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PIERRE-ALEXANDRE POIRIER
L'EDUCATION A LA PERTE ET AU DEUIL DANS LA CLASSE
Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures
de 1'Université Lavai pour l'obtention
du grade de maître ès arts (M.A.)
Département d'études sur f enseignement et T'apprentissage FAcULTÉ DES SCIENCES DE L~ÉDUCATION
UNIVERSITÉ LAVAL
SEPTEMBRE 2000
OPierre-Alexandre Poirier, 2000
National Library m*m of Canada Bibliothèque nationale du Canada
Acquisitions and Acquisitions et Bibliographic Services services bibliographiques
395 Wellington Street 395, rue Wellington OttawaON K1AON4 Ottawa ON K I A ON4 Canada Canada
The author has granted a non- exclusive licence allowing the National Library of Canada to reproduce, loan, distribute or seli copies of thïs thesis in microfom, paper or electronic formats.
The author retains ownership of the copyright in this thesis. Neither the thesis nor substantial extracts fkom it rnay be printed or otherwîse reproduced without the author's permission.
L'auteur a accordé une licence non exclusive permettant à la Bibliothèque nationale du Canada de reproduire, prêter, distribuer ou vendre des copies de cette thèse sous la forme de microfiche/fdm, de reproduction sur papier ou sur format électronique.
L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur qui protège cette thèse. Ni la thèse ni des extraits substantiels de celle-ci ne doivent être imprimés ou autrement reproduits sans son autorisation.
Le deuil est une expérience universeiie. A tous les âges de la vie, chacun est placé devant une mdtitude de pertes dont certaines demandent la mise en place d'un travail de deuil. Or, un tel travail n'a fàît l'objet d'études en sciences humaines que tout récemment.
Notre mémoire vise à construire pour les fbturs enseignants des écoles primaires une éducation à la perte et au deuil dans la classe H. De façon plus précise, nous nous
proposons de présenter un certain nombre de réflexions portant sur leurs préoccupations et leurs interrogations recueillies dans le cadre de nos murs à l'université- Celles-ci nous ont amené à proposer une synttiése thématique en vue de constituer une didactique sur œ thème. Sept questions sont développées : Qu'est-ce que le deuil ? Comment comprendre la so-ce du deuil ? Pourquoi certains deuils sont-fis plus difficiles à faire ? Quelles sont les étapes du travail de deuil ? Comment aider les élèves à pacifier la soufI6cance d'un deuil ? Quelles sont les particularités du deuil chez les enfants ? Comment discuter avec les élèves de la mort d'un de leur camarade de classe ?
L'étcde de ces questions, nous le souhaitons, permettra aux futurs enseignants d'agir plus efficacement auprès des élèves co&ontés à des deuils importants. Ils seront notamment en mesure d'ofEr une écoute, de prendre un moment avec les élèves pour discuter du décès d'un proche, de d o ~ e r aux élèves qui le désirent l'occasion d'exprimer quelques mots à l'ensemble de la classe, d'organiser un rituel de deuil, etc. Parce que les enseignants entretiennent un lien privilégié avec les élèves, parce qu'ils sont, eux aussi, touchés par les pertes importantes vécues en classe, parce que la réaction des enfants confkontés à la mort est à l'image de celle des adultes qui en ont la charge, l'enseignant a la possi'bilité d'être une aide particulièrement appréciée par les e n f i -
Ce mémoire n'aurait pu se fàire sans le soutien de ceux et celles qui ont été une source
dYin.spIration et une aide précieuse. Je tiens tout particulièrement à remercier mon directeur
de recherche, monsieur Denis JeBey? pour le temps et l'énergie consacrés à ce mémoire,
mais surtout pour les discussions qui ont alimenté mes réflexions sur ce sujet délicat. Mes
conseillers, madame Denyse Pelletier et monsieur Clermont Gauthier pour leurs conseils et
la richesse de leurs commentaires. Merci à mes collèges et amis Christiane Blaser, Gaëlle
Bombeneau, Marc Dallaire, Claude Dion, Gilles Fiset, René-François Gagnon, et Bernard
Lafortune pour qui la vie inteUectuelle est indissociable de la fëte et du plaisir. Un merci
particulier à Bernard ~obin pour la révision linguistique du mémoire. Je remercie
également mes parents pour leur confiance et leurs encouragements.
Merci à Anne dont l'aide et le soutien firrent indispensables dans les moments les plus
agréables comme les plus difficiles de ce travail. II est triste que ce sujet plonge
aujourd'hui au mur de ce que nous avons vécu.. .
A vous tous, ce mémoire vous appartient aussi.
Table des matières
Résumé
Remerciements Table des matières
Introduction
Chapitre 1 Le deuil, une notion à explorer
Vers une défhitïon du deuil Deux conceptions du deuil
Etre en deuil, faire son deuil et porter le deuil Une expérience intime et communautaire
Étiologie de la soufEance du deuil
Un travail sur le sens de la réalité
Une mobilisation des identifications narcissiques
Les sentiments inconscients de culpabilité
Les étapes du travail de deuil
Le choc et le refis La dépression
La période de rétablissement
Les deuils les plus dïfkiles à vivre
La nature de la relation avec l'objet perdu
L'objet perdu
Les circonstances qui ont provoqué la perte de l'objet aimé
Chapitre 2 Les particularités du deuil chez les enfants
2-1 L'aptitude au deuil
2.1.1 Une maîtrise suffisante de la réalité de la mort 2.1.2 Une représentation interne et stable de l'objet investi 2- 1.3 Une sécurité quant à la satisfaction des besoins., .
2-2 Les représentations de la mort à l 'dance 2-2- 1 La mort chez les enfants âgés entre zéro et deux ans 2-2.2 La mort chez les enfants âgés entre deux et cinq ans 2.2.3 La mort chez les enfants d'âge scolaire
2.3 Les particularités du deuil chez les enfants 2.3-1 La mort, une réalité difficile à apprivoiser 2.3 -2 Les besoins spécifiques des enfants endeuillés
Chapitre 3 L'aide apportée aux élèves en deuil
3.1 ParIer de la mort et du deuil aux enfants 3.1.1 Dire la vérité aux enf'ants 3.1.2 Les questions que posent les enfants sur la mort 3.1.3 Les paroles importantes à dire aux d i t s
3 -2 Organiser une cérémonie en classe suite au décès d'un éIève 3 -2.1 Pourquoi organiser un rituel de partage suite à un décès ?
3 -2.2 Quelques exemples de rituels de partage
Conclusion
Bibliographie
INTRODUCTION
Pourquoi proposer une éducation à la perte et au deuil dans la classe ? À n'en point
douter, les enfants et les adolescents sont appelés au cours de leur vie à connaître un
grand nombre de deuils. Pensons notamment au deuil à la suite du décès d'un ami, d'un
membre de la famille, d'un élève dans la classe, d'un enseignant. Le deuil differe avec
le type de décès : mort par accident, mort à la suite d'une maladie, mort lors d'une
fausse-couche, mort naturelle, etc. Marie-Frédérique Bacqué 1 a montré que la tragédie
d'une mort subite est plus difficile à supporter, tandis qu'une mort longuement préparée
est vécue avec une plus grande sérénité. Tous les deuils liés à un décés sont
particulièrement éprouvants. 11 existe cependant d'innombrables autres pertes qui
demandent un deuil plus ou moins élaboré. Qu'on pense à la perte d'un objet chéri, à la
séparation, au divorce, au déménagement, à la perte d'un animal de compagnie, à une
rupture amoureuse, au vieillissement, à la perte d'un emploi, ou tout simplement à
l'échec scolaire. Toutes les pertes, autant celles gravissimes du décès que celles plus
légères, impliquent un deuil.
Les études sur le deuil sont relativement récentes. La vaste majorité des travaux sur le
sujet s'inspirent du célèbre texte de Sigmund Freud Deuil et mélancolie publié en 1915.
Le père de la psychanalyse, avec ce travail, ouvre la voie à la recherche contemporaine
sur la mort et le deuil. Le thème du deuil dans sa relation avec l'enfance, mis en
I Marie-Frédérique Bacqué, Le deuil à vivre, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 1 15-1 16.
perspective notamment par Hélène Deutsch (1937), Anna Freud (1 943), Ema Furman
(1974), Yves Marcoux (1980), Michel Hanus (1994) et Lucie Fréchette (1995),
commence à peine à attirer l'attention des universitaires québécois. À cet égard, les
travaux de Michel Hanus, aujourd'hui considérés comme incontomables, ont éveillé
notre intérêt pour la recherche sur l'expérience de la mort et du deuil chez les enfants
d'âge scolaire. Ce mémoire, nous le soulignons d'emblée, s'inspire largement des idées
de ce dernier auteur,
Les recherches sur le deuil dans la classe sont plutôt rares- Les quelques textes portant
sur le sujet - Suzanne Mongeau et Michéle Viau-Chagnon (1 989)' Monique Séguin et
Lucie Fréchette (1995)' Michel Hanus (1994 et 1997)' Anne Debra (1999) -
commentent la difficulté des enseignants à aider les élèves aux prises avec un deuil
important. Dans ce travail, nous souhaitons présenter les bases d'une << didactique pour
l'éducation à la perte et au deuil dans la classe ». Les diverses informations recueillies
au cours de ces deux dernières années nous ont amené à colliger des documents
pertinents et à rédiger une synthèse thématique en vue de proposer une didactique sur ce
thème,
Dans son sens traditionnel, le terme didactique réfëre à « I'étude de l'enseignement-
apprentissage des disciplines en contexte scolaire » (Simard9 1993). L'étude de la mort
et du deuil chez les enfants n'a pas fait l'objet d'un enseignement systématique, ni dans
les cours du primaire ni dans ceux du secondaire. C'est pourquoi une didactique portant
sur les thémes de la mort et du deuil n'existe pas. On a peut-être bien, dans les cours de
religion, quelquefois discuté de la mort et du rite héraire. Mais la didactique que nous
appelons de nos meilleurs vœux implique des savoirs beaucoup plus vastes que ceux qui
. sont dispensés par la religion. En effet, une didactique du deuil et de la mort convoque
plusieurs disciplines. Parmi celles-ci, notons la thanatologie, la psychanalyse,
l'anthropologie, l'histoire et les sciences religieuses. En ce sens, la mise en place d'une
telle didactique demande une perspective multidisciplinaire. Ainsi, la didactique que
nous désirons constituer rassemble des savoirs de plusieurs disciplines, mais ces savoirs
sont présentement dispersés. Notre préoccupation, dans la constitution de cette
didactique, va mettre en relation la dimension enseignement-apprentissage en contexte
scoIaire et la construction des savoirs sur le deuil et Ia mort. Dans le cas qui nous
intéresse, cette didactique s7offirira aux fùturs enseignants du préscolaire et du primaire.
A. Limites de la recherche et cadrage théorique
Quel savoir choisir pour ces enseignants ? Le choix d'une perspective multidisciplinaire
relève du parcours emprunté tout au long de nos études de maîtrise. En effet, ces deux
dernières années ont été pour nous 170ccasion de nous initier à une multitude de
disciplines ayant orienté le choix de nos contenus d'apprentissage. Or, ce choix est le
résultat d'un long questionnement. Pour comprendre la pertinence des savoirs ici
retenus, il convient d'en faire l'historique.
Au départ, une question se posait à nous : les enfants savent-ils naturellement comment
faire un deuil ? Une telle question nous semblait fondamentale dans la mesure où elle
permet d'évaluer la pertinence de notre didactique. En effet, il nous semble illogique de
proposer une éducation sur la perte et le deuil sachant que, de toute manière, ceux-ci
savent spontanément comment réagir de façon saine lorsqu'ils sont placés devant la
disparition d'un être cher. C'est pourquoi nous avons cnz nécessaire, avant de mettre en place une telle didactique, de nous infurmer sur ce que les auteurs ont à dire sur cette
question.
À cette époque, nos co~aissances des auteurs ayant traité du deuil étaient fort limitées.
Les seuls dont nous avions eu écho étaient Sigmund Freud, Élisabeth Kubler-Ross et Jean Monbourquette. Nous avons donc choisi de nous initier à leurs œuvres dans
l'espoir, avouons-le fianchement, qu'ils répondent par la négative à notre question et
que le choix de mettre en place une telle didactique s'en trouve légitimé. Or, nous nous
sommes rapidement rendu compte que les réponses proposées variaient d'un auteur à
1 'autre.
Freud (1 968,1986,1987), sans répondre directement à cette question, nous propose des
pistes de réflexion sur le sujet des plus intéressantes. D'un point de vue
psychanalytique, iI souligne que la culture régit les rapports que les uns entretiennent
avec les autres. La culture oblige le jeune enfant à sortir partiellement de son
narcissisme et modeler ses croyances, ses manières de penser et ses comportements à
l'image de ceux de sa communauté. Ainsi en est4 de notre rapport à la mort. Dans le
texte Notre relation Ù la mort, Freud souligne que la société occidentale du début du
siècle est marquée par un déni de la mort appauvrissant considérablement la valeur de
l'existence. On peut penser qu'il en est de même pour le d e d . Si c'est par la culture
que chacun apprend à domer de la valeur à son existence, serait-ce déformer la pensée
fieudienne que de dire que c'est également par elle que nous apprenons à vivre et à
mourir ?
Freud souligne également que la capacité d'un individu à faire un deuil est directement
liée à celle de souscrire au principe de réalité et à retirer sa libido d'un objet aimé et
investi. En effet, pour l'auteur, chaque individu possède une énergie (libido) pouvant
investir les objets de son entourage. Ces objets peuvent être tout et n'importe quoi. Ils peuvent être, par exemple, une personne, un objet matériel ou une idée. Lorsque
survient une perte, le décret de la réalité oblige l'individu à retirer la libido de l'objet
investi. Pour l'auteur, ce retrait ne se fait pas facilement. Le psychisme résiste
spontanément et de toutes ses forces à un tel travail. Au début, une personne en deuil
refuse d'abandonner l'objet investi, même lorsqu'un autre objet lui est présenté. Ce qui
est normal, c'est que le respect de la réalité l'emporte sur le désir de continuer à investir
l'objet disparu. Il anive toutefois que certaines personnes se détournent de la réalité et
maintiennent l'objet dans une psychose hallucinatoire de désir. Lorsque le deuil se fait
normalement, l'énergie autrefois investie vers l'objet disparu redevient de nouveau Libre
et sans inhibition.
Pour Freud, le premier objet vers lequel toute personne investit son énergie est elle- même. Cet investissement bien particulier est qualifié de << narcissique ». Le narcissisme est souvent comparé à l'état de NWana dans la philosophie bouddhiste. Il
s'agit d'une absence de trouble ou de sensations désagréables. En fait, le narcissisme est
le plaisir ultime - au sens fieudien du terme - auquel un individu peut parvenir. L'état
de plaisir est atteint quand le « moi » gît sans tensions. Rien ne procure plus de plaisir
que de se prendre comme objet de plaisir. Il s'agit d'un plaisir facile à obtenir et donc
des plus invitants,
Le plaisir narcissique est cependant incompatiile avec les exigences de la réalité et de la
vie sociale. Personne ne peut rester indé£iniment dans le confort du plaisir narcissique.
En effet, la réalité ne manque pas de nous arracher auellement à la douceur de ce plaisir
premier et de nous rappeIer sans cesse que nous sommes mortels, fiagiles et dépendants
des autres. Pour vivre, il faut donc sacrifier une part de notre plaisir narcissique et
souscrire au p ~ c i p e de réalité. Il en est de même pour la société. Toute personne
désirant vivre en groupe doit renoncer partiellement au plaisir narcissique et investir une
part de son énergie en travaillant pour le bien-être de sa société. Or, un te1 renoncement
n'est pas facile à faire ; tous n'y arrivent pas.
Le renoncement narcissique est en fait un deuil particulier. Contrairement aux autres
deuils oii la libido arrive à se désinvestir totalement de l'objet disparu et à redevenir libre
et sans inhibition, le renoncement narcissique ne saurait être total. Parce qu'une
personne ne peut renoncer totalement au plaisir du narcissisme, il lui est impossible de
retirer toute la libido investie sur elle-même. D'ailleurs, une telle possibilité ne serait
pas souhaitable. On peut penser qu'une personne arrivant à désinvestir totalement son
moi cesserait de s'accorder de la valeur et d'accomplir les efforts nécessaires pour vivre. Le renoncement narcissique n'a pas de fh, il s'agit d'un deuil toujours à faire. Pour
Freud, l'expérience du deuil à la suite d'une perte ou d'un décès n'est pas tellement différente de ce << deuil originaire » du narcissisme. Chaque enfant est obligé par un
autre, tenant la fonction paternelle, de désinvestir son soi pour accepter la réalité. 11 y a
là l'enjeu d'un processus d'éducation et de socialisation.
Ainsi, Freud semble répondre à notre question par la négative. Rien dans le discours
fieudien ne nous laisse croire qu'une personne - un enfant comme un adulte - sache
naturellement faire le deuil de son plaisir narcissique. D'un point de vue psychanalytique, le deuil est marqué par l'exigence de retirer sa libido de l'objet investi.
11 s'agit ici d'une atteinte au narcissisme et donc d'un travail allant à l'encontre d'un
laisser-aller le plus complet D'un point de vue anthropologique, on peut croire que,
puisque la culture est l'assise à partir de laquelle une personne donne de la valeur à son
existence, c'est aussi par la culture qu'une personne apprend à vivre avec la mort. En
fait, Freud ne fait référence à aucune sagesse naturelle permettant à chacun d'accepter sa
mortalité, de traverser la difficile épreuve d'une perte ou de soutenir les autres lorsqu'ils
sont placés devant une situation semblable. Ce n'est qu'au prix d'un renoncement
partiel de son narcissisme dû à sa confiontation au réel et à son entrée dans la culture
qu'une personne peut y parvenir.
Tout comme Sigrnund Freud, Élisabeth Kubler-Ross (1993, 1996) ne répond pas
directement à notre question initiale. En aucun temps, cette auteure affirme hors de tout
doute qu'un enfant sait ou ne sait pas naturellement accomplir un deuil. Toutefois, cette
psychiatre travaillant depuis de nombreuses années auprès des malades en phase
terminale utilise une approche à la fois naturaliste et religieuse pour élaborer des théories
qui, sans être interprétées d'une façon trop large, nous permettent de déduire une
réponse probable.
Kubler-Ross conçoit l'être humain comme une créature de Dieu. L'auteure précise
cependant que ce Dieu n'est pas celui d'une religion particulière. Il peut être celui des
chrétiens comme celui d'une autre religion. Dieu nous a créé d'une façon naturelle et nous a doté d'une sagesse nous permettant de faire face à la mort et au mourir. Cette
sagesse consiste à vivre pleinement en ne laissant aucun travail en souffrance dans nos rapports avec les autres. Lorsqu7une personne est élevée naturellemenf elle effectue
spontanément ce travail. Par conséquent, elle n'a pas à craindre la vie ou la mort. Au
contraire, une personne n'ayant pas été élevée naturellement ne vit pas pleinement. Elle
n'accomplit donc pas ce travail et craint de vivre et de mourir. Pour diminuer ses
craintes, elie a besoin de consulter les livres et de participer à des séminaires sur la mort
et le mourir.
Pour Kubler-Ross, l'être humain se compose de quatre quadrants : physique,
émotionnel, intellectuel et intuitifïspirituel. Pour grandir de façon naturelle, une
personne se doit de développer ses quatre quadrants. Le quadrant physique se développe
avant la première année d'existence et lors de la vieillesse par le biais de contacts
physiques. Ces contacts sont essentiellement de l'amour, des baisers et des caresses. Le
quadrant émotionnel se développe entre un et six ans par le biais de l'attention reçue lors de la première année de sa vie. Le quadrant intellectuel se développe vers l'âge de six
ans par le biais de l'amour inconditio~el et la discipluie reçue dans l'dance. L'enfant
ayant reçu un amour inconditionnel et une bonne discipline verra dans l'école un d& et
non une menace. Le quadrant intuitif et spintuel se développe naturellement durant
l'adolescence. Ce quadrant constitue notre dimension << omnisciente ». II nous
accompagne depuis la naissance et n'a pas à être cultivé. Lorsqu'un enfant souffre d'une maladie grave et qu'il se sait mourant, le quadrant physique se détériore au profit
du quadrant intuitiflspitituel qui émerge de manière précoce. Plus sa s o u ~ a n c e est
grande, plus ce quadrant se développe. Pour Kubler-Ross, de tels enfants sont nés pour
être nos maîtres. Ils parlent comme de vieux sages et en connaissent plus que nous
l'imaginons sur la mort. C'est pourquoi nous avons tout à gagner en écoutant ce qu'iIs
ont à nous dire.
L'existence de ce quadrant intuitiflspintuel émergeant naturellement à l'approche de la
mort et permettant à l'enfant de développer une sagesse aidant à le soutenir dans son
épreuve, combiné à la croyance selon laquelle Dieu nous a créé d'une façon naturelle et
nous a doté d'une sagesse nous permettant de faire face à la mort et au mourir, nous
laisse croire que, pour l'auteure, un enfant placé devant la mort d'un camarade de classe
peut lui aussi vivre une très grande s o u ~ c e et développer une sagesse du même type.
Jean Monbourquette (1993, 1994, 1996)' est le seul de ces trois auteurs consultés à
répondre directement à notre question. Ce prêtre et psychoiogue utilise à la fois une
approche catholique et une approche anthropologique et psychanalytique héritée en
partie des travaux de Freud. Monbourquette offre notamment des prières issues du
monde catholique aux personnes placées devant une perte pour les aider à trouver un
sens à ce qu'ils vivent. L'auteur souligne que la capacité d'une personne à faire un deuil
dépend à la fois de son organisme, qui sait comment protéger son intégrité et faire des
deuils, ainsi que de la culture qui a une influence sur la façon dont un deuil se déroule.
Voyons cette théorie plus en détail.
Jean Monbourquette se représente l'être humain comme un être d'attachement. Toute
personne s'attache à des objets en investissant des énergies affectives vers ceux-ci. Ces
objets sont majoritairement des personnes, mais ils peuvent être également des objets
matériels, des lieux, des animaux, des époques de la vie, des idéaux, des activités comme
un sport ou un travail. En un mot, une personne peut investir tout ce qui a une valeur
symbolique. L'investissement d'objets est ce qui rend la vie possible. Il permet d'établir
des liens à la fois psychologiques et spirituels avec les autres. L'intensité de ces liens
varie selon le type d'investissement affectif qu'une personne se permet vis-à-vis une
autre. Un lien fusionne1 ou symbiotique est plus intense qu'un lien d'amitié, même si
celui-ci peut être plus profond.
Lorsqu'une personne subit une perte importance, son systéme d'attachement s'en trouve
bouleversé. L'organisme, qui peut se protéger de tels bouleversements et faire ses
deuils, se met donc au travail pour mettre En à ce bouleversement. Ce travail s'appelle
<< la résolution du deuil ». Toutefois, la saine résolution d'un deuil ne tient pas
seulement au travail de l'organisme. Différents facteurs sociaux doivent aussi être pris
en compte. A cet égard, l'auteur note que le déni de la soufiance et de la mort qui caractérise nos sociétés empêche le déroulement normd de la résolution du deuil.
Pour Monbourquette, toute personne possède un organisme pouvant accomplir un travail
de deuil. Ce travail n'est pas naturel. Au contraire' il est dificile et ne fait pas
l'économie de la s o u ~ c e . Ce que Monbourquette appelle un organisme >> n'est pas
sans rappeler le moi dans la thborie fieudienne qui tente de se protéger de la douleur
d'une perte par un lent travail de désinvestissement libidinal de l'objet perdu. Ce travail
de désinvestissement est également marqué par la culture. Le déni de la mort et de la
souEance marquant nos sociétés compliquant souvent le deuil.
Après l'examen des théories proposées par ces trois auteurs, il apparaît que la mise en
place d'une didactique sur l'éducation à la perte et au deuil en classe peut prendre toute
sa légitimité. Les approches psychanalytiques et anthropoIogiques utilisées par Freud et
Monbourquette montrent que toute personne possède un mécanisme interne - le moi
pour Freud et l'organi-sne pour Monbourquette - nécessaire à l'accomplissement d'un
deuil. Or, l'exigence d'accomplir un deuil constitue une atteinte au narcissisme. En ce
sens, le deuil n'est en rien un mouvement naturel n'exigeant aucun effort. Freud l'a bien
spécifié ; le deuil est un travail. Ces auteurs montrent également que la capacité
d'accomplir un deuil est le résultat d'un apprentissage cdturel.
À la suite de ces constatations, il nous est rapidement apparu que l'ensemble de ces
théories renvoient à certaines difficultés. En effet, les théories proposées par Kubler- Ross et Monbourquette sont intimement liées à une religiosité. L'adhésion aux thèses
spiritualistes de Kubler-Ro ss et au discours catholique de Monbourquette demande un
acte de foi qui n'est pas partagé par tous les enseignants. La pensée eeudieme, quant à
elle, est complexe et beaucoup plus difficile à saisir que ne le laissent croire les quelques explications données plus haut. Cependant, soucieux d'explorer plus profondément la
pensée freudienne, nous nous sommes tourné vers un fieudien qui poursuit depuis
plusieurs années des travaux sur la mort et le deuil chez les enfants. Aussi, nous avons
choisi de faire appel à Michel Hanus parce qu'il o f i e un discours à la fois rigoureux,
structuré et didactique. Cet auteur, psychiatre et psychanalyste de formation, a déjà
présenté un aperçu général de l'ensemble des recherches ayant été faites sur le deuil depuis la publication du texte de Freud Deuil et mélancolie en 19 15. Les intérêts de
Michel Hanus se portent particulièrement vers le travail de deuil en clinique,
l'klaboration psychique du deuil, le deuil chez l'enfant, l'aptitude au deuil et le deuil
narcissique. La lecture de ses ouvrages nous a permis que saisir l'importance d'aborder
certaines questions d'ordre conceptuel et étiologique. Celles-ci constitueront le premier
chapitre de ce mémoire.
Ainsi, le chapitre premier s'inspire largement des travaux de Michel Hanus. Nous
tenterons ici d'abord de comprendre ce qu'est un d e d . En effet, seIon une conception
socratique, il convient de définir les thèmes dont que nous utilisons. ne s'agit pas ici
de faire des enseignants des experts en psychologie et en anthropologie du deuil, mais
plutôt de leur donner suffisamment d'information afin qu'ils puissent manier ce concept
avec une certaine aisance. Toutefois, être en mesure de définir le concept de deuil ne
suffit pas. Afin d'être bien à l'aise avec le sujet, nous croyons égaiement que les
enseignants se doivent de comprendre la souffrance du deuil, de savoir pourquoi certains
deuils sont plus difficiles que d'autres et de connaître le chemin emprunté par un élève
en deuil. Ce chapitre permettra aux enseignants d'acquérir les Monnations que nous
jugeons nécessaires pour maîtriser le concept de deuil et d'avoir plus d'assurance
lorsqu'ils discutent de ce sujet avec les élèves de la classe.
Le second chapitre traitre des particularités du deuil ckez les enfaats. Dans ces travaux,
Michel Hanus a bien mis en évidence que le deuil chez les enfants présente certaines
particularités qui, croyons-nous, doivent être portées à la connaissance des enseignants.
En effet, dans les discussions organisées en classe sur la mort et le deuil et dans l'aide
apportée aux élèves endeuillés, les enseignants peuvent spontanément croire que les
enfants et les adultes partagent la même conception de la mort, les mêmes besoins
lorsqu'ils sont placés devant une perte et la même capacité à mener un travail de deuil à
terme. Or, les travaux de Michel Hanus nous montrent bien que cela n'est pas le cas. Le
deuil chez les enfants est différent de celui des adultes. Lorsqu'il agit auprès des
enfants, l'enseignant doit connaître ces différences et en tenir compte.
Les travaux de Michel Hanus ofkent cependant peu d'information sur l'aide concrète
pouvant être apportée par un enseignant lorsque les élèves de sa classe vivent un deuil.
Or, dans une didactique sur l'éducation à la perte et au deuil dans la classe, de telles
informations nous semblaient essentieks. Comment parler aux élèves d'une classe du
primaire de mort, de perte et de deuil ? Que peut faire un enseignant lorsqu'un élève de
sa classe décède en cours d'année ? Quelle aide peut-il apporter aux élèves et quelle
forme cette aide peut-elle prendre ?
Michel Hanus a bien souligné l'importance d'organiser des rituels lorsqu'un groupe est
placé devant une perte importante, mais il ne fait pas une analyse de ce concept en
profondeur. Or, le concept de rituel semble être ici d'une très grande valeur. Il y a deux
ans, la lecture de Jouissance du sacré, un ouvrage de notre directeur de mémoire
M. Denis JefEey, nous avait permis de comprendre que certains rituels peuvent
constituer une mise en scène de l'expérience d'apprivoisement des sentiments intenses
vécus devant une limite >>. Or la perte d'un être cher n'est pas sans susciter des
sentiments intenses. Perdre un être cher nous place devant un nombre incalculable de
limites, à commencer par notre mortalité: notre hgilité et notre difficulté à maîtriser les
émotions qui nous renversent. Le thème de rituel, couramment employé en
psychanalyse, en anthropologie et dans les sciences religieuses semble donc constituer
une assise importante à partir de laquelle toute didactique sur l'éducation à la perte et au
deuil doit être construite.
Ainsi, dans le troisième chapitre, nous proposons aux enseignants une didactique dans
laquelle l'éducation à la perte et au deuil est axée autour du rituel de partage. Si les
premier et deuxième chapitres permettent à l'enseignant de se familiariser avec le
concept de deuil et de comprendre les particularités des enfants endeuillés, le troisième
chapitre introduit l'enseignant à la notion de rituel et ofEe quelques exemples de rituels
de partage pouvant être utilisés dans la classe. Dans le contexte qui nous intéresse, le
thème << rituel de partage >> est utilisé pour l'ensemble des rituels m i s en place lorsque les
élèves d'une classe vivent un deuil important. En ce sens, ils constituent également des
rituels de deuil. En fait, le rituel de partage désigne l'ensemble des gestes et des paroles
mis en scène par l'enseignant et les élèves et faisant suite à une perte importante en
classe. Ce rituel peut prendre la forme d'un temps où chacun est convié à partager ses
sentiments. Ils peuvent également prendre la forme d'une activité comme le dessin, le
chant, une cérémonie organisée en classe pour apaiser l'intensité des sentiments et pour
dire au revoir au défunt,
B. Méthodologie
Depuis trente ans, Ies phénomènes associés à Ia mort et au deuil ont fait I'objet de
nombreuses recherches. Les zppches sociologique (Patrick Baudry2), anthropologique
(Louis-Vincent Thomas3) et historique (Michel Vovell&) ont montré que la mort et le
deuil sont aujourd'hui marqués par un déni. Devant la perte d'une personne chère,
nombreux sont ceux qui tentent de refouler Ieurs émotions et de continuer à vivre
comme si rien ne s'était produit- Pour Denis Jeffrey (1998) ce déni peut être expliqué
par la pensée moderne qui, avec son discours rationaliste, ne parvient pas à fournir aux
personnes affectées par une perte les moyens de composer avec celle-ci. En effet,
l'homme moderne se comporte comme si la question de la soufiance suite à une perte
devait être évacuée de son existence. Lorsqu'une personne de son entourage décède,
celui-ci semble pris de court et ne sait pas comment réagir. La période autrefois dévolue
au deuil est déconsidérée et les réactions de chagrin et de tristesse sont vues comme
quelque chose d'obscène, c'est-à-dire comme quelque chose devant être caché à tout
prix.
D'autres auteurs notent cependant que le discours moderne sur la mort et le deuil fait
aujourd'hui l'objet d'un renouveau. C'est le cas notamment d'Élisabeth Kubler-Ross,
2 Voir : Patrick Baudry, La place des morts : enjeux et rites, Paris, A, Colin, 1999, 205 p. Ainsi que : Patrick Baudry, << Le sens de la ritualité h é r a i r e >>, dans Mourir aujourd'hui : les nouvearor ritesfwéraires, / sous la direction de Marie-Fréderique Bacque, Paris, Éditions O. Jacob, 1997-
3 Voir : Louis-Vincent Thomas, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, 1975, 540 p- Ainsi que : Louis-Vincent Thomas, Rites de mort :pour Zapaix des vivants, Paris, Fayard, 1985,294 p.
de Jean Monbourquette et de Michel Hanus. Si le déni de la mort et de Ia souflkance du
deuil reste toujours une caractéristique importante des sociétés contemporaines, ces
auteurs ne manquent pas de souligner qu'un nombre important d'associations s'occupent
aujourd'hui d'accompagner les personnes en deuil, de promulguer des soins palliatifs et
d 'of i r des discussions en lien avec la mort et le deuil que l'on rencontre au quotidien.
Il s'agit Ià d'une nouvelle sensibilité se structurant entre le déni de la mort et la
découverte de problèmes liés à celui-ci, Cette nouveIIe sensibilité incite nos
contemporains à renouer avec la ritualisation des grandes s o u ~ c e s .
Nous avons mentionné précédemment que les discours de Kubler-Ross et de
Monbourquette sont respectivement teintés de spintualisme et de croyances catholiques
suscitant un certain malaise. Ceux-ci, à l'instar du discours de Michel Hanus, ne
manquent toutefois pas de souligner l'importance de faire appel à des rituels de deuil
pour composer avec une perte importante. Le discours de Michel Hanus ofEe toutefois
1 'avantage de s'inscrire dans une perspective psychanalytique. La psychanalyse, depuis
Freud, s'est penchée également sur les phénomènes de la mort et du deuil. L'approche
psychanalytique a marqué notre intérêt par la cIarté et la profondeur des concepts
construits pour tenter de comprendre I'objet de notre étude ainsi que par la rigueur de
I'analyse qu7eILe propose. C'est pourquoi nous ferons appel à cette approche pour
mettre en place notre didactique. En somme nous nous proposons de comprendre et
d'expliquer les phénomènes de la mort et du deuil dans la classe en faisant appel à
I'approche psychanalytique utilisée par Michel Hanus.
A l'aube de ce nouveau millénaire, nous croyons nous aussi être touché par cette
nouvelle sensibilité. C'est pourquoi celle-ci ne manquera pas d'influencer la mise en
place de notre mhoire . En oEant aux enseignants une réflexion sur la pertinence
4 Voir : Michel VoveUe,. La mon et I 'Occident : de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983,793~.
d'organiser un rituel de partage lors du décès d'un élève et en examinant ce qu'un
enseignant peut dire et peut faire lors de ce rituel, nous croyons fournir aux enseignants
les instruments nécessaires pour une éducation à la perte et au deuil répondant aux
besoins d'aujourd'hui,
Sur un plan plus personnel, notons l'influence des travaux de mon directeur de
recherche. La lecture postmodeme des rituels contemporains esquissée dans son
ouvrage Jouissance du sacré n'a pas manqué d'influencer la construction de notre
didactique. Pour Denis Jefiey, les rituels sont << des pratiques individuelles et
collectives extraordinairement efficaces pour gérer l'intensité aveuglante de la passion,
de la rage, de la colère, de la vengeance, ou pour rendre signifiante l'impuissance
tragique liée à une situation sans issue »S. À n7en point douter, la mort d'un élève en
cours d'année est un événement des plus dramatiques. Celle-ci est susceptible de
provoquer un débordement d'émotions rompant le cours normal des choses. À la suite
du décès d'un élève, on peut penser que l'enseignant et les élèves ne sont pas en mesure
de mettre de côté leur souffrance et de continuer leur travail comme si rien ne s'était
passé. En organisant un rituel de partage, I'enseignant office aux élèves la possibilité de
prendre en compte leur souffrance pour commencer un travail de deuil, échanger les
pardons avec le défiuit, donner un sens à cette perte' etc. En un mot, la mise en place
d'un rituel permet l'apprivoisement des émotions trop intenses.
Précisons que nous n'allons pas, dans ce travail, mener une recherche de terrain auprès
des enseignants et des professionnels de l'éducation. Nous nous proposons, au doctorat,
de conduire une enquête de terrain qui comparera l'aide apportée aux élèves des
commissions scolaires de la région de Québec et de Paris vivant une telle situation. Pour
l'instant, nous nous contentons dans ce mémoire de maîtrise de comprendre
5 Denis Jeffiey, Jouissance du sacré, Paris, Armand Colin, 1998, p. 107.
d'expl~cper les phénomènes de la mort et du deuil selon la perspective proposée par
Michel Hanus. A cet égard, soulignons que, pour Miles et Hubemian (1991) comme
pour notre directeur de recherche, il est préférable d'acquérir et de maîtriser certains
contenus notionnels avant de prétendre faire l'analyse d'un phénomène social. En
décidant de reporter aux études doctorales le choix d'une recherche de terrain, nous nous
inscrivons dans cette ligne de pensée.
Nous avons souligné au début de cette introduction que les recherches sur le deuil dans
la classe sont plutôt rares. Celles-ci ne sauraient suffire à l'élaboration de notre
didactique. Aussi, nous avons dû faire appel à nombre de travaux traitant de la moa et
du deuil, mais ne donnant malheureusement aucune précision sur le monde scolaire et la
classe. Les savoirs issus de ces travaux ont été analysés dans le sens qui nous intéresse.
Par exemple, Michel Hanus, en traitant de la culpabilité chez l'enfant en deuil, ne fait
aucune allusion à la culpabilité pouvant être ressentie par un élève placé devant la perte
d'un camarade de classe. Pour traiter à notre tour d'un tel sujet, nous avons dû adapter
les savoirs proposés par Hanus au monde de la classe.
LE DEUIL,
UNE NOTION A EXPLORER
1. Le deuil, une notion à explorer
Le deuil est une expérience universelle. Il est l'épreuve la plus à même de rapprocher
différentes personnes habituellement séparées par des désirs, des peurs, des projets, des
angoisses et des intérêts bien personnels. Chacun connaît la douleur d'un deuil pour en
avoir fait l'expérience. C'est pourquoi toute personne peut comprendre l'épreuve d'un
proche confionté à une perte particulièrement éprouvante et sent le besoin de lui
apporter son aide et son soutien. Or, malgré I'universalité de cette expérience, le deuil
reste une réalité difficile à saisir. Avant d'organiser une discussion en classe sur ce
terme, il nous semble important qu'un enseignant prenne d'abord le temps de se
familiariser avec ce concept. C'est ce que nous nous proposons de faire dans ce
chapitre. D'une façon plus précise, notre examen du concept de deuil se fera en quatre
étapes. D'abord, nous tenterons de définir ce qu'est un deuil. Nous verrons que le terme
de deuil peiit prendre divers sens selon le contexte dans lequel une personne se trouve.
Ainsi, dans sa classe, un enseignant peut être placé devant des élèves en deuil mais
vivant tous des expériences différentes. Ensuite, nous examinerons I'étioIogie de la
soufhnce du deuiI. Comment expliquer que le deuil soit une expérience si pénible à
vivre ? La psychanalyse offre un langage permettant à l'enseignant de d o ~ e r sens à la
soufiance vécue par ses dèves en deuil. Dans un troisième temps, nous examinerons le
modèle de résolution de deuil proposé par Michel Hanus. Celui-ci peut aider
l'enseignant à mieux comprendre les différentes phases empruntées par les élèves en
deuil de sa classe- Finalement, nous tenterons de comprendre pourquoi certains deuils
sont plus difficiles à faire que d'autres. Devant le vaste éventail de deuils susceptibles
d'êtres vécus par ses élèves, l'enseignant saura ainsi comprendre la cause de la difficulté
de certains deuils.
1.1 Vers une définition du deuil
Le terme i< deuil >> vient du latin dolere et signifie soufEir. Lorsqu'une personne est en
deuil, c'est qu'elle soufie d'une perte difficile à accepter- Cette définition plutôt large a
fait l'objet de certaines précisions. Aujourd'hui, le deuil renvoie à la perte d'une
multitude d'objets. Il désigne à la fois l'état psychologique, les rituels mis en place ou le
travail psychique faisant suite a une perte. Enfin, il peut être à la fois une expérience
persom-elle et collective selon le groupe auquel une personne appartient.
1.1.1 Deux conceptions du deuil
Pour un grand nombre de personnes, le deuil renvoie uniquement à la mort d'une
personne aimée. Le deuil, disenbelles, est ce que l'on vit lorsqu'une personne
importante vient de décéder. Nous verrons que cette conception du deuil, bien qu'elle
soit largement acceptée, reste fort limitée. En effet, elle ne tient pas compte du grand
nombre de pertes qu'une personne peut connaître et qui n'impliquent pas nécessairement
la mort d'un membre de son entourage. Il semble pourtant que ceux et celles qui
limitent le deuil à la mort d'une personne ne sont pas ignorants des multiples soufiances
ressenties par les autres pertes. Peut-être n'osent-ils pas utiliser le mot << deuil » pour
nommer des pertes non associées à une mort, mais pourtant toutes aussi bouleversantes
et qui occasionnent une grande soufiance. D'autres personnes préfèrent établir une
frontière i..nfkanchissable entre les pertes impliquant une mort et les autres pertes.
Le deuil est une souffi-ance, mms ce n'est pas n'importe quelle soufiance. 11 s'agit
d'une souffkance provoquée par une perte ou par l'impossibilité d'accepter une perte.
Nous allons, dans cette section, présenter deux conceptions du deuil. La première
conception, la plus ancienne, renvoie à la perte d'un être cher. Il y a deuil lorsqu'une
personne décède. La seconde conception, qui inclut la première, considère que le deuil
est la réponse à la perte de n'importe quel objet Dans ce second sens, l'objet peut être
un être humain, un animal, une plante, une maison, une voiture, un jouet chéri, mais
aussi un idéal, un rêve amoureux, un projet de vacances ou un projet politique, etc.
Dans ce second sens, l'objet peut également être le détachement de sa propre personne.
Dans Les termes psychanalytiques habituels, « l'attachement à soi » est dit
« narcissique » et demande la mise en place d'un deuil.
La souffkance vécue lors d'un décès. Michel Hanus6 note qu'il s'agit du sens le plus
ancien attribué au deuil. Lorsqu'une personne d'importance meurt, i l arrive que toute
une société vive un deuil. Le rang du défunt dans la société détermine l'ampleur des
cérémonies en son honneur. Il y a des deuils nationaux comme des deuils familiaux.
Pour qu'il y ait deuil, il faut d'abord qu'ait existé un lien affectif entre le défunt et
l'endeuillé. La gravité du deuil est évidemment liée à la profondeur du lien affectif.
Certaines personnes n'arriveront jamais à accepter 17inacceptabIe de la perte d'un être
cher, d'autres prendront des années à faire un travail de deuil, alors que d'autres encore
évitent de vivre un deuil. Dans la société modeme, on peut se demander si le théologien
Jean Monbourquette7 n'a pas raison de postuler que le déni de la mort entraîne une
esquive du deuil. Quoi qu'il en soit, le deuil induit par la perte Ü 'un être cher est un
événement inévitable. Il semble préférable de se préparer à la crise d'une perte afin de
mieux y faire face.
La réaction à toute perte importante. Sigrnund Freud a élargi le sens du deuil au
ressenti de toute perte importante. En 1915, il écrit : « Le deuil est régulièrement la
réaction à la perte d'une personne aimée ou d'une abstraction venue a sa place comme la
6 Michel Hanus, Le travail de deuil >>, dans Le deuil, Paris, Collection des monographies de la revue fiançaise de psychanalyse, 1994, p- 13.
7 Jean Monbourquette, Groupe d'entraide pour personnes en deuil, Outremont (Québec), Novalis, 1993, p. 22.
patrie' la Liberté, un idéai, etc. »S. Cette nouvelle signification attribuée au deuil n'est
pas sans conséquences. Freud affirme ici que toutes les pertes peuvent être
particulièrement bouleversantes même si elles n'impliquent pas la mort d'une personne
aimée. C'est pourquoi les psychanalystes parlent du deuil comme de la réaction à la
perte d'un objet investi affectivement. Le terme << objet » désigne ici non pas
strictement une personne, mais bien tout ce qui peut présenter de l'importance et qui
peut être perdu. En ce sens, les exemples tels que la patrie, la hiertk et un idéal sont des
objets dont la perte peut entraîner un travail de deuil. Dans ce mémoire, nous utilisons
le terme << objet )) à la façon des psychanalystes.
Cette tendance à élargir le sens du deuil est aujourd'hui plus forte que jamais. Michel
Hanus9 souligne ironiquement que l'on peut être en deuil de tout et de n'importe quoi.
En effet, le psychiatre affirme que l'expression << faire son deuil )> est maintenant
employée a toutes les sauces et qu'il est difficile d'imaginer ce dont une personne ne
serait pas appelée à faire le deuil un jour ou l'autre. Dans la même ligne de pensée, Jean
MonbourquetteIo a dressé une vaste liste de pertes susceptibles d'être connues au cours
d'une vie. Cette liste se compose de quatre catégories : les mini-pertes et Ies ennuis
quotidiens, les pertes toujours surprenantes, les pertes inévitables au cours des âges de la
vie et les grandes pertes d'ordre affectif. Chacune de ces catégories aide à mieux saisir
la grande diversité d'objets dont la perte peut occas io~er un travail de deuil. Voyons
quelques exemples.
- Les mini-pertes et ennuis du quotidien : faire un achat que l'on regrette, découvrir une
carie dentaire, constater que le chat a détruit notre plante préférée, ne pas obtenir de
8 Sigmund Freud, << Deuil et Mélancolie », dans Métapsychologie, Paris, GaIlimard, 1968, p. 148. 9 Michel Hanus, K Les enfants en deuil B dans Parlons de la mort et du Deuil, sous la direction de
P. Cornillot et M. Hanus, Paris, Édition Frison-Roche, 1997, p. 164. 'O Jean Monbourquette, Grandir, aimer perdre et grandir, Outremont, Novalis, p. 16-17.
réponse à une invitation, manquer un rendez-vous, avoir une mauvaise note à un
examen, subir les remarques dbagrbbles d'un parent ou d'un confkère de travail, etc.
- Les surprises de la vie : être victime d'un vol, perdre une grande somme d'argent,
devoir abandomer un projet qui nous tient à cœur, être victime d'une maladie grave ou
d'un accident, etc.
- Les pertes inévitables au cours de la vie : la perte de ses iliusions d'enfance et de ses
rêves d'adolescence, la disparition progressive de sa jeunesse et la conscience soudaine
que certains rêves ne se réaliseront jamais, etc.
- Les pertes particulièrement difficiles à vivre : la fin d'une relation intime, la brisure
d'une longue amitié, un divorce imprévu, le dé& d'un être cher, etc.
Les pertes narcissiques, aussi très difficiles à vivre, engagent un trés long travail sur soi
et demandent d'apprendre à vivre avec la réalité. Dans quel sens employons-nous
l'expression << pertes narcissiques D ? Le deuil est intimement lié aux pertes narcissiques
du fait que chaque personne a l'obligation morale d'apprendre à vivre en société. Dès
lors qu'un enfant vit en société, c'est-à-dire qu'on lui demande de respecter des règles,
des limites, des façons de faire, une façon de marcher et de manger, on l'oblige à se
détacher de soi pour s'investir dans des tâches qui lui permettent de s'émanciper. On
aimerait bien que l'enfant réponde spontanément à toutes les demandes de ses parents.
Mais on sait qu'il va résister. Il préfae se f;îire plaisir. Le passage de ce plaisir qu'il
s'accorde à lui-même au plaisir associé à la demande des parents nécessite un travail de
deuil. C'est en ce sens qu'on parle de << pertes narcissiques ». En d'autres mots, pour
vivre en société, il faut faire le deuil du plaisir narcissique. On reviendra sur cette notion
au point 1.2. Nous voulions cependant immédiatement souligner que la perte de la
toute-puissance narcissique implique un deuil qui n'est pas des plus faciles.
Pour Michel DethyI1, psychanalyste héritier des théories fieudiemes, ce deuil a à voir
avec les multiples fiutrations suscitées par la rencontre de la réalité. La réalité, chacun
en convient, est un lieu de grandes frustrations. Les désirs primesautiers, en effet,
s'accordent très mal avec les exigences de la réalité, ou si l'on préfère, de la vie en
société. C'est pourquoi cette dernière semble parfois bien difficile à supporter-
Apprendre à vivre avec des désirs non assouvis n'est pas une chose facile. C'est le
travail de toute une vie. Un travail qui ne se termine qu'avec la mort, c'est-à-dire au
moment où une personne cesse d'avoir des désirs. Ce difficile apprentissage étant un
travail de deuil, on voit très bien ici que le terme de deuil prend une acception on ne peut
pIus large.
Puisque le passage à la vie en société est parfois amer, et même très difficile à
surmonter, chacun développe une posture psychique pour s'ajuster à la réalité. L'une
d'elle est la nkvrose, une autre est la psychose. Qu'est-ce qu'une névrose ? D'une façon
simple, on peut définir la névrose wmme le moyen par lequel une personne parvient à se
prémunir d'une réalité temblement frustrante. Dès les premiers temps de l'enfance,
chaque personne est confrontée à l'impossibilité de satisfaire plusieurs désirs. Cette
impossibilité est pour l'enfant une menace qui met en danger la constance et I'intégrité
narcissiques de sa personne. Comment l'enfant arrive-t-il à se protéger de cette
menace ? Il tente de gérer un conflit entre, d'un côté, ses désirs qui cherchent à
s'assouvir et, de l'autre, le besoin de se défendre de ces désirs qui présentent une
menace. La névrose est l'expression symbolique de ce conflit psychique12. Michel
Dethy a£fïrme que << le névrosé a beaucoup de mal à accepter les hstrations du réel et
aimerait que l'imaginaire puisse inférer, changer la réalité »13. Ce dernier ajoute que
11 Michel Dethy, Introduction à la psychanalyse de Freud, Lyon, Chronique Sociaie, 1996, p. 66. 12 Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis définissent la névrose de la manière suivante:
K Mëction psychogène oir les symptômes sont l'expression symbolique d'un conflit psychique trouvant ses racines dans l'histoire infantile du sujet et constituant des compromis entre le désir et la défense D- Voir Jean Laplanche et J. B- Pontdis, Vocabulaire de la psychanalyse. Paris, Presses Universitaires de France, 1968, p. 267-270.
13 Michel Dethy, op- cit., p. 42,
certaines personnes vont même jusqu'à confondre l'imaginaire et la réalité. Cette
confûsion se nomme psychose. Tout comme la névrose, la psychose est un moyen pour
un endeuillé de se protéger d'une réalité trop frustrante. Pensons notamment à une
femme qui berce une poupée en croyant que c'est son enfant mort depuis longtemps ou
encore à un homme qui guette la porte d'entrée en espérant voir revenir sa femme
décédée il y a quelques temps'?
1.1.2 Etre en deuil, faire son deuil et porter le deuil
Nous venons de présenter deux conceptions du deuil. Le deuil peut être vu comme la
souffrance induite par la perte d'un être cher ou comme la souffrance induite par toutes
pertes. Le deuil, ainsi, renvoie à la perte d'une multitude d'objets. Cela étant dit,
plusieurs auteurs constatent que le deuil reste une notion qui évoque plus que la
souffrance. C'est Ie cas notamment de Michel Hanusls pour qui le deuil connote trois
types de situation :
Etre en deuil renvoie à l'état dans lequel se trouve une personne affligée par une perte
importante pour elle. L'expression << être en deuil » relève d'un état psychologique, de la
gamme des émotions liées à la détresse d'une perte et à la valeur du défunt. Pour vivre
un deuil, une personne doit d'emblée accepter l'idée qu'un objet de valeur est perdu Le
deuil est le contraire de l'espoir. Par ailleurs, l'espoir de revoir l'être aimé ... le
lendemain de son décès, demeure de l'ordre du déni de la mort.
14 Ces exemples sont proposés par Michel Dethy. Voir Michel Dethy, Idem., p. 42- IS Michel Hanus, Deuils dans la vie, deuil et s&arution chez l'adulte, chez l'enfant, Paris, Maloine,
1994, p. 24-27.
Porter le deuil renvoie à l'ensemble des rituels individuels et collectifs mis en place lors
d'un décès. Nombre de signes ostentatoires indiquent le deuil. Selon Michel Hanusl6,
l'expression de la soufhnce par des signes fiinéraires cornus de tous est très ancienne.
En effet, l'usage de signes ostentatoires, comme porter le noir, ou porter sa tunique à
l'envers, remonte au-delà des temps historiques. Encore aujourd'hui, dans nombre de
cultures, les femmes continuent de porter le deuil, c'est-à-dire de s'habiller de noir pour
signifier que leur mari est décédé. C'est une obligation morde et religieuse. Porter le
deuil est un acte social au même titre que le faif pour le médecin, de porter son sarrau
blanc et son stéthoscope. Dans les sociétés méditerranéennes, entre autres, le deuil est
porté uniquement par Les femmes- Des femmes vont porter Ie deuil, c'est-à-dire
s%abiller en noir, jusqu'à la fin de leurs jours. On peut également s'habiller de noir le
temps des fiinérailles ou pour honorer le souvenir de personnes décédées. Pour
souligner l'armistice, dans plusieurs pays du monde, des hommes vont porter la fleur de
coquelicot en signe de respect pour les combattants morts sur le champ de bataille. On
porte aussi le deuil en souvenir d'une personne chère décédée.
Faire son deuil renvoie à un travail psychique qui permet d'accepter ta réalité de la
perte et de continuer à vivre. Michel Hanus, à l'évidence, s'inscrit dans la lignée des
travaux de Sigmund Freud. Dans le texte Deuil et mélancolie, Sigmund Freud écrit :
Sur chacun des souvenirs et des situations d'attente qui montrent que la libido est
rattachée à l'objet perdu, la réalité prononce son verdict : l'objet n'existe plus ; et le moi,
quasiment placé devant la question de savoir s'il veut partager ce destin, se laisse
décider par la somme des satisfactions narcissiques à rater en vie et à rompre sa liaison
avec l'objet anéanti »17. Freud explique ici que la personne en deuil décide de partager
ou non le destin du défunt. La personne qui choisit la vie s'oblige alors au travail de
deuil. Ce travail lui permettra non seulement de se maintenir en vie, mais aussi de se
l6 Ibid, p25. l7 Sigmund Freud, a Deuil et Mélancolie », dans Métapsyhologie, Paris, Gallimard, 1968, p. 168.
détacher affectivement du défunt et de modifier les relations intérieures qu'elle
entretenait avec ce dernier. C'est ce qu'on appelle le travail de deuil.
1.13 Une expérience intime et communautaire
Nous venons de voir que le deuil est un terne polysémique. Dans tous les cas, il s'agit
d'une expérience à la fois intime et communautaire. Un deuil est intime lorsque
l'endeuillé se trouve dans un groupe où personne ne partage sa perte. Dans la classe,
certaines situations de deuil sont vécues d'une façon très personnelle : l'enfance qui
s'envole, un ami qui déménage, un changement de classe ou d'enseignant, une personne
particulièrement appréciée qui trahit ou déçoit, un amour secret qui nous est refusé, un
projet qui avorte, un mauvais résultat scolaire, etc. Tous ces événements sont pour
l'élève des occasions de faire des << deuils intimes >> qui passent souvent inaperçus aux
yeux des autres, mais qui laissent parfois des traces indélébiles. D'autres deuils sont
vécus en groupes. Ces deuils de groupe >> peuvent survenir, entre autres, lors du décès
d'un membre de la famille ou d'un élève de la classe. Dans ce type de situation, l'enfant
partage avec les autres, jeunes et moins jeunes, la même épreuve. Ce partage est bien
souvent pour l'enfaot l'occasion de parler de ses peines et de sa sou~ance. Il faut dire
aussi que le deuil de groupe va se vivre autour d'un rituel qui permet aux enfants
d'exprimer leurs sentiments et de se soutenir les uns les autres. En somme, le deuil de
groupe est pris en charge par la communauté, mais, à l'évidence, dans le cas qui nous
intéresse, il peut aussi être pris en charge par I'enseignant dans la classe.
Les deuils de groupe concernent également ces moments où l'enfant doit dire << au
revoir >> et même parfois << adieu >> à certaines personnes qui lui sont chères.
L'enseignant oublie quelquefois de souligner, par un petit rituel de partage, une fête
notamment, le départ d'un élève de la classe. Chaque élève, dès lors, est laissé à lui-
même pour faire son deuil. Un deuil de groupe escamoté devient, lorsqu'un élève en
sent le besoin, un deuil intime,
Un enfant dont le père est décédé d'un cancer vivra un deuil communautaire dans sa
famille et un deuil intime à l'extérieur de celle-ci. En classe, cet enfant peut expliquer à
ses amis proches qu'il vient de perdre son père, il y a de cela à peine deux mois.
Plusieurs seront tristes pour cet enfant et voudront bien l'aider. Toutefois, dans une
pareille situation, cet enfant est le seul à être en deuil puisqu'il est le seul de son groupe
d'amis à éprouver de l'affection pour son père. C'est pourquoi, en classe, son deuil est
une expérience intime. Il en va autrement lorsque cet enfant est dans sa famille. Dans
cet autre groupe, chaque personne est affligée par ce décès. Il s'agit donc d'une
expérience communautaire.
On comprend ici que le caractère « intime » ou <c communautaire » attribué au deuil
dépend de la personne ou des personnes qui portent de l'affection pour l'objet perdu.
Cette distinction est habituellement peu exploitée par les diffërents auteurs qui traitent
du deuil. Souligner cette évidence apparaît être peu important puisque l'immense
majorité des deuils se vivent à la fois d'une façon intime et communautaire. Toutefois,
lorsqu'il s'agit de deuils vécus par les élèves d'une classe, cette distinction prend toute
son importance. En effet, l'enseignant qui désire aider ses élèves confiontés à un deuil
agira differemment si ce deuil est une expérience intime ou communautaire. S'il s'agit
d'une expérience intime, l'enseignant pourra profiter de l'absence momentanée de
l'enfant en deuil - à la suite d'un décès dans sa famille, un enfant prend habituellement
quelques jours de congé - pour demander aux élèves de fabriquer une carte de
condoléances. Ceux-ci pourront la signer et ajouter un mot personnel. Au retour de
l'enfant, l'enseignant pourra prendre un moment pour organiser une petite cérémonie
lors de laquelle les élèves offkiront la carte qu'ils ont fabriquée ainsi que leur soutient
dans cette difficile épreuve. Au troisième chapitre, nous verrons qu'un enseignant peut
également organiser une petite cérémonie lors d'un deuil collectif, c'est-à-dire lorsque
l'ensemble des élèves sont touchés par une perte importante.
Qu'il s'agisse d'une expérience intime ou communautaire, le deuil est toujours
personnel. Le terme « personnel ici ne désigne pas un deuil qui s'accomplit dans la
solitude ou à l'écart de l'entourage. Il renvoie plutôt à l'idée selon laquelle l'endeuillé
confkonté à une perte importante est seul devant sa soufiance. Son entourage peut
certes être présent pour le soutenir et tenter de I'aider. Cependant, personne ne peut
vivre cette s o u ~ c e à sa place- De plus, la façon dont cette souffiiance sera vécue est
très subjective. Plusieurs personnes réunies par une même perte ne souffrent pas de la
même façon. Le caractère unique de chaque personne et la singularité du lien qui l'unit
à l'objet disparu empêchent quiconque de prétendre comprendre parfaitement la
s o u ~ c e des autres.
1.2 Étiologie de la souffrance du deuil
Les différents contextes dans lesquels une personne peut être en deuil ont tous un point
commun : la souffrance. Une personne en deuil est une personne qui souffre. Or, la
souffrance du deuil a toujours été un mystère pour Sigmund Freud. Le père de la
psychanalyse a longtemps cherché à la comprendre sans jamais avoir l'impression d'y
parvenir. Dans le texte Deuil et mélancolie, Freud explique que les questions qu'il
aborde demeurent pour l'instant sans réponses. De plus, dans le texte Passagèreté
publié en 1915, on peut lire : « Mais pourquoi le détachement de la libido de ses objets
doit-il être un processus si douloureux. Nous ne le comprenons pas et nous ne pouvons
le déduire actuellement d'aucune hypothèse D '8. Pourquoi une personne réagit-elle, au
18 Cf. « Deuil et mélacolie » dans Métapsychologie, Pan's, Gallimard, 1968, p. 147 Ainsi que « Passagèreté » dans Oeuvres co.nplètes, vol. XIV, Presses Universitaires de France, 1 9 1 5, p. 327.
point de vue de w e psychique, à une perte par la soufEance ? Aussi, comment la
souflkance aide-t-elle l'endeuillé a accomplir son deuil ? Voilà des questions plutôt
inhabitueIles. Cependant, le fait de ne pouvoir expliquer la s o u ~ c e , dans le cadre de
la psychanalyse, n'empêche pas de proposer des hypothèses sur le fonctionnement
psychique du deuil.
Pour Freud, la soufiance du deuil est intimement liée à la mobilisation de certains
mécanismes psychiques. Lorsqu'une personne se confronte à une perte importante, ces
mécanismes psychiques sont mis en action afin d'aider l'endeuillé à négocier avec la
perte. Pour le psychiatre Michel Hanus19, les mécanismes psychiques activés lors d'un
deuil comprennent trois moments : le travail sur le sens de la réalité, la mobilisation des
identifications narcissiques et l'élaboration de sentiments inconscients de culpabilité. La
capacité d'une personne à faire un deuil dépend de son aptitude à activer ces
mécanismes et à les mettre en exercice.
1.2.1 Un travail snr le sens de la réalité
Tous les deuils impliquent un travail sur le sens de la réalité. Le sens de la réalité est
cette faculté qui permet de reconnaître que la perte est bel et bien réelle, que la personne,
le projet ou le rêve chéri par un individu s'est envolé à jamais. Reconnaître le drame de
la réalité n'est pas une chose facile. À cet égard, Michel Hanus note que les personnes
placées devant une perte importante cherchent à se protéger du drame par une régression
provisoire sur le plan psychique.
19 Michel Hanus, Deuils darzs la vie, deuil et séparation chez l'adulte, chez l'enfant, Paris, Maloine, 1994, p. 1 17-142.
Qu'est-ce qu'une régression psychique ? On peut dénnir la régression comme un retour
sur le plan psychique au narcissisme? Dès sa naissance, l'appareil psychique du
nourrisson cherche à éliminer les tensions déplaisantes qui troublent son confort Par
exemple, l'appareil psychique d'un d i n t affamé lui permet de tirer du plaisir lorsqu'il
est allaité- Ce f ~ s a n t , il met un terme à sa faim, ce besoin lié à une sensation
désagréable et contrariante. S'il lui est impossible d'éliminer cette tension, l'enfant
recourt alors à un autre mode de satisfaction : l'hallucination. Sigmund Freud a noté
chez les enfants une propension à satisfaire certains besoins sous le mode hallucinatoire.
Lorsque les ressources extérieures ne sont pas présentes pour satisfaire ses besoins,
celui-ci se satisfait à partir d'une hallucination de l'objet convoité. Le principe de
plaisir n'est pas sans lien avec cette hallucination. Il incite l'enfmt à tenir pour vrai ce
qu'il désire au détriment de la situation réelle.
Le principe de plaisir ne saurait être efficace éternellement. Si l'hallucination permet à
l'enfant de croire que l'objet convoité est bien présent sous la forme d'une image, il ne
peut se permettre de le substituer indéfiniment & la réalité. Différents motifs, par
exemple l'identification et la peur de perdre l'amou~. de Ia mère, vont l'obliger a
s'adapter au monde réel. L'adaptation à la réalité ne se fait pas sans effort. Pour y
arriver, l'enfant doit développer une certaine conscience de soi, de l'attention, du
jugement, de la mémoire, etc. En un mot, l'adaptation à la réalité demande pour le
nourrisson de remplacer ses mouvements qui ne sont que des décharges motrices par des
actions délïiérées visant à modifier son monde extérieur selon ses besoins. Le principe
de réalité est ce qui permet à l'enfant d'agir en tenant compte de ce monde extérieur-
Avec le principe de réalité, l'enfant tient désormais pour vraie la situation réelle, ce
même si cette dernière peut parfois être désagréable.
20 Les explications sur la régression ont été tirées de Laplanche et Bontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, défi régression, principe de plaisir et de réalité, moi, plaisir et réel. Voir à cet
Il ne faudrait pas croire cependant que la quête de plaisir de l'enfant s'efface parce qu'il
accepte une part de la rédité. Le principe de plaisir inteflere avec le principe de réalité
pour s'ajuster à la vie en société- Le fait que l'enfant c o ~ a i s s e le plaisir avant d'être
confionté à la réalité instaure chez lui l'illusion d'une félicité sans fin. Dans les
profondeurs de sa psyché, l'enfant est marqué par une sensation où tout n'est que
bonheur et calme durable. Cette sensation subsiste en une nostalgie indéracinable. Avec
le poète Charles Baudelaire, on peut dire que l'enfant rêve d'un monde où « tout n'est
qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté $1. S'il n'en tenait qu'à l'enfant, il n'aurait
sans doute jamais substitué la volupté du principe de plaisir pour la souffkance du
principe de réalité. S'il a fianchi cette étape, c'est que les exigences du réel l'ont
contraint a se transformer et à s'adapter.
Pour se protéger d'une trop grande soufiance, l'endeuillé placé devant une situation de
perte régresse jusqu'à cette sensation première de félicité. Il y a des formes de
régression moins graves ou partielles qui se traduisent chez l'endeuillé par des
commentaires tels que « non, ça n'est pas vrai, je n'y crois pas, ça n'est pas possible » !
Il s'agit de sentiments ambivalents qui 'laissent croire que la réalité est à la fois perçue et
niée.
La régression psychique partielle provoque une ambivalence dans la reconnaissance de
la réalité. Plusieurs manifestations émotives laissent croire que la perte est bel et bien
perçue, même si l'endeuillé croit que l'objet n'est pas disparu définitivement. Michel
égard : Jean LapIanche et Jean-Bertrand Pontais, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Presses universitaires de France, 1976-
2 1 Charles BaudeIaire, « L'invitation au voyage », dans Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Voyages en bohème, Paris, Flammarion, 1996, p. 47.
Hanus* explique que ces manifestations se partagent entre l'abattement et de grandes
explosions émotionnelles. Or, puisque la perte est trop difficile à assumer, la personne
en deuil préfere tolérer cette étrange ambivalence plutôt que de se confkonter à une
réalité trop souBante-
La plupart du temps, ce n'est pas la perte même qui est refusée, mais bien la perspective
de devoir faire un deuil. Michel H a n d souligne que la confkontation à la perte est en
fait une codkontation à l'angoisse de devoir soufjliirfjliir La perte éveille chez chacun une
douleur qui semble insupportable, et force la régression jusqu'au narcissisme. En ce
sens, la régression occulte la réalité de la perte tout en donnant à l'endeuillé la possibilité
de commencer un travail d'acceptation. C'est avec les grandes manifestations émotives
telles que le chagrin et le désarroi que le mouvement premier de régression sera dépassé
et que l'endeuillé puisera le courage d'accepter la réalité de son malheur.
1.2.2 Une mobilisation des identifications narcissiques
Nous venons de voir que la régression psychique d'une personne confrontée à une perte
importante s'effectue sous la forme d'un retour au plaisir. Le plaisir narcissique renvoie
à la logique suivante : << C'est vrai parce je le désire ». À cet égard, Claude Richard note
que pour Freud la régression psychique est également liée à un retour au narcissisme
primairS4.
22 Michel Hanus, Deuils dans la vie, deuil et s@arution chez l'adulte, chez Z'enfmt, Paris, Maloine, 1994, p. 118,
23 &id., p. 1 19. 24 Claude Richard, « Régression » dans Dictionnaire unfversalis de la psychanalyse, Paris Albin
Michel, 1997, p. 725,
Qu'est-ce que le narcissisme primaire ? Il s'agit notamment d'une forme primitive de
représentation de soi et des autres. Chez le nourrisson, il n'y a pas encore de distinction
entre sa propre personne et son entourage extérieur, Ce que d'aucuns considèrent
comme deux entités distinctes est vu par le nourrisson comme un seul et même individu
composé à la fois de sa propre personne et de celle de l'autre. Michel Hanus considàe
cet état comme une expérience de fusion et de symbiose entre le nourrisson et sa mère.
Lors des premiers moments de sa vie, le nourrisson reste un être fiagile. Sa vie repose
entre les mains de sa mère qui le porte en elle pendant plusieurs mois, Le nourrit, lui
promulgue des soins et lui témoigne de la tendresse et de l'affection. Sans la mère ou
une personne autre pour s'occuper de lui, Ie bébé ne pourrait suwivre bien Iongtemps.
Aussi, parce que le nourrisson n'est pas encore apte à faire une distinction entre sa
propre personne et sa mère, il croit être son propre instrument de satisfaction de ses
besoins.
Cette phase de développement est fort importante pour l'enfant. Le narcissisme primaire
est une illusion qui confëre à l'enfant un sentiment de toute-puissance. L'enfant croit
être l'instrument de satisfaction de ses désirs, il n'a pas encore éprouvé la souEance de
se confionter au manque et à la f i tude. Après quelques expériences lors desquelles la
mère tardera à répondre à ses cris et à ses pleurs, l'enfant comprendra que la satisfaction
de ses besoins n'est pas le fivit de sa volonté mais bien de celle de sa mère. Il apprendra
ainsi à faire une distinction entre sa personne et les autres qui composent son entourage.
Le narcissisme primaire est un état de volupté qui se prolonge dans un sentiment de
nostalgie indéracinable. Aucun individu ne peut renoncer totalement au plaisir d'être sa
propre source de satisfaction. C'est pourquoi chacun continue à investir les objets
enviromants d'une façon en partie narcissique, l'objet investi étant toujours choisi au
nom du plaisir qu'il procure au moi.
La confrontation à la perte d'un objet investi par l'énergie narcissique du moi agit sur les
modalités d'investissement d'objet. Hanus a déjà souligné que le terme d'objet désigne
en fait deux réalités distinctes : l'objet de la réalité extérieure dans son essence propre et
l'objet interne du monde psychique. En classe, l'objet de la réalité extérieure pourra être
un élève qui décède en cours d'année. L'objet interne sera alors le même élève tel qu'il
apparaît aux yeux de chacun. Une personne qui investit un objet engage sa libido sur
l'objet interne, ce dernier étant le seul avec lequel une personne puisse être liée. Lors
d'un deuil, cette même personne compense la perte de l'objet réel par un
surinvestissement narcissique de l'objet intenie.
1.23 Les sentiments inconscients de culpabilitii
Michel Hanus25 a noté que le deuil d'un objet aimé ne se fait pas sans un important
travail sur les sentiments de culpabilité. Comment comprendre les sentiments de
culpabilité d'une personne en deuil ? Pour l'auteur, la culpabilité s'explique par le
mouvement de régression narcissique et par une ambivalence des sentiments lors de
l'investissement d'objet. Voyons ces deux phénoménes.
La culpabilité s'explique d'abord par la régression narcissique. Nous avons expliqué au
point précédent que le narcissisme primaire est une illusion qui confère un sentiment de
toute-puissance à l'enfant. Cette toute-puissance lui laisse croire qu'il a un certain
« pouvoir magique » pour agir sur les objets de son entourage. Il peut penser qu'il est à
l'origine d'un événement qui vient de se produire. Lorsqu'me personne est co&ontée à
une perte particulièrement bouleversante, elle régresse pour un moment jusqu'au
narcissisme primaire. Cette régression n'est pas sans lui laisser l'impression qu'elle est
-
25 Michel Hanus, Les deuils dans la vie, Paris, Maloine, 1994, p. 136.
en partie responsable de la situation. Elle se sent bien sûr responsable du fait qu'elle
aurait déjà peut-être souhaité sa mort Ce désir inconscient de mort est découvert par
Freud dans Au delà du principe de plaisir 26- Depuis, tous les psychanalystes en pratique
ont entendu ces vœux de mort. Il n'est pas rare que celui ou celle qui vient de perdre un
parent ou un ami se reproche de ne pas avoir fait tout ce qui était possible pour empêcher
qu'un tel drame ne se produise, ou de n'avoir rien fait pour l'éviter.
La culpabilité s'explique ensuite par l'ambivalence des sentiments. Pour Freud,
I'investissement libidinal se fait toujours de manière ambivalente. Au fil de sa pratique
clinique, le père de la psychanalyse a noté que les investissements libidinaux sont
imprégnés de désirs amoureux, tendres et sensuels, mais aussi de désirs agressifs. Freud
soutient que tous les objets vers lesquels une personne s'est investie sont à la fois aimés
et détestés. Si on ajoute à ces sentiments ambivalents la pensée magique issue du
narcissisme3 il est possible de penser qu'une personne puisse croire en tuer une autre par
le pouvoir de sa pensée.
L'ambivalence des sentiments associée à la pensée magique issue du narcissisme est
particulièrement bien illustrée dans le témoignage de Françoise Fafard Sindon. Dans Ie
livre Parents orphelins, cette mère de famille relate ce qu'elle a vécu lorsqu'elle a perdu
son jeune fils Guillaume, né avec une malformation cardiaque. Au cours de l'été 1986,
deux ans et demi après sa naissance, Guillaume décède des suites d'une opération au
camr. Quelques semaines après le drame, Françoise Fafard Sindon raconte son épreuve :
a J'étais tellement fière de dire : J'ai deux enfants, une fille et un fils- Maintenant, on
dirait que j'ai honte, qu'en plus de ma peine et de ma colère, j'ai honte d'avoir perdu
mon fils. Je ne comprends pas ce sentiment- C'est comme si j'avais été punie pour
quelque chose de méchant que j'aurais fait. Pourquoi n'ont-ils pas voulu t'aider le
26 Sigmund Freud, K Au delà du principe de plaisir », dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1987, p, 83.
dimanche matin ? Avaient-ils perdu tout espoir ? J'aurais dû insister. J'aurais dû
demander- Je t'ai abandorné. Pourquoi ai-je fait cela ? Je ne réalisais pas que c'était la
fin. Je t'ai laissé seul. Pourquoi mon Dieu ? 9 7
Avant de subir une perte, l'ambivalence des sentiments n'est pas manifeste à la personne
qui investit sa libido dans un objet. Les désirs d'amour et de haine sont dans un
équilibre relatif qui rend l'investissement possible. Lorsqu'une perte survient et que cet
objet disparaît, les pulsions d'amour et de haine qui, jusqu'à maintenant, cohabitaient
ensemble, se désintriquent. La disparition de l'objet est perçue par la personne
confrontée à la perte comme une trahison. Les motions tendres se transforment en
sentiment d'abandon et de solitude. L'endeuillé se sent seul et abandonné par l'objet qui
l'a quitté. Les motions agressives, quant à elIes, se séparent. Certaines motions
agressives sont orientées vers d'autres personnes. Il n'est pas rare que l'endeuillé
exprime alors une grande colère envers ceux qu'il tient responsables de la perte de l'objet
aimé. D'autres motions agressives se retournent vers le moi. L'endeuillé se reproche
alors de ne pas avoir suffisamment aimé le défunt' de ne pas lui avoir témoigné
suffisamment de respect et d'attention. Ce faisant, il se fait s o e comme il aimerait
faire soufçir l'objet qui l'a quitté.
Michel Hanus souligne que l'endeuillé recourt géneralement à deux moyens pour apaiser
cette culpabilité : cultiver le souvenir du défunt et renoncer à diverses possibilités de
satisfaction- Voyons ces deux moyens.
D'abord, l'endeuillé cultive le souvenir du défunt. Lorsqu'il accomplit son travail de
deuil, l'endeuillé tend à faire l'éloge de la personne qu'il vient de perdre. II prend soin
27 Française Fafârd Sindon, << Croire en la vie ... Croire au miracle ? D dans Parents orphelins, Montréai, Éditions Louise Courteau, 1990, p. 34.
d'insister sur ses bons côtés, privilégie ses belles qualités et les souvenirs agréables qu'il
a de lui, il lui rend des hommages en apportant des fleurs ou en venant simplement se
recueillir sur sa dépouille. Ce faisant, l'endeuillé peut masquer les reproches qu'il aurait
envie de faire au défunt Ensuite, l'endeuillé se sert de sa soufEance pour se purger de
sa culpabilité. Il croit véritablement que sa soufiance l'aidera a surmonter
l'ambivalence de ses désirs. À cet égard, la peine et le chagrin, le repliement sur soi et
le désintéressement pour tout ce qui n'est pas lié au défunt sont interprétés comme une
souffî-ance qu'on s'inflige. Dans les sociétés traditio~melles, les endeuillés disposaient de
rituels qui permettent d'apaiser leurs sentiments de culpabilité. Ces rituels étaient
formés de devoirs religieux vis-à-vis du défunt, de restrictions et de privations diverses
qui entouraient le deuil et les pratiques pour disposer du corps. Ces rituels, instaurés par
le groupe, permettaient à I'endeuiilé de réparer ses fautes et de diminuer sa culpabilité.
Dans les sociétés anciennes, donc, le rite funéraire, depuis le Iavement du corps, sa
veillée, ses moments de prières, l'exposition et la mise en terre, permettait à chacun des
proches de grandement se Libérer de sa culpabilité.
Aujourd'hui, la plupart de ces rituels ont disparu. Dans les sociétés occidentales
contemporaines, chacun négocie plus ou moins seul sa culpabilité. La tendance de
chaque endeuillé est de s'emprisonner dans sa soufnance. Avec l'effritement des
institutions religieuses, les endeuillés se voient le plus souvent laissés à eux-mêmes pour
faire face à leur peine. Certains endeuilIés manifestent leur s o u ~ m c e à leurs proches,
mais ces manifestations n'ont rien de comparable à celles d'autrefois. Disons-le
fianchement, les rituels d'apaisement de la soufiance du deuil font aujourd'hui
cruellement défaut. C'est pourquoi 1' endeuillé désirant soulager sa culpabilité plonge
bien souvent dans une profonde dépression. L'état dépressif du deuil est devenu un
moyen de vivre sa culpabifité. Une culpabilité qui, aujourd'hui plus que jamais, est
sévère et prolongée.
1 3 Les étapes du travail de d e 3
Nous venons de voir que la souffrance du deuil est intimement liée à la mobilisation de
certains mécanismes psychiques. Ces mécanismes permettent d'accomplir ce que Freud
appela en 1915 le << travail de deuil ». Dans le texte Deuil et mélancolie, l'auteur écrit :
<< En quoi consiste maintenant le travail qu'accomplit le deuil ? Je crois qu'il n'y a-m
rien de forcé à se le représenter de la façon suivante : l'épreuve de la réalité a montré
que l'objet aimé n'existe plus et édicte l'exigence de reîirer toute la libido des liens qui
la retienne à cet objet ». À la suite de cette publication, nombre d'auteurs ont formulé
l'hypothèse suivant laquelle le travail accompli par toute personne en deuil se ferait en
plusieurs étapes. Nous renvoyons ici le lecteur aux travaux de Michel Hanus. Cet
auteur présente une brève rétrospective de l'ensemble des modèles de résolutions de
deuil les plus marquants28 Michel Hanus propose également son propre modèle de
résolution de deuil qui comprend trois étapes : le choc et le refus, la dépression et la
période de rétablissement-
. Le choc et le refus
Lorsqu'une personne est confrontée à une perte importante, il se produit chez elle une
grande tension émotionnelle. En effet, cette personne se sent frappée, renversée par
l'événement. Nous disons alors qu'elle est en état de choc. Dans un recueil de
témoignages écrit par des personnes en deuil, Normand Larivière raconte ce qu'il a vécu
lors du décès de Julie, sa petite fille de 8 ans : << Quand je suis arrivé sur les lieux de
l'accident de ma petite Julie, mon être a cessé d'exister. Mon corps a été transformé en
un amas de chair prêt à vomir toute l'horreur qui se présentait sous mes yeux.
POURQUOI ? La vision de cet être que j'aime plus que moi-même, inanimé sur le sol,
m'a, en une fiaction de seconde, arraché le ccmr et précipité dans les ténèbres les plus
** Michel Hanus, L a deuils dans la vie, Paris, Maloine, 1994, p. 94
profonds. La terre venait de s'arrêter de tourner, l'existence était transformée en
cauchemar.,, 9 9 -
Le choc est beaucoup plus important si l'événement est inattendu. Perdre un élève
contre toute attente a toujours quelque chose de bouleversant, d'inacceptable. À
l'inverse, la perte annoncée, par exemple lors d'une maladie dégénérative, produit
habituellement un état de choc moindre, Le choc est une réaction de défense-
L'individu en état de choc se protège contre un événement auquel iI ne peut faire face.
Pour Michel Hanus, le choc est une réaction première qui se dépasse rapidement.
Lorsque les émotions pénibles commencent à se manifester dans un cri de refus, une
étape importante est alors franchie. Toutefois, crier le refûs n'introduit pas encore le
travail de deuil. La personne qui crie le refus ne peut encore accepter la réalité de la
perte, elle ne peut donc encore travailler à négocier avec elle. La personne qui refuse la
réalité de la perte laisse échapper des commentaires tels que : a non, ça n'est pas
possible, non, ça n'est pas vrai ! 2 Pour Michel Hanus, ce refus est une régression
psychique. L'individu régresse jusqu'au narcissisme primaire. Les sentiments
d'omnipotence et de toute-puissance qui caractérisent cet état le portent à croire que ses
désirs ont les mêmes pouvoirs que ses actions. Comme à l'époque où il n'avait qu'à
crier et à pleurer pour faire apparaZtre sa mère qui s'?tait momentanément absentée,
l'endeuillé croit sans s'en rendre compte qu'il lui suffit de c r i a son désir de revoir le
disparu pour qu'il revienne. La souffrance de l'btat de choc et du refus vient de cette
tension intérieure entre le fait de vivre une perte et de ne pouvoir encore accepter sa
réalité.
29 Parents oplrelins, Montréal, Éditions Louise Courteau, 1990, p. 112.
13.2 La dépression
La dépression est l'étape centrale du travail de deuil. Elle suMent à partir du moment
où une personne ne peut plus s'échapper de la pénible réalité de la perte et à la
soufEance qui en découle. La dépression peut durer des mois, voire des années lorsque
le deuil devient pathologique. Les caractéristiques principales de la phase de dépression
sont les suivantes : le désinvestissement de la libido, l'inhibition, les sentiments de
culpabilité et la solitude.
La dépression s'explique par le travail de désinvestissement de la libido. L'énergie
investie dans la personne aimée se doit maintenant d'être désinvestie. Pour Michel
Hanus, ce désinvestissement est l'essence même du travail de deuil. L'endeuillé se
remémore les souvenirs et les espoirs qu'il a fondés et les corhonte au drame de la
réalité. Chacun de ses souvenirs et de ses espoirs est placé devant le fait que la personne
est aujourd'hui absente ou qu'elle n'existe plus. C'est là un travail difficile, très
douloureux. La personne en dépression est à la fois déçue, triste et nostalgique d'une
époque qui lui échappe cruellement. De plus, elle investie la totalité de s a énergies vers
l'objet perdu et inhibe ses investissements vers d'autres objets possibles. Son attention
se tourne vers cette nécessité. Rien d'autre ne l'intéresse. Les autres préoccupations lui
semblent insignifiantes et puériles. On peut donc comprendre que, dans une pareille
situation, les actions les plus bandes et les plus simples demandent des efforts souvent
insoupçonnés par l'entourage. Pour l'endeuillé, seul le rapport avec la personne
disparue est important, Tout le reste est futilité et ne mérite que très peu de
considération-
Ajoutons que, avec le départ de la personne chérie, l'ambivalence des sentiments se
réactive. La régression vers le narcissisme primaire associée aux souhaits de mort que
l'endeuillé porte inconsciemment au défunt provoque un sentiment de culpabilité. Nous
avons vu, au point 1.2, que l'ambivalence des sentiments traduit des désirs de tendresse,
mais aussi d'agression allant jusqu'à la mort envers l'entourage. Aussi, parce qu'il a
peut-êe autrefois désiré sa mort, l'endeuillé se sent un peu responsable du sort du
défunt La culpabilité qu'il éprouve est pour lui un moyen de conjurer le malaise associé
à sa culpabilité. La sou&ance associée au sentiment de culpabilité permet de payer le
prix des désirs inconscients de mort et les rend un peu plus acceptables. Finalement,
l'état dépressif de l'endeuillé est associé à un sentiment de solitude. L'inhibition des
investissements autres que ceux portés vers le défunt pousse souvent l'individu à
s'enfermer sur lui-même et à se couper de son entourage. Les souvenirs et les espoirs
réactivés alimentent une relation intérieure que l'endeuillé crée avec le défiixit, Cette
relation occupe une très grande part de son attention et rend difficile l'aide qu'il pourrait
apporter à ceux qui sont aussi touchés par le deuil.
1.33 La période de rétabiîssement
La dernière phase du deuil est celle du rétablissement. La période de rétablissement
marque la fin de l'état dépressif de la personne en deuil. C'est une période qui s'instaure
progressivement. L'endeuillé se surprend à s'investir dans de nouveaux projets, à
ressentir des désirs qu'il croyait disparus à jamais et à faire de nouvelles rencontres.
L'objet dans Iequel il s'était autrefois fortement investi n'est certes pas oublié. Il occupe
toujours une place importante. Seulement, la place que cet objet occupe n'empêche plus
l'endeuillé de s'investir dans de nouveaux projets et de se faire de nouveaux amis.
Celui-ci se permet de sortir et de renouer avec sa famille et ses copains. L'inhibition de
s a investissements cesse peu à peu à mesure qu'il retrouve le goût de vivre. L'endeuillé
se libère également de l'environnement du défunt Ii ne conserve que certains objets
significatifs et se permet de se départir des autres. Toutefois, le deuil est une blessure
qui laisse une cicatrice qui, en certaines occasions, peut s'ouvrir de nouveau. Des
événements comme les anniversaires de mort, le retour sur les lieux de l'accident ou la
rencontre de personnes associées au défunt sont particulièrement diffi~iks à vivre.
1.4 Les deuils plus diff~ciles à vivre
Ces différentes étapes du travail de deuil se dérouleront pius ou moins rapidement selon
l'importance de la personne perdue. Il suffit à chacun de f&e appel à son expérience
personnelle pour comprendre que certains deuils sont plus ciifficiLa à vivre que d'autres.
Tous les deuils impliquent l'expérience de la souffrance, mais l'intensité de la
soufEance n'est pas la même d'un deuil à un autre. À cet égard, Mchel Hanus souligne
qu'il a existe tout un ensemble commun à tous les deuils maùs chaque deuil a des
particularités qui sont parfois criantes »-'O. Ces particularités empêchent chacun de se
prononcer sur l'intensité d'une souffrance à venir, Personne n'es* en mesure de savoir à
l'avance si, par exemple, un enfant acceptera la mort de son grand-père, alors que le
divorce de ses parents lui est inconcevable. Comment comprendre que les expériences
de deuil n'engagent pas la même souffrance ? Michel Hanus a odenté ses travaux vers
cette question.
Pour Michel Hanus, les variations dans l'intensité de la soufnance d'un deuil dépendent
de trois facteurs : la nature de la relation qui préexistait avant .de vivre une perte, la
nature de cette perte et les circonstances qui ont provoqué cette perte.
1.4.1 La nature de la relation
La nature de la relation renvoie au lien qui existe entre une perrsonne et l'objet dans
lequel cette demière a investi sa libido. La force de ce lien est sains contredit le facteur
le plus déterminant pour comprendre l'intensité d'une souffiance31. Plus un objet a été
fortement investi par une personne, plus sa perte sera bouleversante. Le lien qui unit une
personne à l'objet investi est toujours unique, même lorsque plusieurs personnes
30 Michel Hanus, Les deuils dons la vie, Paris, Maloine, 1994, p. 22. 31 fiid., p. 93.
investissent le même objet. Souvenons-nous des sentiments de désespoir de Roméo
pour Juliette. Roméo ne peut pas accepter la mort de Juliette, ni d'ailleurs Juliette ne
peut accepter celle de Roméo. Roméo croit Jdïette morte et décide de la rejoindre dans
l'au-delà Juliette dormait. À son réveil, elle constate avec horreur le décès de son cher
et tendre amant. Elle se donnera la mort. Vraisemblablement, autant Roméo que
Juliette se sont attachés l'un à l'autre d'une façon telle que le décès de l'un d'eux
devient un événement tragique. À la différence de ces amants passionnés, les individus
n'investissent pas dans tous les objets amoureux avec la même intensité. La mort d'un
poisson rouge, sauf exception, ne suscite pas tant de désespoir.
1.4.2 L'objet perdu
Les variations dans l'intensité d ' b e soufiance s'expliquent également par l'intensité de
l'attachement dans l'objet perdu. Comme nous l'avons souligné au point 1.1, il y a deux
types de perte : la perte d'une personne et la perte d'objets qui ne sont pas des
personnes. L'expérience montre que les réactions devant la perte varient d'une personne
à une autre- Or, ces variations sont imprédictibles. Par exemple, le soldat qui rentre
chez lui pour constater que sa maison a été détruite et que sa famille a été tuée par
l'ennemi a un deuil à vivre. Celui, de l'autre clan, qui a subi le même sort, n'a pas un
deuil moins dbespérant à vivre. Que dire du deuil provoqué par la perte de travaux de
recherche, par la perte de son enfant lors d'une fausse-couche, du deuil du pays perdu,
du pays colonisé, du pays détruit par la guerre ou l'ouragan ? Nul ne peut prévoir la
gravité du désespoir. En général, chacun s'entend pour dire que l'expérience de la mort
de l'être le plus cher est l'un des événements les plus difficiles à accepter.
1.43 Les circonstances qui ont provoqué la perte de l'objet aimé
Pour Michel Hanus, une perte brutale est habituellement plus difficile à vivre qu'une
perte anticipéG2- Un accident ou une maladie foudroyante ont toutes les chances de
plonger l'entourage du d é h t dans un état de consternation et de désarroi, La question
des pertes brutales a toutefois été plus profondément développée par les psychologues
Monique Séguin et Lucie Fréchette'3. Celles-ci soutiennent qu'une personne con6rontée à
la disparition soudaine de l'être cher n'a habituellement pas pris le temps de s'adapter à
cette difficile réalité. La mort semble d'abord irréelle. Des sentiments de culpabilité sont
fréquents. La paix avec le défunt est difficile du fait que les regrets quant aux choses
non réglées, non dites, non faites avec la personne décédée n'ont pas été exprimés. Ces
auteurs affirment également qu'une perte anticipée, due par exemple à une maladie
incurable, facilite le travail de deuil. La perte est généralement plus facile à accepter
puisque les émotions liées à l'événement ont pu être partagées lors du séjour du défunt
au centre hospitalier.
Une perte due à un suicide est particulièrement éprouvante. Monique Seguin et Lucie
Fréchette considèrent le deuil à la suite d'un suicide comme différent des autres deuilsM.
Le deuil qui suit un suicide se démarque par l'intensité des émotions et par le sentiment
d'avoir une part de responsabilité dans la perte. La soufiance est très grande et ce pour
plusieurs raisons. L'endeuillé considère habituellement que la personne aimée s'est
donné la mort avant d'avoir eu la chance de vivre pleinement sa vie. La violence avec
laquelle une personne se d o ~ e parfois la mort @endaison, lacération, arme à feu,
écrasement, noyade, accidents divers, etc.) cause chez les endeuillés un choc émotif
particulièrement bouleversant. Les images du corps, qu'elles aient été réellement vues
ou seulement imaginées, reviennent fréquemment hanter les personnes en deuil.
32 Michel Hanus, Les deuils dans la vie, Paris, Maioine, 1994, p. 23 1. 33 Monique Séguin et Lucie Fréchette, Le deuil, une soufiance à comprendre pour mieux
intervenir, Montréal, Editions Logiques, 1995, p- 54-55.
La recherche d'un sens au suicide engage les proches vers un long et difficile chemin.
Les personnes en deuil cherchent à comprendre pourquoi celui ou celle qu'ils aimaient
tant en est venu à s'enlever la vie. La recherche d2in coupable ou de causes extérieures
telles qu'une rupture amoureuse ou un échec scolaire aide l'endeuillé à chasser
l'intolérable idée qu'il puisse être en partie responsable de ce suicide. L'endeuillé en
vient à croire, puisqu'une autre personne l'a poussé à se tuer, qu'il n'a rien à se reprocher
à propos de la mort qui vient de se produire. Il recherche un coupable afin de conjurer
son propre sentiment de culpabilité. A cet égard, Séguin et Fréchette se réferent aux
travaux de James William Wordeds qui affirmerait que le sentiment de culpabilité est
particulièrement intense si l'endeuillé reste avec l'impression qu'un conflit avec le défunt
n'a pas été réglé. L'endeuillé se reproche alors d'avoir mal agi avec celui qui vient de
dispara&e.
Dans certaines circonstances, le corps du défunt peut ne pas être accessible à l'entourage
en deuil. Marie-Frédérique BacquS6, psychologue et collègue de travail de Michel
Hanus, souligne l'importance d'avoir accès au corps du défunt. Le corps, en effet, est le
témoignage de la véracité de l'événement, il permet à ceux et celles qui restent de croire
en la mort du disparu et d'amorcer le travail de deuil qui s'impose. Lorsque le corps
n'est pas accessible à la famille et à l'entourage, le deuil s'en trouve alors sérieusement
compliqué. En Argentine, on appelait Folles de la place de Mai » ces femmes qui
res takt sans nouvelles de leurs fils, enlevés par la junte militaire du pays. Marie-
Frédérique Bacqué affirme que ces mères réclamaient non seulement de savoir si leurs
d i t s vivaient toujours, mais aussi de voir les corps lorsqu'elles les savaient morts.
34 fiid., p.113.
35 Ibid.,p.l19. 36 Marie-Frédénque Bacqué, Le deuil à vivre, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 38.
Nous venons de voir dans ce premier chapitre que le deuil, bien qu'étant une expérience
universelle, reste des plus difficiles à définir et à comprendre. L'examen du concept de
deuil nous a d'abord permis de découvrir que ce mot peut prendre sens dans différents
contextes. Ainsi, le deuil est une souffrance, mais une soufiance pouvant avoir lieu
suite au décès d'une personne aimée, à la perte d'un objet fortement investi et à une
perte individuelle ou collective. Le mot a deuil » peut également être employé pour
désigner l'état psychologique, les rituels mis en place ou le travail psychique suite à une
perte. Ensuite, l'examen étiologique du deuil nous a permis de mieux comprendre les
causes de cette sou£fi.ance. Celle-ci pouvant être expliquée par un travail sur le sens de
la réalité, par une mobilisation des identifications narcissiques et par les sentiments
inconscients de culpabilité. Cet examen étiologique nous a permis de comprendre le
modèle de résolution de deuil proposé par Michel Hanus. Celui-ci nous semble être un
outil favorisant une meilleure connaissance du chemin emprunté par un groupe d'élèves
en deuil. Enfin, nous avons vu que les variations dans l'intensité de la souffrance d'un
deuil peuvent être comprises par la natlne de la relation avec l'objet investi, par l'objet
lui-même et par les circonstances ayant provoqué la perte de cet objet L'ensemble des
connaissances acquises dans ce premier chapitre constitue une base nécessaire à la
compréhension des particularités du deuil à l'enfmce. Ces particularités seront
examinées au chapitre suivant.
LES PARTICULARITES DU DEUIL
CHEZ LES ENFANTS
2. Les particularités du deuil chez les enfants
Le psychiatre Michel a souligné à de nombreuses reprises la difficulté pour Les
parents et les spécialistes du deuil d'évaluer les effets d'une perte importante pour
l'enfant De façon générale, l'auteur affirme que, lors d'une évaluation, deux éléments
doivent être pris en compte. L'adulte peut d'abord surestimer l'importance d'une perte
chez les enfants et croire qu'ils seront d'emblée malheureux, déprimés, perturbés ou
asociaux. Il peut aussi sous-estimer l'importance d'un deuil précoce et rester aveugle à
l'aide et au réconfort dont l'enfant aurait besoin. Entre ces deux extrêmes, il est parfois
difficile pour les parents et les enseignants de saisir les sentiments de l'enfant, c'est-à-
dire de tenter de comprendre la charge émotive liée à la perte. En fait, ces difficultés
sont à la source de nombreuses questions de la part des professionnels du deuil et de
I'enfance, mais aussi des parents et de I'entourage qui côtoient des enfants endeuillés.
Plusieurs de ces questions portent sur l'âge à partir duquel un enfant peut se sentir
suffisamment éprouvé par une perte pour avoir a faire un travail de deuil. D'autres
portent sur la représentation de la mort à l'enfance et sur les réactions particulières des
enfants lorsqu'ils sont confrontés à une perte importante. Nous allons, dans ce chapitre,
examiner ces deux grandes interrogations.
2.1 L'aptitude au deuil
Française Dolto, à la suite de nombreuses consultations effectuées auprès de jeunes
enfants, affirme qu'il n'y a pas d'âge pour être bouleversé par une perte importante.
Dans son ouvrage Tout est langage, l'auteiire éa i t : Il n'y a pas d'âge pour le dire [le
décès]. On peut dire cela à huit jours, à quinze jours, il n'y a pas d'âge, il faut que ce
malheur soit dit, tel que les parents responsables de l ' d a n t l'éprouvent. C'est comme
cela que nous l'aidons le mieux. »3* Au-delà de ce constat, nombre de chercheurs ont
tenté de comaZtre l'âge approximatif à partir duquel un enfant est en mesure de négocier
avec une perte importante par la mise en place d'un travail de deuil. Les réponses à un
tel questionnement varient énormément d'un auteur à l'autre. À cet égard, Michel
Hanus note que pour Robert Furnian39 l'enfant est i même d'amorcer un tel travail à
partir de trois ou quatre ans. De même, Hanus ajoute que, pour Martha W~lfenstein~~ et
Humberto Nagera4', un véritable travail de deuil ne peut commencer qu'à la fin de
I'adolescence, c'est-à-dire au moment où l'enfant tente de se détacher des images
parentdes de son enfance.
Pour Michel Hand2, un enfant est jugé apte à faire un travail de deuil lorsqu'il est en
mesure de se détacher d'un objet perdu ayant été prdablement investi d'une importante
quantité de Iïbido (chapitre 1). Cette aptitude, que Michel Hanus nomme << aptitude au
deuil D, n'est pas associée à un âge précis. En fait, l'auteur affirme que le déroulement
du deuil de l'enfant est partiellement semblable à celui de l'adulte en ce qu'il se
schématise selon la même séquence de protestation, de désespoir et d'adaptation
(chapitre 1). Toutefois, ce travail de deuil reste sous plusieurs aspects très différent de
celui de l'adulte. En effet, l'enfant doit encore faire certaines acquisitions d'ordre
37 Michel Hanus, << Les enfants en deuil D, dans Parlons de la mort et du deuil, sous la direction de P. C o d l o t et M, Hanus, Paris, Frison-Roche, 1997, p. 161.
38 Française Dolto, Tout est langage, Paris, Vertiges du nord/Carrere, 1987, p. 83. 39 Robert Furman, Death and the! young child, vol. XIX, 1964, p. 322. Cité par Michel Hanus dans :
Michel Hanus, Les deuils dans la vie, Paris, Maloine, 1994, p. 275. 40 Martha Wolfenstein, <( How is mourning possible ? », dans The psycho-analpic study of the
chi& 1966, vol. 21, p. 12 1-122. Cité par Michel Hanus dans : Michel Hanus, Les deuils dans la vie, Paris, Maloine, 1994, p. 275.
4 1 Humberto Nagera, « Children's reactions to the death of an important object : a developmental approach. », dans the psycho-analytr'c study of the child, 1970, vol. 25, p. 382. Cité par Michel Hanus dans : Michel Hanus, Les deuils dans la vie, Paris, Maloine, 1994, p. 275.
42 Michel Hanus, Les deuils dans la vie, Paris, Maloine, 1994, p. 275-
intellectuel, affectif et cognitif avant de pouvoir faire un réel travail de deuil. Pour
l'auteur, ces acquisitions sont les suivantes : une maîtrise suffisante de la réalité de la
mort, l'acquisition d'une représentation interne stable de l'objet perdu et la certitude que
les besoins physiologiques et psychologiques seront satisfaits en l'absence du parent
perdu.
2.1.1 Une maîtrise suffisante de la réalité de la mort
Pour Michel Hanus'3, la maîtrise suffisante de la réalité de la mort est indispensable à la
mise en place d'un travail de deuil. Cette maitrise n'a pas à être complète et achevée.
Néanmoins7 l'enfant doit avoir le sentiment que la mort est une absence de vie, que
lorsqu'une personne est décédée, elle n'est plus en vie. Il s'agit là d'une rédité difficile
à saisir, C'est pourquoi l'adulte peut l'aider à cerner cette réalité en la lui présentant
avec beaucoup de simplicité, de clarté et de délicatesse. Habituellement, l'enfant se
confionte à la mort par le biais de la télévision, de la littérature ou en constatant le décès
d'un animal, d'une plante ou d'un insecte. La perte d'un animal domestique, d'un ami
cher ou d'un membre de la famille peut être une lourde épreuve qui invite l'enfant à se
représenter la mort et la soufiance. Au point 2.2, nous verrons que plusieurs études ont
cherché à saisir l'évolution de la compréhension de la mort chez l'enfant. Nous verrons
également le modèle de cette évolution proposé par Sébauin et Fréchette.
2.1.2 Une représentation interne et stable de l'objet investi
Pour que l'enfant soit à même d'accomplir un travail de deuil, il faut que la
représentation de l'objet investi soit suffisamment stable, c'est-à-dire qu'elle reste la
même tout au long du processus de deuil. Pour qu'il y ait une représentation stable,
l'enfant doit faire la différence entre ce qui vient de lui et ce qui ne vient pas de lui.
Nous avons VU, au premier chapitre, qu'au tout début de la vie, l'enfant ne fait pas la
distinction entre sa propre personne et les autres objets (narcissisme primaire). Ni le
moi, ni les objets extérieurs ne sont délimités, et les investissements extérieurs ne sont
pas encore orientés vers des objets. Lorsque l'objet investi s'absente trop longtemps, le
jeune enfant voit dans celui-ci une source de mal et de htration. Cette absence d'objet
permet à L'enfant d'établir une frontière entre sa propre personne et ses investissements
externes,
2.13 Une sécurité quant à la satisfaction des besoins physiologiques et
psychologiques de l'enfant en l'absence du parent disparu
Procurer à I'enfmt la certitude que ses besoins seront satisfaits ne signifie pas pour les
adultes qui restent de devoir se mettre à la place du défunt. Il s'agirait là d'une fonne de
déni qui, aux yeux de l'enfant, ne serait pas crédible. Sécuriser l'enfant consiste plutôt à
lui exprimer que personne ne peut prendre la place d'une personne disparue. Cependant,
d'autres personnes sont présentes et veilleront à ce que ces besoins soient comblés. Les
parents en deuil étant eux-mêmes renversés par la douleur de Ia perte? il l e u est souvent
difficile d'être attentifs à la façon dont l'enfant vit cette épreuve. Lorsque l'enfant sait
mettre sa confiance dans ceux qui restent et qui acceptent de s'occuper de lui, lorsqu'il
voit en eux une aide qui lui permettra de vivre plus facilement sa perte, il lui est alors
plus facile de faire le deuil du parent disparu.
Michel Hanus souligne qu'il est essentiel pour l'enfant endeuillé de pouvoir continuer à
investir ses sentiments dans un adulte du même sexe qui lui porte de l'affection. Cet
adulte peut être, par exemple, un oncle (une tante) ou un ami intime de la famille. Plus
l'enfant est jeune, plus cette personne est nécessaire. Sans elle, l'enfant endeuillé peut
chercher à trouver ce qu'il désirait du parent disparu dans toutes ses relations objectales
58
à venir. Cette quête se poursuit souvent jusqu'à un âge adulte avancé et peut être à la
source de nombreux échecs affectifs.
2.2 Les représentations de la mort à l'enfance
Nous venons de voir que, pour Michel Hanus, la maîtrise suffisante de la réalité de la
mort est indispensable à la mise en place d'un travail de deuil. Or, une telle maîtrise est
le f i t d'une longue évolution des représentations que se font les enfants de la mort.
Pour Michel Hanus, ces représentations sont au départ bien différentes de celles des
adultes et évoluent avec le temps pour s'y conformer. Chez les eiifants, la conception de
la mort est davantage liée à la pensée magique tandis que, pour l'adulte, elle est en
grande partie liée aux apprentissages réalisés lors de la confrontation avec le réel. Cela
ne signifie pas que l'adulte maîtrise le mystère de la mort, mais qu'il a su construire du
sens sur la mort et les morts. L'adulte sera notamment sensible au fait que la mort est un
phénomène universel et irréversible. Toutefois, le théme de l'après-mort demeure une
question ouverte, car il relève à la fois de la << culture religieuse » sociale et personnelle.
Dans l'ouvrage Le deuil. Une soufiance à comprendre pour mieux intervenir, Lucie
Fréchette44 offke une des plus récente rétrospective des études sur l'évolution des
représentations de la mort chez l'enfant- Nous allons, ici, en aborder les grandes lignes-
2.2-1 La mort chez les enfants âgés de zéro à deux ans
hsqu'à l'âge de deux ans, les enfants n'ont pas encore la maturité nécessaire pour
comprendre ce qu'est la mort, ce que signifie « être mort » et pour amorcer un travail de
deuil. C'est pourquoi Lucie Fréchette refuse de parler de véritable travail de deuil.
Cependant, la perte que peut vivre un enfant de moins de deux ans n'est pas sans
44 Monique Séguin et Lucie Fréchette, Le deuil. Une souffrance à comprendre pour mieux intervenir, Montréal, Editions logiques, 1995, p, 73.
conséquences. Au contraire, I'enfant affecté par une perte imiportante sentira que son
univers, jusqu'alors tranquille et confortable, est maintenant troublé par un événement
inhabituel. Autour de Iui, les adultes sont bouleversés et tristes On lui accorde moins
d'attention. Pour Lucie Fréchette, les pertes vécues à cet âge somt des expériences de vie
qui prendront sens plus tard, lorsque l'entourage racontera à l ' d a n t des histoires et des
anecdotes qui rappellent la personne décédée.
2.2.2 La mort chez les enfants âgés de deux à cinq ans
À cet âge, deux traits importants marquent la représentation q u e se fait l'enfant de la
mort. La mort est d'abord associée à l'immobilité. Une persorrne meurt lorsqu'elle est
immobile. Fréchette souligne à cet égard que plusieurs enfants expriment I'immobilité
de la mort à travers leurs jeux. Les enfants, en jouant à se mer, vont exprimer des
phrases telles que « Arrête ! Tu es mort ! » Celui à qui s'adressent ces mots tombe alors
et feint d'être mort en cessant de bouger. Ensuite, la mort est u n e expérience temporaire
et réversible. C'est pourquoi, à cet âge, elle n'est pas vraimeznt à craindre. L'enfant
s'attend à ce que le défunt cesse un jour d'être mort et revienne pour prendre soin de hi,
pour le rassurer ou pour jouer. Ce retour peut être prévu pour Noël, pour l'été ou pour
l'anniversaire de naissance, mais il aura certainement lieu à un moment ou à un autre.
2.23 La mort chez les enfants d'âge scolaire
Entre six et huit ans, les enfants font des pas de géant dans le- compréhension de la
mort et des morts. En effet, les enfants de cet âge commencerut à associer la mort à la
vieillesse et à la maladie grave. Pour un jeune garçon ou u n e jeune fille, une vieille
personne est âgée d'une trentaine ou d'une quarantaine d'années, c'est-à-dire de l'âge de
ses parents, de ses enseignants ou du directeur d'école. Les grands-parents, pour leur
part, sont très vieux et par conséquent, ils sont plus près de lai mort. On le constate,
l ' d a n t de cet âge n'a pas encore compris que la mort est universelle, qu'elle peut
fkapper n'importe qui indépendamment de son âge. L'enfant de six ans qui vient de
perdre soa grand-père s'exprimera en ces termes : « mon grand-père est mort parce qu'il
était trop vieux B. De plus, les enfaats ont déjà une certaine expérience de la maladie.
L'immense majorité des enfants ont déjà eu des maux d'estomac, un rhume ou une
grippe qui leur permettent de pressentir le sens d'une mort par la maladie. À l'âge de
huit ans, les concepts d'universalité et d'irréversibilité de la mort sont maintenant
compris par les enfants. En fait, la représentation que se fait l'enfant de huit ans de la
mort est maintenant semblable à celle des adultes. Pour lui, la mort est définitive et
universelle. Ceci étant dit, nous avons vu au chapitre précédent que les réactions à la
mort qui conduisent au travail de deuil sont quant à elles bien différentes.
23 Les particularités du deuil chez les enfants
Nous avons vu que, pour entamer un travail de deuil, l'enfant doit posséder une maîtrise
suffisante de la réalité de la mort. Il doit également acquérir une représentation interne
et stable de la personne vers laquelle il a investi son énergie ainsi qu'une sécurité quant à
la satisfaction de ses besoins en l'absence de la personne disparue. Lorsque l'enfant ne
satisfait pas à ces trois conditions, le deuil ne peut se faire. Certes, un enfant trop jeune
pour réunir ces conditions ne manque pas d'être touché par une perte et de souffÎ-ir.
Cependant, il ne s'agit pas là d'un véritabIe travail de deuil puisque celui-ci présuppose
la reconnaissance de l'existence autonome de l'objet et la reconnaissance de sa perte.
Pour Michel Hanus, les pertes importantes vécues avant que le jeune enfant n'ait
satisfait aux trois conditions décrites plus haut conduisent inévitablement à des deuils
compliqués4*.
Même lorsque l'enfant est en mesure de satisfaire à ces trois conditions, ses deuils
resteront néanmoins particuliers. Cette particularité s'explique en grande partie par le
narcissisme primaire qui caractérise les premiers moments de son existence. Nous avons
vu, au premier chapitre, que le jeune enfant est fortement imprégné d'me illusion de
toute-puissance. Parce qu'il n'a pas été encore confkonté au manque et a sa fkagilité, il
croit être l'instrument de satisfaction de ses propres désirs. Une telle illusion est en
totale contradiction avec la réalité de la mort et la soufE-ance du deuil. Pour l'enfant, la
mort et la soufiance du deuil ne sont pas le résultat d'un savoir inné, mais bien d'un
apprentissage. On apprend la mort comme on apprend à sou^. En fait,
l'apprentissage de la mort et du deuil peut être vu comme un passage entre les illusions
confortables du narcissisme primaire et la difficile désillusion du principe de réalité- En
d'autres termes, apprendre à penser la mort et la souflkance du deuil, c'est aussi faire le
deuil de son narcissisme primaire. Nous allons, dans cette seconde partie, examiner
comment l'enfant parvient à apprivoiser la difficile réalité de la mort. Nous verrons
également que l'enfant en deuil a des besoins bien particuliers.
2.3.1 La mort, une réalité difnciIe à apprivoiser
Pour l'enfant, la mort est un phénomène difficile à comprendre. L'enfant placé devant
le décès d'une personne aimée se confronte à la moa avant même qu'il n'ait développé
les ressources psychiques qui lui permettent de la représenter et de Ia comprendre. Pour
l'enfant comme pour l'adulte, la mort a quelque chose de mystérieux. Or, l'imaginaire
de la mort chez I'enfant est plutôt pauvre. En effet, la représentation que se fait un
enfant de la mort est davantage liée à des expériences vécues et des événements de son
quotidien tels que la mort de son poisson rouge, l'écrasement d'une fourmi, etc. Voyons
les traits dominants de cette représentation.
La mort est une violence. Michel Hanus souligne que « pour l ' dmt , on ne meurt pas,
on est tué >Y% L'enfant, en effet, éprouve des difficultés à se représenter la mort comme
l'issue naturelle de toute existence. Au contraire, i1 voit dans la mort un accidenf c'at-
M i r e un événement étrange qui n'aurait jamais dû se produire- Si une personne en
vient à mourir, c'est qu'une force animée d'une mauvaise intention a transgressé le
cours normal des choses pour la tuer.
La mort est réversible. Ce n'est que progressivement et à la suite d'un long travail sur
soi que l'enfant comprend le caractère irréversibIe de la mort. Pour l'enfant, le fait
d'être mort n'exclut pas un retour. Combien d'adultes ont affirmé être déconcertés par
la réponse d'un enfant qui affirme comprendre que leur maman est décédée et qui, tout
de même, désire savoir quand elle reviendra.
La mort est contagieuse. Nous avons vu au premier chapitre que l'enfant confionté à
la mort d'une personne aimée développe toujours des sentiments de culpabilité plus ou
moins conscients. L'enfant, se sentant coupable du drame qui vient de se produire,
cherche à payer de << sa faute » en imaginant qu'il doit à son tour mourir- En reprenant
une expression de Michel Hanus, on peut dire que les morts avoisinantes de l'enfant
appellent sa mort prochaine.
23.2 Les besoins spécifiques des enfants endeuillés
La maturité psychique d'un enfant n'est pas Ia même que celle d'un adulte. C'est
pourquoi, lorsque l'enfant est confionté à une perte importante, il fait face à certains
besoins que l'adulte doit satisfaire. Ces besoins concernent essentiellement le travaiî sur
les sentiments de culpabilité, la confiance, la réaction à la perte, le bouleversement dans
son mode de vie, l'expression de sa sou~ance, la relation avec le dé- le besoin d'un
objet héritage, ainsi que la spécificité de certains rituels.
La culpabilité. Sigmuizd Freud (1915), Anna Freud (1960)' Mélanie KIein (1967) et
Française Dolto (1987) ont soulevé le problème des sentiments de culpabilité vécus par
I'enfant lors d'un décès. Il semble que le sentiment de toute-puissance narcissique de
l'enfant le porte à croire qu'il est responsable des malbeurs de son entourage. Il devient
important de dire à I'enfant qu'il n'est pas responsable du décès d'un être cher. Trop
d'adultes, en cherchant à amenuiser la douleur de l'enfant, ne font que cordimer chez
lui le sentiment qu'il peut être responsable de la mort de la personne aimée. Nous avons
expliqué au premier chapitre le mécanisme psychique de la culpabilisation dans les cas
de deuil.
La confiance. Certains enseignants, et nombre d'adultes en général, peuvent chercher à
ménager les enfants en leur cachant la vérité du décès. La plupart du temps, les enfants
connaissent la v k t é ou en ont entendu parler sans en être certain. Ils ressentent
durement le refus qui leur est fait de reconnaître et de confirmer la réalité du décès- Ils
interprètent le silence ou les « paroles qui masquent la vérité » comme un manque de
confiance à leur égard. Nous reviendrons sur cette question au troisième chapitre.
Réactions à la perte. La mort d'un proche est pour l'enfant une chose tout à fait
étrange, un événement inhabituel. Il réagit en se tournant spontanément vers les adultes
qui restent auprès de lui et s'identifie immédiatement à leurs attitudes et leurs réactions.
Pour Michel Hanus47, on n'est jamais assez clair sur ce point. Le deuil de l'enfant se
calque sur celui des adultes. Ainsi, l'enfant a besoin de s'identifier à L'adulte pour
47 Michel Hanus, « Les enfants en deuil », dans Parlons de la mort et du deuil, sous la direction de P. Cornillot et M, Hanus, Paris, Frison-Roche, 1997, p. 162.
exprimer sa souffrance. Un tel besoin n'est pas sans conséquence. En effet, dans une
teile optique, la réaction de l'adulte casSonté à une perte importante influence la
manière dont l'enfant fait son deuil. Lors d'une conférence prononcée à Grenoble en
1984, Françoise Dolto donne un exemple de ce besoin chez l'enfant. En réponse à une
psychologue qui se demandait ce qu'elle pouvait f k e pour aider un enfant de 10 ans
ayant perdu sa mère et refusant d'aborder le sujet, Dolto répond : << L'enfant transfere
au début ce qu'il a autour de lui. Comme en ce moment il a une mère muette pour lui, il
va être muet pour vous pour entrer en relation avec sa mère de façon symbolique et
spirituelle. Ne cherchez pas à le questionner [. . .] Laissez-le longtemps se taire, puisque
sa mère s'est tue pour Iui, et qu'il va pour commencer faire un transfert de personne
muette à lui, alors soyez muette »a. Il importe que l'adulte confionté à une perte se
donne la permission de réagir à la perte en exprimant sa souEance par la parole ou par
des pleurs. L'enfant, en voyant l'adulte exprimer sa soufiance, s'autorise lui aussi à
exprimer la sienne. Au contraire, lorsque l'adulte s'interdit d'afficher sa souffrance,
I'enfant reste muet.
L'expression de la souffrance. Même si l'enfant a besoin de l'adulte pour exprimer sa
soufhnce, celle-ci peut s'exprimer d'une manière différente. En effet, l'enfant n'a pas
la force de conserver en lui une douleur psychique lourde et persistante. Il doit
l'exprimer par diverses manifestations corporelles et émotives. Au salon funéraire, il
exprime physiquement ce qu'il vit en bougeant sans arrêt, en se chamaillant, en
s'amusant et en riant, en agaçant les autres personnes, etc. Michel Hanus, quant à lui, a
dressé un inventaire des manifestations emotives de l'enfant Elles apparaissent, selon
lui, dans un ordre relativement hiérarchisé et se mélangent par la s W g .
48 Française Dolto, Tout est langage, Paris, Vertiges du norKarrere, 1987, p. 1 12. 49 Michel Hanus,« Les enfants en deuil », dans Parions de la mort et du deuil, sous la direction de
P. Cornillot et M. Hanus, Paris, Frison-Roche, 1997, p. 170.
1. Chagrin, tristesse, moins de spontanéité, moins de jeu.
2. Instabilité de l'humeur avec tension et anxiété.
3. Trouble du caractère : irritabilité, colères, caprices.
4- Fléchissement de l'activité et des résultats scolaires-
5. Troubles fonctionnels tels que l'anorexie, l'insomnie et l'épuisement
6. Troubles du comportement.
7. Perturbations de la santé.
La relation avec le défunt. L'enfant a besoin que les adultes de son entourage le
laissent entretenir une relation avec le défunt En effet, pour i'adulte, le statut que donne
l'enfant au parent mort a quelque chose de magique. Michel HanusSo affirme que
l'enfant reconnaît sans peine que le parent est décédé. Toutefois, pour l'enfant, le parent
existe toujours. L'enfant en deuil use de son imagination ou de sa pensée magique pour
faire vivre en lui le parent mort. Il le voif l'entend, lui parle, le retrouve, il peut même
lui écrire. On peut comprendre cette réaction comme un besoin chez l'enfant de vivre
avec le souvenir du défunt, de vivre avec lui comme s'il était encore vivant.
Le besoin d'un objet héritage. Le deuil se fait plus facilement avec l'aide d'un objet
héritage. L'objet héritage est un objet personnel et familier qui a appartenu à Ia personne
décédée. Une personne conFontée à la mort d'un de ses proches a grand besoin de ce
genre d'objet. Cela vaut particulièrement pour l'enfant. Pour Michel Hanus, l'objet
légué à l'enfant « est un signe de présence/absence » du défunt C'est un héritage qui
aide à apprivoiser la réalité de la perte?
L'idée d'un objet héritage dans le deuil a été développée notamment par Françoise
Dolto% À l'instar de Jean Monbourquette (1 994), la psychanalyste fiançaise voit dans
cette quête d'objet une manière de faire le deuil. Françoise Dolto sodigne que la
recherche d'un objet héritage n'est pas pour l'enfant un geste irrespectueux. Pour
plusieurs parents, le fait que les enfants conservent les objets du fière o u de la sœur
décédée semble avoir quelque chose de choquant Ils ont l'impression q u e les enfants
sont intéressés, qu'ils profitent de la mort de leur frke pour s'approprier les objets qui
leur font envie. Pour Dolto, il faut encourager les enfants à s'approprier les objets du
défunt C'est pour eux un moyen d'atténuer la s o u ~ c e de la perte.
Dans le cas du décès d'un enfant, il parait a moins mort >> parce ses fières et ses sœurs
peuvent jouer avec ses jouets. Par ailleurs, Dolto rappelle que les adultes font
exactement la même chose. Lorsqu'un membre de la famille décède, nombre de
personnes cherchent à atténuer la douleur de la perte en cherchant à profiter de l'héritage.
Cela ne signifie pas qu'elles n'aimaient pas le défünt. La plupart du temps, ces mêmes
personnes auraient préféré que leur parent reste en vie plutôt que d e profiter de
I%éritage. Mais l'héritage aide à vivre un peu plus facilement, du moins, matériellement-
Par extension, on peut penser qu'il en est de même en classe. Si un enfant meurt durant
l'armée scolaire, il est normal que les autres enfants cherchent à conserver l e souvenir de
son existence en s'appropriant ce qui lui a appartenu. C'est vrai pour les enfants, c'est
aussi vrai pour les parents. On peut donc comprendre que des dessins et des textes
produits en classe soient donnés aux parents. Ce sont des souvenirs qrrii, pour eux,
atténuent l'horreur du drame. L'enfaat continue à vivre à travers ce qu'il a produit à
l'école. La classe va conserver d'autres objets qui appartenaient au définnt. On peut
penser que tous ces objets sont pour les autres éIèves un héritage collectif. Ils rappellent
52 Françoise DoIto, Tout est langage, Paris, Vertiges du norKarrere, 1987, p. 134.
le souvenir de l'enfant décédé. Ces objets rappellent également que l'élève continue à
vivre en chacun d'eux. Toutefois Michel Hanus prévient qu'il peut s'avérer néfaste de
prolonger de façon exagérée la présence de ces objets. Chez certains enfants qui ont
plus de difficulté à faire le deuil, les objets du dkfürit peuvent devenir des instruments de
culte qui prolongent inutilement la soufiance de la perte. Se défaire des objets du
décédé est une question de temps. Peut-être peut-on avertir la classe du moment où les
objets dispmAtront,
Jean Monbourquette53 propose une autre conception de l'héritage offert à la suite d'une
perte importante. Pour cet auteur, l'héritage consiste en une récupération pour soi de
l'énergie, de L'amour et des qualités de la personne disparue. Lorsqu'une personne
s'attache à une autre, elle investit chez cette demière plusieurs qualités qu'elle aimerait
posséder pour elle. En faisant son deuil, cette personne réussit à se détacher de l'être
aimé, à le laisser partir, en jouissant d'une nouvelle présence en elle de cet être cher.
La spécificité de certains rituels. L'enfant venant de perdre un proche a besoin de
participer aux rituels funéraires. Il a également besoin de rejouer le rituel à sa façon.
Nous verrons dans le troisième chapitre comment la mise en place d'un rituel aide à faire
un travail de deuil. Les enfants, à ne point en douter, utilisent fréquemment le jeu pour
ritualiser la soufiance de leur perte. Michel Hanus note que l'on retrouve deux grands
jeux de mort chez les enfants : jouer à mourir et jouer les funérailless?
Jouer à mourir se fait de mille et une manières. Il s'agit d'une mise en scène de la mort,
d'une mort ludique qui, néanmoins, peut sembler très réaliste. Les jeux oc les enfants se
53 Jean Monbourquette, Grandir: aimer, perdre et grandir, Outremont, Québec, Novalis, 1994. 54 Michel Hanus,« L'enfant et Ia mort aujourd'hui », dans Mourir aujourd'hui, les nouveaux
finéraires, sous la direction de Marie-Frédérique Bacqué, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 161.
pourchassent avec des fusils, où ils engagent un duel épique, oii ils se bombardent à
coup de balles de neige sont à ranger dans cette catégorie. Ce peut aussi être d'autres
jeux qui évoquent la mort de façon plus subtile, notamment ceux où, à la suite d'une
faute ou d'une maladresse, le joueur est mis en retrait du groupe. Cette mise à l'écart
renvoie à une mise à mort symbolique. Il suffit de penser aux jeux de ballon chasseur,
du chat et de la souris, de colin-maillard, etc. Dans ces jeux, il arrive Mquemment que
l'on dise du joueur qui a perdu qu'il est mort.
On le voit, la participation à ce type d'activités ludiques n'est pas sans lien avec
l'apprivoisement de la réalité de la mort. Ceux qui meurent dans les jeux d'enfants
ressuscitent assez rapidement pour mourir à nouveau. C'est que cette réalité, comme
nous l'avons évoqué plus haut, n'est pas encore tout à fait maîtrisée- C'est pourquoi on
peut affirmer que l'enfant qui joue à mourir apprivoise tranquillement le caractère
inéluctable de la mort. Lorsque l'enfant se confkonte à une mort véritable, celui-ci sent
également le besoin d'apprivoiser cette réalité nouvelle et étrange par le biais d'une mise
en scène. En ces occasions, il n'est pas rare de voir des enfants rejouer les funérailles
auxquelles iIs ont assisté. En rejouant les funérailles, l'enfant apprend à rituaiiser sa
douleur tel qu'il l'a vu faire par un officiant.
Sigmund Freud55a également expliqué à sa manière comment l'enfant ritualise certaines
disparitions importantes de son entourage. L'auteur a observé un enfant d'un an et demi
qui s'est inventé un petit rituel pour négocier avec l'éloignement progressif de sa mère.
L'enfant avait lliabitude de lancer hors de son champ de vision une bobine de bois reliée
à une ficelle. En la lançant, l'enfant criait 0-0-0-0, une onomatopée désignant le mot
allemand « for >> et qui en h ç a i s peut être traduit par <( parti B. En lanpnt la bobine au
loin, I 'dant criait qu'elle est partie. Lorsqu'il voulait ensuite la récupérer, il tirait sur la
55 Sigmund Freud, « Au-delà du principe de pIaisir », dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, p. 52.
ficelle et accueillait le retour de la bobine par un <c da D qui, en fiançais, se traduit par
« voilà ». Freud appela ce jeu « for&. En jouant à for-da, l'enfant se dédommage du
départ de sa mère en mettant lui-même en scène sa disparition. Ce faisant, il passe d'un
rôle passif où il est soumis au départ de sa mère à un rôle plus actif où il joue lui-même
ce départ. For-da est ici un jeu qui lui assure une certaine emprise sur cet événement
Dans ce chapitre, nous avons tenté de connaître L'âge à partir duquel un enfant est en
mesure de faire un travail de deuil. Il nous est bien vite apparu que, pour Michel Hanus,
l'aptitude au deuil n'est pas fonction d'un âge précis. Pour faire un deuil, l'enfant doit
d'abord avoir une maîhise suffisante de la réalité de la mort, acquérir une représentation
stable de l'objet perdu ainsi que la certitude que ses besoins seront satisfaits en l'absence
de la personne disparue. Nous avons vu également que la maîtrise suffisante de la
réalité de la mort est le fhi t d'une lente évolution. Avant l'âge de deux ans, l'enfant n'a
pas encore la maturité nécessaire pour comprendre ce qu'est la mort. Il ne peut donc pas
amorcer un véritable fravail de deuil. À huit ans, il comprend que la mort est universelle
et irréversible. En fait, même lorsque l'enfant est en mesure de satisfaire aux trois
conditions proposées par Hanus, ses deuils restent néanmoins particuliers. Pour l'enfant,
la mort est une violence réversible et contagieuse. De même, l'enfant placé devant la
mort d'une personne aimée éprouve des besoins particuliers. L'enfant a besoin de
connaître la vérité du décès et de travailler sur ses sentiments de culpabilité. 11 a
également besoin d'un adulte à qui il peut s'identifier pour exprimer sa soufiance,
d'exprimer sa douleur plus rapidement que l'adulte par diverses manifestations
corporelles et émotives, d'entretenir une relation avec le défunt, d'un objet héritage et de
participer aux rituels fun6raires. La compréhension des particularités du deuil à
l'enfance nous permet maintenant d'aborder un volet plus pratique ; soit l'aide concrète
pouvant être apportée par un enseignant lorsque les élèves de sa classe vivent un deuil
collectif.
CHAPITRE 3
L'AIDE APPORTEE
AUX ELEVES EN DEUIL
L'aide apportée aux élèves en deuil
Dans ce chapitre, nous proposons aux enseignants une didactique dans laquelle
l'éducation à la perte et au deuil pourra être offerte sous la forme d'un rituel de partage.
Si les premier et deuxième chapitres nous ont permis de nous familiariser avec le
concept de deuil et de comprendre les particularités des enfants endeuillés, le troisième
chapitre introduit l'enseignant à la notion de rituel et à la mise en pIace de rituels de
partage dans sa classe. Nous avons déjà souligné, en introduction, que le terme de
« rituel de partage » est utilisé pour l'ensemble des rituels mis en place lorsque les
élèves d'une classe vivent un deuil important. En ce sens, ils préludent au travail du
deuil. En fait, le rituel de partage désigne I'ensemble des pratiques faisant suite à une
perte importante en classe. Ces rituels peuvent prendre la forme d'un temps de
discussion où chacun est convié à partager ses sentiments devant un drame. Ils peuvent
également prendre la forme d'une activité organisée en classe pour apaiser l'intensité
des sentiments faisant suite à un décès et pour dire au revoir au défunt. Dans ce
chapitre, nous tiendrons compte de ces deux formes de rituels de partage-
À cet égard, nous pensons que les enseignants du primaire devraient maîtriser un
nombre de contenus théoriques et d'autre part, qu'ils pourraient présider à l'organisation
d'un rituel de partage dans la classe pour faciliter le travail de deuil. Lorsque la classe
est confrontée à une perte particulièrement bouleversante, peu d'enseignants trouvent les
moyens de mettre à distance leur propre soufiance pour faciliter le deuil des élèves.
C'est pourquoi nombre d'élèves, notamment confkontés à la mort d'un copain de classe,
ne peuvent profiter du soutien des enseignants. Il est alors difficile pour les élèves de
négocier avec cette situation tout à fait inhabituelle et inattendue. S'il ne peut exprimer
ce qu'il vit, l'élève s'enlise dans une solitude qui n'est vraiment pas propice au travail de
deuil,
Or, l'enseignant est en mesure de faciliter chez L'élève ce travail de deuil. Il peut
devenir une personne-ressource particulièrement estimée. Parce qu'un contact privilégié
entre lui et ses éléves est déjà établi, il est à même de leur ofEr un temps d'écoute et de
reconnaître leur soufiance. L'enseignant peut confirmer l'élève dans la difficulté de
vivre son épreuve, lui laisser entendre qu'il est possible qu'il ait mal, que ses copains de
classe soufient comme lui. Il peut également lui signifier sa disponibilité et son écoute.
Françoise Dolto56 rappelle à cet égard que toutes les paroles exprimées lors d'un décès
apaisent et réconfortent,
Michel Hanus souligne que 1'61We endeuillé est anormalement distrait lorsqu'il est en
classes7. Pourquoi est-il distrait ? Le travail de deuil demande des efforts émotifs si
intenses qu'il lui est difficile de porter son attention à ses travaux scolaires et aux
directives de l'enseignant. Tout lui semble, pour un moment, plus futile. Un enseignant
compréhensif au malaise de l'élève endeuillé essaiera d'éviter les reproches. Au
contraire, il pourra prendre en considération la détresse de l'enfant afin de le soutenir.
Perdre un être aimé est déjà un événement très difficile à vivre, il est inutile d'ajouter à
la détresse de l'élève les réprobations d'un enseignant mécontent de son travail.
11 est bien à propos qu'un enseignant sache comment intervenir lorsque sa classe est
perhubée par une perte importante. En effet, lorsqu'une telle situation se présente, le
regard des élèves tend à converger vers celui de l'enseignant. Michel Hanus observe à
56 Française DoIto, Tout est langage, Paris, Vertiges du nord/Carrere, 1987, p. 133. 57 Michel Hanus, « Les enfants en deuil », dans Partons de ta mort et du deuil, sous la direction de
P. CorniIlot et M. Hanus, Paris, Frisson-Roche, 1997, p. 175.
cet égard que << le deuil des enfants se calque sur celui des adultes $8. C'est pourquoi,
croit-il, l'enseignant se doit d'organiser des rituels de partage avec les élèves. Nous
allons examiner dans ce mémoire ce que I'enseignant peut dire et peut faire avec les
enfants en de pareilles situations.
Trop souvent, il arrive que les enseignants demeurent interdits lorsque suMent le départ
ou, plus tragiquement, la mort d'un élève. Certains s'abstiennent d'en parler parce
qu'ils ne savent pas comment se comporter. D'autres enseignants désirent en parler
avec les élèves et organiser un rituel de partage, mais ils ne savent pas comment s'y
prendre. Ils se réfugient alors dans un silence qui crée un malaise dans le groupe, ou ils
demandent une assistance psychologique. Les psychologues, infirmières et travailleurs
sociaux ne sont pas nécessairement préparés à intervenir dans ce type de situation, ou
bien ils ne sont pas disponïïles.
Certains enseignants préfaent passer les deuils importants sous silence, car, croient-ils
erronément, en abordant des sujets tels que la mort et le deuil dans la classe, la situation
risque de s'envenimer, surtout si des élèves sont très bouleversés. << Pourquoi remuer
des eaux déjà troubles ? », se demandent-ils, « c'est bien assez difficile pour eux comme
cela». Ces enseignants, comme bien d'autres, se construisent une fable destinée à
légitimer leur peur d'aborder le thème de la perte et du deuil. Combien d'enseignants,
mal à l'aise avec l'idée de parler de la mort et de deuil, sont tentés de laisser croire awc
dèves que tout va bien, que la situation n'est pas assez sérieuse pour que le groupe
échange et organise un rituel ? Ce faisant, peut-être ignorent-ils qu'ils peuvent ajouter
aux malaises des jeunes et compliquer le travail de deuil.
Patrick B a ~ d r y ~ ~ , sociologue et spécialiste des rites fùnéraires, souligne avec justesse
que chaque personne est aujourd'hui plus hg i l e que jamais devant sa propre mort et
celle des autres. Pour l'auteur, les personnes confrontées à la perte d'un être cher se
sentent aujourd'hui plus désemparées qu'auparavant et éprouvent plus de difficulté à
trouver de I'assistance pour les soutenir dans cette difficile épreuve. L'aide autrefois
offerte par l'Église7 la famille et les proches se fait maintenant plus discrètes. Pour
certains endeuillés, elle serait même absente. Les paroles et les gestes simples qui
permettent à une personne en deuil d'obtenir un certain réconfort semblent aujourd'hui
évacués du soutien apporté par l'entourage. Rares sont ceux qui osent tendre une main
en direction de l'endeuillé, le prendre dans ses bras, lui ofEr d'être à ses côtés pour
discuter avec lui de sa souffice, pour écouter ses paroles ou même son silence.
À n'en point douter, il y a chez les personnes aux prises avec un deuil important un cri
d'alarme que d'aucuns peuvent entendre et auquel bien peu sont en mesure de répondre.
Devant le malaise et le silence de l'entourage, il y a aujourd'hui plus que jamais un
important danger que les endeuillés se referment dans leur propre soufiance et se
laissent détruire par elle.
Pour Patrick Baudry, cette fiagilité de l'individu devant la mort s'explique par la perte
des rituels, par leur appauvrissement, voire même par leur suppression. À cet égard,
Denis Jeffiey (1998) note l'importance d'organiser un rituel lorsqu'une personne
soufie d'une perte importante. Pourquoi, d'une façon générale, est-il si important
d'associer des rituels aux expériences de deuil ? À n'en point douter, le rituel de
partage exerce chez une personne aux prises avec une perte particulièrement
douloureuse de multiples fonctions. Pour Baudry, la mise en place d'un rituel pemet
notamment d'aider l'endeuillé à exprimer sa so&ance d'une manière acceptable pour
59 Patrick Bauciry, « Le sens de la ritualité funéraire », dans Mouni. aujourd'hui : les nouveaux rites firnéraires, / sous la direction de Marie-Frédérique Bacqué, Paris, Éditions O. Jacob, 1997.
lui et pour les autres, de favoriser l'émergence d'un sens, de mettre des mots sur la mort
et de souligner l'importance et la beauté de la v i e .
Pour nombre de personnes, le rituel est une pratique archaïque qui n'a plus sa place dans
le monde moderne. L'homme moderne, en effet, cultive 17illusion selon laquelie la
toute-puissance de sa raison lui permet en toutes circonstances de contrôler ses
sentiments et ses conduites. Dans une telle perspective, l'homme moderne pourrait
croire qu'il est inutile de souffrir de la perte d'une personne ou de mettre en place des
rituels puisque cette soufEance et ces rituels ne provoqueront pas son retour. S o u e ou
faire appel à un rituel de partage serait donc une perte de temps. Ce serait également le
signe d'une incapacité a saisir la situation de façon réaliste et logique. Il suffit de faire
appel à son expérience personnelle pour comprendre que la perspective utilitaire du
moderne ne correspond en rien à la réalité vécue d'une personne en deuil. Au contraire,
une personne placée devant une perte importante cherche à retrouver le goût de vivre
malgré sa nouvelle situation. Elle n'hésite pas à faire appel à de nombreux rituels qui
ont un pouvoir réel sur la manière dont le deuil sera vécu.
Nous désirons, dans ce chapitre, souligner l'importance de mettre en place des rituels de
partage lorsque des élèves d'une classe sont confiontés à une perte importante. Ceux-ci
peuvent prendre la forme d'une simple discussion ou d'une activit6 à laquelle tes élèves
participent. Nous allons ici examiner ces deux formes. Lors d'un deuil collectif
(chapitrel) faisant suite au décès d'un élève en cours d'année, il va se soi qu'un
enseignant peut à la fois prendre un moment pour discuter de la mort et du deuil avec
les élèves et organiser une activité permettant de pacifier l'intensité des sentiments
associés à une perte.
3.1 Parler de la mort et du deuil aux enfants
Pour nombre d'enseignants, annoncer aux élèves de la classe ie décès d'un des leurs est
une tâche bien difficile. Devant une telle situation, certains enseignants sont
bouleversés, sinon atterrés, et craignent de ne pas trouver le courage nécessaire pour
annoncer le drame et pour en discuter avec les enfants. Prendre une distance face à ses
sentiments pour être attentif à ceux des élèves est parfois une lourde tâche. Or, les
enfants confrontés à la mort d'un des leurs ont besoin d'un adulte qu'ils connaissent et
en qui ils ont codÏance pour se faire expliquer ce qui s'est véritablement produit et pour
trouver des réponses aux questions qu'ils se posent. Ils ont également besoin d'un
adulte qui saura prononcer certaines paroles réconfortantes pour eux.
On soutient une personne endeuillée en étant auprès d'elle, c'est-à-dire, en accordant
une présence réconfortante. Mais en plus de cette présence, on peut être attentif à la
mise en mots de la souffiance de l'endeuillé. Or, lors d'un événement difficile à vivre,
les mots ne viennent pas aisément. Autant l'endeuillé que la personne qui la soutient se
sentent mal à l'aise, et par conséquent demeurent interdits. Les mots pour exprimer la
souffiance, la sympathie et le réconfort font défaut. Pourtant, on sait que l'expression
des mots justes dans de telles circonstances a des effets bénéfiques.
Pourquoi la capacité de mettre des mots sur l'expérience du deuil est-elle si importante ?
Quel pouvoir a donc un mot pour être si nécessaire lors d'un deuil ? Le psychanalyste
k ç a i s Michel Dethy6' utilise une très belle expression pour rendre compte du pouvoir
des mots. Les mots, écrit-il, << sont des ambassadeurs de nos affects D. Même si on
n'exprime pas les émotions bouleversantes uniquement avec des mots, il n'en reste pas
moins que les mots déchargent I'émotion de sa violence première. À cet égard, les mots
témoignent qu'un travail de domestication de la violence de la douleur a été réalisé.
6' Michel Dethy, Introduction à la psychanalyse de h a n , Lyon, Chronique Sociale, 1996, p. 50-
Lorsqu'une personne peut exprimer sa douleur par des mots, elle montre une certaine
maîtrise de ses émotions. La douleur, dès lors, devient plus supportable lorsqu'elle est
nommée. Lorsque les mots manquent, il existe des actes de langage bien connus pour
exprimer la douleur. Celui qui perd un être cher peut notamment déchirer ses vêtements,
se mordre les lèvres, hurler sa peine, fi-apper un mu. de ses poings. Ce sont des actes de
langage qui communiquent virilement la soufnance du deuil.
11 est toujours souhaitable qu'une personne apprenne à domestiquer la violence de ses
émotions- On sait que les enfants ne savent pas de naissance comment dire leurs
émotions. Ils sont parfois un peu gauches, et même quelquefois agressifs. C'est
pourquoi il convient a un enseignant qui côtoie des enfants en deuil de leur apprendre à
mettre des mots sur leurs émotions. Dans une telle situation, l'enseignant o f i a des
mots pour dire sa fristesse, pour dire son chagrin, pour dire sa douleur, mais surtout pour
demander une oreille attentive. On peut même lui donner les mots qui servent à
demander si le défunt l'aime encore, et les mots pour demander pardon afin qu'il se
libère de sa culpabilité. Mettre en mots ses émotions amorce le travail du deuil.
L'enseignant qui permet à l'élève de mettre des mots sur sa soufiance crée, du même
fait, une situation de confiance.
Les mots utilisés dans ces occasions deviennent une possibilité de rencontre entre
l'enseignant et les enfants. Une rencontre d'émotions à émotions dirons-nous, car cette
discussicn est un moment où se rencontrent, avec des mots, les émotions de l'enseignant
et celles des élèves. L'enseigmnt, touché par l'épreuve de l'élève, ressent la nécessité
d'offrir son aide. L'élève, de son côté, sent qu'une personne est prête à l'aider et à lui
0fTi-k des mots qui lui permettent de vivre plus facilement avec ses émotions.
Mettre des mots sur des émotions n'est certes pas une chose facile. On peut même dire
que c'est là un exercice qui demande beaucoup de temps. Une personne renversée par
une grande douleur éprouvera le besoin de s'approprier un certain pouvoir sur celle-ci en
la nommant, en l'enveloppant de mots. Lorsque cette douleur est associée à un deuil,
mettre des mots consiste donc à la rendre manifeste et communicable.
3.1.1 Dire la vérité à l'enfant
La confrontation à la mort ne se fait pas sans éprouver un certain malaise. En effet,
plusieurs adultes préferent souvent cacher aux enfants la vérité d'un décès en leur faisant
croire que la personne est en voyage ou qu'elle a déménagé dans une autre ville. Il en
est de même pour les élèves à qui l'on cache la maladie ou l'accident mortel d'un copain
de classe. Dans son livre Tout est langage, Françoise Dolto écrit : a Ca enfants [à qui
l'on cache la vérité du décès] se dévitalisent lentement parce qu'ils n'ont pas de mots
pour dire où est leur chagrin. Il y a quelque chose d'intense chez eux qui est
dévitalisé n.62 À l'évidence, la disparition d'un élève de la classe touche profondément
les enfants. Ceux-ci n'ont-ils pas le désir de comprendre ce qui s'est passé ?
Il y a un malaise éprouvé par les enseignants qu'il est possible de formuler sous la forme
de questions. Vaut-il mieux dire à l'enfant toute la vérité sur la mort d'un élève de la
classe ? N'est-il pas préférable de protéger les enfants en lew cachant ce qu'ils ne
pourraient comprendre ou accepter ? Est-ce que les enfants d'une crasse ont à connaître
le deuil que vit un élève en particulier ? Il n'est certes pas facile pour l'enseignant de
répondre à ces questions, surtout lorsqu'il y est confronté contre toute attente. Aussi,
nous jugeons important d'examiner les propositions de Françoise Dolto sur ce sujet. Ses
Françoise Dolto, Parler de la mort, Paris, Gailimard, 1988, p. 84.
conseils k e n t d'une aide précieuse pour ceux et celles qui ont été conf?ontés à ce genre
de questions.
Dolto suggère de toujours dire la vérité aux enfants. Les enfants doivent connaître la
vérité en même temps que les adultes aussi confkontés à une perte importante. Le fait de
les associer au groupe d'adultes lors de l'annonce du décès est pour eux un signe qu'ils
ont le droit d'être affectés par la perte et de souffinr au même titre que le font les adultes.
Dolto met les parents en garde, dans ce genre de situation, de considérer les enfants
comme un << animal domestique D, c'est-à-dire comme une personne qui n'aurait pas la
capacité de créer des liens importants avec le disparu et qui n'aurait pas été affecté par
son départ,
Qu'en es t4 dans le cadre scolaire ? La structure hiérarchique d'une école (directeur,
enseignants, éIèves) explique que, la plupart du temps, les directeurs et les enseignants
prennent connaissance de la mort d'un enfant ou d'un adolescent avant l'ensemble des
autres élèves. Habituellement, lorsque des parents perdent un enfant, ils appellent la
direction de l'école qui en informe les enseignants. La direction et les enseignants
concernés décident alors ensemble de la façon dont la triste nouvelle sera communiquée
aux éléves. Le fait que Le personnel de l'école soit informé du décès d'un enfant avant
l'ensemble des éIèves n'a pas ici pour but de les déconsidérer, mais bien de permettre au
personnel de l'école de trouver la façon la plus appropriée pour informer les élèves.
D'ailleurs, il arrive en certaines occasions que la rumeur du décès se soit répandue avant
même son annonce officielle. Si l'enfant est décédé, par exemple, en jouant avec ses
camarades, on peut s'attendre à ce que la nouvelle de la mort se propage comme une
traînée de poudre. Dans ce genre de situation, la parole des enseignants et de la
direction reste d'une importance capitale. Elle confirme ce que plusieurs élèves ne
peuvent croire et solidarise tout un chacun devant le drame.
Le fait de dire clairement la vérité, mais avec les mots appropriés, permet aux enfants de
mettre des mots sur ce qu'ils vivent. Nous avons vu que l'enfant vit dans un sentiment
de toute-puissance qui le porte à croire qu'il est responsable de tous les malheurs des
autres. Lorsque les membres de sa classe sont sous le choc d'une perte importante,
l'enfant peut chercher inconsciemment à nourrir son narcissisme en cherchant à porter
toute la responsabilité du drame.
Dire la vérité est quelque chose de parfois très difficile. Michel ha nu^^^ souligne à ce
sujet que de nombreux adultes transposent leur propre peu. de soufEr sur les enfants en
affkrnant que leur silence vise à protéger ces derniers d'un éventuel traumatisme ou d'un
très grand bouleversement. Françoise Dolto donne en exemple le cas d'un jeune garçon
à qui on a caché l'emprisonnement de son père64. Celui-ci ayant été reconnu coupable
d'un quelconque délit. La mère de ce garçon, bouleversée par une telle situation, a
préféré expliquer à l'enfant que son père a dû partir en voyage précipitamment et qu'il
n'avait pas eu le temps de lui dire au revoir. Pourtant, l'enfant sait ou a l'impression de
savoir ce qui est arrivé à son père. Personne ne lui a expliqué la vérité, mais il en a eu
l'intuition. Dans une pareille situation, chacun vit avec un silence bien lourd à porter.
La mère endure la honte d'avoir un mari en prison et d'avoir menti à son enfant tout en
sachant que celui-ci se doute de quelque chose. Le fils, lui, souffre de l'emprisonnement
de son père. Le moi idéal qu'il voyait en lui est désormais puni par la société pour une
faute qu'il a commise. De plus, puisque sa mère ne veut pas lui dire la vérité, c'est qu'il
n'est pas digne de I'entendre. Ce n'est qu'après une quinzaine de jours que la mère
trouvera le wurage de rompre le silence et de parler à son enfant. Elle lui dira qu'elle
hi a menti parce qu'elle croyait qu'il était trop petit pour connaître la vérité. Aux
autres, elle dit que son mari est parti en voyage mais, à lui, elle peut dire ce qui se passe
réellement. L'enfant ne dira rien, puis, deux ou trois jours plus tard, il se mettra à
63 Michel Hanus, Les deuils dans la vie, Paris, Maioine, 1994, p. 276. 64 Françoise Dolto, Parler de la mort, Paris, Gailùnard, 2988, p- 1 13.
dessiner un homme derrière des barreaux Sa mère lui dira qu'il a que c'est bien
là qu'il est et qu'ils peuvent ensemble lui rendre visite.
Deux faits importants apparaissent dans cet exemple. D'abord, la détresse des parents
ne peut être cachée aux enfants. Lorsque Ia détresse est importante, les enfants sentent
que quelque chose ne fonctionne pas. Ils peuvent alors facilement se sentir responsables
et s'en culpabiliser. Ils croient également que la personne qui lui est proche ne leur
accorde pas sa con£ïance, ce qui est malheureusement vrai. Ensuite, ce n'est pas Ia
vérité sur le drame qui perturbe fortement l'enfant, mais bien l'absence de parole. Parce
que la mère n'ose pas parfer à son enfant, le contexte dans lequel le père a disparu
devient quelque chose de très grave. II en est de même pour un enseignant et pour les
élèves de sa classe. Un enfant qui se conf?onte au silence d'un enseignant dors qu'il
cherche une explication au départ d'un de ses camarades peut s'imaginer le pire. Il croit
que la situation peut être pire qu'elle l'est dans la réalité. On le constate, dire la vérité
témoigne de I'aptitude à faire face à l'événement et donc à sécuriser l'enfant. Parce que
l'adulte peut négocier avec 1 a situation, la situation devient négociable.
Dire la vérité ne signifie pas seulement décrire un événement tel qu'il s'est produit. Dire
la vérité, ce peut être aussi expliquer que certaines histoires de vie sont personnelles.
Chaque élève possède de multiples histoires privées qui n'appartiennent qu'à lui-même.
Un enfant qui est mis à la porte pour avoir volé les effets de ses camarades, un autre qui
quitte une école privée à cause du revers de fortune de ses parents ... Tous ces
événements renvoient pour un enfant à des deuils difficiles à accomplir parce qu'ils
s'attirent les commentaires désobligeants de la part des autres élèves. Dans ce type de
situation, l'enseignant peut souligner que la vérité appartient à l'enfant et non à tout le
groupe. Dire la vérité, ce peut être aussi, pour l'enseignant, avouer son incapacité à
parler d'un événement trop bouleversant. Par exemple, un enseignant peut très bien
avouer qu'il est trop perturbé par la mort d'un élève, qu'il voudrait bien organiser une
activité ou une discussion autour de ce drame mais que, pour l'instant, cela lui est trop
difficile. Les élèves vont continuer à avoir confiance en un enseignant qui leur tient de
tels propos. Dans cette situation, l'enseignant peut demander à un collègue de le
seconder ou d'agir à sa place. Il en S o n n e les élèves en lui exprimant ce qu'il ressent
et les raisons pour lesquelies il fait appel à un collègue pour parler du décès d'un élève.
Ce faisant, il négocie avec la situation dans la mesure de son possible, il permet aux
enfants d'avoir une explication sur la disparition de leur camarade et leur o E e les
moyens de négocier avec un tel drame-
Dans tous les cas, le fait de parler de l'événement témoigne de la capacité de le prendre
en charge. Même l'enseignant qui avoue son incapacité montre qu'il peut, à sa façon et
dans une certaine mesure, avoir une b o ~ e maîtrise de la situation. Parce qu'il a le
courage d'avouer son impuissance, il n'est pas totaIement renversé par la situation. Et
c'est justement ce que l'enfant veut voir chez l'adulte. Pour l'enfant, l'adulte doit être
l'assise à partir de laquelle un événement devient négociable. Aux professeurs d'agir en
conséquence.
3.1.2 Les questions que posent les enfants sur la mort
La plupart du temps, les edants posent leurs premières questions sur la mort lorsqu'ils
s'y confrontent. Cette mort peut toucher un insecte, une plante, un animai sauvage ou
domestique, un parent, une personne du quartier ou un camarade dans la classe. Pour
nombre de parents et d'enseignants, les questions posées par les enfants ne manquent
pas de laisser perplexes. Parfois, une question simple devient bien difficile à répondre.
Que l'on pense seulement à la question de l'après-mort, qui, à notre époque, rend plus
d'une personne mal à l'aise. Que dire, par exemple, à l'enfant qui désire savoir où est
son grand-père maintenant qu'il est déckdé ? Quelques auteurs ont tenté de comprendre
le sens des nombreuses questions posées par les enfants. C'est le cas notamment de
Françoise Dolto65 qui ofEe quelques exemples de questions pouvant être posées par les
enfants. Parce que chaque enseignant a l'occasion d'aider l'enfant à cheminer dans ces
questions, il apparaît important d'examiner quelques-unes de ces questions et de
comprendre ce que la psychanalyste propose comme réponse.
Est-ce qu'on peut mourir comme ça, tout de suite ?
Cette question est posée par un enfant qui, habituellement, a peur que la mort vienne
sans d'abord le prévenir. Dolto suggère de répondre que c'est vrai, que ça peut arriver-
C'est la véntk, ceux qui ont vécu des expériences où ils ont frôlé la mort le savent. On
peut mourir comme ça, n'importe quand et contre toute attente. Cette vérité aide les
enfants à mettre en place une certaine sagesse de vie. A la fin de la Seconde Guerre
Mondiale, un enfant qui avait entendu parler de la bombe nucléaire craignait que sa ville
ne soit détruite, comme ce fut le cas à Nagasaki et à Hiroshima- Françoise Dolto a
répondu à l'enfant que c'était possible, qu'une bombe pourrait effectivement tomber sur
Paris et détruire tous les gens de la ville. Spontanément l'enfant aurait répondu : << Eh
bien, j'espère que ça ne sera pas avant le déjeuner >>. Pour cet enfant, développer une
sagesse de vie, ça commence par aller déjeuner- Et pourquoi pas ?
Comment c'est après la mort ?
Un enfant qui pose cette question veut se réconcilier avec sa mort ou la mort d'un
proche. R cherche à l'apprivoiser, à vivre avec le fait que les gens meurent et que lui-
même va mourir un jour. Dolto suggère de dire ce qu'on en sait. Pour nombre de
personnes, cette réponse revient 5 dire qu'ils n'en savent rien. Celles-ci expliqueront que
chacun a ses croyances. Peut-être que l'enfant a entendu dire que la personne morte s'en
va vivre au ciel. D'autres personnes vont expliquer leurs propres croyances : << Oui,
lorsqu'une personne meurt, elle s'en va au ciel >>. D'autres vont retourner la question :
<< Et toi, qu'est-ce que tu en penses ? D Cela permet à l'enfant de se construire sa propre
65 Française Dolto, Parler de la mort, Paris, Gallimard, 1988, p. 37-40,
conception de l'après-vie. Il est intéressant de remarquer que peu de gens
répondent :a après la mort, il n'y a rien. La personne n'existe plus ». Peut-être qu'on ne
propose pas cette réponse parce qu'au fond, elle reste inacceptable.
Dans son livre Parler de la mort, Dolto raconte Ie malaise qu'elle a ressenti lorsque son
fils aîné aborda cette question. Devant le silence de sa mère, c'est le fils cadet qui
rwndit à son grand frère : << Qui mourra verra ! ». En répondant ainsi, l'enfant cherche
à expliquer que, pour I'instant, on est en vie et que nous n'avons, pour préparer notre
mort, qu'une seule vie. À nous de profiter de la vie au maximum.
Quand est-ce qu'on meurt ?
Pour Dolto, Ia réponse royale à cette question est celle-ci : << on ne meurt que quand on a
fi de vivre ». Ce constat trivial est une venté importante qui rassure les enfants
passant par un moment d'anxiété devant l'éventualité de leur propre mort. Pour la
psychanalyste, chaque personne placée au seuil de sa propre mort sait si elle a ou non
fini de vivre. Si une personne fait le saut dans la mort, c'est-à-dire dans l'inconnu, c'est
qu'e1Ie se sent assez en confiance pour le faire. Comme lors de Ia naissance. Naître,
pour Dolto, c'est choisir de plonger vers... On ne sait trop quoi.. . Mais si on plonge,
c'est qu'on est en confiance vers ce qui nous attend. Avant de mourir, c'est identique.
Tout le monde a peur de mourir, un peu comme tout le monde avait peur de naître.
C'est pourquoi la personne qui a fini de vivre le sait Eue le sait à partir du moment où
elle accepte de plonger dans l'inconnu qu'est sa mort
3.1.3 Les paroles importantes à dire aux enfants
Lorsqu'il est confkonté à la mort d'une personne particulièrement chère, l'enfknt tend à
réagir différemment de l'adulte. Parce qu'il a tendance à répondre à la s o u ~ c e par un
acte pulsionnel, la mort d'une personne aimée le renvoie à des réactions qui peuvent
paraître quelque peu étranges aux yeux des adultes. En effet, l'enfant peut aisément se
sentir coupable du décès de l'être cher, il peut craindre qu'une nouvelle mort se produise
ou craindre la vengeance du défunt C'est pourquoi certaines paroles doivent être dites à
l'enfant Ces paroles aident à calmer les sentiments d'angoisse face au défunt et à
faciliter le travail de deuil. Voyons les paroles que Michel ha nu^^^ propose de dire aux
enfants,
Michel Hanusb7 a souligné que le narcissisme primaire incite les enfants à se croire tout
puissant et à imaginer que ce qui se passe autour d'eux vient de leur volonté. S'il y a un
décès dans leur entourage, c'est qu'ils ont fait quelque chose de mal. Le narcissisme
primaire les incite également à vivre dans une sorte de pensée magique qui leur fait
croire que les désirs ont les mêmes pouvoirs que les actes, et que les mots ont les mêmes
effets que les actions. Les enfants se sentiront encore plus coupables de la mort d'une
personne de leur entourage s'ils ont souhaité qu'elle décède ou s'ils ont prononcé à voix
haute des vœux de mort. C'est pourquoi les enfants ont besoin de se faire dire qu'ils ne
sont pas responsables de la mort qui vient de se produire. Cette mort n'a pas été
provoquée par ce que l'enfant a pu dire, faire ou ne pas faire. De plus, on se rappelle
que, pour l'enfant, la mort a quelque chose de contagieux. S'il s'agit d'un enfant en
deuil d'un parent, il faut lui dire que les parents qui restent ne sont pas en danger de
mort, contrairement à ce qu'il pense. Cette mort est souvent le signe pour lui qu'une
autre personne va mourir' et ce peut être elle-même. Un autre élément important à dire
aux enfants est que nous continuerons tous à aimer le cher disparu et que jamais nous ne
l'oublierons. Ces paroles ont plus d'effet si un rituel les acwmpagne. Elles permettent
à l'enfant de s'identifier à cet amour porté vers le défunt et de diminuer la culpabilité à
66 Michel Hmus, << Les enfants, en deuil », dans op. cit. p. 177-179- 67 Michel Hanus, Les deuils dans Io vie, Paris, Maloine, 1994, p. 291.
son égard. Elle autorise aussi l'enfant à entretenir une relation intérieure entre lui-même
et le d i s p m Ce qui lui pennet d'entreprendre son travail de deuil.
3.2 Organiser une cérémonie en classe suite au décès d'un élève
Pour les éléves, le décès d'un camarade de classe ou d'un professeur peut être à la
source d'un grand bouleversement. Le jeune garçon ou la jeune fille qui vient de perdre
un ami se conf?onte à de multiples sentiments tels que la colère, la haine, la tristesse,
mais aussi le désarroi et le découragement. Devant la mort d'une personne aimée, de
tels sentiments ne sont pas exceptionnels, bien au contraire. Dans cette deuxième partie,
nous traiterons de l'importance d'organiser des rituels de partage avec les élèves à la
suite d'une perte importante, nous décrirons quelques exemples de rituels pouvant être
mis en place, nous verrons que la mort d'un élève, d'un professeur, d'un directeur ou de
tout membre du personnel d'une école demande l'organisation d'un ntuel comportant
quelques spécificités. Nous traiterons également de ces cas où la mort d'un ou de
plusieurs élèves survient dans des circonstances particulièrement efEoyables (suicides,
meurtres, tueries dans les écoles, etc.). Enfin, nous discuterons du rôle particulier de
l'enseignant lorsque de grandes pertes surviennent dans sa classe.
3.2.1 Pourquoi organiser un rituel de partage à la suite d'un décès ?
Pour Georges Bataille68, la mort constitue la figure paradigrnatique de ce qu'il convient
d'appeler un interdit, c'est-à-dire ce qui chez chacun protège contre l'excès. Ainsi, dans
leur excès, tous ces sentiments ne sont pas sans causer trouble et désordre, L'interdit est
également le gardien de l'ordre, des limites, de l'identité et du continuum existentiel.
Dans le sens de Bataille, la mort fait l'objet d'un interdit parce qu'elle est cause de
désordre personnel et social. Dans le sens freudien, l'interdit a un rôle de refoulement.
Pourquoi ce rôle de refoulement ? Bien sûr pour sauver L'ordre ou la santé mentale d'un
individu. On va plutôt insister ici sur la signification fkudienne de l'interdit
Du point de vue personnel, l'interdit refoule les émotions intenses qui pourraient
engendrer un grand désordre chez la personne touchée par un décès. En fait, l'interdit
cherche à protéger la personne de ce qu'elle ne saurait accepter, ou de ce qu'elle n'ose
croire et dire. Habituellement, les sentiments vécus lors d'un événement tragique sont
si grands que la personne qui les vit est incapable de les exprimer. Même si le
processus de refoulement fonctionne bien, il se peut qu'une personne se sente excédée,
dépassée, qu'elle n'ait plus la maitrise d'elle-même. Le processus de refoulement n'est
jamais absolument efficace. Une personne n'arrive jamais à refouler totalement les
émotions très fortes. Aussi, une personne peut perdre sa capacité de parler d'elle-même
et de ce qu'elle ressent. C'est en ce sens que nous disons qu'elle demeure interdite à
elle-même. C'est pourquoi Lacan nomme ce qui est interdit en chacun de nous par
l'expression impossible à dire B.
Les sentiments très intenses pourront cependant être exprimés lors d'un rituel (Jefiey,
1998). C'est la fonction du rituel depuis le début des temps d'exprimer l'interdit sous
un mode civilisé. A cet égard, le rituel de deuil procure à l'élève le soutien symbolique
nécessaire pour apaiser l'intensité de tels sentiments. Pour Jeffkey69, la symbolisation
utilisée dans le rituel sert à communiquer ce qui se vit dans les parages de l'interdit. En
d'autres mots, cela implique une maîtrise des émotions par la représentation
symbolique. Ce qui n'arrive pas à se dire par des mots va s'exprimer, en premier lieu,
par des représentations symboliques. Par exemple, des personnes vont se réunir pour
prier, pour s'épauler, elles vont aussi évoquer des forces transcendantes, elles vont
ritualiser autour d'une bougie, elles vont porter des vêtements appropriés, elles vont se
68 Georges Bataille, L 'érotisme, Pais, Minuit, 1957, p. 47. 69 Denis Jefky, Jouissance du sacré, Paris, Armand Coiin, 1998, p- 1 54.
tenir par la main, elles vont chanter, elles vont faire une procession, elles vont aller voir
une dernière fois le défunt pour vérifier qu'il est vraiment mort. Toutes ces activités
symboliques servent à exprimer l'impossible à dire. C'est pourquoi on va aussi
souhaiter qu'un officiant exprime à la place des endeuillés ce qu'ils vivent.
En organisant un rituel dans la classe, l'enseignant et les élèves mettent en scène de
multiples symboles qui évoquent les sentiments rattachés à la perte de leur camarade et
à la mort en général. La symbolisation ofEe des assises à partir desquelles l'expression
des sentiments interdits devient possible. En faisant appel à des symboles, les élèves
peuvent dès lors exercer une certaine maîtrise sur leurs émotions en les représentant.
Dans les pages qui suivent, nous présentons quelques exemples de représentations
symboliques utilisées par les enseignants et par d'autres officiants. Nous verrons
également comment l'utilisation de représentations symboliques permet aux élèves de
s'assurer une certaine maîtrise sur leurs ¬ions et ainsi d'éviter de se laisser renverser
par elles et de sombrer dans un abîme. À cet égard, soulignons que nombre d'enfants en
deuil s'interdisent de vivre, simplement parce qu'ils n'arrivent pas à symboliser les
émotions très fortes qui les excèdent. Le rituel de deuil organisé par l'enseignant
permet cette symbolisation. En ce sens, le rituel de deuil constitue une assise à partir de
laquelle un enfant aux prises avec des émotions intenses peut soutenir son existence.
Il est bien à propos q u b enseignant organise un rituel de partage lorsque les élèves de
sa classe restent muets ou interdits devant la perte d'une personne aimée. Un d u e l de
partage est une activité où chaque participant est convié à partager les émotions
ressenties lors d'un événment particulier. Lorsque le rituel de partage est organisé dans
le cadre d'un rituel de deuil, l'enseignant sera alors appelé à organiser une activité
permettant à chaque élève d'exprimer sa souffrance, sa peine, sa colère et son désarroi
provoqués par la mort qui vient de se produire. Le partage des hotions se fera autour
de différentes mises en scène qui peuvent être, entre autres, de coller au mur les dessins
de l'enfant décédé, ou de construire une mosaïque avec les poèmes des d i t s . NOUS y
reviendrons,
À partu de quel âge un enfant peut-il participer à un rituel de deuil en classe ? Bien
qu'à notre connaissance, aucune étude n'ait fait précisément l'objet de cette
question, les travaux de Françoise Dolto et de Michel Hanus peuvent nous fournir
des éléments de réponse. En effet, dans son livre Tout est langage70 Françoise
Dolto souligne que l'enfant peut dès sa naissance participer à un rituel de deuil.
Dolto traite toutefois ici du rituel de deuil associé à la perte d'un parent- Parce que,
dés les premiers instants de son existence, l'enfant commence à investir des énergies
de vie vers les personnes et les objets qui composent son entourage. Les parents, en
o f i m t une présence et un réconfort quasi continuel, seront ta plupart du temps
l'objet d'un investissement particulier. De son côté, Michel Hanus71 mentionne que
le déroulement du deuil de l'enfant d'un certain âge est partiellement semblable à
celui de l'adulte. Toutefois, à cette période de la vie, le travail de deuil reste sous
plusieurs aspects très différents. En effet, l'enfant doit encore développer une
maîtrise suffisante du concept de mort et acquérir d'une représentation interne stable
de l'objet perdu (chapitre 2)-
À I'âge de cinq ans, c'est-à-dire, lorsque L'enfant débute son cheminement scolaire,
l'enfant est depuis longtemps en mesure d'investir ses énergies de vie vers les
différents élèves de sa classe. C'est pourquoi on dira que, lorsqu'un décès suwient,
la mise en place d'un rituel de deuil est nécessaire. Cependant, à cet âge, le deuil de
ces enfants sera différent de celui d'un adulte. Nous avons vu au chapitre 2 que
l'enfant n'a pas acquis une maîtrise suffisante du concept de mort avant l'âge de 8
70 Française Dolto, Tout est langage, Paris, Vertiges du nordICarrere, 1987, p. 85. 71 Michel Hanus, L'enfant et Ia mort aujourd'hui », dans Mou* aujourd'hui : les nouveaux rites
funéraires, sous la direction de Marie-Frédérique Bacqué, Pans, Editions O, Jacob, 1997, p- 159-
ans. Avant cet âge, il sera placé devant une situation qu'il ne comprend pas. Aussi,
il n'est pas rare de voir certains élèves tenter de s'approprier le concept de mort de
façon ludique (chapitre 2) en jouant la mort de l'élève décédé. L'enseignant doit
voir dans ces jeux l'expression du désir de comprendre la situation et non un
comportement morbide ou un manque de respect envers l'élève disparu-
32.2 Quelques exemples de rituels de partage
Voyons maintenant quelques exemples de rituels de partage pouvant êtres organisés par
les enseignants. Ces rituels s'inspirent de propos de Jean Monbourquette qui, dans son
ouvrage, Grandir. aimer, perdre et grandir, propose un exemple de rituel - le rituel de
l'héritage - pouvant être m i s en place à la fin d'un deuil. Nous n'allons pas, dans cette
didactique, traiter spécifiquement des rituels pouvant être mis en place à la fin d'un
deuil. Les rituels auxquels nous faisons ici référence renvoient plutôt à l'importance de
prendre un temps de discussion et d'organiser une cérémonie permettant aux élèves
d'exprimer ce qu'ils vivent, de se réconforter les uns les autres et de dire au revoir au
d é h t .
Le cercle de la solidarite
Voici un exemple de rituel de partage très simple qai peut être organisé à la suite du
décès d'un élève de la classe. D'abord, l'enseignant informe les élèves sur le drame qui
vient de se produire. Il explique qu'un membre du groupe est décédé et donne quelques
détails sur les circonstances du décès. Ces quelques détails doivent être donnés avec
une grande délicatesse. Ils sont très importants car ils permettent à chaque élève, atterré
par la surprise, de mieux saisir I'ampleur du drame et de lui accorder plus de crédibilité.
Soulignons-le encore une fois : pour l'enfant, la mort est un phénomène difficile à
comprendre (chapitre 2).
Ensuite, avec les élèves, l'enseignant prend le temps d'aménager la classe de façon à ce
que chacun puisse bien saisir l'importance de ce moment. Afin de rompre avec
l'atmosphère habituelle de la classe, il place les pupitres et les chaises dans un coin ou
change de local afin de disposer d'un espace suffisant pour organiser l'activité. Puis
l'enseignant invite tous les élèves à former un cercle et à s'asseoir à terre. L'enseignant
propose de prendre deux minutes de silence par respect pour le disparu.
L'enseignant allume une bougie à côté d'un petit cofnre ouvert au centre du cercle. Ce
petit coEe est orné de la photo de la personne disparue. Cette photo constitue un objet
héritage (chapitre 2) légué au groupe. Ensuite, l'enseignant invite les élèves à se
recueillir à un endroit de leur choix dans la classe et à faire un dessin pour la personne
qui vient de partir. Si les élèves sont plus âgés, l'enseignant peut demander de
composer un petit mot ou un court poème. Une fois les dessins et les poèmes terminés,
l'enseignant invite les élèves à reformer le cercle,
Il invite alors chaque élève à prendre la parole et à dire quelques mots sur le dessin ou
sur le poème et à le déposer dans le coflke. Dans ce dessein, l'enseignant peut utiliser
un « bâton de la parole ». Le bâton de la parole est un objet que les jeunes s'échangent
entre eux. Il signifie que la personne qui a le bâton demande à parler et qu'elle désire
être écoutée, entendue. Ceux et celles qui le désirent peuvent simplement déposer ce
qu'ils ont fait dans le cofie, puis laisser la parole à leur voisin. Il importe, à cette étape
du rituel, de laisser les élèves s'exprimer sans toutefois forcer personne. Dire une
parole, un mot sur ce qu'ils ressentent ou sur la personne qu'ils viennent de perdre a un
effet apaisant.
Le coffke et la photo du disparu pourront être exposés pour une période de temps Limitée
ou pour le reste de l'année scolaire, selon le souhait des élèves de Ia classe. Au cours de
l'année, les élèves qui le désirent peuvent faire un nouveau dessin ou composer un
nouveau poème qu'ils vont déposer dans le petit cofEe- À la fin de l'année, ceux qui le
désirent peuvent reprendre leur mot et leur dessin. Ce mot pourra être lu lors d'une
cérémonie spéciale organisée en £in d'année- Si le décès est trop récent et que le deuil
n'est pas terminé, l'enseignant peut alors évoquer, pour une demière fois, lors de son
dernier cours, le souvenir du défbnt.
Ce rituel fait appel à de nombreuses représentations symboliques. Le cercle formé par
les élèves symbolise la solidarité, la photo symbolise l'élève qui vient de mourir, le
coffre symbolise le lieu où son corps repose. Lorsque les élèves placent les dessins et
les textes qu'ils ont composés dans le coffre' c'est un peu comme s'ils les offiaient au
défunt. Enfin, la chandelle symbolise l'espoir d'un bonheur possible malgré le drame
qui vient de se produire. Elle rappelle que, malgré la mort d'une personne aimée, la vie
vaut la peine d'être vécue.
L'arbre du souvenir
Tout comme le rituel décrit ci-haut, l'arbre du souvenir est un rituel de partage pouvant
être utilisé à la suite du décès d'un élève de la classe. En fait, l'arbre du souvenir
constitue une variante du cercle de la solidarité. La procédure est généralement la
même- Seules les représentations symboliques utilisées varient,
Tel que vu dans l'exemple précédent, l'enseignant aménage la classe pour créer une
atmosphère propice au déroulement du rituel. Il convie les élèves A former un cercle et
à s'asseoir à terre. Ensuite, il allume une bougie et explique le drame qui vient de se
produire en répondant aux questions des élkves. Il invite également les élèves à prendre
un moment de silence à l'égard du jeune qui vient de mourir et à faire un dessin ou un
court texte. Puis il demande aux élèves de reformer le cercle et ajoute, avec la bougie,
une photo du jeune qui vient de mourir ainsi qu'un petit sapin naturel qu'il s'est procuré
pour la circonstance. Chaque élève est convié à expliquer son dessin ou à lire le court
texte qu'il a composé et à le placer dans un album. Cet album appartient au groupe.
Ceux qui voudront le consulter en cours d'année pourront le faire lorsqu'ils le
désireront. Chaque élève pourra décorer le petit sapin avec des objets qu'il bricole lui-
même. Par la suite, l'album, le petit sapin et la photo seront placés sur un petit autel
aménagé par les jeunes à un endroit désigné de la classe. À la fin de l'année,
l'enseignant organisera une dernière cérémonie en l'honneur du défunt à laquelle seront
conviés tous les élèves qui désirent y participer. Le petit sapin sera transplanté dans la
cour d'école et une petite plaque sera déposée en mémoire du jeune qui est décédé. Par
la suite, les élèves qui le désireront pourront venir s'y recueillir.
Dans cet exemple, les symboles utilisés sont sensiblement les mêmes que dans
l'exemple précédent. L'arbre, tout comme la bougie, sont des symboles qui
représentent l'espoir d'un renouveau, d'un retour à la vie et la renaissance après la mort.
Adieu Jonathan
Voici un exemple présenté sous la forme d'un cas vécu. Cet exemple nous semble bien
refléter le déroulement possible d'une cérémonie consacrée à la mémoire d'un élève
disparu.
Jonathan, un adolescent de troisième année du secondaire de l'école Pauline-Marois, est
décédé durant la fin de semaine. Jonathm fait partie d'une équipe &e soccer intérieur.
Il joue chaque samedi après-midi. Un week-end, alon qu'il retournait chez lui, Jonathan
est renversé par une voiture. Les parents ont appelé à l'école pour en informer la
direction lundi matin. Annoncer la mort de leur enfant est quelque chose de très
difficile. On peut comprendre qu'ils ont été très brefs, qu'ils ont domé peu de détails.
ns ont dit que Jonathan était décédé, qu'ils viendraient récupérer s a &aires plus tard.
Ce n'est que quelques minutes avant le début des classes que Catherhe, enseignante en
morale, apprend la terrible nouvelle. Jonathan est un de ses élèves- Pour elle, il est
important de faire quelque chose pour tous les jeunes qui ont côtoyé Jonathan. Il faut
les aider à négocier avec ce drame. Avec l'accord de la direction et &es enseignants de
troisième secondaire, Catherine va dans chaque cIasse pour annwncer Ia tem'ble
nouvelle. Jean-Claude, enseignant en religion, l'accompagne. Ensemble, ils prennent le
temps de répondre aux questions et bien sûr, de laisser l'émotion s'ex~prirner. Avant de
quitter, ils annoncent qu'à leur prochaine rencontre, une activité spécide aura lieu à la
mémoire de Jonathan. Cette activité spéciale sera une cérémonie d'adieu.
Jean-Claude et Catherine organisent la cérémonie dans « le petit salon ». Le petit salon
est un local qui n'a rien à voir avec une classe habituelle. Il est p lus intime, il est
couvert de tapis. On y retrouve des ~oussuis, on peut tamiser la lumière, il y a même un
système de son.
Jean-Claude et Catherine demandent d'abord aux klèves d'écrire un court message à
Jonathan. Un message oii chacun dit au revoir un peu à sa manière. Certains écrivent à
Jonathan en leur disant qu'ils ne le connaissaient pas beaucoup. Leurs meilleurs amis
écrivent que cette perte est une véritable tragédie. Ils ne savent p a s ce qu'ils vont
devenir maintenant que Jonathan est décédé. Pour eux, leur vie ne sera plus jamais la
même. Évidemmenf ils ont le loisir de faire des dessins sur cette lettre, d'ajouter de la
couleur, des formes, tout ce qui peut aider à personnaliser la lettre.
Pendant ce temps, Catherine et Jean-Claude exposent dans le local plusieurs objets qui
rappellent le souvenir de Jonathan. On y trouve une photo sur laquelle Jonathan
participait à une course à relais, une affiche où paraît Jonathan alors que l'équipe
d'athlétisme de son école remportait un prix important, un vidéo dans lequel il a
participé à un cours d'art dramatique, etc ... Quelques amis ont même apporté les
paroles d'une chanson qu'ils ont composb. JeamClaude en fait des photocopies qu'il
distribue à chaque élève. Guillaume, le meilleur ami de Jonathan, a même apporté sa
guitare pour chanter.
Par la suite, Catherine et Jean-Claude distribuent un ballon et une ficelle à chaque élève.
Tous sont invités à gonfIer le ballon avec du gaz hélium et à attacher Ie message autour
de la ficelle.
Les élèves se rendent alors à l'extérieur. Catherine et Jean-Claude prononcent un mot
d'adieu pour le groupe. Guillaume prend sa guitare et commence à jouer la chanson.
Quelques élèves qui la connaissent accompagnent Guillaume. Bientôt, tout le groupe
chante. Au dernier couplet, les élèves laissent s'envoler les ballons avec le message
attaché.
Nous avons dit du rituel qu'il aide à pacifier l'intensité des émotions qui excèdent une
personne. Chacun en convient, la perte de Jonathan est vécue pour Catherine, Jean-
Claude et les éIèves de la classe comme une crise importante. Des émotions très
intenses y sont rattachées. Plusieurs élèves vivent la mort de Jonathan comme une
tragédie. Dans la mesure où la mort d'une personne aimée renvoie à notre propre
fiagilité, à notre propre mort à venir, on peut comprendre que nombre d'élèves
demeurent interdits devant cette situation et la vivent comme une tragédie. Le rituel
instauré par Catherine force l'émotion à s'exprimer. Le message et le dessin demandés
par Catherine sont des moyens de véhiculer l'émotion.
Les objets tels que la chanson composée par Guillaume ainsi que la photo et l'affiche sur
laquelle il figure aident les élèves à conserver un bon souvenir de Jonathan. Ces objets
sont des symboles qui évoquent la présence du défunf ils permettent d'entreprendre un
échange qui s'inscrit au sein du rituel. Les émotions ont également pu s'exprimer par
une mise en scène qui ne manquait pas d'ambiance. Le décor inhabituel invite à se
recueillir et à vivre une spiritualité. Le ballon dans lequel s'envole le message
symbolise un au revoir à Jonathan. Louis-Vincent Thomas (1975) souligne l'importance
de substituer à la perte subie une perte voulue. La perte voulue, dans ce cas-ci, le
message attaché à un ballon, assure une certaine maîtrise sur l'événement et permet de
le rendre plus supportable. Lorsque les élèves laissent s'envoler les ballons dans le ciel,
c'est un peu comme s'ils laissaient partir Jonathan dans l'au-delà. La chanson est
égalenient un symbole. Elle évoque la solidarité.
Une vigile à l'Ancienne-Lorette
En 1997, deux enfants de l'Ancienne-Lorette sont morts de façon tragique. Un homme,
probablement désespéré' a assassiné sa femme, ses enfants puis a retourné l'arme contre
lui. Les parents du quartier ont demandé à l'abbé Jean Abud d'organiser une cérémonie
d'adieu pour les enfants qui fréquentent la même classe que Jérôme et Laurie (3e et Se
année du primaire). Une vigile a été organisée à l'église de la paroisse Notre-Dame de
l'Annonciation. La vigile est un moment de recueillement où chacun, une bougie en
mains, témoigne de son affection pour le défimt- Bien qu'elle f i t fortement imprégnée
de la religion catholique, elle se voulait ouverte à tous ceux et celles qui désiraient se
recueillir, Les enfants des classes de Jérôme et de Laurie ont assisté à la cérémonie-
Des membres de la f d e , des amis du couple s'y trouvaient également. Cene vigile
est un rituel qui se déroule en douze étapes.
Le rituel a débuté avec quelques mots d'accueil. L'abbé Jean Abud a remercié les
participants de leur présence, a souligné que la mort de cette famille est une tem%le
tragédie qui laisse chacun avec des questions, des révoltes, des refus et des colères.
Devant une situation comme celle-ci, plusieurs ont besoin de faire appel à une parole
pour apaiser la douleur et pour indiquer << une source de lumière dans la nuit qui s'est
fermée ». Il les invite tous à se réunir pour se rappeler les promesses du Seigneur, pour
réither une foi commune en ce monde, pour retrouver ce qui permet de vivre et pour
apporter un peu de lumière sur ces événements.
L'abbé invite ensuite chacun à entendre un texte intitulé a Rentrer chez Dieu D, lu sur un
fond musical très doux, qui évoque le fait que la mort est pour le défunt l'occasion de
rentrer chez Dieu après le voyage de la vie afin de trouver le repos de son âme. Le texte
est lu par Gisèle, une élève de Ia classe de Jérôme. Les participants prennent un
moment pour se recueillir sous une petite musique d'intériorité. Une prière d'ouverture
est lue par l'abbé. Cette prière rappelle que le Seigneur Jésus oBe le secours et la p&
à ceux et celles pour qui tout est sombre et qui vivent un moment de détresse, de peur et
d'inquiétude. Valérie et bsianne, deux élèves de la classe de Laurie, ont chanté le
Psaume 129. Le refiain de ce psaume invite à mettre son espoir dans le Seigneur et à
être sûr de sa parole. L'abbé Jean Amyot, un second officiant, a lu le texte « les
Béatitudes >> oii l'on prodigue les voies à suivre pour être heureux malgré la douleur de
cette épreuve. S'ensuit un moment de silence qui permet à chacun de se recueillir et de
pacifier les soufifrances associées au drame.
Denis Béland, un troisième officiant, a apporté de l'encens près d'un cierge Pascal
pendant que Valérie et Josianne ont chanté un texte intitulé Dans nos obscurités ».
Une prière a été dite par l'abbé Jean Abud entrecoupée par des chants de Valérie et de
Josianne. Lorsque ces deux élèves chantaient, un enfant de la classe de Jérôme
apportait un lampion près du cierge Pascal. Une musique est jouée. Les participants
p r e ~ e n t le temps d'observer la danse de la lumière des lampions près du cierge Pascal.
Les enfants des deux classes sont invités à faire une ronde autour du cierge Pascal et à
se tenir par la main. L'abbé fait une bénédiction finale, invite les participants à
prolonger leurs prières s'ils le désirent et les remercie de leur présence. Le chant Ave
maria est joué pour les derniers moments du rituel.
Ce rituel funéraire religieux catholique, qui a comme but premier de veiller au salut de
l'âme des défunts, a également comme fonction de pacifier la souffrance des endeuillés.
A cet égard, il fait appel à nombre de représentations symboliques. La ronde des élèves
à la fin de la cérémonie et les chants repris par les participants symbolisent le lien qui
unit toutes les personnes devant la douleur de la perte. Le cierge symbolise la vie. Il est
le gage d'un aboutissement possible à la difficile traversée qui s'amorce chez les
endeuillés. Le fait de tourner autour de la vie évoque la possibilité de se réconcilier
avec la mort. Les lampions allumés et les paroles des chansons (allumer en nos cœurs
un feu qui ne s'éteint jamais) symbolisent l'espérance devant une situation aussi
sombre. L'encens utilisé dans le rituel se consume en une fumée qui monte. La fumée
représente le départ vers l'au-delà. En faisant brûler de l'encens, les officiants invitent
les participants à accepter le départ des défimts. L'église dans laquelle s'est accompli le
rituel est un lieu qui renvoie à une atmosphère de spiritualité et de mysticisme. 11
contriiue à la richesse de la mise en scène.
Un denü intime
Au cours d'me année scolaire, les deuils intimes sont habituellement plus fréquents que
les deuils collectifs. Même si la perte à laquelle l'enfant se confionte se situe à
l'extérieur de l'univers scolaire, celle-ci ne manque pas de bouleverser sa vie d'élève.
En effet, lorsqu'un enfant est placé devant la perte d'un membre de sa famille, il n'est
pas rare qu'il doive s'absenter quelques jours ou une partie de la journée. Si la perte
touche un membre de sa f a d e immédiate (son père, sa mère, un eère ou une sœur), il
restera alors avec elle pour vivre les premiers temps de son deuil, pour recevoir les
visites de ses proches, de sa famille élargie (oncles, cousins, etc.) et de ses amis. Il peut
aussi s'absenter pour aider la famille à préparer les hérailles. Si la perte touche un
membre de la famille élargie, l'enfant aura alors sans doute à s'absenter ne serait-ce
qu'une journée pour assister aux hérailles.
À son retour en classe, I'eafant a besoin de se sentir appuyé dans l'épreuve qu'il vit. A
cet égard, il peut être approprié d'organiser une cérémonie pour accueillir l'élève
endeuillé qui revient parmi l a siens. Une cérémonie sera pour l'endeuillé le signe qu'il
est soutenu par la autres élèves de son groupe, qu'il fait toujours partie de la classe.
La mise en place d'une cérémonie est nécessaire dans la mesure oii un tel soutien ne va
pas de soi. Sigrnund Freudn a souligné que l'attitude spontanée d'une personne placée
devant la mort est de s'en protéger par la mise en place de pratiques superstitieuses
visant à en conjurer le mauvais sort. Des individus peuvent avoir peur de l'endeuillé.
La pensée magique, en effet, produit une peur de l'endeuillé, car ce dernier, contaminé
par la mort, pourrait à son tour contaminer les autres membres du groupe. À cet égard,
un élève en deuil peut être perçu par les élèves de la classe comme une personne
contaminée par la mort ».
n Sigmund Freud, << Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort n dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981, p. 35-36.
C'est pourquoi il est fiéquent de voir des jeunes qui côtoient des élèves en deuil se
sentir mal à l'aise et régresser dans une logique manichéenne. La peur qu'ils ont des
endeuillés les incitera à prendre leurs distances avec ceux qui sont touchés par elle, à les
considérer comme mauvais. On le voit, cette régression se fait au détriment des
endeuillés qui, en plus de vivre un deuil, composent avec un certain ostracisme. Face à
I'élève endeuillé, les autres élèves de la classe sont bien souvent animés d'une peur qui
se traduit sous la forme d'un malaise et d'un mouvement de rejet. En d'autres termes,
les élèves tendent à rester interdits devant le deuil d'un camarade de classe comme les
adultes tendent à rester interdits devant le deuil d'un confike de travail, d'un ami et
d'un proche en général.
Il va sans dire que le dépassement de cette logique manichéenne engage un travail sur
soi soutenu par la mise en place d'une cérémonie organisée pour le jeune en deuil. La
mise en place d'une telle cérémonie aide à la réinsertion de l'élève. En exprimant leur
sympathie, les élèves affirment qu'ils comprennent la souEance et l'épreuve que vit
l'endeuillé. Ce faisant, ils témoignent du Lien qu'ils ont avec L'élève en deuil. En effet,
une telle cérémonie incite à renouveler un mouvement de solidarité devant les épreuves
et les dificultés de la vie. De plus, le groupe devient un soutien, une aide sur qui
l'endeuillé pourra compter dans les moments les plus difficiles de son deuil. On peut
penser qu'il sera plus facile pour l'endeuillé d'aller voir ses camarades et de leur parler
de ce qu'il vit.
Arnold Van Gennep73 a bien vu que les sociétés traditionnelles isolent pour un moment
ceux et celles qui dans un groupe vivent un deuil. Cet isolement comporte des rites de
Arnold Van Gennep, Les rites de passage, Paris, Émile Nourry, 1969, p. 21 1.
séparation et des rites de réinsertion. Dans une optique traditionnelle, on peut a h e r
que cet isolement permet de mettre un terme à la peur des endeuillés. En ce sens, la
cérémonie organisée dans une classe par un enseignant s'apparente aux rites de
réinsertion que l'on trouve dans les sociétés traditionnelles. Une telle cérémonie peut
aider à contrer la violence portée sur I'enfant aux prises avec un deuil important.
Ces actes qu'on ne peut comprendre
Dans nombre de situations, la mort d'un ou de plusieurs éIèves peut survenir dans des
circonstances particulièrement bouleversantes. Que l'on pense aux jeunes qui se
suicident ou à ceux, pIus rares, victimes de meurtre, d'une tuerie ou d'une fusillade.
Aujourd'hui encore, le drame survenu à l'École polytechnique de L'Université de
Montréal ne cesse de susciter des sentiments d'efioi et d'horreur chez ceux et celles qui
ont perdu une amie, une fille ou une compagne.
Lorsque la mort d'un ou de plusieurs individus survient dans des circonstances
particulièrement efioyables, nombre de personnes réagissent en désignant un coupable
pour en faire un bouc émissaire. Ainsi, le jeune qui se suicide pourra être critiqué pour
son manque de courage, pour avoir abandonné ses proches ou pour avoir honteusement
gaspillé le cadeau de la vie qui lui a été offert. Le jeune qui déclenche une tuerie ou une
fusillade dans une éwle pourra être blâmé pour la sauvagerie de ses actes et pour le peu
de considération qu'il a fait de la vie de ses pairs. Dans tous ces cas, les survivants ne
manquent pas de se buter à des sentiments d'horreur, d'injustice et d'incompréhension.
Ceux qui ont été proches des défiuits tentent d'expliquer la tragédie, de lui donner un
sens sans y arriver,
Par-delà la haine et la rancœur que l'on peut porter à l'égard de la personne que l'on
désigne comme responsable, il semble important, lors des rituels de deuil qui sont
organisés peu de temps après le drame, de mettre l'accent, non sur la nécessité de
pardonner à la personne qui a posé un geste irréparable, mais plutôt sur le désespoir
dans lequel elle se trouvait Pour plusieurs personnes, accorder le pardon est quelque
chose de trop difficile, voire d'impossible pour le moment. On peut donc comprendre
que l'organisation d'un duel de deuil qui souligne la nécessité de pardonner risque de
compliquer le travail de deuil au lieu de l'aider. En effet, à la douleur de perdre m e
persome aimée, l'endeuillé risque d'ajouter celle de ne pouvoir pardonner à celui qu'il
désigne comme coupable. Souligner le désespoir de la persome tenue responsable est
plus efficace. Le désespoir renvoie à une difficulté de vivre que chacun est en mesure
de comprendre et d'accepter plus facilement Bien souvent, ce n'est que plus tard, à la
fin de son long et péniile travail de deuil, que l'organisation d'un rituel de pardon sera
possible.
La mort d'un enseignant
Le rituel de deuil mis en place lors du déch d'un membre du personnel de l'école se
distingue par les démarches organisées par le personnel de l'école et la nécessité de faire
participer au rituel la persome appelée à poursuivre le travail du défunt. Arnold Van
GennepT4 a souligné que, dans les sociétés primitives, les rituels fünéraires variaient en
importance selon la position sociale du défunt. en est de même pour les sociétés
modernes et les rituels de deuil organisés dans les écoles. Lorsqu'il s'agit de la mort
d'un membre du personnel, l'école en entier peut alors participer au rituel de deuil.
Cette participation témoigne de l'importance accordée au directeur, à l'eriseignant, au
secrétaire, au technicien, à l 7 ~ e r , au surveillant ou à l'employé de la maintenance
qui vient de mourir- Pour les élèves, cette importance traduite par la mise en place du
rituel de deuil est le signe que chaque membre est respecté dans le rôle qu'il exerce à
l'école et ce par le personnel et les élèves de tous les cycle et de tous les niveaux- Il est
également possible, si les membres du personnel le désirent, de baptiser du nom du
défunt une journée spéciale, une fondation ou une activité lors de laquelle ce dernier,
avant de mourir, s'était particulièrement distingué pour sa participation. Il est
également possible de souligner l'importance du travail effectué par le défunt en
baptisant une salle ou un pavillon lié à son champ d'activité.
Lorsque la mort touche, de façon plus spécifique, un enseignant ou un directeur de
l'école, il est essentiel de faire participer le remplaçant au rituel de deuil. Dans de
pareilles occasions, il n'est pas rare que le nouvel enseignant soit utilisé comme un bouc
émissaire et que l'ensemble de la classe canalise vers lui leurs sentiments de haine et de
désarroi. La participation du nouvel enseignant au riîuel de deuil permet de faire
comprendre aux élèves qu'il partage avec eux leur tristesse et qu'il ne cherche pas à
profiter de la mort de leur ancien enseignant pour se trouver un emploi.
En somme, mettre ne place un rituel de deuil n'est pas une chose aisée. Nous avons
déjà souligné, dans l'introduction de ce chapitre, le malaise qui envahit nombre de
personnes voulant aider un parent, un ami ou un confière vivant un deuil. Dans ce type
de situation, ces personnes éprouvent des difficultés à prononcer des mots ou à poser
des gestes susceptibles de réconforter les endeuillés. Plusieurs s'abstiennent d'agir de
peur que leurs réactions soient maladroites et qu'ils ne fassent plus de tort que de bien-
Dans le cas d'enseignants et d'élèves, on peut comprendre que ce type de malaise ne
74 Arnold Van Gennep, Les rites depussage, Paris, Émile Nouny, 1969, p. 210.
soit encore plus grand. En effet, le mandat premier de I'enseignant est d'agir auprès de
ses élèves en tant que professionnel. Puisque la plupart des enseignants n'ont pas reçu
de formation pour aider les élèves en deuil, on peut comprendre que certains
enseignants hésitent à mettre en place un rituel de deuil et qu'ils préfèrent abandonner
cette responsabilité aux psychologues, aux travailleurs sociaux, aux animateurs de
pastorale et aux autres intervenants. Cependant, nous tenons ici à souligner
l'importance du rôle que peut jouer un enseignant dans une telle situation. L'enseignant
chemine avec ses élèves depuis le début de l'année scolaire, il les connaît mieux que la
plupart des autres intervenants dans l'école. En effet, l'enseignant est à même de
concourir au réconfort des élèves en deuil. Nous croyons qu'il est de son devoir, s'il en
a la capacité, d'organiser le rituel approprié.
CONCLUSION
Conclusion
Un nombre important d'ouvrages traitent du mouvement de dérihialisation de la mort
que connaît le monde occidental depuis Ia fin de la Deuxième guerre. Paxmi ceux-ci, on
trouve notamment les travaux de Marie-Frédénque Bacqué (1997), Patrick Baudry
(1997), Louis-Vincent Thomas (1 975)' Jean Baudrillard (1 976) et Michel Hanus (1 994).
Pour Michel H d s 7 cette déritualisation tend à faire croire que la mort n'est pas
I'affaire de tous, mais bien de quelques professionnels. En effet, nombre de spécialistes
affirment que la pnse en charge de la mort est aujourd'hui circonscrite dans les limites
de la médecine, de la thanatopraxie, de la thanatologie et de la religion. Faire allusion à
la mort et au deuil a pour tous et chacun quelque chose de macabre et d'embarrassant. À
cet égard, Patrick Baudry76 explique que la déritualisation sociale de la mort reIève
d'une production sociale qui ne peut évacuer la mort, mais qui court-circuite sa mise en
sens.
Un tel constat n'est pas sans lien avec la difficulté éprouvée par les enseignants
confi-ontés à la mort et au deuil dans leur classe- Sms nier l'importance du rôle des
professionnels évoqué ci-haut, chacun peut convenir de l'importance du rôle de
l'enseignant lorsque la classe fait face à une perte importante. En effet, l'enseignant est
en mesure d'offrir une écoute, de prendre un moment avec ses élèves pour discuter
d'une mort qui vient de se produire, de donner aux élèves qui le désirent l'occasion de
75 Michel Hanus,« L'enfant et la mort aujourd'hui », dans Mourir aajourd'hui, les nouveaux rites ficnéraires, sous la d i m - o n de Marie-Frédérique Bacqué, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 163.
76 Patrick Baudry, « Conceptions sur la mort en occident » dans Parlons de la mort et du deuil, sous la direction de P. Cornillot et M, Hanus, Paris, Frison-Roche, 1997, p. 16 1.
prononcer quelques mots à l'ensemble de la classe, d'organiser des rituels de deuil, etc.
Parce que les enseignants entretiennent un lien privilégié avec les élèves, parce qu'ils
sont, eux aussi, touchés par les pertes importantes vécues en classe, parce que la réaction
des enfmts confkontés à la mort est à l'image de celle des adultes qui en ont la charge,
l'enseignant a la possibilité d'être une aide particulièrement efficace et appréciée par les
élèves.
Pour Michel Hanusn, une prise de conscience collective est en train de s'opérer- Si le
déni de la mort et du deuil est toujours une caractéristique importante de nos sociétés
contemporaines, un nombre important d'associations s'occupent d'accompagner les
personnes en deuil, de promulguer des soins palliatifs et d70fEir des discussions en lien
avec la mort et le deuil que l'on rencontre au quotidien. Une telle prise de conscience
constitue, en ce qui nous concerne, l'assise principale à partir de laquelle une éducation
à la mort et au deuil devient possible. Comme le souligne Michel Hanus, il importe
maintenant d'off+ aux enfants les moyens d'apprendre à vivre ces réalités que sont les
maladies, la mort et le deuil. En oBant aux eafants la chance de ritualiser la soufiance
issue d'une perte importante, peut-être ceux-ci comprendront-ils plus facilement que la
mort et le deuil, loin de nous anéantir, sont pour chacun une chance de donner plus de
valeur à la vie.
77 Michel Hanus, « L'enfant et Ia mort aujourd'hui » dans Mourir aujourd'hui, Les notrvearac nies fiméraires, sous la direction de Marie Frédérique Bacqué, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 165.
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