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Presses Universitaires du Mirail Culte des héros, culte des reliques Author(s): Bartolomé BENNASSAR Source: Caravelle (1988-), No. 72, HÉROS ET NATION EN AMÉRIQUE LATINE (Juin 1999), pp. 99-108 Published by: Presses Universitaires du Mirail Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40853636 . Accessed: 14/06/2014 13:53 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires du Mirail is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Caravelle (1988-). http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.47 on Sat, 14 Jun 2014 13:53:56 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

HÉROS ET NATION EN AMÉRIQUE LATINE || Culte des héros, culte des reliques

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Presses Universitaires du Mirail

Culte des héros, culte des reliquesAuthor(s): Bartolomé BENNASSARSource: Caravelle (1988-), No. 72, HÉROS ET NATION EN AMÉRIQUE LATINE (Juin 1999), pp.99-108Published by: Presses Universitaires du MirailStable URL: http://www.jstor.org/stable/40853636 .

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CM.H.LB. Caravelle n° 72, pp. 99-108, Toulouse, 1999

Culte des héros, culte des reliques PAR

Bartolomé BENNASSAR

Professeur emèrite à l'Université de Toulouse-Le Mirail

Les peuples d'Amérique latine célèbrent avec une ferveur sacrée le culte de leurs héros : une ferveur qui, en effet, divinise. Parmi ces héros, il est vrai, un dieu et quelques saints, les seuls héros hérités de la conquête : Jésus, le bom Jesus qui a donné son nom à quantité de bourgades brésiliennes, le christ devenu statue géante au sommet du Corcovado, figure de proue de navires, de barques ou de jangadas, icône protectrice d'autobus, de camions, de taxis ; à côté de « Jésus le christ », quelques Vierges célèbres : Guadalupe, Copacabana, Chiquinquirá..., elles aussi « multiclonées », enjeux dévotionnels de pèlerinages multitudinaires, et dont les cultes ont été ou sont associés à des reliques : faut-il rappeler les aventures extraordinaires de la cape miraculeuse de Juan Diego qui fonda le culte de la Vierge de Guadalupe ? On peut adjoindre aux Vierges Sainte Rose de Lima, patronne des Amériques.

Mais l'héritage chrétien accepté, assimilé, voire revendiqué, même s'il a été transformé profondément par un syncrétisme original, est bien dans le vivier colonial le seul pourvoyeur de héros reconnus, ou même révérés à la fois par les foules, les États et les intellectuels, fussent-ils iconoclastes et blasphémateurs : Diego Rivera, dont les fresques murales vouent les conquérants aux gémonies, sauve Bartolomé de Las Casas de ses impréca- tions vengeresses ; Vasco de Quiroga est statufié à Patzcuaro, au cœur du Michoacán, à l'égal d'un autre héros de cet État, laïc celui-ci, Lázaro Cárdenas ; le jésuite saint Pierre Claver, qui se fit esclave parmi les esclaves, est l'une des références obligées de la piété populaire dans la Carthagène colombienne !

À l'inverse, les conquistadores sont exclus du panthéon héroïque de l'Amérique latine, même lorsqu'ils ont été plus « découvreurs » que conquérants, à l'image d'un Orellana ou d'un Vázquez de Coronado. Ce n'est pas qu'ils aient disparu du paysage monumental : la statue équestre de François Pizarro, le contraire d'un humaniste, se dresse toujours à

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l'angle de la Place d'Armes de Lima. On vous montre, sans commentaire désobligeant, la maison d'Hernán Cortés à Oaxaca, quoique la plupart des guides l'ignorent, et quelques institutions, dont l'hôpital de Jésus à Mexico, conservent le portrait du conquérant de la « Nouvelle Espagne », mais la fresque géante de Diego Rivera (datant de 1947-48), qui projette sur le mur l'histoire du Mexique, propose un Cortés aux mains rouges de sang.

Une écrasante majorité des héros latino-américains appartiennent à l'histoire des deux derniers siècles. La catégorie de très loin la plus nom- breuse est celle des proceres de la génération de l'Indépendance. Cette catégorie se divise elle-même en deux groupes : d'abord celui des précur- seurs, généralement martyrisés par un pouvoir colonial aux abois, tel Joaquim José de Silva Xavier Tiradentes, pendu et écartelé à Rio de Ja- neiro, après l'échec de « l'Inconfidence minière » dont il avait été l'âme ; ou José Antonio Galán, le chef des comuneros de Nouvelle Grenade, fusillé en 1782 ; ou le curé mexicain Miguel Hidalgo, l'homme du « cri de Dolores », exécuté à Chihuahua en 1811 ; ou encore un autre prêtre, chanoine du Cuzco celui-ci, Ildefonso de Las Muñecas, pris et tué en 1816, dans la province du département de La Paz qui porte actuellement son nom. Francisco Miranda, le Vénézuélien, fait prisonnier par les Espagnols en 1812 et qui périt dans une prison de Cadix en 1816. Ces précurseurs comptèrent même dans leurs rangs un évêque, Mgr Cuero y Caicedo, président de la deuxième junte révolutionnaire de Quito, qui mourut prisonnier à Lima en 1815. Et quelques femmes : Josefa Ortiz de Domínguez, la corregidora de Queretaro qui, en 1810, avisa les conjurés qu'ils étaient découverts ; Juana Azurdy de Padilla, héroïne de l'indépen- dance bolivienne ; et la comunera de Nouvelle Grenade, Policarpa Salava- tierra, dont la rumeur populaire prétend, oserai-je l'écrire, qu'à l'heure de l'exécution, elle faisait encore bander les soldats ! Ces précurseurs ont tous place d'honneur dans les histoires nationales des pays d'Amérique latine et les livres scolaires qui leur sont consacrés. L'un des États de la République du Mexique et plusieurs villes et bourgades portent le nom d'Hidalgo dont le portrait géant surgit au cœur d'une grande fresque d'Orozco ; un État vénézuélien s'appelle Miranda ...

Ensuite, les libertadores, plus nombreux : Morelos, puis Iturbide, rallié à la cause de l'indépendance mexicaine mais dont le double jeu et l'ambi- tion font une figure contestée ; José Antonio Páez au Venezuela ; Fran- cisco de Paula Santander en Nouvelle Grenade ; José Miguel Lanza en Bolivie ; José de San Martin au Rio de La Plata ; Bernardo O'Higgins au Chili ; quelques personnages hors du commun, tel Gaspar de Francia au Paraguay ; un cas atypique, Don Pedro 1er au Brésil, puisqu'il s'agit d'un prince portugais, héritier de la dynastie, qui, en rupture avec les instructions reçues de Lisbonne, proclame l'indépendance du Brésil : c'est le sens du célèbre cri d'Ipiranga, Fico, Je reste ! Rien d'étonnant à ce que Petropolis, née d'une fazenda achetée par Pedro 1er, puis choisie

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comme résidence d'été par Pedro II, soit devenue un conservatoire de reliques, à vrai dire assez communes mais devant lesquelles défilent les bataillons endimanchés de la petite bourgeoisie brésilienne. Comme l'ob- serve Pierre Vayssière, le Pérou qui ne disposait pas de « libertador» convenable s'en fabriqua un en « récupérant » José Gabriel Tupac Amaru Condorcanqui qui s'était soulevé en 1790, au nom du roi d'Espagne certes, mais n'en avait pas moins combattu le pouvoir colonial et incarné une sorte de légitimité incaïquel.

Parmi les libertadores trois personnages ont acquis une réputation plus haute, sont devenus objets de vénération générale parce qu'ils n'ont pas limité leur rôle à une action locale, même créatrice d'un État indépen- dant. Leur ambition concernait sinon tout le continent américain, sinon toute l'Amérique Latine, au moins toute l'Amérique du Sud de colonisa- tion espagnole, et ils participèrent ainsi à la libération de plusieurs des fu- tures républiques. Deux d'entre eux étaient des Vénézuéliens, Simón José Antonio Bolivar, né à Caracas en 1783, et Antonio José de Sucre y Aida, qui vit le jour à Cumaná en 1795 ; le troisième, en fait le plus âgé, José de San Martin, était un Argentin, né à Corrientes en 1778. San Martin et Bolivar avaient en commun le séjour en Europe, la formation militaire en Espagne, l'initiation à la franc-maçonnerie et l'influence incontestable de la Révolution française.

Le culte rendu à ces trois personnages rend bien compte de ce rôle international. Bolivar a donné son nom à l'une des nouvelles républiques qui n'est pas celle de sa naissance et dont il fut quelques semaines, avant de résigner son mandat, le premier président. Bolivar est encore le nom de plusieurs États ou départements des républiques d'Amérique du Sud. Il en existe ainsi un au Venezuela, immense, qui couvre tout le sud du pays, appel à la conquête pionnière, un autre en Colombie, un troisième en Equateur. Une ville de création relativement récente a été appelée Ciudad-Bolívar. Et l'unité monétaire du Venezuela est le bolívar. Enfin, dans toute l'Amérique latine, existent des places Bolivar, souvent les plus importantes ou les plus vastes, des avenues Bolivar.

Sucre, compagnon de Bolivar, militaire heureux, le vainqueur d'Aya- cucho, a été presque aussi bien traité par la postérité. Sa région natale au Venezuela est devenue l'État de Sucre. En Colombie, un département, d'ailleurs voisin du Bolivar, a également reçu le nom de Sucre. En Bolivie, l'une des plus importantes villes du pays, l'ancienne La Piata de Charcas, puis Chuquisaca, a été rebaptisée Sucre et elle est restée longtemps capitale du pays ; elle conserve d'ailleurs les archives nationales de la Bolivie dont Sucre, en succédant à Bolivar, a été président de 1825 à 1828, année de sa démission ; le sucre est la monnaie nationale de la

1 Pierre Vayssière, Les Révolutions d'Amérique Latine, Ed. du Seuil, Paris, 1991, notamment pp. 32-33.

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république d'Equateur. Évidemment, on peut recenser des centaines de places ou d'avenues Sucre.

La modestie et le désintéressement de José de San Martin expliquent la discrétion avec laquelle son nom a été utilisé dans la toponymie. Ce- pendant, parce qu'il fut celui qui proclama l'indépendance du Pérou, en 1821, San Martin a dans ce pays un département qui porte son nom. S'il n'en a point dans son propre pays, c'est tout simplement parce que la République Argentine a proscrit le culte de la personnalité appliqué à la géographie ; tous les États argentins portent des noms de villes, de montagnes, de fleuves ou d'ensembles naturels (Chaco, Entre Ríos). Mais il n'est peut-être pas une bourgade d'Argentine qui n'ait sa place San Martin, ornée de la statue équestre du héros. Et il n'est fête scolaire dans ce pays où ne soit évoquée avec une émotion véritable, qui peut aller jusqu'aux larmes, la geste du « libérateur de la patrie ».

Ailleurs, la géographie administrative et la toponymie urbaine conspirent dans l'une des plus efficaces techniques du souvenir que l'on connaisse. Les autres « libertadores » importants sont inscrits sur les car- tes : même dans des pays qui ont privilégié les noms géographiques, ils ont fait l'exception : Morelos et Guerrero au Mexique, Santander deux fois (car il y a aussi un Nord Santander !) et Nariño, seuls aux côtés de Bolivar et de Sucre en Colombie. Les noms de villes complètent une entreprise de commémoration dont il n'est peut-être pas d'autre exemple aussi achevé au monde.

La deuxième génération est beaucoup moins représentée, sauf sans doute au Mexique. Elle est faite des gens qui, plusieurs décennies après l'indépendance, voire un siècle ou davantage après, ont fait basculer le destin de la nation. Au Mexique, l'homme de la Réforme et de la résis- tance à Maximilien, Benito Juárez, est dans ce cas : à défaut d'un état, une ville (Ciudad Juárez) porte son nom. Les grands hommes de la Révolution de 1910, Emiliano Zapata en tête, mais aussi Pancho Villa, Venustiano Carranza, Álvaro Obregón, l'ont rejoint, avec Lázaro Cár- denas, meilleur héritier de cette Révolution. Ailleurs, de tels héros sont rares et ne bénéficient pas d'une telle unanimité : José Marti à Cuba, Jorge Eliécer Gaitán en Colombie, Evita Perón en Argentine, méritent, me semble-t-il, d'être distingués, car ils ont fait l'objet ou font l'objet d'un culte authentique. Gaitán est devenu la référence obligatoire de tous les réformistes ou révolutionnaires colombiens depuis le bogotazx) de 1947, auquel Fidel Castro assista par hasard et qui lui fit l'effet d'une révélation. Quant à Evita, le culte populaire dont elle jouit toujours (tombe fleurie en permanence) a pu suggérer qu'il s'agissait de la « laïci- sation d'un culte mariai », et il est évident que son souvenir tient une grande place dans la survie du péronisme. D'autres personnages sont en passe de se muer en figures légendaires, parmi lesquelles Getulio Vargas et, dans un registre bien différent, Luis Carlos Prestes au Brésil, ou le sont déjà devenus, tel Auguste-César Sandino, puisque le mouvement,

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qui se baptisa lui-même en 1961 Front Sandiniste de libération nationale, naquit près de 30 ans après que Sandino se fut volontairement retiré de la vie politique. Tel encore Tupac Amaru, déjà évoqué mais dont le mythe est opérationnel depuis plusieurs décennies puisque les révolutionnaires uruguayens des années 1970 l'utilisèrent (référence obscure) et qu'il fut invoqué par le mouvement militaire « progressiste » du général péruvien Juan Velasco Alvarado en 1971. L'effigie de Tupac Amaru se trouvait d'ailleurs, au côté de celle du général Velasco, dans les coopératives in- diennes du Pérou que nous avons visitées à cette époque. Dans un pays trop souvent oublié, mal connu, comme le Paraguay, il n'est pas exclu que Francisco Solano López accède quelque jour à ce statut malgré le rôle négatif qu'il a joué dans l'histoire de ce pays parce qu'il incarne l'indé- pendance nationale face à la Triple Alliance (Brésil-Argentine-Uruguay) dans la terrible guerre des années 1865-70.

Quant à la troisième catégorie... Elle est pour l'instant réduite à une seule figure mais qui, de notre temps, s'élargit aux dimensions d'un mythe universel, au point d'être récupérée, de façon d'ailleurs malsaine, par la publicité. Il s'agit évidemment du Che Guevara dont une station pyrénéenne n'hésitait pas, tout récemment, à afficher l'effigie avec, comme slogan, « La liberté au bout des skis » ! Guevara, d'ores et déjà, donne lieu à un culte des reliques qui mérite d'être analysé.

Mais avant de considérer ce cas extraordinaire, il faut rappeler que ce culte n'est pas nouveau en Amérique latine. Il est au contraire habituel lorsqu'il s'agit de figures dites « officialistes », c'est-à-dire reconnues par l'establishment politique, généralement parce qu'elles participent à l'iden- tité nationale. Ce qui est nouveau, dans le cas de Guevara, c'est la naissance d'un culte à l'égard d'un personnage en rupture avec les gou- vernements, fussent-ils révolutionnaires ou prétendus tels, et qu'aucune idéologie constituée en système ne revendique vraiment. N'a-t'il pas été qualifié de « petit condottiere du XXème siècle » par Régis Debray lui- même, de « Saint Ernesto » par Leonel Rugama^ ?

Revenons au culte des reliques encensées par les autorités politiques. Quelques exemples suffiront. Le Brésil est atypique : l'avènement à l'in- dépendance sans recours à la violence (ou presque) le frustre cruellement de héros à fonction identitaire. Heureusement, il y a Tiradentes. Mais on dispose de trop peu de choses qui puissent le concerner : on a rassemblé quelques pièces dans une salle dite de « l'Inconfidence Minière » du Musée Historique National, à Rio, baptisé un palais à son nom, élevé quelques statues à sa mémoire, dont l'une sert d'accoudoir aux amoureux sur la place centrale d'Ouro Preto. Et on a élevé au rang de relique la septième fenêtre du deuxième étage de l'ancien palais des vice-rois, ornée d'une plaque commemorative, d'où Pedro 1er prononça le serment de ne jamais quitter le Brésil et proclama en 1822 l'indépendance du Brésil,

2 Idem. Les citations entre parenthèses sont également empruntées à Pierre Vayssière.

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tandis que les restes du souverain ont été déposés en 1972 dans la crypte du parc d'Ipiranga à Sâo Paulo, doté d'un monument de l'Indépendance. Et, faute de héros, on a transformé en musées, outre le palais de Petro- polis, les demeures d'un certain nombre d'hommes politiques, de dyna- miques hommes d'affaires ou de pionniers : Ruy Barbosa, le duc de Caixias à Rio (mais n'est-ce pas pitié de convertir en grand homme le commandant en chef de la guerre du Paraguay ?), Maua, l'aviateur Santos-Dumont, le médecin allemand Blumenau, fondateur de la ville du même nom, etc.

Au Mexique, il y a pléthore de héros. Mais, en général, trop peu d'objets qui puissent être associés sans discussion aux personnages de lé- gende. Sans doute, le mausolée de l'Ange de l'Indépendance, situé sur le Paseo de la Reforma à Mexico, qui était demeuré fermé pendant 28 ans, a été réouvert au printemps 1998 et, dès les premières semaines, il avait reçu plusieurs milliers de visiteurs. Il contient les crânes de Miguel Hidalgo, Ignacio Aldama, Ignacio Allende et Mariano Jiménez, plus les cendres de Vicente Guerrero, Andrés Quintana Roo, Leona Vicario. Mais on est fort dépourvu avec les chefs de la Révolution et le cas typique est celui d'Emiliano Zapata pour l'excellente raison que les autorités militaires, préoccupées par la rumeur qui démentait la mort du héros, s'efforcèrent d'éliminer tous les éléments, fussent-ils les plus humbles, de sa vie quotidienne. De la sorte, si on peut visiter dans le Chihuahua la Quinta de la Luz, ancienne hacienda de Pancho Villa convertie en musée de la Révolution, où se trouve la limousine Dodge criblée de balles par les assassins de Villa en 1923, si on peut voir non loin de là, à Parral, un petit musée Villa, avec pistolets et uniformes, le Morelos n'a pas à offrir une maison natale irrécusable de Zapata.

Qu'à cela ne tienne ! Existent les reliques sonores, ces corridos ou chansons populaires qui, dans le Morelos, exaltent la bravoure et la générosité de Zapata, qui dans le Chihuahua se moquent du général américain Pershing courant après Villa sans jamais pouvoir l'atteindre ! Autre relique sonore originale, actualisée chaque année, le cri de Dolores qui réveille dans la nuit du 15 au 16 septembre le Zócalo de Mexico et les rues avoisinantes pour commémorer l'appel à l'indépendance du curé Miguel Hidalgo. Et dans un angle du Zócalo un montage électrique propose chaque nuit l'effigie lumineuse de Zapata, le grand héros paysan.

Il est vrai que les protagonistes de la Révolution ont leur salle (la salle 9) au Musée National d'Histoire de Mexico, où David Siqueiros qui leur a consacré une fresque a cru bon de leur adjoindre Bakounine, Marx et Louise Michel. Ils rejoignent dans ce musée les grands hommes de l'Indépendance (salle 5) et ceux de la Réforme dont, évidemment, Benito Juárez (salle 6) ; on peut aussi, salle 19, voir les carrosses qui servirent aux déplacements de Juárez pendant la guerre contre Maximilien. Mais Hidalgo et Juárez, par exemple, ont leur propre musée : le curé dans sa ville de Dolores (aujourd'hui Dolores Hidalgo) où la maison qu'il habita

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de 1804 à 1810 est devenue la Casa de Hidalgo, déclarée monument his- torique : on y trouve un mobilier d'époque, plusieurs portraits ou bustes de Miguel Hidalgo et de ses compagnons. L'appartement de l'aile nord du Palais National de Mexico, où vécut et mourut Benito Juárez, est aussi devenu un musée.

Mais ce sont les grands muralistes mexicains, Diego Rivera, Clemente Orozco, David Siqueiros et leurs épigones dont, entre autres, John O'Gorman, qui ont le mieux servi le culte des héros du Mexique contemporain parce qu'ils ont projeté sur les murs des grandes villes du pays, en images géantes, leurs effigies et leur geste. Dans la salle 5 du Musée National d'Histoire, O'Gorman a peint en 1961 une fresque de l'Indépendance en quatre séquences dont la troisième est consacrée à Hidalgo et à son armée de libération, la quatrième aux autres chefs du mouvement ; dans la salle 6 Orozco avait exécuté en 1948 une fresque qui mettait en scène Benito Juárez et la Réforme ; et, dans la salle 9, c'est Siqueiros qui, de 1957 à 1964, a pris en charge l'épopée révolutionnaire. Mais on retrouve tous les héros mexicains, de l'Indépendance à Zapata, au théâtre Insurgentes, dans une œuvre signée de Diego Rivera. Et sur les murs des bâtiments publics du Mexique, du nord au sud, les héros sont au rendez-vous : à Morelia, dans le palais du Gouvernement, Alfredo Zalee a couvert 500 mètres carrés à la gloire d'Hidalgo, Morelos, Guerrero, Juárez, Zapata, Carranza, Pancho Villa. Dans l'escalier de l'alhóndiga de Granaditos, à Guanajuato, Chavez Morado a de la même façon illustré les thèmes « incontournables » de l'histoire mexicaine. Au Palais du Gouvernement de Guadalajara, l'extraordinaire fresque d'Oroz- co, dont le chef-d'œuvre est le portrait géant d'Hidalgo, saisit le visiteur mais dans une église désaffectée de la même ville, place de l'Université, Siqueiros et Amado de la Cueva avaient, dès 1924, célébré la réforme agraire et son promoteur, Emiliano Zapata. D'Aguascalientes à Mérida, il n'est guère de palais du gouvernement qui n'exhibe sa contribution à cette ferveur patriotique. Même à Cuernavaca, le palais de Cortés contient quelques éléments d'une fresque de Diego Rivera à la gloire de Zapata, sans oublier les quatre grands tableaux de Roberto Cuevas del Río qui exaltent, on peut deviner sans effort, Hidalgo, Morelos, Juárez et Zapata !

Dernier exemple, celui de la Bolivie, que l'on va réduire ici à quelques lieux ou immeubles commémoratifs de la ville de Sucre : d'abord la Casa de la Libertad, très bel édifice construit en 1621 pour le compte de la Compagnie de Jésus, devenu plus tard l'Université François-Xavier, et qui a désormais pour fonction d'être le conservatoire de l'identité nationale. Le texte de la Déclaration d'Indépendance, signée le 6 août 1825 dans la chapelle voisine, s y trouve, de même que des plans, gravures, portraits, objets, associés à la cause de l'Indépendance et qui font une large place au maréchal Sucre. Dans la Casay une salle entière est consacrée aux exploits de l'héroïne Juana Azurduy de Padilla. Non loin

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de là, dans une tour de l'église San Francisco, se trouve la campana de la libertad, c'est-à-dire la cloche qui sonna le premier appel à l'insurrection, le 25 mai 1809. Et au pied de cette tour, encastrées dans le mur, les croix évoquent la mémoire des quatorze premiers martyrs de l'Indépendance.

Une fois rappelée la complaisance avec laquelle les Latino-Américains cultivent la mémoire de la naissance de leurs républiques et de leurs révo- lutions fondatrices ou refondatrices, il faut considérer autrement le cas aberrant, atypique, du Che dont la vie et la carrière ne sont en aucune façon attachées à un seul pays : argentin de naissance, Guevara a combattu à Cuba, est allé dynamiser des mouvements révolutionnaires en Afrique, a inspiré plusieurs guérillas américaines, pour finir en Bolivie, au service de paysans qui ne le comprenaient guère. La figure de Guevara s'identifie avec la Révolution, envisagée comme un mythe ou, pour mieux dire, comme un absolu qui n'a besoin ni de définition ni de justification.

On sait qu'en octobre 1967, les autorités boliviennes, c'est-à-dire le président Barrientos et le général Ovando, chef des forces armées, ordon- nèrent l'exécution sur place du Che, fait prisonnier par le commando du capitaine de Rangers Gary Prado dans le ravin de La Higuera. Le Che fut abattu par le sergent Terán, tandis que son compagnon, le guérillero communiste Simón Cuba, dit Willy, était abattu par un autre soldat. Il semble évident que la mort du Che a été décidée par le gouvernement bolivien pour éviter un procès d'une immense portée médiatique : déjà gênées par le procès en cours de Régis Debray, les autorités boliviennes étaient peu soucieuses de faire face à un autre déferlement de journalistes venus du monde entier. Il fut annoncé que le Che était mort au combat, fable qui ne résista pas longtemps à l'examen critique. La civière transportant le cadavre du Che fut arrimée à un hélicoptère qui la déposa sur la piste du petit aéroport de Vallegrande. Ces faits ne souffrent pas contestation. En revanche, le sort des restes du Che n'a cessé pendant trente ans de susciter hypothèses, débats, révélations et démentis. Il est probable, sinon certain, que le gouvernement bolivien avait souhaité faire disparaître toute « relique » éventuelle (on retrouve le cas Zapata) et le président Barrientos avait donné un ordre d'incinération. Mais, pour diverses raisons, il ne fut pas exécuté : il y avait notamment, au sein de ce gouvernement, un personnage difficile à cerner, contradictoire, ancien homme de gauche, le ministre de l'Intérieur Antonio Arguedas, qui éprouvait, à ce qu'il semble, une admiration secrète pour Guevara. Les agents de la CI. A. présents sur place, dont le Cubain Fabio Rodríguez, ont émis des vœux que l'on connaît mal. Le major Saucedo, chef de l'opération militaire, aurait refusé d'exécuter la mutilation ordonnée de La Paz parce que, chrétien, il voulait donner une sépulture décente au guérillero. Un journaliste bolivien, Jorge Suárez, ami du ministre de l'intérieur, affirme avoir conservé longtemps dans sa maison, les mains de

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Guevara dans un flacon de formol^ et son masque mortuaire, reliques dont il aurait pris livraison chez le ministre de l'Intérieur, chargé de les faire disparaître mais qui s'y était secrètement refusé. En 1995, le général bolivien Mario Vargas Salinas affirma que le corps de Guevara avait été inhumé sous la piste de l'aérodrome de Vallegrande mais Pierre Kalfon, auteur d'un livre très remarqué sur le Che, affirma que les recherches entreprises alors sur l'ordre du président bolivien en exercice, Sánchez de Losada, par des « experts » argentins et cubains, n'avaient rien donné 4. H est vrai que l'ouvrage de Pierre Kalfon a été publié en mai 1997, et, par conséquent, avant la découverte de restes reconnus du Che. Le général Vargas Salinas n'avait pu en effet indiquer l'endroit exact de l'inhu- mation dont, cependant, le général Saucedo avait confirmé la réalité avant sa mort. C'est l'identification du camionneur qui avait poussé le tombereau où était le cadavre qui permit, en juin 1997, de retrouver les restes de la dépouille d'Ernesto Guevara et, cette fois, sans contestation.

Le journal de Buenos Aires, Clarín, put exposer en détail, dans son numéro du dimanche 17 août 1997, le pacte secret qui avait été passé entre Fidel Castro et le gouvernement bolivien pour que les restes du Che, exhumés de Vallegrande, soient remis à sa famille, et notamment à la fille du révolutionnaire argentin, Aleidita, en l'absence de tout respon- sable officiel de Cuba, de façon à ne pas susciter l'ire des États-Unis. Il fallait aussi que l'opération soit terminée au plus tard en août 1997, date à laquelle le président Sánchez Losada cédait son fauteuil au successeur élu, le général Hugo Banzer. Il est possible que le flacon de formol avec les mains du Che et le masque mortuaire aient pris plus tôt le chemin de Cuba 5.

Les aventures extraordinaires et macabres du corps d'une des figures les plus charismatiques du siècle qui s'achève évoquent les chasses aux reliques médiévales mais elles s'inscrivent dans un contexte politique qui est bien celui de notre temps. Volonté malveillante de tuer non seule- ment un homme mais sa mémoire en faisant disparaître toute trace maté- rielle de ce que fut une vie. Scrupules, regrets, nostalgies, qui interfèrent et déjouent les pensées de haute politique. Craintes mal exprimées, pres- que dérisoires, de ce qu'un lieu de sépulture devienne fondateur de pèle- rinage, soit résurgence de révolution. Le Che qui avait formulé lors d'un voyage à Prague le vœu de mourir en Argentine, son pays natal, n'avait, à

3 L'amputation des mains du cadavre du Che s'explique par la précipitation avec laquelle fut décidée son exécution et le souci de confirmer l'identité du guérillero en confrontant ses empreintes digitales à celles que devraient ultérieurement fournir des agents argentins. Témoignage du général Gary Prado Salmón in Carlos D. Mesa Gisbert, De Cerca. Una década de conversaciones en democracia. La Paz, 1993, p. 505-506 [Ndle]. 4 Pierre KALFON, Che. Ernesto Guevara, une légende du siècle, Ed. du Seuil, Paris, 1 997, pp. 550 et sq. -> Les documents relatifs à la sépulture du Che, et notamment l'article de Clarín, m'ont été communiqués aimablement par Marie-Danielle Démêlas.

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Page 11: HÉROS ET NATION EN AMÉRIQUE LATINE || Culte des héros, culte des reliques

108 CM.H.LB. Caravelle

la vérité, nul besoin d'une sépulture authentifiée. Son effigie appartient à tous. Dans un pays tel que la France, où il n'intervint jamais, des clubs de supporters de football, dans plusieurs villes, déploient et agitent avant le coup d'envoi de grandes banderoles ornées du portrait géant du Che Guevara. Étrange appropriation !

RÉSUMÉ- La galerie des héros latino-américains correspond essentiellement aux deux derniers siècles et les figures de l'Indépendance y sont la très grande majo- rité. C'est surtout au Mexique que l'on trouve le culte rendu à des personnages plus tardifs (ceux de la Réforme et de la Révolution). Pour la période la plus récente, seul Ernesto Che Guevara a suscité un culte en voie d'universalisation, non sans malentendus.

RESUMEN- La galería de los héroes latinoamericanos abarca en lo fundamental los últimos dos siglos, siendo los «próceres» de la Independencia la abrumadora mayoría. Es sobre todo en México donde florece el culto tributado a personajes más tardíos (los de la Reforma y la Revolución). En el período mas reciente, sólo Ernesto Che Guevara viene suscitando un culto en vías de universalización, no exento de malentendidos.

ABSTRACT- The depiction of the Latin-American heroes corresponds for the most part to the last two centuries and the main figures of Independence feature prominently in this depiction. It is especially in Mexico that heroes who lived at a later date (during the Reform and the Revolution) are worshipped. Concerning a more recent period, only Ernesto Che Guevara gave rise to a form of hero-worshipping that is becoming universal, with a number of mis- understandings.

MOTS-CLÉS : Amérique, Indépendance, Révolution, héros, culte.

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