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A RTS ET C ULTURE DE C OR ÉE Vol. 10, N° 4 Hiver 2009 L’école primaire rurale ISSN 1225-9101

Koreana Winter 2009 (French)

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Vol. 24, No. 2 Sum

mer 2009

K o r e a n a r t & C u l t u r e Vol. 24, No. 2 Summer 2009

Vol. 10, N° 4 H

iver 2009

a r t s e t C u l t u r e d e C o r É e Vol. 10, N° 4 Hiver 2009

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BEAUTÉS DE CORÉE

Le « yagyeon »,un mortier à médicaments traditionnels

es préparations de la pharmacopée tradition-nelle coréenne comportent le séchage de plantes destinées à être soit pilées pour les réduire en

poudre, soit pressées pour en extraire un jus, l’emploi d’instruments tels qu’un mortier dit « yagyeon » étant requis dans le premier cas.

Cet accessoire s’est perfectionné au cours du temps, à partir des meules du néolithique qui figuraient alors parmi les principaux outils qui apportèrent une amélioration considérable à la vie quotidienne des hommes, les fouilles ayant révélé que ceux de ce type particulier permettaient d’écraser graines, herbes et autres substances médicina-les.

L’évolution des pratiques agricoles allait aussi exiger un recours constant à la meule qui, en raison de l’usure, se creuserait en son centre d’un orifice appelé par la suite à demeurer dans sa fabrication, d’abord en le perçant grossièrement dans la pierre, puis au fil du temps, en lui faisant épouser la forme plus élaborée d’un bateau. Quant aux matériaux composant cet outil, il en existait une grande variété qui comportait le bronze, le laiton, le bois, le céla-don, la porcelaine blanche, la faïence vernissée et le verre, auxquels les artisans royaux préféraient argent, jade ou agate, cette diversité s’expliquant par le souci de tirer le meilleur parti des plantes médicinales traditionnelles.

D’aucuns affirment que le « yagyeon » reprend le concept d’équilibre entre yin et yang dans sa conception, puisque les herbes qui prennent place au centre de la cavi-té y sont écrasées sous l’action du pilon, dont la surface s’unit ainsi en toute harmonie à celle du mortier. En outre, le respect des principes du yin et du yang exige que les plantes subissent un mélange et une modification de leur composition afin d’optimiser la teneur du médicament obtenu en substances bienfaisantes et par là même, son pouvoir de guérison. En règle générale, le pilon coréen se caractérise par un fort diamètre et une extrémité fuselée, tandis que ses équivalents japonais ou chinois, plus min-ces, se terminent en pointe.

Le « yagyeon » s’orne souvent de gravures représen-tant les dix symboles de longévité, ainsi que poissons, grenouilles et dragons, ou encore de phrases énonçant des vœux de bon augure. À la cour du roi, dans la noblesse et chez les plus grands apothicaires du pays, la longueur du pilon pouvait dépasser un mètre, tandis que la pièce en bois représentée ci-desssus et provenant du Musée populaire de Songhac, est de dimensions moyennes, puisqu’elle mesure près de cinquante centimètres de long et l’on en remarquera, à chacune de ses extrémités, les motifs minutieusement exécutés de la tête et des pattes avant de la créature mythologique léonine dite « haetae ».

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© Ahn Hong-beom

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Créée voilà un siècle à Gwangju, une ville de la province de Gyeonggi-do, l’école primaire de Namhansan se trouve dans la Forteresse de Namhansanseong et ne comporte que huit classes.

© Hwang Young-dong

L’école primaire rurale8 Histoire de l’instruction primaire en Corée Cho Younsoon

14 L’école primaire rurale, un modèle d’innovation pédagogique Im Youn-Kee

20 Quand l’école rurale d’antan se fait lieu de renouveau Kim Dang

26 Une inoubliable école de campagne Kim Hwa-young

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30 DOSSIERS

Le retentissement du Congrès international d’astronautique 2009 Kim Seung-jo

36 ENTRETIEN Jung Yeondoo

L’artiste des médias Jung Yeondoo en quête de fragments de temps oubliés | Kang Seungwan

42 ARTISAN

Les « souliers de vent » de Hwang Hae-bong, artisan cordonnier Park Hyun Sook

48 CHEFS-D’ŒUVRE

La lanterne en pierre aux lions accroupis du Temple de Godalsa Park Kyoung-shik

52 CHRONIQUE ARTISTIQUE

La comédie musicale coréenne fait une percée grâce à La Forteresse de Namhansanseong | Won Jong-Won

58 À LA DÉCOUVERTE DE LA CORÉE Earl Jackson, Jr.

Earl Jackson, Jr. a fait de la Corée sa seconde patrie | Hwang Sun-Ae

62 SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE Oh Eunsun

Oh Eunsun à la conquête du fa te de l’Himalaya | Shin Young-chul

68 ESCAPADE Gimcheon

Gimcheon, ses vieux temples et son eau pure | Kim Hyungyoon

76 CUISINE

Le riz aux hu tres, un savoureux plat de résistance hivernal Shim Young Soon

80 REGARD EXTÉRIEUR

Mes impressions sur la Corée | Christopher Bouladon

82 VIE QUOTIDIENNE

Diffusion et influence du blogue en Corée | Charles La Shure

87 APERÇU DE LA LITTÉRATURE CORÉENNE

Yi Hyo-sok Vie et œuvre de Yi Hyo-sok | Kim Yoon-shik

Quand les sarrasins sont en fleurs | Traduction : Kim Simon

Publication trimestrielle de la Fondation de Corée2558 Nambusunhwan-ro, Seocho-gu, Séoul 137-863 Corée du Sudwww.kf.or.kr

ÉITEUR Yim Sung-joonDIRECTEUR DE LA RÉDACTION Hahn Young-heeREDACTRICE EN CHEF Choi Jung-hwaRÉVISEUR Suzanne SalinasCOMITÉ DE RÉDACTION Cho Sung-taek,Han Kyung-koo, Han Myung-hee, Jung Joong-hun, Kim Hwa-young, Kim Moon-hwan, Kim YoungnaCONCEPTION ET MISE EN PAGE Kim’s Communication AssociatesRÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT Lim Sun-kunDIRECTEUR PHOTOGRAPHIQUE Kim Sam DIRECTEUR ARTISTIQUE Lee Duk-limDESIGNER Kim Su-hye

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Koreana, revue trimestrielle enregistrée auprèsdu Ministère de la Culture et du Tourisme (Autorisation n° Ba-1033 du 8 août 1987), est aussi publiée en chinois, anglais, espagnol, arabe, russe, japonais et allemand.

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L’école primaire ruraleChargées d’assurer l’instruction publique en milieu rural depuis la création de l’éducation nationale co-réenne, les écoles primaires des communes rurales ont subi le contrecoup de l’urbanisation en enregis-trant une constante baisse des effectifs scolarisés, mais connaissent aujourd’hui un renouveau en raison de l’actuel impératif de formation à l’écologie et aux valeurs humaines, leur rôle décisif dans le dispositif scolaire appelant ainsi à une réflexion en profondeur.

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L’école primaire de Namhansan se situe dans l’arrondissement de Sanseong-ri à Jungbu-myeon, une commune de l’aggloméra-tion de Gwangju appartenant à la province de Gyeonggi-do.

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Histoire de l’instruction primaire en CoréeSi l’instruction publique moderne a permis de combattre l’analphabétisme et de doter la population d’une solide culture générale, elle met aujourd’hui l’accent, dès le cours primaire, sur l’enseignement du respect de la différence et pour apprécier comme il se doit le rôle décisif qu’elle joue en milieu rural, il convient de retracer brièvement l’histoire de ses établissements en Corée.Cho Younsoon Doyenne de la Faculté de pédagogie de l’Université féminine d’Ewha | Kang Jae-hoon, Ahn Hong-beom Photographes

Il n’est guère aisé de dater avec précision les origines de l’instruction publique, dont l’évolution ne s’est faite que

de manière très progressive, mais quoique naturellement inexistante au temps du paléolithique, du néolithique, de l’Âge du bronze et du fer, les hommes ne se transmettaient pas moins entre eux certaines formes de croyances religieuses et de pensée collective, pour, dès l’époque du Gojoseon (?-108 av. J.-C.), témoigner par les règles qui régissaient leur société d’un sens du respect de la vie humaine et de la propriété privée

qu’ils devaient donc avoir acquis d’une manière ou d’une autre par l’enseignement.

L’école ruraleSelon certains documents historiques, c’est sous les Trois

Royaumes (Ier siècle av. J.-C.-VIIe siècle), puis sous celui de Silla Unifié (668-935), dont l’idéologie dominante reposait sur le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme, que serait apparue une forme organisée d’éducation. Les monarques de

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The vast reed fields of Suncheon Ecological Park include walkways that enables visitors to fully enjoy the area’s natural splendor.The vast reed fields of Suncheon Ecological Park include walkways that enables visitors to fully enjoy the area’s natural splendor.

Goguryeo (37 av. J.-C.- 668) dotèrent ainsi le pays de « gyeong-dang », ces établissements privés allant de l’école primaire à l’équivalent de l’actuelle université, où étaient enseignées lec-ture, récitation des œuvres classiques et pratique de l’art mili-taire, notamment le tir à l’arc. D’ores et déjà, voyait ainsi le jour un système éducatif institué à l’échelle de la nation en vue de former les compétences nécessaires à la perpétuation de l’ordre social.

À l’époque Goryeo, qui s’étend sur près de cinq siècles, de 918 à 1392, luttes intestines et invasions interdirent toute intervention de l’État dans la gestion de l’instruction publi-que et celle-ci ne dut dès lors sa survie et son développement qu’aux efforts de quelques dévoués érudits et monarques épris de connaissance. Les établissements d’enseignement nationaux comprenaient alors l’Université nationale appelée « Gukjagam », aux côtés d’écoles dites « Dongseohakdang », c’est-à-dire de l’est et de l’ouest, d’une part, et des cinq districts, d’autre part, ainsi que des écoles publiques rattachées aux sanctuaires confu-céens, les « hyanggyo », et des institutions privées telles que les douze académies privées « sibido » et les écoles primaires rurales connues sous le nom de « seodang ».

Il convient de noter que ce dernier type d’établissement

représenta l’ancêtre du cours primaire actuel par la chance de s’instruire qu’il offrait aux enfants d’alors et à ce propos, l’émis-saire chinois des Song, Xu Jing, remarquait au début du 12e siècle, dans son ouvrage intitulé Gaolitujing (Relation illustrée sur Goryeo) : « Les rues des villages sont bordées de librairies et d’écoles, où jeunes et célibataires accourent s’initier aux gran-des œuvres classiques jusqu’à l’âge où ils partent en compagnie de leurs amis étudier dans les temples et ermitages, tandis que leurs cadets suivent l’enseignement de maîtres d’écoles dans des insitutions privées ».

Au temps jadis, les établissements éducatifs de haut niveau assuraient exclusivement la formation des fils de « yangban » se destinant à occuper les postes de la fonction publique et ce n’est qu’à la fin de la dynastie Joseon qu’allaient apparaître, à l’initiative de particuliers, des écoles primaires rurales chargées de dispenser l’instruction aux gens du peuple. À cette époque dynastique (1392-1910) marquée par le centralisme d’un État à l’idéologie fondée sur la pensée néo-confucianiste, l’ensei-gnement d’alors n’aurait pu se concevoir autrement que selon l’idéal par lequel l’enseignement se doit d’apporter à l’individu l’indispensable culture qui fera de lui un bon dirigeant.

Durant cette période, les établissements d’État compre-

Premier cours primaire de la Corée moderne, l’École Gyodong fut dans un premier temps administrée par l’État.

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naient l’Académie confucéenne nationale de Seonggyungwan et quatre écoles publiques dites « sahak », toutes situées dans la capitale, ainsi que celles qui, en province, dépendaient des sanctuaires confucéens, tandis que ceux du domaine privé se composaient des académies privées, les « seowon », et des éco-les primaires rurales qui dispensaient leur enseignement à des élèves de tous âges, c’est-à-dire des enfants de cinq ou six ans jusqu’aux adultes et qui, comme le signale l’ouvrage intitulé Mongminsimseo (Admonestations sur l’administration du peuple), étaient si répandues que l’on en comptait une pour quarante-cinq villages.

Ces établissements ruraux allaient s’acquitter d’une mission éducative capitale à l’intention des sujets du royaume en leur apprenant les rudiments de l’alphabet, des préceptes du confu-cianisme et de la vie en société à l’aide de manuels de lecture qui traitaient de bonne conduite et de morale, de nature et d’histoire. Quiconque le souhaitait avait toute liberté d’en créer et d’en diriger et c’est cette absence totale de contrainte qui al-lait leur permettre de dispenser des connaissances élémentaires indispensables à la population rurale par un enseignement tout à la fois individualisé et axé sur l’intégration dont il pourrait être aujourd’hui bon de s’inspirer pour adapter la pédagogie du cycle primaire aux capacités réelles des écoliers.

À l’époque, l’usage voulait qu’à l’achèvement de chaque manuel scolaire, le maître se voie remettre des cadeaux par les parents d’éléves, qui souhaitaient marquer ainsi les progrès intellectuels accomplis par leur progéniture tout en remerciant l’enseignant de ses efforts, cette obole se composant le plus souvent de gâteaux de riz fourrés aux haricots rouges ou au soja, symboles du souhait d’épanouissement filial.

Évolution de l’enseignement primaireL’époque des lumières coréenne correspond à l’ouverture

vers l’extérieur qu’autorise le Traité de Ganghwa conclu en 1876 dans le but de développer les échanges commerciaux avec le Japon, jusqu’à l’annexion perpétrée en 1910 par ce dernier pays, mais aussi avec des puissances occidentales telles que les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, la Russie et la France. Cette initiative aura aussi pour conséquence l’in-troduction d’un système éducatif caractérisé par la modernité de ses établissements et méthodes d’enseignement.

En complément de la Loi de 1895 sur l’enseignement primaire, se mettra en place la réglementation portant sur l’éducation primaire moderne notamment applicable à l’établissement d’État de Gyodong rattaché à l’École normale de Hanseong qui avait ouvert ses portes un an auparavant, vraisemblablement dans le but de dispenser une formation novatrice aux enfants des classes dirigeantes, toutes les autres relevant alors du ministère de l’Éducation, pour ce qui est du cours primaire. L’adoption de la Loi sur l’école primaire allait immédiatement se traduire par l’ouverture de quatre nouveaux établissements à Séoul et de trente-sept en province qui allaient

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1 Dans les années mille neuf cents, les écoles primaires rurales dites « seodang » s’acquittèrent de l’importante mission d’instruire le petit peuple de Jeoson.

2 La bibliothèque de l’école primaire de Gyodong en 1936.

3 Une classe de musique se déroule en 2002 à l’école Noil qui, avec ses neuf élèves et trois enseignants, constitue l’annexe de l’établis-sement de Hwagye, et se trouve dans l’arrondissement de Noil-ri, à Bukbang-myeon, une commune de l’agglomération de Hongcheon située dans la province de Gangwon-do.

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rapidement être suivis de nombreux autres puisque, au cours de la seule année 1908, ce sont quelque 796 d’entre eux qui fu-rent créés par des missionnaires chrétiens, auxquels allaient en-core s’ajouter les trois mille que fondèrent des citoyens coréens à titre particulier.

Au cours de cette époque des lumières, l’enseignement pri-maire allait s’inscrire en rupture avec la pédagogie individuali-sée pratiquée jusqu’alors dans les écoles primaires rurales pour s’adresser à de plus larges couches de population et recourir à une notation rigoureuse en vue de la sélection. Les établisse-ments privés de confession chrétienne se distinguèrent notam-ment par la mise en œuvre de méthodes modernes fondées sur la place faite à la créativité et à l’empirisme pour permettre aux élèves de réaliser eux-mêmes des expériences et d’être en prise directe avec la réalité, ainsi que par une sélection opérée selon les compétences et résultats de chacun, au moyen des possibi-lités offertes par le redoublement, le classement et les bulletins de note.

Dans la foulée du Projet de réforme de l’éducation co-réenne que promulguèrent les autorités japonaises en 1911, allait s’ensuivre une réorganisation du cours primaire selon un cycle d’enseignement de quatre ans, l’objectif poursuivi par cette politique étant en fait de préparer les petits Coréens à devenir des citoyens japonais sous la houlette du colonisateur. En 1920, cette durée allait être portée à six années et les enfants jusqu’alors scolarisés à l’âge de huit ans, l’être désormais à six, cette mesure n’étant toutefois mise en application que dans un

petit nombre d’établissements.Sous la domination coloniale japonaise (1910-1945), il

existait différents types d’établissements d’enseignement pri-maire tels qu’écoles privées, de village, de cours du soir et de formation professionnelle qui, tous, combattaient la politique éducative de l’Etat japonais en suscitant dans le peuple des sen-timents patriotiques à la faveur de l’enseignement de l’alphabet coréen dit « hangeul ». La plupart du temps, l’enseignant faisait la classe en inscrivant au tableau un résumé des informations à retenir, dont les élèves prenaient note, et mettait l’accent sur la politesse et l’obéissance, appliquant le châtiment corporel en cas de mauvaise conduite.

Au cours des trois années qui s’écoulent de la proclama-tion d’indépendance, le 15 août 1945, à celle de la République de Corée, en 1948, et pendant lesquelles le pays est dirigé par un gouvernement militaire américain, une refonte du sec-teur éducatif sera entreprise dans le cadre de la construction d’une nation démocratique. Elle consistera en une rationa-lisation des cycles d’enseignement primaire, des collèges et lycées et universitaire, lesquels seront dès lors respectivement de six, deux fois trois et quatre ans, comme cela est encore aujourd’hui le cas, mais substituera aussi aux méthodes d’enseignement traditionnelles une démarche fondée sur des principes démocratiques, l’individualité des élèves et une péda-gogie émaillée d’activités.

Le 17 juillet 1948, la République de Corée se dote d’une constitution où il est stipulé, à l’article 16, que l’éducation

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Cette réunion matinale se tenait en 1997 à l’école primaire d’Ueum aujourd’hui annexée à l’établissement de Gojeong après n’avoir compté qu’un seul élève et un seul enseignant au moment de sa fermeture. Elle se trouve dans l’arrondis-sement de Gojeong-ri, à Songsan-myeon, cette commune de l’agglomération de Hwaseong située sur l’ le d’Ueum-do, qui fait partie de la province de Gyeonggi-do.

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1 Lors de sa fermeture en l’an 2000, l’une des écoles primaires de Seojong-myeon, une com-mune de la ville de Yangpyeong située dans la province de Gyeonggi-do, allait être annexée à l’établissement de Seojong sous le nom de Myeongdal.

2 Jour du sport à l’école primaire de Gwangnam jouxtant un grand ensemble résidentiel de Séoul, dans le quartier du même nom qui appartient à l’arrondisse-ment de Gwangjin-gu.

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primaire est obligatoire et gratuite, puis en 1954, le premier programme scolaire destiné à cet enseignement entrera en ap-plication à l’échelle nationale, des modifications intervenant par la suite au fil du temps pour prendre en compte les métho-des pédagogiques en usage à l’étranger et passer d’un cursus axé sur les matières et l’érudition à un apprentissage du mode de vie et de l’homme, de la polyvalence à des activités adaptées aux besoins des élèves.

En 1995, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance coréenne, l’expression de « gungminhakgyo » qui désignait jusqu’alors le cours primaire et correspondait aux dénominations imposées par les autorités coloniales japonaises, sera abandonnée au profit de celle de « chodeung-hakgyo », pour supprimer tout vestige de l’impérialisme japonais et ravi-ver le sentiment national chez les Coréens.

Un enseignement primaire moderneGrâce à cette ouverture, l’enseignement primaire a éga-

lement contribué à faire connaître de nouvelles cultures. L’instruction publique mise en place par le colonisateur pour imposer sa culture et sa politique était dépourvue de toute autonomie en raison de l’intervention des autorités dans l’établissement de programme et calendriers scolaires destinés à véhiculer les valeurs dominantes.

Quand viendra l’indépendance, l’enseignement primaire se fixera pour objectif principal de lutter contre l’analphabétisme et de dispenser à la population une indispensable instruction dans un contexte de poussée démographique, parvenant ainsi peu à peu à hausser la Corée au rang des pays avancés en ma-tière éducative, alors qu’elle figurait parmi ceux qui souffraient du plus fort taux d’analphabétisme au monde.

Toutefois, l’industrialisation et la croissance économique rapide de la Corée allaient s’accompagner d’une forte urbani-sation et d’un exode rural massif qui sont à l’origine du vieillis-sement soudain des communautés rurales, ainsi que du déclin sensible des enfants en âge de scolarisation. En outre, sous l’effet conjugué d’un faible taux de natalité et de l’acharnement des parents à faire suivre des études à leurs enfants dans les écoles modernes des villes, le nombre d’enfants scolarisables en milieu rural allait décroître et par là même, faire toujours plus régresser les effectifs des établissements.

Face à une dénatalité persistante et à la baisse correspon-dante des individus en âge de scolarisation, lesquelles se doublent des difficultés de gestion que connaissent les petits établissements, les pouvoirs publics allaient décider, en 1982,

de rassembler plusieurs de ces derniers entre eux. En l’an 2000, cette tendance au regroupement allait cependant s’inverser, les services d’éducation prenant alors le relais au plan municipal et provincial jusqu’en 2005, année où le premier ministre annon-ça la reprise en mains des regroupements et fermetures d’écoles par l’État. De leur côté, persuadés de l’importance que revêtent les petites écoles pour assurer partout une même éducation, in-tervenants locaux et parents d’élèves unissent leurs efforts pour créer des groupes communautaires et attirer l’attention sur ces établissements en milieu rural.

Pour être compétitif en ce XXIe siècle, la formation des ta-lents et l’encouragement à la créativité jouent un rôle essentiel, d’autant que demeure le grave problème de la dénatalité se traduisant par la multiplication des foyers à enfant unique ou à deux enfants demandeurs d’une école qui ne se contente pas de transmettre le savoir, mais puisse aussi satisfaire leurs besoins et exigences propres pour leur permettre d’exprimer pleinement leur individualité, d’où le succès que rencontre depuis peu l’enseignement alternatif.

Si les effectifs supérieurs à soixante-dix élèves par classe étaient monnaie courante en Corée à l’avènement de son ins-truction publique, ceux du cours primaire se limitent aujourd’hui à une trentaine ou une quarantaine en milieu urbain, à quelques variations près en fonction des régions. En outre, par-delà les objectifs fondamentaux de la lutte contre l’analphabé-tisme et de la transmission des savoirs, il importe désormais de mettre davantage l’accent sur le respect de la diversité et la réa-lisation du potentiel des enfants en tenant compte des spécifi-cités de chacun, la réalisation de ces impératifs passant par une réduction conjuguée des effectifs des classes et de la capacité des établissements.

C’est à cette condition seulement que les enfants pourront voir en l’école une sorte de seconde famille où le corps ensei-gnant doit pour sa part s’employer à créer et mettre en œuvre des programmes spécifiques dans une atmosphère conviviale et flexible. En conservant les petites écoles primaires rurales qui se trouvent actuellement au bord de la faillite, en leur déléguant la création des programmes et la gestion scolaire et en leur assu-rant un soutien administratif et financier par le biais des servi-ces d’éducation des municipalités et provinces, l’État ne pourra que rendre ces établissements plus aptes à doter les nouvelles générations des talents qui s’imposent au XXIe siècle, alors dans cette optique, ne serait-il pas judicieux de croire à nouveau aux vertus des écoles primaires rurales de jadis, ces pionniers de l’instruction publique coréenne ?

Sous la dynastie Joseon, les écoles primaires rurales s’acquittèrent de l’importante mission d’instruire les gens du peuple en leur apprenant les rudiments de l’alphabet, des préceptes du confucianisme et de la vie en société par un enseignement tout à la fois individualisé et axé sur l’intégration dont il serait aujourd’hui bon de s’inspirer pour adapter la pédagogie du cours primaire aux capacités réelles des écoliers.

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L’école primaire rurale, un modèle d’innovation pédagogiqueCondamnées voilà peu à dispara tre par la baisse spectaculaire des effectifs scolaires, nombre d’éta-blissements de l’enseignement primaire revivent aujourd’hui en attirant les élèves des communes voisines grâce à la mise au point de programmes scolaires innovants et de formations sur le terrain en matière de défense de l’environnement.Im Youn-Kee Professeur à la Faculté de pédagogie de l’Université nationale de KongjuKang Jae-hoon, Ahn Hong-beom Photographes

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Lors de mes déplacements dans les villages coréens, je suis tou-jours frappé par l’exceptionnel emplacement dont bénéficient

les établissements scolaires, qu’ils se situent sur des terrains com-munaux ou sur des parcelles cédées par une population tout entière animée d’une grande soif d’instruction, pleine de prévoyance et prête à tous les sacrifices pour permettre à ses enfants de faire des études, mais aussi, jusque dans les années soixante, allant y sui-vre des cours de langue coréenne dans le cadre de la lutte contre l’analphabétisme et démontrant ainsi qu’à la campagne comme à la ville, les Coréens manifestent un égal goût pour l’étude.

Des fermetures en chaîneIl y a aussi matière à s’étonner en constatant qu’un grand nom-

bre de ces écoles abritent aujourd’hui d’autres activités, lorsqu’elles n’ont pas déjà fermé leurs portes ou sont sur le point de le faire sui-te à la chute vertigineuse de leurs effectifs. Si le problème des écoles de province se posait encore voilà peu en termes d’écart de niveau en raison de l’idée reçue voulant qu’elles aient accumulé du retard par rapport à celles des zones urbaines sur les plans de la réussite scolaire et de l’environnement éducatif, il a aujourd’hui pris de tel-les dimensions qu’il importe d’y apporter d’urgence une solution sous peine de voir tout bonnement disparaître ces établissements à l’avenir peu prometteur.

L’actuel état de choses résulte avant tout des départs en masse provoqués par une industrialisation et une urbanisation fulguran-tes, comme en attestent les statistiques démographiques portant sur les divisions territoriales du « eup » et du « myeon », c’est-à-dire respectivement des quartiers et communes, dont la population représentait en 1960 67,6 % de celle de toute la Corée pour n’en constituer plus que 18,5 % dès 2005, chutant même de 63,0 % à 10,2 % au seul niveau communal au cours de la même période. Après avoir été habitées par deux tiers des Coréens à une certaine époque, les campagnes en accueillaient moins de la moitié trente ans plus tard, puis de 20 % au bout d’un demi-siècle et se trou-vaient ainsi marginalisées alors qu’elles occupaient une place im-portante dans la vie du pays.

Il n’en demeure pas moins que l’exode rural n’explique pas

1 Jour du sport dans une école primaire rurale typique, celle d’Okdong, dans l’arrondissement d’Okdong-ri (commune de Gim-satgat-myeon, canton de Yeongwol, province de Gangwon-do).

2 Les leçons de violon font partie des diverses activités que propose à ses trente élèves, après la classe, l’école Haho annexée à celle d’Ipo, dans l’arrondissement de Haho-ri (commune de Geumsa-myeon, agglomération de Yeoju, province de Gyeonggi-do).

2© Jun Sukbyung

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Alors qu’elle n’accueillait, dans son unique classe, que trente-quatre élèves de quatre niveaux différents, l’école annexe de Geosan est aujourd’hui un établissement en plein essor que fréquentent quelque cent quarante écoliers répartis sur sept classes, dont celle de maternelle, ce véritable regain ne devant rien au hasard ni à un quelconque projet expérimental, mais indiquant la voie à suivre dans l’évolution du système éducatif coréen.

1~2 Une classe en plein air à l’école primaire de Namhansan, dont l’original cursus a peu à peu fait la notoriété et a attiré en nombre des élèves de régions limitrophes désireux de bénéficier de ses programmes spécialement conçus.

tout et que le fond du problème réside ailleurs, à savoir dans le choix que font les parents, si leurs ressources le leur permet-tent, d’inscrire leurs enfants à l’école en ville, fidèles en cela aux recommandations du vieil adage selon lequel : « Lorsque naît un bébé, envoyez-le à Séoul (ou dans une autre grande ville) », mais provoquant ainsi une érosion naturelle des effec-tifs scolaires ruraux. Si les écoles situées dans des zones isolées connaissent le même sort partout dans le monde et pour des raisons analogues, la Corée est plus particulièrement frappée par ce phénomène en termes quantitatifs, puisque ses établis-sements scolaires se vident, mais aussi qualitatifs, par les ré-percussions qui en résultent sur la réussite scolaire, cette crise ne faisant, dans le même temps, que précipiter le déclin du monde rural.

Regroupement des établissementsFace à ce problème, les pouvoirs publics ont adopté

d’innombrables mesures aux fins de la bonne gestion des éco-les primaires rurales, en particulier par la mise en œuvre, en 1982, d’un plan prévoyant le regroupement et la fermeture des petits établissements ayant enregistré une forte baisse de leurs effectifs, car sur l’ensemble de ceux qui avaient ouvert leurs portes dans les années cinquante, jusque dans les régions les plus éloignées, une grande majorité n’étaient plus en mesure de poursuivre leurs activités.

Lors de sa première phase, qui s’est déroulée de 1982 à 1998, ce dispositif allait être mis en application par les ad-ministrations concernées au niveau municipal et provincial, pour ainsi dire sans le moindre soutien de l’État, et entraîner la fermeture de tout établissement ne pouvant justifier d’un effectif minimal de cent quatre-vingts élèves, ce chiffre étant cependant ramené à cent dès 1993. La seconde étape, qui dé-

bute dans une année 1999 marquée par la crise monétaire et financière, verra les pouvoirs publics agir résolument en faveur de la fusion des établissements entre eux par le biais d’impor-tantes subventions et contraindre à fermer ceux de moins de cent élèves. Parvenu à son stade ultime au tournant du siècle, le projet allait être intégralement mis en œuvre par les collec-tivités locales des communes et provinces selon le critère d’un effectif minimal de soixante écoliers.

En tout premier lieu, cette politique répondait à l’objectif de parvenir à un dimensionnement optimal des établissements ruraux afin de garantir le droit de leurs élèves à un enseigne-ment de qualité, tout en maîtrisant leurs coûts d’exploitation pour assurer leur rentabilité, mais l’adoption en était tout aussi inéluctable sur le plan éducatif qu’économique, les écoles de très petite taille n’étant guère en mesure de disposer d’un personnel enseignant suffisamment qualifié pour apporter un savoir-faire diversifié. Par ailleurs, la mise en place de program-mes systématiques pouvait s’y avérer difficile et les élèves, y avoir moins la possibilité de travailler en groupe, d’y nouer des relations sociales et de participer à des projets de coopération, autant d’obstacles à une pédagogie d’ensemble efficace. D’un point de vue économique, ces écoles se révélaient indéniable-ment peu rentables en raison de la masse salariale et des frais de gestion y afférant.

Les petits établissementsLe plan de l’État s’inscrivait dans le cadre d’une action

visant à donner plus de chances à chacun de s’instruire et à faciliter l’accès des élèves aux établissements en améliorant les services de ramassage scolaire par autobus, mais en dépit de ses bonnes intentions, il allait révéler un certain nombre de faiblesses. Discréditée auprès des administrés en raison de son

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manque de cohérence, cette politique hésitait constamment entre un parti pris énergique et le désir que revivent les petits établissements, entre une intervention volontariste de l’État et une position de retrait, entre la fourniture d’un soutien aux res-ponsables de sa mise en œuvre et l’impératif d’un financement strictement local.

En revanche, elle allait avoir pour effet d’inciter la popula-tion concernée à faire preuve d’initiative pour assurer la survie de ses écoles puisque parents d’élèves, enseignants et habitants, unis par un même objectif de maintien ou de réouverture de ces petits établissements, allaient exiger que l’État adopte des mesures susceptibles de mieux assurer le développement durable de l’éducation rurale en avançant à cet effet plusieurs arguments. Ils affirmaient en premier lieu que le regroupement des petits établissements ne pouvait constituer une solution valable s’il reposait sur des critères purement économiques, es-timant en outre que ces écoles possédaient non seulement une vocation éducative, mais représentaient aussi autant d’espaces culturels à l’intention de toute la population et prévoyaient en-fin que le regroupement scolaire ne ferait qu’aggraver l’exode rural et la dégradation de la qualité de vie en milieu rural. Fort heureusement, ce mouvement de sauvegarde allait enregistrer quelques succès, comme en attestent notamment les deux exemples suivants.

Premier cas d’étudeBâtie en 1901 dans un lieu historique abritant la Forteresse

de Namhansanseong qui s’élève dans l’arrondissement de

Sanseong-ri de la commune de Jungbu-myeon appartenant à l’agglomération de Gwangju-si, laquelle fait partie de la provin-ce de Gyeonggi-do, l’École primaire de Namhansan comportait autrefois au total huit classes et s’orne de deux zelkovas quatre fois centenaires rappelant l’ancienneté de ses origines. Face à l’importante baisse d’effectif qui faisait peser la menace d’une fermeture imminente de cet établissement, son directeur, aux côtés de trois enseignants, de parents d’élèves et d’associations locales, allait prendre la tête d’un comité de défense en se fixant pour objectif prioritaire de proposer des programmes scolaires spécifiques tirant pleinement parti de son exceptionnel envi-ronnement et de fait, cet original cursus allait s’avérer attrayant pour des élèves originaires d’autres régions et ainsi autoriser la restauration des locaux au vu de sa rentabilité.

Dès lors, il convient de s’interroger sur les facteurs qui ont entraîné un tel renversement de la situation. Celui-ci a avant tout tenu au caractère novateur de nouveaux programmes d’enseignement qui mettaient l’accent sur une découverte concrète du milieu naturel en prévoyant que la journée com-mence toujours en relation étroite avec celui-ci, soit dans la bibliothèque à l’éclairage naturel, soit par une promenade en compagnie des professeurs le long de sentiers qui, à l’arrière de l’école, traversent d’épais bosquets de pins adultes évocateurs d’une forêt vierge éveillant les sensibilités. En apportant le calme aux enfants, ces activités matinales les rendent en même temps plus réceptifs à leurs leçons quotidiennes par un pro-cédé qui trouverait difficilement son équivalent dans les pro-grammes d’établissements urbains. Les bois et hauteurs qui

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s’étendent par-delà l’école fournissent en effet le cadre idéal d’excursions matinales qui offrent autant d’occasions d’ob-server et admirer les merveilles de la nature, l’environnement sylvestre se prêtant notamment à la composition de poèmes et à la réalisation de travaux pratiques en sciences naturelles.

Dans le cadre des nouveaux programmes, les jardins de l’école sont également destinés à l’apprentissage des cultures, à l’expérimentation sur le terrain et à l’illustration des ensei-gnements scientifiques. Après avoir affecté un carré de jardin à chaque classe, les enseignants ont cédé les parcelles restantes aux parents d’élèves et autres habitants pour qu’ils puissent découvrir les joies de l’agriculture. En récréation, les enfants peuvent évoluer sur un terrain de jeu qui leur permet aussi d’exercer leur aptitude à la vie en société. Enfin, la culture de fleurs sauvages, légumes et autres plantes est pour eux l’occa-sion de s’initier eux-mêmes au milieu naturel et à sa protec-tion.

Grâce à de telles innovations, ces programmes scolaires ont favorisé l’acquisition de connaissances par les élèves, leurs en-seignants et parents, mais en réalité, c’est la mise à contribution de nombreux intervenants au sein d’activités de groupe réali-sées dans un esprit de confiance mutuelle et de coopération qui a constitué le facteur clé de leur réussite. Depuis le mois de sep-tembre 2001, le site internet ouvert par l’école à l’adresse www.namhansan.es.kr permet aux personnes qui en sont partie pre-nante de communiquer entre elles avec facilité et leur offre un forum en vue de débats d’idées sur les questions pertinentes et d’échanges d’informations sur les activités extra-scolaires.

Deuxième cas d’étudeC’est à titre provisoire qu’avait été créé le cours primaire

de Geosan, à l’emplacement d’une ancienne rizerie située dans l’arrondissement de Geosan-ri rattaché à la commune de Son-gak-myeon constitutive de l’agglomération d’Asan-si, au sein de la province de Chungcheongnam-do, puis le dépeuplement allait contraindre l’administration à le déclasser pour en faire un établissement annexe à compter du 1er mars 1992, la chute de ses effectifs à trente-quatre élèves faisant dix ans plus tard envisager sa fermeture.

Enseignants et parents d’élèves allaient alors tirer parti de cette crise pour le remettre sur pied, en jouant sur l’atout de ses petites dimensions, et la forte cohésion régnant dans la commune allait leur permettre de définir une pédagogie souple axée sur les activités d’éveil et judicieusement associée à l’épa-nouissement scolaire et social des écoliers.

Leur démarche se centrait en particulier sur une formation écologique mettant en valeur les qualités du milieu naturel tout en conférant une dimension plus profonde à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Des activités concrètes permettent aux élèves de développer eux-mêmes leur sens de l’observation face aux phénomènes naturels et sociaux, tout en assimilant un

1 Une leçon de cuisine à l’école primaire de Namhansan

2 L’enseignement du « gayageum » à l’école primaire de Bunwon qu’abrite au sein de son arrondissement de Bunwon-ri la commune de Namjong-myeon située à Gwangju, cette agglomération de la province de Gyeonggi-do.

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ensemble d’informations précises et variées. Ces programmes uniques en leur genre, en faisant une large place à une prati-que qui sollicite les cinq sens et stimule le cœur et l’esprit, ont acquis une certaine notoriété dans les villes voisines dont les parents d’élèves ont commencé à s’informer de la possiblité d’y inscrire ces derniers.

Alors qu’elle n’accueillait dans son unique classe que trente-quatre élèves de quatre niveaux différents, l’école annexe de Geosan est aujourd’hui un établissement en plein essor que fréquentent quelque cent quarante écoliers répartis sur sept classes, dont celle de maternelle, ce véritable regain ne devant rien au hasard ni à un quelconque projet expérimental, mais indiquant la voie à suivre dans l’évolution du système éducatif coréen. Encouragés par l’afflux des demandes d’inscriptions, enseignants, parents d’élèves, notables, anciens élèves, associa-tions communales et professeurs d’université allaient mener campagne pour que cette annexe redevienne une école à part entière, ce qui fut chose faite le 1er mars 2005 pour la première fois en Corée.

Chaque année, s’y déroule un festival de musique organisé avec la participation de la population et faisant monter sur scène les élèves des leçons de chant dispensées après la classe aux côtés des artistes invités pour l’occasion, devant un public composé des élèves, de leurs parents et d’habitants de la com-mune. Pour les jeunes chanteurs, cette manifestation est source de fierté et d’inspiration, outre qu’elle renforce l’esprit commu-nautaire de la population réunie pour y assister, de sorte que l’école primaire de Geosan assure par ce biais la double fonc-

tion d’établissement éducatif et de foyer culturel.

L’espoir retrouvé des écoles de village De tels succès démontrent tout le potentiel que peuvent

renfermer les établissements scolaires de petite taille, en offrant notamment la possibilité de réintégrer l’école de village à son magnifique environnement naturel, tout en corroborant l’idée que, si les parents préfèrent pour la plupart les écoles urbaines où règne un esprit de compétition, il s’en trouve d’autres pour apprécier un milieu rural propice à des apprentissages plus concrets. Les cas de réouverture évoqués plus haut ouvrent la voie au développement durable des écoles primaires rurales qui ramèneront vers ces derniers les élèves qui en sont originaires, mais attireront aussi de nouvelles recrues en provenance des villes environnantes.

Afin de promouvoir leurs objectifs, les petits établissements se sont constitués en association et font ainsi mieux connaître des innovations pédagogiques pouvant aussi rejaillir sur la qualité d’ensemble de l’instruction publique. De leur côté, les pouvoirs publics s’emploient à mettre au point de nouvelles mesures de soutien qui permettront aux écoles communales de tout le territoire d’œuvrer elles aussi avec succès à leur réouver-ture, comme dans les premiers cas où elle fut le fruit des efforts acharnés d’une poignée d’enseignants motivés. Ce regain de vie scolaire offre un merveilleux exemple du potentiel qui est celui d’un enseignement alternatif dispensé au sein de l’éducation nationale et l’action qui y a été menée offre aujourd’hui une lueur d’espoir à tous les établissements de petites dimensions.

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En milieu rural, d’anciennes écoles primaires offrent aujourd’hui différents lieux d’activité publics grâce au soutien résolu de l’État et à l’inventivité de la population, cette reconversion générant une importante valeur économique et culturelle qui redonne vie aux communes de ces zones.Kim Dang Journaliste à OhmyNews | Ahn Hong-beom Photographe

Quand l’école rurale d’antan se fait lieu de renouveau

Cette exposition de cartes anciennes a lieu à la Galerie d’art cantonale de Cheongsong, dans ce qui fut autrefois l’école primaire de Sinchon au sein de l’arrondissement de Sinchon-ri situé à Jinbo-myeon, une commune de l’agglo-mération de Cheongsong appartenant à la province de Gyeongsangbuk-do.

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Début septembre, c’était la fête du raisin dans le petit can-ton viticole de Yeongdong-gun, qui appartient à la pro-

vince de Chungcheongbuk-do, et pour assister aux démons-trations de vendanges, foulage du raisin et vinification suivies de dégustations que propose cette manifestation, comme le font chaque année quelque dix mille visiteurs, il suffisait d’em-prunter le train qu’avait affrété sur ce thème Korail, la société coréenne des chemins de fer. L’ensemble de ces activités se dé-roulaient dans une ancienne école primaire.

L’école primaire d’antanC’est en 1996 que Yun Byeongtae, hôtelier de profession,

et soixante-seize vignerons de Yeongdong-gun, un canton de la province de Chungcheongbuk-do, prennent l’initiative de créer l’Association du raisin de Yeongdong et franchissent ainsi une première étape dans la réalisation de la production vini-cole de qualité dont ils rêvent. Recherchant pour ce faire, dès 2001, des terrains qui soient, avant tout, d’un accès facile pour les viticulteurs, ils porteront très logiquement leur choix sur Jugok-ri, un arrondissement du district de Yeongdong-eup, berceau d’une culture à laquelle se consacrent soixante-seize familles sur la centaine que compte l’agglomération.

En outre, Jugok-ri se trouvait disposer des locaux de l’école primaire alors désaffectée de Hwagok, qui relevait des services éducatifs municipaux et dont les dimensions en faisaient la deuxième des trente écoles les plus anciennes de la région, mais dont l’excellent état d’entretien n’exigeait que des réparations minimes, outre que sa desserte par une route nationale et une ligne de chemin de fer y assurait des conditions d’accès idéales. Sa vente convenait tout autant à l’administration par le produit qu’elle en tirait et la suppression d’un poste de dépenses, que par sa destination à un secteur d’activité plus respectueux de l’envi-ronnement que ne l’aurait été l’industrie manufacturière.

L’école d’autrefois allait ainsi céder la place à d’importantes installations viticoles qui verraient leur production doubler en attirant les petits exploitants de la région, tandis que les effectifs de l’Association du raisin passeraient à quatre cent soixante personnes grâce à l’action de promotion assurée par une ad-ministration cantonale qui, en 2004, ne consacrera à ce projet pas moins de 2,25 milliards de wons, soit près de deux millions de dollars, et créera une société commerciale dénommée Wine Korea, dont les parts de capital sont détenues par les adhérents. Fruit d’un effort commun entre cette entreprise, les viticul-teurs, l’Association et les collectivités locales, sa réussite repose avant tout sur la transformation des locaux de l’ancien cours primaire, et à la vue de ceux-ci, l’observateur est frappé par leur étonnante ressemblance avec les châteaux du vignoble français, ainsi que par le peu de traces qui subsistent de leur ancienne vocation scolaire.

Si le cours primaire d’antan ne résonne plus de rires d’en-fants, sa reconversion a largement bénéficié à la commune, qui allait notamment se voir décerner le premier prix du concours

de « Construction de villages où il fait bon vivre » organisé en 2007 sous les auspices du ministère du Gouvernement et des Affaires internes. La nouvelle vie de cet établissement désaf-fecté aura aussi ravivé l’enthousiasme des villageois, qui n’ont aujourd’hui qu’à se soucier de l’agréable perspective de rouvrir l’école dans l’éventualité où Wine Korea, en poursuivant sur la voie du succès, attirerait de jeunes ménages dans la commune.

La transformation des locauxEn milieu rural, de telles réalisations sont chose rare à

l’échelle des petites communes, comme en attestent les chif-fres du ministère de l’Éducation, des Sciences et Technologies (MEST), selon lequel, dans les agglomérations des régions agricoles, de pêche et de montagne, villes et villages du conti-nent et des îles confondus, un effectif inférieur à soixante élèves a été recensé dans 1 765 écoles primaires représentant 35,5% des 4 972 établissements scolaires. Afin d’optimiser leur di-mensionnement, le MEST a pris l’initiative de fermer certains établissements et de les regrouper moyennant la fourniture de subventions plus conséquentes, qui s’élèvent désormais à deux milliards de wons, soit environ 1,8 million de dollars, dans le cas d’une école à part entière, c’est-à-dire deux fois plus que pour une annexe. Au moyen de ce dispositif, l’État s’était fixé pour objectif la fermerture d’à peu près cinq cents écoles pri-maires en trois ans et escomptait par ce biais parvenir à une amélioration du niveau global de l’instruction publique sur tout le territoire.

Dans son rapport intitulé « Utilisation actuelle des écoles fermées », qui porte sur la période comprise entre le 1er jan-vier 2006 et le 31 juillet 2008, le MEST révèle qu’à l’échelle nationale, ce sont ainsi 3 246 établissements primaires qui ont fermé leurs portes depuis l’année 1982, tandis que ceux qui de-meuraient ouverts lors de la dernière année considérée étaient au nombre de 6 229, dont 5 813 écoles à part entière et 416 annexes, près d’un tiers des cours primaires ayant donc disparu au cours des vingt-cinq dernières années. Une décomposition par région permet de constater que ces chiffres se limitent à l’unité dans la capitale et son agglomération, les plus forts étant enregistrés dans les communes s’adonnant à l’agriculture et à la pêche, ainsi que dans les villages isolés des cinq provinces de Jeollanam-do (683), Gyeongsangbuk-do (581), Gyeongsan-gnam-do (501), Gangwon-do (396) et Jeollabuk-do (311) et représentant ainsi 76% du résultat total.

Si le sort réservé aux établissements fermés varie selon les cas, nombre de ceux-ci connaissent une nouvelle vie en chan-geant de vocation. L’étude du MEST permet ainsi de constater que sur les 3 246 écoles touchées par ces mesures, 1 924, soit 59% de l’ensemble, ont été vendues, louées ou démolies, que 856 autres (26%) accueillent dorénavant des activités éducati-ves, religieuses, communautaires, commerciales, de formation ou de production, tandis que seules 470 d’entre elles (15%) de-meurent désaffectées, l’acquisition par des personnes morales

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diverses les ayant concernées pour plus de la moitié, plus exac-tement à raison de 1 625 établissements, et ce, très récemment encore.

L’année 2006 allait marquer la présentation par le gouver-nement d’un projet d’amendement à la « Loi spéciale pour la promotion de l’utilisation des écoles fermées » au moyen du-quel il entendait assouplir les modalités de location de ces biens communaux et qui allait de fait entraîner une progression de celle-ci, mais aussi de l’acquisition directe par les particuliers grâce à une diminution des versements exigés lors de cette transaction. Tout à fait conscient du rôle primordial qui fut longtemps celui de l’école au sein de la commune, le MEST allait imposer certaines contraintes aux acquéreurs afin de restreindre strictement l’usage des locaux de manière à ne pas heurter les sensibilités dans la population.

Que ce soit à l’échelle municipale ou provinciale, les collecti-vités locales favorisent la reconversion des établissements fermés pour qu’ils assurent des fonctions à caractère éducatif, culturel, collectif, social ou de production agricole, à l’exclusion de toute exploitation commerciale dans le domaine des divertissements, résidences secondaires et activités contraires à la morale et re-prouvées par la population, mais aussi de toute autre vocation inadéquate susceptible d’aller à l’encontre des intérêts locaux, dont les usines de production provoquant une forte pollution et les entreprises se livrant à des opérations de spéculation. Parmi les divers exemples d’une reconversion bien conçue, figure la création de centres culturels, d’art et d’intérêt collectif, d’entre-prises agro-alimentaires, d’écoles dispensant un enseignement alternatif et d’instituts de formation spécialisée.

Haneullae, le Hameau des fleurs sauvagesUne recherche qu’a fait réaliser le MEST en 2006 montre

que, des différentes expériences de reconversion d’établisse-

ments scolaires, le cas le plus remarquable est celui du Hameau des fleurs sauvages de Haneullae faisant partie de l’arrondisse-ment de Yeonpyeong-ri constitutif de la commune de Cheon-cheon-myeon, laquelle se rattache au canton de Jangsu-gun situé dans la province de Jeollabuk-do. Dans ce lointain ha-meau de montagne aux vingt-cinq foyers composés de trente personnes âgées pour la plupart de plus de soixante ans, plus rien ne sera comme avant suite à l’arrivée, en cette année 2003, d’un groupe de citadins qui emménagent dans l’ancienne école primaire de Yeonpyeong dont ils ont fait l’acquisition pour la somme de trois cents millions de wons, soit environ 270 000 dollars, en vue d’y exploiter une cyberboutique commerciali-sant des produits écologiques.

Animés du désir de créer un site qui, au moyen de cette activité, permettrait de multiplier les échanges entre zones ur-baines et rurales, ils se mettront en quête de locaux adéquats et en 2003, découvriront l’emplacement parfait en celui de l’ancienne école primaire de Yeonpyeong, qui se blottit entre les montagnes, à proximité d’un ruisseau à l’eau limpide, et dont l’unique rue n’est empruntée que par les habitants en dépit de la présence d’une autoroute à vingt minutes de l’agglomération.

Désaffectés depuis déjà trois ans, les bâtisses allaient subir une rénovation qui, tout en reposant sur des principes écologi-ques, visait à leur conserver leur aspect d’origine en embellis-sant leur cadre par des plantations d’arbres et de fleurs. Cette reconversion allait aussi susciter un regain de dynamisme dans la population, les producteurs de fruits et légumes prenant l’initiative de se constituer en réseau de distribution pour com-mercialiser leurs cultures respectueuses de l’environnement, tandis que de jeunes ménages faisaient leur apparition dans un village longtemps voué au vieillissement démographique. En redonnant vie à la commune rebaptisée Hameau des fleurs sauvages de Haneullae, sa vieille école participait ainsi d’un meilleur équilibre entre homme et nature, tout en élevant la qualité de vie de la population.

Les concepteurs du projet allaient en outre prêter main forte aux producteurs agricoles afin d’assurer la stabilité de leur offre, tout en encourageant les consommateurs qui en sont destinataires à se rendre au village pour y découvrir la réalité

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À la fois espace de création artistique et centre culturel municipal, le Studio des fleurs de pomme de terre occupe les locaux de l’ancienne école de Nosan aujourd’hui annexée à celle de Pyeongchang, ville de la province de Gangwon-do, et plus précisément située dans le district de Pyeongchang-eup faisant partie de l’arrondissement de Igok-ri.

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quotidienne en milieu rural dans le cadre de formules d’échan-ge dont le succès allait être attesté par la participation de quel-que vingt mille citadins. En 2005, ces réalisations allaient valoir à la commune de se voir classer Village d’agriculture verte par le ministère de l’Agriculture et des Forêts et, un an plus tard, « Village du meilleur projet agricole ».

Le village culturel d’UtdariÀ Pyeongtaek, l’ancienne école primaire abrite à titre loca-

tif gracieux le Centre culturel municipal qui, sous le nom de Village culturel d’Utdari, propose une large gamme d’activités culturelles et artistiques à l’intention de la population.

Ayant pris la décision de s’établir dans les bâtiments de l’ancienne école annexe de Geumgak, le Centre culturel de Pyeongtaek convoquera, en 2005, une réunion du Conseil municipal en vue de faire appel à la générosité des administrés et mettra sur pied un groupe de travail chargé de concevoir un projet d’aménagement pour lequel il se verra décerner le premier prix du Programme de création d’espaces culturels au profit des habitants de zones culturellement oubliées réalisé sous l’égide du ministère de la Culture et du Tourisme. Ces intervenants s’emploieront alors à mettre en valeur la création artistique locale et à entreprendre une rénovation qui aboutira, en 2006, à la création du Village culturel d’Utdari.

Depuis lors, ces lieux assurent la vocation nouvelle d’un espace de création réservé à cinq artistes locaux qui, aux côtés de conférenciers également natifs du village, ont été chargés de proposer, par le biais de formules de quarante jours de durée, une quarantaine d’activités culturelles telles que poterie ordinai-re, menuiserie, composition de chansons d’enfants et initiation à la vie moderne. Lieu phare de la vie municipale de Pyeong-taek, ce village atteint une fréquentation annuelle de près de vingt-cinq mille personnes par les multiples possibilités qu’il offre aux populations bénéficiant d’un accès limité à la culture, notamment les jeunes et les familles, ainsi que par des manifes-tations d’éveil culturel permettant à chacun d’aller à la décou-verte de l’art et de la culture par des moyens concrets. Tel est le cas notamment du module intitulé « Mâts de l’espoir », dans le cadre duquel, comme le veut une tradition régionale, les habi-tants du troisième âge initient les plus jeunes à la fabrication de mâts totémiques, ce qui leur permet de partager le savoir-faire culturel particulier dont elles sont détentrices.

Le Studio des fleurs de pomme de terreÀ la sortie de Pyeongchang, cette ville de la province de

Gangwon-do, se dresse dans l’arrondissement de Igok-ri, qui se situe dans le district de Pyeongchang-eup, le bâtiment, dit

Studio des fleurs de pomme de terre (PotatoBlossom Studio) et aujourd’hui doté d’une architecture moderne aux structu-res d’acier habillées de vitres fumées, qui fut autrefois celui de l’école annexe de Nosan et abrite aujourd’hui un centre cultu-rel offrant un espace de création dans ses ateliers d’artistes et un lieu de rencontre pour la population. Comment imaginer, en voyant son aspect extérieur, qu’il accueillait jadis des éco-liers entre ses murs ?

Lee Sun-chul, un organisateur de manifestations culturel-les, a joué un rôle décisif dans la transformation de l’ancien établissement scolaire de ce village de montagne typique en un espace culturel connu de tous les Coréens. C’est en l’an 2000 qu’après avoir exercé dans le quartier de Daehak-ro, à Séoul, l’homme s’installera à Pyeongchang pour y trouver des conditions de vie plus saines. Informé d’un appel d’offre public émanant des services éducatifs municipaux en vue de la vente de l’école annexe de Nosan, il soumet une proposition de réa-ménagement que retiendra l’administration cantonale et en vue duquel celle-ci fera l’acquisition des lieux, avec le soutien financier des collectivités locales de la province, afin de les met-tre à la disposition de Lee Sun-chul, qui y créera en 2005 son Studio des fleurs de pomme de terre.

Cet espace met en œuvre un « programme d’échange d’œuvres culturelles » unique en son genre en vertu duquel chanteurs et autres gens du spectacle se voient offrir la possibi-lité de louer des salles de répétition, mais aussi grâce auquel des concerts permettent aux artistes de talent de se produire devant un public local, qui n’a souvent que de rares occasions d’assis-ter à des représentations artistiques. Outre la bibliothèque et le musée ouverts aux habitants du village, le Studio propose une série de stages de formation culturelle et éducative qu’animent des intervenants professionnels.

Les projets novateurs de l’Ile de JejudoPourvue de multiples et originales galeries d’art qui

n’ont pas leur pareil en métropole dans des domaines allant de la photographie à la teinture textile artisanale, l’Ile de Jejudo, après avoir tiré sa célébrité de ses femmes, de ses rochers et de son vent, s’enorgueillit de ces espaces artistiques à l’ambiance aussi exotique que son paysage et aux locaux issus de la recon-version d’écoles désaffectées.

Parmi ces établissements, figure notamment la Galerie Dumoak tenue par Kim Young Gap dans les bâtiments de l’ancienne école annexe de Samdal, qui se trouve dans le dis-trict de Seongsan-eup rattaché au canton de Seogwipo. Le célèbre photographe Kim Young Gap, qui s’est employé toute sa carrière durant à capter les splendides paysages de cette île

Là où la baisse des effectifs scolaires justifiait de la fermeture d’un cours primaire, il s’est toujours trouvé des entrepreneurs qu’intéressait leur reconversion en raison de la facilité d’accès et du bon état d’entretien dont bénéficient en général ce type d’éta-blissement.

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à l’aide de son objectif, avait, cinq ans avant de succomber à la maladie de Lou Gehrig, en 2005, effectué une rénovation des huit salles de classe de la vieille école pour les reconvertir en un studio photographique qui se classe aujourd’hui parmi les lieux touristiques les plus fréquentés de l’île. Si l’on en croit une enquête réalisée en 2006 par le Conseil provincial de Jeju auprès de mille quatre visiteurs, il se plaçait en effet en tête des quarante-huit destinations touristiques les plus prisées par la satisfaction qu’il a procuré au public familial.

Le canton de Seogwipo a vu se dérouler sur son sol d’autres remarquables projets de reconversion, notamment de l’école primaire de l’arrondissement de Gasi-ri apparte-nant à la commune de Pyoseon-myeon, en une Galerie de l’amour de la nature où des expositions permettent d’admi-rer le pittoresque décor de Jejudo pendant les quatre saisons, ainsi que celle de Myeongwol, situé dans l’arrondissement de Myeongwol-ri, dans le quartier de Hallim-eup rattaché au canton de Jeju, en un centre dit de Mongsaengi, qui a pour vocation de faire connaître les procédés de teinture naturelle de textiles, et enfin des terrains de celle de Mureung, qui s’étendent le long de la route Olle menant à l’arrondissement

de Mureung-ri, dans le quartier de Daejeong-eup situé dans l’agglomération de Seogwipo, pour y créer le Village de décou-verte de la nature et de l’écologie de Jeju.

Des logements pour personnes âgéesIl arrive aussi que des lieux récréatifs destinés aux enfants

soient transformés en installations d’hébergement pour les per-sonnes du troisième âge, comme cela a été le cas à l’initiative du Conseil d’arrondissement de Dongjak-gu, dans le canton de Taean-gun, à Séoul, cet organisme étant le premier à avoir fait l’acquisition d’une école communale désaffectée pour y réaliser des logements sociaux, après avoir eu l’idée, en l’an 2000, de créer de toutes pièces ces installations, des problèmes se posant alors en termes de choix des locaux et de financement des travaux.

En étendant leurs recherches à la province, les collectivités locales allaient alors découvrir dans celle de Chungcheon-gnam-do, plus exactement dans l’arrondissement de Sinya-ri situé dans le quartier d’Anmyeon-eup rattaché au canton de Taean-gun, cette école primaire désaffectée du nom de Sinya qu’abrite un bâtiment de deux étages s’élevant dans la station balnéaire d’Anmyeon. Dans un cadre naturel harmonieux au paysage côtier bordé de forêts, elles allaient faire aménager une maison de retraite en multipropriété afin d’accueillir locataires âgés ou handicapés en les dispensant d’un loyer et les cin-quante mille pensionnaires reçus des mois de juillet 2001 à sep-tembre 2009 témoignent amplement du succès qu’a rencontré cette initiative.

Par la suite, d’autres Conseils d’arrondissement de Séoul, qui se heurtent constamment au problème d’une forte valeur foncière, allaient également porter leur choix sur des écoles désaffectées situées à la campagne pour y construire des ins-

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Aquatic plants, such as the floating fern Salvinia natans, giant duckweed (Spiro-dela polyrhiza), and frogbit (Hydrocharis dubia), are examples of the marshland

ecology of the Upo Wetlands.

1 La Galerie Dumoak que tient Kim Young Gap sur l’ le de Jejudo propose ses expositions dans les locaux de l’ancienne école annexe de Samdal, lesquels se trouvent dans le district de Seongsan-eup rattaché, ce canton de l’agglo-mération de Seogwipo.

2 Dans l’arrondissement de Bunwon-ri situé à Namjong-myeon, une commune de l’agglomération de Gwangju se trouvant dans la province de Gyeonggi-do, l’ancienne école primaire de Bunwon dispense un enseignement spécialisé dans les arts de la céramique, après que des professeurs ont pris l’initiative de la réaménager pour y créer le Musée de la porcelaine royale de Bunwon, en raison de la présence, non loin de là, des derniers fours de potiers de l’époque Joseon.

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tallations à vocation sociale. Hormis la baisse considérable qu’elles autorisent sur les coûts afférant à l’achat de terrains ou bâtiments, ces initiatives ont entraîné un renforcement des échanges et relations de coopération entre zones rurales et ur-baines et un fonctionnaire de l’arrondissement de Dongjak de faire remarquer : « Nos habitants vont sur l’île d’Anmyeondo non seulement pour y trouver le repos, mais aussi pour aider les foyers d’agriculteurs en leur achetant directement leur produc-tion. Ainsi, les logements du troisième âge s’avèrent aussi béné-ficier pareillement à la population de Dongjak-gu et à celle de Sinya-ri et nous sommes donc gagnants sur tous les tableaux ».

L’OhmySchoolCréé en l’an 2000, le journal sur internet OhmyNews, qui

est peut-être plus célèbre à l’étranger qu’en Corée, possède un caractère tout à fait novateur, puisque, conformément à sa devise selon laquelle « tout citoyen est journaliste », il fait appel à des journalistes-citoyens, dont l’effectif se limite à soixante-dix personnes travaillant à plein temps, tout en rivalisant avec des organes de presse classique plus grands, puisqu’il se classe chaque année, par son tirage, parmi les dix premiers du pays.

En 2007, OhmyNews allait conclure un bail locatif por-tant sur l’emplacement d’un établissement scolaire de l’île de Gwanghwado, qui était désaffecté depuis dix ans déjà, à savoir l’école primaire de Sinseong située dans l’arrondissement de Neopseong-ri appartenant à la commune de Bureun-myeon, au sein du canton de Gwanghwa-gun. Au terme d’un chantier de rénovation, des installations allaient y ouvrir leurs portes pour proposer des cycles de formation continue destinés aux journalistes professionnels et amateurs. Outre des conférences et réunions internationales organisées à l’intention des journa-

listes-citoyens, elles offrent aussi des circuits de découverte his-toriques de la région de Ganghwa, ainsi que des stages de lan-gue anglaise pour les enfants. Cette école, qui fut autrefois une verrue défigurant le centre de ce village de 267 foyers, conserve sa plaque depuis sa fermeture en 1997, c’est-à-dire plus de dix ans après, en dépit de sa transformation sous le nom d’Oh-mySchool, car nombre de cérémonies officielles s’y déroulent encore, notamment à l’occasion de la remise de diplômes ou de l’entrée à l’école primaire.

Depuis 2008, OhmySchool propose des manifestations intitulées « Ensemble, nous marchons » en référence aux pe-tits établissements du pays qui comptent parfois en tout et pour tout un élève en première année du cours primaire ou à sa sortie et dans le but de rassembler ces enfants « solitaires » issus des régions agricoles, de pêche ou de montagne et de leur permettre de tisser entre eux des liens de solidarité, avec l’en-couragement de vedettes de la chanson et de personnalités de la télévision telles que l’actrice Han Hye-jin, qui animait voilà peu l’une de ces journées.

Depuis qu’elle a ouvert ses portes au mois de décembre 2007, OhmyNews s’emploie à sensibiliser l’opinion au sort des écoles promises à une fermeture certaine en conviant, l’espace d’un forum de deux jours, les responsables des lieux résultant de la reconversion d’établissements scolaires désaffectés et des promoteurs en puissance, pour leur faire partager expérience et idées pouvant servir à de nouveaux projets, car les écoles désaf-fectées présentent avant tout l’avantage fondamental d’un bon emplacement au centre-ville, d’une grande facilité d’accès et du bon état d’entretien de leurs installations, autant de raisons qui ont conduit les participants à en conclure à l’unanimité que : « Les écoles fermées doivent vivre pour que vivent les villages».

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Il y a quelque temps, j’ai reçu de Hambourg une lettre dont l’expéditeur disait être le fils du premier directeur de l’école

de mon village et vivre en Allemagne depuis son départ de Corée, trente ans auparavant. À peu près à la même époque que moi, il était entré dans cet établissement pour en partir moins d’un an plus tard en raison de la mutation de son père. Il s’adressait aujourd’hui à moi après avoir lu un de mes articles, qui lui avait rappelé de lointains souvenirs.

Des images de mon enfanceCe premier directeur d’école, j’en avais oublié jusqu’au nom

pendant les trente années de ma scolarité au cours primaire, au premier et au second degrés, puis à l’université, à laquelle avaient succédé trente autres de professorat dans cette dernière, comme l’indiquaient les cinq ou six noms d’établissements inscrits à mon curriculum vitae en une succession des plus communes et monotones. Des tous débuts, je conserve ces images de la petite école de mon village natal, dont émane comme un concentré des

parfums de mon enfance et il me semble n’avoir fait qu’un long détour à travers le monde pour mieux les redécouvrir. Le poète Jeong Hyeonjong chantait ainsi la sienne en ces termes :

« Ah, école primaire de campagne ! / Son panorama m’en-lace dans son giron. / Dans son giron, je me blottis, / me blottis et me reblottis. / (Dans le monde tout entier / il n’est que là que tu résides) / Ô, paix sacrée / Ô, fleur du temps / Ô, écho de rêve / Ô, pureté résolue / Ô, rencontre sacrée de l’univers... »

Cette route blanche non pavée, toute sèche et poussiéreuse, qui traversait un champ tout en longueur avant de s’enfoncer dans une profonde vallée de montagne en direction du nord, gravissait une hauteur au sommet de laquelle se dressait un temple du septième siècle, celui de Buseoksa, où l’on avait l’impression qu’était arrivée la fin du monde et des temps, puis il fallait bien repartir comme on était arrivé, puisque c’est là que s’arrêtait le chemin.

Après être redescendu de cette « fin du monde » et avoir parcouru environ quatre kilomètres, on parvenait alors au mar-

En me lançant dans la vie, je suis soudain sorti de dessous l’aide protectrice de l’école qui m’avait tout appris, un peu comme la mort m’avait privé de celle de ma mère, mais le souvenir de ces lieux, qui résonnent encore en moi de ses airs d’orgue, restera à jamais gravé au fond de mon cœur.Kim Hwa-young Professeur émérite de l’Université Koryo. Critique culturel

Kang Jae-hoon Photographe

Une inoubliable école de campagne

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Une inoubliable école de campagne

ché de Buseok, que quatre autres séparaient de mon village na-tal dénommé Dotan, c’est-à-dire « l’onde de fleurs de pêcher ». Etait-ce parce que leurs fragiles pétales, répandus par ces arbres, avaient jadis été emportés par les flots coulant dans les vallées ? Voilà fort longtemps, le poète chinois Li Bai, dans son « Dialo-gue dans les montagnes », ne s’interrogeait-il pas : « Pourquoi vivre au plus profond des montagnes ?/ Me demandez-vous ? / Mais je me contente de sourire sans répondre / Et j’ai le cœur léger. / Les fleurs des pêchers tombent sur l’eau / Et disparais-sent on ne sait où. / Nulle ombre humaine en vue / Voici donc un autre monde inconnu » et il me semble tout à fait que de tels sentiments ont inspiré le toponyme de mon village niché au creux des montagnes.

Un étrange nouveau mondeCe village dont les habitants appartenaient pour la plupart

au clan des Kim, tout comme moi, était bordé à son entrée de vastes champs et rizières, tandis que de petites collines

se dressaient à sa sortie, et comportait un premier groupe d’habitations situées en amont du ruisseau qui le traversait, un deuxième en aval et un troisième sur l’autre rive, trois pauvres hameaux sans la moindre fleur de pêcher au centre desquels se tenait le quartier de Soran où j’ai vu le jour.

Cette partie de l’agglomération s’entourait de bosquets de conifères, comme l’indiquait son nom qui signifiait « au beau milieu des pins », et se composait en tout et pour tout de dix habitations dispersées le long d’une route cimentée de construction récente. À l’arrière d’un vieux pavillon et de quel-ques plaqueminiers situés en son centre, s’élevait cette maison au toit de tuile dégarni qui était la nôtre.

En gravissant le chemin de montagne qui s’étendait à l’arriè-re, on pénétrait dans cet autre monde qui, solitaire, se dressait en haut de la colline au cœur d’une épaisse forêt de pins et n’était autre que l’école primaire de Sangseok, où j’allais entrer avant l’âge de sept ans car, dans notre petit village de montagne alors encore dépourvu de classe maternelle, mes parents avaient jugé

Les citadins qui ont été au cours primaire dans un village garderont à jamais le souvenir d’écoles comme celle de Myeongdal, aujourd’hui annexée à l’établissement de Seojong, qui se situe dans la commune du même nom au sein de Yangpyeong, une agglomération de la province de Gyeonggi-do.

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Si l’École primaire de Sangseok constituait, administrativement parlant, l’annexe de celle de Buseok située non loin de la place du marché, ce minuscule établissement représentait pour moi un étrange et grandiose univers où venaient acquérir une soi-disant ins-truction moderne des élèves pour la plupart adultes, puisqu’il pouvait s’agir de personnes mariées de plus de vingt ans, quand elles n’étaient pas de l’âge de mes oncles et tantes.

que mieux valait pour moi jouer à l’école qu’à la maison.Elle comprenait une grande cour de récréation bordée

d’une haie de cèdres d’Orient (Oriental arborvitae), un petit bâtiment au toit de chaume, un puits, la maison du directeur datant de l’occupation japonaise, et un jardin potager adossé à la colline, auprès duquel s’alignaient sagement les deux salles de classe à toit de tuile, ainsi qu’une salle réservée aux instituteurs. Voilà à quoi se résumait cet établissement qui n’était guère dis-tant de chez moi de plus de trois cent mètres, mais qui, par sa nouveauté, me paraissait un univers des plus extraordinaires et étranges où j’allais m’initier aux mystères de l’orthographe et à la magie des additions et des soustractions.

Dans sa grande cour, appuyé contre un arbre dont j’igno-rais encore le nom, je pouvais contempler à loisir, par-delà un versant couvert de cosmos en fleur, le pittoresque paysage aux immenses champs parcourus d’une route blanche et plus loin encore, jusqu’au ruisseau qui miroitait entre les saules, une im-posante montagne semblant mettre un point final à cet ensem-ble aux confins duquel s’étendait ce qui représentait pour nous le « monde » de l’inconnu. Trois ans après l’indépendance, l’école ne comportait encore que trois enseignants, directeur y compris, et son effectif n’atteignait pas trente élèves, car elle constituait, administrativement parlant, l’annexe de celle de Buseok située non loin de la place du marché, ce minuscule établissement n’en représentant pas moins pour moi un étran-ge et grandiose univers.

Des enfants de mon âge qui vivaient dans la partie de l’ag-glomération située en amont du ruisseau, seuls quelques-uns fréquentaient la classe à mes côtés, celle-ci se composant pour

la plupart d’adultes, puisque venaient y acquérir une soi-disant instruction moderne des personnes mariées de plus de vingt ans, quand elles n’étaient pas de l’âge de mes oncles et tantes. Outre notre maître, ces camarades prenaient également soin de moi en m’apportant une aide fréquente et allaient jusqu’à me hisser sur leur dos pour me ramener, de sorte que l’école en vint à représenter pour moi, avant que d’être un lieu d’appren-tissage, le doux giron où se réfugier qu’évoquait ainsi le poète : « Dans ce giron, je me blottis, me blottis et me reblottis » et qui me vient toujours à l’esprit, soixante années plus tard, dès que je me la remémore.

Les souvenirs du cours primaireÀ mon entrée à l’école, la plus grande difficulté qu’il me

fallut affronter ne fut pas celle de l’orthographe ou des tables de multiplication, que j’assimilais en fait avec plus de facilité que mes aînés, mais l’épreuve de me rendre aux toilettes, car ces lieux beaucoup plus vastes que chez nous m’effrayaient lors-que j’ôtais ces étranges bretelles dont on m’avait affublé et que j’abaissais mon pantalon, ainsi qu’à l’entraînement militaire du cours d’éducation physique : « À gauche : en avant, marche ! Demi-tour! », car à mon jeune âge, distinguer ma droite de ma gauche relevait assurément de la tâche la plus pénible qui soit. Face à ces obstacles démesurés, maîtres et camarades de classe plus vieux m’apportaient leur aide et allaient parfois jusqu’à me porter sur leur dos qui sentait la cigarette.

Cependant, rien n’égalait pour moi le son de l’orgue, dont je faisais aussi la découverte à l’école et qui répandait alentour les notes que l’on tirait de ses touches noires et blanches, com-

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me le faisait cette charmante institutrice fraîche émoulue d’un lycée de jeunes filles de Séoul et dont m’avait enchanté l’étrange accent lorsqu’elle chantait en s’accompagnant de cet instru-ment. Tandis que je me tenais à ses côtés, il arrivait qu’elle m’adresse regards et sourires, sans prononcer le moindre mot, délicieuces mélodies et expression angélique semblant alors s’envoler au loin, par la fenêtre, jusqu’aux vastes champs et à la route blanche. J’avais résolu de la prendre pour épouse quand je serais grand, lorsque la guerre qui éclata peu après contrai-gnit l’école à fermer ses portes et jamais plus je ne revis notre institutrice, pas plus que notre maître qui avait été mobilisé et auquel les petits enfants que nous étions, rassemblés devant la porte de l’école, avaient tendu, comme aux autres instituteurs partant au combat, des bouquets de zinnias cueillis le long de la clôture et quelques pommes encore vertes.

Lorsque je me promenais dans les champs ou pêchais au ruisseau en compagnie de mes frères, sœurs et copains, nous entendions le grondement lointain de l’artillerie et lorsque nous étions las de ces activités, nous allions jouer dans l’école déserte, grimpant aux conduits de ventilation du toit, prenant des oiseaux au piège ou rampant à quatre pattes sous le plan-cher pour y entreprendre une chasse aux trésors dont nous ramenions bouts de crayons ou morceaux de gomme tom-bés entre les interstices des lattes, quand nous ne faisions pas d’interminables parties de cache-cache entre les cosmos sur le coteau voisin de la cour.

La paix revenue, notre cours primaire allait rouvrir ses por-tes et, des six années que j’allais y passer, jamais je n’oublierai les expositions et spectacles que nous organisions, cette journée

du sport automnale où nous courions, bandeaux rouges et blancs enroulés sur le front, l’agréable odeur des livres et ca-hiers neufs dont on nous munissait chaque année, pas plus que les belles images des livres de lecture que nous emportions pour les grandes vacances. Et puis, il y avait aussi ces rations en boîte que larguaient les avions américains tournant en rond dans le ciel et qui renfermaient des jouets que je n’avais jamais vus, du lait, du café en poudre et des crayons qui sentaient le genièvre.

Un beau jour, il m’a bien fallu quitter ce giron pour entrer au collège de Séoul et connaître ce que l’on appelle le monde, ce qui fut le début d’une errance qui devait me mener jusqu’à l’étranger et aujourd’hui, lorsqu’il m’arrive de retourner au vil-lage natal pour le Nouvel An lunaire ou la fête des récoltes, il est rare que je monte revoir ma vieille école de montagne.

Il a suffi que se répandent des informations sur le dévelop-pement et la prospérité du pays pour que les habitants des villa-ges quittent un à un leurs agglomérations et que l’école qu’avait un temps fréquentée plus de deux cents élèves voie ses effectifs se réduire peu à peu pour finir par fermer à jamais ses portes. Aujourd’hui, l’herbe envahit la cour de récréation et la vétusté n’épargne rien, jusque la chaîne entravant la porte d’entrée que ronge la rouille.

Voilà quelques jours, une lettre m’a annoncé que s’y tien-drait une réunion de l’association des anciens élèves, mais je n’y assisterai pas car, en me lançant dans la vie, je suis soudain sorti de dessous l’aide protectrice de l’école qui m’avait tout ap-pris, un peu comme la mort m’avait privé de celle de ma mère, le souvenir de ces lieux, qui résonnent encore en moi de ses airs d’orgue, restant toutefois à jamais gravé au fond de mon cœur.

1~2 Jours du sport et de classe à l’école de Jindong, l’annexe d’un établisse-ment scolaire se trouvant dans l’arrondissement de Jindong-ri, à Girin-myeon, cette commune de l’agglomération d’Inje qui appartient à la province de Gangwon-do.

3 Jour de sport à l’école rurale annexe de Saneum, dans la commune de Danwol-myeon (canton de yangpyeong-gun, province de Gyeonggi-do).

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DOSSIERS

Le retentissement du Congrès international d’astronautique 2009Sur le thème de « l’espace pour la paix et le développement durable », se déroulait à Daejeon le soixantième Congrès international d’astronautique, en cette année 2009 qui marque le quarantième anniversaire du pre-mier alunissage, et il a permis de sensibiliser fortement le public aux dernières avancées qu’a réalisées la Corée grâce à son programme spatial.Kim Seung-jo Président de la Société coréenne des sciences aéronautiques et spatiales

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e 20 juillet 1969, le monde entier assistait à l’extraordinaire spectacle de l’homme marchant sur la lune pour la première fois de son histoire et accomplissant ainsi ce prodigieux exploit huit ans après que le président américain John F. Kennedy eut annoncé que le programme spatial américain s’était fixé cet objectif d’ici

à la fin de la décennie. Cet événement historique allait émerveiller les cinq millions de téléspectateurs qui en étaient témoins en révélant le haut degré d’évolution scientifique et technologique atteint par les États-Unis, mais aussi faire rêver à de nouveaux exploits bien des jeunes que fascinait la conquête spatiale. Sa diffusion en direct sur les petits écrans du monde entier, au moyen de liaisons par satellite, représentait elle aussi une prouesse de taille, puisqu’elle a permis aux habitants de toute la planète d’assister à ces premiers pas sur la lune et d’entrevoir les énormes possibilités offertes par les technologies astronautiques.

Les sciences spatiales illuminent le passéAlors que s’achevait cette année, à Daejeon, le soixantième Congrès international d’astronautique

(CIA), une passionnante étude allait apporter une nouvelle confirmation de la valeur et des atouts importants qui sont ceux des technologies spatiales. Il s’agissait de la communication pleine d’inté-rêt qu’a présentée à cette occasion le documentariste et ingénieur japonais Fujio Nakano et qui, comme l’indique son intitulé « Identification des trajets migratoires entre la Corée et le Japon – une nouvelle découverte fondée sur la base de données créée à partir d’observations spatiales de la Terre », reconstituait l’itinéraire qu’avaient suivi des réfugiés coréens au Japon, voilà près de mille quatre cents ans, par la localisation de leurs implantations dans plusieurs régions de ce pays qu’a per-mise un satellite d’observation terrestre en fournissant des informations en trois dimensions.

Si les pénibles événements qui ont marqué les relations de ces deux nations au cours de l’histoire poussent encore celles-ci à s’affronter sur maintes questions d’ordre diplomatique ou culturel, l’ensemble des éléments scientifiquement prouvés qu’a fournis M. Nakano lors de son intervention permet de consta-ter que dans des temps reculés, des tribus coréennes ont bel et bien migré jusqu’au Japon et s’y sont

1 À l’occasion de la dernière session du CIA, les responsables d’organi­sations aérospatiales recherchent ensemble les moyens de promou­voir la coopération en matière d’exploration de l’espace.

2 Pavillon d’une entreprise d’aéro­spatiale à l’Exposition technique.

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À l’intention du grand public, l’édition 2009 du Congrès proposait un ensemble de manifestations telles que le Festival de l’espace ou l’Exposition technique, qui présentaient une cinquantaine d’activités relatives à quatre grands thèmes intitulés Place des citoyens de l’espace, Villages des extraterrestres, de la lumière des étoiles et des robots, Centre spatial et Cité spatiale.

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établies. Il est à espérer que ces remarquables résultats, fruit de la recherche spatiale appliquée, permettront d’aplanir les diffé-rends futiles qui opposent ces deux nations, car ils représentent, y compris pour moi qui suis chercheur dans ce même domaine, une avancée et une mine d’informations considérables, illustrant ainsi de manière concrète la mise en œuvre de cet « Espace pour la paix et le développement durable » qui faisait l’objet des tra-vaux des congressistes.

Un mémorable anniversaireTout comme l’enfant qui, en grandissant, étend peu à peu ses

horizons au monde extérieur, par-delà son cadre de vie familial, la fascination qu’éprouvent les hommes pour le milieu extra-terrestre procède d’une curiosité toute naturelle de l’univers et a déclenché, à l’époque moderne, une course à l’espace mettant en concurrence des nations toujours plus nombreuses par le biais de programmes d’exploration révélateurs de la place qu’elles occu-pent sur la scène internationale. Selon un rapport rendu public cette année par la Fondation américaine de l’espace, ce secteur d’industrie représente en outre un potentiel de croissance écono-mique estimé à deux cent soixante milliards de dollars, autant de raisons financières et scientifiques pour lesquelles l’essor consi-dérable que conna t aujourd’hui l’industrie spatiale est appelé à se poursuivre à l’avenir.

Dans le domaine de la recherche spatiale, cette année aura été d’une importance capitale puisqu’elle marquait tout à la fois le quarantième anniversaire de l’alunissage du vaisseau spatial Apollo, qui représentait l’aboutissement d’un rêve que nourris-saient les hommes depuis des temps anciens, la soixantième année d’existence de la création du CIA, qui fournit un forum international propice à l’expansion des technologies spatiales, à l’adoption d’une législation sur l’espace et à la mise en œuvre d’applications pacifiques, et l’Année internationale de l’astrono-mie proclamée par les Nations Unies, mais aussi en raison du lancement par la Corée de son premier engin spatial, le satellite Naro-1.

Au cours de cette année fertile en événements, la Corée s’est ainsi vu confier l’organisation du soixantième CIA, que les États-Unis, la Russie et les autres grandes puissances spatiales avaient jusqu’alors accueilli, depuis 1950. En dépit des craintes portant sur une moindre participation à cette manifestation en raison des menaces que font peser sur le monde la crise économique et l’épidémie de grippe H1N1, sa nouvelle édition allait s’avérer plus réussie que jamais en attirant plus de trois mille spécialistes venus de soixante pays et démontrer ainsi tout l’intérêt que porte la communauté internationale à l’exploration de l’espace, comme

en a témoigné l’allocution prononcée, lors de la cérémonie d’ouverture, par le président coréen Lee Myung-bak, qui a en outre manifesté son intention de promouvoir résolument la coo-pération internationale dans les secteurs concernés.

Bilan du Congrès 2009Il s’agissait d’une réunion d’experts du domaine représentant

les plus grands organismes de la planète tels que la NASA (Natio-nal aeronautics and space administration), l’Agence européenne de l’espace (AEE) et l’Agence d’exploration aérospatiale japonaise (JAXA), ainsi que de sociétés européennes comme EADS (Euro-pean Aeronautic Defense and Space Company), Ariane Espace et Thales Alenia. Les débats se déroulaient dans le cadre de trois principales manifestations composées d’un colloque scienti-fique, d’une exposition et d’un festival, outre l’atelier ONU/IAF qu’avaient organisé en prélude la Corée, la Fédération internatio-nale d’astronautique (IAF) et l’Académie internationale d’astro-nautique (IAA), sous l’égide du Bureau des Nations Unies pour les affaires de l’espace extra-atmosphérique (OOSA).

En vue du premier et principal de ces trois volets, vingt-cinq commissions techniques avaient évalué et sélectionné mille six cents articles destinés à cent cinquante-neuf séances au cours desquelles près de soixante-dix pour cent des articles allaient être présentés. En dépit du fort absentéisme des auteurs d’articles, cette conférence allait fournir l’occasion d’un important échange d’informations portant sur les technologies spatiales les plus récentes, notamment en matière d’exploration, d’observa-tion terrestre et de télécommunications, les nombreuses inter-ventions et communications dont elle était émaillée permettant aux scientifiques coréens, dont l’expérience dans ce domaine date d’assez peu de temps, d’accro tre leur savoir-faire et d’élargir leurs horizons.

La présence de hauts fonctionnaires et délégués d’organis-mes aussi prestigieux que la NASA, l’AEE, la JAXA et la CNSA (China National Space Administration) a garanti des interven-tions et séances techniques riches en enseignements sur les dernières évolutions des programmes spatiaux dans le monde et leurs orientations à venir. En outre, ce forum a offert la pos-sibilité à la future génération de spécialistes du secteur aéros-patial de nouer des liens lors de manifestations telles que le « Programme des Étudiants » destiné aux futurs professionnels de l’espace, le « Programme des Jeunes Professionnels » orga-nisé avec le parrainage d’entreprises spécialisées dans le déve-loppement des ressources humaines de l’industrie de l’espace et le congrès annuel du « Space Generation Advisory Council », autant d’activités qui, comme j’ai pu le constater par moi-même,

1, 3 Exposition de photos qui présentait aussi du matériel utilisé en 2008 par Yi So­yeon, la première spationaute coréenne, lors de son voyage à bord du vaisseau spatial russe Soyuz TMA­12 placé en orbite terrestre.

2 Le pavillon de la China National Space Administration (CNSA).

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ont fortement motivé les étudiants et jeunes professionnels de l’industrie qui nourrissent le rêve de prendre part à la conquête de l’espace.

Second volet de cette édition du CIA, l’impressionnante Expo-sition spatiale de Daejeon permettait de découvrir des vaisseaux spatiaux et autres engins d’exploration de la NASA qui disposait d’un pavillon dans l’enceinte de cette manifestation. Les matériels exposés comprenaient des reproductions du module d’excur-sion lunaire d’Apollo, de la fusée Saturne V et de la jeep lunaire d’Apollo respectivement exécutés à l’échelle de 1/20e, 1/48e et 1/10e, ainsi que seize pièces également liées à l’exploration spa-tiale telles que des pierres de lune et des dispositifs variés. Les visiteurs coréens, qui se voyaient ainsi offrir la chance exception-nelle de découvrir des équipements de la NASA ne quittant que rarement les États-Unis, avaient accouru très nombreux pour

s’en faire une idée par eux-mêmes. En revanche, il est à déplorer que la participation des plus grandes entreprises aérospatiales du monde ait été très en-dessous du chiffre prévu, un fait qui s’explique selon toute vraisemblance par la récession économi-que actuelle, l’absence quasi totale de firmes américaines ayant manifestement déçu les attentes.

Charles Bolden, l’actuel administrateur de la NASA qui parti-cipait au Congrès en qualité d’invité à l’une de ses séances tech-niques, allait échanger avec ses homologues étrangers son point de vue sur les perspectives qui s’ouvrent à l’exploration spatiale, mais aussi rencontrer une délégation du ministère coréen de l’Éducation, des Sciences et des Technologies afin d’évoquer avec elle l’éventualité d’une coopération bilatérale avec son agence, et on peut donc avoir bon espoir que se créera une dynamique dans ce domaine sous forme d’initiatives communes telles que la mise en œuvre de programmes de développement conjoint de satellites miniatures ou de projets internationaux d’exploration spatiale. Le Congrès aura aussi été marqué par la proclamation de la Déclaration de Daejeon, qui engage tous les pays signataires à n’entreprendre d’explorations spatiales qu’à des fins pacifiques. Dans la communication exceptionnelle qu’a prononcée la cosmo-naute Janet Kavandi, celle-ci a encouragé les étudiants coréens à réaliser leurs rêves d’exploration spatiale et à prende part acti-vement aux différentes manifestations où intervenaient des per-sonnalités marquantes de ce secteur, mais aussi n’a pas manqué de féliciter les organisateurs de la bonne tenue de ce CIA 2009 de Daejeon.

Les points d’orgueCe congrès d’astronautique s’est distingué des précéden-

tes éditions par le fait qu’il n’a pas été exclusivement organisé à l’intention des spécialistes de l’industrie, puisque le grand public s’y trouvait convié à participer à des manifestations telles que le Festival de l’espace et l’Exposition technique auxquelles il a ainsi ajouté une touche festive. La première, qui présentait une cin-quantaine d’activités relatives à quatre grands thèmes intitulés Place des citoyens de l’espace, Villages des extraterrestres, de la lumière des étoiles et des robots, Centre spatial et Cité spatiale, a été particulièrement appréciée des visiteurs. Les possibilités de découverte concrète qui leur étaient offertes dans ce cadre, comme il n’est que rarement donné de le faire à tout un chacun, allaient entra ner une forte affluence, notamment celles qui por-taient sur les programmes METI (Messaging to Extra-Terrestrial Intelligence) et SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence).

1 Le Congrès international d’astronautique se déroulait cette année dans la ville sud­coréenne de Daejon.

2 Des visiteurs s’essayent à l’entra nement subi par les cosmonautes.

3 La NASA présentait une exposition exceptionnelle à l’occasion du quaran­tième anniversaire des premiers pas de l’homme sur la lune.

4 L’administrateur de la NASA Charles Bolden participant à une séance d’entretiens, en qualité d’invité.

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Les premiers, qui sont le fruit d’un accord de coopération entre la Corée et un observatoire ukrainien, allaient leur permettre d’envoyer eux-mêmes des messages vers d’autres planètes de l’univers susceptibles d’avoir des habitants ou en direction d’une étoile préalablement choisie pour représenter la ville de Daejeon, tandis que les seconds leur donnaient la possibilité d’entrer en communication avec d’éventuels extra-terrestres en captant les signaux provenant de l’espace extra-atmosphérique au moyen d’un radiotéléscope.

L’une des grandes attractions de ce Festival était une gigan-tesque statue de cosmonaute mesurant soixante-dix mètres de hauteur dont la structure, la plus grande du genre dans le monde, abritait des activités à caractère éducatif, dont la présentation de l’entra nement suivi par la première cosmonaute coréenne, Yi So-yeon ou un voyage virtuel à bord d’un vaisseau se déplaçant à la vitesse de la lumière et pourvu d’un équipage de huit person-nes. Après en avoir fait l’expérience, les enfants rentraient chez eux, des idées nouvelles plein la tête, en nourrissant le rêve de pouvoir un jour s’aventurer à leur tour dans l’espace.

Les visiteurs se sont aussi vu proposer un baptême de l’air dans un C-130, un appareil qu’avait fourni pour l’occasion l’Armée de l’air coréenne, le Festival de montgolfières de Daejeon, une projection de films de science-fiction et un concours d’art proposé aux enfants sur le thème de la science, ces diverses activités ayant pour objectif de présenter les sciences spatiales sous un jour plus concret, et non comme une lointaine notion abstraite. Ainsi, cette édition 2009 aura notamment innové par son parti pris de se met-

tre à la portée du grand public au moyen d’activités susceptibles d’attirer aussi bien ce dernier que les spécialistes du domaine.

Dépassant les précédentes éditions par son envergure, le CIA 2009 a su éveiller la curiosité et l’intérêt des Coréens dans le domaine de la technologie, de l’exploration et de l’utilisation de l’espace. Par les précieux échanges d’informations qu’elle a suscités entre les experts mondiaux, cette manifestation servira en outre de tremplin à une future coopération aérospatiale entre la Corée et les pays avancés. D’aucuns craignent toutefois que la forte affluence qu’ont attirée le festival et l’exposition, qui sont certes satisfaisants sous un certain angle, n’affaiblisse la teneur du congrès sur le plan scientifique, lequel est privilégié par les responsables de l’organisation.

Tout en reconnaissant que la présence de politiciens de haut niveau et la tenue de réunions politiques diverses sont inévitables en pareilles circonstances dans la mesure où l’exploitation spa-tiale mondiale est financée par le contribuable, d’autres encore se demandent si ces interventions n’ont pas pour effet de reléguer au second plan les hommes de science et les techniciens qui sont les véritables protagonistes de ce Congrès. En conséquence, il importe d’apporter une solution à ce problème afin de parvenir à mieux réconcilier les différents points de vue lors des éditions suivantes, mais quoi qu’il en soit, la Corée se doit de tirer parti de l’élan acquis lors de ce CIA 2009 pour faire progresser à grands pas son programme spatial naissant par le biais de la coopération internationale et aussi, bien sûr, d’apporter sa contribution en matière de « paix et développement durable ».

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ujourd’hui âgé de quarante ans, Jung Yeondoo s’engage volontiers pour les rêves des autres car pour lui, l’homme n’est pas une le perdue dans l’océan et, s’il peut lui en

coûter un effort surhumain, il est prêt à l’accomplir par son œuvre qui, en permettant de les réaliser, peut aussi inspirer ceux qui la voient et sont ainsi tirés du sommeil de la routine pour poursuivre les leurs.

L’artiste et conservatrice Patricia Ellis s’exprime à son propos en ces termes : « Pour Jung Yeondoo, l’aspiration à être un super-héros représente plus qu’un rêve, car elle constitue la source même de son œuvre ». C’est la raison pour laquelle celle-ci a pour aspect fondamental l’interaction entre sujets et spectateurs dans le processus artistique et ses résultats, cette influence mutuelle accomplissant parfois le miracle de réaliser un rêve, par un prodige qui résulte avant tout des efforts communs du créateur, du sujet, du personnage principal de l’œuvre et des spectateurs interactifs.

À l’écoute des autresAprès avoir étudié à la Faculté des beaux-arts de l’Université

nationale de Séoul jusqu’en 1994, Jung Yeondoo obtiendra trois ans plus tard une ma trise au Goldsmith’s College de l’Université de Londres. De retour au pays en 1999, il se fera un nom en y exposant ses œuvres, notamment à la Biennale de Gwangju, mais aussi à l’étranger, comme à Taipeh, Istanbul ou Venise. L’ensem-ble de sa carrière se centrera sur les rêves que nourrissent les hommes de tous pays et de toutes cultures, qu’ils habitent à Séoul, Fukuoka, Shanghai, Liverpool ou dans toute autre ville du monde.

En Corée, ses premières productions révèlent une originale démarche en portant sur des individus communs, comme le montre bien celle intitulée Elvis Gungjungbanjum (1999), cette représentation réalisée avec la participation du public, ou Bora-mae Dance Hall (2001), qui se compose de photographies recou-vrant un mur comme du papier peint et figurant des hommes et

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Dans ses œuvres, l’artiste des médias Jung Yeondoo tente de réaliser ses rêves en recourant à la photographie, aux moyens audio-visuels, à la sculpture et aux spectacles tout en s’inspirant de l’univers onirique secret de personnes d’origines nationales et culturelles diverses.Kang Seungwan Conservateur en chef du Musée national d’art contemporain de Corée

L’artiste des médias

Jung Yeondoo

en quête

de fragments

de temps oubliés

ENTRETIEN

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1 Jung Yeondoo explique : « Si je suis passé, dans mon œuvre, de la sculpture à la photographie, puis à la vidéo, au théâtre et au cinéma, c’est que je m’efforce d’apporter des solutions à ce qui fait « l’objet » de l’expression et non à celle­ci.

2 Dans la production intitulée Cine Magician, Jung Yeondoo a filmé le célèbre magicien coréen Lee Eun­gyeol sur scène, mais aussi, en coulisses, les techniciens chargés de l’éclairage et du tournage.

femmes d’âge moyen en tenue de soirée dans un dancing du Parc Boramae.

Pour effectuer les photographies et diapositives de Evergreen Tower (2001), il a fait poser pas moins de trente-deux familles dans leurs salles de séjour de Séoul, ce qui a supposé de s’intro-duire dans leur intimité, car ses rapports avec les sujets de ses œuvres n’obéissent pas à une hiérarchie « je-ça », mais relèvent plutôt, selon l’expression employée par Martin Buber, d’une colla-boration « je-tu » où les individus, en tant que participants directs au processus créatif, sont à la fois sujets, narrateurs et collabora-teurs.

Comme le souligne Patricia Ellis, Jung Yeondoo possède cette faculté de sublimer le « voyeurisme » pour le transformer en un « partage d’expériences » et n’a ainsi procédé aux séances de prises de vue de son œuvre qu’après être allé à la rencontre des familles pour les entendre conter leur vie et leurs rêves. Par-delà

l’uniformité de ces appartements familiaux d’égale superficie, apparaissent sur les clichés des détails dans l’agencement du mobilier, les couleurs et impressions des rideaux, les photos familiales, les draperies et les expressions des occupants qui fournissent quelques indications sur leur mode de vie quotidien.

Du rêve à la réalitéSonde-t-il le rêve ou la réalité ? Chevauchant son scooter à

la manière d’un motard de course, le jeune livreur de restaurant chinois de Héros (1998) para t à cet instant précis libéré du lourd fardeau de la dure réalité qui est la sienne pour pourvoir aux besoins de ses jeunes frères et sœurs. En outre, l’œuvre Bewit-ched (2001), dont le titre provient d’une série-comédie américaine à succès des années soixante, dévoile la vie et les rêves de qua-rante jeunes gens que l’artiste a rencontrés à Séoul, Tokyo, Bei-jing, Istanbul et Amsterdam, entre autres villes du monde. Jeune

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1 Dans la série photographique Bewitched, l’artiste se fait sorcier pour révéler les rêves et la réalité de ses contemportains.

2 Projetées sur deux écrans, les images de Handmade Memories expriment le point de vue de l’artiste sur un vieil homme évoquant amèrement son difficile passé.

3 Depuis 2008, Documentary Nostalgia fait partie des collections du Musée d’art moderne de New York.

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pompiste rêvant de Formule 1, jeune femme espérant retrouver sa mère au ciel, jeune livreur de thé aspirant à enseigner les mathématiques : autant de personnages du présent qui se pro-jettent dans l’avenir en une série de diapositives aboutissant à la réalisation d’un rêve en se recouvrant en partie pour effacer la frontière qui sépare celui-ci de la réalité.

Comment appara t le monde aux enfants, chez qui réel et imaginaire ne sont peut-être pas aussi nettement délimités ? Sur les dessins d’école maternelle reproduits par Wonderland (2004), l’univers enfantin met tantôt en scène un petit garçon observant la transformation d’une baleine en fleur, tantôt la princesse Aurora debout près d’un lit rose orné de fleurs évoquant La belle au bois dormant, tandis que sur d’autres, Cendrillon danse avec le Prince Charmant, ou encore qu’une fillette se tient debout à côté d’une grande fleur, tandis qu’une autre s’envole dans le ciel constellé d’étoiles filantes. L’artiste reconstitue l’univers onirique enfantin par un agencement surréel des objets et de l’espace et par la pré-sence d’une scène où il fait appara tre les adolescents costumés dans leur monde à trois dimensions et où dessins et photogra-phies se côtoient, ces dernières étant offertes aux enfants en tant que reconstructrices du rêve.

De la réalité au rêveDans Location (2007), une série de vues paysagères, l’artiste

introduit dans celles-ci des éléments artificiels tels que décors ou effets d’éclairage qui rendent l’image peu naturelle. Ces scènes juxtaposées comportent notamment une toile tendue au sol et for-

mant un cadre construit, un rocher artificiel se dressant au pre-mier plan tandis que de la roche véritable appara t à l’arrière, un palmier et un rideau sur une plage de sable, la peinture d’un arbre à l’avant et de vrais arbres bordant la rue qui mène à un ensem-ble résidentiel situé plus loin, ou encore ces flocons de neige en polystyrène expansé tombant, de nuit, dans un restaurant que l’on voit de la rue. En mêlant réalité et irréalité, de telles compositions évoquent ces arrière-plans de rêves dont on ne garde aucun sou-venir précis au réveil ou ces fragments de temps égarés dans le passé, environnements imaginaires dans lesquels on souhaiterait se trouver.

Quant à Documentary Nostaliga, il s’agit d’une œuvre audio-visuelle créée par Jung Yeondoo en vue d’une exposition au Musée national d’art contemporain de Corée, qui allait déclarer son auteur artiste de l’année en 2007. Cette œuvre a éveillé un intérêt considérable par l’emploi expérimental des supports nouveaux que sont la pellicule photographique et la vidéo, ainsi que par sa structure à caractère narratif et son contexte évocateur du spec-tacle, de sorte qu’en 2008, elle allait faire l’objet d’un emprunt par le Musée d’art moderne de New York en vue de sa projection dans la Galerie vidéo de cet établissement, le MoMA en faisant même l’acquisition par la suite.

L’objet de cette composition est de capturer les images d’un paysage ayant existé au moyen de photographies réalisées avec une exposition fixe de quatre-vingt-cinq minutes, sans aucun autre réglage que la lumière et la mise au point, et réparties entre les six scènes de la chambre, d’une rue de ville, d’une prairie,

Location, une série de paysages mêlant le réel à l’irréel.

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d’un champ, d’une forêt et d’une mer mouvementée. Elle témoi-gne hautement des capacités de création de l’artiste, qui en a eu l’inspiration par la réminiscence d’une splendide forêt qu’il avait traversée au hasard d’une randonnée dans la cha ne du Mont Baekdusan lorsqu’il était étudiant et dont a eu raison plus tard l’aménagement du territoire. Sur ce même sujet, un projet de film est en cours pour remémorer les impressions de ses compa-gnons de marche.

L’œuvre de vidéo intitulée Handmade Memories (2009) évoque les souvenirs de six personnes âgées rencontrées au parc Tapgol,

où nombre d’entre elles ont coutume de se retrouver, et dans un foyer également destiné au troisième âge, époque à laquelle les fragments oniriques et brisés qui subsistent du passé donnent la force de continuer à vivre, tout comme l’avenir fournit une aspi-ration aux jeunes. Cette mémoire est faite de pensées surgissant en désordre d’un passé désormais révolu, mais ce temps disparu peut-il s’apparenter au rêve ? Les souvenirs, on le sait, reviennent parfois avec la force brutale de la réalité, tandis que celle-ci peut être proche du rêve chez les sujets atteints de démence sénile, dont la grand-mère de l’artiste.

Les rapports entre l’artiste et les sujets de ses œuvres n’obéissent pas à une hiérarchie « je-ça », mais relèvent plutôt, selon l’expression employée par Martin Buber, d’une collaboration « je-tu » où les individus, en tant que participants directs au processus créatif, sont à la fois sujets, narrateurs et collaborateurs.

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1 Les photos de Wonderland servent de support aux images nées de l’imagination d’enfants d’écoles maternelles.

2 Boramae Dance Hall se compose de photographies recou­vrant un mur comme du papier peint et figurant des hommes et femmes d’âge moyen en tenue de soirée dans un dancing du Parc Boramae. L’exposition se doublait d’un spectacle de danses accompagnées par un orchestre.

Quand rêve et réalité se retrouventSi Jung Yeondoo fait figure de magicien dans Bewitched et

Wonderland, il n’en reste pas moins que l’on ne réalise pas un rêve comme par un simple tour de magie et pour que l’imaginaire entre dans la réalité, on ne doit ménager ni son temps ni ses efforts, de même que pour obtenir ce à quoi on aspirait. Il évoque par cette première composition le rêve d’enseigner les mathéma-tiques que lui avait confié le livreur rencontré à Istanbul en 2003 et qu’il lui a ainsi permis de partager avec les visiteurs, l’un d’entre eux ayant apporté une aide financière au jeune garçon pour étu-dier et parvenir par la suite à ce qu’il souhaitait. En représentant l’imaginaire et les rêves des gens du monde entier, l’artiste ins-pire ainsi des initiatives à d’innombrables visiteurs qui en nourris-sent aussi pour leur part.

Dans une production réalisée cette année sous le titre de Cine Magician, Jung Yeondoo a filmé sur scène le jeune magi-

cien à succès Lee Eun-gyeol, lors d’un spectacle d’une durée de deux heures. Pendant qu’accessoiristes et éclairagistes étaient à l’œuvre, le film était projeté pour mettre l’accent sur l’aspect de la réalisation plutôt que sur ses résultats, les spectateurs pou-vant ainsi observer en même temps les « choses visibles » et les « choses au-delà », c’est-à-dire respectivement réalité et irréalité. L’artiste précise au sujet de cette œuvre que : « le théâtre est fas-cinant, car il peut exprimer la métaphysique avec réalisme ».

Dans ses créations axées sur les rêves des uns et des autres, la réalité met en scène l’imagination, de sorte que toutes deux se côtoient, et par ce biais, la première cesse d’être systématique-ment un cimetière de rêves pour devenir un lieu de spectacle où ces derniers sont évoqués, voire réalisés. Alors, on est en droit de se demander quels sont ceux que nourrit Jung Yeondoo, cet évan-géliste du rêve ?

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ARTISAN

n s’inspirant de l’expression « habit de vent », qui sert souvent à dési-gner le costume traditionnel coréen

dit « hanbok » en raison de la fluidité de ses lignes et de la grâce avec laquelle il se déplace, comme agité par une légère brise, on pourrait tout aussi bien parler de « souliers de vent » à propos de ceux d’autrefois, notamment les « hwa » et les « hye », qui sont respectivement des bottes et chaussures à talons plats, car la cambrure que prennent naturellement ces dernières en recouvrant le cou-de-pied rappelle l’agréable courbe que forme la manche de la veste dite « jeogori » en se pliant à son ourlet inférieur, tandis que son extrémité resserrée semble assortie à la charmante pointe d’une chaussette d’autrefois.

À l’heure où ces élégants articles sont presque tombés en désuétude, le cor-donnier Hwang Hae-bong est aujoud’hui le seul en exercice dans ce métier de tradition où il a acquis savoir-faire et expérience après avoir pris la succession de son grand-père, le défunt Hwang Han-gap, premier artisan à s’être vu classer Important bien culturel immatériel dans ce domaine, assurant ainsi la continuité des activités familiales, mais aussi redon-nant vie aux fabrications d’antan qui seraient autrement réduites à des pièces de musée.

Quand vous me quitterez,Lassé de me voir, Je vous laisserai partir, sans un mot, sans histoire. Mais sur les hautes collines de Yaksan, à Yeongbyeon, J’irai cueillir une brassée d’azalées Pour les étaler sur votre chemin. Que chacun de vos pas feutrés foule doucement ce lit de pétales par-semé ! Quand vous me quitterez, Lassé de me voir, Je ne verserai aucune larme, dussé-je en mourir.

« Azalées » de Kim Sowol

À la lecture de ces vers composés par l’un des plus grands poètes coréens, Kim Sowol, on imagine bien une élégante paire de « danghye » à motifs de feuilles de vigne aux pieds de l’homme qui chemine sur ce lit de pétales en délaissant celle qui fut sa bien-aimée. En 1922, année où fut publié ce poème, les souliers traditionnels étaient toujours en usage en Corée, tan-dis qu’étaient encore peu répandus ceux réalisés avec le caoutchouc que fabri-quait une usine de Pyeongyang depuis 1919. Ces articles souples et légers qui s’avancent sur les délicats pétales, telles deux frêles embarcations glissant douce-ment sur l’eau, ne peuvent être que ceux

d’une paire de « hye » de belle fabrication qui

assurent la grâce de la démarche.

Sur les traces d’un aïeulSous la dynastie Joseon (1392-1910),

l’artisanat de la chaussure se divisait en deux catégories spécialisées dans la fabrication des « hwa » et « hye », cette distinction ayant son origine dans la pré-histoire où les premières avaient la faveur des peuples cavaliers habitant le nord de la péninsule, tandis que ceux du sud, qui pratiquaient l’agriculture, préféraient les secondes, qu’ils confectionnaient en cuir ou en paille. Par la suite, la manière de se chausser allait évoluer, par-delà ces considérations purement pratiques, en fonction de la position sociale des individus et de la mode, les « hwa » en soie brodée d’or qu’évoque un ouvrage du royaume antique de Goguryeo (37 av. J.-C.- 668) ayant ainsi constitué des articles très appréciés pour leur fabri-cation soignée. Sous la dynastie Goryeo (918-1392), qui se distingua par son grand raffinement artistique et culturel, c’est l’État qui nommait les artisans et les contrôlait dans l’exercice de leur profession, tandis qu’à l’époque Joseon, l’office public de l’artisanat administrait un effectif de seize fabricants de « hwa » et quatorze de « hye ».

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artisan cordonnierHwang Hae-bong, Les « souliers de vent » de

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Hwang Hae-bong exerce la cordonnerie traditionnelle à laquelle l’a initié son grand-père, qui fut l’artisan attitré du roi dans les derniers temps de la dynastie Joseon et dont les fabrications tout imprégnées de l’amour du métier ne se trouvent plus que dans les musées ou les évocations littéraires anciennes.Park Hyun Sook Rédactrice occasionnelle | Ahn Hong-beom Photographe

1 Le coordonnier traditionnel Hwang Hae­bong a reproduit avec minutie les « jeokseok » rouges et « cheongseok » bleues d’apparat que chaussaient respectivement les rois et reines de Joseon.

2 Depuis ses débuts dans la profession, Monsieur Hwang s’emploie à perpétuer la fabrication de divers types de chaussures traditionnelles aujourd’hui menacées de dispara tre à jamais.

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Cordonnier de son état, Hwang Han-gap fut le fournisseur attitré du roi Gojong (r. 1863-1907), puis des derniers repré-sentants de la lignée dynastique, avant d’être le premier de cette profession à se voir classer Important Bien culturel immatériel, en 1971. Alors qu’il se consa-crait exclusivement à la fabrication de « hwa », son petit-fils Hwang Hae-bong, aujourd’hui âgé de cinquante-huit ans, allait associer celle-ci à la confection de « hye » et recevoir à son tour le titre d’Important Bien culturel immatériel n°116 en 2004, car il demeure aujour- d’hui le seul à exercer ce métier de tradi-tion depuis la disparition, voilà quelques années, de son père Hwang Deung-yong qui l’avait initié à son art après en avoir lui-même hérité du sien.

« De nos jours, personne n’exerce plus ce genre de métier, alors je me sens en permanence isolé, tout en étant persuadé que la solitude est la meilleure amie de l’artisan, car ainsi, il ne se satis-fait jamais de ce qu’il a accompli et ne s’attend pas à être couvert d’éloges, trou-vant toujours à redire à son travail dès qu’il y découvre le moindre défaut. En outre, ce métier ne rapporte guère, car il a connu ses derniers beaux jours à l’époque où mon grand-père était encore jeune et où les bouleversements que connaissait la société avait fait exploser la demande de « danghye » et « unhye », des souliers en cuir à décor de feuilles de vigne et de

nuages que les gens du peuple avaient dès lors la possibilité de porter, alors qu’ils étaient de longue date réservés à l’aristocratie.

« Cet essor allait être de courte durée, car le commerce allait bientôt diffuser articles en caoutchouc issus de la fabrica-tion de série et chaussures à l’occidentale importées à un rythme croissant suite à l’ouverture récente du pays, alors il fallut bien que les cordonniers gagnent autre-ment leur vie. Dans ma famille, le métier s’était transmis sur cinq générations qui en avaient vécu, de mon trisaïeul à ses deux fils, puis à mon grand-père, mon père et moi-même, alors en ces temps où personne n’y voyait plus d’avenir, j’ai supposé que la tradition ne tarderait pas à dispara tre si je m’en détournais aussi et, à partir de cet amer constat, je me suis consacré avec application à mon appren-tissage dès l’âge de seize ans ».

Quarante-deux ans plus tard, Hwang Hae-bong croit enfin comprendre la persévérance dont avait fait preuve son grand-père, quand d’autres avaient renoncé à exercer le métier. C’est lui qui allait aussi assurer la formation de son petit-fils, en prenant sur son temps pour lui fournir aide et conseils, suite même à son départ en retraite et jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans, après avoir créé au cours de sa carrière des pièces exceptionnelles telles que l’on n’en trouve plus que dans les musées ou les

évocations littéraires de cette époque où il n’acceptait qu’un nom-bre limité de comman-des de « danghye » et « taesahye », ces chaussures de cuir plates pour homme, faute de place pour entrepo-ser suffisamment de matière.

« J’ai moi-même créé des « jeok-seok » et des « cheongseok », dont il ne me reste plus que trois paires, ces chaussures que portaient les souverains de la dynastie Joseon lors des gran-des cérémonies, les premières, dont le nom signifie « chaussures rouges », étant destinées au roi et les secondes, qui sont les « chaussures bleues », à la reine, en raison de leur valeur symbolique conformément aux prin-cipes du yin et du yang. Dans ce but, j’ai visité le Musée Sejong et celui des Palais nationaux pour y exami-ner une paire de « cheongseok » en cuir recouvertes de satin-soie bleu foncé, gansées de coton blanc, ornées d’une houppe à la pointe et garnies d’une bride à la cheville, les « jeokseok » ne différant de celles-ci que par leur cou-leur et l’unique exemplaire qui en subsiste se trouvant au Musée Elcanto. Ce sont les articles que j’ai exécutés à partir de ces modèles qui m’ont permis, en 1999, de me voir décerner le Prix du président du Concours d’artisanat traditionnel». Avec

1 Ces « souliers fleuris », dits « kkotsin » en coréen, sont réalisés en cuir ornementé.

2 Après avoir cousu ensemble la semelle et le corps de la chaussure, on place celle­ci sur une matrice pour lui donner la forme souhaitée.2

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un amour du métier que ne saurait décourager le déclin de celui-ci, il a entrepris de réaliser plusieurs autres reproductions, dont celle de « mokhwa », ces bottes en daim et à semelle de bois pour homme, de « heukhye » en flanelle noire telles qu’en portent les moines bouddhistes et de bottes imperméabilisées à la graisse dites « yuhye ».

Une succession de soixante-douze opérations

Du temps de Joseon, il existait plus de vingt styles de chaussures différents qui se portaient selon le sexe et la condi-tion, la saison et les circonstances, les « jeokseok » ou « cheongseok » étant l’apanage de la personne royale et les fonctionnaires complétant quant à eux leur tenue réglementaire de « hwa » en daim, agneau ou soie auxquelles se substi-tuaient, les jours de pluie, des « suhwaja » imperméables, tandis que les « hye », ces souliers à talon plat qui recouvrent l’ensemble du cou-de-pied, convenaient aux nobles dames et gentilshommes. Ceux-ci pouvaient aussi leur préférer des« taesahye » à pointe large et relevée s’ornant, comme à l’arrière de la cheville, d’une bande de soie ou d’agneau, alors qu’un motif de feuilles de vigne agrémen-tait le talon, ce même décor ornant aussi avec élégnace les « danghye » plutôt des-tinées aux femmes. Pour ce qui est des « unhye », elles se distinguaient par leur élégante forme maintes fois comparée à un bec d’hirondelle et comportaient une pièce rappelant une feuille de bambou qui en prolongeait l’extrémité. Citons encore

les « heukpihye » de cuir noir, les « yuhye » imperméa-

bilisées à la graisse pour la pluie et les « onhye » doublées de chaude ouate pour l’hiver, auxquelles s’ajoutaient les modes-tes sandales en paille des gens du peuple.

« Pour fabriquer une simple paire d’ « unhye », il faut compter cinq jours pour la seule préparation de la matière et trois à sept jours pour la réalisation, moyenant d’y travailler quotidiennement à raison de six à sept heures. Il faut savoir en outre que leur procédé de fabrication ne comprend pas moins de soixante-douze opérations exigeant tout autant d’habileté manuelle les unes que les autres, le montage de la semelle sur le corps représentant toutefois la plus difficile d’entre elles, car elle exige de les coudre ensemble avec grand soin. À cette étape de la fabrication, la qualité d’une chaussure traditionelle repose sur un délicat équilibre que peut compromet-tre la moindre malfaçon car la semelle étant de dimensions légèrement plus fai-bles que le corps, les points de piqûre doi-vent être plus longs autour de ce dernier, et inversement pour la semelle, de sorte qu’un manque de minutie à ce niveau peut provoquer la déformation de la chaussure et un défaut d’alignement de sa pointe. »

À partir de celle-ci, les « hye » produi-sent un effet élégant en s’incurvant vers le bas jusqu’au talon, grâce à l’adjonction d’une pièce de cuir dur et d’un capiton que l’on réalise en faisant alterner des couches de coton et de ramie, ou de coton et de chanvre, puis que l’on raidit en l’exposant à l’action naturelle de la rosée, du soleil et de l’air frais. Après plusieurs

« Pour découper le cuir selon un patron, on doit le tailler rapidement d’une main, pendant que l’autre le maintient en place avec une même fermeté et si cette opération ne présente pour moi aucune difficulté, j’ai par contre les yeux très fatigués lorsque je dois coudre ensemble les pièces à points serrés, ce qui est des plus naturels puisque j’aurai bientôt soixante ans, mais je n’ai aucun souci à me faire quant à ma retraite, puisque mon second fils assurera la relève ».

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1 Symboles de longévité et autres décors ajoutent encore à l’élégance de la chaussure pour femme.

2 La chaussure traditionnelle coréenne se coud à l’aide d’une aiguille en soie de sanglier, car le métal laisse parfois des marques disgracieuses sur le cuir.

3 La dernière opération consiste à ajuster la forme de la chaussure au maillet en bois après avoir placé celle­ci sur une matrice.

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passages de cet ensemble en atmosphère sèche et humide, on emploie un patron pour tailler la surface à recouvrir de soie ou de satin, ou de toute autre matière constitutive du corps de la chaussure. Il faut alors fixer les extrémités avant et arrière sur celui-ci en les faisant sup-porter par les capitons latéraux en tissu, lesquels confèrent ainsi la forme voulue à l’ensemble. Ces opérations sont suivies de la coupe de la doublure intérieure et de la fixation de celle-ci sur la face interne du capiton à l’aide de colle de riz, après quoi elle y sera cousue au moyen d’une aiguille composée d’une soie de sanglier à propos de laquelle Hwang Hae-bong pré-cise, tout en en présentant un exemplaire : « Les aiguilles en métal sont trop rigides et laissent d’affreuses marques, alors que celle-ci, à la fois souple et solide, permet de coudre une chaussure traditionnelle comme il se doit ». À ce propos, il convient de signaler que c’est à la pointe du poil, et non à sa racine, que se trouve le chas par où passe le fil de coton, ce qui assure la bonne continuité de l’ensemble. S’ensuit une dizaine d’opérations diverses au terme desquelles l’artisan entreprendra de réa-liser la semelle en superposant et collant l’une à l’autre deux couches de matière, puis coudra l’ensemble sur le corps et le placera sur une matrice pour en ajuster la forme au maillet en bois, après quoi il le fera sécher au feu de charbon et pour finir, en saupoudrera les coutures de talc.

Six générations« Pour découper le cuir selon un

patron, on doit le tailler rapidement d’une main, pendant que l’autre le maintient en place avec une même fermeté et si cette opération ne présente pour moi aucune difficulté, j’ai par contre les yeux très fati-gués lorsque je dois coudre ensemble les pièces à points serrés, ce qui est des plus naturels puisque j’aurai bientôt soixante ans, mais je n’ai aucun souci à me faire quant à ma retraite, puisque mon second fils assurera la relève, ce qui me rend très serein. »

Deok-seong et Deok-jin, ses deux fils respectivement âgés de trente et

un et vingt-neuf ans, sont les plus fer-vents admirateurs de celui qu’ils voient à l’œuvre depuis leur plus tendre enfance. Étant le plus habile de ses mains, c’est le cadet qui lui succédera, perpétuant ainsi d’une génération encore l’existence de la cordonnerie d’art traditionnelle. Lorsque notre photographe a souhaité les saisir tous deux sur la pellicule pendant qu’ils travaillaient côte à côte, Hwang Hae-bong s’y est refusé au motif suivant : « Mon fils fait encore son apprentissage. Celui qui ne ma trise pas intégralement les soixante-douze opérations à réaliser ou ne dispose pas de l’autonomie nécessaire pour mener à bien seul l’ensemble d’une fabrication

ne peut prétendre au titre d’artisan », avant de conclure par ces mots : « Quand on entreprend de fabriquer une paire de chaussures traditionnelles, on ne fait pas la distinction entre celles de gauche et de droite car elles sont, l’une par rapport à l’autre, tout à fait symétriques. C’est au fur et à mesure qu’elles prennent forme qu’elle se différencient plus nettement en fonction de la forme du pied auquel elles sont destinées », laissant ainsi entendre qu’il attend avec impatience d’assister aux progrès qui permettront à son fils d’être un jour un artisan digne de ce nom, au prix d’un dur labeur et d’une grande conscien-ce professionnelle.

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CHEFS-D’ŒUVRE

e feu a joué un rôle décisif dans l’évolution de l’humanité en lui fournissant chaleur et lumière grâce à son énergie, mais aussi dès l’Antiquité, en créant par sa flamme une

atmosphère sacrée et mystique propice à l’accomplissement des rites spirituels, notamment religieux, tandis que sa nature diffuse était emblématique de la transmission de la foi. Pour les boud-dhistes, la lanterne symbolisait sagesse, libération, compassion, bonne conduite et réincarnation, tout un sens qui transpara t dans cet humble objet éclairant les autels et représentant alors la plus noble offrande qui puisse être faite à Bouddha.

Les lions assisDepuis l’introduction de cette religion sur la péninsule

coréenne, les pagodes en pierre font tout autant partie intégrante des temples que les statues de Bouddha, de même que les lan-ternes, dont près de deux cent quatre-vingts subsistent aujour- d’hui, parfois à l’état de vestiges, à divers emplacements des tem-ples, notamment leur cour, comme celle aux deux lions qui orne le Temple ancien de Godalsa et a été classée Trésor n°282 en rai-son de son exceptionnelle valeur de symbole de la foi.

C’est dans un sanctuaire s’élevant à Yeoju, dans la province de Gyeonggi-do, qu’elle se trouvait au départ, jusqu’à l’année 1959 où elle fut installée au Palais de Gyeongbokgung situé dans l’arrondissement de Jongno-gu, à Séoul. L’an 2000 allait voir entreprendre la restauration de sa partie supérieure par l’Institut de recherche de Gijeon sur les biens culturels ensevelis, dans le cadre d’un projet qui a permis de restituer intégralement, à l’exception d’un fleuron manquant, la forme d’origine de cette construction aujourd’hui exposée au Musée national de Corée, où

chaque élément participe de la beauté et de l’équilibre d’ensem-ble.

Sur les quatre faces du socle sous-jacent au support, deux séries de motifs en forme d’œil sont gravées dans la pierre, tan-dis que sur son épaisse assise, se tiennent accroupis deux lions taillés dans une dalle carrée, pattes sorties de dessous le poitrail et têtes légèrement tournées l’une vers l’autre, comme s’ils conversaient. Cette posture a ceci de remarquable qu’à l’époque antérieure au royaume de Silla Unifié (668-935), les lanternes en pierre à deux lions faisaient figurer ces derniers assis face à face sur leurs pattes arrière et tenant le foyer lumineux entre leurs pattes avant.

Contrairement à ces représentations plus dynamiques, les figures léonines de cette lanterne datant du royaume de Goryeo (918-1392) se distinguent par une attitude composée tenant avant tout à leur position accroupie sur leurs quatre pattes, au mouvement soigné de leur crinière et à leurs fermes mâchoires ne dévoilant qu’à peine le bout de leurs dents serrées. Le choix de cette posture s’explique vraisemblablement par la volonté de faire reposer le piédestal sur l’échine, ce que n’aurait pas permis de réaliser la position assise qui prédominait auparavant, car la superposition d’une structure y aurait paru par trop précaire et instable. Par cette posture accroupie d’un style nouveau, les arti-sans de jadis semblent donc avoir recherché une meilleure sta-bilité d’ensemble, tout en conservant le thème léonin, la colonne qu’ils supportent présentant d’ailleurs une section légèrement plus forte au niveau de leurs pattes. Sur toute sa surface, celle-ci s’orne d’un décor de nuages donnant l’impression qu’elle est en suspension parmi ceux-ci, et non fixée directement sur le socle.

La lanterne en pierre aux lions accroupis du

Temple de GodalsaCette lanterne de pierre supportée par deux lions accroupis témoigne bien de l’esprit créatif des artisans du royau-me de Goryeo et en constitue l’unique fabrication pourvue d’un tel piédestal dont le style se retrouve par contre sous la dynastie Joseon qui lui succéda.Park Kyoung-shik Professeur d’histoire à l’Université Dankook

Photographie Musée national de Corée

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Cette lanterne découverte au Temple de Godalsa a ceci de particulier que, d’une part, elle s’orne d’une double figure de lion qui n’était guère caractéristique de son époque, celle de la dynastie Goryeo, mais fut par contre en usage sous le royaume de Silla Unifié et que, d’autre part, ces animaux y sont en position accroupie pour mieux assurer la stabilité de l’ensemble, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors.

Une évolution de styleÀ sa partie supérieure ornée de nuages, le socle circulaire

s’évase pour assurer la stabilité du piédestal, dont les parties supérieure et inférieure, symétriques, sont reliées entre elles

par une large dalle carrée. Par ses lignes, ce piédestal évoque les lanternes en pierre du neuvième siècle, où son

épaisseur nettement plus forte en son centre valait à celles-ci d’être dites « à piédestal en tambour ». Quant à la base de ce support, elle est de forme trapézoïdale et de surface

plate pour permettre de l’asseoir solidement sur le socle, des motifs de nuages l’agrémentant

aussi sur ses quatre côtés.Placée directement sur le piédestal, se trouve une dalle car-

rée conférant à l’ensemble son aspect stable et s’aplanissant à sa partie supérieure pour recevoir le premier, d’où la forme de tra-pèze inversé qui peut sembler en résulter, alors qu’il s’agit plutôt d’une forme octogonale grossièrement ébauchée et enjolivée de motifs de fleurs et herbes sur ses quatre faces.

Le piédestal est surmonté d’une sorte de coupe abritant le foyer lumineux et réalisée dans un unique bloc de pierre tenant aussi par sa forme d’un octogone. La surface en

est gravée de fleurs et feuilles de lotus de grandes dimen-sions et, à sa partie supérieure, elle s’évase légèrement pour

recevoir le foyer lumineux logé dans un coffre octagonal doté de quatre ouvertures, ou fenêtres, qui percent ses faces en alter-nance, celles qui en sont exemptes se bordant d’un décor gravé formant cadre. Quant au toit de la lanterne, il ne présente d’autre particularité que celle de sa forme octogonale dont on imagine

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aisément l’aspect d’origine en dépit des dommages importants qu’elle a subis, puisque la plupart de ses angles sont écornés ou fendus. La partie située sous l’avant-toit comporte pour toute décoration l’effet de dénivellation que produisent trois degrés, tandis que sur celle du haut du toit, se déroule une frise gravée de seize fleurs de lotus. Déclinant progressivement jusqu’aux avant-toits, le toit est doté d’un fa te et de pignons séparés qui se relèvent légèrement à leur extrémité et dont le fleuron a disparu.

Par rapport aux constructions caractéris-tiques du royaume de Silla Unifié, l’évolution de style qui fait la particularité de la lanterne en pierre de Godalsa porte à la fois sur la posture des deux lions et sur la forme « en tambour » du piédestal, ainsi que sur l’élégante exécution de son socle carré et de ses octogones, autant d’éléments participant de la réalisation d’une œuvre d’art qui témoigne du haut degré de créativité qu’avait alors atteint la sculpture. Alors qu’elle constitue le seul spé-cimen répertorié de lanterne en pierre à deux lions d’époque Goryeo, deux pièces de type analo-gue, mais datant de la dynastie Joseon (1392-1910), ont été découvertes dans les Temples de Hoeamsa et Cheongnyongsa respectivement situés à Yangju et Jungwon. Quoique ne présentant pas une exécu-tion d’un style aussi élégant que celles qui remon-tent au royume de Silla Unifié, ces spécimens plus récents n’en témoignent pas moins d’une évolution de l’artisanat. L’ensemble des traits distinctifs de la

lanterne en pierre de Godalsa permet de situer sa réalisation au dixième siècle, qui fut marqué par l’avènement de la dynastie Goryeo.

L’art bouddhiste coréenAnimal des plus féroces qui soient, le lion a longtemps

figuré en première place dans la symbolique bouddhiste, comme en atteste sa présence sur les piédestaux

des statues indiennes de Bouddha, car en apportant protection et soutien aux construc-

tions sacrées, il allait en venir à représenter l’essence suprême de Bouddha, et par sa consécra-

tion, faire ainsi l’objet de vénération. Au fur et à mesure que se diffusait le bouddhisme en Asie, à partir de son pays d’origine, cette vision de l’animal allait aussi se répandre, par le biais de la Chine, dans les croyan-

ces des Coréens et dans leur art religieux, qui le représentera pour la première fois, sous forme

d’une figure assise en bronze, sur le piédestal de leur première statue de Bouddha, celle de Ttukseom et par la suite, de manière analogue, sur une œuvre du

huitième siècle découverte au Temple de Janghang-ri qui appartient à l’agglomération de Gyeongju. Très pri-

sés à l’époque de cette dernière réalisation, les motifs léonins allaient se multiplier pour servir de support à

des pagodes en pierre telles que celle dite Dabotap, au Temple de Bulguksa, ou une autre, à trois étages, située au Temple de Hwaeomsa et faisant figurer quatre de ces animaux. Un siècle plus tard, c’est-à-dire dans les der-

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Sous le royaume de Silla Unifié, nombre d’œuvres sculptées représentent des lions pour la plupart assis sur leurs pattes arrière,

tandis que ceux qui supportent la présente pièce sont accroupis et assurent ainsi une bonne stabilité d’ensemble.

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niers temps du royaume de Silla Unifié, ils serviront aussi à sup-porter les pagodes en pierre renfermant des sarira enchâssés et s’inscriront ainsi d’une symbolique religieuse omniprésente dans les constructions en pierre traditionnelles.

Au fur et à mesure de l’évolution de leur art, les scuplteurs sur pierre du royaume de Silla Unifié feront œuvre d’innovation en agrémentant les piédestaux de lanternes de ces figures léonines, tandis que des supports de forme octogonale participaient jus-qu’alors de la simplicité de ces constructions, le soutien du foyer lumineux par ces créatures animales relevant donc d’un style tout à fait inédit. Cependant, la conception des lanternes en pierre résulta en tout premier lieu à cette époque de la ferveur religieuse éprouvée par les croyants coréens et matérialisée par des artisans sculpteurs passionnés et inventifs.

Celle de la lanterne de pierre du Temple de Godalsa, comme le présent article s’est attaché à le montrer, s’avère tout à fait unique en son genre par l’adjonction de motifs léonins empruntés à un style qui dominait à l’avènement du royaume de Silla Unifié, mais alors qu’à cette époque, nombre d’œuvres sculptées représen-taient des lions pour la plupart assis sur leurs pattes arrière, ceux qui supportent cette pièce sont accroupis, assurant ainsi une bonne stabilité d’ensemble, et ont en outre la tête légèrement tournée l’un vers l’autre, comme s’ils conversaient amicalement, plutôt que de se faire face. Ces représentations ne constituent

donc pas tout bonnement un emprunt, car elles ont apporté d’importantes modifications à leurs modèles afin de s’adapter aux tendances esthétiques de leur époque.

La présence d’une large dalle posée sur le piédestal résulte aussi d’une évolution réalisée sous l’influence de la forme « en tambour » qui était particulièrement appréciée au siècle précé-dent, car cette configuration parut des plus originales lors de son apparition sur le piédestal des lanternes. Dans le cas présent, si la construction conserve la principale spécificité que consitue la symétrie horizontale du piédestal, elle fait intervenir de nouveaux éléments créatifs tels que la forme carrée, et non plus ronde, du socle, et démontre en somme toute l’inventivité dont surent faire

preuve les artisans de Goryeo par leur aptitude à exploiter des éléments de style déjà existants pour parvenir à une nouvelle conception.

Dans l’architecture bouddhiste, la lanterne joue un rôle primordial à l’instar de celle de Godalsa, qui est riche

d’une histoire particulièrement ancienne. Les figu-res léonines auxquelles celle-ci a recours pour

supporter le foyer lumineux témoignent d’un exceptionnel esprit d’innovation qui

n’a son égal ni en Inde, pour-tant berceau du bouddhisme, ni

en Chine, où se situe l’origine de l’histoire et des cultures d’Asie de l’Est,

cette particularité faisant d’elle l’un des véritables trésors d’une culture spécifiquement coréenne marquée par le bouddhisme et des traditions cultu-relles profondément ancrées dans le passé.

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à La Forteresse de Namhansanseong

La Forteresse de Namhansanseong, ce roman populaire évoquant les rivalités, souffrances et intrigues de palais auxquelles donna lieu, en 1636, l’invasion de la Corée par la dynastie Qing, a donné lieu à une adaptation musicale qui a fait sensation dans le monde théâtral coréen.Won Jong-Won Professeur à l’Université Soon Chun HyangJung Hyung-woo Photographe

1 C’est l’acteur­vedette Ye­seong qui a été choisi pour incarner Jeong Myeong­su, cet ancien esclave coréen qui allait exercer les métiers d’interprète et de traducteur, puis être général de l’armée chinoise et trahir sa patrie en combattant aux côtés des Qing pour envahir la péninsule coréenne.

2 Fuyant l’envahisseur Qing, le roi Injo cherchera refuge dans la Forteresse de Namhansanseong.

CHRONIQUE ARTISTIQUE

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La comédie musicale coréenne fait une percée grâce

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ar une froide journée d’hiver où volettent en tous sens les flocons de neige, en l’an 1636, Hong Taiji, deuxième sou-verain de la nouvelle dynastie des Qing, déclare la guerre

à celle de Joseon et ordonne à ses troupes de marcher sur la péninsule. Ayant jusqu’alors entretenu des relations amicales avec l’Empire des Ming, le monarque coréen Injo ne sait quelle mesure prendre face à cette agression et lorsque ses conseillers, devant ses atermoiements, l’exhorteront à chercher refuge dans la Forteresse de Namhansanseong, il aura ces mots destinés à apaiser les esprits en cette heure grave : « Allons donc en prome-nade à la Forteresse de Namhansanseong afin d’y contempler la nature sous la neige, puis nous pourrons y faire un somme avant de nous en retourner ».

Ainsi débute la première scène de La Forteresse de Namhan-sanseong, cette comédie musicale voilà peu à l’affiche du Centre des Arts de Seongnam, qui conte les tourments endurés par le peuple coréen lors de la seconde invasion mandchoue et, si ce sombre épisode de l’histoire nationale peut sembler mal adapté à ce genre, l’évocation en a déjà été proposée au public dans une production commerciale du septième art, ainsi que dans un feuilleton historique télévisé. Dans la scène de la capitulation par laquelle s’achève cette œuvre, le roi heurte le sol du front avec une telle force, en se prosternant devant l’envahisseur, que du sang s’en écoule, symbole d’une cuisante humiliation qu’exprime aussi le personnage-titre de La dernière impératrice, dont le

spectre, tout de blanc vêtu en signe de deuil, appara t après son assassinat par des agents du Japon et entonne « Levez-vous, mon peuple ! »

L’adaptation du roman populaireŒuvre musicale à caractère historique, La Forteresse de

Namhansanseong est tirée du roman éponyme de Kim Hun, qui depuis sa parution en 2007 a attiré de nombreux lecteurs et ali-menté bien des conversations. Lors de l’entretien qu’il accordait lors de la réception marquant le lancement de cette création, l’écrivain allait déclarer : « Je me souviens du voyage scolaire que j’ai fait à la forteresse quand j’étais écolier du primaire et de la forte impression que m’a faite son histoire quand l’instituteur nous l’a racontée ». Bien des années plus tard, l’émotion qu’il avait ressentie allait lui inspirer son roman à succès dont l’intri-gue est centrée sur le dilemme entre « vivre en mourant ou mou-rir en vivant? », c’est-à-dire entre être « grandi par la mort ou avili par la vie ? »

Cette adaptation musicale d’une œuvre romanesque repré-sente la tendance actuelle dans le monde et pour s’en convaincre, il n’est que d’évoquer l’œuvre Les Misérables, qui est à ce jour la plus représentée depuis les vingt-quatre dernières années, ou Notre Dame de Paris, une création française qui s’est dotée d’une version en langue coréenne, toutes deux reprenant les romans du même titre de Victor Hugo, ou encore Le fantôme de l’opéra,

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dont l’idée provient du roman éponyme écrit en 1909 par Gaston Leroux, ce spécialiste du roman de mystère, tandis que Cats a porté à la scène le recueil de poèmes de T.S. Eliot intitulé Old Possum’s Book of Practical Cats, sans oublier, en Corée, cette Dernière impératrice issue du roman Chasse au renard de Yi Mun-yol.

Dans de telles réalisations, le texte littéraire est rendu par le jeu des artistes, les décors et les accompagnements musicaux qui le font ainsi revivre dans l’imagination de ses lecteurs, tout en enchantant ceux qui ne le connaissent pas encore par la nouveau-té d’un spectacle inédit, de sorte que ce genre musical tire parti du succès qu’a pu remporter une œuvre dans le public en même temps qu’il accro t l’audience de celle-ci et s’avère ainsi tout aussi avantageux pour les écrivains que pour les metteurs en scène.

Une interprétation débordante de créativitéUn spectacle a beau être tiré d’un succès de librairie, il ne

lui suffit pas d’y superposer dialogues, musique, chorégraphies et décors pour que la réussite lui soit également assurée car si l’œuvre de fiction lui fournit sa trame et son thème, leur adap-tation à la scène doit répondre à de nombreux défis, en raison des effets et mécanismes complexes qui sont propres à celle-ci. Ainsi, il importe que la comédie musicale disperse l’intrigue en se détachant de son déroulement initial, mais aussi qu’elle propose une vision nouvelle de certains personnages pour amplifier l’effet dramatique et mieux attirer le public, cette démarche se résu-

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1 Le personnage de haute taille est celui de Hong Taiji, l’empereur de la dynastie Qing, de­vant lequel le roi Injo de Joseon, vêtu de blanc, se prosterne lors de sa capitulation.

2 Devant les arguments contraires de ses conseilleurs, Injo pèse le pour et le contre en un dilemme qui se résume à être « glorifié par la mort ou avili par la vie ».

3 Le héros O Dal­je monte se lamenter sur le tragique sort de sa patrie dans la forteresse, dont la représentation se caractérise ici par une grande simplicité qui n’en crée pas moins un effet dramatique.

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mant à l’expression «à source unique, emplois multiples » que pose en principe l’industrie de la culture en faisant correspondre une même idée de départ à des applications ou « préférences » diverses.

De même, le spectacle La Forteresse de Namhansanseong propose une originale interprétation des protagonistes de l’œuvre dont elle s’inspire, en particulier de celui, secondaire dans cette dernière, d’O Dal-je, l’un des trois fonctionnaires d’État partisans d’une résistance acharnée à la Chine des Qing, et dont la remise en perspective lui accorde une importance de premier plan. De cette création, découle celle de l’idylle qu’il noue avec la concu-bine Mae-hyang et provoque des tensions entre cette dernière et son épouse enceinte Nam, en parallèle avec le triangle amoureux qu’il compose avec sa ma tresse et Jeong Myeong-su, ce général qui a déserté pour servir dans les rangs de l’envahisseur. De tel-les variations à partir de l’intrigue d’origine constituent un apport dramatique dans un genre qui se distingue de la littérature par la possibilité qui lui est inhérente de représenter les personnages de manière subtile et complexe, dans leur gloire comme dans leurs souffrances, par un recours à la musique qui permet une compréhension plus immédiate de leurs intentions, objectifs et sentiments.

En outre, cette comédie musicale a le mérite d’apporter un

nouvel éclairage sur la vie des gens du peuple qui défendirent la forteresse, notamment à travers les propos plein d’humour des troupes de saltimbanques et leurs chansons allègres qui per-mettent un relâchement opportun de la tension dans un contexte aussi tragique. Jetés au hasard des chemins par la cruelle perte de leurs pères, enjambant cadavres de soldats au champ de bataille, victimes des viols et saccages perpétrés par l’envahis-seur chinois, ces roturiers font face à la plus grande adversité par leurs chansons d’un indomptable optimisme. Par leur biais, cette comédie musicale révèle toute l’endurance avec laquelle la population sut affronter les affres de la guerre, grâce à sa prodi-gieuse force de caractère, cette faculté de conserver son sens de l’humour aux moments les plus difficiles, de pouvoir être entre rires, ou sourires, et larmes, comme en témoigne cette œuvre avec réalisme.

Des œuvres musicales à grand spectacleSi l’on excepte les spectacles pour enfants, près de cent

quatre-vingts comédies musicales sont chaque année mises en scène en Corée, une dizaine d’entre elles étant destinées aux représentations de fin d’année et offrant ainsi un large choix aux amateurs du genre. À leur répertoire, figurent des spectacles étrangers présentés dans le cadre de tournées et faisant appel à 3

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des acteurs et personnels qui le sont aussi, ainsi que des œuvres traduites en coréen à partir d’une autre langue et représentées moyennant le versement de droits d’auteur, mais aussi des créa-tions exclusivement coréennes par l’histoire et la culture auxquel-les elles se réfèrent, de même que par leur production, mise en scène, interprétation et réalisation technique.

Si ces dernières sont quatre ou cinq fois plus nombreuses que les deux autres, cette supériorité numérique ne suffit pas à accro - tre leur audience, car les premiers bénéficient d’une économie d’échelle grâce à la production de grands spectacles destinés aux scènes les plus prestigieuses, contrairement aux plus modestes dont se contente la création coréenne en raison d’un plus faible budget, celle-ci ne se trouvant donc en position dominante qu’en termes quantitatifs, tandis que les plus grands succès se trouvent ailleurs.

Alors que dans le monde du spectacle coréen, tous attendent avec impatience une création nationale qui soit en mesure de rivaliser avec celles de l’étranger, par ses dimensions comme par son public nombreux, La Forteresse de Namhansanseong suscite de grands espoirs, puisqu’elle a été créée pour les plus grandes scènes et s’inscrit donc en rupture totale avec la pratique plus répandue de sous-dimensionner ce type de productions ou de les représenter dans des salles d’importance secondaire dont la capacité est limitée à deux ou trois cents places.

Il est certes arrivé que des spectacles ayant débuté sur de petites scènes accèdent à de plus grandes après avoir fait leurs

preuves auprès du public, telles les œuvres Rent et Avenue Q, qui étaient d’abord jouées

dans les théâtres

« off-Broadway » et dont le succès croissant a permis de les mettre à l’affiche d’autres plus importants. En Corée, Singles et Brothers in Arms ont connu un destin analogue, en jouissant d’une revalorisation qui leur a ouvert les portes de théâtres de moyenne envergure. Il n’en demeure pas moins préférable que des œuvres à grand spectacle soient produites pour des salles de dimensions correspondantes afin de tirer le meilleur parti de leur espace scénique, de leur capacité d’accueil des spectateurs et du niveau technologique de leurs éclairages et dispositifs audiovisuels, car s’il peut advenir que des créa-tions destinées à de petites salles se retrouvent à l’affiche des grands théâtres des métropoles le temps d’une tournée, cette situation peut leur donner l’air aussi emprunté qu’un costume paternel porté par un enfant. Celles qui concourent chaque prin-temps au Prix annuel de la musique coréenne doivent justifier d’une envergure adéquate pour entrer en lice, à l’instar de celles qui sont sélectionnées pour les Tony Awards de Broadway.

Il se dit souvent, en matière de compétition, qu’il faut partici-per pour gagner, alors tant que nul n’en prendra l’initiative, la pro-duction d’une comédie musicale à grand spectacle restera lettre morte. En outre, sachant qu’une telle entreprise ne pourra aboutir qu’après bien des tâtonnements, il est tout à fait louable et encou-rageant que le Centre des Arts de Seongnam ait su dépasser sa fonction d’espace d’interaction culturelle pour se préparer à la représentation de La Forteresse de Namhansanseong et promou-voir à long terme la notoriété de cette œuvre musicale, autant de tâches qu’il a menées à bien par sa bonne gestion qu’il convient de saluer, tout comme le personnel de production et les artistes, en espérant que d’autres sachent mettre à profit l’élan qui s’est ainsi créé.

1 Le triangle amoureux que compose O Dal­je avec sa concubine Mae­hyang et le tra tre Jeong Myeong­su constitue l’un des éléments clés de l’intrigue.

2 C’est l’ennemi qui libère Nam, l’épouse d’O Dal­je (au centre), grâce à l’astucieuse Mae­hyang.

Il faut se souvenir qu’au départ, le spectacle La Forteresse de Namhansanseong a été créé pour les plus grandes scènes et s’inscrit donc en rupture totale avec la pratique plus répan-due de sous-dimensionner ce type de productions ou de les représenter dans des salles d’importance secondaire dont la capacité est limitée à deux ou trois cents places.

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À LA DÉCOUVERTE DE LA CORÉE

En cinéphile averti, le professeur Earl Jackson Jr. possède une collection réunissant près de trois mille cassettes vidéo et DVD.

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Professeur d’études cinématographiques et codirecteur de l’institut Trans Asia Screen Culture, Earl Jackson Jr. entretient avec des professionnels et producteurs de toute l’Asie des relations qui lui permettent d’élargir sa connaissance du domaine aux différents pays, tout en travaillant à divers projets de collaboration, organisant des conférences et éditant le Trans Asia Screen Culture Journal.Hwang Sun-Ae Rédactrice occasionnelle | Ahn Hong-beom Photographe

arl Jackson, Jr. n’habite peut-être la Corée que depuis 2006, mais il a découvert toute les subtilités de sa culture avant même d’en ma triser la langue et cette adaptation au pays

s’est sans doute faite d’autant plus aisément qu’il s’y est trouvé dès son arrivée aussi bien que dans celui de ses origines et a aussitôt éprouvé de l’affection pour sa population et sa culture. Aujourd’hui, il mène de front plusieurs activités culturelles, tout en exerçant le professorat à l’Université nationale des Arts de Corée où il vient d’entrer après avoir enseigné la poésie améri-caine à l’Université Koryo.

Une remise en perspective de l’AsieC’est en 2004 qu’Earl Jackson fait son arrivée en Corée où l’a

invité le professeur Kim Soyoung lorsqu’ils ont fait connaissance à un colloque se déroulant sur l’ le d’Hawaii et, suite à plusieurs courts séjours, il finira par donner sa démission à l’Université de Santa Cruz, en Californie, pour s’établir dans ce pays étranger qui n’était pourtant pas le premier dans lequel il avait vécu. Après avoir passé son enfance dans un quartier mal famé de Buffalo, ville de l’État de New-York, il s’était envolé dès l’âge de dix-huit ans pour l’Europe où il avait étudié la littérature et séjourné tout un été dans le pittoresque décor des Alpes autrichiennes, puis une année en Bavière, le spectacle de la nature dans toute sa splendeur lui faisant alors voir le monde sous un jour différent.

Après avoir fréquenté l’Université de Wurzburg, il repartira afin d’entreprendre un cursus de littérature allemande à l’Uni-versité de l’État de New-York située à Buffalo (SUNY). Alors qu’il complétait celui-ci de l’apprentissage du hongrois, la démission soudaine de son professeur, qui l’incitera à lui préférer le japo-nais, le conduira à porter son choix sur cette langue pourtant moins appréciée et orientera sa carrière vers l’étude du Japon. Dans le cadre du programme FALCON, il allait ainsi bénéficier d’une formation linguistique intensive d’un an dispensée par l’Université Cornell, où il obtiendra une ma trise, puis, dans les

années soixante-dix, il partira pour le Japon afin de s’y spécialiser dans le nô et la littérature médiévale. De retour au pays, il pour-suivra ces études par celle du bouddhisme, à Harvard, puis de la littérature comparée, à Princeton où il se verra décerner un doc-torat dans ce domaine.

Par comparaison à sa connaissance du Japon, l’expérience acquise en Corée s’avérera cependant plus enrichissante et décisive pour parvenir à comprendre l’Asie en profondeur. « Je m’efforçais jusqu’alors d’acquérir une meilleure compréhension de l’Asie à la lumière de mes nombreuses années d’expérience dans l’étude du Japon, mais je me suis rendu compte que celui-ci est isolé dans sa bulle, car ma vie en Corée a modifié mon point de vue et m’a poussé à m’intéresser davantage à l’Asie du dedans, c’est-à-dire à partir de ce pays, de sorte que le Japon m’a paru excentré et que je suis revenu sur les idées préconçues que j’avais sur ce continent.»

Cette remise en question aura pour effet de donner une nou-velle orientation à son travail, car en tant que professeur d’études cinématographiques et codirecteur de l’institut Trans Asia Screen Culture, Earl Jackson Jr. entretient avec des professionnels et producteurs de toute l’Asie des relations qui lui permettent d’élargir sa connaissance du domaine aux différents pays, tout en travaillant à divers projets de collaboration, organisant des confé-rences et éditant Trans Asia Screen Culture Journal. C’est dans ce cadre qu’a ainsi été mis sur pied le forum qui réunissait le mois dernier réalisateurs indiens et malais sur le thème du multicultu-ralisme en Asie afin de permettre une meilleure compréhension de ce phénomène lié à la mondialisation.

En premier lieu, Earl Jackson souhaite montrer comment peuvent coexister des peuples dotés de cultures et langues dif-férentes, car tout en étant conscient des problèmes posés par le multiculturalisme, il a l’intime conviction que celui-ci peut permettre l’avènement de la société idéale. À l’heure où la Corée y met aussi l’accent en raison de la multiplication du nombre de

E

Earl Jackson, Jr.a fait de la Corée sa seconde patrie

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travailleurs immigrés et mariages internationaux sur son sol, l’homme fait observer que les étrangers se voient réserver un traitement différent selon la couleur de leur peau. « Il y a quelque temps, la télévision a fait une expérience dans laquelle un blanc se tenait au coin d’une rue en examinant un plan. Avant qu’il ne demande son chemin, des passants se sont approchés pour le lui indiquer, alors qu’il ne parlait qu’anglais, tandis que lorsqu’un Philippin s’exprimant pourtant parfaitement en coréen a poliment abordé plusieurs personnes, aucune d’entre elles n’a daigné lui répondre. C’est vraiment stupéfiant ! »

Un adepte des films coréensTrès tôt, Earl Jackson s’est pris de passion pour la littérature

et le cinéma puisque, encore adolescent, il manquait souvent les cours pour passer la journée entière assis sur un banc de jardin public, à lire ses auteurs préférés, dont James Joyce et Gertrude Stein. Son expulsion du lycée le contraindra à travailler dans une boulangerie, puis il se présentera en candidat libre aux examens prévus par l’administration pour permettre de poursuivre des études supérieures. Des quatre cents élèves de son établisse-ment, celui qui est pourtant un autodidacte sera le seul à se voir accorder une bourse complète par l’Université SUNY de Buffalo car son absence en classe lui avait permis de découvrir des films tirés de classiques de la littérature : « J’ai en fait gagné du temps en n’y assistant pas. Je préférais le ciné-club de l’Université SUNY, qui projetait de grands chefs-d’œuvre européens comme L’année dernière à Marienbad de Resnais. Comme on ne vérifiait ni cartes d’étudiant, ni quoi que ce soit d’autre, j’en ai profité pour tout voir, y compris Bergman et Godard, pendant les dernières années de mon adolescence. C’était vraiment formidable ! J’ai eu de la chance !»

En fervent cinéphile, il collectionne avec enthousiasme les films de tous pays, dont il possède trois cents exemplaires sous forme de DVD, notamment de ce cinéma coréen des années cinquante et soixante qu’il affectionne particulièrement, sa préfé-

rence allant à celui de Lee Man-hee, Kim Ki-young et Shin Sang-ok. Earl Jackson explique ainsi son goût pour cette production : « Chez les cinéastes coréens, le thème de la dignité dans l’épreu-ve est omniprésent. Ils montrent comment trouver une valeur à la vie et savoir l’apprécier. Cela représente une constante de leur art, même de manière tacite. Dernièrement, j’ai redécouvert un film de Lee Man-hee datant de 1968 et s’intitulant Hyuil, c’est-à-dire « jour de congé ». De tous ceux que j’ai vus dans ma vie, il s’agit peut-être du film le plus sombre par son pessimisme et il a même fait l’objet d’une interdiction en raison de son caractère trop négatif. Il conte l’histoire d’un homme et d’une femme qui se rencontrent un dimanche et tombent amoureux, mais manquent d’argent et ne savent comment s’en sortir.»

La production cinématographique coréenne des années cinquante et soixante est le reflet des événements dramatiques que le pays a connus, surtout au cours du siècle dernier et aux-quels a succédé, deux décennies plus tard, une période de pros-périté caractérisée par des problèmes d’une nature différente qu’abordent les films récents, quoique toujours marqués, selon Earl Jackson, par cette même thématique de la survie. « Connais-sez-vous le film intitulé Baramnan Gajok, c’est-à-dire La femme d’un bon avocat, qui est sorti sur les écrans en 2003 ? Il est abso-lument génial ! L’histoire se passe dans un ménage dont le mari est avocat, mais où la vie est un enfer. Vous souvenez-vous du début, quand on retrouve les victimes du massacre et qu’il est impossible de savoir qui a tué qui ? On retrouve toujours cette toile de fond ! C’est tout à fait excellent ! »

Earl Jackson fréquente régulièrement le Seoul Art Cinema, dont la gestion est assurée par un organisme à but non lucratif et qui propose une sélection des grands classiques du monde entier, dont ceux de Corée qu’il a découverts par ce biais. « Lors d’une rétrospective sur Fassbinder, le Seoul Art Cinema a montré toutes ses œuvres, y compris celles qu’il a réalisées pour le petit écran. En clôture, à titre commémoratif, le festival a consacré deux journées à Berlin Alexanderplatz. Comme il s’agit d’un long

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métrage de seize heures, la séance a commencé à neuf heures du matin et s’est achevée très tard dans la nuit. Pour-tant, elle était gratuite et elle a fait salle comble jusqu’à neuf heures du matin, alors il n’y avait vraiment pas une seule place de libre ! Si le sous-titrage était exclusivement en anglais, il était absolu-ment intégral, ce qui démontre le haut niveau atteint par les ciné-philes coréens. »

L’homme se dit soucieux de l’avenir du septième art en Corée car, sous la pression exercée en 2006 par les États-Unis lors des négociations portant sur l’Accord de libre-échange coréano-amé-ricain, la première a consenti à faire passer les quotas relatifs à la diffusion de sa production de cent quarante-six à soixante-treize, celle-ci se voyant ainsi menacée de disparition pure et simple, comme le Mexique en a fait l’expérience dans les années quatre-vingt-dix. Earl Jackson s’oppose catégoriquement à cette mesure en ces termes : « C’est déplorable ! Il faut rétablir les quotas, car ce sont eux qui ont permis de donner le jour à ces merveilleux films du début des années quatre-vingt-dix. Sans cela, il en aurait été tout autrement. Leur réduction de moitié n’annonce rien de bon pour la culture coréenne, car elle ne fera au contraire que dissuader toujours plus les investisseurs de financer la création, qu’elle soit expérimentale ou non. »

Tout en tirant le meilleur parti de sa vie en Corée, Earl Jackson aime à rechercher les moindres subtilités culturelles de ce pays, notamment par le biais de ses œuvres cinèmatographiques, parmi lesquelles il a pour habitude de citer Sarangni (Dent de sagesse), cette œuvre d’une tonalité résolument coréenne qui est sortie sur les écrans en 2005. « C’est leur tendresse qu’expriment les Coréens lorsqu’ils se mettent en colère. Une fois que l’on a saisi ce trait particulier, on a tout compris. Si je prends ainsi l’exemple de Sarangni, ce petit film que j’apprécie beaucoup, la manière dont il se termine est on ne peut plus coréenne. Alors que prend fin un

d ner réunissant tous les personnages de cette curieuse histoire d’amour et que la conversation va bon train entre eux, l’héroïne, bien que venant de se faire extraire une dent de sagesse, s’apprête à boire un verre de vin dont deux jeunes convives s’emparent aussitôt en s’écriant : « As-tu perdu la tête ? Com-

ment oses-tu après avoir pris un sédatif ! » Quoi de plus coréen que de manifester ainsi son affection sous forme de réprimandes ? Cette attitude représente l’essence même de la tendresse, moyen-nant que l’on sache la décoder.»

Grand amateur de voyages, Earl Jackson s’adonne à la nata-tion et au « snorkeling » dès qu’il en a l’occasion, peut-être parce qu’il nourrissait autrefois le rêve d’étudier la biologie marine, allant jusqu’à nager non loin des requins au large des côtes de Belize et appréciant tout particulièrement la Mer du Sud coréenne malgré une rencontre indésirable avec des méduses. Au gré de ses déplacements, il lui arrive de découvrir des lieux insolites, telle cette le de Maemuldo au relief accidenté où il allait faire la connaissance d’un nonagénaire dont la mère, en 1905, avait assis-té à l’arrivée des navires japonais !

Depuis qu’il est tombé sous le charme de la Corée, il s’emploie sans relâche à acquérir une meilleure connaissance de sa langue et dans ce domaine, apprend beaucoup par son travail sur des scénarios tels que celui de Viewfinder, qu’a réalisé sa consœur Kim Soyoung en vue de sa participation au Festival inter-national du Film de Pusan, et si le texte en était à l’origine par-tiellement rédigé en anglais, Earl Jackson a aidé à sa traduction ultérieure et a même entra né le personnage principal à la diction. « Dans mon cas, cela a représenté le moyen le plus efficace qui soit d’apprendre la langue coréenne, mille fois supérieur à tou-tes les méthodes classiques », fait-il observer et de fait, chez lui, c’est la Corée tout entière qui semble avoir constitué une souce d’apprentissage nouvelle.

« Je m’efforçais jusqu’alors d’acquérir une meilleure compréhension de l’Asie à la lumière de mes nombreuses années d’expé-rience dans l’étude du Japon, mais ma vie en Corée a modifié mon point de vue et m’a poussé à m’intéresser davantage à l’Asie du dedans, c’est-à-dire à partir de ce pays, de sorte que le Japon m’a paru excentré et que je suis revenu sur les idées préconçues que j’avais sur ce continent. »

Le professeur Jackson fait l’éloge du cinéma coréen, en qui il voit l’expression d’une culture tout en subtilité, et dernièrement, il aidait à rédiger le scénario de l’une de ses productions.

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SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE

à la conquête du fa te de l’Himalaya

Oh Eunsun

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ette cha ne de l’Himalaya que l’on nomme le « toit du monde » se compose de quatorze sommets culminant à plus de huit mille mètres d’altitude et comprenant le mythique Mont Everest, qui

pour nombre d’alpinistes représente une sorte d’Olympe que seuls dix-huit d’entre eux ont gravi jusqu’au sommet, à l’exclusion de toutes leurs consœurs, d’où la concurrence que se livrent celles-ci pour réaliser à leur tour cette prouesse.

Une compétition de haut niveauS’il ne manque pas de candidates pour avoir la primauté d’un exploit

qui, à n’en pas douter, leur apporterait la gloire dans leur pays, les plus susceptibles d’y parvenir sont la Sud-Coréenne Oh Eunsun, l’Espagnole Edurne Pasaban, l’Italienne Nives Meroi, l’Autrichienne Gerlinde Kalten-brunner et une autre Sud-Coréenne, Go Miyoung, qui sont respectivement âgées de quarante-trois, trente-six, quarante-huit, trente-neuf et quaran-te-deux ans, la dernière d’entre elles ayant malheureusement trouvé la mort à 8 126 mètres d’altitude, cet été, alors qu’elle entreprenait la des-cente du Nanga Parbat.

Depuis quelques années, la lutte acharnée qui oppose ces cinq spor-tives d’exception retient l’attention des passionnés d’alpinisme du monde entier, en faisant alterner des épisodes glorieux et tragiques qui parfois

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Entre le printemps et l’été derniers, Oh Eunsun, l’un des grands noms de l’alpinisme mondial, a effectué l’ascension de quatre sommets de l’Himalaya, auxquels elle souhaitait dernièrement ajouter celui de l’Annapurna, mais elle n’a pas été en mesure de réaliser cet objectif en raison de conditions météorologiques extrê-mement difficiles et devra donc redoubler d’efforts, dès l’année prochaine, pour être la première femme à conquérir toutes les cimes de cette cha ne qui s’élèvent à plus de huit mille mètres d’altitude.

Shin Young-chul Chef de rédaction de la revue Man and Mountain

Photographie Shin Young-chul

1 Oh Eunsun vient de réaliser cet été l’ascension du Gasherbrum 1.

2 Oh Eunsun brandit le drapeau national coréen à son arrivée au sommet du Kanchenjunga.

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ne font qu’un, comme à Nanga Parsbat, cet été. Quand je m’étais justement rendu sur ce camp principal à cette époque, plus préci-sément au mois de juillet, pour y retrouver mes compatriotes, je les avais trouvées toutes deux confiantes, car le dix, Oh Eunsun était parvenue à la cime, où l’avait rejointe Go Miyoung quatre heures plus tard et c’est le lendemain même, au cours de leur descente après une nuit au Campement n°1, qu’allait survenir le drame, se produire l’impensable, lorsque Go Miyoung allait lâcher prise et être précipitée dans le vide, pour périr six mille deux cents mètres plus bas.

Au retour d’Oh Eunsun, le 12 août suivant, j’ai aussitôt pris contact avec elle pour solliciter un second entretien et elle m’a alors paru être dans un état d’abattement et de faiblesse extrê-mes, comme si elle relevait à peine d’une maladie grave, ce qui se comprenait fort bien après cette éprouvante saison d’alpinisme qui avait eu raison de son énergie physique et mentale et durant laquelle elle avait effectué une ascension de deux mois du massif de Karakoram, également situé dans l’Himalaya. Devant ce petit bout de femme d’un mètre cinquante et de cinquante kilos, je me fis la réflexion que l’accomplissement d’un pareil exploit tenait du mystère si l’on songeait à l’endurance surhumaine qu’il suppo-sait.

Alors qu’approchait l’issue de la lutte pour la première place féminine dans l’ascension des quatorze sommets qui, dans le monde, dépassent huit mille mètres d’altitude, le moindre faux-

pas aurait à l’évidence pu lui coûter très cher, voire lui être fatal, comme dans la fin tragique de Go Miyoung. Sa principale concur-rente, Gerlinde Kaltenbrunner avait par deux fois tenté sans succès de gravir les 8 611 mètres du K2, contrainte d’y renoncer après en avoir franchi huit mille deux cents, mais si elle était par-venue à ses fins, elle aurait eu, comme Oh Eunsun, treize som-mets à son actif. C’est aussi l’échec qu’avaient connu plus tôt, en cette même année, Edurne Pasaban et Nives Meroi en affrontant respectivement les 8 027 mètres du Shisha Pangma et les 8 596 du Kanchenjunga, de sorte que la Coréenne les devançait tou-jours d’un sommet, auquel il lui reste à en ajouter un seul pour réaliser son rêve, au péril de sa vie, de conquérir les 8 091 mètres du majestueux Annapurna.

« Si la montagne veut bien de moi »Quelques jours après notre entrevue, Oh Eunsun partici-

pait à une réception organisée en son honneur par l’association d’alpinisme amateur Gasanhoe, dont le nom peut approximative-ment se traduire par les « belles montagnes » et à la perspective de cette rencontre, elle s’en réjouissait en ces termes : « Tout en n’étant pas bouddhiste, j’aime cette religion.Voyez-vous ce brace-let bouddhiste ? Je le porte toujours à mon poignet depuis que ma mère, qui est croyante, me l’a offert et il est de toutes mes expédi-tions, car sa présence m’apporte un grand réconfort ».

Quelques jours à peine s’étaient écoulés suite à notre entre-tien, et voilà qu’elle semblait étonnamment remise d’aplomb par son retour dans un confortable intérieur qui n’avait rien à voir avec les contrées aux cimes enneignées et à l’air raréfié où elle venait de passer l’été et le radieux sourire qu’elle adressait à ceux qui lui remettaient l’écharpe honorifique en disait long sur son regain d’énergie. Dès qu’elle eut soufflé treize bougies, symboles des sommets conquis, sur le gâteau de fête qui l’attendait sur une table, le président de l’association allait en ajouter une quatorziè-me représentant la dernière cime à conquérir pour qu’elle batte son propre record et après l’avoir éteinte, elle allait brièvement s’exprimer à la demande de ses hôtes.

« C’était vraiment affreux », a-t-elle commencé dans un silence absolu car dans la salle, chacun savait où elle voulait en venir en ces instants où Go Miyoung, que j’avais aussi rencontrée à Nanga Parsbat, était très présente dans ses pensées. « J’ai vécu un cauchemar en assistant, impuissante, à l’opération de sauvetage. Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer que j’aurais pu conna tre le même sort. Je suis restée sans rien faire à l’hôtel Skardu pendant une semaine, en me demandant s’il me fallait ou non continuer. Comme nul d’entre vous ne l’ignore, une grande amitié me liait à Go Miyoung et nos relations étaient fondées

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1 Avançant contre des vents cinglants, les alpinistes risquent constamment d’essuyer des tempêtes de neige.

2 Le Nanga Parbat compte parmi quatorze sommets hima-layens d’une altitude supérieure ou égale à huit mille mètres.

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sur une saine émulation qui nous incitait à donner toujours le meilleur de nous-mêmes. »

Prenant la décision de poursuivre sa pratique en solitaire, elle achèvera l’ascension du Nanga Parsbat avant de relever le défi qu’elle s’était lancé à l’origine d’effectuer aussi celle du Gasherbrum 1, qui culmine à 8 068 mètres, et la réalisation de cet objectif la nantira ainsi de cette treizième conquête qui la place aujourd’hui en tête des aspirantes à la conquête des quatorze fois huit mille mètres. « À un moment donné, j’ai fini par me dire que je ne parviendrais au sommet que si la montagne voulait bien me laisser l’atteindre et que dans le cas contraire, mes efforts seraient vains, alors j’ai entrepris l’ascension du Gasherbrum 1, comme j’avais projeté de le faire.»

Quelque force supérieure doit l’avoir poussée à réussir, car alors que toutes ses concurrentes avaient été contraintes d’abandonner la montée en raison de conditions météorologiques particulièrement désastreuses, elle allait poursuivre sa progres-sion jusqu’au camp principal où allait l’accueillir une soudaine amélioration du temps. Dès lors, elle allait tirer parti de sa bonne adaptation au milieu ambiant pour se hisser jusqu’au sommet du Gasherbrum 1 en avançant contre un vent cinglant, mais lors de la descente, allait être à nouveau témoin d’un accident où l’un de

ses compagnons allait frôler la mort.« Soudain, non loin de moi, quelqu’un a dévissé, l’un des

étrangers qui nous accompagnaient en montée. Tandis que mon sherpa et moi étions encordés, cet homme ne formait pas une cor-dée avec son coéquipier, alors, sous mes yeux, il a fait une chute d’environ trois cents mètres. Toutes sortes d’idées me sont alors passées par la tête et j’ai bien cru qu’il allait y rester, mais fort heureusement, il a réussi à s’orienter vers une étendue neigeuse du versant car s’il avait heurté le sol ne serait-ce qu’un peu plus loin, il aurait rebondi sur la falaise, ce qui l’aurait encore précipité de plusieurs milliers de mètres vers une mort certaine. Comme la frontière entre la vie et la mort peut parfois être ténue !»

En dépit de son âge relativement jeune, Oh Eunsun évoque la mort avec un détachement extrême qui lui vient certainement des nombreux cas d’issue fatale auxquels elle a assisté et de fait, tous ceux qui s’aventurent jusqu’au fa te de l’Himalaya évoluent constamment entre la vie et la mort, risquant à tout moment de voir dispara tre à tout jamais ceux qui les accompagnent, dans cet univers où plane constamment l’ombre immense de la mort.

L’escalade sans apport d’oxygèneAu téléphone, dont la sonnerie a retenti pendant que nous

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« Après l’affreux accident de Nanga Parbat, où j’ai assisté, impuissante, à l’opération de sauvetage, je suis restée sans rien faire àl’hôtel Skardu pendant une semaine, puis à un moment donné, j’ai fini par me dire que je ne parviendrais au sommet que si la monta-gne voulait bien me laisser l’atteindre et que dans le cas contraire, mes efforts seraient vains. »

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conversions, elle a répondu d’un : « Oui, maman. J’arrive tout de suite ! » en célibataire de quarante-trois ans aujourd’hui encore dorlotée par sa mère, ce qui ajoute encore au caractère hors pair de celle qui figure parmi les plus grandes Coréennes de ce siècle. J’ai alors été curieuse de savoir comment elle se sentait, main-tenant qu’il ne lui restait plus qu’un sommet à conquérir, celui de l’Annapurna, et si elle éprouvait de la confiance quant à ses chan-ces de succès.

Il y a encore peu, Oh Eunsun ne jouissait que d’une faible noto-riété à l’étranger, alors qu’une Gerlinde Kaltenbrunner, Edurne Pasaban ou Nives Meroi faisaient parler d’elles et de leurs exploits dans la presse, sans cesser d’espérer être celle qui atteindrait la première les fameux quatorze fois huit mille mètres, mais aujourd’hui les données ont radicalement changé car celle qui, auprès d’elles, a longtemps paru quantité négligeable, à savoir Oh Eunsun, éveille toujours plus l’intérêt des médias, y compris à l’étranger où Sapin et Explorers’Web ont consacré dernièrement plusieurs articles à cette alpiniste et sa soif de records.

« Je ne peux pas me permettre de me complaire dans l’auto-satisfaction. Il me faut toujours avoir à l’œil Edurne Pasaban, car c’est une très grande alpiniste qui dans son pays, est très soute-nue par ses confrères, ainsi que par la presse. Les gens veulent la voir réussir. », explique-t-elle, mais cette inquiétude n’est qu’apparente. La sportive a l’intime conviction qu’elle doit s’abstenir de tout excès d’assurance tant qu’elle n’a pas accompli son but suprême, mais le souci que cela lui occasionne semble quelque peu superflu puisque, en toute objectivité, elle se trouve

aujourd’hui dans la position la plus favorable, avec un seul som-met en souffrance, pour être la première à franchir ces quatorze fois huit mille mètres.

« À dire vrai, je sens la tension monter au fur et à mesure que la possibilité de ce record se fait plus tangible et pour conserver mon équilibre, il me faut faire tout un travail d’analyse. » confie-t-elle à juste titre, car rien n’est jamais acquis d’avance et la moin-dre anicroche peut faire basculer le destin. Quoi qu’il advienne, les Coréens peuvent tirer fierté de ce qu’a d’ores et déjà accompli leur agile compatriote, pourtant native d’un pays dont le point culminant ne dépasse pas deux mille mètres, ainsi que de l’avan-ce qu’elle s’est acquise, dans cette exaltante compétition, sur ses consœurs européennes pourtant dotées d’une plus solide consti-tution physique.

Troisième alpiniste asiatique à s’être attaquée aux plus hauts sommets des sept continents, Oh Eunsun a notamment gravi onze de ceux des Alpes sans disposer d’une bouteille d’oxygène. Sa supériorité tient aussi à la vitesse exceptionnelle à laquelle elle se déplace grâce à son organisme particulièrement adapté à l’air raréfié des altitudes élevées et lui permettant ainsi de poursuivre inexorablement sa progression. Enfin, elle se différencie de toutes ses consœurs par sa volonté de monter en solitaire, c’est-à-dire sans autre équipier qu’un sherpa.

Après avoir effectué l’ascension du Makalu et du Lhotse en 2008, auxquels allaient succéder le Kangchenjunga et le Dhau-lagili ce printemps, puis le Nanga Parbat et le Gasherbrum 1 à l’été, elle souhaitait leur ajouter celui de l’Annapurna en automne,

1 En Corée, l’escalade de sommets tels que l’Insu, dans la cha ne du Mont Bukhansan, a permis à Oh Eunsun d’acquérir une première expérience d’alpiniste.

2 À l’échelle mondiale, Oh Eunsun et l’Espagnole Edurne Pasaban dominent l’alpinisme féminin.

3 Après bien des épreuves, Oh Eunsun a compris que son succès dans le défi qu’elle s’est lancé dépendrait du bon vouloir de la nature.

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mais n’a pas été en mesure de réaliser cet objectif en raison de conditions météorologiques extrêmement difficiles. C’est que, à l’en croire, « la montagne ne devait pas vouloir d’elle ».

Des éléments extérieursDans son héroïque lutte, il semble qu’Oh Eunsun ne soit pas

à l’abri des critiques, puisque d’aucuns y ont vu le résultat des exigences démesurées des entreprises qui la parrainent, certains soulignant aussi une concurrence exacerbée, tandis qu’il s’en trouve pour lui reprocher vivement l’inextinguible soif de succès qu’elle manifeste au détriment de sa santé et par-delà les limites de ses capacités réelles, ou que d’autres s’inquiétent de l’ampleur que prend le soutien financier dont elle bénéficie. Compte tenu de la nature de sa discipline, ces jugements me paraissent néan-moins dénués de tout fondement, car enfin, les plus grands alpi-nistes, lors de leurs tentatives himalayennes, ne se font-ils pas accompagner de plusieurs sherpas et ne sont-ils pas eux aussi parrainés ?

À ce propos, Oh Eunsun s’empresse de préciser que les demandes de ses sponsors sont toujours restées raisonnables et qu’elle seule décidait de sa prochaine ascension, ainsi que des stratégies à adopter lors de celle-ci, car en dernier ressort, c’est elle, et elle seule, qui devait assumer la responsabilité de sa sécurité, en conséquence de quoi elle prenait elle-même toutes les mesures nécessaires pour l’assurer. En effet, la présence constante du danger à toutes les étapes de la montée exclut la possibilité que les sponsors imposent quelque condition que ce soit sous peine de faire courir des risques inutiles à l’alpiniste.

Lee Eijae, secrétaire de la Fédération Alpine de Corée, l’asso-

ciation la plus importante dans ce domaine à l’échelle nationale, déplore ainsi les attaques dirigées contre Oh Eunsun : « Les non-spécialistes semblent avoir une vision négative de ce sport, alors qu’il revient à lancer un défi à l’inconnu », avant d’ajouter : « L’idée que ce sport se prête à une concurrence et une commercialisation excessives provient d’une méconnaissance du type de difficultés auxquelles font face les alpinistes ». Ainsi, la renommée que tirera la jeune femme de la réalisation de cet exploit dépendra avant tout de l’aptitude dont elle fera preuve pour surmonter ces risques considérables au terme d’efforts personnels tout aussi énormes.

Alors qu’elle effectuait ses études supérieures à l’Université de Suwon, Oh Eunsun s’est inscrite au club alpin de cet établis-sement, où elle allait acquérir les rudiments de la pratique de ce sport et dès 1993, elle allait s’essayer une première fois à l’ascen-sion d’un des plus grands sommets du monde, le Mont Everest, dont elle n’atteindra cependant pas la cime. Il aura fallu qu’elle accumule plusieurs échecs à ses débuts pour qu’elle devienne la grande alpiniste qu’elle est aujourd’hui et à laquelle la cha ne télévisée KBS a consacré un film documentaire.

« J’avais l’impression d’être sous une constante surveillance. Les caméras me suivaient partout et tout le temps. J’ai coopéré du mieux que j’ai pu au tournage, mais il n’y avait que dans ma tente que je pouvais me retrouver enfin seule » confie-t-elle. En outre, la responsabilité du succès lui a parfois semblé lourde à porter, en raison des pressions qui se sont exercées pour l’y pousser, mais il lui faudra bien qu’elle s’y accoutume, puisque son ascension de l’Annapurna, ce dernier sommet himalayen à conquérir, sera largement suivie par les médias coréens comme étrangers.

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Devant le Temple de Jikjisa, qui semble se prélasser au soleil par cette belle journée d’automne, une pile de tuiles où sont inscrits les noms des fidèles attend d’être employée à la réfection des toitures.

ESCAPADE

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Gimcheonses vieux temples et son eau pureGimcheonses vieux temples et son eau pureDesservie par l’autoroute de Gyeongbu et la route nationale n°4, de grands axes routiers reliant Séoul à Busan, mais aussi par une ligne de chemin de fer à grande vitesse, Gimcheon se situe aux portes de la pro-vince de Gyeongsangbuk-do.Kim Hyungyoon Essayiste | Kim Yong-chul Photographe

Desservie par l’autoroute de Gyeongbu et la route nationale n°4, de grands axes routiers reliant Séoul à Busan, mais aussi par une ligne de chemin de fer à grande vitesse, Gimcheon se situe aux portes de la pro-vince de Gyeongsangbuk-do.Kim Hyungyoon Essayiste | Kim Yong-chul Photographe

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70 Koreana | Hiver 2009

oilà environ dix ans, le mariage d’une parente avec un jeune homme de la ville m’a conduit à

Gimcheon, où je n’avais jamais pris le temps de m’arrêter lors de mes déplace-ments, ne retenant d’elle que l’impres-sion de vastes étendues inoccupées dans l’attente de quelque aménagement. Située à mi-chemin entre Séoul et Busan sur un axe orienté du nord au sud, elle constitue un nœud routier national, auto-routier et ferroviaire d’importance straté-gique.

L’eau claire de GamcheonAu centre de l’agglomération, les

nombreux petits affluents qui sillonnent la ville, comme de minuscules vaisseaux sanguins, viennent alimenter le ruisseau qui coule du sud au nord-est avant de se jeter dans le Nakdonggang, un fleuve aux dimensions beaucoup plus importantes. Voilà encore un siècle, le lit du Gwaha-cheon s’emplissait, sur toute sa longueur, de suffisamment d’eau pour accueillir, tout au long de l’année, les bateaux chargés de sel qui naviguaient sur le Nakdonggang, mais sous l’effet conjugué des inondations et typhons, le fond allait en être par la suite rehaussé.

L’été venu, ce cours d’eau joue aussi un rôle important dans les loisirs des habitants, qui aiment à y pratiquer la pêche ou à s’y baigner, mais lorsque je

m’y trouvais, en ce début d’automne, certains s’y avançaient encore, pantalons retroussés, pour prendre de petits pois-sons et ramasser des escargots noirs, tandis qu’en contrehaut des berges, d’autres marchaient ou couraient sur des allées bien entretenues, dans un cadre enchanteur de lits de roseaux accueillant les oiseaux migrateurs.

Dans le taxi où j’avais entrepris de faire un tour de ville, le chauffeur n’a pas manqué de me vanter les qualités de l’eau courante, qui à des dires, ne provenait pas de lacs artificiels, mais de sources souter-raines. Comme je demeurais perplexe sur ce point, je me suis adressé aux services municipaux concernés afin d’obtenir plus de précisions et j’ai alors appris qu’un col-lecteur situé à une quarantaine de mètres au-dessous de la rivière permettait de recueillir l’eau que filtrait naturellement la couche sédimentaire tapissant son lit et qui subissait une épuration avant sa dis-tribution aux usagers. À Gimcheon, l’eau du robinet s’avérait donc bien avoir pour origine un ruisseau, et non un plan d’eau immobile, ce qui en expliquait le goût et la pureté exceptionnels par rapport à celle qui est fournie dans d’autres régions.

Aux alentours de Gimcheon, le ruis-seau qui traverse le quartier de Namsan-dong atteste encore de cette limpidité par son nom de Gwahacheon, que lui aurait donné un général, sous la dynastie Joseon

(1392-1910), en souvenir d’un cours d’eau de sa Chine natale, tandis qu’il s’était jusqu’alors successivement appelé Geumjicheon et Jucheon, c’est-à-dire le « ruisseau à spiritueux », car l’alcool confectionné avec son eau était très prisé pour son goût et son arôme, la boisson dite Gwahaju demeurant aujourd’hui encore une spécialité régionale qui fait la fierté de la population.

Quant à la première de ces deux anciennes appellations, Geumjicheon, elle signifie le « ruisseau d’or » en référence à la philosophie de l’Orient ancien fondée sur les cinq éléments, dont l’eau participe de la génèse de ce métal précieux et de sa production, le nom actuel de Gim-cheon pouvant d’ailleurs se traduire par « ruisseau ou source d’or ». Après avoir eu connaissance de ces vertus, il m’a suffi, pour m’en persuader davantage, d’admi-rer les extraordinaires ruisseaux dont les flots chatoyants baignent les champs ou circulent au creux des vallées, alors de retour dans ma chambre, j’ai absorbé de l’eau du robinet sans l’ombre d’une inquiétude.

Un hébergement en vallée de monta-gne

C’est chez des particuliers que j’ai passé la nuit dans la vallée de Sudo qui, aux confins méridionaux de la ville, entaille l’un des versants du Mont Sudo-

1 Le Gamcheon est à la fois lieu de détente et de loisirs pour la population de Gimcheon.

2 Au Temple de Jikjisa, les portes du Birojeon, le pavillon de Vairocana.1

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san à mi-hauteur, soit à environ huit cent mètres d’altitude. En consultant divers sites internet pour en apprendre davanta-ge sur la région, j’avais découvert qu’elle tenait d’un véritable joyau, dans son écrin boisé aux larges rochers plats, torrents et pâturages où broutent les ruminants, de sorte qu’elle attirait chaque année trois à quatre mille vacanciers en période esti-vale. Tandis que je gravissais la pente, je fus soudain pris de l’envie de laisser pen-dre mes pieds dans l’eau d’une cascade, mais compris bien vite, en continuant plus avant, que les buissons d’épines qui pous-saient là en abondance m’en interdiraient l’accès, alors je me contentai d’admirer le spectacle de son eau projetée dans le vide et retombant en aval du cours bordé de broussailles.

Près de vingt ans plus tôt, le pro-priétaire des lieux était retourné vivre au

pays en famille après avoir travaillé dans le bâtiment, à Daegu, et depuis que ses enfants étaient partis pour la ville, lui et sa femme originaire de Séoul s’occupaient seuls de ce logement, ainsi que du restau-rant attenant, mais aussi de leurs cultures de choux, pommes de terre et pommiers, ainsi que de l’élevage des poules, cochons et abeilles, auxquels s’ajoutait un adora-ble écureuil qu’ils avaient recueilli dans les champs et apprivoisé.

Malgré mon arrivée à l’improviste, à la tombée de la nuit, le couple allait me convier à partager son d ner composé de riz aux haricots et d’un ragoût à la pâte de soja fermentée dit « doenjang jjigae » accompagnés de tofu frit, kimchi, feuilles de sésame et radis chinois ou daïkon assaisonnés à la sauce de soja. Après ce repas qui tenait pour moi d’un véritable festin, mes hôtes, croyant que je n’étais

pas rassasié, allaient sortir chercher quelques œufs dont je remarquai la forme plus oblongue et la surface plus uniforme que d’ordinaire, mais qui après une cuis-son rapide, allaient prendre une belle couleur dorée et s’avérer d’une saveur délicieuse.

Le temple de JikjisaLa région de Gimcheon compte plu-

sieurs temples d’importance car, après l’introduction du dharma bouddhique en provenance de Chine, lorsque le royaume de Goguryeo entreprit l’expansion de cette religion à celui de Silla, il se heurta à la résistance de ce petit état situé au sud de la péninsule et ne parvint à l’apporter jus-que dans la ville de Gyeongju, sa capitale, que par celle de Gimcheon, qui en com-mandait l’accès. Le temple de Jikjisa, qui perpétue aujourd’hui encore la pratique

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du culte bouddhiste coréen sous sa forme d’origine, fut établi par le moine Ado en l’an 417, sous le règne du roi Nulji, aux fins de la diffusion de la foi au royaume voisin de Silla et allait s’y consacrer au cours des cent dix premières années de son existence, jusqu’à la conversion de Silla, qui en fit sa religion d’État en 527.

Ayant projeté d’y dormir dans le cadre d’une formule de séjour qui me permet-trait de faire par moi-même la découverte de ce vingt-quatrième temple de l’Ordre de Jogye, j’avais porté mon choix sur la nuit du samedi au dimanche, sans me douter que l’établissement avait cessé de prendre des pensionnaires en raison de la progression rapide de l’épidémie de grippe A. Malgré la fra cheur automnale qui régnait en cet après-midi, les visiteurs accouraient pourtant en nombre sur les lieux, comme j’avais pu le constater dix ans auparavant et dans le grand pavillon dit Daeungjeon, la triade de Bouddha semblait plus imposante que jamais, en vis-à-vis d’un tableau de grandes dimen-sions qui frappait par l’extrême minutie de sa réalisation et l’intensité de ses cou-leurs, cet éclatant chromatisme illumi-

nant aussi, dans mon souvenir, les pein-tures dont s’ornait le plafond. Face aux statues de Bouddha Vairocana, qui ont été redorées en 1992, des femmes aux mains jointes priaient, comme toujours, pour que leur famille soit heureuse ou pour donner naissance à un fils.

Les bâtiments du temple de Jikjisa possèdent le charme de cette architec-ture traditionnelle coréenne toute en modération et simplicité et, si les cou-leurs de nombre d’entre eux ont pu paratre trop crues et agressives à l’œil après

qu’ils eurent été repeints, les produits plus évolués qui existent aujourd’hui ont permis une finition plus douce et agréable à regarder. À l’extérieur, de charmants jardins ajoutent leur touche d’élégance à un ensemble architectural quelque peu alourdi par les nombreuses constructions.

Pour ma part, j’affectionne particu-lièrement ceux qui bordent l’arrière du grand pavillon, là où s’étend une allée qui longe les pavillons de Vairocana, dit Biro-jeon, et Josajeon, c’est-à-dire de Josa, le fondateur de la secte, et qui me parais-sent égaux à eux-mêmes dix ans après. J’apprécie également les attraits du jardin

situé à gauche du musée du temple, où se dresse une haute cheminée en forme de tour qui fut construite avec des débris de tuile et une fois parvenu en ce point, j’ai découvert, non loin de là, une vieille porte dont l’embrasure a révélé à mes yeux un petit bois de bambous. Après l’avoir franchi en me penchant légère-ment pour éviter les feuilles, j’ai suivi un étroit chemin et suis parvenu à un jardin à la pelouse soigneusement tondue, qui

L’agglomération de Gimcheon est arrosée par le Gwahacheon, un ruisseau dont l’eau claire, réputée être particulièrement bonne à boire, sert à la fabrication d’alcools très appréciés pour leur goût et leur arôme, ce qui lui valut jadis d’être appelé Jucheon, c’est-à-dire le « ruisseau à spiritueux », la boisson dite Gwahaju demeurant aujourd’hui encore une spécialité régionale qui fait la fierté de la population.

1 Cette stèle, où l’on peut lire les mots « ruisseau à spiritueux », se dresse sur les berges du Gwahacheon, dont l’eau d’une grande pureté sert à la production d’un alcool régional dit Gwahaju.

2 La porte de Cheonwangmun s’ouvre sur le Temple de Jikjisa.

3 La vallée de Sudo s’étend au sud de Gimcheon.

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bordait un petit bâtiment ressemblant à une maison de thé. Entrant un instant pour commander cette boisson à qui-conque se présenterait, j’ai attendu lon-guement, mais en vain, tout en goûtant la solitude des lieux.

Le temple de Jikjisa m’a aussi paru exceptionnel par les sources d’eau douce qu’il abrite dans son enceinte en nombre beaucoup plus grand que dans tous les autres sanctuaires, puisque j’en ai décou-vert pas moins de onze qui, dans des fon-taines en pierre, font jaillir leurs eaux cris-tallines aux principaux emplacements afin que les visiteurs puissent à tout moment étancher leur soif et témoignent une fois encore de ce qui fait à juste titre la renom-mée de la ville.

L’ermitage de SudoamLe lendemain, je suis parti dès le

matin à la recherche de l’ermitage de Sudoam et n’y suis parvenu qu’après une ascension d’une trentaine de minutes. Dans ce petit sanctuaire à la cour pourtant impeccablement balayée dès le lever du jour, les rayons de soleil inondaient celle-ci de leur douce lumière, car si le com-mun des mortels trouverait l’heure trop matinale, les moines ont déjà suivi l’office et pris leur petit déjeuner avant de se retirer à nouveau dans leurs cellules. Ici encore, il émanait des lieux une impres-sion de paix.

C’est en l’an 859 que Doseon, pré-cepteur national du royaume de Silla, fit construire cet ermitage que devait détruire un incendie lors des révoltes paysannes de Donghak, en 1894, c’est-à-dire sous la dynastie Joseon. Aujourd’hui classée Trésor n°307, la statue de pierre du Bouddha Vairocana qu’abrite le grand pavillon Daejeokgwanjeon fournit un bel exemple de la sculpture bouddhiste telle qu’elle se pratiquait au neuvième siècle sous le royaume de Silla Unifié. À l’est de ce premier bâtiment, se dresse le pavillon Yakgwanjeon qui renferme une statue du Bouddha de la médecine constituant un trésor du patrimoine, et dont la cour s’orne de deux pagodes en pierre à trois niveaux.

Si, à mon grand regret, je ne me trouve pas en mesure de reconna tre et apprécier comme il se doit une sculpture bouddhiste ainsi répertoriée au patri-moine, je n’en ai pas moins été sensible à la forte impression qu’inspire l’escalier raide en pierre et la vaste cour blanche du grand pavillon. Aveuglé par la lumière fulgurante que répandait le soleil sur ses marches, comme sur l’ensemble de ce temple de montagne, j’ai senti l’eupho-rie me gagner avant de reprendre mes

esprits et de redescendre en me campant solidement sur mes jambes.

Le Temple de CheongamsaUne distance d’environ deux kilomè-

tres sépare Sudoam d’un sanctuaire tout aussi connu, celui de Cheongamsa, que j’ai eu l’occasion de parcourir lors d’une visite guidée assurée par une bénévole du Centre culturel de Gumcheon où je m’étais auparavant informé sur le site. Dénommée Mun Mal-sun, cette femme

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d’une trentaine d’années qui tenait un restaurant à deux kilomètres du tem-ple, s’est acquittée de sa fonction avec efficacité et dans la bonne humeur. Le temple de Cheongamsa aurait été lui aussi fondé par le précepteur national Doseon qui naquit à Yeongam, dans la province de Jeollanam-do, et se fit moine dès l’âge de quinze ans. Très versé dans l’art de la géomancie, dit « feng shui » en chinois, il semble avoir imprimé sa mar-que aux quatre coins du territoire, à en juger par les nombreux temples qu’il aida à construire dans les lieux les plus pitto-resques, notamment celui de Doseonsa, qui s’élève à Séoul dans le quartier de Wui-dong.

Le présent sanctuaire tient son nom de Cheongamsa, qui signifie « temple des rochers bleu-vert », de la mousse

qui recouvre ceux-ci dans la vallée située en contrebas et jusqu’au mur pierreux bordant l’allée du temple, en travers de laquelle jaillit une source appelée Ubi-cheon. En termes de géomancie, le site de Cheongamsa présente la forme d’une « vache allongée » ayant pour museau ce point d’eau, qui en symbolise l’aspect humide garant d’une bonne santé, de même qu’une croyance voulait que nation et temple prospèrent pareillement aussi longtemps que ne se tarirait pas la source, et mon guide d’affirmer que celle-ci s’assèche lorsque le pays est en crise.

À deux reprises, lors de notre visite, cette femme m’a confié qu’il lui était « dif-ficile » de parler à l’intérieur du temple, de crainte de perturber la sérénité des lieux. Il convient de rappeler qu’à Cheongamsa, vivent des moinesses, et qu’une université

y assure leur formation, ce qui explique l’extrême réserve avec laquelle elles s’expriment et se comportent, et si j’avais moi-même entendu parler de cet établis-sement, c’est en voyant ses étudiantes parcourir les lieux que je me suis rendu compte de sa vocation féminine.

Contrairement à ce qui se produit en Corée près des temples, il ne se trouve pas de restaurant aux abords de celui de Cheongamsa, qui para t ainsi d’autant plus inhospitalier, mais en franchissant son entrée, on perçoit l’atmosphère à la fois calme et animée que font régner les jeu-nes novices. Sur les berges du ruisseau, se font face les deux principaux pavillons de Geungnakjeon et Nambyeoldang, ce dernier ayant été occupé par la reine Inhyeon, seconde épouse de Sukjong, un monarque de la dynastie Joseon, qui y vécut après avoir été destituée de son titre royal en 1689. C’est par déférence pour cette souveraine au destin tragique que cet édifice caractéristique de l’architecture traditionnelle des palais abrite aujourd’hui l’université du temple. En m’y promenant, je remarquai un regard bleu lumineux parmi ceux des postulantes qui travail-laient le jardin potager jouxtant Geung-nakjeon.

Les stigmates de la guerreDans le village de montagne de

Buhang-myeon, qui s’étend au sud-ouest de Gimcheon, se trouve une des curiosités de la région, le poste de guet de Buhang, que la municipalité de Gim-cheon a classé à son patrimoine cultu-rel en tant que vestige de la guerre de Corée, bien qu’il ne figure actuellement sur aucune carte touristique. De bien

1 Au Temple de Jikjisa, cette cheminée se com-pose de débris de tuiles et de terre façonnés en forme de pagode.

2 Dans la commune de Guseong-myeon, le bâti-ment dit Seongsan Yeosi Hahoetaek abrite, de-puis sa construction au XVIIIe siècle, la demeure ancestrale du clan Yeo de Seongsan, ce qui lui a valu d’être classé Bien culturel provincial n°388 par la Province de Gyeongsangbuk-do.

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culturel, il ne porte que le nom car il n’en subsiste plus qu’un ensemble déla-bré d’éléments en béton devant lesquels les visiteurs passent sans même les voir tant ils sont envahis d’herbes folles et je me suis alors posé la question de savoir dans quelle mesure ces décombres pesaient encore de tout leur poids symbo-lique dans l’âme de la population. Je me souvins alors de m’être entendu conter l’histoire d’un certain Kim Il-ung, ce per-sonnage de Gimcheon, chaudronnier de son état après avoir effectué son appren-tissage à l’âge de onze ans et exercé la profession au cours des soixante-deux années suivantes. Pendant la guerre, il aurait emballé le fruit de son travail pour l’emporter dans sa fuite au sud, mais n’aurait pas pu aller plus loin que Wae-gwan en raison d’un bombardement qui avait détruit le pont du Nakdonggang, ces faits m’étant d’ailleurs confirmés par mon hôte de montagne.

Gimcheon, on peut l’affirmer, ne s’est jamais tout à fait remise des épreu-ves d’une guerre où les troupes nord-

coréennes, après avoir envahi Séoul, marchèrent tout aussitôt sur ce nœud de transports, pour y installer la base avan-cée d’une future offensive sur les villes méridionales de Daegu et Busan. Quant aux forces de l’ONU, elles allaient riposter par d’importants bombardements, rasant à près de quatre-vingts pour cent les quar-tiers centraux de cette ville séculaire, mais ce sont les hommes, soldats comme civils restés sur place pour défendre le village, qui payèrent le plus lourd tribut à l’âpre lutte par laquelle s’affrontaient les deux camps, à l’instar de l’oncle de mon hôte, qui après avoir combattu pour son pays, allait se voir accuser d’avoir apporté une aide aux Coréens du nord et être sauvage-ment mis à mort.

Mes premières impressions de la ville me revenaient en mémoire et je réflé-chissais à la vision qu’elles m’en avaient inspiré. Près d’un demi-siècle s’est écoulé depuis cet effrayant conflit dont Gimcheon ne s’est toujours pas relevée et si la plu-part des villages coréens comportent encore des habitations traditionelles dites

« hanok », il n’en subsiste pas la moindre dans la ville de Gimcheon, à l’exception près de l’ancienne demeure du clan Yeo de Seongsan, qui se situe au village de Guseong-myeon, et encore se trouve-t-elle aujourd’hui dans un état d’abandon et de délabrement total. Ainsi, il semblerait que toutes les beautés de Gimcheon aient disparu dans cette conflagration, d’où cette place laissée vacante et n’attendant aujoud’hui encore que d’être mise à profit.

Sur le ruisseau de Buhangcheon qui traverse l’agglomération au niveau du poste de guet Buhang, l’actuelle construc-tion d’un barrage en vue de la création d’un lac artificiel aura pour effet d’englou-tir les vieux villages sous les eaux. Par ailleurs, les divers travaux d’aménage-ment du territoire qui sont également en cours sur les berges du ruisseau mettent prématurément au jour des habitats du néolithique et de l’Âge du bronze. Cette mise en présence d’une civilisation mil-lénaire et du monde moderne m’inter-pelle quant à l’avenir vers lequel s’oriente aujourd’hui Gimcheon.

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CUISINE

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Pour apporter un peu de variété au menu du d ner, les Coréens se contentent souvent d’agrémenter leur riz de fruits de mer et légumes en sauce dont la sa-voureuse alliance se distingue tout à fait de celle du « bibimbap », autre spécialité très appréciée à base de cette céréale où les autres ingrédients s’accommodent séparément. « Kongnamulbap » aux pousses de soja, « mubap » aux radis et autres préparations composées de riz n’égalent en aucun cas celle du « gulbap » aux hu tres où celles-ci se complètent parfois d’autres fruits de mer, légumes et noix qui mettent en valeur leurs qualités gustatives naturelles.

Shim Young Soon Directrice de l’Institut de recherche culinaire coréen ShimYoungSoon Auteur de Les meilleures saveurs de la cuisine coréenne

Ahn Hong-beom Photographe

es vocables « gul » ou « guljogae », qui désignent en coréen une hu tre, s’écrivent respectivement

en idéogrammes chinois 牡蠣 et 石花, dont les prononciations correspondantes sont « moryeo » et « seokhwa ». Mollus-que bivalve appartenant à la famillle des Ostreidae, l’hu tre ne comporte pas moins de vingt-deux espèces que les Coréens consomment depuis toujours, comme en témoignent les monticules de coquilles d’origine préhistorique qui jonchent la péninsule. Nombre de traités anciens en font d’ailleurs mention, tel le Sinjeung dongguk yeoji seungnam (Études révisées et augmentées de la géographie coréen-ne), qui signale la présence de ce coquilla-ge dans les sept provinces que comptait alors le pays, à l’exception de celle de

Gangwon-do et il para t alors naturel qu’elle y soit en usage dans la cuisine depuis l’aube des temps.

Une grande richesse nutritiveL’hu tre présente la particularité

d’une grande valeur nutritionnelle à laquelle fait référence l’expression de « lait de la mer » employée à son propos, notamment par le fer qu’elle contient en abondance, et qui possède d’excel-lentes vertus contre l’anémie, de même que par sa capacité à stimuler les fonc-tions hépatiques, mais aussi par sa forte teneur en taurine, cette substance qui a pour effet de réguler la tension arté-rielle lors de l’absorption d’un excès de sel et d’abaisser le taux de cholestérol du plasma sanguin. Elle apporte aussi

L’adjonction de différents légumes et de noix relève la saveur des hu tres qui composent, aux côtés du riz, le plat dit « gulbap ».

L

Le riz aux huîtres, un savoureux plat de résistance hivernal

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Si l'ingrédient principal du « gulbab » est l'hu tre, la saveur naturelle de celle-ci se renforce par l'ajout d'autres fruits de mer, légumes et noix. C'est un plat à consommer chaud, avec un mélange de sauce de soja et de moutarde.

Le choix d’hu tres bien fra ches et le soin avec lequel elles seront accommodées permettront la confection d’un plat de résistance nour-rissant particulièrement adapté aux rigueurs hivernales.

en quantité vitamines A, D, E, B1, B2 et C, ainsi que niacine, potassium, phos-phore et calcium, ce dernier étant ici particulièrement bien assimilable par l’organisme. L’hu tre possède en outre la propriété d’atténuer les douleurs pro-voquées par le stress, d’étancher la soif, de donner bonne mine et d’être dotée de protéines telles que l’histidine et la lysine. Propice à la digestion grâce à sa consis-tance légère, elle convient pareillement aux jeunes, aux moins jeunes et aux mala-des en convalescence.

En Corée, c’est à l’automne et à l’hiver que l’eau de mer rend les hu tres les plus goûteuses et les plus riches en nutriments, notamment le glycogène, qui assure des fonctions primordiales par la fourniture d’énergie et la stimulation du métabolisme, tandis que du printemps à la fin de l’été, l’élévation de la teneur en

minéraux qui se produit lors de la repro-duction altère leur saveur tout en les rendant plus périssables et l’on s’abstien-dra d’en consommer par temps de forte chaleur en raison d’une teneur élevée en toxines résultant du développement de leurs organes reproductifs.

Une préparation délicatePar leur saveur délicieuse et leur tex-

ture légère, les hu tres se consomment plutôt crues, moyennant de les avoir choi-sies et apprêtées avec soin, notamment en les achetant si possible vivantes en se fiant à leur aspect laiteux et brillant, garant de leur fra cheur, ainsi qu’à leur fermeté dont il suffira de s’assurer en pinçant la chair et qui s’avé-rera particulièrement satisfaisante si cette

dernière est striée de blanc.Il convient alors de les déguster sans

attendre, mais avant l’ouverture, elles se conserveront à 10 °C, dans le réfrigéra-teur, une semaine entière à compter de la date du ramassage, tandis qu’une fois ouvertes, elles ne pourront se garder au froid que durant quelques jours, plongées dans de l’eau de mer.

S’il est malaisé de distinguer les hu tres sauvages de celles issues de l’ostréiculture à leur aspect ou à leur saveur, il faut savoir que ces dernières sont en général de dimensions plus importantes et plus uniformes, outre les variations saisonnières qui interviennent dans leur récolte d’une région à l’autre et

l’emploi éven-

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tuel de procédés de conservation par les distributeurs, la prudence étant donc de mise au moment de l’achat.

PréparationQue les hu tres soient servies crues

ou cuisinées, il est un principe qu’il convient impérativement de respecter, à savoir que tout contact est à bannir avec l’eau douce, car c’est en les nettoyant ou en les recouvrant avec de l’eau de mer que l’on pourra leur conserver toute leur saveur et leur fra cheur, notamment en vue de la préparation du « gulbap » où ces deux qualités flatteront particulière-ment le palais en se doublant des vertus nutritionnelles de l’ingrédient. Adaptée à toute saison, la consommation de ce plat s’avérera d’autant plus délectable si l’on a employé du riz nouveau.

Dans la variante culinaire qui en est proposée ci-dessous, différents fruits de mer entrent dans la composition du « gulbap » aux côtés de légumes, juju-bes, noix, pignons et noix de ginkgo dont l’heureux mariage ne fait que rehausser le goût du coquillage. Nombreux sont ceux qui relèvent le tout de sauce de soja et de moutarde au moment de manger, car c’est ainsi qu’ils le trouvent le plus savoureux.

« Gulbap » (riz aux hu tres)

Ingrédients :

3 verres de riz, 20 grammes de laminaire, 400 grammes d’hu tres, 100 grammes

de petites crevettes, 1 ormeau, 50 grammes de radis, 30 grammes de champignons

de pin, 3 châtaignes, 2 cuillerées à soupe de noix de ginkgo, 4 jujubes, 1 cuillerée à

soupe de noix, huile de sésame, jus d’assaisonnement, sauce de soja aux fruits de

mer, huile, sel

Sauce d’assaisonnement :

2 cuillerées à soupe de sauce de soja, 2 cuillerées à soupe d’eau de cuisson de

laminaires, 1 cuillerée à soupe d’échalote émincée, 1 cuillerée à soupe de sauce de

moutarde, 1/3 cuillerée à soupe de sirop d’érable, 1 cuillerée à soupe de sirop de

cédrat, quelques pincées de poivre

Préparation :

1. Nettoyer le riz et ajouter de l’huile de sésame.

2. Ajouter 20 grammes de laminaire, 1 cuillerée à soupe de jus d’assaisonnement,

2 cuillerées à soupe de sauce de soja aux fruits de mer et du sel, puis arroser de

deux verres d’eau et porter le tout à ébullition. Le jus d’assaisonnement, qui est

facultatif, se prépare à l’aide de jus d’oignon, d’ail, de gingembre et de poire. La

sauce de soja aux fruits de mer peut se substituer à une préparation du commerce

et s’obtient en faisant bouillir de la sauce de soja avec de l’anchois, de la laminaire,

de la bonite à dos rayé, du calmar et un oignon.

3. Nettoyer les hu tres à l’eau salée, puis étuver. Découper les crevettes et

l’ormeau en lamelles et faire revenir celles-ci avec les champignons de pin. Peler

les châtaignes, retirer les noyaux des jujubes et découper ces fruits en dés. Couper

et faire étuver le radis.

4. Verser la préparation de riz réalisée à la première étape dans l’eau que l’on a fait

bouillir à la deuxième et faire cuire.

5. Lorsque le riz est cuit à point, ajouter les ingrédients apprêtés lors de la troisiè-

me étape, ainsi que les différentes noix. Mélanger soigneusement le tout et réser-

ver.

6. Confectionner la sauce destinée à l’assaisonnement. Verser celle-ci sur le « gul-

bap ». Se mange chaud.

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REGARD EXTÉRIEUR

Mon histoire d’amour avec la Corée commen-ce en 1996 à Singapour par la rencontre de

celle qui deviendra ma femme, In-Kyung. Outre sa beauté et son intelligence, je suis frappé par sa pu-reté, son intégrité en toute chose, sa détermination et sa force de caractère. Je me dis que si les Coréens sont tous comme elle, quel pays formidable ça doit être ! Effectivement, « La dame généreuse de Séoul » (signification de son prénom en coréen) est parfai-tement représentative de son pays.

In-Kyung quitte son emploi, sa famille et ses amis pour me rejoindre à Genève. Nous nous marions dans l’année trois fois : en Suisse pour l’état civil, en France à la chapelle de Vaugines, dans le Lubéron, et « à la coréenne » au Lotte World à Séoul, mon intronisation en Corée.

Séoul : 25 millions d'habitants, Genève : 250 mille. Dès lors, nous nous rendons régulièrement en Corée et chaque voyage me donne le vertige. En comparaison, l’Europe me paraît bien figée dans ses vieux principes.

Notre fille naît en 2001. Elle fréquente l’école en français à Genève, apprend le coréen avec ma fem-me et parle anglais à la maison, notre langue com-mune. Douze ans après m’avoir rejoint en Suisse, ma femme me dit un beau jour : « À ton tour ». Je n’hésite pas une seule seconde, quitte mon emploi, ma famille, mes amis et nous voilà embarqués pour notre aventure coréenne !

« Comment peux-tu refaire ta vie ainsi ? » m’a-t-on souvent demandé. Je réponds invaria-

blement : « Facile ». C’est vrai, je me sens à Séoul comme un poisson dans l’eau. Il suffit de suivre le courant. Un an après notre arrivée, je suis di-recteur d’un cabinet coréen de recherche et de sélection de cadres. Je donne également des cours d’anglais, suis acteur pour la télévision et le ci-néma et consultant pour les produits de luxe, mon ancien domaine d’activité. Notre fille va à l’école publique où elle est parfaitement intégrée, seule Suissesse parmi 1600 élèves coréens. Elle fait de la photo et de la TV (c’est elle qui m’a in-troduit dans ce milieu) et pratique de nombreu-ses activités. Ma femme s’occupe de notre fille, n’ayant jamais voulu le faire faire par quelqu’un d’autre. C’est mieux ainsi, et très coréen.

Alors, mes impressions sur la Corée, me direz-vous ? En voici quelques-unes :

Les Coréens font tout avec passion. Ainsi, ils sont passés après la guerre de Corée d’un pays ruiné et sans ressources naturelles au deuxième pays le plus riche d’Asie et au onzième rang mondial. Cette énergie positive, cette volonté de bien faire que l’on ressent partout et à chaque instant m’inspirent. J’y puise ma propre énergie et je m’y ressource.

On n’est jamais seul à Séoul. Dès que l’on pointe son nez dehors, il y a forcément quelqu’un près de vous, et la consigne est de ne pas gêner son voisin. Pour ceux qui aiment la solitude, allez voir ailleurs ...

Je me suis toujours senti le bienvenu. Les Co-réens ont une bienveillance spontanée et naturelle envers les étrangers. Quand ils réalisent que mon

Mes impressions sur la CoréeChristopher Bouladon Directeur chez You & Partners à Séoul

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épouse est Coréenne et qu’ils voient notre fille, on est amis.

Les Coréens sont fiers de leur pays. J’aime ce nationalisme et en même temps leur esprit d’ouver-ture.

La Corée est le pays du service et du sourire. Jour et nuit, le client est roi et on le sert en gants blancs. On dit la même chose en Europe, mais ce n’est pas vrai.

La Corée est le pays du travail. Les cadres tra-vaillent 2312 heures par an contre 1594 en France. On est loin des 35 heures par semaine. Quant aux vacances, mieux vaut ne pas en parler ! C’est ainsi que les Coréens reviennent de si loin.

La séniorité est un plus, et on respecte les per-sonnes âgées. Normal, les parents se sacrifient pour leurs enfants, lesquels le leur rendent plus tard. Je n’ai pas encore vu de maisons de retraite ici. Les en-fants sont élevés dans de stricts principes éthiques et moraux, basés sur le respect et la famille.

L’éducation est un pilier de la réussite coréenne. Son importance est symbolisée par les vastes ter-rains de jeux des écoles publiques, qui contrastent avec le manque d’espace chronique à Séoul.

Grâce à CCTV, il y a peu de police dans les rues, de criminalité, de vandalisme et autres graffitis qui polluent nos villes européennes. Je préfère être surveillé par « Big Brother » mais vivre en sécurité. Comme tous les enfants de notre quartier, notre fille peut se rendre seule à son école et en revenir.

Les maisons individuelles n’existent pas (enco-

re). Les « villas » sont de petits bâtiments de deux ou trois étages. On vit dans des tours et des résidences bien entretenues en pleine ville et proches des éco-les, supermarchés et stations de métro.

Parking immédiat assuré partout, gratuit si vous consommez.

La Corée est un pays de contradictions, ce qui le rend d’autant plus intéressant. Tout est high-tech à outrance, mais les traditions millénaires côtoient ce modernisme absolu. On est pragmatique au quoti-dien et fataliste pour les choses importantes de la vie.

Une contradiction bouleversante est la Corée du Nord et du Sud. J’espère qu’il n'y aura bientôt qu'une seule Corée réunie comme c’est le cas depuis des millénaires, avec cette parenthèse actuelle refermée.

La moitié des Coréens sont chrétiens, mais res-tent également bouddhistes. L’astrologie est très im-portante, et le prénom d’un enfant doit par exemple être choisi avec soin par rapport aux astres. Pour notre fille, Yuna signifie « La beauté de la perle ». Cela fait rêver, non ?

« Ppali-Ppali » : l’art suprême est de tout faire plus vite que les autres, tout en restant décontracté et souriant. J’ai beau essayer, je ne suis pas encore à la hauteur ...

À l’image de la Corée, je suis en perpétuelle mu-tation. Où en serai-je dans une année ? En tout cas, je me sens vivant ici, plus vivant que je ne me suis jamais senti en Europe, ou peut-être quand j’étais beaucoup plus jeune. La Corée vous rajeunit. Vive la Corée !

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Le blogue permet aux « petits futés » de l’internet de disposer d’un site qui les met en relation avec des personnes partageant leur manière de penser et son usage s’est traduit par l’apparition de « blogueurs puissants » auxquels ce support de com-munication a apporté fortune et célébrité.

hacun sait que peines et joies sont faites pour être partagées car les échanges que nous entretenons avec autrui confèrent à l’existence humaine d’autant plus de sens et de valeur que les émotions peuvent s’exprimer par le biais du langage. Les hommes en ont

manifesté le besoin à toutes les époques et seuls les moyens par lesquels ils communiquent se sont transformés. L’avènement du nouveau millénaire en a vu appara tre un nouveau, dans le monde entier, sous la forme du « blogue », la Corée ne faisant pas exception à la règle, puisque l’usage de celui-ci s’y est implanté de manière spécifique.

Un phénomène mondialLe terme « blog », qui provient du néologisme « weblog » créé en 1997 par John Barger

et désigne une relation de faits se présentant sous forme d’écrits quotidiens datés et publiés selon un ordre inversement chronologique, est apparu postérieurement à cette pratique datant de l’apparition du réseau mondial de communications. Si les avis divergent sur l’ori-gine exacte de cet usage, ce dernier a pris son essor à partir de 1999, grâce à la mise au point de sites informatiques tels que Pitas et Blogger, qui sont conçus pour la mise en ligne de journaux intimes dont le nombre est aujourd’hui difficile à déterminer, le célèbre moteur de recherche Technorati en ayant pour sa part répertorié 112,8 millions en 2008.

En 2001, soit quelques années seulement avant que cette vogue ne se propage à la Corée, le site Weblog-In-Korea ouvrait ses portes à près de cent cinquante blogueurs qui allaient faire œuvre de pionniers dans l’essor de ce mode de communication en Corée car, de même qu’aux Etats-Unis, il a fallu que soient mis à la disposition du public des services répondant à ses besoins pour que le phénomène commence à prendre une certaine ampleur. À preuve, la création, en 1999, du site de vie sociale CyWorld qui, deux ans plus tard, allait proposer gra-tuitement à ses membres un espace dit « mini-page d’accueil » destiné à la mise en ligne de messages textuels ou photos, avec la possibilité de personnaliser leur blogue par « habillage », c’est-à-dire au moyen d’une présentation graphique particulière ou de la modification de la présentation des avatars et dès l’année suivante, son usage allait prendre de l’expansion.

En 2003, c’est au tour d’AbleClick, la première plateforme internet de type professionnel en Corée, d’apporter une innovation qui donnera naissance aux « blogues-portails » et répan-dra plus encore cette nouvelle pratique dans la population. Afin de répondre à ses besoins, des portails internet commerciaux tels que Daum, Nate, Naver ou Yahoo Korea fourniront eux aussi des prestations de blogage qui permettront à l’internaute moyen de s’initier à ce mode de communication et demeurent aujourd’hui encore très présentes dans la blogosphère coréenne. La création d’un journal intime sur internet participe aujourd’hui des pratiques en usage dans le cyberespace coréen, comme en témoigne l’apparition de ces « blogueurs puissants» dont les productions bien ciblées font aujourd’hui la gloire et la fortune, mais aussi d’un nombre croissant d’usagers pour lesquels le blogage fait partie intégrante du quotidien.

VIE QUOTIDIENNE

Diffusion et influence du blogue en Corée

C

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Selon un rapport rendu public en 2007 par l’Agence coréenne pour la sécurité de l’internet, près de 56,8% des internautes coréens consultent régulièrement des blogues et 42,9% en ont ouvert un, car ce support de communication remporte non seulement un énorme succès, mais il fait aussi de ses usagers ce qu’il est désor-mais convenu d’appeler des « blogueurs puissants ».

Charles La Shure Professeur à l’Ecole d’interprétation et de traduction de l’Université Hankuk des études étrangères

Ahn Hong-beom Photographe

La blogosphère coréenneLes blogues s’avèrent être d’ores et déjà bien implantés dans le

mode de vie des Coréens, comme le révèle ce « Guide des entreprises de la blogosphère mondiale » qu’éditait en 2007 le cabinet de rela-tions publiques Edelman, puisque la Corée, où 43% de la population lit régulièrement ces écrits, s’y trouve classée au deuxième rang, juste après le Japon. En outre, selon un rapport rendu public en 2007 par l’Agence coréenne pour la sécurité de l’internet, près de 56,8% des internautes coréens consultent régulièrement des blogues et 42,9% en ont ouvert un, car ce support de communication remporte non seulement un énorme succès, mais il fait aussi de ses usagers ce qu’il est désormais convenu d’appeler des « blogueurs puissants ».

En règle générale, ces derniers centrent leurs productions sur un domaine particulier tel que la cuisine, les critiques cinématographiques, voire les blo-gues eux-mêmes, et fidélisent un plus grand nombre de visiteurs par la mise en ligne régulière d’informations intéressantes, au point que pour nombre d’entre eux, le blogage pourrait tenir d’une profession à plein temps, dès lors qu’ils sauraient s’attirer le soutien financier d’entreprises en leur servant de support publicitaire ou éditer des « blouquins », c’est-à-dire des livres rédigés à partir de leurs écrits.

Mun Seongsil, une mère de deux jumeaux, a ainsi déjà publié quatre livres de cuisine rassemblant des informations tirées des sites culinaires qu’elle a créés pour expliquer ses plus délicieuses recettes en les accompagnant de photos prises sur le vif qui illustrent les différentes étapes de leur réalisation. Quant à Yi Jiseon, qui se consacre, au moyen de son BlogKorea, à une sorte de veille techno-logique portant sur les métablogues, à savoir, comme leur nom l’indique, soit des

blogues traitant d’autres blogues, soit des sites assurant une sélection des meilleures pro-ductions de la blogosphère pour permettre aux lecteurs d’y accéder d’une manière pratique, elle a eu l’idée judicieuse de faire publier le guide pratique intitulé Construire un blogue : du débutant au « blogueur puissant ». C’est à cette dernière catégorie qu’appartient Choe Mun-jeong, qui s’est même franchement lancée dans le secteur de l’édition et occupe une place à part dans ce domaine puisque n’étant spécialisée ni en cuisine, ni en blogues, pas plus que dans aucun domaine particulier, elle se borne tout simplement à conter des anecdotes tirées de son expérience personnelle dans un style narratif si prisé des lecteurs qu’elle en a attiré un million au cours des deux années qui ont suivi son lancement, ce qui l’a incitée à fonder sa propre maison d’édition afin de publier deux recueils de récits.

Dans cette profession comme dans celle du journalisme, la barre était jusqu’alors placée

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1

Que vous recherchiez la recette de quelque préparation destinée à relever votre repas à la coréenne, conna tre l’opinion du Coréen moyen sur le dernier film à succès ou vous initier à un sport tel que la natation ou le cyclisme, vous n’aurez sûrement aucun mal à trouver dans la blogosphère des textes dont les auteurs s’intéressent comme vous à l’un ou l’autre de ces sujets et en traitent dans leurs blogues, dont l’ensemble représente en Corée une véritable mine d’informations.

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assez haut pour les nouveaux arrivants qui souhaitaient y faire leur entrée, ceux qui étaient déjà dans la place n’y évoluant que très progressivement, mais le blogage a abaissé la plupart des barriè-res et les « blogueurs puissants » ont apporté la démonstration que la réussite était à la portée de tous, moyennant que l’on fasse preuve de talent et d’enthousiasme dans le domaine que l’on s’est choisi, tout en ne ménageant ni son temps ni ses efforts. Envers et contre tout, des blogueurs puissants tels que Choe Munjeong ont tracé la voie du succès en sachant se prendre en mains, en travaillant avec motivation et en acquérant une influence qui les dispense aujourd’hui du passage obligé par les médias classiques, mais aussi par tout intermédiaire quel qu’il soit, pour faire dialo-guer ses fidèles adeptes avec ses nouveaux visiteurs.

Toutefois, il n’est pas donné à tout le monde d’égaler ces exemples et ce sont le plus souvent des anonymes qui évoluent dans la blogosphère coréenne, certains nourrissant des rêves de puissance, tandis que la plupart se contente d’installer son modeste étal sur l’autoroute de l’information, qui tenant un jour-nal sur une mini-page d’accueil CyWorld, qui envoyant des photos à la famille et aux amis, d’autres encore faisant part, au moyen d’une plateforme quelconque, de leurs impressions sur la vie ou leurs idées à propos de divers sujets.

Du blogueur, on se fait parfois l’image d’un solitaire s’appro-priant un petit coin de blogosphère limité à un nombre limité d’amis ou à la famille, ce en quoi on est absolument dans le vrai en ce qui concerne les Etats-Unis, tandis que la situation est toute autre en Corée, car si dans le premier cas, le recours à des éditeurs de blogues en ligne comme Blogger, LiveJournal ou TypePad est la règle, la production, dans le second, passe directe-ment par les portails internet, lesquels détiennent jusqu’aux sites d’édition les plus récents que sont notamment Tistory et Egloos, soit directement soit par le biais des sociétés auxquelles ils sont affiliés, le premier d’entre eux appartenant à Daum et le second à SK Communications, qui exploite également Nate et CyWorld.

En donnant aux blogueurs plus rapidement accès à une

communauté déjà constituée, cette pratique met ses produc-tions à la disposition d’un plus grand nombre d’entre eux, par-delà leur petit cercle d’amis. Sur leur page d’accueil, les portails fournissent toujours à cet effet des liens avec les blogues les plus consultés sur les questions d’actualité, certains allant jusqu’à s’efforcer d’assurer la promotion de ceux-ci, à l’instar de Naver, qui décerne chaque année des prix aux « blogues puissants » se distinguant dans le domaine de la culture, des loisirs, de la mode ou de la vie quotidienne.

Si les publications de la blogosphère n’avaient d’autres lec-teurs que les blogueurs eux-mêmes, celle-ci se réduirait à une caisse de résonance améliorée, mais en Corée, elles attirent régulièrement d’autres visiteurs puisque ceux-ci s’y voient inviter dès la page d’accueil d’un portail internet comme Naver ou Yahoo Korea, où il suffit de saisir un mot-clé ou l’énoncé d’un sujet pour que le moteur de recherche affiche aussitôt les résultats corres-pondants en les classant par catégorie d’articles récents, de sites internet généralistes, de blogues ou de liens bénéficiant du sou-tien de sponsors.

Il est révélateur que, parmi ces différentes rubriques, celle des blogues soit citée aussitôt après les liens commerciaux payants et les articles de fond spécialisés. La raison en est que les premiers représentent en Corée une véritable mine d’infor-mations. En effet, que vous recherchiez la recette de quelque pré-paration destinée à relever votre repas à la coréenne, conna tre l’opinion du Coréen moyen sur le dernier film à succès ou vous initier à un sport tel que la natation ou le cyclisme, vous n’aurez sûrement aucun mal à trouver dans la blogosphère des textes dont les auteurs s’intéressent comme vous à l’un ou l’autre de ces sujets et en traitent dans leurs écrits.

Cette conception des blogues ne vaut cependant pas pour tous car aux Etats-Unis, par exemple, d’aucuns craignent que leur prolifération ne nuise à l’efficacité des recherches d’informa-tions, un étudiant s’étant même plaint de ce qu’ils « prétendent fournir des informations intéressantes alors qu’il ne s’agit que

1 Des femmes au foyer rompues à l’internet recherchent dans les blogues des recettes ou idées de repas qui apporteront une touche de nouveauté au d ner quotidien.

2~3 Au sein du cyberespace, le blogue constitue un lieu de rassemblement où peuvent se retrouver ceux qui partagent les mêmes intérêts afin d’y acquérir des informations diverses, par exemple dans l’art de la com-position florale fra che ou séchée à des fins de loisirs. 2 3

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de bavardages », mais aussi du fait que « dès que survient un événement politique ou social important, Google est envahi de blogues et il faut alors faire défiler une quarantaine de résultats avant de tomber sur des informations valables ». Au lendemain de l’acquisition de Blogger par Google, en 2003, certains ont tenté de remédier à ce problème en créant une page à part pour les blogues de manière à retirer la majorité d’entre eux des résul-tats principaux d’une recherche. Rien de tout cela ne se produit en Corée, où nombre de lecteurs privilégient le point de vue des « journalistes-citoyens » sur les sujets d’actualité et où la blogos-phère, plus que partout ailleurs, constitue une forme d’expression démocratique car tous les internautes y ont voix au chapitre et sont considérés sur un pied d’égalité. Dans un pays particulière-ment avancé sur le plan technologique, le blogage fait désormais parti de la vie quotidienne, comme toutes les autres pratiques propres à la société de l’information.

Les tendances à venirSi la multiplication des blogues directement accessibles à

partir de portails permet de créer un plus grand esprit commu-nautaire et de pouvoir plus facilement lire ces écrits, elle n’est pas entièrement dépourvue d'aspects négatifs. Yi Gangseok, un conseiller en TIC qui se présente lui-même comme le premier adaptateur de blogues en Corée et s’est vu décerner les prix AllBlog 2008 du Meilleur nouveau blogue et du Meilleur blogue scientifique et technologique, définit en ces termes les limites d’une blogosphère à partir d’un portail : «Dans la mesure où les portails prennent clairement position sur les dénonciations dont font l’objet les entreprises, les remarques des consommateurs sur les produits et les critiques politiques, tout usager de ce service risque de faire moins bien entendre sa voix ». Il prévoit d’ailleurs que ce conflit d’intérêts se poursuivra entre blogueurs

et portails internet, en sous-entendant que ce sont ces derniers qui l’emporteront : « Les portails finiront sûrement par considé-rer les blogueurs comme de simples producteurs de contenus ».

S’il n’est guère aisé d’anticiper une telle évolution, nul doute que les portails conserveront toute l’importance de leur rôle dans la blogosphère coréenne, sans pour autant que les espoirs et souhaits du grand public soient définitivement réduits au silence car l’histoire de Corée montre bien, par d’abondants exem-ples, que le simple citoyen sait lui aussi prendre la parole pour défendre son point de vue. À la condition que suffisamment de blogueurs acquièrent plus de confiance en eux-mêmes, la blo-gosphère pourrait bien conna tre une révolution débouchant soit sur la création de plateformes indépendantes susceptibles de concurrencer les portails, soit sur l’accueil des blogues dans un domaine réservé à leurs auteurs sur internet.

Quelles que soient les orientations à venir de la blogosphère, il n’en demeure pas moins vrai que les blogues font aujoud’hui partie intégrante du quotidien des Coréens de tous âges en leur offrant un moyen de se transmettre les uns aux autres une partie d’eux-mêmes, tout comme, par le passé ils tenaient un journal intime pour coucher sur le papier leurs impressoins ou écri-vaient des lettres où ils parlaient de leur vie à leurs amis et à leur famille, cet échange d’idées entre personnes se doublant aussi, comme le confirme l’usage de ce support, par un sens d’apparte-nance à leur pays et à toute l’humanité. S’il se peut que la forme que prendra le blogue dans dix ans diffère de celle qu’il présente aujourd’hui, de même que cette dernière ne correspond plus à sa première ébauche, voilà dix années de cela, le trait commun qui les unit demeurera, à savoir ce besoin d’ouverture sur le monde que chacun ressent pour y vivre plus pleinement et qui assurera la continuité du rôle crucial que joue ce moyen de communication dans la vie des Coréens.

D’ordinaire, les éditeurs encouragent les blogueurs à publier des recueils de leurs écrits qui sont susceptibles d’intéresser les lecteurs et de faire progresser les ventes de livres, certains auteurs de blogues remportant un tel succès auprès de leurs adeptes qu’ils en viennent à créer leur propre maison d’édition.

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Aperçu de la l i t térature coréenne

Yi Hyo-sok

Présence de la littérature anglaise, sentiment de perte

du pays natal et sensibilité particulière constituent les traits

distinctifs d’une abondante production mêlant nouvelles,

poèmes et romans.

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CRITIQUE

Vie et œuvre de

Yi Hyo-sokKim Yoon-shik Professeur de langue et littérature coréennes à l’Université nationale de Séoul

Plus connu sous son pseudonyme de Kasan, l’écrivain Yi Hyo-sok (1907-1942) naquit à Chinbu, ce village du canton de

Pyeongchang-gun situé dans la province de Gangwon-do et un temps dirigé par son père, le chef de commune Yi Shi-hu. Avant de poursuivre des études de littérature anglaise à l’Université impériale de Kyongsang, il fut écolier au cours primaire de Pyeong-chang, puis secondaire dans l’établissement qui portait alors le nom de Kyongsong et s’appelle Lycée-collège de Kyonggi depuis l’accession du pays à l’indépendance. Son entrée au pensionnat de Pyeongchang, pourtant distant d’à peine quarante kilomètres du domicile familial, laisse supposer qu’il entretenait des rela-tions difficiles avec sa belle-mère Kang Hong-kyung, qui l’élevait suite au décès de sa mère survenu lorsqu’il avait cinq ans.

Fondée sous l’occupation japonaise (1910-1945), l’université où Yi Hyo-sok effectua ses études proposait des classes prépara-toires depuis 1924, suivies d’un cursus complet à partir de 1926, et était alors le seul établissement d’enseignement supérieur à faire se côtoyer étudiants coréens et japonais. De 1925 à 1930, le jeune homme s’y consacrera à l’étude de la littérature anglaise, en particulier irlandaise, et rédigera au sujet du théâtre de l’auteur dramatique J. M. Synge un mémoire par lequel s’achève-ra sa formation dans cette institution coloniale d’élite également fréquentée par son a né d’un an, Yu Chin-o.

L’œuvre de Yi Hyo-sok est notamment dominée par une forte nostalgie envers son village natal, dont il ne conserve pour tout souvenir que celui de l’époque où il allait à l’école, au point d’avoir affirmé, un jour qu’on le questionnait à ce sujet : « Je ne me sens originaire de nulle part, d’aucun de ces lieux qui façon-nent le caractère et les sentiments avec une force tranquille », mais c’est pourtant lui que prendra pour décor Quand les sarrasins sont en fleurs (1936), qui figure parmi ses plus brillantes nouvelles.

Présence de la littérature anglaise, sentiment de perte du pays natal et sensibilité particulière constituent les traits distinc-tifs d’une abondante production mêlant nouvelles, poèmes et romans tels que Pollen et Le ciel bleu sans fin, qui datent respec-tivement de 1939 et 1940.

Jusqu’à l’âge de trente-cinq ans, où il succombera à une méningite, Yi Hyo-sok mènera de front ce travail d’écrivain avec

celui d’instituteur qu’il exercera en milieu rural. Une analyse de son œuvre met en lumière deux périodes successives.

Dès 1925, l’étudiant d’alors fait ses débuts littéraires en publiant la nouvelle Fantômes et cité, puis, quatre ans plus tard, celles intitulées Une rencontre fortuite et La marche, toutes trois dépeignant la condition misérable qui est celle des couches populaires en milieu urbain. Dans la première, deux revenants apparaissent à un maçon qui, après s’être lancé à leur poursuite, découvre qu’il s’agit de ceux d’un garçonnet et de sa mère, une pauvre mendiante amputée d’une jambe à la suite d’un accident de voiture, tandis que la deuxième conte les infortunes de la fille d’un modeste hôtelier par la voix d’un militant politique de gau-che et que la troisième décrit la vie quotitienne de travailleurs urbains vivant dans un foyer, ces trois œuvres ne se limitant pas à un simple constat de la misère, mais constituant une farouche dénonciation fondée sur une prise de conscience qui leur confère un caractère exceptionnel.

À l’époque de ces créations, les auteurs de tendance socia-liste étaient généralement qualifiés d’« associés », tandis que nombre d’autres s’efforçaient par leurs écrits de déclencher une prise de conscience politique qui favoriserait l’avènement de la révolution socialiste, au sein de sociétés littéraires telles que la RAPP russe, la NAPF japonaise ou la Fédération coréenne des artistes prolétaires (KAPF), qui exerça ses activités de 1925 à 1935. Lorsqu’ils n’appartenaient pas à de tels groupements, les écrivains qui se reconnaissaient néanmoins dans leurs idéaux étaient considérés leur être « associés ». Quand Yi Hyo-sok fit son entrée en littérature, la KAPF jouissait d’une plus grande audien-ce que les mouvements nationalistes car, sur le plan idéologique, elle correspondait bien à l’état d’esprit ambiant. Aux côtés de Yu Chin-o, il représenta alors un auteur important à l’abondante pro-duction qui témoigne résolument de son attirance pour le socia-lisme. Ces penchants se manifestent notamment dans le recueil de nouvelles Les eaux de Russie qu’il fait éditer en 1931 et dont la première, éponyme, est suivie de celles intitulées Le débarque-ment et Les lettres du pays du nord. La première d’entre elles porte sur le voyage en Russie qu’entreprend, en wagon de troisiè-me classe, un jeune homme muni d’une carte du monde et d’un manuel de conversation, et par ce biais, évoque l’attrait qu’exerce

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ce pays idéalisé de la révolution et du paradis des travailleurs. C’est l’arrivée du héros, en compagnie de son ami Kim, dans un lointain petit port de cette Union Soviétique dont il rêvait depuis si longtemps, que nous conte la nouvelle suivante, tandis que la der-nière se compose des relations épistolaires qu’entretient à son retour le jeune homme avec son ami pour narrer la découverte de cette ville et son adaptation au pays des révolutions en tombant amoureux d’une jeune fille.

Au cours de ces trois récits, revient à plusieurs reprises le thème de la fascination toute romantique qu’exerce la Russie révolutionnaire sur ce jeune esprit, dans la mesure où ce sen-timent exacerbé ne repose nullement sur la réalité et le vécu, c’est-à-dire qu’il relève de la plus totale abstraction, comme en attestent l’évocation précise de scènes sans rapport avec la réa-lité et l’emploi de nombreux mots russes.

La seconde période littéraire de Yi Hyo-sok est celle du « retour à la nature » qui marque l’entrée de l’écrivain dans son univers propre, comme en témoigne l’œuvre de transition Le porc parue en 1933. Ici, un jeune homme pauvre répondant au nom de Shik mène à la saillie, chez un éleveur, le cochon qui, pour sa modeste famille, représente l’unique moyen d’augmenter ses revenus, mais sur le chemin du retour, l’esprit distrait par le souvenir de sa bonne amie Pun, il ne voit pas arriver le train, qui fauche l’animal si précieux pour les siens. Comme l’ont souligné maintes critiques, le récit surprend par la perception quelque peu indifférenciée qui s’y exprime de l’accouplement porcin et humain, notamment lorsque la vue de l’animal qui se débat rap-pelle au souvenir de Shik sa bien-aimée, leurs deux images se mêlant dans son esprit en proie à la confusion.

Cette analogie entre ébats animaux et humains devient simi-litude absolue dans la production ultérieure, à travers des nou-velles telles que Punyo et Champ (1936), dont Quand les sarrasins sont en fleurs représentera le prolongement thématique. En véhiculantl’idée que ces rapports charnels constituent l’essence même de la vie humaine parce qu’ils sont le phénomène le plus naturel qui soit, ces différentes œuvres représentent une catégo-rie tout à fait à part de celles, antérieures, qui traitaient de révolu-tions et boulersements sociaux.

Aux dires de la critique, cette évolution s’explique par le déclin

que conna t la KAPF dans la première moitié des années trente, ainsi que par l’influence exercée sur l’écrivain par D. H. Lawrence, l’auteur de Sons and Lovers (Amants et fils), mais il importe avant tout d’en retenir l’exceptionnel talent avec lequel Yi Hyo-sok conduit l’intrigue, sans jamais manifester le moindre intérêt pour l’acte sexuel en soi ou à des fins érotiques, mais en le concevant comme un moyen d’appréhender l’ordre naturel du monde. Ainsi, la conscience du pouvoir de la nature qu’éveille la vue charmante des fleurs de sarrasin au clair de lune suscite des rapports amou-reux au moulin à eau, dans la nouvelle Quand les sarrasins sont en fleurs qui prend pour thème l’accouplement animal.

Ce point de vue se double naturellement d’une vision critique de l’environnement urbain, comme en témoignent les œuvres Prose humaine et Anges et poèmes en prose (1936), où Yi Hyo- sok stigmatise les maux de la cité avec une hostilité qui l’entra - ne peu à peu vers la poésie, voire ce que l’on pourrait qualifier d’antiprose.

Si la prose constitue le langage du roman, l’auteur s’en démarque par la création d’un original univers lyrique qui lui valut d’être présenté par la critique comme « l’auteur de poèmes sous forme de romans » et alimenta bien des conversations. Il convient aussi de mentionner l’exceptionnel sens esthétique dont il fait preuve par ses choix lexicaux d’un charme particulier, et non par un recours à l’Histoire, qu’il ne considère pas porteuse d’une telle dimension. À ce propos, il affirmait : « La géographie est plus utile que l’histoire, dès lors qu’il s’agit d’analyser l’idée de beauté », déclarant également, dans la mesure où la Terre ne lui apportait pas ce sens de la beauté qu’il recherchait tant : « Il est absurde de s’obstiner à créer ce qui n’est pas, par les préjugés et la per-sévérance, tout comme de se livrer à la rétrospection. La création consiste à s’efforcer de découvrir une nouvelle beauté », de tels propos semblant inspirés par un sentiment fait de raffinement et de modernisme qui explique son emploi de fleurs et noms occi-dentaux.

C’est le langage poétique de Paeksok qui l’a incité à quitter son village natal et c’est dans Bliss (Félicité), de Katherine Mans-field, qu’il a découvert la beauté des fleurs de poirier. Quoi de plus naturel pour Yi Hyo-sok, cet écrivain ayant bénéficié d’une excep-tionnelle formation à la littérature occidentale !

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