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Leila Slimani - Dans le jardin de l'ogre.pdf

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  • LELA SLIMANI

    DANS LE JARDINDE LOGRE

    roman

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  • mes parents

  • Non ce nest pas moi. Cest quelquundautre qui souffre.Moi, je naurais pas pu souffrir autant.

    ANNA AKHMATOVA

    Requiem

    Le vertige, cest autre chose quela peur de tomber. Cest la voix duvide au-dessous de nous qui nousattire et nous envote, le dsir dechute dont nous nous dfendonsensuite avec effroi. Avoir le vertigecest tre ivre de sa propre faiblesse.On a conscience de sa faiblesse eton ne veut pas lui rsister, mais syabandonner. On se sole de sapropre faiblesse, on veut tre plusfaible encore, on veut scrouler enpleine rue aux yeux de tous, on veut

  • tre terre, encore plus bas queterre.

    MILAN KUNDERA

    Linsoutenable lgret de ltre

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  • Une semaine quelle tient. Une semainequelle na pas cd. Adle a t sage. Enquatre jours, elle a couru trente-deux kilo-mtres. Elle est alle de Pigalle aux Champs-lyses, du muse dOrsay Bercy. Elle acouru le matin sur les quais dserts. La nuit,sur le boulevard Rochechouart et la place deClichy. Elle na pas bu dalcool et elle sestcouche tt.

    Mais cette nuit, elle en a rv et na pas puse rendormir. Un rve moite, interminable,qui sest introduit en elle comme un souffledair chaud. Adle ne peut plus penser qua. Elle se lve, boit un caf trs fort dans lamaison endormie. Debout dans la cuisine,elle se balance dun pied sur lautre. Ellefume une cigarette. Sous la douche, elle a en-vie de se griffer, de se dchirer le corps endeux. Elle cogne son front contre le mur. Elle

  • veut quon la saisisse, quon lui brise le crnecontre la vitre. Ds quelle ferme les yeux,elle entend les bruits, les soupirs, les hurle-ments, les coups. Un homme nu qui halte,une femme qui jouit. Elle voudrait ntrequun objet au milieu dune horde, tre d-vore, suce, avale tout entire. Quon luipince les seins, quon lui morde le ventre.Elle veut tre une poupe dans le jardin dunogre.

    Elle ne rveille personne. Elle shabilledans le noir et ne dit pas au revoir. Elle esttrop nerveuse pour sourire qui que ce soit,pour entamer une conversation matinale.Adle sort de chez elle et marche dans lesrues vides. Elle descend les escaliers dumtro Jules-Joffrin, la tte basse, nauseuse.Sur le quai, une souris court sur le bout de sabotte et la fait sursauter. Dans la rame, Adleregarde autour delle. Un homme dans uncostume bon march lobserve. Il a deschaussures pointues mal cires et des mains

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  • poilues. Il est laid. Il pourrait faire laffaire.Comme ltudiant qui tient sa copine enlaceet lui dpose des baisers dans le cou. Commele cinquantenaire debout contre la vitre quilit sans lever les yeux vers elle.

    Elle ramasse sur le sige en face delle unjournal dat dhier. Elle tourne les pages. Lestitres se mlangent, elle narrive pas fixerson attention. Elle le repose, excde. Elle nepeut pas rester l. Son cur cogne dans sapoitrine, elle touffe. Elle desserre soncharpe, la fait glisser le long de son cou tr-emp de sueur et la pose sur un sige vide.Elle se lve, ouvre son manteau. Debout, lamain sur la poigne de la porte, la jambesecoue de tremblements, elle est prte sauter.

    Elle a oubli le tlphone. Elle se rassoit,vide son sac, fait tomber un poudrier, tire surun soutien-gorge dans lequel ses couteursse sont emmls. Pas prudent ce soutien-gorge, songe-t-elle. Elle na pas pu oublier le

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  • tlphone. Si elle la oubli, elle devra re-tourner la maison, trouver une excuse, in-venter quelque chose. Et puis, non, il est l.Il a toujours t l mais elle ne la pas vu. Ellerange son sac. Elle a limpression que tout lemonde la regarde. Que toute la rame semoque de sa panique, de ses joues brlantes.Elle ouvre le petit tlphone clapet et rit envoyant le premier nom.

    Adam.De toute faon, cest fichu.Avoir envie, cest dj cder. La digue est

    rompue. quoi servirait de se retenir ? Lavie nen serait pas plus belle. prsent, ellerflchit en opiomane, en joueuse de cartes.Elle est si satisfaite davoir repouss la tenta-tion pendant quelques jours, quelle en aoubli le danger. Elle se lve, soulve le lo-quet poisseux, la porte souvre.

    Station Madeleine.Elle traverse la foule qui avance comme

    une vague pour sengouffrer dans la rame.

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  • Adle cherche la sortie. Boulevard des Capu-cines, elle se met courir. Faites quil soit l,faites quil soit l. Devant les grands magas-ins, elle songe renoncer. Elle pourrait pren-dre le mtro ici, la ligne 9, qui lamnera dir-ectement au bureau, lheure pour larunion de rdaction. Elle tourne autour dela bouche de mtro, allume une cigarette.Elle serre son sac contre son ventre. Unebande de Roumaines la repre. Elles avan-cent vers elle, leur foulard sur la tte, uneptition bidon la main. Adle acclre lepas. Elle prend la rue Lafayette dans un tatsecond, se trompe de sens, revient en arrire.Rue Bleue. Elle compose le code et entredans limmeuble, monte les escaliers commeune forcene et tape la lourde porte, audeuxime tage.

    Adle... Adam sourit, les yeux gonflsde sommeil. Il est nu.

    Ne parle pas. Adle enlve sonmanteau et se jette sur lui. Sil te plat.

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  • Tu pourrais appeler... Il nest mme pashuit heures...

    Adle est dj nue. Elle lui griffe le cou, luitire les cheveux. Il se moque et sexcite. Il lapousse violemment, la gifle. Elle saisit sonsexe et se pntre. Debout contre le mur, ellele sent entrer en elle. Langoisse se dissout.Elle retrouve ses sensations. Son me psemoins lourd, son esprit se vide. Elle agrippeles fesses dAdam, imprime au corps delhomme des mouvements vifs, violents, deplus en plus rapides. Elle essaie darriverquelque part, elle est prise dune rage in-fernale. Plus fort, plus fort , se met-elle crier.

    Elle connat ce corps et a la contrarie.Cest trop simple, trop mcanique. La sur-prise de son arrive ne suffit pas sublimerAdam. Leur treinte nest ni assez obscne niassez tendre. Elle pose les mains dAdam surses seins, essaie doublier que cest lui. Elleferme les yeux et simagine quil loblige.

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  • Lui nest dj plus l. Sa mchoire se con-tracte. Il la retourne. Comme chaque fois, ilappuie sa main droite sur la tte dAdle, lapousse vers le sol, attrape sa hanche de lamain gauche. Il lui donne de grands coups, ilrle, il jouit.

    Adam a tendance semporter.Adle se rhabille et lui tourne le dos. Elle a

    honte quil la voie nue. Je suis en retard pour le travail. Je

    tappellerai. Comme tu veux , rpond Adam.Il fume une cigarette, adoss la porte de

    la cuisine. Il touche dune main le prservatifqui pend au bout de son sexe. Adle vite dele regarder.

    Je ne trouve plus mon charpe. Tu nelas pas vue ? Cest une charpe grise en ca-chemire, jy tiens beaucoup.

    Je vais la chercher. Je te la donnerai laprochaine fois.

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  • Adle prend un air dtach. Limportant,cest de ne pas donner limpression de sesentir coupable. Elle traverse lopen spacecomme si elle revenait dune pause-cigarette,sourit ses collgues et sassoit son bureau.Cyril sort la tte de sa cage de verre. Sa voixest couverte par le clapotis des claviers, lesconversations tlphoniques, les imprim-antes qui crachent des articles, les discus-sions autour de la machine caf. Il hurle.

    Adle, il est presque dix heures. Javais un rendez-vous. Oui, cest a. Tu as deux papiers en re-

    tard, je me fous de tes rendez-vous. Je lesveux dans deux heures.

    Tu vas les avoir, tes papiers. Jai pr-esque fini. Aprs le djeuner, cest bon ?

  • Y en a marre, Adle ! On ne va pas pass-er notre temps tattendre. On a un bouclage faire, merde !

    Cyril se laisse tomber sur sa chaise en agit-ant les bras.

    Adle allume son ordinateur et prend sonvisage dans ses mains. Elle na aucune idede ce quelle va crire. Elle naurait jamais dsengager faire ce papier sur les tensionssociales en Tunisie. Elle se demande ce quilui a pris de lever la main en confrence derdaction.

    Il faudrait quelle dcroche son tlphone.Quelle appelle ses contacts sur place. Quellepose des questions, quelle croise des inform-ations, quelle fasse cracher des sources. Ilfaudrait quelle ait envie, quelle croie autravail bien fait, la rigueur journalistiquedont Cyril leur rebat sans cesse les oreilles,lui qui est prt vendre son me pour unbon tirage. Elle devrait djeuner son

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  • bureau, le casque sur les oreilles, les mainssur le clavier souill de miettes. Grignoter unsandwich en attendant quune attache depresse trangle de suffisance la rappellepour exiger de relire son papier avantpublication.

    Adle naime pas son mtier. Elle haitlide de devoir travailler pour vivre. Elle najamais eu dautre ambition que dtre re-garde. Elle a bien essay dtre actrice. Enarrivant Paris, elle sest inscrite des courso elle sest rvle une lve mdiocre. Lesprofesseurs disaient quelle avait de beauxyeux et un certain mystre. Mais trecomdien, cest savoir lcher prise, ma-demoiselle. Elle a attendu longtemps chezelle que le destin se ralise. Rien ne sestpass comme elle lavait prvu.

    Elle aurait ador tre lpouse dun hommeriche et absent. Au grand dam des hordes en-rages de femmes actives qui lentourent,Adle aurait voulu traner dans une grande

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  • maison, sans autre souci que dtre belle auretour de son mari. Elle trouverait merveil-leux dtre paye pour son talent distraireles hommes.

    Son mari gagne bien sa vie. Depuis quilest entr lhpital Georges-Pompidou,comme praticien hospitalier en gastro-en-trologie, il multiplie les gardes et les rem-placements. Ils partent souvent en vacanceset louent un grand appartement dans lebeau 18e . Adle est une femme gte et sonmari est fier de penser quelle est trs in-dpendante. Elle trouve que ce nest pas as-sez. Que cette vie est petite, minable, sansaucune envergure. Leur argent a lodeur dutravail, de la sueur et des longues nuitspasses lhpital. Il a le got des reprocheset de la mauvaise humeur. Il ne lui autoriseni oisivet ni dcadence.

    Adle est entre au journal par piston.Richard est ami avec le fils du directeur depublication et il lui a parl delle. a ne la

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  • pas drange. Cest comme a pour tout lemonde. Au dbut, elle a voulu bien faire. Elletait excite lide de plaire son patron,de le surprendre par son efficacit, par sadbrouillardise. Elle a montr de lentrain,du culot, dcroch des interviews auxquellespersonne nosait rver dans la rdaction.Puis elle sest rendu compte que Cyril taitun type obtus, quil navait jamais lu un livreet quil tait bien incapable de juger de sontalent. Elle sest mise mpriser sescollgues, qui noyaient dans lalcool leursambitions perdues. Elle a fini par dtesterson mtier, ce bureau, cet cran, toute cetteparade idiote. Elle ne supporte plus dappel-er dix fois des ministres qui la rabrouent etfinissent par lui lcher des phrases aussicreuses que lennui. Elle a honte de prendreune voix mielleuse pour gagner les faveursdune attache de presse. Tout ce qui lui im-porte, cest la libert que le mtier de journ-aliste lui apporte. Elle gagne mal sa vie mais

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  • elle voyage. Elle peut disparatre, inventerdes rendez-vous secrets, ne pas avoir sejustifier.

    Adle nappelle personne. Elle ouvre undocument vide, elle est prte crire. Elle in-vente des citations de sources anonymes, lesmeilleures quelle connaisse. Une sourceproche du gouvernement , un habitu desarcanes du pouvoir . Elle trouve une bonneaccroche, fait un peu dhumour pour dis-traire le lecteur qui croit encore quil estvenu l pour avoir une information. Elle litquelques articles sur le sujet, les rsume, faitdu copier-coller. a lui prend peine uneheure.

    Ton papier, Cyril ! crie-t-elle en mettantson manteau. Je vais djeuner, on en parle mon retour.

    La rue est grise, comme fige par le froid.Les traits des passants sont tirs, les teintsverdtres. Tout donne envie de rentrer chez

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  • soi et de se coucher. Le clochard devant leMonoprix a bu plus que de coutume. Il dort,allong sur une bouche daration. Son pan-talon est baiss, on voit son dos et ses fessescouverts de crotes. Adle et ses collguesentrent dans une brasserie au sol pas net et,comme chaque fois, Bertrand dit, un peutrop fort : On avait promis quon neviendrait plus ici, le patron est un militant duFront national.

    Mais ils viennent quand mme, cause dufeu de chemine et du bon rapport qualit-prix. Pour ne pas sennuyer, Adle fait laconversation. Elle spuise raconter deschoses, ranimer des ragots oublis, poserdes questions ses collgues sur leurs pro-jets pour Nol. Le serveur vient prendre lacommande. Quand il leur demande ce quilsveulent boire, Adle propose du vin. Sescollgues remuent mollement la tte, ar-borent des mines coquettes, prtendentquils nont pas les moyens et que ce nest pas

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  • raisonnable. Cest moi qui vous loffre ,annonce Adle, dont le compte est d-couvert et qui, jamais, ses collgues nontmme offert un verre. Elle sen fiche. Main-tenant, cest elle qui mne la danse. Cest ellequi rgale et elle a le sentiment, aprs unverre de saint-estphe, dans cette odeur defeu de bois, quils laiment et quils lui sontredevables.

    Il est quinze heures trente quand ils quit-tent le restaurant. Ils sont un peu endormispar le vin, la nourriture trop riche et ce feudans la chemine qui a parfum leursmanteaux et leurs cheveux. Adle prend lebras de Laurent, dont le bureau est en facedu sien. Il est grand, maigre et ses faussesdents bon march lui donnent un sourirechevalin.

    Dans lopen space, personne ne travaille.Les journalistes somnolent derrire leurscrans. De petits groupes discutent au fond

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  • de la salle. Bertrand taquine une jeune stagi-aire qui a limprudence de shabiller commeune starlette des annes 50. Sur le reborddes fentres, des bouteilles de champagneprennent le frais. Tout le monde attendlheure raisonnable pour se soler, loin de safamille et de ses vrais amis. Au journal, le potde Nol est une institution. Un moment dedbauche programm, o il sagit daller leplus loin possible, de rvler son tre vraiaux collgues avec qui lon aura, ds le lende-main, des relations toutes professionnelles.

    Tout le monde dans la rdaction lignore,mais lanne prcdente, le pot de Nol a at-teint des sommets pour Adle. En une nuit,elle a assouvi un fantasme et perdu touteambition professionnelle. Dans la salle derunion des rdacteurs en chef, elle a couchavec Cyril sur la longue table en bois laqunoire. Ils ont beaucoup bu. Elle a pass lasoire prs de lui, riant ses blagues, profit-ant de nimporte quel moment o ils taient

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  • seuls pour lui lancer des regards timides etdune douceur infinie. Elle a fait semblantdtre la fois terriblement impressionne etterriblement attire par lui. Il lui a racont cequil avait pens delle la premire fois quillavait vue.

    Je tai trouve si fragile, si timide et bienleve...

    Un peu coince, tu veux dire ? Oui, peut-tre. Elle a pass ses lvres sur sa langue, trs

    vite, comme un petit lzard. Il en a t bou-levers. La salle de rdaction sest vide, etpendant que les autres rangeaient lesgobelets et les mgots parpills, ils ont dis-paru dans la salle de runion, ltage. Ils sesont jets lun sur lautre. Adle a dbouton-n la chemise de Cyril quelle trouvait si beauquand il ntait que son patron et quil luitait, dune certaine faon, interdit. Mais l,sur la table laque noire, il sest rvlbedonnant et maladroit. Jai trop bu , a-t-

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  • il dit pour sexcuser de bander mollement. Ilsest adoss la table, a pass sa main dansles cheveux dAdle et a pouss sa tte entreses cuisses. Son sexe au fond de la gorge, ellea rprim son envie de vomir et de mordre.

    Elle lavait dsir pourtant. Elle se rveil-lait tt chaque matin, pour se faire belle,pour choisir une nouvelle robe, dans lespoirque Cyril la regarde et fasse mme, dans sesbons jours, un discret compliment. Elle finis-sait ses articles en avance, proposait des re-portages au bout du monde, arrivait dansson bureau avec des solutions et jamais desproblmes, tout cela dans lunique but de luiplaire.

    quoi servait de travailler maintenantquelle lavait eu ?

    Ce soir, Adle se tient distance de Cyril.Elle se doute bien quil y pense mais leurs re-lations sont devenues trs froides. Elle napas support les textos idiots quil lui a

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  • envoys les jours suivants. Elle a hauss lespaules quand il lui a propos timidementdaller, un soir, dner au restaurant. quoibon, je suis marie et toi aussi. Nous neferions que nous faire souffrir, tu ne croispas ?

    Ce soir Adle na pas lintention de setromper de cible. Elle plaisante avec Ber-trand, qui la sole en lui dtaillant pour lanime fois sa collection de mangas japonais.Il a les yeux rouges, il vient sans doute defumer un joint et son haleine est encore plussche et acide que dhabitude. Adle faitbonne figure. Elle feint de supporter la docu-mentariste obse qui ce soir se permet unsourire, elle dont la bouche nexprimedhabitude que rles et soupirs. Adleschauffe. Le champagne coule flots grce un homme politique qui Cyril a offert unportrait logieux en Une du journal. Elle netient plus en place. Elle se sent belle et

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  • dteste lide que sa beaut soit inutile, quesa gaiet ne serve rien.

    Vous nallez pas rentrer ? On sort !Allez... , supplie-t-elle Laurent, le regardbrillant et si enthousiaste quil serait cruel delui refuser quoi que ce soit.

    Les gars, a vous dit ? demandeLaurent aux trois journalistes avec qui ildiscute.

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  • Dans cette semi-pnombre, la fentreouverte sur des nuages mauves, Adle re-garde lhomme nu. Le visage enfonc dansloreiller, il dort dun sommeil rassasi. Ilpourrait aussi bien tre mort, comme ces in-sectes que le cot tue.

    Adle sort du lit, les mains croises sur sesseins nus. Elle relve le drap sur le corps en-dormi, qui se recroqueville pour mieux serchauffer. Elle ne lui a pas demand songe. Sa peau lisse et grasse, la chambre debonne o il la emmene laissent supposerquil est plus jeune quil ne la prtendu. Il ades jambes courtes et des fesses de femme.

    Laube jette sa lumire froide sur lachambre en dsordre. Adle se rhabille. Ellenaurait pas d le suivre. linstant mme oil la embrasse, collant ses lvres mollescontre les siennes, elle a su quelle stait

  • trompe. Il ne saurait pas la remplir. Elleaurait d senfuir. Trouver une excuse pourne pas monter dans cette mansarde. Dire : On sest dj bien amuss, non ? Elleaurait d quitter le bar sans un mot, rsister ces mains qui lenlaaient, ce regard vit-reux, cette haleine lourde.

    Elle a manqu de courage.Ils ont mont lescalier en titubant.

    chaque marche, la magie se diluait, livressejoyeuse faisait place la nause. Il a com-menc se dshabiller. Elle sentait son curse serrer, seule face la banalit dune fer-meture clair, au prosasme dune paire dechaussettes, aux gestes maladroits dunjeune ivrogne. Elle aurait voulu dire : Ar-rte, ne parle plus, je nai plus envie de ri-en. Mais elle ne pouvait plus reculer.

    Couche sous son torse lisse, elle na rieneu dautre faire qu aller vite, simuler, enrajouter dans les cris pour quil se satisfasse,quil se taise, en finir. A-t-il seulement

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  • remarqu quelle fermait les yeux ? Elle fer-mait les yeux avec rage, comme si le voir ladgotait, comme si elle pensait dj auxprochains hommes, les vrais, les bons, ceuxdailleurs, ceux qui auraient enfin prise surson corps.

    Elle tire doucement la porte de lapparte-ment. Dans la cour de limmeuble, elle al-lume une cigarette. Encore trois bouffes etelle appellera son mari.

    Je ne te rveille pas ? Elle dit quelle a dormi chez son amie

    Lauren, qui habite deux pas du journal.Elle prend des nouvelles de son fils. Oui, lasoire sest bien passe , conclut-elle. Faceau miroir piqu du hall dimmeuble, elle lisseses traits et se regarde mentir.

    Dans la rue vide, elle entend ses proprespas. Elle pousse un cri quand un homme labouscule en courant pour attraper le bus quisapprte freiner. Elle rentre en marchant,pour faire passer le temps, pour tre sre de

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  • se rfugier dans un appartement vide, opersonne ne la questionnera. Elle coute dela musique et se fond dans un Paris gel.

    Richard a dbarrass le petit djeuner. Lestasses sales reposent dans lvier, une tartineest reste colle sur une assiette. Adle sas-soit sur le canap en cuir. Elle nenlve passon manteau, serre son sac contre sonventre. Elle ne bouge plus. La journe necommencera que quand elle aura pris sadouche. Quand elle aura lav sa chemise quisent le tabac froid. Quand elle cachera sescernes sous son maquillage. Pour linstant,elle repose dans sa crasse, suspendue entredeux mondes, matresse du temps prsent.Le danger est pass. Il ny a plus rien craindre.

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  • Adle arrive au journal, les traits tirs, labouche sche. Elle na rien mang depuis laveille. Il faut quelle avale quelque chosepour ponger sa peine et sa nause. Elle aachet un pain au chocolat sec et froid, dansla pire boulangerie du quartier. Elle croqueune bouche mais elle a du mal mcher.Elle voudrait se rouler en boule dans les toi-lettes et dormir. Elle a sommeil et elle ahonte.

    Alors, Adle ? Pas trop fatigue ? Bertrand se penche au-dessus de son bur-

    eau et lui lance un regard complice auquelelle ne ragit pas. Elle jette le pain au chocol-at dans la corbeille. Elle a soif.

    Tu tais en grande forme hier soir. Pastrop mal la tte ?

    a va, merci. Il me faut juste un caf.

  • Quand tu as un coup dans le nez, on adu mal te reconnatre. On te voit commea, petite princesse pince, avec sa petite viebien range. Tu es une sacre ftarde, en fait.

    Arrte. Tu nous as bien fait marrer. Et quelle

    danseuse ! Bon, Bertrand, il faut que je me mette

    au boulot. Moi aussi, jai une tonne de choses

    faire. Je nai presque pas dormi. Je suisvann.

    Bon courage, alors. Je ne tai pas vue partir hier soir. Le

    petit jeune, tu las ramen ? Tu as not sonprnom ou ctait juste comme a ?

    Et toi, tu les notes les prnoms desputes que tu montes dans ta chambre quandtu es en mission Kinshasa ?

    Oh a va ! On rigole, cest bon. Ton marine dit rien quand tu rentres quatre heuresdu matin, compltement bourre ? Il ne te

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  • pose pas de questions ? Moi ma femme feraita...

    Tais-toi , le coupe Adle. Le soufflecourt, les joues cramoisies, elle approche sonvisage de celui de Bertrand. Ne parle plusjamais de mon mari, tu mentends ?

    Bertrand recule, les deux paumes en lair.

    Adle sen veut davoir t imprudente.Elle naurait jamais d danser, se montrer siabordable. Elle naurait pas d sasseoir surles genoux de Laurent et raconter, la voixchevrotante et compltement ivre, unsombre souvenir denfance. Ils lont vuetapiner derrire le bar avec le jeune garon.Ils lont vue et ils ne la jugent pas. Cest bienpire. Ils vont croire prsent quune compli-cit est possible, que la familiarit est demise. Ils vont vouloir en rire avec elle. Leshommes vont croire quelle est coquine,leste, facile. Les femmes la traiteront deprdatrice, les plus indulgentes diront dellequelle est fragile. Ils auront tous tort.

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  • Samedi, Richard a propos daller au bordde la mer. On partira tt, Lucien pourradormir dans la voiture. Adle se rveilleaux aurores pour ne pas contrarier son mariqui veut viter les embouteillages. Elle pr-pare les sacs, habille son fils. La journe estfroide mais lumineuse, une journe qui r-veille les esprits, qui interdit toute lthargie.Adle est joyeuse. Dans la voiture, ragail-lardie par le fier soleil dhiver, elle fait mmela conversation.

    Ils arrivent lheure du djeuner. Les Par-isiens ont colonis les terrasses chauffesmais Richard a eu lintelligence de rserver.Le docteur Robinson ne laisse rien au has-ard. Il na pas besoin de lire la carte, il sait cedont il a envie. Il commande du vin blanc,des hutres, des bulots. Et trois solesmeunires.

  • On devrait faire a toutes les semaines !Le grand air pour Lucien, un dner enamoureux pour nous, cest parfait, non ? ame fait tellement de bien. Aprs la semaineque jai eue lhpital... Je ne tai pas dit,Jean-Pierre, le chef de service, ma demandsi je voulais faire une prsentation sur le casMeunier. videmment, je lui ai dit oui. Il medevait bien a. De toute faon, lhpital cestbientt derrire moi. Jai limpression de nejamais vous voir, le petit et toi. Ils mont re-contact pour la clinique Lisieux, ils at-tendent mon feu vert. Jai pris rendez-vouspour la maison Vimoutiers. On la visiterapendant les vacances chez mes parents. Ma-man est alle la voir, elle ma dit quelle taitparfaite.

    Adle a trop bu. Elle a les paupireslourdes. Elle sourit Richard. Elle se mordles joues pour se retenir de lui couper la pa-role et de changer de conversation. Luciensagite, il commence sennuyer. Il se

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  • balance sur sa chaise, attrape un couteau queRichard lui retire des mains puis il lance autravers de la table la salire quil a dvisse. Lucien, tu arrtes ! ordonne Adle.

    Lenfant plonge sa main dans son assietteet crase une carotte entre ses doigts. Il rit.

    Adle essuie la main de son fils. On de-mande laddition ? Tu vois bien quil nenpeut plus.

    Richard se ressert un verre. Pour la maison, tu ne mas pas dit ce que

    tu en pensais ? Je ne referai pas une autreanne lhpital. Paris nest pas fait pourmoi. Toi aussi dailleurs, tu dis que tu tennu-ies mourir au journal.

    Adle a les yeux rivs sur Lucien qui rem-plit sa bouche de menthe leau et crache surla table.

    Richard, dis-lui quelque chose ! hurleAdle.

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  • Quest-ce qui te prend ? Tu es folle ouquoi ? Tout le monde nous regarde, lui r-pond Richard qui la regarde, stupfait.

    Excuse-moi. Je suis fatigue. Tu nes pas capable de juste profiter

    dun bon moment ? Tu gches tout. Excuse-moi , rpte Adle, qui se met

    nettoyer la nappe en papier. Il sennuie, cepetit. Il a besoin de se dpenser, cest tout. Illui faudrait un petit frre ou une petite suret un grand jardin pour jouer.

    Richard lui sourit, conciliant. Quest-ce que tu as pens de lannonce ?

    Tu las aime cette maison, non ? Jai pens toi ds que je lai vue. Je veux quon changede vie. Je veux quon ait une putain de vie, tucomprends ?

    Richard prend son fils sur ses genoux et luicaresse les cheveux. Lucien ressemble sonpre. Les mmes cheveux blonds et fins, lamme bouche en forme de calisson. Ils rientbeaucoup tous les deux. Richard est fou de

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  • son fils. Parfois, Adle se demande sils ontvraiment besoin delle. Sils ne pourraientpas vivre heureux, tous les deux.

    Elle les regarde et comprend qu prsentsa vie sera toujours la mme. Elle soccuperade ses enfants, sinquitera de ce quils man-gent. Elle ira en vacances dans des lieux quileur plaisent, cherchera tous les week-ends les distraire. Comme les bourgeois du mondeentier, elle ira les chercher au cours de gui-tare, les emmnera au spectacle, lcole,cherchera tout ce qui peut les tirer vers lehaut . Adle espre que ses enfants ne luiressembleront pas.

    Ils rejoignent lhtel et sinstallent dansune chambre troite, en forme de cabine debateau. Adle naime pas cet endroit. Elle alimpression que les murs bougent et se rap-prochent, comme sils allaient lentementlcraser durant son sommeil. Mais elle a en-vie de dormir. Elle ferme les volets sur cette

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  • belle journe dont il faut profiter, installeLucien dans son lit pour la sieste et secouche. Elle a peine ferm les yeux quelleentend son fils lappeler. Elle ne bouge pas.Elle a plus de patience que lui, il finira par selasser. Il donne des coups dans la porte, elledevine quil est entr dans la salle de bains. Ilouvre le robinet. Emmne-le jouer. Onnest l que pour une journe, le pauvre. Jesors de deux jours de garde.

    Adle se lve, rhabille Lucien et laccom-pagne sur une petite aire de jeux, dans leprolongement de la plage. Il monte et des-cend sur les structures colores. Il glisse sansse lasser sur le toboggan. Adle a peur quilne tombe de la haute plate-forme surlaquelle les enfants se poussent et elle fait letour, pour pouvoir le rattraper.

    On rentre, Lucien ? Non, maman, pas maintenant , or-

    donne son fils.

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  • Le square est minuscule. Lucien arracheune voiture un petit garon qui se met pleurer. Rends-lui son jouet. Allez, viens,on va retrouver papa lhtel , le supplie-t-elle en le tirant par le bras. Non ! lui crieson fils qui se prcipite vers une balanoireet manque de sy fracasser la mchoire.Adle sinstalle sur un banc puis se relve. Si on allait sur la plage ? propose-t-elle. Ilne se fera pas mal sur le sable.

    Adle sassoit sur la plage glace. Elleprend Lucien entre ses jambes et se met creuser un trou. On va creuser si profondquon va trouver de leau, tu vas voir.

    Je veux leau ! senthousiasme Lucienqui lui chappe au bout de quelques minuteset se met courir vers les larges flaques quela mare basse a formes en se retirant. Len-fant tombe sur le sable, se relve et sautedans la boue. Lucien, reviens ! hurleAdle dune voix stridente. Lenfant se re-tourne et la regarde en riant. Il sassoit dans

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  • la flaque et plonge ses bras dans leau. Adlene se lve pas. Elle est furieuse. Il va tre tr-emp en plein mois de dcembre. Il va at-traper froid et elle devra sen occuper encoreplus quelle ne sen occupe maintenant. Ellelui en veut dtre aussi stupide, aussi incon-scient, aussi goste. Elle songe se lever, le ramener de force lhtel o elle de-mandera Richard de lui donner un bainchaud. Elle ne bouge pas. Elle ne veut pas leporter, lui qui est devenu si lourd et dont lesjambes muscles lui donnent des coups viol-ents quand il se dbat. Lucien, reviensimmdiatement ! hurle-t-elle sous les yeuxdune vieille dame mduse.

    Une femme blonde mal coiffe, vtue dunshort malgr la saison, prend la main de Lu-cien et le ramne sa mre. Son jean estrelev sur ses genoux potels, il est souriantet confus. Adle est encore assise quand ladame lui dit avec un fort accent anglais :

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  • Je crois que ce petit bout a envie de sebaigner.

    Merci , rpond Adle, humilie etnerveuse. Elle voudrait stendre sur le sable,relever son manteau sur son visage et aban-donner la partie. Elle na mme pas la forcede crier sur lenfant qui grelotte et la regardeen souriant.

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  • Lucien est un poids, une contrainte dontelle a du mal saccommoder. Adle narrivepas savoir o se niche lamour pour son filsau milieu de ses sentiments confus : paniquede devoir le confier, agacement de lhabiller,puisement de monter une pente avec sapoussette rtive. Lamour est l, elle nendoute pas. Un amour mal dgrossi, victimedu quotidien. Un amour qui na pas de tempspour lui-mme.

    Adle a fait un enfant pour la mme raisonquelle sest marie. Pour appartenir aumonde et se protger de toute diffrenceavec les autres. En devenant pouse et mre,elle sest nimbe dune aura de respectabilitque personne ne peut lui enlever. Elle sestconstruit un refuge pour les soirs dangoisseet un repli confortable pour les jours dedbauche.

  • Elle a aim tre enceinte. part les insomnies et les jambes lourdes,

    un petit mal de dos et les gencives quisaignaient, Adle a eu une grossesse parfaite.Elle a arrt de fumer, na pas bu plus dunverre de vin par mois et cette vie saine lacomblait. Pour la premire fois de sa vie, elleavait limpression dtre heureuse. Sonventre pointu lui donnait une cambrure gra-cieuse. Sa peau tait clatante et elle avaitmme laiss pousser ses cheveux quellecoiffait en les ramenant sur le ct.

    Elle en tait sa trente-septime semainede grossesse et la position couche tait dev-enue trs inconfortable. Cette nuit-l, elle adit Richard de sortir sans elle. Je ne boispas dalcool, il fait chaud. Je ne voisvraiment pas ce que je ferais cette fte. Vatamuser et ne tinquite pas pour moi.

    Elle sest couche. Les volets taient restsouverts et elle pouvait voir la foule marcher

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  • dans les rues. Elle a fini par se lever, fatiguede chercher le sommeil. Dans la salle debains, elle sest asperg le visage deau glaceet sest longuement observe. Elle baissait lesyeux vers son ventre, revenait vers sonvisage. Redeviendrai-je un jour celle quejtais avant ? Elle avait la sensation aigude sa propre mtamorphose. Elle nauraitpas pu dire si cela la rjouissait ou si elle enconcevait de la nostalgie. Mais elle savait quequelque chose mourait en elle.

    Elle stait dit quun enfant la gurirait.Elle stait convaincue que la maternit taitla seule issue son mal-tre, la seule solutionpour briser net cette fuite en avant. Elle sytait jete comme un patient finit par ac-cepter un traitement indispensable. Elleavait fait cet enfant ou, plutt, cet enfant luiavait t fait sans quelle y oppose de rsist-ance, dans lespoir fou que cela lui seraitbnfique.

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  • Elle na pas eu besoin de faire de test degrossesse. Elle a tout de suite su mais nen arien dit personne. Elle tait jalouse de sonsecret. Son ventre grossissait et elle con-tinuait de nier mollement larrive dun en-fant. Elle craignait que son entourage negche tout par la banalit de leurs ractions,la vulgarit de leurs gestes, mains tenduesvers le bas de son ventre pour en soupeser larondeur. Elle se sentait seule, surtout auprsdes hommes, mais cette solitude ne lui pesaitpas.

    Lucien est n. Elle sest vite remise fumer. A recommenc boire presque in-stantanment. Lenfant contrariait sa paresseet pour la premire fois de sa vie, elle se voy-ait contrainte de soccuper de quelquundautre que delle-mme. Elle aimait cet en-fant. Elle vouait au nourrisson un amourphysique intense et malgr tout insuffisant.Les journes la maison lui semblaient in-terminables. Parfois, elle le laissait pleurer

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  • dans sa chambre et se couvrait la tte dunoreiller en cherchant le sommeil. Elle sanglo-tait devant la chaise haute macule dali-ments, face un enfant triste qui ne voulaitpas manger.

    Elle aime le serrer contre elle, nu, avant dele dposer dans son bain. Elle adore le berceret le regarder sombrer dans le sommeil, ivrede sa tendresse. Depuis quil a abandonnson lit barreaux pour un lit denfant,elle sest mise dormir avec lui. Elle quittesans bruit la chambre conjugale et se glissedans le lit de son fils qui laccueille engrognant. Elle place son nez dans sescheveux, dans son cou, dans la paume de samain et respire son odeur rance. Ellevoudrait tant que cela la comble.

    La grossesse la abme. Elle a limpressionden tre sortie laide, molle, vieillie. Elle acoup ses cheveux court et il lui semble queles rides, dsormais, lui rongent le visage. trente-cinq ans, Adle na pourtant pas cess

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  • dtre une belle femme. Lge la mme ren-due plus forte, plus intrigante, plus magis-trale. Ses traits se sont durcis mais son re-gard dlav a gagn en puissance. Elle estmoins hystrique, moins survolte. Des an-nes de tabac ont tempr la voix aigu dontson pre se moquait. Sa pleur est devenueintense et on pourrait presque dessiner,comme sur un calque, les mandres de sesveines sur ses joues.

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  • Ils sortent de la chambre. Richard tireAdle par le bras. Ils restent quelquesminutes figs derrire la porte et coutent leshurlements de Lucien qui les supplie de re-venir. Le cur lourd, ils marchent vers lerestaurant o Richard a rserv une table.Adle a voulu se faire belle puis elle a renon-c. En rentrant de la plage, elle avait froid.Elle na pas eu le courage dter ses vte-ments, de mettre la robe et la paire de talonsquelle a apportes. Aprs tout, ils ne sontque tous les deux.

    Dans la rue, ils marchent vite, lun ctde lautre. Ils ne se touchent pas. Sembras-sent peu. Leurs corps nont rien se dire. Ilsnont jamais eu lun pour lautre dattiranceni mme de tendresse, et dune certainefaon cette absence de complicit charnelleles rassure. Comme si cela prouvait que leur

  • union tait au-dessus des contingences ducorps. Comme sils avaient dj fait le deuilde quelque chose dont les autres couples nese dferont qu contrecur, dans les cris etles larmes.

    Adle ne se souvient pas de la dernire foisquelle a fait lamour avec son mari. Ctaiten t sans doute. Un aprs-midi. Ils ont prislhabitude de ces temps morts, de ces nuitsqui se suivent se souhaiter de beaux rvesen se tournant le dos. Mais toujours, la gne,une aigreur finissent par flotter au-dessusdeux. Adle ressent alors lobligationtrange de briser le cycle, de reprendre corpsavec lui pour pouvoir de nouveau sen pass-er. Elle y pense pendant des jours comme un sacrifice auquel il faut consentir.

    Ce soir, les conditions sont runies.Richard a un regard gras et un peu honteux.Il a des gestes maladroits. Il fait remarquer Adle quelle est en beaut. Elle propose decommander une bonne bouteille de vin.

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  • Ds lentre, Richard reprend la conversa-tion interrompue midi. Entre deuxbouches, il rappelle Adle les promessesquils se sont faites, il y a neuf ans, au mo-ment de leur mariage. Profiter de Parisautant que leur jeunesse et leurs moyens leleur permettraient, puis repartir en province larrive des enfants. Quand Lucien est n,Richard lui a accord un sursis. Elle a dit : Dans deux ans. Les deux ans sont passsdepuis longtemps et cette fois, il ne cderapas. Na-t-elle pas rpt des dizaines de foisquelle voulait quitter la rdaction, se con-sacrer autre chose, lcriture peut-tre, sa famille ? Est-ce quils ntaient pas dac-cord sur le fait quils taient fatigus dumtro, des embouteillages, de la vie chre, dela course contre la montre ? Devant lin-diffrence dAdle, qui se tait et touche peine son plat, Richard ne faiblit pas. Ilabat sa dernire carte.

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  • Je voudrais un deuxime enfant. Unepetite fille, ce serait merveilleux.

    Adle, qui lalcool a coup lapptit, amaintenant envie de vomir. Elle a limpres-sion que son ventre est gonfl, prt dbor-der. La seule chose qui pourrait la soulagerserait de se coucher, de ne plus faire un gesteet de laisser le sommeil lenvahir.

    Tu peux finir mon plat si tu veux. Je suisincapable davaler une bouche de plus.

    Elle pousse son assiette vers Richard.Il commande un caf. Tu ne veux rien, tu

    es sre ? Il accepte larmagnac que le pat-ron tient lui offrir, et continue parlerdenfants. Adle est furieuse. La soire luisemble interminable. Si seulement ilchangeait de sujet.

    Sur la route de lhtel, Richard est un peusol. Il fait rire Adle en se mettant courirdans la rue. Ils entrent dans leur chambresur la pointe des pieds. Richard paie la baby-

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  • sitter. Adle sassoit sur le lit et retire lente-ment ses chaussures.

    Il nosera pas.Et pourtant, si.Ses gestes ne trompent pas. Ce sont tou-

    jours les mmes.Il arrive dans son dos.Le baiser dans le cou.Cette main sur la hanche.Et puis ce murmure, ce gmissement quil

    accompagne dun sourire suppliant.Elle se tourne, ouvre la bouche dans

    laquelle la langue de son mari senfonce.Pas de prliminaires.Finissons-en, pense-t-elle en se dshabil-

    lant, seule, de son ct du lit.On y retourne. Lun contre lautre. Ne pas

    cesser de sembrasser, faire comme si ctaitvrai. Poser sa main sur sa taille, sur son sexe.Il la pntre. Elle ferme les yeux.

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  • Elle ne sait pas ce qui fait plaisir Richard.Ce qui lui fait du bien. Elle ne la jamais su.Leurs treintes ignorent toute subtilit. Lesannes nont pas amen plus de complicit,elles nont pas mouss la pudeur. Les gestessont prcis, mcaniques. Droit au but. Ellenose pas prendre son temps. Elle nose pasdemander. Comme si la frustration risquaitdtre si violente quelle pourrait ltrangler.

    Elle ne fait pas de bruit. Elle aurait horreurde rveiller Lucien, quil surprenne cettesituation grotesque. Elle colle sa bouchecontre loreille de Richard, gmit un peupour se donner bonne conscience.

    Cest dj fini.Il se rhabille tout de suite. Reprend imm-

    diatement ses esprits. Allume la tlvision.Il na jamais eu lair de se soucier de la

    solitude dans laquelle il abandonne safemme. Elle na rien ressenti, rien. Elle ajuste entendu des bruits de ventouse, detorses qui se collent, de sexes qui se croisent.

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  • Et puis, un grand silence.57/325

  • Les amies dAdle sont belles. Elle a la sa-gesse de ne pas sentourer de filles moins jol-ies quelle. Elle ne veut pas avoir sinquiterdattirer lattention. Elle a rencontr Laurenlors dun voyage de presse en Afrique. Adlevenait dentrer au journal et ctait lapremire fois quelle accompagnait un min-istre en voyage officiel. Elle tait nerveuse.Sur le tarmac de Villacoublay, o un avion dela Rpublique franaise les attendait, elle atout de suite remarqu Lauren, son mtrequatre-vingts, ses cheveux blancs et mous-seux, son visage de chat gyptien. Laurentait dj une photographe aguerrie, unespcialiste de lAfrique qui avait cumtoutes les villes du continent et qui vivaitseule, dans un studio, Paris.

    Dans lavion, ils taient sept. Le ministre,un type sans grand pouvoir mais dont les

  • multiples revirements, les affaires de corrup-tion et les coucheries avaient suffi faire unpersonnage important. Un conseiller tech-nique rieur, sans doute alcoolique, toujoursprt raconter une anecdote graveleuse. Ungarde du corps discret, une attache depresse trop blonde et trop bavarde. Unjournaliste maigre et laid, gros fumeur,rigoureux, qui avait gagn plusieurs prixdans le quotidien o il travaillait et dont ilfaisait rgulirement la Une.

    Le premier soir, Bamako, elle a couchavec le garde du corps qui, sol et exalt parle dsir dAdle, sest mis danser torse nudans la bote de nuit de lhtel, son Berettacoinc dans la ceinture de son pantalon. Ledeuxime soir, Dakar, elle a suc le con-seiller de lambassadeur de France dans lestoilettes, sclipsant dun cocktail mourirdennui, o des expatris franais bats sefrottaient au ministre en engloutissant despetits-fours.

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  • Le troisime soir, sur la terrasse de lhtelen bord de mer de Praia, elle a commandune caipirinha et sest mise plaisanter avecle ministre. Elle sapprtait proposer unbain de minuit quand Lauren sest assise ct delle. Demain, on ira faire de bellesphotos, tu veux ? a pourra taider pour tonarticle. Tu las commenc ? Tu as choisi unangle ? Quand Lauren lui a propos de lac-compagner dans sa chambre pour luimontrer quelques photos, Adle a pensquelles allaient coucher ensemble. Elle sestdit quelle ne voulait pas faire lhomme,quelle ne lui lcherait pas le sexe, quelle selaisserait seulement faire.

    Les seins. Elle pourrait lui toucher lesseins, ils avaient lair tendre et moelleux, ilsavaient lair doux, ses seins. Elle naurait pasde scrupule y goter. Mais Lauren ne sestpas dshabille. Elle na pas non plus montrses photos. Elle sest allonge sur le lit et ellea parl. Adle sest couche auprs delle et

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  • Lauren sest mise lui caresser les cheveux.La tte sur lpaule de celle qui tait en trainde devenir son amie, Adle sest sentiepuise, totalement vide. Avant de sen-dormir, elle a eu lintuition que Laurenvenait de la sauver dun grand malheur et luien a vou une immense gratitude.

    Ce soir, Adle attend boulevard Beau-marchais, devant la galerie o sont exposesdes photos de son amie. Elle a prvenuLauren : Je ne rentre pas tant que tu nespas l.

    Elle sest force venir. Elle aurait aimrester chez elle mais elle sait que Lauren luien veut. Elles ne se sont pas vues depuis dessemaines. Adle a annul des dners audernier moment, elle a trouv des excusespour ne pas aller boire un verre. Elle se sentdautant plus coupable quelle a demand de nombreuses reprises son amie de lacouvrir. Elle lui a envoy des messages en

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  • pleine nuit pour la prvenir : Si Richardtappelle, surtout ne rponds pas. Il penseque je suis avec toi. Lauren na jamais r-pondu mais Adle sait que ce rle finit parlagacer.

    En ralit, Adle lvite. La dernire foisquelles se sont retrouves, pour lanniver-saire de Lauren, elle tait pourtant dcide bien se tenir, tre une amie parfaite etgnreuse. Elle la aide prparer la fte.Elle sest occupe de la musique et elle amme achet des bouteilles de ce champagnedont Lauren raffole. minuit, Richard aquitt lappartement en sexcusant. Il fautbien que quelquun se dvoue pour librer lababy-sitter.

    Adle sennuyait. Elle passait de pice enpice, quittant une personne au milieu dunephrase, incapable dtre attentive quoi quece soit. Elle sest mise rire avec un hommeen costume lgant et elle lui a demand, lesyeux brillants, de lui servir un verre. Il a

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  • hsit. Il regardait autour de lui avec nervos-it. Elle na compris son embarras que quandsa femme est arrive, furieuse, vulgaire. Ellea attaqu Adle : a va ? Tu te calmes,daccord ? Il est mari. Adle a clat dunrire moqueur et lui a rpliqu : Mais je suismarie moi aussi. Vous navez aucune raisonde vous inquiter. Elle sest loigne,tremblante, glace. Elle tentait de masquerpar un sourire le trouble dans lequel cettefemme revche lavait plonge.

    Elle sest rfugie sur le balcon o Mat-thieu fumait une cigarette. Matthieu, legrand amour de Lauren, son amant qui laberce dillusions depuis dix ans et dont ellepense encore quil finira par lpouser et luifaire des enfants. Adle lui a racont lincid-ent avec la femme jalouse et il a dit quilcomprenait quon puisse se mfier delle. Ilsne se sont plus quitts des yeux. deuxheures du matin, il la aide enfiler sonmanteau. Il lui a propos de la raccompagner

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  • en voiture et Lauren a dit, un peu due : Cest vrai que vous tes voisins.

    Au bout de quelques mtres, Matthieusest gar dans une rue adjacente auboulevard Montparnasse et il la dshabille. Jen ai toujours eu envie. Il a saisi leshanches dAdle et il a pos sa bouche surson sexe.

    Le lendemain Lauren la appele. Elle a de-mand si Matthieu avait parl delle, sil luiavait dit pourquoi il navait pas voulu passerla nuit chez elle. Adle a rpondu : Il naparl que de toi. Tu sais bien que tulobsdes.

    Un dluge de doudounes jaillit de la sta-tion de mtro Saint-Sbastien-Froissart. Desbonnets gris, des ttes baisses, des paquetsqui se balancent dans les mains de femmesqui ont lge dtre grand-mres. Dans lesarbres, des boules de tailles et de couleursmodestes ont lair de crever de froid. Lauren

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  • agite le bras. Elle porte un long manteaublanc en cachemire, doux et chaud. Viens,jai beaucoup de monde te prsenter , dit-elle en entranant Adle par la main.

    La galerie comprend deux salles contigus,assez petites et entre lesquelles on a disposun buffet de dernire minute, compos degobelets en plastique, de chips et decacahutes dans des assiettes en carton.Lexposition est consacre lAfrique. Adlesarrte peine sur les photos de trainsbonds, de villes touffes de poussire,denfants rieurs et de vieux pleins de dignit.Elle aime les photos de Lauren, prises dansles maquis dAbidjan et de Libreville. On yvoit des couples enlacs et transpirants, ivresde danse et de bires de bananes. Deshommes en chemises manches courtes,kaki ou jaune ple, tiennent par la main desfilles voluptueuses, aux cheveux longs etnatts.

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  • Lauren est occupe. Adle boit deuxcoupes de champagne. Elle est agite. Elle alimpression que tout le monde voit quelleest seule. Elle sort son portable de sa poche,fait semblant denvoyer un message. QuandLauren lappelle, elle remue la tte et montrela cigarette quelle tient entre ses doigtsgants. Elle na pas envie de rpondre auxgens qui lui demandent ce quelle fait dans lavie. Elle sennuie davance en pensant cesartistes sans le sou, ces journalistesdguiss en pauvres, ces blogueurs qui ontdes avis sur tout. Faire la conversation luiparat insoutenable. tre juste l, effleurer lanuit, se perdre en banalits. Rentrer chez soi.

    Dehors, un vent glacial, mouill, lui brlele visage. Cest peut-tre pour a quils nesont que deux fumer leur cigarette sur letrottoir. Le fumeur est petit mais a despaules rassurantes. Ses yeux gris et troitsse posent sur Adle. Elle le fixe avec assur-ance, sans baisser les yeux. Adle avale un

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  • fond de champagne qui lui assche la langue.Ils boivent et ils parlent. Des banalits, dessourires entendus, des insinuations faciles.La plus belle des conversations. Il lui fait descompliments, elle rit doucement. Il lui de-mande son nom, elle refuse de le dire et cetteparade amoureuse, douce et banale, luidonne envie de vivre.

    Tout ce quils disent ne sert qu une seulechose : en arriver l. L, dans cette petiteruelle o Adle est colle une poubelleverte. Il a dchir son collant. Elle pousse depetits gmissements, jette sa tte en arrire.Il introduit ses doigts en elle, pose son poucesur son clitoris. Elle ferme les yeux pour nepas croiser le regard des passants. Elle at-trape le poing de lhomme, fin et doux et ellelenfonce en elle. Il se met gmir lui aussi,sabandonnant au dsir inespr dunefemme inconnue, un jeudi soir de dcembre.Exalt, il en veut plus. Il lui mord le cou, laramne vers lui, il pose la main sur la

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  • ceinture de son pantalon et commence d-grafer sa braguette. Il est dcoiff, ses yeuxse sont largis prsent, il a un regard daf-fam comme sur les photos de la galerie.

    Elle recule, lisse sa jupe. Il passe une maindans ses cheveux et reprend ses esprits. Il luidit quil nhabite pas loin, vraiment, prsde la rue de Rivoli . Elle ne peut pas. Ctait dj bien.

    Adle retourne vers la galerie. Elle a peurque Lauren ne soit partie, peur de devoirrentrer seule. Elle aperoit le manteau blanc.

    Ah, tu es l. Lauren, raccompagne-moi chez moi. Tu

    sais que jai peur. Toi, tu marches seule lanuit. Tu nas peur de rien.

    Allez, avance. Donne-moi ta cigarette. Elles marchent, colles lune lautre, sur

    le boulevard Beaumarchais. Pourquoi tu ne las pas suivi ? demande

    Lauren.

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  • Il faut que je rentre chez moi. Richardmattend, je lui ai dit que je ne tarderais pas.Non, je ne veux pas aller par l, dit-ellebrusquement, alors quelles arrivent sur laplace de la Rpublique. Il y a des rats dansles buissons. Des rats gros comme des petitschiens, je tassure.

    Elles remontent les Grands Boulevards. Lanuit devient plus noire et Adle perd en as-surance. Lalcool la rend paranoaque. Tousles hommes les regardent. Devant lesvendeurs de kebab, trois types leur lancentun Salut les filles ! qui la fait sursauter.Des bandes sortent de botes de nuit et dupub irlandais, titubants, rigolards et un peuagressifs. Adle a peur. Elle voudrait tre aulit avec Richard. Les portes et les fentresfermes. Lui ne permettrait pas a. Il ne lais-serait personne lui faire du mal, il saurait ladfendre. Elle acclre le pas, tire Lauren parle bras. Le plus vite possible, tre la mais-on, au chevet de Richard, sous son regard

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  • tranquille. Demain, elle prparera dner.Elle rangera la maison, elle achtera desfleurs. Elle boira du vin avec lui, elle lui ra-contera sa journe. Elle fera des projets pourle week-end. Elle sera conciliante, douce,servile. Elle dira oui tout.

    Pourquoi as-tu pous Richard ? lui de-mande Lauren, comme si elle devinait sespenses. Tu tais amoureuse de lui, tu ycroyais ? Je narrive pas comprendre com-ment une femme comme toi a pu se mettredans cette situation. Tu aurais pu garder talibert, vivre ta vie comme tu lentends, sanstous ces mensonges. a me parat...aberrant.

    Adle regarde Lauren avec tonnement.Elle est incapable de saisir ce que son amielui dit.

    Je lai pous parce quil me la de-mand. Cest le premier et le seul ce jour. Ilavait des choses moffrir. Et puis, ma mre

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  • tait si contente. Un mdecin, tu te rendscompte ?

    Tu es srieuse ? Je ne vois pas pourquoi je devrais rester

    seule. Indpendante, ce nest pas seule. Comme toi, cest a ? Adle, je ne tai pas vue depuis des se-

    maines et tu as d passer peine cinqminutes avec moi ce soir. Je ne suis quunalibi. Tu fais nimporte quoi.

    Je nai pas besoin dalibi... Si tu ne veuxpas me rendre service, je trouverai unesolution.

    Tu ne peux pas continuer comme a. Tuvas te faire prendre. Et jen ai assez de devoirregarder ce pauvre Richard dans les yeuxpour lui dbiter des mensonges.

    Un taxi ! Adle se prcipite sur lachausse et arrte la voiture. Merci davoirmarch avec moi. Je tappelle.

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  • Adle entre dans le hall de son immeuble.Elle sassoit sur les escaliers, sort de son sacune paire de collants neufs et les enfile. Ellesessuie le visage, le cou, les mains avec deslingettes pour enfant. Elle se coiffe. Ellemonte.

    Le salon est plong dans le noir. Elle saitgr Richard de ne pas lavoir attendue. Elleenlve son manteau et ouvre la porte de lachambre. Adle ? Cest toi ? Oui,rendors-toi. Richard se tourne. Il tend lamain dans le vide, essaie de la toucher. Jarrive.

    Il na pas ferm les volets et alors quelle seglisse dans le lit, Adle peut voir les traitsapaiss de son mari. Il lui fait confiance.Cest aussi simple et aussi brutal que cela.Sil se rveillait, verrait-il sur elle les tracesque cette nuit a laisses ? Sil ouvrait lesyeux, sil se rapprochait delle, sentirait-ilune odeur suspecte, lui trouverait-il un aircoupable ? Adle lui en veut de sa navet,

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  • qui la perscute, qui alourdit sa faute et larend plus mprisable encore. Elle voudraitgriffer ce visage lisse et tendre, ventrer cesommier rassurant.

    Elle laime pourtant. Elle na que lui aumonde.

    Elle se convainc que ctait sa dernirechance. Quon ne ly reprendra plus. Quelledormira dsormais dans ce lit la consciencetranquille. Il pourra bien la regarder, il nyaura rien voir.

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  • Adle a bien dormi. La couette ramenesur le menton, elle raconte Richard quellea rv de la mer. Pas la mer de son enfance,verdtre et vieille, mais la mer, la vraie, celledes lagons, des calanques et des pins para-sols. Elle tait couche sur une surface dureet brlante. Un rocher peut-tre. Elle taitseule et avec prcaution, avec pudeur, elleenlevait son soutien-gorge. Les yeux mi-clos,elle se tournait vers le large et des milliersdtoiles, reflets du soleil sur leau, lemp-chaient dcarter les paupires. Et dans cerve, je me disais : souviens-toi de ce jour.Souviens-toi comme tu as t heureuse.

    Elle entend le pas de son fils sur le par-quet. La porte de la chambre souvre lente-ment et apparat le visage rond et gonfl deLucien. Maman , gmit-il en se grattantles yeux. Il monte dans le lit et lui,

  • dhabitude si rtif aux caresses, si brutal,pose sa tte sur lpaule dAdle. Tu as biendormi, mon amour ? demande-t-elledoucement, avec une infinie prcaution,comme si elle craignait que la moindre mal-adresse ne vienne briser ce moment de grce. Oui, jai bien dormi.

    Elle se lve, lenfant dans les bras, et se di-rige vers la cuisine. Elle est exalte, commele sont les imposteurs quon na pas encoredmasqus. Pleine de la gratitude dtreaime, et ttanise lide de tout perdre. Ri-en, prsent, ne lui semble plus prcieuxque le bruit rassurant du rasoir lectrique aufond du couloir. Rien ne lui semble valoir lapeine de mettre en danger les matins dansles bras de son fils, cette tendresse, ce besoinquil a delle et que personne dautre naura.Elle prpare des crpes. Change rapidementla nappe quelle a laisse sur la table depuisune semaine, malgr la tache jaune aucentre. Elle prpare du caf pour Richard et

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  • sassoit ct de Lucien. Elle le regardecroquer dans la crpe, sucer ses doigts pleinsde confiture.

    En attendant que son mari sorte de la sallede bains, elle dplie une feuille en papier etcommence une liste. Des choses faire, rattraper surtout. Elle a les ides claires. Elleva nettoyer le quotidien, se dbarrasser, une une, de ses angoisses. Elle va remplir sondevoir.

    Quand elle arrive au journal, lopen spaceest presque vide. Il ny a que Clmence, quide toute faon a lair dhabiter ici. Dailleurselle porte toujours les mmes vtements.Adle se sert un caf et range son bureau.Elle jette les paquets darticles quelle a im-prims, les invitations des vnements quiont dj eu lieu. Elle classe dans de petitsdossiers vert et bleu les documents qui luiparaissent intressants mais qu coup srelle ne consultera plus jamais. Lesprit clair,

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  • la conscience apaise, elle se met au travail.Elle compte un, deux, trois , pour vaincresa rpugnance appeler les gens et com-mence tlphoner. Rappelez plus tard. Ah non, pour ce genre de demande il fautenvoyer un mail. Quoi ? Quel journal ?Non, je nai rien dire. Elle se cogne auxobstacles, les affronte bravement. Elle re-tourne au combat chaque fois, repose lesquestions auxquelles on refuse de lui rpon-dre. Elle insiste. Quand elle narrive plus crire, elle marche dans le long couloir quimne vers une petite cour intrieure. Ellesort fumer une cigarette, ses notes la main,et rpte haute voix son accroche et sachute.

    seize heures, son article est termin. Ellea trop fum. Elle nest pas satisfaite. Dans lardaction, tout le monde sanime. Cyril estexalt. Un truc pareil, a nest jamais arriven Tunisie. Je te le dis, a va dgnrer. Cettehistoire va finir dans le sang. Elle sapprte

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  • envoyer son papier au rdacteur en chefquand son tlphone se met vibrer. Le tl-phone blanc. Elle le cherche au fond de sonsac. Louvre.

    Adle, je narrte pas de penser toi, cette nuit magique. Il faut quon se revoie. Jeserai Paris la semaine prochaine, on pour-rait prendre un verre ou dner, comme tuvoudras. a ne peut pas sarrter l.Nicolas.

    Elle efface immdiatement le message.Elle est furieuse. Elle a rencontr ce typependant un colloque Madrid, il y a un mois.Personne navait envie de travailler. Lesjournalistes ne pensaient qu profiter delalcool gratuit et de leurs chambres de luxepayes par un think-tank aux financementsopaques. Elle a suivi Nicolas dans sachambre, vers trois heures du matin. Il avaitun nez busqu et de trs beaux cheveux. Ilsont fait lamour, btement. Il narrtait pas

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  • de la pincer, de la mordre. Elle ne lui a pasdemand de mettre de prservatif. Elle taitsole, cest vrai, mais elle la laiss la sodom-iser sans prservatif.

    Le lendemain matin, dans le hall de lhtel,elle sest montre glaciale. Elle na pas dit unmot dans la voiture qui les menait laro-port. Il semblait surpris, dboussol. Il napas eu lair de comprendre quil la dgotait.

    Elle lui a donn son numro. Sans savoirpourquoi, elle lui a donn le numro du tl-phone blanc quelle rserve dhabitude ceuxquelle veut revoir. Tout coup, elle se souvi-ent quelle lui a dit o elle habitait. Ils ontparl de son quartier et il a prcis : Jad-ore le 18e.

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  • Adle na pas envie daller ce dner. Elle aeu du mal choisir sa tenue, ce qui auguredune mauvaise soire. Ses cheveux sontternes, sa peau est plus ple que jamais. Ellereste enferme dans la salle de bains et r-pond mollement quand Richard la presse.Derrire la porte, elle lentend discuter avecla baby-sitter. Lucien dort dj.

    Adle a fini par shabiller en noir. Cest unecouleur quelle ne portait jamais quand elletait plus jeune. Sa garde-robe taitfantasque, elle allait du rouge lorange vif,des jupes jaune citron aux escarpins bleulectrique. Depuis quelle fane et que sonclat lui semble disparu, elle prfre desteintes sombres. Elle ajoute de gros bijouxsur ses pulls gris et ses cols rouls noirs.

    Ce soir, elle choisit un pantalon dhommeet un pull chancr dans le dos. Elle souligne

  • ses yeux verts, couleur dtang japonais, duntrait de crayon turquoise. Elle a mis du rouge lvres puis la effac. Elle garde autour dela bouche une trace rougetre comme si onvenait de lembrasser goulment. travers laporte, elle entend la voix de Richard qui de-mande gentiment : Tu es bientt prte ? Elle sait quil sourit la baby-sitter lair dedire ah, ce que les femmes sontcoquettes . Adle est prte mais elle veutquil lattende. Elle tend une serviette sur lesol de la salle de bains et se couche. Elle fer-me les yeux et fredonne une chanson.

    Richard lui parle sans cesse de XavierRanon, lhomme chez qui ils sont convis.Xavier est un chirurgien brillant, descendantdune longue ligne de chercheurs et de m-decins renomms. Un type qui a unethique , a tenu prciser Richard. Et Adlea rpondu, pour lui faire plaisir : Je seraisravie de le rencontrer.

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  • Le taxi les dpose devant les grilles dunealle prive. La classe ! senthousiasmeRichard. Adle aussi trouve les lieux magni-fiques mais elle prfrerait strangler pluttque de paratre sen mouvoir. Elle hausseles paules. Ils poussent la grille et remon-tent le petit chemin pav jusqu la portedune villa troite, sur trois niveaux. Larchi-tecture Art dco a t prserve mais lesnouveaux propritaires ont ajout un tagesur lequel ils ont install une large terrassearbore.

    Adle sourit timidement. Lhomme qui lesaccueille se penche vers elle. Il est trapu etporte une chemise blanche trop serre quil aglisse dans son jean. Bonjour, Xavier.

    Bonjour. Sophie , se prsente lamatresse de maison.

    Adle tend sa joue en silence. Je nai pas entendu ton prnom, sexcuse

    Sophie dune voix dinstitutrice. Adle.

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  • Cest mon pouse. Bonsoir , ditRichard.

    Ils montent des escaliers en bois clair etpntrent dans un immense salon, meublde deux canaps taupe et dune table danoisedes annes 50. Tout est ovale et soign. Uneimmense photographie en noir et blanc, re-prsentant un thtre cubain dsaffect,orne le mur du fond. Sur une tagre, unebougie rpand une odeur rassurante deboutique de luxe.

    Richard rejoint les hommes, qui se sontassis derrire le bar. Ils parlent fort, ils rient des blagues cules. Ils se frottent lesmains en regardant Xavier qui leur verse desverres de whisky japonais.

    Une petite coupe ? propose Sophie auxfemmes qui lentourent.

    Adle tend son verre. Elle regarde du ctdes hommes et cherche une porte de sortie,une issue pour les rejoindre et fuir le groupede perruches au milieu duquel elle se

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  • retrouve. Ces femmes ne sont rien. Ellenprouverait mme pas de plaisir les im-pressionner. Elle crve dtre l, lescouter.

    ... Alors jai dit Xavier, coute, chri, sion veut cet tage en plus, il faut le faire !Cest sr, cest trois mois de travaux mais au-jourdhui, le rsultat cest quon a un salon-cathdrale dans une villa en plein Paris... Lestravaux ? Lhorreur ! Cest un boulot pleintemps. Heureusement que je ne bossais pas.En mme temps, on est tellement heureuxdavoir achet... Quelle ide de gcher desmilliers deuros en loyer. Ici ? Du 10, 11 000du mtre carr. Cest effarant...

    Quoi ? Les petits ? Oh, ils dormentdepuis longtemps ! On est un peu stricts surles horaires, du coup ils ne vous ont pas at-tendus. Mais jaurais aim que vous les voy-iez, ils ont tellement grandi... Marie-Lou faitdu violon et Arsne commence la diversifica-tion. On a trouv une fille gniale pour les

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  • garder. Cest une Africaine, trs sympa. Elleparle bien franais... Oui, elle a des papiers.Sans papiers, a ne me drange pas pour lemnage ou pour des petits travaux, maispour mes enfants, jamais. Ce serait irre-sponsable, non ? Le seul truc, cest quellefait ramadan et a, moi, a me dpasse. Onne peut pas garder des enfants avec la faimau ventre... Non, tu as raison, ce nest pasraisonnable. Mais je me dis quelle va senrendre compte et arrter delle-mme. Et toi,Adle, quest-ce que tu fais ?

    Je suis journaliste. Oh ! a doit tre intressant ! sex-

    clame Sophie en resservant le verre vide quelui tend Adle. Elle la fixe en souriant,comme on regarde un enfant timide qui hs-ite parler.

    Bon, je vous invite passer table.

    Adle remplit son verre de vin. Xavier, quila place sa droite, lui prend la bouteille

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  • des mains et sexcuse de ne pas lavoir servie.Les gens rient aux plaisanteries de Richard.Elle ne le trouve pas drle. Elle ne comprendpas quil puisse retenir lattention.

    De toute faon, elle ne les entend plus. Elleest ombrageuse, amre. Ce soir, elle narrivepas exister. Personne ne la voit, personnene lcoute. Elle nessaie mme pas de chass-er les flashs qui lui dchirent lesprit, qui luibrlent les paupires. Elle agite sa jambesous la table. Elle a envie dtre nue, quequelquun lui touche les seins. Elle voudraitsentir une bouche contre la sienne, palperune prsence silencieuse, animale. Elle nas-pire qu tre voulue.

    Xavier se lve. Adle le suit jusquaux toi-lettes, au fond dun couloir troit. Quand ilsort, elle se met en travers de son chemin etle frle jusqu sentir quil est mal laise. Ilrejoint la salle manger sans se retourner.Elle entre dans les toilettes, reste deboutdevant la glace et bouge les lvres en

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  • souriant, mimant une conversation polieavec elle-mme. Sa bouche est sche etviolette.

    Elle revient sasseoir et pose sa main sur legenou de Xavier qui retire sa jambe vive-ment. Elle peut sentir leffort quil fait pourviter son regard. Elle boit pour senhardirencore.

    Vous avez un petit garon, Adle ? lui de-mande Sophie.

    Oui. Il a trois ans dans un mois. Adorable ! Et le deuxime, cest pour

    quand ? Je ne sais pas. Probablement jamais. Oh non ! Un enfant unique, cest trop

    triste. Quand je vois le bonheur que cestdavoir un frre ou une sur, je ne pourraisjamais en priver mes enfants.

    Adle trouve que les enfants prennenttrop de temps, samuse Richard. Mais unefois quon sera dans notre grande maison,avec jardin, elle naura quune envie, cest de

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  • voir gambader les enfants, nest-ce pas,chrie ? On sinstalle Lisieux lanneprochaine. Jai eu une proposition en or pourmassocier dans une clinique !

    Elle ne pense plus qu a. se retrouverseule avec Xavier, pour cinq minutesseulement, l-bas, au fond du couloir o lonentend lcho des conversations du salon.Elle ne le trouve pas beau, ni mme sduis-ant. Elle ne sait pas de quelle couleur sontses yeux mais elle est certaine quelle se sen-tirait soulage sil glissait la main sous sonpull puis sous son soutien-gorge. Sil la pous-sait contre le mur, sil frottait son sexe contreelle, si elle pouvait sentir quil la dsireautant quelle le dsire. Ils ne pourraient pasaller plus loin, il faudrait faire vite. Elleaurait le temps de toucher son sexe, peut-tre mme de se mettre genoux pour lesucer. Ils se mettraient rire, ils

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  • retourneraient dans le salon. Ils niraient pasplus loin et ce serait parfait.

    Sophie est une femme sans attrait, penseAdle en fixant des yeux laffreux bijoufantaisie que la matresse de maison a autourdu cou. Un collier fait de boules en plastiquebleu et jaune retenus par un ruban en soie.Cest une femme plate, se convainc-t-elle,une perruche idiote. Elle se demande com-ment ce genre de femmes, les femmes ordin-aires, font lamour. Elle se demande si ellessavent prendre du plaisir, en donner, si ellesdisent faire lamour ou baiser .

    Dans le taxi du retour, Richard est tendu.Adle sait quil est contrari. Quelle est tropsole et quelle sest donne en spectacle.Mais Richard ne dit rien. Il penche sa tte enarrire, retire ses lunettes et ferme les yeux.

    Pourquoi tu dis tout le monde quon vasinstaller en province ? Je ne tai jamais dit

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  • que jtais daccord et toi tu fais comme sictait acquis, le provoque Adle.

    Tu nes pas daccord ? Je nai pas dit cela non plus. Donc, tu ne dis rien. De toute faon, tu

    ne dis jamais rien, constate-t-il dune voixcalme. Tu ne te prononces pas, alors ne mereproche pas de prendre des dcisions. Etsincrement, je ne sais pas pourquoi tu asbesoin de te comporter comme a. De tesoler, de parler aux gens de haut comme situ avais tout compris de la vie et quon ntaitquune bande de moutons imbciles tesyeux. Tu sais, tu es tout aussi ordinaire quenous, Adle. Le jour o tu laccepteras, tuseras beaucoup plus heureuse.

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  • La premire fois quAdle a visit Paris,elle avait dix ans. Ctaient les vacances de laToussaint et Simone avait pris une chambredans un petit htel sur le boulevard Hauss-mann. Les premiers jours, elle a laiss Adleseule dans la chambre. Elle lui a fait jurer denouvrir la porte personne, sous aucun pr-texte. Les htels sont des endroitsdangereux. Surtout pour une petite fille. Adle a eu envie de lui dire : Ne me laissepas, alors. Mais elle na rien dit.

    Le troisime jour, Adle sest couche sousla couette paisse du grand lit dhtel et ellea allum la tlvision. Elle a vu le jourtomber travers la petite fentre qui donnaitsur une cour grise et sombre. La nuit avaitenvahi la chambre et sa mre ntait toujourspas l. Adle a essay de dormir, berce parles rires et les jingles de publicits qui

  • dfilaient sur lcran. Elle avait mal la tte.Elle avait perdu la notion du temps.

    Affame, elle na pas os se servir dans leminibar dont sa mre avait dit que ctait un pige touristes . Elle a fouill au fond deson sac dos la recherche dune barrechocolate ou dun reste de sandwich au jam-bon. Elle na trouv que deux bonbons salessur lesquels taient rests colls les lam-beaux dun mouchoir en papier.

    Elle tait en train de sendormir quand ona frapp la porte. Avec insistance. Descoups de plus en plus forts. Adle sest ap-proche de la porte qui navait pas de judas.Elle ne pouvait pas voir qui tait derrire etelle nosait pas ouvrir. Qui est l ? a-t-elledemand dune voix tremblante. Elle na reuaucune rponse. Les coups redoublaient devigueur, elle entendait des pas dans lecouloir de lhtel. Elle a eu limpression depercevoir un souffle, long et rauque, un

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  • souffle agac qui allait finir par faire sauterles gonds de la porte.

    Elle a eu si peur quelle sest cache sous lelit, en sueur, persuade que les assaillants al-laient entrer et la trouver l, en larmes, levisage enfonc dans la moquette beige. Elle asong appeler la police, crier au secours, hurler jusqu ce quon lui vienne en aide.Mais elle tait incapable de bouger, moitivanouie, confite de terreur.

    Quand Simone a ouvert la porte, versvingt-deux heures, Adle stait endormie.Son pied dpassait du lit et Simone lui a saisila cheville.

    Mais quest-ce que tu fais l ? Quest-ceque tu es encore alle trouver comme btise faire ?

    Maman ! Tu es l ! Adle sest releveet sest jete dans les bras de sa mre. Quelquun a essay dentrer ! Je me suiscache. Jai eu si peur.

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  • Simone lui a saisi les paules, la examineavec attention et dune voix froide, elle lui adit :

    Tu as bien fait de te cacher. Cest exacte-ment ce quil fallait faire.

    La veille de leur retour, Simone a tenu sapromesse et a fait visiter la ville Adle. Unhomme les accompagnait, un homme dontAdle ne se souvient ni du visage ni mme dunom. Elle se rappelle seulement son odeur demusc et de tabac et de Simone qui lui a dit,nerveuse et tendue : Adle, dis bonjour aumonsieur.

    Monsieur les a emmenes djeuner dansune brasserie prs du boulevard Saint-Michel et a fait goter Adle sa premiregorge de bire. Ils ont travers la Seine etmarch jusquaux Grands Boulevards. Adletranait devant les vitrines de jouets des pas-sages Verdeau, Jouffroy et de la galerie Vivi-enne sans couter Simone qui simpatientait.

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  • Et puis, ils sont alls Montmartre. aplaira la petite , rptait Monsieur. PlacePigalle, ils ont pris le train touristique etAdle, coince entre sa mre et lhomme, adcouvert le Moulin-Rouge avec terreur.

    Elle garde de cette visite Pigalle unsouvenir noir, effrayant, la fois glauque etterriblement vivant. Sur le boulevard deClichy, vrai ou pas, elle se souvient davoir vudes prostitues, par dizaines, dnudes mal-gr la bruine de novembre. Elle se souvientde groupes de punks, de drogus la d-marche chancelante, de maquereaux auxcheveux pommads, de transsexuels auxseins pointus et aux sexes mouls dans desjupes lopard. Protge par le cahotement dece train aux allures de jouet gant, serreentre sa mre et lhomme qui se lanaientdes regards lubriques, Adle a ressenti pourla premire fois ce mlange de peur et den-vie, de dgot et dmoi rotique. Ce dsirsale de savoir ce quil se passait derrire les

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  • portes des htels de passe, au fond des coursdimmeuble, sur les fauteuils du cinma At-las, dans larrire-salle des sex-shops dontles nons roses et bleus trouaient le crpus-cule. Elle na jamais retrouv, ni dans lesbras des hommes, ni dans les promenadesquelle a faites des annes plus tard sur cemme boulevard, ce sentiment magique detoucher du doigt le vil et lobscne, la perver-sion bourgeoise et la misre humaine.

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  • Pour Adle, les vacances de Nol sont untunnel sombre et froid, une punition. Parcequil est bon et gnreux, parce quil place lafamille au-dessus du reste, Richard a promisde soccuper de tout. Il a achet les cadeaux,fait rviser la voiture et cette fois encore, il atrouv pour Adle un merveilleux prsent.

    Elle a besoin de vacances. Elle est puise.Il ne se passe pas un jour sans quon lui fasseremarquer sa maigreur, ses traits tirs et seschangements dhumeur. Lair frais te feradu bien. Comme si Paris lair tait moinsfrais quailleurs.

    Chaque anne, ils passent Nol Caendans la famille Robinson, et le nouvel anchez les parents dAdle. Cest devenu unetradition, comme aime le rpter Richard.Elle a bien essay de le convaincre quil taitinutile daller jusqu Boulogne-sur-Mer

  • pour voir ses parents, qui de toute faon nenont que faire. Mais Richard insiste, pour Lu-cien, qui a besoin de connatre ses grands-parents , et pour elle aussi, parce que lafamille, cest important .

    La maison des parents de Richard sent leth et le savon de Marseille. Odile, la belle-mre dAdle, sort rarement de son immensecuisine. Elle vient parfois sasseoir au salon,sourit aux convives qui prennent lapritif,lance une conversation et disparat nou-veau derrire ses fourneaux. Reste, ma-man, enfin, se plaint Clmence, la sur deRichard. On est venus ici pour te voir, paspour manger , aime-t-elle rpter, en segoinfrant de tartines de foie gras et de bis-cuits la cannelle. Elle propose toujours samre de laider, jure quelle soccupera de laprparation du prochain dner. Et au grandsoulagement dOdile, elle sombre dans uneinterminable sieste, souvent trop sole pourreconnatre les ingrdients de lentre.

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  • Les Robinson savent recevoir. Richard etAdle sont accueillis dans des bruits de rireset de bouchons de champagne. Un immensesapin est install dans un coin du salon.Larbre est si haut que sa cime touche le pla-fond et rebique, donnant limpression quilva seffondrer dun instant lautre. Cestridicule, ce sapin, non ? glousse Odile. Jaidit Henri quil tait trop grand mais il napas voulu en dmordre.

    Henri hausse les paules et carte lesmains dans un geste dimpuissance. Je mefais vieux... Il plonge son regard bleu dansles yeux dAdle, en signe de reconnaissance,comme sils taient fait de la mme trempe,comme sils appartenaient la mme tribu.Elle se penche vers lui et lembrasse, respir-ant pleines narines son odeur de vtiver etde mousse raser.

    table ! Les Robinson mangent et quand ils man-

    gent, ils parlent de nourriture. Ils se confient

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  • des recettes, des adresses de restaurants.Avant le repas, Henri va chercher dans lacave des bouteilles de vin qui sont accueilliespar de grands Ah dexcitation. Tout lemonde le regarde ouvrir la promise, verser lenectar dans une carafe, commenter lacouleur. On fait silence. Henri verse un peude vin dans un verre, en apprcie le nez. Ilgote. Ah, mes enfants...

    Au petit djeuner, o les enfants mangentsur les genoux de leurs parents, Odile prendun air grave. Maintenant, il faut me dire.Quest-ce que vous voulez manger midi ?articule-t-elle lentement. Ce que tu veux ,ont coutume de rpondre Clmence etRichard, habitus au mange de leur mre. midi, alors quHenri ouvre la troisimebouteille de ce petit vin espagnol qui passebien , les lvres encore grasses des terrineset des fromages qui se sont succd, Odile selve et, son cahier la main, elle se lamente. Je nai aucune inspiration pour le menu de

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  • ce soir. De quoi vous avez envie ? Personnene rpond, ou mollement. mch, engourdipar une furieuse envie de faire la sieste,Henri finit parfois par snerver. On namme pas termin de djeuner que dj tunous emmerdes ! Odile se tait et fait la ttecomme une jeune fille.

    Ce mange fait rire Adle autant quil lir-rite. Elle ne comprend pas cet hdonisme debon ton, cette obsession qui semble avoirgagn tout le monde du bien boire et du bien manger . Elle a toujours aim avoirfaim. Se sentir flchir, chavirer, entendre sonventre se creuser et puis vaincre, ne plusavoir envie, tre au-dessus de a. Elle a cul-tiv la maigreur comme un art de vivre.

    Ce soir encore, le dner sternise. Per-sonne na remarqu quAdle a peinemang. Odile ninsiste plus pour la resservir.Richard est un peu sol. Il parle politiqueavec Henri. Ils se traitent de fascistes, de

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  • ractionnaires bourgeois. Laurent essaie desinviter dans la conversation.

    Par contre... En revanche, le coupe Richard. On ne

    dit pas par contre mais en revanche. Adle pose sa main sur lpaule de

    Laurent, se lve et monte dans sa chambre.Odile leur donne toujours la chambre

    jaune, la plus silencieuse et la plus grande.Cest une pice un peu lugubre, au sol glac.Adle se met au lit, frotte ses pieds luncontre lautre et sombre dans un sommeilmorbide. Au cours de la nuit, elle a parfoislimpression de reprendre mollement con-science. Son esprit est en veille mais soncorps a la rigidit dun cadavre. Elle sent laprsence de Richard ct delle. Elle a lan-goissante sensation quelle ne pourra jamaissextirper de cette lthargie. Quelle ne se r-veillera pas de ces rves trop profonds.

    Elle entend Richard prendre sa douche.Elle peroit le temps qui passe. Devine que le

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  • matin est l. La voix de Lucien, le bruit descasseroles, loin, dans la cuisine dOdile, par-viennent jusqu elle. Il est tard mais elle napas la force de se lever. Juste cinq minutes,se dit-elle. Encore cinq minutes et la journepourra commencer.

    Quand elle sort de sa chambre, les yeuxgonfls et les cheveux mouills, la table dupetit djeuner a t dbarrasse. Richard luia laiss un petit plateau dans la cuisine.Adle sassoit devant son caf. Elle sourit Odile qui soupire : Jai un de ces travailsaujourdhui, je ne sais pas comment je vaismen sortir.

    travers la baie vitre, Adle regarde lejardin. Les grands pommiers, la bruine, et lesenfants qui glissent sur le toboggan mouill,engoncs dans leurs doudounes. Richardjoue avec eux. Il a enfil des bottes et faitsigne Adle de les rejoindre. Il fait tropfroid. Elle ne veut pas sortir.

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  • Tu es trs ple. Tu as mauvaise mine ,dit Richard en entrant. Il tend ses mains versson visage.

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  • Henri et Clmence ont insist pour venirvisiter la maison. Je veux voir a. Tu saisquils lappellent le manoir dans le coin ? Odile les a presque pousss dehors, raviedtre seule pour les prparatifs de Nol.Laurent sest dvou pour garder les enfants.

    Richard est nerveux. Il houspille Clmencequi tarde monter dans la voiture. Il faitpromettre son pre de se taire pendant lavisite. Cest moi qui pose les questions, tuas compris ? Tu ne mets pas ton grain desel. Adle est assise larrire, sage et in-diffrente. Elle regarde les grosses cuisses deClmence qui stalent sur le sige. Ses mainsaux ongles rongs.

    Richard se retourne sans cesse. Elle a beaului dire de regarder devant lui, cest elle quilregarde comme pour prendre note de lim-pression que cette route de campagne laisse

  • sur elle. Que pense-t-elle de ces collines hu-mides, de la route qui monte, du lavoir encontrebas ? Que pense-t-elle de lentre duvillage ? De lglise qui, seule, a survcu auxbombardements de la guerre ? Se voit-ellemarcher, jour aprs jour, au milieu de cescoteaux piqus de pommiers tordus ? Dansces vallons traverss de cours deau, sur cepetit chemin qui mne la maison ? Aime-t-elle ce mur bouriff de lierre ? Le visage fer-m, presque coll contre la vitre, Adle se re-fuse au moindre commentaire. Elle contrlejusquau battement de ses cils.

    Richard gare la voiture devant le portail enbois. M. Rifoul les attend, debout, les mainscroises derrire le dos comme un chtelainfig dans le temps. Cest un vritable gant,obse et rouge. Ses mains sont aussi largesquun visage denfant, ses pieds semblentprts enfoncer le sol. Ses cheveux, pais etboucls, passent du jaune au blanc. De loin,il est impressionnant. Mais lorsquelle

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  • sapproche pour le saluer, Adle remarqueses ongles longs. Le bouton manquant au mi-lieu de sa chemise. Une tache douteuse auniveau de son entrejambe.

    Le propritaire tend les bras vers la portedentre et ils pntrent dans la maison.Richard saute comme un chiot sur lesmarches du perron. Il ponctue de ah oui ,de trs bien , la visite du salon, de lacuisine et de la vranda. Il senquiert duchauffage, de ltat de llectricit. Il consulteson calepin et dit : Et ltanchit ? Entrele salon dont de larges portes-fentresdonnent sur un charmant jardin et la vieillecuisine, M. Rifoul les fait entrer dans unepetite pice amnage en bureau. Il leurouvre la porte contrecur. La pice nestpas entretenue et dans le rai de lumire quichappe aux rideaux bleus vole un pais blocde poussire.

    Ma femme lisait beaucoup. Je prendrailes livres. Mais je peux laisser le bureau si

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  • vous voulez. Adle fixe le lit dhpital, collcontre le mur et sur lequel des draps blancssont soigneusement plis. Un chat sestcach sous le fauteuil. la fin, elle nepouvait plus monter.

    Ils empruntent lescalier en bois. Sur tousles murs, des photos de la morte, sourianteet belle. Dans la grande chambre, dont lesfentres donnent sur un marronnier cen-tenaire, une brosse est pose sur la table dechevet. M. Rifoul se baisse et, de sa main im-mense, il lisse le couvre-lit imprim de fleursroses.

    Cest une maison pour vieillir, penseAdle. Une maison pour les curs tendres.Elle est faite pour les souvenirs, pour les co-pains qui passent et ceux qui partent ladrive. Cest une arche, un dispensaire, unrefuge, un sarcophage. Une aubaine pour lesfantmes. Un dcor de thtre.

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  • Ont-ils vieilli ce point ? Leurs rvespeuvent-ils sarrter ici ?

    Est-il dj lheure de mourir ?Dehors, tous les quatre observent la

    faade. Richard se tourne vers le parc et tendla main.

    a va jusquo ? Loin, trs loin. Tout ce verger-l, vous

    voyez ? Tout cela cest vous. Tu vas pouvoir en faire des tartes et de

    la compote pour Lucien ! rit Clmence.Adle regarde ses pieds. Ses mocassins

    vernis sont tremps par lherbe mouille. Cene sont pas des chaussures pour lacampagne.

    Donne-moi les cls , demande-t-elle Richard.

    Elle sassoit dans la voiture, se dchausseet rchauffe ses pieds entre ses mains.

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  • Xavier ? Comment as-tu trouv monnumro ?

    Jai appel ton bureau. Ils mont dit quetu tais en vacances mais jai expliqu quectait urgent...

    Elle devrait rpondre quelle est contentedavoir de ses nouvelles mais quil ne faut pasquil se fasse des ides. Elle est vraimentdsole pour son comportement de lautresoir, elle naurait pas d. Elle avait trop bu,elle tait un peu triste, elle ne sait pas ce quilui a pris. a nest pas dans ses habitudes.Jamais elle na fait une chose pareille. Il fautoublier, faire comme si a ntait jamais ar-riv. Elle a tellement honte. Et puis, elle aimeRichard, elle ne pourrait jamais lui faire a,surtout pas avec lui, Xavier, quil admire tantet dont il est si fier dtre lami.

    Elle ne dit rien de tout cela.

  • Je te drange ? Tu peux parler ? Je suis chez mes beaux-parents. Mais je

    peux parler, oui. Tu vas bien ? demande-t-il dune voix

    totalement diffrente.Il lui dit quil voudrait la revoir. Quelle la

    troubl au point quil na pas ferm lil cesoir-l. Sil sest montr si froid, cest parcequil a t surpris, par son attitude elle etpar son dsir lui. Il se rend bien comptequil ne devrait pas, il a essay de rsister lenvie de lappeler. Il a tout fait pour ne pluspenser elle. Mais il faut quil la voie.

    lautre bout du fil, Adle ne dit rien. Ellesourit. Son silence gne Xavier qui narrtepas de parler et finit par lui proposer de seretrouver pour boire un verre. O tuvoudras. Quand tu voudras.

    Il vaudrait mieux quon ne nous voie pasensemble. Comment voudrais-tu que jex-plique Richard ? Elle regrette davoir dit

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  • a. Il va comprendre quelle a lhabitude, queces prcautions sont son quotidien.

    Au contraire, il prend cela pour de ladfrence, pour un dsir farouche maisrsolu.

    Tu as raison. ton retour ? Appelle-moi,sil te plat.

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  • Elle a choisi une robe grenat. Une robe endentelle, manches courtes, qui laisse dev-iner des pans de peau sur le ventre et lescuisses. Elle dplie la robe lentement sur sonlit. Elle arrache ltiquette et tire un fil. Elleaurait d prendre la peine de trouver unepaire de ciseaux.

    Elle met Lucien la chemise et les petitsmocassins en cuir que sa grand-mre lui aachets. Assis par terre, son camion entre lesjambes, son fils est trs ple. Cela fait deuxjours quil ne dort pas. Il se lve aux aurores,refuse de faire la sieste. Il coute, les yeuxcarquills, les promesses des grandes per-sonnes sur la nuit de Nol. Amus puis las, ilsubit le chantage que tous exercent sur lui. Ilnest plus dupe des menaces que lon faitplaner. Si tu nes pas sage... Que le preNol passe. Quon en finisse.

  • En haut des escaliers, la main de son filsdans la sienne, elle sait que Laurent la re-garde. Tandis quelle descend, il sapprte parler, lui faire un compliment sur cetterobe provocante et balbutie quelque chosequelle nentend pas. Toute la soire, il laphotographie, prenant pour prtexte lobses-sion de Clmence pour les souvenirs. Elle faitsemblant de ne pas remarquer quil la scrute,lil cach derrire son appareil. Lui croitsaisir par hasard une beaut froide et inno-cente. Il na droit qu des poses savammentcalcules.

    Odile installe un fauteuil prs de larbre deNol. Henri remplit les coupes de cham-pagne. Clmence coupe des bouts de papieret cette anne, pour la premire fois, cestLucien qui dsigne celui qui va recevoir lescadeaux. Adle est mal laise. Elle voudraitrejoindre les enfants dans la salle mangeret sallonger au milieu des Lego et des

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  • landaus miniatures. Elle se surprend prierquon ne tire pas son nom.

    Mais on le tire quand mme. Adle,ha ! se mettent-ils crier. Ils se frottent lesmains, entament autour du sige une dansefbrile. Tu as vu le paquet dAdle ? Henri,le petit paquet rouge, est-ce que tu las vu ? sinquite Odile.

    Richard ne dit rien.Il mnage son effet, assis sur laccoudoir

    du canap. Une fois les genoux dAdle sub-mergs dcharpes, de moufles quelle nemettra jamais, de livres de cuisine quellenouvrira pas, Richard savance vers elle. Illui tend une bote. Clmence lance sonmari un regard plein de reproches.

    Adle dchire le paquet et quand apparat,sur la petite bote orange, le logo de la mais-on Herms, Odile et Clmence poussent unsoupir de satisfaction.

    Mais tu es fou. Tu naurais pas d. Adle avait dit a aussi lanne prcdente.

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  • Elle tire le ruban et ouvre la bote. Elle necomprend pas tout de suite ce que cest. Uneroue en or, orne de pierres roses et sur-monte de trois pis de bls en relief. Elle re-garde le bijou sans le toucher, sans relever latte et risquer de croiser le regard deRichard.

    Cest une broche , explique-t-il.Une broche.Elle a trs chaud. Elle transpire. Cest de toute beaut, murmure Odile. Elle te plat, ma chrie ? Cest un modle

    ancien, jtais sr que a tirait. Jai pens toi ds que je lai vue. Je la trouve trslgante, non ?

    Oui, oui. Elle me plat beaucoup. Alors essaie-la ! Sors-la de la bote au

    moins. Tu veux que je taide ? Elle est mue , ajoute Odile, les doigts

    colls sur le menton.Une broche.

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  • Richard sort le bijou de sa bote et appuiesur lpingle qui se soulve.

    Lve-toi, ce sera plus simple. Adle se lve et, dlicatement, Richard

    pique la broche dans sa robe, juste au-dessusdu sein gauche.

    videmment, a ne se met pas sur cegenre de robe mais cest joli, non ?

    Non, videmment, sur ce genre de robe ane va pas. Il faudrait quelle emprunte untailleur Odile et un foulard aussi. Il faudraitquelle se laisse pousser les cheveux, quelleles coiffe en chignon, quelle porte des escar-pins talons carrs.

    Trs joli, mon chri. Mon fils a beaucoupde got , se rjouit Odile.

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  • Adle naccompagne pas les Robinson lamesse de minuit. Elle est brlante de fivreet sendort dans sa robe grenat, le corpsrepli sous les c