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 COLLÈGE DE FRANCE PUBLICATIONS DE L'INSTITUT DE CIVILISATION INDIENNE Série in-8°  Fascicule 72 ÀRYAS, ARYENS ET IRANIENS EN ASIE CENTRALE  R Gérard FUSSM N Jean K LL NS Henri-Paul FR NCFORT Xavier TREMBL Y P R S 2005 Déposita ire exclusif : ÉDITION-DIFFUSION DE BOCC ARD 11, rue de Médicis - 75006 Paris

Indo-Aryenes en Asie Centrale

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  • COLLGE DE FRANCEPUBLICATIONS DE L'INSTITUT DE CIVILISATION INDIENNESrie in-8

    Fascicule 72

    RYAS, ARYENS ET IRANIENSEN ASIE CENTRALE

    PAR

    Grard FUSSMAN, Jean KELLENS,Henri-Paul FRANCFORT, Xavier TREMBLAY

    PARIS2005

    Dpositaire exclusif : DITION-DIFFUSION DE BOCCARD11, rue de Mdicis - 75006 Paris

  • PF.

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    RYAS, ARYENS ET IRANIENS

    SPECHT Franz 1944, " Zur Bedeutung des Ariernamens ", Zeitschrift fr Verglei-chende Sprachforschung 68, 42-52.

    SPIEGEL Friedrich 1858, " Arya, airya ; Aryaman, Airyam ", Beitrge zur Ver-gleichende Sprachforschung 1, 129-134.

    SZEMERNYI Oswald 1977, " Indo-European Kinship. ", Varia 1977, Acta Ira-nica 16, 1-240.

    TEDESCO Paul 1923, " Iranica ", Zeitschrift fur Indologie und Iranistik 2, 34-54.THIEME Paul 1938, Der Fremdling im Rgveda, Leipzig.Tmet,sE Paul 1994, " On M. Mayrhofer's Etymologisches Wrterbuch des Altin-

    doarischen ", Bulletin of the School for Oriental and African Studies 57,321-328.

    ZIMMER Heinrich 1879, " Arisch ", Bezzenberger Beitrge 3, 137-151.

    LA CIVILISATION DE L'OXUSET LES INDO-IRANIENS ET INDO-ARYENS

    EN ASIE CENTRALE I

    Henri-Paul FRANCFORT (CNRS, Nanterre)

    L'expression Civilisation de l'Oxus dsigne une culture archolo-gique de l'ge du bronze de l'Asie centrale connue depuis une trentained'annes qui s 'tend principalement sur les territoires du Turkmnistan,de l'Afghanistan, de l'Ouzbkistan et du Tadjikistan, mais dont deslments ont t identifis galement en Iran et au Pakistan (ill. 1).L'expression Civilisation de l'Oxus est prfrable au sigle BMAC (Bactro-Margian Archaeological Complex), car l'on n'a pas seulementaffaire un simple assemblage matriel archologique, mais uneauthentique unit culturelle, qui s 'est tendue sur un vaste territoire, de laCaspienne au Pamir, sur un laps de temps considrable, environ huitcents ans, de 2300 1500 av. J.-C., (plus ou moins 200 ans) 2. Durant cettepriode, les territoires des valles, des pimonts et des deltas endoriquesde la partie mridionale du bassin de l'Oxus (Amou Darya) ont tpeupls par des groupes d'agriculteurs et leveurs qui pratiquaient l'irri-gation artificielle et exploitaient les ressources animales, vgtales et

    1. Je remercie Messieurs G. Fussman et J. Kellens, organisateurs du sminaire duCollge de France, de permettre que s'exprime une conception archologique de cettequestion.

    2. Au sens strict du terme civilisation , l'Oxus possde tous les caractre requis (art,artisanat et architecture dvelopps, agglomrations importantes, architecture monumen-tale et grands travaux publics, signes de hirarchie sociale et d'organisation administrative)sauf un : l'criture. En effet, ce jour, aucun document crit n'a t dcouvert, l'exceptiond'importations d'Iran ou de Msopotamie. Le vocable de chefferie complexe satisferaitsans doute mieux certains historiens des socits, mais les rfrents ethnologiques, africainsou hawaens, sont si loigns de la ralit de l'Oxus qu'il nous semble artificiel de les grouperdans la mme bote conceptuelle. Par ailleurs, il n'est pas absurde de dire que la civilisa-tion de l'Oxus est un proto-tat ou une socit de classes primitive . Tous cestermes dsignent des ralits assez similaires et d'un niveau lev de gnralisation qu'iln'est pas toujours ais de diffrencier en archologie faute de critres matriels de recon-naissance adquats. Il nous parat plus profitable d'opter pour un vocabulaire simple et detenter d'approfondir la description des caractristiques de cette civilisation dans toutesses nuances rgionales et chronologiques.

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    ,QRYAS, ARYENS ET IRANIENS

    minrales d'un environnement riche et vari 5. Cette civilisation se dis-tingue parfaitement de ses voisines de l'Iran oriental et de l'Indus, auxpoteries peintes polychromes, par la production d'une cramique bienreconnaissable, aux formes spcifiques, et qui surtout possde la particu-larit d'tre monochrome, de couleur variant de blanc ocre, et nonpeinte. L'architecture de la Civilisation de l'Oxus s'organise dans lesoasis en tablissements dont les plus vastes n 'excdent gure quelquesdizaines d'hectares (Gonur Dp, Dzharkutan) et qui sont apparemmentcontrls par des monuments imposants, temples ou palais (Dashly,Dzharkutan, Sapallitpa, Togolok, Gonur, Adzhi-Kui, Kelleli). La pro-duction d 'objets dits de prestige, c 'est--dire tout simplement d 'objetsd'art ou d'artisanat d'art, est remarquable, tant dans le domaine de lamtallurgie (orfvrerie, toreutique, bronze) que dans celui de la taille despierres fines et ornementales (lapis-lazuli, turquoise, statite, cornaline,albtre). Des vases, des bijoux, des armes et des sceaux de formes variessont venus au jour au cours des dernires dcennies, moins souvent hlasissus des fouilles officielles que de pillages. Les trouvailles d 'objets ont teffectues dans les zones d'habitat, mais aussi dans de vastes ncropolesdont les mieux tudies apportent en abondance de prcieuses informa-tions sur les coutumes funraires et des vestiges osseux pour les tudesanthropologiques. L'origine de la Civilisation de l'Oxus n'est pas connueavec prcision. Elle est l'objet d'un dbat dans lequel nous n'entreronspas ici car il concerne une priode complexe, (le chalcolithique : fin du4e et premire moiti du 3e millnaire av. J.-C.) trs ingalementconnue, dans une rgion qui va de l'Iran au Balfiistn et du GolfePersique aux steppes transouraliennes, et il n'est pas pertinent pour laquestion qui nous occupe, celle des Indo-Aryens. Cependant, c'est bienau cours de cette phase formative de la Civilisation de l 'Oxus que sesont mis en place les lments de relations longue distance qui marque-ront la priode mre : relations avec le plateau iranien, avec la zoneIndus-Balncistn et avec le monde des steppes. La question del'arrive des Indo-Aryens dans le sous-continent ne peut s 'aborder, enarchologie, que par l'examen approfondi de la dynamique historiquedes relations de la Civilisation de l'Oxus avec ces diffrentes rgionsentre 2300 et 1300 av. J.-C. Mais quelle peut tre la pertinence d'uneinformation archologique pour une question linguistique ou ethno-linguistique ?

    L'archologie, sans pigraphie, est muette sur les questions linguisti-ques et ne pourra jamais rsoudre seule un problme ethno-linguistiquede manire rigoureuse. Les textes trs anciens dont nous disposons ne seproccupent gure des questions matrielles qui sont en revanche la

    3. Pour l'conomie de la Civilisation de l'Oxus et un panorama gnral de son histoire,VOIX' FRANCFORT, BOISSET, BUCHET, DESSE, ECHALLIER, KERMORVANT ET WILLCOX 1989,p. 339-456 ; HIEBERT 1994.

    LA CIVILISATION DE L 'OXUS

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    matire des reconstructions archologiques. Le seul lien, hors l'pigra-phie ( condition que les crits soient dchiffrables), entre les donnesarchologiques et les textes doit se trouver dans des caractrisationslittraires cohrentes, homognes et sans ambigut de la matrialitd'une culture ou d'une civilisation, l'exclusion de toute autre. Ce n'esten pratique jamais le cas 4. Une autre approche, mais qui ne s'est pasrvle meilleure, est la recherche d'isomorphismes entre des structuresde pense langagires et des structures d'organisations matrielles outechniques (sociales) 5. Dans tous les cas l'imprcision rgne, non pasdans les disciplines concernes qui font preuve de rigueur, mais dans lesdonnes antiques toujours sujettes, de nos jours comme certainementautrefois, de multiples interprtations. Il ne reste donc que la probabi-lit et la vraisemblance des hypothses que nous pouvons proposer, maisaussi et surtout l'invalidation et le rejet des hypothses les moins fondes.C'est dans ce dernier registre que nous avons progress depuis unedouzaine d'annes, depuis le premier sminaire organis sur cette mmequestion 6.

    Dans ces problmatiques, les faits archologiques sont confronts auxdonnes linguistiques mais aussi aux informations anthropologiques. Or,s'il est relativement ais de relier entre elles les donnes archologiques etanthropologiques, du moins une certaine chelle, celle du site, de lamicro-rgion, dans la mesure o les corps sont dcouverts dans unenvironnement matriel physique, un contexte archologique, il ne l ' estpas du tout d'tablir un rapport entre les donnes linguistiques et lesprcdentes car ni les objets, ni les os ne parlent. Nous devrions raisonnercomme si les groupes que l'on cherche identifier taient ethno-linguistiques et culturels, c'est--dire comme si les locuteurs d'un groupelinguistique, supposer qu'il ft homogne, devaient produire un ensem-ble matriel cohrent et identifiable, comme s'ils devaient possder unesingularit archologique. C'est l un postulat majeur dont on saitparfaitement qu'il est faux. Il suffit en effet de se tourner vers l'archo-logie du Mitanni ou du domaine mycnien pour le comprendre 7. Dslors, il nous importe de ne pas rester enferms dans la recherche impos-sible de caractristiques gnrales de trs vastes groupes dits indo-iraniens ou indo-aryens, dont il a t montr qu 'ils ne peuvent en aucune

    4. C'est ainsi que tentent de procder la plupart des tentatives que nous examineronsplus bas

    5. Le cas de la tripartition fonctionnelle indo-europenne est exemplaire cet garddans la mesure o la vision d'une ralit sociale en a t abandonne par Dumzil lui-mmeen faveur d'une conception plus idalise ou mythique voir : DusmssoN 1993.

    6. FUSSMAN 1989.7. Ce sont des domaines mieux connus que l'Asie centrale, o rien ne permettrait un

    historien ou un archologue qui serait dmuni de textes de dterminer l'apparitiond'Aryens ou de Grecs l'aide du seul matriel provenant des fouilles. TREUIL, DARCQUE,POURSAT ET TOUCHAIS 1989, pp. 277-278.

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    RYAS, ARYENS ET IRANIENS

    manire se retrouver dans la diversit des cultures archologiques del'Asie centrale et de l'Inde du nord-ouest aux poques o on lescherche : neuf cultures archologiques pour l 'un ou l 'autre de cesgroupes ethno-linguistiques supposs $. Mais si l'on admet que les textesavestiques ou vdiques ne reprsentent pas la totalit de la ralit linguis-tique de l'poque et encore moins de la ralit culturelle, il devientpossible de ne plus se fixer sur une unique culture archologique anctrede tous les dveloppements Ultrieurs vus comme arborescents, ce. qui aconduit aux impasses que l'on sait dans le cas des Indo-Iraniens et desIndo-Aryens. La ralit archologique, trs complexe malgr l'incompl-tude des donnes, peut dsormais tre traite en regard de ralitslinguistiques et ethniques dsormais considres comme tout aussi com-plexes 9. Un paradoxe invitable surgit alors, celui d'une plus grandeexactitude dans la prise en compte des donnes archologiques, pourrendre compte de concepts interprtatifs rendus plus flous du fait dela diversit que recouvrent dsormais les expressions Indo-Iranien ou Indo-Aryen . En tout cas, nous n'en sommes plus au stade de larecherche o les archologues tentaient tout prix de donner un peu dechair leurs objets en faisant appel aux textes d'une manire peurigoureuse, ni l'poque o les linguistes ou les philologues ne faisaientappel l'archologie que pour illustrer des macro-thories abstraites. Lesuns comme les autres ne faisaient alors que slectionner un petit nombrede traits descriptifs dans le corpus du voisin, vitant soigneusement ceuxqui pouvaient dranger ou ruiner leurs laborations, alors que seule ladmarche inverse, falsificationniste , est recevable.

    Cependant, lorsque l'on tente de poser ce genre de question, il restedans tous les cas indispensable, dans un premier temps, de faire corres-pondre entre elles des listes de traits pertinents (relier des lmentsd 'ensembles disjoints), et donc de chercher :. soit des marqueurs matriels directs d 'un suppos groupe ethno-

    linguistique une poque et dans une aire considrs comme perti-nents : realia, gographie, pratiques, techniques funraires ou autres,etc. ;

    . soit des marqueurs indirects de l 'imaginaire de ces groupes ethno-linguistiques : des reprsentations figures de mythes, d 'popes, descnes rituelles etc. ;

    8. FRANCFORT, BOISSET, BUCHET, DESSE, ECHALLIER, KERMORVANT et WILLCOX 1989,pp. 446-456.

    9. En particulier la notion de substrat non indo-iranien/indo-aryen et la reconnaissanceexplicite de l'existence probable de dialectes dans toutes ces langues font que les textes quinous sont parvenus (Rg-Veda et Avesta ancien) ne sont plus les seules et uniques sources derfrences ethno-linguistiques possibles. Mais il ne faudrait pas pour autant en conclureque chaque culture ou variante archologique correspond ncessairement un groupeethno-linguistique bien dfini.

    LA CIVILISATION DE L 'OXUS

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    . soit des phnomnes historiques, des mcanismes de transformationculturelle, comme des migrations : il s'agit alors de transferts dematriel d'un point de l'espace un autre, condition qu'ils soientsupposs pertinents une poque donne, considre elle aussi commepertinente.

    Il faut prciser que dans tous les cas la dfinition des coordonnesspatio-temporelles est ncessairement donne par la linguistique, jamaispar l'archologie, qui en est bien incapable, toujours pour la mmeraison, celle de l'absence de documents crits interprtables.

    Pour la question pose ici, celle du rapport de la Civilisation de l 'Oxusavec les Indo-Iraniens et Indo-Aryens, nous ne nous occuperons que trspeu de la question de la rgion d'arrive suppose de ces peuples, lesous-continent (sauf pour ne pas retenir la candidature de l 'Indus harap-pen comme foyer d'origine), et assez peu de la rgion hypothtique dedpart, sauf pour ce qui concerne la question de l'origine steppique ouanatolienne des Indo-Iraniens et Indo-Aryens. Sur la question des rap-ports entre langue, ethnie et culture archologique, une position mtho-dologique en retrait m'a paru pendant longtemps la seule raisonnable.On ne pouvait en effet que s'interroger sur la faiblesse des argumentsavancs par les archologues qui s'occupaient de ces questions et restercritique face la grande incohrence des rsultats exposs qui faisait qu'un seul concept ethno-linguistique (Indo-Iranien ou Indo-Aryen) corres-pondait toujours une pluralit de cultures archologiques parmi lesquel-les chacun choisissait sa convenance, selon ses prsupposs. Il mesemble qu'il est temps de sortir de cette rserve, afin de ne pas laisser lechamp libre aux hypothses les moins fondes scientifiquement et dans lamesure o nos collgues des sciences religieuses et linguistiques ne nousprsentent plus des ensembles ethno-linguistiques monolithiques maisdes groupes beaucoup plus diversifis. Il convient maintenant de proc-der de srieuses rfutations et de s'employer restreindre le champ despossibilits admissibles d'un point de vue archologique. Cependant, ilest clair que nous ne proposerons pas plus que des hypothses, au mieuxmeilleures ou mieux formules qu'il y a vingt ans. Leur validation nepourra jamais s'obtenir sans textes.

    Nous procderons de la manire suivante :. Examen des principales hypothses mettant en rapport la Civilisation

    de l'Oxus avec les Indo-Iraniens et Indo-Aryens ;. Arguments expliquant pourquoi la civilisation de l'Oxus n'est pas

    indo-iranienne ou indo-aryenne au cours de sa phase urbaine, avantenviron 1700 av. I -C. ;

    . Propositions pour un scnario hypothtique concernant la phase post-urbaine de la civilisation de l'Oxus et prenant en compte des Indo-

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    RYAS, ARYENS ET IRANIENS

    Iraniens.et Indo-Aryens entre 1700 et 1500 puis de possibles Iraniensde 1500 1000 environ av. J.-C.

    .Cette chronologie est maintenant admise, non pas encore par tous,mais par la majorit des chercheurs et confirme constamment partoutes les nouvelles dcouvertes et datations, contrairement vingt ansen arrire, quand s'opposaient une chronologie basse, avant tout sovi-tique et fonde sur des enchanements d 'analogies liant l 'Asie Centrale l'Europe par le nord et une chronologie haute avant tout occidentale reposant sur le radiocarbone et des enchanements liant l'Asie Centraleau Proche-Orient et l'Egypte par le sud 10

    A. Ds sa phase formative, avant 2500-2400, se mettent en place destraits culturels qui lui sont propres.

    Longtemps, embotant le pas aux hypothses sovitiques, l'on a consi-dr qu'elle tait originaire des pimonts du Kopet-Dagh et rsultaitd'une migration qui avait permis de peupler les vastes deltas de laMargiane et de la Bactriane, ainsi que les valles de l 'Ouzbkistan et duTadjikistan la fin de la priode de NMG V 11. Cette thorie de l'originegarde encore des partisans en ex-URSS et mme aux Etats-Unis 12, bienqu'elle ait fait l 'objet de critiques srieuses 13. Il importe aujourd'hui deprendre en considration que l'Asie centrale n'tait pas un dsert avant2500, mme si l'tat de la recherche fait que nous connaissons encore peude sites. Nous pouvons ainsi sans difficult dfinir la phase formative de la Civilisation de l'Oxus, entre environ 3000 et 2500, pour laquellenous disposons, outre les sites du Kopet-Dagh (Namazga Dp, AltynDp, Ulug Dp, Khapuz Dp) 14 et le delta du Tedzhen 15, de sites

    10. Pour les datations voir : AVANESSOVA 1995 ; CHERNYKH, AVUILOVA et ORLOVSKAJA2000 ; FRANCFORT, 1984a et 1984b ; FRANCFORT et KUZ 'MINA 2000 ; GOSDORF 2003 ;GOsDORF et HUFF 2001 ; GSDORF, PARZINGER, NAGLER et LEONT 'EV 1998 ; GUBAEV,KOSHELENKO et Tom 1998 ; HIEBERT 1993 ; KANIUTH et TEUFER 2001 ; KnzcHo et Popov1999 ; KUZ'MINA 1998 ; SALVATORI 1995a et 1995b.

    11. Biscrora 1977 donne un expos clair de cette ancienne thorie.12. HIEBERT 1994 et 1998 ; HIEBERT et LAMBERG-KARLOVSKY 1992.13. FRANCFORT, 1984a et 1984b ; FRANCFORT, BOISSET, BUCHET, DESSE, ECHALLIER,

    KERMORVANT et WILLCOX 1989, pp. 339 sq. et particulirement 380-381. L'erreur reposaitsur la confusion entre Namazga VI et l'ensemble de la Civilisation de l'Oxus. Namazga VIest l'une des formes de la phase finale de la Civilisation de l'Oxus et non son origine.Namazsa V est simplement contemporain de la Civilisation de l'Oxus.

    14. Epoque de NMG III et IV de la squence du pimont du Kopet Dagh. Pour une vuegnrale bien documente : KoHL 1984.

    15. tablissements de la priode de Geoksjur essentiellement contemporaine deNMG III : KHLOPIN 1963 ; MASSON 1962 ; SARIANIDI 1961.

    LA CIVILISATION DE L 'OXUS

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    comme Sarazm (Tadjikistan) 16, Mundigak 17, Taliqan (Afghanistan) 18et mme Shahr-i Sokhta dans le Sistan iranien 19. Ce sont des tablisse-ments installs en partie dans des deltas mais aussi sur les pimonts, etqui connaissaient l'agriculture irrigue. A cette poque, la culture peuttre trs schmatiquement caractrise comme suit :

    . la cramique, polychrome, modele la main, tait peinte de motifscaractristiques en croix et losanges degrs, proches de ceux duBalnistn 2 ;

    . le travail de la pierre (albtre, statite) et la mtallurgie (les premierscachets cloisonns en alliage cuivreux par exemple, cration dudomaine centrasiatique) sont les anctres directs de ceux de la priodemre de l'Oxus 21 ;

    . mais on rencontre aussi des traits issus du domaine des steppes, commeun grand enclos funraire de Sarazm issu du domaine steppique orien-tal d'Afanasevo 22 (ill. 2) ou la cramique de Kel'teminar 23 sur cemme site ;

    . certains des lments caractristiques sont purement rgionaux etpropres la Civilisation de l'Oxus comme des pierres anses et despierres rainures, anctres des haltres et des colonnettes de lapriode mre 24 ;

    . surtout, des indices trs importants lient ds cette poque la Civilisa-tion de l'Oxus au domaine de l 'Iran proto-lamite : une tablette inscritede Shahr-i Sokhta 25, des sceaux cylindres de Bactriane 26 et deSarazm 27, l'architecture monumentale de Mundigak et de Sarazm, desreprsentations figures (motifs des sceaux) 28 ;

    . les tombes sont soit collectives, soit individuelles, en ncropole ou lapriphrie des sites 29 (ill. 3).22. Voir notamment : BESENVAL 1987 ; BESENVAL et IsAKov 1989 ; ISAKOV 1985 et 1991 ;

    ISAKOV, BESENVAL, RAZZOIOV et BOBOMULLAEV 2003a ; ISAKOV, BESENVAL, RAZZOKOV etKURBANOV 2003b ; LYONNET 1996.

    23. CASAL 1961.24. LYONNET 1977, 1981, 1988 et 1997.25. SALVATORI et VIRALE 1997 ; Tosi 1983a.26. ISAKOV, RAZZOKOV et BOBOMULLOEV 2000 ; JARRIGE 1988b ; SARIANmI 1983.27. KoHL 1979.28. AvANEsovA 2001.29. LYONNET 1996.30. ISAKOV, BESENVAL, RAZZOKOV et BOBOMULLAEV 2003a ; WINKELMANN 1997b.31. AMtET et TOSI 1978.32. AMIET 1977.33. IsAxov 1996.34. WINKELMANN 2000.35. Les tombes collectives sont en tholoi (circulaires) au Turkmnistan (Geoksjur,

    Altyn), rectangulaires Mundigak ; Shahr-i Sukhta les ncropoles comprennent destombes collectives et individuelles.

    1.

    LA CIVILISATION DE L 'OXUS S 'EST TENDUE SUR TOUTE L 'ASIECENTRALE ENTRE C. 2500 ET 1500 av. J.-C. (dates larges et symboliques)

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    C'est sur cette base complexe, dans laquelle interviennent aussi bien lephnomne de l'expansion urukenne et proto-lamite 30 que celle del'Indus pr-harappen 31, ainsi que l'interface avec le monde des steppesdu moyen Oxus au Zeravshan Kel'teminar et Afanasevo, et non par unapport soudain que les deltas de la Bactriane et de la Margiane ont tpeupls au cours de la phase mre de la Civilisation de l'Oxus 32.

    B. Aprs 2500/2400 se dveloppe la phase mre de la Civilisation del'Oxus.

    Sur un trs vaste territoire, s'panouit alors une civilisation brillantequi prsente une grande homognit dans le domaine des cramiquestournes blanches roses, de l'architecture, des reprsentations artisti-ques, des pratiques funraires etc. Cette phase mre est en grande partiecontemporaine de la maturit de la civilisation de l'Indus harappen(2500-1800) et des phases Namazga V et VI des sites du pimont duTurkmnistan (2200-1500). Sa plus grande floraison, marque par undveloppement considrable des arts et des relations longue distance, sesitue entre 2200 et 1750 av. J.-C. environ. Cette contemporanit descivilisations est atteste par les datations au radiocarbone, par de nom-breux documents : objets de l'Indus en Asie Centrale 33 et objets centra-siatiques dans l'Indus, Harappa et Mohenjo-Daro 34. De plus, lesfouilles de Shortugha (Afghanistan du nord-est), un tablissementharappen de Bactriane orientale (Afghanistan du nord-ouest), ontpermis de montrer l'existence d'une squence chronologique allant del'harappen mr une phase bactrienne au cours de laquelle une formede la Civilisation de l'Oxus prend le dessus 35.

    Les sites importants d'Asie Centrale sont ceux des oasis ou des grou-pes d'oasis suivants : Sapallitpa 36 et Dzharkutan 37 (ill. 4) en Ouzbkis-

    30. Il s 'agit d'un phnomne complexe qui a donn lieu une abondante littrature :ALGAZE 1993 ; BUTTERLIN 2003. Pour ce qui concerne la partie orientale de cette expan-sion, voir les chapitres pertinents d'AMIET 1986b ; POTTS, 1999. Des cuelles urukennesont t mises au jour par R. Besenval au Makran : BESENVAL 1997a et 1997b. Un autre typede poterie, trouve Anau Nord, a permis F. Hiebert d'tablir un lien avec l'expansionproto-lamite vers l'Asie centrale (HIEBERT 2003).

    31. LYONNET 1981, 1988 et 1997.32. L'exploration sur le terrain des deltas endoriques d'Asie centrale est encore loin

    d'tre acheve. Tout porte croire que celui du Tedjen (Geoksjur) ne fut pas le seul avoirt occup.

    33. Notamment des perles en cornaline du type etched carnelian beads.34. Notamment des sceaux : DURING-CASPERS 1994b et 1994c.35. FRANCFORT, BOISSET, BUCHET, DESSE, ECHALLIER, KERMORVANT et WILLCOX 1989.36. Pour tous les.sites qui suivent, je n'indique, outre les synthses sur l'Asie Centrale

    mentionnes plus haut, que les publications principales. La bibliographie est abondante :AstcARov 1973 et 1977.

    37. ASKAROV et ABDULLAEV 1983 ; ASKAROV et SHmINOV 1993.

    tan ; Dashly Tp 38 en Afghanistan ; Kelleli 39, Gonur Dp (ill. 5) etTogolok Dp 40 au Turkmnistan. Les quelque trois cents sites connus ce jour reprsentent une population considrable groupe en oasis surdes terroirs irrigus. On doit y ajouter les sites du pimont du KopetDagh donc les plus grands sont Namazga, Ulug, Khapuz et Altyn Dp(poque NMG V-VI), ainsi que des tablissements de la priphrie dudomaine qui montrent des lments qui ressortissent de cette civilisa-tion : en Iran dans le Lut (Sahdad) 41 et dans le Gurgan (Tp Hissar) 42 ;au Sistan afghan (Godar-i Shah, terrasse haute de Nad-i Ali) 43 ; auBalcistan pakistanais (Mehrgarh VIII, Quetta, Sibri) 44.

    La Civilisation de l'Oxus tait riche en minraux recherchs dans lesmontagnes de sa partie bactrienne et sogdienne : or, tain, turquoise,lapis-lazuli pour ne mentionner que les plus prcieux. Le cuivre, l'argent,le plomb taient courants. Elle tait en relations non seulement avec ledomaine de l'Indus, l'Iran oriental et les stepps, mais encore avec l'Iranoccidental (trouvailles Suse) 45, avec le Golfe Persique 46 et avec lemonde syro-anatolien (nous y reviendrons). Il est certain que les min-raux mentionns, bruts ou travaills, ont t l'objet de commerce etd'autres formes d'change avec toutes les priphries et avec les mondeslointains. Pour ne prendre qu'un seul et facile exemple, celui du lapis-lazuli (les seuls gisements connus dont l'exploitation soit certaine pourcette poque sont situs dans les montagnes du Badakhshan afghan), ona pu parler d'une route du lapis-lazuli la manire de la route de lasoie , reliant la Bactriane au Proche-Orient par l'Iran 47. Shortugha, ol'on travaillait cette pierre, l'exportait sans aucun doute vers l'Ouest, carles Harappens n'taient nullement amateurs ni utilisateurs de ce min-ral 48 . Dans l'autre sens, ce sont des importations provenant de toutes lespriphries, mais aussi des domaines lointains mentionns, qui viennentau jour dans les fouilles des sites de la Civilisation de l'Oxus. Mais cettebrillante poque de la phase urbaine n'eut qu'un temps.

    38. SARIANIDI 1977.39. MAsxMov 1980.40. SARIANIDI, 1998a, 2001 et 2002b.41. HAKEMI 1997.42. DYSON et HOWARD 1989 ; SCIE MIIDT 1937.43. BESENVAL et FRANCFORT 1994.44. JARRIGE 1988a ; SANTONI 1984 et 1988.45. Voir les nombreuses rattributions effectues par P. Amiet parmi le matriel prove-

    nant de Suse ou du Louristan.46. DURING-CASPERS 1992 et 1994a ; PoTTS 1993.47. Voir par exemple BULGARELLI 1979 ; DESHAYES 1977 ; HERRMANN 1968 ; MAJIDZA-

    DEH 1982 ; MuHLY 1973 ; PIPERNO et Tom 1973 ; PORADA 1982 et 1992 ; SARIANIDI 1971 ;TALLON 1995 ; Tom 1974 ; VIDALE, BIANCHETTI et CATTANI 1998.

    48. FRANCFORT, BOISSET, BUCHET, DESSE, ECHALLIER, KERMORVANT et WILLCOX 1989,pp. 251, 257, 270-71, 362, 374, 393-95, 444-45.

  • 262

    RYAS, ARYENS ET IRANIENS

    C. Aux alentours de 1700 et jusque vers 1500 se met en place la priodeque nous appelons la phase tardive ou post-urbaine de la Civilisa-tion de l'Oxus 49, qui marque une sorte de dclin conomique si onl'envisage sous l'angle de la construction architecturale, de la productionartisanale et artistique et sous celui des changes longue distance quiconnaissent alors un effondrement. En revanche, il s'y produit des ph-nomnes importants comme la prise de possession de nouveaux territoi-res dans les collines de loess du Tadjikistan 50, une prsence plus grandedu matriel de type steppique, des changements dans les techniquesde production cramique, des volutions dans les pratiques fun-raires. Nous reviendrons plus bas sur ces changements en dcrivantplus prcisment les sites et le matriel concerns, de la Caspienne auPamir.

    II. - LES HYPOTHSES LES PLUS RCENTES

    Celles qui mettent en relation la civilisation de l 'Oxus avec les Indo-Iraniens ou les Indo-Aryens sont de deux sortes : les unes considrent laCivilisation de l'Oxus comme une manation des Indo-Iraniens/Indo-Aryens (Sarianidi, Hiebert) ; les autres enseignent que de nouveauxarrivants, venus des steppes, ont succd la Civilisation de l 'Oxus(Kuz'mina) ou en ont pris possession (Parpola, Mallory). Cette grandeincertitude, qui peut paratre surprenante, est due au fait qu 'aucune traced'invasion ne se remarque sur le terrain, qu'aucune transformationculturelle ne s'y marque par la prsence de matriel archologique dontl 'origine pourrait tre assigne aux rgions priphriques. Des expres-sions comme elite dominance ou infiltration, malgr leur grand pouvoirvocateur, ne sont que des artifices rhtoriques. Elles ne russisent pas masquer notre incapacit actuelle rendre compte d'un phnomnehistorique suppos.

    Ledit phnomne historique peut tre ainsi schmatis : apparitionpossible (arrive ou mergence) des Indo-Iraniens indivis en Asiecentrale, puis passage probable des Indo-Aryens et enfin appari-tion certaine des Iraniens. Les premiers sont rechercher dans lessteppes, peut-tre aussi dans les oasis du sud, ou ailleurs ; les secondsdevraient se reprer dans les steppes et/ou dans les oasis et se retrouveraussi en Inde, alors que les derniers se trouvent seulement en AsieCentrale et en Iran.

    Dans aucune des deux rgions, steppe et oasis, l 'on ne trouve dematriel archologique qui puisse tre sans discussion attribu desIndo-Iraniens, ni des Indo-Aryens, ni des Iraniens. Cela n'est-il pas

    49. Sur la transformation d'urbain post-urbain, voir ibid., pp. 384-388 et infra.50. FRANCFORT 1985 ; Tus' 1983b.

    LA CIVILISATION DE L ' OXUS

    263

    normal dans la mesure o, comme rappel plus haut, sans documentspigraphiques il et t impossible de dtecter, par le seul matrielarchologique, des Indo-Aryens en Anatolie mitannienne ou des Grecsen Hellade mycnienne 51 ?

    Dans les deux catgories d 'hypothses mentionnes ci-dessus, le lienentre la Civilisation de l'Oxus et les Indo-Aryens est fait soit par laconfrontation de listes de traits descriptifs archologiques et textuels, soitpar la mise en correspondance d'un changement dans le matriel archo-logique et d'un mouvement ethno-linguistique 52. Se fondant sur lacorrespondance des lieux et des dates, savoir l'Asie Centrale et l'Inde dunord-ouest vers 1800-1600 av. J.-C., F. Hiebert met en rapport la Civili-sation de l 'Oxus et le matriel analogue du Balnistn et du Makran(donc au sud de l'Hindou-Kouch) pour identifier cette prsence mat-rielle celle des Indo-Aryens 53. Malheureusement, cette hypothse n'estpas tenable car ce matriel, qui va de quelques tombes au Makran ou Quetta (et trs diffrentes) des sites comme Mehrgarh VIII ou Sibri, estdisparate. Ensuite, ces rapports sont pour une bonne partie antrieurs 1800-1600 et ils peuvent tre de type diplomatico-commercial ou mar-quer des transferts de biens de prestige, sans indiquer la moindre migra-tion 54. Ensuite, rien dans le matriel trouv ne correspond quoi que cesoit des caractristiques textuelles des Indo-Aryens. On cherchera parexemple en vain des traces de charrerie ou de cavalerie, alors que Pirak,site voisin mais qui ne doit rien la Civilisation de l'Oxus, en montre 55.Enfin, le Balfl istan peut tout aussi bien tre considr cette poquecomme une partie sud-orientale excentre de l'Asie Centrale et du pla-teau Iranien (rgion de Quetta) que comme une partie du monde de lavalle de l'Indus. La terrasse haute de Nad-i Ali est l pour nous rappelerune extension mridionale de la Civilisation de l 'Oxus que l'on aurait dela peine qualifier d'indo-aryenne 56. Ces trouvailles ne dmontrentdonc pas l'arrive des Indo-Aryens en Inde. L'argument du franchisse-

    51. Le fait de savoir grce aux textes que l'on a affaire des Aryens au Mitanni qualifieipso facto le matriel archologique dont la forme ne se distingue pourtant gure de laculture matrielle des Hourrites ou de celle des autres peuples qui ont occup la rgion. Lechar rayons attel de chevaux devient ainsi pour bien des auteurs une marque matriellede ces peuples bien que les Egyptiens en aient aussi fait usage. Voir plus bas.

    52. Pour une analyse archologique plus dtaille des hypothses traditionnelles faiteavant que la Civilisation de l 'Oxus ne soit devenue un point de focalisation d'importancepour de nombreux chercheurs, voir Francfort, Boisset, Buchet, Desse, Echallier, Kermor-vant et Willcox1989, pp. 446-456.

    53. HIEBERT 1994 et 1998 ; HIEBERT et LAMBERG-KARLOVSKY 1992. LAMBERG-K. ,ovsKI 2002 suggre de nouveau, mots couverts, cette hypothse. J. Mallory y lie sathorie du Kulturkugel. Nous verrons plus bas qu'il conviendrait de nuancer.

    54. JARRIGE 1990.55. JARRIGE et SANTONI 1979: figurines de cavaliers et travail d'os de cheval aprs ca.

    1700.56. Voir plus bas les terrasses hautes.

  • 264

    ARYAS, ARYENS ET IRANIENS

    LA CIVILISATION DE L 'OXUS

    265

    ment de l'Hindou Kouch ne peut pas tre retenu non plus, dans la mesureo, ds sa phase formative, la Civilisation de l'Oxus tait prsente la foisdans les rgions cis- et trans-Hindou Kouch et o, dans l'autre sens, lesite de Shortugha n'a jamais t considr comme autre chose qu'uncomptoir ou une colonie harappenne et non le rsultat d'un courantmigratoire de l'Inde vers l'Asie Centrale 57. D'ailleurs, les franchisse-ments de ces barrires montagneuses ont t constants, au moins depuisl'ge du bronze, entre l'Asie Centrale et le nord de l'Inde, comme lemontrent les ralisations de l 'art rupestre (les ptroglyphes) du HautIndus 58. Ces conclusions, encore souvent ignores, anantissent lesreconstructions historiques qui, s'appuyant sur les textes seuls, ne voientdes tribus centrasiatiques franchir les montagnes qu' deux reprises, lesIndo-Aryens entre c. 1800 et c.1400 et les Sakas au 2e sicle. L'argumentchronologique (vers 1800, vers 1400 ?) n'a pas plus de poids car il estdevenu circulaire : en effet, les spcifications chronologiques fournies parles textes sont imprcises, ce qui n 'est pas anormal, et il devient absurdedans ces conditions de relier ces spcifications une quelconque culturearchologique car il existe toujours une culture archologique en un lieuet une poque donns pour rpondre la demande de textes peu ports s 'intresser la matrialit des choses. Par consquent, si les textesobligeaient chercher les Indo-Aryens sans que la date compte (entre1400 et 1800, les deux dates n'tant nullement indiffrentes ou quiva-lentes du point de vue de l'archologie des cultures de l'Asie Centrale) nique le lieu importe (en Asie Centrale, sa priphrie ou dans l 'Inde dunord-ouest), et sans que la nature du matriel archologique ait lamoindre importance, nous pourrions retenir la Civilisation de l 'Oxus. Orce n'est pas le cas, et tous ces paramtres comptent : la date bassedisqualifie la Civilisation de l'Oxus alors que la date haute permet de laretenir, mais dans ce cas elle n'est pas plus ncessaire que d'autrescultures archologiques locales contemporaines pour les raisons expo-ses ci-dessus qui font intervenir la nature de son matriel et les autres

    57. Shortugha ne peut en aucune manire tre pris comme tmoignage d'une migrationde l'Indus vers l'Asie Centrale qui se serait arrte sur la Kokcha. En effet, si cela avait tle cas, il se trouverait beaucoup plus de manifestations d'une telle extension dans le matrielarchologique centrasiatique. En revanche, dans l'autre sens, les matriels de type centra-siatique du Balchistn et des cits de l'Indus (voir plus haut), comme la prsence du cheval Pirak et d'autres indices (voir plus bas), tendent montrer que l'alternance des polaritshistoriques fonctionne dans le sens Asie Centrale vers Indus au 2' millnaire aprs 1750,comme cela se produit parfois (Achmnides, Grecs, Saka, Kouchans, Moghols parexemple) alors que l'inverse semble patent d'autres moments (phase formative de l'Oxusjusqu'aux environs de 2500, expansion du bouddhisme, etc.). Tous ces phnomnes sontde nature trs diffrente les uns des autres et montrent la permabilit constante desbarrires montagneuses et des prtendues frontires naturelles (voir note suivante etplus bas).

    58. FRANCFORT 1991, 1992b, 1993b et 1994b ; FRANCFORT, KLODZINSKI et MASCLE 1990et 1992 ; JETTMAR 1983 et 1991 ; JETTMAR et THEWALT 1985.

    explications possibles de sa prsence aux marges de la plaine indo-gangtique. En somme, si l'on veut croire que la Civilisation de l'Oxus estle vecteur des Indo-Aryens, il faut aussi expliquer comment elle l'est l'exclusion des autres et pourquoi elle n'admet aucune continuation dansla valle de l'Indus, ce que les auteurs mentionns ne font pas. En d'autrestermes, l'absence d'identificateurs matriels des Indo-Aryens doit treexplique si l'on tient ne retenir que la gnralit des spcificationsspatio-temporelles.

    Pour 'sa part,' depuis des annes, V. I. Sarianidi dfend avec vigueurl'hypothse que les Indo-Aryens sont venus du domaine syro-anatolienpar le nord et par le sud des dserts iraniens et que la formation de laCivilisation de l'Oxus doit leur tre attribue 59. Ainsi, il rgle d'un trait,traant une flche migratoire sur une carte, la fois le problme del'origine de la Civilisation de l'Oxus, de l'arrive des Indo-Aryens en AsieCentrale et en Inde du nord-ouest et mme celui des Iraniens et duzoroastrisme dont il repre une forme qu'il appelle proto-Zoroastrisme sur les sites de Margiane. Ce chercheur qui l'on doit laplus grande part de notre savoir sur la Civilisation de l'Oxus dresse uneliste de traits archologiques (pratiques funraires, rituel, architecture,iconographie) qu'il met en relation d'une part avec les textes vdiques etsurtout avestiques; d 'autre part avec des lments archologiques dumonde syro-anatolien. Naturellement, rien ne permet de reprer lestraces d'une migration porteuse de la Civilisation de l'Oxus vers l'AsieCentrale, ni de l 'Iran comme V. Sarianidi le croyait jadis, ni de la Syrie dunord comme il l 'envisage aujourd 'hui, ni vers 2200, comme il le pensemaintenant aprs avoir longtemps tenu des datations trs basses, ni plustard. Toutefois, nous devrons examiner avec soin certains des argumentsqu'il avance, parce que le monde syro-anatolien a vu l'apparition d'Indo-Europens et mme d'Indo-Aryens au Mitanni, aux environs de 1600-1400 av. J.-C. 60. Ces Aryens du Mitanni, dont la prsence est atteste parles textes et que connaissent bien tous les auteurs qui se sont intresssaux questions ethno-linguistiques en Asie, n ' ont jamais t relis demanire historiquement satisfaisante avec les rgions d'Asie Centrale etd'Inde du nord-ouest o la documentation pigraphique est absente eto l'archologie muette 61. Les rapports de la Civilisation de l'Oxus avec

    59. Sur cette thorie, voir les crits rcents de V. SARIANIDI : 1993a, 1994, 1996, 1998a,1998b, 1999a, 1999, 2000b, 2001 et 2002b.

    60. FREU 2003 ; GARELLI, DuRAND, GONNET et BRENIQUET 1997.61. FREU 2003, p. 26-31, rgle le problme des origines [du Mitanni] et les civilisations

    de l'Asie centrale , l'aide d'ouvrages archologiques gnraux dont certains sont com-pltement dpasss (Ghirshman), ce qui amne des affirmations aussi surprenantes quececi : En Asie centrale il fait peu de doute que les bataillons de chars ont servi luttercontre les nomades iraniens (de la civilisation d'Andronovo) proches par l'habitat et lalangue des Arya de Bactriane mais opposs ces derniers par le mode de vie et lesconceptions religieuses lies celui-ci . Il faut tout de mme rappeler que si bataillons de

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    ARYAS, ARYENS ET IRANIENS

    la Syrie du nord et l'Anatolie posent donc un intressant problmearchologique et historique, que complique la documentation faible etdisparate disponible sur l'Iran septentrional et oriental aux 3 e-2e mill-naires, et mme jusqu'au milieu du le! millnaire avant J.-C. Avec, oumieux, sans les migrations, force est de convenir que le plateau Iranienlamite demeure largement une terra incognita archologique, ce quirend difficile l'tude des relations de l'Asie Centrale avec le Proche et leMoyen-Orient dont pourtant il est indispensable de rendre compte dansle contexte voqu. Pour cela, il est ncessaire de tenir compte del'archologie des steppes.

    E. E. Kuz'mina le fait depuis plus de trente ans, qui soutient l 'hypo-thse d'une identification des Indo-Aryens, des Aryens vdiques, avec les porteurs de la culture de Sintashta-Petrovka au Kazakhstan central,culture qui appartient au groupe des cultures appeles Andronovo,connues de l'Oural la Sibrie occidentale 62. Dans cette hypothse, lesIndo-Aryens sont identifis une ou un groupe de cultures des steppesasiatiques (du groupe d 'Andronovo de Russie et du Kazakhstan, Kirghi-zstan), et toute manifestation de matriel de ces cultures dans le (Sud del'Asie Centrale est interprt comme indice de migration ou d 'infiltra-tions. Les arguments ne peuvent pas tre dtaills ici, mais, pour qui tientpour l 'hypothse steppique, la meilleure laboration dont nous dispo-sions vient d'tre rcemment mise jour, avec notamment une chrono-logie rnove, plus haute et plus cohrente avec les donnes actuelles, etavec le concept d'horizon culturel steppique de Novokumak et de tout cequi en est issu 63. Le groupe de cultures d'Andrnovo soutient donc pourl 'Asie, d'une manire parallle celui de la culture de Srubnaja pourl 'Europe, les thories migratoires de peuples venus des steppes. Troisproblmes importants restent non rsolus. D 'abord les lecteurs sontfrapps de l 'imprcision de la correspondance des traits archologiqueschoisis avec une culture aryenne vdique trangement reconstitue surune slection de particularits 64. Cela au point que l'on se demande cequi impose ces rapprochements entre textes et archologie et que finale-

    chars il y et, c'est plutt du ct des porteurs de la culture d'Andronovo qu'ils setrouveraient (cf les tombes char), que ces derniers n'taient ni nomades (voir plus basSintashta, Arkaim etc) ni iraniens (nul ne le soutient avant l'poque de la poterievalikovaja et les cultures d'Amirabad, Tagisken, Begazy-Dandybaj, Irmen' et peut-treKarasuk). Le scnario d'une migration de mariyann travers l'Iran par le sud de laCaspienne qui commencerait au dbut du 18' sicle (pp. 29-30) prend le contre-pied de lathorie de V. Sarianidi en inversant le sens des flches, mais sans davantage emporter laconviction, faute de preuve archologique.

    62. KUZ'MINA 1977, 1981, 1986a, 1986b, 1994a, 1994b, 1994c et 2001a. On trouvera desrsums utiles dans MALLORY 1997. Voir aussi, pour la question des proto-villes de lasteppe, ZDANOVICH, IVANOVA et PREDEINA 1999 ; ZDANOVICH 1995b ; ZDANOVICH et ZDA-NovICH 1995.

    63. Kuz'MINA 200 lb = KUZ'MINA 2000.64. Fuss .N 2003.

    LA CIVILISATION DE L'OXUS

    267

    ment l'hypothse steppique tient plus grce des rapprochements lin-guistiques avec le groupe ouralo-altaque (emprunts) et des mentionsnaturalistes (climats, vgtation, cologie gnrale) 65 qu' l'aide deconsidrations gnrales sur le modelage de la poterie, la forme des foyersou l'architecture des tombes 66 pour lesquelles les relations aux contextesculturels et techniques sont ignores au bnfice de rfrences deshymnes rituels peu spcifiques et qui n'ont en tout tat de cause pas tcomposs pour cela. Ensuite, la question des guerriers en ohar et del'utilisation du cheval, qui constituent un argument fort et rcurrent del'hypothse steppique, est toujours prise rebours, comme un marqueurethno-linguistique et non comme une manifestation socio-conomique,ainsi que nous le verrons plus bas. Enfin, en Asie Centrale oxienne mme,les rapports des matriels d'Andronovo avec ceux de la Civilisation del'Oxus, qui sont fort varis, ne sont pas toujours clairement exposs,donnant l'impression qu'une fois l'hypothse andronovienne admise,n'importe quelle collecte du moindre tesson des steppes en Asie Centralemridionale exprime 1< infiltration des Indo-Aryens. La questionn'est pas aussi simple. Le matriel andronovien trouv dans la Civilisa-tion de l'Oxus, outre une mtallurgie spcifique bien reconnaissable 67,est surtout une cramique faonne grise gros dgraissant, orned'incisions ou d'impressions, elle aussi bien facile reconnatre. Elle estprsente dans toute la zone, avec le matriel local de la Civilisation del 'Oxus, en proportion variable selon les rgions et les poques, mais elledevient plus abondante vers la fin, aprs 1700 68. Le matriel androno-vien d'Asie Centrale mridionale possde une distribution vaste et int-ressante qui dessine une limite mridionale passant, d'ouest en est, par leKopet-Dagh, l'Hindou-Kouch, le Pamir (qu'il ne franchit jamais), l'Alaet certaines oasis des pimonts sud des Tianshan au Xinjiang (Xintalaprs du lac Bostan) 69. Quant aux sites proprement andronoviens, ils nedpassent gure au sud une ligne passant par le moyen Syr Darya(culture de Kajrak-Kum) 70, le bas Amou Darya (culture de Taza-bag'jab) 71, la Sogdiane (tombes de Muminabad) 72, la valle du Zeravs-han (cimetire de Dasht-i Kozi) 73, puis la zone Alai-Tianshan-

    65. CARPELAN, PARPOLA et KosxIKALLIO 2001 donnent une mise au point rcente.66. Voir ci-dessus note 62.67. Nous simplifions ici l'hypothse steppique sans traiter du phnomne transculturel

    Sejma-Turbino souvent voqu en relation avec les mouvements supposs des Indo-Iraniens et dont certains aspects seront pris en compte plus bas : BOBROV et KOVTUN 2002 ;CHERNYKH 1992 ; PARZINGER 1997.

    68. Infra, pp. 295-300.69. DEBAINE-FRANCFORT 2001.70. BARATOV ibid. ; LITVINSKIJ, OKLADNIKOV et RANOV 1962.71. ITINA 1961 et 1977 ; JABLONSKIJ 2002 ; KUrIMOv 1999 et 2002.72. ASKAROV 1970 ; LEV 1966.73. Is icov et PoTEMKINA 1989.

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    f1RYAS, ARYENS ET IRANIENS

    Semirech'e (nombreux sites). Le reste n 'est fait que de dcouvertesisoles dans des tombes (Kirov, Bishkent II par exemple au Tadjikis-tan) 74 ou de matriel principalement mtallique (au Xinjiang) 75. Maisdu matriel andronovien a t dcouvert aussi en quantit relativementpetite mais significative sur de-, sites mixtes de la Civilisation de l 'Oxuscomme en Sogdiane (Dzham fugaj, Zardcha Khalifa) 76, au Tadjikistandu sud (Teguzak, Kangurt Tut, Tashguzor, Kumsaj) 77, en Bactriane(Shortugha, Dashly) 78, en Margiane et dans les pimonts du KopetDagh (nombreux sites) 79. Nous verrons plus bas quelles rflexions etquelles conclusions tirer de ces importantes mais rcentes dcouvertes. Ilest ds maintenant important de relever deux faits. D 'abord, la cultured'Andronovo n'a pas eu de continuateurs en Asie Centrale mridionale,alors qu'elle en a dans les steppes avec le phnomne valikovaja (steppeeuropenne ou asiatique) ou les cultures de Sujargan, Amirabad, Tagis-ken (Aral), Begazy-Dandybaj (Kazakhstan), Irmen '(Sibrie mridionalesteppe-fort), Karasuk (Sibrie mridionale et Mongolie steppique).Ensuite, elle n'est prsente que l o rgne la Civilisation de l 'Oxus et ellene s'y substitue jamais. Elle ne la remplace pas. Par consquent, dans leshypothses migratoires actuelles, de la mme manire que la Civilisationde l 'Oxus disparat au contact de l'Inde, la culture des steppes d 'Andro-novo se volatilise au contact de la Civilisation de l'Oxus et ne franchitjamais vers le sud la ligne qui s'tend du Kopet Dagh au Pamir-Karakorum, ce qui pose de srieux problmes pour translater historique-ment les Indo-Aryens vers le Sud.

    Les annes rcentes ont vu quelques auteurs proposer des solutionsnouvelles. J. Mallory a suggr de garder l 'hypothse d 'une migrationsteppique et a tent de rsoudre les difficults l'aide d'un scnariohistorique original baptis Kulturkugel 80. Dans ce scnario, la culturearchologique steppique d 'Andronovo, dont la langue est indo-ira-nienne/indo-aryenne et qui le demeure, se transforme au cours de sonpassage travers la Civilisation de l'Oxus dont elle adopte l'aspectmatriel et certains traits religieux, puis finit en une ou en d'autrescultures archologiques, de nature inconnue, que l'on retrouve en Inde

    74. LITVINSKIJ et SOLOV 'EV 1972 ; LITVINSKIJ, ZEJMAL et MEDVEDSKAJA 1977.75. Mes 2000.76. AVANESOVA, SHAJDULLAEV et NRKULOV 2001 ; AVANESSOVA 1996b ; BOBOMULLAEV

    1997.77. LrrvINSKIJ et RANOV 1998: excellente synthse, due la plume de L.T. P'jankova,

    pp. 149-190.78. FRANCFORT, BOISSET, BUCHET, DESSE, ECHALLIER, KERMORVANT et WILLCOX 1989,

    pp. 82, 242, 269, 424-430, 437, 450.79. Voir le numro spcial de la revue Stratum Plus (Kishiniev), 11 2, 1999, consacr

    cette question ; notamment, pour le Turkmnistan, KUTIMOV 1999 et SHCHETENKO,1999.

    80. MALLORY 1998.

    LA CIVILISATION DE L'OXUS

    269

    o les Indo-Aryens finissent par arriver. A. Parpola a tent de prcisercette transformation en supposant une prise de pouvoir et une mutationlinguistique l'intrieur de la Civilisation de l'Oxus : la Civilisation del'Oxus serait la culture des Dasas, des Indo-Europens proto-Indo-Aryens, et Andronovo reprsenterait les Indo-Aryens et se transforme-rait ensuite en l'une quelconque des cultures de l'poque en Inde du nord,de la Gandhra Grave Culture la Painted Grey Ware 81. Ces extensionsde la thorie du Kulturkugel, comme d'autres tout aussi audacieuses,paraissent trop dtailles car elles attribuent une culture archologique des termes aussi imprcis et discuts que Dasa. Si J. Mallory laissaitplaner un doute sur le mcanisme historique en cause, A. Parpola, , envoulant trop le dtailler par la recherche de correspondances exactesentre culture archologique et groupe ethno-linguistique, finit par luiretirer sa vraisemblance. Dans une version plus rcente du Kulturkugel, J.Mallory combine un modle ethnologique africain assez labor et unehirarchisation sociale inspire de Benveniste pour tenter d'expliquer laprise de possession par les Indo-Iraniens/Indo-Aryens des steppes duvaste territoire de la Civilisation de l'Oxus et de sa structure socio-conomique en khanats (petites principauts) 82 et son organisation enun unique pays (dahyu), puis son extension jusqu'aux frontires de lavalle del'Indus, comme dans la thorie examine prcdemment 83. Unpoint intressant de cette nouvelle version est que J. Mallory admet,suivant A. Lubotsky, des emprunts mythologiques et religieux fonda-mentaux de la part des Indo-Iraniens un substrat non-indo-europen 84. Il semble que cette thorie soit un progrs dans la bonnedirection, mais sa prsentation qui reconnat les Indo-Iraniens/Indo-Aryens d'abord comme par dfaut, aurait besoin de s'appuyer sur deslments positifs. Ceux-ci devront tre plus dterminants ou plus nom-breux qu'une structure sociale proposant un isomorphisme entre lesIndo-Iraniens et la, Civilisation de l'Oxus dans son ensemble pour trenon pas encore valide, mais rendue plus probable. Nous verrons plusbas s'il s'en trouve.

    81. PARPOLA ibid. et 1999a et 2002.82. Terme emprunt par C. Lamberg-Karlovsky l'Orient actuel (LAMBERG-

    KARLOVSsY 1994). Il permet de comprendre assez bien une forme d'occupation du terri-toire, mais ne rend pas compte, dans les conditions historiques de l'ge du bronze, de l'unitde culture matrielle observe sur un trs vaste territoire.

    83. MALLORY 2002. On observe que le dahyu/dasyu de Mallory n'est pas compris dans lemme sens que les Dasa de Parpola.

    84. LUBOTSKY 2001 ; MALLORY 2002, p. 39. Depuis quelque temps des possibilitsd'emprunts une langue non-indo-europenne de la Civilisation de l'Oxus sont proposspar M. Witzel et au tokharien (PINAULT 1998 ; 2003). Que ces emprunts aient galementconcern le domaine des rites et des mythes travers de vastes zones de l'Eurasie noussemble trs probable quel que soit le scnario historique adopt. Voir par exemple SINOR1998. Voir galement plus bas le combat contre le dragon, l'aigle et le serpent, etc.

  • 270RYAS, ARYENS ET IRANIENS

    LA CIVILISATION DE L 'OXUS

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    Au terme de ce rapide panorama 85, nous pouvons retenir que, pourune interprtation indo-aryenne de la Civilisation de l'Oxus chellemacroscopique, le choix se situe entre l'hypothse steppique et l'hypo-thse mitannienne (syro-anatolienne, mais qui peut aussi renvoyer auxsteppes). Entre 2500 et 1000 av. J.-C., l ' archologie de l'Asie Centraledevrait par consquent rendre compte de trois grands groupes ethno-linguistiques (ou simplement linguistiques, mais dans ce cas, sans popu-lation, que devient le matriel archologique ?) : Indo-Iraniens, Indo-Aryens et Iraniens. Une question bien connue en dcoule : les Indo-Aryens eurent-ils une existence en Asie Centrale ou n'mergrent-t-ilsque dans le sous-continent ? Nous ne prtendons nullement clairer cettequestion. C'est pourquoi, retournant la problmatique archologiqueconnexe, nous devrions nous contenter de retenir, sans moyens de tran-cher, l 'alternative Indo-Iraniens ou Indo-Aryens , ou bien adopter,une fois encore, la conclusion des linguistes, en l'occurrence indo-iranien ou indo-aryen . Nous suivrons ici une ligne thorique quin'est nullement fonde scientifiquement du point de vue archologique,mais qui est la seule compatible avec les donnes, savoir : la rupturelinguistique entre les Indo-Aryens et les Iraniens n'est pas dtectable sansdocuments pigraphiques, alors que la rupture religieuse peut l 'tre l'aide de vestiges d'activits cultuelles ou ritualises. G. Fussman penseque le groupe des Indo-Iraniens indivis pouvait se trouver n'importe odans la steppe entre 2200 et 1800 et a montr que la sparation religieuseentre les Iraniens et les Indo-Aryens est postrieure la sparationlinguistique, puisqu'une partie de l 'Asie Centrale iranise est devenuemazdenne alors qu'une autre (la partie steppique scythe) ne l'estpas 86.

    85. Nous n'avons pas dtaill tous les arguments avancs par les uns et les autres maisseulement pris les plus reprsentatifs des crits prsentant les principales thories. Pour trecomplet, il et galement t ncessaire de mentionner les thories qui placent les Indo-Iraniens, Indo-Aryens ou Iraniens dans le Kopet Dagh, au Tadjikistan ou ailleurs en AsieCentrale, et exposer les ides de A. Askarov, A. Isakov, K. Jettmar, I. Khlopin, B. Litvinsky,V. Masson, N. Negmatov, V. Ranov, ainsi que de D. Anthony ou B. Sergent. Ce n'tait pasle but de cette prsentation qui ne prtend nullement l'exhaustivit. Certains argumentsseront discuts plus bas. Pour une ide simple du degr auquel toute l'archologie centra-siatique se trouve imprgne de la problmatique indo-iranienne/indo-aryenne, voir :Dcouvertes des civilisations d'Asie centrale (Les dossiers d'Archologie, n 185, sept. 1993),p. 3 : L en effet revient l'hypothse rcurrente des migrations indo-aryennes vers l'Indeet des origines centrasiatiques des peuples de l'Avesta et des Vdas. Dans l'Atrek, nMargiane, en Bactriane, dans le Zeravshan, dans les steppes, partout les fouilles ont rvldes lments faisant songer aux Indo-Aryens. Que seraient donc ces Indo-Aryens ubiquis-tes et polymorphes ? . On trouvera des informations complmentaires dans quelquesautres publications gnrales ou collectives majeures : Asimov 1977 ; Asxaxov, LITVINSKU,MIROSI-INIKOV et RAJEVSKIJ 1981 ; CARPELAN, PARPOLA et KOSKIKALLIO 2001 ; MAIR 1998 ;MAIR et MALLORY 2000.

    86. FUSSMAN 2003, pp. 800-801. Cette prcision est importante, car seuls les Indo-Aryens peuvent tre directement qualifis en archologie, grce aux textes, tandis que les

    Sur ces bases, nous pouvons revenir la matrialit archologique. Surle territoire de l'Asie Centrale mme, trois grands ensembles couvrentsuccessivement le mme territoire : la Civilisation de l'Oxus de l'ge duBronze, avec sa phase formative antrieure 2500, sa phase mre entre2500 et 1700 (floruit 2200-1700), sa phase tardive avec des nuancesjusqu' 1500. Puis se dveloppe la Civilisation de l'Oxus de l'ge du Ferancien, celle des cultures cramiques faonnes peintes, dite culturede Jaz-Tillja-Kuchuk , entre 1400 et 1000. Enfin s'installe la culture del'Asie Centrale de l'ge du Fer rcent jusqu' la conqute d'Alexandrevers 330, avec une nouvelle cramique tourne dont l'usage se gnraliseds les environs de 1000, avant les conqutes perses.

    III. - LA CIVILISATION DE L 'OXUS POURRAIT-ELLE TRE 1NDO-IRANIENNEOU INDO-ARYENNE AVANT 1500 ?

    En principe rien ne l'interdit, mme si la Civilisation de l'Oxus d'avant1500 ne manifeste aucun des critres dcisifs attendus. Les critres offertspar les analyses textuelles des documents crits qui nous sont parvenussont seuls pouvoir indiquer la prsence de locuteurs de langues indo-iraniennes ou indo-aryennes. S'il y en a d'autres, nous ne pouvonsvidemment pas les connatre. Toujours en thorie, nous devons admet-tre aussi que des groupes de religions diffrentes qui n 'auraient pas laissde textes auraient pu tre galement indo-iraniens ou indo-aryens. Sibien que, bien qu 'il soit exclu que les Indo-Iraniens aient t l'origine laCivilisation de l 'Oxus 87, rien en principe, surtout dans la perspective duKulturkugel, ne s'oppose ce qu'entre 2200 et 1700 une partie desindividus participant de la Civilisation de l'Oxus se soit exprime dans undialecte indo-iranien ou indo-aryen. Mais il est extrmement difficile dela reprer. Si tel a t le cas, nous ne pouvons pas tenter une autreapproche que celle qui vise renforcer ou affaiblir la possibilit d'uneappartenance indo-iranienne ou indo-aryenne, car les sources textuellessont toujours les mmes. Par consquent, pour tre cohrente, la dmar-che critique doit non seulement mettre en vidence les insuffisances ou lesincohrences des identifications avances, mais elle doit aussi proposerune hypothse alternative, non-indo-iranienne ou non-indo-aryenne.C'est ce que je vais tenter de faire pour la Civilisation de l'Oxus d'avant1700, sachant que nous sommes dans un domaine o aucune certitudeethno-linguistique ne peut tre obtenue par l'archologie. De mme, dssa phase formative, avant 2500, la Civilisation de l'Oxus prsentait desrelations avec les rgions voisines, notamment le. monde proto-lamite,

    Indo-Iraniens ne peuvent pas l'tre, sauf considrer que les Indo-Iraniens indivis taientculturellement identiques aux futurs Indo-Aryens, ce que nous ignorons totalement.

    87. Ibid., p. 800.

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    r1RYAS, ARYENS ET IRANIENS

    LA CIVILISATION DE L 'OXUS

    273

    sans que la question linguistique puisse tre pose car l 'criture proto-lamite n'est pas vraiment dchiffre et note une langue inconnue ou uneforme d'lamite.

    Les principaux indices utiliss pour attribuer la Civilisation de l'Oxusmre aux Indo-Iraniens ou aux Indo-Aryens sont les suivants : l'utilisa-tion du cheval et le char ; les pratiques funraires ; les sanctuaires etstructures religieuses ; l'iconographie et la structure mythologique ; lesrapports avec le monde lamo-msopotamien, l 'Indus, le monde syro-anatolien et le Mitanni.

    A. Le cheval et le char.

    Nous savons que la domestication et l'attelage du cheval au char lger roues rayons, vhicule de prestige plus qu 'instrument guerrier pro-prement dit, est un fait technique et social 88 gnralis dans toutel'Eurasie, partir de la steppe 89. En Bactriane de la Civilisation del'Oxus, le char et le chariot boeufs aux roues pleines sont attests avant1700 90 (ill. 6), mais aucun char lger, ni aucune tombe char ressem-blant celles des steppes de 2000-1800. Des sections d'un bandage deroue de char en alliage cuivreux ont t publies : quatorze lmentsformant deux roues de 80-85 cm de diamtre, mais il est difficile de savoirquels animaux taient attels ce char deux roues, peut-tre rayons,provenant sans doute d'une tombe pille de Bactriane 91. Pourtant le

    88. Nous considrons le char comme un fait social dans la mesure o il impliquel'existence d'un groupe d'hommes capables d'lever et de dresser des chevaux, de fabriqueret d'entretenir les vhicules et les harnachements. Il s'agit d'un important lment deprestige l'poque considre, mais l'on peut douter de l'existence d'armes, d< esca-drons de chars. Voir dans le mme sens, avec de bonnes remarques sur le char dans lescultes funraires du domaine steppique, TEUFER 1999, pp. 131-132.

    89. Cette connaissance repose sur les trouvailles en fouille, dates, de restes de chevauxdans des sites d'habitat et des tombes, ainsi que de vestiges de harnachements, notammentde mors et d'ailes de mors (tombes char bien connues de Sintashta, Berlik, Satan etc). Voirles publications cites ci-dessus de E. Kuz'mina et A. Parpola qui font le point de laquestion dans la perspective de la thorie steppique. On n'omettra pas de rappeler lesinnombrables reprsentations d'attelages et de chars dates du 2' millnaire dans l'artrupestre (ptroglyphes), du Pamir la Mongolie, rassembles et tudies par V. Novozhe-nov 1994.

    90. Gobelet en argent du muse du Louvre reprsentant une sorte de parade ou deprocession laquelle participent deux vhicules, un chariot quatre roues, caisse rectan-gulaire et bancs, passagers et conducteur assis, et un char deux roues, plateformetriangulaire et conducteur debout. Les boeufs galopent (AMIET 1983).

    91. POTTIER, 1984, n326, fig.44. Le rapprochement s'impose avec les tombes char deSuse, qui ont livr des bandages de jantes identiques (TALLON 1987, n1304 1308,pp. 301-307) bien dates du dbut du 2' millnaire, notamment la tombe A89 du Donjonavec une hache de type Attahushu . Des lments d'attelage proviennent du parviscentral du palais achmnide, avec des restes de chevaux dans le niveau d'e Ur III . SelonF. Talion, les roues de Suse, qui taient peut-tre pleines, pourraient tre lgrementantrieures des exemples de char roues rayons provenant du niveau III d 'Acemhyk

    cheval n'y tait pas inconnu, tant s'en faut. En effet, des effigies dechevaux ont t dcouvertes en Bactriane et en Margiane 92 (ill. 7), descavaliers sont mme reprsents sur un sceau-cylindre 93 (ill. 8) unepoque contemporaine de celle du char qui figure sur un autre sceau-cylindre, de Tp Hissar en Iran du nord-est 94. Dans la ncropole deGonur Dp en Margiane, la tombe d'un poulain sans tte a mme tfouille 95. Aux alentours de ces dates, vers 1800-1700, Zardcha Khalifa(Tadjikistan, valle du Zeravshan) l'on a trouv une tombe dans laquellele dfunt tait accompagn d'un squelette de blier, mais aussi de frag-

    (19-18' s.) et donc de ceux qui figurent sur les cylindres cappadociens et syriens aux 18-17` s. La carrosserie d'un autre char de Suse tait orne de plaques en os portant destorsades graves, analogues celles, contemporaines, trouves Anshan (AMIET 1986b,p. 152). La prsence de tombes chars, probablement roues rayons et attels de chevaux, Suse au dbut du 2' millnaire est importante, car ils se distinguent nettement (roues,harnachement) des chars boeufs ou asiniens du 3' millnaire trouvs sur le mme site ouau Louristan. Nous ne pouvons donc pas suivre B. Sergentpose l'quivalence : bandage deroue bactrien-char roues rayons-Indo-Aryens (SERGENT 1997).

    92. SARIANIDI 1982, fig.2, n3, p. 71 (pommeau de sceptre) ; LIGABUE et SALVATORI 1989,fig. 97 (marteau d'arme ou pommeau de sceptre en bronze) ; SARIANIDI 2001, pl. 10, fig. 1et 2 (sur un pommeau de sceptre de la ncropole de Gonur) ; SARIANIDI, 1998b, n1441,1444, 1751 (sceaux). Le talon d'un marteau d'arme du Metropolitan Museum (coll. N.Schimmel) porte un protom de cheval proche par son style de celui publi par Sarianidi1982 (PrrTMAN 1984, fig. 32). Le bronze reprsentant un cavalier publi par Bothmer 1990est d'un style trange ; son attribution la Civilisation de l'Oxus n'est nullement certaine.Une belle tte d'pingle en alliage cuivreux est orne d'un personnage assis tenant un chevalpar la bride (LIGABUE et SALVATORI 1989, fig. 82). Une remarquable hache aileron duLouvre est orne d'un protom de cheval plac au-dessus de la lame non tranchante (AMI r1986b, fig. 167, p. 315) ; elle avait t auparavant attribue au Louristan (AMIET 1976,n29).

    93. SARIANIDI 1986c, fig.6, n10 = SARIANIDI 1998b, n1482 : un sceau-cylindre enstatite caractristique de la Civilisation de l'Oxus blire et extrmit en cachet repr-sentant un caprid couch et un croissant porte une reprsentation de cavalier suivant unpersonnage qui tient une hampe (lance ?).

    94. SCIrnDT 1937, nH892, p. 198, peut-tre du niveau de Hissar IIIB, ce qui serait unpeu tt. La reprise complte de la chrono-stratigraphie du site indique seulement une date. antrieure 1800 (DYSON et HowARD 1989), donc une contemporanit avec la Civilisationde l'Oxus. Le rapprochement de l'image du char roues rayons de ce cylindre avec lareconstitution du char de Sintashta avec son timon incurv ne doit pas faire illusion : le charde la tombe n12 de Sintashta est largement restitu, tout comme celui des tombes n28 et30 (GENING, ZDANOVICH et GENING 1992, pp. 167-168, fig. 80 ; pp. 204-206, fig. 108 etpp. 214-219, fig. 116). Les chars des tombes n 10 et 16 sont reconstitus avec des rouespleines (GENING, ZDANOVICH et GENING 1992, fig. 72, p. 154).

    95. SARIANIDI 2001, pl. 12, n7 et pp. 178-182, dans la version en anglais, avecune discussion de la thorie steppique rejete en faveur de celle d'une Civilisation del'Oxus migrant vers l'Inde par la valle de Swat o deux inhumations de cheval ont tjadis dcouvertes. Il faut remarquer que le lien culturel entre le Swat et la Civilisation del'Oxus n'est pas certain, et moins encore avec la culture de Bishkent. Ensuite, une inhuma-tion de cheval n'indique pas ncessairement un a.svamedha, comme bien des auteurssemblent le croire. La Civilisation de l'Oxus pratiquait les inhumations d'animaux :mouton et chvre sont bien rpandus, mais on rencontre aussi bovin, chameau et peut-trechien.

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    RYAS, ARYENS ET IRANIENS

    ments d'ailes de mors en os scutiformes et d'ornements de bronze de typesteppique. Il s'y trouvait aussi une figurine de cheval ornant le sommetd'une pingle 96 et des poteries tournes de la Civilisation de l'Oxus(phase Dzharkutan-Kuzali dans la squence de l 'Ouzbkistan), ainsiqu'un mors en barre en alliage cuivreux d'un type original 97. ADzharkutan (Ouzbkistan, valle du Surkhan Darya), des ailes de morsdiscodales en os d 'un type galement bien connu dans les steppes ontt rcemment mises au jour 98. Les dcouvertes de Zardcha-Khalifaet de Dzharkutan sont datables de 1800-1600. Les ailes de mors scuti-formes sont d'un type steppique ancien aujourd'hui datable du 21e au18e sicle dans la typologie labore par E. Kuz 'mina et V. Novozhe-nov 99. L'analogie de ces ailes de mors avec quelques trouvaillesmycniennes plus rcentes que les trouvailles des steppes ne permet pasd'en infrer autre chose que l'utilisation sporadique d'un type de harna-chement la mode steppique, ce qui n 'tonnera nullement dans uncontexte de relations internationales comme celui du 2e millnaire avantJ.C. 100. Au sud de l'Hindou Kouch, les os travaills ainsi que les figurinesde chevaux et de cavaliers de Pirak montrent que le cheval et l'quitationont atteint ds avant 1700 la rgion de Quetta, avec un mouvementgnral de diffusion de l'art questre au sud du domaine steppique 101 .Cependant, hors le bandage de jante voqu ci-dessus, deux tombes char, l'un attel des chameaux, sont connues Gonur. Les roues deschars sont pleines et portent des bandages en alliage cuivreux de typelamite analogues ceux dcrit plus haut (dcouverte de la campagne2004 par V. Sarianidi que je remercie vivement pour cette information).La seule autre tombe char possible de la Civilisation de l'Oxus est une

    96. Les pingles tte orne d'animaux sont communes dans la Civilisation de l'Oxus,mais le style de ce cheval est proche de ceux qui dcorent les pommeaux de couteaux deSejma-Turbino (TEUFER 1999, p. 132 ; PARZINGER 1997, p. 235, fig. 4.1).

    97. BOBOMULLAEV 1997 ; KUZ'MINA 2001b. LITTAUER et CROUWEL 2001 ignorentmalheureusement la trouvaille capitale du mors en alliage cuivreux de Zardcha Kha-lifa.

    98. TEUFER 1999 a remarquablement tudi l'ensemble de ces ailes de mors et lesconsquences historiques de ces trouvailles : Mit dem Fund in Dzharkutan ist nun erstmalsindirekt das Vorhandensein des leichten zweiriidigen (Streit) wagens in Baktrien belegt. DieEinfhrung dieses Wagens drfte wohl aus den Norden erfolgt sein, da die bisherige Wagen-tradition in Baktrien eine andere war. Et de conclure avec justesse : Ob daraus allerdings aufein Vordringen von Bevlkerungsgruppen aus dem Norden geschlossen werden kann, istfraglich.

    99. Kuz'MINA 2000 et 200lb ; TEUFER 1999.100. Longtemps, les quelques parallles avec le monde mycnien ont t survalus,

    contribuant notablement favoriser une chronologie beaucoup trop basse pour la steppechez les archologues de l'ex-URSS travaillant sur le domaine steppique (ZDANGVICH1995a). Une vue plus quilibre prvaut aujourd'hui, qui fait la place quelques importa-tions steppiques aprs le 14e sicle dans le monde mycnien et dans les Balkans. Voir parexemple LICHARDUS et VLADAR 1996.

    101. JARRIGE et SANTONI 1979, pp. 79, 171-177, fig. 90, 92, priode I et II.

    LA CIVILISATION DE L 'OXUS

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    spulture boeufs de Togolok 1 dont l'tat de conservation n'tait pasexcellent 102 . Cette raret contraste avec la situation moyen-orientale(Egypte, Mycnes, Hittite) et mme chinoise, car des tombes charapparaissent trs rapidement Anyang mme, dans la capitale del'empire des Shang. Tout bien considr, rien ne permet de prendre lecheval comme marqueur privilgi de la prsence de locuteurs Indo-Europens, Indo-Iraniens ou Indo-Aryens. Il en dcoule que la totalitdu raisonnement archologique et linguistique propos par D. Anthonyest tautologique, dans la mesure o il ne fait que montrer que dans leslangues indo-europennes le vocabulaire du cheval et du char est indo-europen 103. Mieux encore, les plus anciennes gravures de char d'AsieCentrale, sur des stles de la culture d'Afanasevo, montrent ce vhiculede profil et attel de boeufs, comme en Msopotamie, dans l'Indus etpartout en Orient au 3e millnaire, et comme le pictogramme msopota-mien char qui le reprsente de profil. Dans le domaine des steppes, au2e millnaire, les trs nombreuses reprsentations de char sur les ptro-glyphes sont passes une vue comme du dessus , c'est--dire lareprsentation ddouble, que l'attelage soit de chevaux ou de boeufs,suivies en cela par le pictogramme chinois char le plus ancien 104 Uneexception remarquable, parmi les ptroglyphes, se rencontre sur le site deSajmaly-Tash (Kirghizstan) o les chars sont vus du dessus mais o lesattelages et les conducteurs sont de profil 105. Cette exception, sur un siteo les reprsentations du Bronze sont de style bi-triangulaire comme surles peintures des poteries protohistoriques du Moyen-Orient, peuts 'expliquer par le fait que la valle du Ferghana tait peuple d'agricul-teurs diffrents des populations des steppes andronoviennes (culture deChust). Par consquent, ni le char lger rayons attel de chevaux, ni cetanimal seul ou des lments de son harnachement, pas plus que sonimage dans l'art rupestre ne peuvent servir de marqueur de la prsenced'Indo-Iraniens/Indo-Aryens, moins que les Egyptiens et les Chinois

    102. Sarianidi 1990. Voir aussi Sarianidi 1998a, pp. 104-110 fig. 55-56. S'il s'agitvraiment d'une tombe char boeufs, elle se rattache une grande srie de tellesinhumations jusqu'au Caucase et la Russie du sud.

    103. ANTHONY 1995. Il et fallu montrer que le lexique du cheval et du char dans lespopulations non-irido-europennes est indo-europen, indo-iranien, indo-aryen, etc. paremprunt. Or JANFIUNEN 1998a montr pour le cheval (ainsi que domestication, quita-tion ?) une diffusion en Asie orientale qui ne repose pas sur une origine indo-europenne.LUBOTSKY 1998 propose de reconnatre quelques emprunts, mais au tokharien, dans levocabulaire du char du chinois ancien.

    104. FRANCFORT 2002.105. MAR'.JASHEV 1995 ; SIre 1978 ; TASHBAEVA 2001. Les attelages de Sajmaly-Tash

    (3.600 m d'altitude) ne sont certainement pas des reprsentations ralistes, malgr levrisme de certains dtails, car les roues sont trs petites et des boucs en tirent certains(FRANCFORT 2003b). Mais ce qui importe est de montrer qu'en Asie Centrale l'image duchar, pas plus que la chose elle-mme ou l'animal attel, n'indique ncessairement laprsence de locuteurs de langues indo-iraniennes/indo-aryennes.

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    RYAS, ARYENS ET IRANIENS

    LA CIVILISATION DE L 'OXUS

    277

    ne soient considrs aussi comme des Indo-Iraniens. Des considrationstechniques (rapidit de dplacement) et sociales (prestige) ont prvalulors de l'adoption trs rapide de ce mode de locomotion dans toutel 'Eurasie au 2e millnaire partir des steppes, mais ce sont d'autresfacteurs qui expliquent la prsence ou l'absence de chevaux et de charsdans les tombes. Il est vident qu'enlever le caractre de marqueurethno-linguistique univoque aux chars n'exclut nullement que certainsusagers, dans et hors des steppes, aient pratiqu des langues indo-iraniennes ou indo-aryennes.

    B. Les pratiques funraires.Les pratiques funraires sont souvent considres comme des l-

    ments dterminants des identifications ethno-culturelles. Les coutumesfunraires de la phase mre de la Civilisation de l 'Oxus sont varies. Bienque l'inhumation y domine, le dcharnement et la crmation y sontfrquemment interprts comme des indicateurs de mazdisme ou devdisme. Nous reviendrons plus bas sur la crmation qui n'apparat quedans la phase tardive, post-urbaine. Pour tayer une argumentation enfaveur des Indo-Iraniens ou des Indo-Aryens, V. Sarianidi a rapprochdes constructions funraires en briques de la ncropole de Gonur Dpde la vdique maison des morts sans pourtant emporter la convic-tion, tant ces caveaux sont semblables aussi aux spultures lamites, deSuse par exemple 106. Il a aussi tent de relier les spultures fractionnesau dakhma et au naos des dcharnements avestiques 107 . Pour ce qui estdu dcharnement, je me contenterai de faire remarquer que dans lespimonts du Turkmnistan l'poque de NMG V, on connat, Altyn-Dp par exemple, de nombreuses structures de ce type dans l'habitat etdans un sanctuaire 10 (ill. 9, 10, 11). Elles n'ont jamais t considrescomme mazdennes ou iraniennes par V. Masson ni par personne d'autredans la mesure o le modle interprtatif tait msopotamien et o ceslocaux dcharnement ne sont pas sans antcdents en Asie centralemme ds la premire moiti du 3e millnaire. Les spultures collectivessont en effet banales en Asie Centrale, qu 'elles soient l 'intrieur ou

    106. SARIANIDI 1999a et 2001, pp. 175, 214. Les rapprochements faits avec les tombes dudomaine msopotamien et syro-anatolien laissent curieusement de ct des parallleslamites pertinents.

    107. Il s'agit de la pice 92 du palais de Gonur Nord : SARIANIDI 1998a, fig. 32,pp. 70-71 ; SARIANIDI 2001, pp. 214-216 ; SARIANIDI 2002a.

    108. MASSON 1981a, pp. 50-52, pour des locaux dchamements dans l'habitat et p. 55sq. pour l'ensemble funraire dcharnement li la terrasse cultuelle. Au sud-ouest duTurkmnistan, dans la valle de la Sumbar, Parkhai II, des tombes collectives dchar-nement sont frquentes (KHLOPIN 2002, tombe 72 avec les restes de 17 individus). Unediscussion des spultures fractionnes et du dcharnement Kangurt-Tut (Tadjikistanmridional) se trouve dans VINOGRADOVA 1996a.

    l'extrieur des habitats, depuis l'poque de NMG III et Geoksjur, maisaussi Shahr-i Sokhta et Mundigak 109 . Il faut donc se garder de relierce type de locaux et de pratiques au mazdisme. En fait, les tombes de laCivilisation de l 'Oxus sont la plupart du temps des spultures individuel-les flchies, plus ou moins riches en matriel. Elles sont places l'int-rieur des tablissements, parfois aprs l 'abandon de secteurs (Dzharku-tan, Sapallitpa, Dashly), ou l'extrieur, dans des ncropoles (Bustan,Gonur, Dashly, Bishkent). On remarquera aussi dans la Civilisation del'Oxus de nombreuses tombes de chvres ou de moutons qui ne sont pasdes sacrifices au sens propre car nous les rencontrons dans des ensemblesfunraires et ces tombes possdent des dpts, tout comme les tombeshumaines plus riches que la moyenne. Dans la mme srie, de rarestombes de chameau, cheval ou chien (?) ont t fouilles (ill. 12). Cesspultures d'animaux ne sont gures compatibles avec le mazdisme. Ilexiste aussi des spultures sans corps et pourvues en dpts, que rienn'autorise mettre en rapport avec un dchamement extrieur. Bref, riende probant ne ressort pour qui cherche les traces de pratiques funrairesrelevant du mazdisme ou du vdisme, du moins avant 1500 : le dchar-nement, qu'il ait t pratiqu l'intrieur des constructions ou l'ext-rieur et les os collects ensuite, est une trs vieille pratique en AsieCentrale. L'association de structures funraires et d'une terrasse haute,releve pour le moment sur le seul site d'Altyn Dp, voque uneorganisation semblable dans le monde lamite, Suse.

    C. Les sanctuaires et structures religieuses.Hormis les terrasses hautes, sur lesquelles nous reviendrons,

    rares sont les monuments dont la fonction religieuse est vidente.La quasi totalit des btiments monumentaux connus ce jour relvede la catgorie des manoirs. L'appellation de temple ou de palais qui leur est attribue ne repose la plupart du temps sur rien de solide.Les catgories de locaux auxquels on confre une fonction reli-gieuse, parfois tendue l'ensemble du monument, sont au nombre dedeux : 1.es chambres niches et enduits blancs et les pices cendres etfoyers.

    Les pices niches dans les murs et enduits blancs passs sur les sols etmurs (comme Gonur, Togolok-1 et Togolok-21) comprennent souventdes banquettes munies de cavits destines caler des jarres 110 . Comme

    109. Les structures funraires dchamement, appeles tholoi par les fouilleurs del'ex-URSS, sont bien connues l'poque de NMG III et Geoksjur (ill. 3) : MASSON 198 lb,p. 68, fig. 3 ; KuLopnv 1963 ; SARIANIDI 1959, 1961 et 1972. A Shahr-i Sokhta, desspultures collectives dcharnement de la mme poque ont galement t fouilles :PIPERNO et SALVATORI 1983 ; id., 1987, pp. 44-46 et pl. X.

    110. SARIANIDI 1998a, pp. 95 sq.

  • 278

    .RYAS, ARYENS ET IRANIENS

    quelques restes de graines de chanvre, de pavot ou d'phdra ont appa-remment (certaines analyses le nient) t trouvs Togolok 21, V. Saria-nidi en a fait des pices consacres au rite du pressage du haoma ou dusoma 111 . En fait, ces pices pourraient trs bien tre des salles d'eau sansrapport avec des rituels, l'image de celles des cits de l'Indus harappen-nes, dont les bains ne sont pas pris pour des chapelles. Si nous admettonsque les graines en question (si elles sont correctement identifies) ont unrapport fonctionnel avec.ces locaux, il faut alorsd ajouter que l'utilisa-tion d'hallucinognes ou simplement de boissons enivrantes est rpan-due dans toute l'Eurasie et n'est nullement l'apanage de locuteurs Indo-Iraniens, Indo-Aryens ou Iraniens, mme si ces derniers ont t plusexplicites ce sujet dans leur littrature. Le chamanisme, en particulier,ne rejette nullement ces usages. Par ailleurs, la rpartition des graines dechanvre et d'phdra dans certaines pices de Togolok 21 tendrait plutt montrer une prsence alatoire dont on pourrait se demander si ellen'est pas lie aux conditions de l 'environnement naturel (croissancespontane et vents forts attests). L'phdra est omniprsente dans lesdserts d 'Asie Centrale et le pavot pousse spontanment dans les steppes.Enfin, il serait bon galement d'envisager srieusement la possibilit defabrication dans ces pices de bire ou de vin 112. Le caractre crmo-niel, sinon rituel, de la consommation de breuvages alcooliss est courantdans les civilisation de l'ancien Orient.

    Les pices cendres et' ' foyers, comme celles, ciel ouvert, qui setrouvent au nord-ouest de l'enceinnte de Togolok 21 peuvent avoir unrapport avec une activit lie au feu, mais rien n'indique qu'il s'agisse devestiges de culte, ni que ce soient les vestiges d'autels du feu comme tresouvent dit.

    A Togolok 21, au nord-est de l'enceinte cette fois, des structuresrituelles libations ont t dcouvertes. Elles sont circulaires etinscritesdans un local quadrangulaire. Au niveau le plus ancien des traces defeu et des vases renverss, ouverture versle sol, puis des encrotementsde graisse et de lait ont t mis au jour 113. Ce sont l, n'en pasdouter, des traces de libations et les vestiges probables d'un cultefunraire ou chthonien. Le rite de renverser des vases se trouve attestencore Altyn Dp NMG V, Shortugha final (vers 1600) ; puis

    111. Des doutes ont t mis sur ces identifications : HOUBEN 2003 ; PARPOLA 1998.SARIANmI 2001, p. 212, les rejette.

    112. Quelques scnes de dgustation de boissons par des humains sont graves sur desjetons de lapis-lazuli (AMIET, 1986b, fig. 128, p. 296), sur des vases reprsentant desbanquets (FRANCFORT 2003a) ou sur des cachets qui portent galement l'image de grappesde raisin (SARIANmI 1998b, n47 et 49, p. 58-59). Les sceaux-cylindres lamites dits anshanites d'Iran de mme poque reprsentent parfois des princes buvant sous destreilles (AMIET 1986b, fig. 113-114). Des scnes de libations de divinits figurent sur descachets : AMIET 1986b, illustration de couverture ; SARIANmI 2001, pl. 8, 4).

    113. SARIANIDI 1998a, fig. 44, p. 93.

    LA CIVILISATION DE L 'OXUS

    279

    A-Khanoum (3 e-2e s.). Il n'y est pas mil en rapport avec le maz-disme 114

    La conclusion selon laquelle Togolok 21 serait une sorte de sanctuaire-cathdrale o auraient t pratiqus des libations de jus vgtal halluci-nogne et un culte du feu attribuables un,< proto-zoroastrisme de tribusindo-iraniennes ou Aryennes se s'appuie sur aucun argument dcisif .Si le culte n'est pas du feu , rien ne reste de l'hypothse indo-ira-nienne, indo-aryenne, d'autant que trente colonnettes de pierre gorge,objets apparemment cultuels, ont t dco .ivertt dans une pice de cetensemble 115. Ces colonnettes gorge sont distribues sur tout le terri-toire de la Civilisation de l'Oxus, dans des tombes ou des structurescultuelles. Elles sont prsentes Altyn Dp dans le sanctuaire o,comme souvent, elles sont associes d'autres objets symboliques enpierre, dites haltres , pierres anses ou sacs main 116. Detelles pierres cultuelles symboliques, dont le sens et la fonction nouschappent, sont issues du fonds provenant de.la phase formative centra-siatique de la Civilisation de l'Oxus, o elles avaient la forme des grosgalets dans lesquels les rainures taient tailles 117 . Ces objets nousinvitent explorer d'autres pistes, sans rapport avec les Indo-Iraniens etIndo-Aryens, mais peut-tre en relation avec un substrat que nous ua-lifierons d'lamite ou d'iranien dans la mesure o de tels objets ont etdcouverts Suse 118 et que d'autres, en statite sculpte de motifsmythologiques, viennent du Kerman 119 .

    A Togolok 1, sanctuaire de petite taille, on retrouve une piceblanche , mais aussi une tombe dite de prtresse (?), ainsi qu'unecolonnette incruste, une centaine de vases en cramique, les restes des osd'un cocher et deux taureaux considrs comme sacrifis. Il s'agiraitd'une glise rurale ddie plutt au culte libations qu'au culte dufeu 120 . On peut aussi y voir un manoir et la tombe d'un membre de l'litelocale.

    114. FRANCFORT et POTTIER 1978 ; FRANCFORT, BOISSET, BUGLE -1, DESSE, ECHALLIER,KERMORVANT et WILLCOx 1989, p. 257, note 32 ; MASSON 1981a, p. 44 ; BERNARD 1970,p. 327-330. Rappelons aussi les assez nombreux cnotaphes de la Civilisation de l'Oxuset notamment ceux de Kangurt-Tut qui se rduisaient parfois un trou contenant un

    vase VINOGRADOVA 1996a.115. SARIANm11986b.116. La bibliographie de ces objets de pierre (colonnettes gorge, sceptres et haltres) est

    aujourd 'hui considrable, par exemple FRANCFORT, BOISSET, BUCHET, DESSE, ECHALLIER,KERMORVANT et WILLCOX 1989, pp. 404-405 ; BOROFFKA et SAVA 1998 ; MUSCARELLA1993 ; WINKELMANN 1997b. Ceux d'Altyn Dp ont t trouvs dans l'ensemble funraireattenant la terrasse haute.

    117. Comme Sarazm (IsAKov 1991, fig. 30 et 31).118. Priode de Suse II (AMIET 1986b, fig. 13-16).119. MADJIDZADEH 2003.120. SARIANmI 1998a, pp. 104-110.

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    RYAS, ARYENS ET. IRANIENS

    A Gonur on connat un sanctuaire la butte sud et /un temple adjacent au palais de la butte nord. Dans le sanctuaire de Gonursud se retrouvent les pices blanches , des cercles contenant descendres et, dans l'angle sud-ouest, des rectangles que V. Sarianidi relie auculte du feu. Sur ce site galement, les petites salles d'eau (n137),enduites, ont livr des restes de vases contenant quelques graines dechanvre, d'phdra et une passoire. Le breuvage aurait t ensuite trans-port dans la cour entoure de corridors (n22 1). Mais la ralit pouvaittre tout autre : n'est-ce pas l simplement l'anctre des plans desmaisons et des palais grco-bactriens et kouchans, avec une salle d'appa-rat entoure de corridors donnant par un vestibule sur une cour situe aunoi',4, et avec les locaux domestiques et de stockage au sud, vers le fond.Les buttes de cendres mles de charbon et d 'os d ' animaux, ni Togolokni Gonur ne s'imposent comme cultuelles : ce sont peut-tre de simplesrejets de cuissons domestiques, ceux des cuisines des dynastes du lieu etde leurs commensaux 1221 .

    SJe n'insisterai pas non plus sur le temple du feu de Gonur nord 122

    qui pourrait n'tre qu'une adjonction de type cuisine une structurepalatiale, c'est--dire des pices foyers qui ont produit des rejets. Letype d'habitat nobiliaire en manoir est la rgle en Margiane comme enBactriane, avec des locaux de prestige, qui peuvent tre cultuels pourcertains (nous n'en doutons pas), mais dont rien ne dit qu 'ils soient enrapport avec un culte quelconque, indo-iranien ou indo-aryen.

    Les problmes d 'interprtation architecturale sont nombreux, dans lamesure o, comme pour le char, les aspects techniques, fonctionnels etsociaux ne sont pas envisags, et que toute l'interprtation est excluive-ment faite en fonction d'hypothses ethno-linguistiques et religieuses.Autre exemple : les troits locaux allongs murs parallles ne sont pasun argument de rapprochement avec l'architecture de la Syrie 123. J.Margueron a montr que ce sont des soubassements d'tages, mme s'ilspouvaient tre utiliss comme locaux de rangement. On en retrouve an palais de Gonur nord, qui s'tend sur un hectare environ, et qui seraitle palais du souverain de la Margiane (ill. 13), mais aussi Togolok 21 et Dashly 3 124 (ill. 14). Un autre lment architectural, le pilier plac aucentre d'une porte et destin soutenir le linteau, n'est pas envisagautrement que comme point de comparaison entre l'architecture de laCivilisation de l'Oxus et celle de la Syrie du nord (Alalakh), ce qui estabsolument lgitime, mais ne suffit pas tayer l'hypothse d'une migra-

    121. Ibid., pp. 111 sq. et ci-dessous. Le mme problme se pose propos de l'interpr-tation des couches d'os et de cendres dans la cour A attenante la terrasse d'Altyn Dp :rien n'indique qu'il s'agit de restes sacrificiels plus que de reliefs domestiques (MASSON1981a, pp. 60 sq.)

    122. SARIANIDI 1998a, pp. 120 sq.123. Ibid., pp. 130-131.124. SARIANIDI 2000a, 2002a et 2002c.

    LA CIVILISATION DE L 'OXUS

    281

    tion 125. N'y aurait-il pas d'autres explications possibles cette analogiestructurale ? De mme, il est regrettable que pour les salles enduites degypse et munies de jarres, et pour celles aux foyers ou aux fours, seules les lectures religieuses indo-irarfiennes soient dveloppes. Le prsup-pos cultue rend difficile toute,valuation.

    Il existe anmoins en Asie Centrale de la Civilisation de l'Oxus desmonuments incontestablement cultuels, les terrasses hautes. Ce sont dessortes de ziggurats qui apparaissent pour le moment Altyn-Dp(ill. 10), peut-tre aussi Ulug-Dp, ainsi qu' Nad-i Ali (ill. 15 et 16), Mundigak et Tureng-Tp, et plus l'ouest Sialk et Suse 126. Or,l'on sait que le mot comme la chose, en Msopotamie, sont probable-ment issus du plateau Iranien. Il est difficile d'en prciser la fonctionexacte et de les attribuer un culte dtermin, mais il est incontestablequ'elles appartiennent au domaine de l'Iran proto-lamite et lamite,sans aucun rapport avec des Indo-Iraniens ou );ndo-Aryens.

    Jusqu'ici rien donc n 'indique avec certitude la prsence d'Indo-Iraniens ou 'Indo-Aryens ou Iraniens dans la Civilisation de l'Oxusd'avant 1700. Mais des traits de cette Civilisation de l'Oxus, si originale etproche du plateau Iranien proto-lamite et lamite peuvent lui avoir temprunts par des Indo-Iraniens ou Indo-Aryens.

    D. L'iconographie et la structure du panthon.Le' panthon de la Civilisation de l'Oxus est connu, au moins

    partiellement, grce des reprsentations artistiques de la glyptique et del'orfvrerie, mais aussi de la sculpture et de la. gravure sur pierre. Lafloraison de cet art date des annes 2200-1700. Il y eut quelques tentativesdans les annes 1970-1980 pour interprter l'iconographie de laBactriane-Margiane l'aide d'une mythologie indo-iranienne ou del'Avesta. Ces essais peu concluants sont abandonns 127 . Actuellement,V. Sarianidi prfre insister sur le lien avec le -monde syro-anatolien pourconforter l'hypothse migratoire 128 ... ependant, si certains lments

    125. Nous reviendrons plus bas sur l'importance des liens observables entre l'Oxus et lemonde syro-anatolien et sur l'interprtation qu'il est possible d'en donner.

    126. BESENVAL et FRANCFORT 1994 ; BOUCHARLAT 1987 ; DESHAYES 1977 ; GHIRSHMIAN1942a et 1942b ; HUOT 1988 ; MASSON 1968, 1970 et 1976 ; VALLAT 1989. Ces terrasseshautes de l'ge du bronze sont peut-tre les anctres de celles de l'ge du fer, mais ellespossdent comme point commun leur anciennet, leur massivit, leur association (l ol'on a fouill) avec les ensembles funraires et avec les trouvailles de colonnettes et de pierresanses. La dcouverte d'un nouveau monument de ce type en Iran, Konar Sandal (Jiroft),dat par Y. Madjidzadeh des environs de 4000, tend confirmer ces informations, mme sila date de la construction peut tre plus rcente : Archeologia, 413, juillet-aot, 2004,pp. 14-25.

    127. Voir POTTIER 1981 et diverses tudes de V. SARIANIDI.128. Voir les cartes de rpartition de motifs et les flches des migrations proposes sur

    des cartes du Moyen-Orient dans SARIA