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__________________________________________________________________________________ Vol. 4, no 2, automne 2000 Interactions L’accompagnement, l’écoute des valeurs et la pratique de la psychologie des relations humaines Louise Lavoie, psychologue RÉSUMÉ Cet article poursuit deux objectifs. Premièrement, étudier un modèle spécial d’accompagnement : celui de l’écoute de la valeur de fond . Deuxièmement, tenter d’appliquer ce modèle à la psychologie des relations humaines. Pour commencer, l’auteure propose une façon d’envisager le concept d’accompagnement par opposition à quelques autres concepts relatifs au support interpersonnel. C’est dans cette perspective qu’elle présente ensuite les modèles de Carkhuff et de Curran sur l’accompagnement. Pour finir, elle s’arrête à l’examen plus explicite d’un autre modèle : celui de Yvon Saint-Arnaud sur l’écoute de la valeur de fond . Elle donne alors une application de ce modèle d’accompagnement dans un contexte de soins de santé. Puis, suivant une perspective plus globale – celle du lien entre ce modèle et la pratique de la psychologie des relations humaines en général – l’auteure cherche à définir certains rapports avec le concept d’actualisation du potentiel et celui de la relation coopérative tels que développés par Yves St-Arnaud. INTRODUCTION Pour le professionnel œuvrant en psychologie, la relation interpersonnelle semble bien être à la fois l’outil de base et le domaine de travail, dans tous les rôles, tels celui de médiateur, de formateur, d’agent de feed-back et, tout particulièrement, dans le rôle d’aidant. Dans ce dernier cas, la relation interpersonnelle prend différentes formes et se nomme, entre autres, relation d’aide, counseling, psychothérapie. À ce vocabulaire s’ajoute le terme d’accompagnement. Le psychologue en relations humaines utilise l’accompagnement dans sa pratique,

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Vol. 4, no 2, automne 2000 Interactions

L’accompagnement, l’écoute des valeurs et la pratique de la psychologie des relations

humaines

Louise Lavoie, psychologue

RÉSUMÉ

Cet article poursuit deux objectifs. Premièrement, étudier un modèle spécial d’accompagnement : celui de l’écoute de la valeur de fond . Deuxièmement, tenter d’appliquer ce modèle à la psychologie des relations humaines. Pour commencer, l’auteure propose une façon d’envisager le concept d’accompagnement par opposition à quelques autres concepts relatifs au support interpersonnel. C’est dans cette perspective qu’elle présente ensuite les modèles de Carkhuff et de Curran sur l’accompagnement. Pour finir, elle s’arrête à l’examen plus explicite d’un autre modèle : celui de Yvon Saint-Arnaud sur l’écoute de la valeur de fond . Elle donne alors une application de ce modèle d’accompagnement dans un contexte de soins de santé. Puis, suivant une perspective plus globale – celle du lien entre ce modèle et la pratique de la psychologie des relations humaines en général – l’auteure cherche à définir certains rapports avec le concept d’actualisation du potentiel et celui de la relation coopérative tels que développés par Yves St-Arnaud.

INTRODUCTION

Pour le professionnel œuvrant en psychologie, la relation interpersonnelle semble bien être à la fois l’outil de base et le domaine de travail, dans tous les rôles, tels celui de médiateur, de formateur, d’agent de feed-back et, tout particulièrement, dans le rôle d’aidant. Dans ce dernier cas, la relation interpersonnelle prend différentes formes et se nomme, entre autres, relation d’aide, counseling, psychothérapie. À ce vocabulaire s’ajoute le terme d’accompagnement. Le psychologue en relations humaines utilise l’accompagnement dans sa pratique,

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non pas dans un but de psychothérapie, mais plutôt pour soutenir le processus d’actualisation du potentiel des individus. L’accompagnement peut se faire dans une diversité de contextes. Dans cet article, une attention particulière sera portée au contexte des soins de santé. Ainsi, dans ce contexte, un praticien accompagne les personnes qui ont des difficultés liées à leur santé physique, mentale ou psychologique. Par exemple, un psychologue en relations humaines a à assumer un rôle d’accompagnateur dans le cas où la personne malade, sa famille, le personnel ont besoin non pas d’une approche psychothérapeutique ou d’une aide pour résoudre un problème, mais plutôt d’un soutien qui leur permette de s’actualiser malgré les limites et les défis que présentent les situations difficiles auxquelles ils sont confrontés.

La relation interpersonnelle est le fil conducteur du processus d’accompagnement. Au cœur de cette relation, l’écoute occupe une place de choix. Cette écoute permet d’établir des liens entre les personnes en présence. Cependant, ce qui a été mis en évidence par différents auteurs, c’est que ces liens peuvent se situer à divers niveaux de profondeur. Pour approfondir la notion d’accompagnement dans le cadre de la psychologie des relations humaines, le modèle d’Yvon Saint-Arnaud a été retenu. Ce modèle est centré sur l’écoute de la valeur de fond. Compte tenu de ce qui a été exposé jusqu’ici, les questions que pose cet article sont les suivantes :

1. Quel pourrait être l’apport de l’écoute des “ valeurs de fond ” dans le cadre d’un accompagnement fait par un psychologue en relations humaines, dans un contexte de soins de santé par exemple?

2. Est-il possible d’établir des liens entre l’écoute des “ valeurs de fond ” et certains aspects théoriques de la psychologie des relations humaines?

Afin de répondre adéquatement à ces questions, la première partie de l’article situera les uns par rapport aux autres les différents termes relatifs au support interpersonnel tels que counseling, psychothérapie, relation d’aide. Ceci permettra par la suite de mieux cerner la relation d’accompagnement. En deuxième lieu, seront présentées les caractéristiques du concept d’accompagnement en général, puis le concept d’accompagnement en profondeur. En troisième lieu, le modèle d’accompagnement basé sur la valeur profonde de la personne, développé par Yvon Saint-Arnaud (communication personnelle, mai 1998), professeur à l’Université Saint-Paul d’Ottawa, sera étudié de façon plus explicite. La dernière partie présentera enfin les liens entre ce modèle et la psychologie des relations

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humaines, d’abord dans un contexte de soins de santé puis, de façon plus globale, quant à certains aspects théoriques de la pratique en psychologie des relations humaines.

Les concepts de l’aide à autrui

Comme il a été souligné précédemment, la pratique de la psychologie s’appuie sur la relation avec un individu ou un système. Les diverses formes d’aide qu’on y utilise prennent des noms différents suivant les objectifs poursuivis, par exemple, counseling, psychothérapie, relation d’aide. À ces termes s’ajoute aujourd’hui celui d’accompagnement. Pour définir aussi justement que possible ce dernier terme, il importe de saisir ce que renferme chacun des concepts qui le précèdent, en prenant appui sur certains auteurs qui peuvent aider à mieux les cerner. Dans les pages qui suivent il sera donc d’abord question du counseling, puis de la psychothérapie et finalement de la relation d’aide, ce qui conduira par la suite à une étude plus approfondie de l’accompagnement.

Selon Yvon Saint-Arnaud (1986), les termes counseling, psychothérapie et relation d’aide sont trois concepts souvent confondus. Le terme counseling porte en lui-même une certaine ambiguïté. À l’origine, le terme relation d’aide était utilisé pour traduire en français le terme counseling. Toujours d’après cet auteur, dans le cadre du counseling aux États-Unis, le praticien possédait à l’époque, un entraînement pratique à la manière d’écouter quelqu’un, puis d’intervenir pour lui aider à grandir. Dans cette formation, la part des notions scientifiques et techniques en psychopathologie se limitait au minimum nécessaire pour distinguer les problèmes psychologiques relevant d’une psychothérapie et les difficultés qui semblent relever seulement d’un manque d’habileté dans les relations interpersonnelles courantes et devant les problèmes qu’on y rencontre habituellement. Curran (1968) le définit comme une aide intime et personnelle au niveau du “ self ”. Benjamin (1981) et Carkhuff (1988) en parlent en termes d’aide offerte dans les cas de difficulté à vivre, sans pour autant que ces difficultés soient clairement associées à des maladies bien définies.

Quant au concept de psychothérapie, selon Curran (1968), il implique la maladie et réfère à la clinique. Gagnon (1986, p. 778) illustre bien le type de relation professionnelle établie avec le client dans ce contexte. Pour lui, la relation vise soit à “ combattre, à modifier ou à retarder les manifestations de symptômes

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psychologiques ou psychophysiologiques, soit à modifier des comportements pathologiques ou à promouvoir une croissance saine de la personnalité ”. On peut donc déduire que la pratique de la psychothérapie exige une formation poussée en psychopathologie ainsi que dans l’art et les techniques requises pour soutenir la personne dans un processus de guérison. Malgré tout, il n’en demeure pas moins que les frontières entre les deux réalités ne sont pas clairement délimitées. Ainsi, Cottone (1992 : voir Yves St-Arnaud, 1998) considère encore comme synonymes les réalités de psychothérapie et de counseling.

En ce qui a trait à la relation d’aide, bien qu’au départ ce terme était une traduction du mot counseling, il est repris présentement par Yves St-Arnaud, dans le contexte de la pratique de la psychologie des relations humaines, sous le vocable rôle d’aidant. Yves St-Arnaud (1998, p. 1) explique qu’on assume le rôle d’aidant lorsqu’on tente de “ répondre aux besoins d’un individu qui désire résoudre un problème personnel, prendre une décision, liquider des tensions accumulées, planifier une action difficile, intégrer un feed-back, accepter un échec, modifier un comportement, etc. ”. Cette vision suppose alors que l’aidant travaille à partir d’un cadre conceptuel précis lorsqu’il s’engage dans la relation avec un client. Ces cadres sont variés, appartenant à des approches aussi bien gestaltiste qu’humaniste, cognitive, behaviorale, psychanalytique, etc. Le rôle d’aidant tel que défini par St-Arnaud se caractérise par le fait suivant : quelque soit le modèle privilégié le changement visé est planifié et les résultats sont observables chez l’aidé.

Dans un tel cadre, la résolution de problème est l’objectif de la relation d’aide. Il n’est alors pas question de guérison comme en psychothérapie. De plus, l’intervenant utilise l’approche coopérative dans l’établissement de la relation avec le client. La participation de ce dernier est requise et ses forces mises à profit dans le processus en cause. Le problème à résoudre est formulé en coopération avec l’aidé, un cadre temporel est établi en fonction de l’objectif à atteindre, bref, le client est responsabilisé dans sa démarche. Dans ce contexte, le psychologue en relations humaines a cependant besoin d’avoir des connaissances en psychothérapie afin de dépister les problématiques qui ne relèvent pas de son expertise et de pouvoir orienter l’aidé vers d’autres personnes ressources.

Nous venons de voir dans les pages précédentes que les termes counseling, psychothérapie, relation d’aide, tout en étant des concepts différents, ont en commun certaines caractéristiques. D’abord, l’aide apportée implique une

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expertise chez l’aidant, tant au niveau du contenu que du processus. De plus, la qualité de la relation permet d’assurer support et climat.

Avec l’accompagnement, on n’est plus dans la réalité de l’aide à la résolution d’un problème, mais dans l’aspect du soutien. Dans ce cas, le lien à créer avec la personne constitue le centre de l’intervention. On veut être avec cette personne, compagnon ou compagne (Pronovost, 1991) et s’engager dans un processus relationnel. Dans cette visée, l’accent n’est pas mis sur l’expertise mais bien sur une qualité de présence.

À la différence des autres modes de relation professionnelle présentés préalablement, il n’y a pas de formation précise exigée d’un accompagnateur. Ce rôle n’est pas rattaché à une profession particulière. De plus, il ne bénéficie pas d’un titre réservé comme l’est par exemple, celui du psychothérapeute (Marchand, 1998) ou celui du psychologue. Par contre, vu que dans l’accompagnement la présence peut devenir très soutenante, on peut conclure que c’est un outil important et utile pour un professionnel. Cet outil l’est particulièrement pour un psychologue en relations humaines qui doit assurer une présence dans un milieu, afin de favoriser, d’établir ou de maintenir l’équilibre dans les relations avec les gens. Lacasse (1997) et Deschênes (1997) l’ont d’ailleurs souligné dans leur essai portant sur l’accompagnement dans la pratique de la psychologie des relations humaines.

Mais pour mieux comprendre le concept d’accompagnement, quelques définitions seront d’abord présentées et les caractéristiques de ce rôle seront mises en évidence.

Les caractéristiques de l’accompagnement en général

Pour Pronovost (1997, p. 2), accompagner veut dire : “ Être relié; être engagé face à l’autre dans le quotidien; répondre au besoin fondamental de sécurité et de lien; devenir un être significatif pour l’autre et que cet autre le devienne pour soi-même. ”. Cette définition met l’accent sur la relation, le lien à créer, la présence et, par conséquent, met en évidence l’engagement et la responsabilité mutuelle des deux personnes impliquées dans ce rapport. Elle souligne également l’aspect de valeur qui est au coeur de la relation à l’autre. De son côté, Beth (1986, p. 29)

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emploie les verbes suivants pour parler de l’accompagnement : “ escorter, suivre, marcher avec, renforcer, soutenir, protéger... être là dans une peau humaine, ...percevoir ce qu’il attend de nous ”. Accompagner implique donc un choix de faire route avec l’accompagné pour risquer une relation qui devient empreinte de support et de rendez-vous privilégiés. Quant à Salomé (1993, p. 241), il souligne un autre point qui fait appel au respect de la différence dans les accompagnements. “ Accompagner... c’est agrandir en écho les possibles de l’autre en cheminant au plus près de lui, mais en étant différent de lui. ”

Quand on regarde l’ensemble de ces définitions, on s’aperçoit que Pronovost (1997), Beth (1986) et Salomé (1993) ont en commun la notion de relation dans une vision de coresponsabilité, c’est-à-dire d’engagement et de responsabilité réciproques. D’autres aspects, tels que le soutien et l’enrichissement mutuel, la croissance dans et par la relation sont présentés comme des éléments de base du processus d’accompagnement. Au fond, on pourrait dire que le mot présence synthétise tous ces aspects.

Cette vision de l’accompagnement se rapproche de la perspective de la psychologie des relations humaines qui place la relation au coeur de l’être et au coeur du processus d’actualisation (Yves St-Arnaud, 1996). La personne qui s’actualise va chercher par la relation à répondre aux besoins fondamentaux de bien-être, de sécurité, de considération, de compétence et de cohérence. Dans un milieu relationnel sain, il sera possible de trouver des réponses à ces besoins et le potentiel de la personne pourra pareillement s’actualiser. D’après ce modèle, il est plausible de faire l’hypothèse qu’un accompagnement sain peut ainsi contribuer à répondre à des besoins fondamentaux, tels ceux de considération et de compétence.

Nous avons mentionné que l’accompagnement est un outil utile pour le psychologue en relations humaines. Nous savons de plus, que le but de l’accompagnement est de permettre aux personnes de vivre en lien. Des auteurs ont traité, dans le cadre d’une relation thérapeutique, des conditions de base favorisant une bonne relation. Comme il s’agit de conditions qui s’appliquent à la dimension relationnelle, il apparaît pertinent de les utiliser dans le cadre de l’accompagnement fait par un psychologue en relations humaines. Les pages qui suivent vont donc nous présenter ces conditions favorisant la mise en place d’une relation et, plus précisément, d’une relation en profondeur dans le cadre de l’accompagnement.

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L’accompagnement en profondeur

Dans leurs modèles, certains auteurs présentent des points de vue différents mais complémentaires quant aux ingrédients pouvant contribuer au succès d’une bonne relation. Dans les pages qui suivent, les modèles de Carkhuff et de Curran seront d’abord présentés. Puis le modèle d’Yvon Saint-Arnaud sera approfondi par le biais du concept de la valeur de fond ainsi que par la présentation de ce qui constitue l’écoute en profondeur. L’étude de ces auteurs permettra de mieux saisir la réalité de “ l’accompagnement en profondeur ”.

Le modèle de Carkhuff : l’empathie, l’authenticité, l’acceptation inconditionnelle

Pour Carkhuff (1969) qui se situe dans le courant humaniste existentiel, des attitudes d’empathie, d’authenticité, d’acceptation inconditionnelle de la part de ce que cet auteur nomme l’aidant, constituent la base d’une relation d’aide. Pour chacune de ces dimensions, Carkhuff a bâti des échelles en cinq points, graduées de 0 à 5. Ces échelles permettent de juger de la profondeur des attitudes mentionnées, à partir de critères précis. Plus on avance dans l’échelle, c’est-à-dire, plus on approche du niveau 5, plus le niveau de profondeur est élevé. Les deux derniers niveaux de l’échelle illustreront ce fait.

Ainsi, dans la compréhension empathique, plus on avance dans les niveaux, plus l’écouté se retrouve dans les reflets de l’écoutant. Au quatrième niveau, la saisie du message dénote une compréhension plus juste qu’aux niveaux antérieurs. C’est avec le cinquième niveau, que le message et les sentiments sont compris dans leur réalité profonde. Auger (1972) qui a adapté le modèle de Carkhuff au contexte québécois, précise qu’à ce dernier niveau, aidé et aidant sont sur la même longueur d’onde.

L’authenticité est une autre attitude qui mène à une relation vraie. Dans la vision de Carkhuff (1969), l’aidant est plus efficace lorsqu’il mise sur l’authenticité dans ses rapports avec l’aidé. Pour lui, le but de l’aide est d’amener la personne à devenir plus authentique, c’est-à-dire à être de plus en plus elle-même dans l’instant présent. Ainsi, pour amener l’autre dans un rapport d’authenticité, il faut d’abord être soi-même authentique comme aidant. Carkhuff définit l’authenticité

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par cette qualité d’être, où l’aidant se vit de façon honnête et vraie dans son rapport avec l’aidé. Au quatrième niveau, l’aidant manifeste à l’aidé ses propres sentiments, mais avec moins de véracité qu’au niveau 5. Le niveau 5 devient un reflet juste des pensées et du vécu de l’aidant dans son rapport avec l’aidé.

Quant à l’acceptation inconditionnelle, cette attitude réfère à l’accueil de l’autre dans sa différence et ce, dans le plus grand respect. Au niveau 4, l’aidant manifeste respect et intérêt envers l’aidé mais avec moins d’intensité qu’au niveau 5. Au niveau 5, l’aidant communique à l’aidé un profond respect, autant pour sa valeur en tant qu’être humain unique que pour le potentiel qu’il porte.

Le modèle de Carkhuff est d’autant plus crédible que des recherches ont montré un impact positif lorsque ces attitudes étaient présentes. Ainsi, Truax et Carkhuff (1967 : voir Carkhuff, 1969) ont démontré dans une étude portant sur les schizophrènes un lien direct entre le degré d’empathie, d’authenticité et d’acceptation inconditionnelle de l’aidant et les résultats chez l’aidé. Plus le niveau de ces trois attitudes était élevé de la part de l’aidant, plus les résultats étaient positifs chez l’aidé.

Si la présence de ces attitudes, à un niveau de profondeur élevé, produit un effet thérapeutique aussi fort sur des malades, on peut présumer que dans le cadre d’un accompagnement, un accompagnateur qui fait montre de telles qualités peut avoir une capacité d’accompagner accrue. De plus, ces qualités devraient avoir un impact positif chez le ou la partenaire, en raison du niveau de profondeur manifesté.

Voyons maintenant un autre modèle, celui de Charles Curran, qui établit des types de conditions différentes favorisant la relation en profondeur.

Le modèle de Curran : la sécurité intérieure, la compréhension mutuelle, la reconnaissance de l’identité

Charles Curran (1968), un psychologue qui s’identifie lui aussi au courant humaniste existentiel, insiste, dans son modèle, sur la sécurité intérieure, la compréhension mutuelle et la reconnaissance de l’identité. Ce modèle a été développé pour un contexte de counseling et de psychothérapie. Toutefois les

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mêmes raisons qui ont justifié la présentation du modèle de Carkhuff dans le cadre de cet article, prévalent dans le cas de celui de Curran. Les aspects présentés dans ce modèle réfèrent à la fois au pôle individuel (l’aidant) et relationnel (l’interaction aidant-aidé). Il sera donc possible de faire des liens avec l’accompagnement, qui est avant tout une question de présence à soi et à l’autre.

Le premier aspect du modèle concerne la sécurité intérieure de l’intervenant. Cette sécurité provient d’un amalgame de connaissances : connaissances scientifiques et techniques, connaissance de soi et reconnaissance de ses limites. Ici, on peut faire le lien avec la notion d’espace intérieur de Pronovost (1998), puisque cette connaissance de soi et cette reconnaissance des limites personnelles permettent de sécuriser l’espace où l’autre peut être accepté comme différent. Cette connaissance de soi implique donc une capacité de se recevoir et d’être lucide par rapport à soi-même, à sa propre identité, à ses valeurs. Ceci signifie que plus la personne s’accueille, se reçoit, par exemple en faisant elle-même un cheminement personnel, plus elle devient capable de faire des choix pertinents en lien avec son identité de fond et par le fait même avec ses valeurs. Dans un sens, cette vision des choses peut rejoindre la pensée d’Yves St-Arnaud (1996) lorsqu’il fait référence à la notion du recevoir dans le processus d’actualisation du potentiel.

La sécurité intérieure étant une dimension de base, on peut supposer, par la suite, que la personne contribue par cette sécurité, à mettre en place les autres conditions qui vont permettre un accompagnement dans une relation en profondeur. La compréhension mutuelle est un deuxième aspect dans cette ligne de pensée.

Deux éléments composent cette compréhension mutuelle : l’importance de savoir se relier aux autres et l’importance de développer un climat de confiance. La première caractéristique, savoir se relier aux autres, réfère aux habiletés qui facilitent le processus de la rencontre. Ces habiletés sont d’ordre cognitif, linguistique et affectif (heart-felt). Pour Curran, les “ habiletés du coeur ” (heart-felt) surpassent les premières. En effet, à son avis, le senti qui vient du fond du coeur favorise l’engagement réciproque et invite à la profondeur dans la relation. Ainsi, quand on parle de compréhension du coeur, cela veut dire pour Curran, entendre la personne et la saisir jusque dans ses racines. Pour atteindre cette profondeur, l’accompagnateur doit percevoir chez l’autre le désir ardent d’être ainsi compris dans son intensité expérientielle et ce, même dans les difficultés à se saisir lui-même. Ces moments deviennent de réels instants de vérité, parce qu’ils se situent dans une relation de coeur à coeur. Cette compréhension amène

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l’engagement des deux personnes dans un processus qui permet de faire jaillir la vie, de découvrir leur raison d’être, leur sens à la vie. C’est, pour Curran, dans cette profondeur de relation que la personne touche à sa source qui est au centre de sa motivation, de son agir, de ses joies, de ses peines. Ce cadre peut lui permettre d’être différente des autres, d’apparaître dans ce qu’elle a d’unique. Le lien créé traduit la présence, l’engagement et peut contribuer à sortir de l’isolement. Ces habiletés du coeur dont parle Curran, rejoignent ce qui caractérise le niveau 5 d’empathie de Carkhuff, niveau où la personne peut avoir l’impression d’être reconnue dans ce qu’elle a de plus intime et qui peut même être ignoré d’elle-même.

La deuxième caractéristique de cette compréhension mutuelle porte sur le climat de confiance. Cette confiance se bâtit grâce à la qualité du lien, à la compréhension manifestée et à l’intérêt perçu. Dans un tel contexte, la porte s’ouvre à l’intimité et par conséquent, à une plus grande profondeur dans la relation.

Un dernier aspect du modèle de Curran, la reconnaissance de l’identité, est directement relié à celui qui précède. Selon cet auteur, si on arrive à créer un climat d’ouverture et de confiance dans la relation, on va entrer en contact avec les différences individuelles, d’où la nécessité de traiter de l’identité et du respect de l’identité de la personne, en ce qui a trait à son unicité. Ce qui constitue cette unicité est souvent traduit en termes de différences qui peuvent être de tout ordre. À la base de cette différence et de cette unicité, on retrouve l’hérédité, l’éducation, la culture, l’histoire personnelle, les goûts, les aspirations, les désirs, les habitudes, les joies, les peines, les contacts sociaux, tous des éléments personnels qui colorent l’identité propre. Le bagage expérientiel et culturel suit l’individu partout et en tout moment, influe sur l’existence et tisse jusqu’à un certain point la toile de fond de l’avenir de la personne (Curran, 1968). Ainsi, les gestes, les réactions, les comportements trouvent leurs sources dans l’histoire personnelle. On peut en déduire qu’ils y trouvent aussi leur signification.

Cette vision des choses est confirmée par un philosophe, Taylor (1998, p. 54), qui définit l’identité “ essentiellement par la manière dont les choses ont une signification pour moi... ont du sens pour moi. ”. Pour lui, le besoin d’être en lien, justement avec ce que l’on considère comme la chose la plus importante pour soi, révèle le désir le plus intense, ce qui amène au coeur de l’aspect motivationnel de la personne, celui de ses goûts profonds. Ainsi, porter une attention particulière

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autant à l’ensemble des dimensions qui sont le propre de la personne, qu’au sens qu’elle donne à son expérience, conduisent à la profondeur dans la relation. Yvon Saint-Arnaud (1984), auteur dont on étudiera le modèle plus loin, fait sienne cette conception de l’identité.

Comme pour le modèle de Carkhuff, le modèle de Curran s’avère aussi très pertinent pour la relation d’accompagnement, puisque les conditions explicitées permettent d’avoir accès à l’intimité profonde de l’individu. La sécurité intérieure de l’intervenant crée une force de base qui soutient la compréhension mutuelle et conduit à la reconnaissance de l’identité. Cette identité s’enracine dans les goûts profonds de la personne, et par conséquent, dans ses valeurs. On peut alors présupposer que ces conditions contribuent à répondre aux besoins fondamentaux de la personne énumérés plus haut. Voyons maintenant le modèle d’Yvon Saint-Arnaud pour qui l’écoute est à la base d’une relation en profondeur.

Le modèle d’Yvon Saint-Arnaud : l’écoute en profondeur

Yvon Saint-Arnaud, qui se situe lui aussi dans le courant humaniste existentiel, utilise spécifiquement le terme d’accompagnement, contrairement aux autres auteurs que nous avons vus. Pour lui, le modèle “ d’accompagnement en profondeur ” qu’il propose est basé sur l’écoute des valeurs profondes de la personne. Ses recherches, sa longue expérience de plus de 50 ans en psychothérapie, en relation d’aide, en accompagnement dans toutes sortes de contextes, l’ont amené à constater que lorsqu’une personne parle, elle livre constamment des choses profondes. Cependant, la personne qui écoute n’est pas toujours à même de saisir ces réalités.

Les modèles présentés précédemment ont permis de voir quelles conditions prévalaient à une relation en profondeur. Le modèle d’Yvon Saint-Arnaud présuppose ces conditions. Ce qui caractérise ce modèle, c’est l’insistance mise sur les “ valeurs de fond ” de la personne, car pour Saint-Arnaud, la saisie de ces valeurs donne toute la profondeur à la relation et par conséquent, à l’accompagnement. Pour lui, ces valeurs se traduisent à travers les messages implicites et explicites et les expressions de déceptions et de joies; d’où l’importance accordée à la qualité de l’écoute.

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Avant de traiter de l’écoute elle-même, il apparaît nécessaire de spécifier la notion de valeur et particulièrement, la notion de valeur de fond. La prochaine section va nous présenter le concept de valeurs, d’abord à partir du langage populaire, pour ensuite donner la définition de la notion de valeur de fond dans le contexte du modèle de Saint-Arnaud.

Les valeurs

Dans le langage quotidien, le concept valeur a deux acceptions : une personne a une valeur; une chose a de la valeur. Robert (1981, p. 1061) définit ainsi ce terme par rapport à une personne : “ ce en quoi une personne est digne d’estime (quant aux qualités que l’on souhaite à l’homme dans le domaine moral, intellectuel, professionnel) ”. Par rapport à une chose : “ caractère mesurable (d’un objet) en tant que susceptible d’être échangé, d’être désiré ”. Ces définitions soulignent le caractère valable accordé à une personne ou à une chose en raison des aspects que l’on estime importants ou non selon notre barème d’évaluation.

Les résultats de l’étude de Lavoie (1993) sur les valeurs, mettent en évidence la constance des valeurs. En effet, celles-ci imprègnent tout le comportement et possèdent des composantes cognitives, affectives et comportementales. À cause de ces composantes, les personnes peuvent savoir pourquoi elles agissent d’une façon donnée et peuvent le sentir affectivement. Les valeurs amènent à des modes de conduite et deviennent des standards de vie. C’est ainsi que ce qui est jugé valable, peut mobiliser tout l’agir et orienter la vie d’une personne. Des auteurs comme Curran (1968), Pronovost (1991), Yvon Saint-Arnaud (1996) mettent justement l’accent dans leur définition du mot valeur sur l’élément du goût, de l’attrait. Le plaisir qui en découle et ce, en dépit de l’effort exigé, permet à la personne de s’épanouir, de s’actualiser dans et par la valeur qu’elle privilégie.

Cette valeur devient ainsi le moteur qui alimente l’agir, incite à investir le meilleur de soi-même. Elle amène à consacrer temps et énergie parce qu’elle rejoint un bien perçu comme fondamental. Ce bien, Yvon Saint-Arnaud (1996) le nomme valeur de fond

L’approche d’Yvon Saint-Arnaud a fait l’objet d’une recherche doctorale en 1997. La chercheuse, Marie-Line Morin, a vérifié de façon empirique la présence de la valeur de fond dans le discours de cinq sujets. Elle a démontré à partir de l’analyse des verbatims, la justesse et l’efficacité du modèle. Ses conclusions révèlent la

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présence d’une “ valeur de fond ” chez chacun de ses sujets. Les participants à sa recherche étaient eux-mêmes suivis par des thérapeutes travaillant à partir de quatre approches différentes en psychothérapie : les approches psychanalytique, humaniste-existentielle, cognitive-behavoriale et systémique.

Morin (1997), définit la valeur de fond comme étant “ un bien ultime auquel aspire la personne humaine de manière unique et fondamentale et constituant l’expression par excellence de son identité ” (Morin, 1997, p. 6). Il y aurait donc un lien entre la valeur de fond et l’identité. De plus, Yvon Saint-Arnaud insiste sur le fait que chaque personne humaine possède sa valeur de fond qui pousse son agir dans une direction précise. Cette valeur de fond peut se comparer à un point de repère, à une balise, à un phare qui guide les choix et les orientations de vie. Elle intègre toutes les autres valeurs et manifeste par conséquent, l’identité profonde.

Par exemple, imaginons quelqu’un qui considère la justice comme la valeur la plus importante dans sa vie. Cette valeur prendra tellement de place que toutes les situations, les activités de cette personne seront évaluées en rapport avec cette valeur. Tout ce qui sera contraire à la justice sera occasion de lutte, d’engagement. Cette personne pourra même risquer sa vie pour la défense de cette valeur. Celle-ci devient un but, un idéal de vie. Parce que la personne y voit d’abord une conformité nécessaire avec son identité profonde, elle a de la facilité par le fait même à y percevoir des gains importants pour elle. C’est ainsi qu’elle se sent dynamisée par l’actualisation de sa valeur et s’y investit entièrement.

Morin (1997) rappelle aussi qu’Yvon Saint-Arnaud relie la valeur de fond à la motivation, terme utilisé en psychologie pour parler de cette réalité. Saint-Arnaud préfère le concept valeur de fond, parce qu’il traduit mieux l’intégration de ses connaissances philosophiques, psychologiques, théologiques. C’est aussi une réalité qu’il a pu vérifier empiriquement dans le cadre clinique. Au niveau philosophique, ce concept réfère à la notion de bien suprême telle que présentée par le philosophe Aristote. Cette notion a d’ailleurs été reprise par Taylor (1998) dans une approche philosophique herméneutique sociale où il parle, lui, d’un hyperbien.

En résumé, pour Yvon Saint-Arnaud, la valeur de fond correspond à un bien recherché et constitue un fondement de la motivation humaine. La perception et l’écoute de cette valeur mettent la personne qui accompagne en contact avec le

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“ coeur ” de qui est l’accompagné. Les pages qui suivent permettront de mieux saisir le modèle d’écoute présenté par Saint-Arnaud.

L’écoute de la valeur de fond

L’écoute s’avère, d’après Yvon Saint-Arnaud, la clé qui mène à un accompagnement en profondeur et permet d’entendre la valeur de fond. Écouter vient du latin auscultare qui signifie prêter l’oreille pour entendre (Robert, 1981). Ainsi, une condition primordiale pour l’écoute, c’est de savoir se taire. Physiquement par l’absence de parole; mais aussi par la capacité de mettre au rancart préoccupations, problèmes, difficultés qui pourraient jaillir lors du contact avec l’accompagné. L’écoute implique donc le silence pour faire place à l’autre dans l’espace intérieur. Disponibilité du coeur, attention au dit et au non-dit permettent de détecter le message dans son intensité et d’accueillir la personne avec son histoire, son monde affectif et relationnel, ses souffrances, ses désirs, ses valeurs. Savoir lire au-delà des mots la profondeur manifestée, amène à participer à une aventure dont on ignore au départ les avenues et le terme.

Cette présence dans l’écoute suppose l’attention au message de l’accompagné de sorte que rien d’autre ne compte. On ne prépare pas de réponses. On n’évalue pas, on ne juge pas. On est en lien avec l’accompagné et non avec ses propres besoins à soi. On est présence qui capte les ondes, les messages pour mieux saisir les réalités transmises. En évitant l’interférence, on devient de vrais récepteurs où la transmission est juste et non déformée. Cette écoute centrée sur l’accompagné imprègne l’auditeur de la vérité de l’écouté et conduit à la découverte des valeurs de ce dernier.

Pour Yvon Saint-Arnaud, les éléments récurrents dans le discours de l’accompagné, les déceptions et les joies exprimées, de même que l’intensité de la charge émotive véhiculée constituent les trois éléments de base permettant d’identifier ces valeurs privilégiées. D’après lui, ces éléments permettent de déceler les thèmes dominants, c’est-à-dire les valeurs qui reviennent et renseignent aussi sur les blessures subies, car toute valeur non respectée entraîne une blessure dont la profondeur correspond à l’importance du bien qui s’y rapporte. L’écoute des trois éléments de base conduit à l’identification de la trame de fond de l’accompagné.

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Ainsi, pour un accompagnateur habile, un mot, une analogie, un exemple, une expression non-verbale peuvent être révélateurs des goûts profonds, des motivations et des valeurs. L’accompagnateur qui développe le sens de la parole juste par ses reflets et reformulations s’unit à l’expérience de l’accompagné, lui permettant de progresser dans sa démarche. Encore faut-il que l’accompagné soit en état d’ouverture à son expérience et que l’accompagnateur choisisse le moment approprié pouvant favoriser l’expression en profondeur du vécu.

L’écoute conduit donc à la valeur de fond. Entendre ce que la personne juge bon pour elle, situe l’écoutant au niveau des valeurs. Déceler la valeur la plus dynamisante met en évidence la valeur de fond. Yvon Saint-Arnaud (communication personnelle, avril 1998) illustre très bien ce type d’écoute par le biais de l’exemple suivant. Une dame de 79 ans lui racontait sa difficulté à vivre seule, depuis le décès de son mari. Elle disait souhaiter être toujours avec une amie, tout en réalisant l’impossibilité de ce désir. Au cours des accompagnements, Yvon Saint-Arnaud avait noté les multiples rires de cette dame. Ceux-ci lui servaient à oublier son désir de fusion et à exprimer de façon voilée sa valeur de fond. Ces rires lui aidaient à oublier ses désirs excessifs de l’autre puisqu’elle disait souhaiter être toujours avec une amie. Ce terme de toujours indique bien sa dépendance exagérée envers la présence d’une autre personne. Pareille attitude relève de la relation dite fusionnelle dans le style de celle du bébé avec sa mère.

Voilà pourquoi cet exemple montre que l’attention au non-verbal –le rire – peut renseigner sur la valeur de fond. En effet, la personne avouait que son rire avait la valeur d’un signe particulièrement transparent pour elle, car son optimisme, même dans les pires épreuves, était nourri de la conviction que son existence était destinée à un bonheur indestructible. On comprend pourquoi elle gardait son rire fréquent qui trahissait précisément sa certitude qu’un bonheur indestructible l’attendait. L’assurance de ce bonheur constituait pour elle sa valeur de fond.

Cet exemple souligne de plus, non seulement l’importance de l’écoute attentive pour l’accompagnateur, mais aussi la capacité de reformuler avec justesse et finesse le vécu de l’accompagné. Voyons par exemple comment l’accompagnateur a pu refléter le phénomène du rire : “ ce qui me frappe en vous entendant rire plusieurs fois pendant que vous parliez quand même de votre peine, c’est l’impression que votre rire semblait dire quelque chose à propos de votre bonheur. Comme si malgré votre souffrance, vous gardiez contact avec un bonheur plus profond qui était révélé par vos rires. ” Effectivement, la dame a répondu : “ c’est

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exact, mes rires me faisaient prendre conscience que j’étais heureuse en même temps que souffrante. ” (Saint-Arnaud). Évidemment, pour saisir cette valeur de fond – bonheur indestructible – le silence intérieur de l’accompagnateur devient primordial. Sans cela, la parole traduisant le vécu de la personne ne pourrait jaillir. Les pages qui suivent vont permettre d’approfondir l’effet produit par cette écoute, dans un contexte de soins de santé.

L’accompagnement en soins de santé et la valeur de fond

Les pages précédentes, ont permis de définir l’accompagnement de la façon suivante être avec, cheminer à côté . Il a de plus été vu qu’un accompagnement en profondeur requiert des savoirs et que la saisie de la valeur de fond permet de contacter la source motivationnelle de la personne, source qui contribue à soutenir son goût de vivre. Dans un contexte de soins de santé, cette source motivationnelle peut être grandement affectée par la menace pour la vie que représentent la maladie, le handicap, le vieillissement ou la mort. C’est pourquoi, il apparaît pertinent dans un tel contexte de travailler dans la perspective d’Yvon Saint-Arnaud. Faciliter, chez la personne atteinte, le contact avec sa valeur peut lui permettre de trouver une énergie renouvelée qui la soutiendra dans l’épreuve. Pour cela, l’accompagnateur doit assurer une présence qui respecte à la fois la personne et la personne malade, gardant bien en évidence les deux termes de l’expression.

Les auteurs qui ont traité de l’accompagnement dans le contexte des soins de santé, ont mis l’accent sur cette double réalité. Néron (1995, p. 96) définit l’accompagnement en ces termes : c’est une “ rencontre et une relation au malade dans sa condition humaine et spirituelle de souffrant. ” Verspieren (1984) parle d’une aide discrète à apporter à chaque étape de l’évolution du malade. Demettre (1993) met l’accent sur le mieux être et le mieux vivre que l’accompagnateur doit encourager jusqu’à la mort. Ces définitions nous situent au coeur de la relation avec l’accompagné dans diverses dimensions de son être, autant physique que psychologique et spirituelle, tout en tenant compte de sa condition.

Ainsi, dans le contexte mentionné plus haut, l’accompagnateur devra apporter un support à quelqu’un qui vit une difficulté majeure liée à sa santé physique, mentale ou psychologique. Par exemple, s’il s’agit d’accompagner une personne en phase terminale, de toute évidence, le but de l’accompagnement ne sera pas de l’empêcher de mourir. Il sera plutôt d’être avec cette personne, de lui apporter le

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support nécessaire pour l’aider à mieux vivre sa réalité dans le processus du mourir et ce, à partir de ses ressources personnelles. Considérant que le malade est jusqu’au bout un vivant (Gomas, 1988; Beth, 1986; Jomain, 1984) l’accompagnement fait par un psychologue en relations humaines doit miser sur le lien créé permettant de répondre aux grands besoins fondamentaux de l’être humain, dans une étape particulièrement difficile de l’existence. Ces besoins, nous l’avons vu, sont, selon Yves St-Arnaud (1996), le bien-être, la sécurité, la considération, la compétence et la cohérence. La satisfaction de ces besoins, dans la recherche de réponses adéquates qui tiennent compte des contraintes liées au contexte de vie, constitue une priorité dans l’intervention du psychologue en relations humaines qui oeuvre dans les milieux de santé et de services sociaux. C’est pourquoi l’application du modèle d’Yvon Saint-Arnaud à la pratique de la psychologie des relations humaines dans ces milieux apparaît pertinente et adéquate. En effet, si on se réfère au modèle d’Yvon Saint Arnaud, contacter la valeur de fond pourrait faire émerger une source d’énergie qui soutiendrait la personne dans sa recherche, pour répondre à ces besoins et ce, quelque soit le contexte ou le pronostic de vie.

Concrètement, répondre au désir profond des personnes (Cadart, 1988) pourrait signifier de détecter à partir des messages voilés, voire symboliques, la demande sous-jacente. Par exemple, un malade révèle sa peur de mourir. L’encouragement à s’exprimer peut amener à déceler dans cette peur, un besoin de sécurité. Cette sécurité devient le bien recherché, la valeur de fond. Une autre personne pour qui la maladie apporte des pertes importantes au niveau physique parlera par exemple, de sa beauté qui est diminuée. Dans ce cas, le bien recherché peut être l’intégrité de l’image corporelle et le lien avec les autres, à travers la conservation de cette intégrité. Par le fait même, les besoins fondamentaux de sécurité et de considération cherchent à être satisfaits.

L’écoute en profondeur permet de faire doucement émerger le bien recherché, d’identifier et de nommer la valeur de fond. Se sentant alors écoutée et reçue dans ce qu’elle a de plus intime, la personne qui se livre peut contacter plus facilement la souffrance qu’elle porte et voir avec plus de lucidité le besoin fondamental auquel elle cherche à répondre. Les mécanismes habituels de réponse à ce besoin étant perturbés chez la personne malade, le psychologue en relations humaines peut alors maintenir son écoute et demeurer attentif aux détails qui permettraient de créer un contexte facilitant la mise en place de nouveaux mécanismes.

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Il semble donc que le fait de travailler à partir de la valeur de fond dans un processus de maladie puisse aider à prendre contact avec soi-même. Ce contact peut conduire la personne accompagnée à être plus consciente de ses ressources. Ce processus peut alors favoriser un recadrage de l’expérience, permettant de donner sens à une épreuve et de maintenir l’espoir. S’inspirant de son expérience en pratique de la psychologie des relations humaines, l’auteure peut illustrer ce phénomène par l’exemple suivant. Un homme dans la cinquantaine qui vient de décéder (septembre 1999) refusait de recevoir de la morphine pour soulager ses douleurs (ce qui était inadmissible pour l’entourage). Ce refus était lié à une valeur importante pour lui : expérimenter à fond la souffrance, afin de se rapprocher davantage de celle du Christ sur la croix. Ce rapprochement constituait pour cette personne sa valeur de fond. La douleur devenait un bien recherché non pas pour elle-même mais pour le sens dont il était porteur. En même temps, ce rapprochement lui permettait de respecter son besoin de cohérence. L’écoute de la valeur de fond a pu ainsi permettre le respect de la volonté du malade, sa participation à la décision de ne pas administrer le médicament. Par le fait même de cette décision, le malade n’a pu s’actualiser qu’à partir de sa valeur de fond et de son besoin de cohérence. De plus, dans ce contexte, la compétence du malade pour gérer sa douleur devenait reconnue par l’entourage, ce qui lui permettait de mieux répondre à son besoin de compétence.

L’accompagnement du malade dans l’optique de l’identification de la valeur de fond (Yvon Saint-Arnaud, 1984) permet donc de répondre aux besoins fondamentaux et contribue à l’actualisation du potentiel en partant des ressources, même réduites de la personne. Cette voie d’accompagnement s’inscrit dans la visée de la psychologie des relations humaines où la relation de coopération est à la base de tout processus.

L’application de l’écoute de la valeur de fond à la psychologie des relations humaines

Cette partie de l’article vise à établir des liens entre deux aspects théoriques de la psychologie des relations humaines et l’écoute en profondeur. Ces deux aspects, l’actualisation et la relation coopérative seront d’abord brièvement présentés. En second lieu, les éléments de base requis pour un psychologue en relations humaines qui veut utiliser l’écoute en profondeur dans sa pratique, seront explicités.

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L’actualisation, la relation de coopération et l’écoute en profondeur

Une des caractéristiques de la psychologie des relations humaines, c’est de s’appuyer sur une vision de la personne, propre à la psychologie humaniste. Cette vision de la personne implique un postulat qui affirme que la personne humaine possède en elle ce qu’il faut pour s’actualiser. Yves St-Arnaud (1996) a développé un modèle d’actualisation comportant trois processus : recevoir de l’information, choisir, agir. Ces processus vont maintenant être mis en lien avec l’accompagnement en profondeur et l’écoute de la valeur de fond.

D’abord, l’accompagné reçoit de son organisme et de l’environnement – par le truchement de l’aide de l’accompagnateur –de l’information sur sa valeur de fond. L’accueil de la valeur de fond est impossible sans une conscientisation progressive du potentiel latent. Habituellement cette conscientisation modifie la façon de se percevoir et de percevoir la réalité. Ensuite, au niveau affectif, l’accompagné, grâce à sa meilleure connaissance de son potentiel latent, peut sentir le moment approprié de poser des gestes significatifs pour lui. Car le niveau motivationnel est activé dès ce moment. L’accompagné peut alors passer à un choix éclairé par ce qui importe le plus pour lui. Par là même, enfin, il devient capable de poser une action efficace pour répondre à son besoin de fond. C’est ainsi que l’on peut voir comment l’écoute de la valeur de fond dans un processus d’accompagnement amène l’émergence et l’actualisation du potentiel de l’accompagné. Il apparaît donc possible de dire que dans le cadre d’un accompagnement en psychologie des relations humaines, le travail à partir de la valeur de fond permet à l’accompagné de se retrouver dans son unicité.

En croyant que l’être humain possède en lui des ressources pour s’actualiser, l’on se donne les bases nécessaires pour faire l’accompagnement dans la perspective de la relation coopérative. Ainsi, l’actualisation devient la trame de fond de la coopération. Le psychologue en relations humaines vise par son intervention, tant au niveau individuel que systémique, l’actualisation du potentiel des personnes ou du système en cause.

Voilà pourquoi, pour divers auteurs (Lescarbeau, Payette et St-Arnaud, 1996; Yves St-Arnaud, 1997) l’intervention en ce domaine se caractérise par une approche coopérative et systémique; une attention aux processus favorisant la synergie; un travail à partir d’une panoplie de rôles; une méthodologie variée

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supportée par un processus constant d’auto-régulation. Évidemment, le coeur de cette approche est constitué par la relation coopérative définie par un but commun, une reconnaissance réciproque des compétences et un équilibre du pouvoir. Une telle coopération encourage la découverte des moyens nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux. Pour un psychologue en relations humaines, se mettre à l’écoute de la valeur de fond de l’accompagné le rend donc plus capable de respecter le champ de compétence de la personne accompagnée. De ce fait, le psychologue en relations humaines est bien situé pour découvrir les besoins naturels de la personne accompagnée (Yves St-Arnaud, 1996).

Cette façon d’accueillir la personne accompagnée permettra à cette dernière de se recevoir dans les dimensions profondes de son être et par là même, d’être encore active dans la relation coopérative. Soutenue dans la découverte de son unicité à travers sa valeur de fond, la personne accompagnée prendra meilleur contact avec cette réalité fondamentale et se trouvera mieux située pour lui être fidèle. En effet, une relation d’accompagnement n’est possible que si l’accompagné et l’accompagnateur acceptent leurs différences réciproques. Une pareille attitude suppose l’accueil intégral de l’autre (Yvon Saint-Arnaud, 1984) où la relation devient un lieu de rencontre dégagé de tout préjugé ou artifice. L’autre est confirmé dans son être, les deux partenaires s’enrichissent mutuellement et le pouvoir dans la relation se trouve partagé comme l’exige toute relation de coopération.

Les pages qui précèdent ont permis de voir qu’accompagnement, coopération, actualisation du potentiel et écoute en profondeur sont des réalités qui s’interpénètrent et se complètent. Leur intégration est nécessaire pour que le psychologue en relations humaines devienne plus efficace dans sa pratique. Il reste maintenant à examiner la façon de développer les compétences requises par le rôle d’accompagnateur.

Les éléments de base requis pour le psychologue en relations humaines

La spécificité de l’accompagnement misant sur la valeur de fond exige d’abord une lucidité réelle sur les valeurs que l’accompagnateur porte et qui caractérisent son accueil de l’autre. Comme il existe un lien de base entre l’identité et la valeur de fond, le praticien devra comme première tâche, identifier ses valeurs et les questionner au besoin. Par exemple, l’accompagnateur s’appuie sur la conviction

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que tout être humain est valable peu importe ce qui a marqué son passé. Avec cette valeur, son ouverture à l’autre sera totale et non biaisée. Une meilleure connaissance de ses valeurs personnelles saura permettre à la personne accompagnatrice de mieux respecter les valeurs de l’autre comme les siennes et d’assurer de la sorte l’objectivité réelle qui est nécessaire pour un accompagnement valable.

Le respect de ces valeurs de base sera source pour le psychologue en relations humaines d’une force qui l’empêchera de fusionner avec la souffrance de l’accompagné. Bien en contact avec ses valeurs, la personne accompagnatrice aura l’espace intérieur d’accueil suffisant pour accompagner en profondeur. Même si la personne accompagnée manifeste, par exemple, une dimension religieuse et même si le vécu de cette personne est contraire au sien, le psychologue en relations humaines sera capable d’un accueil intégral de l’autre dans toutes les dimensions de son être.

Cette approche n’est pas seulement théorique. Elle a été et est toujours utilisée dans l’accompagnement par la centaine de personnes qui s’inspirent de la valeur de fond telle qu’elle s’exprime spontanément chez les personnes accompagnées. (Yvon Saint-Arnaud, communication personnelle, décembre 2000). Ce modèle a été proposé aux travailleurs sociaux du Québec par Yvon Saint-Arnaud dans les années 1992 à 1995. Depuis ce temps-là, de nombreuses sessions de formation et de supervision ont permis et permettent encore de vérifier l’efficacité de ce modèle en fonction du potentiel d’actualisation constaté chez cette clientèle.

Pour utiliser cette approche dans la formation, il faut passer par trois étapes. La première consiste à donner l’explication la plus complète possible de la théorie sous-jacente à la définition et à la découverte de la valeur de fond. La deuxième consiste à pratiquer l’art de découvrir les expressions courantes de cette valeur de fond dans trois sortes de textes différents : les textes écrits spontanément par les personnes humaines dans leur journal intime, les réflexions et opinions que l’on trouve dans les journaux de toutes sortes, les verbatims des personnes accompagnées. La troisième consiste à apprendre comment se servir de ces expressions pour bien identifier la valeur de fond et son rôle dans la croissance et l’actualisation de la personne.

C’est parce qu’elle est précieuse que cette valeur de fond ne peut s’identifier de manière superficielle. Le gros travail de cette formation exige que les formateurs

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possèdent bien les critères nécessaires et suffisants pour déterminer que telle ou telle expression réfère à une valeur de fond précise. C’est l’avantage de cette approche et c’est aussi sa limite.

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