait vrai : les ctiers de lpoqueaimaient la chair des blancs. En mme temps, ctait unprtexte. Le singe taxe de pourri le fruit du figuier sur

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    lequel il ne peut mettre la main. Ce nest pas seulement cause des anthropophages que les marchands de boisdbne (cest ainsi quon les appelait) se sont loignsdes ctes ivoiriennes. Mais aussi cause de

    linaccessibilit des ctes. La Cte-dIvoire a tprotge par linaccessibilit de ses ctes. La Cte-dIvoire est un pays de 322 000 kilomtres carrsderrire une cte inaccessible. Cest cause delinaccessibilit des ctes que la colonisation du pays a

    t si tardive.

    Jai dit Fanta quavec mes dictionnaires jepourrais tout comprendre. Mais comment conserver

    tout ce quelle dirait ? Je me suis directement adress Fanta : Comment faire pour retenir tout ce que tu

    diras ? ai-je demand.Elle sarrta au milieu de la route, dcrocha le sac

    touareg de son paule et le fouilla longtemps. Elle ensortit dabord un peigne, puis une petite bouteille deparfum, puis dautres objets et enfin un petitmagntophone. Elle me le tendit.

    Avec a, tu pourras enregistrer nos conversationsau cours du voyage.

    Je pris le petit appareil. Jtais content et le mis toutde suite en marche.

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    Pour revenir ce que tu viens de direcommenai-je en parlant dans lappareil. Avant lacolonisation, les blancs nosaient pas mettre le pied enCte-dIvoire. Sils le faisaient, tout de suite on les

    attrapait et on les braisait (grillait) comme font lesmamies (les matrones) qui braisent les biftecks devantles discothques de nuit le samedi soir Daloa. Jaicompris pourquoi on ne rencontrait jamaisdAmricains noirs parlant bt ou agni ou snoufo.

    Oui, cest peu prs cela , conclut Fanta.Et aussitt, elle reprit ses leons et commena voquer le milieu naturel ivoirien

    La moiti infrieure du pays est occupe par lazone forestire tandis que les savanes septentrionales

    font la transition avec les pays du Sahel. Lexploitationde la fort et sa destruction par des culturesdexportation ont fait disparatre une importante partiedu couvert originel et dj commencent apparatre desindices de dsertification dans la savane.

    Et moi jai dclar pour montrer ce que javaiscompris :

    Moi, avec mes dictionnaires, je pige tout. Pour lemoment, je dis aux exploitants forestiers : Si vous nefaites pas gaffe, des rgions comme celles de Boundiali lextrme nord vont devenir un arbre de Tnr au

    iger (un arbre qui a rsist au dsert des sicles et dessicles dans le profond dsert).

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    Et Fanta de reprendre ses leons.

    Le climat est tropical avec deux saisons de pluie etdeux saisons sches au Sud tandis que dans la partieseptentrionale du pays svit le climat de type soudanais,une saison humide et une longue saison sche.

    Dans la partie orientale du littoral, la frontire duGhana, stendent de vastes lagunes dans lesquelles sedversent les fleuves les plus importants de la Cte-dIvoire. Cest dans cette zone lagunaire que se situebidjan, la capitale conomique, avec quatre millions

    dhabitants et la presque totalit des industries du pays.La cte se prsente rocheuse la frontire duLiberia. A louest, le massif de Man atteint 1 190 mtrespour le mont Tonkoui et culmine avec 1 800 mtrespour les monts Nimba.

    De nombreux fleuves et rivires descendent dunord au sud. Les plus importants sont la Como, leBandama et le Sassandra qui prennent leur source surles hauts plateaux du nord du pays. Le Cavally fait lafrontire avec le Liberia

    Moi, je ne connais pas Abidjan, je suis un petit

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    broussard. Il parat que l-bas on voit dans les rues desblancs aux chaussures troues comme des sauvages dela savane. Mais je connais le Cavally de la frontirelibrienne. L-bas, jai zigouill des populations

    innocentes sur ses rivages.Fanta sarrta. Elle en avait fini avec la gographie

    physique de la Cte-dIvoire. Elle dclara : Ctait un pays plein dhommes sages jusquau

    19 septembre. Le 19 septembre, les Ivoiriens, pris par le

    sentiment du tribalisme, se sont mis se zigouillercomme des fauves et tous les jours creuser et remplirdes charniers. Mais les charniers font de lhumus quidevient du terreau qui est bon pour le sol ivoirien.Comme tu le dis, petit Birahima.

    Elle parla ensuite de la population ivoirienne. Cestle deuxime chapitre connatre aprs le milieu naturelet la gographie.

    La Cte-dIvoire a une population de15,5 millions. Avec une moyenne de quarante-septhabitants au kilomtre carr. Mais cette population estmal rpartie, faible au Nord et forte au Sud. Commetous les pays sous-dvelopps, la Cte-dIvoire connatune forte urbanisation. La densit est trs forte au Sud-

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    Est avec Abidjan, la capitale, qui avait 200 000 habitantsen 1960 et qui aujourdhui en compte 4 millions. Ladeuxime ville est Bouak, o nous nous rendons.Bouak compte 500 000 habitants. Cette population,

    comme dans tous les pays sous-dvelopps, est trseune, avec 42% de moins de trente-cinq ans. La

    population continue saccrotre au taux de 2% par an.Cet accroissement est en baisse. Il tait de 5% vers lesannes soixante. La diminution de laccroissement

    provient dabord dune baisse de la natalit qui de 50 vers 1990 est tombe 37 vers les annes deuxmille

    Moi jai compris pourquoi on voyait partout desenfants des rues en train de tout chaparder. Et pourquoion ne trouvait, parmi les morts des charniers, que trspeu de vieillards aux cheveux blancs. Les vieux sonttous morts et enterrs au village depuis longtemps, bienlongtemps, malgr les danses et les transes desgurisseurs et des sorciers menteurs et voleurs.

    Jai compris aussi (et je vais le vrifier avec mesdictionnaires) que les Ivoiriens ne font plus lamourcomme avant ; ils font tous lamour avec des capotesanglaises. Cest le sida qui veut a. Toutes les ONGviennent de France avec des bateaux pleins de capotesanglaises. Partout en Cte-dIvoire, on trouve ces

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    capotes. a permet de faire lamour sans faire deschies denfants morveux. a cest dj un progrs !

    Mais le ralentissement de la progression vientsurtout dune diminution du solde migratoire. En effet,laccroissement de la population ivoirienne est dsurtout une migration en provenance des tats dunord et de louest, et surtout du Burkina. Le tarissement

    rcent du solde migratoire est la consquence de la criseconomique que subissent tous les tats africains

    a, jai compris ! Cest le problme des Dioulas.

    Ils viennent du Mali, du Burkina, de la Guine, duSngal et du Ghana. Quand la Cte-dIvoire carburait(fonctionnait) comme les locomotives des trains duRAN (Rseau Abidjan-Niger), ils venaient de partout,ils venaient comme des sauterelles. Maintenant, ilsviennent de moins en moins en Cte-dIvoire. Ilsmontent avec beaucoup dIvoiriens en Italie et enFrance pour devenir des sans-papiers. Mais tousnatteignent pas les ctes franaises et italiennes ;beaucoup crvent par noyade aprs le naufrage dans laMditerrane des bateaux des passeurs clandestins etcriminels. Faforo (cul de mon papa) !

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    Le troisime aspect de la gographie, aprs lemilieu naturel et la population, est lconomie de laCte-dIvoire.

    Les richesses du pays proviennent presque entotalit du Sud. Le cacao (dont le pays est le premierexportateur), le caf, la banane, lananas, lhva sontcultivs au Sud. Cest au Sud quon exploite le bois.Les industries de transformation sont implantes autour

    dAbidjan, au Sud. Le Nord et le Centre produisent ducoton et de la canne sucre et ont les industries detransformation affrentes ces matires premires.Dans tout le pays se cultivent des plantes vivrires.

    Moi, quand on parle de plantes vivrires, cela merappelle le riz sauce graine que ma grand-mre mefaisait rserver dans un petit plat au fond de sa case.

    Cette remarque arracha un sourire Fanta et nousnous mmes rire tous les deux.

    Lconomie de la Cte-dIvoire a t florissantependant les deux dcennies qui ont suivilindpendance, avec des taux de croissance de plus de6%. Cette exceptionnelle croissance de lconomie amarqu le pays dans tous les domaines, tant du point de

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    vue de lquipement, de la croissance de la population,de lvolution de la socit ivoirienne et mme ducomportement de lindividu ivoirien. Ces annes dortaient dues plusieurs facteurs favorables. La bonne

    conjoncture internationale, la politique librale deHouphout-Boigny qui a attir une main-duvreabondante et de qualit rebute par les expriencessocialistes tentes au Ghana, au Bnin, en Guine et auMali, et au dynamisme du gouvernement de

    Houphout-Boigny. Houphout-Boigny a suaccompagner la croissance par des crations originalescomme la Caisse de stabilisation (commercialisation desproduits dexportation), le budget spcialdinvestissement, la Caisse autonome dinvestissement,

    les Sods (socits publiques charges dedvelopper telle ou telle production). Tout cela ntaitplus quun lointain souvenir vers les annes quatre-vingt-dix, lors de la disparition du patriarche. Laconjoncture internationale stait renverse, desinitiatives malheureuses avaient t tentes et lacorruption avait tout gangren.

    Comme je ne comprenais rien rien, Fanta sestarrte et ma donn de longues explications. Pendant lapriode dor de la Cte-dIvoire, le directeur de laCaisse de stabilisation envoyait chaque matin la

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    prsidence trois sacs dargent. Oui, trois gros sacspleins dargent pour les largesses de Houphout. Et,chaque jour, avant le coucher du soleil, les trois sacstaient entirement distribus des visiteurs et des

    qumandeurs venus de partout. Houphout croyait quelargent ivoirien ne pouvait pas spuiser. Quandcommena la mauvaise conjoncture, un matin, ledirecteur de la Caisse ne put offrir les trois sacs.Embarrass, avec beaucoup de tact, le directeur dcida

    den informer le prsident. Malgr de minutieusesprcautions, lannonce de cette information,Houphout entra dans une colre rageuse, cria si fortaprs le directeur que le pauvre tomba sur place,victime dun arrt du cur. Ctait une faon dutiliser

    les richesses de la Cte-dIvoire.

    Moi jai compris, avec laide de mes dictionnaires,que le prsident Houphout avait t gnreux sur terre.Il sera rcompens par Allah au jour du jugementdernier. Il sera sauv par laumne faite avec largent dela Cte-dIvoire. Le reste, je ne lai pas compris. Parceque mon cole nest pas alle loin et parce que je nesuis pas trs intelligent. Je comprendrai quand je seraiprt pour le brevet et le bac. De toute faon, je menfoutais de comprendre, de tout piger maintenant ou plustard. Ce qui comptait, ctait de me trouver avec Fanta

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    et de lentendre parler.

    Le soleil commenait dcliner. Il nous fallait

    trouver un lieu o roupiller pendant la nuit.Nous voil arrivs au bord de la route, hauteur

    dune femme dioula et de ses enfants en train de suivrele dfil des rfugis. Fanta la salua en dioula. Lafemme rpondit avec chaleur et spontanment nous

    demanda de la suivre dans son campement cinq centsmtres de la route. Arrivs dans la plantation, elle nousoffrit le gobelet deau frache de bienvenue et laconversation sengagea avec Fanta. Comme ctaitbientt le soir, la femme nous proposa le gte. Nous

    lavons accept avec empressement. Moi, jtaiscontent. Je me suis mis regarder la femme des piedsau mouchoir de tte : rien faire, elle tait pleine debont. Elle nous a indiqu notre chambre et sest mise chauffer de leau pour notre douche. Nous noussommes douchs et, aussitt aprs, le chef de famille arcit lappel la prire. Nous nous sommes installssur les nattes que lhtesse avait tendues devant laporte de la maison. Fanta et lhtesse sur une natte unpeu en retrait ; le chef de famille qui dirigeait la priresur une peau de mouton en vue devant. Nous avons faitune prire de supplication Allah.

    Le soir, aprs le repas pris avec toute la petite

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    famille, la conversation se poursuivit. La femme voulaitsavoir si nous avions vu Sidiki Daloa. Sidiki tait lepremier fils de la gnreuse femme. Elle nous fit ladescription de Sidiki. Il tait grand, toujours poli,

    portait toujours un chapeau mou et il avait travailldabord comme boy chez un blanc trs gentil Quandcelui-ci tait parti, Sidiki avait t embauch par undocteur noir baoul trs gentil qui lavait accompagnune fois jusquici, au campement. Le docteur tait

    mdecin lhpital.Fanta expliqua quaprs leur victoire les loyalistesavaient runi beaucoup de Dioulas et les avaientfusills. Daloa tait une grande ville. On ne pouvait pasconnatre tout le monde ; Fanta navait pas vu Sidiki.

    otre gnreuse htesse clata en sanglots. Elle nepouvait pas se rsoudre la ralit. Fanta navait pasreconnu Sidiki et donc elle pensait quelle ne lavait pasvu. La femme reprit la description de Sidiki et de sonpatron, elle expliqua quelle avait vu un devin. Le devinlavait assure que Sidiki se portait bien et elle necomprenait pas pourquoi Fanta ne lavait pas vu. Fantarpta ce quelle avait dit. La femme clata en sanglotsde plus belle, elle se mit pleurer comme une sourcependant la saison des pluies, comme un enfant pourri.Son mari fut oblig de la prendre par la main et de laconduire dans la chambre. Nous aussi nous sommesalls nous coucher.

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    Le matin la femme frappa notre porte pour nousrveiller. Leau chaude fut servie derrire la case. Nousnous sommes douchs, lun aprs lautre, Fanta lapremire. Ensuite, ce fut la prire en commun et la

    bouillie de riz comme petit djeuner. Nous avons pris lepetit djeuner avec toute la famille. Et vint lheure dequitter le campement, de poursuivre notre chemin versle Nord. Notre pied la route. Fanta voulut remercier lagnreuse htesse. Elle nacceptait pas nos

    remerciements. Elle avait agi pour Sidiki. Parce quenous avions vu Sidiki, parce que nous tions des amisde Sidiki. Elle clata de nouveau en sanglots.

    Moi, je nai rien compris. Fanta avait dit lafemme que nous navions ni vu ni connu son fichuSidiki de fils. Rien faire. Elle continua pleurercomme un enfant pourri, un veau. Comme si les larmespouvaient ressusciter son fichu fils sil avait tzigouill par les loyalistes. Faforo (gros bangala de mongniteur) !

    La route tait dgage. De loin en loin, on voyaitun rfugi, gnralement une femme avec un seau deplastique sur la tte et suivie par un enfant. Fantacommena menseigner lhistoire de la Cte-dIvoire.

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    On ne connat pas avec prcision lhistoirepalolithique du pays. Pourtant, le peuplement du pays

    a une importance majeure dans le conflit actuel. Acause de livoirit. Livoirit signifie lethnie qui aoccup lespace ivoirien avant les autres.

    Tous les Ivoiriens semblent daccord sur un point :les premiers des premiers habitants du pays furent les

    Pygmes. Du sud au nord, de lest louest, lorsquondemande des vieux qui appartient la terre, la rponseest toujours la mme : de petits hommes au teint clair(dans certaines rgions, on les appelle les petitsdiablotins), vivant dans les arbres, arms darcs et de

    flches, sont les matres de la terre. Cest--dire lesPygmes. Les Pygmes ont disparu de lAfrique delOuest par assimilation. Les gros ngres taientamoureux des jeunes filles pygmes (des petites fillesau teint clair, mignonnes, flexibles comme des lianes)quils capturaient en grand nombre pour les pouser.De la sorte, beaucoup dIvoiriens de toute ltendue dela Cte-dIvoire (du Nord et du Sud) sont desdescendants de Pygmes. Des descendants des matresincontestables de la terre. Donc eux-mmes des matresde la terre.

    Aprs les Pygmes, les ethnies ayant laiss lestraces les plus anciennes sont les Snoufos et les

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    Koulangos, toutes deux du Nord. Il est vrai que lesethnies du Sud ne pouvaient gure laisser de tracesobservables : lhumidit et les pluies dtruisent eteffacent toute empreinte humaine.

    Maintenant, plaons-nous dans les tempsmodernes ; cest--dire du onzime au dix-septimesicle.

    Curieusement, les ethnies qui se revendiquentpremiers occupants et celles quon exclut font toutes

    partie des populations issues des rgions voisines, horsde lespace ivoirien.Les Bts, cest--dire les Krus, sont venus de

    louest (actuel Liberia) du dixime au douzime sicle.Les Malinks, issus du nord (actuels Mali et

    Burkina), sont arrivs du treizime au quatorzimesicle.Les Baouls, les Agnis et les Abrons du groupe

    akan sont venus de lest (lactuel Ghana) du treizimeau quinzime sicle.

    Cest dire que le prsident Gbagbo, le prsidentKonan Bdi, le prsident Gue, le Premier ministreOuattara sont tous issus des ethnies ayant foul lespaceactuel ivoirien aprs, bien aprs, le dixime sicle.

    ucune ethnie lpoque ne savait si elle entrait danslespace ivoirien. Toutes les ethnies se sont trouvesivoiriennes le mme jour, en 1904, lorsque, dans lecadre de lAOF, le colonisateur europen a prcis les

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    frontires de la Cte-dIvoire.

    Moi jai compris (je comprendrai encore mieux

    avec mes dictionnaires). Les ethnies ivoiriennes qui sedisent multisculaires (elles auraient livoirit dansle sang depuis plusieurs sicles), cest du bluff, cest lapolitique, cest pour amuser, tromper la galerie. Cestpour loigner les sots. Cest pour ranonner les

    trangers. Tout le monde est descendant des Pygmes,les matres de la terre, donc tout le monde est matre dela terre. Tout le monde est devenu ivoirien le mmeour. Faforo !

    Les premiers Europens arrivs en Cte-dIvoire

    sont les Portugais en 1469. Ils crrent les comptoirsdAssinie et de Sassandra. Leur succdent deux siclesaprs les Hollandais, et les Franais partir de 1842. LesFranais avaient connu une brve installation (de 1687 1705) Assinie. A partir de 1842, les Hollandais et lesFranais crent des comptoirs sur la cte. Cescomptoirs servent de point dappui au commerce delivoire et aussi au trafic desclaves. La Cte-dIvoirefut pargne par la grande traite des esclaves cause delinhospitalit de la cte et parce quil ny avait pas degrands royaumes ngriers ivoiriens.

    A ses dbuts, la colonisation franaise futpacifique. Elle procda par des traits ngocis avec les

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    chefs indignes par les administrateurs Treich-Laplne,Binger et Delafosse.

    La Cte-dIvoire est rige en colonie en 1893, etcest partir de cette poque que les Franais

    entreprennent de conqurir lintrieur du pays. Ils seheurtent une rsistance farouche des Gouros, desBaouls et des Attis. Surtout, au Nord, ils ont affaire Samory, le Napolon de la savane . Aprs diverstraits, de grands combats eurent lieu avec Samory. Il

    fut captur par tratrise en 1898. Toutefois, la Cte-dIvoire officielle ne reconnat pas Samory parmi seshros. Parce quil tait arriv au centre de la Cte-dIvoire, poursuivi par les Franais qui lavaient chassde Guine et du Nord-Ouest du pays, la rgion

    dOdienn. Pour affamer ses poursuivants, il avaitappliqu dans le centre de la Cte-dIvoire la techniquede la terre brle. Cest--dire beaucoup de destructionset beaucoup de massacres. Les Ivoiriens sont loin depardonner lalmamy Samory les souffrances endurespar les populations pendant lpope.

    Cest en 1904 que les limites de la Cte-dIvoiresont prcises et que la colonie entre dans lAfriqueoccidentale franaise. Mais les rsistances despopulations ivoiriennes de lintrieur, toujours lesmmes Gouros, Baouls et Attis, se poursuivrontusquen 1914 et mme au-del. Dans les annes trente,

    les Gbantis de Boundiali, les Attis de Rubinot, les

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    Dioulas de Bobo se rvoltrent contre la colonisationfranaise.

    Mais ces rsistances hroques du peuple ivoirienne sont pas reconnues par la Cte-dIvoire officielle.

    Houphout, le premier prsident de la Cte-dIvoire,avait une conception curieuse de lhistoire des peuples.Pour sentendre avec le colonisateur, il a effac larsistance la colonisation. Il a parl des vainqueurs eta oubli les vaincus. Il a laiss les vaincus dans lombre

    de loubli.Cest pourquoi aucune rue des villes ivoiriennes neporte le nom des rsistants ivoiriens la colonisation.En revanche, elles affichent les noms desadministrateurs coloniaux les plus cruels et racistes. La

    Cte-dIvoire met entre parenthses les souffrances etles actes hroques des Ivoiriens pendant la pntrationet la conqute coloniale du pays. Cest pourquoi lesIvoiriens vont chercher leur appartenance la patriedans livoirit. Livoirit, cest tre ivoirien avantdautres. Ce nest pas avoir vers son sang pour lapatrie

    Moi, jtais en train de rflchir tout ce que Fantasortait de sa tte remplie de choses merveilleuses.Ctait trop pour moi qui lcoutais et lenregistrais.Ctait trop pour ma tte de petit oiseau. Mon cole

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    nest pas alle loin, je ne pouvais pas tout comprendretout de suite. Je comprendrais lorsque je serais prtpour le brevet et le bac. Je pensais tout et tout lorsquesoudain, au dtour de la route, nous avons entendu des

    cris. Des cris perants. Nous nous sommes arrts,surpris et inquiets. Et nous avons vu, courant notrerencontre, trois malheureux poursuivis par une hordede personnes balanant chacune un coupe-coupe. Fantaa hurl et sest enfuie dans la fort. Pour moi, ctait

    loccasion de dmontrer que javais du solide entre lesambes. Je ne pouvais pas suivre Fanta. Elle allaitpenser que jtais peureux comme une bouillie desorgho de ramadan. Je me suis courb, jai tourn deuxfois dans les manches de mon boubou trop large. Jai

    sorti le kalach, jai tir en lair une rafale de cinq coups.La horde sest disperse et a disparu dans la fort. Lestrois fuyards se sont mis sous ma protection. Pourmontrer Fanta que jtais un ancien enfant-soldat, jaitir cinq autres rafales en direction de la fort oavaient disparu les poursuivants.

    Les trois fuyards mont remerci, puis ils se sontprsents. Ctaient des Burkinabs, des agriculteursburkinabs. Ils avaient t expulss de leur plantationde cacao. Il y avait l le pre, son pouse et leur fils. Lepre avait achet la terre des Bts quinze ans plus tt.Depuis quinze ans, il cultivait la mme plantation. Leprsident Houphout avait dit que la terre appartenait

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    celui qui la cultivait. Le pre avait quand mme donnde largent aux autochtones. La terre lui appartenaitdonc deux fois : il lavait achete et il lavait cultive. Ilvivait bien avec les villageois. Il tait devenu un Bt

    parlant le bt aussi bien quun Bt. Mais voilqutaient arrives livoirit et la prsidence de Gbagbo.Ses amis villageois taient venus lui dire de partir,dabandonner sa terre, sa plantation, tout ce quilpossdait. Il avait refus, carrment refus. Mais, ce

    matin mme, les villageois staient fait accompagnerpar des gendarmes. Les gendarmes lui avaient demandde partir immdiatement parce quils ne pouvaient pasgarantir sa scurit ni celle de sa famille. Quand lesBurkinabs avaient commenc rassembler leurs

    bagages, les villageois staient arms de coupe-coupeet avaient entrepris de les poursuivre.La mre burkinab a clat en sanglots. Elle

    pleurait comme un enfant gt, comme un veau. Je lairegarde du pied aux cheveux. Je souriais. Je lui ai ditquelle devait sestimer heureuse. Les villageois avaientt gentils : ils ne les avaient pas tus. Cest la prsencedes gendarmes qui les avait sauvs. Gnamokod (putainde ma maman) !

    Je ne regrettais pas davoir envoy dans la fort oils avaient disparu cinq rafales supplmentaires. Siavais zigouill des Bts, ctait bien fait pour eux. a

    faisait un escadron de la mort en moins. Faforo (cul de

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    mon pre) !

    Fanta est sortie de la fort avec beaucoup de

    prcautions. Elle a salu les Burkinabs. Elle avait delintelligence et encore du cur. Moi pas. Elle a consolla femme qui continuait pleurer comme un enfantpourri qui on a arrach son petit oiseau. Comme lesoleil commenait descendre et que la femme

    narrtait pas de pleurer, Fanta sest tourne vers le chede famille. Elle lui a demand sil voulait faire pied laroute avec nous. Nous allions au Nord, Bouak.prs une courte rflexion, le pre a accept. Il navait

    plus rien et ne savait pas o aller.

    Nous avons ensemble repris notre marche vers leord.

    Aprs de longues minutes de silence, Fanta repritson enseignement de lhistoire de la Cte-dIvoire pourque je comprenne lorigine du conflit tribal. Quandcest un affrontement entre des civiliss, on appelle celaune guerre. Dans les guerres, il y a plus de matriels,plus de destructions mais moins de morts. Cest mesdictionnaires qui me lont appris. Walah !

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    La Cte-dIvoire, dans le cadre de lAOF, estdirige par des lieutenants gouverneurs. En 1934, lelieutenant gouverneur matre de la Cte-dIvoire estReste. Reste est jeune, dynamique, plein dinitiative, et

    nourrit de grandes ambitions pour la colonie. Le sol estriche, il faut lexploiter pour la mtropole, la France. Ilcommence par changer de capitale pour la deuximefois. De Grand Bassam, la capitale avait t dplace Bingerville ; de Bingerville, elle est transporte

    bidjan. Il fait venir des paysans franais pourlexploitation du pays. Cette exploitation ne peut se fairequavec la pioche, la houe, la daba et la hache. Cest--dire la main. Rien na encore t invent, dans lamachinerie agricole, pour la fort tropicale. Il faut de la

    main-duvre, beaucoup de main-duvre, de la main-duvre courageuse. Les habitants de la fort sont trspeu nombreux et surtout, ils sont lymphatiques. Devrais travailleurs, on nen trouve quau Nord du pays.Mais les Snoufos ne sont pas plus de cinq cent mille.Le problme est pos au niveau de lAOF et duministre des Colonies Paris. On dcide dedmembrer la Haute-Volta (appele aujourdhuiBurkina). Une grande partie du Burkina est rattache la Cte-dIvoire. Le gouverneur Reste a les mainslibres. Il commence par installer des villages de paysansburkinabs dans la fort ivoirienne. Et surtout, ildcrte le systme des travaux forcs pour le Nord de la

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    Cte-dIvoire et la partie du Burkina rattache la Cte-dIvoire. Cest--dire, dans le langage daujourdhui, lepays dioula.

    Le systme de travaux forcs est simplement un

    esclavage qui ne dit pas son nom. Cet esclavage sans lenom est linstitution la plus condamnable, la plushonteuse, la plus contraire aux droits de lhomme de lacolonisation. Les jeunes devenaient des conscrits qui,une fois recruts, taient sous bonne garde pendant les

    mois de travaux forcs. Ils taient envoys au Sud dansdes wagons de marchandises ferms sous 45 de chaleur.Les mmes wagons, la chaleur en moins, dans lesquelsles Allemands envoyaient les juifs aux travaux forcspendant la dernire guerre. Le systme des travaux

    forcs assure une main-duvre de qualit et bonmarch aux paysans franais quon a fait venir deFrance. Ces paysans sont planteurs ou exploitantsforestiers. Le systme des travaux forcs assure aussiune main-duvre de qualit et bon march auxentreprises de travaux publics et de constructionfranaises. Les planteurs, exploitants et entrepreneursfranais ne se soucient pas de la sant de la main-duvre. Les travailleurs crvent comme des mouches.Quoi quil arrive, ils sont renouvelables tous les neumois. Cest la main-duvre du Nord mobilise dans lecadre des travaux forcs qui a bti le Sud. Cest elle quia bti les routes, les ports, les chemins de fer, les

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    btiments du Sud. Parce que les habitants de la fort duSud taient considrs comme lymphatiques.

    Lymphatique Moi, petit Birahima, jai couruaprs le mot dans mes dictionnaires. Eh bien ! asignifie indolent, mou, incapable dinitiative, bref quine sait rien faire, qui ne peut ni ne veut rien faire. Cestparce que les habitants de la fort taient considrs

    comme lymphatiques que les Dioulas sont mortscomme des mouches pour construire le Sud. Il ny aaucune pierre, aucune brique, aucun pont, aucuneroute, aucun port, etc., du Sud qui nait t bti par desmains de Dioulas du Nord. Faforo (cul de mon pre) !

    Les habitants du Nord sont mobiliss pourtravailler dans les plantations des Europens au Sud etles habitants du Sud pour raliser des plantationsvillageoises.

    Entre les deux guerres sont engags les travauxdinfrastructure du chemin de fer Abidjan-Niger et duport dAbidjan. Ces travaux seront amplifis aprs1945.

    Les planteurs africains du Sud sont victimes degraves discriminations. Ils nont pas droit la main-duvre venue du Nord grce au systme des travaux

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    forcs. Pendant la priode de guerre, 1939-1945, lecacao ntait pas achet, il pourrissait sur les arbres.Ladministration coloniale paya la production desEuropens pour la dtruire ensuite. Le planteur africain

    neut droit aucune compensation. Pour survivre, lesplanteurs africains dcidrent de crer un syndicatagricole ds que lautorisation en fut donne auxcoloniss. Ils mirent la tte de ce syndicat Houphout-Boigny.

    A partir de cette date, lhistoire de la Cte-dIvoirese confond avec lhistoire personnelle de Houphout-Boigny.

    Moi, petit Birahima, jai cherch dans mesdictionnaires, jai trouv le sens de discrimination. Maisavais dj compris que lhistoire de la Cte-dIvoire se

    confondait avec celle de Houphout-Boigny. Ce quisignifie que souvraient en Cte-dIvoire les soleils deHouphout-Boigny . Les soleils, daprs lInventairedes particularits lexicales du franais en Afrique noire,signifient res. A partir du syndicat des planteursafricains, commenait en Cte-dIvoire lre deHouphout-Boigny.

    Mais le jour commenait dcliner. Il tait temps

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    de chercher un gte pour la nuit. Les Burkinabs quifaisaient pied la route avec nous taient rests pensifs etsilencieux comme ltranger craignant dtre impoli lgard de lhtesse. Ils pensaient leur maison, tout

    ce quils avaient abandonn, ils pensaient auxnombreuses annes passes labourer le sol, ilspensaient et se trouver un jour ainsi en train demonter vers un pays o ils ne connaissaient pluspersonne.

    Voil qu lentre dun village nous est apparuquelque chose de blanc. Ctait une sorte de colossetout de blanc vtu. Une femme dgingande, toute enmembres et portant une ample camisole blanche dereligieuse. Elle tenait haut une grande croix de sa

    fabrication, faite de deux branches darbre croises etassembles par des lianes de la fort. Arrive notrehauteur, elle nous a salus et nous a demand si noustions des Dioulas fuyant Daloa. Fanta hsitait rpondre. Moi, petit Birahima, jai tt mon kalachcach dans mon grand boubou pour massurer quiltait l, prt rpondre toute canaillerie. Et jaitranquillement rpondu : oui, nous tions des Dioulasfuyant le pays bt et montant chez nous, au Nord. Ellenous a prsent des excuses pour le mal que ses frresbts nous avaient fait. Elle nous a demand de nousaligner sous la croix, de suivre la croix, de suivre leSeigneur, de suivre Jsus-Christ ressuscit et mont au

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    ciel. Fanta et moi, surpris, nous sommes arrts prsdelle. Elle a dbit longtemps un discours parfoisincohrent. Elle sappelait Bernadette. Elle tait auservice du Seigneur sur cette route et dans ce village.

    Elle tait l pour accueillir chez elle ceux qui navaientpas de gte. Pour cette nuit et pour autant de nuits quenous voudrions. Nous avons hsit accepterlinvitation, hsit la suivre. Aprs un moment deflottement, Fanta sest dcide parler. Elle a expliqu

    que nous avions pour compagnons des Burkinabs quiavaient t expulss de leur plantation. Bernadette les aappels et leur a demand de se joindre nous. Ellenavait pas assez de nattes chez elle ; elle leur cderait sapropre natte et coucherait sous la vranda. Sa maison

    tait le domicile du Seigneur et elle recevait tous ceuxqui cherchaient un gte. Nous lavons finalement suivie.Elle habitait lentre du village, un peu en retrait.

    La maison tait grande, tout entoure dun potagerquelle cultivait. Elle tait veuve, son mari avait trappel par le Seigneur. Elle avait eu cinq enfants oui,cinq qui tous avaient t rappels par le Seigneur.

    Elle nous a offert des nattes, nous et nosmalheureux compagnons burkinabs. Elle nous aapport de leau chaude pour la douche et de lanourriture pour le dner. Ce ntait ni trs bon ni trssuffisant, mais a venait du cur. Toute la nuit, elle apri le Seigneur pour lme de tous les morts, de nos

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    morts et des morts bts. Elle a pri le Seigneur pourquil accorde sa misricorde tous ceux qui avaient faitdu mal. Du mal aux Bts et du mal aux Dioulas

    Le matin, au rveil, aprs notre prire musulmaneavec les Burkinabs, nous sommes rests perplexes. Ilnous fallait partir. Et comment partir sans remercierBernadette, sans lui demander la route (sans prendre

    cong) ? Le soleil tait dj haut dans le ciel mais notrehtesse tait plonge dans un profond sommeil. Nousavons cri plusieurs fois son nom, Bernadette. Nouslavons touche, nous lavons vigoureusement secoue.Rien faire, elle refusait de nous rpondre, elle refusait

    de se rveiller. Elle tait dans un sommeil proche dusommeil du Seigneur. A regret, nous avons pris pied laroute. Toujours vers le Nord.

    Nous tions deux jours de marche de Daloa. Il yavait de moins en moins de rfugis. Fanta a repris sonenseignement de lhistoire de la Cte-dIvoire.

    Pendant la guerre, sous le ptainisme, les colons setrouvrent seuls matres du pays. Leur arme taitlidologie du fascisme de lAllemagne. Ils appliqurentun apartheid dur et tatillon. La colonisation, ds cespremiers jours, ne tolrait plus que les blancs se mlent

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    aux ngres. De nouvelles rgles renforcrent lasparation, la poussant jusquau comptoir desboutiques. Chaque boutique sparait en deux parties lecomptoir o blancs et noirs devaient sarrter pour faire

    leurs emplettes.Un jour, vinrent la Libration et le gaullisme. Tout

    changea. Les rgles de lapartheid sautrent. On vit desenfants curieux se grouper lentre de lhtel Bardonet des autres bars dAbidjan pour observer noirs et

    blancs consommer ensemble. Et ce ne fut pas tout. Onvit aussi dbarquer de nouveaux blancs. Ceux-lsintressaient aux conditions des noirs indignes. Ilsavaient un autre langage et un autre comportement. Ilsentreprirent les formations politiques des noirs qui

    devaient envoyer des reprsentants aux constituantes etaux assembles parlementaires de Paris. Ils organisrentdes Unions dtudes communistes (UEC). Ctaient descours du soir qui permettaient de comprendrelconomie et la situation sociale des noirs de la Cte-dIvoire. Les analyses taient faites dans uneperspective socialiste, communiste. Ces nouveauxblancs taient des communistes. Ils se mlaient auxnoirs indignes, ils allaient chez les noirs. Ils prirent enmain lorganisation du Syndicat des planteurs africainsde Houphout-Boigny. Ils en firent un instrumentpolitique redoutable pour les chances futures. Ilsdevinrent les amis et conseillers de Houphout-Boigny

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    et de son quipe. Ils organisrent tout autour deHouphout-Boigny.

    Quand vint llection de dputs pour la premireConstituante, Houphout se prsenta et ses amis axrent

    sa campagne sur la suppression des travaux forcs.vec une telle affiche, tout le Nord vota comme un seul

    homme pour le dput Houphout-Boigny. Au Sud,moins sensible aux travaux forcs, les voix sedispersrent. Elles allrent dautres candidats.

    Il y eut une deuxime Constituante. LaConstitution propose par la premire avait t rejetepar la droite franaise parce quelle faisait coloniser laFrance par ses colonies . Heureusement, les libralitscomme la suppression des travaux forcs et la

    citoyennet de lUnion franaise acquises au cours de lapremire furent prserves. La loi Houphout-Boigny,la loi supprimant les travaux forcs, fut perptuellementacquise. Le nom de Houphout-Boigny, li lasuppression des travaux forcs, fit de lui un homme-dieu au nord de la Cte, dans lactuel Burkina et dans le

    iger. Dans la cosmogonie de certaines sectes delpoque, Houphout-Boigny et de Gaulle figurrentparmi les dieux. Cest dire que Houphout-Boigny avaitacquis une popularit exceptionnelle dans toutelAfrique francophone et mme au-del. Il ny a rien desurprenant ce quil ft dsign comme le prsident duRassemblement dmocratique africain lors de la

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    cration de ce mouvement Bamako. Ce mouvementqui allait jouer un rle primordial dans lmancipationde lAfrique.

    Les deux libralits avaient t obtenues grce

    lappui du groupe communiste. Les compagnons deroute des communistes qutaient Houphout-Boigny etses amis conduisirent la grande majorit desintellectuels africains tudier le communisme, aimerle communisme, croire que la seule solution au sous-

    dveloppement tait le communisme. Cette propagandeinsidieuse pour le communisme effrayait les colons, quitaient tous anticommunistes. Dj, en 1947, ils avaientobtenu la reconstitution de lactuel Burkina, appelalors la Haute-Volta, pour faire chapper ce pays

    linfluence communiste. Ce qui eut pour effet de faireperdre aux Burkinabs le bnfice des sacrifices quilsavaient consentis pour la construction de la basse Cte-dIvoire. Du jour au lendemain, tous les Burkinabs setrouvrent trangers dans un pays quils avaient btiavec leur sang. Houphout, devant linjustice de lasituation, voulut instituer, en 1964, la double nationalitentre Ivoiriens et Burkinabs. Mais la propositionarrivait trop tard : elle fut rejete par les habitants de labasse Cte-dIvoire avec fracas.

    L, Fanta sest interrompue. Le soleil tait arriv au

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    point de la premire prire et Fanta naurait jamaistolr quune prire ne soit pas courbe son heure.

    ous avons pri avec les Burkinabs. Un desBurkinabs a fait limam. Aprs la prire, nous nous

    sommes reposs un bout.Moi, petit Birahima, jai rflchi et bien pens. Il y

    a deux sortes de blancs. Des blancs qui trouvent que lengre est un menteur fieff et que, mme lorsquil separfume, il a une odeur persistante : il continue sentir

    le pet. Il faut lloigner et le traiter comme un baudet.Ce sont les partisans de lapartheid comme lesptainistes pendant la guerre. Dautres croient que lengre est n bon et gentil, toujours le sourire, toujoursprt tout partager. Il faut le protger contre les

    mauvais blancs. Ce sont les communistes.Dautre part, les Burkinabs ont t les rats de laCte-dIvoire. Ils ont creus le trou de la Cte-dIvoire(construit le pays) et les serpents ivoiriens les ontchasss de leur trou pour loccuper. Faforo !

    Aprs le repos, nous avons pris pied la route etFanta a continu son enseignement.

    Quand arriva la guerre froide, les communistesfurent exclus du gouvernement en France. Le RDA de

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    Houphout-Boigny et son groupe perdirent leur appui lAssemble nationale. Ils neurent plus personne pourparler dapplication des droits de lhomme. On leslaissa seuls avec les colons. Et le gouvernement franais

    sattela srieusement la lutte contre la pntration ducommunisme en Afrique. On envoya dans chaquecolonie des gouverneurs dexception, desanticommunistes de fer. La Cte-dIvoire eut Pchoux.Pchoux pensait qu lgard du noir, de surcrot

    communiste, il ny avait pas la moindre rgle morale respecter. Ctait un homme sans morale et sansvergogne. Il engagea aussitt la lutte contre le RDA partous les moyens, sans en exclure aucun. Et partout enCte-dIvoire, dans toutes les villes, les habitants se

    soulevrent. Les mouvements furent svrementrprims. Un mandat darrt fut lanc contreHouphout-Boigny qui nchappa larrestation quense rfugiant en France. Il se terra Paris jusqu ce queMitterrand lui tende la perche de la rupture avec le Particommuniste et de ladhsion du groupe RDA son petitparti, Union dmocratique et socialiste de la rsistance.Houphout-Boigny appela lopration repli stratgiqueet envoya de nombreux messagers en Afrique pourlexpliquer aux militants. Certains ne comprirent pas. Ilsdmissionnrent ou cessrent de militer.

    Le repli stratgique permit Houphout-Boignydentrer dans le gouvernement franais et de devenir un

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    ami de De Gaulle. De glissement en glissement, il finitpar tre lanticommuniste viscral que tout le monde aconnu. Il rejeta tout sentiment nationaliste.

    En 1960, la France saperut, aprs tudes avec le

    gnral de Gaulle, que la colonisation de lAfriquenoire, avec des ngres qui voluaient de plus en plus etdemandaient de plus en plus, revenait trs cher lamtropole. Cette colonisation ntait pas indispensable,elle ne se justifiait plus. Et le gnral, sans tats dme,

    voulut octroyer lindpendance toutes les colonies quine prsentaient pas dintrt stratgique. Que lesresponsables de chaque colonie le veuillent ou non.Houphout-Boigny esprait obtenir pour la Cte-dIvoire le statut dtat associ la France. Le prsident

    de Gaulle refusa et lobligea proclamerlindpendance le 7 aot 1960.

    Moi, petit Birahima, jtais en train de rflchir tout ce que Fanta avait dit. Tout cela tait tropcompliqu pour moi maintenant. Je ne pouvais pas toutcomprendre tout de suite. Je comprendrais plus tard,lorsque je serais prt pour le brevet et le bac.

    Pour le moment, jai compris quaprs avoirallum lincendie en Cte-dIvoire Houphout-Boignysest enfui et sest bien cach dans un petit htelminable Paris en France. Mitterrand lui a tendu la

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    main. Il la saisie et a appel cela le repli stratgique etle repli stratgique a fait de Houphout le grand hommeque tout le monde admire et vnre aujourdhui. Et puisHouphout-Boigny a pleur comme un enfant pourri

    pour que la Cte-dIvoire reste une colonie de laFrance. Le gnral de Gaulle a carrment refus.Faforo !

    Nous ne devons pas tre loin de la ville deMonoko Zohi. Un Dioula a voulu nous conduire uncharnier quon venait dy dcouvrir le jour mme. Il laappel kabako . Jai cherch le mot kabako dansmon Inventaire des particularits lexicales du franais

    dAfrique noire. Kabako est un mot dioula qui signifielittralement (cest--dire mot pour mot) : quelquechose qui laisse la bouche be. Ce mot se dit en dioulapour une horreur des horreurs. Cest--dire une horreurimpensable, incroyable, indicible.

    Les forces loyalistes avaient reconquis MonokoZohi. Les forces rebelles les avaient contre-attaques etles avaient chasses de la ville. Les loyalistes, avant desenfuir comme des voleurs, staient disperss dans laville et les concessions (les cours) et avaient enlevautant de Dioulas quils lavaient pu. Ils les avaientrunis dans la fort et les avaient tous fusills commedes btes sauvages. Puis, dans la prcipitation, ils

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    avaient couvert le