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Genre et subjectivité : Simone de Beauvoir et le féminisme contemporaine Author(s): Sonia Kruks and Rosette Coryell Source: Nouvelles Questions Féministes, Vol. 14, No. 1 (1993), pp. 3-28 Published by: Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Editions Antipodes Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40619536 . Accessed: 10/12/2014 23:54 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Editions Antipodes are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Nouvelles Questions Féministes. http://www.jstor.org This content downloaded from 194.214.29.29 on Wed, 10 Dec 2014 23:54:45 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Genre Et Subjectivité (Simone de Beauvoir)

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Genre Et Subjectivité (Simone de Beauvoir)

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  • Genre et subjectivit : Simone de Beauvoir et le fminisme contemporaineAuthor(s): Sonia Kruks and Rosette CoryellSource: Nouvelles Questions Fministes, Vol. 14, No. 1 (1993), pp. 3-28Published by: Nouvelles Questions Fministes & Questions Feministes and Editions AntipodesStable URL: http://www.jstor.org/stable/40619536 .Accessed: 10/12/2014 23:54

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  • Sonia Kruks

    Genre et subjectivit : Simone de Beauvoir et le

    fminisme contemporaine Rsum

    Sonia Kruks : "Genre et subjectivit : Simone de Beauvoir et le fminisme contemporain" Cet article soutient que l'oeuvre de Simone de Beauvoir est, philosophiquement, beaucoup plus indpendante de la pense de Sartre qu'on ne l'admet gnralement. Partant de l, au teure montre que Simone de Beauvoir demeure une ressource importante du fminisme contemporain : elle nous offre une conception de la subjectivit en tant que "genre" et en situation qui vite beaucoup des problmes soulevs par les conceptions essentialistes aussi bien que postmodernes du moi fminin.

    Abstract

    Sonia Kruks : "Gender and Subjectivity : Simone de Beauvoir and Contemporary Feminism" This paper argues that Beauvoir's work is far more philosophically independent of Sartre's thought than is generally recognized. Elaborating on this claim, it then goes on to argue that Beauvoir still remains a valuable resource for contemporary feminism : she offers us an account of subjectivity as gendered and as in situation that avoids many of the problems presented by either biologically essentialist or postmodern accounts of the female self.

    Au cours de la dernire dcennie, le dbat thorique chez les fministes nord-amricaines a t fortement influenc parle postmodernisme. Certaines sont mme alles jusqu' affirmer que la thorie fministe est intrinsquement postmoderne, que son projet mme est une mise en question des "mythes des Lumires", tels que l'existence d'un moi, ou d'un sujet, immuable, et la possibilit d'atteindre la vrit objective sur le monde par la voie de la raison. On a soutenu que la thorie fministe, parce qu'elle dconstruit ce qui parat "naturel" dans notre socit, qu 'elle met 1 ' accent sur la "diffrence", qu'elle bouleverse la stabilit des normes phallocentriques de la pense occidentale, "se situe nettement sur le terrain de la philosophie postmoderne". Et que "les concepts fministes du moi, du savoir et de la vrit sont trop contraires ceux des Lumires pour pouvoir entrer dans leurs catgories".1

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    Je ne suis pas convaincue qu'il soit possible, ou ncessaire, de prouver ces affirmations. Tout d'abord, l'opposition binaire Lumires/ postmodernisme qu'elles prsupposent est elle-mme contestable, tant historiquement que conceptuellement. Ensuite, je ne crois pas qu 'il existe un consensus suffisant sur ce que nous entendons par "concepts fministes du moi, du savoir et de la vrit" pour nous permettre d 'affirmer qu 'ils se situent "nettement" o que ce soit. Cependant, tout en critiquant certaines dclarations grandiloquentes faites au nom du postmodernisme, y compris celles concernant "la mort du sujet", l'impossibilit de toute totalisation ou continuit de l'histoire, et le manque de rapport entre la biologie et la sexualit (sans parler du genre) - je n'en pense pas moins que les mthodes d'analyse postmodernes peuvent tre trs utiles au fminisme. A un niveau thorique moins lev que celui auquel aspirent en gnral ses adhrentes, le postmodernisme peut offrir de prcieux instruments et des techniques pour l'analyse concrte de certains aspects de la subordination des femmes.

    DU BON USAGE DES MTHODES POSTMODERNES POUR LE FMINISME

    Ce que le fminisme postmoderne a le mieux dvelopp jusqu' prsent n'est pas tant de la "haute thorie" qu'une srie de gloses radicales sur le point de dpart dsormais classique de Simone de Beauvoir : "on ne nat pas femme : on le devient". Comme l'uvre de Simone de Beauvoir, l'approche postmoderne peut nous aider d-essentialiser et dnaturaliser le concept de "femme". Par exemple, les techniques de dconstruction dues Derrida nous invitent ne pas nous contenter de relever le sexisme superficiel du langage mais dmasquer les diffrenciations de genre et sa rpression plus profonde dans la structure logique de textes littraires et philosophiques qui paraissent premire vue neutres du point de vue du genre. De mme, les mthodes gnalogiques de Foucault nous permettent d'explorer le mode d'volution dans le temps de la reprsentation de "la femme", et d'examiner le mode d'action du complexe savoir/pouvoir en ce qui concerne la construction discursive de la femme. En effet, l'accent mis par Foucault sur l'interaction du pouvoir et du savoir et, de plus, ses considrations sur les savoirs asservis et les pratiques disciplinaires qui faonnent des individus "assujettis" font de sa mthode une ressource particulirement prcieuse pour les tudes fministes.

    Le fminisme, cependant, est bien plus qu'un domaine d 'tudes - et c'est lorsque nous abordons le terrain de la politique fministe que le

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    postmodernisme commence nous poser des problmes. Une foule d ' articles

    rcents expriment la crainte que le postmodemisme ne vise dans l'ensemble qu' dpolitiser le fminisme. Plusieurs de leurs auteures, dont Linda Aleoff, Wendy Brown et Nancy Hartsock, exhortent les fministes viter tout contact avec le postmodernisme.2 Ces auteures maintiennent qu'il pose des problmes insolubles la pratique fministe : son nominalisme radical, ou constructivisme (y compris la description constructiviste du corps), et le fait qu'il se limite l'ordre du discours empchent la comprhension des conditions relles, et mme objectives, de la vie des femmes. En outre, soutiennent-elles, le refus postmoderne de concevoir le moi, ou sujet, comme un agent dou de savoir et de volont - conception qui sous-tendait jusqu'ici presque toute vue fministe de l'action politique - implique une passivit inacceptable : les femmes ne seraient rien de plus que les "effets" de pratiques discursives, les produits du jeu de signifiants, les victimes d'un "dterminisme de discours".3 La dfinition postmoderne du changement social ne laisse aucune place, accusent-elles, la lutte organise et consciente de groupes d'individus ; le changement s'effectuerait par un jeu suprahumain de discours sur lequel nous ne pouvons exercer aucune influence.

    Ces auteures dpeignent le postmodernisme comme irrmdiablement entach de dfauts et incompatible avec une politique fministe efficace. Certaines autres, cependant, tout en partageant en partie leurs craintes, pensent qu'il vaut tout de mme la peine de tenter un rapprochement avec le postmodernisme. Sandra Harding, par exemple, a rcemment soutenu que l 'pistmologie fministe a besoin la fois d 'un projet des Lumires et d'un projet postmoderne et qu'aucun de ces deux projets ne peut tre labor en excluant totalement l'autre.4 Mary Poovey, de son ct, exposait clairement le problme comme suit dans un article rcent : "Le problme qui se pose celles d'entre nous qui sont convaincues la fois de l'existence de femmes historiques relles partageant certaines expriences et du bien fond thorique de la dmystification de la prsence par la dconstruction est de trouver le moyen de penser la fois les femmes et "la femme". Ce n'est pas une tche aise".5

    A mon avis, ce que nous avons appris (ou peut-tre rappris) grce aux thories postmodernes, c'est le pouvoirtrs rel du discours et le manque de transparence du langage : on ne peut plus revenir aujourd'hui un ralisme pur et simple. Nous ne pouvons pourtant pas nous permettre de renoncer compltement au ralisme. Je partage avec Poovey le souci de pouvoir continuer parler de "femmes historiques relles", de ne pas pouser

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    le genre d'hyperconstructivisme6 auquel peut nous pousser le postmodernisme, o la catgorie mme de "femmes" peut disparatre.7 De mme, ce que nous a appris la critique postmoderne du sujet des Lumires, c'est qu 'il ne faut pas attribuer la conscience le pouvoir absolu de constituer son propre monde : la subjectivit n'est jamais "pure" ni entirement autonome. Elle est inhrente des moi discursivement faonns et incarns - des moi qui ont aussi un genre. L'admettre ne signifie pourtant pas qu'il faut dfinitivement proclamer "la mort du sujet". liest important pour la politique fministe (comme le soutient Alcoff, entre autres) de pouvoir continuer assigner un rle la conscience et l'action individuelles, et mme d'insister sur l'ide de la responsabilit individuelle de nos actes. Mais, ce faisant, il nous faut aussi constater l'existence des modes de construction discursive et sociale de la subjectivit. Il nous faut, surtout, pouvoir tenir compte du genre en tant qu'aspect de la subjectivit, sans pour cela l'essentialiser ou le d- historiser.

    SIMONE DE BEAUVOIR : UNE CONCEPTION DU SUJET QUI N'EST NI CELLE DES LUMIRES NI CELLE DU POST- MODERNISME

    Afin de contribuer cette tentative d'interprtation de la subjectivit, cet article se propose de rexaminer l'uvre d'une thoricienne qui nous a prcd de beaucoup, Simone de Beauvoir. Car il n'est pas vrai qu'avant le postmodernisme il n'y avait que les Lumires ou la "modernit". Il nous faut rejeter l'opposition binaire entre "modernit" et "postmodemit" trop souvent considre comme fait tabli par les protagonistes du dbat fministe rcent. Il faudrait refuser de faire un choix malheureux entre la conscience autonome, ou constituante, des Lumires d 'une part et la tentative, de l'autre, de se dbarrasser du sujet lui-mme, selon la formule lapidaire de Foucault.8 Je veux montrer que nous trouvons dans l'uvre de Simone de Beauvoir une conception nuance du sujet qui ne peut tre considre ni comme appartenant aux Lumires ni comme postmoderne : c'est une conception du sujet en situation.

    En considrant les femmes comme sujets "en situation", Simone de Beauvoir peut la fois tenir compte du poids de la construction sociale, le genre y compris, dans la formation du moi, et refuser de le rduire un "effet". Elle peut accorder au moi un certain degr d'autonomie - dans la mesure - ncessaire au maintien de notions cls telles que l'action politique et la responsabilit, et de faon laisser place l'oppression du moi - tout en

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    reconnaissant les contraintes relles que les situations oppressives font peser sur la subjectivit autonome. Comme je le suggre dans la dernire partie de cet article, la subjectivit situe, telle que la conoit Simone de Beauvoir, peut servir de point de dpart aune conception de la subjectivit "genre" (the gendering of subjectivity), qui puisse viter l'essentialisme sans nous catapulter dans l'hyperconstructivisme d'une grande partie du fminisme postmoderne.

    Le postmodernisme : un phnomne culturel franais II serait peut-tre utile de revenir Simone de Beauvoir par un bref

    aperu de l 'histoire intellectuelle franaise rcente, en rappelant que l 'auteure crivait dans un milieu intellectuel purement franais, comme d'ailleurs les principaux dfenseurs du postmodernisme. Le postmodernisme et la phnomnologie existentielle dont s 'inspire la pense de Simone de Beauvoir font partie d 'une seule et mme histoire. Bien que les penseurs postmodernes fassent souvent remonter l'origine de la critique de la modernit Nietzsche ou aux derniers travaux de Heidegger, ce que la thorie fministe amricaine a import au cours de cette dernire dcennie sous la rubrique de "postmodernisme" est un ensemble d'ides formules principalement en France partir de la fin des annes 60.9 Ces ides ne reprsentent cependant pas, comme le prtendent souvent leurs auteurs, une profonde rupture pistmique ou pistmologique mais devraient plutt tre considres comme une suite d'assimilations et de rejets des ides de gnrations prcdentes de penseurs franais.

    A mon avis, le postmodernisme est n en France sous forme de critique radicale du structuralisme des annes 60, en tant que "poststructuralisme". En dpit de ses prtentions l'objectivit et la scientificit, le structuralisme passe facilement au poststructuralisme du fait de ses attaques contre la notion classique du sujet. Le lien qui unit le structuralisme au poststructuralisme en France est ce qu'on pourrait appeler leur antihumanisme. Depuis l'affirmation rpte de l'ethnologue structuraliste Lvi-Strauss que le but des sciences humaines est de "dissoudre" le sujet humain et les assertions de Lacan et d'Althusser pour qui "le sujet" est un simple "effet", jusqu'aux attaques de Derrida contre la mtaphysique de la "prsence" et l'argument de Foucault selon lequel les sujets sont "constitus" en tant que fonction du discours, la cible des attaques n'est autre que la notion de subjectivit autonome et celle d'agent, qui taient bien les ides centrales d'une grande partie de la philosophie depuis les Lumires.

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    Bien que cette attaque puisse se situer dans le cadre du vaste mouvement historique de la "modernit" la "postmodernit", l'apparition de antihumanisme franais tait aussi l'origine un phnomne beaucoup plus local : une raction parisienne contre l 'hgmonie de la phnomnologie existentielle "humaniste" et du marxisme dans la France d'aprs guerre. C'tait, avant tout, contre Jean-Paul Sartre que la lutte tait engage. En fait, la dissolution du sujet humain a t proclame pour la premire fois par Lvi- Strauss en 1962, dans un chapitre consacr tout entier une attaque contre la Critique de la Raison dialectique de Sartre.10 Tandis que vers la fin des annes 70 Foucault qualifiait toujours ouvertement son projet de tentative d'utilisation de la gnalogie pour remplacer non seulement le marxisme mais aussi la phnomnologie de son poque d'tudiant : il fallait dtruire le sujet phnomnologique sous toutes ses formes, insistait-il. Alors qu'on aurait pu croire la phnomnologie morte depuis longtemps en France, Foucault s'acharnait encore la tuer :

    "Je ne crois pas que l 'on puisse rsoudre le problme en historicisant le sujet, comme le posent les phnomnologistes, en fabriquant un sujet qui volue au cours de l'histoire. Il faut se passer du sujet constituant, se dbarrasser du sujet lui-mme, c'est--dire, parvenir une analyse qui peut rendre compte de la constitution du sujet dans un cadre historique... la gnalogie. . . est une forme d 'histoire qui peut rendre compte de la constitution des savoirs, des discours, des domaines d'objets, etc., sans avoir se rfrer un sujet qui serait soit transcendental par rapport au champ des vnements soit traverserait dans sa vaine identit le cours de l'histoire".11

    Cet expos met en opposition totale, d'une part, une conception du sujet en tant que "constituant" et "transcendental" l'histoire et, de l'autre, une conception du sujet en tant que constitu et devant tre analys (au moyen de la gnalogie) comme "l 'effet" de son cadre historique. Il offre le choix simpliste entre humanisme et antihumanisme, entre les "Lumires" et la "postmodernit", que les postmodernistes tentent frquemment de nous imposer au moyen des lentilles dichotomises travers lesquelles ils poursuivent leur propre lecture de l'histoire de la philosophie. Afin de rendre compte du poids des structures, des pratiques et des discours sociaux dans la formation de la subjectivit, tout en reconnaissant qu'un lment de libert est intrinsque la subjectivit - lment qui nous permet de parler, comme il le faut monavis,del'actionetdelaresponsabilit humaines individuelles - il nous faut une acception du sujet bien plus complexe, plus dialectique en vrit, que celle que nous offre Foucault.12 Rejete ou non par Foucault, une

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    telle acception existe dans les travaux de certains des phnomnologues franais, Simone de Beauvoir y compris.13 On peut aussi la trouver dans les travaux postrieurs de Sartre, tels que la Critique de la raison dialectique (1960) et sa monumentale tude de Flaubert (1971, 1972). Mais j'ai montr ailleurs qu'on ne la trouvait pas encore dans son "existentialisme" des annes 40 dont L'Etre et le nant (1943) offrait la formulation la plus complte. Je pense que L'Etre et le nant soutenait encore (quoique paradoxalement) une version du sujet classique des Lumires.14

    Les critiques postmodernes V gard de Simone de Beauvoir

    Simone de Beauvoir, la "Mre" de la seconde vague du fminisme15, tait videmment intimement lie Sartre, aussi bien personnellement que philosophiquement. Lorsque les fministes amricaines ont lu Le Deuxime Sexe (1949), vers la fin des annes 60, elles ont cru tout d'abord qu'il offrait une rvlation : "on ne nat pas femme : on le devient". Autrement dit, la fminit est une construction sociale et non une essence immuable, ou un destin biologique. Mais bien que cette connaissance demeure capitale pour le fminisme postmoderne, vers la fin des annes 70 on commenait considrer Le Deuxime Sexe comme pluttp&sr. Ce n'est pas seulement parce que la description par Simone de Beauvoir du vcu des femmes s'appliquait une poque de plus en plus rvolue. Ses solutions - le livre se termine par un appel la collaboration "fraternelle" des hommes et des femmes pour instaurer, au sein du monde donn... le rgne de la libert - semblaient nier la diffrence valorise dsormais par beaucoup de fministes. Sa conception de la libration pouvait laisser supposer que la femme devait se conformer l'idal mle. Sa constante utilisation d'un langage sexiste (le langage sartrien de "l'homme" et de "son" monde) prouvait son manque de sensibilisation la domination masculine dans son propre milieu intellectuel.

    En outre, puisque Simone de Beauvoir tait cense partager avec Sartre, non seulement une aversion misogyne pour le corps fminin16, mais tout le bagage philosophique de "l'existentialisme"17, la conception sartrienne du sujet y compris, le fminisme postmoderne en tait venu mpriser sa navet mthodologique.18 Aujourd'hui, Simone de Beauvoir est gnralement traite en anctre vnrable mais on ne la considre plus comme ayant une contribution significative apporter la poursuite de l'laboration de la thorie fministe. Au lieu de me contenterde lui vouer le culte d aux anctres, je me propose de montrer combien Simone de Beauvoir

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    reste proche de nos proccupations thoriques actuelles. En particulier elle a encore quelque chose dire sur le problme d'une thorisation fministe adquate de la subjectivit "genre" : une thorisation qui vite la fois Thyperconstructivisme, d'une part, et un essentialisme raliste qui naturalise la catgorie de "femme", de l'autre.19

    Comme je l'ai dj dit, la conception du sujet autonome chez Sartre, du moins dans L'Etre et le nant, est une version de celle des Lumires. Simone de Beauvoir, elle, a labor, aussi bien dans ses essais de morale des annes 40 que dans Le Deuxime Sexe (1949), une conception de "l 'tre-en-situation" ou de la subjectivit situe, quelque peu dilue, mais radicalement diffrente de celle de Sartre.20 Affirmer que Simone de Beauvoir s'carte sensiblement de la notion du sujet autonome venant des Lumires veut aussi dire, bien sr, qu 'elle est beaucoup plus indpendante de Sartre philosophiquement qu'on ne le reconnat en gnral. Ce sera l mon point de dpart. Dans la section suivante, je vais montrer que l'oeuvre de Simone de Beauvoir n'est pas aussi fermement ancre dans la philosophie sartrienne qu'on le suppose en gnral et qu'elle s'carte de l'identit tablie par Sartre entre la subjectivit et une conscience autonome inviolable. Aprs avoir dmontr son indpendance philosophique, je vais indiquer dans la dernire section pourquoi et comment la conception du sujet chez Simone de Beauvoir conserve une grande importance pour le projet de reconstruction de notre interprtation de la subjectivit "genre".

    SIMONE DE BEAUVOIR N'EST PAS SEULEMENT LA DISCIPLE DE SARTRE. MISE EN VIDENCE DE SON ORIGINALIT PHILOSOPHIQUE

    C'est Simone de Beauvoir elle-mme qui affirmait que son oeuvre dcoulait philosophiquement de celle de Sartre. Elle a constamment rpt, jusqu' ses dernires annes, qu'elle manquait d'originalit et qu'en matire de philosophie elle n'tait que la disciple de Sartre. Elle s'attribuait de l'originalit dans le domaine de la littrature mais dans le domaine plus sacr de la philosophie elle ne pouvait que le suivre et non rivaliser avec lui. "Sur le plan philosophique, insistait-elle, j'ai compltement adhr L'Etre et le nant et plus tard la Critique de la raison dialectique"}1 Trop de ses critiques ont pris Simone de Beauvoir au mot. Alors qu'on lui a souvent reproch sa dpendance intellectuelle vis--vis de Sartre, on s'est rarement demand si son autoportrait est fond. On suppose le plus souvent, comme l'a dit rcemment une auteure, qu'elle utilise simplement les concepts de

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    Sartre comme "portemanteaux" auxquels accrocher ses propres matriaux, si bien qu'on pourrait mme dire que "l'histoire intellectuelle de Sartre devient la sienne".22 Cette manire de voir, mme si elle est partage par Simone de Beauvoir elle-mme, est trompeuse. En effet, si elle s'est bien efforce de travailler dans un cadre sartrien (c'est--dire dans celui de L Etre et le nant), elle n'y est pas compltement parvenue. La plupart des incohrences que l 'on peut relever dans son oeuvre refltent une tension entre son adhsion formelle aux catgories sartriennes et le fait que les implications philosophiques de ses travaux sont en grande partie incompatibles avec le sartrisme.

    Le sujet sartrien est un sujet absolutis

    PourSartre/Ttre-pour-soi", ou la subjectivit, est compltement autonome et, parce que inconditionn, libre. "L'homme (sic) est un sujet absolu".23 Tout sujet, bien qu'existant "en situation" et donc expos la facticit du monde des choses (ou "tre-en-soi"), constitue toujours librement et de faon autonome la signification de sa propre situation par son pouvoir de transcendance. En outre, dans les rapports entre tres humains que Sartre, comme Hegel, qualifie de relation fondamentalement conflictuelle du moi, et de Autre, cette autonomie absolue du sujet demeure toujours intacte. Pour Sartre, donc, les relations de pouvoir ingal n'influent aucunement sur l'autonomie du sujet. "L'esclave est aussi libre dans les chanes que son matre"24, nous dit Sartre, parce qu'ils sont aussi libres l'un que l'autre de choisir le sens que chacun donne sa propre situation. La question de l 'ingalit matrielle ou politique entre matre et esclave n'a rien voir avec leur relation en tant que deux liberts, en tant que deux sujets absolus. Dans le mme esprit, Sartre peut crire - en plein milieu de la Seconde guerre mondiale! - que le Juif demeure libre face l'antismite parce qu'il peut choisir sa propre attitude l'gard de son perscuteur.

    En dpeignant le sujet absolu, Sartre se confine dans une conception du sujet qui, aux yeux de beaucoup de fministes, est incontestablement masculine : sa vision du moi est une version de ce que Nancy Hartsock a appel la "citadelle" (the "walled city"). Le moi est conu non seulement comme radicalement distinct d 'autrui mais aussi comme virtuellement hostile. Comme l'observe Hartsock, la description par Hegel du dveloppement de la conscience de soi dans la "dialectique matre-esclave", - lutte dans laquelle chaque conscience "poursuit la mort de l'autre" - (conception que Sartre fait sienne en dcrivant la relation entre le Moi et

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    l'Autre dans L'Etre et le nant) est une affirmation du vcu masculin : "La construction d'un moi en opposition un autre qui menace son tre mme se rpercute aussi bien sur la construction de la socit de classe que sur la vision masculiniste du monde et aboutit un dualisme profond et hirarchique".25 En outre, la notion du sujet chez Sartre participe aussi de l'universalisme abstrait qui, selon plusieurs autres auteures, accompagne une ide spcifiquement masculine de la raison.26 Etre matre ou esclave, antismite ou Juif, - ou bien mle ou femelle - n'a, pour Sartre, aucune porte sur la subjectivit absolue et inviolable dont chacun de nous est porteur.

    Le sujet beauvoirien est un sujet situ

    Etant donn ces lments masculinistes de la notion sartrienne du sujet, on peut soutenir que sa philosophie n'offre pas un cadre hospitalier au dveloppement d'une thorie fministe. Tant qu'elle s'efforce de s'y conformer, Simone de Beauvoir continue, je pense, faire appel une ide minemment masculine de la libert universelle abstraite en tant que but de la femme libre. Nanmoins, elle opre aussi avec une ide sensiblement diffrente du moi, coexistant en difficile antagonisme avec le cadre sartrien. C'est une notion moins dualiste et plus relationnelle du moi qui, soutient Hartsock (entre autres), aurait tendance dcouler des particularits du vcu des femmes.27 Ce qui implique, en contradiction avec le Sartre des dbuts, un rejet tacite de la notion de "sujet absolu" en faveur d'un sujet situ : un sujet intrinsquement intersubjectif et incarn, donc toujours "interdpendant" - et aussi par consquent vulnrable.28

    Bien avant d'crire Le Deuxime Sexe, Simone de Beauvoir avait commenc laborer une conception du sujet trs diffrente de celle de Sartre. On le voit dj clairement dans le rsum qu'elle donne, dans son volume autobiographique La Force de ge, d'une srie de conversations avec Sartre au printemps 1940. Dans ces conversations, Sartre lui exposait les grandes lignes de la philosophie qu'il bauchait et qui devait devenir L'Etre et le nant. Leurs discussions, se souvient-elle, portaient surtout sur le problme du "rapport de la situation et de la libert". Ils n'taient pas d'accord sur ce point :

    "Je soutenais que, du point de vue de la libert, telle que Sartre la dfinissait - non pas rsignation stocienne mais dpassement actif du donn - les situations ne sont pas quivalentes : quel dpassement est possible la femme enferme dans un harem ? Mme cette claustration, il y a diffrentes manires de la vivre, me disait Sartre. Je m 'obstinai longtemps et je ne cdai

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    que du bout des lvres. Au fond (remarque-t-elle en 1960), j'avais raison. Mais pour dfendre ma position, il m 'aurait fallu abandonner le terrain de la morale individualiste, donc idaliste, sur lequel nous nous placions".29

    Simone de Beauvoir a raison de dire qu'elle n'avait cd que "du bout des lvres". Bien qu'elle n'ait jamais voulu s'attaquer de front la conception de la libert chez Sartre, ou ide du "sujet citadelle" impermable qu'elle implique, elle allait discrtement les subvenir. On le voit encore plus clairement dans deux essais sur la morale qu'elle a crits avant Le Deuxime Sexe : Pyrrhus et Cinas (1944) et Pour une morale de l'ambigut (1947). Dans Pyrrhus et Cinas, crit pendant que V Etre et le nant tait sous presse, Simone de Beauvoir part toujours du sujet autonome de Sartre mais elle finit par remettre en question la thorie des relations sociales fondamentalement conflictuelles que Sartre en dduit. Bien que les liberts soient distinctes, Simone de Beauvoir soutient aussi (contrairement Sartre)30 que, paradoxalement, elles sont en mme temps intrinsquement interdpendantes. Si je tente d'imaginerunmonde o je suis la seule personne vivante, c'est une image terrifiante. Car tout ce que je ferais serait vain s'il n'existait aucun autre sujet pour le valoriser : "Un homme (sic) seul au monde serait paralys par la vision manifeste de la vanit de tous ses buts ; il ne pourrait sans doute pas supporter de vivre".31

    Qui plus est, pour que les autres puissent valider mes projets, raisonne Simone de Beauvoir, il ne suffit pas qu'ils soient "libres" au sens de Sartre ; il ne suffit pas qu'ils soient des sujets dont chacun constitue, comme le matre et l'esclave, le sens de sa propre situation distincte. Pour Simone de Beauvoir, beaucoup plus que pour Sartre, la libert implique une subjectivit pratique 32 : la possibilit pour chacun de nous d'agir dans le monde, afin de pouvoir reprendre les projets les uns des autres et leur donner une signification dans l'avenir. Et pour que cela soit possible il faut jouir d'un degr gal de libert pratique :

    "La libert d 'autrui ne peut quelque chose pour moi que si mes propres buts peuvent leur tour lui servir de point de dpart ; c ' est en utilisant l'outil que j'ai fabriqu qu'autrui en prolonge l'existence ; le savant ne peut parler qu' des hommes parvenus un degr de connaissance gal au sien... Il me faut donc m 'efforcer de crer pour les hommes des situations telles qu'ils puissent accompagner et dpasser ma transcendance ; j 'ai besoin que leur libert soit disponible pour se servir de moi et me conserver en me dpassant. Je demande pour les hommes la sant, le savoir, le bien-tre, le loisir, afin que leur libert ne se consume pas combattre la maladie,

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    l'ignorance, la misre".33

    Vers une thorie du sujet opprim ou de la femme comme V Autre ingale Simone de Beauvoir a donc dj conscience ici de

    l'interdpendance des subjectivits et, ce qui n'est pas le cas pour Sartre, de la vulnrabilit du sujet. En fait, on peut dire qu ' elle fait ici le premier pas vers la cration d'un lien adquat entre l'existentialisme individualiste de Sartre et leur adhsion partage aux valeurs du socialisme. Dans Pour une morale de ambigut, elle est alle un peu plus loin. Elle a avanc l'ide que l'oppression pourrait pntrer tel point la subjectivit que la conscience elle-mme ne serait plus que le produit de la situation oppressive. La libert que Sartre associe la subjectivit pourrait tre, dans une situation d 'extrme oppression, compltement rprime, tout en ne pouvant pas tre dfinitivement limine. Dans une telle situation, l'opprim devient incapable de tout projet de rsistance, incapable mme de la distance de rflexion ncessaire pour avoir conscience d'tre opprim. Dans cette situation, "vivre c'est seulement ne pas mourir, et l'existence humaine ne se distingue pas d'une vgtation absurde".34 Les opprims - c'est un point sur lequel Simone de Beauvoir reviendra dans son analyse de la situation de la femme - vivent dans un "monde infantile", immdiat, privs du sentiment d'autres futurs possibles. La libert n'est plus la possibilit de choisir comment vivre mme la plus contraignante des situations, comme le prtend Sartre. La libert est alors conue comme se rduisant tout au plus une possibilit rprime. Elle est devenue "immanente", irralisable. Pourtant, malgr tout, la libert n'est pas qu'une "fiction" ou un "imaginaire" pour Simone de Beauvoir. Car, si l'oppression vient s'affaiblir, elle peut toujours refaire irruption.

    Dans Le Deuxime Sexe, Simone de Beauvoir s 'carte de manire encore plus marque de la version de Sartre du "sujet citadelle". Au dbut du Deuxime Sexe, elle semble se placer en terrain fermement sartrien. "Qu'est- ce qu'une femme ?" demande-t-elle, et elle commence par rpondre que la femme est dfinie comme ce qui n'est pas l'homme - comme l'Autre :

    "Elle se dtermine et se diffrencie par rapport l'homme et non celui-ci par rapport elle ; elle est l'inessentiel en face de l'essentiel. Il est le Sujet, il est l'Absolu : elle est l'Autre".35

    Certaines commentatrices ont accus Simone de Beauvoir d 'avoir adopt dans cette formulation la notion sartrienne (et hglienne) de l 'autoconstruction de la subjectivit par le conflit.36 Pourtant, ds le dbut du livre, l'auteure relativise la notion d'altrit en introduisant une distinction

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    que l'on ne trouve pas dans L'Etre et le nant et dont il faut souligner l'originalit.

    On peut, soutient-elle, distinguer deux sortes de rapports d 'altrit sensiblement diffrents : ceux entre gaux sociaux et ceux qui impliquent une ingalit sociale. Elle exprime l'ide que, dans le cas d'une relation d'galit, altrit est "relativise" par une sorte de "rciprocit" : chacun, comme elle l'a suggr dans Pyrrhus etCinas, reconnat que l'Autre est une libert gale. Tandis que, lorsque 1 ' altrit existe dans des rapports d ' ingalit, la "rciprocit" est plus ou moins abolie ; elle est remplace par des rapports d'oppression et de soumission. Quand l'une des deux parties dans un conflit est privilgie, parce qu'elle jouit d'un avantage matriel ou physique, alors, "elle l'emporte sur l'autre et s'emploie la maintenir dans l'oppression".37 Ce n'est donc pas l' altrit de la femme en soi mais son oppression - l'objectification mw-rciproque de la femme par l'homme - que Simone de Beauvoir se propose d'expliquer. Ce n'est pas seulement que la Femme est l'Autre ; c'est qu 'elle est l'Autre ingale. La question est la suivante : si cette ingalit n'est pas inscrite dans la nature, comment se produit-elle ?

    La rponse succincte pour Simone de Beauvoir est, videmment, que "tre une femme" est une exprience socialement construite ; c'est vivre une situation sociale que les hommes ont, dans leur propre intrt, tent d'imposer aux femmes. L'acceptation par les femmes de cette situation impose suit un continuum, selon elle. Certaines choisissent de l'accepter de "mauvaise foi" (terme par lequel Sartre qualifie une stratgie de fuite de la souffrance et de la responsabilit qui accompagnent la libert), cause de la scurit et des privilges qu'elle apporte. D'autres, incapables de concevoir d'autre choix rel, l'acceptent en ayant recours certaines formes de rsistance passive et au "ressentiment". Pour d'autres encore (comme pour les opprims dcrits par Simone de Beauvoir dans Pour une morale de ambigut), leur libert est rprime au point qu'elles cessent d'tre capables de choix ou de rsistance. Simone de Beauvoir passe souvent trop arbitrairement de l'une l'autre de ces diverses formes de rapport des femmes leur oppression. Mais ce qui est intressant ici c 'est qu ' l 'extrmit la plus opprime du continuum, Simone de Beauvoir s'carte encore plus nettement de la notion sartrienne du sujet que dans ses essais antrieurs. Ce faisant, elle se libre aussi de toute conception du sujet venant des "Lumires", bien que (comme nous le verrons), elle ' ait aucune intention de se dbarrasser du sujet lui-mme.38

    Simone de Beauvoir semble d'abord convenir avec Sartre qu'il y

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    a disjonction totale entre l'humain et le naturel, l 'humain tant caractris par la libert et la subjectivit. C'est l-dessus que se base, en fait, son rejet des explications biologiques dterministes de la condition fminine. Une fois de plus, cependant, l'ontologie dualiste de Sartre se relativise rapidement entre ses mains. Si la biologie n'est pas elle-mme "destin", la condition oppressive que les hommes ont, au long des ges, impose aux femmes, la justifiant en grande partie en invoquant la diffrence biologique relle, peut agir de faon analogue une force naturelle. Les femmes peuvent avoir un "destin" fait par les hommes ; en fait, dit-elle, "toute l'histoire des femmes a t faite par les hommes".39 Si une femme est opprime au point d'annihiler compltement sa subjectivit, sa situation est alors dfait son "destin" et elle cesse d'tre un agent effectif ou moralement responsable.

    "Tout sujet, crit-elle, se pose concrtement travers des projets comme transcendance ; il n'accomplit sa libert que par son perptuel dpassement vers d'autres liberts ; il n'y ad'autre justification del'existence prsente que son expansion vers un avenir indfiniment ouvert. Chaque fois que la transcendance retombe en immanence il y a dgradation de l'existence en 'en soi', de la libert en facticit ; cette chute est une faute morale si elle est consentie par le sujet ; si elle lui est inflige, elle prend la figure d'une frustration et d'une oppression".40

    La femme est voue l'immanence par la situation qui lui est inflige par homme - et elle n'est pas ncessairement responsable. Bien que le langage de ce passage soit sartrien, je ne pense pas que le raisonnement le soit. Car une position sartrienne consquente rendrait la femme responsable d'elle-mme, quelque contraignante que soit sa situation. Mais pour Simone de Beauvoir, bien que certaines femmes se soumettent leurs oppresseurs de "mauvaise foi", elles ne sont pas la cause premire du problme. Pour beaucoup d'entre elles il n'y a pas faute morale puisqu'il n'y a aucune possibilit de choix. En avanant l'ide que la libert peut "retomber en *en- soi"' que le "pour-soi" peut tre chang, par l'action de liberts autres (c'est- -dire masculines), en son contraire, Simone de Beauvoir s 'carte radicalement de la notion sartrienne du sujet absolu. Pour Sartre, il ne peut y avoir de milieu. Ou bien le "pour-soi", le surgissement non caus de la libert, le "sujet absolu", existe quelles que soient les facticits de sa situation, ou bien il n'existe pas. Dans ce dernier cas, on a affaire au domaine de la nature ou de l'tre inerte. Dans la mesure o l'interprtation, par Simone de Beauvoir, de la situation de la femme comme une situation d'immanence signifie que la libert, le "pour-soi", peut tre pntr et modifi par l'"en-soi", elle

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    implique une notion du sujet diffrente de celle de Sartre. Simone de Beauvoir cherche dcrire l'existence humaine comme une synthse de libert et de contrainte, de conscience et de matrialit qui , en dfinitive, 'est pas compatible avec la version du "sujet citadelle" de Sartre.

    En fait, Simone de Beauvoir est alle si loin qu'on pourrait tre tente de formuler sa position, ne serait-ce qu' cet extrme du spectre, dans les termes de Foucault : la femme est un sujet historiquement constitu, non pas constituai. Car non seulement la femme ne parvient pas choisir librement sa situation, elle est en fait, dans le cas le plus extrme, le produit de la situation : "quand... un groupe d'individus est maintenu en situation d'infriorit, le fait est qu'il est infrieur... Oui, les femmes dans l'ensemble sont aujourd'hui infrieures aux hommes, c'est--dire que leur situation leur ouvre de moindres possibilits".41

    Cependant, la diffrence des critiques structuralistes et post- structuralistes de Sartre, Simone de Beauvoir ne rejette jamais compltement la notion de libre subjectivit. Mme lorsqu'elle est rprime, rduite 1 '"immanence", la subjectivit demeure une potentialit humaine indniable. Ainsi, par exemple, si sa description soigneuse et dtaille de Information de la jeune fille42 pourrait tre rcrite sur le mode foucaltien de "la technologie politique du corps" et de la "discipline", Simone de Beauvoir n' aurait jamais accept de renoncer la notion de la rpression de la libert. En dpit de toute rpression, de toute "discipline", c'est toujours la libert-faite-immanente qui distingue le sujet humain le plus constitu d'un animal dress. Une rpression - ou oppression - relle du moi est toujours possible pour Simone de Beauvoir, au contraire de Foucault. Pour elle, aussi socialement construites que soient ses identits, le "moi" n'en est pas moins autre chose que "l'effet" de son conditionnement. Bien qu'vitant l'essentialisme du "moi", comme un cogito cartsien par exemple, elle rejette aussi l 'hyper-constructivisme de l'interprtation du moi par Foucault comme discursivement produit et dpourvu de tout rle cratif.43

    VERS UN RALISME "DIALECTIQUE" QUI VITE LES PIGES DE L'ABSOLUTISATION ET DE L'HYPERCONSTRUCTIVISME

    Comment Simone de Beauvoir dveloppe-t-elle donc cette conception d'un sujet situ ne pouvant tre caractris ni comme une "citadelle" autonome ni comme la seule construction de pratiques discursives ? Deux ides fondamentales guident l'laboration de sa conception de la

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    subjectivit situe. La premire est sa comprhension de ce que l'on pourrait appeler intersubjectivit du sujet ; l'autre est l'inhrence de la subjectivit au corps : l'ide, emprunte Merleau-Ponty, qu'il est toujours fond d'appeler le sujet un "corps-sujet".44

    Intersubjectivit y collectivit et individualit L 'intersubjectivit du sujet signifie quelque chose de plus fort que

    l'interconnexion des sujets : elle signifie qu'il est impossible qu'une auto- constitution subjective ne soit pas dj socialement et culturellement imprgne. Si tout ce qui se passait entre un individu homme et un individu femme n'tait qu'une lutte des consciences hglienne - ou sartrienne - entre deux tres humains, dont l'un se trouverait tre mle et l'autre femelle, nous ne pourrions pas prvoir l'avance lequel des deux objectifierait l'autre. Les choses sont cependant trs diffrentes si nous examinons les relations entre un mari et une femme. Car l'institution sociale du mariage, dans tous ses aspects - lgaux, conomiques, sexuels, culturels, etc. - , a forg l'avance pour les protagonistes leur propre rapport d'ingalit. Comme le souligne Simone de Beauvoir dans un passage remarquablement non-sartrien :

    "Ce n'est pas comme individus que les hommes se dfinissent df abord ; jamais hommes et femmes ne se sont dfis en combats singuliers ; le couple est un mitsein originel ; et lui-mme apparat toujours comme un lment fixe ou transitoire d'une collectivit plus vaste".45

    Bien que vcue individuellement, la subjectivit n'est donc jamais une simple constitution individuelle de l'existence. Elle est plutt la fois constituante et constitue.46 Il s'ensuit donc (comme Simone de Beauvoir l'a dj clairement exprim dans ses essais thiques) que toute oppression affecte plus que ses victimes immdiates et que les luttes de libration ne peuvent tre que collectives. Le fait que Simone de Beauvoir elle-mme n'ait pas vu, au moment o elle crivait Le Deuxime Sexe, qu'elle aurait d appliquer explicitement ces conclusions aux femmes en les appelant la lutte collective (comme elle le faisait dj dans les annes 40 pour les peuples coloniss) est un indice de l'isolement dans lequel elle a crit son livre et des limites de son imagination politique.47 Mais cela ne doit pas nous rendre aveugles aux implications de son raisonnement.

    Simone de Beauvoir a estim plus tard que Le Deuxime Sexe n'tait pas un livre "militant".48 Dans la mesure o il n'appelle pas les femmes rsister de concert leur oppression, son jugement est justifi. Mais

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    s'il n'est pas militant, ce livre est profondment politique du fait de ses implications - et c'est l que rside en grande partie son actualit. Car, en affirmant avec insistance que les liberts sont interdpendantes et que la libert, aussi rprime, aussi immanente soit-elle, n'en demeure pas moins une potentialit, Simone de Beauvoir soutient que l'opposition est relle et que la lutte politique est possible. Tout en vitant les hypothses naves de la libert d'action individuelle et de la responsabilit du sujet "citadelle", elle soutient que la subjectivit ne devrait pas uniquement tre considre comme l 'effet du pouvoir apparemment autonome de "structures", de "technologies" ou de "discours".

    L'inhrence de la subjectivit au corps Mais, venons-en la seconde ide de Simone de Beauvoir : c'est

    vers les spcificits des subjectivits incarnes qu'elle nous oriente pour comprendre 1 Oppression des femmes. Si le couple est un"mitsein originel"49, c'est cause de son importance pour la reproduction. En insistant sur la constitution de la reproduction et de la sexualit comme phnomnes sociaux et culturels, Simone de Beauvoir vite l'essentialisme inhrent certaines formes de rductionnisme biologique. Mais elle vite aussi l 'hyperconstructi visme en soutenant que la reproduction est ontologiquement fondamentale. Si (comme elle l'explique dans Pyrrhus etCinas), nous avons besoin qu' autrui reprenne nos projets et dpasse notre finitude, alors toute libert individuelle a besoin de "la perptuation de l'espce". Ainsi, conclut- elle, "peut-on considrer le phnomne de la reproduction comme ontologiquement fond".50 Suivant un raisonnement ni tout fait raliste ni tout fait constructiviste mais dialectique, elle soutient que si les "faits" biologiquesn'ontd'autrevaleurquecellequeleurdonnentles tres humains, ils n'en n'ont pas moins une ralit objective : il y a des limites relles aux significations que nous pouvons choisir. Pour Foucault, rien chez l 'homme - mme pas son corps - n'est suffisamment stable pour servir de base la reconnaissance de soi.51 Mais pour Simone de Beauvoir, s'il n'est pas une essence stable, le corps n'en est pas moins rencontr comme une "donne" objective par le moi. Et pour une femme, qu'elle dcide ou non de procrer, c'est un fait inluctable que, des deux sexes biologiques, c'est sa physiologie qui est adapte au rle le plus prolong et le plus exigeant dans la perptuation de l'espce. Bien que le corps d'une femme ne suffise pas la "dfinir" comme "femme", il est, soutient l'auteure, "un des lments essentiels de la situation qu'elle occupe en ce monde".52

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    On a critiqu juste titre l'aversion prouve par Simone de Beauvoir pour le corps fminin et ses fonctions.53 On trouve en effet bien des passages dans Le Deuxime Sexe o les fonctions physiques des femmes sont assimiles l'animalit, la passivit et au manque de libert et sont dnigres du point de vue masculin, savoir celui d'une raison et d'une libert apparemment dsincarnes. Cependant, on peut aussi trouver dans son texte une autre lecture du corps de la femme. Cette lecture, que je compte poursuivre ici car elle est la plus fructueuse pour le fminisme, nous dit que c'est en tant que corps que la subjectivit humaine tout la fois se heurte et donne un sens son inhrence inluctable dans la ralit objective. Selon Simone de Beauvoir, les femmes s'y heurtent avec une intensit particulire, dont elle souligne l'aspect alinant : "La femme, comme l'homme, est son corps", dit-elle, mais elle ajoute immdiatement : "mais son corps est autre chose qu'elle".54

    Le point important marqu ici contre la notion du sujet "citadelle", c'est que la subjectivit n'est pas donne en opposition tranche au domaine des entits objectives qu'elle surveille ou contemple avec dtachement. Au contraire, c'est par le corps que nous appartenons chacun un seul et mme monde - appartenance commune qui pourrait tre le fondement d'une imbrication ou mme d'un partage du vcu sur lequel baser une action commune.55 La femme selon Simone de Beauvoir n'est pas un "pour-soi" sartrien pour qui le corps est pure facticit. Mais elle n'est pas non plus, rencontre de Foucault, simplement une "me... produite en permanence autour, la surface, l'intrieur du corps par le fonctionnement d'un pouvoir qui s'exerce sur... ceux qu'on surveille, qu'on dresse et corrige".56 Pour Simone de Beauvoir, il nous fait plutt explorer ce qu 'elle appelle "l 'trange quivoque de l 'existence faite corps".57 Car, "la prsence au monde implique rigoureusement la position d'un corps qui soit la fois une chose du monde et un point de vue sur ce monde".58

    La subjectivit est constitue corporellement ; elle est coexistante avec le corps, tout en tant en mme temps "un point de vue".59 La diffrence biologique elle-mme, ainsi que les significations socialement construites qui s'ajoutent cette diffrence, influent profondment sur la subjectivit mais elle n'est pas rductible leurs effets. Entre le genre de ralisme qui a frquemment postul une "essence" fminine invitable, fonde sur le corps et la maternit, et la position habituelle de la thorie postmoderne selon laquelle le corps lui-mme ne serait plus qu 'un construit, Simone de Beauvoir nous propose une interprtation moins dichotomique de la subjectivit. Cette

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    interprtation nous permet de reconnatre "la ressemblance" entre les femmes en tant que femelles biologiquement sexues et socialement construites sans assigner une essence immuable de "fminit" des "femmes historiques relles" qui peuvent mener une vie foncirement diffrente les unes des autres. Le sexe biologique est toujours prsent en tant que donne dans "l 'exprience vcue"60 du corps. Pourtant, l 'exprience vcue de notre corps n'est jamais "naturelle". Elle est, pour Simone de Beauvoir, l'une de nos expriences, toujours socialement mdiatises, des donnes objectives de la vie. Simone de Beauvoir approuverait donc, je pense, le projet fministe postmoderne de contester les constructions discursives du genre, tout en rejetant l'pistmologie hyperconstructiviste sur lequel il se base.

    Contre l'hyperconstructivisme implicite du postmodernisme qui risque de transformer la subjectivit elle-mme en pure fiction et de dtruire jusqu' la catgorie de femmes, Simone de Beauvoir suggre qu'il est ncessaire d'laborer une dfinition de la subjectivit "genre" que l'on pourrait qualifier de ralisme dialectique. J 'entends par l une interprtation de la subjectivit "genre" qui tienne compte non seulement du discours mais aussi d 'un "dpassement" du discours toujours discursivement mdiatis. Ce "dpassement" du discours englobe, d'une part, l'existence de paramtres objectifs de la vie humaine, tels que le sexe, la naissance, la maladie, la malnutrition et la mort et, de l'autre, la potentialit toujours prsente d'une marge de pense et d'action autonomes en situation que Simone de Beauvoir appelle "libert". Car, moins d'admettre que les "femmes historiques relles" vivent et meurent, qu'elles dcident et agissent et qu'elles peuvent tre plus ou moins opprimes ou libres, nous risquons de devenir nos propres fossoyeuses. S'il nous faut chercher une voie entre l'hyperconstructivisme et ressenti alisme, l'oeuvre de Simone de Beauvoir demeure fertile en ides sur la manire de nous y prendre.

    Sonia Kruks

    (Traduit de l 'amricain par Rosette Coryell) NOTES

    1. Jane Flax, "Postmodernism and Gender Relations in Feminist Theory", Signs, vol.12, N 4, 1987, pp. 621-43, part. 625.

    2. Linda Alcoff, "Cultural Feminism Versus Post-Structuralism", Signs, vol. 13, N 3. 1988, pp. 405-436 ; Wendy Brown, "Where is the Sex in Political Theory ?", Women and Politics, vol. 7, N 1, 1987, pp. 3-23 ; Nancy Hartsock, "Rethinking Modernism : Minority vs. Majority Theories", Cultural Critique, automne 1987, pp. 187-206.

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    Le passage suivant de l'article de Wendy Brown rsume bien les proccupations et les opinions de ces auteures : "Quelle est la femme qui a besoin d'tre dconstruite, qui a besoin de se connatre comme un terrain de discours, une "fiction", un "texte", un jeu de "signifiants diffus" ? Or la femme ajustement t toutes ces choses-l et elles constituent un merveilleux raccourci, plutt parodique, de l'histoire de l'oppression des femmes. La politique de dconstruction peut effectivement tre un remde pour une maladie qui afflige les hommes - un sentiment enfl de soi en tant qu'individus sui generis, en tant qu'inventeurs, systmatiseurs, capables d'omnipotence divine ... Mais les femmes ne peuvent se dconstruire qu'au risque de perptuer leur exclusion de l 'histoire, de perdre le "narratif qui est essentiel leur apparition dans l'histoire visible, de se dtourner du pouvoir et de la dcouverte de leur propre voix . Les femmes ne peuvent merger dans le monde qu 'en tant que sujets et revendicatrices de pouvoir" (p. 15). 3. L'expressionestdeWendyHolloway^iteparTeresadeLauretisinrecAno/og/e^ of Gender, (Bloomington : Indiana University Press, 1987), p. 15.

    4. Sandra Harding, "Feminism, Science and the Anti-Enlightenment Critiques", in Linda J. Nicholson (d.), Feminism/ Post-modernism, (New York, Routledge, 1990), pp. 83-1O6.

    5. Mary Poovey, "Feminism and Deconstruction", Feminist Studies, vol. 14, N 1, Printemps 1988, pp. 51-65, part. pp. 52-3. Deux anthologies rcentes condensent le dbat autour du fminisme et du postmodernisme : Irene Diamond et Lee Quinby (ds.), Feminism and Foucault, Reflections on Resistance, (Boston, Northeastern University Press, 1988) et Linda J. Nicholson (d.), Feminism/ Postmodernism.

    6. Je pense ici ce que Donna Haraway a aussi qualifi rcemment de "constructivisme fort". Voir son article "Situated Knowledges : The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective", Feminist Studies, vol. 14, N 3, 1988, pp. 575-89. Dans "Cultural Feminism Versus Post-Structuralism", Linda Alcoff qualifie cette position de "nominalisme". Ce terme ne me parat cependant pas appropri puisqu

    ' il est parfaitement possible d'tre tout la fois raliste (dans le sens de revendiquer que les choses ont une existence substantielle indpendamment de notre conscience) et nominaliste (dans le sens de nier que les concepts universels ou gnraux dcrivent autre chose qu'une collection d'entits discrtes). Hume, par exemple, soutient cette position et peut tre qualifi de raliste et nominaliste la fois. Les penseurs postmodernes rejettent en gnral l'affirmation que la ralit existe indpendamment des discours humains (sinon des consciences) qui la construisent. Ils ne rejettent cependant pas ncessairement l'affirmation que les concepts gnraux se rapportent quelque chose de plus qu'une collection d'entits discrtes. Ils sont, autrement dit, des antiralistes qui ne sont pas ncessairement des adeptes du nominalisme au sens classique.

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    7. CommedanslestravauxdeDeniseRiley.Voir'Am/iA/A^ame'? : Feminism and the Category of 'Women* in History, (Minneapolis, University of Minnesota Press, 1988). 8. Michel Foucault, "Truth and Power", in Power /Knowledge, d. Colin Gordon (New York, Pantheon Books, 1980), p. 117. Dans un autre essai, Foucault crit que s'il nous faut parler du sujet, il faut lui ter son rle cratif - donc l'analyser en tant que seul effet, "What Is an Author ?", in Language, Counter-Memory, Practice, d. Don Bouchard (Ithaca, N.Y., Cornell University Press, 1977), p. 138.

    9. Voir chez Poovey un excellent aperu de ce processus d'importation. 10. Voir chapitre IX de La Pense Sauvage, (Paris, Pion, 1962), pp. 324-357, part, p. 326-27. La Critique de Sartre, publie en 1960, semble avoir t le chant du cygne du marxisme existentiel dans la thorie franaise. 11. "Truth and Power", in Power /Knowledge, p. 117.

    12. Du moins jusqu' ses toutes dernires annes. Certains signes dans l'une de ses dernires interviews semblent indiquer que Foucaultcommenaitchangerd'opinion sur la question du sujet. Voir "Polemics, Politics, and Problematizations", interview avec Paul Rabinow, in The Foucault Reader, d. Paul Rabinow (New York, Pantheon Books, 1984), pp. 381-90.

    13. C'est surtout Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) qui advelopp cette acception dialectique du sujet. Merleau-Ponty a troitement collabor avec Simone de Beauvoir et S artre la revue Les Temps Modernes, la fin des annes 40 et au dbut des annes 50, et Simone de Beauvoir connaissait son oeuvre fond. J'ai dit ailleurs que sa conception de la subjectivit tait plus proche en plusieurs points de celle de Merleau-Ponty que de celle de Sartre. Voir "Simone de Beauvoir : Teaching Sartre About Freedom", in Sartre Alive, d. Ronald Aronson et Adrien Vandenhoven (Detroit, Wayne State University Press, 1990). 14. Il existe videmment de srieux dsaccords entre les divers spcialistes de Sartre sur l'valuation de sa premire conception de la subjectivit et si oui ou non cette conception s'est modifie sensiblement dans ses travaux ultrieurs. J'ai exprim plus compltement mon point de vue sur ce sujet dans Situation and Human Existence : Freedom, Subjectivity and Society, (New York et Londres, Routledge, 1990), ch. 5, pp. 146-179.

    15. L'expression est de Carol Ascher. Voir son "Simone de Beauvoir-Mother of Us Ail", Social Text, N 17, automne 1987, pp. 107-09.

    16. A ce sujet, voir, par exemple, Mary Evans, "Views of Women and Men in the Work of Simone de Beauvoir", Women s Studies International Quarterly, Vol. 3, 1980, pp. 395-404 ; Dorothy Kaufmann McCall, "Simone de Beauvoir, The Second

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    Sex, and Jean-Paul Sartre", Signs, vol. 5, N 2, 1979, pp. 209-23. Pour une discussion de l'horreur du sexe de la femme exprim par Sartre dansL' Etre et le nant, voir Margery Collins et Christine Pierce, "Holes and Slime : Sexism in Sartre's Psychoanalysis", in Women and Philosophy, Carol C. Gould et Marx W. Wartofsky (ds.), (New York, Capricorn Books, 1976), pp. 112-27.

    17. Voir, par exemple, Dorothy Kaufmann McCall ; et aussi Michle le Doeuff, "Simone de Beauvoir and Existentialism", Feminist Studies, vol. 6, N 2, 1980, pp. 277-89 ; Jean Elshtain, Public Man, Private Woman, (Princeton, NJ, Princeton University Press, 1981), pp. 306-10 ; Mary Evans, Simone de Beauvoir : A Feminist Mandarin, (Londres, Tavistock Publications, 1985) ; Mary O'Brien, The Politics of Reproduction, (Boston, Routledge and Kegan Paul, 1981), pp. 65-76 ; Judith Okely, Simone de Beauvoir, (Londres, Virago, 1986). 18. Pour une discussion de certaines de ces critiques dans leur contexte franais original, voir Dorothy Kaufmann, "Simone de Beauvoir : Questions of Difference and Generation", Yale French Studies, N 72 (numro spcial sur Simone de Beauvoir), 1986, pp. 121-131.

    19. On trouve un bon exemple de cette dernire position dans les travaux de Mary Daly. Voir, par exemple, Gyn/Ecology, (Boston, Beacon Press, 1978). 20. Pour Sartre, le sujet constitue toujours la signification de la situation, mme si ses facticits transcendent le choix. Voir en particulier VEtre et le nant, (Paris, Gallimard, 1943), quatrime partie, chapitre premier, IL, "Libert et Facticit : la Situation", pp. 561-638. Tandis que pour Simone de Beauvoir les situations peuvent devenir des circonstances qui imposent leur signification au sujet et qui, comme nous le verrons, imprgnent mme parfois la subjectivit au point de rendre impossible l 'autorflexion et donc la libert.

    21. "Interfrences", interview de Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre par Michel Sicard, Obliques, N 18-19, 1979, p. 325. In Alice Schwarzer, Simone de Beauvoir aujourd'hui, trad. La Marcou, (Paris, Mercure de France, 1984), p. 113, Simone de Beauvoir fait une rflexion analogue : "Certes, en philosophie, il tait crateur et moi pas... Je reconnaissais sa supriorit en ce domaine. Donc, en ce qui concerne la philosophiej 'tais en effet disciplede Sartre, puisque j'ai adhr l'existentialisme". La description des rapports intellectuels entre Simone de Beauvoir et Sartre que fait Bair dans sa rcente biographie la montre aussi s'en remettant frquemment Sartre en ce qui concerne la philosophie. Voir Deirdre Bair, Simone de Beauvoir. A Biography, (New York, Summit Books, 1990). 22. Judith Okely, Simone de Beauvoir, p. 122. Ce point de vue courant sur les rapports entre Sartre et Simone de Beauvoir a commenc tre systmatiquement mis en cause par Margaret A. Simons. Voir ses articles, "Beauvoir and Sartre : The Question of Influence", Eros, vol. 8, N 1, 1981, pp. 25-42 et "Beauvoir and Sartre : The Philosophical Relationship", Yale French Studies, N 72, 1986, pp. 165-79. Voir

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    aussi chez Judith Butler, "Sex and Gender in Simone de Beauvoir' s Second Sex", Yale French Studies, N 72, 1986, pp. 35-49, part. p. 48, l'opinion que Simone de Beauvoir cherchait "exorciser" le cartsianisme de Sartre bien avant qu'il ne tente de le faire lui-mme. Rosemary Tong a aussi brivement remarqu qu'il faudrait considrer Simone de Beauvoir comme philosophiquement indpendante de Sartre, voir Feminist Thought, A Comprehensive Introduction, (Boulder, CO, Westview Press, 1989), p. 196. Il reste nanmoins beaucoup faire sur cette question. Je ne peux pas me lancer ici dans cette dmonstration, mais il me semble que beaucoup des thmes des Cahiers pour une morale de Sartre, crits la fin des annes 40 et publis aprs sa mort, en 1983, s'inspirent des premiers crits de Simone de Beauvoir sur la morale. On pourrait aussi arguer que le concept de "destin" dans la Critique de la raison dialectique tire sa source de la description par Simone de Beauvoir du "destin de la femme" dans Le Deuxime Sexe.

    23. Sartre n'est pas seul utiliser ce langage fortement "genre". Simone de Beauvoir, elle aussi, utilise sans cesse "l'homme" pour parler de tous les tres humains et revient gnralement la forme masculine pour toute discussion qui ne ncessite pas absolument l'usage de la forme fminine. J'ai dcid de conserver ce langage prdominance masculine dans mon texte lorsque je cite ou paraphrase Sartre et Simone de Beauvoir.

    24. L'Etre et le nant, p. 634.

    25. Nancy Hartsock, Money, Sex and Power, (Boston, Northeastern University Press, 1985), p. 241. Nancy Hartsock fait prudemment remarquer qu'elle labore un "type idal". Il faut insister sur ce point, car il est important d'viter d'essentialiser ou de dhistoriser les concepts de "masculinit abstraite" ou de "sujet citadelle". Peu d'individus correspondent exactement des "types idaux" et la tradition philosophique occidentale elle-mme est loin d'tre aussi nette que ne pourraient le faire penser certaines de ses interprtations fministes. Il existe, par exemple, une tradition de morale socialiste, dont l'oeuvre de William Morris est une illustration, qui coupe en travers de la dichotomie abstrait/relationnel. Tandis que, sans avoir besoin de chercher plus loin, on trouve chez Edmond Burke une attaque cinglante contre le moi abstrait, attaque qui constitue en mme temps une dfense sans vergogne du patriarcalisme. 26. Voir, par exemple, Genevive Lloyd, The Man of Reason : "Male" and "Female' in Western Philosophy, (Minneapolis, University of Minnesota Press, 1984) ; Sandra Harding, The Science Question in Feminism, (Ithaca, NY, Cornell University Press, 1986). 27. Money, Sex and Power, pp. 242 et suiv. L'affirmation que les femmes ont un vcu relationnel de leur moi se base aujourd'hui sur divers arguments. Chodorow, entre autres, se base sur des arguments psychanalytiques, tandis que Gilligan tire ses preuves de la psychologie sociale. On s'est aussi servi, comme Sara Ruddick,

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    d'arguments tirs des particularits de la vie quotidienne des femmes. Voir Nancy Chodorow, The Reproduction of Mothering, (Berkeley, University of California Press, 1978) ; Carol Gilligan, In a Different Voice, (Cambridge, MA, Harvard University Press, 1982) ; Sara Ruddick, Maternal Thinking, (Boston, Beacon Press, 1989). Il existe actuellement un consensus clair, bien que minimal, sur ce que Ton pourrait appeler la preuve phnomnologique : la plupart des femmes en Occident, aujourd'hui, ont une exprience d'elles-mmes plus relationnelle que celle de la plupart des hommes. Mais je pense qu'il est important de ne pas transformer cette preuve phnomnologiqueenfermerevendicationd'un moi fmininessentiellement diffrent.

    28. L'un des paradoxes de l'oeuvre de Sartre dans l'immdiat aprs-guerre, c'est qu'il dfend une interprtation aussi radicalement individualiste et dtotalisante de la subjectivit tout en s'ef forant de plaider la cause de la solidarit socialiste et d' un projet rvolutionnaire collectif. Son incapacit tablir une relation adquate entre ces deux dimensions de sa pense explique peut-tre son impossibilit de terminer la "morale" qu'il avait tent de donner comme suite L'Etre et le nant. J'ai dvelopp cette ide plus compltement dans "Sartre's 'First Ethics' and the Future of Ethics", in David Wood (d.) The Future of Difference, (New York, Routledge, 1990), pp. 181-191.

    29. La Force de l'ge, (Paris, Gallimard, 1960), p. 448.

    30. Sartre discute bien sr ce qu'il appelle "tre-pour-autrui" dans L 'Etre et le nant. Pour Sartre cependant, contrairement Simone de Beauvoir, le "pour-autrui" ne peut tre une structure ontologique du "pour-soi". Voir L'Etre et le nant, p. 275.

    31. Pyrrhus et Cinas, (Paris, Gallimard, 1944), p. 65.

    32. Sartre, lui aussi, met l'accent sur la subjectivit pratique dans sa tentative ultrieure de synthse du marxisme et de l'existentialisme, savoir la Critique de la raison dialectique : la question de la mesure dans laquelle Sartre tait influenc intellectuellement par Simone de Beauvoir se pose donc une fois de plus. 33. Pyrrhus pp. 114-15.

    34. Pour une morale de l'ambigut (Paris, Gallimard, 1947), p. 116.

    35. Le Deuxime Sexe, (Paris, Gallimard-Folio, 1949, renouvel en 1976), I, p. 15.

    36. Voir, par exemple, Genevive Lloyd, The Man of Reason, part. pp. 93-102 ; voir aussi Nancy Hartsock, Money, Sex and Power, appendix 2, pp. 286-92. Mary O'Brien donne une explication intressante de ses raisons de considrer comme errone l'application aux femmes par Simone de Beauvoir de la "dialectique matre- esclave" de Hegel, voir The Politics of Reproduction, pp. 69-72.

    37. Le Deuxime Sexe, I, p. 109.

    38. Judith Butler soutient que pour Simone de Beauvoir le genre est toujours choisi

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    activement. Pour elle, "devenir femme" est, selon Butler, "un ensemble d'actes intentionnels et appropriateurs, acquisition d'une qualification, un 'projet', en termes sartriens, d'assumer un style et une signification corporels", "Sex and Gender", p. 36. Butler tire de cette interprtation la conclusion qu'il existe une "diffrence absolue" entre le genre et le sexe et que le genre peut donc tre compltement refait. Ce message librateur pourrait, certes, tre dduit du texte de Simone de Beauvoir, mais seulement en oubliant l'autre extrmit du continuum : le point o elle rompt avec Sartre en soutenant que pour les opprims tout "projet" peut cesser d'tre possible. 39. Le Deuxime Sexe, I, p. 221.

    40. Ibid., p. 31.

    41. Ibid., p. 25.

    42. Dans la traduction amricaine de Parshley, le chapitre "Formation" est intitul "The Formative Years", ce qui affaiblit l'ide de formation active du moi implicite dans le terme franais. 43. Foucault, Language, Counter-Memory , Practice, p. 138.

    44. "La femme, comme l'homme, est son corps", crit-elle, puis elle cite Merleau- Ponty dans une note : "Je suis donc mon corps, du moins dans toute la mesure o j'ai un acquis et rciproquement mon corps est comme un sujet naturel, comme une esquisse provisoire de mon tre total", Le Deuxime Sexe, I, p. 67.

    45. Ibid., p. 75 (soulign par l'auteure). 46. Elle est, en utilisant la terminologie ultrieure de Sartre, "universelle singulire". Voir Jean-Paul Sartre, "L'Universel singulier", Situations IX, (Paris, Gallimard, 1972), pp. 152-190.

    47. Il aurait fallu des pouvoirs d'imagination remarquables pour envisager un mouvement des femmes actif dans la France d'aprs-guerre. La France tait encore un pays principalement agricole et catholique, o les femmes venaient d'obtenir le droit de vote. Du fait de la dfaite et de l'occupation de la France par les Allemands, la guerre n'avait pas eu pour effet, comme aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, de forcer un grand nombre de femmes abandonner leur rle domestique traditionnel. 48. Voir sa remarque dans Tout compte fait, (Paris, Gallimard, 1972), p. 504. 49. Le terme mitsein qui vient de Heidegger signifie un "tre avec" fondamental. Dans L'Etre et le nant, Sartre rejette explicitement ce concept, p. 301 et suiv. 50. Le Deuxime Sexe, I, p. 40.

    51. Foucault, Language, Counter-Memory, Practice, p. 153.

    52. Le Deuxime Sexe, I, p. 77. Je ne pense donc pas que Simone de Beauvoir aurait accept l'argumentation de Judith Butler selon laquelle la possibilit de dissocier

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    totalement le sexe et le genre serait implicite dans son uvre. Voir "Sex and Gender", part. pp. 45-46. Voir aussi "Variations on Sex and Gender, Beauvoir, Wittig and Foucault", in Feminism as Critique, (d.) Seyla Benhabib et Drucilla Cornell (Minneapolis, Minnesota University Press, 1987), pp. 128-42. L'anatomie n'est pas le "destin" pour Simone de Beauvoir, mais son rapport au genre ne peut pas non plus tre considr comme entirement contingent. Si, comme le remarque Monique Wittig (cite par Butler, "Sex and Gender", p. 135), nous ne posons pas de questions sur la forme du lobe de l'oreille d'un nouveau-n mais nous demandons quel est son sexe, c 'est certainement parce que, comme l'af firme Simone de Beauvoir, le sexe a une signification ontologique que n'a pas le lobe de l'oreille. Etre n d'un sexe donn, c'est tre n avec ou sans la possibilit d'enfanter et de nourrir la prochaine gnration de notre espce : c'est--dire tre n avec ou sans des options significativement diffrentes (de quelque faon que nous choisissions, ou soyons forces, de les utiliser) en ce qui concerne une activit qui est intrinsque la vie humaine telle que nous la connaissons.

    53. Voir note 16 ci-dessus.

    54. Le Deuxime Sexe, I, p. 67.

    55. Il est intressant de noter que dans "Situated Knowledges", Donna Haraway souligne elle aussi le lien entre l'existence de moi incarns et la possibilit d'un savoirobjectif(oususceptibled'trepartag).Rclamant"unedoctrinederobjectivit incarne", elle observe que "l'objectivit se trouve concerner une incarnation particulire et spcifique et certainement pas une fausse vision promettant la transcendance de toutes les limites et de toutes les responsabilits. La morale est simple : seule une perspective partielle promet une vision objective", pp. 582-83. Je doute que Haraway dsire voir son oeuvre identifie la tradition phnomnologique ; il n'en existe pas moins des rsonances frappantes entre ce qu'elle dit et le point de vue de Simone de Beauvoir et, surtout, celui de Merleau-Ponty dont la critique de la pense spculative " haute altitude" a t source d'inspiration pour Simone de Beauvoir.

    56. Michel Foucault, Surveiller et punir, (Paris, Gallimard, 1975), p. 34.

    57. Le Deuxime Sexe, II, p. 658.

    58. Le Deuxime Sexe, I, p. 40 (soulign par l'auteure). 59. Cette interprtation est sensiblement diffrente de celle de Sartre pour qui "mon corps pour-moi" et "mon corps pour-autrui" (c'est--dire le corps en tant qu'objet) sont "sur deux plans d'tre diffrents et incommunicables", L'Etre et le nant, pp. 367-68.

    60. L'Exprience vcue est le titre donn par Simone de Beauvoir au second volume du Deuxime Sexe, II est malheureusement rendu dans la traduction anglaise par "Woman's Life Today", qui n'a pas la connotation phnomnologique vise par l'auteure.

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    Article Contentsp. [3]p. 4p. 5p. 6p. 7p. 8p. 9p. 10p. 11p. 12p. 13p. 14p. 15p. 16p. 17p. 18p. 19p. 20p. 21p. 22p. 23p. 24p. 25p. 26p. 27p. 28

    Issue Table of ContentsNouvelles Questions Fministes, Vol. 14, No. 1 (1993), pp. 1-89Front MatterPRESENTATION [pp. 1-2]Genre et subjectivit : Simone de Beauvoir et le fminisme contemporaine [pp. 3-28]Nonsexist English: a Primer for the French [pp. 29-42]L'EUROPE FEMINISTEViols contre lesfemmes de l'"ex"-Yougoslavie [pp. 43-76]

    MOUVEMENTSFminisme et rpression en gypte : "une nouvelle bataille pour la libration des femmes." Entretien avec Naoual el Saadaoui [pp. 77-87]

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