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Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 Beauvais 8-10 juillet 2014 LE MODELE KRANZ : ENJEUX CONCEPTUELS ET CONSIDERATIONS PRATIQUES THE KRANZ MODEL: CONCEPTUAL ISSUES AND PRACTICAL CONSIDERATIONS Fahd Cuira, Bruno SIMON Terrasol, Paris, France RÉSUMÉ La norme d’application de l’Eurocode 7 pour les écrans de soutènement (NF P 94 282) sortie en 2009 impose explicitement le recours à un modèle de type Kranz pour la justification de la stabilité du massif d’ancrage d’un tirant scellé ou d’un tirant ancré sur un contre-rideau. L’article proposé apporte un éclairage sur les enjeux conceptuels liés à cette justification et ce à travers des exemples d’application pour lesquels des comparaisons avec des calculs éléments finis ont été menées. Les résultats obtenus illustrent notamment l’incidence sur les déplacements dans les situations où la stabilité du massif d’ancrage n’est pas justifiée avec une sécurité suffisante au sens du modèle Kranz. Des considérations pratiques sur le choix des paramètres et la mise en œuvre du modèle sont également présentées. ABSTRACT The French standard NF P 94-282 which applies Eurocode 7 to design of embedded walls imposes the Kranz model for checking the stability of the anchoring block and ensuring that the anchor forces can be safely transferred to the ground without any interaction with the retaining wall. This paper aims at highlighting conceptual issues related to this model, through a comparative study of practical examples using finite elements. In particular, the obtained results reveal the impact on displacements in the case when the stability of the anchoring block is fulfilled according to Kranz model. Practical considerations focusing on parameter choice and model implantation are also presented. 1. Introduction La publication de la norme Ecran (NF P 94 282) en 2009 a été l'occasion de rappeler l'importance de la vérification de la stabilité du massif d'ancrage (Kranz, 1953), une vérification souvent ignorée dans les études des écrans ancrés. Cela concerne les ancrages par tirants actifs ou passifs, qu'ils soient scellés ou connectés à un contre rideau. Cette vérification, parfois confondue à tort avec celle relative à la stabilité générale, vise à démontrer que la localisation des ancrages est acceptable et ne remet pas en cause les efforts considérés pour justifier la résistance et la stabilité de l'écran de soutènement. En d'autres termes, il s'agit de s'assurer que les tirants sont ancrés suffisamment loin de l'écran pour éviter toute interaction avec celui-ci. En effet, si des modèles complets tels que les éléments finis ou les différences finies permettent dans certaines situations critiques d'alerter l'ingénieur sur l'inefficacité des

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Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 – Beauvais 8-10 juillet 2014

LE MODELE KRANZ : ENJEUX CONCEPTUELS ET CONSIDERATIONS PRATIQUES

THE KRANZ MODEL: CONCEPTUAL ISSUES AND PRACTICAL CONSIDERATIONS

Fahd Cuira, Bruno SIMON

Terrasol, Paris, France

RÉSUMÉ — La norme d’application de l’Eurocode 7 pour les écrans de soutènement

(NF P 94 282) sortie en 2009 impose explicitement le recours à un modèle de type

Kranz pour la justification de la stabilité du massif d’ancrage d’un tirant scellé ou d’un

tirant ancré sur un contre-rideau. L’article proposé apporte un éclairage sur les

enjeux conceptuels liés à cette justification et ce à travers des exemples d’application

pour lesquels des comparaisons avec des calculs éléments finis ont été menées. Les

résultats obtenus illustrent notamment l’incidence sur les déplacements dans les

situations où la stabilité du massif d’ancrage n’est pas justifiée avec une sécurité

suffisante au sens du modèle Kranz. Des considérations pratiques sur le choix des

paramètres et la mise en œuvre du modèle sont également présentées.

ABSTRACT — The French standard NF P 94-282 which applies Eurocode 7 to

design of embedded walls imposes the Kranz model for checking the stability of the

anchoring block and ensuring that the anchor forces can be safely transferred to the

ground without any interaction with the retaining wall. This paper aims at highlighting

conceptual issues related to this model, through a comparative study of practical

examples using finite elements. In particular, the obtained results reveal the impact

on displacements in the case when the stability of the anchoring block is fulfilled

according to Kranz model. Practical considerations focusing on parameter choice and

model implantation are also presented.

1. Introduction

La publication de la norme Ecran (NF P 94 282) en 2009 a été l'occasion de rappeler

l'importance de la vérification de la stabilité du massif d'ancrage (Kranz, 1953), une

vérification souvent ignorée dans les études des écrans ancrés. Cela concerne les

ancrages par tirants actifs ou passifs, qu'ils soient scellés ou connectés à un contre

rideau. Cette vérification, parfois confondue à tort avec celle relative à la stabilité

générale, vise à démontrer que la localisation des ancrages est acceptable et ne

remet pas en cause les efforts considérés pour justifier la résistance et la stabilité de

l'écran de soutènement. En d'autres termes, il s'agit de s'assurer que les tirants sont

ancrés suffisamment loin de l'écran pour éviter toute interaction avec celui-ci. En

effet, si des modèles complets tels que les éléments finis ou les différences finies

permettent dans certaines situations critiques d'alerter l'ingénieur sur l'inefficacité des

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ancrages du fait de leur proximité de l'écran, les modèles aux coefficients de réaction

et aux équilibres limites (MEL), pratiqués usuellement pour le dimensionnement des

soutènements, supposent implicitement qu'il n'y a aucun report des efforts d'ancrage

sur l'écran (ou que les points où sont reportés les efforts d'ancrage sont fixes). Un

exemple basique est celui d'un écran "isostatique" simplement buté en pied : la mise

en équation de l'équilibre de l'écran impose directement l'effort à transmettre au

tirant. En réalité, la reprise de cet effort par le tirant et donc l'obtention d'un équilibre

stable ne pourra être garantie que si la stabilité du massif d'ancrage est justifiée avec

une sécurité suffisante.

2. Stabilité du massif d'ancrage : modèle Kranz

2.1. Définition du massif d'ancrage

Par convention, on désigne par massif d'ancrage le massif de sol compris entre la

face arrière de l'écran et le plan vertical passant par le point C. La base du massif est

une surface de rupture usuellement supposée plane. Le point D correspond au point

d'effort tranchant nul de l'écran et marque la base de la partie "active" de celui-ci. Le

point C est le point d'ancrage "effectif". Pour un tirant scellé, ce point est confondu

usuellement avec le milieu du scellement. Pour un tirant ancré sur un contre rideau,

le point C est pris à la base de la partie active du contre rideau (pied du contre rideau

quand celui-ci est court).

AB

D

C

écran

Massif d’ancrage

scellement

Tirant (partie libre)

Figure 1. Définition du massif d'ancrage

2.2. Mise en œuvre du modèle

La mise en œuvre du modèle Kranz consiste à examiner l'équilibre limite du massif

d'ancrage ABCD: l'effort qui provoque la déstabilisation de ce massif doit être

supérieur, avec une sécurité suffisante, à celui effectivement repris par le tirant. Le

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schéma ci-dessous récapitule le bilan des efforts s'appliquant sur le massif à

l'équilibre limite dans le cas d'une surface piézométrique horizontale à l'arrière de

l'écran. Ce bilan fait intervenir le poids déjaugé du massif W, la réaction de l'écran P1

(qui n'est autre que l'opposée de la pression des terres à l'arrière de l'écran), la

poussée amont sur le massif P2 (à l'état limite), la réaction mobilisable à l'état limite

le long de la surface de rupture qui se décompose elle-même en un terme de

cohésion Rc et un terme de frottement Rf (celui-ci est incliné de φ par rapport à la

normale à la surface de rupture, φ étant l'angle de frottement du sol), et enfin l'effort

d'ancrage déstabilisant Tu.

AB

C

D

α

β

P1

Tu

θ1

P2θ2 W

Rf

Rc

φ

Fe

• P1 : réaction de l’écran

• P2 : poussée amont

• Fe : charges extérieures

• W : poids déjaugé

• Tu : effort déstabilisant

• Rf : résistance frottement

• Rc : résistance cohésion

• φ : angle de frottement

Figure 2. Modèle Kranz : bilan des efforts sur le massif d'ancrage

La mise en équation de cet équilibre limite conduit à un système à deux équations

scalaires et deux inconnues qui sont Rf et Tu. Graphiquement, cela consiste à

rechercher les intensités de Rf et Tu permettant de "fermer" le polygone des forces

s'exerçant sur le massif, comme le schématise la figure suivante.

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W

Fe

P2

P1

Rc

Rf

Tu

Figure 3. Modèle Kranz : polygone des forces à l'équilibre limite du massif d'ancrage

Notons que le choix d'une surface de rupture plane n'est qu'une simplification. Une

approche plus rigoureuse consiste à explorer des surfaces de rupture en arcs de

spirale (à concavité vers le bas) par recours à la méthode cinématique du calcul à la

rupture. Celle-ci conduit forcément à des efforts déstabilisants inférieurs ou égaux à

ceux obtenus en admettant une surface de rupture plane !

2.3. Traitement d'un multicouche

Le schéma d'équilibre présenté précédemment suppose implicitement un angle de

frottement unique φ le long de la surface de rupture [CD]. Dans le cas général où la

surface de rupture traverse plusieurs couches de sol d'angles de frottement

différents, la résolution de l'équilibre limite du massif nécessite de discrétiser le

massif d'ancrage en autant de blocs que de couches traversées, avec un angle de

frottement par bloc. On établit ensuite successivement l'équilibre limite de chaque

bloc en partant de celui en contact direct avec l'écran. Il est d'usage d'adopter

l'hypothèse de Bishop qui consiste à supposer que les réactions "inter-blocs" sont

horizontales. La figure suivante récapitule les schémas d'équilibre limites ainsi

obtenus. Il est à noter que du fait des coupures successives, l'effort déstabilisant est

évalué uniquement dans l'équilibre du dernier bloc. En réalité, comme la ligne

d'action est unique, l'affectation de cet effort à l'un quelconque des blocs s'avère

sans incidence.

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Rf(1)

Rc(1)

φ1

H2(1) W(1)

Fe(1)

C(1)

D

P1V

P1H

Bloc« k »

1 < k < n

Rf(k)

Rc(k)

φk

H1(k)H2

(k) W(k)

Fe(k)

C(k)

C(k-1)

Bloc « n »

Rf(n)

Rc(n)

φn

W(n)

Fe(n)

C

C(n-1)

H1(n)

P2V

P2H

Tu

Bloc « 1 »

Figure 4. Décomposition du massif d'ancrage dans le cas d'un multicouche

2.4. Justification de la stabilité du massif d'ancrage

A ce stade, il est utile de rappeler que le dimensionnement d'un écran de

soutènement par la méthode des coefficients de réaction assimile usuellement un

tirant scellé à une barre élastique de longueur égale à la longueur utile du tirant

(longueur libre + moitié de la longueur scellée). Cela suppose implicitement que le

déplacement du point d'ancrage effectif (milieu du scellement) est nul ou négligeable.

La validité de cette hypothèse exige un niveau de sécurité suffisant entre l'effort du

tirant et l'effort déstabilisant du massif d'ancrage. Le modèle Kranz permet d'évaluer

cet effort déstabilisant. Le rapport entre celui-ci et l'effort dans le tirant doit être

justifié avec sécurité globale d'au moins F = 1,50 garantissant ainsi un faible niveau

de déformations. En dessous de cette valeur, le déplacement du point d'ancrage

effectif ne peut plus être négligé. L'obtention d'une sécurité inférieure à 1,00 signifie

la rupture du massif d'ancrage.

3. Etudes de cas

On se propose à présent d'illustrer les enjeux conceptuels liés à la stabilité du massif

d'ancrage à travers deux exemples simples. Pour chacun d'eux, la longueur libre du

tirant a été choisie volontairement insuffisante au sens du modèle Kranz, mais

néanmoins telle que la zone scellée soit située bien en dehors du coin de poussée

de Coulomb (une règle substituée parfois à tort au modèle Kranz).

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3.1. Description des cas étudiés

Le cas étudié est celui d'un écran ancré "isostatique" (figure suivante) : un seul

niveau d'ancrage par tirants scellés et butée simple en pied. Le sol de caractère

sableux est caractérisé par un angle de frottement φ = 32° (valeur caractéristique) et

dépourvu de cohésion. La hauteur de soutènement est de 8,0 m. Les inclinaisons

limites des efforts de poussée/butée sont prises égales à 2/3 φ (en valeur absolue).

Z = 0.00

Z = -8.00

Z = -2.00

Tirant

Z = -3.00

Z = -13.00

ϕsol = 32° et γsol = 20 kN/m3

|δa,p| = 2/3 x ϕsol

Kh,sol = 40 MN/m3

EIecran = 400 MN.m²/mlKtirant = 10 MN/m/ml

20°

Z = 0.00

Z = -8.00

Z = -2.00

Tirant

Z = -10.00ϕsol = 32° et γsol = 20 kN/m3

|δa,p| = 2/3 x ϕsol

Kh,sol = 40 MN/m3

EIecran = 100 MN.m²/mlKtirant = 6,5 MN/m/ml

20°

Cas 1 : sans nappe Cas 2 : avec nappe

Figure 5. Décomposition du massif d'ancrage dans le cas d'un multicouche

Deux situations sont étudiées : cas 1 "sans nappe", cas 2 avec une nappe

initialement à -3,00 m de profondeur et rabattue au niveau du fond de fouille en

phase d'excavation (-8,00 m). Dans chaque cas, la fiche de l'écran a été pré-

dimensionnée de manière à assurer une sécurité de 1,50 entre la butée disponible et

la butée mobilisée (ouvrage provisoire). On suppose que dans le cas 2, l'écran est

posé au toit d'un substratum imperméable : tout écoulement est donc négligé.

L'équilibre local de l'écran peut être abordé par un modèle aux coefficients de

réaction. Les résultats obtenus sont récapitulés dans le tableau ci-dessous (valeurs

caractéristiques): on relève en particulier une flèche maximale de l'ordre de 2 cm

dans les deux situations.

Tableau 1. Résultats de l'équilibre local

Flèche maximale Moment maximal Effort repris par le tirant

Cas 1 2,1 cm 176 kNm/ml 97 kN/ml

Cas 2 2,2 cm 440 kNm/ml 175 kN/ml

3.2. Analyse de la stabilité du massif d'ancrage

Le tableau suivant récapitule les données d'entrée nécessaires à la mise en œuvre

du modèle Kranz. Ces données sont obtenues par exploitation des résultats de

l'équilibre local de l'écran présenté précédemment (les notations et conventions

utilisées sont celles de la figure 2). En particulier, notons que le point d'effort

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tranchant nul (point D) est obtenu à z = -10,0 m pour le cas 1 (pied de l'écran) et z = -

11,7 m pour le cas 2 (1,3 m au dessus du pied de l'écran). L'inclinaison de la réaction

de l'écran a été prise égale à θ1 = 2/3φ (état limite de poussée), celle de la poussée

amont est prise nulle θ2 = 0.

Tableau 2. Mise en œuvre du modèle Kranz : données et résultats

Longueur utile Lu

(m)

Point d'effort tranchant nul (cote en m)

Réaction de l'écran P1

(kN/ml)

Poussée amont P2 (kN/ml)

Poids du massif W (kN/ml)

Effort déstabilisant Tu

(kN/ml)

Cas 1 6,0 -10,0 280 43 792 45

Cas 2 8,0 -11,7 275 55 843 70

Dans les deux cas étudiés, l'effort déstabilisant obtenu est bien inférieur à l'effort

repris par le tirant. Ce qui est synonyme d'instabilité du massif d'ancrage ! Il est

intéressant de compléter cette analyse par l'examen de la stabilité générale de

l'ouvrage de soutènement. Celle-ci peut être menée à l'aide d'un modèle classique

de stabilité des pentes basé sur la méthode de Bishop par exemple (surfaces de

rupture circulaires), dont le résultat pour le cas 1 est présenté par la figure 6 : le

calcul est mené sans pondérations, le cercle de glissement critique présente un

coefficient de sécurité de Fmin = 1,58 ! La même analyse menée pour le cas 2

conduit à un coefficient de sécurité Fmin = 1,38. Les deux valeurs permettent de

justifier la stabilité générale s'agissant d'un ouvrage provisoire. Notons que la

désactivation du tirant dans ce modèle est sans incidence sur le résultat.

Figure 6. Cas 1 - examen de la stabilité générale par la méthode Bishop

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Ce résultat met en évidence la nécessité de compléter systématiquement l'analyse

de la stabilité générale par une analyse de type Kranz afin de valider le choix de la

longueur libre du tirant : l'analyse de la stabilité générale s'avère en effet incapable

de révéler ici le risque d'instabilité du massif d'ancrage. En réalité, cela s'explique par

un choix non pertinent du mécanisme de rupture dans la présente situation (surface

de rupture circulaire unique). En toute rigueur, le mécanisme de rupture potentielle

est un mécanisme plus complexe, composé de trois mécanismes élémentaires

(figure ci-dessous) : un mécanisme de rupture par poussée à l'arrière du massif

d'ancrage, un mécanisme de rupture par glissement entre le point d'ancrage effectif

et la base de la partie active de l'écran, puis un mécanisme de rupture par butée côté

fouille.

Figure 7. Schéma de rupture potentiel avec défaut de stabilité du massif d'ancrage

La construction d'un tel mécanisme peut se faire en trois étapes successives à l'aide

de la méthode cinématique du calcul à la rupture comme le schématise la figure

suivante. L'étape 1 consiste à calibrer un diagramme de poussée à l'arrière du massif

d'ancrage (exploration d'arcs de spirales à concavité vers le haut débouchant au

point C). L'étape 2 permet de calibrer le diagramme de butée devant la partie fichée

de l'écran (exploration d'arcs de spirales à concavité vers le haut émergeant du point

D). Enfin, l'étape 3 consiste à isoler le massif d'ancrage soumis aux diagrammes de

poussée / butée calibrés précédemment et à examiner son équilibre limite par

exploration d'arcs de spirales à concavité vers le bas entre les points C et D.

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Etape 1 (poussée)

Etape 2 (butée)

Etape 3(massif d’ancrage)

F = 0,88

C

D

Figure 8. Construction du mécanisme de rupture potentiel par un modèle basé sur la

méthode cinématique du calcul à la rupture (cas 1)

La mise en œuvre de ce modèle pour le cas 1 par exemple conduit à un mécanisme

de rupture caractérisé par un coefficient de sécurité global inférieur à 1,00 : la

stabilité du massif d'ancrage n'est pas assurée, ce qui rejoint le résultat du modèle

simplifié de Kranz. Il peut être constaté dans ce cas particulier que le segment [CD],

adopté de manière conventionnelle pour la stabilité du massif d'ancrage, ne conduit

pas au mécanisme le plus défavorable à l'inverse d'un arc de spirale à concavité vers

le bas.

3.3. Modélisation éléments finis du comportement d'ensemble

En complément de l'analyse précédente, nous proposons de simuler le

comportement d'ensemble de l'ouvrage à l'aide d'un modèle aux éléments finis. Dans

ce modèle, la partie libre du tirant est modélisée par un élément de type "node to

node" n'interagissant pas avec le sol. La partie scellée est modélisée par un élément

de volume de caractéristiques équivalentes. Le sol est modélisé à l'aide d'une loi

hyperbolique de type "Hardening Soil Model" caractérisée par un module sécant de

référence en 1er chargement égal à 60 MPa ainsi qu'un rapport de 3 entre le module

de rechargement et celui en 1er chargement. La mise en œuvre du modèle

manifeste, pour les deux situations étudiées (cas avec et sans nappe), l'amorce d'un

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champ de déformations irréversibles englobant tout le massif d'ancrage comme

l'illustre la figure suivante. Le déplacement maximal atteint une dizaine de

centimètres. Le comportement observé s'apparente à celui d'un écran en console

avec une rotation globale autour de la base de l'écran. Ces observations corroborent

parfaitement les indications du modèle Kranz sur le caractère instable du massif

d'ancrage.

dmax > 10 cmdmax > 10 cm

Cas 1 (sans nappe) Cas 2 (avec nappe)

Figure 9. Champs de déplacements obtenus par modélisation éléments finis

3.4. Redimensionnement de la longueur des tirants

Afin de garantir la stabilité du massif d'ancrage, il convient en toute rigueur de viser

une sécurité minimale de 1,50 entre l'effort déstabilisant et l'effort repris par le tirant.

Il faut pour cela une longueur utile de 8,0 m pour le cas 1 (contre 6,0 initialement) et

de 11,5 m pour le cas 2 (contre 8,0 initialement). Avec ces valeurs, le modèle Kranz

conduit aux résultats suivants.

Tableau 3. Longueur utile permettant d'atteindre une sécurité suffisante

Longueur utile Lu

(m)

Réaction de l'écran P1

(kN/ml)

Poussée amont P2 (kN/ml)

Poids du massif W (kN/ml)

Effort déstabilisant Tu

(kN/ml)

Rapport entre Tu et effort

repris le tirant

Cas 1 8,0 280 58 1110 160 F = 1,65

Cas 2 11,5 275 80 1280 270 F = 1,54

La reconduite des modèles éléments finis précédents avec les longueurs ci-dessus

montre un comportement cohérent avec celui obtenu par un calcul aux coefficients

de réaction avec des déplacements de l'ordre de 3 à 4 cm.

4. Conclusion

Après une présentation des considérations pratiques et théoriques liées à la mise en

œuvre du modèle Kranz, l'analyse présentée a permis d'illustrer les enjeux de cette

vérification notamment en termes de déplacements et de comportement d'ensemble.

Pour les écrans ancrés, cette vérification a pour vocation à garantir la validité des

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hypothèses implicitement introduites dans les méthodes de dimensionnement

simplifiées comme les équilibres limites ou les coefficients de réaction. Quand la

stabilité du massif d'ancrage n'est pas justifiée, cela a un impact direct sur l'amplitude

des déplacements que seuls des modèles complets tels les éléments finis ou les

différences finies permettent d'appréhender. La vérification de la stabilité générale

par des mécanismes classiques de rupture circulaire s'avère souvent incapable de

révéler le risque d'instabilité du massif d'ancrage. Enfin, il est important de noter que

cette vérification va bien au-delà de celle consistant à vérifier simplement que la zone

scellée est située à l'extérieur du coin de poussée de Coulomb.

Références bibliographiques

Kranz E., 1953, Über die Verankerung von Spundwänden, Wilhem Ernst und Sohn.

Norme Ecran NF P 94 282, ANFOR 2009.

Recommandations T.A. 95, Eyrolles 1995, 150 pages.

Recommendations EAU 2004, Ernest & Shon 2006, 636 pages.