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Universit Transilvania de Braov Facult des Lettres Dpartement de Littratures et dtudes culturelles
Cours de littrature franaise
LE XXe SICLE
premire partie
Le Roman et la Posie
AUTEUR :
Dr. Monica HRAN Carge de cours
Littrature franaise Le XXe sicle
1
TABLE DES MATIRES
Tableau gnral du XXe sicle..2
1. La Belle poque .....6
2. Marcel Proust.15
3. Andr Gide.27
4. Louis-Ferdinand Cline....40
5. Franois Mauriac..48
6. Andr Malraux...56
7. Les grandes tapes du surralisme....64
8. Jean-Paul Sartre.76
9. Simone de Beauvoir...84
10. Albert Camus.91
11. Le Nouveau Roman..101
12. Marguerite Duras..107
13. Boris Vian..115
Bibliographie slective.....122
Annexe Solution des devoirs.123
Littrature franaise Le XXe sicle
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COURS NO. 1
TABLEAU GNRAL DU XXe SICLE
Objectifs oprationnels :
Acquisition des traits caractristiques de la littrature franaise du XXe sicle ;
Dlimitation des principales priodes avec leurs orientations, coles, courants littraires
dans lintervalle de la modernit ou e la postmodernit ;
Reprage des auteurs majeurs de chaque orientation, avec leurs particularits communes
et spcifiques.
1. Priodisation du XXe sicle
Le XXe sicle est plac, fatalement, sous le signe de la guerre, menaante ou prsente et
de ses lendemains. La littrature subit le coup des vnements capitaux, o semble mis en jeu
lavenir mme de lhumanit et de sa civilisation.
Ces vnements divisent le XXe sicle en trois grandes parties:
Lavant guerre (1890-1914)
Lentre-deux-guerres (1914-1940)
La priode contemporaine (de 1940 et jusqu prsent)
2. Contexte sociopolitique et historique
Lavant-guerre (1890-1914)
Littrature franaise Le XXe sicle
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Aux environs de 1900, le danger extrieur, bien que redoutable, semble proccuper moins
les esprits franais que les problmes et les dbats de politique intrieure. Laffaire Dreyfus a
contraint chaque citoyen prendre parti et de violentes querelles opposent les forces de droite au
bloc de gauche. La Ligue de la Patrie franaise, o se retrouvent bon nombre dacadmiciens, la
Ligue des patriotes et lAction franaise regroupent lopposition nationaliste et monarchiste; en
mme temps, se succdent au pouvoir les Ministres de Dfense rpublicains et sorganise,
lextrme gauche, malgr de vives controverses doctrinales, un parti socialiste unifi.
Toujours laube du XXe sicle, les crises marocaines (1904-1911) ravivent lhostilit
franco-allemande; ds lors, cest sur le territoire de la dfense nationale que sopposent le plus
violemment les esprits. Avec lEurope toute entire, la France sachemine implacablement vers
la guerre.
Au cours de cette priode, la plupart des crivains cdent la fivre de linquitude, qui
sempare de lopinion publique.
Les romanciers, notamment, cessent dtre uniquement des peintres objectifs dun tableau
sociopolitique. Certains, tels Maurice Barrs et Paul Bourget dfendent des thses nationalistes
et conservatrices. Dautre part, Anatole France et Romain Rolland exaltent un idal
dmancipation humaine.
La posie semble moins influence par les vnements; pourtant, Guillaume Apollinaire
est conscient des nouvelles ncessits que le monde moderne impose au pote; dautres potes,
tels Paul Claudel et Charles Pguy rompent avec tout dilettantisme esthtique et affrontent
dun point de vue chrtien les problmes de leur sicle.
Au thtre, enfin, si un public assez nombreux applaudit aux pices lgres des auteurs de
boulevard ou la frivolit gratuite des auteurs de vaudeville, tel Edmond de Rostand, une lite
discerne cependant limportance dune rvolution dramatique annonce par les graves pices de
Paul Claudel.
Lentre-deux-guerres (1914-1940)
Les annes qui suivent lArmistice (1918) sont des annes de dtente et desprance,
mais les illusions durent peu pour les pacifistes. Les succs du fascisme et de lhitlrisme, la
rvolution franquiste en Espagne, la course folle aux armements, sont les signes avant-coureurs
Littrature franaise Le XXe sicle
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dune conflagration mondiale imminente. Cependant, lvolution de la littrature nest pas
toujours le reflet de ces vnements.
En posie, les recherches esthtiques de Paul Valry, la rvolte dAndr Breton et des
autres surralistes, sont autant de manifestations dune littrature qui tend sloigner de
lactualit immdiate.
En prose, les romans de Marcel Proust, dAndr Gide, de Franois Mauriac, dHenri
de Montherlant, de Colette, de Jean Giono, tout en prenant appui sur la ralit du sicle,
tendent dgager des vrits universellement humaines.
Au thtre, daudacieuses expriences de conception et de mise en scne stimulent un
public qui cherche avant tout des satisfactions artistiques.
Vers 1930, cependant, des proccupations nouvelles et diffrentes simposent aux
crivains. Par ses romans, Andr Malraux dnonce les menaces nouvelles qui psent sur le
monde, tandis que Jules Romains tente de recueillir des enseignements des annes coules;
dautres romanciers tels Georges Bernanos ou Antoine de Saint-Exupry voquent les
problmes qui se posent avec acuit leurs contemporains.
Des potes forms lcole du surralisme, en particulier Louis Aragon et Paul luard,
portent un regard critique sur la socit et commencent mettre leur inspiration au service des
causes sociales.
Sur la scne du thtre, des dramaturges tels Jean Giraudoux, Jean Anouilh et Jean
Cocteau recourent aux mythes pour poser, dune manire allusive, des questions qui relvent, en
fait, dune actualit brlante et inquitante.
De laprs-guerre et jusqu nos jours (1940 - .......)
La dfaite, loccupation du territoire national franais par les Allemands, la chute
conomique, les perscutions politiques et raciales, ont cre dans la France un dsarroi moral
quune paix prcaire na pu dissiper totalement et tout de suite.
Les tendances littraires sont tellement diversifies, que lon a du mal runir plusieurs
crivains dans un mme courant, ou mme si on le fait, il y a cependant entre eux de grandes
diffrences.
Il y a pas mal dcrivains qui, lexemple de Jean-Paul Sartre ou dAlbert Camus,
dnoncent labsurdit cruelle dun monde boulevers (Jacques Prvert, Ren Char). Mais ils
Littrature franaise Le XXe sicle
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ne sabment pas dans un dsespoir strile: le refus dun ordre inhumain leur semble, au
contraire, un point de dpart ncessaire pour travailler la construction dun nouvel humanisme.
Enfin, il y en a dautres qui contestent cet humanisme toute chance de prendre forme; ils
soumettent la pense et le langage une critique aigu et, renonant lide de transformer le
monde, sen tiennent une description de leur exprience personnelle; cette forme de
ngativisme se manifeste chez les promoteurs du Nouveau Roman et du Nouveau Thtre.
Au thtre, labsurde prend de nouvelles dimensions avec les expriences dramatiques de
Samuel Beckett, Eugne Ionesco ou Jean Gent.
RSUM
Le XXe sicle se divise en trois grandes priodes :
- lavant-guerre la littrature de la Belle poque : hritiers et
successeurs du symbolisme ; potes de l Esprit nouveau .
- lentre-deux-guerres le roman moderne (plusieurs types : potique,
phnomnologique, surraliste) et le roman traditionnel (psychologique,
social) ; thtre mythologique et surraliste ;
- de laprs guerre et jusqu nos jours roman existentialiste, de la
nouvelle gnration thique, Nouveau Roman ; Thtre de labsurde.
DEVOIR No.1 :
Identifiez et schmatisez les principaux traits caractristiques de chaque orientation littraire.
Littrature franaise Le XXe sicle
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COURS NO. 2
LA POSIE DE LA BELLE POQUE
Objectifs oprationnels :
Acquisition des principales donnes thoriques sur la dfinition et les traits de la
Belle poque et de sa production littraire ;
Dlimitation des deux orientations principales dans la posie de cette priode
(continuateurs du symbolisme et potes de lEsprit nouveau) ;
Reprage des principales caractristiques des deux orientations ;
Assimilation des connaissances requises sur les plus importants reprsentants des
deux coles.
Habilet danalyse dun texte symboliste ou dun texte de lEsprit nouveau.
1. Que signifie le concept de Belle poque ?
On dsigne communment les premires annes du XXe sicle (1900-1913) sous le nom
de Belle poque . Et telle elle apparut en effet tous ceux qui, aprs les preuves de la
Grande Guerre, jetrent sur elle un regard rtrospectif. Il est vrai quobjectivement, les 13
premires annes de ce sicle prsentent plusieurs caractres positifs: la France vit la plus longue
priode de stabilit institutionnelle quelle ait connue depuis la Rvolution de 1789; la
Rpublique est solidement installe, la monnaie est stable et, sur le plan international, un
quilibre europen semble avoir t atteint. Tout favorise ainsi un climat deuphorie, qui se
reflte, dans le domaine des spectacles, dans lharmonie des Ballets russes et dans la lgret du
thtre de boulevard.
Littrature franaise Le XXe sicle
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Les nouveauts technologiques ne sont pas trangres loptimisme ambiant: les exploits
aronautiques (ceux de Roland Garros notamment), linstallation de llectricit, les premiers
essais cinmatographiques, les progrs de la vitesse et des moyens de communication, tout
contribue un nouveau plaisir de vivre et bouleverse les visions du monde. LExposition
universelle de 1900 consacre les succs technologiques, qui sont les germes dune re
industrielle dont plusieurs potes se feront les chantres. Si Apollinaire, Verhaeren ou Cendrars
clbrent la modernit triomphante et les progrs techniques, ils y dclent aussi des sources
dangoisses virtuelles. Avec la civilisation matrielle, se font jour, chez certains auteurs, des
proccupations spirituelles.
Ceux qui renouvelleront la fois les thmes et les formes du texte potique sot ceux
quon appellera les potes de lEsprit Nouveau Apollinaire, Jacob, Cendrars; ils innovent
par le refus de toute sparation entre lart et la vie quotidienne, par labandon des exigences de la
logique, par la priorit donne lexpression de linstantan et du simultan, par la recherche
systmatique de la surprise.
2. Hritiers et successeurs du Symbolisme
On dsigne sous le nom de symbolistes les potes qui se situent dans la ligne de
Baudelaire, Rimbaud, Verlaine et surtout de Mallarm.
Comme Baudelaire, les symbolistes ont le sentiment quil existe des correspondances
entre lunivers des sensations et celui des ides: le monde est ainsi constitu dune multitude de
symboles , quil faut dchiffrer pour atteindre, au-del des apparences, une ralit essentielle.
Le symbolisme peut aussi se dfinir par quelques-uns de ses principes esthtiques:
importance de la musicalit, utilisation du vers libre affranchi des assujettissements de la rime
et des rgles de la mtrique traditionnelle recherche des mots rares et, chez certains dentre
eux, usage dun discours hermtique. Ces divers traits caractristiques marquent luvre des
thoriciens du symbolisme Jean Moras ou Ren Ghil et celle de potes comme Jules
Laforgue, Georges Rodenbach, Albert Samain et Stphane Mallarm.
Continuit et renouveau
Cest donc sous le signe du symbolisme quune nouvelle gnration de potes voit le
jour: Saint-Pol Roux, Paul Fort, Paul Valry (tous trois admirateurs de Mallarm), ainsi
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qumile Verhaeren et Oscar Vladislas Milosz, marqus par le souci datteindre, travers les
apparences, le mystre de lme et du monde; leur cration reste fidle lesprit du symbolisme.
Mais, partir de la fin du XIXe sicle, devant le triomphe des constructions et des
machines qui sont consacres par lExposition universelle de 1900, la posie manifeste un intrt
tout nouveau pour les thmes de la modernit technologique. La posie belge francophone,
notamment, contribue fortement au renouvellement des thmes et des images: mile Verhaeren,
sensible lindustrialisation du monde, prpare les innovations dApollinaire.
linverse, chez dautres potes, un renouveau des proccupations spirituelles, voire
mystiques, intervient contre le progrs de la civilisation matrielle naissante. Cette dimension
spirituelle sexprime diffremment selon les auteurs: Oscar Vladislas Milosz (1877-1939),
pote mtaphysique, parle de sa soif inassouvie dabsolu, tandis que Saint-Pol Roux (1861-
1940) chante, dans une prose potique riche en mots rares, sa croyance en un univers
harmonieux, dissimul derrire lapparence des choses (Les feries intrieures). Ainsi se
perptue le recours au registre symbolique, emprunt cette fois au domaine sacr.
Le lyrisme panthiste de Paul Fort explore une autre voie, celle dun naturisme qui
veut en finir avec la prciosit de certains symbolistes dcadents et voudrait rgnrer la
posie, en puisant son inspiration dans la nature.
Paul Valry (1871-1945), au contraire, concilie lusage du symbole et le travail musical,
parce quil ne renonce pas au raffinement du langage; il parat finalement le plus fidle
continuateur de lesthtique symboliste.
MILE VERHAEREN (1855-1916)
mile Verhaeren nat en 1855 Saint-Amand, en Belgique. Ds la fin de ses tudes, il
collabore des revues dart. Son got pour la peinture, son imagination trs visuelle trouvent
dabord leur expression dans des pomes de type parnassien (Les Flamands). crits sous
linfluence symboliste, Les Soirs traduisent, un peu plus tard, les angoisses et les hallucinations
du pote en images transfigures, en vers saccads et haletants. Deux recueils Campagnes
hallucines (1893) et Les villes tentaculaires (1895) marquent un tournant dans son uvre,
voquant, sur le mode fantastique, le monde industriel, tandis que des recueils comme La
multiple splendeur (1906) manifestent sa confiance dans lavenir de lhumanit. De tonalit plus
affective, les deux derniers recueils auront pour inspiratrices: sa femme (Les heures du soir) et
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sa rgion natale (Toute la Flandre). La vie de Verhaeren sera brutalement interrompue en
novembre 1916: il est cras par un train dans la gare de Rouen.
Linspiration symboliste ne marque quun moment dans lvolution de Verhaeren. Le
pote concilie en fait des tendances qui ne sont quapparemment opposes: la description des
premiers pomes se fait progressivement vision; le ralisme dbouche sur le fantastique.
Lvocation lyrique du paysage urbain et industriel fait de Verhaeren un prcurseur
dApollinaire. Sa posie, qui est la fois chant du pays natal, chant de lhumanit et chant de la
modernit, mrite dtre rvalue.
PAUL VALRY (1871-1945)
Un fils spirituel des symbolistes
N Ste, dont il clbrera le cimetire marin dans un pome clbre, Paul Valry est un
esprit curieux. Tout lintresse: larchitecture comme la littrature; il se passionne pour des
disciplines aussi diverses comme la musique, la physique et les mathmatiques. Le souci
dacqurir une profession stable le porte vers des tudes juridiques. Reu quatrime
lagrgation de droit, il est nomm professeur la facult de Montpellier, quil quitte lanne
suivante pour Paris. Aprs avoir exerc divers mtiers, il est nomm en 1897 rdacteur au
Ministre de la Guerre.
En lisant rebours de Huysmans, il dcouvre la posie de Verlaine et de Mallarm, dont
linfluence sur son uvre sera dterminante. Prsent par son ami, Pierre Lous, aux principaux
crivains symbolistes, il publie quelques textes dans leurs revues. Il ne cessera pas dentretenir
avec ce groupe dcrivains et dartistes des relations troites, frquentant assidment les
mardis de la rue de Rome, o se rassemblaient les amis et les admirateurs des symbolistes.
Les charmes de lesprit
En 1892, Gnes, au cours dune nuit effroyable , Paul Valry dcide de renoncer la
cration littraire. Jusqu la Premire Guerre Mondiale, il pratique lentranement de
lesprit , en se consacrant aux mathmatiques et aux spculations intellectuelles. Lintroduction
la mthode de Lonard de Vinci et La soire avec M. Teste sont les principales productions de
cette priode. En outre, depuis la nuit de Gnes et presque jusqu sa mort, il note ses
rflexions les plus diverses, quil rassemble dans ses Cahiers. Cest aux insistances de ses amis,
qui manifestent le dsir de voir diter ses pomes de jeunesse, que Paul Valry publie son
Littrature franaise Le XXe sicle
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Album de vers anciens. Andr Gide, qui sera ddi le long pome de La jeune parque (1917),
a beaucoup contribu ce retour la littrature.
Quelques annes plus tard, le recueil Charmes (1922) confirme la notorit apporte au pote
et lentrane dans de grands dbats avec labb Bremond et Paul Claudel, autour de la notion de
posie pure . Bremond dsigne ainsi une posie qui confine la prire parce quelle
dgage des choses leur essence pure , essence qui tmoigne de lexistence de Dieu. Valry, plus
circonspect, y voit surtout lambition dun discours qui soit charg de plus de sens et ml de
plus de musique que le langage ordinaire nen porte et nen peut porter.
Paul Valry devient alors une sorte de pote officiel et cumule les honneurs: lu
lAcadmie franaise en 1925, il est nomm professeur au Collge de France en 1937. Son
travail ne se rduit pas la seule production de textes potiques: souvent invit tenir des
confrences, il multiplie les textes de circonstance. Les problmes dactualit, les tensions
politiques internationales, les hommages tel artiste ou tel crivain, sont pour lui autant
doccasions de faire apparatre les ides profondes qui rgissent les actions humaines. Cet
ensemble dinterventions runies dans Varits et Mlanges, associs aux Cahiers, tmoigne de
la richesse et de la diversit dune pense curieuse tout. Pendant loccupation allemande, il
prononce lloge funbre du philosophe Henri Bergson et adhre au Front national des crivains
(les auteurs qui soutenaient la Rsistance). sa mort, en 1945, on lui consacre des funrailles
nationales; il repose, selon son vu, au cimetire marin de Ste.
2. La volont de rupture : LESPRIT NOUVEAU
Les potes de tout dbut du XXe sicle ont pressenti limminence dune rupture avec le
pass. Mais la facult dadaptation du no-symbolisme empch certains dentre eux de
franchir ce pas.
la veille de la Grande Guerre, en revanche, se met en marche la rvolution littraire qui
nclatera pleinement que dix ans plus tard, sous loriflamme du surralisme.
Louverture la dimension plantaire, lenrichissement de lexprience humaine grce au
dveloppement des moyens techniques, la griserie de la vitesse, la dcouverte de limmdiat dans
les relations humaines (par le tlphone, la radio, la photographie) tout cela, accru de rvisions
fondamentales en matire de thories scientifiques (la relativit einsteinienne, linconscient
Littrature franaise Le XXe sicle
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freudien) bouleverse dsormais la vision que le pote se fera de son univers mental et de la
fonction de lcriture.
Tout cela oblige le crateur remettre en question ses sources dinspiration, de mme que sa
technique potique.
Linfluence du cubisme
Des potes nouveaux , tels : Guillaume APOLLINAIRE, Blaise CENDRARS, Lon-Paul
FARGUE, Valry LARBAUD, Andr SALMON, Max JACOB, Pierre REVERDY, Paul
MORAND, Henri Jean-Marie LEVET, Jean COCTEAU constituent le gros bataillon de ces
modernes, potes et prosateurs, que ne lie entre eux que la frquentation des peintres de la rue de
Ravignan.
Les potes de l Esprit nouveau doivent beaucoup, ct technique, leurs amis, les
peintres cubistes. Une collaboration trs fconde en consquences artistiques nat entre peintres
et potes, surtout dans latelier de Picasso ( Le Bateau Lavoir ). Le simultanisme, la
technique du collage, la dconstruction de limage et sa rorganisation selon une logique
intrieure, sont autant de procds utiliss par les peintres du cubisme, comme par les potes de
l Esprit nouveau . Une aire thmatique nouvelle surgit galement dans les deux arts : la ville,
lusine, la machine, la zone industrielle, les moyens de transport rapides (et surtout laviation),
les communications instantanes autour du globe, la rue, la publicit, les affiches, les prospectus,
les catalogues etc. tout acquiert le droit de devenir matire potique, au mme titre que la fleur
ou le papillon. Symbole du progrs technologique, dont ces artistes se font les chantres, la Tour
Eiffel (ou la Dame Rouge ) trne au-dessus de tout ce monde bloui par sa propre splendeur
et nouveaut.
Tous ces artistes partagent lide que la reprsentation du monde doit cder la place
la cration [artistique] de ce mme monde ; la posie est un acte de vie intgral, et non un
travail artistique de transposition. Ce souci les fera dsigner (dune faon un peu approximative)
sous le nom de cubistes .
En fait, dans le domaine de la posie, cet amalgame trop rapide confond des tendances
souvent divergentes et des personnalits diffrentes.
Max Jacob, Raymond Roussel, Andr Salmon sont les descendants de lcole
fantaisiste (la gnration des potes en vogue en 1912 : Georges Fourest, Paul-Jean Toulet,
Francis Carco, Tristan Derme, Jean Pellerin) dont ils poussent les attentes jusqu leurs ultimes
Littrature franaise Le XXe sicle
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consquences : dsir de dconcerter le lecteur en se dconnectant du rel, promesse de la vague
de rves (qui sera si chre au surralistes), chuchotements confus de linconscient, dsordre et
ferie.
Blaise CENDRARS puise la sve de ses vers fulgurants dans les rythmes fous de la
technique moderne, court aux quatre coins de la plante chercher des sensations et des images
neuves, avide vivre et de dire cette nouvelle et tonnante civilisation qui voit le jour.
Henri Jean-Marie LEVET, Saint-John PERSE, Victor SEGALEN librent la posie
de ses attaches occidentales et font vibrer des musiques inoues sur des lyres exotiques, apportant
ainsi un plus de sensibilit lancien jeu des vers.
Toutefois, malgr la diversit de leurs formes, ces expriences potiques inaugurent une
esthtique toute neuve, qui a la tendance de substituer la libert formelle aux contraintes de la
prosodie et de la mtrique. Un pome est dsormais moins un texte quun objet, moins un
ensemble volontairement construit, que le rsultat des associations produites par lesprit en
mouvement. Il y a le refus dlibr de larmature logique, comme du travail rhtorique. En
revanche, il y a recherche de la notation immdiate, dune mise en page qui figure
graphiquement des condenss psychiques.
crivain et thoricien de l Esprit nouveau , Guillaume APOLLINAIRE est la figure
la plus prominente de cette tape potique, car son uvre retentit de tous les chos de cette
modernit naissante. Son got du merveilleux, sa sensibilit vibrante, sa clairvoyance en matire
desthtique lui permettent de se faire un catalyseur de des apports et des contradictions de sa
gnration et le chef de file de l Esprit nouveau .
GUILLAUME APOLLINAIRE (1880-1918)
N Rome le 26 aot 1880, dune demi-mondaine dorigine balte et dun officier italien
(qui ne le reconnatra jamais), Wilhelm Apollinaris Albertus de Kostrovitzky, passe son enfance
suivant sa mre dans diffrentes villes du Midi (Nice, Cannes, Monaco). En 1899, il est Paris.
Puis, diffrents vnements familiaux lentranent en Belgique. Il dcouvre lArdenne et lamour.
Puis il revient Paris, o il sessaye tous les mtiers. Peu peu, il se rapproche des milieux
intellectuels et commence faire paratre des textes dans des revues. Le pome LHrsiarque
parat en 1902 dans La Revue blanche . La mme anne, il part pour lAllemagne, comme
prcepteur ; poque heureuse, dcouverte de lEurope centrale, premiers pomes importants
Littrature franaise Le XXe sicle
13
(Rhnanes), passion amoureuse pour Annie Playden, qui lui inspirera quelques pices de son
recueil Alcools bref, le bilan de ce priple semble bien positif. De retour Paris, Apollinaire
frquente les cafs littraires, se lie damiti avec Picasso, Jacob et Derain. Il cre avec Andr
Salmon la revue Le Festin dsope o, en mars 1904, il publie Lenchanteur pourrissant. En
1907, il sinstalle Montmartre, o il devient une figure de proue de lavant-garde littraire. Il
tombe ensuite amoureux de Marie Laurencin. Comme pote, prosateur et critique dart, il
simpose, dans la presse notamment, comme promoteur et dfenseur des artistes contemporains.
En 1909, il publie La Chanson du Mal-Aim dans Le Mercure de France . la fin
de la mme anne, D.H. Kahnweiler dite son premier livre, Lenchanteur pourrissant. L anne
1912 voit la publication, dans Les Soires de Paris , de ses deux clbres pomes Le Pont
Mirabeau et Zone (ce dernier tant considr comme le pome-emblme de l Esprit
nouveau . Ldition du recueil darticles Peintres cubistes et celle dAlcools fait de 1913
lanne de sa conscration littraire. Dans un manifeste-synthse, intitul Lantitradition
futuriste, Apollinaire indique les voies que la posie de lavenir devra explorer. En novembre
1914, Apollinaire sengage et part pour le front. Il a rencontr deux mois auparavant Lou, une
amante passionne laquelle il consacre des vers brlants damour, dans le recueil Pomes
Lou. Hros naf et merveill par la guerre, il est bless la tte en 1915. Menant sa vie dun
hpital lautre, il trouve toutefois le temps de prparer ldition de ses Calligrammes et du
Pote assassin. Il sintresse aux jeunes dadastes, au cinma et au ballet contemporain ; il fera
reprsenter Les Mamelles de Tirsias en 1917, avant dtre emport, en 1918, par une grippe
infectieuse. En dcembre 1918, Le Mercure de France publie sa confrence sur l Esprit
nouveau et les potes , qui sert de rfrence toute la gnration quil a incarne.
Inspirateur et thoricien de l Esprit nouveau , linventeur du surralisme ,
Apollinaire se situe la confluence de la tradition symboliste et de la modernit potique.
Parfois, il choisit des thmes classiques, quil renouvelle dune sensibilit originelle.
Dautrefois, il change de ton pour chanter la modernit triomphante ( Zone ). La
cration dun vers affranchi des contraintes prosodiques (lors mme quil sinspire de la tradition
mdivale), la suppression de la ponctuation, ou encore le pome figuratif, font dApollinaire un
carrefour des tendances potiques de son temps. Dsormais, la longue querelle de la tradition et
de linvention est dpasse par laventure du pote, qui, linstar dun Picasso, dcompose le
monde pour mieux le recrer.
Littrature franaise Le XXe sicle
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Rsum :
La Belle poque se droule entre 1900 et 1913, tant une priode de progrs
technologique et scientifique, de confiance dans lavenir et doptimisme
gnralis.
Il y a, pour cette priode, deux orientations principales : 1) les continuateurs du
Symbolisme (. Verhaeren, P. Valry etc.) et 2) les potes de l Esprit nouveau
(G. Apollinaire, B. Cendrars, M. Jacob) ;
Les traits principaux des (no-symbolistes) : musicalit des vers, usage frquent
du symbole, rfrence courante la mythologie, puret et sonorit cultive de la
langue ;
Les traits principaux de la posie de l Esprit nouveau : inspiration
exclusivement urbaine, thmes rcurrents de la modernit triomphante (la
machine, lusine, les moyens des transport rapides, surtout laviation, la griserie
de la vitesse, la Tour Eiffel, les affiches, les catalogues, les enseignes, la publicit
etc.), comme certaines techniques empruntes la peinture cubiste :
simultanisme de la perspective ; fragmentation du rel et recomposition sans
logique extrieure ; technique du collage.
DEVOIR No. 2 :
Dans le pome ZONE de Guillaume Apollinaire, reprez les thmes rcurrents la
posie de l Esprit nouveau , de mme que ses techniques spcifiques, empruntes au
cubisme.
Littrature franaise Le XXe sicle
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COURS NO. 3
MARCEL PROUST
(1871-1922)
Objectifs oprationnels :
Acquisition des principales donnes sur la cration littraire de Marcel Proust ;
Reprage des principales caractristiques de lcriture proustienne ;
Assimilation des connaissances requises sur le temps et lintemporel proustiens, sur la
mtaphore proustienne, sur les intermittences du cur dans la vision de lauteur ;
Acquisition de la comptence danalyse dun texte proustien ;
Habilet de reconnatre et souligner les traits de la modernit dans le roman proustien.
Un enfant et un jeune homme maladif
N dans une famille bourgeoise et donc socialement favoris, Marcel Proust connat
pourtant une enfance difficile, affecte par la maladie. partir de sa dixime anne, il souffre de
crises sasthme qui lempchent de frquenter rgulirement le lyce. Le jeune Marcel est tout
aussi fragile psychologiquement. Hypersensible, il voue sa mre une tendresse presque
maladive, un attachement excessif qui, pour certains psychanalystes, expliquerait
lhomosexualit de plus tard de Proust, qui tiendra une place importante dans son uvre.
Bachelier en 1889, Proust tudie le droit et les lettres, puis entre sur concours (en 1895) la
bibliothque Mazarine. Son poste nest pas rmunr, mais la fortune de son pre-brillant
mdecin- le met labri du besoin.
Les dbuts littraires dun mondain
Proust fait alors ses dbuts dans le milieu mondain, o il ctoie laristocratie. Tout en
menant une vie de dandy, il commence crire. Ces sont dabord des textes courts, articles et
Littrature franaise Le XXe sicle
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nouvelles, qui paraissent dans des revues littraires. Proust travaille ensuite pendant six ans
(1896-1902) Jean Santeuil, un roman inachev qui est dj lbauche du vaste cycle la
recherche du temps perdu. Il sintresse aussi lart et traduit le critique dart anglais John
Ruskin. Mais ces travaux littraires disperss le laissent insatisfait. Bientt, la mort de son pre
(1903) et surtout celle de sa mre (1905) laffectent profondment. Trs dprim et trs
malade, Proust va trouver dans llaboration de son uvre lunique raison de vivre.
Le plus grand crivain du sicle
Renonant peu peu la vie mondaine, Proust se met au travail. Sa sant dcline, mais le
pressentiment de sa mort prmature le poussera travailler toujours davantage. Reclus dans son
appartement du boulevard Haussmann, quil a tapiss de lige pour ne rien entendre du monde
extrieur, vivant surtout la nuit (comme Balzac), il ne sort plus gure, sinon pour gagner, pendant
lt, la villgiature normande de Cabourg, quil transposera sous le nom de Balbec dans ses
crits.
Proust se consacre dabord (entre 1908-1909) lessai satirique Contre Sainte-Beuve,
ouvrage qui tient en mme temps du rcit et de lessai critique. Ce livre fragmentaire, refus par
les diteurs, sera publi posthume (en 1954). Entre 1912 et 1927 il se consacre la cration du
cycle romanesque la recherche du temps perdu, dont le premier volume - Du ct de chez
Swann parat en 1913, compte dauteur, chez Grasset. Ce roman trop original dconcerte le
public. Mais Proust, persuad malgr tout dtre un jour reconnu, poursuit son uvre, remaniant
sans cesse son texte. Ces efforts ne sont pas vains: en 1919, son second volume lombre des
jeunes filles en fleur est couronn par le prix Goncourt. Travaillant avec acharnement, Proust
fait paratre ensuite Du ct des Guermantes (1920-1921) et Sodome et Gomorrhe (1921-1922).
Lorsquil meurt dune pneumonie en 1922, il a dj inscrit le mot FIN au terme de son
norme cycle romanesque, mais il na pas encore tout corrig. Les derniers titres qui paratront
aprs sa mort La prisonnire (1923) et Albertine (1925) centrs sur le personnage
dAlbertine, sont une transposition de la liaison amoureuse de Proust avec son Chauffeur,
Agostinelli. Enfin, Le temps retrouv (posthume, 1927), couronne luvre de celui que les
Franais considrent aujourdhui comme le plus grand crivain du XXe sicle.
Littrature franaise Le XXe sicle
17
LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU
Du ct de chez Swann (1913)
Premier de sept romans qui composent la recherche du temps perdu (1913-1927),
Du ct de chez Swann comprend lui-mme trois parties:
1. Combray
2. Un amour de Swann
3. Nom de pays: le nom
Ces trois chapitres fond du livre un assemblage assez htrogne. Dans la premire partie, le
narrateur, qui nest pas lauteur (Proust) et dont on ignore le nom jusquau bout, raconte ses
souvenir denfance, lorsquil passait ses vacances chez sa grand-tante, Combray, petite ville
situe prs de Reims. Les promenades quil faisait alors avec ses parents le menaient tantt prs
du chteau, inaccessible ses yeux, des Guermantes, tantt du ct de chez Swann; Swann, qui
est un ami de la famille, devient le protagoniste de la deuxime partie. Celle-ci fait rfrence
des vnements que le narrateur na pas connus personnellement: la passion de Swann, esthte
distingu, pour Odette, une cocotte. Enfin, le troisime chapitre nous conduit Paris, o le
jeune narrateur (dont lge reste toujours inconnu) esquisse une amourette avec Gilberte, la fille
de Swann. On pourrait tre dautant plus surpris du manque dunit de ce roman, que Proust na
cess dinsister sur la solidit du plan de son ouvrage, dont il compare larchitecture une
cathdrale: On mconnat trop en effet que mes livres sont une construction, mais ouverture
de compas assez tendue pour que la construction, rigoureuse, et qui jai tout sacrifi, soit
assez longue discerner .
De fait, linsertion problmatique, dans Du ct de chez Swann, dun roman dans le
roman, intitul Un amour de Swann ne sexplique que si lon considre la structure complte d
la recherche su temps perdu.
Le rcit dun amour, antrieur la naissance du hros, permet dabord, en remontant une
gnration, dtendre la dure balaye par le roman. Lun des buts essentiels de Proust, en
crivant La recherche tait prcisment celui de rendre sensibles les ravages du temps sur ltre
humain (on verra Swann jeune, vieillir et puis mourir). Dautre part, la passion de Swann pour
Odette a valeur dexemple, darchtype; les amours successifs du hros-narrateur pour Gilberte
Littrature franaise Le XXe sicle
18
Swann, pour la duchesse Oriane de Guermantes et surtout pour Albertine, ne feront, en effet, que
rpter la mme invitable dsillusion par laquelle sachve, selon Proust, toute passion.
lombre des jeunes filles en fleur (1918)
la recherche du temps perdu est considr aussi un roman de formation. Il raconte les
checs et les dsillusions successifs du narrateur. La premire partie d la recherche du temps
perdu est centre sur la premire exprience sentimentale du jeune narrateur qui, pris de
Gilberte Swann, dcouvre, de la mme faon que Swann lui-mme, limpossibilit du bonheur
dans lamour. La deuxime partie, qui se droule Balbec, en Normandie, souvre sur un autre
type de dception; intitule Nom de pays, le pays, cette partie est symtrique la troisime
partie du roman Du ct de chez Swann; elle oppose aux rveries potiques du narrateur sur les
villes du Normandie leur ralit prosaque.
Le ct des Guermantes (1920-1921)
Au dbut de Du ct de chez Swann, le monde aristocratique, symbolis par le chteau
des Guermantes, semblait inaccessible au hros. Mais le jeune homme va progressivement
pntrer dans ce milieu aristocratique, prestigieux ses yeux, quest le faubourg Saint-Germain.
Dans lombre du des jeunes filles en fleur il fait connaissance, Balbec, du baron de Charles
et du jeune Robert de Saint-Loup, qui deviendra son meilleur ami. Tous les deux personnages
aristocratiques sont apparents aux Guermantes et le feront entrer dans le milieu.
Dans Le ct des Guermantes, le narrateur est, Paris, le voisin du duc et de la duchesse
de Guermantes, et ceux-ci linvitent dner. Mais cette soire, trs dcevante, lui rvle
linsignifiance et la banalit des gens du beau monde (de la haute socit).
Sodome et Gomorrhe (1921-1922)
Dans Sodome et Gomorrhe la dsillusion du narrateur face au monde se poursuit; le
narrateur se voit cette fois-ci invit chez la duchesse Oriane de Guermantes, quil sduira assez
aisment. Il dcouvre avec amertume toute la frivolit, double dun manque dhumanit et de
scrupules des plus hauts reprsentants de laristocratie (la scne de la mort dAmanien
dOsmond, son cousin).
Littrature franaise Le XXe sicle
19
La prisonnire et Albertine disparue
Suivent ces deux romans consacrs Albertine, qui reprsentent des transpositions
littraires de ses amours homosexuels avec son chauffeur italien, Agostinelli). Proust insiste ici
sur limpossibilit vraiment connatre lautre dans une relation amoureuse et sur linstabilit des
sentiments humains.
Le temps retrouv
la fin de sa vie, prsentant lapproche de la mort, Proust crit luvre qui couronne sa
cration Le temps retrouv ; le narrateur nous fera ici la rvlation du temps subjectif , li
la mmoire subjective : il connat plusieurs moments de flicit et dexaltation, en
remmorant un pass heureux travers des sensations agrables et intenses (larchi-connu
pisode de la madeleine) ou par des images valeur de flash-back (les dalles ingales dans la
cour de lhtel des Guermantes lui rappellent la basilique de Saint-Marc Venise). Les moments
de bonheur, qui sont dlicieux et intenses la fois, lui donnent une impression dimmortalit.
Tirant les conclusions de ces moments dextase, de cette contemplation de lessence des
choses, le narrateur dcide de sattacher dsormais les fixer et comprend qu cette finalit,
le seul moyen serait de faire une uvre dart (car la mmoire objective, volontaire, ne laide
pas ce point). Ainsi, ce roman des dsillusions du jeune homme mne celui-ci la rsolution
dcrire un roman, celui justement dont nous achevons la lecture (mise en abyme).
CONCLUSIONS
la recherche du temps perdu un monument de psychologie
Lun des traits les plus frappants d la recherche du temps perdu est la place
dterminante quy tient la psychologie. Ds 1920, le critique Jacques Rivire voit dans Proust
un prodigieux vocateur des sensations et des sentiments , en considrant comme
capitales les dcouvertes quil a faites dans lesprit et le cur humains (NRF, 1919). Il
affirme aussi que le genre du roman psychologique est ici port sa perfection .
Le ton, en fait, est donn demble: Longtemps je me suis couch de bonne heure... -
cette premire phrase clbre du tome Du ct de chez Swann ouvre un dveloppement de six
pages consacr la transcription minutieuse des penses confuses qui agitent lme du hros-
Littrature franaise Le XXe sicle
20
narrateur au moment de sendormir. Tout au long de 3.000 pages de ce cycle romanesque, ce
mme narrateur ne cessera plus ensuite danalyser ses propres sentiments ou dtudier par le
menu le comportement de ceux qui lentourent (Swann, Albertine, les Guermantes etc.).
Proust se dclare lui-mme un dcouvreur des lois psychologiques . Ce qui est certain,
du moins, cest quil porte son regard sur des domaines jusque-l pratiquement ignors ou
contourns par la littrature: lhomosexualit, le sadisme, le masochisme etc. Mais la valeur et
loriginalit de la dmarche proustienne consiste surtout dans lingalable subtilit de ses
analyses psychologiques. Sa peinture de lamour, notamment, est lune de plus minutieuses et
des plus fouilles de la littrature franaise, mais aussi lune des plus pessimistes.
Les intermittences du cur
La passion de Swann pour Odette est larchtype de la vision proustienne de lamour.
Lamour est ncessairement synonyme de souffrance . Proust est persuad quautrui nous
reste toujours inconnaissable (limage insaisissable dAlbertine). La naissance du sentiment
amoureux est toujours fonde sur une illusion, sur une image errone que nous nous faisons de
lautre et que nous idalisons (par exemple, Swann trouve quOdette ressemble un tableau de
Botticelli, alors que sa beaut est en ralit bien commune et vulgaire). Ds lors, la dception est
invitable et la passion na de chance de survie que par la jalousie ou par les souvenirs et les
motions auxquelles elle est lie. Finalement, loubli vient tout balayer. Cest le thme clbre
des intermittences du cur - titre dun fragment de Sodome et Gomorrhe) qui fait rfrence
a linstabilit des sentiments humains: la vision proustienne de lamour est marque par les
changements qui affectent les tres, changements physiques et moraux, dont Le temps retrouv
nous montre un tableau saisissant. Ainsi, la psychologie de Proust est une psychologie dans le
temps, dont le postulat essentiel est que notre personnalit nest pas immuable et que plusieurs
moi se succdent en nous au fil de notre vie. Par cela, Proust ruine le principe de lunit
psychologique du personnage, sur lequel tait fond traditionnellement le roman avant lui.
Un roman dapprentissage
Roman dducation, la recherche du temps perdu raconte aussi comment un jeune
homme, le narrateur, dcouvre progressivement le monde qui lentoure et la ralit dont il avait
dabord rv. Au cours de sa vie, il va raliser, peu peu, la plupart de ses dsirs dadolescent,
Littrature franaise Le XXe sicle
21
mais aucune de ces expriences ne lui apportera la satisfaction espre. Il voulait voir des lieux
potiques ou mythiques: Venise (ville des clbres amoureux) ou Balbec, la ville de Normandie
(une villgiature quil imagine sauvage et calme, loin du monde dchan) et il les verra, mais
sans y trouver lblouissement attendu; deuxime dception: le narrateur prendra chez lui celle
quil aime, Albertine, mais il la verra mourir sans quil puisse savoir si jamais elle lavait aim
en retour; autrui nous restera toujours inconnaissable.
Il aura lambition de se faire accepter et de frquenter la haute aristocratie (plus noble que les
rois de France); il verra accomplie son ambition sociale en pntrant dans le milieu ferm du
Faubourg Saint-Germain et en devenant un familier des Guermantes, qui y tiennent le haut du
pav, mais il dcouvrira la vanit, la frivolit, le manque dhumanit de ces nobles mondaines.
Donc, le rapport du narrateur au rel est toujours dcevant, cest celui dun
dsenchantement fondamental, sur tous les plans. La vie ne donne lhomme quune prise
illusoire sur la ralit. Ds le dbut mme du premier roman Du ct de chez Swann se fait
jour une certaine anxit du hros - enfant devant le monde extrieur, symbolise par la chambre
inconnue o il ne parvient pas sendormir. Deuxime conclusion: le rel nest pas seulement
dcevant, mais aussi profondment angoissant, car il est trange, instable, soumis aux
changements apports per le temps, et tout sachemine irrversiblement vers la mort (Mors
ultima ratio).
Lexprience de lintemporel
Afin de freiner la fugacit de lexistence, le hros tente de se rfugier dans lhabitude,
toujours rassurante (le rituel de samedi). Mais, face linquitude, lie linexorable coulement
du temps prsent, il fait la tentative de revivre le pass heureux, de retrouver: le temps perdu.
Car, les vrai Paradis sont les Paradis quon a perdus crit Proust.
Ainsi, ce vaste cycle romanesque se prsente-t-il comme la reconstitution du pass par lcriture.
Ce pass est dabord celui dun personnage de fiction, qui utilise linstance narrative je, qui
nest pas Proust, qui a pass son enfance dans la ville de Combray. Mais il devient assez clair
que le projet de ce narrateur anonyme, qui raconte sa vie, se confond avec le projet de M. Proust
lui-mme; car, si la recherche du temps perdu est un roman et non une autobiographie, il se
nourrit cependant du vcu de son auteur, il devient donc un livre consubstantiel son auteur.
Littrature franaise Le XXe sicle
22
Cependant, on se tromperait en faisant de la nostalgie le cur de litinraire proustien. Car, pour
ressusciter le pass, les souvenirs fournis par la mmoire volontaire auraient d lui suffire (ce
qui n. Or, le cycle est jalonn de quelques expriences privilgies, de vritables extases, o
le souvenir est livr, non par un effort volontaire de remmoration, produit par lintelligence,
mais par le flux de la mmoire involontaire dclench par une sensation qui apporte une
rminiscence (la madeleine, le pav mal quarri de la cour de lhtel des Guermantes, etc.).
Lessentiel nest donc pas de remmorer le pass, mais de ressentir simultanment la
sensation prsente et celle pass, en conclusion de faire lexprience privilgie de lintemporel.
Proust dcrit cette exprience ainsi: ...une minute affranchie de lordre du temps a rcr en
nous, pour la sentir, lhomme affranchi de lordre du temps.
La peinture de la socit mondaine
Mais la recherche du temps perdu, loin dtre seulement un livre dintrospection est
aussi la peinture dune socit. Mais Proust ne nous donne pas le tableau complet de la socit
franaise davant 1914.
Son univers, et on le lui a souvent reproch, se limite pratiquement aux milieux mondains, aux
salons de la bourgeoisie snob et de laristocratie parisienne.
Quant aux classes populaires, elles se limitent chez Proust aux domestiques et aux
chauffeurs. Mais cette restriction du champ de la vision nest pas une myopie, elle est dlibre.
Proust relativise le monde des hommes, si superficiel et si prissable dans le temps, pour mieux
faire ressortir ce quil y a dessentiel dans la cration littraire: la vision du monde est fonde sur
lexprience potique et sur les rminiscences de la mmoire involontaire. Ainsi sexplique la
distance ironique et la satire dont est teinte la peinture sociale. Proust use dune palette fort
varie et sait passer avec talent de la drision aux ficelles subtiles du comique de situation; sa
technique prfre est celle de la caricature, qui consiste grossir les deux ou trois travers les
plus visibles dun personnage. Sa technique est nourrie par ses lectures des moralistes classiques
(Les Caractres de La Bruyre et Mmoires de Saint-Simon); dailleurs, il se dclare un grand
admirateur de ce gnie dobservation lgre et de la raillerie spirituelle, propre selon lui
lesprit franais.
Une vision du monde
Littrature franaise Le XXe sicle
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Proust dcrit un monde doisifs, de dsuvrs, et par consquent, la recherche du
temps perdu est un livre o il ne se passe rien, comme action extrieure. Lauteur est plutt
soucieux de mettre nu la vacuit de lexistence relle, quil oppose la seule vraie vie: lart. Il
peut consacrer de 100 200 pages la description de rceptions mondaines (la soire chez les
Verdurins), dans Sodome et Gomorrhe. De mme, les premires pages de Du ct de chez
Swann dcrivent longuement les insomnies du narrateur, montrant dj, ds la premire phrase,
que lintention de lauteur nest pas de drouler le fil dune intrigue.
Contrairement aux rgles du rcit traditionnel, la recherche du temps perdu est un
roman sans action principale. Do lincomprhension de ses contemporains: on reprocha
Proust de navoir crit que des morceaux et davoir fait un livre qui ntait ni un roman, ni un
rcit, ni mme une confession, mais une somme de faits et dobservations, de sensations et de
sentiments (rapport de lecture de J. Madeleine lditeur Fasquelle).
Le premier roman moderne
Le coup de gnie par lequel Proust inaugure le roman moderne cest de dcouvrir que
lessentiel en littrature est moins de raconter une histoire, que dexprimer une vision du monde.
Limportant nest pas dimaginer une fiction, mais de restituer, dans sa totalit, la subjectivit
dun regard pos sur les choses: le gnie consiste dans le pouvoir rflchissant et non dans la
ralit intrinsque du spectacle reflt.
Si Proust dcourage souvent son lecteur, cest que celui-ci cherche, comme dans
nimporte quel roman, le droulement mthodique dune fiction, qui va vers son dnouement,
alors que pour Proust lintrt est ailleurs. Luvre proustienne est illisible si lon simagine que
la description est subordonne la narration (rcit traditionnel), dont elle nest quun dcor. Ici,
cest linverse; les vnements comptent moins que la description et les objets eux-mmes,
moins que le regard. la recherche du temps perdu est un tissu de sensations et dimages, qui
donne au lecteur le privilge unique de sortir de lui-mme et de dcouvrir, dans sa singularit et
sa compltude, le rapport dune conscience avec le monde.
Lcriture proustienne
La rputation de Proust est tout dabord celle dun grand styliste. En fait, aucun autre
crivain na su porter la prose franaise un tel degr de complexit.
Littrature franaise Le XXe sicle
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Le trait le plus frappant de son criture est la longueur de ses phrases. Je suis bien
oblig - crit Proust de tisser ces logues soies, comme je les file et si jabrgeais mes phrases,
cela ferait de petits morceaux de phrases, pas de phrases. Cette ampleur du style a une fonction
esthtique, car la beaut implique pour lui la virtuosit et lblouissante cascade de subordonnes
et dincises. Mais cette dmarche nest pas gratuite: pour rendre intelligible limpression, la
sensation, Proust doit transcrire, dans leur naissance mme, toutes les associations dides et
dimages qui affluent son esprit.
Mais on ne saurait rduire lcriture proustienne dinterminables circonvolutions. Ce style est,
en ralit, dune grande varit. Brillant pasticheur, Proust matrise tous les registres et toutes les
techniques. Il sait, quand il le juge bon, trouver une formule lapidaire qui frappera le lecteur: par
exemple Il se taisait, il regardait mourir leur amour rsume le pathtique de la fin de la
passion de Swann pour Odette.
Lorsque, dans Le temps retrouv, le hros narrateur prouve lallgresse de se sentir
affranchi de lordre du temps, grce cette tlscopie miraculeuse du prsent et du pass, cela
lui rappelle le projet longtemps abandonn dcrire. Luvre dart a justement pour fonction de
mettre jour ce que nous portons de plus profond en nous. Mais cette vrit intrieure que rvle
luvre littraire ne tient pas du ressort de lintelligence; pour Proust, seule limpression (...) est
un critre de vrit. Ainsi, ce nest pas avec les mots qui dsignent les choses ordinairement que
lon peut transcrire le mieux lessence des choses; sil veut exprimer une vision authentique du
monde, lcrivain devra recourir la mtaphore. Car, la mtaphore, en mettant en vidence une
ressemblance non encore perue entre deux ralits diffrentes, nous oblige regarder chacune
delle dun il neuf, sans lcran de lintelligence conceptuelle.
La mtaphore proustienne est autre chose quun procd de style: elle se trouve sur le mme plan
que les rminiscences de la mmoire involontaire. En comparant, par exemple, les yeux
dAlbertine aux ailes dun papillon, Proust superpose deux ralits que lintelligence,
logiquement, dissocie; pareillement, le souvenir involontaire tlescope deux impressions
distinctes (prsent/pass).
Donc, la rminiscence, comme la mtaphore, instaure un lien entre ce que le temps,
lespace ou la logique sparent dhabitude. Lanalogie triomphe de lordre logique et laisse
entrevoir, au-del de la fragmentation du monde et du temps, une harmonie et une unit
Littrature franaise Le XXe sicle
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possibles. Sous cet aspect, la recherche du temps perdu est un roman vritablement potique,
le rve dune analogie universelle.
UVRE DE PROUST :
Jean Santeuil (1896-1902)
Contre Sainte-Beuve (1908-1909)
LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU : Du ct de chez Swann (1913) ; lombre des
jeunes filles en fleur (1918) ; Du ct des Guermantes (1920-1921) ; Sodome et Gomorrhe
(1921-1922) ; La prisonnire (1923) ; Albertine disparue (1925) ; Le temps retrouv
(posthume, 1927).
Rsum :
Ce vaste cycle romanesque se prsente comme la reconstitution du pass par
lcriture.
la recherche du temps perdu est un tissu de sensations et dimages, qui donne au
lecteur le privilge unique de sortir de lui-mme et de dcouvrir, dans sa singularit et
sa compltude, le rapport dune conscience avec le monde ;
La naissance du sentiment amoureux est toujours fonde sur une illusion, sur une
image errone que nous nous faisons de lautre et que nous idalisons ; la dception
est invitable et la passion na de chance de survie que par la jalousie; finalement,
loubli vient tout balayer. Cest le thme clbre des intermittences du cur
(Sodome et Gomorrhe).
Lexprience de lintemporel signifie une minute affranchie de lordre du temps
qui, par un effet de tlescopie, superpose un instant du prsent et un moment du pass
heureux.
Pour ressusciter le pass, les souvenirs fournis par la mmoire volontaire ne
peuvent jamais suffire.
Littrature franaise Le XXe sicle
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Au contraire, le souvenir est livr, non par un effort dlibr de remmoration,
produit par lintelligence, mais par le flux de la mmoire involontaire , dclench
par une sensation lie une rminiscence ;
Ce qui compte dans la littrature moderne, ce nest pas de dcrire une action, mais de
rendre sensible une vision sur le monde ; donc, lobjet compte moins que le regard et
la ralit compte moins que limpression subjective ; cest un livre o rien ne se
passe .
DEVOIR : numrez les innovations proustiennes dans le domaine de lcriture romanesque.
Littrature franaise Le XXe sicle : Roman et posie
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COURS NO. 4
ANDR GIDE
(1869-1951)
Objectifs oprationnels :
Acquisition des principales donnes sur la cration littraire dAndr Gide ;
Reprage des principales caractristiques de lcriture gidienne ;
Assimilation des connaissances requises sur la thmatique de luvre et les
techniques de lcriture dAndr Gide : lespace autobiographique et sa
transposition romanesque, la recration des mythes et la mythologie personnelle, le
clbre principe de l authenticit gidienne (la transparence et lobstacle), la
mise en abyme , la multiplicit des points de vue ;
Acquisition de la comptence danalyse dun texte gidien ;
Habilet de reconnatre et souligner les traits de la modernit dans le roman gidien.
1. Une enfance sombre et puritaine
Andr Gide nat en 1869. Sa famille maternelle, de religion catholique, est normande; sa
famille paternelle, de religion protestante, est originaire des Cvennes. Gide peroit travers de
cette double ascendance la vanit de lattachement aux racines, revendiqu par M. Barrs. la
mort de son pre, en 1880, le jeune Andr reste seul avec une mre aimante et protectrice. Sa
scolarit, gne par des crises nerveuses et prise en charge par des prcepteurs et des rptiteurs,
est chaotique.
Lorsquil dcouvre la souffrance de sa cousine Madeleine (qui apprend que sa mre a un
amant), il se jure de protger la jeune fille. Aprs avoir obtenu le bac en 1888, il abandonne ses
tudes pour se consacrer lcriture.
Littrature franaise Le XXe sicle : Roman et posie
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2. Des dbuts symbolistes
Gide fait la connaissance de Pierre Louis (Lous), de Mallarm, de Valry et dautres
symbolistes et commence crire dans les revues des symbolistes. En 1891, il rencontre Oscar
Wilde, aristocrate raffin, adepte de lart pur lart, qui aura une grande influence sur lui.
Ses premiers textes sont marqus par le symbolisme et par la philosophie de Schopenhauer
(philosophe allemand qui refuse les grandes doctrines et veut gurir les souffrances de ltre
humain par la philosophie, la morale et lart). Entre ces textes nous mentionnons: Les cahiers
dAndr Walter, Le trait du Narcisse (1891), Le voyage dUrien et La tentative amoureuse
(1893).
Cest cette poque que Gide dcouvre son homosexualit. Atteint de tuberculeuse, il part en
Tunisie pour se soigner: il connat les premires expriences homosexuelles. Revenu en France,
cause de la maladie de sa mre, il pouse sa cousine Madeleine, immdiatement aprs le dcs
de Mme Gide; mais le mariage restera blanc.
Son premier roman, Paludes (quil appelle sotie), tmoigne par son criture ironique
des distances que Gide prend par rapport au symbolisme. Il publie ensuite des uvres qui
prnent une morale axe sur la recherche du plaisir (surtout sensuel) et sur laffirmation de
lindpendance de lindividu: Les nourritures terrestres (1897), Le Promthe mal enchan
(1899), Limmoraliste (1902).
3. Affirmation littraire et crises personnelles
Entre ses deux grands romans, La porte troite (1909) et Les caves du Vatican (1914), Gide
publie en 13 exemplaires le trait du Corydon (1911) o il dfend lhomosexualit. Il participe
en 1909 la Nouvelle Revue Franaise, revue qui deviendra vite prestigieuse et publiera de
nombreux grands crivains.
Pendant la guerre de 1914-1918, Gide, non mobilisable (il a plus de 40 ans), soccupe des
refugis du Foyer franco-belge. Les crises personnelles se succdent: il est dchir entre les
prceptes religieux et lappel du plaisir; il a une liaison avec le cinaste Marc Allgret, en
compagnie duquel il part en Angleterre; Madeleine brle alors les lettres quelle a reues de son
poux, geste qui provoque chez lui le dsespoir.
Aprs la Symphonie pastorale (1919), Gide fait paratre discrtement Si le grain ne
meurt (1920), rcit denfance orient vers la dcouverte de son homosexualit. Le digne de son
Littrature franaise Le XXe sicle : Roman et posie
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affirmation littraire auprs du grand public est la parution en 1921 des Morceaux choisis,
recueil ouvert par laffirmation Les extrmes me touchent.
4. Lengagement politique et les hsitations ultrieures
En 1925, Gide rompt avec son mode de vie bourgeois en vendant une partie de sa
bibliothque et en partant au Congo et au Tchad, charg par le gouvernement dune enqute sur
les grandes concessions forestires. Il dnonce le colonialisme dans Voyage au Congo (1927) et
Le retour au Tchad (1928). Cest pendant ce voyage que parat, en 1926, son chef-duvre
Les faux monnayeurs.
Gide sattaque aussi la justice, dont il dmonte les mcanismes en effectuant, sous
forme dessais, les comptes rendus de deux procs: La squestre de Poitiers et Laffaire
Rendureau (1930). Il accompagne A. Malraux Berlin en 1934 pour demander Goebbels,
ministre dHitler charg de la propagande et de linformation, la libration de Dimitrov
(communiste arrt en 1933 par les nazis, qui laccusrent davoir incendi le Reichstag, lieu o
sigeaient les dputs allemands Berlin) et des communistes incarcrs avec lui. Une autre
preuve de son engagement rside dans sa participation au Comit de vigilance des intellectuels
antifascistes. la suite de son voyage en URSS, les critique quil publie lgard du rgime
sovitique, dans Retour de lURSS (1936) et Retouches mon retour de lURSS (1937), lui
valent les attaques des communistes franais, aves lesquels il tait en bon terme depuis 1930.
Devenu veuf en 1938, Gide a des attitudes fluctuantes durant la Seconde Guerre
Mondiale: aprs avoir dabord prouv une certaine admiration pour Ptain et avoir ait fait
paratre ses Feuilles autobiographiques dans la Nouvelle Revue Franaise, dirig par le
collaborationniste Drieu la Rochelle, il rencontre Charles de Gaulle Alger.
5. La vieillesse dun sage et dun matre penser
Gide livre ltat final dune sagesse apaise dans Thse (1964). Devenu clbre le prix
Nobel de la littrature lui est attribu en 1947 il explique sa vie et ses uvres au cours de
nombreux entretiens radiophoniques en 1949.
Son entreprise autobiographique se clt avec Et nunc manet in te (1947), o il revient
sur la tragdie du couple quil a form avec Madeleine, et Ainsi soit-il ou les jeux sont faits
Littrature franaise Le XXe sicle : Roman et posie
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(1952, posthume). Lorsquil meurt, en 1951, la suite dune congestion pulmonaire, une large
partie de lopinion publique le considre comme un matre penser.
Les Nourritures terrestres (1897)
Le titre fait rfrence la ncessit de rechercher le bonheur sur Terre, parce que le
paradis est (ou du moins devrait tre) ici-bas. Gide essaye de faire partager au lecteur les plaisirs
charnels quil a connus en Afrique du Nord; il sadresse au lecteur en utilisant le prnom
Nathanal (qui, en hbreu signifie don de Dieu). Cette uvre, divise en huit livres, o se
mlent chants, rcits et mditations, est conue limitation de la Bible, par son atmosphre qui
a quelque chose de mystrieux et de secret, par ses paraboles, par ses images et par son but, qui
est celui denseigner. Paradoxalement, Gide se propose, tout au contraire, de dtourner son
lecteur de lemprise de la religion, en rdigeant, son usage, un manuel dvasion, de
dlivrance. Dans le prambule de son livre, Gide avoue le caractre autobiographique de son
entreprise et donne Nathanal une leon dindpendance. Dans lenvoi qui clt Les
nourriture terrestres, il rptera le mme conseil Nathanal: Et quand tu mauras lu, jette ce
livre et sors. Encore une bizarrerie de Gide: il se veut un matre, mais il ne veut pas conserver
ses disciples.
LImmoraliste (1902)
Aprs avoir crit les fictions symbolistes Les cahiers dAndr Walters et Paludes
(antiroman) Limmoraliste est un rcit psychologique traditionnel. Michel, le narrateur, raconte
comment, lors de son voyage de noces en Afrique avec Marceline, il retrouve progressivement la
sant, car il avait t atteint dune infection pulmonaire; petit petit, il nous fait part de sa
dcouverte en Afrique du Nord, des vrais plaisirs sensuels. Revenu Paris, il rencontre le
personnage Mnalque (qui incarne Oscar Wilde), dj prsent dans Les nourritures terrestres,
qui vient le conforter dans son immoralisme (mpris pour la morale tablie) et qui lui donne des
leons de disponibilit, cest--dire lacceptation de toutes les sensations et de tous les plaisirs.
Michel retourne alors en Afrique du Nord avec son pouse qui, son tour, tombe malade;
au lieu de la soigner et dallger sa souffrance, il passe la nuit en compagnie dune femme arabe,
pendant que Marceline agonise. Limmoralisme va cette fois-ci trop loin: il nest plus seulement
mpris dune morale, mais tout bonnement un manque absolu dhumanit, qui peut tre
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quivalent un crime. Cependant, Gide na pas trop dantipathie pour son personnage, car le
rcit de Michel repose lui-aussi sur une base autobiographique; Michel dcouvre la volupt de
lautre ct de la Mditerrane, comme Gide lui-mme; il ne veut plus senfermer dans la vie
conjugale, de mme que le jeune Andr. Mais lautobiographie dbouche sur une rflexion
morale qui montre les dangers de lgosme contenus dans limmoralisme et la difficult quil y a
concilier la recherche du bonheur et la libert individuelle avec la responsabilit que lon a
envers ses proches.
La Porte troite (1909)
la fin de lImmoraliste, Gide mettait en vidence les consquences ngatives
quentrane la recherche des plaisirs dans les rapports avec autrui; dans La porte troite, il
montre que le sacrifice mystique dune vie consacre Dieu provoque aussi le malheur et mme
la destruction de lindividu.
Le narrateur, Jrme, aime tendrement sa cousine Alissa; celle-ci, choque par
linconduite de sa mre qui est partie avec son amant, renonce lamour de Jrme, se consacre
Dieu et meurt, solitaire, dans une maison de sant. Le narrateur, aprs la mort dAlissa, lit le
journal de celle-ci et il apprend rtrospectivement de quels tourments le sacrifice de sa cousine a
t accompagn, chose du surtout une mprise/une msinterprtation de la religion et de ses
prceptes.
Le titre vient dune phrase de lvangile selon Saint-Luc: Efforcez-vous dentrer par la
porte troite, prcepte par lequel lvangliste recommande au bon chrtien de choisir le
chemin le plus dur, celui de leffort et du sacrifice, pour gagner la vie ternelle.
Comme les autres crits de Gide, ce rcit a, lui-aussi, un fond autobiographique: le drame
dAlissa est celui de Madeleine qui dcouvre ladultre de sa mre; Gide, comme Jrme, veut
tout faire pour la sauver. Dans les deux cas, dans la vie et dans ce rcit, la cousine ne peut pas
tre sauve, mais pou des raisons bien diffrentes.
Les Caves du Vatican (1914)
Il est impossible de rsumer en peu de mots ce roman, intitul sotie, nom que portaient
au Moyen ge les farces satiriques; limpossibilit vient du fait que ce roman foisonne de
personnages et dpisodes compliqus et embrouills.
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Il existe cependant un carrefour (selon les mots dun personnage du roman) des
diverses intrigues: cest le personnage dAmde Fleurissoire. Individu mesquin et chtif, il
suspecte un certain escroc, Protos, de soutirer de largent aux dvots, en leur faisant croire que le
vrai pape est enferm dans les caves du Vatican. Amde part donc enquter Rome cette
disparition du chef de lglise. Il rencontre dans le train Rome-Naples un jeune homme beau,
libre dides et de murs, Lafcadio; celui-ci, pour se prouver soi-mme quil peut accomplir un
acte absolument gratuit (signe de la libert totale de la conscience), tue Amde, en le prcipitant
du wagon, en pleine vitesse du train; cest ce quon appelle un crime immotiv.
Amde est le beau-frre de Julius de Baraglioul, romancier qui a pris pour secrtaire Lafcadio.
Julius apprend que Lafcadio est son demi-frre adultrin; il dcouvre ensuite, Rome, que le
jeune homme est le tueur dAmde, mais, par lchet, il ne dnonce pas le coupable.
la fin du roman, limmoralisme triomphe. Lafcadio, devenu riche par lhritage de son pre,
est aim de la belle Genevive, fille de Julius.
Les caves du Vatican abondent en situations invraisemblables qui imitent de manire
caricaturale les romans daventure. Il y a aussi une satire qui sexerce lgard de la religion et
des bien-pensants (fidles); les personnages ne sont pas analyss avec profondeur; ces
caractristiques rapprochent Les caves du Vatican des contes philosophiques de Voltaire.
travers Lafcadio, Gide fait lloge de la btardise qui, selon lui, rend libre en faisant
chapper lemprise de famille, considre comme dtestable (Famille, je vous hais!). Au
nom de la libert absolue, de la dlivrance de toutes les contraintes, ce roman sattaque toutes
les valeurs morales tablies et reconnues, lautorit de la famille, de la socit et de la religion
mme.
Si le grain ne meurt (1920)
Cet crit autobiographique parat dans un tirage limit 13 exemplaires. Le titre est
une partie de phrase crite par Saint-Jean, selon qui le grain doit mourir pour donner naissance
au fruit. Gide interprte cette phrase en disant que loubli de tout bonheur particulier mne la
rsurrection de la vie totale; dans son opinion il faut donc dpasser les joies partielles, les demi-
mesures, pour vivre pleinement (toutes les interprtations de Gide sont contraires celles
traditionnelles).
Dans Si le grain ne meurt, contrairement ses ouvrages prcdents, o il transposait son
existence dans la fiction, Gide crit un rcit denfance directement et ouvertement
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autobiographique. Il raconte ses jeux, voque ses lectures, analyse les conflits quil dcouvre
entre la morale religieuse et lattrait du plaisir.
Les Faux-monnayeurs (1926)
Cest la seule de ses uvres de fiction que Gide appelle roman. En effet, comme dans
un roman traditionnel, les personnages sont situs socialement, ils ont une certaine consistance
psychologique; le roman est une accumulation dpisodes sentimentaux ou policiers, cependant
avec moins de ironie que dans Les caves du Vatican.
Les personnages centraux sont deux amis adolescents: Bernard Profitendieu et Olivier
Molinier. Le premier, Bernard, aprs avoir dcouvert quil est un btard, quitte le foyer familial
(encore Gide joue du motif de la libration personnelle). Tous deux, Bernard et Olivier,
rencontrent douard, romancier et oncle dOlivier. Bernard devient le secrtaire ddouard;
Olivier qui, lui-aussi, assume le secrtariat dun romancier, Passavant, tente de se suicider et est
ensuite recueilli par son oncle, avec qui il connat lamour. Le roman raconte aussi lhistoire des
frres dOlivier: Vincent, qui devient assassin et fou, et Georges, plus jeune quOlivier, qui fait
partie dune bande de faux-monnayeurs et provoque, par sa cruaut, le suicide du petit Boris,
lve de la mme institution scolaire que lui.
Les Faux-monnayeurs entre dans la catgorie des romans dapprentissage o des
jeunes gens sont initis la vie. Olivier est heureux par lamour ddouard, quil trouve et qui
donne du sens sa vie; Bernard revient auprs de ses parents, en ayant appris quil est bon de
suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant.
Dans ce roman il y a aussi des valeurs positives (qui se dgagent par opposition avec
celle ngatives): lauthenticit et la sincrit (qui sopposent lhypocrisie et la fausse
monnaie).
Cependant, Gide ne veut pas donner de leons morales, fait prouv par la fin provocatrice
du roman. douard, qui a appris que Bernard tait retourn chez les siens, auprs de son pre et
de son jeune frre Caloub, crit: Je suis bien curieux de connatre Caloub . Jamais de sa vie,
et nimporte quel prix, Gide ne fera de concession la morale traditionnelle.
Si Les Faux-monnayeurs est, bien des gards, un roman dapprentissage, traditionnel,
il est aussi tonnamment novateur. douard est, sur le plan littraire, un reflet de Gide; lun et
lautre refusent le ralisme dans lcriture et veulent dpouiller le roman de tout les lments
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qui nappartiennent pas spcifiquement au roman, savoir les vnements extrieurs et la
description des personnages.
De plus, Les Faux-monnayeurs est un roman du roman: douard crit un roman qui
sintitule Les Faux-monnayeurs et en analyse llaboration dans son Journal. Cest le
procd de la mise en abyme, que Gide dfinit ainsi: Jaime assez quen une uvre sart on
retrouve (...) transposs, Lchelle des personnages, le sujet mme de cette uvre. Par
ailleurs, douard nest pas le seul commenter les actions et les comportements des
personnages. Gide lui-mme, travers le narrateur, intervient aussi dans le roman par ses
jugements.
Ainsi, usant de techniques diverses (style indirect libre, change de correspondance entre
les personnages, dialogues, extraits de journal intime, interventions du narrateur), Andr Gide
multiplie les points de vue et empche le lecteur de dgager du roman une vrit unique,
toujours trop exigu, trop incomplte et restrictive.
6. Conclusions
Le contemporain capital
Le romancier Andr Rouveyre voyait en Gide, ds 1924, le contemporain capital. En fait,
Gide vcut touts les grands conflits idologiques, dune poque o furent remises en question la
religion, la morale, lorganisation sociale et politique.
lev dans une famille protestante, mais avec un double ascendance, lcrivain se pose
constamment le problme de la foi religieuse, laissant parfois croire sa conversion au
catholicisme. Il demeure fidle au Christ, quil considre plutt comme une personne humaine
que comme le fils de Dieu et en qui il reconnat un rvolutionnaire, tant sur le plan du
comportement que sur celui des ides. Luvre gidienne prne la libration sexuelle, en
justifiant lhomosexualit et invite goter les nourritures terrestres en glorifiant le corps et
les plaisirs des sens. Mais cette libration est contrle par le souci de lauthenticit et par le
respect de soi et de lautre.
Attentif lorganisation sociale et au mouvement de lhistoire, Gide est un moment attir
par le nationalisme de lAction franaise (mouvement nationaliste et royaliste n en France
autour de Charles Maurras et revue du mme nom fonde en 1899, devenue quotidien en 1908 et
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interdite en 1944, dont les principaux animateurs furent Jean Banville et Lon Daudet). Mais
ensuite il abandonne ses ides nationalistes, il dnonce le systme colonial de lAfrique noire, se
rapproche pour quelque temps des communistes, qui sont rapidement dus de la publication des
souvenirs de son voyage en URSS. Duran la Seconde Guerre Mondiale, son Journal traduit ses
hsitations entre lacceptation rsigne du ptainisme et son dgot de la collaboration. En
matire de religion et de politique, Gide est donc fluctuant. Il nest pas proprement parler un
matre penser comme Barrs ou Maurras, qui voudraient imposer leurs ides aux masses; il
est toujours ouvert, prt admettre avec disponibilit une ide contraire la sienne. Oppos
lenracinement (attachement profond ses origines/racines) si cher Barrs, il est un aptre de
la libert, qui refuse toute contrainte religieuse, familiale, ethnique, sociale.
Du point de vue moral, il accepte le partage entre le dsir dindpendance et le consentement
aux rgles du bon sens. Il invite le lecteur rflchir et choisir lui-mme ses propres solutions.
Il pose seulement les problmes. Selon Gide, un livre manqu est celui qui laisse intact le
lecteur, qui ne parvient pas linquiter.
Lexplorateur de lespace autobiographique
Si Gide est attentif aux problmes de lpoque, dans sa cration cest surtout sa propre
personne quil reflte; tous ses ouvrages se constituent dans un espace autobiographique. On a
mme parl dun certain narcissisme de cet crivain, pour lequel la cration serait une sorte de
miroir o il regarde sa propre image. Les rcits fictifs la premire personne entretiennent la
confusion entre narrateur et auteur, se nourrissant des expriences vcues par ce dernier. Par
exemple, Limmoraliste est le reflet dune exprience la dcouverte du corps et de ses plaisirs,
il est donc inspir de sa biographie. La porte troite rappelle par certains points lhistoire du
couple quil avait form avec Madeleine, sa cousine. Dans le seul crit intitul par Gide
roman, Les faux-monnayeurs, il se projette dans le romancier douard, mais il se retrouve
aussi, par endroits, dans les deux autres personnages, Bernard et Olivier, qui essayent dchapper
aux contraintes familiales.
En outre, Gide recourt galement aux diffrentes formes de lautobiographie proprement dite:
souvenirs de voyage, rcits denfance (dans Si le grain ne meurt), bilan de sa vie conjugale (La
porte troite) ou de son volution religieuse (Les nourritures terrestres). De 1899 1949 il crit
son vaste Journal quil publia de son vivant. Gide ne se contente pas de faire son portrait, il
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analyse la complexit de sa personne, ses aspirations (parfois divergentes ou contradictoires)
lordre et la libert. Chacune de mes uvres crit il est en raction directe contre la
prcdente.
Si Limmoraliste est la critique dune forme dindividualisme, La porte troite est la critique
dune certaine tendance mystique exagre. Il ny a pas seulement contradiction dune uvre
lautre, mais aussi ambigut lintrieur dune mme uvre. Cette ambigut est sans doute
inconsciente dans Si le grain ne meurt. Gide y maintient deux regards opposs sur son
homosexualit, considre la fois comme une libration du puritanisme et une manifestation du
diable. Dans Les faux-monnayeurs, lambigut est entretenue par les multiples points de vue
donns par plusieurs personnages, mais cest aussi le rsultat des positions et des attitudes
contradictoires de lauteur lui mme; celui-ci est prsent par le biais du narrateur qui intervient
en commentant le roman.
La contradiction entre les uvres, la multiplication des points de vue permettent un
dpassement de son narcissisme, parce quil y a rflexion non dune seule image, mais de
plusieurs images de moi de lauteur. En mme temps, lautobiographie nest pas seulement
tourne vers le pass, elle anticipe aussi lavenir, car la rdaction de luvre modifie la
personnalit de lauteur. Ce nest qu la proximit de sa mort que lentreprise autobiographique
se termine, sur un titre significatif Ainsi soit-il ou les jeux sont faits un vrai bilan de son
existence.
Le (r)crateur des mythes
Gide dpasse le regard quil porte sur lactualit et sur sa personne en faisant recours aux
mythes, aux rcits fabuleux qui mettent en scne des personnages symboliques pour la condition
humaine. Il transpose et se rapproprie les mythes de lAntiquit grecque. On ne stonnera pas
quil inaugure sa carrire par le Trait du Narcisse, lui qui, comme le Narcisse de la lgende,
sest toujours pench sur sa propre image. Le Promthe mal enchan est un symbole de la
rvolte contre Dieu. Dans une de ses dernires uvres, Thse, il confronte Oedipe, qui incarne
selon lui lhrosme du sacrifice religieux, et Thse, qui trouve la srnit dans lharmonie entre
laffirmation de son moi et lengagement au service de la collectivit.
Les mythes et paraboles sont galement puiss dans les textes sacrs de la religion
chrtienne, notamment LAncien et Le Nouveau Testament, que, par sa formation protestante,
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Gide connat parfaitement. Les titres de La porte troite et Si le grain ne meurt sont emprunts
aux vangiles. Les hsitations de Bernard qui cherche un sens sa vie, dans Les faux-
monnayeurs, sont traduites par la confrontation avec un ange (comme les rcits hagiographiques
ou difiants du Moyen ge.
Gide ne se contente pas de recrer des mythes, il en invente aussi, levant certains
lments de la ralit au niveau de la lgende. LAfrique du Nord devient le Paradis des
nourritures terrestres, o les sens sont combls de plaisir et lesprit est satisfait.
Gide voit en son pouse, Madeleine, un tre mythique; dans son ouvrage
autobiographique Si le grain ne meurt, il ne la nomme pas par son prnom rel, mais il lappelle
Emmanuelle (cest--dire Dieu est avec nous), la considrant comme un tre providentiel,
envoy par le Ciel sur la Terre.
Un crivain classique
Le classicisme de Gide ne saurait tre rduit la simple utilisation de la mythologie antique.
Homme de culture, Gide cite constamment, dans son Journal, les grands auteurs; il lit les
crivains allemands et anglo-saxons dans le texte original. g, il se remet au latin et tudie
Virgile; il fait aussi des traductions des littratures trangres, dont le thtre de Shakespeare.
Aprs des dbuts influencs par les symbolistes, il reste trs classique par la clart et la
concision de son style. La cration gidienne, loin des improvisations et des automatismes des
adeptes du surralisme, est cohrente et concert: Lart nat de contrainte, vit de lutte et meurt
de libert - affirme-t-il.
Un autre lment profondment classique est sa conception littraire, qui subordonne tout
lesthtique: la dcouverte du moi, lengagement politique et social, la volont dinquiter le
lecteur. Il affirme: Cest du point de vue de lart quil sied de juger ce que jcris (...). Cest, du
reste, le seul point de vue qui ne soit exclusif des autres.
Un crivain moderne
En dpit de son classicisme formel, Gide est considr en mme temps un exprimentateur
moderne; il est un prcurseur des expriences romanesques novatrices du XXe sicle. Sa
rflexion sur les techniques narratives approfondit et prfigure la remise en question du roman,
qui se poursuivra tout le long du sicle.
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Il se livre un effort se dnomination et de classification de ses uvres, qui prouve que la
cration saccompagne dun regard critique sur elle-mme; les soties traduisent le jeu ironique
dans la fiction (Paludes, Les caves du Vatican), les rcits sinscrivent dans la tradition
franaise du roman danalyse psychologique (LImmoraliste, La porte troite); le seul crit quil
qualifie de roman, Les faux-monnayeurs, renouvelle la technique par la multiplicit des points
de vue et par la mise en abyme. Gide aime recourir ce dernier procd, il fait ainsi un roman
du roman en train de se faire. Dans Les