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Prise en charge chirurgicale du polytraumatisé en situation précaire

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J Chir 2006,143, N°6 • © 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mise au point

Prise en charge chirurgicale du polytraumatisé en situation précaire

L. Mathieu

1

, F.R. Desfemmes

2

, R. Jancovici

3

1. Hôpital d’Instruction des Armées Bégin – Saint-Mandé.2. Hôpital d’Instruction des Armées Val-de-Grâce – Paris.3. Hôpital d’Instruction des Armées Percy – Clamart.

Correspondance :

R. Jancovici, Hôpital d’Instruction des Armées Percy, 101 Avenue Henri Bar-busse, F 92141 Clamart cedex.e-mail : [email protected]

Résumé / Abstract

Prise en charge chirurgicale du polytraumatisé en situation précaire

L. Mathieu, F.R. Desfemmes, R. Jancovici

La prise en charge d’un polytraumatisé en situation précaire doit s’adapter au manque de moyens en personnel, matériel et possibilité d’évacuation. Elle nécessite une stratégie chirurgicale en plusieurs temps, fondée sur les données de l’examen clinique et d’examens radiologiques simples.Les polytraumatisés instables doivent être conduits au bloc opératoire sans délai pour réalisation des interventions de sauvetage, ce sont des « Extrêmes Urgences ».Les polytraumatisés stabilisés par la réanimation peuvent bénéficier d’un bilan lésionnel plus complet, avant réalisation des interventions urgentes dans un délai de 6 heures, ce sont des « Premières Urgences ».Après mise en condition d’évacuation, les blessés doivent être transférés vers des structures mieux adaptées pour la réalisation des interventions différées.

Mots-clés :

Urgences. Diagnostic. Traitement. Polytraumatisme. Situation précaire.

Management of the unstable patient with multiple trauma

L. Mathieu, F.R. Desfemmes, R. Jancovici

The management of the patient with multiple trauma in unstable condition must be adapted to the means available (or unavailable) on site, i.e., trained personnel, material means, and the possibility of evacuation to a trauma center. This may require a multi-stage surgical strategy based on clinical examination and available imaging resources. Patients with multiple trauma in unstable condition should be brought to the operating room promptly for life-saving or stabilizing interventions (Extreme Urgency). The patient may then undergo further stabilization of vascular volume, coagulation, and metabolic deficits while simultaneously undergoing a more detailed clinical and radiologic evaluation; he may then return to the operating room within six hours for more definitive repair of urgent lesions (First Urgency). Once the patient is stable enough for evacuation, he should be transferred to a trauma center for definitive surgical care.

Key words:

Emergency. Diagnosis. Treatment. Multiple trauma. Unstable condition.

Introduction

Le polytraumatisé est un blessé graveprésentant deux ou plusieurs lésionstraumatiques sévères, dont au moins uneengage le pronostic vital. Sa prise encharge relève d’une démarche médico-chirurgicale complexe reposant sur lahiérarchisation des examens et des ges-tes thérapeutiques. En pratique couran-te, elle est bien codifiée et orchestrée parle couple chirurgien-réanimateur, maisnécessite un plateau technique complet[1]. Cependant le polytraumatisé ne se

présente pas toujours à l’accueil d’uncentre hospitalo-universitaire, et poseproblème en l’absence de moyensd’imagerie modernes ou d’une équipechirurgicale multidisciplinaire. Cette si-tuation est notamment rencontrée enpratique militaire où les polytraumatisésde guerre sont pris en charge dans uneantenne chirurgicale avancée ; mais ellepeut aussi s’appliquer à toute équipe chi-rurgicale isolée avec des moyens limités.Il faut alors adapter sa stratégie diagnos-tique et thérapeutique aux moyens hu-mains et techniques disponibles.

Étiologie

En pratique civile, les accidents de lavoie publique, les accidents du travail etles défenestrations sont les principalescauses des polytraumatismes. Il s’agit detraumatismes à haute énergie cinétique,où les lésions sont liées aux chocs directset à la décélération.

Lors des conflits armés, les accidentsde véhicules sont également les plusgrands pourvoyeurs de polytraumatis-mes. Viennent ensuite les agents vulné-rants de guerre avec les balles de fusilsd’assaut, mais surtout les éclats d’enginsexplosifs (mines, obus, grenades) [2].Ces derniers sont responsables de poly-criblages, blasts ou brûlures qui compli-quent souvent la prise en charge par leurcaractère insidieux [3, 4].

Physiopathologie

Dans un polytraumatisme, toutes lesassociations lésionnelles sont possibles :lésions cranio-cérébrales, thoraciques,abdomino-pelviennes, rachidienneset périphériques. Ces lésions entraînentdes répercussions sur les fonctions vita-les, mais aussi les unes par rapport auxautres.

Dans les premières minutes, ce sontl’hémorragie et l’hypoxie qui tuent lesblessés. Surviennent ensuite les pro-blèmes septiques, respiratoires, neuro-logiques et rénaux [5]. L’interactionentre les différentes lésions, voire leurauto-aggravation, est régie par des mé-canismes physiopathologiques complexespouvant aboutir à la défaillance multi-viscérale.

Particularités d’un contexte de soins précaire

Que ce soit en milieu civil ou militaire,la précarité sanitaire est définie par uneinadéquation entre les besoins et les

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moyens disponibles en personnels, exa-mens para-cliniques et possibilités thé-rapeutiques.

Pour le traitement d’un polytrauma-tisé, c’est l’absence de moyens d’ima-gerie modernes, la limitation en lits deréanimation et en possibilités d’évacua-tion qui posent le plus de difficultés, etqui imposent d’adopter une stratégiedifférente de celle employée habituelle-ment.

En pratique de guerre, la situationest parfois compliquée par un affluxmassif de blessés avec dépassement descapacités de soins. Cela impose un« triage » selon les priorités de traite-ment et d’évacuation, pour optimiser lesmoyens disponibles et les utiliser au bé-néfice du plus grand nombre. Dans untel contexte, le polytraumatisé ne peutmalheureusement pas toujours bénéfi-cier d’une thérapeutique immédiateoptimale.

Accueil du polytraumatisé

Le blessé est amené en salle de « décho-quage » par une équipe médicalisée quia pratiqué les premiers gestes : contrôled’une hémorragie externe, oxygénothé-rapie, remplissage vasculaire, sédation,antibioprophylaxie, pansage des plaies,ré-axation et immobilisation des fractu-res, pose d’un collier cervical et d’unmatelas coquille.

À l’accueil, le conditionnement estcomplété par la mise en place d’unmonitorage (pouls, tension artérielle,saturation), par la poursuite de l’oxygé-nothérapie, par la vérification des voiesveineuses et la protection contre l’hypo-thermie. Le réanimateur et le chirurgiensont présents pour évaluer et maintenirles fonctions vitales.

La détresse respiratoire

Elle doit faire vérifier la liberté des voiesaériennes supérieures au doigt et à l’as-piration. Si l’assistance respiratoireest d’emblée nécessaire, il faut procéderà une intubation oro-trachéale oupratiquer une coniotomie en cas detraumatisme facial. Un épanchementpleural compressif doit être immédiate-ment levé par l’exsufflation à l’aiguilled’un pneumothorax suffocant, ou par lapose d’un drain pleural en cas d’hémo-pneumothorax. Une plaie thoraciquesoufflante doit être drainée et obturée.

La détresse cardio-circulatoire

Elle impose l’hémostase provisoired’une plaie hémorragique (par panse-ment compressif, point de compression,voire garrot) et l’accélération du rem-plissage vasculaire par deux voies vei-neuses périphériques ou par un désiletfémoral. Devant une plaie de l’airecardiaque avec tableau de tamponnade(cyanose, turgescence jugulaire, intolé-rance au décubitus) une ponction péri-cardique évacuatrice est effectuée [6].

La détresse neurologique

Elle est évaluée par le score de Glasgowet par l’existence de signes de focalisa-tion. Si le score de Glasgow est inférieurà 9 sur 15 l’intubation oro-trachéale estnécessaire pour éviter une inhalation.

À ce stade, trois examens peuventêtre réalisés, sans perdre de temps, dansl’enceinte du déchoquage : une

radio-graphie thoracique

pour chercher unhémopneumothorax, une

radiographiedu bassin

pour détecter une fracture ouune disjonction articulaire déplacée,une

échographie

pour diagnostiquerun hémopéricarde et un hémopéritoinedans l’espace de Morison, le recessusspléno-rénal ou le pelvis selon la procé-dure FAST (Focus Abdominal Sono-gram for Trauma) des anglo-saxons[7, 8].

Catégorisation

À l’issue du bilan fonctionnel le poly-traumatisé peut être catégorisé selon laclassification de Courbil et Malchairutilisée en milieu militaire [9, 10]. Deuxsituations sont possibles :1) Le blessé est en

état de choc hémorra-gique non contrôlé

malgré la réanimation,et/ou présente des signes de focalisationaprès un intervalle libre évoquant un

hé-matome extra-dural

: c’est une « ExtrêmeUrgence » imposant de le conduire im-médiatement au bloc opératoire pourune chirurgie d’hémostase ou une tré-panation évacuatrice.2) Le blessé est

stabilisé

par les mesuresde réanimation : c’est une « PremièreUrgence » qui doit être traitée dans les6 heures, mais permet un bilan lésion-nel complet. Il faut cependant garder àl’esprit qu’un traumatisme abdominalou thoracique stable peut se décompen-ser à tout moment, et constitue doncune « Urgence Potentielle ».

Une fois le blessé stabilisé, il fautpoursuivre la sédation et l’antibiopro-phylaxie en cas de fracture ouverte oude délabrement des parties molles. Unesonde naso-gastrique doit être posée,ainsi qu’une sonde vésicale en l’absencede suspicion de lésion urétrale (rupturede l’anneau pelvien). Selon les possibi-lités un bilan biologique plus ou moinscomplet est prélevé, avec au minimumune hémoglobinémie et un groupagesanguin.

Bilan lésionnel systématisé

Après le bilan fonctionnel, la réalisationd’éventuels gestes salvateurs et le condi-tionnement du blessé, un bilan cliniquecomplet doit être réalisé [10].

L’interrogatoire

Il s’effectue auprès du blessé ou del’équipe médicale de relevage. Il fait pré-ciser les circonstances traumatiques, lemécanisme lésionnel, le délai de priseen charge, l’existence d’une perte deconnaissance initiale, d’une miction,d’une hématurie ou d’une rectorragie. Ils’enquiert également des antécédentsmédicaux du blessé, et de la validité desa vaccination anti-tétanique qui estcomplétée au besoin selon les règles ha-bituelles.

En pratique de guerre, la majoritéde ces informations sont contenues surla Fiche Médicale de l’Avant renseignéepar l’équipe de relevage.

L’examen clinique

Il est réalisé appareil par appareil,sur un blessé déshabillé, à pansementsouverts, sans oublier le dos, les plis et lecuir chevelu.

• Le revêtement cutané

L’inspection recherche des plaies enprécisant leur caractère hémorragiqueéventuel et leur souillure. En cas detraumatisme balistique, il peut s’agir deplaies transfixiantes avec un orificed’entrée et un orifice de sortie permet-tant la reconstruction mentale du trajetdu projectile, ou de plaies borgnes sansorifice de sortie. Il faut également re-chercher des hématomes témoignant detraumatismes fermés, et des brûlures enprécisant leur siège, leur étendue et leurprofondeur estimée.

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• L’extrémité céphalique

L’inspection recherche une otorragieou un hémotympan évoquant un blastORL (qui doit faire redouter un blastpulmonaire associé), une otorrhée ouune rhinorrhée liées à une brèche ostéo-méningée, une épistaxis et un hématomefacial en lunette. La palpation rechercheune embarrure du crâne et une mobilitéanormale du massif facial.

• Le rachis

Il s’examine prudemment par la palpa-tion des épineuses en respectant l’axetête-cou-tronc. L’examen neurologiquerecherche un déficit sensitivo-moteurpériphérique témoin d’une atteinte mé-dullaire. Chez le blessé inconscient lerachis reste suspect de lésion jusqu’àce qu’il soit dédouané par le bilan radio-logique.

• Le thorax

L’inspection peut montrer un voletcostal avec respiration paradoxale. Lapalpation recherche un emphysèmesous-cutané par brèche pleurale, voirepar plaie trachéo-bronchique. L’auscul-tation peut évoquer un épanchementpleural avec baisse du murmure vésicu-laire, ou un épanchement péricardiqueavec assourdissement des bruits ducœur.

• L’abdomen

La palpation recherche une irritationpéritonéale (défense, contracture,douleur du cul-de-sac de Douglas), unépanchement intra-péritonéal (matitédes flancs ou tympanisme pré-hépati-que) et un empâtement douloureux desfosses lombaires. Il faut aussi s’attacherà mettre en évidence du sang au toucherrectal, dans le liquide d’aspirationgastrique et dans les urines.

• Le pelvis

Après avoir éliminé une rupture évidentede l’anneau pelvien sur les premièresradiographies, il faut tester les articula-tions sacro-iliaques en recherchant unedouleur et une mobilité anormale à lapression des ailes iliaques. Des compli-cations urologiques à type de rupture devessie ou de l’urètre peuvent être asso-ciées. La rupture de vessie est suspectéedevant une hématurie ou une absencede miction associée à une défensehypogastrique ou un empâtementsus-pubien ; elle nécessite la pose d’une

sonde vésicale. La rupture de l’urètre setraduit par une urétrorragie, un globevésical et un hématome périnéal ; elleimpose un drainage des urines parcathéter sus-pubien. Des lésions ano-rectales associées doivent égalementêtre recherchées par un toucher rectal,car elles exposent à des complicationsseptiques graves.

• Les membres

À côté des luxations et des fracas ouvertsqui sont évidents, il ne faut pas mécon-naître d’autres lésions. Pour cela il estnécessaire de palper chaque segmentosseux et de mobiliser les articulations.L’examen vasculo-nerveux des mem-bres fracturés doit être systématique, ense rappelant que la présence des poulsn’élimine pas forcément une lésion vas-culaire. Enfin les fractures de jambe oud’avant-bras doivent être suspecte d’unsyndrome aigu des loges associé, sur-tout si blessé est inconscient.

Les examens complémentaires

Ils ne sont réalisables que chez le poly-traumatisé stable ou stabilisé. En situa-tion précaire ils se limitent souvent auxsimples radiographies, mais un écho-graphe et un amplificateur de brillancesont parfois disponibles.

• Les radiographies

Elles montrent les lésions osseuses, lesépanchements thoraciques ou abdomi-naux, et les corps étrangers métalliquesen précisant leur localisation.

Une seconde

radiographie thoracique

permet le contrôle de la position dudrain thoracique et la confirmation deslésions après drainage des épanche-ments. Il peut s’agir de fractures decôtes, d’une contusion pulmonaire, d’unpneumomédiastin par rupture trachéo-bronchique, d’un élargissement du mé-diastin par rupture de l’isthme aortique,ou de l’ascension d’une coupole diaphrag-matique traduisant sa rupture.

Les

radiographies du rachis

de face etprofil sont systématiques en cas de trau-matisme à haute énergie cinétique. Auniveau cervical, il faut impérativementdégager C7-T1 et faire un cliché boucheouverte pour visualiser l’odontoïde.

Les

radiographies des membres

, avecdeux incidences orthogonales, sont pra-tiquées en fonction des points d’appelcliniques.

Les

radiographies de l’abdomen

sanspréparation, de face et profil, peuventmontrer un pneumopéritoine ou unegrisaille diffuse liée à un hémopéritoine.

• L’échographie

L’

échographie abdominale

est sensibleet spécifique pour la mise en évidenced’un hémopéritoine, mais est moinsperformante pour visualiser les lésionsd’organes pleins. Elle montre égale-ment les hématomes rétro-péritonéaux,mais l’opérateur est souvent gêné par labarrière gazeuse et les difficultés de mo-bilisation du patient [1, 11].

L’

échographie trans-thoracique

confir-me la présence d’un hémopéricarde oud’un hémomédiastin, et évalue les éven-tuelles lésions myocardiques [1]. Leslésions de l’aorte sont en revancherarement accessibles, même dans saportion initiale.

• La ponction-lavage péritonéale

En cas de doute clinique et

en l’absenced’échographie

, la ponction-lavage périto-néale est utile pour déceler une lésionintra-abdominale [12, 13]. Elle est sur-tout performante pour diagnostiquerun saignement intra-péritonéal, aveccomme critères de positivité une aspira-tion de sang pur de 5 ml ou un taux deglobules rouges > 100 000 éléments/ml.Elle permet aussi de suspecter uneperforation d’organe creux en casd’hyperleucocytose dans le liquided’aspiration (> 500 éléments/ml) [1].Cependant en situation précaire, la sur-veillance armée des traumatismes abdo-minaux est quasi impossible et unelaparotomie exploratrice doit être effec-tuée au moindre doute.

• La scopie per-opératoire

L’

artériographie

sur table évalue leslésions vasculaires périphériques, isoléesou associées à des fractures des mem-bres. Si les images ne sont pas toujoursd’excellente qualité, les signes d’atteinteartérielle sont souvent évidents. Il peuts’agir d’une plaie avec extravasation dif-fuse du produit de contraste, d’une rup-ture intimale ou sous-advinticielle avecirrégularité du contour artériel ou d’unspasme avec un aspect effilé de l’artère.Ces lésions élémentaires peuvent secompliquer d’une thrombose avec arrêtbrutal du produit de contraste, d’unfaux anévrisme avec extravasation loca-lisée ou d’une fistule artério-veineuse

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avec un remplissage veineux précocemassif [14].

L’

urographie intra-veineuse

précise lagravité des lésions rénales. Elle peutmontrer une extravasation du produitde contraste par rupture de la voie ex-crétrice, une diminution de l’opacifica-tion du parenchyme, voire un « reinmuet » faisant suspecter une lésion dupédicule. Enfin il est également possiblede réaliser une

urétro-cystographie rétro-grade

qui permet le diagnostic des lé-sions urétrales ou vésicales, à recherchersystématiquement avant tout sondageen cas de rupture de l’anneau pelvien.

Moyens thérapeutiques disponibles

L’objectif est de sauver la vie du poly-traumatisé en suppléant aux défaillancesviscérales et en traitant leurs causes.

Les moyens médicaux

Ils sont représentés par les mesures deréanimation déjà évoquées, avec notam-ment l’assistance respiratoire, le traite-ment du choc hypovolémique, l’analgésieet la prévention de l’infection. Mais cesont aussi la transfusion et le protocoleanesthésique encadrant le geste chirur-gical [5]. Ils pallient les défaillances desgrandes fonctions et rendent possible letraitement chirurgical des lésions.

Les moyens instrumentaux

Ce sont les techniques d’embolisationartérielle, qui sont utilisées dans lescentres de traumatologie, mais ne sontbien sûr pas disponibles en situationprécaire.

Les moyens orthopédiques

Il s’agit des manœuvres de réductiondes fractures ou luxations, et des appa-reils de contention des membres (plâtre,attelle, traction). Ils soulagent la douleur,préviennent les complications cutanéesou vasculo-nerveuses et permettentd’attendre une éventuelle chirurgie se-condaire.

Les moyens chirurgicaux

Ils sauvent la vie par le traitement ana-lytique des lésions. En situation précaireils reposent sur des gestes simples,efficaces, rapides et sûrs, permettantl’évacuation des blessés en vue d’un trai-tement chirurgical secondaire pluscomplet.

Stratégie chirurgicale en situation précaire

En cas d’urgence vitale immédiate, lastratégie chirurgicale reste la même ensituation précaire : il faut conduire leblessé au bloc sans délai. En revanche,pour les traumatisés abdominaux outhoraciques stabilisés il n’y a aucunepossibilité de bilan par scanner, de sur-veillance armée en réanimation, ni detraitement instrumental. L’explorationchirurgicale est alors la seule alternative.

La prise en charge chirurgicale dupolytraumatisé peut se découper entrois temps : celui des interventions desauvetage, des interventions urgentes etdes interventions différées [10].

Interventions de sauvetage

Elles s’adressent aux blessés catégorisés« Extrême Urgence » chez qui les me-sures de réanimation sont insuffisantes.Ce sont les gestes d’hémostase ou de dé-compression intra-crânienne visant àassurer la survie immédiate du blessé. Ilsdoivent être réalisés sans délai après unbilan clinique et para-clinique sommaireau « déchoquage ».

En cas de

plaie artérielle non gar-rotable

, il s’agit d’un contrôle d’amontet d’aval de la plaie pour stopper l’hé-morragie. Le traitement peut être radicalpar ligature artérielle avec un taux d’am-putation variable selon le niveau, oubien conservateur par réparation arté-rielle. S’il existe d’autres lésions hémor-ragiques menaçantes, il est possible deposer un shunt artériel provisoire pourdifférer la réparation artérielle.

Devant une

plaie de l’aire cardia-que

une thoracotomie antéro-latéralegauche ou une sternotomie s’imposentaprès une éventuelle ponction péricar-dique de sauvetage. Il faut décomprimerle péricarde, assurer l’hémostase provi-soire au doigt ou à la sonde de Foley,puis faire une cardiorraphie [6, 15].

Un

hémothorax

supérieur à 1,5 l audrainage initial ou avec un débit de150 à 200 ml par heure nécessite la réa-lisation d’une thoracotomie d’hé-mostase. Il s’agit le plus souvent d’unethoracotomie antéro-latérale qui per-met l’hémostase des vaisseaux (ligaturedes artères inter-costales ou de l’artèremammaire interne, contrôle et répara-tion des gros troncs) et l’hémostase duparenchyme pulmonaire (par suturesimple ou résection atypique). Elle per-

met aussi l’aérostase d’une plaie trachéo-bronchique [15, 16].

Un

hémopéritoine massif

imposeune laparotomie d’hémostase. La lapa-rotomie xipho-pubienne est la voied’abord permettant l’exploration la pluscomplète de l’abdomen, du diaphragmejusqu’au pelvis. Dans ce contexte, l’hé-mostase de la rate se fait par splénecto-mie. L’hémostase provisoire du foie estréalisée par compression manuelle etclampage pédiculaire de Pringle, puisl’hémostase définitive par suture, élec-trocoagulation, filets ou hépatectomiede régularisation. Les veines sus-hépa-tiques sont difficiles à suturer et néces-sitent un triple ou quadruple clampage,avec une mortalité très importante [17].L’ouverture du rétro-péritoine ne se faitqu’en cas d’hématome rétro-péritonéalexpansif avec une instabilité hémodyna-mique persistante malgré l’hémostaseintra-péritonéale. Il peut être alors né-cessaire de faire une néphrectomied’hémostase, voire de ligaturer une oules deux artères hypogastriques. Devantune hémorragie incontrôlable une pro-cédure de laparotomie écourtée doitêtre envisagée dans le cadre du

damagecontrol

[18]. Il faut alors se limiter à lamise en place d’un

packing

, attendre lastabilisation hémodynamique par laréanimation, puis pratiquer une laparo-tomie de

second look

pour réaliser l’hé-mostase définitive [19, 20].

L’hémorragie de la

fracture du bas-sin

peut être veineuse (plexus pré-sacréset rétro-pubiens) ou artérielle. Dans lesdeux cas le premier geste est d’assurerla fermeture de l’anneau pelvien, quiréalise un effet de tamponnade souventsuffisant pour diminuer le saignementveineux. Cette fermeture peut êtreréalisée rapidement par une ceinturepelvienne ou un clamp pelvien, avantde poser un fixateur externe. Le caséchéant, en l’absence de possibilitéd’embolisation, l’abord chirurgical peutêtre impératif. La mortalité et la mor-bidité sont alors très élevées car l’abordest extensif, le saignement veineux dif-ficile à contrôler et les ligatures artériel-les à risque de nécroses étendues. Le

packing

rétro-péritonéal est souvent laseule alternative [7, 21].

Devant une suspicion d’

hématomeextra-dural compressif

il faut réaliserson évacuation par une trépanation ducôté opposé au déficit neurologique.

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Interventions urgentes

Elles s’adressent aux blessés catégorisés« Première Urgence » chez qui le traite-ment chirurgical doit être réalisé dansles 6 heures. Elles sont pratiquées aprèsstabilisation du blessé par les mesures deréanimation et/ou par les gestes d’hé-mostase décrits.

Au niveau

vasculaire

, il s’agit dela réparation artérielle. On l’exécuteaprès parage de la plaie et vérificationde l’absence de thrombose, par suture,résection-anastomose ou greffe veineuse(les prothèses vasculaires étant à éviteren milieu contaminé). En fonction ducontexte elle peut être associée à desaponévrotomies, et à la fixation des seg-ments osseux qui doit être réalisée

perprimam

[14].Pour le

thorax

, cela peut être la sta-bilisation d’un volet costal mobilegênant la ventilation, ou le rapproche-ment des berges d’une « plaie soufflan-te » déjà drainée.

Les

plaies ou contusions abdomi-nales

stables relèvent d’une laparo-tomie exploratrice. Celle-ci permet unbilan complet, ainsi que l’hémostase etla viscérostase des lésions. Pour l’esto-mac il s’agit d’une suture directe sursonde naso-gastrique. Pour le grêle etle colon droit c’est une suture ou unerésection-anastomose. Pour le colongauche et le haut rectum, l’interventionde Hartmann s’impose le plus souvent.Pour le rectum sous-péritonéal il fautréaliser une colostomie associée à undrainage large des espaces celluleux. Lesruptures de vessie intra-péritonéalessont suturées sur une sonde vésicale,mais les plaies sous-péritonéales sontseulement drainées [22]. Les plaies du

diaphragme sont suturées avec posed’un drain pleural.

Pour le

bassin

, la stabilisation tem-poraire peut être assurée par un fixateurexterne antérieur. Les moyens de fixa-tion interne (plaque antérieure, vissagesacro-iliaque) sont en effet rarementdisponibles dans ce contexte. En cas defracture du cotyle déplacée la tractioncontinue trans-condylienne permetla réduction et la contention par li-gamentotaxis, mais elle est mal adaptéeà l’évacuation secondaire [21].

Au niveau des

membres

, le traite-ment consiste en une réduction et sta-bilisation des fractures ou luxations afinde permettre le transport du blessé. Encas d’ouverture cutanée, il faut assurerle parage des parties molles associé àune exofixation dans les stades II ou IIIde Cauchoix-Duparc. Pour les fracturesarticulaires ouvertes une ostéosynthèse

a minima

peut s’associer au fixateurexterne afin de reconstruire les épiphysesen limitant le risque infectieux. Devantun fracas majeur d’un membre avecatteinte des pédicules vasculo-nerveux,l’amputation s’impose parfois. Les frac-tures fermées du fémur doivent êtrestabilisées précocement pour éviterl’embolie graisseuse. En l’absence d’en-clouage disponible, il faut employer lefixateur externe. Des aponévrotomieslarges sans fermeture cutanée (dermo-fasciotomies) sont pratiquées en casde syndrome des loges à la jambe oul’avant-bras. Au total, en dehors dequelques indications d’attelle plâtrée ouamovible pour des fractures ferméesdistales, l’exofixation représente la solu-tion de choix avec un rôle de « tractionportative » permettant l’évacuation.

Points essentiels• La prise en charge chirurgicale du polytraumatisé en situation précaire repose sur des gestes

simples, efficaces et sûrs, sans rechercher un traitement idéal en un temps.

• Le bilan initial doit se fonder sur la clinique et des examens complémentaires simples à réaliseren salle de « déchoquage » (radiographie du thorax, du bassin, échographie abdominale).

• Les blessés instables doivent être conduits au bloc opératoire sans délai pour pratiquer lesinterventions de sauvetage : chirurgie d’hémostase ou évacuation d’un hématome extra-duralcompressif.

• Les blessés stabilisés par les mesures de réanimation doivent bénéficier d’un bilan systématiséavant de pratiquer les interventions urgentes.

• À l’issue, le devenir du polytraumatisé dépend de la rapidité de son évacuation vers une structuremieux équipée pour la surveillance et la réalisation des interventions différées.

Les

fractures vertébrales insta-bles

sans signe neurologique imposentune immobilisation rigide du rachis,puis le transfert du patient vers unestructure disposant d’une équipe neuro-chirurgicale. En cas de déficit neuro-logique, un geste de décompressionmédullaire doit être effectué dans lesplus brefs délais.

Les

lésions de l’extrémité cépha-lique sans signe de focalisation

sonttraitées dans le même temps. Les plaiescranio-cérébrales imposent un paragechirurgical soigneux. Les plaies du cuirchevelu hémorragiques doivent êtrerapidement ligaturées pour limiter laperte sanguine. Les fractures du massiffacial peuvent nécessiter une fixationlinguale ou une trachéotomie si l’intu-bation oro-trachéale est impossible, ainsique divers gestes d’hémostase (liga-tures, tamponnement nasal, compres-sion du plancher buccal).

Interventions différées

Ce sont des gestes pouvant supporterun délai de 24-48 heures ou plus, etdonc être réalisés dans une structuremieux équipée après évacuation. Il fautpour cela que le polytraumatisé soit par-faitement stabilisé par les premièresinterventions pour pouvoir supporter letransport sans risque de décompensa-tion brutale. Il s’agit notamment deslaparotomies de

second look

réaliséesdans le cadre d’un

damage control

, del’ostéosynthèse de fractures fermées ini-tialement plâtrées, de la modificationd’une exofixation ou du parage itératifd’une fracture ouverte avant la réalisa-tion d’un lambeau de couverture. Maisc’est aussi la prise en charge des lésionsurologiques, neurochirurgicales oumaxillo-faciales, qui ne peuvent êtretraitées qu’en milieu spécialisé.

Conclusion

La prise en charge chirurgicale d’unpolytraumatisé est bien codifiée, maisrendue difficile en situation précaire parle manque de moyens en personnelet matériel. Il faut alors adopter dessolutions rapides, simples et sûres.Celles-ci doivent être mises en œuvredans une stratégie en plusieurs tempspermettant de sauver la vie du blessé etde le mettre en condition d’évacuationpour un traitement secondaire dans unestructure mieux adaptée. C’est un desgrands principes du soutien sanitaire en

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Prise en charge chirurgicale du polytraumatisé en situation précaire

L. Mathieu, F.R. Desfemmes, R. Jancovici

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temps de guerre, qui peut très bien s’ap-pliquer à toute équipe chirurgicaleisolée ne bénéficiant que d’un plateautechnique limité.

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