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Communications Les cépages de tradition française donnent-ils des vins californiens ? Mr Julien Lefour Résumé Une multiplicité de cépages — raisins de cuve — caractérise la fabrication du vin depuis ses origines. On présente ici l'attrait des producteurs et négociants californiens pour de nouvelles variétés dont les pratiques viticolcs et les origines culturelles se situent en France, notamment en Aquitaine et en Bourgogne. Ce nouvel encépagement peut être interprété comme une tentative d'appropriation sociale, économique et culturelle d'un nouvel objet à travers des techniques de viticulture, de vinification et de commercialisation adaptées à l'environnement. Abstract A multiplicity of grapes - grapes of vat - have long characterized the making of wine. We present Californian producer's and merchant's fondness for new wine varities, whose pratices and cultural origins are situated in France, notably in Aquitaine and Burgundy. We interpret this "new grapes variety" as an attempt at social, economic and cultural appropriation through new techniques wine growing, oenology and marketing. Citer ce document / Cite this document : Lefour Julien . Les cépages de tradition française donnent-ils des vins californiens ?. In: Communications, 77, 2005. Faire sien. Emprunter, s'approprier, détourner. pp. 149-165. doi : 10.3406/comm.2005.2267 http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2005_num_77_1_2267 Document généré le 23/09/2015

Lefour Julien . Les cépages de tradition française donnent-ils des vins californiens

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Les cépages de tradition française donnent-ils des vins californiens?Mr Julien Lefour

RésuméUne multiplicité de cépages — raisins de cuve — caractérise la fabrication du vin depuis ses origines. On présente ici l'attraitdes producteurs et négociants californiens pour de nouvelles variétés dont les pratiques viticolcs et les origines culturelles sesituent en France, notamment en Aquitaine et en Bourgogne. Ce nouvel encépagement peut être interprété comme unetentative d'appropriation sociale, économique et culturelle d'un nouvel objet à travers des techniques de viticulture, devinification et de commercialisation adaptées à l'environnement.

AbstractA multiplicity of grapes - grapes of vat - have long characterized the making of wine. We present Californian producer's andmerchant's fondness for new wine varities, whose pratices and cultural origins are situated in France, notably in Aquitaine andBurgundy. We interpret this "new grapes variety" as an attempt at social, economic and cultural appropriation through newtechniques wine growing, oenology and marketing.

Citer ce document / Cite this document :

Lefour Julien . Les cépages de tradition française donnent-ils des vins californiens ?. In: Communications, 77, 2005. Faire sien.

Emprunter, s'approprier, détourner. pp. 149-165.

doi : 10.3406/comm.2005.2267

http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2005_num_77_1_2267

Document généré le 23/09/2015

Julien Lefour

Les cépages de tradition française

donnent-ils des vins californiens1 ?

Les abeilles pilotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel qui est tout leur ; ce n'est plus thym ni marjolaine. Ainsi les pièces empruntées d'autrui, il les transformera et confondra, pour en faire un ouvrage tout sien, à savoir son jugement.

Montaigne, « L'éducation des enfants » (1580), Essais, Paris, Arléa, 1992

Chercher du nouveau, en œnologie comme ailleurs, c'est d'abord, par définition, ne pas accepter les connaissances communément admises ; c'est mettre en doute les concepts existants, même les plus traditionnels.

Emile Peynaud, Le Vin et les Jours, Paris, Payot, « Grande Bibliothèque », 1996 (1" éd. 1988)

La société américaine considéra longtemps le vin comme une boisson réservée aux immigrants d'origine italienne, grecque ou française, aux clochards et autres marginaux. Pourtant, une viticulture dynamique s'étire en Californie sur près de mille kilomètres de long, du comté de San Diego au sud au comté de Mendocino au nord, avec une implantation de la vigne dans de larges vallées des zones désertiques, et sous un climat marqué par la présence ou l'absence de l'effet bénéfique de l'océan Pacifique. Cette région viticole, dont les fondations remontent au XVIIP siècle, produit depuis la seconde moitié du XIXe siècle environ 90 % des vins américains afin de satisfaire d'abord le marché national. Une grande majorité des vins de cet Etat est aujourd'hui élaborée avec des variétés de vigne (cépages) de tradition française2. En effet, producteurs et négociants californiens ont modifié depuis plusieurs décennies Fencépa- gement, les paysages et les traditions de cette région. L'attrait pour une

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variété nouvelle de raisin de cuve dont les origines culturelles, les pratiques viticoles et le « bon goût » se situent dans un autre pays - au début du moins — peut être interprété comme une tentative d'appropriation sociale, économique et culturelle d'un nouvel objet à travers des techniques de viticulture, de vinification et de commercialisation adaptées à l'environnement. En quoi consiste le processus d'appropriation effectué par les producteurs et négociants californiens ? Pourquoi, par exemple, ont-ils changé la classification des vins'5 ? l6v

La technologie au service d'un nouvel encépagement.

À la différence de la France, où la viticulture est liée à d'anciennes pratiques culturelles et religieuses, en Californie le raisin de cuve est considéré d'abord comme un produit agricole, au même titre que les agrumes, la tomate ou le maïs. En 1873, la viticulture californienne est détruite par le phylloxéra, un puceron dévastateur, mais les porte-greffes (ceps) de la côte Est qui lui résistent vont permettre, par greffage de boutures de cépages sur ces porte -greffes, de reconstituer le vignoble californien à partir d'un encépagement européen plus varié. A mesure que la pratique de la greffe se répand en Californie à la fin du XIXe siècle, des maladies virales comme le court-noué se multiplient, limitant le développement de la vigne, affectant la maturation du raisin, indispensable à la fabrication de vins de qualité supérieure. Certains producteurs, arnpélograplies ou œnologues croient voir une solution dans le greffage de cépages hybrides (mi-arnéricains, mi-européens), mais sans réel succès : selon ces experts, la majorité des vins continue à avoir un goût « spécial » qui les rend plus difficiles à commercialiser aux États-Unis que les vins européens plus anciens et réputés.

De la Prohibition (1919-1933) jusqu'aux années 50, les producteurs californiens cultivent des cépages à haut rendement essentiellement pour fournir des raisins de table, du jus de raisin et des confitures, tandis que la production de raisin de cuve alimente en éthanol les industries chimiques et pharmaceutiques. Après la Prohibition, qui a durement touché la filière vinicole californienne, plusieurs wineries4 (caves vinicoles) choisissent de produire de nouveau des vins ordinaires. Mais quelques entreprises californiennes installées dans la Napa Valley, située au nord-est de San Francisco, comme Beaulieu Vineyards, décident d'élaborer des vins plus fins et plus chers que ceux obtenus avant la Prohibition. Elles veulent les vendre sous leurs propres étiquettes, comme en Europe, alors que la plupart des producteurs les livrent au négoce du vin en vrac. Déçues par les cépages régionaux, elles cherchent de nouvelles variétés dont les qua-

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lités œnologiques aient déjà été testées et qui fassent l'objet d'un consensus général : le choix se porte progressivement sur les cépages de tradition française popularisés par les livres spécialisés en langue anglaise et le succès des vins de Bordeaux et de Champagne5. En 1933, les cinquante premiers hectares de cabernet sauvignon récolté dans cette vallée permettent à ces producteurs de goûter un vin différent et fruité qui dégage des arômes primaires alliant le « cassis » au « poivron » . Ils sélectionnent des cépages de tradition française pour leur capacité à résister aux contraintes naturelles (sécheresse, gelées, érosion des sols), et leur aptitude à donner du raisin de qualité suffisante pour satisfaire les Américains, importateurs de vins français depuis la fin du XVIIIe siècle6.

Nouvel essor de l'industrie vinicolc : un ouvrier pelletant des grappes prêtes à être vinifiées. (© Bettmann/Corbis.)

Face à un environnement différent, de nouvelles techniques viticoles, vinicoles et commerciales sont appliquées pour développer ce nouvel encé- pagement, par exemple la mise en œuvre de systèmes d'irrigation automatiques pour maîtriser la chaleur et lutter contre le stress hydrique.

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L'œnologie n'est pas en reste, avec la création de chais et cuves modernes, refroidis par un système d'air conditionné d'inspiration allemande, pour un meilleur contrôle de l'hygiène et de la fermentation des moûts. Enfin le réseau ferré stimule l'industrialisation et la commercialisation à un niveau national. Toutes ces actions technologiques, dans leur ensemble, permettent, lorsque le vin est tiré, de « faire différent » par rapport aux modèles des vins français. Les expériences des wineries se multiplient : en 1952, la maison Stony Hill produit un vin élaboré à partir du célèbre cépage blanc de Bourgogne, le chardonnay. En 1957, c'est au tour de Han- zell de produire un millésime de chardonnay dont la qualité est reconnue comme excellente par les professionnels comme par les consommateurs.

Les Mondavi, moteur de révolution.

L'histoire de la famille Mondavi illustre bien ce processus d'appropriation où se mélangent cultures, traditions et modernité. Cette famille californienne d'origine italienne décide, dès 1936, de quitter la désertique Central Valley pour s'implanter dans la plus tempérée Napa Valley afin d'y élaborer des vins plus secs et plus fins que les vins de dessert, jugés trop lourds, mais en vogue aux Etats-Unis. En 1943, la famille rachète Charles Krug, une entreprise réputée pour la qualité de son travail. Ainsi, c'est dans cette région de prédilection que les frères Mondavi cherchent à produire des vins à base de cépages de tradition française, afin d'égaler les bouteilles qui ont profondément marqué les souvenirs de leurs parents. Eéru de recherche et d'innovation, Robert Mondavi est guidé dans sa quête de qualité par André Tchelistcheff (1901-1994), un œnologue russe formé en Bourgogne, et l'un des pères fondateurs de l'industrie vinicole moderne en Californie. Il accentue la mécanisation du domaine en investissant, dès sa sortie en 1956, dans le tracteur-enjambeur, qui, élargissant les rangs, modifie l'aspect du paysage viticole du domaine, raccourcit les temps de travail et permet de s'occuper de chaque cépage au moment propice. Il se prend de passion pour le chardonnay et le cabernet sauvi- gnon, et son voyage en 1962 dans le Bordelais le convainc d'allier ses nouveaux vins à un mode de vie raffiné, luxueux, bourgeois pour attirer les élites américaines, en plein boom économique. Il cherche à adapter la vinification au cépage sélectionné, étudie avant les autres les effets sur le vin de différents bois pendant le vieillissement en fût, de la chauffe des fûts, des copeaux de chêne et de la filtration du vin, et réalise les premières réserves spéciales., qu'il confronte déjà aux meilleurs vins français. En 1966, son frère Peter, en désaccord avec sa vision, son ambition et ses méthodes avant-gardistes, l'exclut de l'entreprise familiale. Il crée alors

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la sienne, et, en respectant les plans d'une ancienne mission espagnole du début du XIXe siècle, fait construire des chais à la pointe de la technologie. (Dans les années qui suivent, de nombreuses réalisations architecturales de wineries marquent aussi de leur empreinte les paysages californiens, comme le Clos Pégase, construit en 1987 dans la Napa Valley, dans l'esprit de la mythologie grecque pour symboliser l'inspiration poétique liée au vin.)

Enfin, Robert Mondavi développe avec l'aide de sa femme plusieurs actions à la fois culturelles et commerciales : le tourisme viticole pour attirer les consommateurs jusqu'aux wineries., des concerts de musique classique, l'exposition de peintres locaux . Il s'entoure d'attachés de presse et de conseillers scientifiques, guide en partie la recherche œnologique de l'université de Davis, située au nord-est de San Francisco, bien avant que les grandes maisons de Bordeaux, de Champagne ou de Bourgogne utilisent ces moyens de communication ciblés, et efficaces aux Etats-Unis. Avec la complicité d'un autre précurseur, Philippe de Rothschild, propriétaire de Mouton-Rothschild (Pauillac), il innove en 1979 en créant Opus One, le premier « vin transatlantique » qui relie la Californie au Bordelais, terre d'inspiration des producteurs de vins rouges californiens. La winery Opus One, construite en association par ces deux familles, bénéficie toujours du dernier cri en matière de technologie et de design (la cave à fûts a été taillée dans la roche). Selon les experts américains, le vin rouge qui y est produit est l'un des meilleurs des États-Unis 8.

La naissance des vins de cépage.

Dans le monde vinicole, la dénomination des vins en fonction de différents critères remonte au commerce méditerranéen à l'époque antique, et est très hétérogène d'une région à une autre. Elle est en général constituée à partir soit d'une zone géographique, soit d'un type de vins, soit du nom du producteur ou du marchand, soit, plus rarement, du nom du cépage utilisé. En effet, dès le bas Moyen Age en Bourgogne, certains vins étaient déjà nommés d'après le nom du cépage : gouais, gamay, noirien, pinot, etc. À partir du XVIIIe siècle, classifications internationales et classifications botaniques s'opposent de plus en plus. Les producteurs et négociants bordelais et bourguignons, pour lutter contre les vins frelatés, artificiels et surtout génériques, choisissent dès la seconde moitié du XTXC siècle (Classement officiel des grands crus du Médoc et des Graves de 1855) le classement par noms de domaine ou de vignoble, choix étendu au niveau national par la création des AOC (appellations d'origine contrôlée) par le décret-loi du 30 juillet 1935. En effet, les vins génériques^ ou

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vins commercialisés sous la dénomination d'un type de vin spécifique, et bien souvent sous le nom d'une aire viticole différente de leurs lieux de production, posent des problèmes à un niveau commercial. Déjà au XIXe siècle, les premières wineries de Californie utilisaient des toponymes européens : un consommateur américain pouvait acheter un margaux ou un château-haut-brion 100 % californien ! Ce système est voulu par les négociants américains de boissons alcoolisées qui souhaitent avoir des « gammes complètes », dans le même esprit que celles des importateurs de vins européens. Le succès du système des vins génériques montre la dépendance identitaire, à cette époque, des vins californiens par rapport aux vins européens, plus anciens et réputés. La faible participation des producteurs californiens dans la distribution de leurs produits les rend plus vulnérables face aux choix des négociants. C'est une étape intermédiaire entre la production et la commercialisation de vins californiens qui annonce progressivement la création collective d'xme identité régionale à travers les vins de cépage. Après la Prohibition, des lois californiennes plus strictes limitent les emprunts à quelques noms comme burgundy (bourgogne) ou champagne. Le nouvel essor du commerce international à la fin de la Seconde Guerre mondiale rend de plus en plus difficile le classement par types de vin, et exacerbe les rivalités commerciales et les oppositions juridiques entre pays d'Europe occidentale et pays producteurs du Nouveau Monde (Etats-Unis, Argentine, Chili, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud), notamment la Californie9.

De retour du front européen, le critique et négociant américain Frank Schoonmaker (1905-1976) joue un rôle déterminant en encourageant quelques producteurs et négociants à opter pour la classification par cépages. Dès les armées 50, il oriente par ses conseils les producteurs et négociants de Californie vers la production de vins « typiquement » californiens, des vins de qualité supérieure, et les pousse à mentionner le nom du (es) cépage (s) utilisé(s) pour que le consommateur néophyte ait un critère de choix plus simple et plus rapide, comme la couleur (rouge, rosé, blanc) ou le prix ; il défend aussi l'idée qu'une utilisation abusive de la nomenclature générique est une injure, tant pour le producteur que pour son consommateur. Selon Jancis Robinson, « Frank Schoonmaker fut engagé par le producteur californien Almaden en tant que conseiller et créa le vin de cépage le plus vendu des Etats-Unis, le grenache rosé, en s'inspirant du vin français de Tavel10 ».

Les vins de cépage (vins vendus sous le nom de la variété de raisin à partir de laquelle ils ont été élaborés) sont donc conçus comme une alternative aux systèmes européens, qui préfèrent la dénomination par l'origine géographique à travers des appellations du type AOC. C'est une construction juridique et commerciale qui prend appui sur la faculté

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cognitive de chaque individu à différencier sensoriellement les cépages et leurs arômes. Comme le précise Nelson Goodman, « sans l'organisation, sans la sélection d'espèces spécifiques, résultant d'une tradition en évolution, on ne peut pas parler de la vérité ou de la fausseté d'une catégorisation, de la validité ou de la non-validité d'une induction, de la pertinence d'un prélèvement, ni de l'homogénéité ou de la disparité des échantillons. Ainsi, la justification de l'exactitude de tels tests passe probablement avant tout par la démonstration non de leur fiabilité mais de leur autorité11 ». Cette nouvelle classification a de nombreux avantages. Elle permet aux Américains d'identifier rapidement dans les rayons d'un magasin la nationalité d'un vin par rapport aux autres vins, confondus ou non avec les vins européens ; un nouveau clivage apparaît alors : vins du « Nouveau Monde » contre vins de la « Vieille Europe ». Ensuite, elle fournit à la fois au client et au négoce un produit classé de manière plus simple, homogène et universelle : la catégorie la plus courte regroupe en effet une dizaine de cépages contre plusieurs milliers de dénominations géographiques européennes. Le consommateur américain peut ainsi nommer le vin qu'il boit, et la boisson nommée joue un rôle plus important que la boisson perçxie (gustativernent), car elle est chargée d'un pouvoir sémantique, symbolique, affectif ou onirique beaucoup plus fort. Le nom du cépage fait partie intégrante de sa perception, qui ne se réduit pas à un processus biologique ou neuro-biologique, mais met en jeu la mémoire du consommateur, son imagination, ses connaissances, sa culture. Enfin, les vins de cépage permettent aux producteurs et négociants californiens d'exporter dans le monde entier sans être en situation d'illégalité (contrefaçon) comme avec les vins génériques, y compris en Europe, où il y a à cette époque les plus gros marchés 12.

Nouvelle éthique et caution scientifique.

Les producteurs et les négociants californiens défendent l'intérêt des consommateurs américains pour asseoir leur identité par rapport aux vins français, espagnols ou italiens ; ils forgent leur identité et leur légitimité professionnelles en suivant l'évolution des goûts de la société américaine, en respectant le système démocratique, le libéralisme et Vamerican way of life : confort, santé, progrès, spiritualité, loisirs... Le marché des vins évolue, et le meilleur moyen pour l'entreprise de créer puis de préserver son identité économique consiste par conséquent à suivre l'évolution du marché à partir du consommateur pour fixer ses productions ultérieures. Ils déterminent ainsi par l'intermédiaire des premiers cabinets d'études spécialisés les désirs communs de consommateurs néophytes : des vins

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facilement identifiables, accessibles au plus grand nombre en termes de prix et de qualité gustative, aux arômes concentrés de fruits et plus doux13. Ces vins ne doivent pas nécessiter un vieillissement en cave pendant plusieurs années avant d'être consommables : d'une part, les Américains disposant d'un local adapté sont rares à l'époque, même à San Francisco ; d'autre part, producteurs et négociants économisent ainsi le stockage. A l'inverse, dans le système des AOC, ce sont les désirs du consommateur qui déterminent les caractéristiques des vins, plutôt que les aptitudes du sol ou les conditions climatiques : un vin de chardonnay californien parie facilement sur une forte spécificité, parce que le chardonnay n'a pas un arôme très fort en soi, comme le muscat à petits grains ou le pinot gris, ce sont les technologies employées qui lui façonnent une identité sensorielle ; bref, il prend le caractère que le consommateur américain préfère à ce moment-là : floral, fruité, boisé, mousseux, sec, doux...

Les premières « lois du marketing » sont ainsi respectées. La « loi de la catégorie » encourage, si on n'est pas le premier dans une classification internationale, à en créer une nouvelle : le vin de cépage, par exemple. Elle permet de réaliser le but d'une entreprise, qui est, selon le professeur de Harvard Peter Drucker, la « création d'un client14 » ; le consommateur est dès lors au centre des affaires en lieu et place de la réalisation du profit, qui devient la conséquence logique des actions entreprises. La « loi de la convergence » prône l'appropriation d'un mot dans l'esprit du client américain : ici, « cépage » . Enfin, la « loi de l'exclusivité » associe une marque, un producteur ou une indication géographique à un type de cépage de tradition française1'. Cette classification illustre l'apparition d'une éthique du capitalisme, au sens wébérien du terme. En effet, en pleine guerre froide (1946-1989) et au plus fort du maccarthysme, cette nouvelle doctrine politique et économique permet d'offrir à l'entreprise accusée de cynisme une éthique au service des citoyens américains et du consumérisme. Ce marketing concept est selon Franck Cochoy une « nouvelle philosophie d'administration » (p. 135) à la mode dont ce sont les débuts universitaires relayés par la presse américaine [trade press) ; il est l'outil indispensable pour comprendre les besoins des consommateurs et leur proposer des produits industriels adaptés à ces besoins afin de permettre aux entreprises de dégager les meilleures marges commerciales. Comme le remarque Mary Douglas 16, cette création ne peut se faire à un niveau purement individuel, et illustre bien un « style de pensée institutionnalisé » (p. 125) proche d'une rationalité pragmatique orientée vers un marché intérieur susceptible de se tourner vers les marchés internationaux - Max Weber aborde les prémices de ce nouvel idéal-type dans L'Ethique protestante et l'Esprit du capitalisme. Pour Mary Douglas, « les processus industriels à grande échelle sont leurs propres institutions. Ils

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ne s'imbriquent pas dans des structures de contrôle local et communautaire. C'est ainsi que les noms changent, et que les choses et les hommes sont ballottés au gré des nouvelles catégories. D'abord les hommes sont tentés de sortir de leurs cases pour exercer un contrôle ou y échapper. Puis ils créent de nouvelles institutions, et celles-ci élaborent de nouvelles catégories qui façonnent un nouveau type de personnes » (p. 124-125). Les wineries californiennes et leurs associations professionnelles sont ces institutions qui innovent. Mais les nouveaux consommateurs ne modifient- ils pas au bout d'un moment la nouvelle catégorie créée ?

Alors que la catégorie des vins de cépage perce en Californie, deux docteurs en œnologie américains de l'université de Davis, Maynard Ame- rine et Vernon Singleton, publient en 1965 une étude scientifique qui confirme les qualités de certains cépages européens. Selon eux, les variétés de cépages sont divisées en quatre catégories. La première, la plus courante, est celle des cépages qui ne donnent au vin ni caractéristique ni goût particuliers ; dans l'ensemble, ce sont les cépages du bassin méditerranéen : carignan, grenache, tempranillo, sangiovese, etc. Dans la deuxième catégorie, on trouve les raisins de goût distinctif, issus pour la plupart des régions les plus septentrionales de l'Europe ; ce sont les noms qui figurent sur les bouteilles étiquetées par cépages, qui vont du char- donnay au cabernet sauvignon, en passant par le pinot, le riesling et la syrah. Les deux chercheurs justifient leur classement par le fait qu'un long processus de sélection de ces cépages en vue de résister à l'adversité du climat et du sol a amélioré leur goût et leur résistance. Les cépages à goût de muscat sont placés dans une catégorie particulière. La dernière catégorie est celle des cépages d'« origine américaine » : lambrusques (vignes sauvages) d'Amérique du Nord et leur descendance, qui ont toutes un goût plus ou moins prononcé de fox (fourrure, grains de raisin écrasés), comme les vins élaborés à base de vitis rotundifolia ou scuppernong. Cette classification confirme scientifiquement les conseils commerciaux de Frank Schoonmaker donnés dix ans plus tôt, et encourage producteurs et négociants à sélectionner les clones des cépages dans la deuxième catégorie, la plus prometteuse aux niveaux viticole, œnologique et commercial.

Succès et premières rivalités.

À partir des années 70, le vin devient aux Etats-Unis une boisson valorisée socialement ; il concurrence la bière, les liqueurs et les spiritueux plus consommés. Ce dynamisme prend sa source dans les pratiques culturelles mises en place par les professionnels pour inciter les néophytes curieux à s'intéresser au vin et à sa culture : clubs de dégustation, musées

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privés, fondations (mécénat), « tourisme vert », cours d'œnologie, ouvrages de vulgarisation sur le vin en langue anglaise se multiplient pour informer un public resté longtemps ignorant ou indifférent au domaine du vin, mais décidé désormais à connaître et apprécier un breuvage mystérieux devenu à la mode 17. Lorsqu'il s'agit d'estimer des vins de cépage, producteurs et négociants font face à des doutes sur les propriétés pertinentes qui en déterminent la valeur. Pourquoi décident-ils d'observer en premier lieu des amateurs et non des experts ? Parce qu'ils formulent des perceptions, des qualifications et des jugements de sens commun qui peuvent s'accorder ou s'opposer à l'avis d'experts. Comme l'agent commercial, l'amateur est dans une position intermédiaire : non seulement il formule des demandes mais il contribue à définir, en tant que pivot, la nature et les qualités du vin californien. La validation de la classification par cépages permet de fixer un noyau d'actes (viticulture, œnologie, marketing, distribution) et de choses authentifiables, donc d'associer dynamiquement expériences et représentations. La mode californienne la plus significative aujourd'hui reste celle des vins de cépage, même si elle a su s'imposer durablement. Elle conduit à une forte augmentation de la superficie plantée en cépages de tradition française. L'arôme de chêne neuf, notamment de chêne français, et les wine coolers (vins dilués, peu alcoolisés et aromatisés avec des sirops, des sodas ou des jus de fruits) sont d'autres modes qui lui succèdent.

De plus en plus nombreuses, les wineries offrent aux Américains un choix de cépages, de vins et de marques dont ils n'ont jamais bénéficié auparavant. En 1976, pour la première fois des vins californiens sont reconnus à un niveau international pour leur qualité : le cabernet sauvi- gnon du domaine Stag's Leap Wine Cellars surpasse à Paris plusieurs grands vins bordelais lors d'une dégustation à l'aveugle, tandis que le chardonnay du château Montelena surclasse plusieurs grands bourgognes blancs. Dans un genre opposé, c'est aussi à cette époque que la winery de la maison Ernest & Julius Gallo devient la plus grande entreprise vini- cole du monde, exportant sa production aux quatre coins de la planète : Mexique, Canada, Angleterre, Allemagne, Suède, Danemark, Japon...

À la même époque, d'autres pays se mettent eux aussi à produire des vins de cépage sur le modèle des vins californiens. Le premier d'entre eux est l'Australie, où la vigne a accompagné les premières vagues d'immigration européenne à la fin du XV11P siècle. Cette ancienneté du vignoble ne s'est pas traduite par la création de vins d'appellation, ou de zones viticoles réputées, et la production est presque exclusivement orientée vers les vins doux élaborés à base de riesling, de muscats et de chenin. Dès les années 70 toutefois, les producteurs australiens commencent à vinifier

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des chardormays et des sauvignons qui entrent en concurrence avec les vins californiens. Une « nouvelle ère » viticole commence au début des années 80 18. De plus en plus concurrencés, les producteurs et négociants californiens se trouvent une fois de plus obligés de trouver de nouvelles spécificités régionales à leurs vins. Ils se tournent alors vers l'œnologie : levures artificielles, levures sèches, copeaux de chêne, macération malo- lactique... Certains œnologues chargés de vinifier rivalisent de prouesses et conçoivent des vins différents en fonction du marché et de la cible. Beaucoup de professionnels et d'amateurs américains les croient dès lors capables d'élaborer des vins supérieurs à partir de n'importe quel cépage de tradition française vendangé, et ils jouissent au début des années 80 d'une quasi-vénération, avant de laisser la place dans les années 90 à d'autres guides : les viticulteurs, ou régisseurs, plus proches du sol.

Vers une troisième voie ?

Des centaines de noms de vignobles sont aujourd'hui mentionnés sur les étiquettes, à côté de la variété du cépage de tradition française - prouvant que la Californie sort de la voie où seuls le type de cépage de tradition française et le nom du producteur comptaient. Comme en France dès le Moyen Age, le but est à présent de mieux adapter le cépage au site pour permettre à chaque vin d'être différent selon sa zone de production : cabernet sauvignon dans la partie centrale de la Napa Valley, pinot noir et chardonnay dans les Carneros, sauvignon de la Sonoma Valley, etc. Le succès des plantations de merlot et de sémillon depuis une dizaine d'années laisse à penser que le paysage vinicole californien continue d'être façonné par de nouvelles tendances inspirées du modèle bordelais — la mode des vins d'assemblage (les méritages) - et par la conjoncture économique plutôt que par les facteurs naturels. Depuis 1983, l'Etat californien a institué les American Viti cultural Areas (AVA), fondées sur la notoriété de la zone, la délimitation, la nature du sol et les conditions climatiques. Mais, contrairement aux AOC, le choix des cépages, la conduite de la vigne, la date des vendanges et les rendements sont laissés à l'appréciation du producteur. Les Américains sont aidés dans cette tâche car les noms de cépages ne peuvent être utilisés en Californie que si le vin porte une appellation d'origine : le nom de l'Etat, du comté ou de l'AVA. La mention Estate Bottled n'est autorisée que pour les vins originaires d'une AVA, par exemple la Santa Maria Valley : Au Bon Climat — Santa Maria Valley — Pinot noir 2000 19. L'idée européenne que pour faire un vin de qualité le choix du cépage est tributaire du climat et du sol semble faire peu à peu son chemin20.

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Ces nouvelles actions ont une dimension juridique et politique internationale incontournable qui pose le problème de la définition du vin. Doit-il être défini comme un produit agricole, plus libre des contraintes politiques ou juridiques, ou comme le vecteur de pratiques culturelles anciennes à protéger de l'oubli et de l'innovation ? En outre, la protection de la diversité des cépages de cuve est de plus en plus abordée au niveau des institutions internationales : s'agit-il d'une « diversité génétique » , d'une « diversité spécifique » , d'une « diversité écosystémique » 21 ? Comme le souligne la convention internationale sur la diversité biologique, adoptée au sommet de la Terre de Rio de Janeiro (1992), l'appropriation de cépages de tradition française a produit en Californie de nouvelles normes en termes de droits, de devoirs et de responsabilité en ce qui concerne les rapports que la société californienne tisse avec le vivant, le vin et le marché. À l'inverse, en ce qui concerne les ressources génétiques agricoles, le traité international de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) sur les ressources phy- togénétiques agricoles et alimentaires (2001) protège un système multilatéral d'accès et de partage des avantages liés à leur commercialisation, dans un respect des accords de FOMC (Organisation mondiale du commerce), et stimule donc l'appropriation de cépages dans un but uniquement commercial. Revers de la mondialisation et de l'industrialisation de cet encépagement22, selon l'ampélographe mondialement respecté Jean- Michel Boursiquot, la diversité des cépages vinifiés diminue actuellement dans le monde23. Quoi qu'il en soit, l'essor de la classification des vins par cépages dépasse le succès des vins californiens, malgré les oppositions politiques et économiques qu'elle continue à soulever, notamment en Europe du Sud. Sauf si un statu quo international se produit au sein de l'OMC et de l'OIV (Organisme international du vin et de la vigne) autour de la création d'une nomenclature acceptée par les différentes filières du monde du vin. C'est ici le pouvoir économique et financier comme réseau d'actions viticoles qui semble primer sur le facteur identitaire de la Californie, fractionnée en de nombreuses communautés.

La majorité des Californiens vivent, encouragent la différence et les disparités sociales. Producteurs et négociants conservent leur quant-à-soi, défendent d'abord leur identité en « re-contextualisant » les cépages de tradition française importés, avec derrière la tête une idée d'adaptation à l'environnement et d'harmonie avec certains « styles de pensée » en cours. Ils font appel à leur créativité, rendue possible par l'usage de ces cépages et de leurs nombreux clones, les détournent de leurs usages religieux (vin de messe) et les modifient grâce à l'œnologie et à la génétique (hybrides). Mais la dimension conflictuelle de cette adaptation renvoie au « caractère indécidable d'une nation [d'un Etat californien] imaginée

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tantôt comme assimilationniste et unitaire, tantôt comme pluraliste et multiculturelle 24 ». Cet affrontement se déroule à au moins deux niveaux politiques et économiques. D'abord, au niveau national, on observe une opposition de certaines wineries contre les traders qui spéculent sur le cours des cépages et les restrictions de commerce de vin entre États . Mais c'est au niveau international que la contestation est la plus forte, même si elle laisse la place à des débats idéologiques sans réel consensus, et prouve que l'on ne doit pas opposer forcément la Californie à la « Vieille Europe ». Le film américain Mondovino de Jonathan Nossiter, sorti en 2004, est d'ailleurs une introduction partisane à ces différents « styles de pensée » et modes d'appropriation comme luttes politiques et idéologiques.

Conclusion.

Aucune culture n'est isolée et la dynamique sociale procède non pas d'un développement endogène mais d'une interaction entre les cultures. Nombreux sont les Californiens qui doivent assumer leur devenir au point de rencontre de plusieurs communautés, traditions et cultures. Alors parlons-nous vraiment de « culture » en Californie quand il s'agit de culture du vin ? Ces pratiques viticoles et œnologiques sont- elles à même de remplir les fonctions d'identification et d'orientation dans lesquelles une société peut reconnaître la marque essentielle de sa culture ? Ce serait une erreur de croire que les spécificités culturales et culturelles d'une région de production pourraient disparaître avec la globalisation de l'économie. Si en Californie, d'un côté, nous observons une production industrielle standardisée, de l'autre côté, de nombreux viticulteurs et vinifica- teurs fabriquent des vins originaux à base de cépages internationaux qui ne sont plus exactement les mêmes qu'à leur arrivée : certains ont subi une mutation génétique, d'autres ont été divisés en plusieurs clones de qualité différente, ou sont croisés avec un cépage indigène, ou avec un autre cépage de tradition européenne. Les enjeux économiques et culturels sont importants : le regard des producteurs californiens se tourne actuellement de plus en plus vers une meilleure adéquation entre le sol, le climat et le cépage, afin d'essayer de mieux différencier leurs vins de ceux des régions voisines (Oregon, Washington) et des autres pays producteurs. Les objectifs sont ambitieux : produire des vins californiens qui seront appréciés en dehors de leur région d'origine tout en la représentant fidèlement26 !

Grâce à la Californie, la filière du vin aux Etats-Unis est devenue la quatrième du monde, propulsant surtout les vins californiens sur le devant

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de la scène. La dizaine de cépages Vitis vinifera de tradition française, en réussissant à s'implanter culturellement et socialement, après la crise du phylloxéra à la fin du XTXe siècle, a construit de nouvelles typicités organo- lep tiques, de nouveaux modes de production et de consommation. En choisissant les cépages de tradition française, les vins californiens ont réussi à se démarquer au niveau national et international avant d'être copiés par les pays producteurs du Nouveau Monde, mais aussi par des pays de tradition viticole plus ancienne, comme la France avec ses vins de pays. C'est une catégorie née en 1979 qui regroupe certains « vins de table » portant l'indication géographique du secteur, de la région ou du département dont ils proviennent, sans délimitation géographique stricte, avec des pratiques culturales laissées à l'appréciation du viticulteur et surtout l'autorisation de mentionner le cépage lorsqu'il est utilisé à 100 %. De nombreux experts constatent que cette classification enregistre en France la plus belle progression au sein des consommateurs comme des producteurs. Serions -nous dans une « culture boomerang » 27 ?

Julien Lefour lareyniere@f ree . f r

CETSAH

NOTES

1. Je remercie Martyne Perrot, Daniel Percheron, Claude Fischler et Valentine Meyer pour leur confiance, leur relecture attentive et leurs suggestions. En outre, j'ai bénéficié des explications de David Cobbold et de Jean-Michel Boursiquot.

2. 11 existe entre cinq mille et six mille cépages dans le monde. Les Californiens avaient à leur disposition des cépages de tradition espagnole, italienne, hongroise, allemande, russe... Les cépages de tradition française sont issus de l'espèce européenne Vitis vinifera. Ils regroupent une dizaine de variétés de clones de cépages cultivés en France depuis plusieurs siècles, notamment en Bourgogne et dans le Bordelais. Les cépages les plus reconnus en Californie sont le chardonnay, le cabernet saiivignon, le merlot, le sauvignon, mais aussi le colombard, le carignan, le gamay, le melon, le valdiguié, le durif et le pinot. Nous préférons mettre l'accent sur les pratiques viticoles plutôt que sur leurs origines géographiques, difficiles à identifier précisément. En effet, la Vitis vinifera se propage au gré du vent et des échanges depuis son berceau en Transcaucasie ; la vigne peut en outre subir des mutations naturelles dans son nouvel environnement. Voir J. Robinson, « USA : The West Coast », Vines, Grapes and Wines. The Wine Drinker's Guide to Grape Varieties. Londres, Michael Beazley, 1986, p. 44-45. À compléter par les travaux sur les cépages de Pierre Callet et de Jean-Michel Boursiquot.

3. .). Halliday, Wine Atlas of California, Sydney, Viking, 1993. Et H. Johnson et J. Robinson, Atlas mondial du vin (1971), Paris, Flammarion, 2001, p. 24-27.

4. Le ternie winery désigne une entité productrice de vin embouteillé, qu'elle soit une unité individuelle, une entreprise, coopérative ou non ; il n'y a pas d'équivalent en français. Il faut souligner leur grande hétérogénéité, qui va du viticulteur indépendant et ses quelques dizaines d'hectares à gérer à la multinationale et ses quelques centaines d'hectares.

5. Dès 1833, le Journal of Tour Through Some of the Vineyards of Spain and France de l'Australien James Busby donne des conseils aux producteurs du « Nouveau Monde » pour élaborer

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des vins fins à partir de nombreux exemples français et espagnols. Le Traité sur les vins du Médoc (1824) de William Franck, le Bordeaux, its Wines and the Claret Country (1846) de Charles Cock, qui est devenu l'ouvrage classique sur les vins de Bordeaux, sont les premiers ouvrages spécialisés en langue anglaise à décrire précisément les vins du Bordelais. D'autres auteurs, notamment André Simon (1877-1970), ont continué à écrire en langue anglaise des ouvrages historiques et pratiques sur le vignoble français pour satisfaire la curiosité croissante des professionnels et des amateurs du inonde entier.

6. Les deux guerres mondiales, la guerre froide, puis l'essor du tourisme international à partir des années 60 permettent à de nombreux Américains de découvrir les régions viticoles françaises. Pour connaître l'aventure tumultueuse du vin depuis l'Antiquité, notamment l'histoire du vin aux États-Unis, lire H. Johnson, Une histoire mondiale du vin. De l'Antiquité à nos Jours, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1990. Les chapitres suivants concernent la Californie : « Le vin des antipodes », « Côte Est, côte Ouest », « Cinquante ans de crise », « Le défi des pays neufs ».

7. Cette winerie, avec son architecture entre tradition et modernité, rappelle le style des missions espagnoles, très nombreuses au début du XIXe siècle dans le sud de la région. Elle accentue l'ancienneté des Mondavi dans la région et permet d'accueillir, tel un musée ou un centre culturel, plus de trois cent mille visiteurs par an venus s'initier à la dégustation, à l'œnologie, à l'histoire du vin, avant d'acheter les vins du groupe Mondavi moins cher que dans les magasins américains.

8. J. Robinson (dir.), Encyclopédie du vin, Paris, Hachette, 1997, p. 661-662. Voir aussi www.mondavi.com. Suite à une offre publique d'achat (octobre 2004), le groupe Mondavi, évalué à environ un milliard d'euros, a été acheté par le groupe américain Constellation Brands (200 marques, 8 000 employés), devenu le leader mondial du vin en moins de douze ans.

9. J. Audier, « Génériques et semi-génériques », Bulletin de l'OIV, nos 809-810, juillet-août 1998, p. 608-651. P.M. Brody, «Les désignations de vins géographiques semi-génériques : le Congrès a-t-il trébuché contre l'ADPIC ? », Bulletin de l'AIDV, n° 20, novembre 1999, p. 4-8. J. Chen, « Le statut légal des appellations d'origine contrôlée aux Etats-Unis d'Amérique », Revue de droit rural, n° 249, 1997, p. 39-40. D. Rousseau et M. Morvan (dir.), Le Temps des savoirs, n° 1, « La dénomination », 2000. Pour l'exemple français, lire l'approche juridique et économique de A. Stanziani, Histoire de la qualité alimentaire (XIX'-XX"), Paris, Seuil, 2005.

10. ,1. Robinson (dir.), Encyclopédie du vin, op. cit., p. 892-893. 11. N. Goodman, Ways of Worldmaking, Hackett Publishing, 1978, p. 138-139. 12. G. Rachmann, « The Globe in a Glass », The Economist, 18 décembre 1999, p. 92. 13. Beaucoup de vins californiens développent naturellement des sucres résiduels (taux de sucre

non fermenté qui subsiste). 14. « Si nous voulons savoir ce qu'est une entreprise, nous devons partir de son but. Et son

but doit résider dans la société, puisqu'une entreprise est un organe de la société. Il n'y a qu'une seule définition acceptable du but de l'entreprise : la création d'un client » (P. Drucker, The Practice of Management, New York, Harper, 1954, p. 37 ; phrase citée par Franck Cochoy).

15. F. Cochoy, Une histoire du marketing. Discipliner l'économie de marché, Paris, La Découverte, 1999. A. Ries et J. Trout, Les 22 Lois du marketing. Si vous les transgressez, c'est à vos risques et périls, Paris, Dunod, 1994.

16. M. Douglas, « Comment les nomenclatures changent des vins et des tissus... », Comment pensent les institutions, Paris, La Découverte, 1999, p. 119-125 ; cet article fondamental est issu d'une conférence donnée à l'université de Syracuse (USA) en mars 1985. L'auteur traite tout au long de l'ouvrage du rôle de la cognition dans la formation de l'ordre social.

17. Dans le même esprit, le film d'Alexander Payne Sideways (sorti en 2005) illustre les pérégrinations actuelles de deux touristes californiens à la découverte des vins de la vallée de Santa Ynez, près de Santa Barbara. Outre le château-cheval-blanc produit à Saint-Émilion (France), le héros, Miles, affectionne la « délicatesse du pinot noir » de cette vallée californienne.

18. Selon les auteurs de The Marketing Decade. Setting the Australian Wine Marketing Agenda (2000-2010), le concours britannique UK Master of Wine en 1984 marque le début d'une reconnaissance internationale des vins australiens.

19. « Au Bon Climat — Santa Maria Valley — Pinot noir 2000 : Robe rubis. Nez minéral et frais aux notes fruitées (cassis, groseille). Bouche confirmant cette belle minéralité à travers une texture fine, des tanins élégants et une fraîcheur intégrée. Un vin mûr et alerte à l'équilibre irréprochable. Période de garde 2004-2007. 45 € ; [email protected] » (vin de Jim Clendenen commenté

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dans D. Cobbold et S. Durand- Viel, Le Guide Fleurus des vins d'ailleurs. Plus de 1 000 vins étrangers disponibles en France., Paris, Fleurus, 2003, p. 94-95).

20. Face à la globalisation des productions, les ethnologues Laurence Bérard et Philippe Mar- chenay constatent, en Europe une « dynamique patrimoniale des productions locales » inscrite au cœur des contraintes biologiques, afin de mettre en valeur la spécificité culturelle d'une région ou d'une localité. P. Marchenay et L. Bérard, Les Produits de terroir entre cultures et règlements, Paris, CNRS Éditions, 2004.

21. F.-D. Vivien, « La bourse et la vie : la diversité biologique, objet d'appropriations et de négociations commerciales », texte de la 442e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 23 juillet 2002 à Paris. M. Trommetter, « Biodiversité et changements globaux : impacts des pratiques », Actes des deuxièmes Journées de l'Institut français de la biodiversité, Marseille, 25- 28 mai, Paris, IFB, 2004, p. 44-46. www.gis-ifb.org.

22. L. Bisson, A. Water/house, S. Fbeler, A. Walker et J. Lapsley, « The Present and Future of the International Wine Industry », Nature, vol. 418, août 2002 (www.nature.com/nature).

23. Jean-Michel Boursiquot, agronome de formation, est directeur de l'Etablissement national technique pour l'amélioration de la viticulture (ENTAV), qui est un centre international de sélection viticolc situé au Grau-du-Roi, près de Montpellier. Il a de nombreuses publications à son actif sur les cépages : www.dgpc.org/ressources-humaines/annuaire/ann-boursiquot.html et www.entav.fr.

24. D. Lacorne, La Crise de l'identité américaine. Du melting-pot au multiculturalisme (1997), Paris, Gallimard, 2003, p. 387.

25. 11 existe depuis la Prohibition un vaste commerce de raisins de cuve entre Etats de l'Ouest et Etats de l'Est, et, à l'intérieur de chaque Etat, entre les comtés. Tandis que les grossistes sont accusés par une association californienne (qui regroupe des wineries et des particuliers) de spéculer sur les cours, vingt-quatre Etats du Sud sont critiqués pour restreindre la circulation du vin acheté directement dans les caves d'autres Etats. L'association californienne Free the Grapes ! (www.frec- thegrapes.org) est une particularité américaine encore inconnue en France.

26. La Californie au goût du jour : « Des milliers d'hectares de vignes ont été plantés en Californie au cours des années 1990. [...] Conséquence peut-être de celte course aux bonnes affaires, les habitants découvrent que la Californie ne se borne pas à Napa et Sonoma. Des régions autrefois ignorées comme [le] Zinfandel provenant de l'AVA (aire viticole américaine) Lodi, à 1 heure de voiture à l'est de la baie de San Francisco, attirent une nouvelle espèce de consommateurs de vins, attachés à la saveur et au prix plutôt qu'aux tendances inspirées par les scores élevés, même s'il existe toujours une multitude de chasseurs de tendances aux environs. Lake County, au nord de Napa, se révèle être une source étonnante de Cabernet Sauvignon de prix moyen, tandis que la Côte centrale est: toujours reconnue comme le meilleur comté de Chardonnay. D'une manière générale, la Californie reste une bonne source de rouges fruités et de Chardonnays boisés, bien que certains producteurs s'éloignent aujourd'hui des monstres ultraboisés des années 90. Napa et Sonoma demeurent à la pointe en ce qui concerne les Cabernet, Merlot et Pinot N de niveau mondial » (H. Johnson, Hugh Johnson's Pocket Wine Guide 2005, Londres, Octopus Publishing Croup Limited, 2004, p. 244-245).

27. L'arrivée de la catégorie vins de cépage en France est analysée par M. -F. Garcia-Parpet, « Le terroir, le cépage et la marque. Stratégies de valorisation des vins dans un contexte de mondialisation », Cahiers d'économie et sociologie rurales., nos 60-61, 2001, p. 149-180. Pour une approche plus géographique, lire A. S. Bailly, « Le temps des cépages. Du terroir au système- monde », inJ.-R. Pitte (dir.), Annales de géographie, nos 614-615, « La nouvelle planète des vins », 2000, p. 516-524.

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RESUME

Une multiplicité de cépages - raisins de cuve — caractérise la fabrication du vin depuis ses origines. On présente ici l'attrait des producteurs et négociants californiens pour de nouvelles variétés dont les pratiques viticolcs et les origines culturelles se situent en France, notamment en Aquitaine et en Bourgogne. Ce nouvel encépagement peut être interprété comme une tentative d'appropriation sociale, économique et culturelle d'un nouvel objet à travers des techniques de viticulture, de vinification et de commercialisation adaptées à l'environnement.

SUMMARY

A multiplicity of grapes - grapes of vat - have long characterized the making of wine. We present Californian producer's and merchant's fondness for new wine varities, whose pratices and cultural origins are situated in France, notably in Aquitaine and Burgundy. We interpret this "new grapes variety" as an attempt at social, economic and cultural appropriation through new techniques wine growing, oenology and marketing.