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GILBERT CARLSON LES RÉFUGIÉS SYRIENS EN BELGIQUE DE L'ACCUEIL À L'INTÉGRATION

Les réfugiés syriens en Belgique

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De l'accueil à l'intégration.

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Page 1: Les réfugiés syriens en Belgique

GILBERT CARLSON

LES RÉFUGIÉS SYRIENS EN BELGIQUEDE L'ACCUEIL À L'INTÉGRATION

Page 2: Les réfugiés syriens en Belgique

Gilbert Carlson

Emily Smith & Gilbert Carlson

Gaëlle Pb

TEXTES

PHOTOGRAPHIES

MISE EN PAGE

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UN ÉTAT DES LIEUX DE L'INTÉGRATIONDES SYRIENS RÉFUGIÉS EN BELGIQUE

Ils sont déjà plus de 5 500 à avoir obtenu un statut en Belgique et le flux ne cesse d'augmenter. Chaque jour de nouvelles familles syriennes arrivent en Belgique pour échapper à la violence qui déchire leur pays. Les dispositifs mis en place par les auto-rités belges répondent, pour le moment, efficacement à ce f lux. Hébergement, traitement des demandes d'asile et aide financière et logistique répondent aux premiers besoins de cette population vulnérable. Cette première réponse est vitale, mais elle ne suffit pas sur le long terme. Les enjeux principaux de l'intégration sont l'apprentissage des langues, la scolari-sation des enfants et l'accès à l'emploi. Les Syriens forment un peuple entrepre-neur et instruit. Ils ont démontré leur rési-lience et leur capacité à s'adapter à des conditions hostiles aussi bien pendant les quatre décennies du règne de la famille Assad, que pendant les quatre années de conflit qui ont déchiré leur société. Il est fort probable qu'ils s'intègrent avec suc-cès dans le multiculturalisme belge.La Belgique a tout intérêt à les aider dans

INTRODUCTION

ce parcours. Aujourd'hui la vaste majo-rité des Syriens vivent de l'aide sociale dispensée par les CPAS, mais cette situa-tion pourrait s'inverser si les nouveaux arrivants trouvent un terrain fertile à leur dynamisme économique.En l'absence de perspective de résolution du conflit, les familles, les étudiants, les enfants qui arrivent aujourd'hui de Syrie sont destinés à s'installer durablement en Belgique. Le pays d'accueil a donc intérêt à ce que cette implantation se fasse dans les meilleures conditions. Cet ouvrage se penche sur les prémices de l'enracinement en Belgique d'une frac-tion de la diaspora syrienne. Les trajec-toires et les aspirations des réfugiés sont illustrées par trois récits. Trois dossiers thématiques permettent d'explorer plus en détail les dispositifs mis en place par les autorités et les associations belges. Ce travail n'a pas pour ambition d'être exhaustif, mais plutôt de proposer un aperçu de la situation des Syriens en Belgique pour avancer la compréhension entre accueillants et réfugiés.

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Assis dans le couloir de l’hôpital, Karam Al Salal regarde sa montre. Les deux

aiguilles s'alignent vers le haut du cadran. Au loin, le bruit sourd d'explosions réson-nent dans la nuit. L'année 2013 vient de commencer. À quelques centaines de mètres de là, sur le Monts des Arts, les Bruxellois se sont rassemblés pour voir six cents kilos de feux d'artifices partir dans les airs. Karam, seul sur son banc, attend nerveusement. Sa femme Layla vient d'être admise à la maternité, dans quelques heures elle accouchera d'un petit garçon, Amer, leur deuxième enfant. La grossesse n'a pas été facile. Au cours des neufs derniers mois, Layla a vu son pays s'enfoncer dans la guerre civile. La jeune femme a quitté sa ville, ses amies et sa situation confortable pour s'exposer aux difficultés de l'exil et des voyages clandestins.

L'ÉMIGRATION AU COMPTE-GOUTTEDE LA FAMILLE AL SALAL

Petit à petit, cette famillede la province d’Alepse réunit à Bruxelles.Par tous les moyens possibles, ils quittent les provinces de l’État Islamique pour la tran-quillité de la Belgique.

LES NOMS ONT ÉTÉ MODIFIÉS.

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Amer, deux ans et demi, observe Bruxelles depuis son balcon. En septembre, il ira pour la première fois à l'école maternelle

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Deux ans plus tôt, l'ambiance était à la fête en Syrie. Karam, en costume

noir, chemise blanche, accueille les invi-tés. Une bise à gauche, une à droite, puis encore trois, quatre, cinq bises à gauche. Les cousins, les oncles, les amis, les col-lègues, font la file pour venir saluer le jeune marié. Tout en l'embrassant, ils glissent une enveloppe de billets dans sa poche puis laissent la place au suivant. Au long de la soirée, Karam, circule entre les tables où ses proches descendent de minuscules tasses de café noir, amer. Sur scène, un chanteur improvise des vers à l'honneur des jeunes mariés, sur un fond de flute orientale rythmé par des tam-bours. Les jeunes hommes, main dans la main, forment une chaîne qui traverse la salle en écrasant le sol des pieds. En rythme, ils se jettent en avant, basculent en arrière et ponctuent, de leurs semelles, les vers du chanteur. Parfois l'un d'entre eux quitte le « dabké » pour attraper Karam, le hisser sur les épaules et tour-noyer au milieu des danseurs.Le jeune marié a de quoi être fier, en cette soirée d'octobre 2010. Plus que le début d'une vie conjugale, c'est la réussite du jeune homme de 22 ans que ses proches sont venus fêter. Dans cette région, avant de se marier, un homme doit pouvoir acheter, équiper et meubler une maison. Il doit aussi offrir à sa fiancée une petite fortune en bracelets d'or, et tout le trous-seau nécessaire pour la cérémonie.

Cela fait quatre ans que Karam écono-mise pour ce moment. À dix huit ans, il quitte sa ville, située à une cinquantaine de kilomètres au nord-est d'Alep, pour s'installer dans la capitale économique et industrielle de la Syrie. Le jeune homme, brun au regard vif, débordant d'énergie malgré son petit gabarit, commence ses études de littérature anglaise et trouve un travail dans un magasin de produits de beauté. Entre les études et le maga-sin, il travaille de sept heures du matin jusqu'à onze heures du soir. Au bout de deux ans, en 2008, ses efforts sont récom-pensés. Le propriétaire du magasin offre une promotion à Karam, il est désormais directeur d'une grande quincaillerie. La famille marque de nouveau sa confiance en ce jeune homme, sérieux et travailleur, lorsqu'en 2010, le frère du patron accorde à Karam la main de sa fille en mariage.

Les pétales roses des cerisiers marquent l'arrivée du printemps dans cette plaine

agricole, à quelques kilomètres de la fron-tière turque. Sur les écrans de télévision c'est un autre printemps qui fleurit. Le printemps arabe, avec ses manifestations de masses et ses dirigeants qui démis-sionnent après des décennies au pouvoir, marque les esprits. Parti du sud du pays, au mois de mars 2011, un mouvement de protestation va rapidement gagner l'en-semble des villes syriennes. Karam est bien trop occupé pour y prêter attention. Six jours par semaine, il quitte le domi-cile conjugal à l'aube pour se rendre à Alep. Il y reste jusque tard dans la nuit. Le vendredi, seul jour de congé, il le passe entre sa famille, la mosquée et ses amis. Pourtant le mouvement ne le laisse pas indifférent. « Je voulais voir du change-ment. Nous avions vu les événements en Tunisie et en Égypte. Il y avait eu un peu de violence, mais rapidement les dicta-teurs étaient partis. Je m'attendais à ce que ce soit pareil ici. » Peu à peu, il voit la violence s'aggraver. « Six mois après le début des manifestations, les rebelles ont tentés de s'emparer de notre ville. Le gouvernement a envoyé des hélicoptères de combat. Pendant trois jours, les tirs n'ont pas cessé. Finalement les rebelles se sont repliés. Jamais je n'avais imaginé que la situation deviendrait si violente. Je ne pensais pas que Bashar Al Assad détruirait le pays pour s'accrocher au pouvoir. »

Alors que le pays s'enfonce lentement dans la violence, un événement heureux vient remonter le moral de la famille. En Janvier 2012, Layla accouche d'une petite fille, Hala. Karam continue de se rendre à Alep tous les jours, même si les barrages de l'armée et les attaques des rebelles rendent le voyage plus difficile. Au mois de juillet, le trajet difficile devient encore plus dangereux. Simultanément, les rebelles de l'Armée Syrienne Libre attaquent la ville de Karam ainsi qu'une banlieue d'Alep. Les forces gouvernemen-tales perdent le contrôle de la petite ville provinciale et s'acharnent sur les insurgés d'Alep. Manque de chance pour Karam, la ligne de front traverse le quartier où il travaille. « Les avions sont venus bom-barder le quartier. Beaucoup de gens ont fui la zone. Ce jour là, j'ai fermé le magasin et j'ai marché pendant quatre heures avant de trouver un taxi collectif pour rentrer chez moi. Mais j'avais quand même besoin de travailler pour vivre, donc j'y suis retourné une semaine plus tard. C'était encore plus dangereux, sur la route il y avait des barrages partout. Si les soldats attrapaient quelqu'un de ma ville, ils l'arrêtaient immédiatement, car nous étions désormais une ville rebelle. Lorsque je me rendais au magasin, je voyais les avions tourner au dessus du quartier, sans savoir quand ni où ils frapperaient. »

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C'est à ce moment que Karam entend pour la première fois de projets d'émi-

gration, de départs vers l'Europe. Au début, l'idée ne l'intéresse pas du tout. «  Je n'avais jamais pensé à partir en Europe. J'avais une belle vie, une bonne situation, je ne voulais rien de plus. Je pensais que les combats allaient se ter-miner bientôt. Mais chaque jour je par-tais travailler sans savoir si je rentrerais chez moi. » Alors l'idée fait son chemin, et rapidement, Karam se trouve déchiré entre son cœur qui lui dit de rester et sa tête qui l'incite à partir. Un oncle de Layla habite à Bruxelles depuis des années. La famille de la jeune femme réfléchit sérieusement à un exil en groupe. « Le choix est devenu encore plus compli-qué. J'avais peur de passer à coté d'une opportunité qui ne se représenterait pas, mais je ne voulais pas laisser derrière moi mes parents, mes frères, ma sœur. » Les considérations pratiques finissent de convaincre le jeune homme. L'instabilité qui secoue la Syrie a fait chuter la valeur de la monnaie locale, la livre. Karam gagne toujours autant mais son pouvoir d'achat a brutalement chuté. Le magasin, situé dans une zone de combats, tourne au ralenti, donc pas question de demander une augmentation. Finalement, il se laisse convaincre par l'aventure européenne. Son frère cadet, lui aussi étudiant à Alep, se joint au groupe pour poursuivre son parcours universitaire loin des combats. « Si j'étais célibataire, je ne pense pas que je serais parti, mais comme la famille de ma femme partait, c'était mieux pour elle de s'exiler. J'ai dit à mes parents que je reviendrais dans un an ou deux, quand

la guerre serait finie. »Au premier jour de l'automne, Karam et quatorze autres personnes, parmi les-quelles sa femme, sa fille et son frère Khaled traversent la frontière turque. Deux ans plus tard, plutôt que de retour-ner chez lui, Karam organisera l'exil d'un autre de ses frères, afin que ses parents puissent les rejoindre en Belgique.

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Karam emmène ses enfants jouer dans un parc à proximité de leur nouvel appartement

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Entassés sur un bateau pneumatique, les vingt deux migrants regardent les

lumières de Mytilène se rapprocher. Ils ne sont plus très loin de l'île de Lesbos lorsque les gardes côtes grecs les repè-rent. «  Ils nous ont dit qu'on était en sécurité désormais, qu'ils allaient nous emmener jusqu'à la côte, mais c'était un mensonge. Ils ont saboté le moteur et nous ont abandonnés dans les eaux territo-riales turques. » Après des heures ballotés par les vagues, un des passager capte un peu de réseau mobile turque et parvient à passer un appel d'urgence. Les autorités turques les recueillent en mer. Layla, qui arrive à la fin du deuxième trimestre de sa grossesse, est emmenée à l’hôpital pour se reposer. Karam et Khaled atterrissent dans un centre fermé pour migrants. Une semaine plus tard, ils retrouvent la liberté et leur groupe de compagnons du voyage. Suite à ce premier échec, le groupe se pose la question  : faut il continuer ou retourner en Syrie ? « Pour la première fois, j'étais convaincu qu'il fallait persé-vérer. Après avoir failli mourir en mer, après les geôles turques, ce voyage était devenu un défi pour moi. »Il faudra encore quatre tentatives avant que le groupe ne foule la terre ferme

d'une île grecque, le premier novembre 2012. Les autorités hellènes retiennent les migrants pendant deux semaines dans un centre fermé, avant de les laisser partir en direction d'Athènes, avec un document de séjour valable un mois. Le groupe a franchi une étape importante, mais le plus dur reste à faire. Pour échapper aux douaniers et arriver jusqu'en Belgique, les membres du groupe vont devoir se séparer. Karam et Khaled louent un appartement dans un quartier populaire de la capitale grecque tandis que Layla et la petite Hala louent de faux passeports et prennent un avion pour Bruxelles. Un mois plus tard, le jour de Noël, Karam passe les douanes de l'aéroport d'Athènes sous un nom d'emprunt. Après une escale en Espagne, il atterrit à l'aéroport de Zaventem. Il arrive juste à temps pour assister à la naissance de son fils, Amer.

Août 2013, La foire bat son plein sur le boulevard du Midi. Les cris stridents se

mêlent aux basses de la musique de fête foraine et pénètrent dans le salon. Karam a branché son ordinateur à son écran de télévision pour regarder via internet les chaînes auxquelles il est habitué. Il essaie de suivre une série turque, dou-blée en arabe, malgré le bruit de la rue. À son arrivée, Karam a passé quelques jours chez les oncles de Layla, avant de trouver ce duplex sous les toits, dans une vieille maison. L'appartement est vétuste mais le loyer correspond au budget de la famille. Dans la cuisine, Layla finit de préparer le repas. Il n'est que 17 heures mais Karam doit s'empresser de diner. Le soir, il part travailler dans une usine de la périphérie bruxelloise. Par des contacts dans sa famille, il a trouvé un poste dans

la manutention. C'est un travail difficile et mal payé, mais c'est une aubaine pour un demandeur d'asile qui n'a pas encore le droit de travailler en Belgique. Sa pro-cédure traine, inexplicablement. Il s'est rendu à l'Office des Étrangers au début du mois janvier et a été convoqué au Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides en avril 2013 . Cela fait plus de quatre mois qu'il espère une réponse positive. Khaled a eu plus de chance. Il est arrivé en avril, trois mois plus tard il tenait dans ses mains sa carte de résident, valable un an. En l'absence de réponse, Karam doit continuer à travailler au noir. C'est dégradant mais sans carte de rési-dent, il ne peut pas s'inscrire au CPAS. Il n'est pas question qu'il aille vivre dans un centre d'accueil, loin de sa femme et de ses deux enfants, donc pour survivre il doit se débrouiller comme il le peut. Cinq ou six jours par semaine, il prend un bus De Lijn en direction des zones industrielles au sud de la capitale. De sept heures du soir à sept heures du matin, il trie et déplace des colis d'un coin de l'entrepôt à un autre.

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«Bonjour tout le monde  ! Comment allez vous aujourd'hui ? » La voix de

la jeune femme remplit la pièce, marquant son entrée. Karam tente un timide « Ça va bien, et vous ? », en choeur avec le reste de la classe. Dans le groupe, une vingtaine d'hommes et de femmes, de tous les âges et de tous les continents. Certains sont venus comme réfugiés, d'autre ont suivi un conjoint ou un parent qui s'installait en Belgique. Ils sont tous débutants en français, et suivent le premier module dans cet établissement de promotion sociale. La professeure commence par saluer les participants, révisant au pas-sage les échanges de base qu'ils ont appris au premier cours, puis lance une série d'activités pour intégrer quelques verbes et un peu de vocabulaire. Les élèves s'en-trainent à utiliser ces acquis dans des petits dialogues. Karam s'est inscrit en cours du jour, avec un rythme de quatre demi-journées par semaine, c'est le pro-gramme qui permet d'enchainer le plus vite possible les modules. Karam a choisi d'apprendre le français, tandis que Khaled a opté pour le néerlandais. Chacun a ses motivations et s'organise pour le long

terme. « Le français reste une langue plus internationale,se justifie Karam. Quand la guerre sera finie et que nous rentrerons en Syrie, je voudrais ouvrir une école de langue. Je pense que le français sera plus demandé que le néerlandais. » Khaled regarde aussi vers l'avenir mais plutôt en Belgique. « Mon projet c'est de reprendre mes études de littérature anglaise dans une université belge, et d'aller le plus loin possible, jusqu'au doctorat j'espère. Le néerlandais ressemble plus à l'anglais donc je pense que ce sera plus facile. Et puis, j'ai plus de chance de trouver du travail en parlant néerlandais. » Les deux frères ont beau habiter dans une ville officiellement bilingue, officieusement francophone, ils ont tous les deux du mal à trouver des situations pour pratiquer ce qu'ils apprennent en classe. « Où que j'aille dans le quartier, les gens parlent arabe. Au marché, au café, dans la rue, je n'entend que de l'arabe. Même quand je vais à la commune, il y a toujours un arabophone pour assurer la traduction. Au travail, tous les ouvriers parlent arabe aussi, donc je ne pratique jamais le fran-çais » déplore Karam.

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Hala, trois ans et demi, joue dans son appartement. Né en Syrie, elle a survécu à une traversée clandestine de la médi-terranée avant d'arriver à Bruxelles

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Hala traverse à son rythme le quartier des Marolles. Elle tient la main de sa

mère et se dirige vers une nouvelle expé-rience. Pendant l'été, elle a atteint l'age requis pour s'inscrire à l'école mater-nelle. Au printemps, Layla et Karam se sont démenés pour lui trouver une place. C'est une mauvaise période pour une telle démarche à Bruxelles. Les écoles maternelles, surtout celles du centre ville, sont submergées par un boom démogra-phique, et les complications institution-nelles propres à la Belgique font que la réponse politique tarde à venir. « J'ai appelé toutes les écoles du centre, une par une, toutes étaient déjà remplies. Finalement j'ai trouvé une place, mais à une heure de métro. C'est beaucoup trop loin de chez nous pour l'emmener tous les jours. » Le jeune père de famille se tourne alors vers le CPAS. Après quelques coups de fils, une assistante sociale trouve une place pour Hala dans un établissement du centre ville. À cet âge, la petite syrienne

n'a pas besoin de passer par une classe passerelle pour intégrer le système édu-catif belge. « Beaucoup d'enfants arrivent dans notre école sans parler un mot de français, rassure le directeur de l'école, nos professeurs ont l'habitude de ce genre de situations, et à son âge, elle apprendra très vite. »Alors que Hala fait son premier jour à l'école, son oncle, Mustafa se lance dans une aventure incertaine. À l'age de 15 ans, le jeune frère de Karam s'apprête à partir pour la Belgique. En septembre 2014, il traverse la frontière turque et se rend à Istanbul. En attendant de se fixer un itinéraire il trouve des petits boulots dans des restaurants et économise pour son voyage.

Février 2014. Karam scrute l'écran de son téléphone. Il ouvre successivement

toutes ses applications de messagerie. À travers Viber, Whatsapp et Skype, il cherche à joindre ses parents. Depuis que la guerre a ravagé leur ville, les réseaux de téléphones classiques sont coupés, il n'y a que par internet que Karam peut contacter sa famille. Ses parents se connectent par le biais d'un fournisseur d'accès très local. Dans chaque quartier de leur ville, une personne a mis en place une connexion internet à haut débit, via satellite ou en se connectant au réseau turc, qui n'est pas très loin. Cette personne revend ensuite l'accès au réseau à ses voi-sins en facturant chaque mégabit de don-née transmis. De même pour l'électricité, quelques personnes disposent de généra-teurs et alimentent leurs voisins. Quand les parents de Karam disposent de suffi-samment d'électricité pour charger leurs appareils, et que la connexion à internet fonctionne, ils peuvent parler avec leurs fils en Belgique. Ces jours ci, les nouvelles du pays ne sont pas très bonnes. Le conflit s'enlise et se complexifie. Au début de l'année, un des groupes rebelles a pris le nom d'« état islamique » et fait désormais la guerre aux autres opposants de Bashar Al Assad. Rapidement, la région de Karam est tombé sous l'emprise de cet état auto-proclamé. « Mes parents évitent de trop sortir maintenant, mais il faut distinguer la façon dont da'esh se comporte avec ses

ennemis et ses prisonniers, et la façon dont ils traitent les civils des zones qu'ils occupent. Pour gagner la sympathie des gens, ils se montrent très respectueux et généreux. Par contre, mes cousins qui font partie de l'Armée Syrienne Libre ne peuvent absolument pas rentrer. Leurs proches ont même peur d'être en contact avec eux. » En Belgique, la situation de Karam s'arrange un peu. Après des mois de cafouillages entre la commune et le CGRA, il reçoit finalement sa carte de résident, au titre de la protection sub-sidiaire. Maintenant qu'il a son statut, il va pouvoir travailler moins, ou pas du tout. Soucieux de sortir sa famille d'un conflit qu'il imagine désormais intermi-nable, il se renseigne sur les modalités du regroupement familial. Assez rapi-dement il apprend qu'il ne peut pas faire venir ses proches. La mesure ne s'applique qu'aux enfants mineurs et aux conjoints. Une clause capte son intérêt : un réfugié mineur non accompagné, peut faire venir ses parents, et donc par extension, les autres enfants âgés de moins de dix-huit ans.

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Un matin du mois de mars, après le petit déjeuner, Mustafa quitte le centre où

il se trouve depuis une semaine, et se rend à la gare ferroviaire. Les autorités du centre lui ont fait comprendre qu'il était temps de déposer formellement une demande d'asile. Il ne peut pas le faire, car cela compromettrait ses chances d'être accueilli en Belgique, et d'y faire venir ses parents. Il n'a pas parcouru tout ce chemin pour s'arrêter si près du but. Khaled a pris le train depuis Bruxelles la veille et l'attend à la gare d'une petite bourgade provinciale. Mustafa doit évi-ter à tout prix les gares principales du pays, où les policiers sont nombreux. Depuis son téléphone, Karam arrange un trajet en covoiturage pour ses deux frères jusqu'à Aix-la-Chapelle. De là, un taxi les emmène jusqu'à Liège et peu de temps après, les trois frères sont réunis à Bruxelles. Quatre mois plus tard, en juillet 2015, Karam reçoit un appel de l'assistante sociale de la croix rouge qui accom-pagne Mustafa dans sa demande d'asile. La réponse est positive. Sans perdre de temps, Karam contacte l'ambassade de Belgique en Turquie. Il souhaite réserver un rendez vous pour déposer une demande de regroupement familial. Dans quelques mois, si tout va bien, Karam accueillera son père, sa mère, et son plus petit frère à l'aéroport de Zaventem. Contrairement à leurs fils, ils voyageront légalement, avec des documents qui portent leurs noms.

Sur l'écran de son téléphone, Karam voit apparaître le visage de Mustafa.

Entouré de ses compagnons de voyage, l'adolescent pose, au petit matin, sur la côte d'une île grecque. Le soulagement, visible sur le visage des jeunes hommes ne parvient pas à cacher leur intense fati-gue. Ils viennent de naviguer une quin-zaine de kilomètres en mer, par une nuit du mois de février.Pendant le mois qui vient, Karam ne s'éloignera pas de son mobile. Grâce aux applications de messagerie, le grand frère peut suivre chaque pas du voyage. Quand Mustafa manque de crédit pour se connecter, Karam effectue le virement depuis la Belgique. Lorsqu'il rencontre les autorités grecques, Mustafa cache son passeport syrien et ment au sujet de son âge. S'ils découvrent qu'il est un MENA, un Mineur Étranger Non Accompagné, les policiers risquent de le garder dans un centre d'accueil. Après les formalités d'usage, Mustafa prend une série de bateaux et de trains jusqu'à la frontière macédonienne. « J'ai traversé la frontière à pied, raconte le jeune homme, puis j'ai continué à marcher jusqu'à la Serbie. J'ai marché pendant cinq jours. Il y avait beaucoup de monde sur la route. Des jeunes, des très vieux, des Syriens, des Afghans, des Iraniens... J'ai eu beaucoup de chance car je n'ai pas eu de problèmes. Ni avec les groupes criminels, ni avec la police. Mais c'était très difficile, nous marchions sans nous arrêter, sous la pluie, dans le froid. »Arrivé en Serbie, Mustafa enchaine les taxis clandestins, aux prix exorbitants, et les transports en communs, quand il a

de la chance. Il traverse la frontière hon-groise à pied, à travers champs, avant de gagner la capitale, Budapest pour un peu de repos et de confort. « Avec mes com-pagnons de voyage, nous sommes allés à l'hotel. Pour la première fois depuis des semaines, j'ai pu prendre une douche et mettre des vêtements secs et propres. »De son coté, Karam trouve un chauffeur qui accepte d'aller chercher le jeune homme en Hongrie et de le ramener à Bruxelles. Il prend aussi les compa-gnons de voyage de Mustafa dans son monospace. Ensemble, ils traversent sans encombre l'Autriche, mais tombent sur un contrôle de police peu de temps après avoir pénétré en territoire allemand. Avec un chauffeur européen et six pas-sagers Syriens sans papiers, le véhicule attise la curiosité des forces de l'ordre. Les cinq collègues de Mustafa ne sont pas embêtés, l'Allemagne, c'était justement leur destination. Le conducteur atterrit en prison, soupçonné d'être un passeur, tandis que Mustafa et les autres Syriens sont emmenés dans un centre d'accueil.

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L’arrivée en Belgique marque, pour beaucoupde Syriens, la fin d’un voyage difficile.C’est en fait le débutd’un autre parcours. Moins éreintant, moins dangereux, il n’en est pas plus facile pour autant. L’intégration dans la société belge com-mence souvent par un passage dans des centres d’accueil. L’aide du monde associatif et l’accompa-gnement par des assistants sociaux facilitent les pre-miers contacts entre les exilés syriens et la Belgique.

L'ACCUEILPREMIÈRE ÉTAPE DE LA VIE EN BELGIQUE

L'entrée du centre d'accueil de Charleroi, où plus d'une centaine de demandeurs d'asile attendent une décision du CGRA

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Le réfectoire est presque vide ce lundi, à midi. En temps normal, les

120 résidents du centre rempliraient les rangées de tables disposées dans la petite salle. Le mois de Ramadan a commencé il y a une dizaine de jours et la majorité des demandeurs d’asile préfère so mnoler pendant la journée, entre le repas matinal servi vers 3 heures et la rupture du jeûne, quelques minutes avant 22 heures.Installée à une table près de la fenêtre, Sofia, 44 ans, fixe d’un air lassé son plateau et laisse trainer sa fourchette dans la purée. Elle est arrivée de Syrie avec son frère au mois de janvier. Après avoir enregistré leurs demandes d’asile, l’Office des Étrangers les a dirigés vers l’agence fédérale pour l’ac-cueil des demandeurs d’asile, Fedasil. Là, le service de « dispatching » leur a attribué une place dans le centre d’accueil de Charleroi, situé dans une zone industrielle collée aux pistes d’atterrissage de l’aéroport. C’est un

des 48 centres du réseau d’accueil, et un des 17 administrés directement par Fedasil. La majorité des centres d’ac-cueil sont gérés par la Croix-Rouge francophone et son homologue du nord du pays, Rode Kruis. Les Syriens sont sous représentés dans le réseau d’accueil. À la fin du mois de mai, Ils ne représentaient que 6 % des treize mille personnes accueillies, contre 12 % des demandes d’asile enregis-trées depuis le début de l’année.La petite structure en béton, haute d’un étage, a servi à la recherche scienti-fique dans une première vie. Depuis 1999, elle accueille des demandeurs d’asile. Lorsque les derniers travaux de rénovations seront terminés, ils seront 170 à y élire temporairement domicile.

À son arrivée, Sofia a signé un règle-ment d’ordre intérieur avant de rece-voir un colis avec des produits de première nécessité comme du savon, une brosse à dent et des draps. Ces fournitures sont renouvelés à inter-valles réguliers, selon un programme qui régit de façon très stricte tous les moments de la vie du centre. La dis-tribution d’argent de poche, les visites médicales, les repas, et les lessives rythment les jours et les semaines d’un lieu où la vie des résidents est suspendue. Chacun vit dans l’attente d’une décision administrative qui déterminera la suite de son parcours. Pour Sofia, mère de famille, forte en caractère et de nature indépendante, la rigidité de la bureaucratie est difficile à vivre. « Si mon rouleau de papier toi-

Au bout des pistes de l’aé-roport, des demandeurs

d’asile vivent dans l’attente d’une décision adminis-trative. Entre la rigidité du règlement et la com-plicité des compagnons d’infortune, les candi-

dats réfugiés découvrent petit à petit la Belgique.

AU CENTRE D'ACCUEIL DE CHARLEROI

LA VIE SUSPENDUEDES CANDIDATS RÉFUGIÉS

REPORTAGE

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L'accueil est le seul bureau du centre qui ne ferme jamais. Des em-ployés de Fedasil répondent aux demandes des résidents à toute heure, tous les jours de l'année

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entorse au règlement, mais pour Sofia c’est indispensable. « Quand j’ai le mal du pays, j’ai besoin de manger quelque chose de chez moi pour me réconforter, explique-t-elle dans un anglais presque parfait, avec les autres résidents syriens, les Irakiens et les Palestiniens, nous avons demandé à pouvoir utili-ser la cuisine pour préparer nos plats, mais la direction a refusé. » Philippe Lefèvre insiste sur les normes de sécurité et d’hygiène très strictes que le personnel est tenu de respecter. Dans d’autres centres, une deuxième cui-sine est mise à disposition du public. Cette initiative n’en est qu’au stade de projet à Charleroi, et pourrait bien pâtir des coupes budgétaires à venir. « Tous les ministères sont touchés, et nous n’y échappons pas, explique Philippe Lefèvre, nous continuerons à assurer un accueil de qualité, mais nous devrons tailler dans certains pro-grammes, ou revoir à la baisse certains investissements » pour que l’agence atteigne l’objectif de 20 millions d’éco-nomies sur un budget de 300 millions.

Les travaux communautaires font partie des programmes déjà touchés par la rigueur budgétaire. Les deman-deurs d’asiles effectuent certaines tâches comme le nettoyage des locaux, la vaisselle ou la lessive, en échange d’un salaire presque symbolique. La lessive est le poste le mieux payé, avec une rétribution d’environ 9 euros pour la journée. Le service technique du centre organise une rotation parmi les résidents afin de répartir équi-

tablement les postes. Les résidents les plus chanceux n’empocheront pas plus de 30 euros par semaine. À cela s’ajoute les 7,40 euros d’argent de poche que chaque demandeur d’asile touche une fois par semaine.

Les portes restent ouvertes vingt quatre heures sur vingt quatre, toute l’an-née. Les agents postés en permanence à l’accueil répondent aux questions des habitants du centre et enregis-trent leurs demandes. En dehors des horaires prévus pour chaque service, c’est ce poste qui gère les situations d’urgence. En face des grandes vitres qui délimitent le bureau, une poi-gnée de routeurs internet sont posés sur une table. À certaines heures, les résidents viennent profiter d’une connexion wifi. La plupart possèdent un téléphone, et les plus fortunés amènent leur ordinateur portable.

Les demandeurs d’asile séjournent dans le centre tant que leur demande est en traitement par le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA). Tout au long de la procédure, les résidents sont accompagnés par le service social. Les trois assistants les informent de leurs droits et de l’avan-cement de leur dossier. La procédure est un peu plus rapide pour les Syriens que pour d’autres demandeurs, et la réponse presque toujours positive. Arrivé en janvier, Sofia a reçu en avril la protection subsidiaire mais elle a introduit un recours pour obte-nir le statut plus stable de réfugiée.Qays est venu de Damas en avril. Deux

mois plus tard, il vient de recevoir une réponse positive. Il est désormais réfugié reconnu. Le jeune homme de 27 ans a quitté sa maison, deux fois bombardée, et survécu à un naufrage au large d’une île grecque avant d’obtenir la protection de la Belgique. Malgré son statut, sa carte de séjour et l’espoir de faire venir sa femme et son jeune fils grâce au regroupe-ment familial, il n’est pas tiré d’af-faire. Il dispose maintenant de deux mois, trois en cas de problèmes, pour trouver un logement. Rares sont les propriétaires qui acceptent de louer leur bien à des bénéficiaires de l’aide sociale, sans autre caution que la garantie morale du CPAS. Plus rare encore sont les loyers abordables, pour une personne isolée avec un revenu de moins de 900 euros par mois.

Le frère de Sofia, arrive à la fin de ses trois mois. Dans une semaine il devra libérer son lit. Il passe ses journées à chercher un logement, bien qu’il ne parle pas français. « L’assistante sociale accepte de passer des coups de fil pour lui, raconte Sofia, dès que les propriétaires entendent ‘CPAS’, ils refusent, mais parfois il faut insister, créer un contact humain pour déblo-quer la situation, et ça, mon frère ne peut pas le faire sans parler français. En désespoir de cause, il s’est rendu aux bureaux du CGRA pour deman-der de l’aide. Il en est ressorti avec une carte de Bruxelles sur laquelle étaient indiqués les hébergements d’urgence pour les sans-abris. »

lette ne dure pas aussi longtemps que prévu, c’est toute une procédure pour en obtenir un nouveau » se plaint elle.

Le centre accueille des personnes du monde entier et de tous les âges. Pour gérer cette cohabitation, la direction insiste sur le respect des règles et du calendrier. Ces règles de vie commune sont expliquées aux résidents en dépit de la barrière linguistique : « Nous utilisons beaucoup l’anglais, et certains de nos collaborateurs parlent russe ou arabe, mais ça ne suffit pas toujours. Les Érythréens, par exemple, parlent uniquement leur langue, et parfois trois mots d’italien » explique Philippe Lefèvre, directeur adjoint du centre de Charleroi. Pour certaines communica-tions, la direction laisse aux habitants plus anciens le soin de traduire aux nouveaux venus. Pour les discus-sions plus sensibles, les entretiens avec l’assistante sociale par exemple, il faut faire appel à un interprète.

Les demandeurs d’asile sont répartis entre les différentes ailes du bâtiment selon leur profil : personne isolée, famille, mineur non accompagné, ou personnes à mobilité réduite. Les familles disposent d’une chambre privée tandis que les personnes iso-lées partagent à quatre ou cinq une chambre d’une vingtaine de mètre carrés. Dans la chambre de Sofia, les lits superposés accueillent aussi une Ukrainienne et une Somalienne. Sur la table, de la nourriture est entreposée dans des boites en plastique. C’est une

REPORTAGE

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Page 15: Les réfugiés syriens en Belgique

Les différents services de l’État dis-pensent aux demandeurs d’asile et

aux réfugiés les moyens nécessaires pour survivre en Belgique, mais les différents organismes sont fortement sollicités et font face à des restric-tions budgétaires qui limitent leur potentiel. Au delà de ce soutien, pour accélérer leur intégration, améliorer leur quotidien ou mieux connaître leurs droits, les nouveaux arrivants peuvent se tourner vers plusieurs associations qui agissent pour com-bler les trous laissés par les services de l’État et les réseaux de solida-rité informels tels que la famille.

Parmi les demandeurs d’asiles qui arrivent en Belgique, les Syriens ne

sont pas les plus démunis. Ils viennent d’une culture proche de la culture euro-péenne, ont souvent reçu

une éducation secondaire ou supérieure, et disposaient,

avant de partir, des moyens suffisants pour envisager un

tel périple. Pourtant, après avoir dépensé des milliers

d’euros pour voyager, après avoir survécu aux combats dans leur pays d’origine et

aux multiples dangers du voyage, ils arrivent dans

un pays dont ils ne parlent pas les langues. Ils sont

donc un public vulnérable.

ENTRE LA FAMILLE ET L'ÉTATLE MONDE ASSOCIATIF JOUE UN RÔLE

DANS L'ACCUEIL DES SYRIENS

ÉCLAIRAGE

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RETROUVER DES MEMBRES DE SA FAMILLE

Les personnes qui ont perdu contact avec des membres de leur famille peuvent faire appel au service « tra-cing » de la Croix Rouge. Ce ser-vice s’appuie sur le réseau global du Comité International de la Croix Rouge (CICR) pour aider à mettre en contact les personnes séparées par les combats. Ce service s’ajoute au fait que la Croix Rouge belge, par le biais de ses branches francophones et néerlandophones, gère presque les trois quarts des centres du réseau d’accueil de Fedasil. L’organisation internationale est donc un interlo-cuteur privilégié pour les réfugiés.

28

Des aliments, soigneusement rangés dans des boites en plastique, encombrent la table communale dans la chambre de Sofia

Page 16: Les réfugiés syriens en Belgique

TROUVER SA PLACE EN BELGIQUE

Caritas et Convivial, deux associa-tions partenaires de Fedasil dans le programme de réinstallation (voir page suivante) interviennent à plu-sieurs moments de l’installation des réfugiés, de la participation au réseau d’accueil jusqu’à l’aide dans la recherche d’un emploi. En 2014, Convivial a accompagné près de deux mille familles ou personnes isolées. 85 % d’entre eux étaient réfugiés ou bénéficiaires de la protection sub-sidiaire. La cellule d’intégration de Caritas, qui privilégie les cas les plus vulnérables, a suivi 176 dossiers en 2013, dont de nombreux syriens.

CONNAÎTRE SES DROITS,FAIRE RECONNAÎTRE SES DIPLÔMES

Le Ciré, acronyme de « coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers » est une coordination d’associations d’aide aux migrants. Depuis plus de 60 ans, elle regroupe des associations issues, entre autres, du monde syndi-cal ou confessionnel. En conjonction avec le bureau d’accueil néerlando-phone Bon et Actiris, l’office régional bruxellois de l’emploi, le Ciré aide les réfugiés à obtenir une équivalence de leur diplômes étrangers. C’est une étape importante pour les syriens, qui ont souvent complété des études secondaires ou supérieures. Les tra-vailleurs de l’association reçoivent aussi les réfugiés lors de permanences sociales et administratives. Les réfu-

giés y obtiennent des réponses à leurs questions, ou se voient redirigés vers l’association ou le service compétent.Pour des questions juridiques, les réfugiés peuvent se tourner vers les permanences de l’association pour le droit des étrangers ( ADDE ), où des juristes répondent par télé-phone, et si nécessaire en personne.

SANTÉ MENTALE ET AIDE PSYCHOLOGIQUE

L’exile et le déracinement sont des expériences traumatisantes, et les conditions dans lesquelles se passent ces bouleversements peuvent laisser des traces sur la santé mentale des victimes. L’association bruxelloise Exil a pour mission d’aider les réfu-giés à surmonter ces expériences. En 2014, l’équipe d’Exil a suivi plus de 600 personnes, dont plus de la moi-tié étaient des victimes de torture.

ÉCLAIRAGE

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LA RÉINSTALLATION :UN ACCÈS LÉGAL À LA BELGIQUE

ET UN ACCOMPAGNEMENT À LONG TERMEPOUR UNE POIGNÉE DE SYRIENS

INTERVIEW

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Autour de son lit, Sofia a aménagé un coin de la chambre avec ses quelques affaires personnelles

Page 17: Les réfugiés syriens en Belgique

QUEL RÔLE JOUE LE CPAS DANS LA RÉINSTALLA-TION DES RÉFUGIÉS SYRIENS EN BELGIQUE ?

Pascale Desprets,responsable de la maisond’accueil du CPAS de Molenbeek :

« Nous avons répondu à un appel du gouvernement fédéral en mettant à disposition deux appartements pour accueillir des familles syriennes. Le CGRA et le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies choisis-sent les personnes à réinstaller en Belgique et Fedasil les répartit parmi les communes volontaires. Nous nous engageons à fournir un logement et à accompagner les personnes dans toutes leurs démarches pendant une période d’un an, le temps qu’ils s’intègrent et s’habituent à la vie en Belgique. Les réfugiés bénéficient du revenu d’inté-gration sociale et de toutes les aides habituelles que dispensent les CPAS. En plus de cela, le gouvernement fédéral verse un subside de 2 500 euros par personne au CPAS afin de faire face aux dépenses supplémentaires. »

EN PRATIQUE, COMMENT S'EST PASSÉ LA RÉINSTALLATION DANS LA COMMUNE ?

Chantal Germen,assistante social au CPAS de Molenbeek :

« Nous avons reçu une personne, en février 2015. Jusqu’ici tout se passe très bien. Notre situation est un peu spéciale car nous avons mis à dis-

Si la plupart des Syriens sont arrivés en Belgique au

terme d’un voyage dange-reux, couteux et clandestin,

ce n’est pas le cas de tous. Dans le cadre d’un pro-

gramme des Nations Unies, la Belgique s’est engagée à « réinstaller » quelques

centaines de Syriens, réfu-giés dans des pays proches

de la zone de conflit. Les candidats sont sélectionnés par le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations

Unies, avant d’être approu-vés par le Commissariat Général aux Réfugiés et Apatrides ( CGRA ). Pour

l’intégration dans la société belge, le programme s’ap-

puie sur les ressources humaines et logistiques des CPAS et d’associations par-

tenaires. Rencontre avec ces acteurs du terrain.

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position un appartement meublé, et très proche de nos bureaux. Je peux donc effectuer un suivi très régulier, sans difficultés. De plus la personne a de la famille à Bruxelles, elle n’est donc pas totalement isolée. Elle suit des cours d’intégration sociale avant d’entamer l’apprentissage du fran-çais en septembre. Notre expérience est globalement très positive mais c’est aussi parce que nous avions des conditions idéales. J’ai eu des échos d’autres CPAS, dans des régions plus isolées, où l’acclimatation n’a pas été aussi facile. Le gouvernement a lancé un nouvel appel à candidatures, nous pensons postuler. On serait partant pour accueillir une famille cette fois. »

LE PROGRAMME DE RÉINSTALLATION S'AP-PUIE AUSSI SUR DES ASSOCIATIONS PAR-TENAIRES. QUEL RÔLE JOUENT ELLES DANS L'ACCOMPAGNEMENT DES RÉFUGIÉS ?

Elisabeth Verniers,responsable du programmede réinstallation de Caritas :

« Nous apportons un savoir faire spécifique tiré de notre longue expé-rience de travail avec un public de réfugiés. Les Syriens sont accompagnés par un binôme. Il y a un coach, qui a une formation d’assistant social et un médiateur bi-culturel qui est un réfu-gié installé depuis plus longtemps en Belgique. Ce médiateur vient aussi du moyen orient, il a donc la même culture et le même vécu de réfugié. Ce binôme s’occupe des démarches de

INTERVIEW

Page 18: Les réfugiés syriens en Belgique

FEDASIL

L'Agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile est une instance d'utilité publique placé sous la tutelle du secrétaire d'Etat à l'asile et la migra-tion. Elle est chargé de mettre en place l'accueil des demandeurs d'asile, suivant les normes minimales établies par la « Directive Accueil » européenne.

RÉSEAU D'ACCUEIL

Réseau de centres d'accueil et de dispo-sitifs d'hébergements mis en place pour recevoir les demandeurs d'asile. Le réseau est géré par Fedasil mais s'appuie large-ment sur la coopération d'organisations partenaires. Le réseau a une capacité de plus de seize mille places, dont quatre mille seulement sont administrées par Fedasil. La Croix Rouge, francophone et néerlandophone, des CPAS et des asso-ciations participent au réseau.

RÉINSTALLATION

Programme mondial, sous l'égide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés ( UNHCR ), qui permet à des réfugiés d'être accueillis dans un pays tiers, autre que leur premier pays d'accueil. Dans le cas de la Syrie, ce pro-gramme permet d’alléger le fardeau des pays limitrophes, qui accueillis l'essentiel des quatre millions de Syriens ayant fui la guerre.

DEMANDEUR D'ASILE

Statut d'une personne qui a formulé une demande de protection auprès de la Belgique et dont la procédure est en cours. Ce statut ouvre le droit à un séjour légal dans le royaume, mais ne permet pas de travailler ni de s'inscrire au CPAS, d'où la nécessité du réseau d'accueil, pour per-mettre à ces personnes de vivre digne-ment dans l'attente de leur statut.

GLOSSAIRE

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la vie quotidienne et de l’adaptation à la société belge. C’est important car contrairement aux autres réfugiés, les réinstallés n’ont pas vécu une période de transition en centre d’accueil. De plus, les communes qui se sont por-tées volontaires sont principalement des petites, ou très petites, agglomé-rations. Cela fait un choc, pour des réfugiés issus de grandes villes, de se retrouver dans une situation de pauvreté et d’isolation. Les Belges, contrairement aux méditerranéens, n’ont pas l’habitude de parler à des inconnus dans le bus, dans la rue. C’est là que le médiateur bi-culturel est essentiel, car il a lui même connu tous ces problèmes, et il peut rassurer les Syriens, expliquer les différences culturelles, témoigner par son propre vécu que les choses s’amélioreront avec l’apprentissage de la langue. »

Page 19: Les réfugiés syriens en Belgique

La brise s'engouffre dans la voiture et vient soulager Iyas Kaadouni de la cha-leur étouffante. Le jeune homme roule toutes vitres baissées sur la principale autoroute du pays, en direction d'Alep. Il fait encore chaud à la fin du mois de septembre dans la plaine. Les champs, qui s'étendent de chaque coté de l'autoroute, ont jauni, brulés depuis des semaines par le soleil syrien. Depuis quelques semaines, les cours ont recommencé à l'université, Iyas a entamé sa dernière année de droit.Les études, c'est une activité parmi beau-coup d'autres pour le jeune homme de 27 ans. Il partage son temps entre plusieurs entreprises familiales, dans l'import-export, et les visites touristiques qu'il guide à travers la région. Sa ville natale, Saraqeb, n'est pas une grande attraction touristique. C'est une petite bourgade pro-vinciale de trente cinq mille personnes. Les maisons sont simples, des blocs gris, qui s'élèvent sur deux ou trois étages. Les touristes, Iyas les amène plutôt à Ebla, à quelques kilomètres au sud, pour visiter les ruines de la capitale d'un royaume qui domina la région il y a plus de quatre millénaires.

MILITANT RÉVOLUTIONNAIRE CHERCHE HAVRE DE PAIXRecherché par le régime, menacé par les combattants islamistes, Iyas Kaadouni espérait trouver refugeen Belgique. Il y a obtenula protection interna-tionale, avec quelques complications.

Simple d'apparence, Saraqeb est pourtant une ville riche. Les villageois des alen-tours la surnomment « Al-Koweit » en référence au richissime état pétrolier. Les familles comptent de nombreux parents exilés en Europe, aux États-Unis et dans le Golfe, tandis que les habitants de la ville sont éduqués, et entrepreneurs. En ce sens, Iyas Kaadouni, hyper actif, stu-dieux et heureux en affaires, n'est pas une exception. Le jeune homme aux yeux d'un bleu perçant, logés sous un front haut a un charisme et une personnalité marquante, des caractéristiques qui lui permettront de survivre quand les événements auront bouleversé sa région et son avenir.

IYAS KAADOUNI

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Iyas Kaadouni se repose dans le salon de son cousin, à Gand

Page 20: Les réfugiés syriens en Belgique

Février 2011. Autour du feu, les tasses de thés vides brillent dans la nuit. Iyas

et ses cousins font de leur mieux pour s'exprimer en anglais. Régulièrement, les cousins se retrouvent dans une ferme de la famille pour passer la soirée. Un peu de musique, du thé, un feu et le ciel dégagé, parsemé d'étoiles, suffisent à mettre une bonne ambiance. Cette fois, ils ont de la visite, des voyageurs venus d'Europe ont contacté Iyas sur « Couchsurfing », un site internet qui met en contact des voyageurs avec des habitants prêts à les héberger. Depuis trois ans, Iyas reçoit ainsi des jeunes venus du monde entier. Ces ren-contres lui ont permis d'améliorer son anglais et de découvrir un peu le monde. Ce soir, autour du feu, la politique est au centre des conversations. Les événe-ments en Égypte intriguent, impression-nent. Beaucoup de personnes, à l'étranger mais aussi autour du feu, s'attendent à ce que les Syriens se soulèvent à leur tour. Au même moment, à Daraa, une capitale provinciale du sud du pays, des enfants rentrant de l'école, gribouillent sur le mur de leur établissement le slogan qu'ils entendent en boucle à la télévision : « Le peuple veut la chute du régime ». Dans un pays qui n'a pas connu de grandes manifestations, c'est plus un acte de bra-voure potache qu'un défi au régime, mais le chef de la sécurité politique de la ville ne l'entend pas ainsi. Atef Najib envoie ses hommes arrêter les enfants dans leurs maisons le soir même, et déclenche ainsi un mouvement de colère dont il ne soup-

çonne pas les conséquences.Quelques semaines plus tard, un jeudi soir de mars 2011, Iyas retrouve des amis, mais dans le silence cette fois. Ils tien-nent dans leurs mains des dizaines de tracts qu'ils ont rédigés et imprimés en cachette. Le message est simple, c'est un appel à manifester à la sortie de la mos-quée, après la grande prière du vendredi. Les hommes rentrent dans la mosquée, tard dans la soirée et laissent les tracts à disposition des fidèles qui rempliront le bâtiment le lendemain. Presque trop facile. « C'était vraiment simple d'organi-ser la première manifestation, se souvient Iyas, les gens étaient choqués par l'atti-tude du gouvernement envers les enfants de Daraa. La manifestation s'est déroulé pacifiquement, mais le soir, les services de sécurité sont venus arrêter tous ceux qui avaient participé à la préparation. J'ai eu la chance d'être libéré très rapidement. D'autres sont restés longtemps en prison, certains y sont mort »C'est la première fois qu'Iyas a de sérieux problèmes avec les autorités. Le f lux continu de visiteurs étrangers dans sa maison avait attiré l'intérêt des services de renseignement, les « mukhabarat », mais sans plus. Désormais, son nom est connu des autorités. Sa révolution a com-mencé, et il ne peut qu’espérer que son pays suivra.

IYAS KAADOUNI

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Les plats traditionnels syriens attendent sur la table, pendant qu'Iyas Kaadouni termine en cuisine

Page 21: Les réfugiés syriens en Belgique

La mobilisation prend de l'ampleur au cours de l'année 2011. Des manifesta-

tions ont lieu presque tous les jours. Les services de sécurité attaquent les mani-festants et ciblent particulièrement les activistes. « C'était une année calme, pleine de mouvements pacifiques » se souvient Iyas en y repensant. Calme et paisible en comparaison avec la violence qui se déversera sur sa ville par la suite. Iyas cesse de se rendre à Alep et adapte ses habitudes à la nouvelle situation. Il doit toujours être sur ses gardes pour échapper à la surveillance des services de sécurité. Plus question pour lui de se reposer la nuit, quand les troupes du régime raflent les opposants. Avant les troubles, Iyas a eu le temps de passer ses derniers examens à la faculté de Droit. « Je n'ai jamais pu aller chercher mon diplôme, j'espère que quelqu'un le récupérera pour moi quand les révolutionnaires libéreront Alep. »À la fin de l'année, les affrontements armés arrivent à Saraqeb. En janvier 2012, l'armée de Bashar Al Assad aban-donne cette ville stratégique, où passent les autoroutes qui relient Alep à Lattaquié et Damas.

Les mouvements politiques et les grou-puscules qui se réunissaient en cachette peuvent désormais exister en plein jour. Avec des amis militants, Iyas se met à peindre des fresques murales aux mes-sages révolutionnaires. Il fait partie du conseil local, sorte de conseil communal révolutionnaire. En cette année 2012, le nord de la Syrie est encore une destina-tion relativement sûre pour les corres-pondants étrangers. Le guide touristique, et adepte du Couchsurfing, accueille et accompagne ces visiteurs. Il se fait ainsi un impressionnant carnet d'adresses. Il se rend régulièrement en Turquie pour suivre des formations aux médias pour activistes et des ateliers pour apprendre à reconstruire une société civile. Un des groupes qui apparaît dans ce paysage d'associations, le « Centre pour la démo-cratie et la société civile en Syrie » le nomme responsable local de l'organisa-tion à Saraqeb. Le poste lui fournit un bon salaire, de quoi vivre confortablement alors que les prix explosent.

IYAS KAADOUNI

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Dans les rues de Gand. Iyas Kaadouni et son cousin profitent de l'été dans la ville étudiante flamande

Page 22: Les réfugiés syriens en Belgique

Été 2013. Depuis quelques mois, un groupe islamiste venu d'Iraq, avale de plus en

plus de territoire syrien. En Avril, l'État Islamique en Iraq a rajouté le « Levant » à son nom. « Al Sham », le levant, désigne un territoire qui comprend la Syrie, le Liban, la Jordanie ainsi qu'Israel et les territoires palestiniens. En ajoutant un mot à son titre, le groupe affiche ses ambi-tions. Rapidement, le groupe s'implante dans toutes les zones rebelles de Syrie, y compris la province d'Idleb. Dans la ville de Saraqeb, un leader autoproclamé de l'organisation radicale se fait connaître. Il se fait appeler Abu al Baraa' , un nom de guerre qu'il complète à l'occasion de l'adjectif « Al Jaza'iri », l'Algérien, ou « Al Balgiki », le Belge, en référence au pays de ses origines et à celui où il a grandi. Peu de choses sont connues à son sujet. Selon un groupe rebelle opposé aux pseudo-islamistes radicaux, Abu al Baraa' aurait obtenu un diplôme d'ingénieur dans une université belge peu de temps avant de se rendre en Syrie. Sur place, il se fait surnommer « le renard » et établit un réseau de groupuscules combattants dans les villages de la province d'Idleb. Entre les militants de Saraqeb, qui tentent de construire une société démocratique, et les groupes armés d'inspiration fonda-mentalistes qui s'implantent, des tensions apparaissent. Une équipe de journalistes du service arabe de la BBC, le service public audiovisuel britannique, réalise un court documentaire sur ces tensions. On y voit, d'un coté, des tribunaux islamiques mis en place par le Front Al Nosra, vitrine syrienne d'Al Qaida, et de l'autre, les pein-tures murales des activistes locaux. Iyas

prend la parole dans ce documentaire pour dénoncer le rôle grandissant des extrémistes religieux dans la révolution syrienne. C'en est trop pour Abu al Baraa'. Un jour, Iyas entend de la bouche d'un ami que le combattant belge veut sa mort. La rumeur enfle et le militant commence à se sentir suivi. Subitement il disparaît vers une autre ville de la région. Après deux jours passés en planque, il traverse la frontière.Une fois en Turquie, il passe quelques coups de fils à des contacts bien placés dans la diplomatie française et obtient sans difficulté un visa. Le 19 juillet 2013, Iyas atterrit à Paris.

Iyas profite pendant une dizaine de jours de l'été parisien, mais il ne souhaite

pas s'y installer. Avant la révolution, et avant l'irruption d'Abu al Baraa' dans sa ville, il a rencontré beaucoup de Belges. Ces jeunes voyageurs, venus poser leur sac à dos pendant quelques jours dans la maison familiale des Kaadouni, ont laissé une très bonne impression. De plus, Iyas a un frère et un cousin déjà installés en Flandre. Au début du mois d'août, le jeune homme se rend en Belgique et demande la protection internationale du royaume. L'Office des Étrangers constate qu'il dis-pose d'un titre de séjour valide dans un autre pays de l'Union Européenne, c'est donc cet État qui est responsable de sa demande d'asile. Les agents du ministère de l'Intérieur l'envoient en centre fermé, dans l'attente de son renvoi en France. « Je m'y attendais, confie le juriste de formation, j'avais laissé à mon cousin le nom d'un avocat à contacter en cas de problème. » Encore une fois, il fait jouer le carnet d'adresse et quitte le centre fermé quelques heures après y être entré. Iyas s'installe avec son cousin à Berchem, au sud d'Anvers. Ils occupent le rez de chaussée d'une vieille maison. Sur les murs, un drapeau révolutionnaire syrien, les étoiles rouges coloriées à la main, côtoie le lion noir sur fond jaune de la région flamande. Iyas, toujours aussi cha-rismatique et sociable se fait rapidement un réseau de connaissances dans sa nou-velle ville. Régulièrement, des réfugiés et des Belges s'entassent dans le salon des Kaadouni. Ils y dînent, font la fête, et refont le monde. Lors d'une de ces soirées, Iyas, un verre

à la main, se tourne vers un convive et lance « Imagine qu'un jour la police belge m'accusent de terrorisme ! ». Face à l'ab-surdité de la remarque, tout le monde éclate de rire. La demande d'asile fait son chemin entre les administrations belges, dou-cement mais sans problèmes pour Iyas. Finalement, en septembre 2014, après plus d'un an, il reçoit sa carte d'identité d'étranger. « À ce moment, je voyais un future pour moi en Belgique, je ne me sentais pas comme un simple réfugié » se souvient il. C'était avant qu'une blague absurde, lancée dans l'excitation d'une soirée entre amis, ne se révèle être une triste prémonition.

IYAS KAADOUNI

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Page 23: Les réfugiés syriens en Belgique

6 heures du matin. La nuit est encore noire et froide, ce 23 octobre 2014.

Dans le silence, une douzaine de poli-ciers armés se faufilent dans le hall de la maison où résident les Kaadouni. En une fraction de seconde, ils forcent la porte d'entrée et réveillent les occupants du rez de chaussée. Iyas et son cousin sont retenus dans le salon pendant que les inspecteurs de la police judiciaire fédérale fouillent l'appartement. « Dès qu'ils sont entrés, j'étais convaincu qu'il s'agissait d'une erreur, commente Iyas, nous rigolions pendant qu'ils fouillaient l'appartement et collectaient des objets. » Les policiers repartent avec des livres, des blocs notes, des téléphones, des ordina-teurs, une tablette et une caméra vidéo, ainsi qu'Iyas. Il part menotté en direction d'un poste de police de Charleroi. Jovial malgré le réveil matinal, le jeune homme pacifique ne correspond pas aux attentes des enquêteurs. « Je pensais que nous venions prendre un terroriste » lui lance un policier, l'air confus dans sa tenue d'intervention. Cinq mois plus tôt, les autorités ont inter-cepté un journaliste syrien aux douanes

de Charleroi. Il est accusé d'être actif dans un groupe terroriste et envoyé en déten-tion à proximité de l'aéroport. Depuis sa cellule, il appelle tous ses contacts, parmi eux, un activiste révolutionnaire dont il a entendu parler en Syrie, qui serait désor-mais réfugié en Belgique. C'est ainsi que le journaliste appelle à plusieurs reprises Iyas, pendant l'été 2014.Pendant huit heures, Iyas répond au ques-tions des enquêteurs. Le procès-verbal de l'audition montre qu'ils n'ont pas grand chose à se mettre sous la dent. Mis à part cette série de coups de téléphone, rien n'implique le réfugié. Iyas doute que les autorités aient même de quoi inculper le journaliste. « Les policiers belges ne connaissent pas assez le contexte syrien. Ils voient des barbus armés sur une photo et se font des idées. La situation est trop compliquée pour faire ce genre de raccourcis » explique le militant qui n'a pourtant aucune sympathie pour les courants fondamentalistes. À 16 heures, l'interrogatoire prend fin. Iyas repart libre mais sans son téléphone et tout son matériel multimédia qui lui permet de rester en contact avec son village.

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Les biens, récemment récupérés, portent encore les traces de leur saisie par la police judiciaire fédérale

Page 24: Les réfugiés syriens en Belgique

Juillet 2015. Dans la cuisine de son nouvel appartement, Iyas finit de saupoudrer

des épices sur la « Fatteh », une pré-paration de pois chiche et de pain frit recouvert de yaourt. Depuis son arrivée en Belgique, le militant s'est découvert une passion pour la cuisine. « Je voulais ouvrir un restaurant ici, mais il y a trop de démarches, de taxes, de prises de tête. Je veux faire une formation de cuisinier, mais plutôt pour lancer un service de traiteur. » Sans son diplôme, le juriste de formation n'a aucune chance de pouvoir travailler dans son domaine, alors il se cherche des alternatives.Iyas vient de récupérer les livres et le matériel informatique confisqué par la police, mais l'arrestation a marqué le militant, pourtant habitué à ce genre de traitements. « Je ne vois plus mon avenir en Belgique de la même manière, confiait-il en décembre 2014, je ne me vois pas

vivre ici longtemps. Je pense à m'installer en Turquie» Pourtant, en janvier 2015, il quitte la banlieue d'Anvers pour le centre-ville de Gand. « L'ambiance ici est bien meilleure. C'est plus détendu et tranquille qu'à Anvers. » Iyas commence les cours de néerlandais et valide les trois premiers niveaux en six mois. Le mois prochain, il devra suivre son cours d' « inburgering », l'intégration civique, où un professeur lui enseignera les valeurs, les symboles et les institutions de la Belgique. Pour son avenir, l'homme aux milles projets déborde d'idées. Personne, même pas le principal intéressé, ne peut dire laquelle il poursuivra. « Je voudrais retourner à Saraqeb demain. L'État Islamique a été repoussé de la ville mais il reste beaucoup de groupes islamistes. J'attends que les Syriens chassent les jihadistes étrangers de notre pays. »

IYAS KAADOUNI

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ÊTRE RECONNU COMME RÉFUGIÉ,UNE FORMALITÉ QU'IL FAUT MÉRITERL’obtention d’un statut de protection internatio-nale en Belgique ouvre la voie à une installation à long terme. Les demandes d’asiles sont examinés par deux administrations fédé-rales avant de recevoir une réponse. Pour les Syriens, elle est presque toujours positive. Le plus dur, pour eux, est d’arriver jusqu’en Belgique. À Bruxelles, une mobilisation citoyenne s’est mise en œuvre pour per-mettre à des familles, inca-pables de faire le périlleux voyage, d’obtenir cette protection internationale.

Page 25: Les réfugiés syriens en Belgique

ÉCLAIRAGE

49

L'AVENIR DES DEMANDEURS D'ASILE SE JOUEDANS UNE TOUR DU QUARTIER NORD DE BRUXELLES

Pour les Syriens, la demande d’asile est le pre-mier pas vers l’installation

en Belgique. Une fois le dossier constitué, celui ci

subit un examen appro-fondi, aussi bien sur la

forme que sur le fond. Deux administrations fédérales se divisent ces taches, en fonc-

tion de leur expertise, avant de donner une réponse

déterminante pour l’ave-nir du demandeur d’asile.

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La file de demandeurs d'asile pénètre dans les bureaux de l'Office des Étrangers, chaussée d'Anvers, à Bruxelles

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de vérifier qu'elles relèvent bien de la responsabilité de la Belgique. L'Office des Étrangers prend les empreintes digitales de la personne et la soumet à un examen médical pour détecter la tuberculose. Lors d'une première audition, les agents demandent au migrant des détails sur son identité et son voyage jusqu'en Belgique. Un autre questionnaire, à remplir par écrit, interroge le migrant sur les raisons de sa demande de protection en Belgique. À la fin de l'audition, après relecture dans sa langue mater-nelle, le demandeur d'asile est prié de signer une retranscription écrite de leurs échanges. Lors de ce premier contact avec les autorités belges, le demandeur d'asile ne peut pas être accompagné d'un avocat. Pour Thomas Mitevoy, avocat spécialisé en droit des étrangers, la plupart des Syriens n'ont pas besoin d'aide juridique pour accompagner leur demande d'asile, « du moment que les personnes ont les documents pour prouver leur nationa-lité syrienne, la présence d'un avocat n'est pas vraiment pertinente ».

DÉTERMINER LA RESPONSABILITÉ DE LA BELGIQUE

Sur la base des informations collec-tées, l’Office des Étrangers vérifie que la Belgique est bien responsable du traitement de cette demande. Les vingt huit pays de l’Union Européenne, ainsi que la Norvège, l’Islande, la Suisse, et le Lichtenstein se sont associés pour éviter que des demandeurs d’asile ne postulent dans plusieurs pays en même temps. Le « système Dublin » prévoit une série de critères qui permettent de déterminer quel pays doit traiter un dossier. S’il apparaît qu’un demandeur d’asile relève de la responsabilité d’un autre pays, les autorités belges peuvent y renvoyer le demandeur. En théorie, un migrant doit demander l’asile dans le premier pays de l’Union Européenne qu’il traverse. Pour faciliter l’appli-cation de cette règle, les autorités de chaque pays doivent enregistrer les empreintes digitales de toute personne qui franchit illégalement ses frontières dans une base de données européenne, le fichier EURODAC. En pratique, certains pays par lesquels passent la majorité des demandeurs d’asile, comme l’Italie ou la Grèce, font preuve de laxisme dans l’encodage des données biométriques. Les agents de l’Office des Étrangers décident aussi d’un éventuel placement en centre fermé. Dans le cas des Syriens, le placement en centre fermé reste exceptionnel, sauf dans le cas d’une arrivée illégale à l’aéroport.

ÉCLAIRAGE

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À l'ombre de l'imposante tour numéro deux du « World Trade

Center » de Bruxelles, des dizaines de personnes font la file. Venus des quatre coins du monde, en famille ou seuls, certains avec leurs valises, d'autre les mains dans les poches, ils patientent avant de passer la porte numéro 59 de la Chaussée d'Anvers. C'est ici que l'Office des Étrangers enregistre les demandes d'asile.Les migrants qui souhaitent deman-der la protection de la Belgique doi-vent s'y rendre dans les jours qui suivent leur entrée sur le territoire. Peu importe comment ils sont arri-vés en Belgique. Les Syriens sont, le plus souvent, entrés illégalement dans le royaume, cela n'affectera pas le traitement de leur dossier.L'Office des Étrangers, un service qui dépend du ministère de l'intérieur, est chargé d'octroyer les visas aux tou-ristes, étudiants et autres visiteurs qui souhaitent se rendre en Belgique. Dans le cadre de la procédure d'asile, son rôle est d'enregistrer les demandes et

DÉCISION SUR LE FOND

Lorsque l’Office des Étrangers déter-mine que la Belgique est respon-sable du traitement de la demande d’asile, le dossier est transmis au Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA), qui a ses bureaux dans la même tour.Cette administration fédérale indépen-dante est chargée d’examiner chaque dossier afin de déterminer si le deman-deur peut bénéficier d’une protection internationale de la Belgique. Le CGRA accorde deux types de statut : celui de réfugié reconnu au sens de la Convention de Genève de 1951, et la protection subsidiaire. Le premier concerne les individus qui craignent une persécution sur la base de cinq critères : la race, la religion, les opi-nions politiques, la nationalité ou l’appartenance à un certain groupe social. Le deuxième statut est accordé si la région d’origine est en proie à de graves violences, qui menacent de façon générale les civils. « Toutes les régions de Syrie sont aujourd’hui concernées par la protection subsi-diaire, explique Damien Dermaux du service de communication du CGRA, donc tout civil syrien reçoit une protec-tion en Belgique. Au début du conflit, nous accordions plus de protections subsidiaires, le statut de réfugié étant réservé aux individus personnellement visés. Fin 2013, vu la gravité du conflit, l’agence des Nations Unies aux réfu-giés, l’UNHCR, a demandé aux États d’accorder principalement le statut de

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clause d’exclusion. » Ces clauses sont décrites dans la Convention de Genève. Elles excluent de la protection interna-tionale les personnes qui ont participé à des crimes de guerre, ou commis des exactions. Les auditions de Syriens sont donc beaucoup plus courtes que la moyenne. « Les gens arrivent munis de leurs documents d’identité. Même ceux qui ont fui sans leurs papiers se font envoyer par email une photo en cou-leur. On vérifie chaque document pour s’assurer qu’il n’y a pas d’incohérences. S’ils n’ont rien à me montrer, je pose des questions sur le pays, la ville, ou des détails de la vie quotidienne. Nous travaillons avec des interprètes syriens, qui peuvent nous donner une indica-tion sur l’accent de la personne et son lieu de provenance. Une audition d’un dossier syrien dure environ une heure et demie, contre cinq ou six heures pour un dossier d’un autre pays. »

DEUX STATUTS DE PROTECTION INTERNATIONALE

La décision proposée par l’officier de protection est transmise à un supervi-seur, qui vérifie le dossier et avalise, ou non, l’appréciation. Le dossier est ensuite envoyé au directeur du CGRA, le commissaire général, qui prend la décision finale. Les demandeurs d’asile reçoivent ensuite une lettre la leur annonçant. Si la réponse est positive, le statut accordé est précisé. En cas de réponse négative, la décision est motivée. Entre les deux statuts de protection internationale, des diffé-rences existent. Les réfugiés reconnus doivent rendre leur passeport d’origine, et reçoivent un document de voyage émis par le CGRA. Ils sont admis à un séjour illimité sur le territoire belge. Les bénéficiaires de la protection subsi-diaire se voient accorder un permis de séjour d’un an mais doivent continuer à utiliser leur passeport pour voya-ger. Cela pose problème aux Syriens, qui peuvent difficilement se tourner vers leur ambassade pour obtenir ou renouveler un passeport. Si au bout de cinq ans, les conditions dans le pays d’origine ne se sont pas améliorées, ce droit devient illimité. « En pratique, depuis que la protection subsidiaire a été intégrée au droit belge en 2006, aucune protection n’a été révo-quée pour ce motif, nuance Damien Dermaux, car malheureusement les conflits ont tendance à empirer. »

ÉCLAIRAGE

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réfugié, donc nous avons adapté nos pratiques. » Le CGRA, très attaché à son indépendance vis à vis du gouver-nement belge, se base sur les traités internationaux et les recommanda-tions de l’UNHCR pour apprécier les dossiers. En 2014, une demande d’asile syrienne sur quatre a donné lieu à la protection subsidiaire. Sur la première moitié de 2015, ce chiffre chute à moins de 5 %. Dans environ 3 % des décisions rendues depuis le début de 2014, le CGRA a refusé au demandeur un statut. « Il s’agit de personnes d’autres natio-nalités qui tentent de se faire passer pour des Syriens, ou alors de per-sonnes qui ont introduit une demande et n’y ont pas donné suite, parce qu’ils sont partis vers un autre pays par exemple » explique Damien Dermaux. Les dossiers transmis au CGRA sont attribués à des agents appelés officiers de protection. Ces officiers sont chargés du suivi du dossier jusqu’à la décision. Un de ces officiers témoigne : « Je fais trois choses dans mon travail. Je pré-pare l’audition, sur la base des infor-mations que le candidat réfugié a déjà données, j’interroge le candidat, et je rédige une proposition de décision sur la base de l’entretien. Lors de l’audi-tion, je pose essentiellement des ques-tions auxquelles je connais la réponse, car le but est d’établir la crédibilité des déclarations. » Lorsque le demandeur d’asile est Syrien, l’examen est bien plus rapide. « On vérifie deux choses en priorité. On s’assure que la personne est bien de nationalité syrienne, et qu’elle ne tombe pas sous le coup d’une

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L'ENTRÉE SUR LE TERRITOIRE

C’est la première étape du proces-sus. La Belgique n’accepte aucune demande d’asile formulée en dehors de son territoire. Muni d’un visa ou non, le plus souvent illégalement, il faut entrer dans le royaume. Les personnes qui entrent sans visa sont considérées comme étant en séjour irrégulier à ce stade. Cette entorse à la loi ne leur sera pas reproché. Les personnes qui arrivent par avion, avec des papiers qui ne correspondent pas à leur identité, ou des papiers falsifiés, pourraient se voir reprocher l’usage de faux documents, mais à ce jour, cela n’a pas été le cas pour des Syriens.

LA PREMIÈRE VISITE, À L'OFFICE DES ÉTRANGERS

C’est à partir de ce moment que la personne devient demandeuse d’asile. Lors de cette visite, la demande est officiellement formulée, ce qui accorde un statut temporaire au migrant. Le demandeur d’asile choisit la langue de la procédure, ou demande un inter-prète, et ressort avec un document intitulé « annexe 26 ». Ce document atteste qu’une demande d’asile a été déposée. Il permet aussi au deman-deur d’asile de s’inscrire auprès de sa commune de résidence afin d’ob-tenir une carte de séjour temporaire valable trois mois, qui sera renouvelée jusqu’à ce que la procédure aboutisse.

De l’arrivée en Belgique jusqu’à l’inscription aux registres de la popula-tion, la procédure varie d’un dossier à un autre. De nombreux facteurs tels que l’itinéraire emprunté pour arriver en Belgique, ou la présence d’un parent, peuvent modifier ce par-cours. Pour la plupart des Syriens qui deman-dent la protection de la Belgique, les étapes princi-pales sont les suivantes :

LA DEMANDE D'ASILE,ÉTAPE PAR ÉTAPE

LE « DISPATCHING »

Le service de Dispatching de l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile ( Fedasil ), attribue les places dans le réseau d’accueil. Les candi-dats réfugiés qui en font la demande peuvent bénéficier d’un hébergement dans un des quarante huit centres d’accueil existants en Belgique. Selon la situation des demandeurs, diffé-rentes types d’hébergements sont disponibles, de la chambre partagée pour les personnes isolées à l’appar-tement privé pour les familles les plus chanceuses. Le placement en réseau d’accueil n’est pas obligatoire, mais en pratique, de nombreux demandeurs d’asiles passent par cette étape. Sans revenus, et le plus souvent sans res-source, c’est presque impossible pour ce public de se loger indépendamment.

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Page 29: Les réfugiés syriens en Belgique

LA RÉPONSE DU CGRA

Quelques semaines après l’audi-tion, le demandeur d’asile reçoit par courrier une réponse à sa demande. Pour les dossiers examinés depuis janvier 2014, il s’agit le plus souvent de reconnaissance du statut de réfu-gié, conformément à la Convention de Genève de 1951. Étant donné la nature confessionnelle et parfois ethnique du conflit, il n’est pas difficile d’établir une persécution en raison de la race ou de la religion. Certains candidats, en fonction de leur récit ou de l’appréciation de l’officier de protection, reçoivent la protection subsidiaire. En cas de réponse néga-tive, ou insatisfaisante, le demandeur peut contester la décision devant le Conseil des Contentieux des Étrangers, puis devant le Conseil d’État.

L'ADMINISTRATION COMMUNALEDÉLIVRE LES DOCUMENTS

L’administration commu-nale délivre les documentsUne fois que le demandeur d’asile a reçu la réponse du CGRA, il se pré-sente à l’administration communale de son lieu de résidence pour se mettre en règle. Si le statut de réfugié a été accordé, la personne se verra remettre une carte « B ». Cette carte, valable cinq ans, ouvre le droit à un séjour illimité. En cas d’octroi de la protec-tion subsidiaire, la personne reçoit une carte « A », qui donne le droit à un séjour d’un an en Belgique. Tant que les conditions qui ont poussé la personne à fuir sont réunies, la carte sera renouvelée. Cinq ans après l’introduction de la demande d’asile, le séjour devient illimité. Une fois cette formalité remplie, le résident syrien en Belgique peut enta-mer les procédures pour s’inscrire au CPAS et à des cours de langues et ainsi commencer son parcours d’intégration.

LE DEUXIÈME ENTRETIEN, AU CGRA

Les agents du Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides convo-quent le demandeur d’asile pour un entretien plus approfondi. Un officier de protection, du CGRA, pose des questions, le plus souvent à l’aide d’un interprète. Le demandeur d’asile peut se présenter avec un avocat et une personne de confiance de son choix. Pour les Syriens qui se pré-sentent avec leurs documents d’iden-tité, cette étape est une formalité.

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ÉTAPE PAR ÉTAPE

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TÉMOIGNAGE

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«Cela faisait longtemps que je suivais les ravages du conflit syrien aux

informations, mais cet hiver une vague de froid a frappé le moyen orient et j'ai vu des images d'enfants morts de froid. C'était trop, ça m'a fait un électrochoc, il fallait que j'agisse. Qu'est ce que je pouvais faire de concret, moi, simple citoyenne belge ? J'ai téléphoné à l'Office des Étrangers pour savoir si je pouvais obtenir un visa de tourisme pour une famille syrienne. Ils m'ont dit qu'en principe c'était possible mais qu'il me serait difficile de fournir une garantie de retour dans le pays d'origine, condition indispensable du visa de tou-risme. Avant de raccrocher, ils m'ont parlé de l'existence des visas humanitaires.Je n'ai pas du tout un passé de mili-tante, c'est la première fois que je m'intéresse à toutes ces questions. Je pensais que les associations d'aide aux réfugiés allaient me prendre pour une dingue quand je les ai appelées, mais elles étaient intéressées et m'ont donné des noms d'avocats à contacter. L'avocate m'a conseillé de rassembler un groupe de personnes. Sur Facebook, j'ai écrit à des amis, plus ou moins proches. Certaines personnes, je ne les avais pas vues depuis longtemps mais je pensais qu'elles seraient sen-sibles à cette idée, comme une amie de l'université qui habitait dans le kot

LA SOLIDARITÉ D'UNE POIGNÉE DE CITOYENSRÉINSTALLE DEUX FAMILLES SYRIENNES EN BELGIQUE

À la fin du mois de juin, l’ambassade de Belgique en Turquie a accordé des

visas humanitaires à deux familles syriennes. Ce

feu vert, c’est l’aboutisse-ment d’une mobilisation

citoyenne. Indépendamment des associations et des auto-

rités belges, un groupe

de Bruxellois s’est réuni pour venir en aide à deux familles qui se trouvaient hors de portée de l’aide humanitaire classique.Anne-Laure Losseau,coach professionnelle,est à l’origine de cette initiative intitulée« un visa une vie »

Amnesty International à l'époque. Nous avons pour la plupart entre trente et quarante ans, beaucoup d'entre nous ont des enfants, presque tous ont fait des études universitaires. Bref, on est de la classe moyenne bruxelloise. Je n'avais aucun lien avec la Syrie, je n'y suis jamais allée et je ne connaissais pas de Syriens avant de m'embarquer dans cette aventure. À notre première réunion nous avons invité un phar-macien syrien qui vit à Schaerbeek depuis plus de 30 ans : Ghazi El Rass. Il a accepté de nous aider. Il gère une chaine d'acheminement d'aide huma-nitaire entre la Belgique et le nord de la Syrie. Avec ses contacts il a trouvé deux familles qui rentraient dans les critères d'un visa humanitaire.Ces familles étaient dans des camps de déplacés internes. Ils logeaient dans des tentes, dans des conditions horribles. Ils n'auraient même pas pu bénéficier du programme de réins-tallation car ils ne sont pas réfugiés dans un pays limitrophe. Dans une des familles, une petite fille souffre d'une déformation cardiaque. Dans l'autre famille, leur fille a perdu l'usage de sa jambe. Elle a été fauchée par une

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Anne-Laure Losseau, coordinatrice du projet 'un visa, une vie', trie les nombreux documents liés aux demandes de visas humanitaires.

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voiture quand les habitants fuyaient le bombardement de leur village. Les deux ont besoin d'une interven-tion médicale le plus vite possible.Une fois que nous avions trouvé les candidats, nous avons récolté, parmi nos familles et nos amis, l'argent pour les demandes de visa. Les familles ont traversé la frontière turque de nuit, clandestinement. Nous étions très inquiets car ce n'est pas facile de marcher en montagne, avec des enfants de deux, trois et cinq ans. Mi juin, Ghazi et moi sommes partis en Turquie pour les accompagner à l'ambassade. Après nous avoir posé un tas de ques-tions, les employés de l'ambassade ont enregistré nos demandes de visa. Nous pensions que la procédure pren-drait des mois. Le 30 juin au matin, j'ai trouvé un message dans ma boîte mail : 'chère madame, nous avons l'honneur de vous annoncer...' Je n'en reviens toujours pas. Personne ne s'attendait à une réponse si rapide. Notre groupe s'est engagé à assister les familles dans toutes leurs démarches : logement, scolarisation des enfants, recherche d'emplois et démarches administra-tives. Depuis la réponse de l'ambassade, nous avons accéléré notre recherche d'appartement pour faire venir les familles le plus vite possible. Il ne faut pas croire que l'obtention du visa, c'est la fin de cette histoire. Ce n'est que le début. Maintenant la vraie aven-ture, celle de la vie en Belgique, com-mence et nous avançons pas à pas. »

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OFFICE DES ÉTRANGERS (OE)

Administration sous la tutelle du Service Public Fédéral Intérieur. Gère les flux migratoires par la délivrance de visas et l'enregistrement des demandes d'asile, suivant la loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers du 15 décembre 1980.

CGRA

Le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides est une administra-tion fédérale indépendante opération-nelle depuis 1988. Le CGRA examine les demandes d'asile et décide de reconnaître les demandeurs comme réfugiés, de leur ouvrir le droit à la protection subsidiaire, ou de les débouter, en se basant sur la Convention de Genève de 1951, la légis-lation européenne et la loi belge.

CONVENTION DE GENÈVE DE 1951

La Convention relative au statut des réfu-giés a été adoptée le 28 juillet 1951, lors d'une conférence convoquée par l'Organi-sation des Nations Unies. Ce texte définit le cadre juridique du droit d'asile dans les pays signataires. Ce texte établit que « devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays ». Les persécu-tions visées sont celles basées sur la race, la nationalité, la religion, l'appartenance à un certain groupe social et les opinions politiques de la personne.

DÉPLACÉ INTERNE

Personne qui a fui son domicile pour une autre ville ou région. Ces personnes n'ont pas le statut de réfugié car ils n'ont pas quitté leur pays. Dans le cas de la Syrie, ce sont les personnes les plus vulnérables car la violence du conflit rend difficile l'aide humanitaire internationale. Selon une agence des Nations Unies, il y aurait 7,6 millions de déplacés internes en Syrie en juillet 2015.

GLOSSAIRE

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TÉMOIGNAGE

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Des hommes moustachus, enturbannés et vêtus de façon traditionnelle déam-

bulent dans le Damas des années 1930. Les violons retentissent d'une musique dramatique et le regard noir, perçant d'un des hommes apparaît en gros plan et fixe le spectateur. Dans des millions de foyers du moyen orient, des familles sont ras-semblées pour suivre la nouvelle saison de « Bab al Hara ». Chaque année, de nouvelles aventures viennent boulever-ser ce quartier fictif du Damas de l'entre deux guerres. Elles se déroulent en une trentaine d'épisodes, une pour chaque nuit du mois de ramadan. La diffusion est programmée pour toucher les foyers juste après la rupture du jeûne, quand les gens récupèrent avant d'aller profiter de la nuit avec leurs amis.La famille Suleiman est réunie autour de la télévision, dans le salon de leur appartement bruxellois mais ils n'ont pas encore mangé. En cet été 2015, Les jours sont bien plus long en Belgique qu'en Syrie. Yasser et ses enfants passent les der-nières minutes du jeûne dans les canapés du salon pendant que Rihab, sa femme, finit d'arranger les plateaux de nourriture sur la table. Enfin, une voix aiguë s'élève depuis le téléphone de Yasser. L'appel à la

DES MONTAGNES DE LATTAQUIÉ AU CANALDE BRUXELLES, UNE FAMILLE FACE AU DÉRACINEMENT

La famille Suleiman a quitté son village de montagne dès le début du conflit. Si les enfants s’adaptent à la vie belge, les parents restent prison-niers de leur nostalgie.

LES NOMS ONT ÉTÉ MODIFIÉS.

prière du soir est lancé, il est désormais permis de manger et boire. Hadi, 9 ans, s'installe à table avec ses grandes sœurs, Nour, 18 ans et Maryam, 21 ans. Yasser et Rihab s'asseyent à chaque extrémité. Même avec une invitée, une jeune femme récemment arrivée de Syrie, le groupe paraît petit. Avant la guerre, avant le bouleversement de leur vie, avant l'exil, ils auraient été au moins trois fois plus nombreux à se réunir pour l'« iftar », la rupture du jeûne. Yasser et Rihab auraient invités les cousins, les oncles et les tantes, et les amis de passage au village. « Dans notre salon, on pouvait assoir cinquante personnes confortable-ment » se souvient Yasser, avec une pointe d'exagération très méditerranéenne.

LA FAMILLE SULEIMAN

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Yasser Suleiman est arrivé en Belgique en 2012. Malgré le calme et la sécurité dans laquelle il vit, il ne parvient pas à faire le deuil de sa vie en Syrie

Page 33: Les réfugiés syriens en Belgique

Toute la surface de la table est occupée par les différents plats. Les aubergines

et courgettes farcies de riz et de viande sont un classique de la région, de même que la «  mujaddara  » un mélange de lentilles et de blé aux épices. Originaire des montagnes de l'arrière pays de Lattaquié, le principal port méditerra-néen de Syrie, Rihab a aussi préparé des steaks de poisson, rôtis dans une sauce de poivrons. Après quelques bouchées, la fatigue, accumulée après presque dix-neuf heures sans manger, commence à se dissiper. La conversation reprend. L'invitée, Yafa, 21 ans, est en Belgique depuis quelques semaines seulement. Elle découvre la météo aléatoire de l'été belge et les habitations serrées et insalubres des quartiers pauvres de Bruxelles. Même après des mois passés dans des situations précaires en Turquie, la jeune femme a du mal à cacher sa déception. Les Suleiman, installés à Bruxelles depuis plus de trois ans, ne sont pas très bien placés pour lui

remonter le moral, alors la conversation tourne autour du vieux pays, de la ville de Lattaquié, dont est originaire Yafa. Les convives se rappellent un temps plus heureux quand les familles n'étaient pas dispersées entre une demi douzaine de pays, sur deux continents. « Nous avons de la famille en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suisse, en Italie » déplore Yasser, sans compter les proches restés au village en Syrie. Eux non plus n'ont pas été épar-gnés par la séparation. « Notre village se trouve sur la ligne de front, entre les soldats du régime et les rebelles, explique Rihab, mais nous avons aussi beaucoup de parents dans un village à une dizaine de kilomètres. C'est impossible de passer de l'un à l'autre, la route est coupée. Même par téléphone, ils ont peur de se parler, car chaque camp pourrait penser qu'ils donnent des informations à l'ennemi. Ça fait trois ans qu'ils ne se sont ni parlés, ni vus. »

Avril 2011, Yasser regarde défiler le paysage désertique depuis l'habi-

tacle de son camion. Il vient de quitter Al Hassakah, la capitale provinciale de l’extrême nord-est de la Syrie, par la route occidentale. Il suit le soleil cou-chant jusqu'aux montagnes qui longent la côte méditerranéenne. Au sein de ce massif se trouve la région de « Jabal al Akrad », la montagne des kurdes, et le village de Yasser. Chaque jour, le qua-rantenaire trapu, mâchoire carrée et che-veux poivre et sel coupés courts, enfile ses lunettes de soleil, et conduit son camion jusqu'à Lattaquié. Au port, il prend en remorque un container venu de Chine, ou un porte-grumes chargé de troncs de pins européens. Il traîne sa cargaison dans les quatre coins du pays, chaque jour dans une ville différente. Le soir, il retourne auprès de ses parents, ses enfants et ses nombreux cousins dans son village de montagne. Le week end, sa femme et ses six enfants montent en voiture, et il les emmène prendre l'air, le temps d'un piquenique.

Depuis un mois, des manifestations secouent le pays. Yasser, qui parcourt chaque jour le pays, est plutôt bien informé. Il se tient au courant des protes-tations dans le sud du pays, à Daraa, mais aussi des troubles qui secouent Lattaquié. Des hommes armés ont ouvert le feu sur la foule, tuant plusieurs manifestants. Le régime accuse des « terroristes », la foule accuse le régime. Sur la route, les bar-rages des forces de l'ordre se multiplient, ainsi que les arrestations. Au début du mois, des attaques ont eu lieu contre des soldats. Chaque jour, la situation semble se dégrader un peu plus. Dans la mon-tagne, la vie est encore paisible. Yasser et les siens ne sont pas riche, mais ils vivent une vie confortable, simple et rurale. Ils possèdent leurs maisons et quelques ter-rains. « Derrière la maison, dans la vallée, il y avait des arbres fruitiers de toutes les sortes, dans ses souvenirs, Yasser fait revivre son paradis perdu, on cultivait nos légumes et les herbes aromatiques poussaient tout autour de la maison. L'eau jaillissait de la montagne, pure et fraîche, été comme hiver. »

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LA FAMILLE SULEIMAN

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Page 34: Les réfugiés syriens en Belgique

Il est dix heures passées lorsque Yasser se réveille péniblement. Il enfile un

jean sombre, une chemise à carreaux parfaitement repassée et des chaussures en cuir noir, brillantes. Toujours tiré à quatre épingles, il passerait aisément pour un Italien. Rapidement, il avale une tasse de café et sort fumer une cigarette devant son immeuble. Il regarde passer les gens sans que personne ne le salue. Les Bruxellois marchent vite, tête bais-sée, les idées ailleurs. Yasser écrase son mégot et remonte les trois étages jusqu'à son appartement. Il finit de se préparer, embrasse sa femme et repart en direction de l'arrêt de tram. Été oblige, la capitale belge tourne au ralenti. Le tram finit par arriver. Yasser s'installe et regarde défi-ler les rues désertes et les magasins fer-més du nord de Bruxelles. Le restaurant où il travaille ne ferme pas pour l'été, donc il n'aura pas de congés. Six jours par semaine, il travaille comme serveur, de midi à minuit, parfois plus tard. Il a commencé dès son arrivée en Belgique, il y a six mois, en janvier 2012. Entre le travail, le sommeil et la vie de famille, il n'a pas trop le temps de se poser des questions, de réfléchir à sa situation.Yasser, Rihab et leurs six enfants ont fui leur village il y a un peu plus d'un an. À l'été 2011, la situation en Syrie se détériorait de jour en jour. Un matin, ils ont quitté leur maison familiale pour la Turquie voisine. En janvier 2012, ils sont arrivés à Bruxelles, où la famille de Rihab est installée depuis longtemps. Les cousins de Rihab leur ont trouvé un appartement. Après quelque jour de repos, Yasser a commencé comme serveur

dans un restaurant de Bruxelles. Il y a fait la connaissance d'un client tunisien. Ils se sont liés d'amitié. Le Tunisien l'a aidé dans ses démarches à la commune, lui servant de traducteur à chaque fois qu'il devait se présenter à un guichet. Il l'a aussi aidé à se procurer des meubles pour l'appartement, et à découvrir la ville. La fille ainée de la famille, Lina, n'a pas fait le voyage avec eux. Elle a épousé un garçon du village lorsqu'ils étaient en Turquie, dans les mois d'attente avant de rejoindre l'Europe. Sur les cinq autres, quatre ont rejoint des classes passerelles dans les écoles du quartier. Mélangés à d'autres primo-arrivants, ils y appren-nent les bases du français afin de pou-voir intégrer rapidement des classes qui correspondent à leur niveau scolaire. La cinquième, Maryam, était déjà âgée de dix-huit ans, elle a donc rejoint des cours de français pour adultes.

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LA FAMILLE SULEIMAN

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Issue d'un village de montagne, Yasser vit mal la solitude et l'anony-mat de la vie urbaine dans un pays étranger

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Avril 2014. La routine s'est installée dans la vie de Yasser. Sa vie est parta-

gée entre le travail au restaurant et son domicile, où il se repose et passe de trop rares moments avec sa famille. Malgré la régularisation de sa situation, et l'aide sociale qui va avec, il n'a pas cessé de tra-vailler. Avec cinq enfants sous son toit, il s'imagine mal vivre uniquement des allo-cations familiales et de l'aide du CPAS. C'est déjà difficile pour lui de travailler pour quelqu'un d'autre, hors de question qu'il se laisse réduire à vivre de charité. « J'ai toujours été mon propre patron avant de venir en Belgique. J'ai travaillé dans des restaurants dans mon village, mais ils appartenaient à ma famille. Après cela, j'ai conduit mon camion sur toutes les routes de Syrie. J'étais seul au volant et je ne répondais à personne. » Les enfants s'adaptent un peu mieux à la vie en Belgique. Maryam a beaucoup progressé en français, et suit maintenant des cours de néerlandais en parallèle. Hadi, le plus jeune, finit sa première année d'école primaire, avec seulement un an de retard par rapport au rythme normal de ses camarades. Entre les deux, Nour, Ali et Izdihar suivent des cours dans l'athénée du quartier.

C'est peut être Rihab qui a le plus de mal avec sa nouvelle vie en Belgique. Femme au foyer, elle était habituée à recevoir ses voisines, ses sœurs, ses cousines, afin de faire ensemble leur tâches domestiques. Dans sa nouvelle vie, elle continue de nettoyer la maison et de préparer les repas, mais dans la solitude. Lorsqu'elle s'installe dans le salon, avec un bol de riz trempé et des feuilles de vigne, elle n'a personne avec qui discuter pendant qu'elle confectionne ses « waraq 'eneb ». Une toute autre routine rythme la vie de la famille restée en Syrie. Depuis deux ans, les forces rebelles et l'armée de Bashar Al Assad se font face, bloqués sur une ligne de front qui passe juste à coté du village. « Un jour l'armée tente une avancée pour déloger des rebelles, ils avancent de quelques mètres, per-dent beaucoup d'hommes, puis reculent. Quelques semaines plus tard, les rebelles tentent la même chose, et ainsi de suite, explique Yasser, l'autre jour, je parlais avec ma mère au téléphone quand j'ai entendu un bruit sourd d'explosion. Puis plus rien. Quelques heures plus tard j'ai rétabli le contact avec ma mère. Une roquette était tombée dans notre jardin. »

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LA FAMILLE SULEIMAN

Yasser scrute l'horizon de sa ville d'adoption. Le bâti, le relief, la nature, tout contraste avec le petit village qu'il a quitté

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L'ouverture de la foire du Midi, édi-tion 2015, coïncide avec le deuxième

jour de l'Aïd el Fitr, la fête qui marque la fin du mois de ramadan. Les familles musulmanes de Bruxelles, vêtus d'habits neufs, se pressent entre les attractions, le long du boulevard. Parmi elles, la famille Suleiman. Armé d'une carabine à plomb, Hadi éclate les ballons de baudruche qui tournoient frénétiquement devant lui. Maryam et Nour le regardent, radieuses dans leurs foulards colorés. Yasser a du mal à se défaire de la tristesse qui l'accom-pagne du matin au soir. « Aujourd'hui ? C'est un jour comme les autres, il n'y a pas vraiment d'Aïd quand on est loin de sa famille... » Yasser a dû s'arrêter de travailler en décembre 2014. Des problèmes muscu-laires lui lançaient une douleur insou-tenable dans le dos. Celui qui a passé la majorité de sa carrière installé dans l'habitacle d'un camion n'a pas réussi la transition vers le métier de serveur, où il passe la plupart de son temps debout et stationnaire. L'arrêt de travail lui a permis de se consacrer davantage à l'ap-prentissage du français. Avec Rihab, ils ont commencé des cours au mois de sep-tembre. En une année scolaire, ils ont validé le premier module. « J'ai beau-coup de mal à apprendre, ma mémoire n'est pas très bonne, et puis j'ai presque

cinquante ans, c'est beaucoup plus dur quand on est plus vieux, constate le père de famille, je comprends plutôt bien, mais pour répondre, j'ai du mal à construire une phrase. » Depuis qu'il ne travaille plus, il a beau-coup plus de temps pour observer la vie des Bruxellois, et contempler la sienne. Il ne peut s'empêcher de comparer tous les aspects du quotidien avec ses souvenirs du pays. La façon dont les gens se saluent dans la rue, les cafés, le goût du poisson grillé, le parfum des fleurs... Tout évoque chez lui un souvenir plus beau d'un temps révolu, d'un pays qui ne reviendra jamais. « Je pense qu'une fois que j'aurais appris la langue, je trouverai du travail et les choses iront mieux » lance-t-il dans un élan d'optimisme. À la rentrée, les enfants reprendront leurs études. Hadi entamera sa troisième pri-maire, tandis que les autres s'orienteront vers des formations professionnelles  : Maryam en couture, Nour dans le para-médical, Ali en mécanique et Izdihar en puériculture. « Ils ont des amis, ils parlent la langue et suivent des formations, et bientôt ils auront la possibilité de tra-vailler, commente le père de famille à propos de ses enfants, si c'était à refaire, je le referais certainement, car mes enfants ont un avenir ici. »

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LA FAMILLE SULEIMAN

Pour se changer les idées, Yasser aime quitter le nord de Bruxelles pour boire un café dans le quartier européen

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Les Syriens qui arrivent en Belgique laissent der-rière eux des carrières, des études, des situations sociales qu’ils ne retrouve-ront jamais. Il est d’autant plus difficile pour eux d’ap-prendre à vivre de charité, dans des situations de pau-vreté et d’isolation sociale. Les autorités offrent des cours pour accélérer l’inté-gration en apprenant aux primo-arrivants les bases de la société belge, mais les principaux défis restent l’apprentissage des langues et la recherche de travail.

LA LONGUE MARCHE DE L'INTÉGRATION

LE COURS D'ORIENTATION SOCIALEMET LES JEUNES RÉFUGIÉS

SUR UN « CHEMIN D'AVENIR » BELGE

Aïssa Dmam, professeur d'orientation sociale, explique les institu-tions belges à un groupe de jeunes réfugiés arabophones

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Pendant l’été, un petit groupe d’adolescents arabo-

phones suit une formation à la société belge. Le but :

qu’ils en ressortent plus autonomes, informés de

leurs droits, et des valeurs à respecter pour s’intégrer

en Belgique. Reportage dans un cours d’orienta-tion sociale dispensé par le bureau flamand d’ac-

cueil des primo-arrivants.

«Qu’est ce qui se trouve au som-met de la pyramide ? » Interroge

Aissa Dmam, en montrant le triangle qu’il a dessiné au tableau. Le cours commence par un rappel de la struc-ture de l’État belge. Parsemé autour des tables disposées en U, une demi douzaine d’adolescents se regarde. Jalal, 17 ans, hésite puis se lance : « Al fidirali ? » Le professeur salue la bonne réponse et inscrit « fédéral » en arabe dans la pointe supérieure du triangle. Progressivement, les jeunes, venus d’Iraq, de Syrie ou du Soudan, remplissent les autres étages de la pyramide avec les « jihât », les régions, et les « mujtama’ât », les communau-tés. Lorsque Aissa demande au groupe de nommer les dix-neuf communes de Bruxelles, la géographie pratique de ce public réfugié se dessine. « Molenbeek,

Anderlecht, Saint-Josse, Schaerbeek... » Les noms des communes les plus populaires de la capitale fusent, mais il faudra attendre l’intervention du professeur pour que soient évoqués les quartiers plus huppés tels que Uccle, Auderghem ou les Woluwés.

DES COURS ADAPTÉS AU PUBLIC

La classe se déroule dans les locaux de Bon, une ancienne association, spécialisée dans l’intégration de primo-arrivants, qui a été absorbée par l’agence flamande d’intégration et d’« Inburgering », ou intégration civique. Aujourd’hui, il y a des absents, seuls sept jeunes sont présents. Ils ont entre 16 et 17 ans, certains sont venus en Belgique seuls, d’autres avec leur famille. Le plus ancien du groupe est arrivé il y a huit mois, mais la plupart sont ici depuis deux ou trois mois. Dans les centres d’accueil où ils résident, ou dans leur école, ils ont découvert l’exis-tence du programme « Masir Avenir », le chemin de l’avenir. Ce trajet d’in-tégration sociale dure les deux mois des congés d’été. Il permet aux ado-lescents déjà scolarisés de continuer à apprendre le néerlandais, et aux autres d’échapper à l’ennui des centres d’ac-cueil. Deux ou trois fois par semaine, ils suivent un cours sur les institu-tions, les valeurs et la culture belge dispensé en arabe. Les autres jours ils participent à des ateliers d’intégration professionnelle, prennent des cours de néerlandais, ou profitent de visites et d’activités organisées par Bon.

REPORTAGE

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Le cours se poursuit avec un petit rappel de la répartition des com-pétences. Là, le contenu se com-plique considérablement.-Quelles sont les compé-tences des communes ?-L’éducation ?-Oui, c’est vrai, enfin, l’entretien des bâtiments, mais pas les programmes... Aissa se lance dans des explications pleines de nuances, d’exceptions, de distinctions entre les différentes couches du millefeuille institutionnel belge. « C’est important d’expliquer la répartition des pouvoirs en Belgique, justifie le professeur, car souvent les jeunes viennent de pays où un pou-voir central, unique, gère toutes les compétences depuis la capitale. »Le programme des cours s’adapte aux besoins et aux intérêts des par-ticipants. Certains sujets, comme la répartition des pouvoirs ou l’his-toire de la Belgique, font partie des sujets inévitables. Avant d’aborder un nouveau thème, Aissa donne la parole aux jeunes afin de sonder leurs connaissances, mais aussi de stimu-ler le dialogue et la participation. « Quelles sont les caractéristiques de l’État ? » Lance-t-il à son public, pour aborder les valeurs fondamentales de la société belge. Les bonnes réponses forment une liste sur le tableau : « Monarchie, parlementaire, fédé-ral, démocratique... ». Abdelrahim, arrivé il y a six semaines de Damas, se lance : « Socialiste ? » Refusé, au même titre que « populaire ».Depuis 2004, Bon propose des parcours d’intégration sociale aux personnes

récemment arrivées en Belgique. Pendant l’année scolaire, entre 2500 et 3000 adultes entament un parcours composé des cours sur les institutions et les valeurs belges, de deux modules de néerlandais et d’une orientation professionnelle. Chaque participant est associé à un accompagnateur person-nel qui répond à ses questions et l’aide à s’inscrire chez des partenaires tels qu’Actiris, ou le VDAB. Bon se distin-gue d’autres initiatives d’intégration en proposant des cours dans la langue d’origine du public. « Notre priorité c’est que l’information passe, que le message soit bien compris » explique Elise Pertz responsable de la com-munication pour Bon. C’est ce qui explique que cette institution, entiè-rement financée par le gouvernement flamand, dispense environ 40 pour cent de ses cours en français, et un tiers en arabe. Aissa Dmam doit jongler entre les accents pour se faire comprendre par des arabophones d’origines très différentes. « Je parle parfois en dialecte syro-libanais, puis j’explique un mot en marocain. Si le groupe a un haut niveau d’éducation je m’exprime en ‘Fusha’, la langue classique. »Cette approche s’inscrit dans une interprétation pragmatique et ouverte de l’intégration. « Nous n’essayons pas de dire qu’être Belge ça signifie se comporter de telle ou telle manière, précise Elise Pertz, la philosophie de notre parcours c’est d’encourager l’autonomie, que les personnes puissent se débrouiller seuls en Belgique. »Au fil des ans, leur définition de primo-arrivant a évolué avec la demande

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du public. « Nous avons commencé à accueillir des gens qui sont en Belgique depuis cinq, voire dix ans. Ils ont beaucoup de questions à poser, même si ce ne sont pas les mêmes que les personnes qui sont arrivés dans les derniers mois. » Chacun arrive à Bon avec ses propres motivations. Il y a ceux qui souhaitent mieux connaître leur pays d’adoption, ceux qui espèrent améliorer leurs chances sur le marché du travail en apprenant le néerlandais, ceux qui veulent prouver leur intégra-tion dans le cadre d’une demande de naturalisation... Si l’inscription chez Bon est facultative, ce n’est pas le cas dans les autres bureaux d’accueil de l’agence flamande à l’intégration.

UN CADRE LÉGISLATIF CONFUS

L’intégration des primo-arrivants est une matière dite « personnalisable », elle a donc été délégué aux commu-nautés dans le cadre de la deuxième réforme de l’État, en 1980. En 1994, la communauté française a transféré cette compétence à la Région Wallonne, ainsi qu’à la Commission commu-nautaire française en ce qui concerne Bruxelles. Les dispositifs d’intégra-tions varient donc selon la région ou s’installe le primo-arrivant. Au nord du pays, le parcours est sensiblement le même que celui proposé par Bon, mais il est obligatoire. Les étrangers s’installant dans une commune fla-mande sont dirigés vers un bureau d’accueil qui leur attribue une place dans un cours d’orientation sociale et dans un cours de néerlandais.

Depuis 2014, les ressortissants de pays extra-européens qui s’installent en Wallonie doivent compléter un module d’accueil dans les trois mois qui suivent leur arrivée en Belgique. Ce module est composé d’une information sur les droits et les devoirs des résidents du royaume, d’un bilan social et profes-sionnel de la situation de la personne et d’informations sur les démarches administratives. Un parcours d’accueil, similaire à ce que propose l’agence flamande à l’intégration existe mais il est facultatif. À Bruxelles, les complica-tions institutionnelles font que malgré une volonté politique de mettre en place un tel programme et de le rendre obligatoire, ce n’est toujours pas le cas en pratique. Dans la capitale, les com-pétences communautaires sont gérées par une Commission communautaire mixte qui réunit la Commission com-munautaire française et son homologue flamand, la VGC. En l’absence d’accord à la Commission mixte, aucun parcours ne s’impose au primo-arrivant. Bon propose une offre néerlandophone tan-dis que la Commission communautaire française doit désigner à la rentrée l’association qui proposera un parcours similaire à ce qui se fait en Wallonie. Dans la salle de classe, Aissa Dmam, juriste de formation, tente d’ensei-gner les subtilités du droit belge qui permettront aux jeunes réfugiés de comprendre ces questions. Les ado-lescents repartent avec des devoirs pour le lendemain : chercher sur internet le nom du ministre-prési-dent de chaque région du pays.

REPORTAGE

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ECLAIRAGE

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Comment trouver un travail dans un pays dont on ne parle pas la langue,

où l’on ne connaît presque personne et où son diplôme n’est pas reconnu ? C’est la question que doivent se poser de nombreux Syriens une fois obtenu le statut de réfugié ou de protection subsidiaire qui leur permet de s’ins-taller en Belgique. L’obtention du statut ouvre le droit à une aide sociale du CPAS, mais cette somme, de 544 euros pour une personne en cohabi-tation à 1089 euros pour une famille, permet, au mieux, de survivre. Pour subvenir à leurs besoins ou pour venir en aide à leurs proches restés dans des situations plus précaires, il arrive que des Syriens complètent leurs revenus par un travail non déclaré.Pour un public éloigné du marché du travail classique comme le sont les réfugiés, le CPAS reste l’interlocuteur privilégié pour les démarches d’inté-grations socio-professionnelles. Il peut proposer à ses usagers des emplois subsidiés. Ces emplois sont surnom-més « Article 60 » en référence au septième paragraphe de l’article 60 de la loi organique des CPAS, de 1976.

L'INTÉGRATIONPAR LE TRAVAIL,

UNE ÉTAPE CRUCIALEMAIS DIFFICILE

Les réfugiés syriens font face à de nombreuses dif-ficultés sur la marché du travail. Maitrise des lan-

gues nationales, reconnais-sance des diplômes, manque

de réseaux en Belgique sont autant d’obstacles à l’intégration profession-nelle. Les communes dis-

posent d’une mesure pour mettre au travail ces pro-

fils problématiques : les emplois dit « article 60 ».

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LE CPAS COMME EMPLOYEUR

Pour Ephrem Eyongrang, responsable de la cellule article 60 au CPAS de Molenbeek c’est une option taillée sur mesure pour un public étranger : « cela permet d’obtenir une expé-rience de travail en Belgique pour des personnes venues d’ailleurs, à qui les patrons belges ne feraient pas nor-malement confiance ». Dans le cadre des emplois article 60, le CPAS agit comme une agence de travail intéri-maire. Il emploie des bénéficiaires de l’aide sociale et les met à disposition d’associations ou d’entreprises pri-vées. Ces partenaires versent au CPAS une contribution, qui varie selon les communes et selon le statut du parte-naire, mais reste toujours en deçà du coût d’un travailleur sur le marché classique. À Molenbeek, une entreprise paiera un peu plus de mille euros par mois, soit presque trois fois moins que pour un employé classique. En retour, les partenaires s’engagent à fournir un accompagnement aux travailleurs. « C’est du donnant-donnant, explique Mr Eyongrang, si l’entreprise ne joue pas le jeu, nous pouvons choisir de ne pas renouveler l’expérience à

l’issue du contrat ». Afin de bénéfi-cier au plus grand nombre possible, les contrats correspondent à la durée nécessaire pour ouvrir des droits au chômage. Les emplois proposés sont le plus souvent des postes manuels, peu qualifiés, rémunérés au salaire minimum. « Pour postuler, il suffit de pouvoir communiquer simplement dans une des langues nationales, et pouvoir comprendre des instructions » précise le responsable molenbeekois. Depuis le transfert de certaines compé-tences liées à l’emploi, en juillet 2014, dans le cadre de la sixième réforme de l’État, ce sont les régions qui contri-buent, avec les CPAS, au financement de cette mesure. Les communes les plus riches peuvent proposer des conditions plus avantageuses aux entreprises et donc mettre plus de personnes au travail. En Flandre, il y a une volonté politique d’activer au travail les bénéficiaires de l’aide sociale. À Bruxelles, les autorités régionales ont fixé pour chaque commune un montant de subventions aux articles 60 qui a poussé Ephrem Eyongrang à réduire le nombre de postes disponibles.

ECLAIRAGE

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UNE EFFICACITÉ DIFFICILE À ÉVALUER

Dans un rapport publié en janvier 2014, l’association Caritas International, qui accompagne l’intégration de nom-breux réfugiés en Belgique, revient sur les aspects positifs et négatifs de la mesure. L’association reconnaît les bienfaits d’une expérience profession-nelle, d’une mise en contact avec des collègues francophones ou néerlan-dophones pour l’amélioration de la langue et de l’intégration sociale. En revanche, la mesure souffre de la durée limitée des contrats. Arrivés à terme, très peu d’expériences en article 60 donnent lieu à une embauche pérenne au sein de la même entreprise. D’autre part, les emplois étant essentiellement

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destinés à un public peu qualifié, cette mesure favorise l’intégration des personnes au profils plus manuels. Les réfugiés qui ne peuvent faire recon-naître leurs diplômes en Belgique ne se voient donc pas proposer des postes à la hauteur de leurs compétences.Il est difficile de mesurer, à ce stade, combien des plus de cinq mille Syriens arrivés depuis 2011 profitent de cette mesure de mise à l’emploi. Pour le public syrien, récemment arrivé, il faudra surement attendre que l’apprentissage des langues nationales du royaume se géné-ralise, avant que cette mesure ne puisse pleinement leur bénéficier.

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EN QUOI L'ÉCOLE DE FRANCAIS DU CIRÉ SE DISTINGUE-T-ELLE DES AUTRES ÉTABLISSEMENTS QUI PROPOSENT DES COURS DE FRANCAIS LANGUE ÉTRANGÈRE ?

Nous privilégions un public au statut précaire. Des demandeurs d’asiles qui n’ont pas encore de statut, des sans papiers, des personnes qui disposent d’une carte orange, des gens qui ont des titres de séjours d’autres pays européens mais qui ont fait le choix de vivre en Belgique... Ces gens là ne peuvent s’inscrire dans les établisse-ment de promotion sociale. À coté de ça, nous acceptons aussi les réfugiés reconnus qui ont un parcours très lourd. Ces personnes ont besoin d’un cadre plus rassurant. Nous offrons un accompagnement plus personnalisé. En marge des cours, les élèves peu-vent bénéficier de nos permanences

socio-juridiques s’ils ont des ques-tions sur le droit des étrangers par exemple. C’est un cadre plus social que d’autres écoles de langue.

VOTRE MÉTHODE EST DONC PLUS ADAPTÉE À CE PUBLIC ?

Tout à fait, les gens qui suivent les cours doivent avoir été scolarisé au moins jusqu’à la fin du secondaire inférieur, donc ils ne sont pas anal-phabètes mais parfois ils n’ont pas été à l’école depuis très longtemps. En conséquence, nous proposons un enseignement plus oral et pratique. Le but est de comprendre et se faire comprendre, pas d’intégrer des règles de grammaire. Le contenu est axé sur les compétences nécessaires pour se débrouiller seul en Belgique. Les élèves apprennent à demander leur chemin, remplir un formulaire admi-nistratif, rechercher un appartement en lisant des annonces et en téléphonant aux propriétaires. Une autre com-pétence sur laquelle nous insistons, c’est de pouvoir inviter quelqu’un à la maison pour boire un café. C’est très important pour l’intégration.

QUEL EST L'IMPACT DE LA SITUATION PERSON-NELLE DES ÉLÈVES SUR LEUR APPRENTISSAGE ?

Les élèves qui s’inscrivent chez nous sont très motivés. L’apprentissage du français est vital pour eux mais mal-gré ça, c’est rare qu’une personne suive tous les cours, de septembre à

juin. Il y a beaucoup d’irrégularité et d’instabilité dans la présence aux cours. Certains élèves disparaissent en cours d’année, d’autres manquent des cours pour des raisons liées à leur situation précaire : soit parce qu’ils ont besoin de travailler, soit parce qu’ils sont tellement pris par les démarches administratives par exemple. Le stress lié à leur vie privée peut aussi ralentir leur progrès. J’ai vu un réfugié syrien régresser car sa famille était coincée au Liban. Lorsqu’ils sont arrivés en Belgique, je pensais que ça irait mieux, mais non, la recherche d’une école pour les enfants et les autres démarches liées à leur arrivée l’empêchait de se concentrer sur ses cours de français.

DANS CES CAS, VOTRE RÔLE DE PROFES-SEUR SE CONFOND AVEC CELUI D'ASSIS-TANTE SOCIALE OU PSYCHOLOGIQUE ?

Je n’enseigne qu’aux débutants et je ne parle que français avec eux, donc nos échanges sont limités par la lan-gue. Si toutefois certaines difficultés ressortent lors des échanges dans les cours, je renvoie les élèves vers mes collègues spécialisés dans l’accompa-gnement social. Ce n’est pas évident, j’ai parfois l’impression de regarder des gens se noyer sans pouvoir aider. Les liens qui se créent au sein des groupes sont très importants. Les cours de français, c’est souvent un moment à part pour les élèves, un moment où ils peuvent se lâcher un peu, respirer.

Mathilde Chevrant enseigne le français aux débutants

de l’école de langue du CIRÉ. Chaque année, 250 élèves de 55 nationalités

différentes passent par les bancs de cet établissement.

Il s’agit le plus souvent d’un public vulnérable, issu de

situations très difficile.

INTERVIEW

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« NOS ÉLÈVES ONT ABSOLUMENTBESOIN D'APPRENDRE LE FRANCAIS,ILS N' ONT PAS LE CHOIX »

Mathilde Chevrant, professeure de français langue étrangèreau Ciré, dans sa salle de classe

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CPAS

Centre Public d'Action Sociale. Organisme public qui existe à l'échelle communale. Le CPAS a été mis en place par la loi organique du 8 juillet 1976, dont l'article premier annonce que « toute personne a le droit à l'aide sociale » afin de « mener une vie conforme à la dignité humaine ». Le CPAS est géré par un Conseil de l'Ac-tion Sociale dont les membres sont élus par le conseil communal.

PROMOTION SOCIALE

Réseau d'établissements de formation permanente pour adultes. Ces établisse-ments dispensent aussi bien des cours de langues que des formations techniques, ou des formations équivalentes à l'enseigne-ment primaire ou secondaire. Abordables et omniprésentes, ces écoles accueillent de nombreux réfugiés.

PARCOURS D'INTÉGRATION OU D'ACCUEIL

Parcours de formation et de sensibilisa-tion à destination des primo-arrivants. En Flandre, on parle de parcours d'in-tégration, ou Inburgering, tandis qu'en Wallonie on met l'accent sur l'accueil. Les modalités varient selon la région, mais les deux parcours contiennent une sensibilisation à la culture belge et un cours de langue.

GLOSSAIRE

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SOMMAIRE L'ÉMIGRATION AU COMPTE-GOUTTEDE LA FAMILLE AL SALALPetit à petit, cette famille de la province d’Alep se réunit à Bruxelles. Par tous les moyens possibles, elle tente d’échapper aux combats et au contrôle de l’État Islamique.

L'ACCUEIL, PREMIÈRE ÉTAPE DE LA VIE EN BELGIQUEDes centres d’accueil aux associations, en passant par les collectivités locales, de nombreux acteurs belges assurent un accueil digne aux candidats réfugiés.

MILITANT RÉVOLUTIONNAIRE CHERCHE HAVRE DE PAIX Recherché par le régime, menacé par les combat-tants islamistes, Iyas Kaadouni espérait trouver refuge en Belgique. Il y a obtenu la protection internationale, avec quelques complications.

ÊTRE RECONNU COMME RÉFUGIÉ,UNE FORMALITÉ QU'IL FAUT MÉRITERPour obtenir la protection internationale, il faut voyager jusqu’en Belgique. Ce voyage est cher et dangereux, sauf pour deux familles syriennes qui ont bénéficié d’une mobilisation citoyenne belge.

DES MONTAGNES DE LATTAQUIÉAU CANAL DE BRUXELLES, UNE FAMILLEFACE AU DÉRACINEMENTLa famille Suleiman a quitté son village de montagne dès le début du conflit. Si les enfants s’adaptent à la vie belge, les parents restent pri-sonniers de leur nostalgie.

LA LONGUE MARCHE DE L'INTÉGRATIONL’installation en Belgique passe par un parcours d’intégration sociale, l’apprentissage des langues, et l’insertion professionnelle. Elle exige patience et détermination.