517
Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU) MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des r Actes des r Actes des r Actes des ren en en encontres internationales ontres internationales ontres internationales ontres internationales 1 rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr Mouvement international Formation réciproque et pour la réciprocité active solidaire entre collectifs MIRA MIRA MIRA MIRA FRESC FRESC FRESC FRESC-EU EU EU EU (projet européen) Mouvement des Réseaux d'Échanges Réciproques de Savoirs MRERS MRERS MRERS MRERS Actes Actes Actes Actes des es es es ren en en encontres internationales ontres internationales ontres internationales ontres internationales En quoi la réciprocité construit-elle des solidarités ? 27 - 28 - 29 - 30 novembre 2008 sous l'égide de la Fondat ion de France

construit-elle des solidarités

  • Upload
    others

  • View
    15

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 1

rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr

rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr

Mouvement international Formation réciproque et pour la réciprocité active solidaire entre collectifs MIRAMIRAMIRAMIRA FRESCFRESCFRESCFRESC----EUEUEUEU (projet européen)

Mouvement des Réseaux d'Échanges Réciproques de Savoirs MRERSMRERSMRERSMRERS

ActesActesActesActes ddddeseseses rrrrenenenenccccontres internationalesontres internationalesontres internationalesontres internationales

En quoi la réciprocité

construit-elle des solidarités ?

27 - 28 - 29 - 30 novembre 2008

sous l'égide de la

Fondat

ion de

France

Page 2: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 2

Actes des rencontres internationales

En quoi la réciprocité construit-elle des solidarités ?

27 - 28 - 29 - 30 novembre 2008

Ont contribué à la réalisation de ces actes :

Patrick Brun

Pascal Chatagnon

Christiane Coulon

Nicole Desgroppes

Dinass Dia Senghor

Elisabeth Eintroligator

Chantal Galtier

Myriam Hamadi

Claire Héber-Suffrin

Marc Héber-Suffrin

Roland Lilin

Jacqueline Saint-Raymond Eloi

Toute reproduction d’un passage de ces actes est permise sous réserve d’en citer la source : l’auteur du paragraphe repro-duit et le nom de ce document :

« Actes des rencontres internationales du MRERS, nov. 2008 »

Page 3: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 3

Contenu Table des matières paginée : page 510

Introduction générale par Claire Héber-Suffrin

� Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA)

� Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS)

� Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

Jeudi 27 novembre, Histoires de réciprocités

Ouverture

� Ouverture par Henryane de Chaponay, présidente du Mouvement international pour la Réciprocité active (MIRA) et membre du projet européen FRESC-EU

� Ouverture par David Muller, président du Mouvement des réseaux d'échanges réciproques de savoirs (MRERS)

� Accueil par Christiane Saget, adjointe au maire d’Evry

Ateliers de partage des participants sur les histoires de leurs organisations et l’histoire de la réciprocité dans leur projet

� Histoire du projet FRESC-EU (Formations réciproques et solidaires entre collectifs) par Elisabeth Maïer et Jacqueline Saint-Raymond, animatrices de RERS

� Histoire d'une recherche-action sur les langues française et Kanak par Gilles Reiss, enseignant en Nouvelle-Calédonie

� Production collective de l’histoire collective publiée de D 3 Pierres, par André Vidricaire, philosophe et du RERS d’Orléans Argonne, par Agnès Ballas et Marie-Jo Legrand

� Ardelaine, entreprise solidaire, par Béatrice Barras, cofondatrice de « Ardelaine » et histoire de Mains d'œuvre, friche industrielle reconvertie en projet artistique et culturel, par Fazette Bordage, fondatrice et directrice de « Mains d'œuvre »

� Histoire des RERS d’Italie, avec Paolo Zanasco et du Mali, avec Amadou Chirfi Haïdara

� La Médiation avec Jacqueline Morineau

Table-ronde : Pourquoi la réciprocité ne fait-elle pas du collectif et du réseau de la même façon partout ?

� Claire Héber-Suffrin, co-initiatrice des RERS, membre du Projet européen FRESC-EU : Histoire et actualité des Réseaux d'échanges réciproques de savoirs

� Olivier Las Vergnas, fondateur de la Cité des Métiers de La Villette à Paris, membre du Projet européen FRESC-EU : Histoire du Réseau international des Cités des Métiers

� Laurent Ott, éducateur, enseignant, docteur en philosophie : Espaces éducatifs en friche et inconditionnalité éducative

� Marielle Breault et André Vidricaire, co-initiateurs du RERS de Montréal : Les pratiques de réciprocité dans le RERS de Montréal

Page 4: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 4

� Anastase Ndekezi, fondateur du RERS de Nairobi : Le RERS de Nairobi (Kenya) en quoi la réciprocité construit-elle des solidarités ?

� Christian Mongin, ancien président du MRERS, cofondateur du MIRA : Conclusion, convergences et singularités

Vendredi 28 novembre : Réciprocité et construction de la société

Réciprocité et citoyenneté, lien social, Vivre ensemble, Economie solidaire…

Réciprocité et citoyenneté, lien social, Vivre ensemble, économie solidaire…

Introduction par Olivier Las Vergnas

Table-ronde : Où la réciprocité peut-elle trouver les moyens d'agir à grande échelle ?

� Laurent Gardin, Maître de conférences en sociologie à l'Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, chercheur à Réseau 21 : Centre de ressources sur l'économie solidaire et le développement durable : La réciprocité, comportement économique dominant de l’économie solidaire

� Béatrice Barras, cofondatrice de « Ardelaine » : Apprentissage de la coopération sur le terrain de l’éducation populaire

� Jacques Guyard, secrétaire de PRISME (Promotion des initiatives sociales en milieux éducatifs), ancien député-maire d'Evry, ancien ministre) : Quelles formes de réciprocité inventer pour changer nos rapports au pouvoir ?

� Brigitte Darin, responsable de formation à Emmaüs France : Formations réciproques et responsabilisations, dans l'association Emmaüs.

Atelier Lutte contre les exclusions

� France Lacaze, animatrice RERS Evry, et des membres du RERS d’Evry : Réciprocité et Plan Local d’Insertion par l’Economique

� Lucienne Chibrac (1), Maria Sanhueza-Six (2),Séverine Papon (3), Hélène Olivarès (4), Catherine Bernatet (5), respectivement (1) conseillère technique en travail social DGAS/DATDS, (2) chargée d'insertion à la MDSI de Bordeaux Saint-Michel (Mission départementale solidarité insertion), (3) chargée de mission MDSI d'Arcachon, (4) MDSI de Lormont, (5) consultante en insertion sociale et professionnelle, animera la présentation de cette démarche : Il est possible que les chômeurs et les acteurs de l'insertion, en utilisant le partage de leurs savoirs et la réciprocité, travaillent ensemble autour de parcours réussis

Atelier Réciprocité, construction de soi et des relations sociales

� Tina Steltzlen, animatrice du RERS de Mulhouse et quatre membres du réseau de Mulhouse : La réciprocité comme outil de découverte de ses potentialités, de construction de son projet de vie et de réappropriation de soi en transversalité

� Amadou Chirfi Haïdara (RERS de Tombouctou, Mali) : Comment la réciprocité permet de sortir de l’isolement et de « se faire valoir »

Page 5: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 5

� Zina Ouaglal, doctorante en Sciences de l'Education) : la réciprocité comme élément de construction des personnes

� Ginette Francequin, (maître de conférence en psychologie du travail : Ecrire un livre peut construire un échange de savoirs

� Jean-Yves Abasq, animateur du RERS de Vitry, 94 : comment la réciprocité, en permettant de reprendre confiance en soi, recrée-t-elle des solidarités ?

Atelier Réciprocité entre les générations

� Nasséra Benaïssa, animatrice du RERS de Colomiers : Réciprocité entre le RERS et la maison de retraite

� Céline Tremblay, éducatrice et animatrice de l’ONG canadienne « Terre sans frontières » : Le réseau constructeur de liens dans une situation extrême

� Martine Ruchat, historienne, chargée de cours à la faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de Genève et co-fondatrice de la Fondation pour la formation des aînées et aînés de Genève : Les échanges réciproques de savoirs, une formation transdisciplinaire, intergénérationnelle et déterminante de bonne santé pour le « Bien vieillir »

� Compte-rendu de l’atelier par Michel Van Den Abeele

Atelier Réciprocité et santé

� Philippe Lefèvre, médecin, Institut Renaudot : Réciprocité et pratique communautaires de santé

� Agnès ballas et Marie-Jo Legrand, animatrices du RERS d’Orléans : Pratiques de réciprocité et prises en charge commune des questions de santé dans un quartier

� Christelle Séchet, animatrice et participante à l’Ecume du jour, Beauvais : Echanges réciproques de savoirs concernant la santé à L’Ecume du jour (Bistrot associatif)

Ateliers Réciprocité, démocratie et territoires

� Jean Roucou, président de PRISME : Vers un pilotage contractuel et décentralisé de l’action éducative ?

� Danielle Coles, Frédérique Segonnes, Jacques Bohem et Béatrice Cuny, animateurs au RERS de Meaux : La réciprocité comme démarche pour construire la mise en association

� Louis Louvel, animateur bénévole du RERS d’Orly : Comment la nécessité de prendre une assurance a été l’occasion de construire démocratiquement des règles de fonctionnement pour tous ?

� Patrick Brun, docteur en sciences de l’éducation, membre du Mouvement international ATF quart-Monde : Réciprocité et croisement des savoirs dans les relations entre population pauvre et services publics

� Patrick Lalanne, président de l’association des Fourmis dans le compteur : Réciprocité… résistances… recherche de sens… débat démocratique

Ateliers Savoirs traditionnels, créations collectives et actions citoyennes

� Des membres de l'équipe d'animation du RERS de Saint Jean de la Ruelle : Exemple d'une création collective en réciprocité

Page 6: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 6

� Eugénie Thiery, animatrice de RERS à Chelles et formatrice, membre du Projet européen FRESC-EU : L’aventure des Puces des couturières de Chelles ou comment redynamiser un réseau d’échanges de savoirs

� Joséphine Ouedraogo : Echanges réciproques de savoirs au Burkina Faso

� Hélène Jospé, artiste textile et formatrice : Comment s’appuyer sur des savoirs traditionnels et des créations collectives et citoyennes ; L'expérience à Temacine, en Algérie

� Marie-Odile Dias, Esther Cermek, Marie-Lou Dicks, Gisèle Brun, Maryannick Terrier, habitantes et animatrices du Réseau d'Aubenas : Agir ensemble pour mieux vivre sa ville en construisant un projet.

� Christiane Coulon, animatrice au RERS de Montfermeil puis de Chelles : Etapes et questionnements éventuels pour des créations collectives

� Christiane Coulon : Créer collectivement un objet d’art qui ait du sens pour le collectif, exemple d’une cape de conteuse

� Ana Dubeux, professeur adjointe du Département de l’Éducation de l’université du Pernambuco au Brésil : Pépinière d’entreprises, partage des savoirs et coopérative de collecteurs de déchets urbains. Le rôle de l’université

� Anaya Nadifi, Safi, Maroc : Le top de la cuisine du monde

Atelier Citoyenneté et enjeux scientifiques

� Gérard Gautier, ancien professeur à l’université [Irak] et chargé de cours en langues orientales en France : Le Milset, une organisation internationale de jeunesse pour les activités scientifiques

� Hervé Prévost, administrateur du jardin partagé des soupirs : Présentation des jardins partagés

Atelier Réciprocité et interculturalité

� Bernadette Cheguillaume, assistante sociale et infirmière, animatrice au RERS du Mirail à Toulouse : « Caravane, liens entre associations de femmes d'Algérie, de Tunisie, du Maroc, de France pour promouvoir les Droits des femmes »

� Didier Bodin, président d’APRIRSI, Associazione Per le Reti Italiane di Reciproco Scambio di Saperi, membre du Projet européen FRESC-EU : Réciprocité et confiance, une stratégie pour l’interculturalité dans la formation à l'inter culturalité

� Laetitia Gougis : réseaux d’échanges réciproques de savoirs et reliance

� Mariano Capitanio, enseignant, coordinateur d’APRIRSI, membre de FRESC-EU : S’ouvrir à l’autre par des réseaux écosolidaires

Atelier Réciprocité et médiation

� Annie Herr, Travailleuse sociale, coordinatrice du RERS de Compiègne : Des mises en relation collectives dans le RERS de Compiègne

� Claudine Lepsâtre et Jean-Yves Lods, animateurs du Réseau d'Orly : Des mises en relation collectives dans le RERS d’Orly

Page 7: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 7

Atelier Réciprocité et émancipation

� Henryane de Chaponay, fondatrice du Centre d’étude et de développement en Amérique latine, membre du Projet européen FRESC-EU, Françoise Garibay et Michel Séguier, coordinateurs de l'ouvrage « Pratiques émancipatrices, actualité de Paulo Freire » : Un ouvrage collectif sur les pratiques émancipatrices, interpellées par les travaux de Paulo Freire

Atelier Travail éducatif en milieu ouvert et pédagogie sociale

� Laurent Ott, enseignant, éducateur et philosophe : 7 clefs méthodologiques pour une pédagogie sociale

� Abdoulaye Konté, enseignant au Sénégal : Expérience d'échanges réciproques de savoirs avec des mères célibataires, des enfants de la rue, des exclus du système scolaire.

Table-ronde : A quelles fractures la réciprocité peut-elle s'attaquer ?

� André Vidricaire, professeur de philosophie de l’Université de Montréal, accompagnateur d'histoires de vie de collectifs : Emancipation, productions et échanges de savoirs

� Martine Lani-Bayle, professeur en Sciences de l’Education à l'Université de Nantes : Vers une transmission intergénérationnelle réciproque

� Bernard Defrance, professeur de philosophie : Pour réduire la fracture scolaire

� Patrick Viveret, philosophe : Du bon usage de la fin d’UN monde.

Bernadette Thomas, chargée du label Cité des Métiers, membre de FRESC-EU introduit :

� Des présentations d’ouvrages

� Et de Marc Vella, pianiste nomade

Samedi 29 novembre : Réciprocité – Savoirs – Apprendre

Introductions

� Introduction par Marc Héber-Suffrin, aux travaux de la journée Réciprocité – Savoirs – Apprendre

� Deuxième introduction par Patrick Brun : Les échanges réciproques de savoirs comme éducation populaire au service d’un nouveau projet de société

� Les chansons populaires de sciences à travers les âges, par les Bateleurs de la Science

� Daniel Raichvarg, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Université de Dijon : La circulation des savoirs scientifiques chansons de science et valeurs de réciprocité

Table-ronde : La réciprocité peut-elle changer le rôle social du savoir ?

� André Giordan, professeur à l'Université de Genève, Directeur du Laboratoire de didactique et d'épistémologie des Sciences : Comment la réciprocité peut-elle aider à faire circuler et construire les savoirs d’aujourd’hui ?

Page 8: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 8

� Maryannick Van Den Abeele, chef de projet à La Poste, membre du Projet européen FRESC-EU : La réciprocité peut-elle changer le rôle social du savoir ? Quid à La Poste ?

� Catherine Chabrun, responsable des publications de l’Institut coopératif de l’école moderne – Mouvement Freinet : Les pratiques de coopération à l’école et la réciprocité

� Graciela Quijano, professeur à l’Université Fédérale de l’état du Rio Grande du Sul au Brésil : « Pour le Droit de Lire »

Atelier La formation réciproque dans des collectivités

� Daniel Hazard, formateur dans les RERS et fondateur d’un Institut de formation réciproque : Formations réciproques entre salariés municipaux

� Patrick Delmas, chef de projet et formateur : Ruralnet, une expérience pour partager les savoirs sur un territoire en s’appuyant sur les technologies de l’information et de la communication

Atelier Réciprocité dans la production de savoirs

� Hervé Lefeuvre, volontaire permanent ATD Quart monde et membre de l’équipe Croisement des savoirs : Croisement des savoirs

� Christelle Cambier : Pourquoi j’accepte de faire des co/formations

� Eliane Danalet, professeur Haute Ecole spécialisée de la Suisse occidentale, à la Haute Ecole de la Santé la Source, à Lausanne : Des réseaux d’échanges réciproques de savoirs comme action de formation dans une école d’infirmières.

� Sophie Robin, directrice d’une association de lutte contre l’illettrisme, membres de FRESC-EU : la réciprocité dans la production de mémoires de recherche et dans la réalisation d’un ouvrage collectif

� Noël Denoyel, enseignant, responsable du Département de Sciences de l’éducation de l’université de Tours : Réciprocité interlocutive et accompagnement dialogique

Atelier de construction de « Savoirs émergents »

� André Giordan et Rachid Ouffad, co-auteurs de l’ouvrage « savoirs émergeants, quels savoirs pour aujourd’hui » : Mise en situation de recherche et construction de savoirs dont nous avons besoin aujourd’hui

Atelier Grâce à la réciprocité, qu’est-ce qu’on apprend ?

� Amadou Demba Diallo, enseignant à Dakar, Sénégal : Comment, en formant d'autres enseignants aux techniques d’animation des RERS, j'ai découvert mes compétences de formateur

� Jérôme Eneau, Maître de Conférences à l'Université Lyon II : Les apports de la réciprocité au développement de l'autonomie de l’apprenant

� Claudine Lepsâtre, animatrice du Réseau d'Orly : Plus on est relié par des réciprocités multiples, plus on construit son autonomie

� Isabelle Dupin, formatrice : réciprocité et autonomie dans la relation éducative

Atelier Echanges de savoirs professionnels

� Marielle Breault, animatrice du Réseau pour le Co/développement (au Québec et en France) : La démarche de co/développement professionnel

Page 9: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 9

� Bernadette Thomas, adjointe à la Cité des Métiers de Paris, chargée du label cité des Métiers : La circulation des savoirs professionnels dans le réseau des Cités des métiers

� Catherine Bernatet, consultante en insertion professionnelle : Echanges de savoirs professionnels dans la Cité des métiers de Limoges

Atelier Réciprocité, prise de parole et langage

� Gilles Reiss, enseignant, animateur de groupes de travail sur les langues française et Kanak en Nouvelle-Calédonie : Voir dans la journée du jeudi

� Christine Burgevin, institutrice à Troyes et des élèves de la classe et Francine Tétu, travailleuse sociale CAF avec un groupe de femmes de Montereau : Echanges philo entre un groupe d’enfants et un groupe d’adultes

� Hubert Couzinet, président du Réseau de Vichy, membre du Projet européen FRESC-EU et d'autres acteurs du RERS de Vichy : Comment recueillir facilement un témoignage d'expérience, ou un projet d'échange, dans un réseau, par un enregistrement sonore ou vidéo

Atelier Quels savoirs pour vivre aujourd’hui ?

� Le groupe “savoirs émergents” :

� Jean Michel Delga : nos drames peuvent être nos forces

� Michel Géhan : histoire d’une identité choisie

� Bernadette Cheguillaume : vivre dans la différence culturelle

� Danielle Coles : la retraite, un pari au féminin

� Djamila Achour : apprendre à être soi, être soi pour apprendre

� Claire Héber-Suffrin : la formation réciproque, source de connaissance de soi

� Eugénie Thiery : savoir solliciter autrui pour construire le bien commun

� Claire Héber-Suffrin et André Giordan : Apprendre à travailler en réseaux solidaires

� Marie-Judith Allavena : le conflit, moteur du changement

� André Giordan : Vivre dans l’incertitude

� Célina Whitaker et Patrick Viveret : savoir reconsidérer les richesses

� Monique Potiron et des membres du RERS de Gradignan : Faire circuler dans les RERS les savoirs nécessaires pour participer aux débats démocratiques

Atelier La réciprocité à l’école et en périscolaire

� Jeanine Parisot et Monique Prin, enseignantes, Annie Lambert, directrice d’école élémentaire : Une expérience d’échanges réciproques de savoirs en périscolaire à Evry

� Honorine Ouedraogo, enseignante au Burkina Faso : Echanges réciproques de savoirs dans ma classe primaire

� Clarisse Kyelem, enseignante au Burkina Faso : De échanges réciproques de savoirs dans ma classe à Bobo Dioulasso

Atelier Quelle réciprocité entre nos collectifs ?

� Abdoulaye Konté, enseignant au Sénégal : Echanges de savoirs entre collégiens de Granville en Normandie (France) et de Bambey (Sénégal)

� Alain Ouedraogo, conseiller pédagogique à Ouagadougou : La vie de l'Inter-Réseaux

Page 10: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 10

du Burkina Faso

� Georges Badolo, expert en ingénierie de développement local, Burkina Faso : La réciprocité entre nos collectifs

� Didier Chrétien, animateur dans l’éducation populaire, Mouvement pour le développement solidaire : Le projet « Colportage »

Atelier « Jouons sur les mots »

� Marie-Paule Bétaille, participante au RERS de Gradignan : Témoignage sur ce que provoque l'expérience de réciprocité dans un atelier « jouons sur les mots ». Mise en situation

Atelier Partage d'expériences sur la réciprocité

� Marie-Hélène Pourrut, animatrice de l’atelier « Santé, Sourire et Réciprocité » dans le RERS de Biarritz : Mise en situation

Atelier Pourquoi et comment la réciprocité permet-elle d’apprendre ?

� Françoise Heinrich, enseignante de français en Corrèze, (intervention préparée avec Jacqueline Culetto) : une vraie démarche d'apprentissage, efficace pour l'école

� Ruth Bourchier par visioconférence, coordinatrice des professeurs de français en Nouvelle Zélande : L’échange des savoirs linguistiques entre professeurs de français du pays

� Sidy Seck, enseignant, artiste plasticien et Conseiller technique au cabinet du Ministère de la Culture du Patrimoine Historique Classé des Langues Nationales et de la Francophonie du Sénégal : Echanges de savoirs, environnement et flexibilité

Ateliers de mises en situation

� Atelier réciprocité et validation des apprentissages non formels avec Rita Bencivenga, Bernadette Thomas, Kremena et Mariana Manukyan : Réciprocité et validation des acquis non formels, le projet LabObs

� Atelier philo animé par des enfants d’une classe Freinet et leur institutrice, et par un groupe de femmes d’un quartier de Montereau en correspondance d'ateliers philo

� Atelier Mise en situation de co/développement avec Marielle Breault

� Marie-José Guillain et Claudine Bourdin, Inter-réseaux d’écriture des RERS : Atelier d’écriture sur la Réciprocité

� Michel Aristide (« Récit ») : cacophonie, polyphonie, harmonie

� Ateliers sur les mots, Philippe Piau (metteur en scène), Henryane de Chaponay (Collectif Richesses) et Nadine Outin (responsable de l'association ODE, Organisation pour le droit des enfants) : Les mots chargés de sens, de dynamique, qui déclenchent de l'imaginaire. Que mettons-nous derrière les mots selon nos cultures, nos histoires, nos expériences ?

� Daniela Schwendener : Travail sur les émotions et les sentiments, les miroirs, outils des médiateurs

� Olivier Las Vergnas, président du CIRASTI et de l’Association française d’astronomie, membre du Projet européen FRESC-EU : Atelier « Ciel, Miroir des Cultures » autour de l'exposition des posters Miroir du ciel : comment la question du ciel interroge-t-elle les gens sur leurs savoirs ?

Page 11: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 11

� Isabelle Jacob : danse Biodanza

� Josiane Tessier et Pierre-Yves, Association Moderniser sans exclure : atelier d’automédiatisation, enregistrement d’expérience pour la réalisation d’un DVD

Plénière

� Manuel Valls, député-maire d’Evry : Point de vue sur les Rencontres

� Philippe Meirieu, professeur en Sciences de l'Education : La réciprocité et l'émergence du sujet solidaire

Dimanche 30 novembre : Réciprocité et Solidarité ? Comment agir ?

Introduction par Jacqueline Saint-Raymond

Débat en séance plénière après travaux de groupes :

Réciprocité/solidarité – Comment agir ? Comment continuer l’action ? Peut-on concevoir la réciprocité comme une stratégie, comme une chance, comme une résistance ?

� Peut-on concevoir la réciprocité comme stratégie : en vue de quoi ?

� Comme chance et recours : en quoi ?

� Comme résistance : à quoi et comment ?

� Comment promouvoir, développer et relier les réciprocités en éducation, en formation et dans les pratiques citoyennes ?

� Célina Whitaker, coordinatrice nationale Projet Sol : information sur la monnaie SOL

Table-ronde : Comment continuer l'action ?

� Sidi Seck, conseiller technique au cabinet du Ministère de la Culture du Patrimoine Historique Classé des Langues Nationales et de la Francophonie du Sénégal : Echanges en réseaux ouverts : interface pour une politique culturelle transversale

� Marc Héber-Suffrin, co-initiateur des RERS : Réciprocité, institutions et solidarités

� Christine Van der Borght, psychologue, membre du Projet européen FRESC-EU, présidente du Mouvement belge des RERS : Les connaissances, expériences, savoir-faire que nos collectifs pourraient partager pour développer davantage de solidarités ?

� André de Peretti, polytechnicien de formation, humaniste et écrivain par passion : La réciprocité, force d'avenir ?

� Michel Berson, président du Conseil général de l'Essonne : Solidarité sur un territoire et savoirs partagés

Le bâton de la réciprocité, par Christiane Coulon

Un conte proposé par David Muller

Envoi final par Claire Héber-Suffrin

Annexe : ouvrages des intervenants

Page 12: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 12

IInnttrroodduuccttiioonn ggéénnéérraallee par Claire Héber-Suffrin

Ces rencontres internationales « En quoi la réciprocité construit-elle des solidarités ? » ont été portées par trois « mouvements »

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Lors de la clôture des Rencontres internationales des réseaux d’échanges réciproques de savoirs, organisées par le MRERS à Evry, en novembre 2004, des membres des RERS ont proposé de créer un Mouvement international. Un comité d’animation s’est alors créé. Il a proposé, rapidement, de construire un Mouvement international avec celles et ceux, organisations et personnes, qui ont développé des pratiques dont une des valeurs centrales est la réciprocité – appliquée à l’éducation, la formation et les pratiques associatives et citoyennes.

Pourquoi ce mouvement ? Pour concrétiser l’espoir de :

- rendre visibles des pratiques qui prouvent que la réciprocité des savoirs, la coopération, la recherche de la parité et le don réciproque sont possibles, et sont des alternatives à défendre face à la compétition, l’exclusion des plus faibles, la marchandisation des savoirs… ?

- témoigner de ces alternatives ; en montrer la richesse et la diversité ?

- les relier pour qu’elles aient davantage de force ?

Hubert Currien, chercheur, ancien Ministre de la Recherche en France, conclut ainsi un entretien donné à un quotidien français (Libération) par Pierre-Gilles de Gennes1 : « [chez] Pierre-Gilles de Gennes […], pas d’a priori, pas de compartimentage, pas d’obstination ni d’exclusion. Il sait que les meilleures idées ne demeurent bonnes que dans l’échange et le mouvement ».

Rencontres de décembre 2006, à La cité des sciences et de l’industrie de La Villette.

Dès décembre 2006, lors de deux journées pour construire coopérativement ce Mouvement international, nous avions travaillé, avec plus de cent personnes issues de trente-cinq organisations, sur différentes questions :

- En quoi et comment l’international et l’interculturel sont déjà dans mon réseau ou dans mon association ?

- Quelles sont nos cultures de la réciprocité dans nos différentes organisations ? Quelles y sont les différentes réciprocités véritablement en œuvre ?

- Nous avions avancé sur le projet de Formations réciproques et solidaires entre nos collectifs de différents pays ; et nous nous sommes interrogés sur Les connaissances et savoir-faire que nos collectifs pourraient partager davantage ;

- Nous avons creusé la question du « Pourquoi un Mouvement international autour de la réciprocité ? »

1 Prix Nobel de physique en 1991.

Page 13: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 13

- Nous avions choisi d’organiser des Rencontres internationales qui seraient, à la fois, l’occasion de creuser, théoriquement, éthiquement, et pratiquement, tout ce qui se joue par et dans la réciprocité, et une étape importante pour la construction du mouvement.

Nous évoquions ainsi ce que pourraient être les axes d’une Rencontre internationale :

- La concevoir comme temps de formation réciproque ;

- Toujours affirmer la diversité des collectifs porteurs comme une valeur centrale ;

- Développer, dans la préparation des rencontres comme dans les rencontres elles-mêmes, toutes les occasions possibles de réciprocité paritaire ;

- En faire une occasion de croisements de pratiques (les enrichissements mutuels étant escomptés a priori) ;

- Se donner des outils théoriques pour mieux comprendre les expériences des autres comme les siennes propres ;

- Mieux comprendre ensemble cette construction d’un mouvement international pour en assurer la co/construction.

Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) « […] Les préoccupations de participation à la construction de cette société sont un des fondements du fonctionnement de nos Réseaux […]. Apprendre de l’autre, connaître, comprendre l’autre, partager sa culture, cultiver sa différence, c’est commencer à construire « Le mieux vivre ensemble ». […] Le travail au jour le jour dans nos réseaux, avec nos fragilités, nos peurs, nos incertitudes, nos convictions, c’est cela qui donne sens à cette construction citoyenne. C’est à ce titre que le MRERS réaffirme son engagement et sa participation à la co-construction d’un mouvement international. » Extraits de l’intervention de David Muller2, lors des rencontres de décembre 2006.

Plus spécifiquement, les RERS depuis leur naissance en 1971, le MRERS depuis le début de leur diffusion en France en 1985, leur développement dans d’autres pays à partir de 1988, se sont toujours préoccupés d’articuler étroitement l’action et la pratique, la formation des acteurs et leur formation réciproque, la recherche sur ces pratiques pour des théorisations construites par leurs acteurs, toujours en lien avec des analyseurs et théoriciens extérieurs, et les formes diverses de communication et de visualisations sociales de leurs expériences. Les moments qui rassemblaient de la meilleure façon ces différentes préoccupations étaient les universités d’été (tous les ans) et les colloques (1987, 1789, 1991, 1996, 2004).

Forts de ces expériences réussies, soucieux de continuer à essayer, se penser, se relier… les responsables du MRERS ont décidé de construire, avec les acteurs de MIRA et de FRESC-EU, ces rencontres internationales qui, de plus, en des temps extrêmement difficiles au niveau des moyens financiers, permettaient de « se retrouver ensemble », se soutenir, se projeter. La réciprocité ayant toujours été le point focal de leurs pratiques, les RERS ne pouvaient manquer cette chance de continuer à la réfléchir et à en inventer les formes et les outils.

2Alors président de l’association nationale française, MRERS.

Page 14: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 14

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU) Même si le projet FRESC, quasi depuis le début de son élaboration, s’est voulu plus ouvert que sur de seuls collectifs européens de trois pays (Belgique Italie et France), même si le projet FRESC-EU est un des projets porté par le MIRA et issu du projet européen SCATE, il a semblé important à ce groupe d’être un des piliers organisateurs de ces Rencontres. Pour enrichir leur dimension de Formation réciproque entre tous les participants et entre toutes leurs organisations. Mais aussi comme lieu de :

- Restitution des offres de formations déjà élaborées, afin qu’elles puissent « profiter » à d’autres que les collectifs concernés ;

- Pour identifier, chez les personnes et les collectifs présents, les réponses possibles à leurs demandes de formations ;

- Pour faire connaître le projet FRESC-EU et le projet FRESC et inviter d’autres acteurs à l’enrichir.

« En quoi la solidarité construit-elle des solidarités ? » pourquoi cette question ?

Parce que nous partageons une conviction forte :

- oui, la réciprocité positive est un chemin pour contribuer ensemble à construire ce monde qui est le nôtre ;

- Non, nous n’acceptons pas l’accroissement des inégalités sociales, le mépris que subissent celles et ceux qui ne réussissent dans les formes institutionnelles organisées pour l’instruction et la formation ;

- Oui, nous revendiquons, en tant que citoyens, que les connaissances soient considérées comme des biens communs, à rendre accessibles à tous ;

- Oui, nous affirmons que nous pouvons, tous, apprendre, que nous devons tous apprendre ; et que la formation réciproque (chacun étant porteur de savoirs et d’ignorances) est un bon chemin pour cela ;

- Oui, il nous semble urgent de choisir, dans et par nos pratiques, la solidarité et la formation réciproque plutôt que la compétition ; le partage plutôt que la prédation ; l’humain, son histoire de vie et sa dignité au coeur du système, comme ayant la primauté absolue, plutôt que l’utilisation des humains pour servir les Pouvoirs ; un monde où la culture et les savoirs pourraient davantage être considérés comme des biens communs, créateurs de sens et d’émancipation ;

- Parce que nous voudrions mieux comprendre les liens entre réciprocité et solidarité ;

- Et parce que nos voudrions, grâce à toutes ces expériences, leur confrontation et leurs analyses, mieux comprendre comment continuer nos actions afin que la réciprocité construise encore mieux des solidarités.

Page 15: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 15

Comment ces rencontres ?

Nous avons souhaité qu’elle soit un lieu et un temps de partage et d’enrichissement de nos connaissances sur nos pratiques de réciprocité ; de développement de nos intuitions et de notre créativité ; de partage de nos imaginaires et de nos sensibilités ; de soutien mutuel ; d’encouragements réciproques par l’échange de nos expériences, de nos trouvailles, de nos façons d’affronter les difficultés et de nos outils ! Nous avons espéré éviter les a priori, les enfermements, les prétentions, les peurs en témoignant de nos cheminements, de nos questionnements, de nos espérances.

Ces rencontres n’ont existé, en réalité, que par ce que tous ces collectifs et personnes présents ont proposé : récits d’expériences ; descriptions d’outils ; réflexions sur les difficultés et les réussites de nos organisations ; témoignages personnels, analyses construites et en cours… La modestie a été de les partager, tout simplement, sans se préoccuper d’une perfection impossible. Dans l’entretien évoqué plus haut, Pierre-Gilles de Gennes indique que, selon lui, face à un grand problème, il faut d’abord apprendre, même si on est très savant. Il lie le travail, l’apprentissage et l’humilité : apprendre humblement (y compris sans résultats personnels immédiats). Il indique qu’il est essentiel de dialoguer avec ceux qui, dans la même branche, n’ont pas les mêmes « métiers ». Que pour changer, s’il faut apprentissage, travail et humilité, il faut aussi curiosité, flair et chance. Donc des rencontres entre nous.

Leur préparation

Des inter-réseaux, des séminaires de travail dans telle ou telle organisation, des sortes de mini/colloques se sont créés pour converger vers le colloque final. Par exemples à Montréal, au Burkina Faso, à Mulhouse, à Meaux, à Gradignan, à Saint-Jean de la Ruelle… En préparation des rencontres internationales, les questions suivantes ont été proposées

La réciprocité se pratique dans des actes de la vie quotidienne interpersonnels ou collectifs.

1. Pourriez-vous identifier ces pratiques et nous en faire part, que ce soit dans votre culture, votre activité professionnelle et/ou associative, en formation, dans vos loisirs etc. ?

2. A partir de situations vécues, quel(s) jeux de langage peuvent être faits sur le mot « Réciprocité », quelles images y associez-vous, quels autres termes ou expressions vous évoquent t-ils ?

3. Quelles offres et contributions proposez-vous d’apporter aux rencontres internationales ?

- Thèmes d’activité ;

- Propositions d’intervention ;

- Récits d’expérience et/ou d’évènement ;

- Présentation de réalisations (dessins, photos, objets…) ;

4. Quelles questions vous posez-vous, quelles attentes et demandes avez-vous à l’égard d’une telle rencontre ?

Page 16: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 16

5. En quoi les pratiques de réciprocité peuvent-elles contribuer à rendre notre monde plus solidaire et plus convivial ?

Ces questions pourraient être posées à tout lecteur de ces actes qui auraient envie de rejoindre… tel mouvement de pensée autour de la réciprocité, tels réseaux ou réseaux de réseaux, telles types de pratiques, tels utilisateurs de démarches, telles organisations ayant présenté ici ses actions, ses convictions et ses analyses…

L’organisation des actes

Ces actes reflètent exactement l’organisation des quatre journées des Rencontres de novembre 2008 :

- Une première journée pour se raconter des histoires : histoires de nos organisations, histoires de la réciprocité dans nos organisations. Partageons nos racines pour partager nos projets. Des actes ne peuvent rendre compte de toute la richesse partagée, En particulier, dans cette première journée où les récits que vous trouverez ci-après n’étaient que des inducteurs pour que tous partagent leurs histoires.

- Une seconde journée pour tenter de comprendre mieux en quoi la réciprocité positive construit du vivre ensemble démocratique, convivial, heureux ; des relations à soi et aux autres plus justes, d’estime de soi, d’estime réciproque ; et des compétences de citoyens.

- Une troisième journée a abordé plus précisément la question de la réciprocité formatrice ; comme outil de partage des savoirs, de « reconsidération » des savoirs de tous, comme démarche d’apprentissage, comme dynamique de formation, d’accompagnement, d’enseignement…

- Enfin, dans une quatrième journée, nous avons voulu nous projeter ; mais aussi tenter, ensembles, de voir si nous avons pu un peu répondre à nos questions :

Si la réciprocité est un processus de construction (lui-même en construction perpétuelle, donc une énergie et non une substance) des personnes (conscience de soi, connaissance de soi, estime de soi, dignité, rôles et places, mise en mouvement…) ; du social (relations interpersonnelles, relations intergénérationnelles, relations interculturelles, vivre ensemble, rapports aux institutions…) ; des savoirs et de l’apprendre (point de vue pédagogique, culturel, quels savoirs pour aujourd’hui…),

- Est-elle une stratégie ?

- Une chance et un recours ?

- Une forme de résistance ?

Page 17: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 17

Jeudi 27 novembre

HHiissttooiirreess ddee rréécciipprroocciittéé

OOuuvveerrttuurreess

Ouverture par Henryane de Chaponay, présidente du Mouvement international pour une réciprocité active (en éducation, en formation et dans les pratiques citoyennes)

Une histoire

La décision de constituer un Mouvement international est prise en 2004, à la fin des Rencontres MRERS. Un groupe de travail d'une dizaine de personnes se réunit régulièrement pour construire le projet en l'élargissant à d'autres collectifs porteurs de la dynamique de réciprocité mais d'autres façons que les RERS.

Les premières activités de ce mouvement international :

- Une Lettre internationale « Savoirs et réciprocité », très riche : vingt pages donnant des articles venant de plusieurs pays et organisations ; - Une consultation large autour de la question : « que faire de ce mouvement international ? » ; - Depuis 2005, mise en place du projet FRESC (Formation Réciproque et Solidaire entre Collectifs), avec près de vingt-cinq personnes (français, belges et italiens qui y contribuent). - Organisation d'une rencontre en France en décembre 2006 : Le MRERS et beaucoup de RERS mais aussi des membres de 35 autres organisations avec des français et des italiens ; - Au cours de l’année 2007 : élaboration de statuts ; - Déclaration de l’association, en 2008, par 45 membres fondateurs ; - Organisation de cette rencontre internationale pour

o travailler sur les contenus : la réciprocité en éducation, en formation et dans les pratiques citoyennes ;

o réaliser la première AG internationale ; o participer à fêter les 21 ans du MRERS ; o développer les formations réciproques et solidaires sous toutes les formes

possibles entre organisations porteuses des mêmes valeurs ; o se donner des projets communs pour promouvoir et expérimenter les pratiques

de réciprocité. Pourquoi la réciprocité nous intéresse-t-elle ?

Elle valorise les Rencontres entre personnes et entre collectifs en les rendant plus fécondes. Elle permet d’apprendre ensemble et de se former réciproquement tout au long de la vie. Elle

Page 18: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 18

permet de mettre au centre de l’échange, des rencontres, chaque personne, ses expériences et ses savoirs, de façon paritaire. La réciprocité suppose de reconnaître autrui, de savoir et vouloir apprendre de la culture de l'autre venant d'autres origines géographiques, culturelles, d'âge, de milieux, de professions. Elle suppose aussi réciproquement une écoute attentive pour bien profiter de l’apport de l’autre, des autres. Pourquoi la réciprocité me concerne-t-elle aussi personnellement ?

Personnellement, dans ma propre formation et ma trajectoire, je dois beaucoup aux rencontres. Elles ont été décisives dans mes choix de vie et je les ai vécues comme des occasions de découvertes et d’apprentissages mutuels. De par mes engagements au Maghreb, en Afrique et en Amérique Latine j’ai énormément appris et continue à apprendre. J’ai considéré que la coopération internationale devrait mettre l’accent sur cette notion de réciprocité dans les liens et apprentissages mutuels qu’elle peut susciter. C’est déjà dans cette perspective que nous avons lancé le travail d’animation rurale au Maroc en 1956 après l’Indépendance et c’est ensuite dans le cadre du CEDAL que j’ai essayé de développer les échanges réciproques entre acteurs sociaux latino-américains et européens. C’est d’ailleurs dans ce contexte que j’ai rencontré fin des années 80 l’expérience des RERS et Claire Héber-Suffrin et que nous avons depuis lors développé nos échanges et nos collaborations.

Ouverture par David Muller, Président du MRERS

Chers amis, bonjour et bienvenue à Evry

Quatre ans après les rencontres internationales de 2004, ici même au Génocentre d’Evry, nous nous retrouvons sur thème « En quoi la réciprocité construit-elle de solidarités ? ». C’était un pari, un pari difficile compte tenu de la situation du MRERS en redressement judiciaire depuis juillet 20063.

Eh bien aujourd’hui, ce pari est réussi. Vous êtes nombreux à avoir répondu à notre appel et nous vous en remercions.

Ces rencontres internationales sont placées sous le signe de deux événements :

- les 21 ans du Mouvement des Réseaux d’Echanges Réciproque de Savoirs (MRERS) ;

- la première assemblée générale internationale du Mouvement International pour la Réciprocité Active (MIRA).

Ces rencontres internationales ont été possibles grâce à l’engagement de beaucoup d’entre vous. Un groupe d’animation, conduit par Claire qui a soutenu sans faille le projet jusqu’au bout, a travaillé depuis un an. Les salarié(e)s du MRERS, malgré un contexte difficile, ont eux aussi été présents sans compter leur temps et leur implication dans l’organisation de ces rencontres. Enfin, des appuis institutionnels comme ceux du Ministère de la Jeunesse et des Sports, de La Vie associative, surtout du Conseil Général de l’Essonne à travers trois services, Vie associative, Coopération décentralisée, Développement durable et solidaire ont largement contribué à la réussite de ce projet. La Fondation Beija Flor4 a apporté une aide précieuse. Alors, que tous soient ici remerciés en votre nom.

Bon travail, et que ces journées soit une fête de la « réciprocité ».

3 Depuis, un nouveau mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs a été créé : il s’agit de FORESCO, Formation

réciproques, échanges de savoirs et créations collectives. 4 Dont Henryane de Chaponay est la fondatrice.

Page 19: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 19

Accueil par Christiane Saget, adjointe au Maire d’Evry Madame la Présidente du Mouvement international pour la Réciprocité active, Henryane de Chaponay,

Monsieur le Président du Mouvement des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs, David Muller,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Je vous prie de bien vouloir excuser Manuel Valls qui ne peut ouvrir ces rencontres mais qui sera parmi vous samedi prochain. Il m’a donc chargée aujourd’hui de le représenter, en tant qu’adjointe chargée des solidarités, de la santé et du handicap.

C’est avec beaucoup de plaisir et d’émotion que je vous vois tous ici réunis au Génocentre, centre de recherche à renommée internationale, à l’occasion de l’ouverture de ces rencontres internationales. C’est un beau symbole du potentiel de richesses que concentre notre ville. Ici, ce matin, que ce soit la science au service de l’humain ou l’humain au service du progrès : tout se rejoint. Et nous tenterons, ensemble, d’apporter des clés de réponse à cette grande question, qui sera le fil rouge de ces quatre jours : « En quoi la réciprocité construit-elle des solidarités ? ».

Historique

Le MRERS s’est constitué ici à Evry. C’était, à sa genèse, en 1980, une association locale, pleine d’ambition, d’énergie, de passion et de dynamisme. Je m’en souviens puisque j’étais moi-même membre active du Conseil d’administration, avant d’en devenir vice-présidente.

Dès les années 80, la Municipalité a apporté son soutien à cette initiative, avec notamment Jaques Guyard5 que je salue et remercie. Un poste d’animateur avait déjà été créé par la ville pour le RERS. Ce n’est pas parce que je suis adjointe que je vante le soutien de la Ville d’Evry, mais c’est une réalité depuis toujours. Les élus de l’époque avaient déjà bien compris l’importance de la réciprocité, du partage, de la solidarité active pour enrichir une vie de quartier, mais plus encore une vie locale, avec tous les habitants de tous les âges, de tous les horizons. Déjà, la démocratie participative avait du sens, à Evry.

Nous étions pionniers et nous semions les germes de la cohésion sociale, de ce fabuleux brassage des populations, des cultures et des âges, de ce fameux « vivre ensemble » qui fait aujourd’hui l’identité de notre ville.

Expérience personnelle, en tant que coordinatrice-formatrice

J’ai participé à l’organisation de plusieurs colloques, des universités d’été, j’ai animé des formations d’animateurs de réseaux, soutenus un certain nombre de réseaux dans leur démarrage et dans leur animation…

Actualité des rencontres

Samedi prochain, auront lieu l’AG du MIRA et la fête des 21 ans du MRERS. Cela illustre le rayonnement et la réussite de ce mouvement.

5 Ainsi que son prédécesseur, maire d’Evry de 1977 à 1983, Claude Jeanlin,

Page 20: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 20

Mon rôle d’élue chargée des solidarités

A ce titre là, ces rencontres m’intéressent beaucoup. Je soutiens, avec la Municipalité (et avec le concours de l’agglomération), votre action.

Dans le quotidien d’Evry, en 2008, votre action est essentielle. C’est le contraire de l’assistanat, c’est tout sauf du « faire pour les autres », c’est, avant tout, une reconnaissance de chacun comme porteur de savoir, comme citoyen à part entière.

Quels sont les mots clés qui, pour moi, définissent votre action ?

- Permettre à chacun de retrouver sa dignité, en étant acteur de sa propre vie ;

- Construire une société solidaire, qui promeut la coopération ;

- Tout cela s’inscrit dans un mouvement d’éducation populaire ;

- Evry est un terreau de diffusion de savoirs (valoriser la richesse éducative d’Evry).

Conclusion

Finalement, dans un contexte où le « tout économique » n’a de cesse de montrer ses failles, l’action des RERS est toujours aussi solide, toujours aussi forte et unie. Elle nous montre une autre voie qui tient car elle repose sur nos fondamentaux républicains : l’égalité, la fraternité, la liberté. Mais plus encore, sur tout ce qui enrichit notre République, tout ce qui nourrit notre avenir, toutes les valeurs qui fondent l’espoir : le partage, l’écoute, l’ouverture sur le monde et sur les autres.

AAtteelliieerrss dd’’hhiissttooiirreess ddee ccoolllleeccttiiffss aauuttoouurr ddee llaa rréécciipprroocciittéé

Histoire du projet FRESC, Formations réciproques et solidaires entre collectifs, par Elisabeth Maïer et Jacqueline Saint-Raymond

1. Quelle situation du projet FRESC dans le contexte de l’association « MIRA » ?

Le projet FRESC (Formations réciproques et solidaires entre collectifs) est un des outils inscrits dans les statuts de l’association MIRA (Mouvement International pour la Réciprocité Active) dont l’objet est le suivant : « La réciprocité est entendue comme relation entre les personnes et/ou entre des collectifs où chacun (personne ou groupe) apporte sa contribution positive (savoirs, pratiques, outils d’analyse, créations, paroles etc.) et bénéficie de celles des autres. L’association a pour but de promouvoir, instaurer et penser, les pratiques de réciprocité ouverte en éducation et en formation et dans les actions citoyennes. En :

- organisant des rencontres internationales,

- développant des formations réciproques,

Page 21: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 21

- suscitant des recherches coopératives (FRESC, recherche-action, études, laboratoire/observatoire…),

- diffusant de l’information (site, journal…) sur les valeurs, outils, pratiques et réflexions liées à l’objet de l’association,

- favorisant les relations entre personnes et collectifs (échanges, jumelages, etc.),

- conduisant ou soutenant des expérimentations sociales, économiques, pédagogiques ».

FRESC-EU (EU étant le sigle pour l’Europe) est une des projections de FRESC se déroulant dans le cadre de l’Europe et financée par l’Union Européenne.

2. Quels ont été les préalables à la construction de « FRESC » ?

C’est

- la même idée centrale, le même constat préalable à la création du 1er Réseau d’Echanges Réciproques de Savoirs (RERS), mais à l’échelle du collectif, (alors que l’idée initiale dans les RERS est plus à l’échelle de l’individu même si cela a des répercussions manifestes sur la collectivité).

- le même constat de gaspillage, de privation des richesses mutuelles : Les associations ont des pratiques spécifiques liées à leur histoire propre. elles ont acquis des savoirs «de collectif » (ex : organiser des journées interculturelles, faire une bourse d’échanges de savoirs, création coopérative de richesses, organiser une AG dynamique etc.). Comment ne pas se priver des savoirs des autres, comment transmettre aux autres ses propres savoirs pour un enrichissement mutuel entre collectifs ? Plusieurs associations et réseaux ré/inventent ce qui a déjà été fait ailleurs et beaucoup de pratiques fructueuses restent ignorées de beaucoup d’entre eux.

Cette préoccupation de capitalisation/réutilisation est reprise par les RERS aux rencontres Internationales de novembre 2004

Pour mémoire, il existe actuellement environ 600 RERS en France et à l’étranger. Claire et Marc Héber-Suffrin ont été les initiateurs du et des premiers RERS. Et c’est autour d’eux, par les Réseaux, puis ensuite par les autres nombreux collectifs auxquels ils ont participé que l’idée de FRESC va petit à petit prendre corps.

3. Quel est l’historique de FRESC ? Comment est né FRESC-EU ?

- En 2003, Claire Héber-Suffrin avait élaboré un module RERS de formation à distance pour des étudiants en Master 2 d’économie sociale et solidaire au campus numérique de l’université de Valenciennes, important travail en sept chapitres, tous architecturés de la même manière.

- Claire réunit autour d’elle, début 2005, un groupe d’une vingtaine de personnes motivées pour inventer ce fonctionnement de formation à distance entre réseaux : Apprendre ensemble à repérer, nommer, décrire les savoirs, y compris « collectifs » ou utiles pour le collectif, pour les décortiquer et en faire des offres de formation de façon à ce qu’ils soient appropriables par d’autres.

Page 22: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 22

- Un appel est lancé plus largement en avril 2005 au MRERS (Mouvement des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs), au Réseau Formateurs du MRERS, à la coordination du Mouvement international en train de se construire et à la coordination des RERS étrangers, pour que le plus possible de personnes intéressées puissent réfléchir et construire ensemble, autour de deux questions :

- Comment utiliser le module de Valenciennes pour se former ensemble ?

- comment chaque réseau pourrait-il devenir formateur sur une de ses pratiques réussies ?

- Pourrait-on se rencontrer quelques jours pour essayer d’utiliser ensemble le module de Valenciennes de façons différentes ?

Puis, il est convenu d’une rencontre de recherche/production à Séverac (Cantal, France), les 29, 30 et 31 août 2005. Dix-huit personnes seront présentes toutes issues de Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs. Cette rencontre à Séverac est véritablement à la base de la « naissance » de FRESC. L’hypothèse d’ouvrir ce projet à d’autres collectifs que les réseaux d’échanges de savoirs, évoquée dès Janvier 2005, est formulée en proposition en avril 2005 mais ne devient opérationnelle qu’en mai 2006, où le collectif FRESC s’enrichit d’autres organismes coopératifs et d’autres associations d’éducation populaire. C’est ensuite lors de travaux dans le cadre du projet européen SCATE (auquel des membres des RERS avaient été associés à l’initiative de Olivier Las Vergnas et de Bernadette Thomas de la Cité des Métiers), et grâce à la suggestion de Rita Bencivenga (une des coordinatrices du projet SCATE6) qu’est née l’idée de se tourner vers l’Europe pour que nos réunions de travail puissent être facilitées et devenir réellement internationales. Une rencontre, en décembre 2006, à la Cité des Sciences et de l’industrie de La Villette, réunit plus de 100 personnes intéressées par les logiques de coopération et formation réciproque entre collectifs. Un projet collectif a été élaboré. Une demande de subvention dans le cadre du projet européen Grundtvig a été faite et cette recherche-action s’est appelée FRESC-EU. Les fonds obtenus permettant les mobilités des personnes participant à ce projet. Depuis, plusieurs réunions se sont déroulées en France, en Belgique, en Italie – ces trois pays faisant partie du projet FRESC-EU.

4. Quelles sont les finalités du projet FRESC et FRESC-EU ?

« Les membres des organisations ont des connaissances et des savoir-faire qui se perdent pour d’autres organisations et pour elles-mêmes (exemples : démarche collective et outils pour un Mieux vivre ensemble, création coopérative de richesses, mise en circulation des savoirs pour qu’ils soient accessibles à tous, outils comptables cohérents avec le projet, animation de sessions de formation des citoyens…). Nous faisons le pari qu’en partageant leurs savoirs d’organisation, d’animation, de réflexion… les membres des organisations développeront leur prise de conscience des richesses de leur collectif, se les approprieront et pourront davantage prendre appui sur elles pour continuer à la créer.

6 Studies circles, a tool for empowerment.

Page 23: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 23

Nous sommes soucieux de mutualiser ces connaissances et ces savoir-faire pour que les organisations qui se reconnaissent dans les valeurs de l’éducation populaire et de la pédagogie coopérative, de la solidarité, de l’éducation et de la formation tout au long de la vie pour tous et par tous, puissent contribuer à leur transmission et leur appropriation. »

5. Quelle démarche adopter dans le cadre de FRESC et de FRESC-EU ?

La démarche adoptée est celle que l’on utilise dans les RERS. Elle est transposée, ainsi que la méthodologie et les outils de la relation de réciprocité entre personnes, à l’échange réciproque de savoirs entre organisations, autrement dit, pour créer une formation réciproque entre organisations volontaires.

La règle du jeu étant l’indispensable réciprocité ouverte. On appelle « réciprocité ouverte » le fait que l’engagement de réciprocité ne s’exerce pas nécessairement en boucle entre un offreur et un demandeur (je t’offre et tu m’offres), mais en un réseau dans lequel ce n’est pas la personne à laquelle j’ai offert qui va forcément m’offrir à son tour.

6. Quelle mise en œuvre du projet ? :

• Les offres de formation :

Chaque collectif : - repère et définit ses connaissances et ses savoir-faire ou bien est aidé à les repérer ;

- décrit tels de ses connaissances et/ou de ses savoir-faire et en analyse les dimensions (autres connaissances et savoir-faire qui les constituent) ;

- en raconte la construction

- en montre les utilisations ;

- analyse les problèmes qu’il contribue à prendre en charge, les questions qui se posent à lui, ses difficultés et ses manques… ;

- Et les transforme en occasion de formation (sous forme de fiche de formation ou sous d’autres formes à expérimenter) pour d’autres collectifs.

Toutes ces offres sont diffusées à tous les collectifs (par le biais d’un site internet).

Chaque collectif :

- peut puiser dans ces ressources mises en commun et les alimenter ;

- est offreur et demandeur d’une (ou plusieurs) fiche(s) de formation ;

- S’engage à faire un retour sur l’utilisation de la fiche de formation à l’équipe qui l’a élaborée.

Les collectifs, les personnes et les groupes d’acteurs peuvent être formateurs sur les offres de formation qu’ils ont créées ou sur les fiches qu’ils se sont appropriées.

• Le site internet :

Un site internet est en construction pour :

- Permettre, à l’interne, le travail d’échanges d’offres et de demandes de formation, la consultation des outils mis à disposition pour les collectifs partie prenante de ce projet, les échanges d’informations…

Page 24: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 24

- S’ouvrir à l’externe, être un portail d’informations pour d’autres collectifs qui seraient susceptibles d’être intéressés par cette démarche du projet FRESC.

• Les rencontres :

Afin de conduire les deux objectifs précédents, des rencontres se déroulent régulièrement. Rencontres entre les trois pays du projet FRESC–EU, mais aussi rencontres plus internationales ou alors rencontres de travail dans chaque pays respectif.

7. Analyse et constantes

On note qu’il s’agit toujours d’histoires de rencontres entres des personnes, rencontres possibles par les liens d’amitié et d’estime mutuelles et rencontres créatrices d’autres liens. On constate alors que les réciprocités fabriquent autour d’elles encore et toujours de la réciprocité.

Histoire d’une recherche-action sur les langues française et kanak par Gilles Reiss, pour l’association MERE A’ XE-RE Enseigner à des enfants kanak : un programme bilingue pour la réussite scolaire Un exemple d’adaptation des programmes scolaires aux réalités culturelles et linguistiques en province Nord de Kanaky-Nouvelle Calédonie ; l’histoire d’un groupe en recherche-action.

Géographie

Kanaky-Nouvelle Calédonie se trouve à trois heures d’avion à l’Est des côtes australiennes, à trois heures de vol au Nord de la Nouvelle Zélande, à vingt-trois heures de Paris.

Histoire

L’île est découverte par James Cook en 1774. Elle est déclarée colonie française le 24 septembre 1853. Les « évènements » de 1984 provoquent la signature avec l’État des Accords de Matignon en 1988 qui reconnaît la souveraineté du peuple kanak suivi de l’Accord de Nouméa en 1998 : une loi organique qui prévoit le transfert progressif des compétences de l’État pour construire un pays, dans un destin commun, et qui pourra proclamer son indépendance par un vote référendaire prévu en 2014. Les 27 langues kanak sont reconnues en tant que langues d’enseignement. Un gouvernement administre le pays divisé en trois provinces (Nord, Sud et Iles). Chacune d’elle possède une direction de l’enseignement qui recrute et gère le personnel enseignant du premier degré. Le gouvernement élabore le programme scolaire pour l’ensemble du territoire et assure le contrôle pédagogique. Chaque province est compétente pour apporter des adaptations à ces programmes en fonction de ses spécificités culturelles.

Je suis employé dans ce cadre par la province Nord en l’an 2000. Nos priorités iront vers la création d’un programme de prévention sanitaire et social, vers le développement d’internet afin de mieux communiquer compte tenu des distances et vers la prise en compte des langues kanak à l’école.

Page 25: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 25

Présentation

• De l’interdiction de parler sa langue maternelle dans les cours de récréation à la reconnaissance de l’enseignement des langues kanak, on compte l’espace d’une seule génération. Des parents d’élèves ne comprennent pas toujours les punitions ou châtiments qu’on leur a fait subir dans leur enfance scolaire. Ils ont écouté les slogans de l’école coloniale qui les exhortaient à parler français le plus tôt possible à leurs enfants et ont connu une déculturation progressive, amenant les uns et les autres à pratiquer deux langues appauvries. • En 1996, Jean-Marie Tjibaou disait : « Sur le plan scolaire, l’effort doit d’abord porter sur les enfants d’âge maternel. Il faut former des maîtres qui les initient de bonne heure à la fois à l’ouverture sur le monde et à la découverte de leur propre milieu, naturel et humain. » Bensa, A., Wittersheim, E., (1996), Jean-Marie Tjibaou : La présence kanak, Ed. Odile Jacob, Paris. • Mais en 2000, le Directeur de la Direction de l’Enseignement de la Nouvelle Calédonie rédigeait : « Il faut que très tôt l’enfant comprenne que le « langage » est la langue du cœur, celle du clan, de la tribu, […]. En revanche, la langue française est la langue de la raison »7.

Nouméa, Centre culturel Tjibaou, vendredi 17 mars 2000 Le modèle dominant de l’école coloniale continue de creuser la fracture identitaire : « le langage » est relégué au folklorique, la langue française au prestigieux. Ce Directeur fut en poste jusqu’en 2006. Son successeur organisa des réunions d’échanges avec les trois provinces et nos outils et programmes furent validés. Il a réuni en 2008 les inspecteurs dans l’une de nos classes de langue.

Par où commencer ?

Ecouter les acteurs concernés : recueil

Obtenir un cadre politique : délibération cadre

En 2001, nous avons reçu et écouté des représentants : du Sénat coutumier, d’associations de parents d’élèves, d’enseignants, de la Direction de l’Enseignement du gouvernement, des écoles confessionnelles, des élus de la commission de l’enseignement, venus s’exprimer sur la question de : « la place des langues à l’école ». Nous avons retenu les représentations, constats, hypothèses, propositions, besoins et questions les plus souvent cités. Nous avons rédigé une répartition des tâches à mener en fonction des compétences de chaque collectivité sous la forme d’une délibération cadre votée par l’Assemblée de province le 26 avril 2002.

Sur quels contenus ?

• Enseigner les concepts en langue maternelle à l’école maternelle

Notre premier travail fut de comprendre ce qui pouvait faire obstacle dans la traduction des concepts spatiaux et temporels d’une langue à l’autre. Nous avons identifié les différences de représentation pour désigner, par exemple, le dedans/du dehors, lorsque les limites de la zone proximale « extérieure » en langue kanak font encore partie de l’intérieur de la maison8. Devant/derrière sont traduisibles pour des objets orientés mais on ne trouve pas de traduction pour désigner la situation d’un être humain qui se trouverait « devant » un autre être humain. Si des bananes sont « dans » un panier, celles qui se trouvent à « l’extérieur, ou en dehors du panier », expression attendue en français, seront désignées comme étant « à

7 Actes du colloque : Langues kanak et Accord de Nouméa, A.D.C.K., Centre Culturel Tjibaou, vendredi 17 mars.

8 On est encore « dans » la maison en langue kanak lorsqu’on se trouve sous la véranda.

Page 26: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 26

côté du panier », littéralement en langue kanak. En français, « grand » en taille se traduirait par « long » en kanak, mais « grand », en kanak, se traduirait par plus âgé » en français… Dans un article intitulé « L’espace kanak ou comment ne pas perdre son latin ! », Pascale Cottereau débute ainsi : « Je demandais à une amie kanak « Comment dirais-tu en païcî : je tourne à gauche ? ». La réponse fut brève et précise : « Ca dépend de quel côté je me trouve ! » ». L’auteur choisit d’illustrer l’idée « que si la structuration spatiale fait appel aux mêmes processus cognitifs relatifs à l’extraction d’invariants, elle est à tout moment instanciée par les significations prêtées aux objets, aux évènements »9. Droite/gauche ne sont pas utilisés en langue kanak pour se diriger. On utilise en haut/en bas sur les axes : montagne/mer ou Nord/Sud. Des enfants sont en difficulté pour répondre aux items de test psychologiques10 tels que : « entourer le verre qui se trouve au coin de la table » ou « entoure l’assiette où il y a le plus de gâteaux » car les notions : Le Plus/Le Moins, sont intraduisibles en langue kanak comme le mot « coin ». L’expression « passer sous une échelle » est une représentation impossible. En langue kanak, on passe « entre » l’échelle et le mur… Nous avons expérimenté, testé et rédigé une vingtaine de fiches pédagogiques sur ces concepts de base ainsi que sur l’exploration des cinq sens pour un apprentissage en langue maternelle kanak aux enfants locuteurs.

Quels contenus ?

• La conscience phonologique

Consigne : « colorie les cases où on entend [a].Positionner une graine sur l’axe en fonction de la position de la voyelle ».

Que font les parents qui lisent régulièrement des histoires à leurs enfants. Ils leur font prendre conscience du passage de l’oralité à l’écriture. Sans le savoir, ils leur montrent qu’une quantité de mots correspond à une quantité d’oral, que des phrases sont composées de mots qui sont des mélanges de sons. Ces enfants sont préparés pour l’apprentissage de la lecture au CP. Avant même d’aller à l’école, avant l’apparition du langage, ces mêmes parents montraient des imagiers à leurs bébés qui pointaient du doigt les noms d’objets ou d’animaux qu’ils aimaient entendre et qui les faisaient rire. Sans le savoir, ces parents éveillaient leurs bébés à la conscience phonique. Les chants, berceuses, comptines, poésies prenaient le relais pour affiner les perceptions des sons, de la prosodie, des jeux de mots, des rimes,… de la mélodie des mots. Lorsque ces pratiques familiales n’existent pas ainsi que la littérature dans les langues kanak, c’est à l’école de pallier les manques.

9 « L’espace kanak ou comment ne pas perdre son latin ! », Pascale Cottereau-Reiss (Docteur en Psychologie du

développement cognitif), Annales de la Fondation Fyssen, n°14, 1999. 10

Tests de Boehm.

Page 27: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 27

Nous avons donc conçu une démarche et des outils adaptés pour permettre à nos jeunes élèves locuteurs d’apprendre à écouter chaque phonème de leur langue, de jouer avec les syllabes, les mots, les phrases, pour s’exercer à la discrimination auditive.

Quels contenus ?

•Apprendre à lire et écrire sa langue : méthode élaborée par Solange Kavivioro11 et Ketty Poedi12

La langue a’jië comporte cinquante-sept phonèmes. La langue païcî en compte 54 (la langue française, trente-quatre). Mais comme pour la langue basque, on a une correspondance graphème phonème. Un seul signe désigne un seul son. Cette rationalité, cette rigueur arithmétique permet aux enfants d’assembler facilement les sons, d’en visualiser les graphèmes pour composer les syllabes. Nous nous sommes constitués des listes de mots clés pour représenter chaque phonème dans chaque langue. Ces mots sont illustrés, affichés dans les classes de langue et servent de référence pour capter les mémoires auditives et visuelles. La progression d’étude de ces phonèmes tient compte de la fréquence de leur utilisation dans la langue maternelle. Certes, l’enfant doit mémoriser toutes ces correspondances. Mais une fois le « déclic » syllabique obtenu13, il peut déchiffrer et apprendre à lire couramment dans sa langue. Simultanément, que se passe t-il avec l’apprentissage de la lecture en français, langue qui ne comporte que trente-quatre phonèmes et vingt et une lettres qui doivent se combiner entre elles pour produire certains sons ? Nous citons souvent le mot « oiseau » pour faire prendre conscience de la difficulté à lire un mot dont on n’entend les sons d’aucune des lettres. Les enfants devenus « experts » dans la compréhension des mécanismes syllabiques de leur propre langue perçoivent les « subtilités » de la langue française et repèrent qu’un [o] s’écrit o, au, eau, oh, ho, ô, aud, aut, ot…

Quels contenus ?

Ramener la langue à la tribu : exploitation pluridisciplinaire de comptines en langue par la pratique du bilinguisme simultané : travaux d’Eric Médard14 et de Marie-Jeanne My15

Pwëutë (Paouta) est une école maternelle de tribu. Lorsqu’Eric introduisit la langue paicî pour la première fois, les enfants se moquèrent et dirent : « c’est de l’anglais ! ». L’exploration pluridisciplinaire des comptines créées par Marie-Jeanne et Eric en situation bilingue permet aux enfants de construire progressivement leurs savoirs dans des contextes spécifiques. Par exemple, à partir de la comptine numérique « Caapwi ciibwi».

11

Solange Kavivioro est institutrice spécialisée, locutrice de sa langue maternelle le a’jië, membre de l’association et participante aux groupes de travail depuis leur création. Elle est actuellement référente pour accompagner et former les locuteurs employés sur la côte Est. 12

Ketty Poedi est locutrice à plein temps en langue a’jië pour les écoles de Waa Wi Luu. Elle fut la première à expérimenter le programme et obtenir la réussite des 6 premiers enfants lecteurs en a’jië, sous l’encadrement de Solange. 13

Les enseignants de CP utilisent fréquemment le terme de « déclic » qui correspond à ce moment « unique » où l’enfant réussit à la fois à prononcer et repérer les graphèmes de la syllabe. Il devient alors définitivement capable de déchiffrer. 14

Eric Médard est Directeur de l’école maternelle de Pwëutë (Paouta) depuis 10 ans. Il participe aux groupes de travail depuis leurs créations. Il est actuellement référent formateur pour la côte Ouest. 15

Marie Jeanne My est assistante maternelle auprès d’Eric, elle traduit et apprend les comptines en langue paicî aux enfants. Elle est actuellement membre du bureau de l’association.

Page 28: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 28

Les enfants repèrent et jouent avec les sons, les rimes, de leur langue paicî tout en apprenant la numération dont la compréhension est facilitée en langue maternelle. Ils n’ont en effet que 5 mots à apprendre de un (caapwi) à cinq (caa-kârâ-î-jè, qui veut dire « main »). On passe ensuite en base cinq car 6 se dit « 5 et 1 » : caa-kârâ-î-jè görö caapwi. 10 se traduit par « deux mains », 11 par deux mains et un, 20 (deux mains et deux pieds) se traduit par « un homme ». En français les enfants apprennent dix mots jusqu’à dix, puis « onze, douze, treize…, seize » ne reflètent pas phonologiquement la base 10. Il faut attendre « dix-sept » pour comprendre le principe additif. Par conséquent, l’apprentissage en langue paicî des nombres rend plus facile la traduction française. Cette comptine permet, de plus, d’étudier les concepts : premier, deuxième, troisième ; haut/bas ; gauche/droite ; et d’explorer le monde animal et végétal.

Comment s’y prendre ?

Des stages en tribu

Les maisons communes nous servent de salles de travail. Les parents écoutent et participent à nos séances. Nous mangeons et dormons sur place, des liens se créent. Ils nous aident à chercher les mots en langue, comprennent nos interrogations, réflexions et tâtonnements. La présence des coutumiers nous est précieuse.

Un groupe de travail référent : le groupe de Nacètii

Entre deux stages, un groupe plus restreint travaille une journée par mois pour reprendre avec du recul les productions des stagiaires afin de les tester en classe, les modifier ou les valider.

Inviter des personnalités

Besoin d’un cadre pédagogique : Photo Jean Houssaye, dans la tribu de l’embouchure en 2003 ; Photo de Jean Pierre Astolfi pour la didactique des sciences à Canala en 2004 ; Photo de Claire et Marc Héber-Suffrin à Nacètii en 2006 pour les réseaux d’échanges réciproques des savoirs.

Page 29: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 29

Avec quels supports ?

Quatre albums réalisés traduits dans 5 langues : « Tädo et Crabe », un conte pour enfant qui prend en compte les apprentissages des concepts spatiaux et temporels du programme de l’école maternelle ; « Crabe de cocotier et Bernard l’hermite », un conte pour enfant ayant pour thème les cinq sens ; « La balade de Petit Tricot », un conte pour enfant ayant pour thème la numération ; « Les enfants de l’oranger », un conte pour enfant qui privilégie la lecture d’un texte pour entraîner les élèves lecteurs bilingues.

Un document pour la prévention sur les violences faites aux enfants : « Le passeport pour le chemin du respect » ; L’illustration des évaluations des fiches « concepts » En préparation : - Illustration du préambule de l’accord de Nouméa ; - « La pêche aux crevettes » ; - des imagiers ; - « Le voyage des totems ».

Comment employer des locuteurs ?

La création de l’association MERE A’ XE-RE - Trois cents enfants accueillis dans leur langue en 2008 ; - Dix-sept locuteurs (locutrices) employés ; - Six enfants lecteurs bilingues en 2006, 25 en 2007 et 60 en 2008.

Nous avions le soutien des élus pour mener à bien nos actions mais pas celui des administratifs. Un premier directeur ne souhaitait pas rémunérer les locuteurs estimant que la revendication de la prise en compte des langues participait du militantisme et donc que les acteurs devaient être bénévoles. Un second Directeur ne souhaitait aucune initiative en matière d’adaptation provinciale des programmes estimant que désormais nous construisions un pays et que par conséquent nous devions nous ranger en accompagnement des décisions du gouvernement. La solution de la création d’une association a permis aux élus de nous subventionner directement.

Réciprocité/solidarité ?

•Au niveau des enfants :

- ils ne considèrent plus leur langue maternelle comme de « l’anglais » et sont fiers d’échanger ; - les enfants lecteurs sont tuteurs de ceux qui apprennent ; - ils sont performants dans toutes les matières ; - les enfants orientés en CLIS réussissent en classe de langue.

•Au niveau des parents :

- Le projet d’école réunit les clans ; - les enfants lecteurs apprennent à lire à leurs parents ; - A Pwëutë, ils ont enregistré des chants qui remercient le travail engagé sur le même CD que celui des enfants.

•Au niveau des enseignants :

- Des changements de représentations et d’attitudes ;

Page 30: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 30

- Une nouvelle collaboration avec les locuteurs ; - de nouvelles demandes d’écoles qui nous sollicitent chaque année. •Au niveau du groupe MERE A’ XE-RE : - une réflexion commune : apprendre de chacun(e) car le savoir culturel est partagé de tous ; - les idées de chacun(e) sont publiées ; - les conflits rapprochent ; - les démarches innovantes comportent des risques et des doutes qui sont partagés.

Réciprocité / Solidarités ?

Un point commun chez tous ces acteurs : une bonne estime de soi

Plus que les résultats scolaires et évaluations qui sont facilement observables, c’est l’estime de soi qui se manifeste de manière quotidienne. Les enfants réclament les « maîtresses de langue », attendent les séances avec impatience. La valorisation identitaire induite par la prise en compte de leur spécificité linguistique déclenche en eux une envie d’aller à l’école, d’accomplir leur « métier d’élève » (P. Perrenoud, 199416). Non seulement les enfants apprennent à lire mais ils développent des aptitudes cognitives accélérées dans les autres matières. « Le désir d’apprendre naît de la reconnaissance d’un espace à investir » (P. Meirieu, 198717). Cet espace culturel est rendu visible au travers des progressions qui préparent l’enfant de la maternelle au CP. Les enfants savent qu’à l’issue de trois années de prise en charge avec la même locutrice, ils apprendront à lire. D’apprenants ils deviennent enseignants en restituant leur travail à la maison, en reprenant et corrigeant des mots qu’ils entendent par la preuve de l’écriture dans leurs livres. La majorité des parents ne savent pas lire leur langue et sont fiers du savoir transmis par leurs enfants. Les élèves lecteurs de Wani étaient l’année dernière tuteurs de leurs aînés de CE1, ils le sont à présent pour les plus jeunes qui sont en cours d’apprentissage. Ils renforcent ainsi leurs acquis. Au cours d’une séance, une élève nous a fait corriger une faute d’orthographe, un accent oublié qui l’empêchait de « bien dire » dans le texte de « Crabe de cocotier et Bernard l’hermite », publié en A’jië. Les enfants de Nakety, en cours d’apprentissage des sons, utilisent les jetons du bingo de leur maman pour refaire les exercices à la maison. La locutrice organise un stand lors de la kermesse de l’association des parents d’élèves pour montrer aux parents les exercices qu’elle enseigne. A Panié, les enfants de retour dans leur classe interrompent la maîtresse pour annoncer en chœur qu’ils ont appris ce qu’étaient « un mot » et « une phrase ». A Pwëutë (Paouta), les élèves chantent en langue, spontanément, dans le car de ramassage qui les mène au village. Tous les enfants de la tribu travaillent le mercredi après-midi pour apprendre à lire le Païcî. Un cédérom de chants et comptines a été gravé. Les parents y ont ajouté deux chorales dont les paroles témoignent de remerciements adressés aux enfants, à l’école et toute l’équipe. L’estime de soi s’exprime aussi dans les témoignages des maîtresses titulaires impliquées. L’une d’entre-elle nous avouait, en début d’expérience, sa lassitude après vingt années de CP, en souhaitant rapidement « la retraite ». Elle est « transformée » et accueille dorénavant tous les enfants locuteurs. Elle exprime son envie de retrouver sa classe chaque jour et affiche son dynamisme. Une autre s’inquiétait en début d’année pour un élève en difficulté. Etait-il malentendant ? Fallait-il le signaler au réseau d’aides spécialisées ? Après quelques séances d’exercices pour développer la conscience

16

Philippe Perrenoud, 1994, Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, collection pédagogie. 17

Philippe Meirieu, 1987, Apprendre oui… mais comment ?, Paris, ESF.

Page 31: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 31

phonologique dans sa langue maternelle, le diagnostic négatif était levé. « C’est à présent le meilleur élève de ma classe en lecture » nous dit sa maîtresse. Une maîtresse arrivée en poste récemment à Hienghène s’inquiète en CE1 des difficultés de compréhension en français du vocabulaire des concepts spatiaux et temporels. Elle pratique un test d’évaluation et demande à la locutrice en Fwaï, présente dans l’école, quels sont les élèves locuteurs. Toutes les deux se rendent compte que ceux pris en charge en langue en maternelle n’avaient pas commis de fautes. Les comportements d’enfants motivés et leurs progrès partout constatés renforcent l’estime des principaux artisans de cette innovation. Tous deviennent chercheurs et théoriciens d’un modèle qui prend forme année après année. Tous peuvent être fiers des résultats des enfants lecteurs bilingues et de la validité de leurs outils et réflexions.

J’ai retrouvé une18 photo de ma classe prise en 1967 à Tontouta (aérodrome situé à cinquante km au Nord de Nouméa). Mis à part quelques enfants métropolitains dont les parents étaient sous contrats, tous sont calédoniens d’origines ethniques différentes : kanak, tahitiens, européens, javanais, wallisiens). Avec cette photo, il y avait mon cahier de CE2. En première page, une « leçon de chose » est consacrée à l’observation d’une pomme coupée en deux, avec le schéma dessiné, des annotations et un résumé sur le pommier et les quatre saisons écrit à l’encre et à la plume « sergent-major »... A cette époque on ne connaissait que la compote en boîte qui arrivait par bateau. Aucune trace dans ce cahier ni les suivants d’une étude sur la goyave, le niaouli ou la mangrove… Aujourd’hui, chaque année des enfants sont interrogés sur des calculs de vitesses de TGV ou de prix de ventes en euros (notre monnaie est le franc pacifique). Nous ne sommes encore qu’une minorité à penser que l’école doit prioritairement être le centre de convergence des cultures et savoirs de tous les acteurs qui s’y co-construisent pour en sortir guides de leurs patrimoines. Cet objectif, loin d’exclure la nécessaire ouverture aux savoirs planétaires d’un pays insulaire en voie de développement économique sur les marchés mondiaux, demeure un préalable, à l’école primaire pour des apprentissages premiers. Pour obtenir une réciprocité des « savoirs », il faut déjà « savoir » ce que l’on peut donner…

[email protected]

Production de l’histoire collective de D3 Pierres à Montréal, par André Vidricaire et production collective de l’histoire du réseau d’Orléans par Marie-Jo Legrand et Agnès Ballas

Compte-rendu, fait par Nicole Desgroppes, des remarques, questionnements et débats. « Je repars avec une démarche intéressante et opérationnelle me permettant de travailler à la réalisation et rédaction de l’histoire collective de notre organisation à Bobo-Dioulasso. Il s’agit de collectif des associations et mouvements de jeunesse qui a 15 ans d’existence. »

18

Gilles Reiss nous la montre.

Page 32: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 32

« La réciprocité n’est pas l’assistanat : on ne peut régler tous les problèmes en échangeant ses témoignages. Donner la possibilité de s’exprimer c’est déjà un premier pas pour l’estime de soi, sa propre reconnaissance. »

« Autour de moi des personnes ont été sollicitées à Montfermeil (Linda). Elles ont parlé, écrit. Une fois le livre publié, il y eut une grande déception de ceux qui ont écrit. Où en est la réciprocité ? Après il ne se passe rien. »

Réponse d’André Vidricaire : « Ne pas lâcher quand le livre est fini. Garder le contact. Rester dans une construction collective, ces gens sont en échange. Ça continue avec eux. »

« J’ai été interrogée par l’intervention de Linda. C’est vrai, trop vrai, que pouvons-nous faire ? Je partage ton interrogation. »

« Je pars avec la réflexion de Linda. Les personnes qui ont donné, qui se sont livrées en un temps partagé, que leur reste-t-il après la production ? Je pense que toute personne s’est livrée avec confiance mais que l’on n’est pas assez attentif à la valeur de leurs propres mots, leurs intentions. On ne pense pas forcément à préciser les intentions, souvent parce que les évènements s’enchaînent et parfois font bifurquer. La déception vient souvent avec le retrait ou la mise à l’écart. J’aimerais étudier tout cela car on ne considère pas la personne à sa propre valeur. Elle ne sait pas l’exprimer précisément. »

« Pourquoi raconter une histoire (limitée dans le temps) et pas une expérience (où je suis plus à l’aise) ? »

Réponse d’André Vidricaire : « Il existe une association qui parle des Histoires de vie (Gaston Pineau de l’université de Tours). Il a accompagné des personnes pour raconter leur vie professionnelle. Chacun raconte son vécu à sa façon. Il y a une théorie sur cela. Un frère et une sœur n’auront pas vécu leurs parents de la même façon. »

Réponse du RERS de Meaux : « A Meaux, on a pris le goût d’écrire en rencontrant les gens de D.3 Pierres. On va écrire notre histoire à notre tour. »

« Pour une histoire collective qui fait la commande ? Qui est le patron ? »

Réponse D’André Vidricaire : « Il faut s’entendre au départ sur la place de chacun. « Je ne veux pas que ce soit dans le livre » par exemple. Allez le dire à tout le monde que vous ne voulez pas que ce soit dans le livre. Il y a, de part et d’autres, des concessions obligatoires. Notre facteur de réussite : ce que chacun a de particulier, sa couleur, son originalité, arriver à capter l’arc en ciel de chacun. »

Réponse de Marie-Jo Legrand et Agnès Ballas : Il a fallu entendre l’autre, lâcher du lest, prendre en compte le facteur humain. Redynamiser tout le monde est difficile. Un regret, une difficulté : Je n’ai pas assez sollicité les personnes pour qu’elles participent à la formation avec Claire et Nicole. Le livre est un résultat peut-être du quart des personnes rencontrées. »

« De bonnes expériences de ces deux réseaux. J’ai senti la vérité des offres et des demandes sur le terrain. Mais je sais qu’il y aura une très longue route pour moi pour pouvoir créer un réseau en Syrie. »

« Quel est le support véritable de la continuité du réseau ? : l’opiniâtreté d’une poignée de militants (qui font du bon travail) ? Comment cela devient-il un progrès culturel vraiment collectif sur le quartier, la ville, pour l’humanité ? »

Page 33: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 33

« Sentiment de trop de professionnels dans les réseaux existants. Est-ce que les réseaux peuvent exister en dehors d e ces professionnels ? »

« Ce que je retiens : l’importance d’un projet qui rompt le quotidien. Beaucoup de personnes souhaiteraient s’intégrer dans un réseau mais ne savent pas quel savoir offrir. Comment les aider à découvrir le savoir qu’elles possèdent et ce qu’elles ignorent ? »

« Ces histoires permettent de dépasser le train-train, le quotidien par une production encore plus importante, livre, colloque. Course-gageure. Redynamise un peu tout le monde. »

Sur quels critères avez-vous distribué des invitations pour mettre en place une dynamique des savoirs à Orléans ? »

« Les trois mots d’André : Unique – irremplaçable – Non substituable pourraient-ils être remplacés par des synonymes ? »

« Pour arriver à de vrais échanges, il faut investir le temps nécessaire. »

« Je pars conforté dans le fonctionnement de mon réseau dans le fait que nous avons des créations collectives sans forcément les nommer ainsi. »

« Quel est le lien entre D.3 Pierres et les réseaux ? Quelle est la solution proposée par les réseaux pour satisfaire les offreurs déçus à la suite de la parution du livre ? »

« Deux témoignages très intéressants qui racontent une histoire totalement différente de celle que nous vivons sur Sommières avec uniquement des bénévoles et des échanges de relations et de convivialités. »

« Quel est le mode de financement du réseau d‘Orléans ? Le réseau est-il « Loi 1901 » ? Combien de bénévoles ? Combien de membres ? »

« Pour le réseau de Montréal : Une ferme en milieu urbain, est-ce dans Montréal ? La vente des légumes bio ? »

« Le réseau est un terme technique, d’origine mécanique ; est-il vraiment adapté dans le cadre d’un mouvement social ? »

« Je pars avec la question : Que veut dire « Vivre ensemble ? ». Ce que ça signifie, ce que ça exige ?

« Les deux expériences d’échanges, d’Orléans et de D.3 Pierres, racontées dans un même atelier, permettent de repérer des points de convergence à mutualiser :

- la manière d’impliquer le maximum de personnes ; - la manière de permettre à chacun de se sentir à l’aise et d’avoir toujours des

raisons de poursuivre. Je quitte l’atelier avec l’envie de tenter une expérience d’insertion à Bambay au Sénégal. »

« Je suis conforté dans mon intention d’engagement de citoyenneté et de solidarité même si je ne sais pas encore comment ni avec quel projet à ce jour, même si j’ai des ébauches de pistes. »

« Nous n’aurions sûrement pas écrit la même histoire aujourd’hui. Nous sommes toujours en mouvement, toujours vivants, mais différemment. »

« Une chance de rencontrer des écritures multiples, individuelles et collectives, de partager et de croiser ces histoires. »

Page 34: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 34

Histoire de Ardelaine, par Béatrice Barras et Histoire de Mains d’œuvres par Fazette Bordage.

1. Voir intervention de Béatrice Barras en table-ronde N°2, vendredi 28 novembre

Informations trouvées sur le site : http://www.ardelaine.fr

« Faire revivre la filature de St Pierreville, fermée depuis les années 60, était un pari risqué : les études de marché assuraient qu´il n´y avait plus de place pour les laines de pays, créer une entreprise dans un petit village situé à une heure de la première ville paraissait voué à l´échec et hors de la dimension industrielle, point de salut !

Pourtant, une réflexion basée sur le moyen/long terme, la détermination d´une équipe solidaire et la conviction qu´on peut vivre et travailler autrement ont eu raison de cette vision pessimiste. Après sept années de préparation, la SCOP Ardelaine a vu le jour en 1982.

Avec un salarié au départ, la SCOP a su franchir bien des obstacles et se développer étape par étape, en créant en moyenne un emploi par an. Elle a su concevoir un projet diversifié reliant toutes les étapes de la filière dans une structure commune : tonte des moutons, cardage des laines, fabrication de matelas et articles de literie, tricotage et confection de vêtements et commercialisation sur place, sur les foires, salons et magasins bio. En effet, elle s´est dès le départ appliquée à proscrire de ses procédés de fabrication tout traitement chimique et à protéger l´environnement. La dimension culturelle a aussi pris une place importante avec la création de deux parcours muséographiques qui présentent l´histoire de la laine.

L'histoire d'Ardelaine est une véritable aventure.

Béatrice Barras la raconte dans un livre intitulé « Moutons rebelles, la fibre développement local » (collection « Pratiques Utopiques » aux éditions REPAS 2003, également diffusée par Ardelaine).

« Au-delà du témoignage, les associés d'Ardelaine nous invitent à revisiter l'ensemble des enjeux sociétaux auxquels nous sommes tous quotidiennement confrontés : le salaire, l'entreprise, le capital, la concurrence, la qualité, la consommation, l'équité, le travail, la place de l'art et de la culture, la désertification rurale, etc. Ce que nous propose Ardelaine, ce n'est pas d'affiner notre regard critique sur les incohérences du monde économique et social, c'est de trouver les voies pour se libérer de leurs influences. » J.F. Draperi, Extrait de la préface. »

2. Mains d’œuvres, par Fazette Bordage

Informations trouvées sur le site : http://www.mainsdoeuvres.org

Mains d’Œuvres est un lieu de création, de diffusion, de recherche et d’expériences, destiné à accueillir des artistes de toutes disciplines, des démarches associatives et citoyennes. C’est essentiellement à travers un dispositif de résidence (mise à disposition d’espaces de travail et accompagnement de projet) et d’une programmation régulière d’événements (concerts, spectacles, expositions, rencontres, performances, projections…) que l’association soutient la création, sous toutes ses formes.

Page 35: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 35

En mettant à disposition des résidents des moyens techniques, logistiques et humains pour la création artistique et l’accompagnement des projets, Mains d’Œuvres souhaite créer les conditions d’émergence de propositions nouvelles et de créations inédites cherchant à relier l’art, la culture et la société. Ancré dans le territoire, en recherche permanente de croisements sensibles reliant l’art et la société, Mains d’Œuvres est résolument un lieu multiple, ouvert à tous.

Fondée en 1998 par Christophe Pasquet (co-fondateur d’Usines Ephémères), Fazette Bordage (fondatrice du Confort Moderne à Poitiers et co-fondatrice du réseau TransEuropeHalles) et Valérie Peugeot (directrice des associations VECAM et Europe 99), l’association Mains d’Œuvres est installée dans l’ancien Centre social et sportif des Usines Valeo, un bâtiment de 4000 m² aux abords du Marché aux Puces de Saint-Ouen. Après deux ans de montage de projet et un an de travaux de réhabilitation, le lieu a ouvert ses portes au public en janvier 2001.

Mains d’Œuvres, des activités

• Résidences artistiques et citoyennes pluridisciplinaires (danse, musique, arts visuels et numériques, théâtre)

• Lieu de diffusion : concerts, expositions, spectacles, débats, projections, rencontres...

• Accueil répétition et création

• Actions culturelles et de sensibilisation

• Bureau ressources international Artfactorie

• Centre de ressources Art Sensitif sur les technologies d’interaction temps réel (CRAS)

• Studios de répétition musique et autres espaces

• Location d’espaces

• Restaurant (ouvert du lundi au vendredi de 12h30 à 14h30)

• Cours, ateliers...

Mains d’Œuvres, en détails

Mains d’Œuvres est un projet indépendant qui veut induire d’autres possibles dans l’accompagnement des pratiques artistiques. C’est avant tout à travers un dispositif de « résidence » que Mains d’Œuvres accompagne les artistes et porteurs de projet dans leurs recherches. Outre la mise à disposition d’un espace de travail, l’accompagnement des projets est au cœur du dispositif, en trouvant des solutions humaines et logistiques aux projets et créations, en aidant aussi à la recherche des moyens financiers de production.

L’esprit de participation et de mutualisation consolide ce dispositif pour le tourner en vecteur de synergies. Musiciens, chorégraphes, plasticiens, metteurs en scène, tous les porteurs de projets se rencontrent et initient des collaborations artistiques, alimentent la programmation artistique du lieu, en création « finies » mais aussi en rencontre publiques, workshops, travaux en cours…

L’entrée en « résidence » est déterminée, en priorité, par la rencontre entre l’équipe de Mains d’Œuvres et la personne physique ou morale. Les projets de recherche et de création, liés à des pratiques en émergence, sont privilégiés. Leur capacité à créer du lien au sens large, à s’inscrire dans un environnement humain, est un élément déterminant à leur sélection. Mains d’Œuvres se veut toujours en renouvellement sans être pour autant un simple lieu de passage. Ces résidences sont conclues pour une durée d’un an, renouvelable. D’autres formes

Page 36: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 36

d’accompagnement s’inventent au fil des rencontres : accueil-création, résidence hors-les-murs, résidences internationales.

En dehors des productions de projets dits de proximité et de sensibilisation ou de l’aide au démarrage des résidents, Mains d’Œuvres porte certains projets, en propre, pour l’apport de stimulation, d’inspiration de sens, et d’ouverture qu’ils peuvent insuffler au dispositif global. Il s’agit majoritairement de projets liés à des résidents invités, de passage, à qui l’on souhaite donner des moyens de produire un projet.

Mains d’Œuvres développe également une activité de diffusion ayant pour objectif de rendre visible des processus d’invention artistique et/ou civique émergents. La programmation s’élabore autant à partir des propositions des résidents que, bien au-delà, à des artistes et porteurs de projets extérieurs. Ainsi, le lieu ouvre régulièrement ses portes au public pour des concerts, expositions, performances, installations, spectacles, rencontres/débats, projections, soirées...

Histoire des RERS d’Italie et du Mali

Présentation des RERS en Italie : APRIRSI, Associazione per le reti italiane di reciproco scambio di saperi.

Intervention de Paolo Zanasco

« Association nait en 2000, près de Venise, à Vicenza, ville de l’architecte Le Paladio, à l’initiative d’un français qui connait les RERS et qui a su motiver les italiens.

APRIRSI a développé des échanges avec des groupes de parents dans les écoles, et a favorisé les échanges entre élèves.

Il y a un partenariat associatif qui génère des échanges divers : découverte de lieux, accompagnement des étrangers, échanges d’italien, informatique, moments festifs interculturels. Des publications collectives (recueils, DVD…) pour divulguer leurs expériences et leurs pratiques. »

Quelques infos parus dans des lettres internationales « Savoirs et Réciprocité » pour

montrer la vitalité d’APRIRSI

Lettre N°2

Des initiatives d'échanges interculturels :

� Dans l'école primaire de Isabella, fréquentée par 400 enfants, dont beaucoup sont fils d'immigrés de 5 continents mais surtout nord-africains, nous développons un projet nommé Les Fées échangées - narrations pour la rencontre interculturelle sur les contes de différentes cultures, avec des laboratoires d'écriture et de narration ouverts aux échanges réciproques de savoirs entre des enfants, leurs parents et leurs grands-parents, des enseignants et des professionnels. Les élèves, les enseignants, les parents et les grands-parents ont échangé leurs savoirs narratifs trois fois par mois dans plusieurs ateliers. Pour une semaine, juste à la fin de mai, l'école est devenue le siège d'un festival de narrations interculturelles avec des narrateurs, professionnels et non professionnels ; Paola, Lara et

Page 37: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 37

moi, avec le jeune ami Davide, nous avons présenté aux enfants et à leurs familles une pièce d'animation théâtrale basée sur le conte Le Roi 33 et ses 33 boutons d'or. La documentation de tous ces travaux convergera dans un petit livre avec les histoires créées par tous les participants et aussi dans un DVD. Cette école est devenue récemment un centre d'expérimentation pour l'enseignement de la langue arabe, grâce aux accords entre l'état italien et le royaume du Maroc.

� Dans le cadre du projet de coopération internationale « UNE VALISE BLEUE » entre l’Association Per le Reti Italiane di reciproco scambio di saperi, APRIRSi (à Vicenza, en Italie) et L'UNION de Fez au Maroc, association qui rassemble 23 associations de la Médina, nous trois nous sommes partis avec Isabella et sa fille Angela, Silvia de Roberto et son fils Mattia, accompagnés par Marco, jeune coopérateur qui travaille là-bas au projet européen « LA PORTE BLEUE » (Fez est une ville Patrimoine de l’Unesco). Le but de notre voyage, les dix premiers jours de juillet, est de proposer la méthode du réseau pour faire plusieurs échanges réciproques des savoirs interculturels avec les associations et les familles. Nous avons commencé l'échange « en distance » : L’UNION demande, par exemple, de la formation pour des animateurs du réseau. Enfin, vers l'automne, une délégation des enfants de Fez viendra à Vicenza pour une exposition des tableaux sur le travail des mineurs (au moment il y a beaucoup de difficultés pour les visas de l'ambassade du Maroc, on essaiera de chercher une solution...).

Un extrait de bilan :

Comme prévu dans le projet, une valise bleue, nous avons rencontré, comme délégation italienne, la délégation marocaine à partir du vendredi 30 juin jusqu’au mardi 11 juillet 2006.

[…] FES Medina, le 1 juillet : […] Présentation du réseau d’échanges réciproques des savoirs et de quelque activité d’APRIRSi. Animation du réseau local : demandes et offres de savoirs ; simulation et médiation d’un échange entre offreurs et demandeurs de langue italienne et de langue arabe, tabulation d’un fichier des offres et des demandes.

[…] Pour APRIRSi Mariano Capitanio a présenté la pédagogie des réseaux d’échanges réciproques des savoirs et Isabella Sala a illustré le cours de langue arabe pour les élèves nord-africains de son école ; Silvia Lucido a illustré l’expérience d’un réseau social né de plusieurs échanges de savoirs dans son village de Grisignano. Enfin Paola Zaccaria a présenté un échange de savoirs musicaux tissé entre familles et associations de son village, Camisano Vicentino. La richesse et la variété des expériences et des rôles scolaires et sociaux des vingt cinq participants a permis un débat ouvert sur un terrain associatif commun : beaucoup d’intéressantes questions soulevées n’ont pu recevoir une réponse par absence du temps et une certaine partie a été reprise en ouverture de rencontre du samedi.

[…] FES nouvelle ville, la matinée du 8 juillet, siège ALCI : Formation sur le thème « Animation d’un réseau d’échanges réciproques et gratuits de savoirs ». Les animateurs APRIRSi ont proposé aux dix participants d’écrire tous leurs savoirs intéressants d’eux-mêmes et comme représentants d’associations, d’école selon ce modèle :

- repérer, nommer et décrire ses demandes et ses offres de savoirs,

- faire un schéma des demandes et des offres qui soit visible et utilisable par Internet aussi,

- réfléchir sur les possibilités d’échanges entre les participants dans une perspective d’avenir.

Page 38: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 38

Ce réseau naissant a été nommé pour le moment Réseau Bleu, en arabe Chabakà Zarka : nous avons vu qu’ils ont beaucoup de possibilités d’échanges Italie/Maroc et Maroc/Maroc qui peuvent être développées dans les prochains mois.

Lettre N°3

« Nous avons conclu le beau projet interculturel « Les Fées Echangées » dans l'école de Isabella, expérience que le réseau va poursuivre avec des laboratoires de narration et théâtrales. Même le premier projet de coopération internationale avec le Maroc est fini, mais nous avons demandé de poursuivre la collaboration entre nos deux rives méditerranéennes avec le nouveau projet Une Valise Web, dont on attend encore la réponse.

Juste la semaine passée nous avons eu l'approbation d'un projet associatif pour ouvrir à Vicenza et à Bassano del Grappa, où habitent Didier et Laura, IL TELAIO (Le métier à tisser), c'est-à-dire deux bureaux pédagogiques pour échanger en réciprocité des savoirs entre personnes et organisations : nous serons logés en ville chez une association de coopération internationale et à Bassano chez une coopérative sociale. Ce serait l'occasion aussi pour expérimenter une partie de travail salarié, parce que jusqu'ici nous avons travaillé seulement comme des bénévoles.

Nous allons développer en ce moment un autre projet associatif complexe et de réseau de réseaux nommé ADOTTIAMOCI (Adoptons-nous), financé par la Région Veneto, concernent en particulier le réseau de Isabella et Stefania : c'est un projet pour la promotion d'échanges réciproques de savoirs entre les différents générations.

Notre réseau socio-scolastique de Camisano est vivant : des adhérents ont formé l’association socioculturelle ApertaMente (esprit ouvert) et le Comité de parents est devenue association juridiquement reconnue, cela permet « d'idéer » et de réaliser par exemple des projets, financés par les institutions publiques, d'intégration scolaire et sociale des élèves étrangers. »

Trouvé sur le site d’APRIRSI :

Page 39: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 39

Des RERS au Mali, par Amado Chirfi Haïdara

Démarrage en octobre 2001. Onze africains sont venus se former à la pédagogie des Réseaux avec le MRERS et des RERS différents en France.

A Tombouctou, ils ont eu un local pour démarrer des échanges. Ils ont commencé à recevoir à la Mission locale. Dans leur pays, il y a déjà une forte tradition de l’entraide.

Un récit est alors fait par Michèle du RERS de Blois pour raconter l’échange entre Tombouctou et Blois, en novembre 2007 à Tombouctou, et en fin 2007 à Blois.

Histoire de la médiation par Jacqueline Morineau

L'équipe du « Centre de Médiation et de Formation à la Médiation » pratique la médiation depuis 1984 et a développé la formation à la médiation depuis cette date.

Le CMFM chargé de la médiation pénale pour le Parquet de Paris est une association Loi 1901 à but humanitaire qui est liée par une convention au Ministère de la justice.

Le CMFM poursuit deux objectifs :

- Développer en premier lieu chez l'individu l'ESPRIT de la médiation, c'est-à-dire ce savoir-faire, ce savoir-être au quotidien pour mieux vivre ensemble, dans le respect de nos différences.

- Intégrer la pratique de la médiation pour pouvoir devenir médiateur et offrir cette expérience à tous ceux qui en ont besoin.

Etre médiateur c'est devenir un artisan de paix, non pas exceptionnellement, lors de médiations, mais chaque jour, au fil des contacts de la vie.

La médiation judiciaire

Les conflits traités pour le Parquet de Paris sont de tous ordres : violences, vols, dégradations, escroqueries, famille, voisinage, travail, transports, voie publique...

Les mesures de réparation

Le Parquet et les juges des enfants, en partenariat avec la Protection judiciaire de la jeunesse confient au CMFM la mise en place et le suivi des mesures de réparation pour les mineurs. La médiation fait partie intégrante du processus de réparation pour le plaignant comme pour le mis en cause...

La médiation scolaire

Développement de la médiation dans les établissements scolaires (écoles, collèges, lycées) en tant qu'éducation à la paix et à la citoyenneté :

- Pour mieux vivre au quotidien avec ses pairs, avec les adultes, dans une relation de respect mutuel et d'acceptation de la différence de l'autre.

Page 40: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 40

- Pour participer à la création d'un avenir dans lequel chacun pourra trouver sa place et se développer.

La médiation de la famille, la médiation de la cité, la médiation dans la santé

Faciliter la relation interpersonnelle, prévenir les conflits ou les transformer, au sein de la famille, dans le quartier, la ville, à l'hôpital...

La médiation dans l’entreprise et les institutions

La formation à la médiation et à l'esprit de la médiation permet de développer l'esprit de collaboration dans l'entreprise, mais aussi de prévenir et faire face aux conflits, à tout niveau hiérarchique, entre membres du personnel, entre le personnel et les personnes extérieures à l'entreprise, entre partenaires

La médiation interculturelle

En tant qu'éducation à la paix, la médiation se développe entre autres, dans les Balkans, dans les départements et territoires d'Outre Mer. Elle permet aux peuples qui ont été en guerre de retrouver une relation en tant qu'individus, dans leur humanité.

L’esprit de la médiation19

« ... Nous cherchons le bonheur et, trop souvent, nous trouvons le conflit et la souffrance. Cette souffrance nous ne savons qu'en faire, elle n'a pas sa place dans une société où la raison devrait contrôler nos actes. L'homme moderne, séparé de corps et d'esprit, n'a plus accès à la transcendance, il est seul face au néant. La souffrance non exprimée se manifeste alors par la violence et crée le désordre

La médiation accueille le désordre, elle est la scène sur laquelle le drame peut se dérouler. Elle offre un temps, un espace privilégié, pour qu'il y ait passage du chaos à une nouvelle forme d'ordonnancement. L'harmonie peut naître des contraires... »

Dans ce livre, l'auteur analyse comment la médiation peut aider à transformer notre société. Elle étaye sa réflexion par une étude comparative avec la tragédie grecque et l'illustre par des cas concrets de médiation. La médiation offre à l'homme une confrontation avec lui-même, avec son destin. Trouver un sens à la vie, c'est faire œuvre de paix avec soi-même, avec les autres, avec le monde, c'est proposer une nouvelle vision de l'homme et de sa participation à la construction d'une culture de paix, qui constitue le défi majeur de notre temps selon la préface de Federico Mayor.

Après des études d'archéologie classique, Jacqueline Morineau s'est spécialisée dans la numismatique grecque ; elle a été chercheur au British Museum... Impliquée en 1984 dans une réflexion sur la médiation, elle fût chargée de créer la première expérience de médiation pénale pour le Parquet de Paris et de fonder le CMFM. Les besoins de la médiation l'ont amenée à élaborer une méthode spécifique pour former des médiateurs, qui repose sur l'expérience vécue du conflit au cours de la formation.

19 Jacqueline Morineau, 2002, L’esprit de la médiation, Paris, Erès.

Page 41: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 41

Un atelier d’écriture sur les Histoires de nos associations ou réseaux, animé par Claudine Bourdin et Marie-Jo Guillin

TTaabbllee--rroonnddee NN°° 11,, aanniimmééee ppaarr NNiiccoollee DDeessggrrooppppeess :: PPoouurrqquuooii llaa rréécciipprroocciittéé nnee ffaaiitt--eellllee ppaass dduu ccoolllleeccttiiff eett dduu rréésseeaauu ddee llaa mmêêmmee ffaaççoonn ppaarrttoouutt ??

Claire Héber-Suffrin20 : « Histoire du Mouvement des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs » Je présenterai l’histoire du MRERS en trois grandes périodes : ses sources, sa construction et ses projections. Chacune de ces périodes, si elles sont successives, peut également être considérée comme permanente. En effet, pour qu’un Mouvement soit vivant, il est important qu’il puisse en permanence, non seulement se réalimenter à ses sources, mais aussi continuer à les alimenter en permanence. Il est nécessaire qu’il soit toujours en construction coopérative. Enfin, comment pourrait-il rester vivant s’il ne se fondait en permanence sur des projections individuelles et collectives croisées ?

1. Les sources

Pour comprendre ce qu’il a fallu pour que naisse cette aventure collective, nous allons en préciser les éléments qui sont à notre connaissance autour de trois types de sources : les origines, la fondation et les fondements.

1 Les origines

A première vue, on peut dire que l’origine du MRERS est d’abord le Réseau d’Orly.

Ce Réseau est né dans une école, à partir de questions d’abord pédagogiques : comment faire pour que tous les enfants apprennent à l’école et aiment y apprendre ? Comment s’appuyer sur les savoirs dont ils disposent déjà, et qu’ils ne reconnaissent pas eux-mêmes comme des savoirs, pour leur permettre de réussir leurs nouveaux apprentissages ? Comment « mettre les parents dans le coup » de cette réussite, comment les reconnaître comme un milieu familial riche, porteur de savoirs, et comment valoriser ce milieu familial aux yeux des enfants ? Comment s’appuyer sur les richesses humaines de la communauté sociale (le quartier, la ville, les institutions et associations…) dans laquelle vivent les enfants pour qu’ils se reconnaissent dignes d’apprendre et capables d’y agir positivement ? Comment enfin l’école peut-elle jouer un rôle dans l’animation culturelle d’une ville ? Comment peut-elle donner envie à des jeunes et des adultes, pour lesquels elle a été un souvenir d’échec, de se réinscrire dans une dynamique d’apprentissage ?

Né dans et grâce à une école, en partenariat avec un club de prévention, le Réseau s’est développé dans toute la ville pendant quelques années, jusqu’en 1976.

Le Réseau d’Evry, deuxième Réseau dans cette histoire, a eu un rôle considérable : il est le Réseau à partir duquel la démarche s’est diffusée.

20

Co-initiatrice des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs.

Page 42: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 42

Ce Réseau, né en 1979 – d’une part à partir de la volonté d’un adjoint21 au maire et de la commission extra-municipale des affaires sociales qu’il a mise en place, d’autre part à partir de la participation de la Mission d’éducation permanente et de son directeur22 –, répondait, quant à lui, aux questions suivantes : comment favoriser le Vivre ensemble dans cette Ville nouvelle ? Comment faire découvrir aux citoyens qui l’habitent qu’ils sont porteurs de savoirs qui, mutualisés, permettraient de mieux construire ensemble une ville où tous trouveraient leur place de citoyens ? Comment faire découvrir aux personnes les plus en difficulté qu’elles-mêmes et leurs réseaux sociaux sont porteurs de savoirs qui pourraient leur permettre d’améliorer leur situation ou de participer à des actions collectives transformatrices ?

Le Réseau d’Evry s’est appuyé sur l’expérience, les valeurs, les principes et les outils du Réseau d’Orly pour construire sa propre dynamique. Il s’est appelé « Réseau de formation réciproque et de création collective ». Il s’est développé grâce au dynamisme de ses participants qui, pour nombre d’entre eux, participaient aussi à son animation (mises en relations partagées, réunion de coordination très ouverte, recherche par chacun des réponses aux offres et demandes des autres participants…). Son développement exponentiel a nécessité rapidement des moyens supplémentaires et la municipalité d’Evry, dès ce moment-là (et cela ne s’est jamais démenti depuis) a apporté les moyens nécessaires à la constitution d’une équipe d’animation autour de salariés.

Une diffusion de l’expérience

Cette diffusion s’est faite de plusieurs façons : par le bouche à oreille de celles et ceux qui participaient et témoignaient de leur enthousiasme, des articles dans des journaux, des émissions de radio et télévision. Il semble que la démarche répondaient à des questions d’élus et d’animateurs sociaux sur le Mieux vivre ensemble ; de travailleurs sociaux sur le lien social et la lutte contre les exclusions ; d’enseignants sur la pédagogie ; et de citoyens sur la création collective d’une société qui leur convienne.

Des origines historiques plus larges

Plus largement, plus historiquement, les origines de ces Réseaux sont à chercher dans l’histoire de la coopération et du mutualisme. Dans l’histoire et les démarches des Mouvements d’Education populaire. Dans l’histoire et les pratiques des Mouvements pédagogiques dont, en particulier, à travers les pratiques de ma classe, les pratiques coopératives du Mouvement Freinet. Un exemple très simple : le souci très fort que nous avons manifesté depuis le début de la visualisation pour tous du maximum d’informations est clairement issu des outils démocratiques des classes Freinet…

2 La fondation

On peut considérer que la fondation s’est faite sur deux ans avec un aboutissement en mai 1987.

Les premiers Réseaux sont nés à Paris (13ème arrondissement), à Saint-Jean de la Ruelle, à Angers, à Saint-Herblain… Les initiateurs en étaient variés (citoyens, éducatrice, psychologue, travailleurs sociaux…). Le Réseau d’Evry m’a missionnée (avec un financement du Ministère

21 Marc Héber-Suffrin. 22 Louis Launay.

Page 43: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 43

des Affaires sociales, obtenu avec l’appui de Véronique Espérandieu, secrétaire générale du GPLI) pour accompagner ces nouveaux Réseaux qui manifestaient leur besoin d’aide.

Ils avaient beaucoup de questions. Leurs questions ont été des occasions de les réunir tous et d’initier, dès ce moment, de la mise en réseau des Réseaux dans des rencontres régulières que nous avons appelées « Inter-Réseaux ». Ces rencontres étaient très attendues : en effet, on y traitait ensemble toutes les questions qui se posaient, on y partageait les outils imaginés ici et là, on y réfléchissait aux difficultés et aux obstacles… Les participants et animateurs de réseaux y venaient nombreux, signe qu’au moins, dans les fondations, la création collective est stimulée et stimulante. Dès ce moment s’est construite dans ce Mouvement « de fait » une culture de références plutôt qu’une culture de modèles : chaque Réseau pouvant devenir une référence pour les autres en raison de ses singularités.

Autre proposition qui a fonctionné et créé des liens entre les Réseaux : celle de rassembler tous les écrits qu’ils pouvaient produire (« Feuilles réseaux » des offres et demandes, demandes de subventions, comptes-rendus de réunions et réflexions, articles de journaux…) et que tout soit photocopié et renvoyé à tous. Au bout d’un certain temps, ou plutôt d’un certain nombre de Réseaux, le « paquet » était trop impressionnant ; la lettre Inter-réseaux est donc né, constitué de mentions signalant telle production de tel réseau avec toutes les références permettant à chaque réseau de joindre tous les autres.

Un financement, par le Ministère des affaires sociales et par le FNDVA a permis de proposer des formations, ouvertes à qui voulait (animateur de réseau, participant, travailleurs sociaux, enseignants) ; elles ont commencé dès 1986 ; (elles ont pu bénéficier de l’expérience des formations déjà initiées à Evry dès 1984).

Enfin, deux actions de recherche se sont mises en place dès 1986. L’une en lien avec l’Institut National de la recherche pédagogique (INRP) et une chercheuse, Nadine Bouvier, sur le thème « Quelles sont les stratégies utilisées par les participants pour transmettre leurs savoirs ? ». L‘autre, une recherche-action, financée par le FNDVA, pour que nous puissions répondre à notre propre question : pourquoi cette affaire-là se diffuse-t-elle ? Quelles sont les conditions de son développement ?

Lors d’un Inter-Réseaux, sur proposition de Christian Mongin (Réseau d’Evry), a été élaboré la Charte qui, revue en 2000 en Assemblée générale, est celle qui nous relie actuellement.

Un premier colloque est décidé pour le mois de mai 1987. Il a lieu à Evry. Les actes en ont été réalisés.

Il se termine par une Assemblée générale constitutive. Si le Réseau d’Evry peut, comme tout Réseau, garder sa fonction de développement des Réseaux et de la démarche proposée, il semble important pour les participants que l’ensemble des Réseaux existants se donnent une identité associative claire, porteuse de leur propre pouvoir de décision. Le Conseil d’administration élu choisit le nom, lors de sa première réunion, de Mouvement des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs.

3 Les fondements

Des fondements clairs sont nécessaires pour que des humains se mettent ensemble librement. La dynamique symbolique des Réseaux (ce qui nous met ensemble) est celle-ci : On est là pour apprendre et c’est réciproque. Tout le monde peut apprendre, apprendre à apprendre, enseigner et apprendre à enseigner. Tous les savoirs qui respectent la personne humaine et la paix entre les humains peuvent ainsi se partager. On apprend en se constituant

Page 44: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 44

demandeur, chercheur de savoir ; on apprend au moins tout autant en se constituant offreur de savoir. Cela fonctionne dans des réseaux ouverts, où chacun peut entrer et sortir librement, circuler dans les savoirs, des réseaux où, non seulement l’hétérogénéité est considérée comme une chance mais où elle est recherchée, revendiquée, travaillée. Des relations de reconnaissances réciproques favorisent les apprentissages réussis qui, à leur tour favorisent les belles rencontres. Il est nécessaire de s’appuyer sur les savoirs de tous, sans exclusions, pour construire une société plus juste. Les obstacles et difficultés peuvent être, dans un système coopératif, des occasions d’inventivité et de création. La mise en relation est construite par les acteurs concernés pour que les apprentissages et les rencontres soient « protégées » relationnellement et efficaces pédagogiquement.

II. La construction

Pour comprendre ce qu’il faut pour qu’un mouvement associatif, citoyen, pédagogique et coopératif se construise, nous allons en préciser les éléments à notre connaissance autour de trois dimensions de la construction : le développement, l’approfondissement et les articulations (les tissages multiples qui en permettent l’évolution).

1 Le développement

Eléments quantitatifs

Un développement rapide qui interroge à la fois sur les pratiques, les besoins de société et les responsabilités collectives face à ces besoins. 90 Réseaux lors du colloque de 1989 Echanger des savoirs, c’est changer la vie. Dès 1988, des Réseaux en Belgique, en Suisse. Près de 200 Réseaux lors du Colloque européen (financé par l’Europe) de Dunkerque, en 1991, Pari sur l’intelligence et lien social. Création de Réseaux en Espagne, en Allemagne, en Autriche, au Burundi, au Brésil, en Uruguay… Un développement qui continue à se faire et permet, en 1996, de rassembler, lors du quatrième colloque, Apprendre et faire société, 1200 personnes. Un projet intitulé plan prioritaire pour le Développement urbain, financé par le Ministère de la coopération, facilité le croisement de démarches européennes et africaines. Des Réseaux naissent en Afrique de l’ouest. En Italie. Au Québec. Des hauts et des bas dans le développement, dans la gestion du MRERS poussent, pour retisser des liens constructifs, à proposer une Rencontre internationale en 2004, lors de laquelle est créé un mouvement international (qui sera déclarée, en 2008, sous le nom de MIRA, Mouvement international pour la réciprocité active, en éducation, en formation et dans les pratiques citoyennes. Ce développement dans des villes, quartiers, cantons s’accompagnent d’un développement dans des établissements scolaires et dans la formation des enseignants. Depuis peu, c’est une entreprise de Service public, La Poste, qui met en place des RERS dans le cadre de la formation continue de ses cadres et de ses formateurs. On pourrait dire que ce développement s’est beaucoup appuyé sur de la fierté vécue par beaucoup de promoteurs et animateurs de Réseaux, sur le sentiment d’être une minorité active créatrice, sur des relations déjà existantes, sur les soutiens mutuels entre réseaux pour s’aider mutuellement à se créer.

2 L’approfondissement

Ce développement a pu s’opérer de façon cohérente grâce à différentes actions d’approfondissement, de la démarche et du projet, organisées par le Mouvement

- Des Inter-Réseaux « géographiques » : différentes proximités topologiques permettant à chaque Réseau de se sentir d’une histoire plus large que lui-même (rencontres

Page 45: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 45

nationales, régionales, départementales, locales, internationales) autour des expériences, des réussites et difficultés de chacun, du partage des outils…

- Des formations multiples (formation à l’animation de Réseaux, sensibilisation, RERS et citoyenneté, RERS et création collective, Organisation en réseaux, mises en relations, théâtre de l’opprimé…) et multipliées (grâce à la formation de formateurs, à des formations professionnelles…).

- Des Inter-Réseaux thématiques. Ils ont toujours été proposés en prise forte avec les acteurs du développement et les questions de société. Par exemple, l’arrivée relativement massive de travailleurs sociaux a permis d’organiser des Inter-Réseaux sur le thème de la lutte contre l’exclusion, sur les actions d’insertion, sur le lien social… L’arrivée, à partir de 1988/1989 d’enseignants a permis de proposer des Inter-Réseaux sur la réciprocité pédagogique, les conditions de l’apprentissage…

- Les Universités d’été qui, depuis la première, non formelle en 1989, suivies de quatre universités financées par l’Education nationale, suivies à peu près tous les ans par des universités d’été plus délibérément associatives, ont permis de faire se croiser, dans la mutualisation et la réflexion, des enseignants intéressés par la démarche pédagogique des Réseaux et des membres d’équipes d’animation de Réseaux résidentiels. Elles ont aussi permis d’interroger, d’analyser, de complexifier la théorie et la pratique des Réseaux grâce aux apports de nombreux universitaires, chercheurs, acteurs d’autres institutions ou associations. Leurs « actes » méritent encore d’être utilisés pour continuer à considérer ces Réseaux sous différentes perspectives : sociales, pédagogiques, institutionnelles, politiques, éthiques, philosophiques…

3 Les articulations diverses et les tissages multiples :

De personnes : beaucoup d’entre nous trouvent leur compte dans ces Réseaux parce qu’ils sont des occasions de créer de bonnes relations de respect, de confiance, d’amitié, de reconnaissances réciproques. C’est un des bénéfices les plus reconnus. C’est aussi, parce que sans doute, c’est l’essentiel, ce qui crée le plus de difficultés et même de souffrances. Plus l’on s’implique, mieux ça marche. Mais, plus l’on s’implique, plus cela peut aussi causer de réelles souffrances. Ces tissages contribuent à tisser une société où se croisent positivement les milieux sociaux, les milieux professionnels, les milieux culturels…

De pratiques : Les Réseaux et les ateliers d’écriture, depuis les années 90, tissage formalisé en 1995 par une première formation d’animateurs d’ateliers d’écriture (elle sera suivie de plusieurs autres) pour que, grâce à ces ateliers, ce soient les participants des Réseaux qui les écrivent. Les Réseaux et les Histoires de vie en formation (à travers la rencontre avec Gaston Pineau). Les abaques de Régnier et la délibération démocratique dans les Réseaux…

D’organisations : Education populaire et Education nationale (dans les universités d’été, les Inter-réseaux mais aussi au plan local. Le Mouvement des RERS et des Universités : par des interventions réciproques, des accompagnements de recherche (Paris X, Lyon Lumière, Université de Saint-Etienne…)… Des IUFM.

De réseaux : Les RERS et les Réseaux d’histoires de vie, en France et au Québec. Les réseaux de l’économie solidaire. Les réseaux de l’éducation populaire… Le Collectif Richesses autour de « Reconsidérer les richesses », le Mouvement pour la citoyenneté active…

Des champs : par exemple : par le RERS de Beauvais, l’université de Valenciennes… le champ de la pédagogie et celui de l’économie solidaire…

Page 46: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 46

Tisser les possibles pour chacun et tous : en invitant au maximum chaque acteur à se découvrir une capacité d’action, de formation, de recherche, de communication, de mémoire, de partenariat et coopération…

III. La projection

Pour comprendre ce qui permet de se projeter à la fois individuellement et collectivement dans un mouvement social, d’y construire des projets, de s’appuyer sur son histoire pour de nouvelles projections et d’en projeter les évolutions et les ouvertures, nous allons en préciser les éléments à notre connaissance autour de trois dimensions nécessaires à toute projection : le questionnement permanent et ouvert, la création collective et la recherche de complémentarités et d’hybridations diverses.

1 Le questionnement permanent et ouvert

Ce questionnement s’est principalement organisé, tout au long de l’histoire des RERS, à travers une dynamique de recherche.

Recherches collectives : Elles ont toutes été conduites par un groupe d’acteurs de différents RERS, ou en lien avec des organisations de recherche. « Conditions de développement des Réseaux », avec l’INRP ; « Réseaux, insertion, emploi, activités », avec une chercheuse de l’Ecole des Mines, une chercheuse de l’université de Jussieu, et une étudiante chercheuse du collège coopératif ; « Evaluations des Réseaux » (Evry, avec Jacques Pain et Hélène Salmona de Paris X, Saint Jean de la Ruelle avec l’INSEE, Lisieux avec l’université de Caen et la CAF) ; « L’engagement bénévole dans les Réseaux » ; « Les réseaux et la vie dans le ville » ; « Autoformation, formation réciproque en réseaux ouverts pour lutter contre l’exclusion », avec Pascal Galvani de l’université de Tours ; « Enseignement à distance et enseignement en présence par les RERS » (projet européen Socrates) avec Jacques Perriault de l’université Paris X ; « Apprendre dans les Réseaux » ; « l’engagement bénévole pour accompagner la réussite des apprentissages », avec André Giordan de l’université de Genève : « Les savoirs émergents, quels savoirs pour aujourd’hui ? » avec André Giordan…

Recherches individuelles : - Nombreux accompagnements par des formateurs du MRERS de mémoires de fin

d’étude (Sciences de l’éducation, formations dans le travail social…). - Inscription forte de la fonction recherche dans le Mouvement à travers la convention

avec l’Université de Tours pour la co-animation d’un DUHEPS (niveau Master 1) : Diplôme universitaire d’études des pratiques sociales. Formation en trois ans, la première, 1995-1998, pour des acteurs des RERS ; la seconde, 1998-2001, pour des acteurs des RERS et de STAJ (autre mouvement d’éducation populaire). Productions de 27 mémoires de recherche.

Création du GR3 : pour formaliser davantage cette fonction de recherche (tous les citoyens doivent pouvoir se découvrir et devenir capables de participer à de la production de savoirs), en 1998, Gaston Pineau et Claire Héber-Suffrin créent le Groupe de Recherche Réciprocité Réseau (Des chemins de recherche dans le MRERS). Ce laboratoire de recherche, souple, en réseaux mais reconnu comme partie intégrante de l’équipe de recherche de Tours, s’était donné trois fonctions : une fonction de veille, une fonction de production, une fonction de diffusion. Il a produit un ouvrage collectif, publié par la revue Education permanente : « Réciprocité et Réseaux en formation », N° 144 (2000). Il a organisé, avec le Réseau québécois des Histoires de vie, un colloque franco/québécois, à Montréal : Réseaux et

Page 47: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 47

Histoires de vie en Europe et au Québec. Il a ouvert trois chantiers : l’organisation en réseau ouvert ; RERS, éducation populaire et économie solidaire ; RERS et Histoires de vie. Il s’est mis en veilleuse pour de multiples raisons, dans les années 2002/2003.

Production collective d’ouvrages collectifs : - Le N° 144 Réciprocité et réseaux en formation a rassemblé des auteurs issus du MRERS

mais aussi d’autres auteurs issus d’universités ou d’autres organisations. Il a fait l’objet, pour son élaboration, d’un travail collectif intense.

- « Partager les savoirs, construire le lien » (2001) est un ouvrage collectif au sens où il rassemble 72 auteurs, intervenants au colloque de 1976. Mais, pour sa réalisation, il n’a pas été porté par un collectif.

- De 2001 à 2004, des étudiants et formateurs de la deuxième promotion du DUHEPS ont fait le choix de transmettre l’histoire collective et les histoires singulières qui avaient amené les quinze étudiants à aller au bout de leur formation (avec onze mentions très bien. Et la publication de trois ouvrages personnels !). Pendant les trois ans de formation, le Nous s’était organisé pour permettre la réussite de chaque Je. Pendant les trois ans de production de l’ouvrage, la démarche a été inversée : chaque Je s’est impliqué pour permettre la réussite du projet du Nous. L’ouvrage est triplement collectif : sa forme a été discutée puis choisie ensemble ; chaque auteur de récit singulier a été accompagné par tout le groupe ; trois chapitres transversaux ont été rédigés collectivement par des sous-groupes.

- De 2002 à 2005, neuf acteurs de l’Education nationale et une journaliste ont travaillé coopérativement la transmission de leur expérience de Réseaux dans l’institution scolaire : deux ouvrages en sont nés : l’un est un abécédaire, l’autre est constitué des récits professionnels de ces acteurs de l’école (enseignants de primaire, secondaire, assistante sociale scolaire, inspecteurs) et de l’affirmation de leur choix politiques et pédagogiques. Ils sont le résultat d’une forte coopération pour la réalisation.

- De 2003 à 2008, un groupe a travaillé avec André Giordan sur la question : de quels savoirs avons-nous besoin pour vivre maintenant ? Ces savoirs circulent-ils dans les Réseaux ? Comment les faire davantage circuler ? De 2005 à 2008, le groupe a produit collectivement un ouvrage pour commencer à répondre à ces questions autour plus précisément de celle-ci : Quels savoirs pour aujourd’hui ? Qu’entend-on par savoirs émergents ? Ouvrage publié en 2008.

Prises de conscience individuelles et collectives des fruits individuels et collectifs de la démarche : Enfin, il n’est pas douteux que toutes les prises de conscience autour des savoirs et des ignorances, autour de la nécessité de l’estime de soi pour apprendre, autour de la conscience que chaque personne est essentielle pour prendre en charge les questions de société… est un moteur puissant de projection.

2 La création collective

Dès le premier Réseau à Orly : les créations collectives (voyages, organisations de recherches et d’expositions…) ont été les plus puissants facteurs d’échanges réciproques de savoirs et ont permis à celles et ceux qui les portaient de se projeter dans des apprentissages.

Rappelons le nom du réseau d’Evry : Réseau de formation réciproque et de création collective.

La Création collective du MRERS et des Réseaux : C’est la plus grande chance d’en faire véritablement un projet de citoyen, un espace commun symbolique qui restitue du sens et non un espace occupationnel pour les plus moins reconnus de nos concitoyens. C’est aussi

Page 48: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 48

une des choses les plus difficiles tant nous avons appris à fonctionner dans des hiérarchies, tant la prise de responsabilité ne va pas de soi, tant la consommation est devenue une culture.

L’élaboration et la construction collective des grandes manifestations (colloques, universités…) : on constate qu’elles ont véritablement porté des fruits individuels et collectifs quand et dans la mesure où elles ont été construites coopérativement. C’est le chemin lui-même qui est son propre fruit.

Des projets collectifs dans les Réseaux :

Enfin, on pourrait raconter de nombreuses créations collectives, issues des échanges de savoirs et génératrices de nouveaux échanges de savoirs mais qui, surtout, ont pour fonction de restituer de la dignité, de la fierté, du sentiment que l’on a prise sur les choses et que l’on peut agir sur et dans la société : livres de cuisines et intervention collective à l’UNESCO pour le réseau d’Orléans, jeux de société pour présenter les réseaux (Lisieux, Petit-Quevilly, Bruxelles, Saint-Jean de la Ruelle…), kms d’écharpes à Bruxelles, fresques collectives à Montfermeil, bistrot des savoirs et jardins urbains à Beauvais…

3 Des complémentarités et des hybridations

D’autres que ces Réseaux, à partir des mêmes valeurs et d’un principe de réciprocité, mettent en place ce qui nous fonde : le droit aux savoirs pour tous, la recherche de démarches d’émancipations individuelles et collectives, la construction d’un Vivre ensemble juste et digne, la lutte contre les exclusions…

Comment croiser les compétences, mutualiser les expériences, s’enrichir et se former réciproquement, créer ensemble de nouveaux projets ?

Exemples : Sur proposition de la Cité des métiers, les RERS ont participé au projet européen SCATE (Study Circle, a tool for empowerment).

Le MIRA lui-même est conçu comme un projet d’hybridations entre organisations soucieuses de réciprocité.

Le laboratoire de didactique et d’épistémologie des sciences de Genève et les RERS ont donné naissance au Groupe des savoirs émergents…

Olivier Las Vergnas23 : « Histoire du Réseau international des Cités des métiers » Je vais vous présenter l’histoire du réseau international de la Cité des Métiers, en restant dans le sujet, c’est-à-dire en essayant de réfléchir avec vous au rapport qu’il y a entre cette aventure de réseau international et l’idée de la réciprocité. Je vais commencer dans les années 90, pour vous raconter très rapidement ce qu’on a voulu faire à la Cité des Sciences et de l’Industrie en créant la première Cité des Métiers, qui a ouvert ses portes en 1993. J’en profiterai pour vous dire ce que c’est pour ceux qui ne connaîtraient pas cet équipement. Ensuite je vous parlerai à partir de cette Cité des Métiers de la façon dont on peut la regarder sous l’angle de la réciprocité, et comment elle a vu se développer autour d’elle un réseau international et comment, évidemment, ce réseau international peut aussi s’analyser sous la question de la réciprocité. S’il me reste encore du temps, je reviendrai sur la question des fondements, pour suivre le vocabulaire de Claire, en

23

Fondateur de la première Cité es Métiers, à la Cité des Sciences et des techniques de La Villette. Directeur de cette Cité des métiers.

Page 49: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 49

regardant les enjeux de réciprocité qui étaient cachés sous la création de la Cité des Métiers. Et en réfléchissant à une question qui je pense nous est commune, du moins je l’espère, qui est la question des envies de savoir, la question des savoirs subis ou des savoirs choisis et la question qui en fait, de manière sous-jacente, de manière implicite, nous a amenés à créer un centre de réponses à des questions qui concernent un musée des Sciences qui d’habitude présente des expositions.

Qu’est la Cité des Métiers (1993) ?

La Cité des Métiers, c’est très simple, c’est un espace d’information et de service, coproduit avec, en ce moment, quatorze organismes. Ces organismes travaillent ensemble en associant leurs complémentarités pour répondre à toutes les questions que les personnes peuvent se poser en matière d’orientation, d’insertion ou d’évolution professionnelles. Derrière cette idée-là, Claire l’a cité tout à l’heure, quand nous avons lancé ce projet à la Cité des Sciences, nous avions l’idée d’aider les gens, d’aider toutes les personnes à mieux se projeter dans l’avenir, à avoir des outils, des conseils, des moyens, des espaces pour réfléchir à leur avenir professionnel, et tant que faire se peut, le décider, tout au moins pour la partie qu’ils peuvent décider. Donc, évidemment, derrière l’idée de la Cité des Métiers, il y a cette idée d’émancipation, d’empowerment, de donner le pouvoir aux personnes, donner le pouvoir à tout un chacun d’avoir tous les éléments pour décider sur la partie qu’il peut décider de son avenir. La particularité de la Cité des Métiers, c’est d’avoir convaincu quatorze institutions : l’ANPE, l’Education Nationale, l’AFPA, les boutiques de gestion et toute une série d’autres organismes, le CNED, le CNAM, de travailler ensemble pour répondre aux questions des personnes qui viendraient dans un contexte anonyme, libre, gratuit, ouvert du mardi au samedi dans un grand lieu passant, un musée à Paris.

Premier niveau de réciprocité

Evidement, derrière cela, il y a une idée de construction commune, d’hybridation de compétences. La réciprocité dans ce projet n’allait pas jusqu’à dire qu’on allait transformer des conseillers de l’ANPE qui s’occupent d’emploi en conseillers qui s’occupent de création d’entreprise et inversement, on n’est pas dans une unification, mais on est dans de la mutualisation et le partage de compétences. Ça, c’est le premier niveau de réciprocité dans l’idée de la Cité des Métiers.

Deuxième niveau de réciprocité

En réalité, la réciprocité est également présente directement dans l’interaction entre une personne qui vient dans un lieu comme la Cité des Métiers, et le conseiller qui va le rencontrer. La Cité des Métiers, c’est un lieu d’écoute, on vient pour du conseil donc la première chose qui se passe c’est qu’on se raconte, et en disant que dans un lieu comme la Cité des Métiers les personnes peuvent raconter ce qui les préoccupe, formaliser, formuler en face de conseillers, on décrit la relation que l’on devrait avoir dans n’importe lieu d’aide à l’insertion, à l’orientation, mais en mettant en valeur que ce n’est pas simplement un lieu dans lequel on subit une information, dans lequel on subit une injonction, mais un lieu dans lequel il se construit quelque chose au cours d’un entretien de conseil. Il y avait dans l’idée initiale de la Cité des Métiers deux réciprocités : l’une entre les organismes qui allaient travailler ensemble, de co-construire une plate-forme qui réponde à toutes les questions, et il y avait aussi l’idée de construire comme un lieu où se produirait une situation d’écoute, une situation

Page 50: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 50

de co-construction d’une hypothèse de parcours avec des personnes. Voilà la réciprocité au niveau de base de la Cité des Métiers.

Un troisième niveau de réciprocité est apparu.

Quand on a construit la Cité des Métiers, on s’imaginait que ce serait l’assemblage d’un certain nombre d’organismes, on voyait la Cité des Métiers comme étant finalement un pôle emploi avec une ANPE, un pôle orientation avec les conseillers d’orientation et des psychologues, un pôle évolution professionnelle avec des conseillers en bilan et un pôle formation continue avec des conseillers en formation continue. Des institutions qui s’occuperaient de chacune des choses et finalement la co-construction, cette complémentarité, elle, aurait lieu entre les institutions. Evidement, cela ne marche pas comme cela, les institutions ne construisent pas ; ce qui co-construit, ce sont les personnes. Donc, dans la Cité des Métiers, il y a une soixantaine de personnes qui interviennent. Ces conseillers ont progressivement co-construit des choses entre eux, et indépendamment de leurs institutions. Il s’est crée une collectivité de travail, et aujourd’hui, au quotidien, nous animons – cela n’est pas forcément facile, parce qu’il y a des pesanteurs institutionnelles, on est dans un contexte de travail – nous animons des échanges de savoirs, et nous essayons de plus en plus solidement. Bernadette Thomas va animer un atelier entre soixante personnes lundi prochain. Dans le contexte professionnel de la Cité des Métiers, nous animons des échanges réciproques de savoirs entre conseillers.

Il y encore un autre niveau de réciprocité qui est apparu dans la Cité des Métiers, c’est la réciprocité entre les usagers eux-mêmes.

Aujourd’hui la demande des personnes, ce n’est pas de prendre le RER pour être reçu par un conseiller à l’autre bout de l’Ile de France et repartir chez soi en ayant rencontré une personne qui lui dit la même chose que ce qu’on peut lui dire un peu partout. Aller dans un lieu comme la Cité des Métiers, c’est aussi l’occasion de rencontrer d’autres personnes qui ont les mêmes préoccupations, c’est aussi l’occasion de participer à des ateliers, c’est aussi l’occasion de s’inscrire à des clubs. La Cité des Métiers qu’au début, en 1993, on avait inventé comme un lieu où des individus seraient reçus par des conseillers et regarderaient de la documentation, est devenu un lieu dans lequel, sans doute, une des interactions les plus importantes, ce sont des ateliers, des clubs, des nocturnes, des forums dans lesquels les personnes échangent entre elles. Et alors là, vraiment on est dans la vraie réciprocité.

Une anecdote : on a fait un projet européen sur la question des plus de 45 ans. On se demandait bien ce qu’effectivement un lieu comme la Cité des Métiers pouvait vraiment apporter de plus à des personnes en difficulté d’emploi au-delà de 45 ans. Les gens nous ont répondu très simplement après avoir fait un certain nombre d’ateliers : « Finalement, une des choses les plus essentielles que vous pouvez nous permettre de faire c’est de discuter entre nous, c’est de nous donner un cadre dans lequel nous pouvons nous raconter nos histoires, dans lequel nous pouvons voir des morceaux de piste qui sont efficaces. » On a créé un club dans lequel les gens se rencontrent, se racontent, et échangent réellement. C’est bien un quatrième niveau de réciprocité qui est arrivé au sein de la Cité des Métiers.

Page 51: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 51

Essaimage

La Cité des Métiers est né dans la Cité des Sciences à Paris. Un peu comme l’a dit Claire pour la naissance des RERS, on n’avait pas du tout l’intention d’essaimer, de créer du réseau derrière tout ça un peu partout dans le monde, on faisait quelque chose qui correspondait au cadre dans lequel nous travaillions, qui était d’ouvrir cet espace pour des publics. Evidemment, ce qu’on à fait à Paris en associant une ANPE, un CIO, un centre AFPA, un CNED etc., c’était tout à fait transférable ailleurs ; du coup, d’autres personnes ont lancé des projets similaires de Cité des Métiers. Ils nous ont demandé de créer un label et ils nous ont demandé de les aider sur ce modèle-là à créer d’autres Cité des Métiers. Il s’est créé une espèce de famille de gens qui avaient commencé à « faire des petits ensemble », et il s’est créé un réseau avec une Cité des Métiers en Côte d’Armor, une Cité des Métiers dans le Gard, une Cité des Métiers dans le Territoire de Belfort, et puis à Milan, à Gènes puis à Belo Horizonte, à Barcelone, en République de Maurice, à Santiago du Chili etc. Maintenant, il y a un réseau de vingt-sept Cité des Métiers qui baragouinent des langues latines en ayant un peu de mal à se comprendre, mais qui y arrivent quand même, et qui font vraiment de l’échange. De l’échange de savoirs, de l’échange réciproque, qui construisent ensemble des universités d’hiver qui ont lieu tous les ans. La prochaine aura lieu en Janvier à Porto. Là-dedans, on échange. Au début on a plutôt échangé (il ne faut pas être naïf), entre dirigeants, mais maintenant on arrive aussi à échanger entre conseillers. Ce qui se passe dans un réseau comme FRESC nous intéresse beaucoup, parce qu’on regarde comment des collectifs différents, qui sont chacune des Cités des Métiers, peuvent arriver à échanger avec d’autres collectifs à l’autre bout du monde dans une autre langue. Ce sont des choses qui nous intéressent vraiment. Evidement ce qui est très intéressant, et je pense que dans l’histoire des réseaux il doit y avoir la même chose, c’est de constater que cette idée d’avoir un centre d’empowerment, d’aide à l’évolution professionnelle, elle est, bien sûr, différente, cette idée-là, matérialisée d’une façon différente à Paris à Santiago du Chili à Port Louis ou à Belo Horizonte ; il n’empêche que, derrière tout cela, il y a des invariants, il n’empêche que derrière cela il y a des valeurs communes, et il n’empêche que c’est extrêmement intéressant de voir comment le contexte, comment la situation économique, comment le contexte politique modifient cette interprétation que l’on fait de cette volonté d’empowerment. Le réseau est un lieu dans lequel il y a cette envie d’échange autour de cette idée.

Un autre aspect de la réciprocité dans la Cité des Métiers.

Si la première Cité des Métiers est née au sein de la Cité des Sciences et de l’Industrie, ce n’est pas par hasard. Pourtant, les vingt-six autres Cités des Métiers qui existent maintenant dans le monde, ne sont pas dans des contextes de Cité des Sciences. Il n’y en a aucune autre. Il y a eu celle de Milan qui est restée deux ans à l’intérieur du Musée des Sciences Léonard de Vinci, mais qui n’y est plus. Les autres Cités des Métiers vivent leur vie dans d’autres contextes. Pourtant, si on crée la Cité des Métiers au sein de la Cité des Sciences, c’est parce qu’on essayait de creuser quelque chose qui a aussi trait à la réciprocité. En fait, ce qu’on essayait de faire, c’était de trouver où il y avait de l’envie de savoirs scientifiques. Les musées des sciences, ce sont des lieux dans lesquels on apporte de la science en la mettant sur les murs. Alors les musées des sciences et des techniques, quand ils ont des collections de machines à vapeur ou des collections d’aéroplanes, présentent des objets et on fait ce que l’on veut de l’objet. Mais les musées scientifiques modernes qui présentent surtout des artéfacts, des discours sur la science, ils mettent du savoir sur les murs, et ils espèrent que des gens vont en

Page 52: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 52

prendre quelque chose. Pour des gens comme nous, qui étions des acteurs de ce Musée des Sciences, nous avions un vertige de non-réciprocité. Nous nous rendions compte que ça ne pouvait pas marcher de simplement mettre de la science sur les murs et de la technologie sur les murs et de penser que des gens allaient venir pour récolter cela. Les gens qui viennent pour récolter de la science qu’on met sur les murs, ce sont les scolaires parce que c’est obligatoire, il faut bien qu’ils aillent au musée, c’est prévu au programme ; et ce sont les adultes qui sont déjà fanatiques de sciences, qui ont déjà tout récolté sur le big-bang, tout récolté sur les galaxies, tout récolté sur les quartz, les gluons et les neutrinos et qui en veulent encore plus. Mais quelqu’un de normalement constitué, adulte, non engouffré de force dans un autocar scolaire, ne va pas chercher une envie de Savoirs scientifiques dans un musée des sciences. Notre hypothèse, dans la Cité des Métiers, était celle-ci : « il faut que nous arrivions à trouver où les gens, où les personnes expriment des besoins. Il ne suffit pas de parler des progrès de la Science, parce que ça n’intéresse que ceux que les progrès de la Science intéressent, il faut parler de l’impact de la Science et de la Technologie sur la vie de chacun. Donc, si on fait une Cité des Métiers dans laquelle chacun pourra venir poser ses propres questions, parce qu’il est préoccupé par l’évolution technologique dans son boulot, on va créer une situation qui sera plus symétrique qu’une simple situation d’exposition ». C’est cette idée-là : créer du service, se connecter à des demandes de savoirs, qui nous a amenés à faire la Cité des Métiers.

Nous savions cela et nous espérions évidement que la Cité des Métiers amènerait un public très différent, un public qui « demande » à savoir comment la technologie transforme son travail.

Après, nous avons essayé de créer aussi un autre centre, la Cité de la Santé pour recevoir du public qui a des demandes par rapport aux évolutions de la santé et à ses propres questions de santé, par rapport aux traitements, aux façons d’accompagner les personnes. Nous rêvons, derrière ces centres de service qui répondent à des questions, d’arriver à faire que l’on reconnecte vraiment avec des demandes de savoirs, et que l’on ne fasse pas des équipements culturels qui soient simplement des lieux où on récolte le savoir que l’on a bien voulu vous donner.

Laurent Ott24 : « Espaces éducatifs en friche et inconditionnalité éducative » Je suis toujours frappé par la convergence des réponses pertinentes et novatrices aux besoins sociaux qui s’expriment ici ou là ; c’est une des raisons pour laquelle, je suis fier et heureux de pouvoir contribuer à une table ronde initiée par les RERS, ce mouvement qui depuis plus de vingt ans, valorise l’éducation et l’apprentissage non formel, en dehors des lieux classiques de transmission des savoirs.

Je suis en effet, porteur, avec d’autres, d’une action qui, a priori, n’aurait pas grand-chose à voir, ni avec le contenu, ni même avec la démarche et la méthodologie du mouvement des réseaux d’échanges réciproques des savoirs.

L’association intermèdes-Robinson (http://assoc.intermedes.free.fr/) met en œuvre une action de développement sociale communautaire, en banlieue, qui allie le travail de rue et de pied d’immeuble (avec les enfants) et l’accueil des familles et des adolescents sur des terrains agricoles à l’abandon, à sa périphérie.

24

Responsable de projets à l'Ecole de Formation Psychopédagogique (EFPP).

Page 53: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 53

Cette association fait suite à d’autres expériences tentées précédemment sur le même territoire (Ville de Longjumeau-Quartier Grand Ensemble) et s’appuie sur les mêmes constats : de plus en plus d’enfants, mais aussi d’adolescents et d’adultes ne trouvent plus dans les institutions éducatives, sociales, culturelles, d’aujourd’hui, les réponses à leurs besoins et s’enferment ou se cantonnent dans un entre-soi subi, qui frôle bien souvent la solitude et l’isolement.

Quand nous étalons nos tapis de sol sur les espaces publics entre les immeubles, nous nous mettons volontairement à la portée de tous et nous choisissons par cette inscription « hors-institutionnelle » d’accueillir tout public qui se présente.

C’est ce que nous appelons l’inconditionnalité de l’accueil, c’est-à-dire ce principe qui fait que nous allons travailler avec les gens qui sont là, sans attendre qu’on nous les envoie ou sans déterminer qui en a le droit (qui est inscrit, qui a les papiers, qui a adhéré, qui a payé…). Cette inconditionnalité de principe est, bien entendu, équivalente dans son champ du « tous capables » du GFEN, ou du « tout le monde sait quelque chose » des RERS.

Pour nous, et à l’occasion de nos ateliers de rue INCONDITIONNELS, le résultat ne se fait pas attendre : nous rencontrons, sans cesse, davantage d’enfants et de familles qui souhaitent participer et qui font aussi évoluer et essaimer ces ateliers (autour du livre, des jeux, mais aussi de l’expression écrite, artistique, picturale et corporelle).

Et c’est là que j’aperçois une seconde zone de convergence, de congruence avec la démarche des RERS (qui ne nous était pas inconnue), à savoir que les besoins existent, que ce soient ceux d’apprendre, d’enseigner ou le besoin en lien social… et que ce sont les institutions classiques qui ne savent pas les recevoir. Du coup, c’est bien en dehors de l’institution et à ces besoins non pris en compte, et dans une démarche collective que, tant les RERS que plus modestement notre association, tentent de répondre.

Il y a donc des espaces en friche, il y a donc des publics en friche, il y a donc des besoins sociaux et éducatifs en friche… et cela n’est pas sans rapport avec la pensée d’un « grand jardinier », Gilles Clément, qui s’intéresse depuis longtemps, mais d’un point de vue biologique, aux friches et terrains vagues.

Gilles Clément parle lui d’un « tiers territoire » (tiers, au sens de Tiers-Etat, précise-t-il encore) qui n’est ni celui des jardins et parcs, ni celui de l’agriculture bien ordonnée et industrielle, mais celui qui regroupe les espaces délaissés, méprisés, non vus pour eux-mêmes.

Il parle ainsi, sur un plan botanique, des bordures d’autoroute, des pelouses abandonnées entre les immeubles, des friches industrielles ou qui s’étalent le long de voies ferrées. Il porte sur ces espaces un regard nouveau : ces zones méprisées sont, en fait, d’un point de vue naturel, écologique, les plus riches en diversité, en plantes rares et elles constituent, de ce fait, le milieu naturel le plus durable, du point de vue éco/systémique et de l’environnement.

Même s'il ne franchit pas explicitement le pas, la pensée de Gilles Clément est bien entendu politique et nous concerne tous, MRERS, MIRA, mais aussi les mouvements pédagogiques comme celui de Freinet et Korczak, qui postulent justement qu’il faut partir de ce qui est délaissé, méprisé, inconnu, petit… pour bâtir une société plus juste et un adulte plus complet.

Les savoirs informels, les savoirs non reconnus, les savoirs spontanés, ceux qui naissent dans les groupes, les rencontres, sont des savoirs fondamentaux pour le monde d’aujourd’hui et ce sont des savoirs que nous devons nous donner à nous-mêmes et entre nous car la société et les institutions en ont abandonné la diffusion. Qui apprendra aux enfants à vivre ensemble ?

Page 54: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 54

Qui leur apprendra à trouver la foi et la confiance dans leurs capacités d’invention, de création, à se lancer dans des projets sociaux ? Quelle institution transformera en actes ce savoir immense et fondamental que l’exclu, l’ignorant, le mauvais élève sont ceux qui peuvent nous apprendre une société plus solidaire, sociale et durable ?

Les institutions, qu’elles soient scolaires ou périscolaires ou de loisirs, tombent dans la surenchère de la technicité, de la sécurité sanitaire et policière, de la spécialisation et de la qualification des intervenants et multiplient, en réalité, les obstacles pour y accéder, pour ceux qui en auraient le plus besoin.

Les conservatoires peuvent-ils apprendre la musique aux enfants du quartier ou ne constituent-ils pas, symboliquement, un empêchement moral et dissuasif à son accès et sa pratique ? Et qu’en est-il des centres de loisirs qui multiplient les plannings d’activités alléchants… mais qui dissuadent d’y accéder, dans de nombreuses communes, les enfants dont les parents sont privés de travail ? Et que dirons-nous des cantines, devenues restaurants, qui pourront bien devenir « bio », quand elles relèguent à l’extérieur – pour les mêmes motifs – de plus en plus d’enfants condamnés aux chips ?

L’école pourra, de son côté, devenir de plus en plus élitiste avec des savoirs de plus en plus morts au fur et à mesure qu’ils seront toujours plus évalués. Qu’importe ! C’est toujours dans la friche et l’extérieur que nous apprendrons ensemble les savoirs essentiels pour vivre que l’on nous a refusés.

Et il faudrait bien, face à toutes ces attaques modernes qui affectent même l’idée ou le projet d’éduquer et de transmettre ensemble, une sorte d’union de tous « nos » espaces délaissés, de tous ces jardiniers de la friche, jardiniers des savoirs, jardiniers du social, que nous sommes profondément.

Il nous faut revaloriser aujourd’hui, encore plus qu’hier, l’image du « tiers espace », hors institutionnel, et affirmer avec force que ce travail, délaissé par les politiques publiques, constitue peut-être l’ultime chance pour la survie et la cohésion d’une société aux prises avec des problèmes inédits.

André Vidricaire25 et Marielle Breault26 (à partir du travail du collectif de Montréal) : « Les pratiques de réciprocité dans le RRS de Montréal ». Travail préparé par : André, Jeanne, Jean, Marielle, Pierre, Rachel, Thérèse

Contexte

Le Réseau d’échanges réciproques de savoirs de Montréal (RERSMtl) a vu le jour en novembre 2007. A la différence d’autres réseaux nés au sein d’institutions, le Réseau de Montréal s’est constitué à partir de relations et de contacts personnels. Après neuf mois d’opération, plus de soixante (60) personnes, de milieux, de conditions, d’âges différents, participent à ses activités. Sa mise en œuvre, son évolution et son fonctionnement sont coordonnés au sein d’un Comité organisateur où se retrouvent aujourd’hui une quinzaine d’hommes et de femmes pour la plupart impliqué(e)s dans des démarches d’offres, de demandes et de mises en relation.

25

Professeur de philosophie, co-initiateur du RERS de Montréal. 26

Animatrice du Réseau du Co/développement professionnel, co-initiatrice du RERS de Montréal.

Page 55: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 55

La perspective d’une participation montréalaise à la Rencontre internationale sur le thème de la réciprocité prévue pour fin novembre en France a amené, en juin dernier, l’auto-formation d’un groupe de travail avec pour objectifs : a) de soutenir les personnes qui participeront à la rencontre internationale MRERS/MIRA ; b) d’esquisser et préparer une ou des contributions québécoises dans le cadre de cette rencontre. Ce groupe de travail fut formé de sept personnes : André, Jeanne, Jean, Marielle, Pierre, Rachel et Thérèse. Six d’entre elles ont pu assurer une participation continue. Riche de la diversité de ses membres : différence et parité (non préméditée) des femmes et des hommes, différence d’âges avec la volonté de réfléchir et d’agir ensemble, provenances et implications sociales multiples (travailleuses sociales, gardien de stationnement, universitaires, formateurs, en services actifs ou retraités), le groupe de travail choisit de puiser à même les expériences et les savoirs personnels de chacun et chacune tout en privilégiant les expériences individuelles et collectives qui se vivent au RERSMtl en ajoutant aussi quelques références pour penser ensemble et traiter ce thème de la réciprocité.

Mettant en ordre, suite aux quatre rencontres tenues, le cheminement suivi par le groupe, on peut en dégager les grandes étapes abordées :

Des images-fortes aux idées

1.1 Images représentatives des échanges réciproques de savoirs 1.2 Lieux et situations de réciprocité 1.3 Quelques mots associés à la réciprocité

Ajustement des perspectives

2.1 Besoin ou désir comme point de départ de l’action 2.2 Réciprocité et échange : différence et complémentarité 2.3 La mise en relation : une expérience qui interpelle

Exploration de la réciprocité

3.1 La réciprocité humaine : a) complexité; b) l’action et la réflexion mises en boucle 3.2 Quelques composantes de la réciprocité 3.3 Formes actuelles de réciprocité

Réciprocité pensée – réciprocité vécue

Plusieurs textes, en annexe, sont constitutifs de la présente synthèse de la démarche du groupe. Rédigés par les différents membres, ils ont alimenté et éclairé, le plus souvent de manière sensible et concrète, les échanges. Ils témoignent de quelques sentiers vécus et explorés par chacun et chacune.

1. Des images fortes aux idées

Pour éviter, d’entrée de jeu, les effets inévitablement réducteurs de la raison pour penser et réfléchir la réciprocité, sans pour autant rejeter que le raisonnement est un passage obligé pour en appréhender la réalité et en comprendre le fonctionnement, on choisit, en un premier temps, d’évoquer les images qui, pour nous, évoquent les échanges réciproques de savoirs et la réciprocité. On se dote ainsi d’un paysage mental auquel on pourra se référer dans nos

Page 56: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 56

discussions pour, lorsque nécessaire, se rappeler l’ampleur et la complexité de notre sujet de réflexion.

1.1 Images représentatives des échanges réciproques de savoirs

Trois images émergent de nos échanges.

Le jardin : L’image du jardin s’impose en ce que celui-ci « fonctionne » par le compagnonnage que les différents végétaux s’apportent les uns aux autres. Le jardin représente une autre logique d’existence que celle qui s’observe en général dans la société actuelle avec ses hiérarchies alors qu’elle rêve d’égalité. On y vit naturellement, mais en organisant aussi. Le « laisser-être » peut fructifier sans constituer pour autant un « laisser-aller ». Cette image se complexifie en considérant qu’il y a trois ordres de vie dans un jardin : le végétal, le minéral et l’animal. Ces trois ordres se soutiennent et s’alimentent. Leur interdépendance invite à trouver la ou les filiations qui les relient. Même ce qui semble improductif (négatif) a un rôle à jouer : les fleurs poussent aussi sur les éléments en décomposition. Le temps s’avère un ingrédient important pour la formation et la maturation d’un jardin. Le jardin semble une juste allégorie du « vivre ensemble ».

L’arbre : L’arbre est un réseau en lui-même : des racines au tronc, aux branches, aux feuilles et aux fruits. Il représente la force. Il n’a aucune gêne d’exister, d’être fort. La symbolique de l’arbre s’avère fondamentale. Elle est omniprésente dans les cultures amérindiennes (comme dans plusieurs cultures africaines). Symbolique qui réfère aux liens que l’arbre entretient avec la lumière, la température, la terre. Il se nourrit de l’air et du sol. Il s’adapte à son environnement et il développe des capacités de résistance aux intempéries ou aux animaux.

Réseau de routes enchevêtrées : L’entrelacement de routes illuminées est une image qu’on se donnait du futur il y a une trentaine d’années. Elle garde sa force évocatrice : circulation (et vitesse), trajets multiples, coexistence de plusieurs individus, l’automobile comme interface entre la technique et la vie sociale ou économique. C’est une image périodiquement réutilisée et réinterprétée comme icône du temps présent, porteuse d’avenir pour les relations et les communications qu’un réseau illimité de routes rend possibles. Ce qui n’empêche pas d’en avoir une vision critique. Notons, au passage, ces deux axes de référence que sont la nature et la modernité.

1.2 Lieux et situations de réciprocité

Pour compléter le paysage mental esquissé précédemment, on choisit comme deuxième exercice de nommer des lieux ou des situations où on reconnaît qu’il y a de la réciprocité. Plusieurs témoignages tirés de l’expérience de chacun et chacune amènent les repérages suivants :

a) des situations d’échanges réciproques de savoirs (offres-demandes de tous qui ont des savoirs et des ignorances) ;

b) la relation (amoureuse) homme-femme ; c) une situation « d’écoute » (expérience de réciprocité ressentie lors d’une écoute active

d’un interlocuteur autour d’une table et d’un café après une session formelle de travail) ;

d) une situation où se vivent des sentiments de dignité, d’égalité et de confiance dans les échanges ;

Page 57: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 57

e) certaines situations pédagogiques : codéveloppement, formation à l’alphabétisation des jeunes, ou l’écriture collective de son histoire.

Ces témoignages conduisent à considérer la réciprocité comme une matrice de relation interpersonnelle et de reconnaissance sociale où le jeu relationnel et les échanges se bonifient par l’égalité entre les personnes et la maîtrise de la situation. Cette définition, formelle, est cependant insuffisante à rendre compte de la dynamique de la réciprocité. Ce qui se fera ultérieurement.

1.3 Quelques mots associés à la réciprocité

Par extension aux représentations de la réciprocité esquissées jusqu’ici, une participante a noté les mots qui ont retenu son attention au cours des discussions où les échanges réciproques de savoirs servent toujours de toile de fond. Ses observations invitent à considérer ce qui se joue dans la réciprocité et à expliciter les multiples dimensions qu’on y trouve.

Échanges. Dignité : Éviter la logique du manque et mettre en action une logique de la reconnaissance et

du don. Ne pas « suralimenter », mais respecter les rythmes, les êtres, les savoirs. Logique écologique du « faire avec ce qui est », du « faire confiance en ce qui est », du « voir ce qui est ».

Identité. Confiance. Réseaux : A la différence d’une forme d’organisation prédéterminée et prédéfinie, un réseau

est une forme ouverte et indéfinie. Les personnes vivent déjà dans différents réseaux sociaux (groupes informels et formels d’organisation sociale illimitée avant d’adhérer à un réseau d’échanges réciproques de savoirs) ; il s’agit pour elles « d’expérience » une forme d’organisation sociale « illimitée » puisqu’elle se fait avec ces personnes qui veulent bien y adhérer. Il y a tout intérêt à comprendre et considérer ces autres réseaux auxquels participent les adhérent(e)s à un Réseau d’échanges réciproques de savoirs.

Sécurité : L’importance de la sécurité, de la stabilité relationnelle, est nommée à plusieurs reprises.

Incertitude : Il y a différentes incertitudes à accepter lorsque l’on expérimente un nouveau modèle de fonctionnement comme celui des échanges réciproques de savoirs.

Lien : Importance du lien, de la création de liens, de l’inter… Plaisir et désir d’apprendre : Souvent on a indiqué la nécessité d’avoir un plaisir et un désir

d’apprendre, or plusieurs personnes sont brisées dans cet élan de vie. Théorie, idéal, réalité : Force est de constater les écarts, voire les écueils et les contradictions,

qui existent entre la théorie, l’idéal et la réalité des échanges réciproques de savoirs. Ce qui ne doit en rien inhiber l’action.

La réciprocité possède des dimensions identitaires, affectives, sociales, culturelles et relationnelles qui viennent donner plus de profondeur et de complexité aux seuls impératifs de la transmission/apprentissage des savoirs comme on pourrait le concevoir dans une première appropriation des échanges réciproques de savoirs.

2. Ajustement des perspectives

Le partage d’expériences et les discussions ont amené un ajustement des perspectives avec lesquelles on réfléchit la réciprocité et les échanges réciproques de savoirs.

Page 58: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 58

2.1 Besoin ou désir comme point de départ de l’action

Des initiatives sociales, telles les réseaux d’échanges réciproques de savoirs, naissent souvent à partir d’un questionnement sur les besoins à satisfaire, sur les manques à combler. Les notions de « besoin » ou de « manque » renvoient inévitablement à un système normatif qui mérite d’être explicité. Il importe d’exercer une vigilance continue pour détecter les normes implicites des contextes dans lesquels s’inscrivent ces actions sociales. À l’échelle individuelle, éprouver ou se faire indiquer qu’on est en situation de besoin ou de manque entraîne une mauvaise estime de soi. Il semble davantage porteur de partir des désirs qui animent chaque personne, que de ses besoins ou de ses manques. Désir de rendre certaines réalités plus cohérentes, de réorganiser des liens sociaux, de permettre des gains entre les acteurs, à la mesure des personnes. Il est préférable d’être dans une perspective de création et de construction là où il y a du don que dans une attitude de réparation. Partir des acquis, du connu, pas du manque. On accorde ainsi une grande place à la dignité des personnes. Un participant met en relief avec force et conviction qu’il faut se sentir digne pour s’approprier certains savoirs.

2.2 Réciprocité et échange : différence et complémentarité

Les pratiques et les règles de réciprocité et d’échange sont des constructions historiques, culturelles et sociales mises en œuvre par les humains pour s’adapter à des contextes spécifiques (géographie, climat, relations intergroupes : familles, clans, sociétés) et assurer la continuité et la stabilité de la vie collective tout en déterminant une place et un rôle pour chacun et chacune. Dans le contexte des échanges réciproques de savoirs, la réciprocité est perçue en un premier temps comme un contre-échange, une parité et un retournement dans les échanges alors qu’une personne qui offre devient une personne qui demande ou vice-versa. La réciprocité ainsi énoncée s’avère être une qualité (un attribut) des échanges qui sont réciproques. Dès lors, comme nous y invite la rencontre internationale, qu’on fait de la réciprocité une réalité distincte et particulière, la réflexion invite à préciser ce qui la différencie de l’échange et à questionner si c’est la réciprocité qui articule l’échange, ou l’échange qui articule la réciprocité. Aujourd’hui, le domaine des échanges nous réfère très souvent aux dynamiques économiques et marchandes. Il y a, bien sûr des échanges non-marchands dont le don ou le cadeau sont de bons exemples. Dans tous les cas, c’est la satisfaction mutuelle qui est recherchée. Dans la sphère marchande, le transfert de propriété d’un bien, ou la prestation d’un service, moyennant paiement juste et équitable selon la « valeur » économique de ce bien ou de ce service, est la règle de base pour la satisfaction des acteurs (vendeurs et acheteurs). L’échange ne crée pas de valeur additionnelle en soi. Dans la sphère non-marchande, le don ou le cadeau sont rétribués sous forme de reconnaissance sociale, voire de prestige, qui deviennent la satisfaction du donateur. Dans le cas spécifique de l’échange des savoirs, celui-ci peut être marchand (institutions privées d’enseignement, de formation) ou non-marchand (exemple : éducation publique, éducation populaire dont les échanges réciproques de savoirs). Ce qu’il y a de particulier, c’est que le partage non-marchand des connaissances n’appauvrit pas celui ou celle qui les dispense. En effet, comme l’a bien montré Michel Serres, les savoirs et les connaissances peuvent s’enseigner et donc se transmettre sans perte pour celui ou celle qui les offre, à la différence des biens matériels. C’est la valeur d’usage des savoirs qui augmente. Nous

Page 59: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 59

sommes ici dans l’économie de l’immatériel où les savoirs ne circulent pas comme des biens. Bien que… Il ne faut pas oublier que les savoirs et les connaissances sont des outils de positionnement social pour ceux et celles qui les détiennent. Bourdieu parle d’un « capital culturel » et d’un « capital social » que certain(e)s n’hésitent pas à retenir pour se permettre de contrôler, d’avoir du pouvoir sur les autres. Si la vision qui préside aux échanges réciproques de savoirs exclut tout exercice de pouvoir, il serait abusif de ne pas considérer qu’il puisse se manifester même dans ce type d’échange. Le domaine de la réciprocité nous amène aux valeurs et aux liens sociaux. La dynamique de la réciprocité est de générer des valeurs pour articuler les liens sociaux et les relations humaines : la paix, la confiance, la compréhension et l’acceptation mutuelle, l’amitié. Elle implique le plus souvent un souci pour l’autre. La dynamique de l’échange vise la satisfaction des intérêts de chacun, la dynamique de la réciprocité vise la satisfaction des intérêts communs à partir des intérêts de l’autre. Dans le premier cas, il y a souvent compétition des intérêts individuels, dans le second il y a une grande part de fusion des intérêts. Pour qu’il ait échange, cela prend un minimum de réciprocité. Dans le contexte d’un échange non-marchand tel l’échange réciproque de savoirs, l’optimisation de l’échange est moins tributaire des intérêts en cause ou des savoirs impliqués que de la vitalité, de la justesse et de la profondeur de la réciprocité dans laquelle il s’inscrit. Il y interface entre l’échange et la réciprocité. Reste à le comprendre et à le formuler. Cela dépasse manifestement la simple inversion des rôles d’offreur et de demandeur de savoirs chez la même personne. Il nous faudra, ultérieurement, examiner le domaine des liens interpersonnels et sociaux et le relier à la « culture de la réciprocité » disponible ou à construire dans les milieux spécifiques où se déroulent nos échanges de savoirs.

2.3 La mise en relation : une expérience qui interpelle

La démarche plus réflexive qui précède fut grandement alimentée par le partage des expériences de mise en relation effectuées dans le cadre du Réseau des échanges réciproques de savoirs de Montréal depuis un an. En un premier temps, l’échange réciproque des savoirs fut perçu comme un système à deux pôles : celui de l’offre et celui de la demande où la composante humaine joue un rôle important mais où les savoirs servent d’éléments essentiels à l’articulation de la relation entre les personnes. À l’expérience, cela s’avère plus complexe. Si certaines activités (mise en relation et prestation des échanges) se sont déroulées avec facilité et fluidité, d’autres ont amené des difficultés à l’étape de la mise en relation. Le partage des expériences nous a conduits à réviser notre représentation de l’échange réciproque des savoirs et à l’envisager comme un système à trois pôles : l’offre, la demande et la mise en relation (qui sert à réguler l’échange). Nous sommes, pour l’instant, d’avis que la problématique et les différentes dimensions de la réciprocité se manifestent dès la mise en relation. En examinant les difficultés rencontrées on se rend compte qu’elles sont de différentes natures : au plan instrumental : conciliation du temps et des rythmes opérationnels des offreurs et des

demandeurs (temps disponible, durée d’échanges requise, agenda) ; au plan culturel : un offreur (entretien et réparation de vélos) se voit refuser par son père que

les échanges se déroulent à la maison, bien qu’on y trouve tous les outils nécessaires, au motif qu’il ne veut pas avoir d’étrangers dans la maison;

Page 60: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 60

au plan psychologique : un offreur ne se voit pas dans le rôle « d’enseignant » ; on remarque qu’il y a une forte personnalisation des acteurs dans les situations d’échanges où, souvent, il faut composer avec des dimensions identitaires qui prennent parfois le pas sur le transfert et l’apprentissage des savoirs.

Il apparaît que le contexte joue un rôle important au cœur des processus d’échanges réciproques de savoirs. Contexte qui se particularise par - des valeurs (personnelles, familiales, sociales, culturelles) ; - des normes et des habitudes; - l’institutionnalisation des savoirs et de leur transfert (système éducatif québécois : public, privé, communautaire). Bref, dès la mise en relation, la dynamique de la réciprocité intervient : implicitement lorsque tous ses éléments sont « naturellement » (culturellement) partagés, explicitement lorsque certains de ces éléments se différencient ou se confrontent selon les acteurs. Comme le souligne un membre de notre groupe de réflexion : « l’échange en réciprocité et dans la réciprocité signifie que les acteurs établissent entre eux un rapport et une relation dont la forme et le contenu sont une construction dynamique et un processus ouvert. » Il ajoute : « les acteurs non seulement découvrent, mais aussi apprennent une nouvelle forme de relation et de lien qu’ils ont à mettre en place pour eux-mêmes. » D’où le fait que « les demandeurs et les offreurs ne sont pas laissés à eux-mêmes et qu’une personne à le rôle de la mise en relation pour faciliter et rendre possible cet échange de savoirs en réciprocité ». Ainsi, à l’étape de la mise en relation entre un demandeur et un offreur de savoirs, il y a simultanément deux objets de travail pour la personne qui effectue la mise en relation : l’organisation de l’échange et la cristallisation de la réciprocité. Reste à comprendre comment alors s’aménage et se régularise la réciprocité ? Deux hypothèses pour l’instant :

a) cette régulation se fait de manière ouverte, dans une relation paritaire et solidaire, par négociation entre les acteurs : offreurs et demandeurs ;

b) cette régulation se fait avec l’assistance d’un tiers-médiateur (personne qui effectue la mise en relation) où le ou les offreurs et demandeurs effectuent une (co)construction collective d’un système d’apprentissage et des conditions cognitives de la démocratie.

Cette dernière hypothèse ouvre sur les dimensions politiques et sociétales de l’échange réciproque des savoirs. Ce qui nous éloigne, pour l’instant, du cadre que nous nous sommes donné pour l’actuelle réflexion sur la réciprocité. Ce thème pourra faire l’objet d’une démarche réflexive complémentaire à celle-ci.

3. Exploration de la réciprocité

3.1 La réciprocité humaine : complexité, l’action et la réflexion mises en boucle

Considérant l’influence du contexte et de l’environnement social qui modélisent les pratiques de réciprocité, une première observation s’impose. Il est utile de préciser d’où l’on parle, d’où l’on pense, où on agit en réciprocité. Nous sommes des nord-américains, québécois, de langue française, vivants dans la région de Montréal (trois millions d’habitants) : milieu urbain qui se caractérise par son américanité et par sa diversité culturelle et sociale. L’organisation de la société québécoise fut articulée autour de deux traditions importantes : la tradition française et la tradition britannique. Aujourd’hui, le paysage culturel et social s’enrichit par la perfusion (redécouverte) des traditions

Page 61: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 61

amérindiennes (ces Premières nations qui occupaient le territoire) et l’infusion des traditions que les immigrants apportent d’Europe, d’Afrique, des Caraïbes ou d’Amérique du Sud. Cette mixité et ce métissage des cultures sont particulièrement manifestes dans la région de Montréal et présents dans plusieurs régions du Québec. Cela ne se fait pas toujours sans heurts et le récent débat collectif (commission gouvernementale) sur les « accommodements raisonnables » a donné un portrait québécois de cette réalité complexe faite à la fois d’ouverture et de fermeture aux autres. De manière immédiate, le Réseau d’échanges réciproques de savoirs de Montréal s’adresse à l’ensemble de la population montréalaise et non à un quartier en particulier. Il est ouvert à tous et toutes en voulant développer une sensibilité adaptée aux échanges intergénérationnels et aux échanges interculturels (inter et non multi : interpénétration plutôt que juxtaposition des âges et des cultures). Ce Réseau ne relève ni ne dépend d’aucune institution politique, sociale ou éducative. C’est sa force et sa fragilité. Cette ouverture du Réseau et la complexité de l’environnement dans lequel il s’inscrit peuvent entraîner un plus long délai pour cristalliser et développer la réciprocité souhaitée par le plus grand nombre au sein du Réseau.

a) Complexité

En situation d’échanges réciproques de savoirs nous observons la coexistence de trois pôles : l’échange, la réciprocité, les savoirs. Si par commodité de réflexion, nous avons tendance à les disjoindre (particulariser) l’expérience nous indique qu’ils sont reliés et interdépendants : la réciprocité suppose un ou des échanges qui, eux-mêmes, requièrent de la réciprocité. Quant aux savoirs, on peut postuler qu’ils contiennent des connaissances, des habiletés et des compétences, des expériences, qui se co-engendrent par des savoirs de réciprocité. Chaque pôle (échange, réciprocité, savoirs) possède son histoire et sa logique de pratique selon les différents milieux. Notre préoccupation est de mieux comprendre comment ils s’articulent concrètement et mutuellement. Nous sommes en cheminement pour ce faire et il serait abusif pour nous d’en donner pour l’instant une quelconque représentation.

b) L’action et la réflexion mises en boucle

Nous nous approprions progressivement et collectivement la complexité des interrelations entre les échanges et la réciprocité, sans hiérarchiser ces pôles et sans les réduire à leur logique interne. Ce qui ne va pas sans une certaine perplexité dans la réflexion. Perplexité qui cependant ne vient pas inhiber l’action et la volonté de poursuivre et d’accroître les échanges réciproques de savoirs dans la région de Montréal. À cette étape de notre démarche, nous avons conscience que les échanges et la réciprocité se déterminent mutuellement et que pour mieux comprendre cette réalité il nous faut poursuivre un parcours qui met en boucle l’action et la réflexion. L’action alimente une réflexion qui nous fait revenir à des pratiques d’échanges de savoirs enrichies d’une sensibilité et d’une compréhension accrue de ce qui s’y joue. De manière métaphorique, on peut dire que les échanges et la réciprocité se dessinent mutuellement, tout comme l’action et la réflexion. Dans les deux cas : enchevêtrement paradoxal à la manière de cette lithographie de M. Escher (1898-1972) :

Page 62: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 62

Mauritz Cornelis ESCHER: Mains se dessinant (1948)

3.2 Quelques composantes de la réciprocité

Les composantes suivantes nous semblent caractéristiques de la réciprocité qui se vit en petit groupe (2 à 4-5 personnes) spécifiquement dans un contexte d’échanges réciproques de savoirs. Des acteurs impliqués : Offreur ou demandeur de savoirs, ce sont des personnes qui

s’impliquent dans leur « unicité » (Pierre). Il y a une personnalisation des acteurs et plusieurs dimensions identitaires se jouent lors d’un échange réciproque de savoirs : développement personnel, image et estime de soi, égalité, reconnaissance et intégration sociale. Plusieurs expériences partagées indiquent que la question identitaire est importante (nécessité d’éprouver de la dignité ; ouverture à l’autre sans remettre en cause sa propre identité).

Le souci de l’autre : L’accueil, la compréhension, l’acceptation de la différence des autres personnes et surtout la préoccupation de favoriser l’apprentissage des savoirs souhaités sont autant de manifestations de la sollicitude nécessaire pour l’efficacité d’une prestation d’échanges de savoirs.

La confiance : Le demandeur doit avoir un degré de confiance envers l’offreur et ce dernier est responsable du climat de confiance nécessaire. Connaît-il bien son domaine ? Prend-il le temps de bien comprendre la demande de savoirs ? Donne-t-il des explications claires, faciles à comprendre et à appliquer ?

La confidentialité : En extension des dimensions identitaires évoquées précédemment, la confidentialité souhaitée par les acteurs lors d’un échange de savoirs est partie intégrante de la réciprocité. Il importe de respecter le désir de ne pas transférer dans la sphère publique ce qui est du domaine privé : mouvement à la fois d’ouverture et d’immunisation aux autres pour maintenir l’équilibre de l’identité personnelle.

La disponibilité : D’expérience, il s’avère nécessaire d’avoir une certaine souplesse dans la disponibilité pour assurer la prestation effective des échanges réciproques de savoirs.

Des savoirs significatifs : Le transfert et l’apprentissage de connaissances, de savoir-faire, d’expériences sont au cœur de l’échange réciproque de savoirs. La réciprocité vient non seulement de l’inversion des rôles d’offreur et de demandeur chez une même

Page 63: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 63

personne mais aussi de la reconnaissance mutuelle de la valeur de ces savoirs : valeur d’usage et valeur émancipatrice de leur partage.

3.3 Formes actuelles de réciprocité

Dans ses formes traditionnelles, la réciprocité se manifestait par l’hospitalité, la protection, le don des vivres. Créées au sein de relations entre les individus et les groupes sociaux, ces formes de réciprocité sont progressivement devenues des obligations collectives et non-marchandes pour assurer la stabilité et la continuité de la société. Dans nos sociétés contemporaines, ces manifestations demeurent tout en ayant perdu leur caractère obligatoire. Elles remplissent les mêmes fonctions en ayant été adaptées aux modes de vie actuels pour y faciliter la création et le maintien de liens sociaux. Hospitalité : S’il n’y a plus obligation d’assurer le gîte aux autres, le fait d’accueillir chez soi

des personnes prédispose à la réciprocité et aux échanges. Souvent les prestations d’échanges réciproques de savoirs se font dans les maisons. L’utilisation d’un espace personnalisé (privé) favorise une meilleure connaissance et une plus grande compréhension de la personne hôte et amène les invités à se révéler un peu plus eux mêmes, sans utiliser ces comportements de défense qui servent dans les lieux publics.

Protection : Le devoir de protection physique de l’autre n’existe plus sauf en cas d’urgence. Ce sont les états et les gouvernements qui prennent en charge maintenant la protection et la sécurité publique. À l’échelle des personnes, le devoir de « sécurité psychologique » s’est substitué aux obligations de protection physique liées à l’origine à la réciprocité. C’est ainsi que la confiance, le respect de l’autre, la confidentialité sont des facteurs de réciprocité qui contribuent au développement et au maintien des liens sociaux et des relations interpersonnelles.

Don des vivres : À l’obligation du don de vivres (obligation de subsistance) à succédé le partage des repas comme manifestation actuelle de la réciprocité. La convivialité, le partage des nourritures amènent chaque convive à investir un peu plus de lui-même : ses goûts, ses recettes et celles de sa famille ou de son pays d’origine. Il y a, dans l’alimentation, une richesse de savoirs de vivre et de savoirs identitaires. De manière significative, les échanges de savoirs portant sur la cuisine occupent un part importante des activités du Réseau.

4. Réciprocité pensée – réciprocité vécue

Ce compte-rendu du cheminement du groupe de réflexion sur la réciprocité serait incomplet si l’on ne soulignait que chaque participant(e) fut source de réciprocité pour les autres. Cette manière de vivre ensemble et de construire des moments et un lieu de réciprocité ont alimenté et validé ce qui fut, par ailleurs, collectivement construit sur un mode réflexif. Les rencontres de travail se sont toutes déroulées au logement d’un participant. Chacun(e) a apporté des victuailles et du vin. Le partage des idées et l’écoute mutuelle ont favorisé un climat de confiance qui a amené la production de textes personnels. Réciprocité qui nous rend un peu plus nous-mêmes et un peu plus ouverts.

Page 64: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 64

Annexes27

Annexe 1A : André Vidricaire

Des échanges réciproques, qu’est-ce à dire?

Mes expériences actuelles au RERS de Mtl soulèvent énormément de questions et de problèmes au sujet des modalités spécifiques de ce type d’échange dit en « réciprocité ». Voici quelques exemples.

1. Comme offreur, j’ai précisé, en présence de deux médiateurs, une première façon de faire un récit à une personne en demande. Cette dernière a produit un premier texte autobiographique. Mais suite à un premier échange sur son texte, le tout s’est arrêté. Sans préavis. Et je suis sans information sur l’effet ou le résultat.

2. A titre de médiateur, je me suis trouvé devant un offreur et aussi, en d’autres occasions, devant un demandeur qui se désiste en cours de route. Dans toutes ces situations, l’un des deux membres se trouve dans l’impasse, sans qu’il en soit responsable et généralement choisit de laisser tomber.

3. À titre de médiateur, je suis sans nouvelle de personnes qui se sont rencontrées ou qui ont promis de se rencontrer.

4. Comme demandeur, je suis toujours en attente d’une rencontre

Mon rôle Savoirs ???? Objectifs/résultats

Offreur Récit autobio- graphique

???

Médiateur Mécanique auto /Entretien vélo

???

Médiateur Vidéo ???

Demandeur Excel ???

Bref, malgré des efforts énormes, j’en suis encore aux premiers pas dans ces échanges. Il n’y a pas un mouvement collectif que ces initiatives auraient déclenché. Et pour cause. L’échange en réciprocité et dans la réciprocité signifie que les acteurs établissent entre eux un rapport et une relation dont la forme et le contenu sont une construction dynamique et un processus ouvert. En effet, à la différence des échanges commerciaux où les acteurs connaissent des règles préétablies et sanctionnées et s’y conforment, dans les échanges réciproques de savoirs, les acteurs non seulement découvrent, mais aussi apprennent une nouvelle forme de relation et de lien qu’ils ont à mettre en place pour eux-mêmes. C’est pourquoi, sans doute, les demandeurs et les offreurs ne sont pas laissés à eux-mêmes et qu’une personne a le rôle de la mise en relation pour rendre possible et faciliter cet échange de savoirs en réciprocité. En effet, ce tiers-médiateur est celui qui, en concertation avec les attentes des demandeurs et offreurs, traduit clairement les règles et les procédures en amont et en aval que ceux-ci veulent bien se donner; il se présente comme un accompagnateur des modalités de cet échange. Cette présence de ce tiers, absent des échanges commerciaux,

27

Les documents qui suivent sont des notes de travail partagées au sein du groupe de travail sur la réciprocité. Ils ont alimenté et éclairé nos échanges. À l’origine, ils n’étaient pas destinés à la publication, d’où leur caractère souvent schématique et inachevé. Ils illustrent bien les tâtonnements d’une réflexion et d’une pensée qui s’élabore collectivement. Considérant ce qu’ils ont déclenché chez nous, nous choisissons de les partager avec nos éventuels lecteurs et lectrices.

Page 65: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 65

montre bien que cette forme de relation a ses exigences propres à élucider, sans quoi c’est l’impasse, voire l’échec.

De quelle relation s’agit-il ? Quel lien s’établit ? Et comment ? Première hypothèse (zone de coformation) : Entre le demandeur et l’offreur, va s’établir une relation paritaire et solidaire comme pour des compagnons, des collègues pourtant différents 1. qui se donnent du support, 2. aident et assistent, 3. partagent des intérêts communs. Il faut déterminer le comment ? S’agit-il d‘une régulation ouverte par négociation ? Postulant que tout le monde sait quelque chose et que tout ce que le monde sait, il peut le transmettre à d’autres, l’enjeu est de partager/d’échanger cette expertise et cette compétence et de viser la parité cognitive… entre les générations, entre tous les gens porteurs de savoirs existentiels, de savoirs pratiques et/ou de savoirs théoriques, entre les divers milieux socioculturels, etc. Comme on le voit, ce mouvement des échanges de savoirs a comme but et visée sociale une réciprocité générale et généralisée.

Deuxième hypothèse (autre zone de coformation) : Entre le tiers/médiateur et à la fois le demandeur et l’offreur, malgré une disparité fonctionnelle mais non hiérarchique, s’établit aussi une relation paritaire avec l’offreur et le demandeur dans la mesure où il s’agit d’un système d’échange à trois places, c’est-à-dire d’une construction collective d’un système d’apprentissage et aussi d’une construction des conditions cognitives de la démocratie. Cf. Gaston Pineau : « Autoformation et coformation » dans Autoformation et lien social dir. Par S. Alava, éd. Univ. du Sud, 2000, p. 37-51, « La grande boucle étrange du MRERS » dans Éducation Permanente, N° 144, pp. 67-76.

Annexe 1B : André Vidricaire

Une lecture de la réciprocité selon les dictionnaires

1. L’amour réciproque = l’amour mutuel c’est-à-dire que cet amour naît de lui-même de part et d’autre et non pas que cet amour est en chacun en considération et en conséquence de ce qu’il est dans l’autre. Autres exemples : 2. Traité de réciprocité entre pays ? 3. Dans les verbes pronominaux : action exercée par plusieurs sujets les uns sur les autres et dont l’action est à la fois accomplie et reçue par chacun d’eux. 3.1 Réciprocité directe : Séparer deux enfants qui se battent 3.2 Réciprocité indirecte : Ils passent leur temps à se dire des injures 4. J’enseigne le piano à Pierre et j’apprends l’espagnol de Maria, tandis que Serge enseigne l’entretien du vélo à Maria et à Louise et Pierre apprend… La réciprocité n’est pas dans le contenu de l’échange mais dans le fait, l’état que, dans ce réseau, tous s’échangent (enseignent et apprennent, s’enseignent et s’apprennent). Le réseau est cette manière d’être en réciprocité. Il ne s’agit pas d’une action en retour spontanée ou obligée mais d’une manière d’être, d’un état ou rapport relationnel VS La vente = Je vends mon appartement Le louage = Je loue mon appartement

Page 66: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 66

L’échange = J’échange mon appartement du Québec avec une autre personne de la France qui possède, elle aussi, un appartement, sauf dans « nous nous échangeons nos appartements » où est introduite l’idée de l’action qui est à la fois accomplie et reçue par chacun d’eux. Généralement, dans l’action « je vends », « je loue », « j’échange », « j’enseigne » et « j’apprends », il ne s’agit pas d’une action exercée par plusieurs et dont l’action est à la fois accomplie et reçue par chacun d’eux. Alors que dans « j’aime x » c’est généralement un état partagé.

Annexe 2 Jean Lortie

Réciprocité : petit raccourci historique

Les mises en perspectives que nous partageons conduisent à faire des liens entre les expériences partagées et certaines études sur des sociétés traditionnelles ou sur la vie contemporaine pour, en un premier temps, analyser la réciprocité humaine afin de mieux la comprendre et en second temps la (re)construire par l’action dans un projet spécifique : le Réseau d’échanges réciproques de savoirs de Montréal. De tout temps les humains pratiquent la réciprocité par désirs de survie, de subsistance et de développement. Cela débute par des interactions personnelles et se prolonge par des actions collectives. On y retrouve des échanges de biens et de services, mais aussi, comme le soulignent les anthropologues, des échanges cérémoniels et des échanges symboliques qui relèvent du langage et de la communication et qui participent à la manière de vivre ensemble, à la construction de liens sociaux et, finalement, à l’organisation de la communauté (société). On observe que la réciprocité se construit le plus souvent, à l’échelle interpersonnelle comme à l’échelle collective, comme une adaptation à un contexte et à des évènements spécifiques. Dans les sociétés traditionnelles, où les humains se regroupent en petites communautés dans des territoires isolés, l’urgence de se protéger contre le froid, l’obscurité, les menaces naturelles ou animales, sont à la base des premières pratiques de réciprocité. Vient ensuite la nécessité d’organiser la vie collective pour en assurer l’équilibre et la continuité. Mettons en relief deux aspects qui semblent importants dans ces sociétés : d’une part le fait que les échanges de biens et de services se font à partir d’une économie non-marchande où le don est la principale manifestation ; d’autre part la propriété des biens (territoires, habitations, animaux, outils) est davantage collective qu’individuelle. Dans les sociétés contemporaines, si l’adaptation demeure toujours d’actualité, nous sommes en présence d’une omniprésente économie marchande qui conditionne bien des comportements sociaux et la propriété (possessions matérielles, argent, brevets et droits intellectuels) est devenue un puissant moteur à la valorisation de l’individualisme. Ce bref et très incomplet raccourci historique illustre l’importance et le rôle que jouent l’histoire, le contexte et l’environnement dans la construction moderne de la réciprocité et des valeurs qu’elle peut engendrer, telle la solidarité. Faire de la réciprocité un idéal à rencontrer suppose de comprendre d’où elle vient et de l’adapter au milieu et au contexte dans lesquels on désire la développer et l’enraciner.

Annexe 3 : Jeanne Francke

Les mots qui retiennent mon attention et qui se retrouvent dans les deux dernières réunions :

Échanges Dignité. Éviter la logique du manque, être dans une logique de la reconnaissance et du don. Ne pas souffler, mais respecter les rythmes, les êtres, les savoirs. Logique écologique, du faire avec ce qui est, de faire confiance en ce qui est, de voir ce qui est.

Page 67: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 67

Identité Confiance. Il y a des pré-réseaux avant les réseaux d’échanges. J’ajoute que nous n’avons pas intégré de pré-réseaux de personnes d’autres positionnements sociaux et peu scolarisées. Le besoin de sécurité est nommé à plusieurs reprises, stabilité. Les incertitudes à accepter lorsque l’on expérimente un nouveau modèle de fonctionnement. L’importance du lien, de la création de liens, de l’inter Nous avons nommé qu’il faut qu’il y ait plaisir et désir d’apprendre, mais une partie de la population a été brisée dans cet élan de vie. Ce qui serait souhaitable, pour faire évoluer notre réseau, serait d’inclure un plus grand nombre de personnes qui reçoivent peu de reconnaissance de leur savoir. L’écart entre théorie et idéal et réalité est un autre point qui ressort à mes yeux.

Annexe 4 : Marielle Breault

Quelques réflexions sur la réciprocité

La réciprocité se retrouve dans différents champs d’application. J’en ai expérimenté deux dont je tire des réflexions, celui du Réseau d’Échanges Réciproques de Savoirs de Montréal et celui du codéveloppement professionnel. Dans le RERS, la réciprocité existe d’abord dans le fait que la personne est à la fois offreur et demandeur. Elle l’est dans des domaines et des moments différents et habituellement avec des personnes différentes. A titre d’exemple, j’expérimente actuellement avec une autre personne demanderesse un échange sur des notions théoriques et pratiques d’électricité. Qu’est-ce que j’observe? En tout premier lieu, il faut un degré de confiance vis-à-vis l’offreur. Connaît-il vraiment le domaine de l’électricité ? Les informations qu’il donne sont-elles justes, sécuritaires et efficaces? Son contenu est-il clair, facile à comprendre et à mettre en application ? Ensuite, j’éprouve un lien de complicité avec l’autre personne demanderesse. Nos demandes se recoupent-elles ? Sont-elles du même niveau ? Il y a déjà une réciprocité qui se développe dans l’expression des besoins de chacune. Ce qui l’intéresse même si je n’en éprouve pas le besoin dans un premier temps est un plus dans ce que j’acquière à l’intérieur de l’échange et vice versa. Comme la pratique est de rigueur dans ce domaine de l’électricité et rejoint nos demandes, la rencontre se fait tantôt chez une et tantôt chez l’autre. Suis-je à l’aise d’ouvrir les portes de ma maison à des inconnus? Encore là, le lien de confiance est nécessaire et j’ajouterais une certaine notion de confidentialité. Je n’aimerais pas que circulent, dans le Réseau, des informations concernant l’endroit où j’habite, le type de maison et autres informations personnelles. Je n’ai pas encore été offreur car le projet n’a pas eu lieu, faute de disponibilité réciproque du demandeur et de moi, l’offreur. J’ajoute donc à la confiance, à la confidentialité et à la complicité, une souplesse dans la disponibilité pour que la réciprocité puisse exister dans les échanges de savoirs. En codéveloppement professionnel, on retrouve les mêmes ingrédients dans une forme différente. Le codéveloppement est une formation qui mise sur un petit groupe de six à huit personnes et sur les interactions entre les participants pour faire des apprentissages théoriques et surtout pratiques afin d’améliorer sa pratique professionnelle, quelle qu’elle soit.

Page 68: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 68

C’est une formation qui valorise l’expérience et qui part, comme l’échange des savoirs, du fait que chaque personne a des savoirs théoriques, pratiques et expérientiels et que le partage de ces savoirs produit des apprentissages pour chaque membre du groupe. Le groupe se réunit à intervalles réguliers, de quatre ou six semaines, et utilise la méthode de cas. A tour de rôle, chaque personne est client et consultant. Le client présente une situation vraie, réelle, situation qui le préoccupe dans son travail (problème ou projet) et les consultants l’aident, à partir d’une forme structurée de consultation, à y voir plus clair et à agir mieux et différemment. Ainsi, chacun fait des apprentissages. Chacun apporte à l’autre par son écoute, son questionnement et son feedback. Une condition de succès essentielle dans un groupe de codéveloppement est la confidentialité. Pour mettre les vraies affaires sur la table, il faut un climat de confiance entre les individus et ce climat se crée par la conviction et l’assurance que chacun a que ce qui se dit et se vit dans le groupe ne sort pas du groupe. L’engagement, ponctualité et assiduité, de chacun est aussi très important car la richesse des opinions vient du fait de la présence des personnes. S’il manque des participants, il y a moins d’idées qui circulent et l’échange perd de sa richesse et automatiquement de sa réciprocité. La grande différence au niveau de la réciprocité est que le groupe de codéveloppement réunit les mêmes personnes à chaque fois et que la question de demander et d’offrir se fait simultanément entre les personnes. Il est vrai que le fait de demander dans un échange de savoirs apporte aussi à la personne qui offre car elle doit prendre un recul, réviser ses notions et faire l’effort de les transmettre clairement et de les mettre à la portée des demandeurs. Finalement j’ai l’impression qu’en creusant davantage la notion de réciprocité dans le RERS et dans le codéveloppement, on y trouverait encore plus de similitudes que ce qui est exprimé dans ce texte. C’est donc à poursuivre et à peaufiner…

Annexe 5 : A Pierre Dumas

Accord barré

Comment j’ai vécu mon expérience de mise en relation sur l’enseignement de la guitare qui n’a pas fonctionné avec Christian. Quand Rachel m’a demandé si je voulais échanger sur l’enseignement de la guitare avec Christian, je lui ai dit oui même si je ne voulais pas le faire, de peur de provoquer sa colère parce qu’elle l’aime beaucoup. La veille de l’événement j’étais très nerveux, je ressentais des émotions contradictoires, je ne voulais vraiment pas y aller. Je décide de m’y rendre malgré mes conflits internes. La rencontre se déroule bien. On décide même, des dates et du lieu des rencontres. C’est après la mise en relation que les difficultés sont apparues. Je reviens chez moi tout chaviré. Lorsque je suis allé me coucher durant l’après-midi (je travaille la nuit), j’ai fait un rêve en lien avec les émotions que je vivais. Rêve qui m’a fait revivre ma petite enfance (0-4 ans), lequel m’a révélé une grande blessure vécue durant cette période. Donc, suite à ces tensions conflictuelles, je n’ai pas fait l’échange sur l’enseignement de la guitare avec Christian.

Annexe 5 B : Pierre Dumas

La vulnérabilité

Au-delà de tout projet d’échange, il semble qu’il y ait des difficultés, tensions internes au niveau de la rencontre de deux ou plusieurs personnes. Il semble, aussi, que ces tensions touchent à des parties intimes, constructives du soi, interpellent des fragilités, émotivités, peurs, tabous, non-dits, etc. qu’on ne peut ou (qu’on est) pas prêt à formuler. Surtout à un niveau réciproque il y a les interrogations d’égalité, de droit, justice, fraternité etc. qui

Page 69: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 69

rentrent en jeu. À notre insu des questions telles que : est-ce que l’autre a des droits ? Est-il mon égal et/ou complémentaire ? Et moi là-dedans est-ce que je m’accorde des droits ? Me traite-t-on de façon juste et égalitaire ? Suis-je bon ? Aimable ? Ai-je une place, ma place ? Est-ce que je sens supérieur ou inférieur parmi les personnes avec lesquelles j’ai des relations ? Pourquoi quelqu’un ou un groupe de personnes que je perçois, soit supérieur soit inférieur, m’enseignerait-il (me donnerait-il) un savoir quelconque ? Ces questionnements remettent en cause les différentes formes d’images (titres, statuts, diplômes, certificats, uniformes, etc.) que l’on s’attribue (l’humain a souvent tendance – malgré lui – à se cacher, se sécuriser derrière ses illusions pour ne pas voir – ressentir – ses anxiétés, fragilités, manques, etc.) ainsi que les façons traditionnelles d’enseigner, donner et transmettre les savoirs qui est plutôt inclus dans un rapport de force supérieur/inférieur, gagnant/perdant, parce qu’on est obligé de considérer l’autre comme son égal et qui a des droits et parce que chaque enseignement (don) est unique, il n’y a pas de « modèles » sécurisants.

Annexe 5c : Pierre Dumas

La dignité

Lorsque j’écoute l’autre, que je le considère comme une source de savoir, une personne qui peut m’apporter quelque chose, non comme un manque, une sorte de boulet que la collectivité doit traîner, je fais plus que l’aider à satisfaire ses besoins matériels, essentiels à sa survie. Je lui donne la possibilité de se développer, se réaliser, augmenter son estime de soi, de voir le beau en lui, de s’émanciper de ses peurs, fausses croyances, d’aller toucher (faire un « déclic ») ses fibres (valeurs) qui le rend unique. Ce qui permet à la fois de m’écouter, me confirmer et grandir dans mes propres savoirs qui font également que je suis unique. Ce faisant, je lui donne le droit de devenir un auteur, créateur participatif qui, avec son histoire personnelle, pourra enrichir, nourrir la vie en société et contribuer à un monde plus émancipé de ses peurs, juste, fraternel, aimant, égalitaire. Lui-même ayant fait l’expérience d’avoir été reconnu dans son unicité ne sera que mieux placé pour reconnaître les forces des autres.

Annexe 6 : Rachel Jetté

Témoignage

Dans le Réseau de Montréal, j’ai participé aux rencontres d’information, aux réunions de l’équipe d’organisation, à des rencontres informelles à thème comme par exemple; la réciprocité et j’ai fait quelques mises en relation entre des demandeurEs et des offreurEs. Dans l’une ou l’autre de ces rencontres, j’ai toujours constaté des différences d’âges, de personnalités et de compétences sans que cette caractéristique nuise à la rencontre d’Humains égalitaires, complémentaires et prêts à partager le meilleur d’eux-mêmes. Pour moi, c’est cela un réseau. Je sais que je suis une femme d’action mais j’adore écouter, comprendre, et me délecter même, à l’occasion, d’échanges littéraires, philosophiques ou autres… J’ai été bien servie. Pour l’année qui vient, j’aimerais faire l’expérience de l’offre et de la demande. Il me sera peut-être demandé de changer mon contenu - demande : m’initier à l’Hébreu - offre : un regard biblique à partir du symbolisme du corps humain Notre expérience d’un an m’ouvre des portes…

Page 70: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 70

Anastase Ndekezi28 : « En quoi la Réciprocité construit-elle des solidarités ? »

Introduction

La réciprocité et la solidarité sont des termes assez forts qui nécessitent une réflexion approfondie. D’emblée, pour que la réciprocité construise les solidarités il faut des préalables dont notamment un contexte économico-socio-culturelle favorable. Mon intervention risque de surprendre parce que quelque part à une certaine époque, la réciprocité n’a pas que construit la solidarité mais l’a engendrée dans un contexte défavorable, et cela a permis de faire face à certains défis qui se dressaient contre l’Homme sur la route vers le bonheur au moment où il ne les attendait pas. Pour la question de savoir en quoi la réciprocité construit des solidarités, je voudrais vous raconter l’histoire de la vie du Réseau d’Echange Réciproque des Savoirs de Nairobi parce qu’à mon humble avis, les éléments de réponse abondent dans ce récit. Le RERS de Nairobi compte plus de 250 membres de différentes nationalités, c’est en cela que notre réseau a marqué l’histoire car il a pu amener les hommes de différents horizons à vivre en harmonie, à partager leurs savoirs, leurs expériences et à promouvoir l’esprit d’entraide mutuelle. Le fait que notre réseau soit devenu un carrefour des personnes de cultures et civilisations différentes a favorisé l’intégration rapide de différents groupes. Les interactions des expatriés et des nationaux ont forgé les particularités du RERS de Nairobi qui peuvent se résumer en un mot, à savoir la flexibilité de fonctionnement au sein du Réseau. Enfin pour vous permettre de comprendre en quoi la Réciprocité peut construire les Solidarités, nous allons approfondir, en ce qui concerne le RERS de Nairobi, les points suivants : . Création du RERS de Nairobi . Activités et effets du RERS de Nairobi . Difficultés rencontrées . Particularité du projet du RERS de Nairobi . Perspective d’Avenir . Conclusion

Création du RERS de Nairobi

Le RERS de Nairobi tire ses origines lointaines dans les crises qui ont secoué l’Afrique Centrale, sous-région des Grands Lacs dans les années 1990. Les guerres qui ont éclaté dans les pays de la région de l’Afrique centrale ont provoqué la perte des milliers de vies humaines et mis sur le route de l’exil les millions de refugiés. Ce flux de réfugiés a constitué l’une des grandes crises Humanitaires du 20e siècle. La communauté Internationale a apporté son assistance multiforme à travers les organisations humanitaires locales et Internationales pour aider les réfugiés rwandais qui se trouvaient dans les camps situés dans les pays limitrophes (Burundi et République Démocratique Congo) du Rwanda. C’est dans ce contexte que Céline TREMBLAY, alors Représentante de l’ONG OXFAM Québec, est intervenue dans les camps des réfugiés Rwandais situés au nord de la République du Burundi, pour introduire la notion d’échanges réciproques des savoirs. L’échange réciproque

28

Secrétaire exécutif du RERS de Nairobi.

Page 71: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 71

des savoirs qui, à première vue, paraissait comme une activité dirigée contre l’oisiveté des refugiés rwandais a aussi intéressé les Burundais qui vivaient dans les environs du camp. Les Burundais venaient assister aux danses folkloriques organisées dans le cadre d’échanges réciproques des savoirs. En plus des danses, il y avait autour des camps des échanges commerciaux des outils artisanaux rwandais fabriqués dans le cadre des échanges réciproques des savoirs. Petit à petit, les citoyens burundais se sont intéressés aux activités des Rwandais installés dans les camps et ont pris connaissance des Réseaux d’Echanges Réciproques des savoirs La fermeture brutale des camps des refugiés Rwandais et les crises à répétitions dans la sous-région des Grands Lacs ont finalement fait qu’un grand nombre de Burundais, de Rwandais et de Congolais, ressortissant des pays francophones, se sont retrouvés à Nairobi au Kenya, dans un pays anglophone. Nous nous sommes retrouvés dans la métropole Kenyane dans le plus grand dénuement, parce qu’il n’y avait aucune structure d’accueil, alors que nous devions nous intégrer dans ce nouveau milieu. A partir de ce moment, ceux parmi nous qui ont eu des notions des RERS se sont organisés pour mettre sur pied un réseau d’échanges réciproques des savoirs. La 1ère équipe des membres fondateurs était composée par les 6 ressortissants des pays de l’Afrique centrale et de deux Kenyanes. Plus tard, le RERS de Nairobi a bénéficié de l’expertise de Céline Tremblay en septembre 1998, qui l’a consolidé grâce aux conseils techniques. A partir de ce moment, le RERS de Nairobi a commencé à grandir pour inclure plus de Kenyans. Le RERS de Nairobi a été fondé dans le respect de la charte du MRERS et suit les démarches des RERS ; c’est ainsi qu’il a la vision, la mission et les objectifs à atteindre répondant aux besoins des membres.

1. La vision : Etablir une société harmonieuse où toutes formes d’exclusion à l’intégration socio-économique sont éradiquées à travers l’appui aux membres. Accéder aux différentes formations professionnelles ou vocationnelles.

2. Mission : Eduquer les gens à savoir vivre en paix, travailler, partager et construire ensemble à travers les groupes d’échanges réciproques des savoirs et création des initiatives collectives.

3. Les objectifs spécifiques Promouvoir le principe, le processus du RERS et la participation des membres aux initiatives collectives :

- En créant les conditions favorables à l’autoformation et la circulation des savoirs ainsi que de l’information.

- En développant parmi les membres, l’esprit d’entraide mutuelle, de solidarité et la participation active pour que chacun bénéficie du potentiel disponible.

- En développant l’amitié, la collaboration, les réseaux d’échanges, les relations des individus et des organisations intéressées dans l’intégration économique à travers l’éducation populaire et la création collective.

Activités et effets du RERS de Nairobi

Depuis le 18 septembre 1998, le jour où notre réseau a vu le jour, les huit membres fondateurs ont mené les activités diverses qui ont facilité le démarrage et le bon fonctionnement du RERS de Nairobi. L’équipe a fait beaucoup de choses mais ses activités principales sont :

Page 72: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 72

1. La sensibilisation, le recrutement, la mobilisation des membres ; ces activités se font par des animateurs bénévoles. Les membres du RERS ont les tâches de sensibiliser et de recruter les nouveaux membres. La sensibilisation se fait de bouche à oreille, d’un ami au voisin entre les amis, un individu au sein du groupe ou d’une association et la sensibilisation des masses se fait lors des échanges réciproques des danses folkloriques. Les nouveaux membres recrutés sont assistés par les animateurs bénévoles qui organisent les 1ères rencontres, font les suivis et donnent les rapports de la progression des échanges réciproques des savoirs. L’activité a comme pour effet de tisser les nouvelles relations, développer l’estime de soi et la solidarité entre les 203 membres du RERS de Nairobi.

2. Echange réciproque des savoir-faire

Dans ce contexte précis, le savoir-faire qui fait référence aux métiers et à leur apprentissage est généralement manuel. Beaucoup de demandes sont enregistrées en rapport avec l’apprentissage réciproque des métiers mais très peu sont satisfaites. Les échanges des métiers sont les plus demandés parce qu’ils permettent une meilleure intégration économique et socioculturelle dans la métropole de Nairobi. Les échanges réciproques des métiers jusqu’à présent réalisés sont les métiers qui n’exigent pas de matériels didactiques chers. Ces échanges en cours, sont l’apprentissage de la fabrication des cartes postales avec des feuilles de bananiers, la sculpture, la vannerie, l’apprentissage de l’ordinateur et du jardinage. Tous ces échanges sont moins développés, à cause de l’insuffisance du matériel didactique. Les autres demandes en attente sont l’apprentissage de la menuiserie, de la couture, de la soudure, de l’électronique. Ces échanges réciproques sont les plus demandés parce que leur connaissance peut permettre une meilleure et rapide intégration dans la vie socio-économique dans la Ville de Nairobi, mais le matériel didactique coûte cher. Les membres du RERS de Nairobi n’ont pas les moyens de se procurer un tel matériel didactique.

3. Echanges Intellectuels Cet échange fait référence aux connaissances dans les écoles, il s’agit des savoirs classiques, tels que les différentes disciplines. A notre niveau, les échanges intellectuels qui se font sont : les mathématiques, le Français, l’Anglais, l’économie et l’alphabétisation. L’association indépendante « UNIVERSITE INTERNATIONALE LIBRE D’AFRIQUE CENTRALE (UNILAC) » qui est membre du RERS renforce cette activité car les professeurs répondent à nos demandes d’enseignement de diverses disciplines et apprennent à leur tour de petits métiers et des danses folkloriques. Les membres formés offrent aussi ces connaissances, le Français aux jeunes ressortissants des pays des Grands Lacs et aux jeunes Kenyans qui trouvent cette nouvelle langue plus intéressante. Grâce à cet échange, l’intégration socioculturelle s’impose petit à petit car la communauté Kenyane commence à connaître une autre culture francophone en plus de la culture anglo-saxonne seulement. Cet échange a aussi comme effet de donner aux personnes plus démunies les mêmes chances que les riches à accéder aux enseignements universitaires. A travers l’expérience de cet échange, le RERS de Nairobi a favorisé une grande solidarité entre les différentes catégories d’individus.

Page 73: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 73

4. Echanges Interculturels L’arrivée d’un grand nombre de ressortissants des pays de l’Afrique centrale à Nairobi les a mis en contact avec les différents membres des tribus de la Nation Kenyane et d’autres ressortissants du reste du monde et cela a fait naître le besoin de mener une activité d’échange interculturelle pour pouvoir intégrer les différentes communautés. Pour l’intégration rapide, le RERS a organisé des ballets interculturels, des danses folkloriques, des danses traditionnelles des grands lacs, de jeunes massai des filles des tribus Kikuyu, les jeunes s’adonnent aussi à l’acrobatie. A l’occasion d’événements sociaux organisés par d’autres organisations non gouvernementales, nos équipes présentent les différentes danses et en profitent aussi pour découvrir d’autres cultures des peuples ressortissants du Soudan, Somalie et Ethiopie. Ces échanges facilitent aussi l’intégration, la compréhension et la complémentarité des membres de différentes communautés. Les échanges favorisent l’apprentissage de nouvelles langues locales, des modes de vie, des tabous, de la vie en famille et des cultures traditionnelles, des habitudes alimentaires, des croyances traditionnelles et d’autres pratiques culturelles auxquelles nos sociétés d’origine attachent une importance particulière. C’est ainsi que nous sommes parvenus à savoir que la majorité Kenyane croit qu’une personne circoncise est devenue assez grande pour se prendre en charge ou penser comme un adulte. Pour la communauté massai, une fille circoncise a droit de faire l’amour ou se marier. Pour celle de kikuyu, un garçon a droit à sa hutte et y rester et à fonder son foyer. Un jeune homme de la communauté massai qui a atteint l’âge de se marier doit tuer un lion pour montrer qu’il est capable de protéger son épouse et il doit aussi doter plus de cinquante têtes de vaches et une centaine de chèvres. Les effets de ces échanges sont multiples :

- Intermariage entre les ressortissants des pays de l’Afrique centrale avec les Kenyans ;

- Partage des modes de vie entre ces communautés ; - Intégration socioculturelle.

5. Echange sur les ateliers de l’art technique de l’écriture et de la lecture Les participants sont assis en rond autour d’une table et chacun se présente aux autres avant le commencement de ces ateliers. L’animatrice a introduit la technique et a pris ses distances pour un moment afin de laisser les participants de s’exercer. Après les exercices d’échauffement, il était demandé à chaque participant d’écrire n’importe quel mot et de passer la feuille à son voisin et ainsi de suite. Ensuite, chaque participant devait écrire une phrase et passer la feuille à son voisin, et puis les trois phrases, un paragraphe et enfin un thème a été choisi sur lequel chaque participant devait développer et lire à haute voix ce qu’il avait écrit ; les corrections des fautes de syntaxe ou d’orthographe étaient faites ensemble. Ces échanges ont eu pour effet d’encourager les gens faibles à produire les idées car dans la formation formelle, quelqu’un qui s’exerce à lire ou à écrire doit suivre les règles et une méthodologie stricte.

6. Partage des savoirs basés sur l’expérience de la vie et informations Ces savoirs ne sont pas enregistrés dans une fiche de demande et de l’offre, ce genre de partage naît de la rencontre des personnes d’origines diverses qui ont vécu des

Page 74: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 74

expériences de vies différentes. L’interaction des membres de différentes communautés des personnes vivant dans des situations différentes, ayant passé dans des systèmes d’éducation différente, crée un espace riche d’expériences. Cet échange a des effets positifs sur le psychique des personnes qui ont vécu des conditions traumatisantes comme les réfugiés. Cela diminue aussi l’anxiété et l’état de dépression. Ceci est aussi bénéfique aux citadins défavorisés qui subissent les frustrations de la société moderne indifférente à leur misère.

7. Renforcement des capacités des ressources humaines En vue de renforcer les capacités de ses animateurs bénévoles ; le RERS de Nairobi a organisé un atelier de formation en 1999 dont le thème était : « La démarche des RERS dans le contexte socioculturel Kenyan, comment intégrer la notion dans le processus de formation et d’intégration socio-économique des individus et des communautés ? ». Les objectifs de cet atelier étaient les suivants :

- Analyser la démarche des RERS et déterminer les conditions de son applicabilité dans l’environnement socioculturel kenyan ;

- Elaborer des stratégies appropriées pour réaliser les objectifs de l’organisation ; - Constituer un dossier offre et demande et jeter les bases d’un plan d’action.

Les travaux en atelier ont été menés en groupe de cinq personnes, chaque groupe devait réfléchir sur un thème spécifique. C’est ainsi que grâce à cette journée, l’organisation a pu adopter les stratégies de mobilisation des membres et l’étude de l’importance des projets collectifs.

8. Encadrement des jeunes désœuvrés La majorité des membres du RERS de Nairobi est composée par des jeunes démunis, marginalisés et désœuvrés. A chaque annonce d’emploi passée dans les journaux et les mass média, leurs offres sont refoulées à cause du manque d’expérience. Les jeunes sont frustrés et se demandent comment on peut acquérir l’expérience s’il ne leur est pas donné l’occasion de travailler ? Cette situation pousse certains jeunes à s’adonner aux activités illégales telles que le banditisme, la prostitution, la consommation de la drogue etc. pourtant, ces jeunes garçons et filles sont dotés d’intelligence et de différents talents. C’est ainsi que notre RERS a décidé d’agir en encadrant et mobilisant les jeunes pour qu’ils puissent gérer sagement leur situation. Il est évident que les jeunes et d’autres membres de notre RERS n’ont pas de fonds à investir pour se créer des opportunités d’emploi, même s’ils ont l’intelligence, la force et la volonté de travailler. C’est dans ce cadre que notre réseau aide les membres à mettre sur pied des projets collectifs d’échanges réciproques qui n’exigent pas beaucoup d’investissements financiers. Parmi les projets d’échanges réciproques montés, il y a une troupe folklorique africaine appelée « Ballet Interculturel Africain ». Très récemment, grâce à l’aide de l’organisation Terre sans frontière, le RERS de Nairobi a lancé un modeste projet d’apprentissage de l’ordinateur et de l’internet. Le RERS de Nairobi cherche des moyens pour lancer aussi d’autres projets d’échanges de menuiserie, de jardinage urbain (agriculture) et la couture. Le RERS de Nairobi renforcera aussi son partenariat avec l’UNILAC.

Page 75: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 75

Difficultés rencontrées

- Le démarrage du RERS dans la ville de Nairobi a été confronté aux problèmes de la pauvreté absolue. Presque tous les membres sont des personnes défavorisées résidant des bidonvilles de Nairobi.

- Au démarrage du RERS de Nairobi, nous avons fait face à la méfiance voire à la persécution dans certains cas.

- Certaines demandes et offres de savoir ne sont pas satisfaites, faute de moyens.

- Certains membres du RERS vivent la situation traumatisante de vivre une situation de refugié non reconnue.

Atouts du RERS de Nairobi

Le RERS de Nairobi est une organisation reconnue par les autorités Kenyanes et il a reçu une autorisation légale lui permettant de mener ses activités publiquement. Il se distingue par sa flexibilité de fonctionnement et sa démarche inclusive qui voit en chaque être humain une valeur. En effet dans le contexte actuel d’évolution de RERS, la valeur de l’Homme se mesure par rapport au poids de son compte bancaire. Cette situation ne donne pas de chances égales à toutes les personnes et ne favorise pas l’équité en ce qui concerne la justice sociale. Le RERS de Nairobi offre à ses membres un espace d’épanouissement en considérant le principe d’égalité des savoirs et de la réciprocité ouverte des savoirs.

Conclusion

L’histoire du RERS Nairobi a prouvé sa capacité à s’adapter aux situations diverses ; en effet l’échange réciproque des savoirs a pu réduire le traumatisme et faciliter la solidarité des refugiés installés dans les cas aux Burundi. Le RERS a aussi ses preuves dans la métropole de Nairobi en favorisant la solidarité entre différentes populations. En effet, le fait d’échanger gracieusement et réciproques les savoirs favorise l’estime et l’amitié entre les membres. Je voudrais conclure sur la note d’espoir de voir que la solidarité qui existe entre les membres d’un même réseau d’échange réciproque des savoirs puisse aussi s’établir au niveau international entre les différents RERS nationaux. Enfin, je m’en voudrais prendre cette occasion unique pour remercier vivement les organisateurs des présentes assises, pour avoir invité notre RERS et facilité notre participation29.

Christian Mongin30 : « Conclusion » J’accompagne les RERS depuis vingt ans. Echanges de savoirs mais aussi création collective. J’ai participé aux nombreux débats qui ont accompagné l’histoire des RERS : - Echanges de savoirs, projet de société ou outil de travail social ? - Rapport au politique ? - Mode de structuration des RERS, exercice du pouvoir, circulation de l’argent, comment articuler un fonctionnement en réseau avec une gestion associative ? - Valorisation de l’inattendu, des effets induits, de l’impact ?

29

Le MRERS, avec une subvention du Conseil Général de l’Essonne, avait pu prendre le billet d’Anastase. Celui-ci n’a pas obtenu son visa ! 30

Ancien président du MRERS, médecin.

Page 76: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 76

L’objectif de mon intervention est de dégager, en témoin naïf, une synthèse ou des conclusions des interventions précédentes, ce qui est, bien sûr, impossible vu leur diversité et leur richesse. Je vais donc essayer de m’en sortir en posant de nouvelles questions.

Je reprends donc le thème de cette table ronde : Pourquoi la réciprocité ne fait-elle pas du collectif et du réseau de la même façon partout ? Convergences et singularités de nos démarches. D’emblée, nous sommes confrontés à une affirmation de principe : « la réciprocité » fait du collectif. En est-on si sûr ? Marcel Mauss nous avait déjà démontré que don et contre-don peuvent créer de l’exclusion et de la dépendance (voir le potlatch des indiens Kwakiutl qui a tant fasciné Lévi-Strauss). Le don comme l’amorce d’une relation réciproque mais aussi porteur d’agressivité paradoxale. Le mot gift signifie cadeau en anglais et poison en allemand. Comment éviter les cadeaux empoisonnés ? La dette ne peut être levée que par un don réciproque effectué dans la parité.

Trois questions :

- De quelle réciprocité parle-t-on, de quelle réciprocité nous ont parlé les intervenants précédents ? - Peut-il y avoir réciprocité sans relation au collectif ? - Comment lire la création collective dans le temps et l’espace ?

La première question à se poser est :

1. De quelle réciprocité parle-t-on ?

La réciprocité dont chacun vient de parler est celle qui se construit dans l’altérité, dans l’affirmation qu’autrui est l’incarnation d’une humanité partagée. Il y a trop de philosophes à cette table et le temps nous est compté pour que j’aille plus loin, mais le mouvement auquel nous participons s’inscrit dans cette longue histoire qui associe Husserl, Heidegger, Levinas et Ricoeur. La reconnaissance de l’autre comme un autre moi est au cœur des démarches qui nous ont été présentées.

2. Peut-il y avoir réciprocité sans relation au collectif ?

Pourquoi utiliser un substantif ? Pourquoi collectif et pas société ? La réciprocité crée du collectif mais n’est ce pas aussi le collectif qui permet une réelle réciprocité ?

1er terme. La réciprocité crée du collectif. Evolution collective : d’abord réciprocité – échange entre deux personnes, puis deux groupes, deux ou plusieurs réseaux (les inter-réseaux) et maintenant nous abordons une nouvelle étape : réciprocité entre institutions différentes, entre cultures différentes. Nous prenons acte d’une autre dimension du collectif qui pose la question de la réciprocité et du politique. Voir RERS et groupe santé.

2nd terme. Mais seul le collectif permet une vraie réciprocité. Peut-il y avoir une vraie réciprocité qui ne soit reliée à du collectif ? Que devient une relation duelle sans relation aux autres ? La réciprocité ne doit-elle pas sortir de cette relation duelle pour permettre un échange à parité ? Est-il possible de faire du réseau fermé ? Les interventions nous ont montré que les échanges s’intégraient tous dans un contexte collectif, de natures diverses.

Page 77: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 77

3. Comment lire la création collective dans le temps et l’espace ?

Nous abordons une nouvelle étape : interroger la réciprocité dans le temps et l’espace. Voilà venu le moment des singularités. Nous abordons le monde de la réciprocité nomade, de la réciprocité qui voyage dans le temps, l’espace et les cultures. Singularités au cours de l’histoire ; Singularités qui s’inscrivent dans un milieu culturel particulier ; Singularités de l’objet de l’échange ; Singularités dans la structuration de la démarche.

Conclusion : Convergences et singularités

Convergences au niveau des valeurs qui fondent la réciprocité et le collectif. Singularités dans le temps de notre histoire et l’espace de nos cultures, singularités dans la traduction et la mise en œuvre de la réciprocité et du collectif.

Pour conclure, je redirai que la démarche engagée ici introduit une autre dimension de la participation de chacun à l’action collective. Face aux bouillies idéologiques qui font appel à une participation factice ou à une émotion manipulée, la réciprocité dont nous parlons ici innove de façon radicale dans l’élaboration d’un projet collectif et nomade, pour ne pas dire projet de société ou politique.

Je souhaite que ces journées permettent de participer collectivement à l’émergence de la société de demain.

Page 78: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 78

Vendredi 28 novembre 2008

DDoommiinnaannttee :: RRéécciipprroocciittéé eett ccoonnssttrruuccttiioonn ddee llaa ssoocciiééttéé

Réciprocité et citoyenneté, lien social, Vivre ensemble, économie solidaire…

Introduction par Marc Héber-Suffrin

Il en est des gros livres comme des vastes contrées : ils nous intimident. Je ne vais m’y rendre que par le pas à pas et, si possible, un guide à la main. Je ne vais m’y aventurer qu’accompagné. Plus familiarisé, je tracerai, dans le futur, mes propres trajets et les visites répétées et les séjours prolongés et les fouilles approfondies.

Lecteur assuré : à ta guise !

Lecteur intimidé : ici, quelques balises !

Lecteur qui souhaitera étudier (étudiant, donc) seul ou en coopération : les domaines

visités sont ici accompagnés de signalisations.

Guide général des ateliers et tables-rondes du vendredi 28 novembre

1. Théories pédagogiques systématisées (ça ne veut pas dire qu’ici la pratique serait négligée ; elle est là, accompagnée de projets, de justifications, d’éléments de défense et illustration ; elle est là embellie des raisons morales et intellectuelles d’être ainsi exposée) : - Henryane de Chaponay, Michel Séguier, Françoise Garibay et la présentation d’un

ouvrage sur les pratiques émancipatrices et les apports de Paulo Freire. - Laurent Ott et une méthodologie en sept points pour une pédagogie sociale. - Bernard Defrance et des réflexions sur la forme scolaire, Droits des enfants. - Jean Roucou et les démarches éducatives d’un territoire.

2. Recherches pédagogiques en cours (cette catégorie est polyvalente puisque l’on pourrait aisément soutenir que l’ensemble de ces actes est justement susceptible d’y figurer – mais il faut bien essayer de nuancer et de diversifier les « points d’observation », notion plus ouverte que celle de catégorie qui porte le risque de limiter les approches ou d’empêcher la multiplication des approches) : - Zina Ouaglal et la recherche de l’identité réciprocitaire. - Béatrice Barras et l’articulation entre échanges de savoirs, échanges de pratiques,

coopération et entreprise. - Martine Lani-Bayle et l’intergénérationnel comme ouverture des accès aux univers

symboliques. - Laetitia Gougis : Réseaux et reliance (transmission d’apports d’un mémoire de

DEA).

3. Actions-recherches pédagogiques en cours et achevées (la même remarque que ci-dessus sur le caractère très polyvalent de cette catégorie mérite d’être formulé ici aussi. Une autre difficulté tient en ceci qu’il n’est pas toujours certain que telle action-recherche qui semble achevée le soit définitivement) :

Page 79: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 79

- Brigitte Darin et la Maison de la formation d’Emmaüs. - Bernadette Cheguillaume et la Caravane des femmes. - Béatrice Barras et le réseau REPAS. - Danielle Coles, Frédérique Segonnes, Jacques Bohem et Béatrice Cuny et la

création collective de l’association. - Catherine Bernatet, Lucienne Chibrac, Maria Sanhueza-Six, Séverine Papon et

Hélène Olivarès et une démarche De la formation professionnelle jusqu’au projet de vie.

- France Lacaze et une équipe du réseau d’échanges réciproques de savoirs d’Evry : vers la formation professionnelle, une démarche de capacitation.

- Ginette Francequin : élaboration d’un livre et échanges de savoirs. - Céline Tremblay : échanges de savoirs en situation extrême. - Martine Lani-Bayle : de l’intergénérationnel pratiqué.

Toutes ces actions-recherches apparaissent ici comme des récits d’expériences qui ne demandent qu’à être imitées, transposées, exploitées.

4. Recherches-actions sociétales larges - Brigitte Darin et une expérimentation dans un grand mouvement. - Martine Ruchat et les questions de la gérontagogie. - Agnès Ballas, Marie-Jo Legrand et Christelle Séchet sur les échanges réciproques de

savoirs et les pratiques communautaires de santé. - Patrick Viveret qui propose une lecture de la situation géopolitique globale au

regard des réponses que pourrait offrir la réciprocité. - Patrick Brun et l’ATD (Aide à toute détresse), du croisement des savoirs à l’espoir

de croiser les pouvoirs. - Laurent Gardin : la réciprocité dans le champ de l’économie sociale et solidaire,

elle-même dans les champs économiques globaux. - Mariano Capitanio : des réseaux pour l’intégration de grands groupes sociaux

immigrés. - Béatrice Barras sur la question de l’entreprise d’économie solidaire qui réussit. - Philippe Lefèvre sur le concept de santé communautaire, ses pratiques et leurs

méthodologies. Ainsi que sur les articulations entre les « Je » et les « Nous ».

5. La place de l’individu singulier - André Vidricaire et un regard attentif sur une personne face aux subtilités de la

réciprocité qui pourrait être considéré comme une vigilance heuristique. - Jean-Yves Abasq : l’estime de soi, objet de soins. - Laurent Ott : la personne est toujours en devenir. - Tina Steltzlen et un collectif du réseau de Mulhouse sur la réappropriation de soi

par le chemin de la réciprocité.

6. Disciplines au sens scolaire ou universitaire - Gérard Gautier et les acquisitions de savoirs scientifiques et techniques, les expos

sciences. - Hervé Prévost, le jardin partagé, lieu d’apprentissages scientifiques. - Louis Louvel et Jacques Guyard : démocratie, institutions, science politique. - Laurent Gardin, l’économie sociale et solidaire. - Jean Roucou et Bernard Defrance sur la prospective éducationnelle. - Jacques Guyard sur l’histoire des institutions territoriales.

Page 80: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 80

7. Formation professionnelle - Anaya Nadifi : apprentissages culinaires et formation professionnelle. - Catherine Bernatet, Lucienne Chibrac, Maria Sanhueza-Six, Séverine Papon et

Hélène Olivarès : redynamisation, histoires de vie, réussites antérieures… - Brigitte Darin : les compagnons d’Emmaüs formateurs les uns des autres. - France Lacaze et son équipe d’Evry : le réseau d’échanges réciproques de savoirs et

un plan local d’insertion. - Abdoulaye Konté : ré/insertion de grands exclus à Saint Louis du Sénégal.

8. Lutte contre les exclusions - Tous les exemples donnés en 7 pourraient être reproduits ici. - Ana Dubeux : quand 6000 familles, des écoles, et l’université travaillent avec une

coopérative de recyclage, au Brésil.

9. Citoyenneté, civisme - On ne reprendra pas l’intitulé des interventions de Gérard Gautier, Louis Louvel,

Bernard Defrance, jean Roucou, Jacques Guyard, Mariano Capitanio… - Christiane Coulon : une démarche civique en ce que les étapes de la création

collective font l’objet d’un apprentissage par tous. - Eugénie Thiery, Françoise Braquemart et Aline Souval : de l’appui sur des intérêts

particuliers à la mutualisation des moyens et des savoirs vers la construction d’un objet social et du bien commun.

- Patrick Lalanne : des habitants deviennent éco/consommateurs, coopérateurs en matière d’énergie, etc.

- Marie-Odile Dias, Esther Cermek, Marie-Lou Dicks, Gisèle Brun et Maryannick Terrier : méthodologie participative adressée aux habitants de la ville d’Aubenas.

10. Les chemins de la création collective - Annie Herr, Claudine Lepsâtre et Jean-Yves Lods sur la mise en relation collective. - Christiane Coulon et la création collective de fresques sur des sujets illustrant des

valeurs (Droits de l’homme…). - L’équipe du Réseau de Saint-Jean de la Ruelle et, tout à la fois, la création collective

du réseau et la création d’un calendrier perpétuel donnant à voir des ateliers d’écriture, la création collective d’une exposition des écritures qui en sont issues et toute une démarche de choix, de négociation, d’harmonisation pour créer un bel objet.

- Eugénie Thiery, Françoise Braquemart et Aline Souval et les puces des couturières pour relancer le réseau.

- Marie-Odile Dias, Esther Cermek, Marie-Lou Dicks, Gisèle Brun et Maryannick Terrier : démarche de formation-action avec une méthodologie participative.

- Danielle Coles, Frédérique Segonnes, Jacques Bohem et Béatrice Cuny et la création collective de l’association, mais aussi de leur intervention lors de ces rencontres.

- Tina Steltzlen et l’équipe de Mulhouse : la création collective de l’intervention aux Rencontres internationales, dont ces actes rendent compte.

- Ginette Francequin : élaboration collective d’un ouvrage sur Le Vêtement au travail, seconde peau.

- Mariano Capitanio, mobilisation de nombreuses associations d’une commune pour un événement interculturel.

Page 81: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 81

- Patrick Brun : écriture collective du Croisement des savoirs et travaux en cours. - Joséphine Ouedraogo, la mise en réseau des savoirs traditionnels. - Hélène Jospé et la création collective à partir des savoirs traditionnels.

11. L’interculturel - Bernadette Cheguillaume, Mariano Capitanio

12. L’intergénérationnel - Compte-rendu de la réflexion de l’atelier où participaient Céline Tremblay, Sylvie

Sesma, Mounir Nabil, Nasséra Benaïssa, Martine Ruchat et Michel van Den Abeele. - Nasséra Benaïssa : enrichissements réciproques d’un réseau d’échanges

réciproques de savoirs et d’une maison de retraite. - Martine Lani-Bayle porteuse d’un important travail théorique, universitaire depuis

de nombreuses années. - Martine Ruchat, porteuse également de recherches théoriques universitaires et de

liens pratiques sur la gérontagogie.

13. Réciprocité et projet de vie - Tina Steltzlen, Catherine Bernatet, Lucienne Chibrac, Maria Sanhueza-Six, Séverine

Papon et Hélène Olivarès et Béatrice Barras.

Lecteur, si tu entres dans ces textes à la recherché d’autres lumières comme, par exemple,

d’outils de formation, de méthodes pour l’action, de systèmes de conduite de projet collectif, d’éléments pour des ateliers de lecture/écriture, ou pour des ateliers d’écriture/lecture, ce guide d’entrée peut te certifier que tous ces textes te seront favorables.

DDéébbuutt ddee jjoouurrnnééee tthhééââttrraall avec «Le temps de dire ouf ! » par Grégory Faive

TTaabbllee--rroonnddee NN°° 22,, aanniimmééee ppaarr OOlliivviieerr LLaass VVeerrggnnaass :: LLaa rréécciipprroocciittéé ppeeuutt--eellllee aaggiirr àà ggrraannddee éécchheellllee ??

Pourrait-on aller jusqu’à se dire qu’on ne peut pas se contenter de faire de la réciprocité à petite échelle et qu’il faut donc aider à la dissémination de cette possibilité ? Perdrait-on quelque chose en diffusant cette notion à grande échelle ?

Laurent Gardin31

: « La réciprocité, comportement économique dominant de l’économie solidaire ? » La réciprocité joue un rôle central dans la définition de l’économie solidaire (Eme et Laville, 2006). Ce concept, et plus largement celui sur l’économie plurielle (Roustang et al.,

31

Maître de conférences en sociologie à l’Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, chercheur à Réseau 21, Institut du développement et de la prospective et au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise, CNRS-CNAM). Il est l’auteur de Les initiatives solidaires, la réciprocité face au marché et à l’Etat, Ramonville Saint-Agne, Editions Eres, 2006.

Page 82: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 82

1996), ont repris l’approche de Polanyi selon laquelle le marché n’est pas le seul mécanisme de l’économie et qu’il convient de s’inscrire dans une approche non pas formelle mais substantive de cette dernière. Cette définition désigne le sens substantif du terme économique à partir de « la dépendance de l’homme par rapport à la nature et à ses semblables. Il renvoie à l’échange entre l’homme et son environnement naturel et social. Cet échange fournit à l’homme des moyens de satisfaire ses besoins matériels » (Polanyi, 1975, p. 239). Ces travaux montrent que le marché n’a pas toujours été dominant et que sa place prépondérante est à relativiser du fait des rôles joués par les mécanismes de redistribution et la réciprocité.

L’objectif de cette communication est d’apprécier dans quelle mesure la réciprocité est en capacité d’être un principe intégrateur dominant les comportements relevant du marché et de la redistribution. Elle prend appui sur l’analyse de plusieurs centaines d’initiatives solidaires en France et en Europe dans des domaines variés : services de la vie quotidienne, de l’environnement, de la culture et des loisirs, de l’amélioration du cadre de vie les entreprises sociales d’insertion par l’économique, le commerce équitable, la finance solidaire… (Laville, Gardin, 1999 ; Gardin, 2006 b). Dans un premier temps, il faudra, après avoir précisé les définitions des comportements économiques, analyser comment ces initiatives solidaires mobilisent différentes formes de réciprocité. Dans un second temps, il s’agira de mettre en évidence les tensions et compromis qui apparaissent entre la réciprocité, le marché et la redistribution afin de comprendre les conditions permettant de délivrer une fonction intégratrice à la réciprocité.

La réciprocité et la pluralité des économies

La pluralité des principes économiques

Polanyi expose les principes de réciprocité notamment à partir des travaux des anthropologues Malinowski et Thurnwald sur les Trobriandais de Mélanésie occidentale. Leur économie est basée, avant tout, sur un principe de don et contre-don permanent sans qu’il soit possible de dresser un bilan et de chiffrer ces faits. « La réciprocité exige une réponse adéquate, non une égalité mathématique. » (Polanyi, 1975, p. 100). Aujourd’hui, la réciprocité se traduit à partir d’engagements bénévoles, de réseaux de solidarité, de dons… Dans les recherches anthropologiques, la redistribution, quant à elle, passe par la remise d’une partie considérable des produits et de la chasse au chef de l’île, par l’intermédiaire des chefs de village. Ce système d’emmagasinage donne ensuite lieu à des fêtes, cérémonies, festins où les produits sont redistribués. Cette redistribution assure une division du travail où la diversité des biens centralisés, puis réaffectés, permet de faire circuler la production. Elle est dominante dans les économies de grandes échelles (royaume d’Hammourabi, Babylonie, Nouvel Empire d’Egypte) qui prenaient des formes de « despotismes centralisés de type bureaucratique » (Polanyi, 1983, p. 81). De nos jours, l’État et les organismes sociaux de redistribution assurent cette fonction sous des formes variées s’appuyant sur la démocratie représentative, les régimes d’assurance sociale, les services publics… Enfin, le marché a des origines remontant à la fin de l’âge de pierre (ibid., p. 71) mais il ne jouera un rôle dominant qu’à partir du 19ème siècle ; il correspond à un type d’échange particulier. En effet, Polanyi distingue trois types d’échanges : le simple mouvement spatial d’un « changement de lieu » en passant d’une main à une autre (échange opérationnel) ; les mouvements d’appropriation de l’échange, soit à un taux variable (échange décisionnel), soit à un taux fixe (échange intégratif). L’échange [marchand] n’apparaît comme une forme d’intégration que lorsqu’il se

Page 83: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 83

situe dans un cadre d’appropriation à taux négocié (Polanyi, 1975, p. 248). Quand l’échange est à taux fixe, l’économie est intégrée par les facteurs qui déterminent ce taux et non par le mécanisme du marché. Ces facteurs peuvent être la réciprocité ou la redistribution. La création de prix variables est l’élément qui permet de distinguer le marché des autres registres économiques. Dans ce comportement économique, les acteurs de l’échange cherchent à maximiser leur gain.

Le tableau qui suit permet de dégager les critères distinctifs des trois comportements économiques que sont la réciprocité, la redistribution, le marché32. Les relations marchandes sont fondées sur la poursuite de la maximisation des intérêts individuels dans l’appropriation de biens et de services. La redistribution vise la satisfaction de l’intérêt général à partir d’une autorité centrale connaissant des modes de fonctionnement pouvant être ou non démocratiques. La réciprocité se fonde, quant à elle, sur des rapports de symétrie fondés sur le don et le contre-don où le lien entre les individus et les groupes participant à l’échange importe plus que les biens échangés. Ces différents comportements économiques engendrent des types de prestations spécifiques qui peuvent être mobilisées par l’économie solidaire : les subventions versées dans le cadre de la redistribution, la vente de biens et de services propre au marché, le don et le bénévolat relevant de la réciprocité.

Comportements économiques

Critères distinctifs

Marché [Echange décisionnel]

Redistribution Réciprocité

Relations entre acteurs et objet des échanges

Relation symétrique d’équivalence entre les biens

Relation hiérarchique avec une autorité centrale

Relations entre personnes et groupes symétriques

Temps Immédiateté de l’échange Relation durable Resserrement durable des réseaux de relations sociales

Institutions caractéristiques Entreprises capitalistes Etat, collectivités, organisation parapubliques

Economie solidaire

Types de prestation Achat de biens et services Subventions, conventions Dons, bénévolat

Principe dominant Intérêt individuel – Gain Intérêt général - Obligation Don et contre-don

Tableau 1 - Critères distinctifs de la pluralité des comportements économiques

32

Un dernier principe, celui de l’administration domestique, consiste à produire pour son propre usage. Polanyi le présente à partir de la différence faite par Aristote entre l’œconomia, la production pour l’usage et la chrématistique, la production pour l’acquisition d’argent. L’administration domestique se fonde sur l’unité autarcique avec des noyaux institutionnels différents : le sexe pour la famille, le lieu pour le village, le pouvoir politique pour le village avec des modalités d’organisation démocratiques ou despotiques. (Polanyi, 1983, p. 83). Ce principe n’a pas été retenu pour la modélisation de l’économie solidaire. Il faut toutefois noter que toute une partie de travaux domestiques peuvent passer de la sphère privée vers la sphère publique notamment à partir du transfert dans l’économie solidaire. En outre, certaines initiatives de l’économie solidaire cherchent à promouvoir l’autoproduction accompagnée que ce soit dans les domaines du logement, du jardinage… pour des personnes privées de la possibilité de faire par elles-mêmes pour diverses raisons : méconnaissance des gestes techniques, manque de confiance, manque d’outils ou encore manque d’espace pour mettre en œuvre leurs savoir-faire. Cf. www.padesautoproduction.org

Page 84: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 84

Les différents types de réciprocité

Toutefois l’analyse des initiatives solidaires présente une pluralité des formes de réciprocité si l’on s’intéresse au degré d’homogénéité et d’hétérogénéité des acteurs, et à la symétrie ou l’absence de symétrie dans les rapports noués entre eux. En effet, trois catégories d’acteurs principaux peuvent être parties prenantes dans l’émergence, puis des organes dirigeants des initiatives : les consommateurs ou usagers du service, les travailleurs, les bénévoles ; deux autres : les représentants de la collectivité publique et les apporteurs de capitaux sont aussi mobilisables, mais en principe de manière moins centrale. Trois grands types de réciprocités apparaissent alors : la réciprocité relevant de groupes hétéro-organisés qui associent un groupe distinct de celui à qui est destiné le service et où se réalise la réciprocité inégalitaire ; celle de groupes homogènes et auto-organisés qui associent des pairs, qu’ils soient futurs travailleurs ou usagers : la réciprocité entre pairs ; la réciprocité qui associe des acteurs hétérogènes variés, usagers, salariés ou bénévoles, tout en les plaçant dans une situation symétrique : la réciprocité multilatérale.

Dans la réciprocité inégalitaire, « le don sans retour », les créateurs mettent en place des activités pour répondre à des demandes sociales de services ou d’emplois émanant d’acteurs extérieurs au groupe initiateur. Ces promoteurs de projet sont soit des groupes de militants ou de bénévoles, soit des professionnels, soit des collectivités locales. Cette réciprocité inégalitaire peut se faire en direction des salariés comme l’illustre le fonctionnement de nombreuses structures d’insertion par l’économique, mais aussi des usagers des services qui peuvent difficilement participer à la mise en place des initiatives comme dans l’aide à domicile aux personnes en perte d’autonomie ou encore, de services lancés par des collectivités locales qui initient des projets sans associer les habitants concernés.

Les initiatives issues de groupes de pairs visent à créer des structures qui vont répondre aux besoins et aspirations de leurs initiateurs. Trois types de groupe apparaissent : ceux composés des futurs travailleurs de l’organisation en gestation, c’est notamment l’exemple des coopératives de production ; ceux où consommateurs et producteurs ne peuvent être différenciés, il va ainsi des systèmes d’échange local ; ceux qui comprennent principalement les futurs usagers du service comme les crèches parentales qui à leur début comme « crèches sauvages » fonctionnaient uniquement avec l’implication des parents.

Ces deux premières formes de réciprocité sont relativement connues : la réciprocité inégalitaire correspond à la solidarité pour autrui lorsque le bénéficiaire se trouve dans une position où il ne parvient pas à rendre ce qui lui est attribué, elle renvoie à la charité ; la réciprocité entre pairs correspond à l’entraide mutuelle de groupes homogènes. La réciprocité multilatérale est moins explorée ; elle se fonde sur des groupes hétérogènes mais permet la participation d’acteurs qui, tout en étant différents (usagers, travailleurs, bénévoles…), se placent dans des situations symétriques. Deux types d’initiatives s’inscrivent dans une telle réciprocité : certaines initiatives, dès leurs origines, entendent associer des acteurs multiples dans des positions symétriques ; d’autres initiatives vont évoluer d’une réciprocité inégalitaire ou d’une réciprocité entre pairs vers une réciprocité multilatérale.

Les initiatives fondées sur la réciprocité multilatérale sont multiples, elles associent des acteurs diversifiés qu’elles entendent placer dans des positions symétriques : ce peut être les rapports noués dans la finance solidaire entre apporteurs de capitaux, jouant aussi un rôle de bénévole, et créateurs d’entreprises comme cela se manifeste avec les Cigales. C’est aussi les liens nouveaux qu’essaient de développer le commerce équitable ou les associations pour le

Page 85: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 85

maintien d’une agriculture paysanne entre producteurs et consommateurs. C’est encore les rapports noués au sein des régies de quartier qui associent pour la conception et la gestion locale de services collectivités locales, logeurs sociaux, associations et habitants. Les rapports se nouant au sein des réseaux d’échanges réciproques de savoirs me semblent relever aussi de cette dynamique. Le statut de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) est venu reconnaître cette possibilité d’association de multiples parties prenantes, mais les exemples dépassent largement ce cadre juridique.

Des initiatives fondées sur la réciprocité inégalitaire peuvent être amenées à rechercher des moyens appropriés de mobilisation des bénéficiaires dans un second temps. Les associations d’aide à domicile mobilisent difficilement des personnes âgées dépendantes dans leur création pourtant les modalités de mise en place du service peuvent faire naître une réciprocité multilatérale. Les associations jouent un rôle important de médiation entre les intervenants à domicile et les usagers, pour parvenir au quotidien à une construction conjointe de l’offre et de la demande. Dit autrement, l’absence de contre-don peut s’inscrire dans le cadre d’un don juste, d’une réciprocité symétrique s’il existe une prise en compte de la demande. « Il n’est donc plus possible de donner en ayant comme seul souci sa renommée, son rang par rapport à autrui. La compétition pour le prestige est soumise au respect d’autrui. D’autre part, le don n’apparaît pas seulement comme obligation morale, il rencontre une exigence d’autrui qui lui dicte ses conditions » (Temple et Chabal, 1995, p. 190-191). Les initiatives fondées sur un « don sans retour », s’inscriraient dans une réciprocité multilatérale à la condition que ce groupe bénéficiaire soit respecté et puisse « dicter ses conditions ».

La réciprocité est alors « une tentative de rééquilibrage permanent, de mise en cohérence entre l’altérité et l’égalité ; elle est une tension permanente, constructive et cognitive » (Héber-Suffrin, 1998, p. 214). Cette intervention des donataires les conduit à devenir des acteurs ne bénéficiant pas uniquement de service mais intervenant sur leur définition et leur construction. La réciprocité ne se limiterait alors pas aux trois étapes caractéristiques du don : « donner », « recevoir », « rendre », mais en intégrerait une première originelle qui serait « faire valoir ses droits », « oser demander » comme le signale Guérin (2003, p. 59) à propos des espaces de médiation féminine. Ce quatrième terme, ou plutôt ce premier terme, permet de mieux expliciter la prise en compte de la « demande » dans la conceptualisation de l’économie solidaire à partir des services de proximité où est mise en avant, dans le cadre « d’une réciprocité relationnelle », « une impulsion réciprocitaire » caractéristique centrale de « construction conjointe de l’offre et de la demande de services s’articulant avec les pôles du marché et de la redistribution » (Eme, 1991, p. 39).

Après la phase de conception des initiatives, « leur consolidation économique se produit par l’hybridation de trois types de ressources : les ressources réciprocitaires initiales (le lien de réciprocité qui peut s’actualiser en bénévolat, en volontariat ou en des manières d’engagement plus informelles) sont relayées par des ressources publiques qui émanent de l’Etat social selon le principe économique de la redistribution et des ressources marchandes fondé sur le principe du marché » (Eme, Laville, 2006, p. 304). Aussi, la présence d’une hybridation des ressources n’est pas suffisante pour caractériser les initiatives relevant de l’économie solidaire. La place – coexistence, coopération conflictuelle, domination, assujettissement – de la réciprocité par rapport au marché mais aussi à la redistribution, est une perspective à approfondir pour saisir la validité de l’hypothèse de l’économie solidaire. L’analyse des ressources mobilisées par les initiatives solidaires doit permettre de répondre à la question suivante : la réciprocité est-elle, pour reprendre les termes de Polanyi,

Page 86: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 86

« intégratrice », ou au contraire ne se voit-elle pas instrumentalisée par l’une des deux autres formes d’intégration économique que sont le marché et la redistribution ? Quels sont les tensions et les compromis qui se manifestent entre ces deux comportements économiques et celui de la réciprocité ?

Les tensions avec le marché et son « réencastrement » socio/politique

Pour comprendre ces tensions avec le marché, on peut analyser comment les initiatives solidaires essaient de démarchandiser les trois facteurs économiques que Polanyi considère comme n’étant pas des marchandises : la terre, le travail et la monnaie. Pour Polanyi, le travail représente l’activité économique qui accompagne la vie et il ne peut pas être détaché du reste de la vie, entreposée ou mobilisée ; la terre n’est que l’autre nom de la nature qui n’est pas produite par l’homme ; la monnaie réelle est le signe du pouvoir d’achat qui « en règle générale, n’est pas le moins du monde produit, mais est une création de la banque ou de la finance d’État ». Aucun de ces éléments n’est produit pour la vente, leur transformation en marchandise entraîne la transformation de l’économie en économie de marché et de la société en société de marché (1983, p. 113-123).

La terre n’est pas une marchandise

Concernant la terre ou la nature, les initiatives solidaires liées à l’environnement ont émergé, depuis le milieu des années 1970, avec comme objectif de lutter contre les gaspillages, pour la valorisation des espaces naturels, la récupération et le recyclage, le développement de transports alternatifs… Ces initiatives n’ont pas attendu que le développement durable devienne un slogan repris par les entreprises capitalistes, pour mettre en œuvre des actions concrètes et préfigurer des politiques publiques. Par exemple, dans le domaine de la gestion des déchets, les initiatives solidaires ont été pionnières et sont parvenues à mettre en place des contractualisations avec les pouvoirs publics pour qu’ils rémunèrent l’activité de collecte qu’elles menaient de manière bénévole ou avec des emplois précaires (Collectif, 2003). L’impulsion réciprocitaire a permis une reconnaissance publique du pôle de la redistribution. Aujourd’hui, la question reste posée de savoir si ces initiatives qui ont construit de nouveaux champs d’activités sont destinées à se banaliser, à être reprises par le marché ou peuvent continuer à être des acteurs d’un champ qu’elles ont contribué à créer et qu’elles continuent à irriguer par leurs réflexions et innovations. Ainsi, la location de vélos soutenue par les collectivités locales peut, selon les villes, être confiée à des grands groupes industriels comme à des acteurs de l’économie solidaire menant un travail de sensibilisation depuis de longues années sur ces questions. La diversité des modes d’institutionnalisation des activités liées à l’environnement, que ce soit dans la gestion des déchets ou les transports alternatifs, ne doit pas faire oublier leur rôle pionnier33 visant à ne pas considérer la nature comme une marchandise en préfigurant et en impulsant une intervention des pouvoirs publics sur ce champ.

Le commerce équitable et la reconnaissance des travailleurs

Dans le commerce équitable, c’est la reconnaissance du statut des producteurs qui conduit ces initiatives à refuser une soumission du travail au marché. Toutefois, on relève un affichage de « respect des règles du marché » qui néglige le rôle important joué par la réciprocité. Ainsi, la Charte de la Plate-forme du commerce équitable souligne « l’encouragement des

33

Et ce, encore, aujourd’hui, sur d’autres champs comme l’auto-partage, les éco-carburants… (CRIDA-RTES, 2007, pp. 96-114).

Page 87: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 87

producteurs à l’autonomie, en privilégiant la diversification des débouchés, notamment sur le marché local. L’activité économique doit être rentable en elle-même, et donc parfaitement distincte d’autres formes de financement » (Plate-forme du commerce équitable, 1997). Pourtant, avec le commerce équitable, c’est le concept même de ressources marchandes provenant de la vente de biens et de services qu’il convient de réinterroger. En effet, si les consomm’acteurs sont intéressés par l’achat de tels ou tels biens, leurs transactions se réalisent avec une volonté de prise en compte des réalités sociales et environnementales, non-assimilables à une relation marchande purement basée sur l’intérêt. Les acheteurs de service ne sont pas uniquement mus par la volonté d’acquérir tel ou tel bien. Excepté le cas où ils ne savent pas qu’ils achètent un produit équitable, ils sont conscients de payer un prix « juste », souvent plus élevé, qui vise une reconnaissance du producteur. L’échange de biens est réinscrit dans un échange entre cultures et dans une reconnaissance sociale des échangistes et plus spécialement des producteurs ; « la recherche d’un prix juste passe forcément par l’ouverture des canaux de communication directe, de connaissance réciproque entre consommateurs et producteurs, d’analyse de leurs besoins respectifs » (Perna, 1998). Il est notable, comme le rappelle Cary (2002, p. 140-141), que l’on ne parle pas de « marché » mais de « commerce ».

Si l’on reprend les critères distinguant marché et réciprocité, le commerce équitable n’est pas réductible au marché. Les relations entre acteurs sont à la recherche d’une symétrie portant à la fois sur les biens, en fixant un prix à partir d’une offre et d’une demande, et sur les personnes, en veillant à une reconnaissance mutuelle des producteurs et consommateurs pour que le prix soit juste. La question du temps est plus délicate, a priori, l’acte d’achat du consomm’acteur se situe, comme pour le marché, dans l’immédiateté de l’échange. Mais on voit que les lieux de vente, en étant parfois aussi des lieux de rencontre où l’on trouve de l’information sur le commerce équitable, la situation des producteurs… mais aussi sur des sujets plus larges (droits de l’homme, environnement…), sont des espaces où se crée une relation plus large avec les consomm’acteurs. A partir de ce critère, la vente de produits équitables, via la grande distribution, relève plus du marché que celle réalisée dans des boutiques spécifiques. Enfin, en ce qui concerne le principe qui domine ce type d’échanges, on est dans un mixte où l’intérêt porté à l’acquisition du bien ne cherche pas à être maximisé par l’acheteur, mais peut comporter une part de don, liée au prix supplémentaire permettant qu’il soit « juste ». Les ventes de biens à partir du commerce équitable croisent des critères propres aux marchés et à la réciprocité. Ces pratiques participent d’un réencastrement du marché prenant en compte le producteur et non plus seulement les biens échangés.

Une monnaie « non-marchande » à faible intérêt

La réalisation d’échanges selon des principes qui ne sont pas prioritairement marchands peut aussi se réaliser avec l’utilisation de la monnaie même si, là aussi, le paradigme dominant dans nos économies tend à occulter le rôle de la réciprocité dans ces pratiques. Ainsi, malgré l’utilisation d’un outil de l’économie traditionnelle classique, les clubs d’investissement, la démarche des clubs d’investisseurs pour une gestion locale et alternative de l’épargne solidaire (Cigales) est très différente de la recherche d’un retour sur investissement capitalistique maximisé. Leur démarche montre une volonté d’agir pour le développement d’une économie locale, selon des motivations liées à la création d’emplois, la protection de l’environnement, la revitalisation de quartier, le développement de la démocratie économique… La démarche des Cigales s’attaque à la marchandisation de la monnaie où le prêt se fait en vue d’une maximisation des intérêts perçus et d’une hausse de la valeur du

Page 88: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 88

capital prêté. La perception d’un intérêt n’est pas niée dans les fondements des Cigales, mais elle n’est pas au centre de l’investissement. Cette différence demanderait au préalable de distinguer les formes d’intérêt, entre un intérêt réel et légitime, qui est le prix d’un service et rémunère le risque et la privation, et l’intérêt virtuel, spéculatif et illégitime comme Menuelle (2002, p. 39) l’a montré à partir de la lecture de Proudhon. À travers la possibilité d’accéder au crédit, les Cigales permettent de répondre aux attentes d’entrepreneurs qui en sont dépourvus. Elles répondent à une demande qui apparaît non solvable aux yeux des établissements bancaires même si le fait de permettre ces financements favorise le plus souvent la mobilisation des organismes financiers traditionnels. Un fonctionnement que l’on pourrait considérer comme purement marchand, le prêt d’argent, se trouve réencastré dans des préoccupations sociétales, développant l’implication démocratique dans l’économique et conduisant à une utilisation réciprocitaire de la monnaie.

Les tensions avec la redistribution et les différents types de régulation

Les questionnements sur les tensions entre réciprocité et redistribution rejoignent la problématique des régulations à l’œuvre entre économie solidaire et pouvoirs publics (Laville et Nyssens, 2001 ; Gardin, 2008, pp. 263-301). Trois grands types de régulation sont identifiables et présentent des compromis différenciés entre comportements économiques.

La redistribution stricte ou régulation tutélaire

Tout d’abord, dans le cadre de la régulation tutélaire, les pouvoirs publics apportent des subventions qui ne font pas l’objet de négociations avec les organisations de l’économie solidaire. C’est un schéma que l’on retrouve avec la construction des Etats providence. Ainsi, dans le domaine de l’aide à domicile, des structures ont initié des activités, dans des dynamiques de charité ou d’entraide, qui ont été progressivement encadrées par les pouvoirs publics. Les domaines de l’action sanitaire et sociale, de l’aide aux personnes âgées, de l’aide aux familles… ont ainsi fait l’objet d’une intervention financière des pouvoirs publics qui va entraîner l’introduction de règles quant au public ciblé, à la formation des professionnels, au volume des interventions financées… En outre, les organisations d’économie solidaire peuvent être appréhendées par les pouvoirs publics uniquement sous l’angle de la création d’emplois et de la lutte contre l’exclusion sans prise en compte de leurs spécificités. Ainsi les politiques d’insertion par l’économique relèvent aussi en partie d’un mode de régulation tutélaire. Cette absence de possibilité de négociation porte selon les cas sur le montant des aides, leur durée, et la sélection des publics. Au niveau européen, les entreprises sociales d’insertion par l’économique estiment que la moitié de leurs financements publics est attribuée de manière tutélaire (Gardin, 2006, p. 118). Si cette régulation tutélaire s’exprime principalement avec les instances nationales, elle prend aussi corps au niveau local avec de nouvelles tutelles des collectivités locales. A cette échelle, une régulation plus proche des habitants, plus participative et à l’écoute des attentes des habitants a été envisagée. La régulation tutélaire n’est pas l’apanage de l’Etat, et localement, elle a pu aussi devenir, selon les cas, le mode d’intervention privilégié des élus des collectivités territoriales, investis du pouvoir de la démocratie représentative et ne sollicitant la participation des habitants que lors des échéances électorales.

La redistribution et le marché, la régulation quasi-marchande

Le recours à une régulation quasi-marchande serait un moyen de limiter le pouvoir discrétionnaire et les pratiques clientélistes générés par la régulation tutélaire décentralisée.

Page 89: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 89

La régulation quasi-marchande peut prendre deux formes principales : d’une part, la solvabilisation des usagers afin qu’ils puissent choisir leurs prestataires de service et, d’autre part, la mise en œuvre de marché public instaurant également une concurrence entre prestataires de services. Les motivations des États à adopter une logique marchande sont doubles : « Un avantage fréquemment cité est que cela permet une offre plus différenciée de services et de prestations. Les clients de la protection sociale, au lieu de devoir accepter les standards uniformes de l’État providence, peuvent plus facilement construire leurs prestations sociales sur mesure. […] Toutefois, la privatisation est avant tout une stratégie diminuant la charge financière sur les États » (Esping-Andersen, 1999, p. 286).

Néanmoins avec les organisations d’économie solidaire, ces rapports s’inscrivent plutôt dans des rapports quasi-marchands pour diverses raisons : les pouvoirs publics les rémunèrent pour un service qui ne leur est pas directement destiné mais qui concerne un usager ; les pouvoirs publics peuvent intégrer des clauses sociales en cas d’appel d’offres mais aussi choisir le prestataire du fait de ses objectifs, de son implantation locale… ces financements sont versés aux offreurs de service qui entrent en concurrence les uns avec les autres. Les mécanismes visant à solvabiliser la demande ont été introduits dans le domaine des services à domicile. Les services d’aide à domicile, en France, durant les trente glorieuses étaient réalisés exclusivement par les associations ou par le secteur public local. Puis, à partir de la fin des années 1980 et du début des années 1990, les emplois domestiques ont été favorisés en accordant des aides aux particuliers employeurs. Enfin, plus récemment, l’entrée des entreprises de capitaux a été autorisée. Ces politiques conduisent à la constitution d’une pluralité dans l’offre auquel le particulier solvabilisé par des financements publics, des déductions d’impôts… peut accéder. Le caractère faiblement redistributif de ce type de régulation a été souligné principalement quand cette solvabilisation se réalise dans le cadre de déductions d’impôts qui concernent uniquement la fraction de la population imposable. Dans ce type de régulation, les pouvoirs publics recourent en partie à des principes de comportements économiques relevant du marché fondés avant tout sur le prix et ne reconnaissant pas la dimension réciprocitaire des organisations d’économie solidaire.

La réciprocité et la redistribution, la recherche d’une régulation négociée

Les caractéristiques de la régulation tutélaire et de la régulation quasi-marchande font écho des représentations politiques du rapport aux associations et à l’économie solidaire. On trouve, d’une part, avec la régulation quasi-marchande, une orientation néolibérale qui entrevoit les rapports entre État et associations comme « des rapports de substitution ; les associations facilitent le désengagement de l’État et entrent en concurrence avec les entreprises privées » et, d’autre part, avec la régulation tutélaire, « des rapports tutélaires et de sous-traitance ; les associations [étant] confinées au rôle de suppléantes de l’État et des services publics ». Ces deux formes de régulation sont en décalage par rapport à la démarche des initiatives solidaires qui n’entendent pas être des sous-traitants des pouvoirs publics ni de simples prestataires de services, semblables à des entreprises privées lucratives. Les initiatives sont à la recherche d’un troisième type de régulation ni étatiste, ni néolibérale qui peut être désigné comme le résultat d’une troisième hypothèse « solidaire » qui entrevoit des rapports de partenariat dans lesquels « les associations ont leur mot à dire sur les règles du jeu les concernant » (Vaillancourt et al., 1998, p. 131).

Ce troisième type de régulation qui correspond le plus aux attentes des initiatives solidaires a toutefois des difficultés à s’affirmer malgré leurs efforts développés pour faire prendre en

Page 90: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 90

compte leur spécificité. Face au poids de l’État, du marché et de leurs partisans respectifs, on peut légitimement se demander si cette régulation négociée n’est pas condamnée à rester une hypothèse de chercheurs qui reconnaissent eux-mêmes que leurs « sympathies sur le plan de l’analyse et de la prospective vont à l’hypothèse solidaire plutôt qu’aux deux autres » (Vaillancourt, ibid., p. 132). Pourtant, elle permet d’introduire dans les politiques publiques des critères qualitatifs, pour ne pas s’intéresser qu’au prix des services rendus et à une définition unilatérale de ces services par la puissance publique. En outre, elle n’est pas l’apanage des relations se nouant au niveau local avec les pouvoirs publics mais demande une légitimation des réseaux et initiatives d’économie solidaire pour parvenir à ce que le dialogue avec les pouvoirs publics ne se limite pas à leur simple participation pour l’instauration de politiques publiques. Une symétrie entre acteurs propres à la réciprocité est recherchée à travers les possibilités d’échange dans la durée entre l’économie solidaire et pouvoirs publics. Les initiatives solidaires tentent de développer des rapports égalitaires avec des autorités centrales ; elles deviennent alors « partenaires ». Aussi, comme il ne faut pas se laisser abuser par une vision pacifiée des rapports entre l’économie solidaire et le marché, il n’est pas possible non plus d’avoir une approche consensuelle du partenariat où « est économisée la question des rapports de pouvoir et induite une pacification des échanges » (Eme et al., 1993, p. 193). Au final, l’idéal-type de la réciprocité dans l’économie solidaire se manifeste sous une forme multilatérale intégrant différentes parties prenantes dans des positions symétriques. Les initiatives solidaires se construisent à partir de cette impulsion réciprocitaire pour se consolider à partir d’une hybridation des ressources qui ne doit cependant pas ignorer les tensions avec les comportements économiques du marché et de la redistribution.

Bibliographie

Cary P., 2002, Le commerce équitable, quelles théories pour quelles pratiques ?, Mémoire de DEA « Recherches comparatives sur le développement », Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Collectif, 2003, 20 ans d’écologie, d’économie sociale et solidaire, La feuille d’érable, Editions La feuille d’érable, Rennes. CRIDA-RTES, 2007, Les politiques publiques d’économie solidaire, Un enjeu pour les initiatives locales, Editions Imprimerie 34, Toulouse. EME B., 1991, « Les services de proximité », Informations sociales, n° 13, Paris, CNAF, p. 34-42. EME B., LAVILLE J.-L., MOTHE D., 1993, « Quel rôle pour l’état », Esprit, août-septembre, p. 193-202. EME B. et LAVILLE J.-L., 2006, « Economie solidaire (2) », in LAVILLE J.-L et CATTANI A.-D., Dictionnaire de l’autre économie, Paris, Gallimard, Folio-actuel, p. 303-312 ESPING-ANDERSEN G., 1999, Les trois mondes de l’État providence, Paris, PUF. GARDIN L., 2006 a, « A variety of resource mixes inside social enterprises », in Social Enterprise, At the Crossroads of Market, Public Policies and Civil Society, Edited by Marthe Nyssens, London and New York, Routledge Taylor & Francis Group. GARDIN L., 2006 b, Les initiatives solidaires. La réciprocité face au marché et à l’État, Ramonville, Erès. GARDIN L., 2008, « Quelle évolution des modes de régulation ? » in F.X. DEVETTER, L. FRAISSE, L. GARDIN, M.F. GOUNOUF, F. JANY-CATRICE, T. RIBAULT, 2008, L'aide à domicile face aux services à la personne : mutations, confusions, paradoxes, CLERSE, CRIDA, Réseau 21, Rapport pour la DIIESES, 300 p.

Page 91: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 91

GUERIN I., 2003, « Espaces de médiation et autonomie féminine », Hermès, Paris, CNRS Editions, n° 36, pp.57-64. HEBER-SUFFRIN C., 1998, Les Savoirs, la Réciprocité et le Citoyen, Paris, Desclée de Brouwer. LAVILLE J.L., GARDIN L., 1999, Le iniziative locali in Europa. Un balancio economico e social, Turin, Bollati Boringhieri. LAVILLE J.-L., NYSSENS M. (sous la dir.), 2001, Les services sociaux entre associations, État et marché, Paris, La Découverte. MENUELLE T., 2002, « La conception proudhonienne de l’intérêt et ses implications » in Le crédit, quel intérêt ? Actes du Colloque de la Société P.-J. Proudhon, Paris, 1er décembre 2001, Paris, Publications de la Société P.-J. Proudhon, EHESS, p. 33-62. PERNA T., 1998, Fair trade, Italia, Torino, Bollati Boringhieri. PLATE-FORME DU COMMERCE EQUITABLE, 1997, Charte pour le Commerce Equitable, http://www.commercequitable.org/charte/ POLANYI K., 1975, « L’économie en tant que procès institutionnalisé », pp. 239-260, in K. Polanyi, C. Arensberg, POLANYI K., ARENSBERG C., (sous la direction) 1975, Les systèmes économiques dans la théorie et dans l’histoire, Paris : Librairie Larousse (1ère édition anglaise, K. Polanyi, C. Arensberg, H. Pearson (éd), 1957, Trade and market in the early empires. Economies in History and theory, New York, Glencoe, Free Press. POLANYI K., 1975, « Aristote découvre l’économie », pp. 93-117, in K. Polanyi, C. Arensberg, op. cit. POLANYI K., 1983, La Grande Transformation, Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris : Gallimard, (traduction française d’après la version originale en anglais) The Great Transformation. The political and economic origins of our time, New York, Farrar & Rinebart, 1944. TEMPLE D., CHABAL M., 1995, La réciprocité et la naissance des valeurs humaines, Paris, L’Harmattan. VAILLANCOURT Y., LAVILLE, J.L., 1998, « Les rapports entre associations et État : un en jeu politique » in Revue du MAUSS, Paris, La Découverte, n° 11, 2nd semestre, pp. 119-135 ROUSTANG G., LAVILLE J.-L., EME B., MOTHE D., PERRET B., 1996, Vers un nouveau contrat social, Paris, Desclée de Brouwer.

Béatrice Barras34

: « Apprentissage de la coopération sur le terrain de « l’éducation populaire » L’histoire de « Mains d’œuvres » que j’ai entendue hier, puis celle d’ « Intermède » et enfin celle de la coopérative « Ardelaine » dont je vais vous parler, ont en commun d’avoir expérimenté dans les friches, les ruines ou les interstices que laisse notre société.

L’idée de la coopérative « Ardelaine » a pris naissance sur le site d’un chantier de jeunes, initié pour ramener la vie dans un hameau en ruines, isolé de tout, dans les Gorges de l’Ardèche. C’étaient les années 1970 et toute une jeunesse, à l’époque, éprouvait le besoin de réinventer sa vie en tournant le dos à la société de consommation qu’on lui destinait.

Sur ce chantier, des centaines, des milliers de jeunes se sont succédés pendant trente ans pour rebâtir le village dans leurs temps de vacances. Parce que la situation d’isolement de ce hameau oblige à prendre en compte beaucoup de problèmes, ces jeunes ont du apprendre à

34

Co-fondatrice du chantier du Viel Audon, de la SCOP Ardelaine et du réseau REPAS (Réseau d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires), auteur de « Chantier ouvert au public » et « Moutons rebelles » aux éditions REPAS.

Page 92: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 92

vivre et travailler ensemble, s’approvisionner, gérer les ressources avec le moins d’entrants et de déchets possible, décider et s’organiser collectivement, coopérer de sorte de chacun se sente acteur du projet, et ainsi le chantier est devenu le creuset d’une microsociété apprenant une autre façon de vivre et travailler.

Le but de ce chantier n’était pas tant de reconstruire le village que d’expérimenter une école du faire ensemble, de ce qu’on appelle la coopération. L’objectif s’est recentré sur le « comment » on fait les choses autant que sur le « pourquoi » on les fait. Ce chantier est devenu une grande école de la transmission des savoirs et savoir-faire, des « gestes élémentaires » porter, piocher, maçonner, se nourrir, faire le pain, jardiner… mais aussi du savoir s’organiser et décider collectivement. Les jeunes viennent sur le chantier quelques années (de 18 à 25 ans environ), y prennent des responsabilités, et ensuite les transmettent à d’autres qui poursuivent l’action, toujours bénévolement. Ainsi, ce projet a perduré pendant trente-cinq ans et continue encore aujourd’hui.

Où se trouve la notion de réciprocité dans cette histoire ? En réponse, je dirais qu’il me semble que la notion de réciprocité et celle de coopération sont interdépendantes dans le sens où il n’y a pas de coopération possible sans réciprocité, et que l’exercice de la réciprocité génère la capacité à coopérer car dans les deux cas, l’autre est considéré avant tout comme un partenaire. Faute d’avoir eu le temps d’en étudier tous les contours, je préfère rapporter ici la parole d’une jeune fille à laquelle je demandais pourquoi elle revenait depuis plusieurs années et prenait des responsabilités importantes sur le chantier, elle m’a dit : « J’ai tellement reçu ici, que je suis obligée de donner ! ».

Inscrire la coopération dans l’économie

Pétri de cette expérience, un petit groupe dont je faisais partie s’est mis au défi d’inscrire, dans l’économie, ce mode coopératif de travailler. En effet, c’était une chose que de promouvoir la coopération dans le bénévolat, sans aucune obligation de rentabilité, c’en était une autre de le faire dans la vie économique, dans le monde du travail où l’on nous affirme que rien ne peut marcher sans la hiérarchie, la concurrence, la compétition avec des objectifs de productivité implacables.

C’est ainsi que la SCOP Ardelaine a vu le jour : les laines des moutons ardéchois ne trouvaient plus d’acheteurs et les paysans se trouvaient obligés de les jeter, les brûler car sur le marché international, elles n’avaient plus de valeur monétaire. Par ailleurs, les petites filatures qui autrefois étaient disséminées sur tout le territoire n’étaient plus rentables dans un contexte de concentration industrielle et de marché internationalisé. Elles disparaissaient massivement, comme celle du village de Saint Pierreville en Ardèche qui était en train de s’écrouler.

En réfléchissant, nous trouvions absurde de jeter une fibre qui avait perdu sa valeur uniquement à cause des jeux monétaires internationaux, et il nous semblait qu’il pouvait y avoir une alternative entre la dimension industrielle d’une part et la dimension artisanale de l’autre, un « entre deux » dans lequel il est possible de générer une économie dans un but de développement social local, à partir des ressources du territoire.

St Pierreville est un petit village de l’Ardèche, personne ne croyait à notre histoire mais nous savions que le collectif avait la capacité de soulever les montagnes. Si on a la possibilité d’associer des compétences, des différences pour réellement œuvrer ensemble, on peut dépasser beaucoup d’obstacles qui paraissent infranchissables. On n’avait pas d’argent, on ne savait rien faire dans le textile, mais nous avons développé des capacités à apprendre et bien

Page 93: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 93

articuler nos complémentarités. Dans l’équipe, il y avait une enseignante, une orthophoniste, un mécanicien, un architecte, un compagnon du devoir en maçonnerie, un gars qui avait fait des études agricoles, une fille qui avait un an d’IUT en gestion, rien à voir avec la laine, mais en y regardant bien notre équipe réunissait toutes les aptitudes à faire fonctionner une entreprise. Pendant sept ans on a préparé le projet, appris beaucoup, et on s’est rendu compte que c’était en mutualisant qu’on pouvait dégager un peu d’épargne pour pouvoir investir. Mutualiser, ça voulait dire qu’au lieu d’avoir chacun sa voiture, on en avait une pour deux mais on les gérait ensemble ; au niveau de l’alimentation, au lieu de faire chacun nos courses en ville, on faisait des intendances ensemble et des repas communs ; au niveau de l’habitat, on a « co/loué» parce que ça coûtait moins cher ; c’est grâce à ce fonctionnement que nous avons pu dégager l’argent pour investir.

L’entreprise a été créée en 1982, cela fait 26 ans et on est aujourd’hui 37 salariés, on tond 50 000 moutons, on travaille avec 230 éleveurs, on a un musée et on accueille 15 000 visiteurs chaque année sur notre site. Ardelaine est une société coopérative de production qui a créé des emplois, mais, au-delà de son rôle purement économique, cette entreprise développe une culture, une posture différente.

Economiquement, c’est une petite aberration, parce que tout ce qui y est fait n’est pas guidé par des objectifs de rentabilité ou de profit immédiat. Les choix sont orientés vers la création de nouveaux emplois, dans l’idée d’associer de nouvelles personnes ou vers des améliorations écologiques. L’organisation interne fonctionne avec un minimum hiérarchique, sachant que chacun est important pour la réalisation de l’œuvre commune. Chacun est là pour progresser, continuer à apprendre et non pas uniquement pour exercer une performance. Les richesses produites par l’entreprise sont partagées : dans les SCOP, il y a une répartition du résultat, par exemple chez Ardelaine, on met 45% du bénéfice en réserve, on distribue 45% aux salariés et 10% en dividendes… autant dire que les fonds de pension américains ne se bousculent pas ! Les dirigeants sont élus par les salariés, qui sont à la fois associés et salariés.

Transposer, transmettre la coopération dans d’autres contextes

En 1986, Ardelaine a installé un atelier de confection de vêtements dans la ZUP de Valence. Nous qui étions des gens du développement rural, nous sommes allés nous confronter à un contexte urbain difficile, en transposant nos méthodologies. Les coopératrices de l’atelier travaillent et vivent dans le quartier et ont expérimenté la pertinence du « être avec » et « être dedans », en tant que salariées et en tant qu’ « habitantes ». Elles ont créé un réseau d’échanges de savoirs, des espaces de jeux et des cours intérieures « avec » les enfants, des jardins en pied d’immeuble « avec » les habitants. Elles ont constaté combien cette posture d’action en partenariat avec les usagers est opérante, un réel vecteur de transformation sociale.

Quel bilan faisons-nous de tout cela et qu’avons-nous appris de ces aventures ?

Nous avons appris qu’on peut faire le chemin en marchant et que c’est associant les différences qu’on crée une énergie formidable. Nous avons expérimenté que collectivement on est plus forts et que pour reprendre du pouvoir sur sa vie et en particulier sur la vie économique, c’est en étant « dedans » et « avec » qu’on peut transformer les choses. Nous avons compris que c’est en fonctionnant en réseaux plutôt qu’en fédérations, et délégations qu’on élargit le mieux nos dimensions. Nous avons finalement revisité tous les fondamentaux de ce qu’on appelle l’économie sociale et solidaire : comment s’associer, mutualiser et

Page 94: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 94

coopérer, faire ensemble. Nous avons compris que c’est un savoir qui s’acquiert essentiellement par l’expérience (le cadre juridique n’étant là que pour encadrer le fonctionnement). C’est lorsqu’on a ressenti la satisfaction et l’efficacité que génère cette posture, dans laquelle l’autre n’est ni un adversaire, ni un concurrent mais devient potentiellement un partenaire, que ça change tout. Considérer l’autre a priori comme un partenaire potentiel, c’est aussi faire échec à ce que nous avons tous dans la tête, que « nous vivons dans une jungle et il faut être le plus fort, le plus dominateur pour survivre » et que par ailleurs, « c’est la somme des égoïsmes individuels qui accroît la richesse de tous »…

Maintenant, nous arrivons à une autre phase, celle de la transmission : comment peut-on transmettre ces acquis de l’expérience ? Nous faisons partie du Réseau d’échange de pratiques alternatives et solidaires, REPAS, qui a réfléchi au Comment transmettre la culture coopérative à des jeunes qui sont en recherche ? Le réseau a créé une formation qui a pris le nom de « compagnonnage alternatif et solidaire ». Après 12 années de fonctionnement, nous voyons à quel point cette formation a des effets « capacitants ». Les jeunes se sentent terriblement impuissants devant un système complexe qui ne leur convient pas. Après le compagnonnage, ils sont convaincus de pouvoir construire leur vie.

Par ailleurs, le réseau REPAS a créé une société d’éditions qui publie une collection « Pratiques utopiques » qui regroupe des témoignages d’actions collectives dans le but de rendre visibles ces initiatives, plus nombreuses que ce que l’on croit, mais peu connues car elles ne répondent pas aux critères de réussite dominants… elles agissent souvent dans les interstices, dans les friches…

Passer à l’échelle supérieure ?

Je pense que pour passer à l’échelle supérieure, le chantier est avant tout éducatif. Quand on questionne les histoires de vie des gens qui agissent dans la solidarité, en tant que citoyen ou acteur économique, on constate que leur parcours a souvent traversé un mouvement d’« éducation populaire », dont les réseaux d’échange réciproques de savoirs font partie. Il semble que le fait d’avoir vécu l’organisation collective, fraternelle, réciproque, dans sa jeunesse sert de point d’appui à une posture qui deviendra applicable à bien des situations sociales dans la vie adulte. On peut réellement s’inquiéter de voir aujourd’hui ériger en dogme les rapports de compétition, de concurrence dès la maternelle, dans les activités scolaires et périscolaires… Il est urgent et très important de développer tous les lieux possibles où les enfants, les jeunes puissent vivre et expérimenter des rapports de complémentarité, de solidarité, de réciprocité, de coopération et en ressentir l’efficacité ainsi que la profonde satisfaction qu’ils génèrent dans l’appréhension de notre humanité.

Je vous invite à œuvrer pour cette grande et multiple école de la coopération.

Page 95: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 95

Jacques Guyard35

: « Quelles formes de réciprocité inventer pour changer nos rapports au pouvoir ? »

Je parlerais d’un autre point de vue que mes deux prédécesseurs qui ont parlé d’économie solidaire.

Mon expérience est double, c’est une expérience d’élu, national et local, et d’éducateur parce que c’était mon métier avant et parce que je continue aujourd’hui à m’y intéresser de très près à travers l’association PRISME dont Jean Roucou, le président, est ici et prendra le relais cet après-midi.

Dans ces deux domaines, la réciprocité a du mal à percer. Je voudrais donc surtout m’attacher aux raisons pour lesquelles, et aux moyens de lutter contre ce fait, la réciprocité est un tel enjeu difficile dans ce domaine. D’autant que j’ai été interpellé par le titre de la table ronde : « La réciprocité à grande échelle », c’est vrai qu’on l’imagine assez bien à grand échelle à travers le foisonnement d’initiatives comme celles que vous venez de décrire.

On a du mal, dans le système de pensée qui est celui depuis longtemps de notre pays, à l’imaginer dans des collectifs très larges. Dans ma jeunesse, j’ai été administrateur de la CAMIF. Cela a été pendant un temps une vraie coopérative où on discutait, où le client, comme on dit, discutait de ce qu’il achetait, faisait des remarques sur la manière dont on aurait pu changer etc. Vous avez vu la triste fin de cette histoire, parce que c’était devenu si gros que la CAMIF était rentrée, à son corps défendant, dans le schéma du marché, de la finance, qu’il avait fallu s’adresser aux fonds de pension et qu’à partir de ce moment-là, la mort est assurée, la mort du projet.

Donc, vraiment la réciprocité à grande échelle dans les grands groupes, dans le champ des grands groupes, c’est un peu inévitablement le champ ou de la politique ou de l’institutionnel et cela ne peut pas être seulement le lieu de la marge, même si j’ai la conviction absolue, depuis longtemps, que c’est toujours à la marge que se font les progrès et jamais au centre. C’est vrai en éducation, c’est vrai en social, c’est vrai partout, la créativité est à la marge et jamais au centre.

Dans notre pays, la conception jacobine que nous avons de la démocratie va directement à l’encontre de l’idée de réciprocité, je parle du champ politique. Le peuple vote, désigne des responsables et ces responsables ont la légitimité.

Je voyais ressortir récemment un débat – c’est la crise qui fait naître cela – sur le mandat impératif pour les élus. Vous savez que le mandat impératif est interdit constitutionnellement. C’est d’ailleurs pour cela qu’un député n’est pas le député de ses électeurs, il est le député de toute la nation. C’est d’abord destiné à ne pas le rendre dépendant de ses électeurs, c’est pour ça que la règle a été fixée ainsi. Evidemment, c’est à la fois un peu inévitable ; et en même temps, cela limite sérieusement la possibilité d’échanges réciproques. Notre pays, là-dessus, bouge, essentiellement depuis une quarantaine d’années, depuis 68 et les années 70.

Dans les années 70, on a vu reconnaître les associations d’habitants, admettre que des équipements puissent être délégués à des associations d’habitants, ce qui était une révolution à l’époque. Je vois Marc Héber-Suffrin qui doit se souvenir qu’en 1977 nous avons voulu, ici, déléguer la gestion d’un restaurant scolaire à une association. C’est un équipement qui

35

Secrétaire de Prisme (Promotion des initiatives sociales en milieux éducatifs), ancien député-maire d’Evry, ancien ministre, historien.

Page 96: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 96

s’appelait le Centre de Loisirs Associé aux Ecoles, il y avait un restaurant scolaire dedans. Le préfet nous a intimé l’ordre d’arrêter parce que c’était parfaitement contraire à la loi qu’une commune puisse déléguer la gestion d’un restaurant scolaire à une association de parents d’élèves. Parfaitement interdit. Nous avons reçu une sommation brutale et le percepteur nous a dit « dans ce cas-là pas d’argent, je bloque les crédits ».

Donc ce n’est pas simple. On l’a admis là aussi à la marge. Les premiers budgets délégués ont été ceux des maisons de quartier parce que c’était des associations d’habitants, cela s’adressait à des adultes, c’était un peu de créativité. Il y avait toute la tradition de l’éducation populaire qui rentrait là-dedans mais c’était considéré clairement comme un lieu d’initiative marginal, du point de vue du droit, du point de vue du fonctionnement des institutions. Et en tout cas cela restait parfaitement descendant, c'est-à-dire que la collectivité décidait de déléguer, affectait à la délégation une subvention, l’association devait accepter les règles du jeu de la subvention, rendre compte, etc.

Et cela a continué dans cet esprit. La décentralisation des années 80, qui est un fait très important dans l’histoire institutionnelle du pays est faite pour rapprocher la décision des habitants, elle n’est surtout pas faite pour améliorer l’échange. Elle est faite pour se rapprocher, pour être plus près, donc on entend un peu mieux, mais elle n’organise pas le partage, elle n’organise pas la réciprocité.

La réciprocité, elle, est apparue dans des initiatives, là encore marginales parce qu’elles n’entraînaient pas, ou tout au moins on avait l’impression qu’elles n’entraînaient pas, de conséquences lourdes. Je pense, par exemple, au moment où nous avons créé un atelier d’urbanisme. Vous savez qu’ici cela a été une ville nouvelle, il y a eu une époque où l’on construisait deux mille logements par an ; cela poussait à toute allure et on avait eu l’idée de demander aux habitants que cela intéressait de participer à un atelier d’urbanisme. On faisait travailler les urbanistes avec un groupe d’habitants. Cela a donné, pas loin d’ici, deux immeubles qui ont été bâtis sur les propositions de ces ateliers d’urbanisme, de ces groupes d’habitants qui participaient aux ateliers. Mais cela s’est rapidement arrêté parce que les organismes constructeurs ont bloqué et d’ailleurs l’Etat aussi.

Toujours au plan local dont je parle, les échanges entre collectivités et associations se sont également développés fortement, et un peu dans toute la France, au plan sportif parce que, là encore, ce sont surtout des adultes qui sont partenaires et parce qu’animer un club de foot, animer un club de basket, c’est rarement dans les compétences de l’administration. C’est toujours quelque chose d’un peu militant. Donc, assez vite, on est passé des clubs en tant qu’organismes autonomes à une gestion du secteur sportif des collectivités partagée. C’est déjà un gros progrès, gestion partagée. Ce sont les offices municipaux des sports qui existent dans quantité de communes et où il y a vraiment un échange et où on définit de manière croisée la politique d’investissement, la répartition des subventions, les priorités qu’on fixe, etc. Mais c’est parce qu’on est dans un domaine où l’institution n’a pas de compétence véritable et donc elle est amenée à s’adresser à ceux qui ont les compétences pour faire ces choix.

Autre avancée dans ce champ de recherche de l’échange, le développement des commissions extra-municipales. C’est déjà davantage dans l’idée de réciprocité. On a une commission, je pense à la restauration scolaire par exemple sur laquelle on avait fait une commission extra-municipale, là aussi ce n’est pas original, il y en a eu d’autres, où on discute les menus, leur équilibre, la manière dont les enfants mangent, est-ce qu’on met un menu obligatoire ou est-

Page 97: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 97

ce qu’il y a un choix ? Comment ils se servent ? C’est là d’ailleurs que l’on a vu apparaitre pour la première fois, il y a déjà près de 20 ans, l’idée d’aliments écologiques, à la demande des parents, c'est-à-dire pas trop de produits chimiques divers. Mais c’est aussi parce que cela concerne l’alimentation des enfants et que, sur l’alimentation des enfants, la compétence des parents est reconnue. La compétence des parents est plus difficilement reconnue sur l’éducation, sur l’enseignement mais au moins sur l’alimentation des enfants, là, ça marche

Je pourrais citer d’autres cas. Partout en France, le troisième âge est un lieu typique d’échanges, de coopération et de réciprocité. Entre une ville et son club du troisième âge, cela discute beaucoup, d’abord on a affaire à des électeurs et on les bichonne. Et eux aussi sont capables de s’autogérer. Mais ce sont des domaines très strictement définis, avec des partenaires associatifs forts, clubs sportifs, associations de personnes âgées, associations de parents d’élèves.

Il est plus rare que la représentation de la population soit organisée à l’initiative de l’institution. Je ne vois guère qu’un cas où cela s’est un peu fait, ce sont les conseils municipaux d’enfants. Il y en a qui sont assez « bidons », j’en ai vu un certain nombre en France. Il y en a où il y a une réelle recherche de dialogue avec les gamins et d’essai de favoriser l’émergence d’initiatives. Je me souviens d’initiatives toutes simples, sur la signalisation, où un gamin de dix ans nous avait fait remarquer que la signalisation que nous mettions en place était bien pour quelqu’un d’au-dessus d’un 1m70 mais que pour quelqu’un d’en dessous, c’était terrible parce que les panneaux se cachaient les uns les autres… c’est toujours bon à entendre !

Dernière étape majeure dans cette démarche, la création des conseils de quartier qui s’est faite en général en France dans le courant des années 1990. Cela me paraît une vraie rupture dans le principe de fonctionnement institutionnel parce que, là, on n’est pas dans un champ strictement limité. Tout ce dont on a parlé jusqu’à maintenant, ce sont des champs strictement limités, la restauration scolaire, le club de personnes âgées, l’activité sportive, etc. : très cadrés, il n’y a pas de risque de débordement. Là, dans le conseil de quartier, par définition, on parle de tout. On parle du programme de travaux, on parle de l’animation, on parle de la sécurité, on parle de la circulation, on parle des transports, on parle de la vie quotidienne sur tous ses plans. Et donc on ne sait jamais ce qui va sortir, c’est d’ailleurs le charme de la chose, mais on ne sait jamais ce qui peut en sortir et, en général, les institutions n’aiment pas que dans les discussions puissent sortir des choses non prévues. C’est allé assez rapidement jusqu’à des mises à disposition de budget. Ce qui, là encore, du point de vue du droit, était une novation délicate. Il fallait d’ailleurs que le conseil municipal, une fois que le conseil de quartier avait fait des propositions, revote la répartition proposée par le conseil de quartier et la loi cadre cela assez bien en obligeant à la représentation des élus à l’intérieur.

Pourquoi cette progression s’est-elle faite aussi lentement et est-elle encore aussi faible dans le champ politique et institutionnel ? Le contexte de l’évolution, c’est la perte générale de confiance dans les élus et c’est aussi, je pense, plus profondément, la perte de confiance dans la représentativité des groupes sociaux. Quand j’avais vingt ans, c’était encore clair, cela commençait à vieillir déjà, mais le PC, c’était la classe ouvrière, le PS, c’était les employés et les radicaux de gauche représentaient les petits artisans et les commerçants, au moins le monde était simple. Et une fois que les représentants de tout cela avaient parlé, on n’avait plus besoin de discuter puisque, par définition, on avait la représentation complète de la société. Cela a disparu depuis fort longtemps et donc, à partir du moment où il n’y a plus de représentativité des groupes sociaux, reconnue et acceptée, il faut bien d’abord conforter la

Page 98: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 98

décision des élus par la délibération préalable, cela évite que ça coince, cela évite de commettre des erreurs. Toujours à cause de la perte de reconnaissance des élus, je crois que cela s’est développé parce que cela fait émerger et cela consolide un réseau intermédiaire de gens, dans les collectivités. Je parle là du monde assez urbain. Cela n’est évidemment pas la même chose en milieu rural où cela se fait naturellement. Cela fait émerger un réseau intermédiaire de gens présents dans les quartiers, dans les associations, qui deviennent plus ou moins coresponsables avec les élus, qui partagent un peu les responsabilités et qui sont informés, avec lesquels on échange assez facilement et qui servent de relais vis à vis des habitants. C’est une manière, dans le contexte d’individualisation dramatique dans lequel nous sommes et de zapping des centres d’intérêt, de réintroduire de la durée. J’ai été très frappé par l’intervention de Béatrice Barras là-dessus, sur la durée. J’admire que vous teniez depuis trente ans comme ça, car dans toutes les initiatives de participation, c’est la durée qui est le plus difficile à assurer. Les initiatives souvent marchent bien, il y a un enthousiasme au départ, cela dure deux ans, trois ans, cinq ans mais ensuite des changements, soit de dirigeants soit de partenaires, font que cela retombe très vite. Là, cela réintroduit de la durée et cela réintroduit des partenariats stables qui sont, je crois, indispensables au fonctionnement des institutions aujourd’hui. Donc un réseau avec lequel on partage les grandes décisions et les moments difficiles. Comme élu, quand il ya des moments difficile, il y a une confiance qui s’établit parce que l’on se connait, parce que l’on sait qu’il y a une parole qu’il faut entendre. En 1998, on a eu ici même, dans le quartier des Pyramides tout proche, une situation extrêmement dure où une bonne partie des jeunes du quartier s’étaient complètement autonomisés, y compris par rapport à une partie de leurs familles et en tout cas par rapport aux institutions, et contestaient frontalement les autorités locales, mairie, police, éducation, etc. Nous avons pu établir des relations avec un groupe d’entre eux et conclure un accord dans une soirée mémorable, face à 80 adolescents. Un accord pour créer un café sans alcool, pour créer un centre de soutien scolaire qu’ils allaient gérer eux-mêmes. Je me souviens toujours que, le lendemain, le procureur m’a appelé en me disant « dites donc, vous savez que deux des responsables de l’association ont un casier judiciaire ? ». Il faut faire, l’important dans ce cas-là c’est de faire. Je dois dire d’ailleurs que sur les deux, il y en a un au moins qui a ensuite été élu maire-adjoint au conseil municipal, et un autre qui a fait une brillante carrière professionnelle. Je crois que c’est parce qu’on est passé outre à la règle du jeu, on a subventionné beaucoup plus vite que l’on aurait dû le faire, etc.

L’échange réciproque, cela suppose un peu l’égalité. Laurent Gardin a parlé à un moment de réciprocité inégale. Sur le plan institutionnel, nous sommes en plein dans la réciprocité inégale. Il y a toujours une autorité qui officiellement délègue, subventionne, etc., qui exige des règles du jeu, des comptes-rendus et donc il y a une dépendance juridique. Une dépendance juridique, cela ne rend pas les choses faciles.

D’autant plus que les salariés ne sont pas reconnus dans l’affaire alors que, souvent, dans une association partenaire, ce sont les salariés qui portent la réalité de la vie associative plus que les dirigeants théoriques. Par exemple, le club de prévention de l’agglomération est très bien, mais il est très bien parce que ses animateurs sont bons. Les dirigeants de l’association, il n’y en a pas un qui habite dans le coin, ils ne connaissent pas réellement le terrain mais ce sont eux qui sont juridiquement responsables et ça, c’est un vrai problème de fonctionnement !

Voilà je termine en effet là-dessus en soulevant simplement deux problèmes :

Page 99: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 99

On parle beaucoup de démocratie participative, et cela fait partie du dossier mais cela se heurte, outre aux principes du droit, à la lenteur de plus en plus grande d’application des décisions. Comment voulez-vous faire de la concertation sur de la mise en place de logements quand un process de production de logements dure six ans ? Or cela tend à être la réalité.

Quand on discute sur un projet et que, cinq ans après, il n’est pas sorti, les gens ont l’impression que l’on s’est fichu d’eux et cela ne permet pas le débat. Je ne parle pas des moments où l’urgence s’impose. Ce bâtiment n’aurait pas été construit et toute l’activité du Génopôle n’existerait pas si l’on avait pris le temps de faire une très longue concertation sur son développement dans le secteur.

Voila, je n’ai pas eu le temps de parler de l’Education nationale et pourtant, c’est un sujet qui me tient beaucoup au cœur mais c’est l’autre grand blocage, et pas seulement dans l’éducation nationale, l’autre grand blocage du secteur, c’est l’Etat. Notre Etat, j’ai découvert avec stupeur que ce n’est pas vrai dans la plus grande partie du reste du monde, notre Etat est un Etat vertical découpé en cylindres qui ne communiquent pas les uns avec les autres. Je dirais que le lieu principal où le développement de la réciprocité est nécessaire est « entre administrations » avant même d’être entre citoyens. Parce que le jour où cela commencera entre administrations, nous aurons un peu plus de facilités à le faire entre citoyens.

Brigitte Darin36

: « Formations réciproques et responsabilisations dans l’association Emmaüs »

Introduction

Nombreux parmi vous ont entendu parler de l’Abbé Pierre et du Mouvement Emmaüs qui est à l’aube de son soixantième anniversaire. Emmaüs est un Mouvement qui est né de la rencontre « d’hommes et de femmes ayant pris conscience de leur situation privilégiée et de leur responsabilité devant l’injustice avec des hommes et des femmes qui ne possédaient plus de raison de vivre » (Extrait du Manifeste Universel du Mouvement Emmaüs). Les membres de ce Mouvement travaillent à l’éradication de la pauvreté et de ses causes et à l’accomplissement de la dignité humaine.

Conception de formation

Aujourd’hui le Mouvement Emmaüs (composé entre autres de communautés, de comités d’amis, d’entreprises d’insertion sans oublier les structures variées telles la Fondation Abbé Pierre, les SOS familles) travaille à la définition de sa conception de la formation et à son ancrage dans les pratiques quotidiennes quels que soient les destinataires : Compagnons, personnes en insertion, salariés et bénévoles. Les orientations de formation qui s’élaborent visent à ce que chacun trouve par sa présence à Emmaüs le droit, l'environnement, les moyens, le temps,

� de se construire, de se valoriser, de restaurer son image de soi, � d'identifier ses savoirs, ses aptitudes, � de les valoriser, de les développer voire de les valider, � de contribuer à la promotion de soi tant dans le mouvement qu'à l'extérieur selon le

choix des individus.

36

Responsable Formation Emmaüs France.

Page 100: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 100

Dans ce Mouvement, a été créée la Maison de Formation des Compagnons et Personnes accueillies (MFC) : elle est l’un des outils de formation du Mouvement EMMAUS, destinée à concevoir, proposer et mettre en place des orientations de formations, dispositifs et actions de formations à destinations des compagnes37, compagnons et salariés en insertion. Le champ d’action est vaste et l’objet de cette intervention n’est pas d’en faire un descriptif. Mon intervention de ce jour est un apport de praticien et non de théoricien même si quelques racines pédagogiques et conceptuelles m’animent.

Fondements pédagogiques

L’expérience professionnelle antérieure, l’ancrage théorique et personnel et les premiers mois de découverte du Mouvement Emmaüs ont orienté la construction d’une offre de formation tournée vers ce questionnement : En quoi (en terme d’objectifs, de méthodes pédagogiques, d’organisation) une formation permet-elle de prendre conscience et de comprendre ses savoirs et comment ces savoirs sont-ils valorisés ?

Les orientations du Mouvement et ce questionnement impliquent que chaque personne, quels que soient son statut, sa fonction, son ancienneté, est reconnue comme étant porteuse de savoirs. On comprendra donc que le choix de construire et d’articuler les formations à partir des bénéficiaires eux-mêmes induit de développer de la formation et non d’enseigner au sens de « Faire apprendre une science, un art, une discipline à quelqu'un, à un groupe, le lui expliquer en lui donnant des cours, des leçons ». En effet, il ne s’agit pas de donner un savoir à acquérir ni d’attendre des personnes qu’elles reproduisent de manière systématique de nouvelles techniques. Il s’agit de créer un environnement, un temps, un lieu où des personnes se retrouvent pour échanger, identifier, approfondir, développer ce qu’elles savent, exprimer leurs connaissances et compléter leurs savoirs. Pour me rapprocher de votre question « Où la réciprocité peut-elle trouver les moyens d’agir à grande échelle ? », je fais le choix de réfléchir avec vous sur le thème : Savoirs et transmission de savoirs.

Savoirs – Transmission des savoirs

Le thème des « Savoirs et de leur transmission » est à la fois intrinsèquement enraciné dans Emmaüs et en même temps a été peu travaillé dans le Mouvement. Or, le plus frappant est l'extraordinaire richesse et diversité des savoirs des personnes qui vivent, travaillent, évoluent dans l'univers Emmaüs. Il est possible de les décrire en trois niveaux :

� Les savoirs du Mouvement résultant des personnes, de son organisation formelle et informelle et de son action. Au cours de son histoire, ce mouvement est collectivement porteur de savoirs.

� Les savoirs des groupes ou communautés qui sont apportés par les personnes présentes et passées. Ces savoirs formels et informels sont dus tout autant aux personnes qu'aux

37

Le Mouvement Emmaüs est composé de communautés qui sont des lieux de vie et de travail dans lesquelles on nomme compagnes et compagnons les personnes qui y résident. Il est composé également de structures qui relèvent de l’économie solidaire telles des comités d’amis, chantiers d’insertion, entreprises d’insertion dans lesquelles des personnes travaillent soit sous contrat d’insertion, soit sous CDD ou CDI de droit commun.

Page 101: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 101

phénomènes groupes et qu'aux interférences extérieures créant ce que nous pourrions appeler une « communauté de savoirs ». Si un individu part, ces savoirs seront ou non transmis, seront ou non suffisamment ancrés pour rester et devenir « patrimoine local ».

� Les savoirs des personnes, que celles-ci soient responsables de communautés ou compagnons. En l'occurrence, nous avons choisi de nous attacher dans cette recherche et pour l’instant aux savoirs des compagnes et compagnons.

La MFC recueille des demandes diverses de compagnons souhaitant apprendre à d’autres, souhaitant que des savoirs spécifiques (parfois qualifiés de « métiers d’Emmaüs ») soient transmis (valorisation bibelots, tri et valorisation timbres, fourneaux, marqueterie, cuisine etc.). Il apparaît également que des compagnons sont porteurs de savoirs qui se perdent à l’extérieur et dans le Mouvement (exemple : menuisier, rempailleur, canneur, etc..). Il apparaît également, de manière criante, que les compagnons rencontrés dans les formations ou dans leurs groupes sont porteurs de savoirs et ont la capacité à transmettre et pourraient apprendre à d’autres. Il apparaît aussi que certains n’ont pas tout à fait cette compétence mais qu’ils accepteraient probablement de l’acquérir ou de la révéler. De là, des choix pédagogiques et d’actions ont été faits au fil des quatre dernières années :

� Ancrer les formations à partir de l’expérience et de la pratique des participants. � Faire émerger dans toutes les formations les savoirs des participants et proposer un

environnement permettant à chacun de se découvrir porteur de savoirs. � Promouvoir les savoirs des compagnons, mettre en valeur le travail, les

compétences, contribuer à une reconnaissance. � Donner la possibilité (dans les formations ou par des actions spécifiques) aux

participants de transmettre : notion et esquisse de compagnon tuteur, réseau de compagnons relais et enfin de compagnons formateurs.

Deux exemples concrets de ces choix

1° L’allée des métiers

Emmaüs France organise tous les ans un « salon » pour la solidarité où un grand nombre de groupes viennent exposer et vendre comme ils le font localement. C’est l’occasion d’une grande rencontre entre ces groupes et bien sûr avec vous, public, puisque 25 000 visiteurs sont venus en juin dernier. A cette occasion, nous avons créé ce que nous appelons « L’allée des métiers ou l’allée des savoirs ».

Une quinzaine de compagnes et de compagnons ont accepté de travailler sous les yeux des visiteurs et de montrer, d’expliquer leurs savoirs : il y a un encadreur, des menuisiers qui réparent, vernissent, décorent des meubles, des ferrailleurs qui trient, un horloger, des réparateurs de luminaires etc. et, comme les autres participants, ce qu’ils réparent ou créent est vendu.

Nous ne sommes pas dans la réciprocité explicite qui caractérise habituellement vos actions. Pourtant le regard des visiteurs, les questionnements, l’intérêt porté à l’un ou l’autre des compagnons présents, au travail qu’ils accomplissent sont une forme de réciprocité indispensable à la construction humaine et à la dignité à accorder à chacune et à chacun.

2° Expérimentation de Transmissions des savoirs des compagnons à leurs pairs

Page 102: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 102

En région Est, les membres du groupe régional de formation s’interrogeaient sur cette question de la transmission des savoirs. Nous avons un groupe de compagnons formateurs de quatre communautés différentes et un groupe de tuteurs qui sont les membres du groupe régional de formation et qui dans les communautés dans lesquels ils travaillent sont intervenantes sociales ou responsables. Au total nous avons douze personnes qui cheminent depuis 1 an ½. Nous aurions pu réunir pendant quelques jours des compagnons qui voulaient transmettre leurs savoirs avec d’autres qui souhaitaient apprendre et ainsi permettre à chacun de se rapprocher et d’apprendre ou de transmettre. Mais nous avons pris l’axe de travailler sur « Comment transmettre – Comment permettre à quelqu’un d’apprendre » car il ne s’agit pas ou pas que de la démonstration d’un geste, d’une technique. Cela va bien au-delà. Il était important de veiller à ne pas mettre en échec des personnes qui ont été fragilisées par des accidents de vie. Nous avons donc conçu un cadre de travail autour de quelques principes : � Chaque compagnon est accompagné par un tuteur de sa communauté. Celui-ci fait le lien

avec les attentes de la communauté et assure un relais pour la mise en œuvre des actions envisagées. Il favorise les échanges, aide à l’explicitation des projets, à la réflexivité sur les actions. Le rôle des tuteurs s’est révélé primordial.

� Un cadre de règles protectrices pour tous : confidentialité, écoute bienveillante, soutien de la parole de chacun, sont des principes de travail co-élaborés en début de formation et très scrupuleusement respectés par tous.

� Une démarche : celle-ci s’appuie sur l’explicitation des expériences pour identifier la richesse des savoirs de chacun.

Pour nous tous, il est difficile de savoir ce que l’on sait. Pour les compagnons qui ont vécu des moments difficiles et dont les savoirs ont été peu valorisés, il est encore plus difficile de se reconnaître porteur d’un savoir transmissible. Il nous a paru indispensable de prendre le temps, avec chacun d’entre eux, d’expliciter ses expériences pour en faire émerger puis verbaliser les savoirs. Cette approche était ciblée sur des registres de savoirs identifiés en amont de la formation (horlogerie, cuisine, etc.). � Nos objectifs sont de :

� Permettre la transmission de savoirs de compagnons par les compagnons eux-mêmes. Leur apprendre à transmettre. Créer une cellule ou un dispositif pour apprendre à apprendre.

� Valoriser les participants, les compagnons dans leurs savoirs et dans leur compétence à transmettre et apprendre à d’autres.

� Permettre le travail sur la relation à l'autre : se décentrer et se distancier. Se voir avec son savoir « de l'extérieur ».

� Sortir de l'enseignement.

Concrètement, nous avons : Un horloger, deux cuisiniers, un électricien, un chauffeur qui forment les équipages de conduite, un monteur de meubles en mélaminés, un formateur à l’hygiène alimentaire en collectivité, un réparateur de vieux poêles et fourneaux, un spécialiste en philatélie et numismatique. Nous nous retrouvons deux ou trois jours tous les trimestres pour : � identifier, partager et travailler :

Page 103: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 103

� les offres de formation que chacun pouvait faire et a pu faire, � les pratiques de formations, � les difficultés mais également les éléments facilitateurs,

� écrire les contenus pédagogiques pour ceux qui ont besoin de formaliser ou qui ont créé une offre spécifique,

� identifier les pratiques différentes dans les groupes et la manière dont cette transmission se fait,

� prendre le temps d’apports théoriques sur la manière d’apprendre à d’autres en sachant que ceux-ci sont amenés naturellement.

� réfléchir au soutien des tuteurs, à la reconnaissance de ce travail par les groupes eux-mêmes et dans le quotidien de l’activité de ces communautés : pour être formateur encore faut-il que la possibilité de découvrir un savoir soit identifiée, planifiée, que formateur et apprenant puissent avoir du temps ensemble facilement.

A ce jour, nous pointons les indicateurs suivants :

� La compréhension des modes d’apprentissage et pour certains de leur propre histoire d’apprentissage. Nous ne le nommons pas « rapport au savoir » mais il s’agit bien de cela.

� La distanciation de son cadre de travail, de ses difficultés. Un compagnon est principalement porteur de cette évolution. Il écrit ses situations problèmes donc il les identifie, prend le temps de se distancier pour sortir de la réaction épidermique et poser une réflexion avec son apprenant. Il généralise cette pratique aux relations qu’il a avec les responsables de la communauté. Quand un problème survient, il leur fait une note écrite, prend du recul, réfléchit et transmet la note.

� L’accès à l’écrit est devenu pour tous un mode d’expression même s’il est plus ancré chez certains. Mais de manière commune les capacités de communication ont augmenté.

� L’identification de l’offre a requis de la réflexion et du cheminement ainsi que la manière d’apprendre. Il a fallu du temps pour sortir des clichés de l’enseignement, de la reproduction d’un apprentissage « à la dure » comme certains avaient eu à subir plus jeunes.

Francis, cuisinier, indiquait en juin être « déformé » par son apprentissage de cuisinier (à coups de pieds dans le derrière) quand il était jeune et par ses années d’armée.

� Au-delà de l’identification de l’offre, chacun a dû aller jusqu’à sa propre reconnaissance de son savoir et de sa capacité à permettre à d’autres d’apprendre. Nous avons fait en sorte de donner à chacun un environnement effectif dans lequel il puisse se voir, s’identifier, être identifié « formateur » et permettre à celui qui est venu pour découvrir et apprendre de se « voir » en situation d’apprenant.

Quand Joseph a appris à un autre compagnon et un salarié la manière de valoriser les timbres, nous avons mis en place une feuille d’émargement pour les apprenants, pour lui formateur.

� Sortir de tous nos clichés, nous, les compagnons formateurs, les tuteurs, les responsables de groupes dans le Mouvement : � Des compagnons et plus généralement des personnes en difficulté peuvent tenir

longtemps dans une salle de formation. � Il n’y a pas lieu d’opposer formation dite théorique et formation dite pratique. La

formation et la capacité à transmettre ne passent pas que par le geste : c’est une modalité parmi d’autres.

Page 104: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 104

Quand Gérard (formateur pour les chauffeurs et les ripeurs) explique que la qualité et la pertinence d’une formation reposent sur la qualité de l’accueil et de la mise en confiance que le formateur met en place dès les premiers moments de la séquence de formation, il délivre la base de la pédagogie. La liste de ces modifications de soi, de ces cheminements n’est bien évidemment pas exhaustive.

Conclusion

De cette dernière expérimentation, nous ne travaillons pas la réciprocité binaire mais une réciprocité systémique. En effet, � Les compagnons formateurs permettent à d’autres d’apprendre, d’accéder à un savoir. � Les tuteurs qui les accompagnent ont évolué dans leur pratique professionnelle en

pointant cet accompagnement de formation différent de l’accompagnement qu’ils pouvaient faire en tant que responsable ou en tant que travailleur social.

� La conjonction compagnons – formateurs a fait évoluer le groupe, la communauté dans sa considération pour la formation, dans l’identification de cette dernière et, par voie de conséquence, dans sa reconnaissance de certains de ses membres comme porteurs de savoirs.

� Cette expérimentation questionne d’autres groupes du Mouvement sur ce rapport au savoir et sur cette mise en œuvre de transmission et de valorisation des personnes.

� Le Mouvement développe une autre forme d’accès à la dignité, à la reconnaissance des personnes.

� Les formateurs « apprennent aussi en faisant dans cette formation qui se construit en marchant ». Il est en effet nécessaire de sortir de modèles de formation stéréotypés pour s’adapter sans cesse et co - construire.

Les deux expérimentations n’ont pas été partagées dans un esprit d’exemplarité mais de mise en commun d’une pratique que nous cherchons à enrichir.

Nous ne sommes pas sûrs des moyens répondant à une évolution à grande échelle même si le Mouvement est en capacité de développer des actions sur une échelle importante. Néanmoins, nous observons que quelques postures humaines et pédagogiques simples contribuent à changer le regard, à poser des relations non pas identiques mais paritaires et complémentaires.

Page 105: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 105

AAtteelliieerr BB 22..11 :: LLuuttttee ccoonnttee lleess eexxcclluussiioonnss

France Lacaze et l’équipe des Pyramides à Evry : « Réciprocité et Plan local d’insertion par l’économique » Intitulé du projet : « Dynamique d’apprentissage et repérage de savoirs ».

Historique du partenariat avec le PLIE d’Evry

Depuis treize ans, la MEP (Mission d'Education Permanente) nous propose un partenariat afin de permettre à des demandeurs d'emploi « longue durée » d'avoir un suivi plus personnalisé. Des conventions annuelles ont été signées entre 1995 et 2007 afin de mettre au point notre collaboration. 1995 : vingt personnes ont été accueillies. 2005 : cent cinquante-trois personnes au rythme de deux fois par mois, ont participé au module « Dynamique d'Apprentissage et Repérage de savoirs ». Cette action leur a permis une prise de conscience de leurs capacités et compétences, le repérage de leur savoir-faire et de voir comment ils étaient transposables au projet professionnel. Entre 1995 et 2007 : Le Réseau d'Echanges de Savoirs d'Evry a accueilli plus de mille cent personnes.

Contexte dans lequel ce partenariat s’est mis en place : depuis 1995, la MEP (Mission d’Education Permanente), l’un des membres fondateurs de notre association, nous propose un partenariat dans le cadre d’un suivi personnalisé de demandeurs d’emploi de la Communauté d’Agglomération d’Evry Centre Essonne.

Objectifs : l’action du RERS participe à la mobilisation d’un public éligible (demandeurs d’emploi longue durée, bénéficiaires de dispositifs d’insertion…).

Cette mobilisation consiste à accueillir des groupes, composés de huit à dix personnes, envoyés par leurs conseillers professionnels, pendant quatre journées.

- Elle doit donner envie de bouger, de se former, d’apprendre, d’entreprendre afin de mieux se préparer à la formation professionnelle ou à l’emploi.

- Cette action concerne les nouveaux entrants dans le dispositif du PLIE et leur permet, durant des périodes d’attente entre les étapes de leur parcours, de ne pas rester isolés, de communiquer et d’échanger, de les aider à prendre conscience de leurs savoir, savoir-faire, savoir-être et de valoriser leurs compétences acquises au cours de leurs expériences (personnelles ou professionnelles).

- De favoriser, d’une façon collective, l’expression de leurs besoins en matière de formation et d’orientation.

Description de l’action : elle dure quatre jours. Récits de vie recueillis en groupes (deux personnes se racontent et s’écoutent). Repérages collectifs de savoirs, savoir-faire et savoir-être acquis et besoins de formations. Animation de jeux : « aventure des métiers », « sortir du froid ». Mises en situations d’entretiens (technique du théâtre forum). Découverte des institutions (démarches administratives) grâce à la visite de la ville. Jeux d’écriture permettant le « déblocage » et la rédaction d’un petit texte de motivation. Mises en relations avec des offreurs et demandeurs de savoirs

Page 106: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 106

Moyens : une animatrice salariée qui coordonne l’action et fait le lien entre le RERS et les partenaires. Des animateurs bénévoles (équipe d’animation). Un local mis à disposition. Une subvention du Fonds social Européen.

Evaluation de l’action : bilans individuels et collectifs, retours des conseillers en insertion, et des participants aux groupes.

Présentation des membres de l’équipe d’animation concernée par le projet

Georgette : 82 ans, fait des échanges depuis douze années. Pourquoi est-elle venue au réseau ? Pourquoi elle a offert le tricot, puis les mathématiques, puis la biologie, le français ? Quel est le rapport entre ses échanges et le projet « d’insertion » ? Préparation aux concours d’aide soignante pour deux personnes qui ont réussi et exercent ce métier. Préparation au concours d’auxiliaire de vie sociale, réussi pour Sega, encouragement à continuer afin de repasser le concours d’aide soignante.

Fatou : 22 ans, a connu le RERS par le PLIE (mission locale) a participé à un « module réseau appelé dynamique d’apprentissage et repérage de savoirs. » Quelles offres et quelles demandes, quels échanges, pourquoi avec Georgette, comment, et la suite ? Investissement dans l’équipe d’animation.

Bernadette : elle connaissait le RERS, ancienne assistante sociale (instruisait les dossiers de demandes de subvention CAF) et a voulu devenir membre du réseau quand elle a pris sa retraite : offre, demande…Pourquoi est-elle devenue membre de l’équipe dans le projet avec le PLIE ? Quel est son rôle ?

Nicole : tout d’abord bénévole au RERS d’Evry puis salariée, et toujours bénévole pour l’animation des modules « dynamique d’apprentissage et repérages de savoirs ». Pourquoi, comment ?

Présentation concrète des méthodes et outils utilisés dans l’animation des groupes

Fiche individuelle de repérage qui sert tout au long du module. Jeux : l’aventure des métiers (Nicole), le jeu sortir du froid (Bernadette), les jeux d’écriture (France). Les mises en situations d’entretiens (présentation de soi et de son parcours), repérage des points fort et points faibles. La visite de la ville et les démarches administratives.

Comment tous ces moments collectifs ont-ils généré des échanges ?

Pratiques d’animation de groupe : règles de fonctionnement, éthique. Echanges avec les « conseillers en insertion » ou comment pratiquer la réciprocité grâce à une connaissance et reconnaissance des rôles de chacun : professionnel, animateur de RERS, enrichissement mutuel : travail de terrain, meilleure connaissance des institutions, du réseau associatifs…

Quelles conclusions ?

Utilité reconnue institutionnellement du rôle du RERS : mobilisation, émergence des projets professionnels, reconnaissance des acquis de l’expérience, lien social, lieu de partage et d’expérimentation.

Page 107: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 107

Lucienne Chibrac38, Maria Sanhueza-Six39, Séverine Papon40, Hélène Olivarès41, Catherine Bernatet42 : « Il est possible que les chômeurs et les acteurs de l'insertion, en utilisant le partage de leurs savoirs et la réciprocité, travaillent ensemble autour de parcours réussis »

Les Maisons Départementales des solidarités et de l’insertion rassemblent en Gironde les services sociaux et l’accompagnement des allocataires du RMI en activant de nombreuses mesures d’insertion, notamment celles destinées au retour à l’emploi.

Les travailleurs sociaux connaissent une évolution importante de leur fonction, notamment depuis la loi de réforme du RMI du 18 décembre 2003 instaurant la notion de référent et accentuant la pratique d’accompagnement vers l’insertion professionnelle. Avant cette loi, cette intervention particulière était plutôt l’apanage des professionnels de l’emploi et notamment ceux des PLIE. De fait, il existait un clivage important entre le champ du social et celui de l’emploi qui ne facilitait pas forcément l’accompagnement du public. Mais, il existait, bien sûr, de nombreuses initiatives de lutte contre l’exclusion qui démontraient un engagement fort et un professionnalisme d’une grande qualité de la part des différents acteurs du social. Aujourd’hui confrontés à des contradictions engendrées par les mutations de la société et du travail et face aux difficultés croissantes (chômage récurrent, contrats précaires, etc.), ils disent que leur métier requiert des besoins constants de professionnalisation pour assurer leur mission auprès des publics venus les rencontrer. Ils souhaitent à la fois se former et échanger à propos de leurs pratiques et de leurs outils dans le champ du travail social et de l’insertion professionnelle. Ils désirent construire une culture commune favorable à l’émergence d’un travail partenarial dégagé des représentations psychosociales souvent préjudiciables aux partenariats. Il existait donc une nécessité de mutualiser et de continuer à élaborer la spécificité du travail et des logiques d’intervention au regard des dispositifs de la commande publique afin de construire de nouvelles compétences et d’innover l’intervention sociale par l’utilisation de positions visant l’autonomie, la confiance en soi et la revalorisation des individus comme, par exemple, les techniques de l’empowerment et celle des réseaux de réciprocité des savoirs. C’est pourquoi une formation visant l’évolution des pratiques au regard des changements structurels de la société et prenant en compte les différents corps professionnels (travailleurs sociaux et chargés d’insertion professionnelle) a été mise en place au Conseil Général de la Gironde depuis 2007. Par cette formation, il s’agissait d’actualiser la pratique de l’accompagnement dans le domaine de l’insertion, d’identifier les éléments stables et évolutifs de la pratique professionnelle en travail social. Il s’agissait aussi de permettre aux professionnels d’échanger sur leurs pratiques d’intervention.

• Harmoniser les différentes représentations individuelles et collectives des participants au sujet de leur mission et de l’environnement sociétal : le social et l’emploi.

38

Conseillère technique en travail social DGAS/DATDS. 39

Chargée d'insertion à la MDSI de Bordeaux Saint-Michel (Mission départementale solidarité insertion). 40

Chargée de mission MDSI d'Arcachon. 41

MDSI de Lormont. 42

Consultante en insertion sociale et professionnelle, elle animera la présentation de cette démarche.

Page 108: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 108

• Proposer une analyse des pratiques professionnelles, bases d’acquisition de nouveaux savoirs et savoir-faire.

• Faire acquérir des compétences spécifiques dans le champ de l’accompagnement et de la mise en place d’actions d’insertion. Créer des partenariats territoriaux.

• Développer la professionnalisation des salariés.

• Instaurer une dynamique de professionnalisation individuelle et collective constante.

• Construire et faire évoluer une culture professionnelle tant dans les équipes pluridisciplinaires que dans les équipes partenariales.

La collaboration établie entre ces différents professionnels a enrichi des pratiques d’accompagnement des publics axées sur les concepts et postures d’empowerment et de réciprocité active entre les publics et les travailleurs sociaux. Cette posture, qui enjoint le professionnel à « accepter que le bénéficiaire a des choses à nous apprendre et devient acteur de son projet », a permis de dépasser certains clivages de représentations psychosociales qui pouvaient laisser croire que la personne en difficulté ne possédait que des difficultés. Ce changement de regard (des accueillants et des accueillis) a favorisé l’émergence de savoirs qui ne demandaient qu’à naître autant chez les personnes rencontrées que chez les partenaires. Et c’est bien la capacité des travailleurs sociaux et des chargés d’insertion professionnelle, dans une mutualisation de leur pratiques, qui a permis un meilleur questionnement aboutissant à un échange de savoirs constructifs pour la mise en œuvre de projets. Dans un aller-retour permanent, avec comme fil d’Ariane les postures de réciprocité active, les professionnels et les publics, en acceptant de développer leur créativité autour des échanges de savoirs professionnels, ont permis l’aide à l’expression et la découverte, en redevenant sujet, des éléments de clarification propices à l’engagement vers des projets de vie, vers tous les possibles.

Paroles de professionnels

Dans notre travail quotidien nous constatons que la personne en insertion est prise dans un faisceau de relations traversées par la notion de pouvoir.

• La notion même d’accompagnement dans le cadre du dispositif RMI est assortie de mesures qui mettent en jeu des relations de pouvoir dans la relation entre la personne et l’accompagnant : signature d’un contrat, obligation à respecter… Nous constatons qu’il est difficile de nouer une relation de confiance dans le cadre d’un dispositif aussi contraint. Les acteurs ont tendance à se positionner selon des stratégies liées au système et au dispositif et non pas liées à leur propre projet de vie.

Nous souhaiterions travailler sur une méthodologie tendant à déconstruire cette notion de pouvoir et de contrôle tout en respectant le cadre et la procédure inhérente à nos missions de service publique. Le système inspiré des échanges réciproques de savoirs semble une bonne piste de réflexion dans la mesure où il redonne à la personne ses capacités d’agir sur son parcours en valorisant ses savoirs. L’échange permet de replacer chacun des acteurs dans un rôle non hiérarchisé où chacun apporte des savoirs à l’autre.

• La notion de pouvoir est au cœur du marché de l’emploi. Celui-ci est fortement hiérarchisé par des conditions de diplômes et d’expériences qui rendent difficile les parcours des personnes les plus précaires. Les freins à l’accès à l’emploi sont multiples et ont tendance à démobiliser les personnes.

Les échanges réciproques de savoirs permettent à la personne de prendre conscience de leurs compétences en valorisant leurs savoirs et leurs parcours « hors champ professionnel ». Cette

Page 109: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 109

méthode permet de s’affranchir de la hiérarchie des savoirs et des compétences afin de donner la chance à chacun de construire un projet professionnel à sa mesure.

• La situation de pauvreté et de précarité des personnes que nous accompagnons provoque une exclusion qui a le pouvoir d’isoler les personnes. Bien souvent, celles-ci se désocialisent et perdent confiance en elle. Le pouvoir de l’isolement fini par induire des incapacités à faire émerger des savoirs et des compétences à offrir aux employeurs potentiels.

Les échanges réciproques de savoirs nous semblent être une bonne méthode pour rompre cet isolement. Les personnes reprennent ainsi confiance afin de redevenir les acteurs principaux de leur insertion. En effet, il est difficile de trouver des ressources en étant seul alors que le regard de l’autre permet de faire émerger des potentialités dont les personnes peuvent alors se saisir. Schéma.

AAtteelliieerr BB22..22 :: RRéécciipprroocciittéé,, ccoonnssttrruuccttiioonn ddee ssooii eett ddeess rreellaattiioonnss ssoocciiaalleess

Tina Stelzlen et quatre membres du RERS de Mulhouse : « La réciprocité comme outil de découverte de ses potentialités, de construction de son projet de vie et de réappropriation de soi en transversalité » Il était une fois… Dans un lointain royaume, des plumes par milliers… Certaines étaient en nacre et en argent, dans de douillets écrins de velours et de satin, et ne sortaient de leurs paradis de velours que pour frôler les parchemins les plus crémeux. D'autres, en bois et en acier, menaient la vie ordinaire des plumes de travail et s'abîmaient dans la trilogie « métro, boulot, dodo. D'autres, encore, étaient étrangères, venues se réfugier dans ce royaume de paix et d'apparente prospérité et n'y connaissaient que l'amertume de l'exil et du mépris. Elles tentaient bien de faire admirer leurs formes exotiques et leurs parures basanées, mais nul ne voulait s'y intéresser. Enfin, des plumes déformées étaient reléguées au dépotoir ou aux greniers et y connaissaient tout « le pas bon » de la vie.

Seulement, dans ce royaume, une bonne fée avait dotée de la vie toutes les plumes. Et celles-ci prenaient vie la nuit, une fois que leurs maîtres sombraient dans le sommeil. Et les plumes de se rendre visite les unes aux autres, mais attention ! Les plumes de luxe ne consentaient qu'à se rendre à des thés de grande classe, où seules les plumes de luxe étaient admises. Les plumes de travail prenaient des apéros dans des bars populaires où l'on servait l'encre de Chine au godet. Les étrangères se retrouvaient en petit cercle d'étrangères et les plumes reléguées fondaient des clubs de marginaux où ne régnait ni grande joie ni grand espoir.

Cependant une plume médita un jour la parole d'un grand sage : « Quand le débutant est conscient de ses besoins, il finit par être plus intelligent que le sage distrait ». Et elle eut une idée loufoque : si toutes ces plumes se mélangeaient, partageaient leurs savoirs et leurs connaissances dans un grand melting-pot. Elle partagea son idée avec d'autres plumes, qui acceptèrent de se lancer dans cette aventure inouïe ! « Le plus grand arbre naît d'une graine menue ».

Page 110: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 110

Et c'est alors que l'on vit, ô stupeur, des plumes de luxe rencontrer des plumes handicapées, et admirer les possibilités de celles-ci… Des plumes étrangères faire partager leurs plats les plus raffinés à d'autres plumes qui n'avaient même pas conscience de saveurs aussi délicates… D'autres plumes partager avec des plumes qu'elles n'auraient jamais croisés dans leur vie quotidienne… Et tout ce petit monde cohabitait dans la joie et la bonne humeur, en respectant les principes d'un grand sage calligraphe : « Créer, non posséder ; œuvrer, non retenir ; accroître, non dominer ».

Historique et contexte

Comment est né le REZO! de Mulhouse ? Tina Steltzlen pensait depuis longtemps aux questions de solidarité, d'interdépendance les uns avec les autres. Au début de l'année 2006, elle découvre les principes des RERS et la Charte des Réseaux d'échanges réciproques de savoirs. Elle prend appui sur cette charte et ces principes comme une colonne vertébrale pour aller sur les terrains où les citoyens ne sont pas sollicités, ne sont pas reconnus dans leur interdépendance avec la « société ». Des endroits où les personnes ne sont ni vues, ni reconnues, ni aimées, comme si elles étaient « invisibles ». Autour de ce projet se sont rassemblés un certain nombre de partenaires, dont le Centre Socioculturel Porte du Miroir. Les échanges individuels et collectifs se sont constitués à partir des personnes qu'elle connaissait et qu'elle rencontrait. Dans la foulée, certaines structures ont contractualisées avec Mme Steltzlen. La presse se fait l'écho des réalisations du REZO ! Et l'étape suivante est la création de l'association le REZO ! en Juillet 2008, association de Droit Local Alsacien. Mulhouse est une ville de 110 359 habitants, au sud de l'Alsace. Elle a un passé industriel prestigieux mais a connu la crise. Elle héberge une importante minorité de populations étrangères (16 691) et de personnes à faibles ressources. On constate un décalage entre les aspirations profondes des individus et les exigences d'une « société » de plus en plus normative, porteuse d'un dogme d'excellence. On peut alors se poser la question : doit-on obligatoirement être conforme à l'image que l'on exige de nous, au mépris de nos propres valeurs, pour prétendre pouvoir être reconnu ? Ce conflit intérieur engendre pour beaucoup, insérés ou non dans un microcosme social, un déséquilibre dû aussi à l'absence de reconnaissance de son originalité. Il en résulte, bien souvent, un enfouissement de l'estime de soi avec des conséquences négatives pour l'individu : un déni de sa personnalité et un engourdissement de ses compétences. Dans ce contexte, le Rezo ! n'a pas la prétention de proposer la solution idéale, mais peut être une opportunité d'envisager sa relation à soi et aux autres, sous un autre angle d'approche. Il peut offrir une alternative en remettant l'individu au centre de ses préoccupations. Non pas dans un centrage unilatéral sur soi. Mais bien au contraire, en posant la question de la valeur, dans l'acte d'échange avec autrui, libre de tous jugements restrictifs et porteur de toutes ses potentialités enfin réalisables. Cet acte d'échange avec autrui réalise la solidarité en tant qu'interdépendance des hommes entre eux. Le Réseau rend visible cette interdépendance en lui donnant une forme. Les échanges incarnent, donnent chair à cette interdépendance. Le partage de connaissances n'est que la partie émergée de l'iceberg, alors que la partie invisible recouvre les effets induits. Ces effets induits sont plus importants que les connaissances en elles-mêmes.

Page 111: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 111

Que de trésors insoupçonnés dorment en nous ! Pour étayer notre propos, nous partirons de la place de l'Homme dans la société. Après avoir constaté une dissymétrie, nous explorerons un bouquet de témoignages qui nous conduira à une synthèse sur un outil possible de la mise en œuvre de solidarité.

« Le plus grand arbre naît d'une graine menue ».43

La place de l'homme : « dissymétrie de la société »

Nous vivons la réciprocité dans le REZO ! au niveau local, mais nous essayons de la construire au niveau régional et national. Pour nous, répondre à cette question « comment la réciprocité construit-elle la solidarité », c'est une manière de réciprocité, puisque nous apportons nos éléments de réponse.

La question de la réciprocité a soulevé beaucoup de débats lors d'une réunion de préparation des participants du Réseau de Mulhouse. La solidarité étant vue par certains comme complètement naturelle et n'étant pas sujette à discussion. Une participante de culture africaine jugeait pour elle la réciprocité « fondamentale », car il n'est pas question de prendre sans donner à son tour ni de donner sans prendre. Certains participants ne le comprenaient peut-être pas de la même façon.

Ensuite, un petit groupe de personnes intéressées s'est rassemblé autour de cette question et a mené une réflexion en deux étapes. Nous sommes d'abord partis de la place de l'homme dans la « société » pour constater une dissymétrie entre la construction du savoir en réciprocité et en échange marchand. Puis nous avons tenté d'explorer une facette de la réciprocité : la construction de solidarités.

Comparaison de la construction des savoirs en réciprocité et en échange marchand

Nous avons bien conscience de la limite imposée par un tableau, l'objet n'est pas ici d'opposer deux systèmes mais d'avoir un moyen technique qui permet une lecture rapide.

Comment a-t-on construit les savoirs ?

Réciprocité Echange marchand

La vie en trois dimensions ou d'autres ? La vie en deux dimensions

Echanges de savoirs : se construire en partageant, donc construction de soi et de l'autre en réciprocité

Savoir = pouvoir

Autorisé, validé et référencé

d’où je parle - d’où je viens

Savoir = partage (instrument de reconnaissance de soi, de l'autre) qui engendre des solidarités

Savoir = captation, hégémonie, rétention de pouvoir d'où une diffusion choisie et sélective créatrice de dette envers la personne

qui reçoit

Don du savoir accroît le savoir : enrichissement par le partage Mise en lien du savoir avec la technique et le pouvoir qui ne permet plus le partage

Reconnaissance de soi et de l'autre Contractualisation de l'échange : quelle est la valeur que l'on donne ?

43

Citation de Lao-Tseu, philosophe chinois.

Page 112: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 112

La réciprocité à l'origine de la solidarité

Pour mieux comprendre ce tableau, repartons des principes de base des Réseaux. Dans les Réseaux, on accepte de donner un savoir en échange d'un autre savoir. Et la personne choisit l'endroit où il souhaite se placer. Nous reconnaissons cependant que cela peut avoir ses limites, ne serait-ce que par l'acceptation des principes de base. Certaines personnes peuvent ne jamais les accepter. Le Réseau n'est pas « la solution », mais une alternative possible parmi d'autres alternatives. Cette alternative construit la réciprocité en laissant émerger une solution créative : au lieu de s'enfermer dans des représentations figées où chacun a sa place, où chacun est porteur de son « étiquette », cet angle d'approche propose une véritable reconnaissance de l'autre tel qu'il est. Non pas que la société n'apporte pas de reconnaissance de soi, mais elle apporte des solutions qu'elle considère utiles pour la construction du projet de vie, sans permettre à la personne de chercher elle-même ses solutions. Cette ingérence de la société peut mettre à mal le besoin de cohérence de l'individu : elle le place dans un processus de dissociation, sans toujours lui permettre de se poser la question du Pourquoi l'on fait les choses. A rebours, d'autres personnes ne se construisent qu'en individualités propres, en refusant de prendre conscience des interdépendances de chacun envers tous et des réciprocités et des solidarités qui en découlent. Les Réseaux refusent d'adopter ces deux positions radicales : ils refusent toute inscription religieuse et politique pour rester ouverts à tous, même s’ils connaissent des difficultés à œuvrer dans le monde traditionnel. En effet, l'intervention des Réseaux dans l'espace public n'est pas une notion qui va de soi : beaucoup pensent que ces relations n'ont de sens que dans la sphère privée. Cela nous amène à la question de la légitimité des Réseaux. Cette construction de soi dans une relation transversale à l'autre est une remise en cause du fonctionnement classique de la société. Dans les Réseaux, même si les diplômes et les parcours de formation de chacun ne sont pas niés, ils ne deviennent pas une référence absolue engendrant un statut social et une hiérarchie. Chacun est reconnu tel qu'il est, comme porteur de savoir et comme acceptant de donner et de recevoir un savoir. Du coup, tous les savoirs, quels qu'ils soient, se retrouvent placés sur la même ligne horizontale : il n'y a aucune hiérarchie de savoirs. Attention cependant : nul ne peut nier que certains savoirs soient cependant davantage recherchés que d'autres ! Mais dans la gestion du Réseau, l'accompagnement des personnes permet à chacun de se positionner dans une évolution de son offre de savoirs capable de correspondre aux demandes des membres du Réseau. Cet accompagnement se fera en douceur, pour permettre à la personne d'évoluer à son rythme. De cette reconnaissance de soi par soi-même et par l'autre pourrait découler naturellement des solidarités. En effet, accepter de reconnaître l'autre, c'est accepter de partager, au-delà des savoirs et des connaissances, des expériences et des visions de la vie différentes. Et, de ce nouveau partage, peut commencer un dialogue de cœurs à cœurs, d'esprits à esprits, de cultures à cultures qui transcende les limites de chacun pour construire une synergie, un « vivre ensemble » où chacun pourra puiser des ressources. Chacun, à son niveau, nous puisons dans cette synergie et c'est cela qui nous fait grandir.

Page 113: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 113

Dans notre tableau de la première partie, nous apposions la construction du savoir en réciprocité et en échange marchand. Ensuite, dans ce dernier développement, nous avons essayé d'évoquer le lien entre la technique des échanges du Réseau et l'apparition de la notion de solidarité. Mais nous aurions tort de considérer les deux phénomènes liés par des liens de cause à effet. Dans l'échange marchand apparaît très tôt un cycle. Le savoir se lie au pouvoir et à la technique pour n'être accessible qu'à l'élite. Plus tard, avec le temps, il connaît une plus large diffusion qui lui permet d'intégrer la norme de la société et de servir de critère de différenciation et de jugement. Rien de tel avec la réciprocité, où la solidarité est la structure même de l'échange. C'est en effet la reconnaissance par chacun de l'interdépendance qui nous lie les uns aux autres, qui nous inscrit dans l'échange. Comme l'histoire de la poule et de l'œuf, la solidarité naît de l'échange et en contient la motivation et l'origine.

« Je n'aime pas les sédentaires du cœur. Ceux-là qui n'échangent rien ne deviennent rien44 ».

« Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis45 ».

Outils de découverte de ses potentialités

La malle aux trésors Dans cette partie, nous allons présenter différents témoignages susceptibles de nous faire pointer du doigt une partie de la vie du REZO! de Mulhouse. Après avoir partagé avec vous notre vision de la solidarité dans la première partie, nous allons la considérer « en pratique » et « de visu ». Cela nous permettra de dégager dans une synthèse la manière dont le REZO ! devient un outil de développement des solidarités.

Un bouquet de témoignages Un groupe s'était réuni autour d'une action réflexion « sur les représentations dans le monde du travail ». Ressenti des effets de certains participants :

« L'originalité du projet tient au fait que l'individu, même en mal-être, donc coupé de sa dynamique, s'est découvert la capacité de transmettre une énergie porteuse au groupe. Chacun a su jouer y jouer spontanément un rôle, en rapport avec ses qualités et ses valeurs propres, souvent en sommeil, parfois insoupçonnées. Mais ceci n'aurait pu se réaliser sans la critique constructive, les encouragements et la solidarité empreints de bienveillance du groupe envers chacun... l'un aidant l'autre souvent plus que lui-même, avec un plaisir et une énergie sans cesse renouvelés.

… Au mouvement perpétuel

La somme de toutes les énergies individuelles (participants, intervenants) renvoyées les unes aux autres, a donné naissance à une synergie qui s'autoalimentait en permanence des progrès de chacun.

44

Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle. 45

Idem.

Page 114: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 114

Le groupe devint alors une formidable dynamique, construite sur le principe de l'échange à tous les niveaux, et du retour de cet échange en un mouvement perpétuel, où chacun s'est donné le libre-arbitre de tracer son propre chemin de vie. »

Témoignage d'un travailleur social

« Redécouvrir ses potentialités, c'est d'abord accepter le risque d'être soi et d'aller vers soi. C'est briser ses peurs et accepter de vivre le RISQUE, en tant que constructeur d'une identité par le biais de la CRISE. Le mot crise n'est pas ici à prendre dans un sens négatif, mais au contraire dans un sens d'ouverture, de dépassement de soi et d'interpellation. C'est en acceptant l'ouverture sur l'autre que l'on reprend conscience de ses potentialités. Les résidents de la Maison Relais sont des personnes fragiles, dont le parcours est marqué depuis longtemps par l'échec et dont l'identité n'a pas toujours assumé cet échec. Bien plus, beaucoup finissent par se croire contraints à l'échec et n'arrivent plus à se projeter dans un projet de vie.

La deuxième problématique repose sur l'assistanat caractéristique de leurs situations : à force de recevoir leur subsistance de la société par le biais des aides de l'Etat providence, beaucoup ne savent plus donner. Les remettre en position d'être acteur d'un projet, dans le don et dans l'échange, leur permet de se reconstruire une identité forte et de ne plus s'identifier à des étiquettes péjoratives comme celle du RMI, du handicap…

Le résident de la Maison Relais dépasse cette étiquette et ne se définit plus par ses manques ou ses carences mais devient celui qui apprend et celui qui peut faire apprendre. Le passage de l'un à autre est un moment fort, une véritable reconnaissance de soi par autrui qui devient un signe fort pour avancer dans la construction de son projet. Même s'il faut du temps pour apprivoiser cette nouvelle identité, celle-ci redonne des forces pour avancer et pour dépasser ses blocages.

Retrouver la logique du don permet de retrouver l'estime de soi et cela peut aller jusqu'à remettre en cause la dépendance aux médicaments ou aux institutions pour progresser de nouveau en autonomie. »

Témoignage d'une animatrice du REZO !

« J'ai ressenti une acception mutuelle et une ouverture d'esprit lors des échanges que j'ai effectués. Il y a en effet un besoin mutuel d'apprendre, de recevoir, de s'enrichir et aussi de transmettre afin de se valoriser. Qui que l'on soit, d'où que l'on vienne et quoi que l'on apporte, il y a une crédibilité de son savoir et une reconnaissance, ceci même si l'on n'est pas un « vrai » professionnel, reconnu dans son domaine... »

Témoignage d'une participante au REZO !

« Je me sens plus à l'aise dans le REZO ! car nous sommes un groupe de personnes de toutes origines et j'ai même pu créer des liens d'amitié en dehors du plaisir d'échanger des savoirs. »

Page 115: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 115

Témoignage d'un enfant de dix ans

Voici le témoignage d'une enfant, qui propose et reçoit régulièrement des savoirs : « Ça me fait plaisir d'apprendre aux autres parce que je rends un savoir. Et c'est important d'échanger. La différence avec l'école, c'est que, dans un échange, je reçois quelque chose. J'aime mieux quand même apprendre. Donner un savoir, ça m'oblige à réfléchir, c'est plus difficile. La maîtresse, elle, nous donne des ordres, alors que dans le REZO !, j'apprends ce que j'ai envie d'apprendre, ce qui me plaît. »

Trois témoignages de personnes en foyer d'accueil – demandeurs d'asile :

Témoignage de Jonathan : « Je suis vraiment heureux de participer aux échanges de savoirs, de continuer à apprendre… et de donner des savoirs. Depuis que je suis dans le réseau j'ai fait connaissance avec des personnes de toutes les origines : européens africains etc., de plus je parle plus facilement avec les autres ».

Témoignage de Beata : « Avant je restais chez moi dans ma chambre, le rezo m'a aidé à sortir de ma solitude et de mon isolement. Je me sens bien quand je suis dans le rezo. Je peux donner quelque chose que je sais faire ». Témoignage de Chemsi : « Je suis venu dans le rezo pour apprendre le français, je suis content de rencontrer des personnes de culture française c'est mieux pour moi. J'ai pu me faire des amis et on parle de tout ».

Apports du REZO ! au CSC Porte du Miroir

Tout d’abord une redynamisation du Centre social à travers la venue et le brassage, en tout temps, en toutes circonstances, dans le cadre des échanges collectifs et individuels, de personnes de tous horizons. Cette redynamisation s’apparente, comme le dit l’une de mes collègues, à « remettre de la vie dans le centre ».

Une nouvelle conception du rapport à l’autre et de fait une nouvelle méthode de travail. Cette nouveauté se traduit dans le cadre de l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet partenarial et collectif autour des représentations liées à l’emploi.

Ces deux premiers éléments conjugués, liés aux constats de réussite évidente de la démarche du REZO !, ont eu une incidence évidente et positive auprès de certains salariés du centre, de la Direction et du bureau de l’association. Une incidence qui s’est traduite par une ébauche de remise en question, une réinterrogation de la pratique professionnelle au quotidien avec les publics accueillis.

Mais entre la prise de conscience et la mise en application effective d’un changement de pratiques, il y a encore quelques pas…

Quelques pas désormais à franchir concrètement dès 2009 puisqu’une décision émanant du niveau politique de l’association a placé au centre du projet social 2009 – 2011 de la structure une unique finalité : « Mettre en valeur les compétences des habitants », en précisant bien que « nous considérons que chaque personne détient en elle des ressources. Il s’agit donc de

Page 116: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 116

structurer l’intervention du Centre pour pouvoir accompagner les habitants, faire émerger et valoriser leur expertise et leurs compétences. » (CF projet Social 2009 – 2011, page 13).

Et qu’à ce titre, elle acte également, dans le cadre de l’animation globale du quartier, « la création des liens avec le Réseau d’Echanges réciproques de savoirs dans le cadre du soutien à l’engagement citoyen. » (CF projet Social 2009 – 2011, page 23).

Synthèse

A travers toutes ces expériences, ce sont les principes des Réseaux qui sont des outils de découverte de ses potentialités. Ces principes : le partage et l'acquisition de savoirs ont des effets induits qui permettent la mise en œuvre de valeurs.

Ces valeurs reposent d'abord sur le besoin fondamental de sentir que l'on fait partie de la Vie, que l'on est utile à l'Humanité.

Même si chacun s'approprie le réseau en fonction de ses problématiques et de ses motivations, il demeure ce dénominateur commun qui donne la possibilité de travailler ensemble.

Ce dénominateur commun, même si l'on peut le recouvrir par d'autres mots tels que la bienveillance, le respect, le non-jugement tente de demeurer pour nous une réalité concrète.

Cette réalité ne pourrait jamais être complètement définie par des mots, aussi savants et aussi bien-intentionnés qu'ils soient, car la richesse de nos expériences est d'une complexité sans cesse croissante.

C'est pourquoi nous essayons de demeurer dans une pratique sans cesse interpellée et sans cesse renouvelée.

Ainsi le réseau devient un espace de construction de son autonomie, un endroit où chacun s'autorise à devenir, à définir ou redéfinir son propre projet de vie.

Conclusion

« Si tu brises le noyau de l'atome, tu y trouveras enclos un soleil. »46

Mouvement perpétuel

Si l'on part du postulat de départ que tout être humain est un être social donc ne peut vivre seul, ni même survivre, alors il devra se tendre vers l'autre dans son écoute pour se relier au monde.

De cet effort à se relier au monde naît une coopération active matérialisée par une organisation sociale et un travail d’équipe.

46

Sayyed Ahmad HATEF ISFAHANI, d'Iran, au XVIIIème siècle.

Page 117: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 117

Cette coopération active engendre une nouvelle impulsion, une synergie, résultante de l'optimisation et de la démultiplication d'énergies multiples particulières. Elles-mêmes initiatrices d'une intelligence créatrice, la créativité, mère nourricière de l'acte de création.

La création, dans l'abstraction ou la matière, est à son tour libératrice d'une seule et unique énergie fusionnée, fruit de la mise en commun des énergies multiples et particulières primaires citées précédemment.

De la fission à la fusion…

Si l'on considère que cette énergie fusionnée par l'acte de création est la pierre d'angle de la construction du soi structurée par l’expérience, on peut alors découvrir d'autres possibles. Eux-mêmes s'ouvriront sur d'autres possibles, dans une trajectoire d’évolution où la découverte de nos valeurs ajoutées mène à la connaissance de soi à soi.

Si l'on suppose enfin que la reliance de soi à soi représente l'ultime étape jusqu'à l’accomplissement de soi, et de l'épanouissement qui en résulte…

Nous jaillissons en vivance, aux antipodes de la survivance, et dans le libre choix.

Donc au monde.

De la fission à la fusion, une réaction s'enchaîne…

Ainsi, de la reliance de soi à l'autre, donc au monde…, de fission en fusion d'énergies créatrices en réactions sans chaînes… naît la reliance de soi à soi… qui engendre la vivance.

La vivance étant d'appartenir au monde, donc à l'autre.

De soi à l'autre, donc au monde, on arrive de soi à soi, donc au monde, donc à l'autre…

En un mouvement perpétuel.

En conséquence de quoi l’autre, le monde et moi ne font qu’un. N’est-ce pas cela, finalement, un monde solidaire ?

Amadou Chirfi Haïdara (RERS de Tombouctou, Mali)47

: Comment la réciprocité permet de sortir de l’isolement et de « se faire valoir ».

47

Nous signalons cette intervention qui a eu lieu.

Page 118: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 118

Zina Ouaglal48

: « la réciprocité comme élément de construction des personnes »

Avant-propos

La réciprocité est « l’état ou le caractère de ce qui est réciproque49 » : qui marque un échange équivalent entre deux personnes, deux groupes, deux choses. C’est donc sous-entendre l’existence de la relation qu’entretiennent deux individus entre eux.

Comment cette réciprocité établie traduit-elle de la construction de l’un ou de l’autre des protagonistes de notre situation ?

C’est là toute la problématique que nous posons.

Dans notre travail de recherche, nous avons été amenée à établir de nombreuses corrélations avec cet état, ce caractère particulier. Car, s’il est simple de parler de réciprocité, la théorie présente ici est complexe.

Pour pouvoir comprendre le cheminement effectué de l’état de réciprocité : nous voudrions faire un détour par le produit final obtenu de l’existence validée de la réciprocité dans la relation avec autrui.

Que produit la réciprocité entre nous, chez nous les être humains ?

De l’approche de l’autre (autrui) grâce à son contact, nous nous développons, certains disent « qu’ils s’enrichissent de la présence de l’autre » : en réalité nous apprenons à nous connaître et à nous reconnaître (et, par là, peut-être à nous reconstruire) nous-mêmes dans cet échange.

Introduction

A l’heure bien tardive où nous écrivons cette contribution, nous avons changé : depuis plusieurs jours, nous changeons (dans le sens de complémenter une information, un savoir) sur les postulats d’hier et sur de nombreux points.

En fait, nous intervenons doublement dans cet échange aujourd’hui. La recherche que nous menons est en toile de fond d’une situation que doivent sans doute vivre tout un chacun.

Nous nous attarderons ici sur ce que nous exprimons à l’instant T : sur ce que l’individu comprend de sa place dans une société. Au concept de réciprocité, c’est de l’identité que nous nous associons l’idée selon laquelle notre personnalité, notre trait de caractère est inscrit dans la sphère sociale. La société des individus est à l’image de l’engouement que ces derniers recherchent en interpellant et/ou en interrogeant leur devenir. Notre société viendrait alors d’un reflet des individus qui la composent.

48

Doctorante en sciences de l’Education. 49

Définition du Dictionnaire Larousse 2008.

Page 119: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 119

Mais l’individu réciproque est aussi un acteur de cette société qui peut changer les règles du jeu notamment par le lien qu’il entretient avec les structures organisatrices de la cité.

1er chapitre : Une histoire de valeurs…

Comment définir l’individu réciproque ramène selon moi à Comment aimerions-nous nous voir défini ? Est-ce notre aspect, notre intellect qui nous distingue ? Ou est-ce notre place, statut et rôle et donc le pouvoir conféré qui nous détermine un rang dans la société ? Vis-à-vis de qui et de quelle structure ?

Nous pensons que nous aimerions être définis pour notre véritable valeur. Ce que nous entendons ainsi, c’est l’existence de valeurs portées par chaque individu comme étant à l’origine de sa propre construction.

Pour permettre de mieux cerner la valeur ou les valeurs, nous nous sommes appuyés sur les travaux d’un chercheur, Shalom50 H Schwartz. Cet auteur dénombre cinquante-six valeurs et il les a organisées selon des domaines dits motivationnels : le Pouvoir – l'Accomplissement – l'Hédonisme – la Stimulation – la Centration sur soi – l'Universalisme – la Bienveillance – la Tradition – le Conformisme – la Sécurité et la Quête du Savoir.

La Centration sur soi ou Auto-centration. Sept valeurs sont reliées à la recherche d’indépendance de pensée et d’action : la liberté, le respect de soi, la créativité, l’indépendance, le choix de ses propres buts, l’intelligence, la curiosité.

La Stimulation. Quatre valeurs sont reliées à la recherche d’excitation, de nouveauté et de défi : une vie excitante, une vie variée, l’hardiesse, la curiosité.

L’Hédonisme. Trois valeurs sont reliées à la recherche des plaisirs et de la gratification personnelle : le plaisir, profiter de la vie, être en bonne santé.

L’Accomplissement. Sept valeurs sont reliées à la motivation pour le succès personnel en démontrant ses compétences dans le cadre d’un groupe social : L’ambition, avoir de l’influence, compétence, la réussite, l’intelligence, la reconnaissance sociale, le respect de soi.

Le Pouvoir. Six valeurs sont reliées à la recherche de l’obtention d’un statut social, l’atteinte du prestige et du contrôle ou de la domination des autres : le pouvoir social, la fortune, avoir de l’autorité, préserver son image publique, la reconnaissance sociale, avoir de l’influence.

La Sécurité. Onze valeurs sont reliées à la recherche de sécurité, d’harmonie et de stabilité dans la société : la sécurité nationale, l’ordre social, la sécurité familiale, l’échange de services, le sens de l’appartenance, préserver son image publique, être en bonne santé, la reconnaissance sociale, être modéré, la propreté, l’harmonie intérieure.

La Conformité. Huit valeurs sont reliées au but de réfréner les actions, inclinaisons et pulsions contraires aux normes et attentes sociales : l’obéissance, l’autodiscipline, la politesse, le respect des aînés, l’humilité, la loyauté, être responsable, la propreté.

50

Schwartz S.H., Bilsky W., 1987, Toward a Universal Psychological Structure of Values, Journal of Personality and Social Psychology. 53, 3, pp. 550-562.

Page 120: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 120

La Tradition. Six valeurs sont reliées à la recherche du respect ou au conformisme des croyances, modes de comportement ou coutumes imposées par la culture ou la religion : le respect de la tradition, la dévotion, l’humilité, être modéré, l’acceptation de son sort, le respect des aînés.

La Spiritualité. Sept valeurs sont reliées à la motivation de donner un sens à la vie et de parvenir à l’harmonie intérieure en transcendant la réalité quotidienne : la vie spirituelle, un sens à la vie, l’harmonie intérieure, le détachement, l’acceptation de son sort, la dévotion, l’harmonie avec la nature.

La Bienveillance envers autrui. Sept valeurs sont reliées à l’objectif de préserver et/ou d’améliorer le bien-être des personnes avec lesquelles l’individu est fréquemment en contact : l’honnêteté, la loyauté, être responsable, l’amitié authentique, l’amour profond, le pardon, être serviable.

L’Universalité. Douze valeurs sont reliées au but de comprendre, d’apprécier, de tolérer et de protéger le bien-être de tous les hommes et de la nature : l’égalité, l’harmonie avec la nature, l’harmonie intérieure, la sagesse, un monde de beauté, un sens à la vie, l’amour profond, la justice sociale, la protection de l’environnement, un monde en paix, l’ouverture d’esprit, l’intelligence.

La Quête du Savoir devrait se situer entre l'Universalisme (puisqu’une telle recherche de la connaissance s'inscrit dans une logique universaliste) et l'Autonomie (puisque ce type va de pair avec une pensée indépendante). Trois valeurs de base supplémentaires constituant ce type, ont donc été insérées dans la liste des valeurs de Schwartz : la recherche de la vérité (faire la lumière sur les choses), la connaissance (essayer de comprendre le monde) et la raison (trouver des explications rationnelles, logiques). Ce type Quête du Savoir s'appuie sur deux dimensions : le Dépassement de Soi et le Changement.

La spécificité de ce modèle est de proposer une structure précise qui affine les deux grandes oppositions habituelles :

- la première opposant le Changement (Openess to Change) à la Continuité (Conservation),

- la seconde le Dépassement de Soi (Self-Transcendance) à l'Affirmation de Soi (Self-Enhancement).

Comme l'indique le graphique, les correspondances des dix types avec les quatre dimensions sont les suivantes :

- la dimension Dépassement de Soi comprend les types Universalisme et Bienveillance ;

- la Continuité comporte les types Tradition, Conformisme et Sécurité ; - l'Affirmation de Soi inclut les types Pouvoir, Accomplissement et partiellement Hédonisme ; - enfin, le Changement intègre les types Stimulation, Autonomie et partiellement Hédonisme.

Cette présentation permet de visualiser des dispositions sectorisées de domaines motivationnels adjacents (stimulation et hédonisme, accomplissement et pouvoir, bienveillance envers autrui et spiritualité, tradition et conformité…), et la position conflictuelle de deux domaines motivationnels par rapport à l’origine (auto-orientation versus conformité,

Page 121: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 121

stimulation versus tradition, hédonisme versus spiritualité, accomplissement versus bienveillance envers autrui, pouvoir versus bienveillance envers autrui…)

Figure 1 : Structure idéal-typique des valeurs selon Shalom H. Schwartz -Graphique d'après WALCH 1998

L’organisation de ces domaines de valeurs s’articule d’intérêt propre à l’individu, à la société (collectif) ou bien aux deux (mixte). Ce qui suppose ainsi que, tôt ou tard, des congruences ou des dissonances sont à prévoir dans les organisations sociétales et les individus qui la composent.

2nd chapitre : Des paramètres pour l’in-dividu

Nos réflexions nouvelles envisagent aussi une approche plus intrinsèque de cette catégorisation. En effet, il s’agira pour nous de comprendre en quoi l’individu réciproque est devenu un objet de conscientisation pour les sciences humaines, notamment sous l’angle d’attaque de la psychologie sociale par le biais du psychologue clinicien qu’est Jean Léon Beauvois.

Ce dernier place l’individu, pour le définir, sur une norme d’internalité qui fait apparaître deux concepts que nous résumons ici par : l’utilité sociale et la désirabilité sociale.

Ces deux facteurs rentrent dans l’équation suivante : comment un individu réciproque est-il traduit dans notre société ?

A notre sens, l’individu réciproque ressent bien toute l’utilité sociale et la désirabilité sociale qui cohabitent ensemble pour permettre l’expression d’une humanité clairvoyante. Au quotidien, l’individu réciproque porteur de ces marqueurs sociétaux se construit.

Dans les différents dispositifs ou environnements humains, l’utilité sociale et la désirabilité sociale s’expriment tantôt avec congruence tantôt en dissonance (certains auteurs auraient sans doute utilisé le rapport symétrie et asymétrie).

Désirabilité sociale et utilité sociale ne sont plus seulement composantes mais aussi actions réelles qui déterminent des enjeux de vie avec toutes les conséquences que cela peut occasionner.

Page 122: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 122

Dans certains cas, c'est la désirabilité sociale qui l'emportera par rapport à l'utilité : car ne l'oublions pas nous avons à faire à des êtres humains qui ont aussi un système de valeurs mais dont les processus différent uniquement sur la valence accordée à ces valeurs.

3e chapitre : L’in-dividu efficace

Un tel individu autonome, exempt de mimétisme de type Pygmalion, a fait surface sous le terme d’autodidacte. Car c’est la société même qui, en multipliant les supports de savoirs, a contribué à construire l’individu dans une posture de détachement des conventions et comportements collectifs.

L’individu n’est plus seul armé mais compose avec ce qu’Albert Bandura51 a développé comme étant le sentiment d’efficacité personnelle. En effet, fort de cet attribut, l’individu peut déjouer les vicissitudes de cette vie afin de rendre possible ce qui parait insurmontable. Selon cette théorie définie par Bandura, la perception qu'a un individu de ses capacités à exécuter une activité influence et détermine son mode de penser, son niveau de motivation et son comportement. Bandura prétend que les personnes cherchent à éviter les situations et les activités qu'elles perçoivent comme menaçantes, mais elles s'engagent à exécuter les activités qu'elles se sentent aptes à accomplir. Cependant nous pensons que cette auto-efficacité est d’autant plus accrue lorsque des situations de crises ont été portées par l’individu. Et chacun réagira selon sa propre compréhension de son état du moment. Pour Bandura, l'expérience vicariante, c'est-à-dire l'opportunité de pouvoir observer un individu similaire à soi-même exécuter une activité donnée, constitue une source d'information importante influençant la perception d'auto-efficacité. Cette expérience vicariante vaut pour les adultes comme pour les enfants, dans le domaine professionnel comme dans le domaine scolaire, voire dans bien d'autres domaines, y compris médicaux.

Selon la théorie de Bandura, la perception d’efficacité personnelle dépend de quatre facteurs :

- Le premier, et le plus important, est l’existence de réussites similaires dans le passé. Quand on a l’habitude de réussir quelque chose, on se pense capable de le réussir encore.

- Le deuxième provient des expériences « vicariantes », c’est-à-dire des occasions où la personne a observé des « autres similaires » réalisant la même activité avec succès. Si on voit d’autres femmes réussir dans des tâches ou des apprentissages techniques, on pense que nous aussi nous pourrons réussir.

- La troisième source d’efficacité personnelle, ce sont les renforcements verbaux, les compliments, le support, les encouragements.

- Enfin, la dernière source est l’état émotionnel dans lequel les personnes se trouvent en ayant tel ou tel comportement. Ainsi, l’anxiété diminue le sentiment d’efficacité.

L'auto efficacité agit comme un mécanisme autorégulateur central de l'activité humaine. La confiance que la personne place dans ses capacités à produire des effets désirés influence ses aspirations, ses choix, sa vulnérabilité au stress et à la dépression, son niveau d'effort et de persévérance, sa résilience face à l'adversité... C'est dire que la théorie de l'auto-efficacité

51

De l’apprentissage social au sentiment d’efficacité personnelle, autour de l’œuvre d’Albert Bandura : sous la dir. de Jacky Beillerot, Hors-série Savoir, 2004.

Page 123: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 123

ouvre des perspectives tout à fait neuves dans des domaines aussi divers que la santé, l'éducation, la psychothérapie, l'organisation des entreprises, l'entraînement sportif... La notion d’efficacité personnelle renvoie à la croyance qu’a une personne en sa capacité à réussir un certain type de tâche. Ainsi, le sentiment d’efficacité personnelle peut être différent selon les domaines d’observation, d’application ou de recherche mais la perception d’efficacité personnelle est une croyance qu’ont les individus en leurs capacités et non pas une mesure de leur performance réelle en la matière. Certaines personnes peuvent s’estimer mauvaises dans une discipline alors qu’elles la maîtrisent, ou inversement. La perception d’efficacité personnelle a un effet notamment sur la persévérance dans une tâche, sur la motivation pour celle-ci et sur le choix d’études autant que sur la performance en tant que telle. Il me semble donc très important d’y croire. Mais cela n’a rien à voir avec la confiance en soi ; le sentiment d’efficacité personnelle est un objet d’apprentissage dont il faut se doter pour se réussir dans cette vie (le terme réussir renvoie à l’idée que chacun à sa propre définition de la réussite qui n’est pas forcement en corrélation avec celle de la réussite sociale). Le sentiment d’efficacité personnelle n’est pas inné, c’est par l’expérience que l’on construit ce sentiment qui accompagne et réalise de nombreux projets, rêves et bien d’autres essais en projets !

4e chapitre : La construction sociale de l’identité de l’individu

Il faut aller au-delà et s’appuyer sur Claude Dubar52 qui montre comment l’identité construit l’individu. Ce sociologue, actuellement professeur de sociologie à l'UVSQ (Université de Versailles Saint-Quentin) propose une théorie sociologique de l’identité qui distingue « l’identité pour autrui », c’est-à-dire attribuée par les membres de la société, et « l’identité pour soi », incorporée au terme d’une socialisation « biographique » constituée d’actes d’appartenance.

Selon Dubar, les individus mettent au point des « stratégies identitaires » pour réduire les possibles désaccords entre ces deux identités. Il remet à l’honneur le rôle de l’acteur tout en insistant sur l’influence du contexte socioculturel et les processus interactionnistes.

Surtout, Claude Dubar veut montrer que ces multiples constructions identitaires se poursuivent dans le champ professionnel.

Claude Dubar est dans la droite lignée des travaux de Renaud Sainsaulieu53, considéré comme l'un des principaux théoriciens de la sociologie des organisations, pour qui l’identité professionnelle se définissait comme la « façon dont les différents groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est fondée sur des représentations collectives distinctes ».

Selon Sainsaulieu, l’identité serait un processus relationnel d’investissement de soi (investissement dans des relations durables, qui mettent en question la reconnaissance réciproque des partenaires), s’ancrant dans « l’expérience relationnelle et sociale du pouvoir ».

Claude Dubar généralise l’analyse de Renaud Sainsaulieu avec la notion d’identité sociale. Il reconnaît avec lui que l’investissement dans un espace de reconnaissance identitaire dépend

52

Dubar C., 1998, La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin. 53

Sainsaulieu R., 1985, L’identité au travail. 2ème édition, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques.

Page 124: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 124

étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et la place qu’y occupent l’individu et son groupe d’appartenance. Le cadre théorique proposé par R. Sainsaulieu privilégie la constitution d’une identité professionnelle par l’expérience des relations de pouvoir. Or les individus appartiennent à des espaces identitaires variés au sein desquels ils se considèrent comme suffisamment reconnus et valorisés : ces champs d’investissement peuvent être le travail, mais aussi hors travail.

Mais il se peut aussi qu’il n’existe pas, pour un individu, d’espaces identitaires dans lequel il se sente « reconnu et valorisé ». Pour Claude Dubar, l’espace de reconnaissance de l’identité sociale dépend très étroitement de la reconnaissance ou de la non-reconnaissance des savoirs, des compétences et des images de soi, noyaux durs des identités par les institutions.

Nous avons, de plus en plus, le sentiment de vivre dans une société du mépris. Nous ne comprenons pas pourquoi nous vivons dans une société où tout semblerait nous être facilité (là je fais référence à notre société occidentale) : qualité de vie, diffusion des savoirs, réseaux de communication, mobilité des biens et des personnes… et pourtant cela ne suffit pas !

Nous sentons que le système, la société (le monde ?) ne tient pas compte des changements or c’est bien nous tous, individu après individu, qui faisons que ce système existe et marche. N’est-ce pas là un paradoxe ?

5ème chapitre : Mépris et reconnaissance

A notre réflexion précédente, nous avons trouvé des éclairages (peut-être aussi un apaisement) par d’autres questions qui ont été abordées par le philosophe et sociologue Axel Honneth, à la lumière d’une pensée originale. Dans son ouvrage54, ses textes offrent un panel théorique dans lequel il s’inscrit dans le sillage de la philosophie sociale de l’École de Francfort dont il est un des représentants contemporains majeurs et où il reconstruit ses orientations de fond pour mieux pointer son actualité. Il s’emploie surtout à mettre au jour les « pathologies sociales » du temps présent, qu’il analyse comme des évolutions affectant les conditions fondamentales d’une vie sociale réussie. Ce geste critique s’inscrit au plus près de l’expérience sociale des sujets sociaux soumis au mépris et s’articule avec force à une morale de la reconnaissance. Nous sommes dans l’interrogation dans l’une de ses questions : « Comment l’expérience du mépris peut-elle envahir la vie affective des sujets humains au point de les jeter dans la résistance et l’affrontement social, autrement dit dans une lutte pour la reconnaissance ? » En effet, l’individu réciproque ou non de notre société du 21ème siècle a plus que jamais besoin de cette reconnaissance sans laquelle le sens de sa vie prend ou ne prend pas forme et donc, par là-même, construit l’identité qui en découlerait.

Nous restons perplexe sur les formes de mépris qui existeraient pour

- soit renforcer les uns dans leur rapport de force et asseoir leur pouvoir et se traduit par : « En fait, je suis jaloux de son succès et je me considère inférieur à elle. Mais ma jalousie est trop compromettante pour que j'ose la vivre ouvertement. Je la cache pour ne pas me trouver en position de vulnérabilité où elle pourrait abuser de moi. Par ailleurs, je ne peux

54

Axel Honneth, 2006, La société du mépris. Vers une nouvelle théorie critique, Paris, La découverte.

Page 125: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 125

supporter l'idée qu'elle voit le peu d'estime que j'ai pour moi- même. Je ne peux non plus supporter l'idée qu'elle me méprise. »55

- soit se traduit en parlant du mépris : « Si je le fais (je suis méprisant), c'est habituellement parce que je suis aussi prête à exprimer ouvertement ce qu'il cache. J'ouvre la porte à l'expression claire de mes émotions, de ce qui m'affecte réellement dans cette situation, des raisons pour lesquelles ce comportement m'affecte. Aussi, lorsque j'avoue mon mépris, je change la nature du rapport avec l'autre. Plutôt que de me situer « au-dessus », je recherche le « contact » avec lui. »

Nous n’avons rencontré que la première forme de mépris et nous sommes en quête de cette reconnaissance dont parle aussi le philosophe Paul Ricœur56. Il la définit comme « la plus importante, c’est l’idée de capacité, que j’avais étudiée dans Soi-même comme un autre57, et qui tournait autour de l’homme capable : je suis ce que je peux et non pas tel que je me vois. Je me reconnais à des signes de capacité. La seconde reprise se situe du côté de Temps et récit58, livre où je rattache l’idée d’identité au procès narratif. C’est en racontant ma vie que je dis et reconnais moi-même qui je suis. L’identité d’une personne est une dynamique en marche, tendue par une intrigue qui la mêle à l’intrigue des autres ».

Cette avancée dans la recherche de définitions de l’individu réciproque, pour comprendre comment il fonctionne et comment il interagit réciproquement avec lui même et la société dans laquelle il évolue, nous fait nous orienter vers un auteur, un maître à penser, Pierre Bourdieu. Car il y a plusieurs façons de raconter sa vie, raconter autrement et se laisser raconter par les autres.

6e chapitre : L’histoire de vie

En effet, par ricochets ou conjonctures de synapses, nous venons de développer ici un sujet qui nous touche tous : c’est l’histoire de notre vie. Comme l’a traité Bourdieu dans son article59, « l’histoire de vie est une de ces notions du sens commun qui sont entrées en contrebande dans l'univers savant ; d'abord, sans tambour ni trompette, chez les ethnologues, puis, plus récemment, et non sans fracas, chez les sociologues. Parler d'histoire de vie, c'est présupposer au moins, et ce n'est pas rien, que la vie est une histoire et qu'une vie est inséparablement l'ensemble des événements d'une existence individuelle conçue comme une histoire et le récit de cette histoire. C'est bien ce que dit le sens commun, c'est-à-dire le langage ordinaire, qui décrit la vie comme un chemin, une route, une carrière, avec ses carrefours ou comme un cheminement, c'est-à-dire un trajet, une course, un cursus, un passage, un voyage, un parcours orienté, un déplacement linéaire, unidirectionnel (la « mobilité » ), comportant un commencement (« un début dans la vie »), des étapes, et une fin, au double sens, de terme et de but (« il fera son chemin » signifie il réussira, il fera une belle carrière), une fin de l'histoire. »

55

Michelle Larivey, 2002, La puissance des émotions. Comment distinguer les vraies des fausses, Les Editions de l'Homme, 334 pages. 56

Paul Ricœur, 2004, Parcours de la reconnaissance. Stock. 57

Paul Ricœur, 1996, Soi-même comme un autre, Poche. 58

Paul Ricœur, 1991, Temps et récit, Poche. 59

P. Bourdieu, juin 1986, « L’illusion biographique », Actes de la Recherche en Sciences sociales, 62-63, p. 72.

Page 126: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 126

« Les événements biographiques se définissent comme autant de placements et de déplacements dans l'espace social. Cette construction préalable est aussi la condition de toute évaluation rigoureuse de ce que l'on peut appeler la surface sociale, comme description rigoureuse de la personnalité désignée par le nom propre, c'est-à-dire l'ensemble des positions simultanément occupées à un moment donné du temps par une individualité biologique socialement instituée agissant comme support d'un ensemble d'attributs et d'attributions propres à lui permettre d'intervenir comme agent efficient dans différents champs. »

Là où nous rejoignons Bourdieu, c’est dans cette dernière phrase qui montre combien la nécessité de construire tous les pans de notre humanité ressemble de prime abord à une gageure mais pas impossible à celui qui ne veut pas se résigner et de s’attacher à comprendre, à chercher, à se retrousser les manches et à déployer une énergie telle que, tôt ou tard, cette reconnaissance lui sera enfin accordée.

Conclusion

Au terme de cette revue à la fois conceptuel et idéologique teinté de notes personnelles60 et professionnelles, il nous semble cohérent de livrer ici notre propre sentiment sur la question posée en début de nos écrits. Le sens de notre vie est celui que l’on veut bien se donner à construire tout au long de sa vie mais encore faut-il que la société ainsi que les individus qui sont en interaction les uns avec les autres le fassent de manière équitable.

Nous sommes pris (encore !) par le temps et cette première contribution aurait sans doute pu être plus étoffée sur le rapprochement de l’individu réciproque comme source d’un pouvoir dont il ignore être la source et qu’il a donc en sa possession.

Nous entendons que les individus dans leur ensemble ont oublié la signification de la cité et cela permet à la politique par le biais du politique qui ne sert que son intérêt de creuser cette brèche.

Mais le politique n’est-il pas un autoproduit de la société dans laquelle il gère, organise et in fine change les existences d’autrui ?

Bibliographie

Ouvrages De l’apprentissage sociale au sentiment d’efficacité personnel – Autour de l'œuvre d'Albert Bandura –, Revue Savoirs, Hors-série, 2004. Beauvois Jean-Léon, 2005, Les illusions libérales, individualisme et pouvoir social. Petit traité des grandes illusions, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble. Beauvois Jean-Léon, 1990, L’acceptabilité sociale et la connaissance évaluative, Connexions, 56, 7-16.

60

Nous avons voulu rendre au travers de ces écrits un hommage aux auteurs qui nous ont accompagnés dans le chemin de la Pensée et c’est en reprenant pour une ouverture, une perspective à concrétiser par d’autres recherches, réflexions et autres travaux que nous nous rendons compte. Nous nous sommes livrés dans une avancée dans notre propre approche du savoir qui alimente déjà d’autres enjeux que sont pour nous la construction identitaire de l’individu, placé à l’instant T de notre propre histoire de vie. Cette autoréflexion s’inscrit aussi dans une dynamique d’action qui nous pousse déjà à aller encore plus loin dans l’analyse fine dans la tâche du chercheur.

Page 127: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 127

Dubar Claude, 1998, La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin. Gebauer Gunter et Wulf Christophe, 2004, Jeux, rituels, gestes. Les fondements mimétiques de l’action sociale, Paris, Anthropos. Honneth Axel, 2006, La société du mépris. Vers une nouvelle théorie critique, Paris, la Découverte. Larivey Michelle, 2002, La puissance des émotions Comment distinguer les vraies des fausses, Les éditions de l'Homme. Ricœur Paul, 2004, Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock. Sainsaulieu Renaud, 1977, L’identité au travail, 2ème édition 1985, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques.

Revues – Journaux Bourdieu Pierre, 1986, « L’illusion biographique », Actes de la Recherche en Sciences sociales, 62-63, juin, p. 72. L. Fogassi et al., 2005, Parietal lobe: from action organization to intention understanding, in Science, vol. 302, pp. 662-667, avril. V. Gallese, C. Keysers et G. Rizzolatti, 2004, A unifying view of the basis of social cognition, in Trends in cognitive sciences, vol. 8, pp. 396-403. M. Iacoboni et al., 2005, Grasping the intentions of others with one’s own mirror neuron system, in Plos Biology, vol. 3, pp. 529-535, mars. Schwartz S.H., Bilsky W. 1987, Toward a Universal Psychological Structure of Values, Journal of Personality and Social Psychology,53, 3, pp. 550-562. Schwartz S.H., Bilsky W., 1990, Toward a Theory of the Universal Content and Structure of Values: Extentions and Cross-Cultural Replications, Journal of Personality and Social Psychology, 58, 5, pp. 878-891.

Ginette Francequin61

: « Ecrire un livre peut construire un échange de savoirs »

1. Un échange sur la manière d'être citoyen ?

En 2004, à la sortie d’une soirée de l’Université Populaire des Hauts-de-Seine, une petite discussion entre amis porte sur le voile des femmes musulmanes. La question arrive au cœur des débats en France sur le thème de la laïcité à l’école et des distinctions religieuses portées comme vêtements en ville ou dans les organisations de travail. L’un de nous raconte plusieurs cas de jeunes filles musulmanes diplômées refusant de retirer leur long voile noir, y compris pour travailler dans les crèches ou à l’hôpital ; une autre rétorque que le temps des salles d’asiles animées par les religieuses voilées n’est pas si loin. Pour battre en retraite sur un sujet devenu épineux à ce moment-là, je dis mon grand intérêt pour les chapeaux et j’annonce que « finalement, je rêve d’aller enseigner à l’Université avec un chapeau à voilette », mais que « mon surmoi me le défend, vu l’effet probable sur le public enseignants et étudiants ».

Le rire, une ressource pour réfléchir

61

Maître de conférences en psychologie du travail au CNAM, habilitée à diriger des recherches. Auteure de l'ouvrage : Le vêtement de travail, une seconde peau. ERES, 2008.

Page 128: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 128

Tout notre petit groupe rit car mon nouveau et supposé style de vêtement de travail renvoie sur d’éventuels bas à résilles. Convaincue par ce signal joyeux que le sujet est intéressant si nous trouvons autant de défenses pour l’aborder avec humour, je décide d’approfondir le thème des tenues au travail, celles-ci n’étant pas forcément identiques pour les femmes et les hommes, même s’ils exercent le même métier.

Le sujet très vite se montre ambitieux par son ampleur. Donc, je vais un jour m’installer dans une librairie pour regarder les écrits sur la question des costumes de travail. Les rayons sont riches en modes et costumes régionaux. A ma grande surprise, je découvre qu’il existe peu d’écrits sur le vêtement, sur la manière de le porter au travail ! Ni sur le vêtement de travail lui-même. Parler du travail, quand on aborde le vêtement, serait-il gênant ?

La discussion, un groupe restreint cause

Je parle de cet étonnement lors d’un cours plus « académique » au Conservatoire National des Arts et Métiers, et aussitôt, plusieurs auditeurs font avancer ma réflexion : parlez-vous de la fonction de la coiffure, de sa représentation, de la protection de la tête ou de l’ensemble du vêtement de travail et de ses fonctions ?

Obligée de préciser, je me rends compte que ce n’est pas si facile. Nous trouvons alors ensemble le groupe de mots : casque, casquette, coiffe, chapeau, béret, bonnet, calot, calotte, charlotte, képi, voile et voilette qui vont donner à celui ou celle qui le porte de la fierté ou de la gêne selon l’image renvoyée dans les rapports sociaux et de travail.

Corine fait remarquer que l’on commence par le couvre-chef, mais que le corps entier au travail est protégé, marqué, caché, que cela prend du sens selon la forme, l’aspect et la constitution du vêtement.

Philippe rapporte que « Le vêtement de travail, dans les industries à risques, répond à une législation stricte. Les lois et décrets régissent les protections requises engendrant des notions de responsabilités en cas de manquement à ces prescriptions. Ainsi, pour travailler en zone nucléaire contaminée, il faut porter la tenue de travail réglementaire : combinaison, chaussettes, chaussures, gants, calots et casques ».

Petit à petit, le débat prend encore de l’épaisseur quand Maryse, médecin du travail, pense que, associée aux actions de Corine, de formation antérieure ergonome elle pourrait porter une réflexion sur les ouvriers du tunnel et sur les métiers à risques.

Au détour d’une conversation, je propose à Marie-Laure, à l’époque engagée dans une recherche portant sur les religieuses au travail, de faire partie de notre groupe de travail pour rédiger un livre. C’est ainsi que naît un groupe de travail qui va se réunir une dizaine de fois pour contrôler, critiquer mes écrits, et réaliser quelques entretiens complémentaires sur le thème « Métiers et vêtements de travail ».

2. Une histoire des représentations du vêtement de travail dans l'art

Avant la révolution Un manuscrit enluminé, vers 820, présente des chasseurs, des paysans, des maçons et des couvreurs, dont l’un porte une sorte de blouse jaune, des bas bleu gris. Des miniatures montrent l’automne et les semailles, la peinture ou les lithographies techniques, avant la photographie et le cinéma ont représenté les activités professionnelles. La littérature exprime les rapports au travail : quand le pouvoir royal choisit les outrances décoratives pour les classes aisées, les Gens de Lettres jouent de la critique. Molière (1622-

Page 129: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 129

1673), fait rire par le biais des caractères des dévots, des avares, des hypocrites et la préciosité ridicule des prétentieux. La Fontaine (1621-1697) montre un « pauvre bûcheron gémissant et courbé » et « une laitière en cotillon simple et souliers plats ». La Bruyère (1645-1696) raconte que « l’or éclate sur les habits de Philémon. Il éclate de même chez les marchands. Il est habillé des plus belles étoffes » tandis qu’« Iphis voit à l’église un soulier d’une nouvelle mode, il regarde le sien et en rougit, il ne se croit plus habillé. Il était venu à la messe pour s’y montrer et il se cache, le voilà retenu par le pied dans sa chambre tout le reste du jour ».

Eaux fortes au XVIIème siècle, gravures de Jacques Calot, images de la rue Saint Jacques, imageries d’Orléans, les estampes de Lille et celles de Paris montrent des plieurs de moutarde, des décrotteurs, des marchands de parapluies, une marchande de limonade, une marchande d’allumettes. L’imagerie d’Epinal présente aussi les Arts et Métiers et il semble qu’une estampe de Pellerin ait régné en maître pour les représentations de métiers en 1790.

A la Révolution de 1789 Un changement profond dans la société française où, entre autres, les travailleurs62 seront désignés par un signe distinctif dans leur habillement, devenant des « sans culottes ». Ainsi, à toutes les époques, le costume a joué le rôle tenu par l’uniforme dans l’armée ou le rôle de la tenue et de la livrée dans certaines catégories socioprofessionnelles. Le vêtement de travail semble même, à l’occasion, l’indice d’une ségrégation raciale ou sociale.

Au XIXème siècle Le même intérêt pour le vêtement est porté aux petits métiers au-delà de nos frontières. En Angleterre, par exemple, Henry Mayhew, lors d’une enquête sociale sur Londres au travail fait mention « du cri et du costume du vendeur ». Son reportage documenté ressemble beaucoup aux Misérables, aux Mystères de Paris ou à certains romans de Balzac. Les métiers ont les mêmes représentations du travail nomade, que l’on soit à Londres, Cologne, Nuremberg, Paris ou Rome. En France, citons les photographies de l’ambulant Eugène Atget63.

Petit à petit, ces représentations des métiers faites à Epinal en images populaires se trouvent sur des cartes à jouer dont le jeu se nomme « Des arts et métiers ». On remarque le tourneur, le vigneron, le tonnelier, l’orfèvre, l’épicier, le perruquier, le serrurier, le tailleur de pierre, en habit et avec leurs outils. D’autres représentations apparaissent sur des feuilles volantes qui évoquent la condition sociale. Les métiers peints sur les almanachs, les calendriers, les enseignes sont également racontés dans les chansons, le théâtre, la pédagogie (alphabet des cris de Paris en 1838) et les ombres chinoises puis sur les vitraux de Majorelle (Louis de Majorelle, école de Nancy, 1859-1926).

Le cinématographe commence, le 28 décembre 1895, avec Une sortie d’usine des établissements Lumière de Lyon-Monplaisir. Le choix de cette sortie d’usine pour la naissance du septième art donne une image valorisante au travail et rend de plus en plus populaire le thème des hommes et des femmes au travail, sur cartes postales (Zeyons, 1997). Sur ce support, l’ouvrier montre des images de respectabilité, droit, debout sur les photos car, dit le photographe, « il ne doit pas faire l’idiot et il met ses habits du dimanche ». Les

62

Étant entendu que les travailleurs n’appartenaient pas à la classe des nobles. 63

La chanteuse et le marchand d’abat jour. Rappelons que Nicéphore Niepce (1765-1833) réalise à 62 ans la première photo sur étain en 1827, puis crée une association en 1829 avec Daguerre et rédige sa Notice sur Héliographie. La révolution photographique est née.

Page 130: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 130

bouchonnières de Mouriez dans le Var ont de longs et beaux tabliers à volants, c’est, par excellence, la profession pour femmes. Les cigarières64 sortent de l’usine en longues robes noires, rangées à l’heure de la sortie, en colonne par la contremaîtresse qui serre la file.

Les photographies de travailleurs avaient commencé, vers 1865, avec les sidérurgistes de Montluçon, les ouvriers de la Glacerie-filiale de Saint-Gobain. Elles se poursuivent, en 1886, avec ceux de Michelin, de La Fère en Tardenois, ceux de Boulogne Billancourt en 1899. A Saint-Denis comme à Belleville, Belfort ou L’Isle sur le Doubs, les femmes ouvrières sont en blouse et tablier, sans chapeau. A Cherbourg, la sortie des usines montre beaucoup de chapeaux de paysans car le vêtement d’ouvrier a « quelque chose de paysan, et le chapeau de feutre montre le recrutement local » ; sur cette photo, il n’y a que deux casquettes de jeunes ouvriers et quelques canotiers.

Au XX° siècle

En 1906, un succès de communication arrive avec la carte postale de la toilette du mineur du Nord, « Elle lave l’dos d’sin homme car pas de douche » et celle des rescapés et des sauveteurs avec leurs harnachements, leurs loques, sortant de la mine de Courrières, le 10 mars 1906. La même année, la carte postale photographique illustre les grévistes des mines de fer et des forges de Longwy-Villerupt, tandis qu’à Dombasle-sur-Meurthe, chez Solvay en 1918, on voit l’ouvrier sortir de l’usine à pied ou à bicyclette, avec son bleu de travail. Le développement de ce mode d’information est donc énorme de la fin du siècle jusqu’à la fin de la première guerre mondiale et ces cartes postales montrent toujours les ouvriers soit en tenue de travail ou soit endimanchés, comme le relate Michelle Perrot dans « Les ouvriers en grève (1975) ».

3. Parler de modes au travail engage un débat, à divers niveaux

- une réflexion sociale actuelle

Aujourd'hui, la tertiarisation abonde. Les chargés de l’accueil dans les entreprises ont espéré faire des métiers utiles et relationnels. De fait, ils cherchent « quelque chose sur un écran » et « s’ils sont autonomes », ils résistent au monde, à la hiérarchie, en rêvant d’acheter un petit vêtement symbolique pour se sentir mieux dans leur peau peut-être « un petit tailleur sympa tout en feuilletant les offres de soldes des catalogues de ventes par correspondance » ou « un nouveau maillot de bain au cas où « ils gagneraient un petit voyage en Guadeloupe par un concours », ou encore ils « discutent de la couleur de l’accessoire de la tenue que leur offrira la compagnie bancaire ou le groupe d’assurances qui les emploient ».

Hélène Weber (2005) dans la restauration disait de sa tenue Mac Do : « l’uniforme, était à la fois un élément de fierté qui symbolise mon intégration et le signe de mon excellence et de mon mérite quand j’en changeais ». Elle précise encore « Chez Mac Do, on présente l’uniforme comme ayant une valeur démocratique : il permet à tous d’être présentables pour travailler ».

- une conceptualisation psychologique sur l'image du corps.

Les concepts de peau et d’image du corps inauguré par Paul Schilder (1923,1935) bien diffusés dans les années 1970 prennent une place dans les réflexions.

64

Elles meurent de la tuberculose (sur 1200 femmes au travail, 40 mortes par an) dans les Manufactures d’État de tabac à Charenton, Issy les Moulineaux, Châteauroux, Morlaix.

Page 131: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 131

Du point de vue biologique, « un premier dessin de la réalité génétique s’imprime sur la peau ». Le psychophysiologiste François Vincent souligne les fonctions de stockage de la peau (graisses ou information) de production (poils et ongles) et d’émission (sueur). Des dermatologues ont alors apporté leur contribution en montrant les liens entre stress et affections de la peau, quand on sait que dermatoses et eczéma touchent les travailleurs manuels victimes d’allergies. Nettoyeurs, coiffeurs, employés du bâtiment, de la santé et chercheurs en chimie sont particulièrement affectés.

Du point de vue social, la classe sociale, l’appartenance d’un individu à un groupe se marque aussi par des ornements, des incisions, des peintures, des tatouages, des maquillages, des coiffures et des vêtements. La peau aurait bien une fonction d’individuation de soi qui nous met au monde comme être unique, avec nos différences individuelles (grain, couleur, texture, odeur).

Du point de vue psychologique, Didier Anzieu (1985) dit que ce sentiment du Moi « se révèle à l’occasion de ratés du fonctionnement normal » comme « un sentiment primaire, constant, variable », qui est à la fois le « Je » et le « Soi ». Pour le dire autrement, c’est en fonction des expériences vécues, que le sentiment du Moi se construit. La psychanalyste-médecin Françoise Dolto dit aussi que « C’est grâce à notre image du corps portée par - et croisée à notre schéma corporel que nous pouvons entrer en communication avec autrui et donc l’autre sexué ».

Écrire confronte à la mise en scène, féminin/masculin au travail

Depuis 2006, l’éthique et les marques se mettent au vert et le jean reste symbole de l’air du temps. En effet, Levi’s eco jean se compose de deux modèles, le 506 pour femme et le 507 pour hommes.

Aujourd’hui, toute une vague de jeunes femmes, souvent en forte réussite universitaire doivent combler trois pôles de vie, celui de la brillante professionnelle, celui de la maternité et de la séduisante femme au quotidien. La tenue des femmes cadres dirigeantes est sans cesse en réflexion car le look au travail fait partie de leur posture professionnelle pour être acceptée et respectée.

Tandis qu’Erwing Goffman notait des stratégies du « paraître », des féministes s’emparèrent de la mode, afin d’étudier les rapports hommes/femmes en prenant le vêtement comme objet privilégié. L’excentricité de la tenue des rockers face à la tenue stricte des animateurs, la solennité du costume des hommes politiques compensée parfois par des sorties en col roulé ou en bras de chemise amusent plus que les insignes du pouvoir, de dignitaire et de chef militaire. On s’occupe des accessoires du paraître pour constater que celui de l’homme politique peut être un chapeau, une décoration, une rose ou un accordéon. Rien de bien tapageur.

Anne Hollander montre que l’histoire du vêtement est illustrative (1994) des rapports de sexe « le complet veston de l’homme coïncide avec le désir des hommes de la nouvelle classe supérieure d’être à l’aise dans leur vêtement. Il devient vite l’uniforme du pouvoir officiel; la femme garde la fantaisie donc le rôle subalterne » tandis que Valérie Steele interroge les rapports de la mode à la sexualité et à son pouvoir (bottes de cuir, combinaisons de cuir). Leurs travaux font dire à Frédéric Monneyron (2004) que « la perspective féministe replace la mode au cœur du social, développe une sociologie de l’imaginaire et des représentations ». Il

Page 132: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 132

considère alors que c’est surtout par l’intermédiaire de l’imaginaire et non de la réalité vécue que sont déterminées nos relations au vêtement.

Conclusion ?

Faire ce livre, travail né comme dialogue de l'université populaire, revient à l'université pour être projet d'études, se révèle une source riche d'échanges selon des regards de philosophes, médecins, psychologues, sociologues ou journalistes, regards d'artistes. Le titre de l'ouvrage qui a servi de support à cette conférence, Deuxième peau est même un titre choisi par les salariés, car c'est cette façon que la plupart des salariés ont défini leur vêtement de travail. Le cercle du travail collectif est bouclé.

Depuis la sortie du livre, j'ai rencontré un public de salariés, des journalistes, des photographes, et l'échange de savoir n'est pas terminé ! La construction par des témoignages a produit des échanges nourrissants pour moi, grâce à tous les professionnels qui ont fait déborder de leurs poches vestimentaires, tous les mots du travail. Par exemple, ils ont parlé du rapport du vêtement à la pratique du métier. Par exemple, le tablier long, en coton ou en cuir, protège des agressions physiques de leur environnement. Même constat pour les adeptes de la blouse pour les métiers de laboratoire, de santé, de soins hospitaliers, des adeptes de la combinaison ou du bleu de travail pour les métiers d’atelier ou les métiers de manutention.

Le vêtement de travail et d’apparat s'est trouvé « parlé » dans les métiers où le niveau hiérarchique est affiché par le vêtement. Il s’agit pour exemple de l’aviation civile, de la police nationale ou municipale, les douanes, etc. C’est également le cas pour les ecclésiastiques et les métiers de justice (avocat, magistrat).

Les discussions avec les syndicalistes ont informé sur le vêtement de travail et la réglementation en vigueur, notamment dans le code du travail qui, aujourd’hui, a plus d’un siècle d’existence. Mais ce choix des protections appropriées à diverses situations relève aussi de directives européennes relatives à la sécurité. Ils prescrivent la fabrication et l’utilisation d’Equipements de Protection Individuelle (EPI) normalisées, certifiée conforme par les organismes agréés. Ce sont ces Directives Européennes, transposées en droit Français qui ont entraîné des évolutions en matière de prévention des risques professionnels depuis les années 1990.

Les interlocuteurs sont restés intarissables sur le sujet, abordé avec beaucoup de plaisir et une grande volubilité. Tout le monde a eu envie de dire quelque chose, chacun avec ses propres mots, souvent en lien avec le métier et sur de larges registres : exposé de valeurs, sentiments d’appartenance, de protection, d’hygiène, de sécurité, de coûts, d’enjeux idéologiques, esthétiques, financiers, etc. Et si c'était un peu cela un collectif ?

Page 133: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 133

Jean-Yves Abasq65

: « comment la réciprocité, en permettant de reprendre confiance en soi, recrée-t-elle des solidarités » Je voudrais montrer, à travers des témoignages marquants des adhérents de l’association AVISER (réseau d’échanges réciproques de savoirs de Vitry – 94, Val de Marne), comment la réciprocité permet, avec la confiance en soi retrouvée, de (re)créer du lien social.

Préambule

Les témoignages que je vais vous présenter ont été recueillis en 2006 pour la réalisation d’un mémoire portant sur les RERS (réseau d’échanges réciproques de savoirs) et le RERS de Vitry, en cherchant à montrer les effets bénéfiques que procurent les RERS, ou comment les réseaux, en rétablissant chez les personnes la confiance et l’estime de soi, recréent des solidarités et du lien social. Ce mémoire a été préparé au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) de Paris pour l’obtention d’un diplôme de Manager d’organisme à vocation sociale et culturelle.

Le contexte

L’étude pour mon mémoire se situe dans le contexte particulier de Vitry sur Seine (94), ville de 85000 habitants, qui comporte environ 50% de logement social, dont la plus grande partie se trouve en centre ville. Le reste de la ville est constitué pour l’essentiel de pavillons plutôt modestes. Vitry est composée de nombreuses ethnies qui vivent en bonne harmonie. Vitry est une municipalité communiste de longue date, dirigée depuis 2002 par un Maire communiste et une majorité « gauche plurielle ». Le réseau de Vitry, l’association AVISER, se compose d’environ cent cinquante adhérents, avec cinquante à quatre-vingt échanges de savoirs réguliers. La moyenne d’âge se situe entre 40 et 50 ans, avec une grande majorité de femmes.

Introduction

Je pense que, si l’on parle de réciprocité, il faut aussi parler de la façon dont la réciprocité est « organisée », mise en œuvre dans les RERS. Car dans les RERS les effets bénéfiques découlent, aussi, à travers la réciprocité : - du fonctionnement en réseau, - de la place de l’importance de la mise en relation, - de la place du repérage des savoirs, - de la liberté des personnes exercées dans les réseaux :

o liberté de participer ou pas ; o liberté de s’impliquer ou pas ; o liberté dans la fréquence de sa participation ; o liberté dans le choix des personnes rencontrées et des matières offertes ou

reçues.

1. Les thèmes abordés

On peut noter des changements chez les personnes interrogées : - dans le rapport à la ville et aux élus ; - dans le rapport au savoir ; - dans le rapport à soi et donc dans l’estime de soi ;

65

Animateur du RERS de Vitry (94).

Page 134: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 134

- dans son rapport aux autres à l’intérieur de l’association et à l’extérieur ; - par rapport aux handicaps ; - et bien d’autres choses.

2. Le rapport à la ville et à ses représentants

En fréquentant l’association, Lucienne a découvert une façon de se sentir dans la ville. Pour elle maintenant, la ville n’est plus du tout hostile. Au contraire, elle est curieuse de ce qui s’y passe et des actions des élus. Ça lui a permis d’habiter cette ville, de s’inscrire dans des activités culturelles et de loisirs. Témoignage de Lucienne : « Les réseaux ont changé ma vie, m’ont permis de « tenir » à Vitry. J’ai changé trois fois de logement et, si je reste à Vitry, c’est grâce au réseau, incontestablement. C’est comme si l’association AVISER m’avait fait renouer avec cette ville. » « Par le réseau d’échanges réciproques de savoirs, je n’ai plus peur de circuler dans Vitry et j’ai appris à connaître les membres d’autres associations et les élus de Vitry : des gens de cultures différentes, de sensibilités différentes, de générations différentes ; ça crée du lien social dynamique. »

3. Le rapport aux autres

• Exclusion liée à la langue et son milieu d’origine

- Sortir de son isolement En tant que ressortissante d’origine chinoise la langue a vraiment été un handicap très important pour son intégration. C’est une chance pour Fabienne d’être dans les réseaux malgré la barrière de la langue et la difficulté spécifique de s’exprimer en français. C’est l’échange de longue durée en français qui lui a permis de s’ouvrir sur d’autres domaines et d’autres personnes et de sortir, ainsi de l’enfermement de la communauté d’origine, de s’ouvrir sur la ville. La sympathie réciproque vers d’autres rencontrés dans les échanges ouvre toujours d’avantage. Témoignage de Fabienne : « Avant, j’étais un peu enfermée dans la communauté asiatique. Avec des gens, j’apprends petit à petit le français. Avant, j’avais vraiment beaucoup de difficultés pour discuter, les gens ne me comprenaient pas. Maintenant, ça va beaucoup mieux pour moi. J’ai ensuite proposé à mon tour un échange en cuisine chinoise, j’ai aussi participé aux découvertes de la nature, à l’atelier dessin et à l’atelier relaxation. J’ai rencontré des gens très sympathiques. Cela m’a beaucoup aidé. Cela m’a aussi ouvert sur la ville. J’ai pu participer à un atelier cuisine au centre socioculturel d’à côté ».

• Isolement lié au manque d’éducation

Pour Khoukha, être d’origine étrangère et n’avoir jamais été à l’école n’est pas un obstacle pour s’inscrire dans de nombreux échanges réciproques. Depuis son entrée dans l’association, Khoukha est avide de relations vraies, de nouvelles connaissances. Cela lui procure une rupture avec son quotidien et un élargissement de son environnement social et culturel. De plus, l’accès aux savoirs et aux échanges est facilité grâce à la simplicité de l’accès aux échanges et surtout le non-jugement porté sur ce qu’elle est et sur ce qu’elle sait ou ne sait pas. Le résultat est une assurance acquise (notamment grâce au théâtre), pour parler être bien dans son corps et être bien en relation avec d’autres jusqu’à tisser de vrais liens d’amitié. La réciprocité lui a apporté une assurance pour oser offrir à son tour.

Page 135: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 135

Témoignage de Khoukha : « Ce qui m’a plu, c’est que je ne suis pas du tout sentie jugée lorsque je parle mal le français. » « Si je n’avais pas connu l’association je n’aurais jamais en l’idée de faire toutes ces activités (écriture, lecture, relaxation, photo, apprendre à nager, théâtre, cuisine). Et pourtant qu’est ce que ça me fait du bien ! » « Avant, j’étais timide je ne parlais pas. Maintenant, j’ai plus d’assurance. Je pense que l’association et ma participation à l’atelier théâtre ont favorisé cela. » « Au lieu de rester entre quatre murs, je peux discuter avec les gens. Certaines personnes sont devenues mes amis. Nous nous soutenons mutuellement en cas de difficultés. » « J’ai appris beaucoup de choses avec l’association AVISER, et j’ai encore envie d’en apprendre beaucoup d’autres. »

• Identité culturelle et estime de soi

Catherine arrive d’Afrique avec une solide expérience dans le théâtre, mais une fois en France elle doute complètement de ses compétences. Sa proposition d’atelier théâtre qui se terminera en fin d’année par une représentation lui de retrouver son identité culturelle lui a permis de retrouver l’estime de soi, sa dignité, la valeur de sa culture et de conforter ses expériences initiales. Grâce à cette confiance en elle retrouvée, Catherine exercera sur Vitry des activités professionnelles et bénévoles où elle aura à cœur de transmettre cette expérience d’avoir pu retrouver sa dignité en même temps que sa culture. Témoignage de Catherine : « Je peux dire qu’en arrivant en France j’étais complètement perdue. Ce n’était pas seulement par rapport au regard des autres, c’était en moi. Je me disais : « ce que tu as fait là bas ne compte pas ». Je me posais des questions, j’étais dans le doute : « est-ce que je peux encore donner ce que je sais, est-ce que je sais encore faire ? « En fait, l’association nous (elle et son mari) nous a permis de trouver un contexte favorable pour stimuler une certaine démarche qui nous habitait auparavant. « AVISER a été pour moi un tremplin, un faire valoir. Maintenant, dans mes autres activités, je cherche à prouver que tout le monde est utile. Je cherche à contribuer à l’épanouissement, à leur transformation. Je cherche, aussi, à changer les images et les idées reçues sur l’Afrique. »

• Estime de soi : se sentir utile

Pour Jacques des relations sociales valorisantes donnent l’occasion de se sentir utile. Ces relations ouvertes sur la ville ont permis d’affirmer une confiance en soi ; et il a ainsi pu créer à son tour, avec sa femme Catherine, une association. Témoignage de Jacques : « J’ai pu connaître des gens dans un autre contexte que celui où je les rencontre habituellement, d’une façon différente, avec la valeur ajoutée du partage et de l’échange. « L’association (AVISER) aide à s’approprier la ville. Ce qui rend la ville intéressante ce sont les échanges que l’on a avec les gens. Avec AVISER, on va un peu plus loin qu’avec les autres associations. Elle donne l’opportunité de se rendre acteur, acteur de la vie sociale. Chacun de nous a besoin de se sentir utile. » « Notre passage à l’association a sûrement permis la création de notre propre association : “Solidarité Internationale. »

• Estime de soi : se sentir utile en transmettant des valeurs

Pour Jacqueline, l’estime de soi a été renforcée grâce à la joie ressentie de participer à la joie de l’autre en facilitant la rencontre.

Page 136: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 136

Témoignage de Jacqueline : « Ce qui me plait c’est de voir la joie de Bernadette, d’Angeline, de Carole, l’enthousiasme d’Anne-Marie, de Fabienne de retrouver un savoir, de retrouver la joie de vivre. » « C’est le principe de réciprocité qui plait le plus dans les réseaux, et pas simplement rendre service. Que les personnes sachent se débrouiller après. » « J’ai l’impression que, maintenant, aux différentes rencontres d’AVISER, les gens sont heureux de se rencontrer au-delà des échanges. L’association fait partie des associations qui recréent du lien social. »

• Handicap et confiance en soi

Après un accident vasculaire cérébral Michelle a retrouvé la capacité de communiquer par la parole, a pu échanger et avoir des relations riches. Son autonomie a été réaffirmée grâce aux divers échanges réussis. Elle a retrouvé la capacité d’aller jusqu’au bout d’un livre. Elle a pu avoir des relations qui s’approfondissent jusqu’à l’amitié. D’autre part, le fait de réussir à mettre les gens en relations (rôle de médiatrice) et que l’échange réussisse la valorise. Témoignage de Michelle : « Je suis rentré à AVISER pour savoir si je pourrais lire un livre complet et échanger mes impressions sur ce livre dans le groupe. Les personnes se sont mises à ma portée. Je me suis sentie soutenue. » « Dans toutes les activités que j’ai faites avec AVISER le théâtre m’a beaucoup aidé au niveau de mon handicap dans l’expression. » « L’association m’a permis d’avoir plus confiance en moi. Cela tient à ce que l’on ne se sent pas jugé. On peut aussi échanger sur nos désaccords. » « Ma participation aux « découvertes de la nature » m’a permis de mieux connaître les personnes de l’association que je n’aurais pas connues autrement. Je suis lié, maintenant, à de nombreuses personnes, dont certaines sont devenues des amis. » « Cela me fait plaisir de mettre en relation les personnes qui ne seraient jamais rentrées en contact dans la vie courante. C’est une sorte de reconnaissance pour moi de me dire : c’est moi qui ai permis cet échange. »

• Handicap et insertion sociale

Avec Albert on voit qu’un handicap psychomoteur même important n’est pas un handicap pour faire des échanges divers et variés (photo, allemand, théâtre, anglais). Pouvoir faire des échanges réciproques entraîne une rupture de l’enfermement de son foyer, un élargissement de ses relations et un mieux être personnel. Témoignage d’Albert : « Ca m’a beaucoup appris depuis que je suis dans l’association. Je me sens plus ouvert à autrui. Je peux dialoguer plus ouvertement. Je me sens plus en groupe, moins isolé. C’est enrichissant. D’habitude, au travail ou ailleurs, je n’ai pas beaucoup d’occasions de travail comme cela. Je me sens mieux. J’aime les échanges que je fais avec les personnes. J’aime bien recevoir d’autres et offrir à mon tour. » « Quand l’occasion se présentera, j’aimerais bien participer à la vie de l’association. »

Page 137: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 137

4. Le rapport au savoir

• Rapport au savoir et image de soi Pour Dominique le fait de recevoir un savoir bien précis d’une façon bien précise rassure. On ne fait pas n’importe quoi dans les échanges. Dès lors Dominique se sent mieux armés, se sent valorisé pour transmettre à son tour et approfondir ses connaissances pour mieux transmettre encore. Pour Dominique il y a un élargissement des compétences et des capacités à recevoir au-delà de ce qu’elle pensait. Mais c’est aussi parce que son savoir, qu’elle considérait comme un peu particulier, a été « pris au sérieux » qu’elle a pu le proposer en échanges. Dès lors, on a en retour une meilleure image de soi. En conclusion des échanges réciproques pratiqués dans de rapports de qualité, respectueux et en toute élargissent son champ relationnel et renforcent son identité. Témoignage de Dominique : « Même si ce sont des échanges qui se passent de gré à gré, de façon informelle, ce qui me plait c’est le sérieux apporté à tout cet ensemble. » « La personne qui m’a offert le bricolage était vraiment sérieuse. C’est ce côté sérieux qui m’a incité à m’ouvrir plus à l’association et chercher tout ce que je pouvais offrir au niveau de mes connaissances et de mes capacités. » « J’ai appris que le fait de transmettre mes passions et mes connaissances à des personnes intéressées leur fait prendre de la valeur et permet de me dire : “ j’ai vraiment des connaissances dignes d’intérêt”. Ces connaissances, dans des domaines un peu particuliers que (régime, huiles essentielles), dont on penserait que certains pourraient dénigrer, se trouvent, en fait, devenues une valeur ajoutée, un point fort, mon point fort. Des connaissances bien à moi. »

• Rapport au savoir et enrichissement personnel

La pratique d’échanges réciproques a permis à Lucienne de prendre de la réassurance dans ce qu’elle sait pour avoir envie de le transmettre. « Mon offre de « découverte de la nature » marche tellement bien que maintenant ma proposition a évolué. Les personnes qui viennent régulièrement à mon activité me posent de nouvelles questions et me poussent à faire de nouvelles recherches. Ça me force à élargir mes domaines de connaissances et à chercher les outils pédagogiques pour le transmettre au mieux. » Cela lui a aussi donné l’envie, au-delà des échanges réalisés, l’envie d’utiliser la réciprocité vécue dans l’association dans d’autres lieux de vie et de rencontres. « L’expérience réussie de la réciprocité m’a servi, aussi, pendant les vacances dans une maison familiale, où j’ai pu observer comment les personnes partageaient déjà quelque chose entre elles. J’ai donc proposé que lors d’une veillée chacun apporte le meilleur de ce qu’il peut apporter. » « Je n’aurais pas proposé cela si je n’avais pas moi-même expérimenté de façon agréable. »

Page 138: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 138

AAtteelliieerr BB 22..33 :: RRéécciipprroocciittéé eennttrree lleess ggéénnéérraattiioonnss

Nasséra Benaïssa66

: « Réciprocité entre le RERS et la maison de retraite » Les divers ateliers :

Compositions florales Cartons plumes

Danses : sévillanes, salsa, de salon, country Jeux de société

Chorales Atelier d’écriture

Musique Randonnées

Échanges culinaires Exposés culturels

Ces ateliers ont toujours autant de succès. Cet intérêt partagé motive notre désir de poursuivre nos actions. Le partenariat avec les Résidents des maisons de retraite et des particuliers s’inscrit dans le projet « Semaine Bleue ». Le groupe de réflexion, sur l’inter/générations (Mairie de Colomiers) auquel nous participons, organise des manifestations ludiques, réunit les personnes âgées et les columérins pour créer des liens et lutter contre l’isolement. Ce travail se fait tout au long de l’année. Nous nous rencontrons tous les deux mois avec les participants au projet. C’est une action qui évolue. Les partenaires sont de plus en plus nombreux et les personnes âgées moins isolées. Des après-midi récréatives, chant et lecture à haute voix, sont organisées par nos adhérents dans les différents établissements pour résidents du 3ème âge.

Rappel des objectifs de notre action auprès des personnes âgées :

• Intégration,

• Lutte contre l’isolement,

• Reconnaissance des richesses culturelles et du vécu,

• Rapprochement intergénérationnel,

• Vivre du mieux possible la cessation d’activité en restant acteur et auteur de ses propres savoirs.

Le public « seniors »

Dans l’association du Moulin des Savoirs les seniors tiennent les permanences et l’accueil. Ils sont très impliqués et participent à beaucoup d’échanges. Les échanges les plus fréquents sont :

66

Association Le Moulin des savoirs, 31770, Colomiers.

Page 139: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es ontr es int ernat i ona l es 139

L’atelier d’aiguilles : couture, patchwork,

tricot, dentelle, crochet

Peinture sur soie

Art : dessin, peinture, poterie Cuisine internationale

Informatique : Internet, Word, Excel,

traitement des photos

Gymnastique

Bien-être Jeux de société

Les seniors participent et organisent des projets très intéressants qui incitent les jeunes à s’impliquer beaucoup plus, par exemple lors des fêtes annuelles :

1. préparation des stands en interactif, 2. préparation de la décoration, 3. accueil du public, 4. organisation, 5. intendance, 6. logistique, 7. nettoyage.

Les seniors sont les piliers de l’association. Sans leur présence active, beaucoup d’actions ne pourraient avoir lieu. Ils apportent leur sagesse, leur patience, leur expérience de vie et professionnelle, et leur savoir-faire. Certains seniors prennent en charge la logistique des échanges collectifs et les projets à thème, les soirées et les sorties culturelles. Ils sont très présents dans l’échange de français en offre ainsi qu’en demande en échange informatique. Beaucoup acceptent aujourd’hui d’utiliser les nouvelles technologies informatiques pour communiquer avec leur famille, pour traiter les photos familiales. Cela leur permet d’être beaucoup plus présents auprès de leur famille malgré la distance. Psychologiquement c’est un atout positif pour le senior. Sachant que certains restent réfractaires. C’est le point que nous sommes en train d’étudier pour les aider au mieux. Nous continuons à recevoir le public senior et nous essayons de les impliquer au mieux sur des échanges assez diversifiés pour les aider à vaincre l’isolement et leur proposer des activités en échanges de savoir pour remplir leurs journées. Pour les seniors encore en activité professionnelle, mais proches de la retraite, nous les préparons à ce changement de vie. Nous remarquons que certains seniors veufs ou veuves viennent à l’association pour y trouver écoute, soutiens, rencontres par l’intermédiaire des échanges de savoir collectif.

Page 140: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 140

Céline Tremblay67

: « Le réseau, constructeur de liens dans une situation extrême »

Mon expérience dans les camps de réfugiés Rwandais au Burundi de 1994 à 2000.

Le 6 avril 1994, l’avion du président rwandais reçoit à son atterrissage deux missiles, l’avion prend feu, s’écrase au sol. Le président Rwandais, Juvénal Habyarimana et le président burundais Cyprien Ntaryamia et sept autres passagers trouvent la mort. Aussitôt que la nouvelle est répandue, les tueries de masse commencent. D’abord les Tutsis sortent du pays, mais rapidement la capitale Kigali est prise par les rebelles Tutsis qui se trouvaient à l’extérieur du pays. Les Tutsis retournent au pays, les Hutus en sortent. Des camps sont organisés au nord du Burundi où se réfugient les Hutus qui habitaient dans la ville de Butaré et dans les campagnes environnantes. Ils arrivent par centaines, avec un petit balluchon sur la tête, leurs enfants et quelques animaux. Ils ont pratiquement tout perdu. Le Haut Commissariat des Réfugiés leur distribue des bâches qui serviront à construire leur blindé. C’est là qu’ils habiteront pendant plusieurs années. Ils recevront nourriture, soins médicaux, scolarité et autres formations. C’est dans un camp, celui de Kibezi que j’aurai la responsabilité du social. Ils sont huit mille, dix mille, douze mille et plus. Nous devons enregistrer les enfants qui lors de leur fuite, ont été séparés de leurs parents pour en faire la recherche. Je forme une équipe qui passera dans chaque blindé pour enregistrer les enfants non accompagnés.

Je leur demande d’enregistrer en même temps les professions, les acquis, les savoirs de chacun. Chacun possède des savoirs, chacun peut apprendre, chacun peut enseigner. Ils sont, là, sans activités pour la plupart. Le « j’ai faim » des réfugiés a changé de dynamique car le « j’ai faim » du réfugié, c’est un « faim d’une variété de nourriture, de mon pays, de ma famille, d’un travail… « J’ai faim » de vivre.

Les réseaux ont permis à combien d’entre eux d’assouvir en partie cette faim par les relations positives dans les échanges. Ce système, fondé sur le don, a facilité le développement des Réseaux dans ce camp. La seule monnaie d’échange qui est le don, qui n’est ni un troc, ni un produit acheté, mais le désir et le besoin de l’offreur et du demandeur de déterminer la valeur du savoir, de se redonner de la valeur et ici de combler un grand vide. Comme ils n’ont pratiquement plus rien, ils ne peuvent que donner de leur générosité. L’équipe avec Anastase comme responsable, parle autour d’elle des échanges possibles. Des offres et des demandes sont exprimées, des mises en relations faites. Combien d’activités deviennent possibles ? Il est impossible de les dénombrer. On m’avait dit qu’il était interdit de cultiver parce que les réfugiés sont dans un pays d’accueil, dans un pays étranger…

Je n’ai pas voulu y croire. En échanges, tout bout de terrain est devenu productif, en échanges de savoir, les agronomes s’y sont mis avec hommes, femmes et enfants. Des groupes de femmes âgées, moins âgées et enfants, garçons et filles se sont mis à faire de la vannerie ensemble. Des groupes se retrouvaient dans tous les quartiers du camp. Des artistes sculpteurs se sont fait un coin et travaillaient en y intégrant surtout des jeunes garçons. Des

67

Educatrice en club de prévention à Orly, Céline Tremblay a accompagné la création du premier réseau. Elle a été animatrice dans le RERS d’Evry. Puis elle a créé ce réseau au Burundi. Elle est actuellement animatrice dans l’ONG « Terre sans frontières ».

Page 141: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 141

jeunes recommencent à faire des cartes avec des feuilles de bananiers. Des enfants se sont mis à apprendre eux aussi à faire ces belles cartes. Une vielle maman a montré en mimant à un groupe d’enfants comment se faisait le tannage de la peau dans son village ; ils sont nombreux autour d’elle à l’écouter attentivement. Un enseignant en chimie apprend à des mamans à fabriquer leur savon. Ce qui a permis à chacun d’être plus propre et de se débarrasser de maladies de la peau, entre autres, la gale. L’agronome a commencé, en apprenant à un groupe d’enfants et de mamans, un petit élevage. Un atelier de couture, avec des couturières, a permis la formation de nombreux jeunes et pour les vieux et vieilles à passer un bon moment. (Ces personnes habillées en haillons venaient régulièrement me voir pour avoir un vêtement. Je leur ai demandé de venir à l’atelier faire leur propre vêtement. Ils sont venus pendant un bon moment. Doigts tordus, yeux moitié aveugles. Ils venaient tous les jours. Les jeunes, d’une façon discrète, les aidaient. Ils sont un jour repartis avec leur vêtement qu’ils avaient participé à faire : Dignité respectée. L’apprentissage des danses folkloriques rwandaises a permis à un nombre incalculable d’enfants de danser et de l’apprendre aux autres. Il y avait les danses mais aussi les proverbes, les chants, les histoires traditionnelles de leur pays. Un enfant s’offre à apprendre à lire, écrire et compter à d’autres. Des plus jeunes étaient assidus, mais des adultes ayant honte de ne pas savoir lire restaient derrière et récitaient la leçon avec les enfants. Plusieurs se sont mis à apprendre une langue étrangère, l’anglais et, pour d’autres, le français.

Une anecdote : Anastase me demande de rencontrer un jeune monsieur qui vivait au camp. Il était allé chez les Burundais pour voler. Comme punition, ils lui ont coupé les deux bras. Que proposer ? J’ai pensé que la nuit me porterait conseil, mais rien n’est venu comme proposition. Le lendemain, je rencontre ce monsieur, il va enseigner le Français et demande l’Anglais. Tout change pour lui, un jour de fête dans le camp, il danse, il chante. Il a retrouvé une certaine vie.

De la formation d’arbitrage de football a été donnée par un arbitre officiel. Plusieurs jeunes ont suivi la formation. Les sports, football, basket-ball, ont eu du succès auprès des garçons et des filles. Pour beaucoup de filles, c’était une première expérience. Ces échanges ont permis des matchs contre les équipes des autres camps des après-midi de fêtes.

Il y a eu aussi la coiffure, la menuiserie, faire le pain…

Une grande majorité des personnes sont devenues actives.

Les réseaux d’échanges de savoir à Kibezi ont permis à combien de personnes de retrouver une dignité quelque part ! De retrouver des activités qui permettent une reconnaissance. Des activités qui permettent de se former et de passer le temps d’une façon positive. De revivre avec dans un peu plus de confiance les uns envers les autres.

Peut-être aussi cela a eu comme conséquence de les rendre moins méfiants les uns envers les autres. Dans ce groupe de personnes, il y a des gens qui ont tué, d’autres qui ont été victimes, d’autres encore qui ont perdu des membres de leur famille. Tous ont beaucoup perdu. Tous souffrent. Personne ne sait ce que l’avenir leur réserve.

Page 142: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 142

Martine Ruchat : « Les échanges réciproques de savoirs : une formation transdisciplinaire, intergénérationnelle et déterminante de bonne santé pour le « Bien vieillir »

L’échange réciproque comme modèle de formation pour les aînées et aînés dans une perspective de santé communautaire »

Il n’est de secret pour personne que l’espérance de vie est en augmentation et qu’il s’agit aujourd’hui d’augmenter les années en bonne santé et de faire en sorte d’ajouter de la vie aux années et non des années à la vie. L’augmentation démographique sera accentuée ces prochaines décennies par l’arrivée à la retraite de la génération du baby-boom, soit des personnes nées entre 1945 et 1955 et entrées dans la vie professionnelle avant la crise du pétrole en 197468. A cette population, qui compte en Suisse 1 200 000 individus, s’ajoutent celles et ceux qui sont licenciées, mis à la retraite anticipée (ou qui l’ont choisie) venant renforcer le nombre des seniors.

Dans la Fondation pour la formation des aînées et aînés de Genève, nous avons mis en place, depuis 2005, un programme de formation qui vise essentiellement l’empowerment des personnes âgées dans le but de former des leaders des panthères grises et de faire de la formation un déterminant de bonne santé. On peut supposer que les pratiques libertaires et collectives vécues par cette génération soient portés par des panthères grises.

L’empowerment. Définition : capacitation, prise ou reprise de pouvoir sur soi, sur sa vie, la traduction n’est pas aisée. Quoi qu’il en soit, cette approche vise à développer chez les personnes des compétences, des attitudes et des comportements permettant de renforcer leur autonomie, de s’approprier collectivement et individuellement un pouvoir sur leur vie et dans la société, de maintenir leur autonomie en se faisant respecter dans leurs valeurs jusqu’à la mort.

Beaucoup de travaux ont été réalisés ces dernières années, et notamment ceux du Professeur C-H. Rapin pour promouvoir une prévention de la santé (ce qu’il a appelé le Bien vieillir ou une vieillesse réussie) dans le cadre des soins communautaires pour les personnes âgées69. Ces programmes relèvent d’un effort collectif de recherche de solutions communes pour améliorer des situations considérées aujourd’hui comme pouvant être dépassées et contrôlées (souffrance, sous-alimentation et malnutrition, abus de médicalisation et de médication, isolement, illettrisme, exclusion, maltraitance, morts lors de canicules70).

Pour moi, la formation des personnes âgées se fait dans ce cadre-là. Elle est une autre orientation que celles qui favorisent l’animation socioculturelle ou la culture générale, mais elles ne sont évidemment pas exclusives les unes des autres, puisque l’animation comme le « savoir-savoir » (complétant le savoir-être et le savoir-faire) mobilisent aussi des facteurs du

68

Olazabal, I. et Lavoie, J-P., 2005, Bulletin « Bien vieillir », vol. 11, numéro 2-3, juin-octobre. 69

Rapin, C-H., (sous la direction), 1993, Des années à savourer: Nutrition et qualité de vie des personnes âgées, Lausanne, Payot, 378 p. Rapin, C-H., (sous la direction), 2004, Stratégies pour une vieillesse réussie, Un concept de santé communautaire pour les personnes âgées qui va des problèmes aux solutions et de la théorie à la pratique, Ed Médecine & Hygiène. 70

Rapin, C-H., (sous la direction), 1993, Des années à savourer: Nutrition et qualité de vie des personnes âgées, Lausanne, Payot, 378 p. Rapin, C-H., (sous la direction), 2004, Stratégies pour une vieillesse réussie, Un concept de santé communautaire pour les personnes âgées qui va des problèmes aux solutions et de la théorie à la pratique, Ed Médecine & Hygiène.

Page 143: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 143

bien vieillir (se déplacer, aller à la rencontre des gens, rester en éveil intellectuellement, faire fonctionner la mémoire, etc.). Or la conception que nous cherchons à développer fait intervenir un autre paradigme : l’échange réciproque de savoirs et de compétences, les changements de pratiques, le plaisir d’apprendre ensemble.

Il s’agit donc permettre à cette population vieillissante de faire de la formation un moyen d’empowerment, de prévention en matière de santé physique et psychique dans une perspective de formation tout au long de la vie : c’est ce que j’appelle la gérontagogie.

Certes se sont développées, depuis les années 50 aux Etats-Unis, la gérontologie éducative avec, dès les années septante en Europe et en Suisse, les Universités du Troisième âge. D’autres modèles ont vu le jour comme la « gériagogie » centrée sur les processus éducationnels de la personne âgée, la « géragogie » – concept développé par Jacques Richard, qu’il présente comme une « action mobilisatrice des énergies et du développement des sujets par leur participation »71 –, de la « psychogérontologie » qui met l’accent sur la cognition en fonction des traits particuliers de la personne âgée et de la « psychogériagogie » considérée essentiellement comme le soutien psychologique à la personne âgée dans son parcours éducatif. Sans compter le développement de la formation des formateurs de personnes âgées tenue pour la forme dominante de la « gérontologie éducative ».

Ce néologisme (de gerôn : vieillard et agôgos : qui conduit) est formé sur le modèle linguistique de « pédagogie », définit lui-même comme « art ou science de la conduite des enfants ». Lemieux le présente comme « l’acquisition de la Sagesse pour une meilleure gestion de sa vie personnelle et sociale »72. Pour Lemieux, elle s’inscrit dans un troisième temps de formation après la formation initiale (pédagogie) et la formation continuée (andragogie). Elle mise sur les compétences expérientielles et cognitives des personnes âgées.

Me référant à un autre néologisme emprunté à l’écrivain et psychanalyste Charles Baudouin (1893-1963)73, la « psychagogie », qu’il décrit comme « l’art – ou la science – de diriger la conscience (l’âme) »74, je définirai la gérontagogie comme l’ « art de bien conduire sa vieillesse ». Cet « art »75 nécessitant des chemins pour évoluer vers l’objectif du « Bien vieillir », la gérontagogie devient l’ensemble de ces stratégies se distinguant radicalement de la médecine « anti-âge » mercantile (prolongement médical et médicamenteux et de la chirurgie esthétique et plastique)76. Et elle est elle-même un facteur du « Bien vieillir » agissant comme un déterminant de bonne santé. C’est en quelque sorte un « pari gérontagogique » qui est engagé dans l’objectif plus général d’ajouter de la vie aux années.

71

Richard, J., 1996, Orthopédagogie, géragogie et psychiatrie. Spécificité des approches éducatives et médicales du handicap mental âgé. Originalia, 707-716. 72

Lemieux, A., 2001, La gérontagogie : une nouvelle réalité, Montréal, Editions Nouvelles, p.91. 73

Sur Charles Baudouin, voir notamment Ruchat, M. et Magnin, C., 2005, « Je suis celui qu’on ne connaît pas et qui passe » Charles Baudouin (1893-1963) : psychanalyste, écrivain, artiste et pédagogue. Actes de la rencontre internationale organisée le 29 novembre 2003 à l’Université de Genève pour célébrer le 110

ème anniversaire de la naissance de Charles Baudouin.

Lausanne : LEP et Ed. Des Sentiers. Coll. « Institut J.-J. Rousseau ». 74

Baudouin, Charles, 1954, La psychagogie ou science de la conduite de l’esprit, Action et pensée, 3, 97. 75 Faute de travaux scientifiques suffisamment développés, nous nous réservons le terme de « science » pour un avenir plus ou moins proche ! 76

Le souci de prolonger sa jeunesse et de retarder le temps de la « décrépitude » est séculaire, puisque la première fontaine de jouvence décrite provient d’un bas-relief égyptien, néanmoins l’effort collectif en cette matière est récent.

Page 144: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 144

Ce pari gérontagogique se fait dans une perspective citoyenne, puisqu’il s’agit d’augmenter cette espérance de vie en bonne santé, dans le partage des savoirs et des compétences et dans le plaisir, plaisir qui est fondamentalement un déterminant de l’apprendre et de la bonne santé.

L’hypothèse que je fais est que la formation, que j’appelle gérontagogie, peut influencer l’espérance de vie en bonne santé, mais à la condition d’être basée sur l’échange réciproque des savoirs et des compétences. Car ce modèle en lui-même permet de mobiliser des facteurs de bonne santé.

L’échange réciproque comme méthode de l’apprendre et de modèle gérontagogique.

Les objectifs de la Fondation pour la formation des aînées et aînés de Genève sont :

- Soutenir la formation des Aînées et des Aînés et des responsables des associations de retraités pour leur permettre de relever, en connaissance de cause, les nouveaux défis entraînés par le vieillissement actuel et futur de nos populations ;

- Favoriser un échange transdisciplinaire d’informations entre spécialistes et chercheurs ainsi que les aînées et les aînés et leurs représentants ;

- Stimuler un échange d’informations entre les générations ; - Encourager ainsi la formation et la recherche dans tous les domaines du champ du

vieillissement, y participer dans la définition des priorités ; - Permettre et faciliter l'accès aux résultats de la recherche dans tous les domaines du

champ du vieillissement ; - Diffuser les nouvelles connaissances dans les lieux, les quartiers et les communes de

résidence des retraitées et retraités, aider les étudiantes et étudiants à être des agents de changement ;

- Encourager la réflexion sur les nouvelles questions.

Notre méthode.

Il s’agit toujours de partir de la pratique des gens (et non pas d’un savoir théorique et abstrait qui serait imposé ou même proposé), de leurs besoins (besoins individuels, de besoins nécessaires à l’immédiat de la vie), des questions qu’elles et ils se posent :

- sur leurs droits ; - sur leur santé (lutte contre dépression, prévention des carences alimentaires, la

sexualité, etc.) ; - sur le logement ; - sur des questions d’engagement citoyen (urbanisme, échange entre génération,

mentorat, bénévolat, etc.) ; - sur leurs parcours de vie, histoire de vie ; - sur la promotion des soins palliatifs et la conduite du deuil.

Les modifications possibles pour améliorer la vie, le quotidien, le bien-être, le bien vieillir se font dans les échanges d’expériences, de savoirs entre les personnes présentes, experts, étudiant/e/s, leaders d’association.

Page 145: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 145

En même temps que se discutent des besoins, des solutions et des modifications possibles, une évaluation est faite des besoins, des savoirs, des désirs, mais aussi des possibles en matière de crise financière (comment agir face à la crise ?), de deuil (comment y faire face, partager, communiquer ?), d’habitat (Quelles alternatives à la solitude et à l’institution ?), le respect des volontés jusqu’à la fin de la vie : les directives anticipées et le choix de la manière de mourir.

Puis, des propositions de modifications sont faites : accueillir des enfants pour le repas de midi, aller à la gymnastique avec sa voisine, profiter d’un covoiturage etc. (la formation devient aussi le lieu du changement de pratiques quelles qu’elles soient)

Comprendre, mais aussi transmettre, car jamais on n’a été en possession d’autant d’informations et d’expériences cumulées par des générations. Transmettre c’est aussi valoriser son expérience, son histoire de vie, ses compétences, etc. C’est aussi participer à une expérience de formation et de recherche en vue de montrer les bénéfices à retirer de la formation en termes de santé, de connaissance, de liens, etc.

La recherche menée par Sabine Voelin sur « Vieillir dans son quartier » (Genève entre dans les 36 villes qui participe au projet de l’OMS ville amies des aînées) montre l’importance du partenariat avec les personnes âgées dans la recherche (enquête de voisinage) en terme d’utilité sociale, d’acquisition de nouvelle pratique (apprendre à faire des questionnaires, d’utiliser internet, etc.), de partage de la réflexion avec d’autres, de participation à la recherche de solution (scénario).

Allier la formation (information, échange, partage) avec la recherche est fondamental dans le concept de gérontagogie. Sont toujours présents des experts qui dialoguent, échangent, partagent avec le public composé de personnes âgées, d’étudiants, de professionnels du champ du vieillissement, de leaders d’associations de personnes âgées. Les valeurs qui sont liées à ce type de démarche gérontagogique sont : le droit à l’autonomie, à la liberté, à l’égalité entre hommes et femmes, le droit à disposer de son corps ; le droit à l’épanouissement de la personne (valeurs de la génération des baby boomers). Y ajouter bien vieillir dans le respect de ses valeurs (l’idée du consentement libre et éclairé du patient), de ses volontés (y compris dernières) et celui de participer à la recherche de solutions dans des formations avec des publics diversifiés comme partenaires et non comme objets de recherche.

En conclusion

La gérontagogie ou « Art de bien conduire sa vieillesse » est conditionnelle à l’échange réciproque entre générations, entre experts de différentes disciplines avec des publics diversifiés : c’est un pari, c’est aussi une philosophie fondamentalement humaniste et universaliste. C’est aussi une éthique de formation, une value based formation au même titre que la value based medicine, une médecine basée sur les valeurs prônées par le gériatre C-H. Rapin77.

77

Le concept de « Values-based Medicine » ou de la médecine et des soins respectueux des valeurs des patients et des professionnels de la santé pour l’humanisation des soins, intègre les aspects de l’Evidence-based medicine et les valeurs de l’éthique clinique. Il a donné lieu à plusieurs publications et vient soutenir le programme « Vieillir en liberté » qui fait la promotion des droits des personnes âgées, des directives ou des projets de soins anticipés, de la prévention de l’acharnement et de l’abandon thérapeutique, de la maltraitance et du réseau de recherches en éthique clinique. Le réseau systémique locorégional de recherche et d’action contre la violence envers les aînés et sa prévention, réseau visant à l «’empowerment » des retraitées et retraités est actuellement intégré dans un programme mondial de l’OMS, « Abuse and Neglect in Elderly ».

Page 146: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 146

La gérontagogie participe à donner du sens à la vie jusqu’à la fin de la vie.

Travaux de l’atelier Synthèse des réflexions de l’atelier « Réciprocité entre les générations »

- Témoignage 1 : Céline Tremblay (éducatrice et animatrice de l’ONG canadienne « Terre sans frontières ») dont l’intervention concernait le réseau constructeur de liens dans une situation extrême : des camps de réfugiés rwandais au Burundi entre 1994 et 2000. Des échanges intergénérationnels se sont installés entre les réfugiés, d’abord de manière informelle, puis de façon plus structurée sous l’impulsion de Céline et d’Anastase, avec une réciprocité sans autre réserve que celle de la connaissance proprement dite (« je sais donc je donne parce que c’est vital pour nous tous »). Ces échanges ont généré le retour de la dignité, de la confiance mutuelle, de la confiance en soi, de l’envie de se reconstruire individuellement et de rebâtir les fondements d’une société.

- Témoignages 2 et 3 : Sylvie Sesma et Mounir Nabil (respectivement Cité des Métiers et Direction générale du Travail et de la Formation Professionnelle) dont les interventions concernaient le parrainage entre des seniors et des jeunes en parcours d’insertion. C’est un parrainage vers l’emploi. Il s’agit d’un accompagnement de jeunes sans emploi ayant en majorité moins de 26 ans par des bénévoles en retraite ou encore en activité. C’est une découverte réciproque où, au-delà des générations en présence, la difficulté à surmonter tient plus à des différences d’environnement, de contexte, de comportement, de langage. Etablir une reconnaissance mutuelle passe par l’établissement d’une relation de confiance entre le parrain et le parrainé. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir cette relation se poursuivre après que le parrainé ait (ré)intégré le monde du travail. L’une des plus-values est qu’environ 70% de ces jeunes retrouvent un emploi. Si l’on ne peut pas parler de réciprocité au sens propre du terme, les parrains en retirent souvent des acquis tels que la meilleure connaissance de l’autre et de ses difficultés, une approche pédagogique transformée, le sens de l’écoute, le respect de la différence, la reconnaissance.

-Témoignage 4 : Nassera Benaïssa (animatrice du RERS de Colomiers) dont l’intervention concernait la réciprocité, d’une part, entre membres de la maison de retraite et, d’autre part, entre ces membres et un collège ainsi qu’une école. S’il a fallu, au départ, inciter, « aller chercher » les volontaires, le mouvement est aujourd’hui lancé et la satisfaction est partagée entre les générations concernées. A noter une spécificité du RERS de Colomiers : il été créé à la demande de la municipalité.

- Témoignage 5 : Martine Ruchat (historienne, chargée de cours à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de Genève et co-fondatrice de la Fondation pour la formation des aînées et aînés de Genève) dont l’intervention concernait une formation transdisciplinaire, intergénérationnelle et déterminante pour le « Bien vieillir ». Le but de cette formation, c’est la valorisation des savoirs, ainsi que la création de lien social. Le concept qui résume cette formation, c’est l’« empowerment » (développement des capacités) dont l’objectif final est l’autonomie. Et ceci passe par le renforcement des droits et du rôle social des personnes âgées. Les différents publics qui profitent de cette formation sont : les personnes âgées, les professionnels du monde médico-social et les aidants familiaux. L’enjeu est de trouver des solutions en mutualisant les compétences et réflexions de façon à ce que chacun soit satisfait.

Page 147: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 147

Les débats au sein de l’atelier ont permis de dégager un certain nombre de réflexions :

- Les conditions de réussite d’un lien intergénérationnel o Accepter d’être accompagné, de « recevoir » de quelqu’un d’une autre génération et

souvent d’une autre culture ; o Aller au-delà des différences, quelles qu’elles soient ; o Etablir une relation de confiance ; o Veiller à une valorisation personnelle des participants ; o Structurer, organiser les échanges ; o Vaincre certains tabous et les stéréotypes dont on qualifie les différentes générations.

- Freins aux liens intergénérationnels o La différence (et la crainte de ne pas pouvoir communiquer) ; o La peur de l’échec ; o L’égoïsme (la répugnance à franchir le pas vers l’autre).

- Les apports d’un lien intergénérationnel o Aider à rompre l’isolement ; o Une meilleure compréhension entre générations et leur respect mutuel ; o La confiance en soi ; o Aider les personnes à définir quels sont les savoirs importants pour eux ; o Au-delà de l’acquisition de savoirs, retisser du lien social ; o Aller de l’intergénérationnel vers le transgénérationnel, c’est-à-dire obtenir un

décloisonnement des générations.

- Rapport entre l’inter/génération et la citoyenneté o La retraite n’interrompt pas la citoyenneté et la responsabilité envers les autres.

- Conseils à ceux qui souhaiteraient mettre en œuvre des échanges intergénérationnels o Ne pas considérer que l’intergénérationnel est un problème spécifique insurmontable

(au contraire) ; o Rester ouvert, aller chercher les intéressés, vouloir les comprendre ; o Etre dans un véritable engagement militant (« ça ne se fera pas tout seul ») ; o Adapter la communication à chaque génération et trouver une plate-forme commune

où l’on se comprend ; o Aller au devant des jeunes générations ; o Définir un but commun ; o Nécessité de structurer les échanges de savoirs.

Page 148: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 148

AAtteelliieerr BB 22..44 RRéécciipprroocciittéé eett ssaannttéé

Philippe Lefèvre78

: « Réciprocité et pratiques communautaires de santé »

1. Une société qui bouge plus vite et se complexifie

• En perte de valeurs traditionnelles : - Une société de plus en plus matérialiste, - Une individuation qui peut dériver vers un individualisme, - Des relations monétarisées, au détriment de la réciprocité et de la solidarité, - Une peur des différences (repli communautaire, source de violences).

• En mutation rapide - Un accroissement des connaissances, - Une exigence d’informations, - Une circulation des idées et des personnes qui entraîne une mixité.

2. Les pratiques communautaires : confusions fréquentes

• Les pratiques communautaristes tendent à défendre les intérêts spécifiques d’une communauté se regroupant pour défendre leur caractère commun (ethnique, religieux, sportif, maladif…).

• Les pratiques communautaires, au contraire, recherchent l’intérêt et la participation de toutes les personnes concernées sur un territoire, veillant précisément à n’exclure personne et visant même à rassembler et à valoriser les différences.

3. La santé

• Nos représentations

- Souvent entendue comme un état de non-maladie, - Selon l’OMS : un état de bien-être physique, psychique et social, - Un capital à la naissance qui se détériore au fur et à mesure des événements (on

« tombe » malade), - Un capital qui s’entretient, se nourrit et peut même progresser, - Des besoins individuels qui évoluent avec le temps, - Un équilibre à rechercher plutôt qu’à atteindre.

• Un bien collectif, une dimension relationnelle et sociale

- Notre santé et la santé de notre famille, - Notre santé au travail et la santé de notre entreprise, - La santé de nos enfants à l’école et la santé de l’école, - Notre santé dans le quartier et la santé de notre quartier, - Notre santé et le contexte économique, social et politique.

78 Médecin cofondateur d’un centre de santé à Evry. Animateur de l’Institut Renaudot pour les pratiques communautaires

autour de la santé. Auteur de plusieurs ouvrages dont 2008, Du Je au Nous, Chronique sociale.

Page 149: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 149

4. Les pratiques communautaires

- Une démarche éthique

- Portée par des valeurs de solidarité, de réciprocité, de justice, de lutte contre les inégalités et l’exclusion,

- mettant l’humain au cœur de toutes les actions et, en priorité sur tout autre objectif, - associant tous les acteurs dans une co/construction, - changeant les relations de domination en relation de négociation et de réciprocité, - une expression de démocratie participative et un outil de développement social.

- Une méthodologie

Huit critères recherchés :

- Adopter une approche globale de la santé, - Favoriser l’accessibilité à la santé, - Favoriser la participation de tous les acteurs concernés (professionnels, politiques,

habitants), dans une démarche de co/construction, - Travailler en intersectorialité, en favorisant les décloisonnements, - Favoriser un contexte de partage de pouvoirs et de savoirs, e, reconnaissant la

spécificité et la légitimité de chaque acteur et en mettant en place des relations égalitaires entre tous les acteurs,

- Valoriser et mutualiser les ressources de la communauté, tant les ressources humaines que matérielles,

- Avoir une démarche de planification (évaluation des besoins, priorisation, évaluation des actions) pour une meilleure utilisation des ressources

- Evaluation partagée.

- Une dynamique de changement

- De pratiques de tous les acteurs (modes de décision, transversalité, intersectorialité…), - De relations, les relations de domination laissant place à des relations de négociation, - De pouvoir, partagé par tous les acteurs, plutôt que dans le contre-pouvoir, - Un accroissement de la solidarité entre les acteurs, - Un accroissement des compétences de chacun et une reconnaissance par le groupe, - Un développement de l’empowerment individuel et collectif.

1. Empowerment

• Empowerment individuel : un processus permettant à l’individu de mobiliser ses ressources de vie et de devenir acteur de sa vie.

• Processus d’empowerment individuel : quatre processus qui interagissent entre eux :

- Identification qui fait passer d’un vécu de victime à un sujet acteur de sa vie, - Participation qui fait passer d’une position de consommateur à une

participation contributive et une implication croissante, - Mise en compétence qui fait passer d’un vécu d’incompétence à la

reconnaissance et à la valorisation de ses compétences, - Responsabilisation qui permet à chacun de prendre une place reconnue et

valorisée et de prendre des responsabilités.

Page 150: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 150

• Les dépowerment

- Perte d’identité : les personnes ne sont plus que des pions au service d’une personne ou d’un groupe

- Place qui n’est plus reconnue ni valorisée, - Mise en retrait des compétences, remises en cause ou dévalorisées, - Responsabilités retirées ou évitées.

• Empowerment collectif : un processus permettant à un groupe de mobiliser ses ressources en permettant à chacun de prendre sa place.

Processus d’empowerment collectif. Quatre processus interagissent entre eux : - Identification qui favorise le sentiment d’appartenance et l’aspiration collective vers un

projet co/construit, - Participation qui permet l’intégration des Je différents et l’implication de chacun

(circulation de l’information, concertation et participation aux décisions), - Mise en compétence du groupe qui favorise et s’appuie sur la mise en compétence de

chacun, le transfert des compétences et leur valorisation, - Responsabilisation qui permet à chacun de prendre une place reconnue et valorisée

(implication de chacun, mise en compétence, délégation et partage des responsabilités).

5. Le développement de l’humain : des indicateurs ?

- Définir une perspective de développement de l’humain ayant la priorité sur le développement des richesses matérielles,

- Les indicateurs actuels de développement humain sont quantitatifs et matériels et ne reflètent pas ce processus de développement de l’humain,

- Pour donner une finalité humaine à toutes nos actions et évaluer leur impact humain : Des indicateurs de santé mentale (du Je), de santé de la relation (du Tu), d’empowerment collectif (du Nous)

• Indicateurs de santé mentale

- Bonne relation avec soi-même, estime de soi, capacité à se faire respecter, à aller vers le meilleur de soi-même,

- Bonne relation avec les autres, capacité à respecter l’autre, à susciter le meilleur de l’autre,

- Bonne santé physique et bonne relation à son corps, - Revoir le passé sans amertume, évaluer ce qui a été vécu sans culpabilité, - Vivre le présent sans être parasité par le passé, vivre l’ici et le maintenant, - Envisager l’avenir avec confiance, - Curiosité, capacité à aller vers l’inconnu, - Appétence relationnelle, - Capacité à donner et à recevoir, - Capacité à se faire plaisir et à remercier, - Capacité à entretenir et réparer les relations ; à développer des réciprocités, - Capacité à se confier, à ne pas se refermer sur soi en cas de difficultés, - Capacité à gérer ses émotions, à exprimer ses sentiments, - Capacité d’adaptation face aux difficultés, - Capacité à intégrer la diversité et la complexité,

Page 151: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 151

- Capacité à créer, - Capacité à ne rien faire, à lâcher prise…

• Indicateurs de qualité de la relation

- De la comparaison vers l’évaluation du chemin parcouru - La rivalité vers la réciprocité, la reconnaissance de l’autre - L’opposition vers l’apposition - La haine vers la tendresse - L’uniformité vers la diversité - La binarité vers la complexité - La vengeance vers le pardon - Le mépris vers la considération - L’intolérance vers la tolérance - La blessure, l’humiliation, la trahison vers la réparation, le nettoyage, - La proximité subie vers la distance - La colère, la violence vers la séparation - La dépendance vers l’autonomisation ou l’interdépendance - La domination, la possession vers le respect - Les rapports de force vers la négociation - La méfiance vers la confiance - Le repli sur soi vers l’appétence relationnelle - La fermeture vers l’ouverture - La rigidité, ‘immobilisme vers la souplesse, le mouvement - L’ailleurs, l’avant et l’après vers l’ici et maintenant - L’impatience, l’inconstance vers la patience, la persévérance.

6. Liens entre pratiques communautaires et réciprocité

• Les valeurs : réduction des inégalités et accroissement de la solidarité (par opposition à hiérarchie des savoirs et des pouvoirs) ;

• L’engagement et l’investissement de tous (par opposition à décideurs et exécutants) ;

• Le positionnement circulaire et horizontal des réseaux (par opposition à vertical et figé des administrations) ;

• La méthodologie : co/construction, co/évaluation.

Agnès Ballas et Marie-Jo Legrand : « Pratiques de réciprocité et prises en charge communes des questions de santé dans un quartier d’Orléans » Le contexte

Cela se passe en France, dans un quartier d’Orléans : l’Argonne (Nord-est d’Orléans), quartier sub/urbain composé de petits immeubles HLM, de pavillons anciens (Loi Loucheur, 1945), de clos de pavillons récents. C’est un ancien quartier d’arboriculteurs79 situé sur un plateau de la vallée de la Loire, bordé par la forêt d’Orléans.

79

Vignes, poires, pommes, cerises, coings.

Page 152: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 152

Un déroulement dans le temps

• En 1989, un plan de Développement social des quartiers80 est créé sur le quartier. En 1990, l’association Régie de Quartier est créée par un groupe d’habitants. En 1990, à l’initiative de Brigitte Jallet, chef du projet DSQ, une formation rassemble, pendant six jours, les différents partenaires du DSQ. Elle en assure l’animation avec l’accompagnement de Marie-Renée Bourget-Daitch du Mouvement du développement social local81, Marie-Claire Chaumel du Réseau/Santé de Lyon et Claire Héber-Suffrin du Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs82. Ensemble, elles proposent une découverte de la pratique de ces échanges réciproques de savoirs.

• En 1990, faisant suite à cette formation, un groupe se constitue pour former un Réseau d’échanges réciproques de savoirs, et un autre réfléchit à la possibilité d’instaurer sur le quartier un Réseau/santé. Sur le constat qu’un certain nombre d’acteurs du quartier participent aux deux groupes, ceux-ci fusionnent.

• En 1991, Brigitte Jallet du DSQ et Marie-Jo Legrand, travailleuse familiale et initiatrice, avec d’autres, du RERS du quartier de l’Argonne participent au colloque européen des réseaux d’échanges réciproques de savoirs à Dunkerque. Elles y entendent Christian Mongin, médecin initiateur d’échanges réciproques de savoirs concernant la santé dans le Réseau d’Evry (Essonne, banlieue parisienne) depuis plusieurs années.

• Le printemps 1991 voit les premiers échanges réussis sur le quartier. Une fête du réseau les célèbre collectivement. En juin, une réunion publique « lance », au sein du RERS, le projet d’échanges réciproques de savoirs sur le thème de la santé.

• A partir de 1997, le Réseau/Santé s’ouvre sur le quartier pour proposer aux habitants et aux partenaires la construction d’un projet commun. Tout ceci aboutit, de1998 à 2001, à la réflexion de la création d’un Lieu de Santé Communautaire, dont les partenaires sont les RERS, la Régie de Quartier, la Protection Maternelle Infantile83, l’association Initiatives et Développement, l’Association Départementale pour l’accompagnement des Migrants et de leurs familles84), des infirmières85, le Centre médicopsychologique, la coordinatrice de la Zone d’Education Prioritaire86,le Service Sociale de Union Territoriale de l’ Aide Sociale87) et l’Association Ville/Hôpital/SIDA.

• En 2003, le Lieu de Santé communautaire est créé : Pause Santé Argonne. Ce lieu, baptisé Pause Santé Argonne, a été ouvert sur le quartier, 15 rue du Colonel O’Neil, le 1er avril 2003.

Depuis 1996, le Réseau d’Echanges santé, souhaitant s’ouvrir à d’autres associations ou partenaires, a travaillé, avec eux, à la création d’un lieu de santé communautaire.

Pause Santé Argonne, lieu de prévention et de parole autour de la santé, a été créé avec la participation des habitants, des associations et les organismes de prise en charge en matière de santé. La finalité est de favoriser la prévention et l’accès aux soins aux habitants du 80

Ces DSQ ont été institués en France par le Ministère des Affaires sociales. 81

MDSL. 82

MRERS et RERS. 83

PMI. 84

ADAMIF. 85

Des infirmières des collèges, des centres de soin, et d’autres avec des cabinets installés sur le quartier. 86

ZEP, dispositif de l’Education nationale dont l’objectif est le soutien à l’enseignement dans des quartiers identifiés comme « défavorisés ». 87

UTAS.

Page 153: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 153

quartier. Pause Santé Argonne n’est pas un lieu de soin mais se veut un lieu d’accueil, plate forme de prévention et espace de coordination des projets santé sur l’Argonne pour un décloisonnement des pratiques médico-sociales et un travail en réseau sur le quartier. Plusieurs personnes du Réseau d'Échanges Réciproques de Savoirs participent activement au groupe d’animation et de pilotage de ce lieu.

Echange santé Orléans : comment ça marche ?

L'échange santé se déroule de la manière suivante : un groupe d’habitants se réunit le deuxième jeudi de chaque mois pour échanger sur un thème de santé qu’ils ont préalablement choisi. Ces rencontres réunissent entre vingt et quarante personnes, habitants du quartier pour la plupart. Plusieurs personnes animent le groupe de parole. Ces animatrices veillent au respect des règles par les participants. Dans la salle où le groupe se réunit, les tables sont retirées et les chaises sont disposées en cercle pour créer de la convivialité : il y a moins de barrière, et tout le monde peut se voir.

Un « tour de table » est proposé chaque fois qu’une nouvelle personne se joint au groupe. Après les présentations, l’équipe d’animation explique le fonctionnement du RERS, ainsi que les règles de l’échange santé : chacun a droit à la parole, la parole de chacun est respectée et n’appartient qu’au groupe de parole. En ce sens, ce qui est dit dans le groupe ne doit pas être diffusé à l’extérieur par respect pour chacun et aussi pour préserver la confiance des participants et la possibilité de parler sans crainte ou arrière-pensée.

Avant d’entamer la discussion, l’équipe d’animation propose les rôles de preneurs de notes et de rédacteurs du compte-rendu de la réunion. En effet, après chaque échange santé, un compte-rendu collectif est rédigé. Il est distribué uniquement aux personnes qui ont assisté à la réunion du groupe de parole, ceci, encore une fois, afin de préserver la parole des habitants.

Au cours de l’échange santé, l’équipe d’animation se sert d’un outil appelé « carte mentale » ou « brainstorming », ce qui signifie : tempête de cerveaux. Par exemple, si le groupe a décidé d’aborder le thème du sommeil, le mot sommeil sera écrit en gros caractères sur un paper board afin qu’il soit visible de tous. Ceux qui le désirent, vont dire un ou plusieurs mots qui seront retranscrits sur le papier autour du mot sommeil.

Après cette « tempête de cerveaux », le groupe essaie de classifier, de ranger les mots. Chaque groupe de mots va alors être discuté. Souvent nous entendons, à ce moment-là, par exemple : « moi, je veux bien dire comment je fais pour m’endormir... ». Et la discussion est lancée, la parole est écoutée. Souvent, chacun se raconte à travers son vécu, ses propres expériences.

À la fin de la réunion, l’équipe d’animation demande aux participants si le sujet a été suffisamment abordé, ou s’il reste des questionnements. Si le thème demande un approfondissement, l’équipe d’animation propose, alors, de faire venir un spécialiste.

Le plus souvent, l’équipe d’animation fait appel, selon le sujet, à des associations spécialisées telles que l'association des diabétiques du Loiret, l'association Alzheimer… mais aussi des médecins hospitaliers ou du secteur privé.

Quelle que soit la personne, elle doit venir en échanges de savoirs. L’équipe d’animation lui fait parvenir le compte-rendu de la séance et les questions des habitants restées en suspens.

Page 154: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 154

Elle demande à l’intervenant de répondre aux questions des habitants, et d’engager un dialogue, et surtout de ne pas venir pour faire un cours théorique.

De plus, l’équipe d’animation de l'échange santé du RERS du quartier de l'Argonne à Orléans a toujours le souci de s’ouvrir et travaille avec de nombreux partenaires, afin de développer des actions en santé communautaire. Les actions pour la santé sont tous les projets qui concernent les habitants du quartier, et qui sont d’ordre du bien-être physique, social et mental. Cela peut être aussi bien la décoration fleurie des balcons des immeubles, que la participation à une campagne de lutte contre le cancer du sein, ou une réflexion sur « comment mieux vivre entre voisins ». Les actions sont proposées par une association (RERS ou autres), et plusieurs associations se rejoignent pour travailler ensemble, sur ce thème, avec les habitants. Ces partenaires peuvent être des associations du quartier, mais aussi la mairie d’Orléans, les écoles et collèges du quartier, des associations hors quartier, locales ou départementales.

Notre RERS Orléans Argonne est toujours soucieux de s’ouvrir à d’autres partenaires associatifs, institutionnels. Ainsi l’équipe d’animation a travaillé avec le Réseau Ville Hôpital Sida 45 (RVHS 45), l’Association départementale pour l'Accompagnement des Migrants et de leurs Familles (ADAMIF) et le RERS de St Jean de la Ruelle (commune située près d’Orléans) pour la préparation, l’animation et la transcription des actes de deux colloques intitulés « Santé, Culture et Migration ».

Pour le premier de ces colloques, le RERS Orléans Argonne avait choisi de travailler avec les habitants du quartier sur la thématique du déracinement : déracinement de son pays, de sa ville, de son quartier, mais aussi de sa région, de la campagne à la ville, etc. Après plusieurs réunions entre habitants où nous avons discuté du déracinement, de ce qu’il engendrait pour chacun de nous, de la manière ou façon dont nous le vivions, une dizaine d’habitants ont accepté de témoigner de leurs propres déracinements devant trois cent personnes : auditoire composé d’habitants, de professionnels, d’institutionnels et de politiques. Ce fut un moment où les échanges ont été riches, et où les habitants n’étaient plus spectateurs, mais acteurs à part entière du colloque.

L’échange santé c’est aussi

La relaxation

Un groupe d’habitants reçoit la relaxation depuis septembre 1995. Ces échanges sont animés par des personnes qualifiées : sophrologue, relaxologue, et gymnastique douce. Les personnes offreuses s’adaptent à la demande des participants. Cet échange est apprécié des participants.

- « Ça m’aide dans mon sommeil », - « l’effet était thérapeutique », - « occasion de se détendre », - « moments privilégiés pour poser des évènements difficiles à vivre, et trouver des

outils pour les gérer différemment ».

Et les sorties vertes et culturelles

Les sorties vertes ou culturelles sont des ballades en forêt, au bord de Loire, visites de musée ou autres… Un itinéraire est proposé par une personne. Tout le monde peut participer.

Page 155: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 155

Occasion de s’aérer, de marcher, d’échanger, de profiter de la nature, et de quitter le quartier pour quelques heures.

Difficultés rencontrées

L’équipe d’animation se réunit tous les mardis après-midi à notre permanence, au cours de laquelle nous échangeons sur nos difficultés rencontrées (s’il y a lieu) lors des échanges, nous organisons nos rencontres, nous prévoyons, nous recevons des personnes…, etc. Concernant l’échange santé, la difficulté rencontrée peut être un témoignage exprimé avec difficulté, des émotions fortes, un échange pour lequel l’équipe n’a pas pu ou su quoi dire de suite. L’équipe d’animation recherche, alors, dans son environnement, des personnes susceptibles de répondre à l’attente de la personne (difficulté passagère ou durable), et met en relation ces deux personnes (psychologue, associations, médecin…, etc.). En 2008, l’équipe d’animation a souhaité la présence, l’aide et le soutien de la psychologue de Pause Santé Argonne pour le thème demandé par les habitants et qui était : la fin de vie.

Ce qu’apporte l’échange santé ?

Dans le RERS, les échanges sur un thème de santé permettent de se réapproprier son corps et sa vie. L’écoute réciproque, la relation à l’autre apportent une dimension sociale qui permet d’exister dans notre société. Chaque personne est unique. Chaque fois qu’un individu apprend quelque chose sur son corps, ou sur le fonctionnement de son esprit, il gagne alors du pouvoir sur lui-même. Il prend sa place dans la société. Il devient acteur de cette même société. Utiliser la pédagogie des RERS en échanges de savoirs, en groupe de paroles échange santé, permet une prise de conscience de ce qu’est la santé, c'est-à-dire non seulement l’absence de toute maladie, mais aussi, le bien-être physique, social et mental. Pouvoir, dans un lieu neutre, dans une ambiance conviviale, échanger sur « comment bien dormir ? », en passant par « l’hygiène de vie : l’alimentation », et « les maladies nosocomiales », permet à chacun de s’exprimer en toute liberté. Ces échanges de savoirs ne permettent pas de « guérir », mais de se réapproprier ses savoirs sur soi, son corps, d’acquérir d’autres savoirs puisque nous les partageons avec d’autres et, de ce fait, de se donner du pouvoir. Ils permettent, aux personnes qui éprouvent un mal de vivre, de se soulager, mais aussi de partager des savoirs entre personnes de cultures différentes. Partager les savoirs, les savoir-faire, les savoirs-dire, les savoirs d’expérience en matière de vie de tous les jours, contribue à créer la santé communautaire. C’est construire ensemble en échangeant, en apprenant, en comprenant ce que nous pensons être notre santé, notre bien-être physique et moral.

Page 156: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 156

Christelle Séchet88

: « Echanges réciproques de savoirs concernant la santé à L’Ecume du jour (Bistrot associatif et RERS » L’Ecume du Jour, bistro-resto associatif, est un Réseau d’Echanges Réciproques de Savoirs situé à Beauvais.

Fonctionnement

Accueil des personnes à l’Ecume du Jour, présentation du Réseau d’Echanges Réciproques de Savoirs et des différents groupes, collectifs et animations qu’il suscite dans les domaines de la culture, l’économie solidaire et la santé. Les personnes qui le souhaitent sont invitées à rejoindre le collectif « Choisis ta Santé ! » qui se réunit environ une fois par mois et organise les « boufatems » santé. Dans le cadre du Réseau, des échanges réguliers sont aussi organisés depuis plusieurs années avec les ateliers massage, le yoga du rire. Il existe aussi des groupes de parole de jeunes de douze à trente ans qui se réunissent une fois par mois (éducation à la santé, à la citoyenneté, à la vie affective et sexuelle, prévention des conduites addictives) en partenariat avec d’autres associations locales.

Commencement

A la suite du décès de son père, une animatrice de l’Ecume s’est rendue compte du point auquel les familles concernées par la maladie d’un proche et les personnes elles-mêmes atteintes, pouvaient être « mal informées » et passives face à la médecine allopathique. D’une colère est né un combat : celui de l’accès à l’information pour tous, celui d’un dialogue à restaurer avec les médecins qui, selon la fondatrice de ce collectif, disent tout savoir, commettent parfois des erreurs et ne les reconnaissent pas toujours, et dont on attend tout alors que ce sont avant tout des humains qui ont également des faiblesses. Elle a donc impulsé, il y a sept ans, la création d’un collectif qui s’est nommé « Le collectif Choisis ta Santé ». Le groupe s’est agrandi, s’accompagnant aussi d’un travail avec les associations et de la reconnaissance des partenaires institutionnels.

Les acteurs qui y participent et les rôles qu’ils y jouent

Les membres du collectif, une dizaine de personnes : aide-soignante, mère de famille, personne sans emploi, institutrice, personne célibataire, infirmière, secrétaire, psychologue... - Ils animent le point « infos santé » (brochures, infos locales, contacts de structures partenaires, vidéos…). - Ils repèrent une problématique à partir de l’actualité, des demandes d’Ecumeurs (nom des adhérents à L’Ecume), des offres et des demandes du Réseau concernant la santé, le bien-être. - Ils préparent des questions et recherchent des informations ; recherchent et sollicitent des intervenants intéressés par la démarche : professionnels, membres d’associations… - Ils organisent les soirées à thème « santé » une fois par mois, ouvertes à tous.

Les intervenants : intéressés par la démarche, ils viennent bénévolement, volontairement ; ils participent à la circulation des savoirs et s’engagent à « entendre » les problématiques et les témoignages de chacun.

88

Animatrice à L’Ecume du jour.

Page 157: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 157

Les personnes venant aux soirées à thème (habitants de la ville de Beauvais dont quartiers dits « prioritaires », des communes rurales environnantes, de tous âges et de toutes origines socioculturelles…) : chacun avec son histoire, ses émotions, ses sentiments, des pratiques, a une place à part entière et constitue une personne ressource lors de la boufatem. Les structures et associations locales pour un travail en réseau et un relais des informations ; les partenaires institutionnels financeurs (l’action du collectif est financée par le GRSP de Picardie). Les salariées de l’Ecume du Jour qui sont présentes au quotidien dans l’accueil, l’écoute, l’orientation et si besoin l’accompagnement des personnes.

Aller au-delà de difficultés

- Se faire connaître : communication des infos dans les médias, le programme de la ville, auprès des associations locales, des partenaires, par l’affichage dans les magasins, les pharmacies…, - L’arrivée d’une nouvelle animatrice ne connaissant pas le collectif a permis d’impliquer davantage les personnes dans l’organisation des soirées et la prise de contacts avec des intervenants, - Solliciter des personnes ressources pour les « boufatems » : grâce à un travail partenarial en réseau, - Rédaction du projet et des dossiers subventions, évaluation : accompagnement par l’Institut Renaudot, le CRES (Centre régional d’éducation à la santé) de Picardie, des formations…

Les éléments qui favorisent l’implication des personnes

Les échanges de savoirs entre tous, la circulation du savoir, la convivialité du lieu et des rencontres, les interventions de type non conférencier : ne pas être que dans l’intellect et redonner leur importance aux histoires de vie ; l’intersectorialité des projets de l’Ecume du Jour. Plus une personne prend en main sa santé, plus elle apprend à connaître, à écouter son corps et ses manques, plus elle sera actrice de son bien. Les médecins ne sont pas les seuls détenteurs de savoirs, ils sont des partenaires et chacun peut trouver des solutions pour se soigner.

AAtteelliieerrss BB 22..55 eett BB 22..66 RRéécciipprroocciittéé,, tteerrrriittooiirreess eett ddéémmooccrraattiiee

Jean Roucou89

: « Vers un pilotage contractuel et décentralisé de l'action éducative ? »

Depuis les lois de décentralisation, le paysage scolaire, éducatif et social a bien changé. Les modes de fonctionnement qui introduisaient une répartition dite des compétences ont évolué, notamment avec l'intercommunalité qui prend aujourd'hui le pas dans bien des domaines. Devant, à la fois, une forme avancée de désengagement de l'État et une volonté de

89

Président de Prisme.

Page 158: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 158

transformation sociale de l'action éducative des collectivités, on aboutit aujourd'hui à une situation inédite tant en termes de gestion de l'action publique que de prise en compte de nouvelles formes d'apprentissages, de formats d'enseignement, d'insertion professionnelle, d'actions culturelles...

« L'Éducation partagée » est devenue la matrice de la transformation de l'acte d'éducation entre les différents protagonistes (services déconcentrés, collectivités, associations) à travers, au mieux, des contractualisations de projets. La position d'acteurs qui se respectent et coproduisent est largement amorcée (certes inégalement selon les territoires) et s'ouvre à présent à celle, plus aboutie, d'auteurs de l'action publique. Ainsi, une structuration descendante établie selon des clés de répartitions purement gestionnaires, laisse peu à peu place à une organisation plus fonctionnelle faisant écho aux besoins des jeunes et de leurs familles sur une assiette territoriale à géométrie variable.

Des évolutions fondamentales

La gestion du service public scolaire s'inscrit aujourd'hui davantage dans une démarche d'éducation plus large. Cela permet certes d'agréger les moyens mais surtout de favoriser les échanges entre professionnels (et bénévoles d'associations) autour des pratiques. Le portage inter-acteurs, pour une réussite des enfants dans et hors de l'école, dépasse l'adjonction de simples activités socioculturelles autour de l'école pour tendre vers un portage plus collectif dans le respect des qualités de chacun des intervenants. Les programmes dits de « réussite éducative » en sont le témoignage. C'est une transformation fondamentale. C'est pourquoi après la scolarisation, puis l'éducation portée par des projets éducatifs locaux aux « villes éducatrices » puis aux régions « ensemblier » des politiques des jeunesses, on peut avancer dans l'idée que l'éducation est un objet de développement des territoires, démontrant ainsi que la jeunesse n'est pas une charge mais bien une ressource. Le projet éducatif associant tous les acteurs pour construire l'avenir est le meilleur moteur du développement d'une ville, d'une région, d'un département ou d'une agglomération, d'un pays.

Pour ce faire, l'État ne doit plus se considérer comme prescripteur, mais fixer des objectifs clairs et laisser à la synergie des acteurs locaux le soin d'organiser la mise en œuvre des moyens. La difficulté réside dans le fait que lorsque l'on touche à la forme scolaire, on remet en cause des compromis anciens qui renvoient dans l'imaginaire collectif au « sacré républicain », bloquant ainsi bien des évolutions.

A cela s'ajoutent de nouveaux facteurs fondamentaux de changement : - le diplôme ne garantit plus l'emploi et ne dispense plus d'apprendre, de se former, de s'orienter tout au long de la vie. Comment valider les acquis individuels mais aussi les savoirs construits ensemble, aussi bien pour les élèves que pour les éducateurs ? - la culture numérique imprègne de plus en plus les adolescents et retire encore plus d'évidence au modèle traditionnel de transmission du savoir à l'école. Comment le langage des images et l'initiative des élèves peuvent-ils s'associer avec la transmission écrite et orale ? - l'environnement dans lequel s'exerce l'acte éducatif, culturel et social évolue fortement, mais permet aussi l'émancipation de la jeunesse, en recherche de nouvelles formes de coopération et de co-construction des savoirs. Comment instaurer alors les conditions de la mise en œuvre de l'égal accès au droit d'apprendre tout au long de la vie ? Afin de prendre la mesure de ces enjeux et de trouver les réponses adéquates, s'appuyer sur les ressources locales permet de créer de nouvelles dynamiques permettant à l'École de se réinscrire dans les territoires, dans une démarche de développement des personnes et des

Page 159: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 159

communautés de devenir.

Une coopération locale inévitable mais par trop limitée

Aujourd'hui, aux côtés de l'État, les collectivités territoriales et les associations sont plus disponibles à l'intervention de chaque citoyen, et donc plus réactives pour prendre des initiatives sociales en milieu éducatifs. Seule difficulté, et non des moindres, nous sommes devenus en matière d'éducation, « jacobins sur les moyens et girondins sur les fins », alors qu'il faudrait, au contraire, fixer des objectifs sur les finalités et adapter et articuler les moyens permettant de répondre aux difficultés rencontrées.

Comment le projet de développement local est-il le support du projet éducatif et comment envisager les nécessaires articulations entre les niveaux d'enseignement et de formation et les différentes collectivités afin de bâtir des projets régionaux pour la jeunesse assemblant les problématiques d’enseignement, de déplacement, de loisirs, de santé, de citoyenneté ?

Une contradiction forte marque l'évolution que nous venons de retracer. D'une part, l'évidente nécessité d'améliorer l'environnement culturel, social, sanitaire des élèves en difficulté conduit à associer, par contrat, les collectivités territoriales aux établissements scolaires, et donc à donner à ces derniers plus d'autonomie pour négocier. D'autre part, la crise de l'institution Éducation nationale et la méfiance de l'opinion, que ressentent beaucoup de professeurs, conduit l'école à passer de la traditionnelle clôture symbolique, constitutive de l'école laïque (l'école doit être à l'abri des passions et des conflits de la société) à une fermeture totale sur l'extérieur (refus de tout intervenant extérieur ou de tout travail de la classe copiloté avec un professionnel extérieur).

Dans l'ensemble, l'ouverture à la coopération l'emporte timidement. En particulier, l'individualisation des soutiens oblige les partenaires à travailler ensemble. Si l'école doit être son propre recours, elle ne peut y réussir qu'avec les autres co-éducateurs : parents, collectivités territoriales et associations. Sauf à constituer une société séparée, isolée dans sa bulle, et par là même inefficace, l'école ne peut traiter tous les maux dont souffrent ses élèves avec ses propres médecins, infirmiers, psychologues, travailleurs sociaux, internats, etc. D'autant qu'elle ne fonctionne que 27 à 30 heures par semaine et 35 semaines par an. Le reste du temps est évidemment à la charge des familles et des collectivités.

Cette coopération s'impose plus aisément dans les situations les plus critiques. Pour les collégiens en rupture scolaire grave, tout le monde a accepté le principe des ateliers-relais, où, sans perdre contact avec le collège, les élèves se partagent entre des professeurs volontaires non soumis à des programmes stricts et des stages dans des entreprises proposées par la collectivité.

Mais contre l'échec scolaire « soft » (les 80 000 à 150 000 élèves chaque année, selon les niveaux retenus, qui n'obtiennent aucun diplôme reconnu), la coopération reste faible. Les conseils d'écoles ou d'établissements ne sont pas des lieux de coproduction de la réussite. Au mieux, les enseignants y obtiennent des moyens pour des initiatives pédagogiques souvent intéressantes (sorties, classes transplantées, équipement audiovisuel ou informatique...), mais dont l'impact est rarement mesuré.

La mise en place d'heures de soutien scolaire est la concrétisation la plus fréquente de cette coopération limitée. Notons d'emblée qu'ajouter des heures scolaires supplémentaires à des élèves qui supportent déjà mal la classe n'est pas évident, surtout si le professeur a peu de

Page 160: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 160

contacts avec les bénévoles ou les salariés qui encadrent ces études du soir. C'est plutôt dans le temps scolaire même que devrait prendre place le soutien. Quelques heures de relations privilégiées entre un adulte et un enfant voire un tout petit groupe d'élèves en difficulté suffisent souvent à recréer la motivation.

Comment créer les synergies au service des jeunes ?

En facilitant la rencontre entre les acteurs, en créant des bureaux dans les établissements, pour que les enseignants puissent recevoir élèves et parents et se réunir entre eux, en ouvrant les locaux d'intérêt commun (amphithéâtres, ateliers, gymnases, éventuellement CDI) aux activités éducatives et culturelles de la population hors temps scolaire. Le collège et le lycée ont vocation à être les centres culturels du quartier ou de la ville, les meilleurs outils d'un projet ambitieux de développement local.

Placer le CDI et le bureau d’accueil des enseignants ainsi que l’espace parents aux côtés du « foyer socio-éducatif » au centre de la transmission des savoirs (et non la classe) permettrait au maître d’être plus « aideur » que « dispensateur », et analyseur des situations d’appropriations des connaissances portées par différents supports .

C’est ainsi que la notion de réciprocité des savoirs donnera tout son sens, sans les étalonner, et en considérant les « fabriqueurs » - porteurs et diffuseurs des savoirs individuels et collectifs - comme légitimes.

Le regroupement au sein d'un même projet de territoire de ce qui relève de l'instruction publique, de l'accompagnement social et du loisir éducatif doit devenir réalité sociale, car le territoire est le liant des différentes communautés de devenirs.

Jacques Bohem, Danielle Coles, Frédérique Segonnes et Béatrice Cuny90

: « La réciprocité comme démarche pour construire la mise en association »

Jacques Bohem

Jacques Bohem situe le réseau de Meaux à l’intérieur de la ville. Il est implanté dans cinq centres sociaux, deux centres sociaux culturels au centre ville, trois centres sociaux municipaux dans les quartiers de Beauval et La Pierre Collinet.

Danielle Coles : « Evocation du Réseau d’échanges réciproques de savoirs de Meaux de 1997 à 2008 »

Le premier réseau est créé par Claire et Marc Héber-Suffrin à Orly en 1971. Une vingtaine d’années plus tard, les réseaux se sont multipliés et sont devenus un mouvement fort. Ils intéressent les municipalités de gauche comme de droite. C’est l’exemple que nous vivons à Meaux. Un premier réseau est créé à La Pierre Collinet au centre Louise Michel alors associatif, avec une municipalité de gauche. Il fonctionne de 1993 à 1995.

En 1996, les centres sociaux sont municipalisés par la nouvelle équipe de droite de Jean-François Copé. Le projet réseau est alors relancé par Jean Meyer qui vient d’être nommé directeur au centre Louise Michel de la Pierre Collinet. Moi-même, conseillère en économie, sociale, familiale, à la mairie depuis seize ans dans le service Enfance-Education, je suis dirigée

90

Animateurs citoyens du RERS de Meaux.

Page 161: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 161

vers un poste à tiers temps sur les trois centres sociaux municipaux. Dans mes missions, celle de relancer le réseau.

Un nouveau réseau démarre fin 1997. Il s’appuie sur cinq centres répartis sur cinq quartiers différents de la ville.

Un comité de pilotage, composé par les trois directeurs des centres sociaux, plus celui du centre socioculturel Louis Braille (où a travaillé Raymond Petersen) celui de la MJC, le responsable de l’antenne CAF de Meaux et moi-même qui suis chargée de faire avancer ensemble réseau et centres sociaux se réunit régulièrement. Il s’agit de définir les moyens de constructions du réseau : formation des agents d’accueil de ces structures à la présentation du réseau, communication du projet réseau aux usagers, fabrication d’un journal, comment arriver rapidement à l’autonomie du réseau et « retirer » le travailleur social ? Il est, par exemple, prévu que ce comité a une vocation éphémère.

De 1997 à 2001, le réseau prend ses marques

Il s’installe dans une base à Louis Aragon, allant jusqu’à obtenir un petit territoire, un bureau de douze mètres carrés environ qui deviendra « le savoiquarium ». C’est le premier lieu de la permanence réseau hebdomadaire, nous y pratiquons l’accueil des nouveaux arrivants et les mises en relation entre offreurs et demandeurs.

Les échanges collectifs démarrent avec les agents des écoles, c’est logique, il y avait beaucoup de relations entre eux et moi. Ils se développent et se créent à partir de mes échanges professionnelles de conseillère : l’échange culinaire, la santé, la diététique avec des thèmes comme ceux du pain, le pois chiche, l’eau etc.

Pendant toute cette période, il y a un temps de formation important : les membres du comité de pilotage et les membres du réseau viennent se former à Evry. Des professionnels du MRERS, formateurs viennent à Meaux.

Nous avons des inter-réseaux avec Belleville, Chelles, Clichy sous Bois/Montfermeil.

En 2001, date importante, les membres du réseau prennent la direction du comité de pilotage, les directeurs deviennent membres associés. Cette année-là, ils travaillent à un texte fondateur qui décrit précisément le fonctionnement et les objectifs du réseau. Nous l’appelons « le Réseau de Meaux en quelques Meaux ».

Il aura donc fallu quatre ans pour que le réseau se dote d’une première structure d’autonomie mais le pilier central reste le travailleur social.

Cet équilibre est remis en question début 2003 : contrairement à ce qui avait été affirmé, je ne suis pas remplacée.

Nous essayons d’abord le recours auprès de la municipalité avec courrier du comité d’animation, aucune réponse.

Nous nous partageons les tâches et une délégation rencontre les directeurs de centres.

Une solution de collaboration va être trouvée avec la municipalité. Je suis là aujourd’hui avec Frédérique, animatrice référente-famille du Centre social Charles Cros. A la suite de ces négociations, elle va tenir une place importante dans le réseau. Elle est toujours là, elle vous racontera.

Page 162: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 162

En 2004, nous prenons contact avec le Québec par l’intermédiaire du laboratoire de recherche du réseau national qui travaille sur des histoires de vie collectives. Nous y rencontrons André Vidricaire, professeur de philosophie à l’université de Montréal, et les employés de D3 Pierre, entreprise d’agro-tourisme pour l’intégration de jeunes en difficultés. Ce travail nous fait envie, pourquoi pas à Meaux ? André, de passage à Paris en 2005, fait un petit crochet par Meaux et vient nous présenter, au centre Louis Aragon, le projet d’écriture de D3 Pierre.

A partir de cette année-là, nous allons alterner deux démarches : une écriture collective de l’histoire de notre réseau, une démarche de réflexion sur une mise en association loi1901 de notre groupe.

Après une première rédaction de statuts et règlement intérieur présentés en octobre 2006, notre élu nous invite à réfléchir sur les trois points suivants :

- la construction d’une structure de type associatif non déclarée dans un premier temps, - une répartition des tâches portée par le plus grand nombre, - un accompagnement de la démarche par la municipalité.

Nous votons oui par 65 voix, 8 non et 8 abstentions.

Cette intervention de l’élu nous fait réagir et nous créons un groupe de réflexion de sept personnes que nous appelons le groupe d’expérimentation (GRE), (Frédérique, salariée de la mairie en fait partie). La mission de ce groupe est d’accompagner la mise en place des étapes successives qui, petit à petit, vont nous amener à une décision démocratique sur le bien fondé ou non de la transformation du mouvement actuel en association.

En janvier 2007, nous avons une grande réunion avec notre élu Patrick Augey et Claire Héber-Suffrin, co-fondatrice des réseaux. Cette rencontre bien préparée est un grand débat citoyen qui rassure l’élu et qui confirme la volonté d’aller vers une structure associative mais en privilégiant un partenariat étroit avec nos centres.

Il nous faudra patienter encore plus d’un an pour arriver à l’assemblée constituante du 17 avril 2008. Nous avons attendu d’être dans une période sans enjeu politique gênant, les élections sont passées et donc nous pouvons en toute tranquillité construire un partenariat solide avec chacun de nos centres tout en continuant à écrire notre histoire.

Frédérique Segonnes

Qui suis-je ? Une professionnelle de l’animation, ayant travaillé près de vingt ans auprès d’un public enfant, alternant ce travail avec des actions bénévoles pour participer à la formation de futurs animateurs. Vingt ans, c’est aussi le nombre d’années passées à la ville de Meaux, les six dernières dans un centre social, en qualité d’animatrice référent famille.

Qu’est ce qu’un centre social ? Quel est le travail demandé ? En quelques mots, je pourrai décrire qu’un centre social se caractérise par un projet au service de personnes, ou plutôt où la personne est au cœur des préoccupations, dans un territoire donné. C’est un ensemble de moyens mis en œuvres pour créer ou maintenir du lien collectif, être le réceptacle des besoins et des demandes, soutenir la réalisation de projets d’habitants, tant d’un point de vue individuel que de façon collective, favorisant et développant l’épanouissement personnel et le bien vivre ensemble. Un centre social travaille sur un projet global d’animation et de coordination, décliné en actions, lequel est agréé pour un à quatre ans par la caisse des

Page 163: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 163

allocations familiales (CAF). Un des axes est le développement local et la démocratie participative.

Que dire de ma rencontre avec le réseau de Meaux ? Je connaissais Danielle, nous avions « cohabité » quelques mois à la direction de l’enfance et de l’éducation. Elle, chargée du pôle des agents des écoles, moi de celui du personnel des centres de loisirs de la ville. De son départ vers les centres sociaux, je me rappelle un grand vide laissé auprès de ses collègues, et de quelques actions où les agents d’écoles se retrouvaient à ses côtés. En arrivant à Charles Cros, c’est donc tout naturellement comme « entre de nouveaux collègues » que Danielle m’a conviée à rencontrer le RERS. C’était bien là l’idée tant comprise maintenant, une invitation à faire connaissance. Quelques mois m’ont été nécessaires pour apprivoiser, pour m’apprivoiser dans ces nouvelles fonctions.

Après le départ en retraite de Danielle. Que dire de mon travail institutionnel avec le réseau de Meaux ? Parallèlement à cette rencontre, puis par la suite pour m’immerger dans ce projet – quel était-il, qui composait ce groupe – je me suis engagée durant un an et demi dans les échanges collectifs, où j’ai appris « de » et appris « à ». Conjointement je me forgeais à la – ou à une – méthodologie d’accompagnement de projet, étape par étape. Il s’agissait là, dans mes fonctions, de soutenir un projet d’habitants réunis en réseau d’échanges réciproques de savoirs. L’idée même d’accompagner les forces vives du territoire était une mission du poste à explorer et à mettre en œuvre. C’est ainsi que j’ai répondu positivement à la demande expresse d’une délégation du réseau : Permettre la pérennité des activités du réseau et développer la réflexion sur le fonctionnement interne du réseau.

Que dire de la mise en démarche vers une association « le réseau de Meaux » ? En juin 2005, la coordinatrice des centres sociaux reprend ses fonctions après une absence de 4 ans. C’est tout naturellement qu’elle retrouve les membres de ce groupe et les questionne sur la création d’une association « Réseau de Meaux ». Ainsi est mise en marche l’aventure associative. Ce sujet est mis au débat, à l’étude et ainsi naît le Groupe responsable de l’Expérimentation qui réussi à formaliser sous forme de statuts et règlements le fonctionnement du réseau. Il sera l’équivalant d’un conseil d’administration auquel il cèdera la place lors de l’assemblée constituante.

Béatrice Cuny : « Que pense le GRE de son travail lors de la construction de la mise en Association et comment peut-il exprimer l’intérêt de la réciprocité dans tout ce travail ? »

Le GRE (sept personnes volontaires) a cessé d’exister par le fait même de la création de l’Association et il a été remplacé par un Conseil d’Administration composé de douze membres élus par l’Assemblée générale.

Quelques mois plus tard, les anciens membres du GRE, se sont à nouveau réunis pour préparer l’intervention que nous faisons en ce moment même. Il s’agissait d’une sorte de feed-back pouvant faire ressortir la manière dont la réciprocité avait fonctionné entre nous. J’avais moi-même préparé cette réunion et prévu de cadrer un peu la discussion par une méthode de communication de groupe qui consiste à poser des questions ciblées et à demander aux participants de répondre par écrit tous en même temps. Les réponses doivent être brèves et lisibles par tous sur un tableau.

Page 164: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 164

Les réponses aux premières questions ont montré que toutes sortes d’apprentissage avaient été possibles lors du travail du GRE. Les compétences de chacun ont servi aux autres (connaissances juridiques, connaissance du milieu institutionnel et associatif, animation de groupe, rédaction d’un texte à plusieurs « Os à ronger »). A la question « Qu’avez-vous le mieux apprécier dans notre fonctionnement ? » il ressort que tous ont apprécié la qualité des échanges, l’écoute mutuelle et l’approfondissement de la discussion autour des valeurs des Réseaux.

Pour finir, voici « in extenso », les réponses à la question suivante : « Comment s’est manifesté pour vous la Réciprocité dans la mise en association » :

• Chacun a pu s’exprimer et donner librement son avis.

• Par une utilisation efficace des compétences de chacun.

• En communiquant nos idées et notre désir de faire vivre le Réseau.

• Dans son fonctionnement même. C’est cette réciprocité qui est le « carburant » de l’Association.

• Création de liens plus forts qu’avant.

• Par l’apport des idées personnelles et l’écoute des idées des autres. Résultat : enrichissement mutuel.

Louis Louvel : « Comment la nécessité de prendre une assurance a été l’occasion de construire démocratiquement des règles de fonctionnement claires pour tous ? » Règlement des activités de l’association RESO (Réseau d’échanges de savoirs d’Orly) L'association organise la mise en relation de ses adhérents afin qu'ils échangent leurs savoirs. Elle n'organise pas ces échanges. Le présent règlement précise les limites de responsabilité de l'Association RESO et de ceux qui l'animent : - toute personne qui, à un titre quelconque, est chargée de son administration et/ou de sa direction et dont le nom est déclaré à la Préfecture (Loi de 1901) ; - tout gestionnaire et/ou animateur de l'équipe de gestion et d'animation ; - tout animateur « d'atelier », activités ouvertes à tous les adhérents ; - tous adhérents pendant le déroulement d'une activité convenue de « gré à gré » (ils sont alors « tiers entre eux »).

1. Adhésion

Tout adhérent doit être informé des principes de fonctionnement et des limites de responsabilité de l'Association. Une copie du présent règlement doit lui être remise. Tout adhérent s'engageant dans un échange de gré à gré confirmera par sa signature sur « l'accord d'échange » qu'il a reçu le « règlement des activités » et accepté ses modalités. Cette signature sera conservée par l'Association comme preuve. Tout adhérent doit indiquer un moyen de le contacter (adresse, numéro de téléphone, adresse Internet, etc.) pour recevoir toute information utile sur l'activité de l'Association.

2. Assurance

Tout adhérent doit verser la somme de un euro ; un reçu lui sera délivré comme preuve de son adhésion auprès de l'assureur de l'Association RESO. L'adhésion à l'Association est renouvelable

Page 165: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 165

tous les ans. L'Association se réserve la possibilité de modifier le montant de l'adhésion. Tout échange de savoir de gré à gré doit être officialisé sur « l'accord d'échange » par la signature d'une personne reconnue de l'Association (animateur de l'équipe d'animation ou gestionnaire). Lors de l'officialisation d'une activité dont l'Association juge qu'elle peut présenter un risque pour les personnes, un avenant au présent règlement sera rédigé au cas par cas pour définir avec précision les précautions devant obligatoirement être prises (exemple: port d'un casque pour faire du vélo) et le domaine de couverture de l'assurance. Lors du déroulement d'un atelier à la date et à l'horaire annoncé, l'animateur et les participants sont couverts par l'assurance dans la limite définie par l'avenant au présent règlement s'il y a lieu. Lors du déroulement d'un échange de gré à gré officialisé par l'Association, les participants à l'échange sont couverts par l'assurance dans la limite définie par l'avenant au présent règlement s'il y a lieu.

Tout échange, atelier ou gré à gré, non officialisé par écrit par l’association R.E.S.O. est hors du domaine de couverture de l’assurance.

3. Echanges de savoirs

Ateliers L'Association est responsable des conditions matérielles des ateliers et de l'information aux participants sur les lieux où ils se tiennent, les dates et horaires. Lors du déroulement, l'offreur de l'atelier est considéré comme animateur de l'Association. Les ateliers s'organisent autour d'un sujet proposé par l'offreur. Ils sont ouverts à tous les adhérents. Cela implique un consensus des participants (consensus défini par l'offreur). L'offreur s'engage à assurer la prestation annoncée. En cas d'empêchement il se doit de prévenir en temps utile l'Association et les participants à l'atelier. Echanges de gré à gré L'Association assure la mise en relation entre offreurs et demandeurs, elle n'intervient pas dans le déroulement de l'échange. Tout échange de gré à gré doit faire l'objet d'un accord écrit (dénommé « accord d'échange ») entre l'offreur et le demandeur. Cet accord doit être officialisé par l'Association pour pouvoir être couvert par l'assurance. L'offreur et le demandeur organisent à leur convenance leur activité. Les mises en relation de gré à gré seront actualisées tous les ans.

4. Rencontres et convivialités

Permanences Des permanences sont organisées régulièrement. Elles sont des lieux d'information sur les activités du Réso. C'est le moment opportun pour l'accueil des nouveaux adhérents. Toutefois, l'Association peut proposer d'autres opportunités d'accueil. Bourse aux échanges Une bourse aux échanges est organisée régulièrement par l'équipe d'animation de l'Association. C'est le lieu privilégié où les adhérents peuvent se rencontrer, faire connaissance et négocier entre eux leurs accords d'échange. En cas d'impossibilité de participer, les animateurs du Réseau font de leur mieux pour faire se rencontrer autrement offreurs et demandeurs.

Page 166: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 166

Evènements et « créations collectives » L'Association R.E.S.O. organise sa participation aux manifestations locales, départementales, nationales ou internationales (fêtes de la ville, journée de la solidarité, etc.), ainsi que des réunions conviviales (pique-niques, dîners, etc.) comme décidé par le Conseil d'Administration et l'équipe d'animation. La participation de tous les adhérents à l'organisation, au déroulement et à la mise en ordre finale est prise en charge par l'assurance.

5. Participation des enfants mineurs

Les parents sont toujours responsables de leurs enfants mineurs dans l’association RESO.

Notre association n'a pas pour activité principale l'encadrement des mineurs. Par conséquent, ce sont les parents qui sont toujours directement responsables de leurs enfants dans les activités du Réseau. Toutefois, ceux-ci sont adhérents à part entière, décident par eux-mêmes et obéissent au principe de réciprocité.

Echanges de gré à gré La décision d'échange est prise avec l'accord du mineur lui-même en présence des parents. L'association informera clairement les parents que l'offreur n'a pas de garantie officielle de compétence. Elle indiquera les précautions à prendre pour certaines activités (sportives notamment). L'association recommande la présence des parents pendant l'échange, mais cette décision relève du bon sens de la vie courante ; et l'association, du reste, n'a aucun moyen de la garantir. Par conséquent, en cas de litige, les parents ne pourront se retourner contre l'association RESO.

Ateliers Après accord de participation signé par les parents, l'atelier se déroulera au lieu et à l'horaire prévus afin qu'ils puissent, s'ils le désirent, contrôler le déplacement de l'enfant mineur. Les animateurs de l'atelier (toujours au moins deux) ont « obligation de surveillance » des enfants mineurs durant le temps de l'atelier ; ils sont, par conséquent, toujours au moins deux. Toutefois, si l'atelier se déroule dans un endroit où se trouve à disposition un personnel permanent (Forum Pablo Neruda, autre) le personnel permanent de ce lieu peut, après signature d'un accord écrit avec l'Association RESO., faire office de deuxième animateur.

En cas de besoin, l'Association RESO doit toujours être en mesure de prévenir les parents. Ce point fera l'objet au cas par cas d'un accord écrit et signé par l'Association et les parents.

Patrick Brun91

: « Réciprocité et croisement des savoirs dans les relations entre population pauvre et services publics » La « crise des banlieues » en France, en 2005, a constitué pour beaucoup une prise de conscience des évolutions affectant les classes défavorisées dans la plupart de nos villes. De nouvelles marginalités se sont révélées, résultat notamment de la concomitance entre un triple processus de « fragmentation du salariat », de « rétraction et désarticulation de l’Etat Providence » et de « concentration de la pauvreté sur certains territoires et stigmatisation de ces territoires » selon les termes et l’analyse de Loïc Wacquart (2005).

91

Docteur en sciences de l’éducation, membre du mouvement international ATD Quart Monde.

Page 167: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 167

De nouvelles frontières apparaissent dont la question des territoires d’exclusion et du logement sont la manifestation visible : les inégalités croissantes traduisent une crise de la démocratie, la communication « défectueuse » entre les services de l’Etat et ceux qui se sentent exclus des bénéfices de la croissance affecte le socle des valeurs communes et la notion même de citoyenneté. Notre société tend vers un modèle autoritaire qui se diffuse au niveau des administrations publiques et se déploie dans des comportements répressifs là où la concertation et la coopération avec les usagers devraient être recherchées.

Restaurer des liens et des médiations dans la communication pour recréer le dialogue est une nécessité sociale et une exigence démocratique. Qui dit dialogue dit échanges de savoirs et recherche de parité dans la détention des pouvoirs. L’instauration ou la restauration d’une réciprocité des savoirs et des pouvoirs nous paraît aujourd’hui le fondement d’un renouveau du pacte démocratique.

Alors même que la démocratie participative ou délibérative est invoquée comme modèle à atteindre et qu’elle est entrée dans la loi française depuis 2002, notamment avec les conseils de quartier, quelles sont les démarches qui en favorisent la mise en œuvre, notamment dans les relations entre populations marginalisées et pouvoirs publics ?

Nous chercherons d’abord à expliciter les composantes de cette difficile relation, avant d’identifier les conditions d’une véritable contribution des populations défavorisées non seulement à l’amélioration de leur condition, mais au fonctionnement d’un Etat de droit, fondé sur la participation des citoyens aux affaires publiques, y compris ou peut-être d’abord avec les plus démunis d’entre eux.

Les éléments de la crise92

Les situations concrètes que nous avons pu étudier à partir des actions menées avec le Mouvement ATD Quart Monde en Europe concernent les relations entre personnes en grande précarité ou travailleurs « pauvres » et représentants des services publics. Elles nous conduisent à deux séries de constats :

Un jeu de rapports de place structuré en dominants/dominés

D’un côté de la barrière (invisible) qui sépare détenteurs du pouvoir et administrés, un « usager » en grande difficulté sociale fait valoir son expérience et sa demande. Il apparaît à la fois comme individu susceptible de relever d’une catégorie de l’administration, demandeur d’assistance dans l’échange qui va avoir lieu, et souvent est identifié par son interlocuteur comme membre d’un milieu plus ou moins stigmatisé.

De l’autre, la figure surplombante du représentant de l’administration, chargé d’appliquer des dispositions réglementaires dans le cadre du mandat qui lui est donné, mais aussi un 92 Un dernier principe, celui de l’administration domestique, consiste à produire pour son propre usage. Polanyi le présente à

partir de la différence faite par Aristote entre l’œconomia, la production pour l’usage et la chrématistique, la production pour l’acquisition d’argent. L’administration domestique se fonde sur l’unité autarcique avec des noyaux institutionnels différents : le sexe pour la famille, le lieu pour le village, le pouvoir politique pour le village avec des modalités d’organisation démocratiques ou despotiques. (Polanyi, 1983, p. 83). Ce principe n’a pas été retenu pour la modélisation de l’économie solidaire. Il faut toutefois noter que toute une partie de travaux domestiques peuvent passer de la sphère privée vers la sphère publique notamment à partir du transfert dans l’économie solidaire. En outre, certaines initiatives de l’économie solidaire cherchent à promouvoir l’autoproduction accompagnée que ce soit dans les domaines du logement, du jardinage… pour des personnes privées de la possibilité de faire par elles-mêmes pour diverses raisons : méconnaissance des gestes techniques, manque de confiance, manque d’outils ou encore manque d’espace pour mettre en œuvre leurs savoir-faire. Cf. www.padesautoproduction.org

Page 168: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 168

professionnel appartenant à un corps qui a ses normes et ses rites, enfin une personne le plus souvent de bonne volonté, mais parfois lassée, ou aigrie par les difficultés de la tâche et le rôle qu’on lui fait jouer de « variable d’ajustement » des politiques publiques.

Chacune des deux parties a non seulement une idée de l’autre mais aussi une représentation de soi dans la relation à l’autre. Chacune d’elle est portée à revêtir plusieurs figures dans le jeu stratégique qui les relie.

Comment alors peuvent-elles se trouver sur la juste longueur d’onde ? Quelle détermination de soi et de l’autre va l’emporter ? Comment le requérant va-t-il se présenter ? Quel mandat le professionnel va-t-il choisir : sera-t-il d’abord représentant de l’administration qui l’emploie, un professionnel soucieux d’appliquer les normes et l’éthique de sa profession ou une personne à l’écoute ?

On voit combien la communication sera différente en fonction du registre choisi, du personnage mis en avant et du langage propre à ce personnage.

L’absence de parité qui caractérise ces rapports rend souvent difficile, voire impossible, une collaboration confiante dans la recherche de solutions. Le demandeur est sommé d’entrer dans un dispositif qu’il ne ressent pas comme réponse adéquate à sa demande et, de fait, se sent méconnu voire méprisé.

Une méconnaissance réciproque des interlocuteurs

Dans l’hypothèse fréquente où les deux interlocuteurs sont de bonne foi les causes de méconnaissance demeurent liées à trois types de facteurs :

- les représentations croisées qui projettent sur l’interlocuteur des images fausses ou tronquées ;

- l’ignorance des logiques d’action qui animent tant l’action des professionnels que celle des personnes demandeuses ;

- l’opacité des institutions, et la difficulté pour les demandeurs d’accéder à la compréhension des règles qui les régissent.

Ces raisons ne sont pas isolées les unes des autres. Le processus est cumulatif : moins on donne d’explications, plus on enferme son interlocuteur dans l’ignorance, moins celui-ci se montre capable de comprendre et plus il renforce dans l’esprit de son interlocuteur l’image qu’on a de lui.

La recherche de nouvelles pratiques consistera donc, sous des formes différentes, à redonner du pouvoir (empowerment) aux personnes, à restaurer les conditions d’une possible communication et à instaurer un partenariat entre les parties en présence, autrement dit, pour reprendre le titre d’un ouvrage du philosophe Jürgen Habermas à rechercher les voies d’un « agir communicationnel » en particulier avec les plus démunis de notre société.

L’instauration de démarches de réciprocité active dans les interactions entre les interlocuteurs ne peut s’avérer une voie utile qu’à certaines conditions que le Mouvement ATD Quart Monde explore depuis une dizaine d’années et qu’il met en œuvre depuis six ou sept ans en réponse à la demande de différents publics, fonctionnaires des collectivités locales, médecins et personnels hospitaliers, agents d’insertion de conseil général, enseignants, travailleurs sociaux, etc.

Page 169: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 169

Etablir une véritable réciprocité par le croisement de savoirs et des pouvoirs

A la suite des séminaires « Quart Monde Université » (1996-1998) et « Quart Monde Partenaire » (2000-2001), organisées par le Mouvement ATD Quart Monde, des formations réciproques ont été conduites en utilisant la méthode du croisement des savoirs et des pratiques.

Ces co-formations93 durent de trois à cinq jours en une ou deux sessions et ont pour objet de transformer, par la connaissance réciproque et le croisement des expériences, les relations entre les personnes en situation de pauvreté et les institutions.

La première condition pour qu’un échange puisse avoir lieu, c’est le rétablissement d’une certaine parité dans les échanges

Jürgen Habermas, le philosophe de Francfort (cité par Blondiaux p.41), nous rappelle les conditions de légitimité des décisions collectives : « La légitimité et la rationalité des décisions collectives reposent sur un processus de délibération collective, conduit rationnellement et équitablement entre des individus libres et égaux ». Etablir une certaine parité entre les parties en présence demande une préparation et un dispositif d’accompagnement. La rencontre doit être préparée par un travail de chacun avant de nouer le dialogue.

La rencontre naît en effet d’une double initiative à l’origine du projet de croisement. Du côté des personnes défavorisées, la participation durable aux Universités populaires Quart Monde a permis aux participants d’acquérir des ressources d’expression et des outils de dialogue avec des représentants d’institutions: aptitude à la prise de parole, à la construction de sa réflexion, aux compétences exigées par le dialogue avec des intervenants professionnels.

Du côté des institutions, les difficultés rencontrées au quotidien ont conduit des responsables de service à souhaiter améliorer les relations avec des représentants des usagers pauvres.

Une demande de séminaire de coformation est alors émise par l’institution auprès du Mouvement ATD Quart Monde et plus particulièrement « l’atelier du croisement des savoirs ».

La participation est volontaire.

La rencontre est cependant lourde d’appréhensions des deux côtés. Des peurs doivent être surmontées, une confiance doit être gagnée.

Le dispositif instaure une relation paradoxale : - La rencontre se déroule hors du lieu et du temps de travail, avec des représentants des

milieux en difficulté qui ne se connaissent pas et ne sont pas des interlocuteurs habituels ; - en même temps les protagonistes sont bien réunis sur la base des rôles qu’ils jouent dans

le face à face de leurs interactions quotidiennes. Les situations rapportées qui vont être discutées ont été réellement vécues.

La confrontation réunit à la fois des personnes riches d’expériences singulières mais aussi deux groupes d’acteurs face à face identifiés par une expérience commune des rapports de pouvoir et de savoir, respectivement un « nous » et un « vous » réciproquement vécus.

Alors que la situation est profondément inégale au départ, la dynamique initiée par les animateurs conduit progressivement à modifier les rapports et les représentations : les

93

On se réfèrera au livre « Le croisement des pouvoirs » (2008).

Page 170: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 170

professionnels parviennent à considérer qu’ils ont en face d’eux une communauté de savoirs et d’expériences et non des cas « sociaux » individuels. Le groupe des personnes pauvres découvre des personnes singulières derrière les rôles auxquels ils assimilaient les professionnels.

Cette évolution doit traverser une zone de risque qui consiste, de la part des professionnels, à accepter l’image que les usagers se font d’eux et leur renvoient. Tout le séminaire repose en effet sur l’établissement d’une confiance minimum. Une dialectique s’établit entre rôles et personnes, entre individus et collectivité, dans le « tricotage » et « détricotage » permanent des images et les prises de conscience respectives des uns et des autres.

Il est alors possible que, sur cette scène nouvelle, les « acteurs » entrent dans un « nous » partagé, qui n’est pas encore celui d’un partenariat dans la vie mais au moins dans le jeu présent.

Quatre conditions président en définitive à la réussite de ces co-formations.

- Les rythmes et la durée toujours trop courte au regard des ambitions et des difficultés : le temps des professionnels n’est pas celui des pauvres. Ceux-ci ont besoin de temps de maturation, de temps d’explicitation entre eux ou avec un animateur, et de temps de repos ou de distanciation.

- L’exercice de la réflexivité. Le travail alterne retours sur des situations d’expérience, apports de connaissances et réflexivité critique.

- La médiation et l’accompagnement du dispositif des groupes de participants et des personnes elles-mêmes par une équipe pédagogique, dont un membre sera proche des professionnels et un autre des personnes issues de la pauvreté.

- Enfin l’adossement du groupe des acteurs de la pauvreté à une organisation collective. Celle-ci exerce une double fonction : communauté d’expériences et de savoirs qui aide à la construction des savoirs et de l’expérience de chacun de ses membres. Et bien sûr communauté de soutien dans l’épreuve de la rencontre. Cette double dimension de l’organisation « militante » est souvent mal perçue par les professionnels qui soupçonnent l’organisation d’instrumentaliser les personnes. Le croisement des savoirs est aussi un croisement des pouvoirs à différents niveaux.

Conclusion

« Aux frontières des organisations » peut-on changer les pratiques et restaurer la communication sociale dans les territoires de la « marginalité sociale » ?

Un « nous » fragile se constitue sur une scène artificiellement construite en marge de la vie réelle. Peut-il préfigurer ce que serait un partenariat entre populations défavorisées et pouvoirs publics sur les deux scènes réelles où se déroulent ces rapports

- les « quartiers » où la dimension collective des relations sociales est engagée, - les administrations auprès desquelles les usagers se présentent à titre individuel ?

Dans les pratiques

Ce travail entre les personnes se déroule dans le cadre d’un contrat passé entre une organisation de solidarité telle ATD Quart Monde et un organisme ou une institution.

Le partenariat s’établit donc à trois niveaux :

- entre des personnes, celles qui sont présentes dans le séminaire,

Page 171: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 171

- entre des collectifs, le groupe des militants représentant les personnes pauvres, les professionnels ainsi définis par leur appartenance à un milieu,

- des organisations, en l’occurrence, ATD Quart Monde d’un côté, l’institution demandeuse de l’autre.

Au niveau des personnes, s’effectuent un certain nombre de prises de conscience et d’apprentissages mutuels susceptibles d’affecter positivement les relations à venir.

Au niveau de la profession des changements sont perceptibles soit par le partage d’expérience entre collègues, soit à travers les formations qui sont dispensées dans les organismes professionnels qui répercutent les fruits des co-formations.

En revanche, réformer les institutions s’avère beaucoup plus difficile. Comment, par exemple, desserrer les contraintes de durée des entretiens que mènent les travailleurs sociaux, durée qui est prescrite par la hiérarchie ? Comment assouplir la règle selon laquelle les travailleurs sociaux ne peuvent exercer une fonction d’accompagnement hors du cadre de l’accueil dans les locaux professionnels ? Ou accepter que des représentants d’associations appuient certains usagers dans leurs relations avec l’administration ?

Dans les politiques

Comment l’organisation de la représentation politique peut-elle prendre en compte l’expression de la volonté des couches les plus défavorisées ?

A ce niveau, peut-on encore parler de participation hors du cadre électoral qui concerne peu ces populations ? Et ce tant au niveau municipal que national. Comme l’écrit Loïc Blondiaux (p.79) « Comment traduire la discussion en pouvoir » au regard du hiatus entre les expressions de la société civile et les modalités de la prise de décision ?

Il nous semble que trois conditions majeures président à la reconnaissance des populations très défavorisées comme actrices du changement de leur propre situation et contributrices des transformations de la société.

- La première est l’instauration de lieux d’expression collectifs de l’expérience et de la pensée des personnes. Ces lieux et ces collectivités sont à construire par le bas et non sur une initiative politique. Il s’agit de créer des « communautés citoyennes actives » selon l’expression de Blondiaux ou, selon un politologue américain, Peter Haas, une « communauté épistémique » (Hermesse, 2004 p.44).

- Mais cette première condition ne peut réussir sans une seconde : le partenariat réalisé au sein de ces lieux entre des citoyens de toutes conditions prêts à s’engager auprès des très pauvres selon des démarches adaptées aux ressources et difficultés de ces populations.

- Enfin des relais doivent être mobilisés entre ces lieux d’expression et de délibération collective et les instances de décision à tous niveaux. Les relais ne consistent pas seulement en groupes de pression et en interventions de personnalités, mais, selon un processus de « traduction » et de confrontation, comme l’exprime encore Blondiaux entre « un mouvement continu de demande de droits et des tentatives de « cadrage politique » de la part des pouvoirs en place » (p.83).

Une telle élaboration exige de la part des différents responsables la conviction que la société serait meilleure si, comme le demandait le Père Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD Quart monde, on prenait la mesure des choses en « regardant le monde par en bas ».

Page 172: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 172

Bibliographie

Blondiaux Loïc, 2008, Le nouvel esprit de la démocratie, Paris, Seuil. Carel Marion, 2004, Faire participer les habitants ? La politique de la ville à l’épreuve du public, Thèse de doctorat soutenue à l’Université Paris 5. Groupe de recherche Quart Monde-Université, 1999, Le croisement des savoirs. Quand le Quart Monde et l’Université pensent ensemble, Paris, les éditions de l’Atelier et les éditions Quart Monde. Groupe de recherche action-formation Quart Monde Partenaire, 2002, Le croisement des pratiques. Quand le Quart Monde et les professionnels se forment ensemble, Paris, Editions Quart Monde. Sous la direction de Claude Ferrand, 2008, Le croisement des pouvoirs, Paris, les éditions de l’Atelier et les éditions Quart Monde. Hermesse Olivier, 2004, De la pauvreté vers les plus pauvres. L’approche en termes d’indicateur(s) et le « croisement des savoirs », Dissertation présentée en vue de l’obtention du titre de licencié en économie à l’Université catholique de Louvain. Wacquart Loïc, 2005, Parias urbains, ghetto – banlieue – Etat, Paris, La Découverte. Wresinski Joseph, 2007, Enrayer la grande pauvreté, Rapport remis à Michel Rocard, 1982, in J Wresinski Joseph, Refuser la misère, une pensée politique née de l’action (pp.255 à 282), Paris, Cerf et Editions Quart Monde.

Patrick Lalanne94

: « Réciprocité... résistances... recherche de sens... débat démocratique » Même si les implications dont je parle ici ne se réfèrent pas explicitement aux réseaux d’échanges réciproques de savoirs, un certain nombre de paramètres nous sont certainement communs.

L’association « les Fourmis dans le Compteur » se situe dans le quartier de Malartic à Gradignan (ville de la communauté urbaine de Bordeaux). Ce quartier existe depuis 1972 et a une longue histoire associative qui explique certainement les grands axes du travail des « Fourmis ». L’idée de l’association des Fourmis est venue d’une question : comment sortir d’un discours écologique théorique, comment mettre en pratique des économies d’énergie de façon significative et aussi comment participer au débat qui permette de sortir de la confidentialité certains savoirs sur ces questions ? L’avantage : il y a 716 maisons individuelles dans le quartier qui se déclinent en deux types différents de constructions. Donc travailler sur ces deux types différents permet, théoriquement, de faire des propositions aux 716. D’autre part, il existe en France 65 000 logements construits dans le même programme (intitulé « chalandonnettes », du nom du Ministre qui avait initié ces constructions : Albin Chalandon). Les méthodes mises en œuvre peuvent les intéresser avec des adaptations autour des différences de construction d’une région à l’autre. Enfin, le plus formidable gisement d’économies d’énergie réside dans le bâtiment construit... c’est aussi le plus difficile à modifier.

L’association dite « Des fourmis dans le compteur », (collectif d'habitations urbaines pour la maîtrise de l'énergie), fondée le 19 avril 2006 a pour buts de :

94

Président de l’association « Des Fourmis dans le Compteur ».

Page 173: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 173

• Promouvoir des technologies respectueuses des personnes et de l’environnement, • Informer, sensibiliser, réfléchir et engager des réalisations autour de la maîtrise des flux (énergie, eau, déchets…) dans le domaine de l’habitat et des conditions de vie, • Promouvoir et valoriser des initiatives collectives dans ce domaine (notamment à travers les bilans énergétiques et les certificats d’économies d’énergie).

Des Diagnostics thermiques ont été réalisés dans quarante maisons d’adhérents et, actuellement, nous travaillons pour faire émerger les solutions techniques et financières réalistes découlant de nos évaluations.

Ces diagnostics sont financés par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la Maitrise de l’énergie), le Conseil régional d’Aquitaine et le Conseil général de la Gironde qui restent nos partenaires pour la suite de l’opération.

Aujourd’hui cinquante familles sont adhérentes de l’association. Nous sommes organisés en groupes de travail sur des thèmes comme : Le Chauffage des maisons L’Isolation des maisons La récupération de l’eau La production d’énergie (Photovoltaïque) Les groupes de travail organisent des ateliers publics (rencontres avec des professionnels) sur leurs sujets de travail. Des documents écrits et audiovisuels sont fabriqués à partir de là et circulent entre les adhérents pour nous permettre comprendre ce qui existe et de définir ce que nous voulons et ce qui est réaliste.

Nous cherchons aussi à promouvoir des groupements d’achats sur un secteur où il est parfois difficile d’obtenir les matériaux souhaités mais aussi de trouver les artisans compétents dans les techniques d’installation.

Nous travaillons particulièrement la question de la participation maximum des adhérents à chacune des phases du projet. Chacun peut amener des éléments importants à la réflexion de tous. Les groupes de travail sont un moyen pour acquérir un langage commun mais aussi pour préciser nos besoins en matière énergétique... choisir en connaissance de cause des outils et des techniques.

Actuellement la phase d’étude est terminée. Tous les documents accumulés par l’association vont être diffusés, dès le mois de décembre 2008, auprès de l’ensemble des 716 habitations du quartier. Nous avons une idée des points prioritaires d’actions pour réaliser des économies, nous avons approché des solutions techniques. Le 11 décembre, nous signerons une convention pour une opération expérimentale avec l’entreprise Gaz de Bordeaux et la Maison de l’Architecture de Bordeaux pour peaufiner les solutions techniques et financières autour d’opérations d’isolation des maisons.

L’existence des Fourmis, son origine, ses objectifs, ne saurait s’expliquer sans faire référence à l’histoire du quartier. Ce quartier existe depuis les années 1972-1975. Il a été marqué par la construction de maisons individuelles et d’un habitat collectif (environ 1500 logements) majoritairement accessibles à des foyers à faibles revenus. La partie habitat individuel s’adressait en majorité à des habitants venant de l’habitat collectif ; s’y côtoyaient des gens de classes populaires et moyennes. Très rapidement, les habitants de ces deux formules se sont

Page 174: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 174

solidarisés pour obtenir des améliorations de leur environnement (écoles, commerces, maison des jeunes, transport…). Des rencontres ont aussi été organisées autour de temps festifs.

Puis une longue lutte collective a marqué le quartier autour des malfaçons des habitations (lutte qui a aussi existé à un niveau national puisque on a dénombré 5000 habitants sinistrés sur environ 65 000 constructions de même type). Il aura fallu entre 18 ans et 38 ans pour que cela soit réglé et que les habitants obtiennent réparation.

Se retrouvaient là des gens qui ne se connaissaient pas et ces expériences collectives ont amené des noyaux d’habitants à trouver des formes d’organisation sur le long terme. Elles ont été différentes selon les époques mais ont laissé des habitudes, ont tracé des chemins. Aujourd’hui la présence des anciens dans les différentes structures du quartier permet aux nouveaux habitants de s’inscrire et de s’approprier cette histoire.

Se dégager du non-savoir/ accéder à des savoirs nécessaires/ s’appuyer sur le concret

A la lumière d’un engagement, dont certains objectifs sont clairement déterminés (évaluer le potentiel d’économies d’énergie possible sur nos maisons), comment, dans un domaine apparemment purement technique contribuer à mobiliser l’énergie des habitants et dégager les aspects implicites de cet engagement comme la participation active au débat sur l’énergie ?

Il implique les adhérents sur un temps relativement long (2 ans déjà pour parvenir à une phase expérimentale sur des investissements lourds/ l’isolation des maisons) et sur un thème qui touche à l’amélioration des conditions de vie.

Tout d’abord, il y est question de la mobilisation de certains d’entre nous qui n’ont pas un savoir sur ce sujet précis. La prise de conscience et le cheminement pour préciser ces ignorances peuvent devenir un savoir... Il peut paraître utile de travailler ces ignorances pour les préciser et, par là, parvenir à les dépasser, du moins en partie.

Les méthodes que nous avons employées passent toujours par un travail d’enquête, qui n’est pas suffisant en soi, qui soulève un certain nombre de questions... donc un savoir sur des problématiques… puis nous écrivons (nous avons mis en place un écrit interne : la « Fourmilettre ») qui permet de préciser ce questionnement... Le groupe de réflexion créé à cette occasion permet déjà l’élaboration des questionnements... puis le groupe de travail organise un atelier public « rencontre – information – confrontation – espace de débat avec des professionnels ».

Il s’agit alors de mettre en place un outil qui est une méthode pour rechercher l’information, la digérer, la confronter…

Nous n’avons pas l’habitude de faire des achats en commun. Nous avons commencé progressivement par de modestes réalisations, demandant peu d’investissements financiers pour des résultats palpables, comme, par exemple, installer des réducteurs de pression pour diminuer le débit d’eau potable. Ou négocier l’achat de chaudières, discussions inhabituelles pour nous avec des professionnels (ainsi que pour eux), mise à jour de critères de choix multiples, pas uniquement basés sur une baisse des prix mais tenant compte de paramètres plus nombreux comme choix de l’entreprise, type de prestations, confrontation avec un savoir acquis par le travail d’enquête et qui parfois pose de nouveaux problèmes au professionnel... Donc utilisation de critères techniques mais aussi économiques qu’un consommateur seul ne peut, généralement pas, maitriser seul. Cette procédure progressive sert à préparer de possibles investissements plus lourds sur l’isolation des maisons.

Page 175: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 175

Réfléchir comme une association de consom’acteurs. Créer un lieu de résistance, de développement de l’esprit critique comme peut le réaliser une association de ce type. Aujourd’hui où tout le monde parle d’économies d’énergie et où nous sommes démarchés régulièrement par nombre d’entreprises prétendant répondre à ces préoccupations, ce type de regroupement peut être un excellent moyen pour trier, analyser et finalement retenir les processus les plus pertinents.

Les quelques réflexions qui suivent peuvent illustrer un point parmi d’autres de ce parcours, qui est celui de la construction de savoirs et aussi de la prise de conscience de cette connaissance. On peut, à chaque fois, évoquer l’abandon des résistances nécessaires dans tout processus d’apprentissage mais aussi la construction de résistances dans un sens de remise en cause de positions politiques qui ne nous conviennent pas, sans d’ailleurs que cela se transforme en un mode de pensée dominant, axé sur une prise de pouvoir, comme c’est logiquement l’objectif dans un parti politique. On pourrait résumer cela à travers deux thèmes à mon avis centraux dans la vie de ce quartier depuis son origine : l’habitat et le vivre ensemble.

Il s’agit là de l’utilité de savoirs multiples, construits progressivement. On peut donc parler de stratégie(s) mises en œuvre, de façonnage d’outils, de définition d’espaces et de temps variés, de construction de résistances, plus comme recherche de sens ou éventuellement (lorsque les buts sont clairs comme dans une association type Fourmis dans le compteur) comme construction d’un argumentaire partagé par le plus grand nombre de ceux qui y ont participé.

Cela se passe dans un quartier ou d’autres ont un souci, la mise en relation. A travers le réseau d’échanges et le milieu associatif, beaucoup de propositions sont faites en termes de rencontres très variées, qui vont de l’apprentissage d’une langue à un débat sur la Palestine. La mise en perspective de ce besoin de rencontre et de ces différentes propositions peut dégager ce que j’appellerais la construction d’histoires. S’appuyant sur la création de ces moments de rencontres, cela tricote des expériences communes qui permettent ensuite de dégager des fils conducteurs. Il n’y a pas une histoire mais des histoires et c’est peut être cela qui est source de lien : la construction de ces histoires comme une recherche de sens. Chacun peut, à travers ces différentes expériences, souvent communes, donner sa propre interprétation, sa propre coloration et donc contribuer à une élaboration commune, à une vision d’ensemble. Ce n’est pas simplement la coexistence, la juxtaposition des existences dans une aire géographique.

A mon niveau, il a toujours été important de participer à la création d’espace de réflexion critique, de se dégager d’un activisme soporifique pour l’esprit... ou de toujours rabâcher les mêmes concepts... de sortir de confusions généralistes qui servent plus à enfumer l’esprit qu’à le libérer. Lorsqu’il y a profusion de propositions, on peut y déceler de l’agitation, une recherche de savoirs peut aussi nous empêcher de déceler ce qui donne du sens. Je dirais qu’il peut y avoir des savoirs encombrants. Et, là aussi, il est question de résistances. Concevoir des évènements qui théâtralisent certaines problématiques, qui les mettent en scène, qui servent de référence, de repérage, c’est cette possibilité qui me paraît structurante dans ce quartier.

En amont des Fourmis, d’autres évènements ont été marquants

Citons celui-là comme exemple : En 1996, des nomades venaient s’installer quelques jours sur une place centrale du quartier. Face à des réactions classiques de rejets, beaucoup des actuels adhérents des fourmis, organisés à l’époque dans une autre association (elle s’appelait « Récits ». Encore et toujours la mise en histoires) organisaient un arbre à parole, arbre construit sur lequel étaient accrochés des papiers avec des écrits, libres, sur cet évènement...

Page 176: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 176

puis un débat avait eu lieu, sur l’endroit où ils étaient venus. Quelques jours plus tard, un autre débat eu lieu, toujours à l’initiative de ce noyau d’habitants sur le thème négociation, droit de propriété. Les deux débats firent l’objet d’écrits.

C’est le genre d’évènement franchement pas consensuel ! N’empêche que le fait de créer, de façon théâtralisée, un moment de parole, un espace d’échange permettait de briser un consensus violent autour de simples procédures de rejet. Et l’événement fut jugé très structurant car il avait créé un point de référence. On pouvait être contre, le juger blasphématoire (« à cause de vous, ils vont revenir »). Mais il avait eu lieu et on pouvait s’y référer. Le vide, l’indifférence sont, à ce niveau, des processus qui encouragent la violence. Ne pas prendre partie, c’est en fait prendre partie. Créer un événement sur une question aussi violemment rejetée, c’est en fait la ré/humaniser.

Résistance au sentiment de l’autre dangereux

Le chemin pour maitriser ces différents savoirs sont aussi des médiateurs, des thèmes rassembleurs, dans des espaces acceptés, qui nous permettent de nous parler, de nous connaître, parfois même de nous éviter. Nous éviter ou même éviter certains sujets, car les proximités de voisinage imposent aussi des limites particulières.

De multiples propositions de rencontres, ça amène à quoi sur le plan du « vivre ensemble » ? Apprendre à se parler, à se respecter, ça se cultive. C'est aussi apprendre à argumenter, à pouvoir prendre de la distance, à admettre que l'autre puisse avoir des avis différents. Nous pouvons devenir très rapidement des ennemis, sur des broutilles en plus. L'exemple des tentatives d'instaurer des débats dans le cadre de la copropriété est un excellent exemple. On peut « s'entredéchirer » pour des questions de couleur de maison ou pour cinq cm de clôture qui déborde. On peut maintenir une organisation sur un plan strictement défensif. On peut aussi envisager des formes d’organisation permettant de trouver des solutions sans éluder les problèmes techniques, qui, dans le cas de nos constructions, sont particulièrement ardus (mitoyennetés, radiers communs, etc.).

A l’origine, le quartier était structuré en environ sept copropriétés. Dernièrement le débat à repris, extrêmement virulent et a mis en évidence deux problématiques autour du sens de la propriété privée et de celui des formes d’organisation nécessaires des habitants. Certaines copropriétés vont subsister, d’autres sont en voie de dissolution. Mais, à chaque fois, le débat peut rebondir pour « s’entendre, se faire entendre, mettre en place des solutions plus adaptées ». D’où l’utilité de maintenir une mémoire dynamique. Non une mémoire encombrante mais, au contraire, à travers des évènements repères qui permettent à ceux qui les animent de baliser le présent, ou de proposer des chemins acceptables. Une façon d’animer la notion du débat « démocratique », de la participation « éclairée » du plus grand nombre.

Bernard Defrance (voir table-ronde N° 3) et Jacques Guyard (voir table-ronde n° 2) ont également participé à cet atelier.

Page 177: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 177

AAtteelliieerr BB 22.. 77 eett 1133 :: SSaavvooiirrss ttrraaddiittiioonnnneellss,, ccrrééaattiioonnss ccoolllleeccttiivveess eett aaccttiioonnss cciittooyyeennnneess

Equipe du réseau de Saint-Jean de la Ruelle : « création collective d’un calendrier perpétuel » Le réseau d’Echanges Réciproques de Savoirs de Saint Jean de la Ruelle a vu le jour à la maison de quartier des chaises, au nord de la commune, avec Françoise Reynaud, Nicole David, Moktaria, et d’autres encore, il y a plus de douze ans.

Thérèse Tessier

Au cours des années 1993-1995, j’ai participé à des ateliers d’écriture animés par Jean-Pierre Waguet et Françoise Reynaud à la maison de quartier Nord dans le cadre du réseau d’échanges réciproques de savoirs. J’en ai retiré tant de bonheur que j’ai eu envie de faire une bouture d’écriture au sud de la commune.

On ne s’improvise pas animateur d’atelier d’écriture. Je suis allée à Evry faire une formation animée par Claire Héber-Suffrin. En juin 1996 a eu lieu le 1er module de formation. En septembre de la même année, j’ai pu faire ma bouture parce que mes amies du Réseau Sud ont accepté de me servir de cobayes pour que je puisse m’exercer à animer. La bouture a pris ! D’autres personnes se sont formées. Régulièrement nous sommes trois à participer aux Inter-Réseaux nationaux d’animateurs d’ateliers d’écriture pour mutualiser nos expériences et enrichir nos pratiques.

Tout doucement, nous nous sommes retrouvés en 2005… Nous avons réalisé que cela faisait dix ans que les ateliers d’écriture existaient au sud de la commune ! Et nous organisions aussi des ateliers « jouons avec les mots » (de nombreux participants sont d’ailleurs là aujourd’hui). Il fallait fêter dignement cet anniversaire. Nous voulions exposer certains textes. Pour ce faire, tout au long de l’année, des échanges d’arts plastiques ont eu lieu. Certains jours, il y avait, dans notre local, à l’espace Qanat, nombre de « fourmis » qui s’activaient autour de papiers, peinture, cartons.

C’était en décembre 2005. Nous avons exposé plus de deux cents textes. Nous avons organisé un spectacle de lecture théâtralisée de textes que nous avions sélectionnés ; ce sont les membres du Réseau, sous la conduite de Christian Sterne, qui lisaient les textes. Des personnes, à l’issue de cette soirée, ont même souhaité acheter certaines réalisations qui étaient exposées : certains nous demandaient une brochure des textes qui avaient été mis en valeur. Nos textes n’étaient pas à vendre. Cette idée ne nous avait même pas effleurés.

Les semaines ont passé, les mois aussi. L’exposition dormait dans les greniers des uns et des autres. Dans les yeux des écrivants, des lecteurs, des acteurs, des lumières scintillaient quand nous nous rappelions tout le bonheur que nous avions reçu lors de cet anniversaire des ateliers d’écriture. Et nous rêvions…

Une idée un peu folle a germé… et si nous réalisions un calendrier perpétuel. Et voilà la machine qui, une nouvelle fois s’emballe !

Page 178: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 178

Marie-Thérèse Dugué

Un calendrier, oui, mais pour quoi, pour qui, qui va y travailler, quand, où, comment ? Il faut rattacher cette idée avec l’engouement que nous avions constaté en décembre 2005. Beaucoup de questions nous font réfléchir collectivement : n’est-ce pas une idée un peu trop loufoque ? Je me souviens d’un conseil d’administration où nous n’étions plus très sûrs de nous !

Et puis nous passons aux choses sérieuses. Une commission « finances » se met en place. Certains mettent en commun leurs compétences, prennent leur attaché-case, laissent de côté leur timidité. Nous essuyons quelques plâtres, et puis eurêka !, nous avons des contacts prometteurs. Maintenant nous ne pouvons plus reculer.

Raphaël vient au Réseau depuis quelques temps ; il est au chômage ; alors, en attendant des offres de travail, il met ses compétences au service de l’association. Il est demandeur de savoirs, mais aussi offreur sur le logiciel Photoshop. Il a vite compris les enjeux de l’association. Pourquoi ne pas l’embaucher en tant qu’infographiste pour nous aider à réaliser notre calendrier ? Il sait faire ! Et nous voilà à la recherche de renseignements sur les emplois aidés. Elodie nous aide à y voir clair. En juillet, l’affaire est conclue, Raphaël devient maître d’œuvre.

Nous mettons en place une commission maquette pour lui préparer le travail :

� Reprendre les photos de l’exposition ; � Recopier les textes ; � Raccourcir certains textes ; � Organiser d’autres ateliers d’écriture ; nous avions environ deux cents textes ; or dans

une année il y a trois cent soixante-cinq, et mêmes parfois trois cent soixante six jours, il faut donc trois cent soixante six jours textes !

� Il faut aussi mettre en valeur ces nouvelles pages ; � Nous rencontrons Christine, qui a un savoir professionnel en publicité ; elle nous fera

partager ses connaissances et sera une intermédiaire très efficace entre l’infographiste et l’imprimeur.

Je passe tous les derniers détails de ce dernier semestre à :

� Préparer l’invitation pour la présentation de cette œuvre collective ; � Les affiches ; � Essayer de n’oublier personne ; � Aller à l’imprimerie ; � Filmer chaque calendrier ; � Préparer la rencontre d’aujourd’hui.

Telles des abeilles, nous avions tous notre rôle. Au total, c’est plus de cent personnes qui ont participé à la réalisation de ce calendrier. Et voilà le résultat aujourd’hui ! Nous tenons particulièrement à féliciter Raphaël qui a fait un travail remarquable. Tout en restant « pro », il a dû s’adapter à nos tâtonnements, nos exigences parfois. Claire Héber-Suffrin a accepté d’écrire la préface de ce calendrier. Nous avons remis un calendrier aux personnes qui ont participé, ou à l’écriture ou à la décoration des textes (il était prévu un calendrier par famille).

Page 179: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 179

Réciprocités en chaîne

Quand nous regardons les échanges qui ont permis la réalisation de ce calendrier perpétuel à travers le filtre de la réciprocité, nous mettons en lumière non pas une réciprocité mais des réciprocités. On peut parler de réciprocités en chaîne.

Les échanges de savoirs que nous avons vécus s’apparentent à de la formation. En effet, quand on est demandeur, et aussi quand on est offreur, on apprend, on se forme. Nous avons mis en avant trois types de réciprocité (comme les trois pôles d’un triangle) :

� La réciprocité autoformative (autoformation : on se forme par soi-même) ; � La réciprocité altéroformative (altéroformation : on se forme au contact de l’autre) ; � La réciprocité écoformative (écoformation : on se forme dans l’environnement du

Réseau, en référence à la Charte, mais aussi on invente certaines méthodes, on apporte certaines stratégies dans l’environnement Réseau, donc on enrichit le Réseau).

La réciprocité autoformative

Les questions que nous nous posons concernant la réciprocité auto/formative : comment je me forme moi-même, avec mes limites, mes envies ? comment chacun se réapproprie son pouvoir de se former ? comment chacun se fait maître de sa formation ?

Nos réponses :

� La personne, qu’elle soit offreuse ou demandeuse, s’autoforme (se forme elle-même), en ce sens qu’elle prend conscience d’elle-même : elle se questionne, se découvre, découvre son histoire, ses méthodes d’apprentissage. Elle fait un travail sur elle-même ; et l’élément provocateur est l’autre.

� Dans l’expérience de la construction collective de notre calendrier perpétuel, nous avons recherché les indicateurs qui nous permettent de mettre en lumière les dimensions de réciprocité auto-formative. Ces indicateurs sont :

- Les émotions, et plus particulièrement le plaisir, la peur, la curiosité. o L’exposition des textes d’atelier d’écriture enrichis de créations plastiques que

certains d’entre nous ont découvert au RERS de Bar le Duc lors d’un Inter-Réseaux animation d’atelier d’écriture nous a interpellés : c’était beau, original.

o Nous avons éprouvé l’envie un peu folle de, nous aussi, comme au réseau de Bar le Duc, faire une exposition de nos dix ans d’atelier d’écriture.

o Page du calendrier du 30 novembre : « Dix ans d’atelier d’écriture. o La fierté d’avoir réussi cette expo à st Jean de la Ruelle à la Maison de la

Musique et de la danse, en novembre 2005, d’avoir appris avec un comédien à lire certains textes devant un public.

o La fierté d’avoir exposé nos textes, de les avoir lus devant un public ; nous nous sentons respectés par les habitants qui viennent nous voir, les institutionnels qui reconnaissent la qualité de l’expo.

o La tristesse que les textes dorment dans un grenier. o La peur de ne pas arriver au bout du calendrier… il faut 366 textes, on n’en a

que 200-on ne va jamais y arriver. o Et puis, à partir du moment où nous avons trouvé un financement, nous

embauchons Raphaël, l’infographiste : Nous ne pouvons plus reculer… il nous faudra rendre des comptes aux financeurs. Désir de faire quelque chose de beau,

Page 180: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 180

dont nous serons fiers. Pour que la fierté soit partagée, que ce soit une œuvre collective, il faut mobiliser les habitants Nous sommes bousculés par ce sujet : il nous permet d’aller plus loin ; nous ne pouvons plus baisser les bras. o Page du calendrier du 13 décembre : acrostiche « réciprocité »

- La prise de conscience de soi, de ses savoirs, de ses capacités, de ses manques, de ses acquisitions.

- La connaissance de soi, avec la découverte de son histoire, de ses modes d’apprentissage, la compréhension de soi, la découverte de son savoir, ce qu’on sait déjà, comment on le sait, ce qui manque.

o Le plaisir pour certains depuis dix ans, d’écrire en atelier d’écriture, le plaisir d’avoir progressé dans l’écriture.

o Cela faisait dix ans que l’atelier d’écriture existait au Réseau, il fallait bien fêter cela…

o Page du calendrier du 27 décembre : « le réseau comme un jardin » o On a réussi à faire une expo, et même à lire des textes devant un public.

Pourquoi pas un nouveau défi ? A plusieurs, c’est jouable ? Quand nous nous lançons dans l’aventure du calendrier, fin 2006, la désillusion, le doute : « L’informatique, ce n’est pas pour moi ».

o Lydia, Marie-Thé et Thérèse souhaitent apprendre Photoshop (échange avec Raphaël) au printemps 2007.

o L’envie de nous former aux techniques d’art plastique : nous mettons en place un échange Inter-Réseaux : Lydia, Marie-Thé et Marielle vont à Bar le Duc à l’été 2006 : puis nous invitons nos amis du Réseau de Bar le Duc en septembre 2006 (du coup nous leur offrons l’animation des échanges lecture). Puis nous organisons des échanges arts plastiques ; pour offrir une technique d’art plastique, on visite ce qu’on sait déjà de la technique, on va à la Médiathèque, on se documente sur Internet… pour répondre au mieux à ce que le demandeur voudra faire ; On fait des recherches personnelles, cela construit. Moments de doute : c’est difficile, nous n’arriverons pas à faire 366 pages sans l’aide d’un professionnel. A côté de cela l’envie de les écrire, ces textes qui manquent… une dynamique d’écriture se met en place, avec différents offreurs en animation d’atelier d’écriture.

o Page du calendrier du 21 novembre : « c’est une joie ».

L’offreur prend confiance en lui ; il comprend ses propres démarches d’apprentissage et d’enseignement. Il prend conscience de ses acquis qu’il croise avec ce que son interlocuteur lui apporte.

Le demandeur, s’il est déjà passé par la position d’offreur, est alors plus capable d’affiner sa demande, de décrire la pédagogie qui lui convient car il a compris son processus d’apprentissage. Il devient partenaire à part entière.

De plus, il a conscience qu’il permet à l’offreur de se questionner et par là de s’enrichir, car il est déjà lui-même passé par le stade d’enseignant.

Poème de M.T. Delv. On est sur une grande plage ! L’embarcation est là… A l’horizon

Page 181: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 181

L’appel du large. Alors, bousculons Nos tâtonnements, Nos hésitations… Embarquons, et bon vent !

La réciprocité altéroformative

« Altero » (mot latin) signifie « autre ». L’altéroformation est la formation faite par l’autre. L’offreur se forme au contact du demandeur et le demandeur se forme au contact de l’offreur. Nous parlons alors de « réciprocité altéroformative » dans la mesure où les deux actions se déroulent pendant les échanges de savoirs qui aboutiront à la réalisation du calendrier.

Les questions que nous nous posons :

Comment est-ce que je me forme en formant l’autre ? Comment l’autre me forme-t-il en se formant, du point de vue pédagogique et du point de vue relationnel ?

Nos réponses :

1. Volet pédagogique

Quand l’offre d’animation d’atelier d’écriture ou d’art plastique est « officialisée », qu’elle rencontre une demande, alors le futur enseignant cherche à acquérir un maximum d’informations pour répondre au mieux aux questions qui pourraient lui être posées. De même, par ses questions pendant l’échange, le demandeur permet à l’offreur de s’enrichir ; par des mouvements d’allers-retours permanents, chacun se forme ; on respecte certains temps d’ajustement, on admet le droit au tâtonnement, la dédramatisation, les effets boule de neige, c’est cette démarche pédagogique qui crée la dynamique de l’échange. Le demandeur s’approprie le savoir, avec un phénomène de construction, déconstruction, reconstruction du savoir.

Quand Lydia, Thérèse et Marie-thé sont en échange Photoshop avec Raphaël, celui-ci doit s’adapter à notre lenteur, mais aussi à nos logiciels Photoshop qui n’ont pas la même version que le sien. Il lui faut inventer des exercices et nous, nous savons que, nous, de notre côté, nous devons essayer de refaire. L’échange avec Marielle est plus rapide. Elle ne prend pas de note et comprend tout de suite, elle n’a pas peur de tâtonner. Sans cesse Raphaël doit s’adapter aux demandeurs.

Raphaël, en s’embarquant avec nous officiellement grâce au contrat qu’on signe avec lui, comprend qu’on lui fait confiance : il est redynamisé, lui qui était en chômage depuis plusieurs mois. Il apprend à être méthodique dans son travail, à respecter des consignes tout en mettant en œuvre sa créativité.

Et puis comme par magie, on voit un demandeur qui se prend à oser offrir : cela peut être le même savoir que celui qu’il a appris, ou alors ce peut être un autre savoir.

Exemple des ateliers d’écriture que nous co-animons : cela permet à une personne qui n’a jamais animé, de se lancer avec quelqu’un qui l’a déjà fait.

Lors de la réalisation du calendrier, on a apprécié la richesse du travail collectif, avec alternance de recherche personnelle, en petits groupes, en grand groupe.

o Page du calendrier du 19 septembre : « apprendre ».

Page 182: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 182

2. Volet relationnel Offreurs et demandeurs, quand ils se rencontrent, signifient, souvent de façon inconsciente, qu’ils attendent quelque chose l’un de l’autre :

- Au niveau du savoir proposé et recherché,

- Au niveau de la relation (enrichissement mutuel, bienveillance, recherche de la bonne distance).

o Exemple d’un dessin commencé par quelqu’un et terminé par un autre. o Exemple de textes qu’on raccourcit à plusieurs, pour respecter au maximum ce que

l’auteur a écrit.

- Tous les éléments qui relèvent de la relation, qui vont de l’écoute et l’attention réciproque, à la sollicitude pour autrui.

o Page du calendrier du 10 novembre « je me souviens ».

La réciprocité écoformative

Les questions que nous nous posons : qu’est ce que l’environnement RERS me permet d’exprimer ? Ai-je le désir ou non de changer de rôle ? Comment je construis, modifie l’environnement RERS ? Comment j’y apporte ma petite pierre ?

Nos réponses :

C’est le fait que le demandeur ait pris conscience que l’offreur apprend encore en enseignant, qui pourra lui donner l’envie de passer à son tour au rôle d’offreur.

C’est en se rendant compte que le demandeur sait déjà des choses que lui-même ne sait pas encore, que l’offreur souhaitera peut-être devenir à son tour demandeur.

o Page du calendrier du 11 septembre : « ce que j’aime ».

Ces prises de conscience sont permises par le système organisationnel mis en place par le RERS, par l’intermédiaire du médiateur et l’équipe d’animation (en référence à la charte du RERS, même si elle n’est pas constamment interrogée). Les conditions de réussite étaient réunies au Réseau : Chacun se sentait attendu pour lui-même

- la parité (offreur et demandeur sont au même niveau) ;

- la valeur humaine ;

- la convivialité ;

- la réciprocité ouverte ou système de mise au tas et prise au tas ;

- nous avions un objectif commun et une date butoir. Offreurs et demandeurs comprennent que chacun se voit et voit l’autre comme unique, indispensable, interdépendant.

o Page du calendrier du 25 août : « dans la ruche » ; o Exemple des coups de téléphone passés pour rappeler : on compte sur toi ! o En y étant acteur, offreur et demandeurs fabriquent, transforment le système RERS ; o Rapidement, nous avons mis en place un groupe de travail tous les vendredis matin

pour : - donner un cadre de travail à Raphaël - élaguer les textes qui étaient trop long - choisir les éléments de l’exposition qui étaient les plus pertinents à retenir pour

donner vie au texte

Page 183: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 183

Et comme tous les participants au groupe de travail ne pouvaient pas être là tout le temps, on s’engageait à faire des comptes-rendus pour que tout le monde soit au courant, en particulier Raphaël.

o En mettant en place des co-animations tournantes d’atelier d’écriture, nous avons transformé le système des offres et demandes de savoirs traditionnel. Maintenant c’est devenu courant de coanimer, cela permet de changer de rôle en douceur ; « jamais je n’aurais cru que j’animerais un jour, un atelier d’écriture »

Les effets de cette création collective pour les participants :

- des rencontres imprévues sont devenues des cadeaux les uns pour les autres

- une grande fierté collective o Page du calendrier du 27 septembre : « si j’étais un arbre »

La concordance des trois dimensions énoncées plus haut correspond à une réciprocité pleine qui est actrice, dynamique, créatrice.

Les ressorts pédagogiques sur lesquels s’est basée la réciprocité ont été les suivants :

� la co-construction du savoir ; � le travail en petits groupes, avec alternance de grand groupe et mise en commun ; � les moments d’ajustement ; � la liberté d’essayer quand on le souhaite ; � la possibilité de se donner du temps ; � la place laissée à l’audace ; � l’ambiance conviviale ; � la cohésion du groupe ; � l’exigence de l’Autre, qui correspond à l’exigence de Soi.

Ce sont tous ces facteurs qui ont permis de vivre une réciprocité pleine (en étant tour à tour offreur et demandeur), acteur (en recherche continuelle), dynamique (avec le souci que l’autre change de rôle), créatrice d’imagination d’espace de formation à l’animation des ateliers d’écriture, à l’animation des échanges d’art plastique…).

o Pages du calendrier du 18 septembre et 29 août : « pour faire le portrait du Réseau ».

Eugénie Thiery, Françoise Braquemart, Aline Souval : « L’aventure des Puces des couturières de Chelles ou comment redynamiser un réseau d’échanges de savoirs » Nous allons vous raconter la renaissance de notre réseau. Cela s’est passé à Chelles (Seine et Marne, en France).

Imaginons que vous vouliez goûter à la saveur d’un échange de savoirs dans un réseau ouvert, de préférence. Ou même lancer un réseau d’échanges de savoirs. Voici la recette. Retenez une date dans une salle municipale, faites passer une annonce dans tous les supports écrits de presse, sur les sites d’annonces du net, un samedi ou un dimanche d’octobre. Ensuite, faites bien savoir que cela sera un moment festif, que l’on pourra y manger une petite douceur et boire un thé. Expliquez bien le principe. Editez un règlement intérieur pour éviter les dérives. Cela ne sera pas de la marchandise neuve. Cela ne sera pas de la marchandise suivie.

Page 184: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 184

Chaque personne intéressée par la vente d’articles de mercerie, par la vente de coupons de tissu, de patrons, de magazines liés aux travaux tiendra un stand. Les personnes qui auront réalisé des ouvrages pourront les exposer et peut-être les vendre. Ce serait comme une sorte de « marché aux puces ».

Cette recette d’événement a été suivie. C’était à Chelles, à l’initiative de Françoise Braquemart qui a su convaincre de l’intérêt du principe. Au départ, il s’agissait de continuer à faire vivre le réseau qui était endormi du sommeil de la belle au bois dormant depuis quelques années. Claire Héber-Suffrin disait : « Il peut toujours se passer un événement… Ne fermez pas le château définitivement. »

Alors, en attendant le temps du renouveau, l’équipe d’animation avait accepté ce challenge. Jusqu’alors rien de bien spécial puisqu’il s’agit en fait d’une sorte de brocante spécialisée. Pas très fatiguant, cela se déroulerait sur une journée. Il y aurait de la mise en place des stands la veille. On y installerait des grilles pour exposer les réalisations des participants. Mais rien de transcendant car des brocantes, il en fleurit un peu partout. Quand une idée fonctionne quelque part, en général, elle se diffuse vite. Bien sûr, ici, c’était une brocante très spécialisée. Le principe est déjà plus rare.

Sauf, sauf, qu’il faut introduire une nouvelle donnée à cette première partie de la recette. A savoir la persuasion de l’animatrice permanente de ce réseau à inciter chaque personne qu’elle rencontre à exposer des savoirs et à en solliciter. Elle proposa cela comme conditions préalables. A chacun son commerce, le sien était de récolter des offres et des demandes de savoirs. Le sien était de permettre des échanges entre les « clients » et les « vendeurs ».

Cette idée se concrétisa par une affichette qui comportait une offre et une demande. Toutes les personnes présentes s’étaient pliées au jeu. Ainsi, on a pu lire : « je sais faire du crochet, j’ai envie d’apprendre la guitare ». Ou encore « Je sais faire de la broderie turque et je voudrais broder au ruban de soie ». Sur un autre stand : « je connais des techniques de travaux manuels et je cherche à approfondir les techniques d’encadrement ». Etc.

L’animatrice avait fait publier sur tous les documents : « Venez nous expliquer vos techniques, venez apprendre des techniques que vous ne connaissez pas ». Donc, l’affaire avait été mijotée par des entretiens téléphoniques, des petits courriers Internet, mais il y eut de l’imprévu. Par exemple, parmi les badauds, des enthousiasmes se sont levés. Cela a permis de diagnostiquer des attentes, des offres, des curiosités, des envies de démontrer, de faire admirer les réalisations restées dans les tiroirs à leur domicile.

Certaines personnes sont reparties chez elles et ont ramené l’objet et/ou les outils qui permettaient de le réaliser. C’est ainsi qu’au début de l’après-midi, un samedi pluvieux d’octobre, une dame de quatre-vingt ans a demandé de l’aide pour aller chercher sa machine à broder, a fait, deux heures durant, des démonstrations et a permis a d’autres de s’essayer. La petite équipe d’animation a du installer d’autres tables, sortir d’autres chaises ; refaire du thé. Toutes sortes de savoirs ont été abordés, effleurés, évoqués, tandis que d’autres ont vraiment été transmis.

Puis, au moment de se quitter, des rendez-vous ont été pris pour voir comment les personnes qui le souhaitaient allaient continuer leurs explications ; certaines offres et certaines demandes étaient restées sans réponse. Voilà bien de quoi motiver des recherches autour de soi. Certaines personnes ont donné des espérances car elles connaissaient quelqu’un qui,

Page 185: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 185

peut-être, accepteraient de montrer, d’enseigner. Ou encore connaissaient des amies que cela intéresseraient.

A la fin de la séance de vente, après le rangement de leurs marchandises, dans les voitures, les exposantes ont pris le dernier verre de l’amitié en ayant la conviction qu’elles avaient donné envie de créer, de coudre. Pour un certain nombre de ces personnes, l’émulation de faire autre chose, autrement, d’apprendre avec d’autres, fût ravivée.

Devant cette envie de se revoir, il a fallu retrouver un lieu de rassemblement. L’espace Social Jean Moulin a bien voulu accueillir cette nouvelle forme d’apprentissage. C’est ainsi que la vie est revenue dans le réseau endormi. Depuis, les échanges se sont multipliés et les thèmes des activités se sont diversifiés très largement. Dans le fichier du réseau, quatre-vingt personnes se sont inscrites. Dans cette nouvelle dynamique, on peut espérer apprendre ou transmettre des savoirs comme le langage informatique LINUX, les macarons « spécial foie gras », la connaissance de Madagascar, les subtilités de l’aquarelle, le principe d’électronique comme les techniques de remises en forme, etc.

Quelques collectifs se sont installés autour du bricolage de maison, la réflexion autour de la santé, ainsi qu’un groupe de travail autour de la philosophie, de l’écriture poétique. On a récemment coupé une belle veste en laine bouillie pendant que d’autres apprenaient à faire un tableau sur EXCEL.

Au fait, on aurait pu aussi appeler cela « L’histoire d’une pelote de laine », car le premier échange fût la réalisation d’une écharpe tricotée avec un joli fil de mohair rose.

N.B. On peut trouver toutes sortes d’informations complémentaires sur cette manifestation, ses obligations administratives, etc. en nous écrivant sur « [email protected] ».

Joséphine Ouedraogo95

: « Echanges réciproques de savoirs au Burkina Faso » Travaillant à la mairie de l’arrondissement de Nongremassom, j’ai surtout animé des activités de groupes auprès de femmes et ce que je faisais avait une finalité sociale.

Dans ces groupes, mes objectifs ont toujours été les suivants : - Créer une ambiance sympathique, de confiance réciproque et de convivialité, de

solidarité dans le groupe ; - Valoriser les richesses ethniques en éveillant les curiosités pour s’écouter

mutuellement, mieux se comprendre ; - Amener les femmes à l’autonomie dans les domaines de la vie quotidienne ; les

matières telles que budget, éducation des enfants, production de beurre de karité, production de savons et ses produits dérivés, teinture.

Par rapport au volet santé : des séances d’animation de sensibilisation sur plusieurs domaines : hygiène, amélioration de l’habitat… Etaient abordées des techniques très demandées comme la production de beurre de karité, de savons, de teinture, la couture, le tricot, la cuisine, l’alphabétisation en langues nationales. Les personnes qui venaient aux activités de Lagme Yensgo venaient acquérir un savoir pour elles-mêmes et leur famille. La fonction de Conseillère municipale a constamment évolué en faveur du caractère social, à savoir que maintenant un/une conseiller(ère) municipal(e) est avant tout un travailleur social 95 Conseillère municipale à la mairie de Nongremassom (Burkina Faso) et présidente de l’association Lagme Yensgo.

Page 186: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 186

qui répond aux objectifs prioritaires de l’action sociale des OSC. Il ou elle intervient dans les domaines de la vie quotidienne cités précédemment (santé, budget, habitat, vie sociale) pour une finalité identique : l’autonomie des personnes mais avec des méthodes différentes et qui évoluent ou sont recherchées constamment selon le type d’actions :

- Directement auprès des familles… actions individuelles ; - Par groupes d’intérêt des personnes… actions collectives.

Je suis moi-même en recherche pour me resituer dans la fonction de conseillère, tout en poursuivant cette volonté de faire acquérir une véritable autonomie, pas seulement au niveau des savoirs, mais dans la vie sociale, des femmes rencontrées (rompre avec cette dépendance que crée le rôle de la conseillère Mme « qui sait tout »). L’idée de réseau de formation réciproque m’a séduite d’emblée ; pour une action de service au bureau de l’Agence de l’information au Burkina où j’ai travaillé pendant 35 ans ; aujourd’hui, je suis admise à la retraite.

Partant d’une volonté commune de l’Agence et d’une équipe de bénévoles, ce principe tout simple d’échanges réciproques de savoirs nous a semblé « l’aventure » à tenter pour recréer un tissu de solidarité dans le service et le quartier.

En 2001, il n’y avait pas tellement d’autres réseaux référents que celui de Bobo Dioulasso et nous nous sommes lancés dans l’action sans vraiment élaborer de projet social. C’est donc pas à pas, à partir de difficultés, d’imprévus et de mises au point que nous avons progressé. Grâce aussi à la confrontation et au partage d’expérience avec les réseaux qui démarraient en même temps que nous. C’est à partir du vécu de nos propres tâtonnements que nous avons découvert les richesses de cette méthode.

- Appréhender les personnes par leurs savoirs, leurs richesses culturelles et non plus par leurs manques, leurs difficultés ou leurs besoins.

- Partir de l’aspect positif, motivant, qui personnalise quelqu’un et le met « debout », « en marche » et qui le rend autonome et libre de refuser tout assistanat.

Les réseaux de formation réciproque rentrent dans le champ d’intervention de l’insertion sociale, mais aussi (et nous l’avons découvert en 2008 avec Alain Ouedraogo) de l’insertion professionnelle. Quand une dizaine de personnes qui avaient pris des responsabilités dans le réseau se sont engagées dans une démarche de recherche d’emploi (dont trois membres de l’équipe d’animation).

Pratiquement, voilà ce que je fais : Au lieu de répondre directement aux demandes des personnes, soit individuellement soit collectivement, je suscite des échanges soit à deux, soit en groupe dès qu’il y a des personnes compétentes pour le faire. Ce fut le cas le samedi 25 octobre 2008, quand j’ai invité notre coordinateur du mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs du Burkina, Alain Ouedraogo.

Eventuellement, j’anime un groupe qui pourra retransmettre ensuite.

Mon rôle : mettre en route des personnes qui deviennent acteurs. 1) Faire découvrir à chacun ses savoirs : accueil ; 2) Réfléchir sur les expériences partagées, la pédagogie et les méthodes de formation

réciproque ; 3) Démarrer et accompagner les groupes d’échanges, suivre leur évolution ;

Page 187: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 187

4) Partir d’une idée nouvelle pour susciter un autre groupe (exemple, en santé : sensibilisation sur le VIH au profit de la population de Nongremassom, le planning familial, la tuberculose, le paludisme, l’hygiène, l’assainissement…) qui pourra amener un projet en création collective. Par exemple, une exposition des informations nécessaires, avec intervenants… Il s’agit en fait d’un changement de méthode qui correspond aussi à un changement de mentalité : suppression de hiérarchie dans les savoirs et acceptation de l’autre comme partenaire à part entière.

Conséquences de cette méthode :

- Action démultipliée. Par exemple, si j’apprends à quelqu’un à fabriquer du savon ou à utiliser une machine à tricoter, elle ne gardera pas ce savoir pour elle-même, mais elle le transmettra à d’autres et ainsi de suite.

- Dans les domaines plus variés : quelqu’un qui veut apprendre la production de beurre de karité, le maquillage, le Dioula, la relaxation ou comment couper les cheveux de ses enfants… autant de savoirs que d’autres possèdent mieux que moi.

- Auprès d’un public plus varié : plus seulement les mères de famille, mais aussi les femmes célibataires, des hommes, des enfants, des personnes âgées. Plus il y a de différences et plus les échanges sont riches.

Conclusion

Si le principe des réseaux est simple, mon action en tant que conseillère municipale et présidente de l’association Lagme Yensgo n’est pas pour autant facile. C’est grâce à ‘équipe d’animation que les responsabilités peuvent être partagées, ainsi que nos expériences et nos amitiés. Les résultats ne passent pas par les chiffres mais le témoignage de tous ceux qui sont là aujourd’hui dans les ateliers, Clarisse, Honorine, Alain et Georges.

Hélène Jospé96

: « Comment s’appuyer sur des savoirs traditionnels et des créations collectives et citoyennes. L’expérience à Temacine en Algérie » Une exposition : les manteaux présentés sont un échange de savoir-faire entre le Lycée Adrien Testud où Hélène Jospé est professeur d'art appliqué et les femmes de Témacine, petit village situé dans le nord/est du Sahara algérien. L'association SCHAMS créée par l'artiste algérien Rachid Koraïchi est à l'origine de ce projet. Cette association a pour but de revaloriser le patrimoine matériel et immatériel de la région de Ouargla. Ce projet conduit avec vingt et une femmes de Témacine a débuté avec la réalisation de poupées de soixante-dix cm de haut. Ces dernières ont été vêtues de manteaux crées par les élèves puis réalisés par les femmes de Temacine. Le tissu de laine utilisé pour confectionner les manteaux a été tissé dans le désert et teint avec des teintures végétales. Les manteaux ont ensuite été brodés de signes et de symboles Algériens. En 2008, les élèves ont réalisé les patrons de ces manteaux en taille adulte puis les ont coupés dans des tissus de laine apportés d'Algérie. De retour à Témacine les manteaux ont été brodés par les femmes puis doublés de satin par les élèves. Les robes qui les accompagnent ont été coupées au Chambon-Feugerolles, brodées à Témacine avec un texte de Rûmi, puis terminées par les élèves.

96 artiste textile et formatrice.

Page 188: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 188

Marie-Odile Dias, Esther Cermek, Marie-Lou Dicks, Gisèle Brun et

Maryannick Terrier97

: « Agir ensemble pour mieux vivre sa ville en construisant un projet »

1. Présentation de la démarche d’élaboration du Contrat de Projet

a) La formation

La démarche a commencé en 2007 avec la formation-action organisée par la FACS : « Elaborer et évaluer un projet de développement social ». Les deux idées force étant :

- De mobiliser l'ensemble des acteurs professionnels et bénévoles des Centres Sociaux autour de la démarche de renouvellement de contrat de projet.

- D'œuvrer pour une plus forte présence des habitants dans l'élaboration d'un projet de Développement Social Local porté par le Centre Social.

L'un des temps fort de cette démarche a été la réalisation d'une enquête qui a permis d'aller au devant des habitants, de récolter leur parole et d'identifier les problématiques sociales (points forts, points faibles, atouts, manques, propositions). Les données récoltées nous ont permis d'améliorer ainsi l'efficacité du projet social. Cette enquête a mobilisé plusieurs acteurs socio-éducatifs du territoire même ceux qui n'avaient pas de projet à renouveler. Elle a procédé d'une volonté globale de mixer les groupes et de croiser les regards des différentes structures.

b) Le contexte local Les acteurs sont nombreux sur le territoire d'Aubenas :

- Deux Centres Sociaux (1 centre social associatif ASA en plus de la gestion directe) en renouvellement de projet,

- La ville d'Aubenas avec trois Maisons de Quartier (un sur le quartier de Pont d'Aubenas, un aux Oliviers, un sur St Pierre), un Service Jeunesse,

- Un Centre de loisirs ACALJ, - Sans parler du nombre impressionnant d'associations.

c) Les étapes de la démarche

• La mobilisation - Mise en mouvement de tous les acteurs (professionnels, bénévoles, habitants),

information des C. A. ASA et ACALJ, de la CAF et de la Mairie ; deux réunions. - Création de trois groupes moteur (un sur chacun des trois quartiers retenus : Centre

ville, Les Oliviers, Pont d'Aubenas). Deux professionnels de Seibel ont rejoint le groupe moteur de Pont d'Aubenas : deux réunions.

- Choix de l'intérêt collectif à agir (ensemble d'intérêts individuels concentrés sur la résolution d'une problématique reconnue par tous) commun aux trois groupes moteur : « Agir ensemble pour mieux vivre sa ville ». Cette formulation a recueilli la majorité des voix, elle sous-entend l'idée de transformation (agir) collective (ensemble) avec un état d'esprit favorable (mieux vivre) : une réunion.

97

RERS d’Aubenas.

Page 189: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 189

- Identification des thèmes générateurs (thèmes sur lesquels on va se mobiliser) avec la méthode du collier. Sur la table sont dispersés trente pictogrammes représentant trente thèmes générateurs ; les membres du groupe moteur disposent de huit figurines qu'ils doivent poser sur les thèmes de leur choix. Les débats ont permis de faire des regroupements et de passer de huit thèmes générateurs à quatre :

- l'accès aux services de proximité, - les espaces verts, deux réunions - le logement, - la communication et les relations humaines.

• Le travail d'enquête - Choix de l'échantillonnage (parité hommes/femmes, âges, situations familiales…). - Elaboration d'un kit d'entretien, qui comprend :

� un guide d'entretien, facilitateur du travail de présentation des binômes d'enquête,

� une fiche d'identité de la personne rencontrée (si elle est accepte de laisser ses coordonnées), quatre réunions

� une fiche d'échantillonnage, � le questionnaire (alternance de questions ouvertes et fermées qui

favorisent le dialogue). Après prises de rendez-vous, des binômes ont procédé à des entretiens d’enquête au domicile des personnes ou dans un lieu neutre (cafés, Centre Social, etc.) au mois de mai. - Phase de codage (transcription des données, classement, repérage des idées/force), phase

de décodage (analyse des données), travail sur les orientations et la pesée des priorités au mois de juin, suivi de la phase de recodage :

- restitution aux habitants et présentation des orientations le 1er juillet 2008, - restitution aux partenaires le 24 novembre 2008.

- Présentation le 17 novembre du nouveau contrat aux partenaires.

Cette démarche nous a permis de passer de l'élaboration d'un projet d'équipement (multi-activités) à un projet de territoire coproduit avec ses habitants.

2. Evaluation de la démarche d’élaboration du projet

Nous étions sept salariés d'Aubenas (quatre de Seibel et trois de l'ASA) et une bénévole à participer à la formation « élaborer et évaluer un projet » ; dés le premier module, nous avons choisi de travailler ensemble et de constituer trois groupes moteurs, ce qui n'empêchait pas que chacun, par la suite, construise son propre projet. Cette organisation a nécessité plusieurs séances de travail communes, tout au long de l'année, nous permettant d’être informés des avancées de chacun.

a) Le projet social a été travaillé par une large mobilisation de la population. Nous nous sommes orientées vers une enquête qui implique la population dans le diagnostic social.

b) Les habitants ont été partie prenante de la mise en œuvre du diagnostic. Nous avons fait le choix de constituer notre groupe moteur à partir de personnes ressources qui s'impliquaient déjà dans le Centre Social (dans les actions et les instances) et qui, par leur énergie communicative, arriveraient à mobiliser d'autres personnes. L'objectif de départ vu en formation était de réunir de huit à quinze personnes, avec une répartition équilibrée : Hommes/Femmes, jeunes/adultes/anciens, habitants/salariés. Nous avons rencontré des

Page 190: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 190

difficultés pour suivre ces consignes ; nous avons pu mobiliser uniquement des femmes habitant à Aubenas pour une grande majorité, avec une moyenne d'âge de cinquante et un ans. A mi-parcours, des conflits ont éclaté et certaines personnes du groupe, déjà très investies dans l'équipe d'animation du RESEAU, n'ont pas continué. Par contre, celles qui sont restées se sont investies très régulièrement et plus sereinement dans la suite de la démarche.

Il faut ajouter que le nombre de rencontres a été important : trente réunions de 2 h, de 17 h à 19 h en général, du 18 décembre 2007 (constitution du groupe moteur) jusqu'au 17 novembre 2008 (présentation du projet).

Groupe moteur Au départ de la démarche

A mi-parcours A la fin de la démarche

Nbre bénévoles et habitants

Nbre salariés

11

3

9

4

6

4

TOTAUX 14 13 10

c) L'échantillonnage des personnes rencontrées devait être représentatif de la population. Nous avions ciblé notre échantillonnage par une approche individuelle en fonction des critères suivants :

- sexe (H, F), - âge (-20 ans, 20-40 ans, 40-60 ans, + 60 ans), - situation de famille (seule sans enfant, couple sans enfant, seule avec enfants, couple

avec enfants). Or nous avons constaté quelques écarts entre nos prévisions et la réalité :

- plus de femmes (62 %) que d'hommes (38 %), - une majorité de personnes seules sans enfant.

Par contre, une répartition par âge conforme au projet. Sur le territoire d'Aubenas, les groupes moteur ont rencontré deux cent onze habitants (Seibel : 92, l'ASA : 77, Pont d'Aubenas : 42), ce qui fait 1.6 % de la population (13 000 habitants environ). Le 1er juillet 2008, vingt-cinq personnes ont assisté à la restitution des résultats de l'enquête, et huit habitants se sont portés volontaires pour continuer à progresser avec nous dans le projet.

d) Les acteurs du projet ont participé à la démarche Sur les dix membres de l'équipe :

- Quatre salariés ont participé à la formation, - Quatre salariés (une animatrice du réseau, la secrétaire-accueil, un Travailleur Social

et la directrice) se sont mobilisés sur le groupe moteur centre ville, - Deux salariés de Seibel (la deuxième animatrice du réseau et un Travailleur Social) sur

le groupe moteur de Pont d'Aubenas, quartier sur lequel nous menons des actions.

Page 191: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 191

Nous avons été très vigilants à ce que les autres membres de l'équipe (ne participant pas à la formation et au groupe moteur) ne se sentent pas exclus. Nous les avons associés dès le départ :

- en les informant, à chaque réunion d'équipe mensuelle, sur les différentes étapes de la démarche,

- en les associant aux réunions thématiques et notamment celles concernant les orientations.

Christiane Coulon : « Etapes et questionnement éventuels pour des créations collectives »

En premier lieu

- Créer l’envie, - Répondre à un besoin, une attente, - Profiter d’une opportunité ;

Puis se réunir pour étudier ensemble ce que l’on a envie de faire et réaliser avec nos possibles.

Comment créer l’envie :

- C’est être conscient des personnes ressources. - Mais aussi d’informer tout un chacun. - Et voir avec chacun comment il peut être présent dans cette rencontre :

J’ai souvent été surprise de tout ce que l’on peut trouver dans les non-dits des personnes, souvent elles ne soupçonnent pas la valeur de leurs atouts : quand cela paraît normal, habituel, les personnes ont souvent tendance à omettre, à négliger, bref à ne pas prendre en considération leurs connaissances. Je suis convaincue qu’une invitation est toujours source d’intérêts réciproques. C’est aussi donner une occasion de… et d’expliquer qu’il y a des personnes qui ne savent pas ou hésitent à faire seule, ne prennent pas le temps de… et que leur offrir l’opportunité est déjà énorme.

Deuxième étape : Se réunir pour définir ce que l’on veut faire et pourquoi ?

- Que savons-nous sur ces savoirs, ces expériences, récits d’expérience, de ce que l’on connaît de semblable ?

- Comment réagissons-nous devant ces expériences ? - Formulation de ce que l’on voudrait faire. - Quels intérêts pour nous, pour d’autres, Quelles questions se posent à nous ? ici et

maintenant ? Quels sont nos atouts ? Quelles sont nos difficultés ? Quels sont les éléments incontournables ?

- Quelles questions se poseraient un réseau d’ailleurs intéressé par une de nos expériences.

- Etude préalable de ce que pouvons-nous faire : avec quels moyens (personnes, finances (comment rechercher des aides éventuelles, partage de frais, etc.), matériels.

- Et surtout ne pas s’arrêter sur les difficultés. Au contraire les minimiser en cherchant des parades, des « faire autrement » en fonction de nos propres ressources.

Ne pas hésiter à tout dire, du concret au farfelu et mixer, combiner (sans préjugés) les éléments que vous gardez !

Page 192: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 192

Troisième étape

Que sommes-nous prêts à faire ? Que ? Quoi ? Pourquoi ? Comment ? Où ? Avec qui ? Pour qui ? Quand ?

- Regrouper les documents des deux premières étapes. - Les reprendre, ajouter, éliminer. - constituer les dossiers : finances, comptes-rendus, suivis. - les listes des personnes ressources, les listes des responsables et équipe par domaine

et les remettre à chaque groupe : il est souvent utile d’avoir tous les numéros de téléphone durant l’opération, ne serait-ce que pour informer et pallier aux dernières minutes : modifications, changement de personnes, réapprovisionnement, par exemple.

- Préparer le matériel, expérimentez-le avant le jour J. - Etre sur place la veille pour contrôler les installations électriques, le lieu de dépose des

matériels et vérifier les prises et longueur de fils, les accrochages ou autres expositions, costumer le lieu en le personnalisant avec des éléments de vôtre ou vos associations.

- Préparer les documents à distribuer et tout ce qui ira sur les stands ; si voiture à l’abri, n’hésitez pas à charger la veille. Prévoir de grands sacs plastiques pour poubelles (si autre rangements mettre une étiquette en évidence et mettre ledit sac ailleurs que près de la poubelle !)

- Prévoir une caisse de secours divers : papiers, crayons, stylos, ciseaux, ficelles, attaches diverses, scotch, agrafes et agrafeuses, torchons, chiffons, épingles, élastiques, etc.

- Avoir une trousse de secours pour pallier aux petits accidents et les numéros indispensables en cas d’accident plus graves.

- Le jour J, ne pas dramatiser les manques, mettre en valeur les plus, garder sa bonne humeur et un bon accueil (lieu, tables, chaises, coin convivial et boissons diverses. Un cahier pour tout noter, des documents à remettre après les avoir expliqués.

- Et veiller à ce que tout se passe bien ! - Ne pas omettre la phase rangement : prendre le temps de bien ranger et de rapatrier

tous les éléments des stands, démonstrations, expositions, cahier des notes prises et documents restants. Si alimentation répartir ou emporter ce qui se gardera seulement et distribuer le reste.

- Partir en laissant le lieu aussi propre qu’à l’arrivée. - En cas d’emprunts, remettre propres les éléments et remercier dès que possible.

Christiane Coulon : « Créer collectivement un objet d’art qui ait du sens pour le collectif : exemple, la création d’une Cape de conteuse »

La naissance de l’idée

Au Réseau d’échanges réciproques de savoirs de Montfermeil (région parisienne), lors d’une formation autour des contes, la conteuse J. avait un châle qui, nous disait-elle, lui permettait de faire la transition entre la personne et la conteuse.

Un jour, l’idée d’une cape de conteuse est venue et J. nous a offert un joli tissu velouté noir.

C’était le temps où Tiya et Hakima étaient offreuses en couture et je les accompagnais (sur leurs demandes), en tant que coordinatrice, tout en offrant moi-même la familiarisation du

Page 193: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 193

« vocabulaire français » pendant ces échanges : appeler chaque chose par son nom, faire de petites phrases et les répéter avec le moins d’accent possible…

Tiya et moi avons retenu l’idée et, avec Hakima, l’avons proposé aux personnes de l’échange « couture », pour la plupart des femmes de toutes origines et quelques enfants, filles et garçons.

Plusieurs d’entre elles ont été d’accord, d’autres préféraient apprendre à faire des vêtements.

Les idées fusèrent, je les notais toutes au fur et à mesure ainsi que les prénoms des intéressés(es). Finalement, ce furent les broderies qui l’emportèrent mais un frein se révéla : « nous ne savons pas dessiner, il nous faut des modèles ».

J’insistai pour que chacune fasse appel à sa créativité : pourquoi prendre un modèle précis, nous pouvons justement le créer avec nos souvenirs ou, mieux, avec nos envies ; c’est le moment d’innover : parlez et nous créerons au fur et à mesure votre propre modèle.

Premier essai

La question de la découpe et de l’aspect de cette cape restaient vague. Quelques dessins virent le jour et firent la joie des enfants qui les colorièrent selon leurs goûts et fantaisies. Tiya et Hakima prélevèrent un échantillon de la cape et se lancèrent dans des broderies : heureuse initiative qui leur permit de réaliser que ce beau tissu ne nous permettait pas de faire des broderies, son élasticité étant alors un inconvénient.

Réalisation collective

Vint l’étape de financement : ce n’est que par petites sommes que nous pourrions procéder, achetant au fur et à mesure des besoins. Nous nous sommes mis en lien avec les personnes qui s’occupent des dossiers de financement et de la comptabilité. Notre ancienne présidente, Maryse U, mit à contribution une personne de l’atelier couture du « Sons et Lumières » de Montfermeil.

Notre cape fut découpée dans un beau drap de tissu noir.

Au début, chacune choisit sa place et il avait été demandé de dessiner en fonction des contes travaillés ou entendus par le groupe « contes ». Celui-ci avait aussi fait participer des personnes venues d’ailleurs afin de nous initier aux contes de leurs pays, en utilisant leurs langues, leurs gestuels pour garder l’authenticité de leur art, mais aussi en demandant quelques traductions ! Il y avait là une véritable réciprocité interculturelle : éveil aux sons et aux gestes, aux expressions et rythmes de récits (plus ou moins longs !) d’autres cultures.

Je rassure tout le monde en étant présente lors du dessin de chaque personnage : dessin à la craie d’abord, mais vite effacé. La craie a permis de vaincre les timidités et les peurs d’échouer, mais aussi de corriger certaines proportions ou déplacements en fonction de l’ensemble de ce qui était fait. Par la suite, je les reprendrai à la peinture (peinture sur tissu).

Nous étions dans l’élaboration collective et l’appui sur les compétences de chacun reconnues :

Certaines préféraient

- broder avec de beaux fils de couleurs, - les fils or, argentés, cuivrés étaient prisés par quelques unes, - d’autres ne voyaient que par les perles de tailles et de formes diverses, - quelques-unes choisirent la peinture sur tissu pour les grandes masses.

Page 194: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 194

Nous laissions chacun, parents et enfants, faire à sa façon et selon ses choix. Mais en attirant l’attention sur l’importance de changements de couleurs et du respect de l’harmonie.

La cape étant assez large, plusieurs pouvaient opérer en même temps et s’approprier éventuellement le vocabulaire français des matériaux et des gestes qu’ils faisaient : cela donnait une belle ambiance, parfois cacophonique mais toujours les sourires des yeux donnaient vie à nos échanges.

Ces échanges étaient réguliers bien que, en terme de présence, les personnes changeaient : celles qui avaient fini pouvaient en aider d’autres mais il avait été convenu que plus on serait représenté sur ce travail collectif mieux cela serait. Souvent, elles rejoignaient le deuxième groupe qui partageaient les mêmes locaux, et toutes se sont toujours intéressées à l’évolution de la cape, donnant aussi leurs avis (les appréciations et les critiques étaient autorisées à condition que cela soit dit gentiment ; sachant que donner son avis n’impose pas à celui qui le reçoit de modifier son œuvre s’il n’en éprouve pas le besoin).

Cela a duré plus d’un an et quand la Chef de projet de la Ville de Montfermeil nous a demandé de participer au Défilé des cultures (déjà évoqué dans notre réseau à plus petite échelle, mais jamais retenu pour une réalisation effective), tout le monde a pensé à la cape de conteuse pour la deuxième partie du défilé intitulée : Création de modèle autour des cultures du monde.

Ici, il est à noter que, plus la cape avançait, plus le groupe couture devenait propriétaire de l’œuvre et estimait qu’il devait y avoir discrétion surtout lorsqu’il y a eu inscription au défilé des cultures. A la notion de discrétion, s’est ajouté le désir de faire « la surprise » Il était drôle de voir le groupe se pencher sur son œuvre lorsque des personnes « hors groupe couture » apparaissaient ; je retrouvais là un mouvement observé dans la forêt de Bondy alors que je m’approchais de groupes d’origine asiatique pour voir à quoi il jouait : systématiquement, ils prenaient la position de tortue (c’est comme cela que je l’ai baptisée) et leurs dos formaient une carapace masquant le tapis de jeu. Là, j’ai revécu le même phénomène et j’ai ressenti à quel point la cape était devenue un enjeu.

Une date butoir : le défilé des cultures, nous obligea à accélérer. Certaines mamans ne pouvant se déplacer proposèrent d’emporter la cape chez elles pour faire tranquillement, pendant leurs temps libre, les motifs de leur choix. Le suivi ne fut guère facile car elles se l’échangèrent entre elles, oubliant d’informer la coordinatrice et oubliant qu’il y avait des échanges couture qui l’attendaient !

Notre frein a été celui de devoir aller à multiples reprises chercher ce qui manquait… Il est sûrement préférable d’avoir un budget assez conséquent dès le début pour jouir d’un grand choix mais il n’est pas du tout évident de savoir calculer le montant réel de la réalisation avant sa fin !

Et, bien sûr, chacune a fouillé dans ses propres réserves, rassemblant des fonds de tiroirs (souvent cela permet aussi des réalisations inattendues), d’autres voulaient tels éléments et les ont achetés parce que c’était cela ou rien, le tout était de remettre le ticket pour le remboursement éventuel : ce qui n’est pas aisé quand on fait les achats au marché des Bosquets.

C’est ainsi que fut créée et réalisée notre cape de conteuse que le Réseau d’échanges de savoirs de Clichy-sous-Bois / Montfermeil est fier de vous présenter.

Page 195: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 195

Analyse du processus

La phase de participation au défilé de Montfermeil a fait l’objet

- de diverses présences aux réunions de la Ville de Montfermeil, - d’autres actions comme le choix des costumes traditionnels, leur repassage, la

recherche des compléments bijoux, maquillage, coiffure. - D’essais sur les personnes qui acceptaient de défiler : beaucoup le désiraient

mais, au dernier moment, ce sont d’autres qui sont venues et Tiya, Christiane, Hakima et Alexandra ont dû défiler aussi !

- De la recherche de jeunes mannequins et, pour certaines ; il nous a fallu l’autorisation des parents pour permettre à leurs filles de monter sur l’estrade et d’être photographiées. La première fois, personne ne savait comment cela allait se dérouler très exactement !

- de répétitions, de phases d’audace et de peurs de dernière minute ! - d’essais de maquillages et coiffure, - de la nécessité de garder son optimisme, de ne pas dramatiser les derniers

changements, de persuader que ceux-ci ont lieu pour permettre une meilleure participation : et de s’excuser des modifications auprès des organisateurs.

Je crois qu’il me faut préciser que cette réussite nous la devons :

- à une souplesse d’organisation : chacun venait quand il en avait envie, nous gardions la place d’une personne qui avait commencé et nous la réinvitions à terminer ou bien à déléguer à quelqu’un de son choix. Certes, cela prend du temps mais recontacter et signifier à la personne qu’elle est un maillon important permet parfois de lui permettre d’autres approches, voire de passer de demandeuse à offreuse quand elle voit qu’elle sera accompagnée si elle le désire.

- nous privilégions les choix de chacun, si cela s’avérait nécessaire, nous attendions son autorisation pour effacer, corriger ou compléter, refaire au besoin, mais toujours nous demandions à l’auteur initial d’être présent lors des modifications pour les lui expliquer. Ce n’est pas toujours facile mais, quand cela s’impose, il est nécessaire de faire réaliser la valeur de la création collective et de faire prendre conscience que chaque « Je » dépend d’un ensemble.

- Je résumerai ainsi : la disponibilité des offreurs, le respect du rythme des demandeurs, la nécessité des rappels téléphoniques qui évitent oublis et délaissement qui donnent de l’importance à l’absent(e), accentuent l’intérêt collectif et rallient des personnes par d’heureux souvenirs. La réciprocité ne nous était pas évidente à ces moments-là et nous l’avons plus vécue que pointée du doigt !

- La motivation a été encore plus évidente lorsqu’il y a eu l’enjeu du défilé des cultures de Montfermeil. Nous y avons présenté la cape conteuse pas encore achevée en couture mais toute dessinée par Christiane pour pouvoir la présenter au premier défilé.

� Les broderies continuent encore aujourd’hui au fil des envies des personnes, mais il manque l’attrait d’une date butoir !

- La première grande satisfaction collective pour les participants des échanges couture a été de voir Tiya défiler somptueusement avec cette cape et être primée au premier défilé des cultures et créations de Montfermeil !

Page 196: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 196

- C’est avec grand plaisir que nous avons répondu à l’invitation du Réseau de Meaux qui fêtait son anniversaire et que nous avons fait défiler les costumes que nous avions présentés au défilé des cultures avec de nouveaux mannequins et le groupe de danses turques de Neziha T. Réciprocité en Inter-Réseaux ; Heureux moments !

- Je précise que ce prix ne fut pas le dernier car, lors du 2ème défilé, la mobilisation et la créativité de ce groupe ont, de nouveau, été primées pour la réalisation de créations pour enfants. Mais surtout, nous avons pu constater une émulsion immédiate, des projets mieux arrêtés, des financements plus faciles et des participations sans rappels : nos petits et jeunes mannequins ont participé avec bonheur.

- Le groupe couture du RESCM a encore participé avec Tiya et Hakima comme offreuses au 3ème défilé et s’est inscrit pour le 4ème défilé des cultures, prévu en février 2009.

En ce qui me concerne, c’est avec bonheur que je suis (de plus loin, ayant pris ma retraite et laisser place à d’autres) les étapes des créations. Je veux insister sur ceci : nos deux offreuses sont les personnes les plus sollicitées et les plus participatives depuis plusieurs années et tout le RESCM avec moi, peut dire de grands mercis à Tiya et Hakima en retour et je crois que c’est réciproque !

Le RERS de Clichy-sous-Bois/Montfermeil défile devant le RERS de Meaux ; Tiya porte la cape conteuse, les enfants arborent des tenues traditionnelles de l’Ile Maurice.

Ana Dubeux98 : « Pépinières d’entreprises, partage des savoirs et coopérative de collecteurs de déchets urbains. Le rôle de l’université »

Introduction

Les préoccupations sur l’environnement semblent devenir le centre des inquiétudes des gouvernements, des entreprises et de la société civile en générale dans une échelle globale. Des mots tels que réchauffement de la planète, protocole de Kyoto, Agenda XXI et développement durable, font partie maintenant du vocabulaire d’une grande partie de citoyens communs qui l’acquièrent à partir de la divulgation de telles questions dans les médias télévisées et écrites. Ces thématiques sont aussi au sein des débats politiques les plus contemporains aussi bien que dans les grandes rencontres des leaders politiques mondiaux.

Ce qui ne semble pas être présent dans de tels débats, c’est le rapport que nous pouvons établir entre les problèmes environnementaux qui affligent notre planète et les transformations opérées tout au long de l’histoire de l’humanité par le paradigme socio-économique prédominant dans notre société : le capitalisme. Débattre durabilité et

98

Ana Dubeux est professeur à l’Université Fédérale Rurale de Pernambouc au Brésil, Département de Sciences de l’Education, Programme d’Associationnisme pour la Recherche, l’Enseignement et l’Extension – PAPE, Incubateur Technologique de Coopératives Populaires – INCUBACOOP. Courriel : [email protected]

Page 197: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 197

environnement dans l’actualité signifie questionner la façon dont le monde globalisé entre en rapport avec la production, la commercialisation et la consommation en général et du comment les richesses générées dans ce processus sont distribuées.

Le Brésil, comme d’autres pays émergents, souffre d’autant plus des conséquences de la mondialisation du capital, en particulier après la crise financière. Ces dernières sont perçues principalement dans les taux de chômage ou de sous-emploi dans le pays. Le processus de développement mis en route au Brésil est excluant, principalement en ce que concerne l’insertion des travailleurs dans le marché formel du travail. La diminution des postes de travail, provoquée par le phénomène de la restructuration productive dans les années 90 et plus récemment par la crise financière, est une des conséquences les plus graves pour la société brésilienne en général. D’un coté, une toute petite partie de la société détient une grande partie de la richesse. De l’autre coté, une grande partie de la société brésilienne est obligée de vivre dans des conditions de pauvreté extrême, voire de misère absolue. Cela génère, à son tour, une condition de marginalisation sociale dans les grandes villes brésiliennes, où nous pouvons inclure la Région Métropolitaine de Recife, contexte sur lequel verse l’analyse de ce travail.

Cette partie de la population qui habite principalement dans les périphéries des grandes villes déploie cette marginalisation dans le territoire qu’elle occupe. Eloignée des centres-villes (parfois à des distances de plus de 40 km), cette population se concentre dans des régions sans l’infrastructure normalement fournie par l’état (transport, routes goudronnées, électricité, eau potable, service de traitement des eaux usagées, traitement des ordures ménagères, etc.). Cette réalité ségrégue les grandes villes dans deux réalités opposées : d’un coté, la formelle, qui présente toute une infrastructure et offre aux habitants un minimum de bien-être et de l’autre coté, la ville marginale et/ou informelle, où existe un énorme déficit de politiques publiques et les conséquences qui s’en suivent pour ceux qui y habitent. Dans les quartiers et petites villes de périphérie, les taux de mortalité enfantine, de chômage, d’illettrisme, d’homicides, d’individus qui vivent du trafic de drogues et de basse qualité de vie sont plus évidentes qu’ailleurs.

La croissance rapide et désordonnée des grandes villes fait émerger une problématique très importante : l’espace et l’environnement urbain souffrent de modifications radicales dans ces flux d’énergie et de matériel et incorporent des dynamiques nouvelles dans leurs histoires. C’est le cas du parcours de la nourriture qui rentre dans la ville et des ordures qui sortent et se cumulent, c’est le traitement des eaux usagées, c’est la destination des eaux des égouts, qui très souvent sont jetées dans les fleuves ou dans la mer, pour la plupart sans aucun traitement, et normalement dans une échelle beaucoup plus grande que l’environnement ne peut l’absorber.

Ce texte décrira le cas de la Coopérative de Recyclage de Plastiques d’Abreu et Lima et de l’Association de chiffonniers Erick Soares qui ont, avec le support de l’Incubateur Technologique de Coopératives Populaires du Département de Sciences de l’Education de l’Université Fédérale Rurale de Pernambouc, développé le projet « Reciclação »99 de collecte sélective d’ordures ménagères dans cette ville sans aucune aide des pouvoirs publics et avec le financement de la Petrobrás. La base du travail qui a été développé est la solidarité et la réciprocité développées entre les groupes et les habitants de la ville non seulement dans le

99

En français nous pourrions peut être dire « Recyclaction »

Page 198: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 198

but d’échanger des savoirs mais aussi de chercher à contribuer à la résolution des problèmes environnementaux de cette dernière.

1. Le contexte

La Région Métropolitaine de Recife est composée par douze municipalités où habitent environ trois millions d’habitants et c’est la principale région de décharge d’ordures de l’Etat de Pernambouc, située dans le nord-est brésilien. Et, en conséquence, c’est aussi la région où l’on peut trouver une plus grande organisation (aux alentours de Recife, la capitale de l’état) ; c’est ce qu’on appelle, au Brésil, la chaîne productive du recyclage des résidus solides. Dans cette région, on trouve plusieurs industries qui recyclent divers matériaux tels que le carton, le papier, le plastique, le fer, l’acier, entre autres. Cette chaîne est très bien structurée et elle garantit sa survie surtout parce qu’elle est basée principalement sur le travail des « catadores100 » qui vivent dans une énorme fragilité économique et sociale et sans presque aucune condition de travail décente.

Abreu et Lima, la ville où nous avons développé le travail avec les chiffonniers, est localisée dans cette région, éloignée de 20 km de Recife, la capitale. La ville possède 95198 habitants, qui se distribuent dans un espace de 126 Km2. La population est majoritairement urbaine, 77696 habitants contre 17502 qui habitent la zone rurale.

Une grande partie de la population d’Abreu et Lima travaille dans les grandes villes aux alentours, telles que Recife ou Olinda. Dans la ville, une des branches économiques principales est le service qui amène des consommateurs des villes voisines de petite et moyenne taille. Le commerce génère environ 76% de l’emploi total de l’économie de la ville. La grande majorité de la population active de la ville survit de l’économie populaire ou informelle. Dans la partie agricole de la ville, c’est surtout de la culture de produits d’agriculture de base comme la noix de coco, la banane, l’igname, le manioc et quelques arbres fruitiers.

La ville, qui avait un parc industriel assez important dans les années 70, a assisté à la fermeture de plusieurs de ses industries, aussi bien qu’à la fermeture de la mine à phosphate sur laquelle s’est construit le quartier où nous avons développé notre projet, à partir de l’occupation des terrains abandonnés par les anciens propriétaires des mines. Cette situation a beaucoup contribué aux taux élevés de chômage et au manque d’occasions pour la population, en même temps que s’’impose le besoin de requalification et de formation professionnelle pour une grande partie de cette dernière.

A Abreu et Lima, une grande partie de la population n’arrive pas à accéder au marché formel du travail et cela est lié au bas niveau de scolarité et à la difficulté d’accéder à l’éducation, à la culture, au loisir, au travail. Cette situation motive les personnes à organiser des groupes associatifs pour le développement d’activités économiques qui puissent permettre leur survie et une de ces activités, c’est la collecte des résidus solides en direct des « lixões »101.

Dans le quartier Phosphate, nous trouvons presque trente mille habitants. Ce quartier est stigmatisé dans la ville à cause de la pauvreté où se trouvent ses habitants, qui cherchent à

100

Le mot ‘catador’ est originaire du verbe ‘catar’ que signifie trier et on appelle ‘catador’ des brésiliens qui, manque d’option, décident de vivre dans les rues ou dans les « lixões » (grandes terrains à ciel ouvert qui servent à recevoir les ordures de la ville) pour trier les poubelles et les ordures pour vendre le matériel recyclable. Pour y faciliter la lecture nous avons choisir de traduire ce mot par chiffonnier, même si le travail fait par les deux types de professionnel en France et au Brésil n’est pas exactement le même. 101

Lixão est la décharge à ciel ouvert où la mairie jette les camions d’ordures collectées dans les domiciles. Pour faciliter la lecture, nous allons utiliser le mot décharge pour traduire lixão dans ce texte.

Page 199: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 199

survivre de l’économie informelle et où les jeunes maintiennent une forte activité économique illégale, liée au trafic de drogues et à la marginalité. Le quartier peut être considéré comme ayant une grande vulnérabilité sociale. Dans ce contexte, les femmes apparaissent comme moteurs d’un processus de changement et transformation sociale car, très souvent responsables de la survie de la famille, elles développent des structures associatives dans la perspective du développement des potentialités de la communauté.

Ces rapports entre les habitants, les mouvements sociaux et quelques ONG’s, permettent la naissance d’initiatives locales qui s’opposent à la tendance hégémonique de déstructuration du tissu social, et génèrent des occasions de travail et de revenus.

Entre autres expériences, ce qui a attiré l’équipe de l’Incubateur Technologique de Coopératives Populaires de l’Université Fédérale Rurale de Pernambouc vers le quartier, c’était l’existence de deux groupes liés au recyclage. Le premier, la Coopérative de Recyclage de Plastiques d’Abreu et Lima (COOREPLAST), composé, pour une majorité, de femmes qui travaillaient dans le recyclage du plastique dans sa transformation primaire pour l’industrie et le deuxième, et l’Association de Catadores de Material Reciclável Erick Soares, composé par des chiffonniers qui travaillaient dans la décharge de Inhamã situé à la proximité du quartier.

La COOREPLAST est un groupe composé de vingt-trois personnes, en majorité des femmes, il existe depuis 1990 et développe des activités de transformation du plastique et de vente pour l’industrie. La commercialisation se fait par le biais d’intermédiaires et aussi directement aux industries. Au début du processus d’accompagnement par l’université, la COOREPLAST avait comme atouts principaux ses équipements et ses connaissances sur la gestion collective. D’un autre coté, avec un petit contingent de membres, la plus grande difficulté que le groupe endurait était de garantir leurs deux activités principales, c’est-à-dire, la quête des matières premières et la transformation du plastique. C’était la première d’entre elles qui était le plus grand défi pour la consolidation du groupe.

L’Association de Catadores de materiais recicláveis Erik Soares est un groupe créé en 2004, composé par seize personnes. Les chiffonniers développent leurs activités de tri sélectif dans la décharge à ciel ouvert d’Abreu et Lima, ville de la périphérie de Recife. Leur travail consiste à trier les ordures qui sont jetés à la décharge par les camions de la mairie à partir de la récolte d’ordures ménagères domestiques. La commercialisation des matériaux triés était faite, avant l’intervention de l’université, par le biais d’intermédiaires qui prenaient 90 % des profits. Le plus grand atout du groupe, lors de la sélection pour l’incubation, était la connaissance du tri et une énorme force de travail, forgé par une pratique professionnelle très difficile au sein de la décharge. Leur plus grande difficulté était le manque d’organisation et d’équipements pour transformer les matériaux récupérés.

2. Des mots-clés

Economie solidaire (Singer, Laville, França Filho, Gaiger) : ensemble d’initiatives de production, consommation, commercialisation et recyclage, dont la caractéristique principale est la pluralité des principes économiques, qui s’appuie sur les dimensions du marché de l’état et de la société civile. Une économie des travailleurs et pour les travailleurs notamment marqué par la démocratie dans la gestion des entreprises qui, en plus de permettre l’insertion socio/économique des personnes par le travail, cherche à promouvoir la transformation sociale vers des idéaux d’égalité et de justice.

Page 200: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 200

Développement local (Jara, Buarque, Franco) : développement local comme clé de développement socio/économique, notion plus large que la notion déterministe de développement. Le développement local se nourrit des énergies endogènes aux territoires.

Réseau (Euclides Mance) : la notion de réseau est très importante lorsqu’on considère la possibilité de connecter les personnes pour n’importe quelle activité mais principalement pour l’échange de savoirs. Les réseaux peuvent être analysés comme étant une articulation entre différentes unités qui, par le biais de certains liens, échangent différents éléments. Ces échanges les renforcent mutuellement, et peuvent se multiplier dans des nouvelles unités, lesquelles, à leur tour, renforcent l’ensemble en même temps qu’elles sont renforcées par ce dernier. Ce processus permet l’expansion vers de nouvelles unités et la manutention d’un équilibre durable. Chaque nœud du réseau représente une unité et chaque fil conducteur entre les unités représente un conduit à travers lequel les différentes unités s’articulent par le biais de différents flux.

3. Le processus d’incubation des groupes de recyclage

3.1 – Un peu d’histoire

L’incubateur de l’UFRPE a été créé au sein du Département d’Education de l’université en 1989, suite à un accord de coopération entre l’UFRPE et l’Université de Sherbrooke au Canada et il fut, depuis sa création, rattaché au Programme d’Associationnisme pour l’Enseignement, la Recherche et la « extensão » - PAPE. Les premiers débats pour la création de l’incubateur à l’UFRPE ont commencé en 1996. Ces débats sont originaires de projets d’intervention des étudiants en cours de troisième cycle, des rapports que le programme établissait avec le monde associatif et aussi à partir des échanges avec l’incubateur de l’université de Rio de Janeiro. Après tout une série de débats au sein de plusieurs forums à l’université, le projet a été finalement officialisé par la décision n° 350/97 du Conseil Universitaire datant du 18 novembre 1997. Cependant l’inauguration de l’incubateur n’arrivera qu’un an et demi plus tard, le 27 mai 1999.

Au cours de presque dix ans d’existence, l’INCUBACOOP est passé par trois phases si l’on analyse en fonction de la méthodologie développée. Même si l’historique de l’expérience n’est pas le but principal de cet article, nous citons les trois phases :

• Phase 1 (1999 à 2001) : Démarrage et inauguration de l’incubateur ;

• Phase 2 (2001 à 2003) : Changement de la coordination et éloignement du choix initiale en termes de l’exclusivité de l’appui aux groupes populaires ;

• Phase 3 (2003 à nos jours) : Nouveau changement de la coordination et reprise des principes originaux avec forte transformation méthodologique.

Que désigne-t-on comme un incubateur ? Les incubateurs – aujourd’hui plus de 70 au Brésil – représentent un important lieu de recherche-action sur l’économie solidaire et semblent inaugurer une nouvelle époque pour les universités brésiliennes à partir de la construction d’un nouveau champ théorique, notamment tourné vers la construction de technologies sociales102, s’appuyant sur les pratiques de l’économie solidaire au Brésil. Les incubateurs

102

La conception de technologie sociale qui se développe aujourd’hui au Brésil peut être décrite comme l’ensemble de produits, techniques et/ou méthodologies (ré)applicables, développés dans l’interaction avec la communauté qui représentent des solutions effectives de transformation sociale. La technologie sociale, dans son plan conceptuel, exprime une conception d’intervention sociale qui est inclusive dans tout son parcours ; une façon participative de produire le savoir et, par conséquent, de concevoir la science et la technologie. D’un autre côté, dans son plan matériel, la TS se développe et se

Page 201: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 201

possèdent une équipe interdisciplinaire de professeurs, étudiants et techniciens des universités qui, en rapport avec leurs tâches académiques régulières, développent une action d’accompagnement et de mise en pratique d’innovations sociales qui puissent permettre le développement de groupes économiques solidaires de différentes configurations.

3.2 – L’incubateur : un projet politico-pédagogique

Le travail développé par les incubateurs brésiliens a un caractère politique et pédagogique. Comment pouvons-nous essayer de définir ces deux dimensions dans l’analyse du cas de l’incubateur de l’Université Fédérale Rurale de Pernambouc ? Dans un premier temps, si nous prenons la définition de la dimension politique d’André (2001), il est facile de constater qu’elle s’adapte parfaitement au cas de l’incubateur, c’est-à-dire : la formation du citoyen et la construction d’un nouveau modèle de société. Le projet pédagogique de l’INCUBACOOP met en évidence différentes axes politiques : a) la construction d’une autre économie, différente de l’économie de marché ; b) l’articulation avec les mouvements sociaux dans le processus de construction de savoirs ; c) le débat avec les gestionnaires publiques par rapport à la mise en place de politiques publiques d’économie solidaire ; d) l’appui à l’organisation des initiatives d’économie solidaire ; e) la formation des étudiants avec un nouveau profil professionnel, tourné vers la construction d’un nouveau paradigme social et économique ; f) l’option de démocratiser les savoirs produits à l’intérieur de l’université ; g) la responsabilité d’être un laboratoire vivant d’interface entre l’enseignement, la recherche et la « extensão », entre autres.

C’est la dimension pédagogique de l’incubateur qui lui permet de développer des stratégies autours de la formation pour l’entrepreneuriat d’une façon plus collective, avec des impacts conséquents sur la subjectivité des membres en ce qui concerne la formation à la citoyenneté. Cependant, en plus du travail réalisé auprès des groupes accompagnés, la dimension pédagogique du travail de l’incubateur se présente encore dans : a) la contribution pour le développement durable à travers le dialogue des savoirs scientifiques et traditionnels ; b) le processus d’éducation écologique auprès de la population des villages où se trouvent les groupes ; c) le travail développé auprès des familles des membres des groupes accompagnés en ayant le focus sur les thématiques de santé et de sécurité alimentaire ; d) le développement d’un processus de récupération de mémoire culturelle des groupes accompagnés en ce qui concerne les pratiques alimentaires, les procédures curatives, les pratiques de production, la tradition et les coutumes ; e) le développement d’actions tournées vers l’élévation du niveau de scolarisation des membres des groupes accompagnés et de leur entourage proche ; f) la stimulation à l’engagement des jeunes dans des pratiques innovatrices permettant la (re)construction d’une identité sociale, culturelle et productive qui puisse être pérennisée pour les nouvelles générations ; g) le rôle formatif auprès des étudiants de l’université dans leurs différents domaines de formation ; h) la publication de travaux scientifiques, entre autres.

En plus des dimensions politique et pédagogique, il est important de mettre en évidence quelques-uns des principes qui ont orienté l’action de l’incubateur dans le processus d’accompagnement des chiffonniers. Ces principes ont été présents lors de toutes les étapes de l’incubation et les principales sont :

- La réciprocité entre les groupes ;

multiplie en accord avec les possibilités et limitations de chaque communauté, tout en restant appliquée à la construction de solutions pour les questions sociales les plus variées.

Page 202: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 202

- Le développement d’une conscience collective ; - L’action en réseau avec les principes de la solidarité, de l’égalité, de l’inclusion ; - L’éducation écologique, le rapport à l’environnement de la population locale ; - Les échanges de savoirs entre les groupes et de ceux-là vers la population locale, spécialement les enfants et les jeunes ; - La commercialisation collective des produits à partir de l’échange réalisé entre les atouts des groupes et cherchant la complémentarité entre eux ; - La médiation de l’Université.

3.3 – L’échange de savoirs

Le processus d’incubation des groupes est traversé aussi par les échanges de savoirs à plusieurs niveaux. Ces échanges ont été balisés par quelques concepts inhérents au processus d’incubation. Un premier, est lié à la conception d’éducation qui orientait celui-ci. Basé sur la conception de Paulo Freire, l’incubateur travaillait dans l’hypothèse que : a) on n’a pas un éducateur de l’étudiant b) on n’a pas un étudiant de l’éducateur c) mais, on a un éducateur-étudiant aussi bien qu’un étudiant-éducateur

Cela signifie que : a) personne n’éduque personne b) personne ne s’éduque tout seul c) les être humains s’éduquent mutuellement, avec la médiation de leur réalité.

Cette conception à permis l’échange de savoirs de plusieurs niveaux entre les participants du projet. Lorsque nous parlons de niveaux, il faut mettre en évidence que ceux-ci ne sont pas en étapes, et que tous avaient lieu en même temps. Voici les niveaux d’échanges et une petite description de ces derniers :

Niveau 1 : Entre groupes

Comme l’objectif principal du travail était l’organisation d’un réseau économique solidaire, les groupes étaient obligés de partager plusieurs choses, mais, ici, nous allons mettre en évidence les échanges de savoir. Dans cette perspective, nous avons eu, principalement, des échanges sur les méthodes d’organisation de la production et sur les méthodes de gestion des groupes économiques solidaires. Cependant, il y a eu plusieurs processus d’échange à petite échelle qui ont permis aux groupes de se renforcer mutuellement en termes : des connaissances sur le milieu du recyclage ; de leur capacité politique d’organisation envers leur contexte ; de leur possibilité d’améliorer leur niveau éducationnel, entre autres.

Niveau 2 : Les groupes et la population qui participe au tri sélectif

La participation de la population de la ville d’Abreu et Lima dans la mise en place du tri sélectif sans aucune aide publique a été très importante. Ainsi, plusieurs échanges de savoirs ont été établis à ce niveau. Dans un premier temps, il était très important pour les groupes d’acquérir la confiance de la population dans le sens de la convaincre de l’importance de faire le tri sélectif des ordures. Une fois cette confiance mutuelle établie, les chiffonniers ont offert plusieurs ateliers autours de la thématique de l’environnement, avec l’aide de l’incubateur et de bénévoles répertoriés dans les maisons participantes au projet (en décembre de 2008 il y avait 6500 maisons). En même temps, petit à petit, un échange plus large s’établit de la population vers les chiffonniers, dans les thématiques dont ils avaient besoin pour mener à bien le processus. Les échanges à ce niveau ont aussi permis un résultat très important qui est

Page 203: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 203

la reconnaissance des chiffonniers en tant que citoyens, au moins en ce qui concerne l’avis de la population qui, dans un premier temps, tournait vers eux un regard très marginal.

Niveau 3 : Les groupes et les jeunes et enfants scolarisés,

Certains des ateliers qui ont été élaborés pour travailler avec la population ont aussi eu lieu dans les écoles. Leur but principal était, dans un premier temps, de pouvoir établir un contact avec la population plus jeune qui était d’une certaine façon formatrice d’opinion dans les domiciles de la ville d’Abreu et Lima, ce qui pouvait améliorer la participation des domiciles dans le tri sélectif. Mais ensuite, les chiffonniers se sont rendu compte de leur rôle politique par rapport à cette même population en ce qui concerne l’avenir de la ville, principalement en termes environnementaux. Plusieurs ateliers ont été menés dans différentes écoles, pas seulement avec les enfants et les jeunes, mais aussi avec les professeurs dans le but d’augmenter la place destinée à l’environnement dans le curriculum scolaire.

Niveau 4 : Les groupes et l’université

Ce niveau d’échange est peut être le plus profond, en fonction du nombre et de la fréquence de rencontres établis dans ce but. Même si parfois il semble difficile de croire à cette réalité, car normalement l’université est une institution enfermé dans un cercle très particulière, avec un mode de fonctionnement qui rarement permet un échange semblable, mais, c’est exactement cela que marque la différence du processus mené par l’incubateur. C’est la possibilité de pouvoir mettre en contact les professeurs, étudiants et techniciens de l’université avec les différentes réalités des groupes incubés. Ce type d’échanges permet la construction de ce que nous appelions, au sein de l’incubateur, la construction d’un troisième type de savoir qui est le résultat de l’échange entre le savoir populaire des groupes et le savoir scientifique des universitaires. En plus, ces échanges permettent encore aux groupes de pouvoir accéder aux savoirs produits à l’intérieur de l’université qui, à son tour, se met à la disposition des groupes dans la construction de solutions pour leurs problèmes à travers la construction de technologies sociales.

4. Méthodologie de travail

4.1 - Principes méthodologiques généraux :

Pour le développement de la méthodologie d’incubation qui est le cœur du travail développé dans l’accompagnement des groupes, quelques principes méthodologiques sont fondamentaux :

- Construction du savoir à partir des expériences et perceptions de chaque participant, - Mise en valeur du savoir intuitif et empirique de chaque participant, - Stimulation à l’émission d’opinions, - Création d’une ambiance ludique lors des activités, - Participation au processus de gestion : faire partie (appartenir), avoir une partie

(propriété) et prendre partie (décisions). Ces principes se répandent dans tout le processus, aussi bien dans les moments d’échanges de savoirs, que dans les ateliers de formation ou encore dans les activités d’accompagnement. Ils sont encore présents dans tous les niveaux d’échanges.

1.2 – Les étapes générales du processus d’incubation

Le projet de l’INCUBACOOP a comme référence les processus pédagogiques de construction du savoir à partir de la valorisation des savoirs des participants en tant que sujet de leur

Page 204: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 204

propre développement et propriétaire de connaissances et de savoir-faire. La méthodologie prévoit donc que l’appui aux groupes est fait en deux étapes : la pré-incubation et l’incubation.

La pré-incubation est la première étape et c’est dans cette étape qu’a lieu la réalisation d’un diagnostic participatif à fin de construire, avec le groupe, un plan de travail qui sera mis en place dans la deuxième étape. En plus de la réalisation du diagnostique participatif, dans cette étape, il y a la préoccupation d’établir des liens plus profonds avec les groupes, l’approfondissement des connaissances réciproques (incubateur et groupes) et la réalisation de petites interventions soit en forme de formation, d’échange de savoirs, soit en forme de suggestions de changement dans le travail du groupe qui puissent produire des résultats dans une courte période de temps pour rapprocher l’incubateur des groupes. Dans cette étape, les échanges de savoir sont un outil très important pour solidifier les liens entre les groupes et de ceux-ci avec l’incubateur.

Le plan de travail produit dans la première étape est exclusif à chaque groupe, c’est-à-dire que chaque processus d’incubation est différent, car adapté aux besoins de chaque groupe. C’est aussi lors de la construction du même processus que nous travaillons ensemble avec le groupe quelques indicateurs d’accompagnement. Ces indicateurs sont utilisés dans la pré-incubation et dans l’incubation et ils servent, dans la première étape à la réalisation du diagnostic et à la planification d’actions de courte durée, et dans la deuxième au développement d’actions de formation et d’accompagnement à partir des besoins du groupe. Les indicateurs ne sont pas fixes, car, à mesure que la nouvelle méthodologie est mise en place, les indicateurs peuvent être changés pour s’adapter aux innovations mises en place dans le processus. La méthodologie d’incubation a donc un mouvement dialectique d’aller-retour entre la réalité et la production et reproduction de connaissances, fait à partir d’une révision constante dans le processus méthodologique.

Cette perspective est la même que celle développée dans la deuxième étape. Le processus d’accompagnement (coaching) hebdomadaire est le point le plus important de la méthodologie de la seconde étape. C’est à travers l’accompagnement que l’incubateur peut identifier les vrais besoins des groupes pour pouvoir planifier les formations nécessaires dans chacune des dimensions ou axes d’action.

Ensuite nous présentons le schéma du processus d’incubation en entier, même si nous ne pourrons pas nous attarder sur celui-ci :

(schéma page suivante)

Un regard sur le schéma nous amène à quelques réflexions. La première est son format en spirale, dont le sens se trouve dans le processus de développement des groupes pendant chacune des étapes. La méthodologie prévoit l’orientation à partir des cinq dimensions (politico-idéologique, économique, socioculturelle, technologique et organisationnelle), mais aussi à partir des axes de l’individu, la famille, la communauté et l’entreprise. Les axes et dimensions de l’action sont travaillés aussi à partir des axes transversaux : genre, génération, ethnie, environnement et culture et loisir.

Page 205: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 205

Cependant il faut signaler que dans chaque processus d’incubation, malgré le schéma méthodologique, nous aurons des différences bien marquées. Et, dans le cas spécifique du travail mené auprès des chiffonniers nous avons eu les étapes suivantes :

1. Elaboration participative du plan d’action pour le tri sélectif : - Cartographie des rues - Elaboration du matériel de divulgation - Infrastructure, 2. Acte d’inauguration du tri sélectif, 3. Processus d’inscription et d’éducation avec les familles qui participent au tri, 4. Début du processus de tri sélectif (porte-à-porte), ateliers les plus divers avec les

écoles et la population en général, les leaders communautaires entre autres, 5. Ateliers spécifiques entre les membres des groupes et l’université, 6. Formation des participants dans les aspects nécessaires.

5. Quelques résultats et conclusions

Ce qui nous semble évident dans le processus vécu auprès des chiffonniers d’Abreu et Lima est d’abord la capacité de changement de la réalité et aussi d’innovation sociale possible lorsqu’une grande concertation d’acteurs prend place dans une réalité, malgré les intempéries que l’on peut trouver dans celle-ci. Cela semble mettre à jour une nouvelle conception de développement territorial dont le moteur est l’échange de savoirs mis au service de l’innovation sociale. Dans cette perspective, il nous semble intéressant de pouvoir s’appuyer sur la vision du développement territorial développé par Moulaert & Nussbaumer (2009) qui, à partir d’un approche multidimensionnelle, définit une conception du développement territorial basé sur une « lecture élargie des libertés humaines et la capacitation des humains à satisfaire leurs besoins… » ; « …qui proclame la satisfaction des besoins humains par des initiatives multi/partenariales, facilitée par l’innovation des rapports sociaux de développement ». Dans ce sens, le processus vécu par les chiffonniers en concertation avec plusieurs acteurs et l’université, peut signifier un début de rupture avec la logique stigmatisante de la société brésilienne où leur place n’était pas réservée. Il signifie un large processus d’éducation, vécu par l’ensemble des acteurs, qui requiert davantage « la création d’opportunités éducatives,

Axes de

l’action

Dimensions

de l’action

Individu

Famille

Communauté

Entreprise /

Initiative

Po

litic

o -

Idéo

logi

qu

e

Soci

ocu

ltu

relle

Eco

no

miq

ue

Tech

no

logi

qu

e

Org

anis

atio

nn

elle

(Ges

tio

n)

Sélection

Pré-incubation

Incubation

Désincubationç

AXES TRANSVERSALES

• Genre;

• Génération;

• Ethnie;

• Environnement;

• Culture et loisir.

Page 206: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 206

participatives, créatives, etc., au sein de configurations sociales qui lanceraient automatiquement des moteurs sociopolitiques et socioéconomiques permettant la reconstruction de leur existence ». (Moulaert & Nussbaumer, 2009) Le processus déclenché par le projet « Reciclação » a produit des fruits, et en tant que résultats principaux, nous pouvons mettre en évidence :

- Les groupes qui travaillent en réseaux, - De meilleures conditions de travail, - L’indépendance des intermédiaires pour la majorité des produits commercialisés, - Une plus grande visibilité des groupes, - Une plus grande participation politique des groupes dans plusieurs organisations et/ou mouvements sociaux, - Une forte participation de la population : plus de 6000 familles donatrices qui s’engagent dans le processus de protection de l’environnement dans la ville, - La reprise du processus de scolarisation pour plusieurs des membres – rencontre avec soi et récupération de l’image de soi détruite par des conditions socioéconomiques marginales ; - Plus grand revenu pour les chiffonniers ; - Echange avec les jeunes et enfants de plusieurs écoles qui stimulent leurs familles à participer au projet ; - Reconstitution du tissu socio-économique du quartier du Fosfato avec l’introduction d’une dynamique d’économie solidaire croissante.

Nous ne pouvons pas omettre, dans ces conclusions, de souligner le rôle de l’université dans ce processus. Une institution qui, traditionnellement, a un rôle coordinateur dans le processus de production de savoir et dans une perspective aussi traditionnelle, détient la capacité de promouvoir de l’innovation. Cependant, il faut souligner que ce n’est pas suffisant d’avoir de l’éthique dans la production et l’usage du savoir. Ce n’est pas l’appropriation et l’adaptation des technologies existantes qui pourront réduire les inégalités sociales. Le grand défi des incubateurs est de développer des technologies qui puissent incorporer, de la conception à l’application, une intentionnalité d’inclusion sociale et de développement durable. C’est ainsi que nous pourrions donc dire que l’université a réellement accompli son rôle dans la construction de l’économie solidaire.

Ainsi, nous réaffirmons ce que dit Souza Santos (1997) « dans une société désenchantée, le « ré-enchantement » de l’université peut être une des voies pour symboliser l’avenir. La vie universitaire quotidienne a une forte composante ludique qui favorise la transgression symbolique de ce qui existe, et elle est rationnelle parce qu’elle existe. De la transgression égalitaire à la création et à la satisfaction de besoins expressifs et à l’enseignement et à l’apprentissage conçus comme des pratiques écologiques, l’université organisera des fêtes du nouveau sens commun. Ces fêtes seront des configurations de la culture élitiste, de la culture populaire et de la culture de masse. Dans celles-ci, l’université jouera un rôle modeste, mais important, dans le « ré-enchantement » de la vie collective, sans lequel l’avenir n’est pas appétissant, même s’il est viable ».

Page 207: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 207

Bibliographie

Albert Philippe et al., 2003, Incubateurs et pépinières d’entreprises: un panorama international, Paris, L’Harmattan.

Allen David, 1985, Small Business Incubators and Enterprise development, Athen (OH), NBIA. Braga Ana Maria et al., 1997, “Universidade futurante: inovação entre as certezas do passado

e incertezas do futuro”, In Leite Denise & Morosoni Marília (org), Universidade Futurante: Produção do Ensino e Inovação, Campinas, Papirus, p. 21-37.

Dubeux Ana Maria, 2004, Education, Travail e Economie Solidaire : le cas des Incubateurs Technologiques de Cooperatives Populaires au Bresil, Tese de doutorado, Paris, Universidade de Paris I, Panthéon/ Sorbonne.

Figueiredo Haydée et al., 2000, Articulando pesquisa e extensão: buscando o diálogo entre a escola básica e a universidade, Revista Participação, v. 4, n° 7, p. 43-46, Jul. Brasília.

Fòrum nacional de pro-reitores de extensão das universidades públicas brasileiras, 1-3:1987-1989, 1990, Documentos Finais, Florianópolis, Ed. da UFSC.

Furtado Celso, 1987, Transformação e crise na economia mundial, SP, Paz e Terra. Furtado Marco Antonio T., 1998, Fugindo do Quintal – Empreendedores e incubadoras de

empresas de base tecnológica no Brasil, Brasília, SEBRAE Kwasaki Clarice Sumi, 1997, Universidades publicas e sociedade, São Paulo, Revista da

Faculdade de Educação, v. 23, n° 1-2, jan/dez Laville Jean-Louis, 1994, L’économie solidaire: une perspective internationale, Paris, Desclée de

Brouwer. Laville Jean-Louis, 2000, « Le tiers secteur: un objet d’étude pour la sociologie économique »,

Revue Sociologie du Travail, n°4, vol. 42, p. 531-550 – Paris : Editions Elsevier. Laville Jean-Louis, 1997, Vers l’économie plurielle, Paris, Syros. Laville Jean-Louis, 1999, Une troisième voie pour le travail, Paris, Desclée de Brouwer. Laville Jean-Louis & Chanial Philippe, 2002, « L’économie solidaire: une question politique »,

Revue Mouvements, n° 19, janvier-février, p. 11 – 20, Paris, La découverte. Laville Jean-Louis & Lallement Michel, 2000, « Introduction », Revue Sociologie du Travail, n°4,

vol. 42, p. 531-550, Paris, Editions Elsevier. Lima Souza Ana Luiza, 2000, A história da Extensão Universitária, Campinas, Editora Alinea. Medeiros J. A & Medeiros L. A., 1993, A Incubadora Tecnológica: guia do empreendedor, S.

Paulo, Sebrae/SP. Medeiros J. A. et al., 1992, Pólos, parques e incubadoras: a busca da modernização e

competitividade, Brasília, CNPq/IBICT/SENAI. Medieros J.A., 1995, “Incubadoras brasileiras: avaliação e ajuste”, TECBAHIA, Revista Bahiana

de Tecnologia, vol.10, n. 1, Camaçari. Melo Neto Francisco, 2001, Extensão Universitária: uma análise crítica, João Pessoa, Ed.

Universitária / UFPB. Ministério Da Educação e Da Cultura, Plano Nacional de Extensão das Universidades Publicas

Brasileiras, 1999/2001, Réference trouvée sur le site internet du MEC http://www.mec.gov.br/Sesu/planonaex.shtm en 10/09/2003.

Moulaert F. & Nussbaumer J., 2008, La logique sociale du développement territorial. Presses de l’Université du Quebec. MTE SENAES, 2006, Atlas da Economia Solidária no Brasil. Brasília.

Page 208: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 208

Sanchez Fábio José Bechara & Kruppa Sonia Maria Portella, 2002, (dir), Méthodologies d’incubation: un premier essai de systématisation. Document interne du réseau universitaire des Incubateurs Technologiques de Coopératives Populaires, São Paulo.

Souza Santos Boaventura de, 1997, Pela mão de Alice. O social e o político na pós-modernidade, São Paulo, Cortez.

Spolidoro R., 1996, As incubadoras na sociedade do conhecimento, in TECBAHIA, Revista Bahiana de Tecnologia. Vol. 11, n. 1, Camaçari.

Thiollent Michel et al., 2000, Metodologia e experiências em projetos de extensão, Nitéroi, EdUFF. Valois Ovídio, 2000, A extensão universitária no Brasil: Um resgate histórico. Organisation de Marta Vieira Cruz et Maria Elisa da Cruz, São Cristóvão, Editora UFS, Fundação Oviêdo Teixeira.

Anaya Nadifi, Safi, Maroc : « Le top de la cuisine du monde »

1. Descriptif du projet

Le projet s’inscrit dans le cadre de la formation continue, d’échanges et de rencontres entre différents intervenants valorisant les savoirs et les savoir-faire des jeunes et/ou adultes dans une dynamique de travail et un esprit d’équipe.

L’intérêt global de la formation :

Acquérir et approfondir des connaissances culinaires relatives au patrimoine culturel du monde en l’occurrence de la région « DOUKKALA-ABDA » est le souci majeur de cette formation modulaire au sein de l’Alliance franco/marocaine de Safi.

En fait, le choix de ce projet est justifié par la mise en œuvre de plusieurs modules de formation visant la sensibilisation et la découverte du patrimoine culturel safiot dans un premier temps.

Ce projet consiste également à promouvoir la vie associative par le biais de la formation continue visant le développement des acquis dans le domaine culinaire des régions du monde et favorisant l’intégration dans l’initiative nationale du développement humain.

2. Les objectifs particuliers du projet

- Doter les apprenants d’une compétence professionnelle dans le domaine culinaire ; - Compléter les acquis de l’alphabétisation suivant le concept de l’initiative nationale du

développement humain ; - Ressusciter les spécificités gastronomiques de la région Doukkala-Abda et d’autres

régions du monde ; - Créer une activité innovante et instructive répondant aux besoins des jeunes et des

adultes ; - Travailler à l’élaboration d’une mémoire collective par la création d’un répertoire

« cuisine d’ici et d’ailleurs » ; - Développer les relations humaines entre les participants et faire valoir l’esprit

d’équipe ; - Accroître l’autonomie, l’initiative et l’esprit d’entreprise.

Page 209: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 209

3. Les partenaires

Les institutions coopérant à la réalisation de ce projet :

Les partenaires Type de contribution au projet

Observations

-L’Ambassade de France

-Alliance franco/marocaine

Implication directe dans l’équipe du projet

*La Wilaya Doukkala-Abda

-Le conseil régional

-La commune urbaine

-O.C.P.

Contribution financière

-ACIMA

-C.C.T.

-O.D.E.P.

-Bank AIMAGHRIB

Contribution en nature :

Equipement, matériel……

4. Calendrier de mise en œuvre

Public cible : Le public ciblé par cette formation se présente comme suit :

1. Les jeunes (entre autres, les filles alphabétisées) : initiation ; 2. Adultes d’origines diverses : acquisition et renforcement du savoir et du savoir-faire

culinaire ; 3. Les adhérentes des A.F.M. au Maroc : Eljadida, Essaouira ; 4. Les cours seront dispensés en français et en arabe ; 5. Démarrage avec vingt personnes (deux groupes) ; 6. Prix = 1750 DH les quatre modules.

Les formateurs

1. Des personnes qualifiées ayant des compétences dans le domaine ; 2. Des diplômés de l’école hôtelière.

Equipe de pilotage (coordination)

1. Alliance franco/marocaine de Safi ; 2. Madame EZZAKI ; 3. Madame NADIFI Anaya ; 4. Madame SENTIL Fouzia ; 5. Madame HARRAK Faiza.

Le planning des modules envisagés / Durée

Page 210: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 210

La formation est organisée selon un système modulaire constituant un ensemble cohérent de thèmes visant l’art culinaire relatif à plusieurs régions du monde.

Voici un balayage succinct de la première étape de la formation :

Descriptif des modules Son contenu Durée

MODULE 1 : Spécialités gâteaux safiots /jus

Les meilleures spécialités authentiques de la gastronomie Safiote sont présentées à travers ce module

+ pain

A – gâteaux traditionnels

*Marsapan, gâteaux aux amandes, aux noix, au coco…

*Ghoriba (graines de sésame), aux amandes, à la semoule…

*Kaak, Faquas…

*Meringues aux noix, meringues au coco, nougatine au sésame, aux amandes

*Dattes fourrées, bouchées au chocolat

Pain d’épices, brioches, galette, croissant

Mille trous, rziza…

B-JUS

*Jus de dattes, de noix et miel, de raison, de tomates ; d’orange et miel, de raisins secs

Le temps alloué à ce module :

30h à raison de 4h/semaine

MODULE II

Poisson

Les somptueuses recettes relatant l’histoire de la région Doukkala-Abda

*Marinade à la marocaine

*Sardines en tajine, sardines farcies au riez, boulettes de sardines…

*Pageot farci, pageots en tajine, le loup farci, thon en tagine…

*Calmar farci, brochette de lotte, moules à la sauce tomate

30 heures

MODULE III

Tajines et salades

Un survol de toutes sortes de tajines et de salades incluant quelques

grandes recettes classiques

Tajines

Tajine de viande, de poulet, de légumes farcis à la viande hachée, de cervelle… Salades

Salades de tomates et poivrons, de chou-vert et aux raisins secs et noix, de choux-fleurs, de carottes vinaigrées, d’olives Mcharmel, de poivrons, de courgettes farcies, fèves tendres, petits pois et artichauts en sauce. D’aubergines

30 heures

MODULE IV

Spécial pastilla

Découverte d’un menu ancestral très distingué et diversifié

Spécialités diverses :

Tanjia, dessert

Pastilla au poulet, au poisson, aux amandes, à la viande hachée…

10 heures

MODULE V : Art de recevoir

*Comment organiser une cérémonie

*Faire acquérir le savoir-être, le savoir-faire relatif à la décoration d’une salle, l’accueil

20 heures

Page 211: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 211

Acquis et savoir-faire des modules

• Etre en mesure de : confectionner les différents gâteaux traditionnels et réinvestir les acquis ;

• Reconnaître une variété de recettes à base de poissons ;

• Respecter les ingrédients spécifiques à chaque menu ;

• Réussir seul un menu ;

• Connaître les occasions où chaque met peut être servi ;

• Savoir présenter les mets ;

• Harmonier et équilibrer un menu.

La durée du projet :

La formation se déroulera au sein des locaux de l’Alliance franco/marocaine de SAFI.

Durée de la formation : neuf mois à raison de quatre heures par semaine pour le premier volet relatif aux spécialités safiotes

5. Les résultats attendus

- Un espace culturel fonctionnel ; - un esprit de groupe épanoui et responsable ; - le sens de la responsabilité et de l’initiative développé ; - faire connaître la culture ancestrale de la région (ville de Safi) à travers son art culinaire

et d’autres régions par la suite ; - les plats cuisinés feront l’objet d’une dégustation à travers une réception payante.

AAtteelliieerr BB 22..88 :: CCiittooyyeennnneettéé eett eennjjeeuuxx sscciieennttiiffiiqquueess

Gérard Gautier103

: « Le MILSET, une organisation internationale de jeunesse pour les activités scientifiques » Le nom « MILSET » est l’abréviation de Mouvement International pour le Loisir Scientifique et Technique. C’est une organisation internationale de jeunesse, créée en 1987 au Québec, et qui a pour but de développer les activités de sciences et techniques parmi les jeunes104. Je parle d’« activités » plutôt que de « culture scientifique », un terme que l’on utilise parfois, parce que je cherche à insister sur l’aspect pratique des activités que promeut le MILSET.

Le projet

L’idée d’origine de ce mouvement est que les jeunes ne se contentent pas de suivre des cours, voire de débattre de thèmes scientifiques, mais qu’ils choisissent un sujet qui les intéresse particulièrement et mènent un véritable projet sur ce thème, en général en groupe.

Le contenu de ce projet dépend, bien sûr, de ce qui intéresse les jeunes, et aussi du domaine qu’ils étudient. Cela peut être un projet plutôt technique, alors le groupe cherche à construire 103

Chargé de Mission au MILSET. 104

Site web : http://www.milset.org

Page 212: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 212

quelque chose : un robot, une voiture solaire, une fusée… Mais ce n’est pas du modélisme. La méthode suivie pour construire l’objet est alors plus importante que l’objet lui-même. Je veux dire que le but n’est pas de recopier un plan pour construire, mais de faire jouer l’intelligence collective du groupe pour se répartir les tâches, trouver les meilleures solutions aux problèmes, etc.

Le projet peut aussi être plus « scientifique », se centrer sur une étude plutôt qu’une construction. Là aussi, le groupe va mener sa recherche ensemble, pour répondre à une question qu’il a choisie. Quel est l’âge de ce groupe d’étoiles ? Est-ce que les tartines beurrées tombent réellement plutôt du côté du beurre ?

Pour quoi faire ?

L’idée de fond est que les jeunes pratiquent à leur niveau une sorte de recherche scientifique. Je dirais que le but principal n’est pas de « faire avancer la science » (quoique si certains projets le font, pourquoi pas ?), mais de s’amuser.

Cela peut paraître provocateur ou démagogique de dire ça. C’est bien triste que l’on vive dans un monde où c’est la première réaction quand quelqu’un dit que l’on peut prendre du plaisir en apprenant par soi-même. En tout cas c’est en ce sens qu’il me semble qu’il y a un point de convergence entre le Mouvement des Réseaux d’Echange de Savoirs et le MILSET.

Je crois que je n’ai pas besoin d’insister ici sur les conséquences sociales du fait qu’on apprenne avec plaisir. Il y a, bien sûr, beaucoup d’autres raisons pour s’intéresser aux sciences mais il me semble que celle-ci mérite d’être mise en premier. D’autre part, nous avons parfois des témoignages d’anciens participants d’activités qui nous expliquent que celles-ci leur ont évité de « mal tourner »…

Les Rencontres de Toulouse

Le MILSET a été créé officiellement au Québec en 1987 mais, en fait, les activités avaient commencé en France lors de l’Année Internationale de la jeunesse en 1985. En septembre de cette année-là, avaient été organisées, à Toulouse les Assises Internationales de l’Animation Scientifique et Technique pour les Jeunes par un collectif d’associations d’éducation populaire françaises.

Certaines de ces associations étaient spécialisées en sciences, comme l’Association Nationale Sciences Techniques Jeunesse (ANSTJ), elle-même héritière de la Fédération Nationale des Clubs Scientifiques (FNCS), créée dans les années soixante. D’autres étaient des associations généralistes, comme les Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Actives (CEMEA), les Francs et Franches Camarades (FFC) ou les Eclaireurs de France… je ne peux toutes les citer105.

Ces Assises ont rassemblé durant une semaine des milliers de jeunes venus de cinquante pays, qui venaient y exposer leurs projets. Cet évènement a été la première « Expo-Sciences » tenue en France, et c’est à la suite de ces Assises que, lors de l’Expo-Sciences suivante, tenue au Québec deux ans plus tard, a été décidée la création du Mouvement International pour le Loisir Scientifique et Technique comme ONG internationale, organisation à but non lucratif et sans affiliation politique.

105

En parallèle à la création du MILSET, à laquelle certaines ont participé, la plupart se sont rassemblées dans le CIRASTI, « Mouvement Français des Exposciences » (site web : http://www.cirasti.org/).

Page 213: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 213

Une des origines du MILSET est donc clairement dans la tradition française de l’éducation populaire, centrée sur la réalisation de l’individu et l’intérêt émancipateur de l’acquisition de savoirs – y compris dans les différences de choix entre diverses associations, spécialisées en sciences ou généralistes. Cependant, lors du développement de la nouvelle association, cette tradition en a rencontré bien d’autres, parfois extrêmement différentes, puisque le MILSET a maintenant des membres dans des pays aussi divers économiquement et culturellement que le Koweit, la Namibie, le Mexique…

Cette rencontre entre différentes cultures et traditions s’est faite autour de l’Expo-Sciences, héritage des Assises de Toulouse.

Donc l’Expo-Sciences a été dès le début au cœur des activités du MILSET, et y est encore à bien des égards – même si on se doute que les activités ont dû évoluer depuis 1987…

Expos-Sciences mondiales et continentales

Depuis sa création, le MILSET organise ainsi tous les deux ans, lors des années impaires, une Expo-Sciences Internationale (« ESI ») qui regroupe des jeunes du monde entier. Entre ces ESI se tiennent, dans les années paires, ce que nous appelons « Expo-Sciences Régionales, qui concernent en fait les différents continents.

Ces Expo-Sciences Régionales se sont développées petit à petit au fur et à mesure que le MILSET acquérait de nouveaux membres sur les différents continents. Maintenant (fin 2008), il se tient des expos régionales en Europe, Amérique Latine et Asie, et l’Afrique démarre. L’Amérique du Nord non latine ne comportant que deux pays et l’Expo-Sciences pancanadienne étant déjà une opération extrêmement importante, il n’y a pas d’Expo continentale Nord-Américaine.

Une orientation fondamentale du MILSET est que les Expo-Sciences sont non-compétitives. Les évènements MILSET se distinguent ainsi clairement du modèle essentiellement américain des Science Fairs du type de celles organisées par INTEL, où les jeunes viennent essentiellement pour montrer qu’ils sont les meilleurs et remportent parfois des prix se chiffrant en milliers de dollars. Cette atmosphère compétitive nuit aux échanges et donne des participants dominés par le stress.

En contraste, les Expo-Sciences MILSET sont conçues comme des lieux où les jeunes viennent pour se rencontrer et échanger, promouvoir leurs créations, discuter avec des chercheurs, des dirigeants de jeunesse et des entrepreneurs, et s’ils peuvent parfois y remporter des « Prix », ceux-ci ne représentent pas de montants très importants.

Les Expo-Sciences, lieux d’échanges culturels

Lors des Expo-Sciences, ces jeunes, qui ont déjà développé avant de venir des projets collectifs, peuvent découvrir des cultures et des langues étrangères, et chaque Expo-Sciences internationale ou régionale, comporte une soirée culturelle appelée Soirée des Délégations, au cours de laquelle chaque délégation présente un élément de sa culture, souvent sous forme d’une prestation musicale effectuée en costume traditionnel du pays d’origine des jeunes. L’organisation de cette soirée culturelle est un point important de la convention d’organisation signée entre le MILSET et l’association membre qui reçoit l’événement.

Page 214: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 214

Différents types de projets

Les activités scientifiques des débuts, dans la France des années soixante, concernaient souvent des étudiants, voire parfois de jeunes ingénieurs. Le tournant de l’éducation populaire a ouvert plus largement la participation et, à l’international, a progressivement rajeuni les membres des délégations. Les plus jeunes se retrouvent maintenant au sein d’associations équivalentes aux « Petits Débrouillards » français, qui ont un « village » spécifique dans les Expo-Sciences. On voit apparaître des différences entre contenus des projets qui reflètent peut-être les différences culturelles entre pays d’origine des équipes.

Ainsi, si les sujets portant sur l’environnement sont présents quasiment dans tous les pays, il semble bien que les jeunes venus d’Amérique Latine ou du Canada fassent davantage d’études de sciences humaines que ceux venus d’Europe. Un exemple de projet argentin : l’étude des conséquences psycho-sociales de la xénophobie à l’égard des travailleurs immigrés.

Mais il faut dire que les structures au sein desquelles les jeunes développent leurs activités sont très variables de pays à pays. Si la France reste l’un des pays où il est le plus difficile de mener un projet collectif dans l’éducation formelle, dans d’autres pays, il fait partie du trajet normal des élèves.

Mais, au-delà de ces conditions de production très différentes rencontrées dans chaque pays, le groupe arrive à l’Expo-Sciences avec la même chose : des posters à afficher pour expliquer son projet, l’objet construit s’il y en a un, parfois des documents à donner au public, ou une petite expérience que celui-ci peut faire, guidé par les membres de l’équipe… mais, par dessus tout, l’envie de communiquer, la motivation à faire comprendre le sujet du travail commun, et l’intérêt pour les projets des autres.

Dans la plupart des pays, les associations-membres du MILSET développent sur le plan national ou régional d’autres activités autour des projets en sciences proprement dits : en Allemagne, de la formation professionnelle pour réintégrer socialement des jeunes exclus du système scolaire traditionnel, au Mexique un festival de courts-métrages, en Tunisie un Congrès sur les plantes médicinales, en Espagne, des colloques et publications de jeunes chercheurs… chacun selon son contexte.

Nouvelles activités

A côté de ses Expo-Sciences “traditionnelles”, le MILSET a commencé depuis les années 2000 à proposer aux jeunes de nouveaux types d’activités, parfois menés en parallèle avec les expositions de projets : à l’ESI de Grenoble en 2001 et à celle de Moscou en 2003, puis au Congrès de Jeunes et ESI de Santiago du Chili.

Hervé Prévost : « Association du passage des soupirs, présentation des jardins partagés » Présentation des jardins partagés (naissance dans les années 70/80 aux USA)

- Réappropriation de friches espaces publics, arrivés en France en 90 ; - Sur Paris, projet porté par les Verts : quarante jardins partagés à ce jour :

Page 215: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 215

- Celui du passage des Soupirs est lié à l’opposition au projet de construction d’un parking (combat gagné et en plus un jardin partagé ! Un jardin partagé, c’est du jardinage biologique ;

- Des animations ouvertes sur le quartier et pas de parcelles individuelles. Les échanges concernent des savoirs (histoire de quartier, botanique…), des savoir-faire (bricolage, compostage, jardinage), des projets (une animation contre une exposition…) Ces échanges existent mais de manière informelle, ils existent aussi sur un plan intergénérationnel (retraités et enfants du centre de Loisirs sur le jardin des enfants). A noter aussi de plus en plus des échanges de graines et d’expériences entre les différents jardins.

Finalement en quoi un jardin partagé est-il un lieu de science ?

- Sur l’aspect culture technique, il n’est pas utile de dresser la liste exhaustive des gestes et des savoir-faire qui peuvent être appris/transmis (de l’arrosage au bouturage, du compostage au binage, …) ;

- Mais par ailleurs, un jardin est un laboratoire expérimental formidable où l’on découvre le rapport entre le sol et la plante, l’importance des saisons, le cycle et la physiologie des végétaux, la botanique… autrement dit les sciences de la Terre, les sciences du vivant ;

- Enfin, toutes les observations faites au jour le jour sont autant d’occasions d’échanges et de débat (le réchauffement/changement climatique a-t-il un impact ici ? et si la ville sauvait les abeilles ? le compostage de la matière et la question des déchets...).

Pour en savoir plus sur les jardins partagés : « Jardins partagés » aux éditions Terre Vivante

Questions du public

- Q. Comment fonctionne le lien intergénérationnel ? R. Grâce à des retraités avec des enfants du centre de loisirs et aussi des adhérents de 5 à 85 ans.

- Q. Les échanges de savoirs sont-ils formalisés ? R. Non et, a priori, ce ne le sera pas : il y a très peu de contraintes dans le fonctionnement du jardin.

Page 216: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 216

AAtteelliieerr BB 22..99 :: RRéécciipprroocciittéé eett iinntteerrccuullttuurraalliittéé

Bernadette Cheguillaume106

: « Caravane : liens entre associations de femmes d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, de France pour promouvoir les droits des femmes »

Je suis bénévole à l’Arc-en-ciel des savoirs, participante du groupe AIMEE, habitante du quartier de Bagatelle ; c’est pourquoi j’ai participé à la Caravane qui a eu lieu du 22 au 30 mai 2008 dans les quartiers dits « sensibles » de Toulouse et Muret. Un évènement sans précédent dans la ville de Toulouse et de Muret préparé depuis quelques années par des rencontres.

1. Ce projet a été porté par plusieurs associations

a) Composition des réalisateurs du projet :

- Le collectif Interculturel composé par : Circuits Jeunes, Club Europe Maghreb, l’association Karavan, la Maison de Quartier de Bagatelle, Partage Faourette ; - Les associations et les habitants des quartiers ; - L’association « Tharma Fadma N’Soumeur d’Algérie ; - La ligue Démocratique des Droits des Femmes du Maroc.

b) Sur quels constats partagés se fonde la venue de la Caravane ?

La synthèse de ces constats est le fruit d’un travail de terrain mené par les associations partenaires du collectif interculturel :

•••• la question identitaire

Les modèles familiaux traditionnels restent très prégnants chez beaucoup de jeunes filles dans un contexte social et économique difficile. L’accompagnement de ces jeunes filles et les témoignages recueillis dans les groupes de parole avec les collégiens/collégiennes mettent en évidence :

- le manque de confiance et de combativité ; certaines subissent les évènements dans une attitude fataliste, (privations de sorties et de loisirs, mariages, rupture de scolarité) ;

- le repli sur des modèles traditionnels et une profonde intériorisation qui sont autant de freins à leur autonomie.

106

Assistante sociale et infirmière retraitée, animatrice du RERS du Mirail à Toulouse, co-auteur de Les savoirs émergents (2008).

Page 217: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 217

Ce constat rejoint le rapport annuel de la délégation aux droits des femmes remis à l’Assemblée nationale le 7 décembre 2005 « Constatant les difficultés d’insertion sur le marché du travail de leurs aînées qui, elles, avaient beaucoup investi dans leur éducation, ces jeunes filles semblent de moins en moins croire à une quelconque ascension sociale par l’école, et paraissent même capituler ».

•••• les difficultés croissantes des acteurs sociaux de faire connaître ; - d’une part la légitimité de leur intervention, de leur enseignement, de leur

connaissance ; - et d’autre part de ne pas céder au relativisme culturel et à une confusion entretenue

entre tradition et religion.

•••• la méconnaissance des populations étrangères ou issues de l’immigration en matière de droit et/ou d’accès au droit sur le territoire français doublée d’une méconnaissance du droit et du code de la famille de leur pays d’origine. Ces personnes sont parfois confrontées à des situations de rupture de couples entre conjoints de nationalités différentes, de discriminations, de mariages forcés, de situation de polygamie, de violence (jusqu’à des mutilations sexuelles), d’adoption d’enfant parfois illégale.

Face à la complexité de ces situations, les familles concernées manquent d’informations et ne savent pas toujours quelles législations ou quelles juridictions sont compétentes.

Les femmes sont confrontées aux problèmes des doubles juridictions et manquent de contacts fiables dans leur pays d’origine.

•••• L’universalité de la lutte des femmes.

Le processus de « relégation » des quartiers dits « sensibles » a eu pour conséquence le désengagement de leurs habitants dans l’action public collective.

Si la dénonciation des oppressions et des discriminations est l’affaire de tous, la lutte pour l’égalité des droits entre femmes et hommes en est un puissant levier.

2. L’organisation de ce projet

• Un comité de pilotage

• Huit comités locaux sur les neuf quartiers. Chaque jour, la tente était montée dans un quartier différent. Ils ont pris en charge l’organisation et la programmation de la journée lui donnant ses marques et sa spécificité.

• La communication : 2.000 grandes affiches ont été distribuées et collées. 10.000 programmes en 24 pages ont été distribués. 10.000 flyers contenant le programme général. 17.500 flyers contenant le programme détaillé (soit 2500 par quartier).

Manifestation : cinq vendredis (demi journée) sur le marché de Bagatelle.

• Plus de 100 structures ont participé à ce projet avec 95 pour les quartiers dont 67 associations auxquels on ajoute les UTAMS, les Centres Culturels, les Centres Sociaux (CAF), clubs de prévention spécialisés, collèges, lycées, écoles d’éducateurs, APIAF, Collectif Midi Pyrénées pour le droit des femmes, CIDF, SIDIFF,(service information en droit international), Collectif Droit des femmes, Comité départemental de la planification et de l’éducation familiale, Collectif double violence ( femmes battues rejetées devenues femmes sans papiers), « Du coté des femmes » de Muret.

Page 218: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 218

Le budget a été équilibré parce que plus de 90°/° des organisateurs et participants ont été des bénévoles. Les partenaires financiers sont la Mairie, l’Etat, la Région, le Département, la CAF.

3. Les objectifs

•••• Rassembler nos énergies autour du vivre ensemble ;

•••• Informer et échanger sur l’accès aux droits et à la citoyenneté, aux droits des femmes, droits civiques, droits de la famille, recours juridiques, confrontations des lois et des systèmes juridiques ;

•••• Dénoncer les discriminations envers les femmes (mariages arrangés ou forcés, de répudiation et de séquestration) et ainsi :

- Inciter à la prise de conscience, - Développer une politique d’accueil, - Proposer des lieux d’écoute, - Proposer des modifications en matière de législation et d’accord bilatéraux.

•••• Créer des réseaux de solidarité et d’entraide

4. les débats sous la tente, les repas, les temps festifs, les films

Les caravanières ont des informations sur le statut personnel des femmes redéfini dans la Moudawana pour le Maroc et dans le code de la famille pour l’Algérie (on l’appelle le code de l’infamie). Elles ont présenté leurs actions, évoqué leurs mobilisations, expliqué leur combat, parlé de leurs engagements : formation de jeunes (dans les collèges et les lycées), de magistrats, et de policiers. « Il s’agit bien du projet de société que l’on veut construire » dit Zohra.

La parole s’est libérée, certaines femmes ont pu s’exprimer et témoigner de leurs difficultés sans crainte. Elles parlent en arabe si elles ne savent pas le dire en français et quelqu’un traduit.

• Les témoignages sur la violence conjugale expriment la fragilité de leur situation.

• Témoignages aussi des discriminations faites aux femmes : au niveau de l’emploi, de la formation et plus généralement de la place des femmes dans la société.

• On a aussi abordé la question d’une représentation en politique et dans les carrières professionnelles. « Vis à vis des hommes, la femme n’est rien » « On ne reconnaît pas le travail que fait la femme à la maison. ».

• Témoignages de certaines femmes présentes mariées très jeunes, qui ont été délaissées avec deux ou trois enfants puis isolées ou mal informées sur leurs droits en France et au pays d’origine. Le mariage religieux n’étant pas reconnu, certaines se sont crues mariées, mais à l’occasion d’une demande de divorce ou autre, elles ont découvert qu’elles n’ont pas de statut, ce qui équivaut à être privées de certains droits.

• Témoignages sur le vécu des femmes confrontées à la « double législation » car, dans le Maghreb, la nationalité est donnée par le père et ne s’efface pas. Elles vivent en France, sont parfois françaises, confiantes dans le droit français, et se retrouvent à l’occasion d’un retour au pays, confrontées à une législation qu’elles ne connaissent pas, discriminante à leur égard dans les procédures de répudiation ou de divorce sans compensation. Parfois même, il y a confiscation de leurs papiers par le conjoint et de ceux de leurs enfants, ce qui les met en situation de détresse.

Page 219: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 219

• La situation des femmes dont les conjoints, qui ont parfois atteint l’âge de la retraite, retournent au pays. Ils convolent en de nouvelles noces et abandonnent leur première épouse, ou les laissent à la charge des grands enfants.

• La thématique principale et transversale à l’ensemble des débats a été celle des relations hommes-femmes abordées sous de multiples facettes :

- - Egalité hommes-femmes interrogée au regard des réalités et des vécus : emploi, relation de couple, partages des tâches ménagères.

- - Parentalité et éducation, reproduction et rupture.

- - Statuts personnels dans les pays d’origines, leur évolution.

- - Religion, traditions, laïcité.

On a souvent indiqué la difficulté à inscrire les rapports hommes-femmes dans le champ des droits civiques : les références religieuses constituent pour beaucoup les limites et le cadre de référence de ces rapports.

Pour ce thème, la présence des caravanières a été précieuse car, sur beaucoup de questions, elles ont permis :

= de pointer de fausses interprétations ainsi que de lever des confusions entre traditions et Islam ; = de montrer, par des exemples précis, d’une actualité récente (actes de barbarie commis au nom de l’Islam en Algérie), qui font sens dans l’esprit des gens quant aux dangers de l’instrumentalisation de la religion. D’où la nécessité de revenir à une pratique religieuse fondée à la fois sur l’esprit du texte, l’effort d’interprétation et sur une démarche spirituelle personnelle ; = de contextualiser la pratique religieuse par une approche historique.

• Le témoignage d’Hafid exprime l’ambiance Hafid El ALAOUI, un « personnage » à Bagatelle, président de la Maison de Quartier dit : « Il s’est passé quelque chose de vraiment fort, une expérience riche d’enseignement. En quelques jours, la caravane est devenue l’événement le plus important de Toulouse, un espace de liberté, d’échanges, de débat convivial et festif, animé par des femmes qui portent en elles des convictions fortes. Elles donnent des conseils, animent des tables rondes. Et cela varie chaque jour. Et puis un verrou a sauté. Et nous étions emportés par la générosité, l’élan de l’événement. On s’aperçoit que, même à des moments de silence, des femmes murmuraient, parlaient, chuchotaient, rêvaient, contestaient des règles qui leur était imposées. Pour entendre tout cela, il fallait tendre l’oreille, solliciter une parole étranglée, secouer la fatigue avec le risque de réveiller des blessures ».

• Le dialogue avec les jeunes

- Des rencontres de collégiens et collégiennes en présence des enseignants, des éducateurs sociaux qui travaillent depuis plusieurs années dans ces collèges.

- Le thème principal a été celui de la mixité, la problématique des rapports filles/garçons sur fond d’un climat tendu en ce qui concerne les questions de l’identité, des origines, de la religion et religiosité.

• Les temps festifs : danses

• Les contes. David Muller, président du Mouvement des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs, a réjoui son public par une rencontre « conte ». Les

Page 220: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 220

caravanières ont été très heureuses de cette rencontre de formation autour du conte et garde toujours des relations avec David, espérant sa venue dans leurs écoles.

• Les repas ont regroupé chaque fois jusqu’à environ 150 personnes favorisant des échanges fructueux à table.

• La projection de films a permis l’enrichissement des débats avec un nombre considérable de participants.

5. Le bilan juridique

Parallèlement aux débats sous la tente avait lieu, à l’écart, dans des locaux voisins, des consultations juridiques individuelles. Elles ont été très demandées. Elles ont été assurées chaque fois par au moins quatre personnes dont :

• Des femmes des associations marocaines et algériennes selon le pays d’origine des femmes reçues : une juriste et deux avocates marocaines de la Ligue des Droits des femmes, une avocate algérienne.

• Des femmes du Collectif « Droit des femmes – droit au séjour contre la double violence » militantes d’associations, un intervenant du SIDIFF (service information pour le droit international) et une avocate toulousaine.

Au total 96 personnes ont été reçues dont 90 femmes.

Les Thématiques abordées ont été :

- Droit international privé et droit de la famille 33 personnes dont 23 pour des divorces et 2 pour la Kefala (adoption) ;

- Violences conjugales : 15 personnes ;

- Enlèvement d’enfants : 1 personne ;

- Droits des étrangers en matière d’entrée et de séjour en France : 16 personnes ;

- Double violence : 17 personnes (femmes battues et renvoyées du domicile d’où perte de droit au séjour en France) ;

- Demande de nationalité française : 7 personnes ;

- Droit prud’homal : 1 personne ;

- Droit pénal : 4 personnes dont 2 vols de papiers par le mari ;

- Enfermement familial : 1 personne ;

- Divers : rapatriement de corps : 1 personne.

6. Visite au Préfet

Le dernier jour, le collectif interculturel a accompagné les caravanières pour une visite au Préfet avec des demandes bien précises.

Le collectif interculturel demande à l’Etat et aux collectivités territoriales d’étudier les modalités de mise en place et de soutien d’un programme :

Page 221: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 221

• d’application réelle des dispositions de la dernière loi CESEDA (loi Sarkozy) pour les femmes victimes de violences avant l’obtention du premier titre de séjour ou son renouvellement ;

• de négociation afin d’apporter des améliorations dans les traités bilatéraux et le droit international ;

• de formation des magistrats sur les violences conjugales ;

• de sensibilisation du personnel des consulats de France sur les problèmes de violences spécifiques aux femmes ;

• d’affectation d’un interlocuteur référent dans les consulats de France pour les représentants des associations comme la Ligue Démocratique des droits des femmes du Maroc ou des associations défendant les droits des personnes ;

• de valorisation de l’enseignement des langues et des cultures d’origines, leurs apports et leurs valeurs universelles, dans des établissements scolaires encadrées par L’Education Nationale ;

• Enfin, de reconnaître aux associations leur place d’experts de terrain. Les caravanières, avant de partir soulignaient que la réussite de cet événement résidait dans la priorité donnée à l’engagement et à l’expression des habitants. Les pistes de réflexion sont ouvertes, demandons donc à l’Etat, aux collectivités locales et territoriales de faire confiance aux associations, de les soutenir fortement et durablement, pour continuer de les explorer.

Les associations sont au plus près des besoins exprimés et savent repérer ce qui fait consensus. L’universalité du thème « égalités hommes/femmes » donne a chacun la possibilité de dire, de proposer, de témoigner, de donner au delà des clivages et des catégories.

Tout au début, ce projet est né à l’initiative d’un petit groupe de jeunes filles du quartier ; initiative reprise par les associations de terrain. L’ampleur prise par ce projet et la qualité des interventions et de l’organisation dans chacun des quartiers est le fait de la mobilisation du réseau associatif, ce même réseau qui est fragilisé et mis à mal aujourd’hui par la baisse des crédits de fonctionnement.

7. Perspective d’avenir pour construire une réciprocité :

Il y a eu un AVANT Caravane, le TEMPS de la Caravane, et maintenant nous sommes dans l’APRES Caravane :

Voici les orientations et actions en perspective :

• Nécessité de poursuivre et d’approfondir les liens ;

• Voyage en Algérie, au Maroc et en Tunisie ;

• Participation à des opérations « Caravane » en Algérie, au Maroc, en Tunisie ;

• Consolidations des liens entre les associations d’ici et là-bas et soutien des femmes avec des problématiques notamment de violences qui ont besoin de connaître leurs droits ici et là-bas ;

• Diffusion de films et poursuite de débats ;

• Réalisation d’un film VIDEO ;

• Mise en place d’un bus itinérant sur les marchés pour dispenser des informations aux femmes sur la santé, les papiers, le droit de la famille et le droit international privé ;

Page 222: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 222

• création d’un site ou d’un blog-internet pour un fond documentaire littéraire commun avec l’école de la citoyenneté de Casablanca ;

• Action de sensibilisation sur la mixité filles /garçons dans les collèges et lycées ;

• Constitutions des outils pédagogiques communs pour la prévention des comportements sexistes ;

• Organisation d’une caravane des collèges ;

• Encouragement des échanges épistolaires ;

• Mise en place et promotion des formations adaptées sur l’égalité homme/femmes auprès des travailleurs sociaux et des organismes des formations dans le secteur socioculturelle ;

• Invitation des intellectuels et des formateurs des pays d’origine pour une meilleure compréhension de la culture du Maghreb moderne sur les questions juridiques.

Suite à cette Caravane, nous chercherons à convaincre des avocats et le SIDIFF à se joindre au collectif « Double Violence » pour :

-- La création d’un réseau entre avocats/tes, juristes et associations marocaines, algériennes et toulousaines autour du droit international privé permettant le travail en commun sur des situations particulières de femmes.

-- La création d’une instance mixte associant juristes et associations des deux rives pour travailler sur les aspects discriminatoires des conventions bilatérales.

Caravane a construit déjà des solidarités lorsque des associations d’un même quartier ont travaillé ensemble. David Muller entretient des relations sur les contes avec une institutrice de Rabat. Des femmes du Mirail ont retrouvé des militantes du droit des femmes au Maroc lors de jugement pour des héritages. Des échanges épistolaires entre lycéens sont en cours ainsi qu’un voyage. Un rapprochement des deux rives de la Méditerranée s’est fait.

La projection de films sur les violences faites aux femmes a eu lieu à Bagatelle organisée par l’Arc en ciel des Savoirs, la Maison de Quartier et l’association « Escapade ».

Didier Bodin : « Réciprocité et confiance – une stratégie pour l'interculturalité »

Processus de construction des savoirs et de l'apprendre. Convergences et diversités

Je situe l'atelier dans le contexte de « liance – déliance – reliance », cher à Edgar Morin. Dans ce contexte s'insère la dynamique du tiers inclus, que j'interprète comme la théorie de la médiation, telle qu'elle est mise en pratique dans les réseaux (en principe). Cette théorie, démontrée par Lupasco, Morin et d'autres, est mise en lumière d'une manière particulière par Dominique Temple qui rejoint les échanges réciproques de savoirs tels que nous les pratiquons en Italie. (Avec en particulier les théories de Batteson et ses successeurs sur la communication, et d’Illich sur les destructions opérées par l'institutionnalisation de pratiques spontanées.) C'est-à-dire que la réciprocité est la base des relations humaines de tout groupe social, toute culture, quelle que soit son origine. Et (en simplifiant) c'est la culture européo/nord/américaine qui a « perverti » l'échange réciproque en échange marchand. Et ce, jusqu'à la destruction de toute structure de relation sociale que nous vivons aujourd'hui.

Page 223: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 223

Voici la transmission, proposée par Didier Bodin, d’éléments d’un mémoire de DEA de Laetitia Gougis sur Réseaux et reliance.

Laetitia Gougis : « Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs et reliance »

1. Qu’est-ce que les RERS ?

Les réseaux d’échanges réciproques de savoirs sont apparus dans les années 70 sous l’impulsion de Claire et Marc Héber-Suffrin. C’est tout d’abord en se formant que Claire fonctionna en échangeant des savoirs avec d’autres institutrices tout en adoptant les démarches de la pédagogie Freinet. C’est ensuite pour lutter contre la catégorisation des élèves et pour la reconnaissance de la richesse de chacun qu’elle commença à développer les réseaux dans l’école. Avec une philosophie basée sur des principes de réciprocité ouverte, d’échange non monétaire, de parité, d’égalité entre tous les savoirs les réseaux se développent entre l’école et le quartier avec la participation des parents d’élèves puis des commerçants du quartier. Les réseaux se développeront ensuite dans de nombreuses villes de France et à l’étranger. Un mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs s’est alors crée avec pour but de rassembler toutes ces initiatives, de les mettre en réseau avec la volonté de produire une réflexion scientifique sur cette démarche éducative et humaniste. Une équivalence de diplôme a également vu le jour grâce à la reconnaissance de cette initiative par l’université de Tours : la possibilité pour les membres des réseaux, à partir d’une validation des acquis, préparer une maîtrise. Ces réseaux se développent donc en réseau La pluralité des personnes, des cultures des savoirs des lieux d’apprentissages des méthodes des initiatives et des motivations constituent un système. Il s’agit d’une création collective à finalité de changement social avec le principe d’accès universel au savoir. C’est avec le souci constant de conjuguer intérêt individuel des membres et intérêt général que les réseaux se sont développés.

2. Comment les RERS se définissent ils en réseau ?

Il s’agit d’une auto-organis/action en contexte. D’une auto-éco-ré-organis’action. Autrement dit de l’action organisée de l’homme par l’homme et pour l’homme prenant en compte la gestion et la préservation de son environnement social et naturel. On pourrait bien parler ici de l’homositus. IL s’agit donc d’une organisation informelle en maillage créateur, toujours en mouvement. Ce réseau est donc en évolution et en création permanente. Un tissage continu et jamais achevé. Les noyaux de ce réseau pourraient être les hommes, les individus qui échangent les savoirs, chacun avec la richesse de ses différences et de ses multiples savoirs. Les savoirs pourraient alors être la trame entre ces noyaux, le tissage existe alors pour chacun, s’inscrit dans l’évolution même de chacun individu. Au sein de ce réseau, les rencontres sont réelles et c’est la rencontre qui active le processus de tissage. La fibre est humaine et la rencontre font le lien, les fils indispensables au tissage. La rencontre, l’étonnement, le sentiment d’humanité partagé, de reliance voilà ce qui anime les échanges réciproques. Un individu est en interaction entre plusieurs échanges. Les liens sont multiplexes, il y a une multicentralité interactive.

Page 224: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 224

Le lien essentiel entre les individus est le savoir. Cependant ce lien est multiplexe car amitié, échanges de service, création commune, initiatives, peuvent se développer dans la reliance de l’échange.

Interaction, rencontre et reliance des individus échangeant les savoirs. Ouverture sur l’extérieur par la réciprocité ouverte indispensable à l’enrichissement de la différence, à l’ouverture sur le monde et à la diversité des savoirs. Elle introduit un mouvement incessant, un va-et-vient nécessaire.

On peut donc parler de compulsion interne et externe au sein des RERS.

Compulsion interne : on vient au sein d’un RERS pour :

- apprendre des savoirs,

- enseigner des savoirs,

- rencontrer d’autres personnes,

- lutter contre l’isolement,

- lutter contre l’individualisme,

- être reconnu,

- apprendre et enseigner sans échange monétaire.

Compulsion externe : - logique d’éducation populaire,

- projet de transformation sociale : auto/éco/ré/organis’action en contexte : alternative à la globalisation,

- connaissance de la diversité et ouverture sur le monde,

- recherche de la richesse par l’ouverture,

- valorisation de l’ouverture,

Page 225: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 225

- projet personnel d’ascension sociale,

- compréhension du fonctionnement de l’environnement (économique, social, environnemental, administratif),

- Fonctionnement en réseau non hiérarchisé mais transversal.

3. Apports et limites de l’analyse structurale des Réseaux d’acteurs sociaux

Apports L’analyse en réseau permet de voir les relations dans leur mouvement, de visualiser un fonctionnement. La situation en réseau prend forme mouvante dans l’espace-temps.

Les RERS englobent : (ouvrage des réseaux sociaux de LEMIEUX)

- la base territoriale, - la base industrielle, - amitiés et connaissances.

On peut dire que le Réseau d’échanges réciproques de savoirs est également à l’interaction de multiples formes de réseaux : Ils regroupent alors réseaux : - d’affinités (logique de recherche et de découverte d’affinités lors des échanges), - d’amitiés (élargissement du réseau en regroupant les réseaux d’affinité, groupabilité et base de création du réseau), - de parentés (certaines personnes du réseau ont amené leurs parents : D. demande l’arthérapie, elle a amené son fils qui enseigne l’informatique, - d’association (lien avec d’autres associations/MDQ et parcours personnels), - de mobilisation (lien avec mouvement alter mondialiste pour certains), - de soutien… pour tous.

Les RERS sont transversaux et revendiquent surtout la complémentarité comme richesse de fonctionnement, d’échange et d’organisation. Ils fonctionnent aussi sur la base de la proximité territoriale et relationnelle.

Les RERS entrent dans la catégorie des réseaux émergents. « L’ensemble des relations qui unissent les acteurs et les actrices d’une organisation, que ces relations soient formalisées ou non ». Les RERS peuvent être formalisés comme au sein des maisons de quartiers et des lieux ressources ou pas formalisées.

Critique

Le problème de l’analyse structurale est qu’elle veut d’étudier un mouvement qu’elle fige, ce qui n’a pas de sens. Figer une image relationnelle et la quantifier prouve seulement une volonté de rationaliser les comportements sans chercher à les comprendre dans leur profondeur et leur complexité. Figer l’image d’un RERS paraîtrait absurde car il s’agit d’une forme de fonctionnement et d’une représentation qualitative des individus et de leurs intentions variant d’un réseau à l’autre. L’analyse des réseaux sociaux s’est trouvé un nom de reconnaissance scientifique à travers celui de la sociométrie. Cependant, comme nous avons pu le constater, les RERS comportent à la fois presque toutes les formes de réseaux et ne peut se définir en aucune. Les RERS ont une finalité qui les dépasse. Le fonctionnement de ceux-ci n’a pour base qu’un fondement éthique et philosophique humaniste et l’action des réseaux est en perpétuelle création et destruction, elle est en liance, en déliance mais subsiste et

Page 226: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 226

existe car elle introduit la reliance nécessaire à chacun et à la compréhension de son environnement pour une action raisonnée.

4. Les RERS : un réseau en mouvement incessant, la reliance

Au lieu de partir de la structure, partir de la base formant cette structure m’a davantage attirée. Qu’est ce qui est à la base des RERS ? Qu’est-ce qui nous fait vivre ces moments de rencontre et de partage ? Quelle aspiration commune nous fait être ensemble ? Un mot est alors remonté de l’action vécue : celui de liance. Ce mot permettrait d’analyser le réseau par rapport à ce qui forme les liens, au mouvement nécessaire à la vie de ces liens.qui permettent une création, l’action du sens commun. Clauss avait utilisé ce concept en parlant de reliance à travers la radio, pour le passage des informations. Bolle de Bal (BDB) a, quant à lui, proposé le mot de reliance comme fondement de la dynamique. Ce mot est lui aussi sorti de l’action vécue mais une action vécue dans un but commun à tous dans la préservation de l’état écologique de la planète. L’histoire même du concept est surprenante puisqu’il s’est formé en Réseaux d’échanges réciproques de savoirs. En effet, il émerge tout d’abord d’une action citoyenne et BDB décide d’ouvrir le concept à toutes les disciplines. Chacun apporte donc ce qui résonne en lui sur ce concept à travers la définition « d’acte de relier ». Chaque chercheur a donc enrichi ce concept de sa réflexion pour en faire un concept complexe mais reliant enfin les disciplines des sciences humaines et sociales… psychologie, philosophie, sociologie, ethnologie, sciences de l’éducation, économie… Ce concept fut une invitation à participer, à créer ensemble dans la diversité des pensées et des cultures. Chacun y a apporté ce qui lui semblait le plus juste. Retrouver un sens commun raisonné de ce concept permet une évolution sociétale issue d’une recherche collective.

4.1 Théories de la reliance

La liance serait l’état originel de fusion dans le ventre de la mère. Ce terme fait alors référence à la psychologie. La liance est le lien humain originel. L’acte de rencontre. Edgar Morin parle de vide primordial, d’un état d’indifférenciation. J’ajouterai que cet état me paraît proche de l’étonnement. Ainsi, l’adieu à la liance lors de l’accouchement entraîne l’expérience de la déliance. Après cette déliance première, l’être sera en quête perpétuelle de re/liance.

La déliance : acte de séparation. Une reliance entraîne toujours une déliance ailleurs. Reliances et dé/liances forment un mouvement incessant, un va et vient évolutif et créatif. Le fait de nommer un acte, une action ou une chose la délie de son objet. Médiatiser un fait, une pensée le délie de même, introduit une distance et un jugement. L’objet n’est plus un tout mais se scinde. L’acte de recherche délie, l’institutionnalisation aussi. On pourrait également parler de la récupération marchande comme déliance.

La reliance : La reliance serait donc : l’acte de relier. La reliance agit (issue de l’étonnement) Le résultat de cet acte : la reliance vécue. La reliance est donc la création de liens. La déliance acceptée est aussi une forme de reliance. Une forte idée de passage et de porte existe au sein du concept de reliance comme au sein des RERS.

4.2 Richesse de la reliance dans la situation des RERS :

La liance : acte de se lier avec la volonté de s’enrichir des différences. Rencontre la plus objective et positive possible. ?

Page 227: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 227

La charte des RERS et la démarche de venir au réseau prend part et prédispose à de telles rencontres. Elle répond à une volonté de création collective, elle contribue ainsi à développer notre humanité. Au sein des RERS, plusieurs formes de reliances s’unissent en ne suivant qu’une seule trame, celle de l’équilibre intérieur pour la voie de l’ouverture au monde. Une reconnaissance de soi pour l’ouverture sur la diversité raisonnée du monde…

La reliance à soi existe à travers :

- la déconstruction de ses propres savoirs qui induisent une construction personnelle,

- meilleure connaissance de soi,

- confiance en soi (valorisation de la perception de compétences),

- connaissance de ses limites et dépassement de soi,

Les RERS permettent une re/construction identitaire.

La reliance aux autres existe à travers :

- aucun contrôle social,

- charte qui implique l’écoute, la reconnaissance fondamentale de l’autre,

- ateliers,

- l’échange des savoirs,

- moments de convivialité, moments partagés,

- reconnaissance de chacun,

- richesse de la diversité,

- reliance entre les générations, les cultures, les situations sociales.

La reliance au monde existe à travers :

- éducation populaire,

- réation de richesse humaine et sociale,

- ouverture d’esprit indispensable,

- aide à la compréhension du monde par les savoirs, les rencontres, la connaissance de soi.

La reliance entre les savoirs :

- égalité de tous les savoirs,

- recherche de complémentarité,

- savoirs manuels et intellectuels.

Le RERS peut être symbolisé par une porte ouverte. Une porte ouverte sur la connaissance de soi, des autres et du monde. La reliance est d’autant plus un pont.

4.3 Reliance avec l’économie sociale et solidaire

L’existence des réseaux formalisés et non formalisés prouvent non seulement leur utilité sociale pour les individus qui fonctionnent en réseau par leur propre initiative ainsi que leur utilité sociale publique portant l’intérêt général et s’inscrivant dans un projet de société. On retrouve ici la compulsion interne et externe des RERS.

Page 228: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 228

Ce concept créatif et en mouvement à une dimension humaniste certaine puisqu’il fonde la rencontre : rencontre des hommes, de leurs actes et de leurs pensées. Il fonde la plus-value sociale. La reliance n’est elle pas l’expression de cette plus-value sociale ? Parler de reliance en économie sociale et solidaire ne serait-il pas plus approprié que de parler de plus-value afin d’être reconnu par la science économique ? Ce concept parle en effet d’appartenance réciproque, de lien non institutionnalisé, de création et de reconnaissance de la richesse des hommes. La reliance n’est elle pas ce qui fonde l’utilité sociale ? Le besoin de reconnaissance s’exprime à travers la reliance. La reliance est le rassemblement de ceux qui cherchent une reconnaissance en dehors de l’économie de marché instituée, et en dehors du contrôle social assigné par le travail.

La reliance prouve la nécessaire reconnaissance des initiatives créatrices, de l’homme dans son environnement naturel, des échanges culturels et de savoirs, échanges de services (sels, égalité des services, RERS égalité des savoirs, commerce équitable égalité des marchandises, reconnaissance des cultures, égalité des peuples, nécessité et respect de l’environnement naturel).

Besoin de reliance rendu particulièrement aiguë à cause des carences de la société moderne et de consommation (inégalités des savoirs, reconnaissance par l’argent et le pouvoir, éducation à la similitude et non à la diversité, richesse du matériel et non des hommes). La reliance fonde la nécessaire convivialité : la richesse de l’être ensemble, du faire ensemble, du vivre ensemble pour faire société.

« Sans reliance rien ne peut se construire de façon durable, nécessaire et solidaire ». La reliance entre les initiatives individuelles et collectives elles mêmes motivées par le besoin de reliance et de raisonnement d’un réel sens commun, base de créations collectives pour un changement social.

Mariano Capitanio107

: « S’ouvrir à l’autre par des réseaux écosolidaires » Le réseau est un organisme vivant parce qu’il est formé d’êtres humains et ses aliments, ce sont les échanges. Nous vivons dans une société qui affirme que chaque être humain est égal aux autres, mais réellement elle fonctionne au contraire. Dans les réseaux d’échanges réciproques des savoirs, on peut faire expérience de vraie parité parce que le principe des réseaux est la réciprocité, c’est-à-dire que chacun apprend de quelqu’un et il apprend à quelqu’un. La parité signifie avoir du respect qui naît quand on se reconnait réciproquement

107

Coordinateur d’APRIRSI.

UTILITE PUBLIQUE UTILITE SOCIALE

Politique de civilisation Médiatisation raisonnée Reliance déliance liance

Page 229: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 229

transmetteurs des savoirs et donc de richesses pour les autres, dans la diversité de chacun. Nous pouvons avoir du respect de l’autre personne quand nous reconnaissons que tous les savoirs ont la même valeur.

Le guichet CHERCHETROUVE que j’anime à Camisano Vicentino ne donne pas seulement des informations sur l’école, le travail, la maison et la santé mais permet des échanges réciproques de savoirs ; son but est de tisser un parcours d’enrichissement réciproque par différentes rencontres. L’événement interculturel FIESTAMONDO est le résultat des échanges qui se sont développés grâce à la participation au guichet des personnes, groupes et associations italiennes et étrangères.

Depuis huit ans je m’occupe d’animation de différentes « situations rézotaires » dans notre territoire « venete » et, depuis cinq ans, du réseau d’échanges réciproques de savoirs dans ma petite ville de 10.000 habitants qui s’appelle Camisano Vicentino : j’y travaille comme enseignant aussi à l’école publique obligatoire et je suis associé du Comité de parents.

Pendant ces années avec les autres associés APRIRSi, je me suis engagé à idéer, élaborer et réaliser plusieurs genres de projets, dont un certain nombre a eu comme point focal le phénomène de l’immigration

C’est en vérité un phénomène récent pour l’Italie, très complexe du point de vue politique, économique, sociale, scolaire et culturel : pour nous d’APRIRSi et pour les adhérents aux réseaux locaux cette nouveauté dans notre composition sociale nous a donné l’envie pour concrétiser notre « pensée pratique » – définition d’une amie journaliste spécialiste en interculturalité – qui veut promouvoir l’ouverture vers l’autre par la solidarité active pratiquée par les participants aux réseaux.

Avec Paola, associée d’APRIRSi, je suis parent de Lara, 12 ans, qui fréquente l’école publique avec plusieurs élèves de différentes nationalités, de l’Europe orientale (Bosnie, Serbie, Albanie, Pologne) ou d’autres continents comme l’Amérique du sud (Chili, Argentine, Pérou), l’Afrique (Maroc, Cote d’Ivoire, Burkina) et l’Asie (Chine). Sur mille élèves des écoles de Camisano, un 20% est constitué par les élèves étrangers de 19 différentes nationalités : notre dernier projet s’appelle en effet Un réseau solidaire pour Camisano, petite ville du monde.

Pour nous d’APRIRSi et pour plusieurs adhérents aux réseaux locaux la pédagogie de la réciprocité a été stimulante en raison du fait qu’elle s’articule en cinq valeurs/dimensions *, précisément :

• le don qui s’exprime par les échanges de savoirs peut enrichir réciproquement qui donne et en même temps qui reçoit : sûrement personne ne devient plus pauvre ! Comme vous dites bien : Chacun gagne le beurre de l’autre et conserve son propre !

• la parité entre l’enseignant et l’élève, c’est-à-dire entre l’italien et l’étranger, est expérimenté par l’alternance de deux rôles ;

• socioformative qui permet d’harmoniser les situations de l’apprentissage réciproque avant, durant et après ;

• statutaire comme possibilité d’apprendre à apprendre, compétence indispensable pour la transculturalité ** ;

• coopérative et solidaire dans la construction des systèmes et de formes pour apprendre ensemble, par exemple : organisations des recherches interdisciplinaires ou de jardins didactiques dans des classes multiculturelles ; groupes musicaux mixtes ; guichets informatifs ; cours d’italien pour les parents étrangers ; fêtes interculturelles.

Page 230: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 230

Nous avons cherché à transformer cette déclinaison de la réciprocité solidaire et à l’adapter aux caractéristiques scolaires et sociales du notre territoire.

Nous avons alors commencé à explorer nos savoirs-expériences personnelles et associatives pour aller à la recherche d’autres personnes, situations, groupes ou associations italiennes et étrangères porteuses d’autres savoirs/expériences pour les faire interagir ; en particulier dans la dimension formatrice, nous avons trouvé, dans la théorie de la complexité et de la communication écologique, des bases intéressantes pour nos actions, projets et réflexions aussi.

Chemin faisant, nous avons eu la possibilité de faire de la formation spécifique sur l’interculturalité en 2005 à Séverac, Cantal, dans un groupe de travail sur les modules de formation interculturelle ; pendant l’été 2006, j’ai vécu une inoubliable expérience de « formation nomade » avec ma famille, deux coopérants italiens et deux associées APRIRSi dans le projet « Une valise bleue », des échanges réciproques de savoirs entre les deux rives de la mer Méditerranée, c’est-à-dire des groupes d’associations comme L’Union de Fès, ADA de l’oasis de Figuig, Caravane civique et Club du livre animés par Jamila Hassoune, à Marrakech au Maroc. En avant et en même temps, nous avons travaillé dans des groupes d’étude qui ont échangé connaissances et convivialité sur les domaines de la complexité et de la communication écologique. Enfin, depuis le 2007 et jusqu’à 2009, nous allons échanger savoirs et expériences personnelles et associatives sur plusieurs domaines, l’interculturel aussi, avec d’autres groupes, associations et institutions italiennes, belges et françaises par le projet de partenariat européen FRESC-EU (Formations Réciproques et Solidaires entre Collectifs Européens).

En ce moment, je vais chercher à donner une forme de « carte orientative » à l’ensemble des savoirs nécessaires pour promouvoir la réciprocité interculturelle : le contenu est visible dans l’annexe « INTERCULTURES », épreuve de module de formation que j’ai proposé aux participants de la rencontre FRESC-EU de Vicenza en octobre 2008. J’ai essayé de composer des caractéristiques choisies entre trois différents domaines, c’est-à-dire les savoirs de la pédagogie du réseau d’échanges réciproques de savoirs, de la complexité et de la communication écologique : ce n’est pas important, l’ordre hiérarchique, mais la possibilité de trouver des relations génératrices de connexions entre les différents savoirs et compétences.

Entre les savoirs de la pédagogie j’ai choisi ces « directrices » :

• La rencontre comme relation,

• Animation et médiation,

• Formation et autoformation + Exercices et instruments.

Pour les savoirs de la complexité :

• Phénomène immigration,

• Idéer et projeter,

• Forme graphique et multimédiale,

• Formation et autoformation + Exercices et instruments.

Entre les savoirs de la communication écologique :

• Individuer les contextes,

• Choix des approches,

• Connaître et reconnaître,

Page 231: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 231

• Formation et autoformation + Exercices et instruments.

Par cette description synthétique, j’espère partager avec vous des indications qui concernent soit la nécessité et la beauté de la connexion entre différents savoirs, prélude et accompagnement aux rencontres et aux échanges d’ouverture à l’autre ; chance de construction collective d’une société dans laquelle il soit possible de vivre comme des citoyens d’un monde finalement vraiment solidaire.

AAtteelliieerr BB 22..1100 :: RRéécciipprroocciittéé eett mmééddiiaattiioonn

Annie Herr108

: « Des mises en relations collectives dans le RERS de Compiègne » La première situation d’échange collectif a été expérimentée lors de la manifestation organisée à Compiègne pour le dixième anniversaire de « Ricochets des savoirs ». De nombreux visiteurs n’étaient pas impliqués dans la démarche d’échanges de savoirs, aussi une animation de l’après midi favorisait la mise en situation. Claire Héber-Suffrin avait bien voulu piloter cette expérience. Une vingtaine de personnes étaient volontaires.

L’organisation s’est déroulée selon les étapes suivantes :

Constitution de petits groupes de 5 à 6 personnes

Premier temps :

- Pendant dix minutes, chaque personne échange dans le sous groupe un souvenir d’apprentissage agréable : ce que j’aime faire.

- Retour vers le grand groupe de ce que chaque sous groupe retire de cet échange.

Deuxième temps :

- Pendant dix minutes, chaque personne échange dans le sous groupe : ce que je sais faire.

- Retour vers le grand groupe de ce que chaque sous groupe retire de cet échange.

Troisième temps :

- Pendant dix minutes chaque personne exprime dans le sous groupe : ce que j’ai envie de transmettre.

- Retour vers le grand groupe de ce que chaque sous groupe retire de cet échange.

Immédiatement, les interactions entre les personnes se mettaient en acte.

Les uns rebondissant sur les témoignages des autres découvraient soit des savoirs enfouis non valorisés, soit des désirs de savoirs qui pouvaient être satisfaits.

Cette expérience est renouvelée régulièrement à Ricochets des Savoirs.

Deux formes sont retenues

1° Les mises en relation collectives « tous thèmes » dont les buts sont

108

Coordinatrice du RERS de Compiègne (Oise, France).

Page 232: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 232

- Impulser une rencontre entre les membres,

- Permettre aux membres de refaire le point des offres et demandes qui sont disponibles,

- Favoriser l’émergence de nouvelles offres et demandes.

2° Les mises en relation collectives « par thèmes » ex. cuisine, langues étrangères, informatique… dont les buts sont :

- Impulser une rencontre entre les membres,

- Permettre aux membres de refaire le point des offres et demandes qui sont disponibles,

- Prendre des rendez-vous pour finaliser les modalités de fonctionnement des échanges qui ont été mis en évidence.

Lors de ces rencontres, qui réunissent 12 à 25 personnes, la difficulté dans l’animation est souvent liée

- aux foisonnements des expressions,

- à la frustration des personnes qui n’ont pas pu participer à tous les sous groupes,

- au repérage de tous les échanges possibles à formaliser, et aux rendez-vous à prendre pour réaliser ensuite les mises en relation concernant chaque échange.

J’ai également travaillé cette mise en situation en formation

1. Dans le cadre de formations initiales dispensées aux futurs travailleurs sociaux ;

- module de sciences de l’éducation auprès des Assistants de service social.

- connaissances des structures d’animations de quartiers auprès des éducateurs spécialisés.

2. Dans le cadre universitaire lors de séminaires avec des étudiants en Master professionnel II, discipline sciences de l’éducation.

La méthodologie est alors adaptée en fonction des points recherchés.

La constitution de sous-groupes de cinq à six personnes, avec des allers-retours vers le grand groupe, est toujours réalisée. Cela favorise la participation active de chacun par la prise de parole et une écoute bienveillante. Le témoignage vers le grand groupe de ce qui s’est passé dans le sous-groupe favorise la communication sur le fonctionnement du groupe et ses interactions (on peut le théoriser par de la métacommunication).

Avec les éducateurs, il s’agit de les accompagner également dans la perception que chacun se réalise dans la confiance en soit et la reconnaissance par les autres :

La première consigne est, de ce fait, basée sur les conditions environnementales qui ont contribué à rendre les apprentissages agréables. Cela favorise la mise en évidence des capacités et limites intrinsèques à chaque humain, certain aimant les situations que d’autres exècrent. Cela permet de déconstruire certaines idées reçues quant à l’universalité de certains modes d’apprentissage. Les apprentissages académiques côtoient souvent les apprentissages liés à l’expérience, à un environnement affectif bienveillant.

Les assistants sociaux, quant à eux, travaillent leur positionnement lors des accompagnements avec les personnes. Leur formation les sensibilise à repérer les difficultés qui freinent les personnes dans leur vie quotidienne. La rencontre avec les échanges de savoirs permet de travailler des ressources environnementales à mettre au service des publics, elle permet aussi

Page 233: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 233

de les sensibiliser aux ressources qui construisent tout individu au même titre que ses difficultés. Traditionnellement organisé vers la relation individuelle, leur cursus de formation comprend une Unité de Valeur liée aux interventions sociales d’intérêt collectif, depuis quatre ans. Les mises en relation collectives illustrent, de façon très concrète, les interactions positives à l’œuvre dans de telles pratiques.

Avec les étudiants en master professionnel, il est surtout question d’approcher une méthode éducative non académique. Leur préoccupation se porte sur les types de savoirs (académiques, expérimentaux, théoriques, pratiques), la valorisation possible dans le domaine de l’insertion professionnelle, les possibilités de réaliser des validations d’acquis de l’expérience, les postures dans l’apprentissage, le type de reconnaissance de ces savoirs par les professionnels de la formation.

Les étudiants sont sensibilisés à la décomposition des savoirs en d’autres savoirs transférables dans d’autres situations.

C’est donc sur cet aspect de la mise en relation que je les invite à être vigilants quand ils rebondissent, de l’expérience de l’un à celle de l’autre, qui leur paraît recueillir des compétences similaires.

Dans toutes les situations, lors de la mise en relation, le demandeur est toujours invité à prendre la parole en premier. C’est lui qui exprime ses attentes « pédagogiques » d’apprentissage, l’offreur dit ensuite si ces méthodes lui paraissent possibles à mettre en œuvre ou pas. En rupture avec la situation scolaire « classique », c’est celui qui souhaite apprendre qui demande à être dans la position la plus confortable pour lui. Celui qui possède le savoir fait, lui, un effort dans la méthode de transmission, ce qui viendra en fait renforcer son savoir.

Ex : Nadia et Paul sont demandeurs, Christopher est offreur en guitare.

Nadia souhaite apprendre la guitare par la pratique sans solfège, et Paul, lui, souhaite apprendre à jouer une partition déjà écrite, c’est ensuite à Christopher de dire comment il peut transmettre. Une discussion et des aménagements sont négociés, mais si la pédagogie proposée ne correspond pas du tout aux attentes, l’échange n’est pas engagé.

En terme d’organisation matérielle, les diverses expériences ont montré que la méthode la plus souple pour réaliser des repérages d’échanges est de travailler avec des papiers collants (post-it) de deux couleurs :

- Une couleur pour les offres,

- Une couleur pour les demandes.

Lors de la troisième consigne (qu’est-ce que je peux offrir) les post-it sont remplis. L’affichage se fait rapidement, les offres sont annoncées à tous en même temps que leur affichage sur un côté du mur visible par tous. De nouvelles offres rebondissent.

Les demandes jaillissent en échos. Elles sont alors affichées sur l’autre coté du mur.

Des échanges deviennent alors évidents et toutes les fiches d’offres et de demandes du même domaine sont regroupées par thème au centre du mur.

L’ensemble des conditions concrètes (prise de rendez-vous, lieu de l’échange, durée, objectifs de chacun, modalité d’apprentissage et de transmission) des échanges potentiels ne peut pas se réaliser sur place. Dans les cursus de formation, seule une situation réelle peut être réalisée

Page 234: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 234

à titre d’exemple. Les outils (grilles d’entretiens et les fiches formalisant ces échanges) sont remis aux étudiants, qui peuvent s’en saisir ou créer leurs propres méthodes s’ils le souhaitent pour aller plus avant dans la démarche.

Nos outils

Guide d’entretien de la mise en relation

Préalablement, la demande (les demandes) et l’offre (les offres) correspondante(s) ont été croisées. Le demandeur (ou les demandeurs), l’offreur (ou les offreurs) sont invités à venir se rencontrer avec la personne qui va être le médiateur de cette rencontre. Ce médiateur peut être l’animateur de l’association ou tout autre membre du réseau qui s’est formé à la mise en relation.

- Le médiateur accueille demandeur et offreur : o Présente et exprime ses offres, ses demandes, ses échanges. o Propose au demandeur d’en faire autant, puis à l’offreur. Le médiateur resitue rapidement l’objectif de la rencontre qui est de poser clairement l’ensemble des conditions de l’échange pour favoriser sa réussite.

La demande « du jour » est ensuite étudiée. (Le demandeur étant interpellé en premier).

- La médiation permet de clarification les attentes : o objectifs attendus, motivation de chacun dans cet échange, o méthodes pédagogiques de transmission souhaitées, o disponibilité dans le temps, fréquence des rencontres, durée prévisible de l’échange,

Page 235: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 235

o lieu de l’échange, o matériel nécessaire, répartition des frais si besoin.

- Une fiche de mise en relation est alors établie, pour fixer l’ensemble de ces modalités. Le médiateur se met à la disposition de chacun si des aménagements sont à réaliser durant l’échange ou si des difficultés apparaissent. Selon la durée de l’échange envisagée.

- Un point après quelques semaines est programmé

- Un bilan final sera réalisé. Il aura pour objectif de o Reprendre l’ensemble des éléments qui ont contribué à faciliter cet apprentissage ou qui

l’ont freiné. o Solliciter le demandeur pour qu’il soit offreur à son tour. o Envisager de nouveaux échanges avec chacun.

Claudine Lepsâtre109

et Jean-Yves Lods110

: « Les mises en relations collectives dans le RERS d’Orly »

Mises en relation collectives : Comment nous y sommes arrivés

En 2001, notre réseau d’Orly a failli disparaître, nous n’avions plus de local, plus de salariée. Il restait une poignée de cinq volontaires qui se sont retrouvés en septembre pour voir ce qu’ils pouvaient envisager de faire.

Nous avons décidé de reprendre la merveilleuse idée des échanges réciproques de savoirs mais de manière nomade. Accueillis par la MJC et d’autres lieux, nous avons mis sur pieds des statuts solides et cohérents et nous avons démarré par plusieurs ateliers qui ont eu du succès.

Nous ne savions pas faire les mises en relation pour faire fonctionner les échanges de gré à gré (que nous appelons GAG). Nous nous contentions de donner les coordonnées des offreurs aux demandeurs et vice versa et ça ne marchait pas.

C’est en 2005 que nous avons eu la chance d’avoir comme adhérente Maryannick, une professionnelle de la communication, et elle nous a appris à faire des mises en relations individuelles ; mais seule l’une d’entre nous, Claudine, a vraiment acquis cette technique. Pour les autres, cela paraissait trop lourd et presque du « flicage » et nous n’arrivions pas à le faire.

Pour arriver à une mise en relation, il fallait une bonne dizaine de coups de téléphone et des rendez-vous, parfois ratés, l'impression de faire du « forcing » avant d’obtenir une première rencontre. Elle avait une impression de gâchis ; des gens disparaissaient faute d'avoir été mis en relation avec quelqu'un.

Le nombre d’adhérents augmentant, Claudine, à elle seule, ne pouvait plus suffire à assurer cette tâche.

Et puis, Claire Héber-Suffrin est venue nous montrer « la mise en relation collective ». Nous avons réuni des membres des réseaux voisins et, pendant une journée de formation, nous avons joué à la mise en relation collective et cela nous a paru bien plus efficace et léger et mieux répondre à nos attentes.

109

Animatrice bénévole du RERS. 110

Animateur bénévole du RERS.

Page 236: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 236

Maintenant nous fonctionnons surtout avec cette méthode appelée bourse aux échanges. Et ça marche.

Attention, il ne faut pas oublier ceux qui ne peuvent pas assister à la bourse aux échanges et ceux qui n’y trouvent pas réponse à leur attente.

Nous avons donc créé une équipe GAG, qui se réunit à peu près une fois par mois et, en tout cas, quelques jours après chaque bourse pour passer en revue la liste de tous les adhérents et prendre en charge ceux qui sont restés sur le bord de la route. Pour eux, nous reprenons la mise en relation personnalisée.

Nous cherchons encore à améliorer ce que nous faisons actuellement.

Comment cela se passe ?

Nous commençons par prévenir les gens un mois à l’avance que tel jour, à tel endroit, de telle heure à telle heure, il y aura une bourse aux échanges et qu’ils sont invités à mettre ce moment en réserve, qu’il faut être bien à l’heure pour ne pas rater la présentation.

Le jour J, dans une salle assez grande, on installe les chaises et les tables pour faire un grand fer à cheval, de façon que les gens se voient et voient aussi le tableau mural sur lequel seront inscrites les offres et demandes de chacun.

L’équipe d’animation a prévu deux personnes pour l’accueil, avec des badges où figurent les prénoms de chacun, un animateur et deux scribes préposés au tableau.

Vers 14 h, les gens arrivent, s’installent et commencent à bavarder.

Vers 14 h 15, l’animateur donne le signal du démarrage en donnant des informations. Par exemple, la dernière fois :

Présentation de l’équipe d’animation

Informations sur la vie immédiate de l’association

Ex : On demande des cuisiniers pour le prochain repas

On demande des hébergements pour les JI du MRERS-MIRA

On a besoin de textes pour le journal…

Ne pas oublier les cotisations

Présentation des ateliers et de leurs meneurs

Vers 14h30, on passe à la partie « Bourse aux échanges »

Page 237: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 237

Pour les GAG, c’est-à-dire les échanges de gré à gré, les consignes sont celles-ci :

1) Chacun va se présenter : Prénom, Nom, J’offre ceci et je demande cela.

2) On va faire un tour de table et il vous faut repérer ceux qui vont pouvoir échanger avec vous pour les retrouver tout à l’heure.

3) Chaque fois que vous aurez mis sur pieds un échange n’oubliez pas de remplir en 3 exemplaires, les feuilles mises à votre disposition. Un pour l’offreur, un pour le demandeur et un pour l’équipe GAG qui va suivre votre échange et vous aider, si besoin, à ce que cela se passe bien.

4) Bien préciser vos coordonnées, le lieu, la date et l’heure de votre échange ainsi que les conditions particulières (matériel, niveau…)

5) Si vous avez besoin de quelque chose : une salle ou autre chose, parlez-en avec un des membres de l’équipe d’animation. ET QUE CHACUN TROUVE SON COMPTE !

Alors commence le tour de table des présentations. Il faut que cela soit assez rapide pour ne pas lasser et que l’on écoute jusqu’au dernier. Il faut couper gentiment le trop bavard et aider le timide, ne pas brusquer les enfants et faire préciser succinctement quand le projet est trop vague. Pendant ce temps, les scribes notent sur le tableau mural les offres et les demandes par thèmes ainsi que le prénom de la personne qui les fait.

On passe alors à la phase où chacun se précipite sur ceux qu’il a repérés et la ruche bourdonne. Le joli fer à cheval du début saute en éclat. C’est une véritable foire d’empoigne.

Cela va durer trois-quarts d’heure ou une heure.

La dernière fois, nous étions 43 personnes et il en est sorti 21 échanges et deux nouveaux ateliers. Ce fut un moment de grande convivialité.

Les avantages que nous voyons : on se voit, on se choisit, les idées des uns et des autres suscitent de nouvelles offres et demandes. Chacun est plus inventif et motivé pour trouver un RV, et même démarrer des activités à plusieurs Chacun se prend en charge, devient plus autonome, plus participant à la vie du réseau et plus solidaire.

Page 238: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 238

AAtteelliieerr BB 22.. 1111 :: RRéécciipprroocciittéé eett éémmaanncciippaattiioonn

Henryane de Chaponay111

, Françoise Garibay112

et Michel Séguier113

: « Un ouvrage collectif sur les pratiques émancipatrices interpellées par les travaux de Paulo Freire »

Dès le départ notre initiative (Cercle des pédagogies émancipatrices) a été marquée par la réciprocité :

-- entre les membres du groupe qui s’est formé après la mort de Paulo Freire en 1997. Ce fut déjà l’occasion, entre nous, de constater ce en quoi les échanges avec Paulo Freire nous avaient réciproquement apporté.

-- Ensuite dans la relation qui s’est établie avec l’Unesco pour l’organisation de trois rencontres au Brésil et à Paris en 2002 et 2003.

-- Ces rencontres mettaient en relation d’apports réciproques des expériences très diverses de plusieurs pays et continents : Québec, Mexique, Brésil, Sénégal, Mozambique, France, Belgique… Chacune des expériences s’étant constituée à partir d’une situation concrète, dans un contexte différent répondant en priorité à une thématique, inventant et construisant, petit à petit, son parcours d’apprentissage.

-- Enfin dans la démarche que nous avons entreprise pour la réalisation du livre. Celui-ci rend compte de tout ce cheminement et du Comment nous nous sommes enrichis réciproquement à travers le croisement de beaucoup de démarches individuelles et collectives. Ce fut une expérience d’écriture collective (et non une série d’articles à la suite les uns des autres). C'est-à-dire qu’il a fallu constamment échanger entre nous en complétant nos apports, construire ensemble en s’écoutant réciproquement et en admettant des divergences de point de vue pour nous mettre d’accord sur les textes.

Nous savons qu’il existe aujourd’hui de par le monde une grande diversité d’organisations de la société civile qui se constituent et luttent dans une perspective de transformation sociale et politique et de développement d’une citoyenneté active sur les thèmes et les situations de vie négligés ou abandonné par les Etats.

C’est donc à travers certaines de ces expériences connues par des membres de notre collectif que nous nous sommes interrogés et que nous les avons interrogées sur leurs apports pour retrouver la dimension politique de la pédagogie, produire du savoir sur le réel, cohérent avec les transformations recherchées : comment donner sens à la participation ? Apprendre des expériences existantes pour enrichir à la fois les stratégies et les pratiques éducatives ? Enfin comment interconnecter et renforcer les réseaux impliqués dans des pratiques pédagogiques d’émancipation ?

C’est ainsi que la construction même du livre a été nourrie par un effort de dialogue et de réflexion entre les porteurs des expériences et le collectif des auteurs.

111

Fondatrice du CEDAL : Centre d’étude et développement en Amérique latine. 112

Coordinatrice de l’ouvrage Pratiques émancipatrices - Actualité de Paulo Freire. 113

Coordinateur du même ouvrage.

Page 239: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 239

Voici la conclusion de cet ouvrage

Les expériences que nous avons pu connaître, confronter et analyser nous proposent des réponses concrètes aux questions que nous nous posions quant au renforcement des capacités d’action et de développement local ; des facultés de devenir acteur et auteur de son histoire et de sa culture ; de la démocratie et de l’accès facilité et multiplié à la citoyenneté. Nous avons tenté de dire en quoi et comment ces expériences ont apporté des réponses. Ces expériences proposent toutes

- des démarches concrètes : ce sont des pratiques, des cheminements, des outils ; - des démarches rationnelles : ce sont des expériences pensées, construites, référées,

analysées, questionnées ; - des démarches affectives : ce sont des dialogues entre acteurs qui reconnaissent

l’importance des émotions et sentiments comme détenteurs de sens et d’apprentissage ; - des démarches locales : ce sont des pratiques enracinées sur des territoires précis, où l'on

peut se rassembler, s’identifier, trouver sa place, « faire ensemble » ; - des démarches reliées : elles se construisent « en réseau », en coopération avec d’autres

expériences, se soutenant pour durer et créer des collectifs plus forts.

Face au foisonnement et à la richesse de ces pratiques, nous avons dû revisiter les concepts pour éclaircir les mots qui les sous-tendent et ceux qui les expriment. Mais il fallait aussi et surtout approfondir la manière dont les expériences se les étaient appropriés pour leur donner sens et utilité dans et pour l’action. Nous pouvons maintenant dégager l’essentiel de ce que nous avons appris.

L’émancipation peut devenir le thème générateur qui englobe et situe toutes les aspirations aux libérations nécessaires pour faire face aux nouveaux systèmes et mécanismes qui empêchent un développement humain pour tous. En ce sens, l’éducation émancipatrice oriente et accompagne les individus et les groupes dans leurs luttes contre toutes les formes d’oppression. Elle conçoit des pédagogies qui mettent en lien la connaissance de la réalité avec le besoin et l’envie d’agir sur elle ; le développement des capacités nécessaires à la conception et la réalisation de l’action avec le pouvoir de comprendre et d'agir.

Le caractère émancipateur des pratiques est conditionné par un certain nombre de facteurs qui doivent être pris en compte. La conscientisation n’est pas un état abouti mais un processus, un questionnement permanent et partagé, un refus des réponses toutes faites, des pratiques modélisées, des catégories et des idéologies non remises en cause. Autre exemple, la complexité de la réalité dans et sur laquelle on doit agir avec ses dimensions culturelles, politiques, sociales, économiques, psychologiques et éthiques, nécessite la mise en place de réponses pluridimensionnelles collectives et la mise en œuvre de la transversalité des savoirs. Une transformation personnelle doit accompagner la transformation sociale recherchée : l’individu n’est prêt à s’impliquer, à se mobiliser que s’il est conscient de son propre potentiel et s’il se reconnaît dans un projet politique.

La participation est une voie possible pour que chacun puisse être sujet et auteur de son histoire et non simple objet à la merci des autres ou d’un système. Les conditions, les critères et les minima d’une vraie participation des populations à leur devenir ont été clarifiés. La participation exige une analyse critique de la société, un savoir-lire politiquement maîtrisé. Elle devient autodétermination quand la communauté est interlocutrice et actrice dans tous les aspects des projets, en gère toutes les étapes et détermine ses propres priorités.

Page 240: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 240

Les transformations sociales doivent aller au-delà d’un simple changement des politiques. La transformation se traduit par l’amélioration réelle et durable des conditions d’existence et, pour une majorité, par des minima de pouvoir économique et politique pour maîtriser leur vie. La construction d’un monde alternatif refusant toute oppression et discrimination nécessite la maîtrise d’un pouvoir-agir qui n’a pas de sens sans un pouvoir-participer, qui réclame à son tour un vouloir-vivre autrement. La transformation sociale exige une modification des rapports de force entre citoyens et décideurs. Une stratégie avérée passe par l’investissement de l’espace traditionnel des politiques publiques et la constitution d’un fort mouvement social dans une savante articulation entre mobilisations populaires et processus institutionnel.

Quelques outils méthodologiques ont démontré une efficacité particulière pour appuyer émancipation et transformations sociales :

-- La recherche-action a un double objectif, transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations. Il s’agit d’une action collective par laquelle les gens concernés peuvent devenir acteurs et auteurs de la recherche et de leur apprentissage. Elle permet d’aborder et d’affronter délibérément les situations de la réalité complexe, les problèmes et situations limites : elle propose de les analyser, les réfléchir, les relier. Elle les étudie avec leurs acteurs, qui sont ceux qui en connaissent le mieux la plupart des aspects et peuvent agir sur elles. La recherche-action propose, a priori, une transformation de la définition et de la production des savoirs, de leurs modes de transmission, de partage, de mise en commun ; elle est une construction des savoirs à partir de, pour et dans l’action et permet de valoriser les savoirs des gens opprimés. Elle sera un déclencheur d’action transformatrice de la réalité avec des changements significatifs quant à une prise de pouvoir des gens sur leur propre vie.

-- La capacitation, processus de développement des capacités basé sur la recherche-action, est une proposition alternative de formation dans et pour le travail ou l’action transformatrice. La co-construction organisée des connaissances est orientée par l’accompagnement dans l’action. Les sessions de formation sont axées sur la réflexion systématique de la pratique, l’échange des savoirs et des expériences, la consolidation des connaissances qui émergent. De nouveaux savoirs sont introduits seulement lorsqu’ils sont pertinents face à la réalité immédiate, qui est la vraie source des contenus de formation.

-- Le réseau est un espace d'échanges réciproques de savoirs, d'échanges entre groupes, pour discuter collectivement des projets possibles. C'est un lieu privilégié de construction effective de la citoyenneté et de la démocratie participative. En apprenant ensemble dans une réciprocité coopérative, on apprend à s’organiser, à repérer les conditions de la coopération. Les réseaux ouverts permettent de construire, élargir, diversifier ses propres réseaux sociaux pour en faire des réseaux plus féconds. Travailler en réseau permet de constituer des sujets collectifs, prenant conscience ensemble, se renforçant mutuellement pour se mobiliser, pouvant aller jusqu’à construire des mouvements sociaux forts capables d’influencer les politiques publiques.

Les expériences sont créatives, en transformations permanentes ; ce sont des processus en cours, toujours vivants, portés par des acteurs/auteurs en questionnement. Elles nous montrent comment mettre en œuvre des outils diversifiés, toujours repensés, recréés et non figés dans des méthodologies qui auraient déjà fait leurs preuves, alors que le rôle de la

Page 241: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 241

méthodologie est d’orienter une réflexion constante sur la pratique pour la transformer en une pratique plus qualifiée.

Comment poursuivre ces apprentissages individuels et collectifs pour l’action, construits tout au long de ces expériences ? Ne faut-il pas plutôt les adapter, les réinventer face aux défis émergeants ? De quels savoirs avons-nous besoin pour participer aujourd’hui en tant que citoyens aux débats démocratiques nécessaires ? Pour mieux connaître et anticiper les nouvelles formes et dimensions de l’oppression-domination-aliénation ? Comment, mettant en résonance savoirs, mémoire et pouvoir, concevoir, avec les nouvelles générations, les processus d’action et d’émancipation qui permettront de les affronter ?

Ce livre veut contribuer à construire ces réponses, processus, synergies et passages de relais114. Nous souhaitons qu’il soit utilisé comme un outil perfectible par celles et ceux qui s’engagent dans les chantiers ardus, mais passionnants et indispensables, de la capacitation, de l’empowerment, des transformations sociales et de l’émancipation.

AAtteelliieerr BB 22.. 1122 :: TTrraavvaaiill éédduuccaattiiff eenn mmiilliieeuu oouuvveerrtt eett ppééddaaggooggiiee ssoocciiaallee

Laurent Ott : « 7 clefs méthodologiques pour une pédagogie sociale »

1. la relation, c’est mon travail ; je n’en laisse rien au hasard

Ce qui peut être le plus répétitif, le plus lancinant dans le travail de rue, ce qui s’impose avec de la force et nécessite une énergie constante, découle d’une certitude fondamentale : en éducation encore plus que dans la vie, il ne faut rien laisser de la relation au hasard. Dans une société qui envahit les personnes de messages non adressés, non personnalisés, vagues et collectifs (qui aboutissent à déshumaniser et à renforcer les solitudes), le travail éducatif se doit de définir des modes de relation qui favorisent le maintien du lien sur l’information. Dans le travail de rue, filé dans le quotidien, on ne peut pas se permettre en effet de ne pas avoir été compris, ne serait-ce qu’une fois, et cela nécessite d’adapter ses mots sans simplifier des messages, de connaître l’autre, de se saisir de ses formulations, de son vocabulaire, de ses propres réflexions. Mais surtout, contrairement à l’incurie et à l’implicite qui régissent la communication dans la vie moderne, moyenne, normale, il faut absolument dans un cadre de travail social sur la relation, que la responsabilité et l’initiative soient clairement assumées par l’éducateur. Très concrètement, ça signifie d’être capable d’appeler, de reprendre le téléphone quand on est sans nouvelles d’une personne avec qui on travaille ; de ne pas se contenter, de supposer ou d’imaginer les raisons des silences, mais de poser la question directement aux personnes concernées. Et cela même si on doit assumer ce qui dans la vie normale serait un motif d’abandon de la relation : le silence, l’absence de retour ou de réciprocité dans la communication.

114

Nous invitons les lecteurs à réagir à cette lecture, à nous faire part de leurs questions, de leurs expériences, de leurs savoirs. Nous les invitons aussi à se relier à notre réseau afin de mieux partager leurs expériences et les nôtres. Quelques adresses de courriels des auteurs du collectif sont présentées en annexe 3.

Page 242: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 242

Là où le sujet lambda abandonne, se vexe, considère que ce n’est pas à lui de reprendre le contact, l’éducateur lui s’obstine ; mais il ne s’obstine pas au nom d’un principe froid ou rationnel, il s’obstine d’autant plus que les silences doivent être explicités et les non dits trouver à s’exprimer. Il n’est pas question, pour l’éducateur, de rester en tête à tête avec l’absence de l’autre et sa propre propension à l’interprétation, à la devinette, au découragement. Il faut aller rechercher l’autre pour briser justement ce que le silence et l’absence fabriquent. L’on découvre alors que c’est rarement de l’hostilité, mais, bien plus souvent, un malentendu ou la certitude pour l’autre de n’avoir pas assez de valeur pour initier des contacts qui sont à l’origine des déséquilibres communicationnels si courants. Il faut sortir de cette pensée ou conception libérale et contractuelle de la communication ; l’échange pour l’éducateur de rue, n’est pas un contrat, ce n’est pas un « donnant donnant », un « 50/50 », une réciprocité, c’est au contraire, une responsabilité, un engagement. L’initiative de rentrer en relation, c’est mon devoir, le retour ce n’est pas mon problème. Concrètement, cela voudra dire de dépenser des fortunes en téléphone, d’utiliser tous les canaux possibles de la relation afin qu’ils ne s’épuisent pas et ne se lassent pas ; l’écrit quand c’est possible, le SMS, la conversation de vive voix, les messages sur les répondeurs. Toutes les possibilités ont leur utilité, leurs usages et leurs codes et permettent des choses différentes. Il appartient à l’éducateur de les explorer et de les faire sien.

2. la présence sociale, les différents niveaux d’intervention : la technique de la pyramide

L’intérêt d’un travail dit « en pyramide ».115 Une grande difficulté du travail de rue est d’affirmer son intérêt social tout en préservant les principes d’anonymat, de non mandatement et de libre initiative qui le sous-tendent ; en effet, aucun travail de rue n’est possible à partir de la contrainte. Pour autant, on ne peut se satisfaire non plus de mettre en place des actions qui risquent d’échapper aux enfants, aux familles qui en auraient le plus besoin, en se contentant sans visibilité d’un public « de première intention ». En cela également, le travail de rue diffère, en tout cas dans son potentiel, du cadre traditionnel du travail en prévention spécialisée. Il est vrai que le public, enfantin, premier bénéficiaire du travail de rue, ne partage pas les mêmes caractéristiques que le public des clubs de prévention. Les trois plans d’intervention présentés plus bas constituent une forme de pyramide, en concernant progressivement un nombre moindre de bénéficiaires tout en s’assurant qu’il s’agit des personnes les plus en difficulté.

Le grand groupe ou collectif ouvert Dans un premier temps, il faut donc privilégier et mettre en place des actions susceptibles de contacter l’ensemble de la tranche d’âge visée dans la population locale ; il s’agit souvent de bibliothèques de rue, ou, plus rarement, de ludothèques de rue116 ; mais on peut aussi très efficacement mettre en œuvre des ateliers d’ateliers d’expression de rue117. Il doit s’agir, en tout cas, d’actions suivies très sérieusement et qui fidélisent rapidement un public large. Ce stade, le plus large (la base de la pyramide), est le plus important: il permet le

115

Cf. Laurent Ott, « Travailler avec les familles » (Eres 2004) 116

Pratiques régulières notamment du mouvement ATD Quart Monde, ou de l’association Intermèdes entre 1998 et 2004. 117

C’est le cas de l’association TRACES qui propose aux enfants de Belleville, un atelier à partir d’une « roulotte à peinture » ; association TRACES : http://tracesp.free.fr/

Page 243: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 243

contact de départ et une première connaissance des situations vécues par les adultes ou les enfants ; c'est aussi l'occasion de recevoir les demandes, d'observer des comportements d'appel et/ ou de recherche d'intérêt. Il ne s'agit finalement presque jamais, comme on aurait pu le craindre, de contacts furtifs : la régularité de ces actions est telle qu'elle garantit une connaissance approfondie et suivie des personnes contactées dont le nombre est toujours très important. Il est à noter que pour fragile qu'il paraisse, ce mode de contact, dans les espaces extérieurs vis à vis des enfants, est, à l'expérience, plus fiable et plus durable que les relations qui s'établissent depuis des institutions. En effet, les relations établies avec des enfants peuvent même, au besoin, être à l'abri momentané de préventions ou d'interdictions parentales que l'enfant aurait pu recevoir, mais qu'il est finalement libre d'ignorer dans des espaces publics.118

Le groupe restreint fermé Les personnes contactées au stade précédent et qui se sont montrées désireuses de développer des relations avec l’équipe de la structure sont personnellement invitées à initier ou à participer à des groupes de projets. C'est le stade des « groupes d'initiative sociale », c'est-à-dire des groupements d'enfants ou d'adultes (ou, parfois des deux) qui définissent un projet d'animation, de création, ou d'expression dont le bénéfice toujours doit être ouvert sur le quartier et sur l'extérieur du groupe. Les permanents de la structure aident le groupe à se constituer, puis à s'organiser; ils apportent aussi une éventuelle aide technique et souvent un soutien matériel. Ils s'assurent de la valorisation du produit fini. Concrètement, ces groupes peuvent se proposer de réaliser des choses simples comme une fête, une soirée à thème, un atelier de bricolage ouvert à tous et animé par des personnes ressources; mais ils peuvent se consacrer plus durablement à la réalisation de projets plus ambitieux comme un journal, un recueil, un spectacle, un concours, une exposition, etc.119

L’accueil et le suivi des individus Le troisième axe important d’un travail de rue est constitué par les accompagnements individuels des personnes les plus en difficulté. Il s'agit des enfants et des parents les plus isolés auxquels s'adresse prioritairement ce type d’action. Ces difficultés et ces problèmes ont trouvé à être repérées et à s'exprimer souvent au cours des actions liées aux deux axes de travail précédents. Concrètement, il peut s’agir pour une structure de permanence éducative de se rendre disponible pour les enfants à la demande. Ces derniers peuvent être accueillis sans rendez-vous, dès leur sortie d'école s'ils le souhaitent, ou peuvent venir jouer dans le local, à la demande. Bien entendu, cette permanence éducative vis à vis des enfants doit être expliquée, exposée dans ses objectifs aux parents qui doivent l’autoriser. Les parents concernés peuvent être rencontrés d'autant plus régulièrement que, la plupart du temps, les permanents raccompagnent l'enfant chez lui, ce qui donne une occasion de contact fréquent.

118

On comprend à ce stade l'impérieuse nécessité pour ce type d’action de s'attacher essentiellement à donner ou redonner une image positive, mutuelle, des parents et des enfants et à un grand respect a priori pour les familles. Sans cela, une telle démarche deviendrait par trop intrusive. 119

L'interdiction que le bénéfice de l'action ne se répartisse pas au sein du groupe mais s'ouvre sur l'extérieur permet aux groupes ainsi créés de ne pas être de simples « bandes », clans ou clubs. En cela, les expériences groupales que ce mode d’intervention permet de développer proposent aux enfants quelque chose qu'ils ne connaissent souvent pas, à savoir de contribuer à un collectif organisé et socialisé (qui n'est ni le collectif imposé de l'école, ni celui tout aussi imposé de la rue).

Page 244: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 244

Vis à vis des adultes en difficulté, cette permanence peut se manifester par le fait qu'ils ont pu trouver auprès de l'équipe une écoute, un conseil, une ressource possible ou éventuelle pour trouver une solution aux difficultés du moment, trouver une solution de garde pour les enfants, etc. Bien entendu, les individus concernés par cette réelle « permanence » éducative de proximité étaient beaucoup moins nombreux que pour les axes précédents. Il s'agit souvent d'une liste d’une vingtaine d'enfants et/ou une dizaine de familles, dont l’équipe doit réévaluer régulièrement le nombre et la composition, en fonction des évolutions des situations personnelles.

3. Les proximités éducatives

« Par son implication directe dans de milieux de socialisation des jeunes le travailleur des rues est à la fois un témoin privilégié des difficultés spécifiques à la jeunesse et un médiateur qui accompagne le jeune dans son cheminement existentiel et social ».120 L’éducateur est une profession tellement proche qu’il n’est pas dans une seule mais dans de multiples proximités avec l’enfant ou le jeune. Pour sa part, le groupe « Dynamo121 » estime à pas moins de six, le nombre de ces proximités. Pour ma part, j’en retiens surtout cinq.

La proximité géographique

La première est la proximité géographique, bien entendu, qui permet la rencontre ; mais il faut observer que cette proximité n’est pas aussi simple qu’un croisement ou une rencontre. Il s’agit avant tout d’une présence à un moment donné dans le temps et dans l’espace de l’enfant et cela suppose d’avoir observé, d’avoir fait les premiers pas, d’être allé à la rencontre. Cette présence géographique est aussi une présence régulière, une présence affirmée, dite, explicite. C’est un « je suis à tes côtés et ce n’est pas un hasard », c’est un « nous sommes ensemble » qui intrigue et suscite de l’espoir mais aussi de l’inquiétude et de l’étonnement chez l’enfant. Bref, c’est une rencontre au sens où elle produit des effets ; en quelque sorte un accident qui se nommerait lui-même. Etre présent dans la proximité géographique, c’est donc bien connaître un territoire, un quartier, un coin de bâtiment ; c’est avoir expérimenté qu’en passant de l ‘autre côté d’un immeuble, on ne rencontre ni les mêmes gens, ni les mêmes enfants. Etre proche géographiquement, c’est avoir fait le chemin, jusqu’à se pencher, s’asseoir par terre. Il s’agit de partager l’espace un temps donné, c’est-à-dire aussi d’y mettre en œuvre nos propres habitudes sociales et de vie, notre manière de s’asseoir, de se tenir, notre façon de nous déplacer. Etre proche géographiquement c’est être devenu familier à l’espace autant que l’espace le devient à nous-mêmes ; c’est par notre présence, faire pour un peu partie du paysage.

La proximité politique

Cette proximité peut être plus compliquée à faire comprendre ou faire passer. Il s’agit ici, non pas de connivence, mais d’un engagement net et clair pour les personnes vers qui nous allons à la rencontre. Nous sommes de leur côté, ce qui ne veut pas dire que nous soutenons tout ce qu’elles font mais ce qui veut dire, en revanche, que nous refusons d’être les instruments de leur répression. Nous sommes engagés et nous le disons très nettement, pour le développement des personnes que nous côtoyons. Il s’agit ici de renvoyer un message

120

Pector, Jacques, 2003, Logique instrumentale et logique de propension, document de travail, 12 p. 121

Dynamo international est un mouvement francophone de reconnaissance et de recherche autour de la question du travail de rue : http://www.travail-de-rue.net/

Page 245: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 245

libérateur non seulement vis-à-vis des forces de répression économiques et politiques mais également parfois environnementales. En tant qu’éducateurs, nous sommes clairement engagés vers un message précis : « personne n’est condamné à ce qu’il semble être aujourd’hui » ; « personne ne devrait être assigné à sa culture, sa condition, son environnement ou son groupe actuel » ; « l’être humain n’est pas l’objet de qui que ce soit, fût ce celui de sa famille ou de son milieu ». Il s’agit d’engager l’autre à être plus que ce qu’il est aujourd’hui, à « être plus ». En ce sens, il s’agit de s’inscrire contre tout fatalisme, que celui-ci soit économique, ou délivré par un groupe ou une bande. « Je suis ce que je suis » scandait la publicité d’un grand équipementier sortir. « Tu es aussi ce que tu n’es pas encore » doit pouvoir répondre, faire sentir l’éducateur.

La proximité culturelle

Il est extraordinaire de considérer combien de nombreuses identités professionnelles éducatives se sont constituées sur le rejet de la proximité culturelle entre éducateurs et éduqués. Il est impressionnant également de constater combien, en vingt ans, avec une accélération à partir de l’année 1984, date de publication pour le grand public et en livre de poche des programmes et instructions officielles de JP Chevènement, la culture revendiquée, incarnée pour les enseignants, les éducateurs et la plupart des intervenants sociaux et éducatifs se veut être une éducation de rupture vis-à-vis du quotidien. La revendication d’une culture élitiste comme seule valable a pris ces dernières années des tonalités tellement outrancières qu’on a pu voir couramment vendus, comme des Best Sellers, des essais et des brûlots qui réclamaient le retour de l’enseignement du grec ancien ou des méthodes pédagogiques d’avant-hier. De sorte aujourd’hui que la proximité culturelle de l’éducateur est devenue quelque chose de sulfureux. On a presque l’impression que tout éducateur qui ne sacrifierait pas à cette nouvelle tradition de la dénonciation de la pauvreté langagière et culturelle des jeunes, passerait pour une sorte de traître, accusé de « jeunisme », de connivence ou pire de participer au « complot idéologique du laisser-faire « et du chaos en ligne droite de Mai 68 ». La proximité culturelle de l’éducateur est pourtant, et peut être même à cause de cette tendance persistante, devenue une urgence et, en tout cas, une nécessité. L’éducateur se doit aussi de pouvoir parler avec les mêmes mots que celui qu’il fréquente ; il se doit de faire suffisamment attention à l’autre pour reconnaître son langage, ses références. L’établissement de la professionnalité de l’éducateur ne passe pas par l’édification d’une muraille culturelle, c’est au contraire quelque chose qui se tisse au contact dans le lien. Franchement, je ne comprends pas comment un éducateur qui s’intéresse aux enfants peut et devrait rester insensible à ce qui les intéresse eux. Il s’agit bien au contraire de démontrer, grâce à l’acte d’éduquer, qu’il n’y a qu’un seul monde et que nous y sommes ensemble. Rien de ce qui intéresse l’enfant ne devrait laisser indifférent un éducateur, ce qui revient d’autant plus à bannir toute attitude de moquerie ou de suffisance de sa part. Bien entendu, l’éducateur ajoute à ce que l’enfant lui donne à connaître de son environnement culturel des éléments qui lui viennent de sa propre culture et de sa propre histoire. Mais cet ajout-là se déroule dans le cadre d’un échange ; on n’est pas dans l’imposition, on est dans le don. L’éducateur détourne, enrichit les éléments culturels apportés ou véhiculés par les enfants et, ce faisant, il invite en acte les intéressés à en faire de même vis-à-vis de leur propre histoire. L’éducateur, parce qu’il est passeur, joue également un rôle culturel éminemment important qui consiste à démystifier la culture savante et l’ensemble des discours et des modes qui

Page 246: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 246

placent les enfants et les familles pauvres dans une position culturellement dominée. L’éducateur explique avec des mots simples ce que l’on souhaiterait garder abscons pour préserver le pouvoir qui entoure l’emploi de certains mots. C’est en démystifiant cette construction imaginaire de la culture savante, qui paraît d’autant plus élevée qu’on a échoué à la transmettre, que l’éducateur se place résolument du côté de celui qu’il accompagne et qu’il réussit bien souvent à donner corps aux notions et aux idées les plus profondes et difficiles.

La proximité relationnelle

L’éducateur, surtout de rue, se tient dans un tout proche ; c’est sans doute parce qu’il n’a ni bureau, ni institution pour faire obstacle. C’est parce qu’il est disponible pour les adultes comme pour les plus jeunes, que l’éducateur de rue est, avant tout, celui avec qui on peut parler en toute simplicité ; celui qui n’a pas peur non plus d’aborder, d’exposer ses idées, de poser ses questions. La proximité relationnelle de l’éducateur tient évidemment à la prise en compte personnalisée qu’il a de chacun. L’éducateur mobilise vis à vis de tous ses interlocuteurs sa mémoire de ce qui a été vécu ensemble, de ce qui s’est dit, de ce qui a été appris par d’autres. L’éducateur s’offre relationnellement comme un réceptacle qui rassemble ce qu’il a pu observer, entendre recueillir des personnes qu’il rencontre. Sa professionnalité réside justement dans cet engagement a priori au côté de chaque personne, non pas pour tout, mais dans son combat pour son développement, son autonomie et l’apprentissage de l’expression de soi. L’éducateur, comme au sens que Freinet donnait à ce mot, est un « grand camarade », en ce sens qu’il est engagé dans une entreprise commune qui a à voir avec le partage d’une quotidienneté, de projets, de souvenirs et qu’il n’hésite pas à exprimer son attachement aux lieux, aux personnes, et son désir de changement.

La proximité stratégique

L’éducateur, surtout en milieu ouvert, est un passeur, un médiateur. Sur le plan du vécu et de son expression, il essaie d’être un lien entre l’affectif et le cognitif, entre le familial et le social, entre le local et le politique, entre ce qui est donné et ce que l’on vise. Vis-à-vis des personnes et des institutions, il est cet « entre-deux » neutre, mais initié, qui sait accompagner vers les services compétents mais tout autant recevoir et écouter, en prenant le temps de construire une relation. Il est capable de témoigner pour les gens auprès des institutions et des institutions vis-à-vis des gens. Sa proximité professionnelle vis-à-vis d’autres acteurs est systématiquement mise en lien et au travail avec sa proximité relationnelle vis-à-vis des enfants et des familles. Cette position d’entre deux, absolument pas confortable, fait converger sur lui toutes sortes de pressions : l’éducateur de rue est perpétuellement soupçonné d’être lui-même un obstacle, de mettre lui-même en échec les institutions, de conforter ou de cacher des actes illégaux ; bref on rejette facilement sur lui l’échec des institutions, ce qui explique peut-être qu’en tant que bouc émissaire, on le tolère encore. C’est une position d’inconfort mais qui a l’immense avantage de porter un regard plus compréhensif et plus global, non seulement sur les milieux, mais aussi sur les structures et leurs pratiques.

Page 247: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 247

4. Les temps et la durée

Il faut parler des temps et non pas du temps ; le temps de l’enfant est, par exemple, quelque chose d’oublié. On ne prend pas en compte le temps de l’enfant comme on oublie l’enfant tout court. Laisser un enfant attendre en vain (et ne pas s’en inquiéter parce qu’il n’est pas en danger), le laisser croire, espérer quelque chose qui n’arrive pas, alors qu’il suffirait de se parler. Remettre à plus tard les choses importantes à lui dire. Penser que cela peut attendre… un certain temps ; voilà toutes sortes de comportements qui aboutissent, dans le quotidien, à ruiner progressivement la confiance que l’enfant peut mettre dans la société des adultes. Etre là dans le temps de l’enfant, c’est être dans le temps proche. Cela ne signifie nullement obtempérer à tous ses caprices ou donner libre cours au « tout, tout de suite ». Rien de tout cela, il s’agit juste de donner du temps une image supportable, acceptable, à la portée d’un enfant. Il s’agit juste que l’adulte prenne conscience de ce pouvoir qu’il a d’éviter aux enfants le désespoir. Répondre dans le temps de l’enfant, c’est tout simplement être à sa portée, le prendre en compte. C’est-à-dire le lier ou le maintenir dans un processus éducatif et relationnel qui commence sans délai. Cela veut dire qu’en retour de sa demande, de ses questions, de ses attentes, on propose à l’enfant un processus dans lequel il est présent, acteur et pris en compte. L’éducateur est ainsi garant du temps et de sa continuité vis-à-vis des enfants dont il se sent responsable. De même que le temps est pluriel, et que c’est pour cela qu’il a besoin d’être défini et régulé à l’intérieur d’une relation différente avec chaque enfant , le temps n’est pas non plus comme le soulignait Bergson, une transposition de l’espace. Il ne s’agit pas pour l’éducateur d’introduire l’enfant vers un temps scientifique, rationnel ; il ne suffit pas de l’aider à « se repérer », « à mesurer ». Il s’agit au contraire d’aider l’enfant à entrevoir le temps comme une durée. Plus encore que l’homme, l’enfant est à même de percevoir que le temps, ce n’est pas du passé, c’est une poussée. Le temps dure et est profondément dynamique, c’est-à-dire que l’avenir n’est pas un déjà là qui se découvre au fur et à mesure qu’on le parcourt, mais au contraire un itinéraire qu’on se forge grâce à la force acquise par notre passé, notre vécu. Le temps dont l’éducateur aide à prendre conscience pour l’enfant est en effet un temps complexe et de qualité ; c’est le temps de la connaissance de son histoire, c’est le temps de la connaissance de sa « préhistoire » et de ses mythes personnels, de ses propres origines, des légendes familiales, groupales et culturelles. L’éducateur et l’enfant, au cours du travail de rue, doivent pouvoir se retrouver autour de la célébration du temps passé ensemble ; et c’est pour cela que l’éducateur doit avoir pour souci de prêter sa mémoire à l’enfant, comme on le porte ; lui rappeler ce qui a été dit, ce qui a été fait ensemble, ce dont aussi on a été témoin ensemble, c’est fondamental. C’est offrir à l’enfant l’expérience qu’il n’a pas été oublié, qu’il compte, et qu’il a contribué lui aussi à la mémoire de l’éducateur, à sa vie, à sa pensée. De même, les moyens techniques modernes, en favorisant la prise de sons et d’images, doivent inciter l’éducateur à prendre de nombreuses photos et à faire avec les enfants des activités destinées à les trier, classer, mettre à porter, les donner à consulter, les conserver, les revoir. C’est l’éducateur qui garde, ce qui n’empêche en rien, bien entendu, que des copies soient données à l’enfant lui-même d’abord, aux parents, en second. Le temps pour l’éducateur et l’enfant, c’est une sorte de contenant de la relation et il faut en faire l’expérience. Pour cela le temps doit être « nourri » et les activités de mémoire commune sont destinées avant tout à stabiliser et renforcer la relation commune.

Page 248: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 248

5. Se laisser toucher sans se laisser détruire

Tout l’art de l’éducateur de rue réside probablement dans sa capacité de se laisser toucher ; il faut prendre ici le terme « toucher » au sens propre et au sens figuré ; il est très important, à notre époque de méfiance généralisée, où les éducateurs sont toujours dans la tentation de se protéger de l’enfant, sous couvert de le protéger, que la dimension éducative retrouve toute sa richesse et tous ses sens. Le jeu est indispensable à l’enfant, et ce sont des jeux de contact, de joutes, de chahuts qui leur sont aujourd’hui tellement rares et tellement refusés. On ne s’inquiète pas assez des dégâts causés par une trop grande distance physique des enfants et des adultes ; celle-ci est évidemment en lien avec l’extraordinaire solitude qu’on leur fait vivre, aux contacts, de plus en plus rares, des professionnels éducatifs et de l’enfance qui tous, fuient la relation personnelle. Mais le « toucher » est évidemment aussi ici une image et s’il faut toucher les enfants, c’est bien entendu parce qu’en premier lieu, ils nous touchent. Les enfants nous touchent et c’est là une clef fondamentale d’entrée en relation avec eux ; nous leur adressons la parole, dans la rue, nous établissons, avec eux, une relation, un contact avec une grande authenticité. Cette authenticité suppose une attention particulière de la part de l’éducateur aux émotions exprimées par l’enfant, à sa communication non verbale, mais tout autant aux émotions que l’enfant suscite en nous. Il s’agit d’examiner, d’être attentif, de considérer et de donner une place à tout ce ressenti émotionnel et affectif qui se noue autour des rencontres entre lui et nous. Cela suppose bien entendu d’accueillir favorablement la parole, la confidence, l’émotion quand elle survient ; cela suppose, comme décrit plus haut, d’inscrire cette possibilité dans une relation durable et cela nécessite donc… quelque temps. La professionnalité de l’éducateur ne réside en rien dans l’illusoire recherche de la mise à l’écart de ses propres émotions et de sa propre affectivité, elle réside, au contraire, dans la capacité de ce dernier à faire de ces deux domaines, un véritable outil de travail, à la fois honnête et rigoureux. Ce n’est pas parce qu’il se laisse aller que l’éducateur noue des liens affectifs avec les enfants mais, au contraire, parce qu’il est rigoureux, parce qu’il accepte de mettre en question et en mots cette dimension si souvent cachée de la relation. L’affectivité pour l’éducateur, à la différence des parents, est seconde car ce qui est premier est le souci d’éducation. Mais, pour autant, rien ne peut laisser croire que, pour se nouer dans un cadre éducatif professionnel, cette dimension affective serait moins authentique qu’une autre. C’est même tout le contraire car l’approche « matérialiste » de la relation éducative par l’éducateur lui donne au contraire toute possibilité de se déployer : les mots, l’empathie, l’exigence d’honnêteté, le souci de l’autre y sont encore plus présents. Tout notre travail vise à ce que la relation « vaille la peine » d’être vécue par l’enfant. Il s’agit par l’établissement d’une relation éducative et également affective de permettre à l’enfant de retrouver ou trouver une sécurité émotionnelle. Faute d’avoir éprouvé un lien affectif suffisamment contenant avec l’éducateur et faute d’avoir pu l’éprouver avec des proches eux-mêmes trop atteints et trop désorientés ou disqualifiés dans la société environnante, l’enfant est menacé du double danger de continence et d’incontinence122 émotionnelle, qui le mettent sur la voie des désordres et des violences.

122

La continence émotionnelle est une image qui peut rendre compte de ces enfants et jeunes, rencontrés dans les quartiers, plutôt impassibles, peu bavards, assez fuyants qui ne se laissent jamais à exprimer une émotion au risque, un jour, de les voir exploser. L’incontinence émotionnelle caractériserait plutôt d’autres de ces enfants, qui à la moindre contrariété, souffrance ou frustration, ne semblent plus du tout en état de se contenir.

Page 249: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 249

Ce que l’adulte éducateur peut apporter, c’est la possibilité et l’affirmation par l’expérience que l’émotion peut être dite sans détruire celui qui l’éprouve, l’exprime ni celui qui la reçoit. L’éducateur doit être à de moment là un « ami des mots », un « ami des maux », capable de proposer et de donner à l’enfant des expressions, des références, une correspondance en somme entre deux humains pour restituer aux émotions, colères, haines, souffrances, détresses leur immense respectabilité.

6. La gratuité et le don

Le premier don de l’éducateur est ainsi un don de soi ; fidèle à la conception du don, théorisée par Marcel Mauss, l’éducateur donne, car il se sait obligé de donner et qu’il sait que, par ailleurs ce don fait lien. Il est obligé de donner car le don oblige. L’éducateur doit être celui qui donne dans un monde trop avare ; il doit être celui qui manifeste, ce faisant, que celui qui donne n’est pas détruit, qu’il n’est pas appauvri, qu’il n’est pas dupé, qu’il n’est pas menacé. Le don éducatif est un antidote de la solitude sociale, car les dons font des liens que les contre-dons n’effacent pas, mais renforcent. Partout où il ya de la solitude, il faut un don initial. Et ce don est avant tout matériel ; don de nourriture pour commencer ; l’éducateur, c’est celui qui peut donner à goûter, donner des gâteaux, des bonbons, des boissons, pourvu que ces dons trouvent place dans un temps ensemble, dans une relation établie et nommée qu’ils contribuent à nourrir. Le travail de rue est probablement, dans le domaine éducatif, le mode d’intervention le plus gratuit qui soit ; tout y est libre, depuis l’adhésion, jusqu’au droit de partir (pour l’enfant) , en passant par le pouvoir de proposition ; tout y est gratuit, et surtout, tout y est donné puisque l’adulte est garant que le cadre est stable et que la sécurité affective et effective des enfants sera assurée. C’est ce caractère de gratuité et de don, qui confère au travail de rue sa caractéristique la plus notable : l’étonnante paix dans lequel il peut se dérouler. Le travail de rue est pacificateur car il n’y a plus d’enjeu de contrôle et de pouvoir quand on est sûr de ne pas manquer, de ne pas être oublié et qu’il n’ya aucun pouvoir à convoiter ou lieu à occuper. Cette pratique du don, en apaisant le contexte social, urbain, institutionnel qui vient habituellement assigner des places et des rôles à chacun, en cassant les rituels, en rendant tout comportement de défiance, de mise à distance, d’intimidation, de peur, inutile, permet de faire un don très précieux à l’enfant : celui de venir pour lui-même. Et c’est à ce prix-là, de la gratuité, que le don de soi, devient restitution, pour l’enfant de sa dimension vraiment personnelle.

7. L’équipe et l’autonomie

Les relations sociales dans les quartiers, les rues, les espaces publics sont le plus souvent, contrairement à ce que l’on pourrait croire de premier abord, dominées par un ordre certain ; dans la rue, les relations sont toujours hiérarchiques : le plus fort déloge et occupe la place qu’il désire ; il peut tout autant s’attribuer ou tout au moins se servir ou utiliser tout ce qu’il convoite. La rue est ainsi, souvent, un non-lieu, un espace de « non droit » qui assigne rapidement à tout enfant un rôle et une place dont il aura le plus grand mal à sortir, sauf à adopter les us et coutumes, les rapports de force qui renforcent en premier lieu l’ordre dont chacun a été victime.

Page 250: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 250

Les quartiers les plus violents sont souvent d’ailleurs les plus calmes, car ce sont les plus hiérarchisés. Quand la grande délinquance s’installe dans un espace, l’agitation, les petites incivilités, les bagarres de territoires cessent le plus souvent assez naturellement ; l’ordre a simplement pris la place de ce qui était encore vivant, indéterminé, en jeu. En s’implantant dans un quartier, les éducateurs ne remettent pas en cause l’ordre général et sont souvent bien accueillis dès lors qu’ils démontrent qu’ils s’occupent bien des enfants. Mais si l’éducateur n’a aucune ambition de police au niveau global (ce qui implique qu’il ne doit en aucun cas travailler activement ou même passivement avec la police), il doit au contraire être très attentif à modifier l’ordre des relations entre les enfants dans son cadre direct d’intervention. Là et quand il est présent, l’éducateur assure la sécurité affective et matérielle des enfants qui sont avec lui ; il se préoccupe du bien-être physique et émotionnel de chacun. Il est prêt à se mettre à la portée de celui qu’on oublie et ouvre des espaces de relations dans lesquels les enfants pourront grandir dans l’intérêt de l’adulte. En maniant son attention, sa disponibilité, son action et ses réactions, l’éducateur modifie ce qui était figé, l’ordre qui était imposé. Petit à petit, imperceptiblement il permet à celui qui ne parlait pas de prendre la parole, à celui qu’on ne voyait pas de se montrer, à celui qu’on croyait trop violent de se dégager des autres un petit temps et de se concentrer sur une chose qui l’intéresse vraiment. Les enfants se découvrent autres, d’abord à eux-mêmes mais également entre eux, ce qui modifie considérablement et durablement leurs relations. Quand les relations et les places de chacun ne sont plus régies par l’ordre, la place est alors ouverte pour se donner ensemble la liberté de l’organisation. Et les groupes d’enfants autour des éducateurs de rue sont des groupes qui tendent tout doucement (qu’ils reviennent de loin) à s’organiser. Ici on met en place des réunions de démarrage de temps de rencontre où chacun peut parler à son tour ; là on prend des décisions en discutant et en s’écoutant ; partout on sort du jugement binaire, le jugement des autres (« t’es nul », « t’es le chef ») pour aller vers le jugement des idées. Cette organisation des enfants n’est évidemment permise que par celle des adultes ; c’est parce qu’ils ne viennent pas par fantaisie, mais parce qu’ils ont eu un projet entre eux, que les adultes sont crédibles ; ils promeuvent l’organisation car eux-mêmes sont organisés ; et ce qui prouve cette organisation efficace et préalable, c’est la durée même de l’action qui ne pourrait se déployer sans une organisation rigoureuse. Les adultes sont organisés et ils montrent qu’ils ne sont ni contraints, ni enchaînés ; ils démontrent, au contraire, que l’organisation, c’est ce qui leur permet de rester eux-mêmes, de prendre des initiatives et des libertés qui seront d’autant plus efficaces qu’elles bénéficient a priori de la bienveillance et de la solidarité des autres. C’est une organisation de confiance qui prévaut dans toute action de rue ; l’association qui est réalisée entre les acteurs, et qui sert de modèle à l’association avec les enfants (puis entre eux), n’est pas une association du minimum commun. Les collectifs, ainsi associés et organisés, sont riches et nullement procéduriers ; ce sont des collectifs qui permettent de déployer la plus grande initiative personnelle, la plus grande expression personnelle sans avoir besoin de rechercher un assentiment préalable de tous. Ce qui est la base de ce partage, c’est l’a priori que les initiatives des individus sont bonnes pour le collectif.

Page 251: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 251

C’est en soi une image du collectif qui tranche absolument avec la traditionnelle opposition des intérêts personnels et collectifs qui est distillée par la plupart des institutions éducatives. Ici, il s’agit de prouver le contraire ; la liberté de mes collègues, de mes camarades, ne me borne ni ne m’enferme, elle enrichit au contraire la mienne.

Abdoulaye Konté123

: « Echanges réciproques de savoirs avec des mères célibataires, des enfants de la rue et des exclus du système scolaire » Le Centre d’Education et de promotion Sociale CEPS a vu le jour à l’initiative du conseil de quartier de Léona à Saint-Louis et vise comme objectifs de :

- Créer un cadre de prise en charge des enfants en situation difficile en leur offrant un espace sécurisé d’épanouissement, des soins de santé, et la possibilité d’initiation à un métier ;

- Créer les conditions de leur réintégration dans les familles d’origine tout en les protégeant la petite délinquance ;

- Aider à la réinsertion sociale et économique des jeunes filles-mères.

La démarche pédagogique au niveau du CEPS privilégie des échanges réciproques de savoirs entre les différents acteurs (encadreurs, pensionnaires, personnes ressources). Il s’agit, par cette approche, de lutter contre l’exclusion du fait de la particularité des pensionnaires du CEPS, et par ricochet, de créer des liens effectifs de solidarité entre eux, en vue d’un enrichissement mutuel.

Le CEPS, dans le cadre de son programme d’activités, a développé trois volets : Enfants en situation difficile, Jeunes filles mères et Jeunes filles oisives, Bébés et enfants des jeunes filles mères. C’est ainsi que les enfants en situation difficile recensés disposent de carnet de santé, reçoivent des soins sous le couvert du centre et sont initiés à certains métiers au niveau des ateliers partenaires. Grâce à la convivialité trouvée dans le centre, ils retrouvent la confiance, font preuve de responsabilité, d’autonomie et expriment des ambitions pour le futur, le lien social est renoué petit à petit et conduit parfois au désir de retour dans les familles d’origine.

Le CEPS s’est beaucoup investi dans la médiation sociale entre jeunes filles mères et familles d’origines pour un retour à la normale et surtout l’aide à l’initiation à des métiers comme la couture, la broderie, la teinture, la cuisine et l’informatique en vue d’une insertion au plan économique ; car les jeune fille mères, en plus d’être abandonnées par les parents, parfois renvoyées de la maison familiale, sont très souvent exclues du système scolaire. Pour une meilleure prise en charge des bébés et enfants des filles mères, une garderie est créée et certaines des mères sont accompagnées par des monitrices pour la gestion et l’encadrement.

La démarche d’échanges réciproques de savoirs participe à l’atteinte des objectifs d’éducation, de luttes contre les exclusions, de création de liens sociaux mais surtout à la diminution des charges de fonctionnement avec la technique d’expression des offres et des demandes entre acteurs. Le CEPS est riche aujourd’hui d’une importante production de savoirs, de savoir-faire et d’articles utilitaires, sources de revenus.

La réciprocité, telle que vécue, participe de la cohésion sociale en ce qu’elle permet une réintégration des « laissés pour compte ». Elle est émancipatrice et vecteur de reconnaissance.

123

Enseignant au Sénégal.

Page 252: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 252

Les résultats obtenus ont conféré une grande notoriété au Centre, à telle enseigne que les effectifs ne cessent d’augmenter, des personnes en difficulté ne sont plus les seules pensionnaires. C’est la raison pour laquelle il se pose avec acuité les problèmes d’extension des locaux, de moyens additionnels destinés au fonctionnement.

Ces résultats ont fini de convaincre les plus septiques et de faire adhérer les autorités administratives, politiques et religieuses.

Le centre a beaucoup développé une démarche novatrice en rupture totale avec le conservatisme propre au milieu socio-éducatif.

TTaabbllee--RRoonnddee NN°° 33,, aanniimmééee ppaarr PPaattrriicckk BBrruunn :: «« AA qquueelllleess ffrraaccttuurreess llaa rréécciipprroocciittéé ppeeuutt--eellllee ss’’aattttaaqquueerr ?? »»

André Vidricaire124

: « Émancipation, productions et échanges de savoirs » A la question « à quelle fracture la réciprocité s’attaque-t-elle ? », je voudrais tenter de répondre en prenant pour exemple les deux textes que je vous ai présentés hier, « accords barrés » et la « vulnérabilité » de Pierre Dumas que vous connaissez maintenant.

Je vais faire trois affirmations pour ensuite revenir aux deux textes de Pierre Dumas.

1ère affirmation :

« Quelqu’un frappé d’exclusion sociale donc fragilisé, éprouve généralement des difficultés à établir des relations à deux : « je – je » et aussi des relations avec un groupe,», j’appelle ça le « nous. »

2ème affirmation :

« Quelqu’un frappé d’exclusion sociale, et donc fragilisé, a tendance à se considérer comme ignorant face à ceux qui s’occupent de définir pour lui les services. »

3ème affirmation :

« Quelqu’un frappé d’exclusion sociale, et donc fragilisé, voit généralement la société (donc je passe du « Je » – face à face – au Nous à la société), donc ce quelqu’un ; dis-je, frappé d’exclusion, voit généralement la société, non pas comme un système juste, mais plutôt comme un lieu d’échanges entre des forts qui profitent des faibles qui sont généralement des perdants ». Et si vous vous rappelez, hier, nous avons tenté de vous présenter qu’il y avait une opposition entre échange et réciprocité.

Voici l’hypothèse que je fais, en ce qui concerne les deux textes d’hier : Pierre nous affirme qu’il se trouve socialement dans un lieu d’échanges et non pas dans un lieu de réciprocité.

Pour illustrer ces trois affirmations, je voudrais revenir à la démarche de Pierre.

« Le temps un », qu’est-ce qu’il a fait ?

124

Professeur de philosophie honoraire à l’UQAM (Université du Québec à Montréal), accompagnateur d’histoires de vie des collectifs, initiateur du RERS de Montréal.

Page 253: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 253

Pierre a fait une demande d’apprendre la guitare à Christian. Christian, c’est son copain qui accepte en disant : « je suis l’offreur ».

Rachel fait la médiatrice, Rachel connaît très bien et Pierre et Christian et elle accepte donc de faire la médiatrice, ce qui a donné lieu à un refus de Pierre.

Ça, c’est notre « temps un ». Il n’y a pas de texte, il n’y a rien c’est comme ce que vous connaissez dans un réseau d’échanges de savoirs, de comment ça fonctionne habituellement.

Le « temps deux »

Au Réseau de Montréal, un sous-groupe de cinq à six personnes se réunit pour s’interroger et interroger la réciprocité. Chacun accepte de rédiger un ou plusieurs textes qui font l’objet d’une discussion et d’un approfondissement, qui a donné lieu à un document de travail que vous trouverez dans les actes du jeudi.

Pierre, dans cet exercice d’écriture, a rédigé, non pas deux textes, mais trois textes : le premier « accords barrés », le deuxième, « la vulnérabilité », que vous avez entendue hier, et le dernier qui s’appelle « la dignité ».

Lisant ces textes au sous-groupe, Pierre a pu exprimer directement à Rachel ses peurs et celle-ci a pu partager son propre vécu relationnel avec Pierre.

D’autre part, Pierre a pu partager son savoir expérientiel avec d’autres savoirs plus pratiques ou plus théoriques.

Sa contribution avait sa place et elle avait une place comme celle de tous les autres.

Le sous-groupe, considérant les textes de Pierre fort pertinents, souhaitait que Pierre se rende en France, les communique pour que pour lui-même fasse partie de la réflexion à laquelle nous convie ce symposium et, ce faisant, qu’il exprime son point de vue sur la fracture sociale.

Il a hésité à l’invitation, se demandant qui serait-là, puis il nous a dit qu’il ne voulait pas se rendre à ce symposium. Il a accepté cependant de lire lui-même ses textes dans le power point que nous vous avons présenté hier.

Et me voilà donc devant vous avec une expérience concrète d’une fracture sociale qui n’a pas encore trouvé toute sa solution. Nous ne sommes pas allés jusqu’au bout. A quelles difficultés le réseau de Montréal a-t-il été confronté et demeure-t-il confronté ?

Quels ont été ses « bons coups » dans cette expérience et qu’est-ce qu’il reste à faire pour que ça marche davantage ?

Trois petites réponses de nos « bons coups » et la question.

Premier « bon coup » :

Je pense que Pierre a pu vivre concrètement une relation confiante de face à face avec Rachel. J‘appelle ça une expérience de « réciprocité binaire », une expérience qui vient apporter une première réponse à ma première affirmation du début : « Quelqu’un frappé d’exclusion éprouve généralement des difficultés à établir des relations à deux ».

Deuxième « bon coup » :

Pierre porteur d’un savoir a pu participer au travail de production de synthèse des textes individuels et donc, de lui-même, vivre et connaître une relation confiante de groupe : une relation confiante de « tous pour un pour un pour tous ». J’appellerai ça une « réciprocité

Page 254: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 254

restreinte », deuxième définition. Première définition, une réciprocité binaire et deuxième définition, réciprocité restreinte, c’est comme un groupe fermé.

Jusque-là, Pierre est d’accord, Pierre a été capable d’aller jusque-là à travers ses productions.

Le dernier point :

Il n’est pas venu ici et il nous a adressé un texte par le power point.

En ce qui a trait à son intervention à la société, je pense que Pierre se trouve dans une situation de nous offrir un don, un don sous forme d’une offre qui ignore, par contre, comment elle sera reçue.

Son problème, c’est de passer d’une définition d’une société définie uniquement comme un lieu d’échanges à se retrouver dans une société où ce serait une réciprocité généralisée. Ce n’est pas son expérience et de mon point de vue, la raison pour laquelle il n’était pas ici aujourd’hui. Merci.

Martine Lani-Bayle125

: « Vers une transmission intergénérationnelle réciproque »

« Nous sommes tous les petits-enfants de quelqu’un » A. Kornhaber et K. Woodward (1988)

De prime abord, j’ai été quelque peu effrayée par le titre de cette table ronde : A quelles « fractures » la réciprocité peut-elle « s’attaquer » ? Les mots sont forts.

Concernant les rapports entre les générations, il était d’usage, dans le courant soixante-huitard, celui qui refusait l’héritage, de parler de « fossé » entre les générations, depuis je pensais la fissure aplanie, le lien rétabli. Et pourtant…

Pourtant dans Passeurs d’humanité126, Loïc Andrien parle de « crise de la transmission », citant David le Breton qui estime que les repères entre les générations « se floutent » et la transmission qui se ferait de plus en plus entre pairs, et non entre générations (p. 21). Or conclue-t-il, « plus que jamais il nous faut nous réinterroger, garder à l’esprit ce que nos aïeux nous lèguent, ce que chaque jour, nous recevons. Ne nous devons-nous pas de le garder, et d’en être dépositaires jusqu’à ce que nous ayons à le transmettre à notre tour ? » (page 22).

Qu’en est-il donc ?

125

Professeur en Sciences de l’éducation, psychologue. 126

Erès 2008.

Page 255: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 255

• Les grands-parents sortent de leur retraite127

Depuis le légendaire Petit Chaperon rouge qui se demandait pourquoi sa grand-mère avait de grandes oreilles et de grandes dents, jusqu’à nous via « L’Art d’être grand-père » de Victor Hugo, la figure de l’ancêtre n’a jamais autant bougé qu’au cours du 20ème siècle où elle a largement été bousculée par des mouvements évolutifs alternants.

Précédemment, qu’il soit idéalisé ou stigmatisé, l’aïeul signifiait la pérennité de la tradition, l’assurance d’une immuabilité dont il était le garant, augurant d’une succession de ses acquis vers les générations suivantes qui pouvaient s’appuyer sur ce socle préconstruit et légué avec charge, non de le modifier, mais de le faire fructifier en vue des générations à venir. Ainsi le « venir de » se retournait-il en « devenir » : l’horizon d’attentes était de devenir ce dont on venait (objectif représenté par la phrase : « savoir d’où l’on vient permet de savoir où l’on va »). En effet, La fin ramènera l’origine, constate Pierre Bergougnoux128.

Répéter, reproduire, était la consigne implicite et même parfois explicite, elle était rassurante pour qui n’avait pas dès lors à inventer sa vie. Ceux qui ne jouaient pas le jeu étaient exclus, ceux qui méconnaissaient, ou étaient rejetés par leurs origines, étaient bannis.

Le décor d’autrefois est resté en place, taillé qu’il était dans la rude étoffe des choses, l’ardoise, le granit, le bois de chêne. L’éclairage qui baisse palpite encore, pour nous, de présences. Comment imaginer, quand les choses demeurent, que le temps a passé ? questionne dans le même esprit Pierre Bergougnoux129.

L’accélération des changements a mis à mal ce bel édifice, demain ressemblant de moins en moins à hier et nécessitant des aménagements permanents en termes de savoirs, toujours à refaire. Dès lors, s’appuyer sur un patrimoine pour négocier sa vie à l’identique des anciens n’était plus possible et les ascendants n’arrivaient plus à suivre ceux qui ne voulaient dès lors plus leur succéder, en descendre : les générations mêmes contiguës ne parvenaient plus à se comprendre, ayant l’impression de vivre dans des mondes différents avec des langages différents. L’expression « de mon temps130 » parfois utilisée par les aînés, avec une bouffée de nostalgie, est un signe de ce décalage, indiquant que pour eux, « leur temps » s’est arrêté quelque part et alors que pourtant, ils sont encore en vie. Mais elle signifie qu’ils ne reconnaissent plus le monde contemporain, auquel ils n’ont pas pu s’adapter, comme le leur. 127

Martine Lani-Bayle, titre d’un article in : Le Journal des psychologues n° 85, mars 1991, pp. 38-44. 128

La demeure des ombres, Art & Arts 1997, page 22. 129

Ibid. page 10. 130

Cf. Martine Lani-Bayle, « De mon temps », Cultures en mouvement 2002 n° 45, pp. 24 à 28.

Félicitons les grands-parents, car rien n’est moins évident que de gérer dans la bonne humeur une lourde tribu familiale. […] La grand-mère ne peut être bohème ou fantaisiste. C’est elle l’âme de la maison. Il est très dur de prendre la relève. […] Le grand-père a souvent un rôle plus effacé mais non moins important. C’est lui, l’amuseur ou le conteur.

Annick-Françoise Jacquier (2007).

Page 256: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 256

Les années soixante du siècle dernier, symbolisées par la révolte des jeunes de Mai 1968 refusant l’héritage et le passé, sont un signe du conflit s’étant alors installé entre les générations. Un fossé profond qui a fait écrire à Gérard Mendel, cette année-là, La Révolte contre le père131 – contre le père et au-delà – et dont il fait remonter les prémisses les plus directs au Malaise dans la civilisation freudien (1929). La Seconde guerre mondiale a fini de stigmatiser ce refus de l’héritage des anciens.

Alors les jeunes ont essayé de s’auto-engendrer, de se passer des aînés, de se débrouiller à partir de (presque) rien… et, et finalement, ils n’ont pas tardé à appeler à la rescousse ceux qu’ils avaient déboulonné peu auparavant. Ce sont peut-être les grands-parents, d’ailleurs, qui ont été rappelés le plus vite (pour s’occuper des petits-enfants, par exemple). Puis les précédents ont été re/convoqués, à savoir les dits ascendants, avec un engouement sans précédent pour la généalogie, sortant des couches nobles ou bourgeoises jusqu’alors à peu près les seules classes sociales à parfois s’y intéresser au moment où l’on songe à transmettre. Maintenant personne ou à peu près n’est indemne, et l’arbre généalogique est proposé dans les supermarchés ainsi que dans les programmes scolaires dès le primaire.

Mais les grands-parents dans la foulée sont aussi apparus en Sciences humaines, notamment en psychologie. Auparavant, quand un enfant n’allait pas bien, il était coutume d’attribuer la responsabilité des troubles, sinon leur « cause », aux parents, à savoir en général aux mères. D’un coup cette attribution remontait dans le temps, à la faveur de phrases assassines comme « il faut trois générations pour faire un psychotique »… Comme si un psychotique, cela se faisait… (et pour faire un enfant normal, il faudrait combien de temps : moins, ou plus ?) Toujours est-il que la culpabilisation remontait d’un cran, que les grands-parents aussi – surtout les grands-mères –, devenaient potentiellement mortifères ou dévorants. Regrettant que le thème ait été jusque là peu étudié en France, l’équipe du docteur Michel Soulé organisait, en mars 1978, la 6ème journée scientifique du Centre de guidance infantile de l’Institut de puériculture de Paris sur « Les Grands-parents dans la dynamique psychique de l’enfant132 ». Le divan familial s’agrandissait.

Le mouvement ne s’est pas tari, il s’est amplifié, notons par exemple cette publication datée de 2005 et inaugurant un néologisme : Grands-parents et grands-parentalités133. La sociologie aussi s’intéresse à cette renaissance. Mais leur fonction est étudiée avec plus de lucidité.

Depuis, les grands-parents font preuve tant de leur investissement que de leur dynamisme au regard de leurs descendants – ce que l’amélioration de la santé et l’allongement du temps de la vie ne fait que renforcer. Dès lors, il est important de s’interroger sur les fonctions spécifiques qu’ils peuvent revêtir auprès de leurs petits-enfants, qui ne se limitent pas à la fabrication de confitures ou à la garde pendant les vacances. Représentant le temps dont ils sont issus, ils ouvrent en effet à la temporalité et aux savoirs.

• Les relais du temps qui passe

Petite Rose s’attacha bien à cette grand-mère, malgré la figure de gargouille de la vieille, sa grosse voix, son menton plein de poils. L’aïeule avait un pied dans la tombe, certes, mais ce pied lançait des racines et l’arbre mort reprenait du bas, donnant des bourgeons comme au printemps. C’était du solide et les enfants sentent ces choses. Pascal Lainé (1988).

131

Petite bibliothèque Payot n° 197. 132

Publication ESF 1979. On y lit la petite phrase citée précédemment dès la Préface, page 11. 133

Direction B. Schneider, M.-C. Mietkiewicz et S. Bouyer, tous trois Maîtres de conférence en psychologie, éd. Erès.

Page 257: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 257

Ce tableau, matérialisé par ce dessin réalisé spontanément par un enfant contemporain de 10 ans, et confirmé par le commentaire de ses phylactères, représente concrètement l’ouverture temporelle – et donc culturelle, en direction de l’histoire –, que représente une simple parole de l’ancêtre envers son petit-enfant, parole inaugurée et symbolisée par cette courte phrase qui n’est banale qu’en apparence : « mon grand-père m’a dit que son père… ». Peu importe ce qui suit, l’important est dans l’ouverture ainsi autorisée de proche en proche, qui fait remonter l’enfant d’un siècle et demi et l’introduit à ce qu’il ne pourra découvrir, car disparu du présent, que par le langage et la représentation virtuelle. Le rapport au savoir trouve dans une telle parole son véritable creuset.

Pierre Bergougnoux134 exprime ainsi une telle expérience initiatique, dont il se souvient : La première figure née d’un souffle, pétrie de la chair merveilleuse des mots, ce fut, pour moi, […] au foyer du récit que m’a livré grand-père lorsque j’avais 3 ans. Le septuagénaire qu’il est devenu me rapporte ce qu’un vieil homme a dit à l’enfant de 3 ans qu’il était…

Cette remontée dans le temps n’est pas uniforme, elle est scandée par les tranches générationnelles qui la composent et qui crée un ordre immuable : le temps des horloges, contrairement au temps des représentations, au temps vécu ou psychique, n’est pas réversible. Même âgé et ancêtre, un homme reste le fils de son père, et même si l’âge a pu l’amener à prendre de l’ascendant sur lui. La différence d’âge entre les uns et les autres reste fixe mais son statut générationnel aussi, si le temps ajoute des tranches successives à chaque arrivée d’une couche nouvelle. Un monde non délimité par les générations serait un monde fou, constate le juriste et psychanalyste Pierre Legendre (1985). Horizon qu’il convient de garder à l’esprit quand des décalages d’âge compliquent les repérages, par exemple quand une femme a un enfant alors qu’elle est déjà grand-mère, ou quand une grand-mère élève au quotidien ses petits-enfants. Si les enfants sont correctement informés, on remarque qu’ils assimilent fort bien ces spécificités.

Ces paroles sur les temps d’avant, d’avant eux, intégrant leurs parents à leur âge et alors qu’ils n’ont pas pu les connaître en l’état, mettent des mots sur leurs pré-souvenirs et donne vie et relief au monde encore grandement inconnu qui les entoure mais qui, ainsi, devient connaissable. L’espace se conjugue dès lors au temps, les apprentissages demandés à l’école

134

Op. cit. pp. 16-17.

Page 258: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 258

s’amorcent : les guerres enseignées à l’école se colorent de celles racontées par les ancêtres et dont l’enfant « sent » les traces et relents autour de lui.

Se crée dès lors une forme de « polyphonie générationnelle » (Claudine Attias-Donfut, 1988) que notre société de plus en plus pluri/générationnelle contribue à enrichir – comme le ciel étoilé nous renvoie au même moment des lueurs venant d’âges bien différents.

Si parfois ce poids du passé peut se révéler très lourd ou sclérosant, il est en général bien ressenti, intégré dans un panorama multiple. Les petits-enfants d’aujourd’hui quand on les écoute s’y repèrent fort bien et montrent une grande lucidité à son encontre135.

Ce dessin d’une fillette de 10 ans en est une belle illustration. Quand on demande à des enfants de dessiner des grands-parents en train de raconter une histoire à un petit-enfant, conformément à la phrase de Marie-Annick Jacquier citée en exergue, ils représentent en majorité un grand-père. Les dessins sont très investis et colorés, même pour les garçons qui usent en général moins de couleurs que les filles. Et ils

comportent, dans leur majorité, une pendule (son « tic tac » peut même être indiqué) et une cheminée avec feu (alors que pourtant, peu d’enfants en disposent dans leur foyer), des tableaux au mur, des ouvertures vers l’extérieur, porte ou fenêtre montrant lune, étoiles et/ou soleil (ici, un bateau en navigation), des lampes allumées (l’atmosphère est souvent nocturne), des animaux et des fleurs.

Mais ouvrant au temps, les ancêtres apportent aussi les représentations de la maladie, de la vieillesse et la découverte de la mort. Rappelons qu’aujourd’hui, celles-ci sont en général inaugurées par les arrière-grands-parents et non plus par les grands-parents : l’augmentation de la durée de la vie a ajouté un étage à l’édifice.

Ecoutons des enfants d’une dizaine d’années discuter entre eux sur ce thème :

- « En fait moi, j’avais un arrière-grand-père qui s’appelait E. et je l’ai pas connu parce qu’il était mort, parce qu’il était très très vieux. Sinon j’ai un autre arrière-grand-père qui s’appelait papy L., il est mort d’une très grosse maladie, je sais plus comment elle s’appelait et la dernière fois, j’avais 5 ou 6 ans quand il est mort. »

- « Mon arrière-grand-mère, elle a 98 ans et j’espère qu’elle va encore vivre longtemps parce que déjà elle a une bonne santé, à mon avis ça va déjà alors j’aimerais bien qu’elle reste, à mon avis elle va encore vivre encore

135

Cf. Chemins de formation au fil du temps n° 9, « La transmission intergénérationnelle », Téraèdre/Université de Nantes, octobre 2006, et Martine Lani-Bayle, Les secrets de famille, Odile Jacob 2007.

Page 259: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 259

quelques petites années, parce qu’elle est en bonne santé, c’est juste que, c’est comme un peu pour tous les grands-parents… j’aimerais bien qu’elle vive longtemps.136 »

Les albums photos, pour qui en dispose, sont là qui aident ces remontées, quand les protagonistes sont loin, dans le temps comme dans l’espace. Souvent ils sont utilisés pour en réveiller la mémoire, voire pour la produire. Pourtant certains ne les aiment pas, car ils rappellent souffrances ou nostalgies – montrant, comme le relève Pierre Bergougnoux, des morts debout qui nous sourient – et ils évitent de les regarder, voire même de prendre des photos de leurs proches ou d’y figurer eux-mêmes.

Les personnages de roman, qui souvent nous disent ce qu’on n’ose réaliser, apportent parfois des solutions originales face à de tels dilemmes. Par exemple le héros des Reliques de Jeanne Benameur : refusant l’irréversibilité du temps dont nous venons de parler, il dérobait dans des maisons les albums photos, puis les remettait en ayant inversé leur ordre de présentation. Mettant la fin au début, il se rassurait et alors, rendait le document à sa place initiale. Oui il a touché aux albums de photographie. Il les remet à l’endroit, c’est tout. Pourquoi en faire un drame ? C’est l’ordre des photos qui est le seul drame. Ils ne voient pas que tout le monde meurt, au bout ? Lui, il sait que ce n’est pas ça, l’ordre juste. On feuillette et la peur arrive au fil des pages. On sait bien comment tout ça va finir. Les gens enterrés qu’on garde un peu à l’écart des maisons. […]On commence par la fin et on remonte. C’est tout. C’est simple137.

Si les ancêtres représentent en tout cas cette ouverture vers le passé, un passé encore bien là par leur présence, comment au quotidien peuvent se gérer ces contacts entre générations différentes, contemporaines ou non ?

• Transmission ou communication en toute réciprocité ? J’avais à peu près 4 ans. J’ai toujours été fascinée par cette horloge de grand-père. Aujourd’hui quand je regarde ma vie, je me dis que je ne suis ni le passé ni l’avenir mais le moment présent. Louise de Broin138.

Un siècle et demi et cinq générations les séparent, l’une écrit au crépuscule de son existence, l’autre à l’aube de son rapport à l’écriture. Toutes deux inscrivent leur vie, l’aînée la récapitule

136

Cf. Martine Lani-Bayle 2007, op. cit. 137

Jeanne Benameur. Les Reliques. Denoël 2005. 138

Louise de Broin participe dans son pays, au Québec, à un spectacle intitulé « Vieillesse et prouesse » mettant en scène et en danse la vie d’une personne de 73 ans, qui est peut-être elle ou peut-être pas...

Page 260: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 260

ouvertement à l’intention de ses descendants, présents et à venir – dont celle-ci, que j’ai mise ici à ses côtés, qu’elle ne pouvait qu’ignorer mais à laquelle elle pensait déjà –, l’autre à destination d’elle-même pour accompagner sa journée écoulée. Et pourtant, le geste – séculaire –, est le même. Penchées, attentionnées sur la feuille, elles procèdent l’une de l’autre sans le savoir, via une transmission culturelle bien établie, devenue caractéristique de notre part spécifique d’être humain. Littéralement, nous pouvons dire qu’elles s’écrivent ou qu’elles correspondent. Même si c’est totalement à leur insu.

Car il y a bien en ce rapprochement une transmission à l’œuvre, si le texte de la première n’est pas (encore) parvenu à la seconde, et si celui de la seconde ne parviendra jamais à la première sauf dans ses anticipations projectives les plus audacieuses. Cette transmission on le voit échappe à toute prophétie et n’apparaît que dans un après-coup bien aléatoire : en effet la transmission est avant tout dans la réception, pas dans l’émission. Ce que l’ancêtre a produit est bien là jusqu’à nous parvenu, et je peux le lire – si je veux. Car ce qu’elle a fait une fois déposé lui échappe, s’il n’est perdu ni détruit il peut être là sans que je le voie, ou veuille le voir : ce que j’en ferai ou non m’appartient, non à elle. Et si je le lis, son texte pourra (em)brouiller mon imaginaire et mes représentations sans ou avant lui. A contrario, ce qui est manquant n’est pas toujours entravant, au contraire cela donne ou peut donner envie de chercher, de construire, alors que le déjà-là peut s’imposer avec une charge non choisie, voire encombrante, qui n’est pas toujours recevable139…

Nul ainsi ne peut prétendre décréter ce que l’autre en bout de ligne (destinataire désigné ou non) fera, pourra ou voudra faire, de ce que volontairement, il entreprend de transférer, de léguer. Les vœux d’héritage sont une utopie propice à dérouter les meilleures intentions, et créent moult crises, conflits, décalages et autres contestations de successions dans les familles, même celles se croyant, à l’origine, les plus unies qui soient.

Car la transmission n’exclut pas une construction personnelle, à partir ou malgré ce qui est donné ou pas : la question n’est pas si simple. Mais si on la pense, non pas, comme souvent, à partir de l’émetteur, mais du récepteur, sa compréhension se transforme car alors, elle se présente tout autrement, sans doute aussi plus lucidement.

Et pour la mettre pleinement à l’œuvre, puisque notre vie vivante, somme toute, se déroule au présent, il convient de l’activer sous forme de « communication » (le vocabulaire n’est pas anodin sur notre possibilité de penser) : à savoir, l’exercer au présent car, comme l’image du ciel rapportée plus haut, ou comme le tableau présenté au début montrant l’effet d’une parole ancestrale, le présent est plurigénérationnel et peut permettre la correspondance contemporaine entre générations différentes. Par la lecture quand le temps s’éloigne mais que le papier le conserve, mais aussi par le dialogue en différé ou direct, comme le montre ce tableau.

Prenons l’exemple d’André de Peretti, un grand-aîné, né en 1916, qui va s’exprimer aussi lors de ces journées. Au début du présent millénaire, il m’a proposé de réaliser ensemble une recherche sur les représentations de l’avenir pour les jeunes d’aujourd’hui. Une telle opportunité ne se refusant pas, j’ai accepté avec plaisir, en proposant que ce travail soit réalisé, non pas sur les jeunes, mais avec quelques jeunes. Nous avons donc provoqué et

139

Cf. Martine Lani-Bayle, Taire et transmettre. Les histoires de vie au risque de l’impensable, Chronique sociale 2006 ; et op. Cit. 2007.

Page 261: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 261

enregistré une rencontre plurigénérationnelle, pour les mettre en dialogue sur la question, et assister à ce qu’elle pourrait provoquer140.

Sortant les jeunes de l’école avec la complicité des parents et des enseignants, certes, nous ne disposions pas malgré tout de beaucoup de temps pour que s’opère ce qui va rarement sur commande : un contact réel. Les jeunes sont de plus arrivés plutôt impressionnés, voire intimidés, par ce grand-père encore inconnu d’eux, et porteur de savoirs leur paraissant bien lointains. La distance était a priori telle qu’il pouvait se passer ce qui se passe en de telles situations, à savoir à peu près rien – fors l’échange de quelques banalités polies ou convenues.

C’était compter sans l’art de conteur d’André de Peretti, assorti d’une bonne expérience pédagogique et relationnelle. Pouvez-vous vous représenter l’état du monde quand j’avais votre âge ? leur a-t-il rapidement demandé. Et bien… ont-ils susurré… Voyez-vous, je suis né au milieu de la Première guerre mondiale. Là, ils voyaient à peu près. Je suis entré dans l’âge adulte alors que commençait la Seconde… Quasi silence. Quand j’avais votre âge, le monde connaissait une de ses plus grandes crises économiques… D’un coup, sur ces quelques paroles, ô combien « parlantes » quoiqu’issues du passé, la vision des jeunes s’est modifiée sur eux-mêmes et sur leur présent, mais dans la foulée sur le futur, sur leur futur : un homme était là devant eux qui incarnait ce qui les ennuyait et qu’ils n’arrivaient pas à retenir dans leurs cours d’histoire et, soudain, ce passé prenait vie, qui les incita spontanément à revisiter leur position dans l’espace du temps. Le présent, relativisé, devenait moins lourd, et les perspectives d’avenir moins sombres : osez, leur proposa ce représentant présent d’un autre temps, osez, votre vie est devant, elle est toute à faire !

Oui, communiquons entre les temps et les gens tant que c’est possible, non pour se confiner au passé mais bien pour le faire passer et par là, « apprivoiser l’avenir », comme tient à le dire André de Peretti. Que signifie apprivoiser ? ça signifie créer des liens, répond au Petit Prince, qui avait une rose pleine d’épines dans la tête, le rusé Renard de Saint-Exupéry.

De plus en plus d’expériences de réciprocité de cette sorte se mettent en place, qui réunissent plusieurs générations dans un dialogue productif, tant pour les unes que les autres (entre Maisons de retraite et Ecoles maternelles par exemple, ou dans des échanges sur Internet entre grands aînés sans descendance, et jeunes enfants ayant besoin de conseils ou d’appuis scolaires : en les prodiguant, ils sont motivés pour apprendre l’usage des nouvelles technologies, tout en luttant contre la solitude et en se sentant utiles). Parallèlement, certains commencent à reconnaître que le savoir ne descend plus invariablement du haut vers le bas, mais peut (doit ?) se construire à parité à la faveur d’échanges entre jeunes et anciens, chacun ayant besoin de toutes les générations pour conquérir sa présence au monde. Profitons donc de cet écart temporel qui nous amène à tirer parti des compétences diverses que tous, coincés à vie que nous sommes dans notre propre temporalité bien limitée par les deux bouts, nous ne pouvons atteindre qu’à travers ce que les autres, en amont comme en aval, nous apportent.

Dans une telle perspective, différentes voies, traditionnelles (même s’il faut parfois, comme on le constate ci-dessous, s’allonger sur ses pointes pour en atteindre l’entrée…) ou plus récentes, voire inventives, s’offrent à nous pour mettre en œuvre, sinon à l’épreuve, ces

140

Martine Lani-Bayle et François Texier, Apprivoiser l’avenir pour et avec les jeunes. Entretiens intergénérationnels avec André de Peretti, Mare et Martin 2007.

Page 262: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 262

141.

Bernard Defrance142

: « Pour réduire la fracture scolaire » Maurice Ravel a écrit en 1915 un trio dont évidemment la tonalité était inspirée par ce qui se passait en 1915 dans l’Europe et, pour lui faire écho, Chostakovitch a écrit un autre trio pour piano, violon et violoncelle, en 1943, lui aussi fortement imprégné de ce climat et le trio V. jouait ces deux trios dans une petite église, au fin fond du Morvan. Nous y sommes allés, ma femme et moi avec notre petite fille, qui a deux ans et demi. Notre petite fille est restée debout sur sa chaise pendant la quasi-totalité du concert, complètement fascinée par cette musique, qui n’est pas exactement de la musique au kilomètre. Pour faire la transition avec ce que Patrick Viveret proposera tout à l’heure comme réflexion, je ne peux m’empêcher de me poser la question de savoir « en quel état sera le monde, la planète, lorsque mes trois petites-filles qui ont deux ans, deux ans et demi et trois ans auront trente, quarante ans ? ». Et, là aussi, les questions qui se posent, il me semble que nous les oublions beaucoup trop souvent dans la manière dont nous traitons les problèmes d’ordre scolaire précisément.

Comment la réciprocité peut-elle réduire la fracture scolaire, Il faudrait déjà s’entendre sur ce que l’on entend par fracture scolaire.

Il me semble que ce qui est en question, ce n’est pas d’abord l’échec scolaire : le fait que 150 000 jeunes sortent tous les ans de l’école sans aucun diplôme, et ce chiffre n’a pas varié depuis 1995, ce n’est pas d’abord le fait de l’échec scolaire. Mais la question, me semble-t-il, est bien plutôt celle de la réussite scolaire : quand on voit l’état, en effet, de la société dans laquelle nous sommes placés par l’exercice du pouvoir des anciens bons élèves qui nous gouvernent !

La question de la réciprocité se pose là effectivement : dans ce fait que l’image de la réussite scolaire intériorisée par tout le monde est celle de l’élève de classe préparatoire et des anciens élèves de grandes écoles qui se partagent l’essentiel des pouvoirs financiers, économiques et politiques dans un jeu de chaise musicale féroce, avec les corruptions partagées. Effectivement, la question se pose de savoir « quelle est la finalité de ce qui se

141

Ce texte est en partie paru dans Seniors. Dis-moi ton âge, Institut Kervégan, Nantes2007, pp. 30-35, sous le titre « Grands-seniors/petits-juniors : quelle communication ? » Merci de leur accord pour avoir pu le reprendre ici. 142

Professeur de philosophie.

possibilités de contact quand le temps et/ou la distance sépare

les générations : ne les négligeons pas, pour le plus grand profit

de tous142.

Page 263: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 263

passe à l’école ? ». Si l’école fabrique, par l’échec, des délinquants qui vont rouspéter dans la rue par rapport à leur échec ou brûler des voitures, et produit, par ailleurs, des bons élèves qui, en effet, (il y a des exceptions, heureusement) ont l’essentiel des responsabilités économiques et politiques et font l’état de la planète telle que nous le connaissons, il y a de quoi se poser des questions. Je reprends là une boutade de Françoise Dolto « la réussite scolaire est un signe majeur de névrose », ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que l’échec scolaire soit un signe de santé mentale.

Je voudrais simplement attirer votre attention sur trois éléments qui me paraissent fondamentaux dans la fabrication de cette fracture scolaire.

Le premier. S’il y a, parmi vous, des enseignants ou des parents d’élèves qui ont été représentants des parents d’élèves dans les conseils de classe, le 1er élément, c’est celui que vous connaissez bien, ce leitmotiv, cette rengaine des conseils de classe et des bulletins scolaire : « cet élève n’est pas motivé ». L’absence de motivation, l’absence de désir d’apprendre, l’absence de désir d’entrer dans les champs immenses de la culture, dans les techniques, les arts et les sciences. Comment se fait-il que l’on passe de cette curiosité infinie que manifeste le bébé, l’enfant jusqu’à l’âge de… comment se fait-il que l’on passe de cette extraordinaire curiosité de ces « pourquoi » répétés, qui placent l’adulte dans des situations d’embarras très fréquents pour essayer de répondre… oui, comment se fait-il que l’on passe à une situation d’apathie, de dégoût même du savoir, de non-motivation ? Il y a de multiples explications, bien entendu, mais il me semble qu’une des premières explications tient simplement au découpage du temps. Ils ne sont pas motivés, évidement, vous comprenez, de

- de 8 h à 9 h : les enjeux de la bataille de Marignan, - de 9 h à 10 h : la reproduction des oursins, - de 10 h à 11h : la litanie des verbes irréguliers en anglais, - de 11 h à 12 h : technique de roulades au sol, - à 2 h : on m’envoie réciter un poème de Rimbaud, - et à 3 h : on attaque la résolution des équations au 3ème degré !

Et ça, c’est le régime que nous infligeons à des enfants dès l’âge de dix ans, dès qu’ils entrent au collège, régime qui, bien entendu s’il était infligé à des adultes dans le cadre de dispositifs de formation continue, ferait que dans les quarante-huit les adultes flanqueraient les formateurs par la fenêtre !

Eh bien, c’est ce découpage du temps qui, effectivement, fait que, dès que la cloche sonne, là, ça commence à devenir intéressant, il faut passer à autre chose et, heureusement, les redoublants sont là pour vous renseigner, parce qu’il ne faut pas oublier que la loi change avec la salle, de 8 h à 9 h, on a cours avec Mme Machin, on fait n’importe quoi, des bulles comme ça avec les chewing-gum, on grimpe sur les tables, bon, elle ne dit jamais rien, elle ne voit jamais rien ; et de 9 h à 10 h, on se ramasse 2 h de colle parce qu’on a oublié de coller le chewing-gum sous la table d’où le décollera la femme de ménage.

La loi change avec la salle, c’est-à-dire qu’il s’agit, non pas d’apprendre à obéir à la loi, mais d’apprendre à se soumettre à celui qui en est le représentant à ce moment-là ; donc les redoublants sont particulièrement utiles « avec un tel, fais attention parce que… etc. ». Vous connaissez ces conversations de cours de récréation, cette contre-culture collégienne et lycéenne qui permet aux collégiens et aux lycéens de supporter des situations qui sont objectivement insupportables. Cela, c’est le 1er élément de non motivation. Il ne s’agit pas du tout ici de compétence ou d’incompétence pédagogique des enseignants, il s’agit de dispositif

Page 264: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 264

institutionnel ; cet emploi du temps et de l’espace, ce n’est pas moi qui en décide et j’y suis soumis exactement comme mes élèves.

Le 2ème élément, me semble-t-il, tient à quelque chose de plus profondément enraciné. Il porte sur un dispositif institutionnel qui m’oblige, dans la classe, à transgresser un des principes fondateurs élémentaire du droit, indiscutable, à savoir que : « Nul ne peut être juge et parti ». Or, dans ma classe, c’est moi qui enseigne et qui juge ensuite des résultats de mon propre enseignement. Donc, en effet, l’élève qui, par imprégnation familiale ou sociale ou médiatique, a compris comment cela fonctionnait, va, non pas se confronter aux exigences extraordinairement complexes de la construction de la vérité dans tous les champs des savoirs, mais se dire « voyons, qu’est-ce qu’il a derrière la tête ? », « qu’est-ce qu’il veut me faire dire ? ». C’est-à-dire que l’exigence de vérité, de recherche de la vérité dans les sciences, de recherche de la beauté dans les arts, de recherche de l’efficacité dans les techniques, se transforme en recherche de la conformité.

« Qu’est-ce qu’il a derrière la tête ? », « qu’est-ce que je vais mettre sur cette copie qui me permettra d’avoir une bonne note ? » : non pas apprentissage de l’obéissance aux exigences extraordinairement complexes de la construction des savoirs mais apprentissage de la soumission « parce que je crois ce que le maître attend de moi ». Et jusqu’au plus haut niveau de la science, n’importe quel thésard ajoute à sa bibliographie des bouquins qu’il considère comme parfaitement nuls, mais comprenez que l’auteur est le petit copain de celui qui siège au jury, on n’est pas suicidaire ! Et cet apprentissage continu de la soumission, en effet, aboutit à un régime de pénalisation des savoirs, des apprentissages.

Vous savez que les experts de l’OCDE ont pointé qu’une des causes, pas la seule, de la baisse relative des performances des systèmes éducatifs français par rapport aux autres systèmes éducatifs, tient à cette extrême prudence des écoliers, des collégiens, des lycéens français avant de répondre à la question du professeur, extrême prudence qu’effectivement, dans certaines banlieues, les élèves n’ont pas du tout, alors que, dans les milieux disons « plus favorisés », les élèves ont appris cette prudence qui consiste à ne pas répondre à la question du maître sans d’abord être sûrs au préalable de l’exactitude de sa réponse.

Et donc, à la fin de mon cours, je pose la question « Tout le monde a compris » un grand silence hélas y répondit, comme dans la chanson, et donc « Bien, chapitre suivant » et j’ai largué la moitié de la classe sans m’en rendre compte, parce que les voix du feed back sont bouchées, sont rendues impossibles : « Comment parler en classe puisque celui auquel je parle, ce juge d’instruction, effectivement, risque d’utiliser l’aveu de mes ignorances, de mes incompréhensions ? », « Monsieur je n’ai rien compris à ce que venez de dire » ; « Mais mon jeune ami vous auriez dû savoir ça, mais naturellement, on se demande comment vous êtes arrivé en seconde. »

Effectivement, l’école est un lieu où je vais parce que je suis ignorant, mais j’apprends très rapidement que les ignorances y sont punies, que l’erreur devient une faute, qu’une note n’est pas une note basse ou élevée mais bonne ou mauvaise, et donc que je suis bon ou mauvais.

Cette moralisation, cette pénalisation des apprentissages, c’est la 2ème ligne de fracture, et là aussi, des réponses sont possibles pour éviter ce genre de processus. Je plaide, en effet, j’y reviendrai tout à l’heure, pour une dépénalisation des apprentissages scolaires. Parce que la notation, dont tout le monde sait d’ailleurs qu’elle est relativement arbitraire, ce n’est pas

Page 265: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 265

seulement une question de justesse de la notation mais aussi une question de justice : qui est-ce qui note ?

Le fait que l’on confonde évaluation et notation a des conséquences tout à fait tragiques sur le destin, sur le cursus scolaire des élèves puisque ce régime de notation où c’est le maître qui juge les résultats de son propre enseignement, sur des éléments dont Henri Pierron a démontré, depuis très longtemps, qu’il n’y avait aucune validité pour vérifier l’exactitude des savoirs acquis, a des conséquences tout à fait tragiques sur les orientations scolaires.

La 3ème ligne de fracture est que, à l’école, dès la maternelle, j’intériorise ce qu’il en est des violences, des divisions sociales du travail. J’apprends, à l’âge de trois ans, quand on me met à l’école maternelle, qu’il y a deux catégories d’adultes : ceux qui ont les tâches nobles, les maîtresses qui vous enseignent, qui organisent les jeux, les activités, et les tâches ignobles : la dame en bleue qui passe la serpillère dans les couloirs, qui me torche quand j’ai fait dans ma culotte, accidentellement, bien entendu, puisque pour entrer à la maternelle il faut être propre (ce que semblait ignorer le ministre, dans une dernière intervention dont vous avez entendu parler devant la commission du Sénat où il expliquait qu’il n’y avait pas besoin de bac + 5 pour changer les couches et faire faire la sieste aux enfants à l’école maternelle).

Dans certains établissements scolaires, avec les meilleures intentions du monde, on inflige des punitions dites éducatives, par exemple des travaux d’utilité collective et le gamin puni ramasse les papiers dans la cour : mais on a oublié que la mère du gamin puni en question est femme de ménage, que son père est technicien de surfaces : autrement dit, que son père et sa mère sont punis toute leur vie !

Donc, il y a là quelque chose d’extrêmement grave qui se passe en effet dans l’école et qui aboutit à cette mutilation des potentialités de développement culturel qui existe en chaque petit d’homme. Mutilation des orientations, renoncement à toute la culture technique, l’homo faber précède l’homo sapiens dans l’histoire de l’humanité, et renoncement à toute la culture technique, au rapport à la matière, à la recherche de l’efficacité dans l’action, la maîtrise du feu, etc.

On se demande pourquoi les enfants mettent le feu dans les banlieues. Evidemment, la maîtrise du feu passe avant l’invention même du langage et quand on n’a pas pu apprendre à parler, on peut parler de cette manière-là ! Et les bonnes âmes ne comprennent pas très bien.

• Privation de la dimension de la culture technique, pour les élèves bons ou moyens orientés en étude longues ;

• Privation de la dimension artistique, esthétique, éthique, pour les futurs forçats des mathématiques et des classes préparatoires ;

• Privation des informations scientifiques nécessaires au citoyen d’aujourd’hui pour participer au débat démocratique parce que la question en effet de la démocratie c’est de savoir qui décide, si c’est le citoyen ou si c’est l’expert auprès duquel de citoyen est démissionné de ses responsabilités.

Par cette triple mutilation, à chaque étape de l’orientation, il faut que je renonce à une part de ce qui pourrait être le développement des potentialités que je peux ressentir en moi-même.

Page 266: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 266

Des éléments de réponses

On pourrait continuer bien entendu l’analyse, là, je reste très schématique, très sommaire, mais il faut aussi immédiatement donner des éléments de réponse. Ils existent dans ce que je viens de dire.

Effectivement une autre organisation du temps scolaire est absolument nécessaire. Vous savez que les décisions qui ont été prises récemment par le Ministre de l’Education Nationale concernent la suppression du samedi matin ; les rythmes scolaires constituent une véritable maltraitance massive, répétée, à l’égard de tous les enfants de ce pays. Tous les spécialistes de chronobiologie, Hubert Montagner, Testu, etc., vous expliquent que le régime actuellement infligé aux enfants est le pire qui puisse être infligé. Imaginez un Ministre de la Santé qui s’aviserait de montrer au médecin ou au chirurgien comment opérer une appendicite ou qui imposerait l’usage d’un médicament dont toutes les études démontreraient la nocivité, évidemment ce Ministre de la Santé ne ferait pas long feu. Eh bien, c’est ce qui se passe dans l’Education Nationale. Il y a, dans notre Code pénal, tous les éléments nécessaires pour incriminer pour maltraitance massive à enfants les responsables actuels de notre système éducatif, et j’attends qu’un tribunal pénal se penche sérieusement sur cette question.

Le 2ème élément de réponse lié au travail sur le temps, sur l’articulation de la technique des arts et des sciences dans les programmes, je l’ai aussi déjà esquissé.

Si dans ma classe, c’est moi qui enseigne et qui juge ensuite de mon propre enseignement, ça ne va pas. Il faut trianguler. Il faut casser précisément cette confusion des pouvoirs, au sens de Montesquieu. Cette confusion des pouvoirs, comment la casser si ce n’est en séparant la validation des compétences acquises de l’évaluation pédagogique interne du travail de la classe, dans ce travail d’évaluation interne comme je l’ai fait moi-même. Je ne parle pas de classe d’utopie, j’ai travaillé dans les classes Freinet, dans les classes coopératives, dans les classes de pédagogie institutionnelle, avec Catherine Pochet, Fernand Oury, d’autres, etc. Effectivement, là on sait ce qu’il en est dans ce travail de la véritable évaluation du travail pédagogique et de la réciprocité dans cette évaluation. Quand Fernand Oury transgressait une des règles, il se trouvait toujours un enfant pour le lui dire, pour le rappeler à la loi : la loi est la même pour tous. Qu’est-ce qui se passe quand j’arrive en retard ? Qu’est-ce qui se passe quand un élève arrive en retard ? Principe indiscutable du droit, à désormais mettre en œuvre dans les dispositifs institutionnels de nos écoles.

Aujourd’hui, qu’est ce qui se passe, si je perds mon sang froid, si je « flanque une torgnole » à un gamin ?

• Une fois sur dix, je tombe sur un père gendarme qui va me traîner devant les tribunaux et je ramasserai une amende, sous réserve que le tribunal ne retienne pas encore le droit de correction paternelle dont disposent quelquefois encore les enseignants ;

• Une fois sur dix, les parents viennent me trouver en disant « Tapez plus fort (parce qu’ils ne savent pas quoi faire de leur voyou) il faut être sévère avec lui, hein, n’hésitez pas » ;

• et huit fois sur dix, il ne se passe rien.

Qu’est-ce qui se passe si un gamin lui aussi pète les plombs et me frappe ? Dans l’heure qui suit, les collègues sont en grève, droit de retrait, assemblée générale, signalement au parquet des mineurs, conseil de discipline et exclusion, titres dans les journaux et le Ministre vous sort son énième plan de lutte contre la violence à l’école.

Page 267: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 267

La loi dit – ce n’est pas moi qui l’ai inventée, je n’y suis pour rien dans cette histoire – « que pour tout acte délictuel ou criminel commis par un mineur, il est moins lourdement puni que s’il est commis par un majeur ».

Je flanque une claque à un élève, il ne se passe rien. L’élève me frappe, il est exclu et il a le maximum de sanctions possibles. Si notre système éducatif fonctionne à l’envers des principes élémentaires du droit, eh bien, il importe précisément de mettre en place les dispositifs qui permettront que ces principes élémentaires et indiscutables du droit soient mis en œuvre ; mise en pratique de la loi dans le quotidien le plus banal de nos établissements scolaires. C’est une exigence aujourd’hui de dépénaliser les apprentissages, de ne pas confondre la sanction et la punition. La sanction, c’est le résultat positif ou négatif d’un processus de travail.

J’avais beaucoup de difficultés à expliquer à mes élèves, au début de l’année (j’avais tous les ans entre 150 et 300 élèves de classes terminales en philosophie et en séries techniques tertiaire) ; j’avais beaucoup de mal à leur expliquer que le 3 ou le 5 à leur première tentative de fabrication d’une dissertation de philosophie était une excellente note. « Tu te jettes à l’eau, tu ne sais pas nager, tu ne t’es pas noyé c’est déjà ça », bon ; alors, évidemment, les filles surtout, me répondaient « Mais Monsieur, nos parents ne l’envisagent pas de cette manière.». Alors il fallait alors expliquer de cette manière : « Je ne sais pas, j’apprends, et première note 5, deuxième trimestre 10, troisième 15 et le jour du bac, vous aurez 20. » Il y en avait qui, tous les ans, en effet, obtenaient 16 ou18, ce n’était pas rare.

Donc, dépénaliser les apprentissages, cela signifie introduire les principes du droit : j’ai parfaitement le droit, Monsieur, de me foutre éperdument des affres de Madame de Bovary, de la résolution des équations au 3ème degré, de ne pas être motivé. C’est la condition grâce à laquelle, je pourrai construire une véritable motivation. Il s’agit d’échapper à ce face à face duel, ce face à face duel qui caractérise les trois-quarts des rapports entre élèves et enseignants. Dans un film qui a reçu la palme d’or au dernier festival de Cannes, on voit que ce n’est que par ces habiletés psychologiques que le professeur arrive à échapper aux pièges de cette relation duelle : mais lui, comme ses confrères, votent l’exclusion lors du conseil de discipline. Dans le reportage sur les acteurs du film, l’acteur qui joue le rôle de l’élève qui a été exclu dans la réalité expliquait qu’ils avaient dû retourner la scène plusieurs fois parce qu’il était pris de fou-rire simplement par le fait d’être obligé de tourner une scène où il injuriait un professeur. Effectivement, je me demandais ce que pensait l’élève réel, qui a été réellement exclu, en regardant ce reportage et en s’apercevant du succès du film. Si un jour j’ai la chance de pouvoir rencontrer François Bégodeau, je lui expliquerai que – comme ça m’est arrivé, l’avant-dernière année de ma carrière – ce conseil de discipline aurait été annulé devant la commission rectorale d’appel. L’avant-dernière année de ma carrière, il y a eu cinq conseils de discipline dans mon établissement ; le cinquième était présidé par l’Inspecteur d’Académie alors là, quand même, le recteur a reculé mais les quatre autres ont été annulés. Evidemment, cela ne faisait pas plaisir à tout le monde à l’intérieur même de l’établissement et dans la salle des professeurs. Mais bon, du principe du droit, encore une fois, excusez-moi, ce n’est pas moi qui ai inventé ça.

Comment répondre à cette fracture ?

Effectivement, la réciprocité répond à cette fracture parce qu’elle met en œuvre ces principes élémentaires et indiscutables du droit, la réciprocité, telle que vous la vivez tous les jours dans vos Réseaux, répond à cette exigence de la Convention internationale des droits de l’enfant, l’article 12. L’article 12, il faut le lire et le relire : les états parties, les états parties, c'est-à-dire

Page 268: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 268

signataires de la Convention (tous les états ont ratifié la convention sauf les Etats-Unis, mais cela va peut-être venir bientôt), les états parties garantissent à l’enfant, qui est capable de discernement, le droit d’exprimer librement son opinion sur toutes questions l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ».

Toute la difficulté, c’est ce calcul du temps. Comment ne pas infliger à l’enfant des responsabilités excessives trop tôt et lui laisser le temps de l’enfance et des bêtises ? Comment ne pas retarder trop tard l’exercice des droits libertés que lui reconnaît la Convention ? A cette fin, on donnera, notamment, à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toutes procédures judiciaires ou administratives l’intéressant, autrement dit, une classe, un établissement scolaire. Une institution qui, aujourd’hui, reçoit des enfants et ne met pas en place les dispositifs qui permettent à ces enfants d’exercer les droits libertés qui leur sont reconnus par la Convention, progressivement selon leur degré de maturité, cette institution qui ne mettrait pas en place ces dispositifs serait désormais, est désormais hors la loi.

Il faut souligner, une fois de plus, que les nouveaux programmes de l’instruction civique et morale qui viennent d’être édictés par le Ministère, ne disent pas un mot, pas une simple allusion, pas un moindre sous-entendu, du texte fondateur qui, aujourd’hui, ratifié par l’ensemble des pays du monde, règle les rapports entre les adultes et les enfants. Il est extrêmement grave qu’au plus haut niveau des responsabilités politiques on manifeste une telle ignorance des textes élémentaires qui, en effet, sont à la base de nos sociétés de droit.

Comment trianguler ? Comment sortir du face à face ? Quand j’entre en classe, inévitablement j’ai peur, ils sont là, à quinze, vingt-cinq, trente (j’ai eu des classes jusqu’à quarante), qui ne savent pas forcément toujours quel est le sens de ce cadeau d’école que nous leur faisons. Il m’arrivait de dire à mes élèves de terminale « voilà, chacun d’entre vous coûte dix à douze mille euros », ce qui me permettait de dire aux redoublants : « voyez-vous, c’est le double pour vous ; et pourquoi croyez-vous que l’on vous fait ce cadeau ? ». Comme j’avais des élèves issus à 95 % de l’immigration, ils comprenaient ce cadeau d’école que nous leur faisons effectivement : comment pourrait-on ne pas le gaspiller ? Quand je rentre en classe, j’ai peur, ils ne voient pas forcément toujours quel est le sens de leur présence en ce lieu : « A quoi ça sert, Monsieur, d’apprendre ce poème de Rimbaud ? Vous croyez que c’est ça qui va me permettre d’échapper au chômage ? » Comment échapper aux tentations des marchandises tombées du camion, des courts-circuits de la violence dans la cité ? Comment échapper aux emprises des médias et des images qui vous remplissent la cervelle dans la sidération des pulsations médiatiques qui privent de paroles ? Comment, à l’école, retrouver un minimum de sens de la parole et de la parole réciproque, c’est-à-dire comment le professeur pourrait-il poser des questions, à ses propres élèves, dont il ne connaît pas lui-même la réponse ?

Quand je rentre en classe, j’ai peur, et donc je suis tenté de confondre l’exercice de mon autorité dans ce groupe avec l’exercice de mon pouvoir sur ce groupe. Vous venez de parler de l’ascendance et de la descendance. Je crois qu’effectivement, cette verticalité est ce qui pervertit l’école et fait que je confonds l’exercice de mon pouvoir sur un groupe avec la question « comment je vais les tenir » avec l’exercice de mon autorité dans ce groupe ? ». Le professeur n’est pas au-dessus, il est devant. « Je vous invite à entrer, à votre tour, dans cette aventure infinie des techniques des arts et des sciences puisque vous aurez un jour à résoudre des problèmes que nous n’avons été nous-mêmes incapables de résoudre jusque-là ». Si je confonds mon pouvoir sur le groupe avec mon autorité dans le groupe, symétriquement les

Page 269: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 269

élèves apprendront à se soumettre au lieu d’apprendre à obéir. Obéir doublement : à la loi qui nous permet de vivre ensemble, aux exigences du vivre ensemble et obéir à ces constructions, à ces exigences de la construction extraordinairement complexe des savoirs. Se soumettre c’est se mettre dessous, pas besoin d’être psychanalyste pour comprendre ce que cela signifie pour l’inconscient, se mettre dessous c’est s’abaisser : les enfants à l’école, on les appelle des élèves ; si on demande aux élèves de s’abaisser, il n’y a plus d’école !

J’ai esquissé, ici, les grandes lignes des chantiers de travail qui s’ouvrent aujourd’hui. Je voudrais seulement terminer sur une petite anecdote qui illustre absolument à merveille, ce que l’on disait tout à l’heure dans l’atelier et ce que j’ai entendu à propos de la réciprocité. Cela se passe dans le cours élémentaire 2ème année à l’école dans le quartier Nord de Bondy (école que l’on a construit pendant les « Trente glorieuses » pour stocker la main d’œuvre à moindre coût possible). Dans cette école, dix minutes pour monter en classe, cinq minutes pour redescendre = un quart d’heure = une année d’exercices passer à manœuvrer ? Dans la classe de CE2, dont Catherine Pochet est l’institutrice, classe de pédagogie institutionnelle, technique Freinet, un mardi après-midi, les groupes sont au travail et ils ont sept/huit ans. L’un d’entre eux vient tirer Catherine par sa blouse (je travaillais avec un groupe, Fernand Oury avec un autre), pour quelque chose qu’il ne savait pas faire. Catherine le regarde et lui dit « Tu vois bien que je suis occupée ». Puis elle a un regard circulaire et voit au fond de la classe Emmanuel plongé dans les livres de la bibliothèque : il avait terminé son travail et attendait paisiblement que les autres terminent. « Tiens, va demander à Emmanuel, lui, là-bas, il sait faire ». Et Emmanuel, qui a entendu du fond de la classe : « Ah non, Madame, il pue ».

Nous avons sursauté, naturellement. Je m’attendais à ce que Catherine ait la réponse que l’on aurait probablement eu dans ces cas-là : « Ce n’est pas gentil, il ne faut pas dire des choses comme ça, tu sais bien que ce n’est pas de sa faute. ». Elle aurait pu faire une réponse humanitaire, (très utile à l’audimat). Elle n’a pas du tout fait cette réponse, elle a fait une réponse violente (c’est un des premiers indices qui m’a permis de comprendre l’efficacité des principes du droit dans le travail pédagogique, dans l’institutionnalisation des savoirs et de la loi) : « Je ne te demande pas ton avis, tu vas l’aider et si tu n’es pas content, tu le diras au Conseil ». Emmanuel n’a pas rapporté l’affaire au conseil. En discutant avec lui, j’ai compris ceci – et c’est une expérience que nous avons tous faite – qu’en expliquant à son camarade ce que lui-même avait compris et ce que celui-ci n’avait pas compris, il maîtrisait ce savoir encore mieux qu’avant ; c’est-à-dire qu’ici, à l’école, les enfants devraient faire, l’expérience que vous faites tous les jours dans les réseaux d’échanges réciproques de savoirs : à savoir que, le savoir s’augmente de se donner. Quand on donne de l’argent dans le geste charitable, humanitaire, on ne l’a plus, on l’a en moins. Quand je donne du savoir, j’en ai plus après l’avoir donné qu’avant de l’avoir donné et je maîtrise beaucoup mieux les savoirs, les savoir-faire que je suis amené à transmettre (pour rejoindre encore ce que vous disiez à l’instant sur la transmission).

Et là, on entre dans ce que la relation humaine, au sens le plus profond, éthique du mot, peut avoir, en effet, de décisivement vital aujourd’hui pour nos enfants. C’est-à-dire que je ne peux m’approprier que ce que je donne : cela vient heurter de plein fouet toutes les logiques extérieures de la prédation, de la violence, du moi d’abord, de la réussite de la stupidité.

Non, je ne peux pas me dispenser de parler de la dernière grave erreur de notre Ministre qui prétend faire apprendre par cœur un certain nombre de maximes et notamment cette fameuse maxime « Ta liberté s’arrête là où commence celle de l’autre ». Si ma liberté s’arrête là où commence celle de l’autre, nous sommes dans des logiques de territoires. Et forcément,

Page 270: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 270

il y a des frictions aux frontières ; inutile de vous dire qu’un enfant et un adolescent qui ne peuvent grandir qu’en accroissant leur prise sur le monde, leur pouvoir, leur liberté, si on leur inflige cette maxime stupide et meurtrière, eh bien, ils apprennent qu’ils ne peuvent augmenter leur pouvoir qu’au détriment d’autrui, donc nous sommes dans la guerre. Ce que l’on peut apprendre à l’école, c’est que, pour jouer au foot, il faut être vingt deux ; que si les arrières ne font pas leurs boulots, ce que font les avants perd son sens ; que, pour trouver du plaisir aux activités, il faut travailler également au plaisir de l’autre ; et qu’en effet, la réciprocité, l’obligation de l’échange réciproque, c’est ce qui va structurer toutes les relations, c’est ce qui va nous permettre d’articuler nos libertés, de comprendre que dans le travail de la création et d’abord dans celui de la procréation eh bien, il faut être deux ; et qu’à deux, trois, quatre, cinq, quinze ou vingt, on en fait beaucoup plus : ma liberté s’augmente de celle de l’autre et voilà l’expérience que les enfants devraient pouvoir faire à l’école.

Patrick Viveret143

: « Du bon usage de la fin d’UN monde » Ce que je voulais vous dire, puisque vous êtes dans le cadre d’une rencontre internationale sur la réciprocité, c’est que ce lien entre les enjeux internationaux et la réciprocité me parait tout à fait fondamental pour être capables de réussir une sortie par le haut de la formidable crise systémique dans laquelle nous sommes rentrés.

Quand je dis crise systémique, je parle du fait que cette crise n’est pas simplement une crise économique et financière, elle est tout autant écologique. Et d’ailleurs, il y a quelques mois, on évoquait davantage les problèmes du dérèglement climatique et le problème des atteintes à la biodiversité.

Elle est tout aussi bien sociale et, au cours de l’été dernier, l’accent a été mis sur le problème dramatique des émeutes de la faim et du lien avec la crise alimentaire mondiale.

Elle est civilisationnelle, elle est géopolitique, parce que c’est aussi la fin de l’hyper-puissance américaine qui est en train de se jouer sous nos yeux de la même façon que c’est la fin de la domination du monde blanc développé et c’est l’un des aspects extrêmement significatifs aussi de l’élection de Barack Obama.

Et donc, c’est une crise à multiples facettes. Mais le cœur de cette crise est directement lié à une triple dégradation relationnelle et c’est par rapport à cette dégradation relationnelle que la réciprocité constitue un enjeu considérable pour proposer une voie positive à l’humanité dans ces rendez-vous critiques avec elle-même qu’elle est en train de connaître.

Quelle est cette triple crise relationnelle ?

• C’est une crise relationnelle dans les rapports de l’humanité avec sa niche écologique, avec sa biosphère et/ou le fait d’être dans un rapport de la démesure et de la dégradation, qui était celle de cette croissance insoutenable de deux siècles de productivisme, est au cœur de la crise écologique. Crise relationnelle évidemment dans les rapports avec autrui. La forme de creusement des inégalités sociales, aussi bien à l’échelle mondiale qu’à l’échelle de nos propres sociétés, est une des manifestations les plus spectaculaires de cette crise dans la relation interhumaine. Quand vous avez trois personnes, trois personnes seulement, qui ont l’équivalent de la richesse des quarante-huit pays les plus pauvres du monde on est dans une vraie crise relationnelle. Et la crise sociale, avec ses différentes manifestations, manifeste cette crise relationnelle.

143

Philosophe.

Page 271: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 271

• Mais la crise relationnelle interhumaine se manifeste aussi à travers la crise financière parce que quand on parle d’une crise de confiance, une crise de confiance c’est une crise dans les rapports relationnels interhumains.

• Et puis la troisième relation dégradée c’est dans le rapport à soi-même. Nous sommes dans des sociétés où la difficulté de construire un rapport à soi-même, l’absence de vie intérieure, le fait d’être en permanence décentré, l’impossibilité de se poser, creusent cette difficulté du rapport à soi-même, qui est aussi à l’origine de la difficulté dans le rapport à autrui. Comme nous le montrent toutes les traditions de sagesse, il n’y a de possibilité de vivre de façon sereine et positive la relation à autrui que si la relation à soi-même est elle-même construite et non dégradée.

C’est par rapport à cette triple crise relationnelle, qui est au cœur de la crise écologique, qui est au cœur de la crise sociale, qui est au cœur de la crise financière et qui est aussi au cœur d’une crise de civilisation, que la question de la réciprocité me semble représenter un enjeu clairement de nature politique, au sens le plus fort du terme. Il me semble que la réciprocité, elle, doit être un axe structurant dans la double réponse à cette crise systémique, dans une réponse systémique à cette crise systémique, qui est justement caractérisée par le fait que, face à la démesure qui est au cœur de la crise relationnelle dans les rapports à la nature, dans le rapport à soi, dans les rapports à autrui, nous avons besoin de retrouver du sens de la mesure.

Mais ce sens de la mesure doit lui-même être articulé avec un autre élément fondamental sur lequel la réciprocité peut apporter des éléments positifs qui est la question du mal-être. Et la réponse au mal-être, la réponse au mal de vivre, elle est en termes de mieux-être mais en entendant fortement le mot « être » dans bien-être et dans mieux-être. Je donne quelques précisions sur cet élément là parce que c’est toute l’articulation de ce que, par exemple, Pierre Rahbi appelle la sobriété mais la sobriété heureuse. La sobriété, c’est la réponse en termes de mesure à la logique de la démesure, démesure du productivisme, démesure du découplage de l’économie financière par rapport à l’économie réelle, démesure du creusement des inégalités sociales.

La réponse à la démesure c’est la sobriété comme mesure, la sobriété, la simplicité volontaire peu importe les termes, mais en tout cas l’acceptation par l’humanité de revivre un rapport à des limites. Mais cette acceptation de la limite, cette acceptation de la sobriété n’est possible en même temps que si elle est source de mieux-être. Sinon, nous sommes dans la contradiction d’un toxicomane auquel on proposerait une cure de sevrage mais qui, s’il n’a pas une perspective de mieux-être à sa sortie, préfèrera encore sa toxicomanie.

Or, nous avons des sociétés toxicomanes et c’est, évidemment, dans la sphère financière, au cœur de la spéculation mondiale que ce rapport de toxicomanie est le plus évident. Rappelez-vous, le Wall Street journal, lors du premier krak de 1987, avait eu ces mots extrêmement significatifs : Wall Street ne connaît que deux sentiments : l’euphorie ou la panique. On est bien loin de la thèse de l’arbitrage rationnel qui nous est serinée par les experts orthodoxes de l’économie financière.

Euphorie ou panique, cela nous rappelle quelque chose, c’est exactement la caractérisation d’une psychose maniaco-dépressive, c’est un état de déséquilibre psychique massif qui est au cœur même de l’économie financière. Quand, non seulement les sociétés sont obsédées par l’économie, mais qu’au cœur de l’économie vous avez de l’économie financière et qu’au cœur

Page 272: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 272

de l’économie financière vous avez de la logique spéculative et qu’au cœur de la logique spéculative vous avez, en réalité, pour l’essentiel, de l’euphorie et de la panique – ce que l’ancien président de la banque fédérale américaine, Alan Greenspan, avait appelé en son temps l’exubérance irrationnelle des marchés financiers dont la contre partie est aujourd’hui la dépression tout aussi irrationnelle des marchés financiers –, nous voyons bien que, derrière ces grandes pathologies (qui sont les pathologies du rapport à la richesse, comme il y a les pathologies du rapport au pouvoir : souvenons-nous que cette crise systémique qui arrive au cœur aujourd’hui du capitalisme et du système occidental est en quelque sorte la réplique sismique de l’effondrement de l’empire soviétique d’il y a vingt ans, qui était, lui, le résultat d’une démesure et d’une pathologie dans le rapport au pouvoir de la même façon que les intégrismes et les fondamentalismes sont des dérèglements dans l’ordre de la démesure de la captation du sens), eh bien, si on regarde l’origine de ces démesures, nous voyons bien que leur origine fondamentale c’est du mal-être et c’est du mal de vivre. Lorsque l’économie des stupéfiants représente dix fois les sommes qui seraient nécessaires, selon les Nations Unies, sur la lutte contre faim, l’accès pour tous à l’eau potable, les soins de base et le logement décent pour tous, nous sommes dans la démonstration qu’au cœur de cette crise systémique, il y a du mal-être et du mal de vivre.

Et on ne répond à cette crise systémique que si l’on articule la question de la mesure face à la démesure à travers la sobriété. Mais une sobriété articulée comme réponse au mal être et au mal de vivre. Et donc une sobriété heureuse qui pose la question de l’art de vivre à la bonne heure comme étant une question non seulement éminemment personnelle mais une question totalement sociale, structurelle et osons le mot politique.

Et si nous sommes dans cette perspective, alors nous comprenons bien que l’enjeu de la réciprocité comme capacité de rétablir des rapports d’échanges, de reconnaissance mutuelle entre les êtres humains dans leurs rapports à eux-mêmes, dans leur rapport également à leur nature nourricière, devient un enjeu fondamental dans la réponse à la crise actuelle. Et que toutes les questions du mieux-être, toutes les questions de la joie de vivre, toutes les questions de « l’art de vivre à la bonne heure » ne sont pas des questions luxueuses qu’une petite partie des populations les plus aisées pourraient se poser, par exemple dans nos sociétés, mais qui n’auraient rien à voir avec les problèmes vitaux de l’humanité, de la faim, du non accès à l’eau potable, aux soins de base, etc.

Non, c’est parce que les effets de la toxicomanie, du mal de vivre etc. produisent des raretés artificielles, alors qu’il y aurait largement de quoi nourrir l’ensemble de l’humanité, alors que toutes les conditions seraient réunies pour que l’accès aux soins de base, à l’eau potable, au logement etc. soient réunis, c’est à cause de ces pathologies que des besoins vitaux sont mis en cause.

Je pense ici à la fameuse phrase de Gandhi sur le fait qu’il y a suffisamment de ressources sur cette planète pour répondre aux besoins de tous mais qu’en réalité il n’y en a pas assez s’il s’agit de satisfaire le désir de possession donc l’avidité, donc la cupidité etc. donc ce formidable dérèglement du désir qui est justement caractérisé par le contraire de la réciprocité.

Si donc la question du mieux-être, la question de l’art de vivre devient une question politique structurelle et une question politique structurelle mondiale, alors, à ce moment-là, toutes les stratégies – depuis le niveau le plus local jusqu’au niveau le plus planétaire, depuis nos propres vies personnelles jusqu’aux enjeux de transformations structurelles – sont

Page 273: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 273

effectivement organisées autour de la question de ce que nous appelons, par exemple dans le « collectif richesse », les stratégies « nanoub ». « Nanoub » ça veut dire « nous allons nous faire du bien ».

Face à une crise qui risque de générer des réactions de sauve-qui-peut, des réactions d’individualisme exacerbé, la réponse est dans celle de la citoyenneté et de la solidarité mais d’une citoyenneté solidaire qui ose en même temps se donner mutuellement les moyens d’un mieux-être. La brique de base, c’est à ce moment-là l’échange d’expériences et de savoirs sur ce qui nous fait du bien.

Et la question du mieux-être devient, à ce moment-là, un élément central de cette réponse réciproque et planétaire à la crise systémique que nous avons commencée de vivre, à cette fin de monde que nous allons vivre mais qui n’est pas pour autant la fin du monde mais la fin de ce monde de la démesure qui était de toute façon un monde insoutenable.

Pour le bon usage de la fin de ce monde, il me semble que c’est dans la direction de la réciprocité, de la réciprocité à l’échelle personnelle, à l’échelle locale, à l’échelle européenne, à l’échelle mondiale que ces enjeux peuvent être mis en œuvre.

BBeerrnnaaddeettttee TThhoommaass aa aalloorrss aanniimméé uunnee pprréésseennttaattiioonn dd’’oouuvvrraaggeess rréécceemmmmeenntt ppaarruuss oouu àà ppaarraaîîttrree ::

Par Ginette Francequin : 2008, Le vêtement de travail, une deuxième peau, Erès

Par Henryane de Chaponay, Françoise Garibay et Michel Séguier : Françoise

Garibay et Michel Séguier (coordination), 2009, Pratiques émancipatrices. Actualités de Palo Freire, Paris, Syllepse, préface de Germán Solinís (UNESCO).

Par Eugénie Thiery : Giordan André, Héber-Suffrin Claire (coordination), Groupe savoirs

émergents, 2008, Savoirs émergents – Quels savoirs pour aujourd'hui, Nice, LESEDITIONSOVADIA

Le « pianiste itinérant » Marc Vella …puis elle a introduit le « pianiste itinérant » Marc Vella :

Après le repas, soirée piano avec Marc Vella Un extrait de sa présentation sur son site : http://www.marcvella.com

« […] Marc Vella a enregistré à ce jour huit CD.

Il est aussi écrivain. Il a écrit deux recueils de poésies, un conte mystico-philosophique « le funambule du ciel »... « Le chant des libres », un livre avec des calligraphies magnifiques de Bernard Camus illustrant son contenu... Un livre autobiographique "Le pianiste nomade" qui est édité aux Presses de la renaissance et enfin « La Caravane amoureuse » aussi édité aux presses de la renaissance.

Page 274: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 274

Par ailleurs, il existe aussi deux DVD « Le piano des sables » réalisé par Arnaud Petitet. Film primé dans de nombreux festivals qui raconte la traversée du Sahara avec son piano et « Le piano amoureux », film réalisé par Flair Production, film sur le piano en Guinée Conakry et la Caravane amoureuse en France

C’est un musicien original qui ne manque pas de projets anticonformistes, le tour de France en piano, le tour d’Europe en piano, l’Inde, le Pakistan, l’Afrique noire, un Paris – Dakar au rythme du regard avec le piano-bus Sahara, un piano pour les lépreux et maintenant « la Caravane amoureuse ». […] ».

CCoonncclluussiioonn par Marc Héber-Suffrin

Un guide peut-il éviter de signaler ses coups de cœur ? Ne manquez pas d’entendre un ancien ministre se déclarer effaré par l’Etat (intervention de Jacques Guyard). Ne manquez pas la remarque de Martine Ruchat sur le fait que toute éducation est construite sur un socle de valeurs explicitées ou implicites ou cachées… Ne manquez pas…

Ne manquez pas d’écouter tous ces récits qui invitent à l’action…

Ne manquez rien.

Il y a, dans chacun de ces textes, des motifs à coups de cœur, des diamants à isoler pour soi, pour poursuivre échanges, réflexions, recherches en coopération.

Disséminations possibles des pratiques de réciprocité dans tous ces domaines.

Autant la question des fractures posée aux intervenants de cette journée a reçu des réponses assurées, encourageantes, illico constructives et, cela, dans les domaines envisagés : la fracture scolaire, surmontable, la fracture intergénérationnelle, surmontable, les fractures de l’exclusion, surmontables, les fractures interculturelles, surmontables : on y voit la réciprocité en maître d’œuvre, en levain indispensable, en méthode efficiente, en valeur recherchée et partageable… autant la question de l’échelle – « quelles chances ont les réussites modestes de parvenir à des effets sur des enjeux plus vastes, à des tailles plus grandes ? » – a-t-elle été abordée implicitement par tous les intervenants de façon précautionneuse et modeste. Aucun intervenant n’osant dire, pour lui-même : « on voit bien comment mes actions réussies pourraient être efficacement disséminées et porter des fruits à plus vastes échelles ». Chacun ressent que ces réussites le mériteraient. Aucun ne peut revendiquer ce ressenti. Tant nous sommes habitués à ce que le social nous résiste et ne résulte jamais de la simple amplification de nos pratiques personnelles, ni non plus de celles des pratiques de nos collectifs de proximité.

Le lecteur, lui, qui a la chance de pouvoir saisir ensemble toutes les interventions, entend bien plus que cela.

- Il entend que la réciprocité est porteuse de surprenants changements améliorateurs du Vivre ensemble.

- Il entend qu’on pourrait lui proposer de s’affronter aux plus vastes des enjeux.

Page 275: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 275

- Il entend ce qu’il ignorait : les domaines dans lesquels ce levain fait jaillir des améliorations humainement inestimables, ces domaines regardés ensemble illustrent déjà le changement d’échelle qu’on croyait inespéré.

- Il entend encore ceci : ces champs attendent des entrepreneurs. Attente qui renvoie à chaque lecteur assuré comme à chaque lecteur intimidé, comme à chaque individu étudiant ou collectif étudiant ayant à cœur de porter des projets émancipateurs.

Page 276: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 276

Samedi 29 novembre

RRéécciipprroocciittéé –– SSaavvooiirrss –– AApppprreennddrree

Introduction par Marc Héber-Suffrin

Cette introduction aux travaux de la journée Réciprocité – Savoirs – Apprendre, du 29

novembre, va aboutir à la formulation d’une prière. Adressée à chaque lecteur.

Nos aventures avec les savoirs, dans les savoirs, par les savoirs, à la recherche des

savoirs, pour la transmission, la capacitation, l’émancipation, les formations, etc.

Cette journée, plus encore que les autres, exige d’affronter notre relation à la théorie, aux

théories. Mots impressionnants, intimidants. Hé bien, justement, non, il est souhaitable que

nous fassions ici aussi fructifier les pratiques de réciprocité qui nous dévoileront que les

théories sont aussi pour tous et par tous.

Thea, du mot grec contempler, (que l’on retrouve dans le mot français théâtre) ; mais les mots

en eux-mêmes ne signifient rien, importe seul l’usage qu’on en fait ; brodons sur ce thème

que nous offrent les origines de la langue :

- contemplation méthodique par l’esprit ;

- cheminements argumentés pour contempler ;

- s’apprendre à contempler pas à pas ;

- apprendre réciproquement à contempler pas à pas ;

- apprendre réciproquement à réfléchir sur les savoirs ;

- invitations à admirer reçues de ceux qui ont es raisons diverses d’admirer, nous les

exposent, nous les expliquent. Mon esprit critique toujours en éveil : commet vais-je

les recevoir en moi-même ces raisons ?

- contemplation de l’esprit critique en renouvellement permanent ;

- trituration de ce que je comprends et de ce que je ne comprends pas et partage

réciproque de ces triturations. Mes triturations motivées, argumentées, sont mes pas à

pas théoriques et elles sont soumises à l’esprit critique de tous les autres esprits

réfléchissants.

On a aisément l’impression qu’un mouvement perpétuel va naître sous nos yeux. Et c’est bien

cela. Chaque esprit, par ses réflexions, alimente le défilé (voilà le mot théorie en latin : un

défilé, une collection) des raisons et des questions, des nuances et des surprises, des

connexions, des croisements, des articulations, des incompréhensions.

Ici, pas d’entrées interdites, pas de repoussoirs, pas de contrées inatteignables, ni Eldorados ni

gouffres : c’est du « pour tous », parce que nous sommes tous porteurs d’un esprit critique

susceptible d’être alimenté, entraîné, affûté, affiné. Les inégalités sont provisoires. Que nous

soyons tous théoriciens, on le découvrira encore d’une autre façon : nous savons tous, sans

Page 277: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 277

aucune exception ni sans aucun arrêt, nous expliquer à nous-mêmes ce qui nous arrive, ce que

nous comprenons de nous-mêmes, de nos actions, de nos relations, de la marche du monde,

du passé, de l’instant, du futur. Non que nous soyons souvent bien satisfaits de ce que nous

parvenons à nous raconter, mais ces explications que nous nous donnons, et que nous

échangeons volontiers avec autrui quand nous ne sommes pas dans des isolements subis, ce

sont les défilés de nos théories intimes.

Il en existe de beaucoup plus socialisées.

Et voilà que certains de nos devanciers essaieraient volontiers de nous laisser croire que les

constructions théoriques ne nous seraient pas accessibles, ne seraient pas pour tous, et que

nous ne pourrions ni les comprendre, ni les critiquer, ni les enrichir. Pierre Bourdieu a parlé, à

ce propos, d’une limite sacrée que de prétendues élites dressent devant le bon peuple pour le

dissuader de participer aux discussions. Il a bataillé pour que nous piétinions et fassions sauter

cette barrière en affirmant que l’esprit critique de chacun est indispensable à l’observation du

monde. Contribuer à dire le monde est un droit universel, le dire, c’est le théoriser144. Le

monde des théories n’est réservé à aucune élite autoproclamée. Le monde des théories n’est

ni barricadé, ni privilégié par l’effet d’un droit sacré, il est barricadé et privilégié par des faits

sociaux qui entretiennent des inégalités et des avantages injustifiables. Les pratiques de

réciprocité, en matière cognitive, sont ici les outils pour faire tomber ces avantages, ces

privilèges, ces barrières. Les choix des pratiques de réciprocité se fondent donc sur cette

double affirmation : les savoirs théoriques à destination universelle sont pour tous ; ils sont,

par ailleurs, « dans la nécessité » de devenir de plus en plus par tous et entre tous pour

accroître les chances de comprendre le monde. Reste que ces pratiques requièrent une

accoutumance et des apprentissages, des formations réciproques, des accompagnements.

Prenons l’exemple d’une intervention qui peut apparaître comme très concrète, et

elle est en effet très concrète, mais qui est aussi très riche théoriquement : « Plus on

est relié par des réciprocités multiples, plus on construit son autonomie ».

A peine la lecture achevée des deux premiers paragraphes de cette intervention, on trouve

une belle quantité d’outils pour théoriser. Cet outil sous-entendu dès le début : un récit peut

intéresser autrui. Et donc, sous-jacente, une théorie de l’information. Et le pari implicite que

cette information pourra servir à des formations. Et aussi, le pari d’une altérité susceptible

d’empathie, ce qui me motive, moi qui te parle, peut te motiver, toi que je ne connais pas et

qui accepte de m’écouter et de me lire. Il y a donc une théorie sous-entendue de la

reconnaissance d’autrui, de notre mutuelle éducabilité, de la valeur de mon intention de

t’instruire. Foisonnement de conceptions, foisonnement théorique.

144

Bernard Ginisty, 2000, « Les réseaux, ou la philosophie des commencements », in Claire Héber-Suffrin & Gaston Pineau, (coordinateurs), Réciprocité et réseaux en formation, Revue Education permanente, N° 144, pp. 227-237. Voir la notion « d’inconditionnalité » utilisée par Laurent Ott, dans la table-ronde du jeudi.

Page 278: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 278

De quoi s’esclaffer : qui l’eut cru ? Eh bien voilà que nous n’allons pas en rester là. Le

paragraphe suivant est lui aussi riche de plusieurs ingrédients théoriques supplémentaires. Il

est indiqué que le réseau d’Orly était devenu trop caritatif. C’est dire que ceux qui nous

parlent le veulent peu ou pas du tout caritatif. C’est dire qu’un collectif s’est arrêté sur cette

analyse et a choisi de produire un réseau différent d’un réseau caritatif. C’est dire que ce

collectif a des outils pour débattre, qu’il respecte des procédures pour fixer ses analyses, qu’il

se soumet à des lois, qu’il construit des visées sociales (on trouve la formule « les plus bas de

l’échelle »). Ce collectif a donc une représentation des strates, des classes ou des niveaux en

terme d’échelle des puissances, des revenus, des dispositions en capitaux économiques,

culturels… c’est-à-dire qu’il a des références sociologiques, politiques, éthiques et qu’il

souhaite pratiquer le « par tous, pour tous » démocratique. On remarquera que le « par tous »

sous-tend aussi une conception particulière de l’économie, la conception « contributive ».

On voit bien que l’exemple ici pré-décortiqué pourrait encore faire l’objet de fouilles

complémentaires. Autour, par exemple, des notions de liens, des notions d’exigence, de

« pour de vrai », de frugalité, de nomadisme…

Et chacun est ainsi invité à se conforter dans cette idée de l’importance de ses propres

questions : pour qui est-ce dit ? pour quoi est-ce dit ? est-ce « illustrable » ? est-ce défendable

et comment ? Chacun peut être conforté dans son droit à participer aux fouilles. La théorie est

bien un univers infini. Chaque nouveau participant qui vient contempler à sa façon complète

cet univers. L’enrichit-il ? Pour lui-même, c’est certain. Pour autrui, c’est incertain. Mais il est

aisé de défendre le caractère inestimable de cet enrichissement certain en chaque personne.

D’où cette prière ferme des introducteurs à chaque lecteur : sache que les théories, c’est

pour toi !

MIRA, FRESC-EU et les RERS ont aussi ceci en commun par rapport aux savoirs : les savoirs

sont à destination universelle. Parmi ces savoirs, les savoirs théoriques aident

particulièrement aux apprentissages en ceci qu’ils les structurent en chacun à partir de ses

questions. Y accéder est un défi que la réciprocité affronte positivement.

Petit guide pour s’orienter

Lecteur intimidé, ne t’avance pas seul, le risque est grand de passer de l’intimidation au rejet

définitif par crainte et dégoût. La théorie est occasion de grandes joies, ne passe pas à côté

d’elle. Fais-toi demandeur d’initiations, mets-toi en recherche de formations réciproques,

d’accompagnements, d’ateliers de lecture…

Lecteur assuré, va ton chemin à ta guise, essaie de te constituer offreur afin que la dimension

« pour tous » de la théorie se concrétise et parce que les questions des apprenants te feront

avancer.

Lecteur étudiant, apprenant, voici quelques orientations.

Page 279: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 279

Des pratiques pédagogiques : Catherine Chabrun, Jacqueline Culetto et Françoise Heinrich,

Ruth Bourchier, Amadou Demba Diallo, Honorine Ouedraogo, Clarisse Kyelem, Jeanine Parisot,

Monique Prin, Annie Lambert, Alain Ouedraogo, Georges Badolo, Sophie Robin, Isabelle

Dupin, Abdoulaye Konté.

Des pratiques citoyennes : Graciela Quijano, Hervé Lefeuvre et Christelle Cambier, Marie-

Hélène Pourrut, Didier Chrétien, Monique Potiron, Claudine Lepsâtre, Francine Tétu.

Paroles et philosophie : Gille Reiss (voir, dans es actes, au jeudi), Christine Burgevin, Philippe

Piau, Henryane d Chaponay et Nadine Outin, Marie-Paule Bétaille.

Formation des adultes et formation professionnelle : Maryannick Van Den Abeele, Marielle

Breault, Eliane Danalet, Sophie Robin, Bernadette Thomas, Catherine Bernatet, Kremena et

Mariana Manukian.

Formation ouverte à distance : Patrick Delmas, Sidy Seck.

Éléments issus d’ateliers : Michel Aristide, Hubert Couzinet, Olivier Las Vergnas, Pierre-Yves

Pérez et Josiane Teissier, Isabelle Jacob.

Théories pédagogiques : André Giordan, le Groupe savoirs émergents, Noël Denoyel.

Regard d’un politique : Manuel Valls.

Anthropologie, théorie socioéconomique et pédagogie : Jérôme Eneau, Philippe Meirieu.

Sociologie et diffusion des savoirs scientifiques : Daniel Raichvarg.

Ces catégories sont assez formelles. Nombre des intervenants pourraient figurer sous

plusieurs de ces intitulés ou d’autres encore.

Un guide peut-il éviter de signaler ses coups de cœur ?

Ne manquez pas d’entendre :

- Philippe Meirieu, au 7ème point de son développement, signaler un universel : les humains sont tous affrontés aux mêmes questions.

- Daniel Raichvarg faire jouer la réciprocité entre imaginaire, sens (au sens des 5 ? sens) et savoirs.

- Jérôme Eneau, au cœur de son développement affirmer que Claude Lévi-Strauss a démontré… allez voir quoi !

- Le dernier paragraphe de l’intervention de Graciela Quijano qui met le doigt sur notre faible aptitude à déterminer des priorités.

- Maryannick van Den Abeele qui est, peut-être, en cours de découverte de ce dont l’école et l’éducation auront bientôt le plus grand besoin, des modèles pour sortir de la forme scolaire.

- Etc.

Page 280: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 280

Ne manquez pas… ne manquez pas d’écouter toutes ces interventions qui invitent à l’étude et

à l’action…

Ne manquez rien!

Deuxième introduction par Patrick Brun

Les échanges réciproques de savoirs comme éducation populaire au service d’un nouveau projet de société

La troisième journée du colloque, le samedi 29 novembre 2008 était consacrée à l’éducation, à

l’enseignement et aux savoirs.

Si l’on entend la réciprocité comme un échange à parité, en quoi peut-elle être liée à l’enseignement,

voire même à l’éducation ? Comment en serait-elle l’un des moteurs ? Cette idée s’oppose à la

représentation courante, celui qui sait enseigne ce qu’il sait à celui qui ne sait pas. La métaphore le

souvent admise de l’enseignement n’est-elle pas l’image du seau vide que l’on remplit ? L’éducateur

de son côté n’est-il pas un guide qui connaît les chemins et conduit la cordée ? La réciprocité éducative

constituerait alors une illusion démagogique

Réciprocité et pouvoir

La notion de réciprocité désigne au premier degré l’échange entre deux personnes. Comme le rappelle

Philippe Meirieu, le premier qui ait théorisé la pratique de la réciprocité dans les sociétés

traditionnelles est Marcel Mauss avec son « Essai sur le don ». Pour lui, le don et sa réciproque le

contre-don structurent les relations sociales. Il s’agit donc d’un fondement anthropologique des

sociétés humaines. Mais la réciprocité peut être très différemment vécue selon la nature des relations

entre les acteurs : la relation dissymétrique qui lie le vassal à sons suzerain, le débiteur à son créancier

instaure un jeu de rôles pré-déterminé par le pouvoir.

Pour que la réciprocité devienne libératrice il faut sortir du cercle vicieux de l’obligation unilatérale, de

la dette. Remettre une dette, comme pardonner, c’est invoquer l’exercice d’une responsabilité

sociale, ouvrir en quelque sorte la réciprocité à la multilatéralité des relations d’échanges en rendant

possible, par la circulation des créances, la parité entre les acteurs : je suis demandeur vis à vis de l’un

mais offreur vis-à-vis d’un autre qui lui-même de demandeur devient offreur à l’égard d’un troisième.

La remise de dette dont j’ai profité me rend débiteur vis à vis non plus d’un seul mais de la collectivité

sociale créée par les relations d’échanges.

Il en est de même lorsqu’il s’agit des savoirs. Dans une conception traditionnelle les savoirs

représentent en quelque sorte un patrimoine personnel et/ou collectif. Partager ce patrimoine en

l’enseignant ouvre l’accès à une société de savoirs plus ou moins large ou plus ou moins confondue

avec la dévolution des pouvoirs.

Or aujourd’hui l’explosion de nouveaux savoirs ouvre le jeu et fait prendre conscience que le

malthusianisme de la transmission des savoirs bloque non seulement leur circulation mais aussi leur

constitution. Michel Serres nous rappelait dans un colloque antérieur que les savoirs sont le seul bien

qui se développe d’autant plus qu’on le consomme et qu’on le fait circuler.

Page 281: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 281

Eriger la réciprocité dans l’apprentissage comme principe pédagogique c’est casser un tabou, non

seulement « libérer les savoirs » de la servitude des rapports de pouvoir mais changer de paradigme et

reconnaître que les savoirs ne sont pas des objets que l’on possède mais des constructions toujours

recommencées. Les apprentissages ne sont pas non plus des acquis mais des dynamiques associant des

partenaires en réseaux de relations ouverts sur « l’incomplétude » comme le remarquait André

Giordan. Cet intervenant souligne qu’ « aucun savoir n’est jamais fini » et que les échanges de savoirs

permettent de ne pas être prisonniers de représentations « univoques ». Ils génèrent un mouvement

continu de déconstruction et de construction, donc de transformation dans lequel chacun a sa part

parce qu’il ne cesse d’animer la dynamique des savoirs et d’être animé par son rapports aux porteurs

de savoirs. C’est l’opposition fondatrice que Paolo Freire le premier proposait entre éducation bancaire

et éducation « conscientisante ».

« Libérer les savoirs » c’est construire des « savoirs émergents » selon le titre d’une contribution.

Réciprocité et mutualité

Il n’en reste pas moins que parler de réciprocité n’est pas en soi suffisant si l’on ne précise pas les

conditions de la parité dans « l’échange réciproque de savoirs ». Or ni la classe ni même la profession

ne sont des lieux de parité.

C’est pourquoi Noël Denoyel distingue avec Gaston Pineau la disparité de places, de génération, de

savoirs mêmes, de la parité de relations. Il identifie deux conditions nécessaires à cette parité : la

complémentarité et la mutualité.

Pour Francis Jacques philosophe du langage, cité par Denoyel « Par elle-même, la réciprocité n’explique

pas que les partenaires assument des rôles complémentaires. Il lui faut se doubler d’une relation

d’association ». Il faut donc une certaine mutualité définie comme « un système de solidarité à base

d’entraide mutuelle » grâce à laquelle les interlocuteurs peuvent jouer un rôle réciproque de

partenaires qui leur permet de pouvoir utiliser le « nous ». La pratique du « croisement des savoirs »

dans la co-formation présentée par l’équipe d’ATD-Quart Monde illustre la fécondité et les difficultés

de l’approche.

Cette double relation de complémentarité et de mutualité implique de la part des membres de la

collectivité de reconnaître l’autre à la fois comme proche et différent, comme le montre Philippe

Meirieu : » Pour que l’autre puisse m’enrichir, il faut qu’il soit suffisamment différent pour qu’il ait

quelque chose à m’apporter. Mais il faut qu’il soit aussi suffisamment proche pour que je puisse

l’entendre. Alors ce n’est pas facile de tricoter ainsi la mêmeté et l’altérité, la proximité et

l’éloignement. Si l’autre est trop loin, je ne l’entends pas ; s’il est trop près, il n’aura plus rien à me dire.

Il faut qu’il assume sa différence et sa dissymétrie mais, qu’en même temps, je sache que, dans cette

dissymétrie, il y a quelque chose du travail où je me retrouve et que nous sommes ensemble du même

côté de l’humain ». Il n’exprime pas seulement ici une réalité fondamentale, essentielle de notre

condition humaine, mais il définit aussi le principe méthodologique qui rend possible un « échange

réciproque de savoirs ».

Réciprocité et dia-logie

Le projet n’est pas en effet seulement éthique, voire politique mais méthodologique. C’est en cela qu’il

devient éducatif car il développe en chacun de nous dans sa relation à l’autre à la fois dissymétrique et

paritaire une démarche de construction dia-logique.

Page 282: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 282

Ce sera le rôle essentiel du médiateur de l’échange, qu’il soit enseignant, éducateur ou animateur, de

mettre en œuvre les conditions d’une réciprocité dialogique. Plusieurs communications s’étendent

longuement sur les pratiques de mise en œuvre des échanges.

Le désir de mobiliser une telle approche naît à la fois de circonstances, de rencontres et de prises de

conscience.

Dans certains cas, une grève (comme dans l’Université Rio Grande Do Sul au Brésil) ou un moment de

crise dans une école supérieure de la santé (« nous étions en souffrance ») suscite le désir d’autres

pratiques, d’autres rencontres. Mais il y a aussi un terreau sur lequel peut se bâtir une nouvelle

pratique : ainsi la pédagogie Freinet est à plusieurs reprises citée comme favorisant naturellement les

échanges de savoirs. Les interventions d’enseignants montrent que la mise en pratique résulte le plus

souvent de rencontres suivies de déplacements pour se former avec les réseaux déjà existant

d’échanges de savoirs. De ces rencontres naît une véritable prise de conscience : l’échange des savoirs

entre élèves, entre enseignants et élèves, entre enseignants, entre groupes d’adultes et jeunes etc.

deviendrait-il une nouvelle pierre philosophale ?

Pourtant la mise en œuvre n’en est pas aisée. Elle se heurte aux contraintes de l’institution, à

l’angoisse des acteurs au seuil d’une innovation, voire, dans le récit de Sidi Seck, à la résistance des

acteurs eux-mêmes, en l’occurrence des étudiants au Sénégal, qui admettent difficilement qu’ils sont

capables de proposer des savoirs.

L’enseignement (au sens large, école primaire, collège ou lycée) est majoritairement représenté dans

les interventions. Mais la pratique des échanges de savoirs gagne les milieux professionnels et les

collectivités comme on a pu le découvrir au cours de ce colloque. Alors que dans l’école s’échangent

des savoirs entre individus, ce sont des compétences collectives, des manières de faire communes qui

s’échangent entre associations et groupes professionnels.

Le tableau suivant montre la diversité de ces pratiques et des publics qui en bénéficient.

Collectifs

Démarches

Habitants d’un même quartier hors association

Ecoles, collèges lycées

Etablissements supérieurs

Réseaux asso-ciatifs

Collectifs professionnels

Habitants d’un même quartier

Développement social de quartiers

Tous publics adultes et jeunes

RERS Orly

Etudiants Deux établissements de formation aux soins de santé à Lausanne

Ecoliers Echanges de savoirs par offres et

Page 283: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 283

demandes En France, au Burkina Au Sénégal

Enseignants Enseignants de français en Nouvelle Zélande et ailleurs

Groupes classes et établissements

Entre écoles Entre collégiens Entre écoliers et adultes

Réseaux Professionnels (entre professionnels ou entre réseaux)

-Agriculteurs : Rural-net (France) ; réseau(Burkina) -Journalistes, Burkina - La poste (France)

Services publics sociaux et milieux pauvres

Personnes en situation de pauvreté/professionnels du secteur social

Des enjeux communs

A travers la diversité des pratiques attestée par l’ensemble des témoignages, nous appréhendons

néanmoins deux types d’enjeux communs :

- La dynamique des interactions

- La globalité des transformations

1. Un premier fondement commun réside dans « l’inter » : entre les personnes, entre les personnes et

les groupes, entre les groupes eux-mêmes, dans un cadre national ou international. Le tableau suivant

présente l’étendue de ces différences en relations avec la nature des savoirs :

Page 284: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 284

Relations inter-personnelles

Relations inter-groupes de même activité ou profession

Relations inter-groupes d’ âges, milieux, cultures, professions différentes

Relations internationales De groupes exerçant la même activité

Entre élèves ou étudiants

En présen-ce :échange de savoirs scolaires académiques ou de recherche : classe, séminaires, groupe de recher-che…

Entre générations A distance avec des moments de rencontre : réflexion sur le vivre ensemble , entre expériences de vie et concepts

Entre milieux Sociaux différents

Entre étudiants et agriculteurs sans terre au Brésil à travers le conte

Entre locuteurs de langues différentes

Langue maori entre une élève et son enseignante

En Nouvelle Zélande entre enseignants du français par internet, réseau étendu au monde francophone

Entre collectifs scolaires (classes, collèges, lycées) de pays et cultures autres

Etablissements en France et au Burkina ou au Sénégal : échanges épistolaires ou internet suivis de voyages et de chantiers en Afrique

Entre professionnels Information et formation

Agriculteurs Par le vecteur d’internet en France

Entre réseaux professionnels différents

Inter-réseaux au Burkina par internet et animation d’ensemble

Page 285: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 285

Dans ce tableau on ne croise pas seulement les savoirs mais on croise les réseaux, les milieux, les

cultures, les générations….

On peut également situer les critères de différenciation sur deux axes :

Le premier irait des relations de proximité aux relations à distance. Proximité comme distance

s’entendent ici non seulement en termes géographiques, mais aussi sociaux, de génération, de

profession, de culture..

Le second axe va des relations individuelles d’échange (multilatéralité des offres et demandes entre

individus réunis en réseau) aux relations entre pratiques de collectivités ou de réseaux identifiés

comme tels.

Si l’on croise ces deux axes on obtient quatre types de situations :

- des échanges d’offres et de demandes entre individus de même culture, profession, classe d’âge,

situation scolaire, d’étude ou professionnelle, pays

- des échanges entre individus d’ensembles hétérogènes

- des échanges entre pratiques de collectivités de même culture, profession, types d’établissements ou

d’activités, pays…

- des échanges entre collectivités d’ensembles hétérogènes.

Pour chacun de ces quatre types de situations on pourra interroger :

- quels vecteurs de communication ont été utilisés ? Echanges verbaux, écrits, messages internet, mais aussi échanges de personnes, rencontres autour d’une tâche commune etc…

- quelles sont les différences porteuses de dynamiques d’apprentissage et autour de quels points de convergence on se réunit pour échanger

Selon le couple proximité/différence proposé par Meirieu.

2. Le deuxième fondement commun est la globalité des apports et des transformations vécues

Ce qui pour moi relie (et permet de relire) ces pratiques c’est le lien entre le cognitif, le relationnel et

le politique.

Les contributions mettent l’accent selon les cas sur les transformations opérées sur l’un de ces trois

pôles ou sur les interactions entre les trois.

- Cognitifs : l’intitulé « échanges réciproques de savoirs » laisse penser que ce sont les apports les plus

importants. Ce sont en tout cas les objectifs premiers, mais parfois aussi les vecteurs de la

restauration de liens sociaux entre générations ou entre habitants d’un même quartier. Les objectifs

de nature cognitive sont eux-mêmes du reste diversifiés selon les expériences et les démarches :

- savoirs instrumentaux ou scolaires

- savoirs professionnels

- démarches ou pratiques

- croisements de savoirs ou fécondation réciproque des savoirs de chacun

- Relationnels. Les échanges réciproques de savoirs sont un puissant ressort du « vivre ensemble » ou

du « faire communauté ».

Page 286: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 286

Au premier degré il s’agit d’instaurer un lien social d’écoute, de reconnaissance et d’entraide mutuelle.

Au-delà l’échange crée ou recrée des configurations sociales et des solidarités qui vont du quartier à la

coopération nationale et internationale entre milieux et cultures.

- Politiques au sens de la citoyenneté. Plusieurs interventions relèvent en effet parmi les effets

transformateurs ce que Noël Denoyel nomme « l’actorialité » et « l’autorialité » : sens de sa propre

responsabilité d’acteur dans la cité et sens de la solidarité entre pairs et au-delà entre membres de

milieux ou de pays différents.

La solidarité est du reste dans certains cas un acte de résistance contre l’oppression comme dans la

rencontre entre étudiants et paysans sans terre au Brésil.

La pratique des échanges réciproques de savoirs s’inscrit en définitive dans la conception du

développement intégré et global des personnes qui caractérise l’éducation populaire. Elle offre dans

son infinie variété l’un des leviers d’un nouveau projet de société.

Les chansons populaires de sciences à travers les âges : Spectacle chanté des « Bateleurs de la science »

Ô Réalité

Fleur du jour des morts

Qui poussaient jusqu’ici dans un univers divisé en pétales supposés objectifs scientifiques

Ô Réalité

Par quelle nécessité,

Fleur de boutique artistique ou théâtrale considérée comme une déformation ludique du

chrysanthème en une tentative de le reproduire

Ô Réalité,

Fleur du jour des morts,

Te voilà maintenant univers multiple et parallèle,

Te voilà, jardin à l’infini et dans ce jardin chrysanthème probable à centaine de pétales mais

tous hypothétiques et de surcroît ambigus et indéterminés simultanément

Comme ondes et particules,

La réalité comme la mise en scène est créée par ses propres occupants.

Complainte du Chrysanthème qui pousse dans la guerre des mots. Armand Gatti.

Page 287: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 287

Scientif circus

V'la l'choléra

Gare les Rayons X

Formule 606

Viens à l'expo

Danse atomique

P'tit Atome

Java des bombes atomiques

Amour pasteurisé

Tango de l'ADN pour conclure cool...

La formule 606

Sur l’air de « Tout en rose » 1910

Chanté par Paul Lack

Paroles : M. Hamel V. Pannetier

Musique : Vincent Scotto

Quand on aime, ah ! Tout n’est pas rose

Il faut craindre certains accidents

Et cela vous fait quelque chose

Surtout que, surtout qu’c’est très embêtant.

Encore tout dernièrement quand on était volage

On craignait terriblement d’porter dans son ménage

Un tout p’tit rien qui non d’un chien

Vous faisait divorcer ou bien vous faisait plaquer

A présent, je le dis sans faute

A Paris tout comme à Cali

On s’aim’ra sans craindre quelque chose

Grâce à la, à la formule 606

Vive la noce !

La noce folle !

Pas d’danger d’attraper même la pécole

On pourra rigoler très carrément !

Au piquet quand dans la main vous voyez que s’amène

Vraiment c’est une veine

Mais en amour c’est plutôt ennuyeux

On sent […] en feu

A présent on aim’ra la vie

A Paris tout comme à Cali

Puisqu’on s’ra guéri d’l’avarie

Grâce à la, à la formule 606

Vive la noce !

Page 288: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 288

La noce folle !

Pas d’danger d’attraper même la pécole

On pourra rigoler très carrément !

A Berlin un avocat sans crainte du ridicule

Voulut qu’on l’inocule

On lui fit donc une injection dans le haut du citron,

Sujet de son infection

A présent grâce à la formule

Si elle est malade sa Gretchen

Il faudra bien qu’il l’inocule

Avec une p’tite injection souterraine

Vive la noce !

La noce folle !

Pas d’danger d’attraper même la pécole

On pourra rigoler très carrément !

Le célèbre professeur quand passa la comète

Voulut dans sa noble ardeur la piquer dans la tête

En rigolant elle ficha l’camp si bien que faute de mieux

Il la piqua dans la queue

A présent, je le dis sans faute

A Paris tout comme à Cali

On s’aim’ra sans craindre quelque chose

Grâce à la, à la formule 606

Vive la noce !

La noce folle !

On s’en fout d’attraper même la variole

Puisqu’on a trouvé ce r’mède épatant !

Amour et pasteurisation

Paroles: Francis Blanche. Musique: E. Bischoff "45 tours"

Méfie-toi des baisers fillette à l'âme chaste

Méfie-toi des baisers, jeune homme au cœur trop pur

Les baisers sont menteurs, les baisers sont néfastes

Les baisers sont impurs

Songe à tout ce que cache un baiser qu'on dérobe

Dans ce contact intime et longtemps désiré

Ô combien de bacilles ô combien de microbes

Sur les lèvres aimées

La salive contient des miasmes toxiques

Dans la proportion de quatre-vingt pour cent

On croit donner son cœur, mais on pourrit son sang

Page 289: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 289

Qui dira les dangers d'un baiser romantique ?

Car voici les bubons, les boutons les pustules

Le delirium tremens et le béribéri

Le choléra morbus, le chancre des rotules

Que rien ne guérit

S'il faut malgré tout que pris de folie

On vole un baiser en bravant le danger,

N'oublions jamais que l'antisepsie

Est le seul moyen de nous protéger

Prenons un bain de bouche, eau bouillante et borate

Couvrons-nous le palais d'une pâte au phénol

Essuyons-nous les lèvres avec un tampon d'ouate

Bien imbibé d'alcool

Nous étalerons ensuite la pommade stérile

S'il y a des moustaches nous nous les flamberons

Et à travers le voile d'une gaze hydrophile

Nous nous embrasserons

Tel sera le baiser d'après les circulaires

Quand demain même l'amour sera pasteurisé

C'est scientifiquement, consolation dernière

Que nous serons baisés

Daniel Raichvarg145

: « La circulation des savoirs scientifiques : chansons de science et valeurs de réciprocité »

Préambule

Cet article accompagne le spectacle présenté par la compagnie les Bateleurs de la Science lors

du colloque. Ce spectacle intitulé « La science aux chansons » propose un ensemble de

chansons à contenu scientifique géométriquement variable, chantées par deux artistes

s’accompagnant d’un orgue de Barbarie et commentées par un Bateleur.

D’une manière générale, on sous-estime les valeurs des formes très diverses que prend ce

qu’on appelle communément « la vulgarisation des sciences » ou « la culture scientifique » –

peu importe la dénomination. On les considère le plus souvent en effet comme des dispositifs

de transmission de savoirs partant de la sphère de leur production – la science, la

communauté scientifique, le laboratoire, peu importe encore l’appellation – et allant vers le

public (grand ou… petit !). On évalue ainsi ces dispositifs à l’aune de ce que les Anglais

appellent le « top-down and disseminated model »146. C’est dire si on les évalue avec une

approche négative, en termes de pertes, d’erreurs plus ou moins rectifiables, de difficultés de

145

Professeur des Universités, Sciences de l’Information Communication. 146

IRWIN, A. & WYNNE, B., 1996, « Introduction », in Misunderstanding science ? The public reconstruction of science and technology.

Page 290: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 290

traduction. On peut aussi se revendiquer d’un modèle contraire. Au lieu de s’interroger sur ce

que le savoir a perdu, on peut se demander ce que la Société a gagné… Une certaine forme de

réciprocité ! Bien sûr, le savoir gagné n’est peut-être pas forcément le savoir scientifique lui-

même147 et les gains de la Société peuvent concerner d’autres savoirs liés à la production, la

représentation de ce savoir par et dans la Société et à un impact tout autre que cognitif. Par

exemple, récemment, suite à un événement crapuleux, le Parisien du 20 octobre 2008 se

faisait l’écho des Experts entrant en scène dans le cas d’une Crime Scene Investigation dans un

supermarché d’Evry. La double page, fort complète au demeurant, comprenait en particulier

un encadré sur les séries télévisées Les Experts ou autres du même genre et l’entretien avec

une jeune fille de Terminale : celle-ci expliquait que, grâce aux Experts (les faux, ceux du petit

écran), elle avait envie d’entrer dans la police scientifique. Souhait complexe à exaucer

puisque, sur la même double-page, une experte scientifique expliquait que les écoles de la

police recevaient beaucoup de demandes mais peu d’élus. On ne peut savoir si les demandes

nombreuses ont toutes la même origine, cependant nous devons constater que la molécule

d’ADN, grande vedette silencieuse de la télévision, que les faux experts se chargent de faire

parler, a un intéressant impact sur la Société, au moment où beaucoup de décideurs se

plaignent de la baisse de fréquentation des études scientifiques !

Tous ces dispositifs offrent leur propre gain à la Société et il faut bien se garder d’établir une

règle ou une grille qui en figeraient les catégories. Si nous avons choisi les vrais et les faux, les

faux-vrais et les vrais-faux experts, c’est pour deux raisons. La première renvoie au fait que la

presse quotidienne148 comme la télévision nous proposent des dispositifs que l’on peut

appeler « médiatiques-populaires » : ce sont évidemment des médias mais ce sont des médias

très populaires (et en prime, nous étions en première et deuxième pages du Parisien et en

prime time de TF1 !). La deuxième renvoie au fait que, manifestement, ces dispositifs se

répondent les uns aux autres : ils conjuguent une forme de réciprocité qui a du bon : ce bruit

médiatique149 contribue à l’existence d’une machine plus wonderful que la pile Wonder : plus

on use de la vulgarisation, plus elle augmente… Encore une fois, belle figure que celle de la

réciprocité… On le voit, « entrer » en vulgarisation par la notion de « réciprocité », nous

changeons immédiatement le « rôle social du savoir » : (grâce au savoir, devenir policier

scientifique !

Appliquons alors cette démarche d’investigation à une scène moins criminogène : les

chansons et, plus précisément, les chansons à thèmes scientifiques. Que peuvent-elles nous

apprendre sur le concept de réciprocité et de rôle social du savoir ?

1 De la réciprocité considérée sous tous ses aspects

Les chansons représentent en effet, pour le coup, un dispositif à fort taux de réciprocité si on

déplace quelque peu ce concept vers ce que Michel Valmer dans son travail sur le théâtre

147

Encore que certains scientifiques, comme notre collègue aujourd’hui défunt Michel Crozon peuvent annoncer : « En vulgarisant ma recherche, je la comprends mieux ». 148

20 minutes du même jour se faisait aussi l’écho de ces Experts multimédiatiques. 149

Que certains critiqueraient trop vite en qualifiant de « vacarme ».

Page 291: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 291

qualifie d’immersion participative150. On pourrait même parler d’immersion dans un dispositif

et donc dans les savoirs que celui-ci porte, la participation n’étant qu’une facette. Cette

immersion prend ici trois formes.

a) Une immersion par identification

La figure de l’artiste a été, de tout temps, une figure d’identification à cause probablement de

la fragilité de sa position : le trou de mémoire comme l’exposition de son corps concrétisent la

peur d’être de l’Être. Dans le spectacle « La science aux Chansons », deux types d’artistes à

très forte dose d’identification sont convoqués : l’artiste de rue accompagné de son orgue de

Barbarie (imaginaires à ordres multiples : le passé, Capitaine Fracasse, la pauvreté des

comédiens ambulants – « Viens voir les comédiens, voir les comédiens, voir les comédiens qui

arrivent… »), et l’artiste de cabaret, le chansonnier, le bateleur qu’on écoute parce qu’il est

précisément le chansonnier, le commentateur que chacun aurait aimé être, capable de

tourner en dérision tout et n’importe quoi (le fou du Roi).

b) Une immersion par participation du corps

Différents comportements sont convoqués et de multiples organes du corps sont mis en

mouvement tout au long du spectacle de chansons de science : la reprise en chœur des

moments rythmiquement définis (refrain de V’la l’choléra) et les applaudissements à des

moments-clefs, reprise et applaudissements parfois sollicités par les artistes eux-mêmes

s’appuyant sur les tunes populaires, les sourires induits par les formes linguistiques comme

l’appel aux décalages, à l’humour, les clins d’œil soulevés par les figures de l’amour (toutes les

figures de l’amour dans Amour pasteurisé…). Bref, le corps, les corps « répondent » au

dispositif et s’offrent réciproquement au spectacle et aux comédiens.

c) Une immersion par cognition

Ce sont des savoirs scientifiques doublement inscrits dans le quotidien du spectateur qui

assurent un ancrage dans la mémoire du spectateur : la science du jour et l’actualité du jour. À

l’arrivée du choléra répond l’élévation du Sacré-Cœur. À la création du CEA, les amours

explosives de l’atome. Les liens d’un savoir à l’autre assurent le reste de cette immersion.

La première réponse à la question nécessite donc une double extension :

- l’extension du champ des savoirs strictement scientifiques à celui qui traverse la vie de la communauté scientifique et des relations entre la science, cette communauté scientifique et la société dans son ensemble,

- l’extension du concept de réciprocité à un jeu complexe entre imaginaires, sens et savoirs (tout de même !)

150

Valmer Michel. Le théâtre de sciences, Paris : CNRS éditions, 2006.

Page 292: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 292

2 L’action réciproque de la réciprocité

La réciprocité devient-elle un enclencheur d’action et si oui lesquelles ? La réponse pourrait

être probablement « oui mais non », ou bien « non mais oui »…

Dans le cas qui nous occupe, certaines chansons ont fait un flop sur ce point. Un flop non pas

du strict point de vue qui les intéresse de prime abord : avoir du succès. Tel est le cas, par

exemple, de Viens à l’Exposition, grand tube que Vincent Scotto lance lors de l’Exposition

coloniale mais dont quelques paroles ne semblaient pas préoccuper les masses populaires

d’alors, bien qu’elles sonnent douloureusement à nos oreilles. Seuls les Surréalistes lanceront

leur Manifeste : « Ne visitez pas l'Exposition coloniale », signé André Breton, Paul Eluard, Louis

Aragon, René Char, Benjamin Peret.

« La présence sur l'estrade inaugurale de l'Exposition coloniale du président de la République,

de l'empereur d'Annam, du cardinal-archevêque de Paris et de plusieurs gouverneurs et

soudards, en face du pavillon des missionnaires, de ceux de Citroën et de Renault, exprime

clairement la complicité de la bourgeoisie toute entière dans la naissance d'un nouveau

concept et particulièrement intolérable, la « Grande France ». C'est pour implanter ce concept-

escroquerie que l'on a bâti les pavillons de Vincennes. « […] Aux discours et aux exécutions

capitales, répondez en exigeant l'évacuation immédiate des colonies et la mise en accusation

des généraux et des fonctionnaires responsables des massacres d'Annam, du Liban, du Maroc

et de l'Afrique centrale ».

La Java des bombes atomiques de Boris Vian fait pire en 1955 : peu de gens s’intéressent à

une chanson écrite par un homme qui, par ailleurs, a été censuré pour son Déserteur en ce

début de guerre d’Algérie. Et triomphante, la France pourra faire exploser sa bombe en 1959 à

Regane saluée par des cocoricos dans la plus petite gazette de sa profondeur… L’année 1955

n’est pas au bout de ses contradictions : si elle n’applaudit par la Java, elle encense le Monde

du Silence, spectacle qui reçoit la palme d’or au festival de Cannes, approche pleurnicharde

d’une Nature à conserver contre les méfaits de l’Homme qui, en même temps, fait la bombe !

Querelle des imaginaires à l’œuvre…

Le taux de réciprocité n’est donc pas synonyme de mise en action dans le bon sens ! Peut-être

pourrions-nous reprendre la proposition de Luc Boltanski dans la Souffrance à distance. En

1993, pendant la guerre qui déchirait l'ex-Yougoslavie, dans une Europe impuissante à

interrompre les massacres, l'auteur s'efforce d'analyser les contradictions de l'action

humanitaire. Comment passe-t-on d’un choc ou d’une émotion à l’action ? Nous sommes en

effet dans le même système : changement du rôle social des savoirs et donc passage à un

engagement dans une action – dans le cas de Boltanski, il s’agit de rendre compte de

l’engagement moral dans l’action après avoir été spectateur de la souffrance à la télévision,

par exemple, et donc d’un moment à participation immersive intense, à fort taux de

réciprocité…

Page 293: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 293

Pour Boltanski, le public peut, premièrement, s’engager par la parole. « En se mettant déjà,

même seul devant son poste dans la disposition de quelqu’un qui va parler à autrui de ce qu’il

a vu ». Mais surtout dans la deuxième partie du livre, il analyse trois formes et trois topiques,

qui se sont mises en place entre le milieu du 18ème et le milieu du 20ème siècle. Au travers de la

formation des genres littéraires différents (pamphlets, romans, critiques d’art) dans lesquelles

une parole – là sur la souffrance, ici sur le savoir – peut être formulée de façon à associer

description de ce savoir et engagement de celui qui est informé de ce savoir, selon trois

topiques :

- la topique de la dérision : humour et décalage, - la topique du quotidien : le savoir est rapporté à des objets ou situations du quotidien, - et la topique esthétique : la distance installée par le jeu d’acteur, par exemple.

« La parole est ici une parole affectée, complète Boltanski, et c’est notamment par

l’intermédiaire des émotions que peut être conçue la coordination des spectateurs et par

conséquent le passage d’un concernement et d’une parole individuels à un engagement

collectif ». C’est donc bien à une réflexion sur les relations entre parole et émotions que

Boltanski nous convie.

Mais de même que la parole sur la souffrance peut rester non agissante, la parole peut ne pas

monter jusqu’au rôle social du savoir scientifique, à cause de forces terriblement contraires.

- La perte de confiance dans la parole engagée et, notamment, dans l’état des savoirs en cause par rapport aux savoirs discutés dans la société : comment passer d’un questionnement sur les dérailleurs de bicyclette à un questionnement sur les OGM ?

- La centration sur les médias et ses effets de spectacle avec, en particulier, une centration sur le monde des producteurs de ces savoirs, sur ces scientifiques qui éloignent de la science plutôt qu’ils n’en rapprochent, par leurs attitudes, leurs certitudes, leurs incertitudes, par leurs suffisances parfois.

- Le scepticisme à l’égard de toute forme d’action politique : scepticisme in fine à se retrouver dans les instances politiques de discussion autour de ces savoirs technoscientifiques.

Page 294: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 294

TTaabbllee--rroonnddee NN°° 44 aanniimmééee ppaarr CCllaaiirree HHéébbeerr--SSuuffffrriinn :: LLaa rréécciipprroocciittéé ppeeuutt--eellllee cchhaannggeerr llee rrôôllee ssoocciiaall dduu ssaavvooiirr ??

André Giordan151

: « Comment la réciprocité peut-elle aider à faire circuler et construire les savoirs d’aujourd'hui ? »

Notre société est confrontée à un ensemble de challenges collectifs. Le premier challenge est

évidemment celui de l’environnement avec une série de graves désastres annoncés. Qu’ils

s’agissent du réchauffement de la planète, du trou de l’ozone, des divers polluants, etc., nous

nous devons de réagir, et si possible rapidement... Toutefois, le défi environnemental n’est

pas le seul. Notre société doit faire face à de nouvelles et graves maladies ; après le SIDA, les

épidémies de grippe aviaire ou porcine ou encore le virus d’Ebola sont sérieusement à

craindre. Plus près de nous, les maladies nosocomiales, ces maladies que tout un chacun

rencontre quand il va se faire soigner à l’hôpital, sont devenues un vrai fléau.

Autre challenge important pour l’époque, les challenges éthiques ; de multiples

bouleversements affectent directement nos vies. Ils sont le produit de la recherche

scientifique. Peut-on envisager une mère porteuse et une mère donneuse d’ovule pour

permettre à un homme de faire un enfant sans femme ? Est-il convenable de choisir d’avoir un

garçon, plutôt qu’une fille ? Est-ce une question personnelle ou doit-on légiférer ? Que fait-on

avec les autres diverses procréations assistées ou avec le clonage ? Jusqu’où peut-on aller ?

Toutes ces questions interrogent nos valeurs. Par ailleurs, que doit-il en être avec les OGM ou

les diverses nanotechnologies ?

Actuellement, comment oublier le challenge… financier ? Aucun « grand » expert n’apparaît

capable d’avoir quelques clartés en matière de prêt ou d’investissement ou ne sait maîtriser

les aspects économiques. Tous se payent de « beaux » mots devant les medias (« titrisation »,

« surprimes »,..) ou se targuent de formules mathématiques pour cacher une totale ignorance

face aux problèmes de la monnaie, de l’inflation ou de l’emploi, etc. Sur tous ces points,

arrêtons de faire confiance aux supposés spécialistes, il nous faut apprendre collectivement

ou mettre en place des systèmes de substitution comme le sont par exemple les SEL ou les

monnaies locales.

Apprendre en tant que personne

Sur un plan personnel, nous sommes également face à des défis considérables, sur lesquels il

nous faut tenter d’apprendre. Il n’est pas toujours aisé d’aborder sereinement une question

complexe ; or, au quotidien, nous sommes confrontés à des situations où nous ne « savons

rien faire d’intelligent ». Prenons un peu de recul, qu’avons-nous fait quand a éclaté, sur la

scène publique, la maladie dite « de la vache folle » ? Présentée comme provenant

d’Angleterre, le réflexe de la plupart des Français fut d’arrêter brutalement de manger de la

151

Professeur à l'Université de Genève, directeur du Laboratoire de didactique et d'épistémologie des Sciences.

Page 295: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 295

vache d’Outre-manche. Cela paraissait normal, quasi évident, le fruit du bon sens ! La maladie

s’installa quelques temps après sur le continent.

Si chacun de nous avait fait preuve de « bon sens » ou avait connu et utilisé un outil appelé

« analyse systémique », la démarche aurait pu être tout autre. Ce type d’analyse qui travaille

sur les liens – et non pas seulement sur les parties séparément – permet de décoder les

situations complexes. En matière de vache folle, il aurait notamment permis de repérer le

fonctionnement actuel du système économique. Tout de suite, il aurait mis en évidence en

quoi cette réaction de ne plus manger de viande était une grosse erreur ! La vache anglaise

n’étant plus exportée, la consommation des farines animales152 chuta en Angleterre du fait de

la disparition des vaches. L’économie européenne est ainsi faite que les farines anglaises

nocives furent vendues sur le continent européen. La maladie se propagea de la sorte en

France !

Exemple d’analyse systémique en matière d’industrie bovine

D’où l’importance de s’approprier de nouveaux outils de pensée. Pour faire face à ces

situations inédites, il s’agit le plus souvent de les inventer, et donc, dans chacun des cas, il

nous faut apprendre. Au passage, notons qu’apprendre devient, en tant que tel, un challenge

en lui-même. Ces outils ne sont jamais immédiats ou facilement accessibles ; ils demandent

une démarche adéquate. Nombre de savoirs pour notre époque ne sont pas appris à l’école !

Il faut donc les produire collectivement, puis les partager autrement, au travers d’autres

152

Ces farines étaient à l’origine de la maladie.

Actionnaires

BanquesFinanciers

Exportateurs Marchands de farines

Grandes surfacesAgriculteurs

Agriculture productrice

RendementsConsommateurs

FNSEAFDSEA

Conseillers agricoles

Politiques

Environnement Santéqualité

Page 296: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 296

circuits. Les réseaux des échanges de savoirs – la réciprocité qu’ils permettent – peuvent en

être.

Les médias, plus réactives que l’école, auraient pu être ces sources de réflexions. Sauf

quelques exceptions (Arte, la 5, quelques émissions qui passent après minuit), quelle

confiance peut-on accordée aux médias habituelles ? Elles travaillent sur le sensationnel, il

leur faut faire du spectacle pour leur audience ! En permanence, elles sont sujettes à nombre

de lobbies qui les désinforment. En matière d’environnement par exemple, les médias vont

centrer le public sur le tri. C’est un bon projet sur le court terme ; en aucun cas le problème

essentiel de l’accumulation des déchets n’est toutefois traité. Ce qui est à mettre en cause est

la surconsommation.

Pour soutenir l’économie, tout est fait pour nous faire consommer. La publicité cible

particulièrement nos jeunes. Où peuvent-ils se poser les bonnes questions : « qu’est-ce que je

consomme ? » L’école n’aborde toujours pas ces aspects. « Pourquoi je consomme tel

produit ? En ai-je vraiment besoin ? Si oui, n’y a-t-il pas un produit alternatif plus écologique,

plus éthique, plus économique ? » Où et comment trouver les informations correspondantes ?

N’est-ce pas identique en matière de réchauffement de la planète ? La presse, les télévisions

mettent l’accent, ici également, sur le spectaculaire : la banquise de l’Antarctique qui fond

rapidement. La cause principale mis en avant est le CO2 (gaz carbonique). Est-ce la seule

raison ? Les origines de l’effet de serre sont certainement multiples. Le CO2 n’est-il pas

valorisé parce que, derrière, il y a le lobby de l’énergie nucléaire ? Cette production d’énergie

est censée ne pas fabriquer de CO2. Ce qui est exact en direct ; seulement elle oublie

d’indiquer toutes les productions indirectes de gaz carbonique liées à l’extraction et au

transport du combustible, à la construction des centrales et aux traitements des déchets

radioactifs. Se débarrasser de ces derniers n’est pas évident, cela demande un certain niveau

de haute technologie sur 50 000 ans au moins ! De plus, l’énergie nucléaire, malgré tout,

réchauffe la planète : elle libère de grandes quantités d’énergie ! Si nos sociétés voulaient

vraiment agir sur l’effet de serre, ne devraient-elles pas plutôt favoriser les économies

d’énergie ?

Pourquoi ne pas aller vers ce qui est prioritaire ? En ce moment, il faudrait ne pas attendre et

nous mobiliser sur la finance. Comment faire confiance aux supposés décideurs ou aux experts

patentés ? Pourquoi collectivement ne pas « boycotter » les banques qui ont des banksters153

à leur tête, ou encore les institutions financières qui ont des filiales dans les paradis fiscaux ?

De même, pourquoi ne pas agir directement sur un type d’industrie non citoyenne ? Celles qui

polluent, proposent des objets inutiles ou encore exploitent leurs employés pourraient être

mises à l’index. Rien de plus simple ! Nos achats ou nos non-achats ne sont pas neutres ; ils

suffisent pour infléchir une stratégie industrielle. Des boycotts partiels seraient suffisants sur

le court terme ; ils éviteraient par là-même un chômage trop fort.

153

Bankters provient de la contraction de banque et de gangster !

Page 297: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 297

Environnement didactique favorable à l’apprendre

Chaque fois pour agir efficacement, il nous faut comprendre, apprendre et mobiliser des

savoirs. Les questions pertinentes à nous poser pourraient être alors : quels savoirs élaborer ?

Comment les faire émerger quand ils n’existent pas ? Notamment, que faire devant une

situation complexe, où tout est incertain et/ou aléatoire ? D’où l’importance de l’apprendre

pour tous les instants de la vie. Mais comment apprendre vraiment154, en tant que personne ?

L’autodidactie a de grandes limites ; accéder à l’information adéquate n’est jamais aisée.

Heureusement, on est plus intelligent ensemble ! La réciprocité peut être une piste non

négligeable pour partager, confronter, dépasser nos connaissances respectives.

Toutefois, il ne suffit pas de dire ou de montrer pour qu’automatiquement l’autre apprenne !

Certaines particularités de ce processus sont également à partager. Apprendre n’est pas non

plus engranger toute une série de savoirs dans différents domaines. En fait, on constate

qu’apprendre dans la réciprocité, c’est mobiliser ses propres conceptions. C’est partir de qui

on est et de ce qu’on a « dans la tête ». Ce que nous nommons dans notre jargon les

conceptions sont les seuls outils opératoires à notre disposition pour décoder les informations,

tenter de comprendre la situation à laquelle on est confronté. Chacun de nous interprète

l’information à travers ses propres conceptions, ses propres idées, ses propres façons de

raisonner, son propre regard sur la vie. On ne peut élaborer une nouvelle connaissance ou une

approche différente sans prendre

appui sur elles.

Dans le même temps, apprendre,

c’est autant construire qu’évacuer

les savoirs déjà présents dans notre

cerveau. Nos conceptions, si elles se

trouvent être un passage obligé,

sont également nos obstacles155.

Elles filtrent la réalité ; on ne

comprend que ce qui nous conforte,

tout le reste est évacué. En

permanence, il nous faut donc nous

interroger sur elles ; il s’agit de les

déconstruire en les confrontant à

d’autres. Apprendre en fait est un

processus de transformation :

transformation d’idées,

transformation de questions, de

façons de produire du sens.

On voit ainsi combien l’école est

154

Pour nous apprendre, ce n’est pas seulement mémoriser du savoir, c’est d’abord comprendre et donc aller le chercher, c’est également savoir le mobiliser pour le mettre au service d’une question à résoudre. 155

Ces obstacles peuvent se transmettre de générations en générations s’ils ne sont pas travaillés !

Page 298: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 298

encore pauvre en la matière. Apprendre, ce n’est pas simplement recevoir (donc

transmettre) ; ce n’est pas seulement conditionner. Ce n’est pas non plus seulement

construire, comme le disent les méthodes dites « actives » à la mode. Apprendre est vraiment

un processus complexe d’élaboration, où chaque personne, chaque apprenant, est « auteur »

de son propre savoir.

Mais paradoxalement, si on apprend seul, dans le même temps on n’apprend pas tout seul…

On apprend grâce à l’autre. C’est l’autre, l’autre différent ; c’est sa diversité qui nous

interpelle et nous conduit à penser autrement. Bien sûr, celle-ci sera plus riche quand elle

s’intègre dans un milieu culturel, d’où l’importance des réseaux, des réseaux d’associations ou

des réseaux de réseaux.

Sur un plan pratique, encore faut-il un environnement didactique. Mais pas n’importe lequel !

On remarque qu’il devient pertinent quand il comporte une série de paramètres-clefs. Mis au

point par nos recherches au Laboratoire de didactique et d’épistémologie des sciences de

Genève, celui-ci demande à être également partagé le plus largement possible.

Apprendre en tant que collectivité

L’apprendre, s’il est un défi pour la personne, l’est également pour les collectivités et pour la

société dans son ensemble. Nos organisations se doivent de devenir « apprenantes » !

Pourquoi faire des complexes ? Pourquoi avoir crainte d’élaborer des savoirs ensemble en

dehors de l’université156 – je parle en tant qu’universitaire. Celle-ci n’est pas toujours la mieux

placée pour produire certains savoirs contemporains. Les associations, les entreprises et

certainement les réseaux ont à apprendre à partir d’eux-mêmes et à travers leur propre

fonctionnement. Ils peuvent grandement tirer partie de leurs réussites et de leurs échecs. A

cette fin, une démarche appelée « savoirs émergents » a été mise en place dans un groupe

que j’ai coordonné à l’initiative de Claire Héber-Suffrin.

Par exemple, comment vivre en situation monoparentale ? En famille recomposée ou en

famille homoparentale ? La question ne se posait pas, chacun faisait face ou bricolait dans son

coin. Pourquoi ne pas travailler ensemble sur les obstacles vécus au quotidien ? De même,

comment décider en matière d'incertitude ? Il existait bien les probabilités ; ce qui a permis

aux assurances et aux banques de prospérer. Mais quand tout devient incertain, parce que

tout est mondialisé et dérégulé, comment prendre une décision dans une entreprise ? Jusqu'à

présent, la pensée habituelle mettait l'accent sur la stabilité ou l'équilibre stable. Aujourd'hui,

ne faut-il pas plutôt intégrer l'idée d’incertitude dans notre vision du monde ou dans nos

pratiques professionnelles ? Cette instabilité permanente ne doit pas être menaçante ou

conduire à l'immobilisme. Bien au contraire, nous devons réconcilier cet état du monde avec

nos démarches intellectuelles. La réciprocité, ici encore, peut être très riche pour aborder ces

questions.

156

L’université s’enferme trop souvent dans ses propres rituels. Les questions de recherches n’ont dés lors plus de sens que pour son propre fonctionnement corporatistes. Elle prend ainsi parfois même trop distance par rapport aux problèmes du quotidien.

Page 299: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 299

De même, les réseaux sont aujourd'hui privilégiés, mais que veut dire travailler, organiser ou

encore décider efficacement en « réseau » ? Comment faire circuler de façon optimale les

informations ? Comment faciliter les confrontations ? Comment prendre une décision ?

Comment répartir les responsabilités quand il n’y a plus de centre ou de hiérarchie ? Chaque

fois, l’objectif têtu d’une démarche réciproque de « savoir émergent » est d’essayer d’arrêter

de se lamenter ou de se renfermer dans une pseudo-identité pour concevoir une autre réalité

de la condition humaine, un autre vécu de cette même réalité pour la partager.

Au point de départ du processus d’émergence comme le signale Claire Héber-Suffrin : « une

question, un refus, une difficulté, un réel « qui résiste ». Et pour prendre réellement en

compte ces données, d'emblée une attention au réel et un état d'esprit : être persuadé que

l'on peut produire de nouveaux savoirs. »

Pour tenter d’élaborer de tels savoirs, l’approche se décompose schématiquement de la

manière suivante :

- - repérer les questions restées sans réponse au quotidien en matière sociale et personnelle ;

- - chercher comment « avancer »" (problématiser) quand il n'y a pas de référent, ni scientifique, ni corporatiste, ni technologique ;

- - consulter et faire expliciter les personnes porteuses d’expériences (que peut-on tirer de leurs pratiques ? quelles limites ? quelles solutions alternatives pour aller plus loin ?) ;

- - multiplier les expériences ou plutôt tirer parti des expériences diverses des divers participants ;

- - formaliser et mettre en commun les hypothèses, les idées en analysant à travers divers points de vue les échecs ou les situations qui ont réussi ;

- - confronter les pratiques et les évaluer, et surtout mettre à plat les paradigmes (logiques intimes et valeurs) ;

Un état de veille permanent est à mettre en place, c’est-à-dire une sensibilité à regarder

autour de soi comment la même question est traitée par différentes personnes ou groupes ;

et pour cela, diversifier ses capteurs, organiser la collecte des informations, repérer les bonnes

informations, les mettre en commun... et en permanence mutualiser les données.

Des retours réflexifs permettent de s'impliquer dans des débats ouverts, d'accepter les

provocations épistémologiques, c'est-à-dire de savoir s'interpeller mutuellement, de travailler

sur les liens pour se rendre capables de « bouger nos pensées ». Il s'agit d'apprendre

ensemble à interroger les questions : posons-nous les bonnes questions ? Est-ce la bonne

façon de les poser ?

Cette étape est importante pour se donner les chances, ensemble, d'avoir une vision de la

complexité du monde ! Ne pas hésiter à travailler les conflits comme ne peut manquer d'en

créer toute activité d'élaboration en groupe. Apprendre à dépasser les éléments

Page 300: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 300

contradictoires pour inventer un « optimum » qui dépasse pour les englober ou les concilier

les éléments antagonistes.

Enfin, cette démarche entretient un atout important pour l’innovation et l’émergence des

idées : la conscience de l'incomplétude. On peut la caractériser par deux paramètres : « seul,

je ne sais pas »; « aucun savoir n'est jamais fini ! ».

La démarche « savoir émergent »

Parallèlement un autre grand défi pour notre époque est de (re)penser nos régulations

sociales. Notre société est encore trop frustre en matière de démocratie ; seul le vote par

intervalles est mis en avant, éventuellement les comités d’experts. Ne faudrait-il pas penser

aujourd’hui de nouvelles structures ? En matière de finances, ce sont des régulations

planétaires à inventer. Ce que décide le G.20 est bien trop frustre ; nos élites manquent

largement de culture de la régulation. N’est-ce pas plutôt pour les politiques un mot à la

mode, tout comme « développement durable » ou « principe de précaution » ?

Il est vrai que ce domaine n’a qu’une place très limitée dans l’éducation ; il est totalement

absent de la formation de nos élites. Les milieux économiques, eux, envisagent la régulation

seulement comme un « système de contrôle ». Pour les politiques, leur seul modèle est le

Comité de Bâle, avec des engagements forts entre Etats, autre exemple de la pauvreté

culturelle générale du domaine ! Sans aucun doute, leur faut-il revisiter et les réglementations

et les Commissions de contrôle qui s’avèrent n’être que des coquilles vides. Toutefois, bien

plus qu’à leur fonctionnement, c’est aux principes qu’il est nécessaire de s’attaquer. Les

dynamiques homéostatiques connues sont plutôt à décortiquer, et la physionique devient plus

que jamais de la « matière à penser » pour des échanges réciproques. Les êtres vivants,

organisations complexes par excellence, ont une longue histoire, plus de trois milliards

d’années d’évolution dans des conditions extrêmement difficiles, ils ont mis en place des

régulations de régulations pour prospérer. Au cours de leur longue évolution, un nombre

considérable de régulations ont été explorées et, par chance, mémorisées. Les mécanismes de

régulation inventés sont incroyables de sophistication et d’efficience. A travers cet autre

regard sur la complexité, des perspectives s’ouvrent. Travailler réciproquement les régulations

dans les entreprises ou les organisations fait bouger les lignes, ouvre de nouveaux horizons.

Enfin les apparences sont trompeuses ; trop souvent, nous en restons à l’évidence ! Le monde

qui est n’est pas celui qu’on voit ! Il faut s’interroger en permanence sur ce que nous appelons

« nos paradigmes », c’est-à-dire nos soubassements de la pensée. On met toujours en avant le

PIB comme symbole de richesse. Or le PIB augmente quand il y a beaucoup de morts et

beaucoup de malades, il baisse si les gens sont en bonne santé et sont éduqués ! Sortir des

modèles habituels que l’on a « en tête » ou que les médias nous rebattent doit devenir une

direction de travail. Dans une organisation « qui marche », le « tout n’est pas la somme des

parties », il est immensément plus. « Le plus n’est pas le mieux » ou encore « A n’exclut pas

Page 301: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 301

B », etc. Souvent il faut tenir A et B en tension par des mécanismes de régulations, souvent de

régulations de régulations, pour que l’organisation se développe.

Nos évidences – à commencer par nos valeurs – sont à interpeller au quotidien, elles sont

souvent des « non-pensés » qui bloquent nos choix… S’il y a un gagnant, il n’y a pas

nécessairement un perdant. On cherche une solution alors que les solutions n’existent pas !

Elles dépendent du contexte, elles varient avec le temps, l’histoire du groupe. Ne vaudrait-il

pas mieux penser « optimum » ?

Voilà encore une série d’éléments à interroger réciproquement, si l’on souhaite devenir, en

tant que réseau, une organisation vraiment « apprenante » !

Pour en savoir plus :

André Giordan, Claire Héber-Suffrin (coordinateurs), 2007, Savoirs émergents, Nice, Ovadia.

André Giordan, (1998) 2002, nouvelle édition, Apprendre ! Paris, Belin.

André Giordan, Jérôme Saltet, 2007, Apprendre à apprendre, Librio.

Maryannick Van Den Abeele157

: « La réciprocité peut-elle changer le rôle social du savoir ? Quid à La Poste ? »

1. La Poste

Contexte

La Poste, groupe industriel de 300 000 personnes, a accompli ces dernières années des efforts

considérables de modernisation et d’amélioration de sa performance.

Son activité, qui sera en concurrence totale dans moins de cinq ans, est extrêmement

diversifiée, allant de la banque au traitement du courrier et des colis, et s’exerce aussi bien à

l’international que sur le territoire français.

Refonte accélérée des processus industriels, échéance massive du « baby-boom »,

responsabilités intégrant de fréquents changements de filières, nécessaire évolution des

mentalités liée à l’ouverture à la concurrence : L’ampleur, la complexité et l’urgence de

l’évolution que La Poste entend mener à bien l’ont conduite à miser sur la responsabilisation

de sa chaîne managériale.

La notion de savoir à La poste

A La Poste, le niveau de savoir (le niveau du diplôme ou de concours interne obtenu)

détermine le plus souvent le niveau de responsabilité et donc le niveau hiérarchique. La

157

Chef du projet RERS à La Poste.

Page 302: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 302

progression également est liée à une acquisition de savoirs de type classique (formation

initiale à la fonction et formation permanente sous forme de modules).

Ce système de référence est basé sur un processus sélectif, allant de « l’ascenseur social » à

une certaine forme d’élitisme au fur et à mesure que s’élève le niveau de diplôme ou de

concours obtenu. Le ressort de ce système relève de l’émulation et peut facilement aller

jusqu’à la concurrence ou la rivalité (principe du concours : être meilleur que les autres).

L’impact du savoir est donc individuel dans la mesure où, d’une part, il contribue quasi

exclusivement à la progression personnelle et, d’autre part, il n’entraîne aucun partage de la

connaissance acquise.

Si certaines expériences de partage de savoirs ont pu être menées (tutorat, échange collectif

d’expériences ou de bonnes pratiques, ateliers de résolution de problèmes…), elles

n’aboutissent pas véritablement à la réciprocité dans la mesure où ces démarches se

résument le plus souvent (sur le plan de la transmission de savoir) à la présentation devant

quelques personnes d’un processus novateur ou d’une expérience réussie.

L’expérience à La Poste

Quels étaient les objectifs du projet ?

� Faire circuler les savoirs et savoir-faire afin de limiter les pertes de connaissances liées au turn-over, retraites…

� Mutualiser les savoirs et savoir-faire afin d’améliorer le professionnalisme en équipe ainsi qu’en rendant les participants acteurs de leur formation et plus largement de l’ensemble du système.

� Faire évoluer la culture postale en développant une culture de l’échange, de l’évaluation et du travail en équipe.

Des principes qui viennent perturber la culture d’entreprise

La réciprocité, le volontariat, la confidentialité, l’absence de hiérarchie entre les offres et

demandes (et ceux qui les ont exprimées), la confiance sont les mêmes principes que dans les

RERS associatifs ou scolaires.

Toutefois, à La Poste, ils viennent perturber la culture de l’entreprise :

- En effet, La Poste est une entreprise hiérarchisée (où les personnes ne sont donc pas égales).

- Tout document, tout savoir est contrôlé avant d’être diffusé (dans le RERS, ne pas vérifier si l’offreur détient bien son savoir, ne pas être présent pendant l’échange représentent donc un risque).

- Les formations ne sont pas toujours un choix du collaborateur mais une demande du supérieur (les offres, demandes, échanges sont choisis librement par les participants du RERS).

Page 303: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 303

- Le supérieur connaît tout (formations…) de son collaborateur (dans le RERS, il y a un principe de confidentialité).

- La décision hiérarchique est encore très prégnante aujourd’hui, alors que le RERS prévoit que le supérieur ne peut pas s’opposer à la participation de son collaborateur (probablement un des rares domaines où cela est possible) et ne peut pas non plus l’obliger (principe de volontariat).

- De façon générale, la rétention d’information, source de pouvoir, est de pratique courante dans cette entreprise comme dans la plupart des autres. Dans le RERS, c’est au contraire l’échange, l’enrichissement mutuel, qui est la règle.

Une mise en œuvre exigeante

La mise en œuvre d’un RERS à La Poste a impliqué, compte-tenu de la taille de l’entreprise,

une structuration de la démarche :

- Définition d’un processus (celui des RERS : avoir une offre et une demande, définir le

contenu de l’échange avant, faire un bilan) ;

- Elaboration d’une charte (avec principes, valeurs) ;

- Méthode de management de projet stricte (lots de travaux, Comité de pilotage) ;

- Mise en place d’un outil informatique permettant d’une part aux participants d’accéder aux

offres, demandes et outils du RERS et d’autre part « d’industrialiser » la démarche ;

- Création d’outils de communication (plaquette, kit d’organisation d’une bourse d’échanges,

vidéo de témoignages…) ;

- Formation d’animateurs locaux (relais sur le territoire) ;

- Evaluation rigoureuse des échanges et de l’impact de la démarche.

Les résultats

En deux ans158 : plus de 400 personnes inscrites, 800 offres et 850 demandes, 330 échanges.

Les évaluations faites par les participants montrent que ceux-ci sont satisfaits des échanges

(95% d’objectifs atteints), qu’ils mettent en œuvre les savoirs acquis (84% des personnes ont

mis en œuvre le savoir acquis dans les deux mois qui suivent l’échange) et que ces savoirs mis

en œuvre ont un impact sur leurs objectifs (en termes de qualité de service, relations clients,

augmentation du Chiffre d’affaires), et sur leur management (communication dans le service,

répartition du travail, motivation des collaborateurs...).

Il est encore plus remarquable de voir que les apports les plus fortement notés par les

participants eux-mêmes sont ceux relatifs à des acquis personnels :

158

A la date du 29 novembre 2008.

Page 304: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 304

- Amélioration de leurs capacités pédagogiques ;

- Amélioration de la confiance en soi, de la capacité de décision, de l’auto-évaluation de ses

propres capacités ;

- Valorisation personnelle, motivation et prise en main de son propre développement ;

- Renforcement de l’écoute et de la compréhension des autres ;

- Intégration à un réseau ce qui limite le sentiment d’isolement.

Il faut ajouter que le RERS est considéré comme une démarche complémentaire aux autres

démarches de l’entreprise (notamment la formation de type classique).

Conclusion

La mise en place d’une démarche RERS améliore, certes, les compétences professionnelles des

participants mais surtout transforme les individus et génère du lien social de manière palpable

en développant une culture de l’échange, en améliorant l’état d’esprit au travail, en favorisant

la solidarité, l’écoute, la compréhension des autres, la transversalité. Ces dimensions

« humaines » sont recherchées par les entreprises qui ont compris que la réussite dans un

monde concurrentiel passe par un management différent où le collectif ne se décrète pas et

se construit par les salariés eux-mêmes, dans un esprit de communauté plus que de rivalité.

Rappel des propos d’Hervé SERIEYX159 :

« Edgar Morin le rappelle : notre société fabrique de la « déliaison », de la rupture entre les

groupes, entre les personnes, entre les âmes. Les sociétés occidentales connaissent de

considérables fractures où disparaissent les solidarités naturelles que doivent remplacer les

systèmes administratifs de solidarités institutionnelles. Les causes sont multiples : on peut citer

entre autres :

- la compétition : que le meilleur gagne, chacun pour soi et vae victis160 ; - la spécialisation : une société productiviste tend à cantonner chacun dans sa spécialité,

composant peu à peu un ordre mécanicien, où chacun, séparé des autres, joue son rôle de rouage au sein de la mécanique générale ;

- la consommation : elle exalte un hédonisme individuel, un « toujours plus » qui incite peu au partage ;

- l’affaiblissement en occident des grandes idéologies massifiantes qui produisaient des solidarités militantes et des religions, aujourd’hui vécues comme des choix individuels, structuraient hier l’essentiel de la vie sociale ;

- la constitution de grandes concentrations urbaines et suburbaines qui produit de plus en plus de solitudes anonymes.

159

Hervé Seryex, 2000, « Préface », in Jean-Yves Prax, Le guide du Knowledge management, Paris, Dunod.

160 Malheur aux vaincus.

Page 305: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 305

Nuisible à la vie collective, cette déliaison est d’autant plus dommageable qu’elle est en

contradiction avec « l’économie du savoir » qui tend peu à peu à supplanter dans le monde,

« l’économie matérielle ». L’économie matérielle postulait une séparation des fonctions, des

postes, des tâches, chacun étant affecté à une phase du processus de transformation de la

matière ou de production d’un service. L’économie du savoir, elle, suppose la conjonction

d’intelligences interactives, une affectio societatis forte qui pousse les acteurs à échanger des

informations, à partager des connaissances, à privilégier, entre eux, non pas la division du

travail, mais la multiplication des compétences…

La société du savoir, celle qui permettra à un pays d’améliorer sans cesse son Bonheur

National Brut, et à une entreprise d’accroître sa performance, suppose la synergie des

connaissances... ».

Catherine Chabrun161

: « Les pratiques de coopération à l’école et la réciprocité »

1 La déshumanisation en marche ! »

Nous sommes tous conscients que le modèle économique qui se déploie partout dans le monde ne permet plus l’humanisation de l’espèce humaine. On peut même dire que la déshumanisation est en marche !

Un modèle économique qui méprise l’être humain

Nous assistons au développement d’un système économique qui tisse ses fils au mépris des

milliards d’êtres humains avec, quotidiennement, ses lots de délocalisations, de

discriminations, d’exclusions, de répressions… Tout s’achète, tout se vend : de la molécule qui

guérit à celle qui tue, de l’embryon aux organes, de la semence brevetée du paysan indien à la

forêt amazonienne, de la goutte d’eau à l’océan, de la poussière d’or aux barils de pétrole, de

l’œuvre d’art à la chaîne de télévision… et j’en passe.

Un modèle économique qui réduit le mot liberté à celui du libre échange

Le libre échange serait naturel à l’homme, qui serait porté par la satisfaction de ses seuls

intérêts, de ses besoins, ce qui justifierait la défense de son territoire, la compétition au

détriment de la solidarité… La nature comme argument, mais la nature réduite à ses

hiérarchies, au mépris de toute l’humanité de chaque être.

Chacun pour soi ! Qu’importe la relation à autrui et la compréhension d’autrui, avec ses

différences et ses ressemblances.

161

Responsable des publications de l’Institut coopératif de l’école moderne, Mouvement Freinet, enseignante.

Page 306: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 306

Pour moi il est évident et crucial de résister à cette idéologie libérale et c’est urgent !

On peut s’interroger sur la place de l’Education dans cette idéologie

Un système éducatif est porteur d’une conception de société, aussi bien par sa forme que par

son contenu.

Un modèle éducatif qui prône l’autoritarisme et l’obéissance passive, la compétition et la

performance individuelle, la transmission verticale de contenus simplifiés, morcelés et appris

par coeur ne formera pas le même individu qu’un modèle qui met en valeur l’autorité avec un

grand A (celui qui sait, qui protège…), la réussite personnelle en coopération avec les autres, la

production et la création de savoirs en confrontation avec la complexité du monde.

Et on peut également questionner le rôle de la réciprocité

Pour cette journée, je me suis penchée sur le concept de réciprocité. Ce qui m’a permis de

mieux comprendre son importance et ses implications dans le domaine de l’éducation.

La réciprocité en regard avec celui d’échange

Le mot « échange » signifie le fait de céder un bien moyennant une contrepartie. Par

extension, il désigne toute circulation de matière, d’énergie, d’information… et de toutes

sortes d’interactions humaines. Il s’impose même à des situations dénuées de calcul comme

par exemple les échanges d’idées ; pourtant on ne perd pas une idée en la communiquant,

bien au contraire, elle va s’enrichir en se confrontant à celle de l’autre. De même pour les

échanges de savoirs qui pourront, ainsi, dépasser leurs propres représentations…

Même si l’échange de biens demande une relation préalable, un minimum de réciprocité qui

permet de s’entendre et d’éviter les affrontements, il reste subordonné à l’intérêt recherché.

Dans une relation réciproque, l’intérêt supérieur n’est pas celui de l’un ou de l’autre mais celui

qui peut être attribué simultanément à l’un ou à l’autre. Dans l’échange économique, la

compréhension mutuelle n’est plus le but de la relation mais un moyen pour acquérir des

biens.

Le mot « réciprocité » signifie qu’une relation d’un individu à un autre existera aussi de

l’autre vers soi

C’est une relation qui se retourne, une relation réversible entre des personnes et non une

simple transaction d’objets. Elle n’est pas limitée au face à face, elle n’est pas obligatoirement

immédiate ni binaire, elle peut s’effectuer dans un autre temps, un autre espace, dans un

autre cercle d’individus… Ce qui est essentiel dans cette relation, dans cette réciprocité, c’est

l’émergence de valeurs telles que l’amitié, la confiance, la responsabilité, la justice… des

valeurs qui ne se quantifient pas mais qui font lien, société et humanité.

La réciprocité permet également de mettre en conjonction et en interaction des

contradictions : chacun vit pour soi et pour autrui de façon réciproque : conjonction de

Page 307: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 307

l’individualisme et de l’altruisme, il en est de même de l’agir et du subir, de l’identité et de la

différence, du donner et du recevoir, du nourrir et du être nourri…

La réciprocité pourrait donc être un autre modèle de relation économique entre les

humains…

La production de marchandises n’ayant plus comme objectif d’enrichir l’un au détriment d’un

autre mais de satisfaire l’un et l’autre simultanément ! Avec en plus l’enrichissement

relationnel et le renforcement du lien social.

Comme dans l’échange réciproque de savoirs où l’un et l’autre s’enrichissent simultanément :

le donneur s’enrichit de ce qu’il donne, le receveur s’enrichit de ce qu’il reçoit, et lorsqu’à son

tour il donnera, il s’enrichira encore de ce qu’il donnera, un enrichissement perpétuel !

… et enrayer la déshumanisation de l’être humain

La réciprocité serait bien en mesure d’enrayer la déshumanisation de notre société. Comme

le système éducatif est porteur d’une conception de société que nous rejetons, qu’il

participe à cette déshumanisation, il devient urgent de le transformer.

2 Qu’en est-il de la pédagogie Freinet ?

Une pédagogie octogénaire et pourtant toujours nouvelle !

La première guerre mondiale marque profondément les pédagogues engagés dans les

expérimentations de l’Education nouvelle (Cousinet, Decroly, Dewey, Ferrière, Freinet,

Makarenko, Montessory, Neill, Rogers…). La plupart participent à de nombreux congrès et

publications permettant d’échanger sur les pratiques et les travaux de chacun.

Henri Wallon dira à propos de cette époque : « Il avait semblé alors que pour assurer au

monde un avenir de paix, rien ne pouvait être plus efficace que de développer dans les jeunes

générations le respect de la personne humaine par une éducation appropriée. Ainsi pourraient

s'épanouir les sentiments de solidarité et de fraternité humaines qui sont aux antipodes de la

guerre et de la violence ».

Dès 1925, Célestin Freinet vise une pédagogie fondée sur une éducation du travail et de la

liberté au sein d'un groupe coopératif, une école conçue pour tous les enfants du peuple, dans

la perspective d'une société universaliste, libérée de l'exploitation.

Si la pédagogie Freinet a pu influencer parfois la rédaction des programmes avec quelques

techniques isolées et sans cohérence entre elles (texte libre, journal scolaire,

correspondance), l’essence même de la pédagogie Freinet n’a guère influencé les pratiques

pédagogiques des enseignants.

Aujourd’hui avec les dernières mesures et les nouveaux programmes, la pédagogie Freinet se

retrouve totalement en rupture.

Page 308: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 308

Les fondements de la pédagogie Freinet

On peut présenter ces fondements selon trois axes :

- les conceptions de la personne humaine et de la société ; - les valeurs philosophiques, politiques et sociologiques ; - les finalités de l'éducation.

- Des conceptions

Celle de l'enfant, bien sûr, un petit d'humain et non un humain en miniature, pris dans sa

globalité et se construisant de manière ontologique. Un enfant éducable, capable d'apprendre

des autres, avec les autres et aussi seul...

Celle de l'homme et de la femme : libre, responsable et autonome, capable de

s'autodéterminer, de s'autoconstruire mais aussi capable de coopérer avec les autres, tout à la

fois égaux et différents. Celle d’un citoyen ou d’une citoyenne d'une société mais aussi du

monde.

Celle de la société construite par tous et pour tous. Une société harmonieuse et respectueuse

de tous et de chacun de ses membres. Une société à vocation universaliste. Une société

soucieuse de l’avenir de sa planète.

- Des valeurs

A la fois philosophiques, politiques et sociologiques, ce sont celles de la République « liberté,

égalité, fraternité » et aussi la laïcité, la solidarité, le respect, la justice, la paix, la coopération,

la compréhension, la dignité… bref des « valeurs humanistes » car elles définissent le type

d'humanité que nous voulons réaliser.

- Des finalités pour l’éducation

Une éducation qui conduit l'enfant vers l'homme ou vers la femme, citoyen ou citoyenne

capables de prendre sa place dans la société et d’agir à son tour sur elle pour la transformer.

Une véritable formation de l'être humain et du citoyen qui vise l’autonomie de pensée et

d'action et la capacité d’exercer ses libertés en les articulant avec celles des autres, d’élaborer

des règles collectivement, d’y obéir sans être soumis.

Une éducation qui établit d’autres modes de relation entre les personnes, entre les

connaissances et les cultures, puisqu’elle offre des situations de coopération mettant en

œuvre des capacités d’entraide, de partage, d’apprentissage par et avec l’autre et laissant le

temps de construire des relations, des connaissances.

Une éducation qui forme des individus désireux d’appréhender le monde dans sa complexité

et conscients d’appartenir à l’Humanité puisqu’elle donne à chacun les capacités de lire, de

comprendre, de raisonner, d’imaginer, de créer, d’articuler ses désirs personnels avec les

besoins du collectif.

Page 309: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 309

Une éducation qui permet à chacun de connaître et reconnaître sa propre culture et ainsi de la

relier à la culture universelle.

Cette présentation rapide permet déjà d’affirmer que le paradigme de la pédagogie Freinet est plutôt favorable au développement, pour chaque individu, des capacités à agir pour un monde plus solidaire et, ceci, dès les premières années d’école.

En effet, le premier monde solidaire pour les enfants, ne serait-il pas celui de la classe où ils pourraient expérimenter des pratiques différentes et souvent contradictoires avec celles qui l’entourent !

3 Des situations pédagogiques

Je suis entrée dans l’Education nationale avec ces mêmes conceptions de l’homme et de la femme et naturellement, pour moi, l’éducation permettait de conduire l’enfant vers cet homme ou cette femme que j’imaginais. Au début, j’ai déchanté, j’étais insatisfaite. Heureusement, des rencontres humaines et livresques ont déclenché et permis la transformation de mes pratiques. Un long chemin m’attendait, mais je n’étais plus seule. La pédagogie Freinet m’a apporté et m’apporte encore des vécus de classe extraordinaires, des moments inoubliables. Voici quelques situations pédagogiques qui peuvent éclairer le concept de réciprocité Ce ne sont que quelques-unes des situations d’enseignements, d’apprentissages, d’évaluation

ou de régulation qu’on peut rencontrer dans des classes Freinet.

L’entretien ou le « Quoi de Neuf ? »

C’est un moment de parole, généralement le matin, qui permet à chaque enfant de dire et de

se raconter, de présenter un événement ou un objet.

C’est aussi une sorte de sas qui permet de rejoindre sereinement la classe et ses

apprentissages. Parfois, ce moment permet d’approfondir certains points, d’entrer dans des

apprentissages spécifiques. Un enfant, un groupe d’enfants peuvent ainsi se proposer pour

une recherche, un exposé.

Il permet des apprentissages individuels qui se réalisent avec les autres :

Pour celui qui parle, la prise de parole, le langage mais qui ne peuvent exister sans l’écoute et

les questionnements des autres. Ces autres qui apprennent en même temps l’écoute, le

respect…

Pour celui qui anime ce moment, il apprend à donner la parole, à réguler les excès, à gérer le

temps, il est le garant de cette relation particulière. Cet apprentissage tournera et se

transmettra par compagnonnage.

Parfois il permet d’approfondir certains points, d’entrer dans des apprentissages spécifiques.

Un enfant, un groupe d’enfants peuvent ainsi se proposer pour une recherche, un exposé.

Page 310: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 310

Certains donnent, certains reçoivent, une autre fois d’autres donneront et d’autres

recevront…

Ces réciprocités, qu’elles soient simultanées ou différées, se nourrissent de l’indispensable

confiance qui entoure cette situation, pour oser et s’autoriser à dire, à se découvrir, à se

mettre en « je » et en jeu.

Le Conseil

Toutes les situations, les différents moments d’une classe coopérative nécessitent une organisation sociale réfléchie. C’est un lieu de parole et d’échanges où ensemble les membres du collectif classe analysent les différents aspects de la vie commune, confrontent leurs points de vue, prennent des décisions et en évaluent l’application. Des règles de fonctionnement, des régularisations de conflits, des propositions de projets, des suggestions d’activités et des décisions émergent des réunions de Conseil. C’est un lieu de parole qui nécessite différentes compétences : l’animation, la reformulation, la synthèse, la prise de notes, la représentation… Cet exercice de la démocratie est difficile et se fait progressivement. Dans une classe Freinet, tous les rôles du Conseil tournent et chacun, s’il le souhaite, peut s’entraîner, être aidé, pour s’exercer à une responsabilité. Présider et être présidé, écouter et être écouté, conduire et être conduit, respecter et être

respecté, critiquer et être critiqué, ces réciprocités permettent le partage du pouvoir, car les

responsabilités se déplacent de l’un à l’autre des membres.

La paix et la justice sont des valeurs émergentes du Conseil.

Le texte libre

Le texte libre constitue l'une des techniques emblématiques de la pédagogie Freinet. A l’inverse de la rédaction où l’on apprend à rédiger, le texte libre est une véritable expression, une création qui est imprimée et socialisée (journal scolaire, album, petits livres, etc.) ; il confère à l’enfant un statut d’auteur. Le texte peut être qualifié de libre quand il repose sur un certain nombre de libertés réelles : le choix de la taille du texte, de son rythme de production, du thème, l’absence de pression sur les erreurs orthographiques et les incorrections syntaxiques. La publication des textes motivera le travail d’orthographe, de syntaxe, de présentation et d’écriture. Le temps d’écriture est un moment personnel souvent solitaire, mais dans les classes coopératives, chacun sait qu’il peut compter sur les savoirs des autres : un mot, une orthographe, un conseil. L’entraide est présente, il suffit de l’organiser pour qu’elle ne perturbe pas la réflexion, la concentration. La présentation d’un texte permet à l’auteur de recevoir le ressenti des autres, mais aussi, par leurs différents retours et questions, de préciser sa pensée et ainsi d’enrichir son expression. Là aussi, simultanément et en différé, il y a réciprocité par la reconnaissance de l’expression de chacun et le statut d’auteur qui en résulte. L’égale dignité de chacun est reconnue : de l’écriture à sa présentation.

Les brevets

Page 311: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 311

L’évaluation est nécessaire : l’enfant comme l’adulte d’ailleurs, lorsqu'il crée ou produit

quelque chose, éprouve le besoin de montrer, de savoir ce que l'on pense de sa création ou de

sa production.

Dans la classe coopérative, l’évaluation revêt trois aspects importants : l'évaluation de l'enfant

par lui-même, l'évaluation de l'enfant par le groupe, l'évaluation de l'enfant par le maître.

L'interaction de ces trois aspects aboutit à une évaluation plus juste et plus significative.

Les brevets permettent une évaluation progressive et formatrice. En effet, l’enfant se

confronte à différents paliers, tels les barreaux d’une échelle sur la pente d’un savoir. Il va

s’entraîner et tenter le brevet qu’il pense correspondant à son niveau ; s’il réussit, le brevet ira

rejoindre ceux qu’il a déjà réussis ; s’il échoue, il reprendra les apprentissages pour repasser le

même niveau ou un autre.

Le passage du brevet peut être proposé également par l’enseignant ou par le groupe classe.

Une compétence montrée peut être relevée par le groupe et ainsi assurer et rassurer l’enfant

pour le passage d’un brevet.

Les brevets réussis permettent la connaissance et la reconnaissance des savoirs par le groupe.

Cette connaissance des savoirs de chacun par tous permet leur mutualisation, leur partage :

chacun sait et ne sait pas, chacun est en capacité de donner et de recevoir dans un domaine,

une activité. Lorsque l’enfant s’entraîne, prépare un brevet, une conférence, écrit un texte,

réalise un projet, il peut ainsi solliciter un autre enfant qui est reconnu pour un ou des savoirs.

On est bien loin de la note qui arrive tel un couperet sans espoir de retour. On est bien loin de

la réussite aux dépens des autres.

La solidarité et la fraternité remplacent la compétition et la concurrence.

Les ateliers d’échanges de savoirs

C’est avec cette situation que je termine cet exposé de situations pédagogiques car, dans ma pratique, elle a pris et prend encore beaucoup de place.

Cette fameuse phrase : « Tout le monde sait quelque chose, personne ne sait tout et chacun

s’enrichit des connaissances des autres. », a résonné en moi et il fallait qu’elle irradie ma

pratique pédagogique.

Je n’ai donc pas hésité lorsqu’un des enfants au Conseil proposa de nous apprendre les nœuds

marins. Cette première proposition a été suivie immédiatement d’une seconde, d’une

troisième puis d’autres affluèrent (le langage des signes, peindre à la manière de.., écrire des

dialogues).

Il fallait donc trouver un espace et un temps pour faire vivre ces projets. C’est ainsi que l’atelier

d’échanges de savoirs est né dans ma classe. Avec un temps central, le Conseil qui est à la fois

Page 312: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 312

un temps d’entrée (c’est là que naissent ou s’expriment les propositions) et un temps

organisateur des ateliers.

Les enfants qui proposent des ateliers les organisent totalement : matériel, nombre de participants, inscription jusqu’à l’évaluation finale, le brevet. Chaque année arrive infailliblement cette situation paradoxale : les enfants responsables d’ateliers désirent participer aux autres ateliers mais souhaitent que le leur perdure. Et la solution proposée est à chaque fois la transmission de leur atelier à un autre enfant par le compagnonnage. Mais tous ces savoirs transmis pour être visibles doivent être validés. Cette validation se fait

par un brevet attribué par l’enfant responsable à la fin de son atelier. Pour chaque enfant, ces

brevets issus des échanges de savoirs sont rangés avec les brevets validant les compétences

issues du programme. Ce peut être un porte-vues comme dans ma classe, un affichage ou une

base de données informatique (Arbres de connaissances, par exemple).

Avec les ateliers d’échange de savoirs, les enfants comme les adultes (enseignants, parents) sont tour à tour enseignants et enseignés, donneurs et receveurs, c’est une expérience cruciale qui permet : Pour l’enfant en difficulté, de retrouver l’estime de soi, de se sentir capable et de renouer avec

le désir d’apprendre.

Pour tous, des expériences et des apprentissages de coopération, de compagnonnage,

d’entraide où l’obtention de savoirs se fait avec les autres, pour soi ou pour les autres mais

jamais contre les autres.

Ce principe irradie ainsi les autres moments de classe et rend encore plus naturel l’entraide et

la coopération. Le désir individuel de savoir, d’apprendre se conjugue avec celui des autres.

Un véritable antidote à la compétition effrénée environnante tant dans l’institution école qu’à

l’extérieur !

Pour conclure

Ces situations pédagogiques, où chacun est à son tour auteur et acteur, créateur et

réalisateur, ouvrier et ingénieur, artiste et technicien, manuel et intellectuel, enseignant et

enseigné, sont bien parties-prenantes d’une éducation qui (et là je reprends les finalités citées

tout à l’heure de la pédagogie Freinet) : « conduit l'enfant vers l'homme ou vers la femme,

citoyen ou citoyenne capables de prendre sa place dans la société et d’agir à son tour sur elle

pour la transformer. Une véritable formation de l'être humain et du citoyen qui vise

l’autonomie de pensée et d'action et la capacité d’exercer ses libertés en les articulant avec

celles des autres, d’élaborer des règles collectivement, d’y obéir sans être soumis.

Une éducation qui établit d’autres modes de relation entre les personnes, entre les

connaissances et les cultures, puisqu’elle offre des situations de coopération mettant en œuvre

des capacités d’entraide, de partage, d’apprentissage par et avec l’autre et laissant le temps

de construire des relations, des connaissances.

Page 313: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 313

Une éducation qui forme des individus désireux d’appréhender le monde dans sa complexité et

conscients d’appartenir à l’Humanité puisqu’elle donne à chacun les capacités de lire, de

comprendre, de raisonner, d’imaginer, de créer, d’articuler ses désirs personnels avec les

besoins du collectif.

Une éducation qui permet à chacun de connaître et reconnaître sa propre culture et ainsi de la

relier à la culture universelle ».

La pédagogie Freinet permet à l’enfant et à l’adolescent d’expérimenter des situations

authentiques de solidarité, de fraternité, de coopération, de compréhension de l’autre, avec

ses différences et de ses ressemblances, des situations où vivent nos valeurs, des valeurs que

nous reconnaissons comme fondamentales et qui définissent le type d'humanité que nous

voulons réaliser. Une généralisation de ces pratiques dans tous les temps et espaces de

l’éducation pourrait permettre la construction d’un monde solidaire.

Graciela Reyna Quijano162

: « Pour le droit de lire » « La réciprocité des dons est comme l’aiguille qui tisse le toit du monde. »

Marcel Mauss

Lorsque je parle de « droit », je me réfère aux Droits Humains et à leur rapport avec la lecture

et spécialement avec la littérature. Le critique littéraire brésilien Antonio Candido163 parlant

du rapport de la littérature avec les Droits Humains signale que « la littérature est un besoin

universel de l’être humain qu’il faut satisfaire sinon l’on risque de mutiler la personnalité car la

littérature, en donnant forme au sentiment et à la vision du monde, nous organise, nous

délivre du chaos et ainsi nous humanise »164. C’est pourquoi, refuser ce droit à n’importe quel

être humain revient à mutiler sa condition humaine. Cette affirmation nous amène à penser

au postulat des Droits Humains qui proclame que « ce que nous considérons indispensable

pour nous-mêmes est de même indispensable pour notre prochain », ce qui est à la racine du

problème et nous amène donc à faire un grand effort d’éducation et d’auto/éducation pour

reconnaître sincèrement ce postulat. En effet la tendance dominante entre nous, c’est de

croire que nos propres droits sont plus urgents que ceux des autres. Ou bien, certains croient

qu’ils ont plus de droits que les autres, qu’il est normal qu’il existe des privilèges au détriment

des autres. Nous devons donc chercher à sensibiliser les personnes pour qu’elles

comprennent que la culture ne peut être un privilège, qu’elle est un droit pour tous. Dans une

société de classes aussi marquée, certains ont tous les bénéfices et ceux-ci s’accumulent entre

ceux qui appartiennent au milieu privilégié. C’est le contraire qui se passe parmi ceux qui sont

162

Professeur, doctorat de l’Université Fédérale de Rio Grande du Sud – Porto Alegre Brésil. De nationalité argentine habitant le Brésil. Actuellement retraitée mais liée à l’Université à travers le programme d’extension. 163

Antonio Candido, professeur émérite de la Faculté de Philosophie, Lettres et Science Humaine de l’Université de Sao Paulo, Brésil. 3 Candido, Antonio, « Le droit à la littérature » in Littérature et formation de la conscience, Cahiers d’Etudes de l’Ecole

Nationale Florestan Fernandes, Sao Paulo, p.42.

Page 314: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 314

dépossédés, car ce qui s’accumule pour eux, ce sont les manques et les obstacles. C’est ainsi

que se produit une situation perverse de mauvaise répartition. L’on constate ainsi l’effet

mutilant de la ségrégation culturelle selon les classes sociales.

Au Brésil, il y a beaucoup d’injustice ; d’un côté, il existe des niveaux culturels et d’érudition

très élevés et, d’un autre côté, une masse numériquement prédominante de dépossédés qui

n’ont pas accès aux biens culturels les plus élémentaires. La majorité de la population vit en

marge des livres dans des conditions qui ne permettent pas le temps indispensable pour lire.

Il arrive que les personnes aient une curieuse aliénation. D’un côté, elles affirment, ce qui est

déjà consensuel, que le prochain a droit aux biens fondamentaux tels qu’un toit,

l’alimentation, l’éducation et la santé, c'est-à-dire aux biens matériels nécessaires. Mais, en

réalité, les conditions minimales pour que cela soit possible n’existent pas. En Amérique

Latine, ces conditions estimées nécessaires pour une vie digne manquent encore à beaucoup.

Cependant, notre propos concerne d’autres droits. Ainsi notre prochain appauvri aurait-il le

droit de lire Dostoïevski, Cervantès, Garcia Marques, Montero Lobato ou d’écouter des

classiques de la musique érudite tel Beethoven ? En général, nous ne pensons pas à cela et,

bien souvent, il ne s’agit pas de mauvaise intention mais tout simplement nous ne sommes

pas habitués à penser à cette dimension des Droits Humains. En effet, lorsque nous faisons

l’inventaire de nos droits et que nous considérons l’accès à la littérature et aux grands

musiciens, nous ne pensons pas à nos prochains. Ainsi, nous devons faire un effort important

pour inclure les autres dans l’ensemble des biens culturels que nous revendiquons pour nous-

mêmes. Pour Antonio Candido, l’accès aux biens spirituels, à la lecture, à la littérature est à la

base de la réflexion sur les Droits Humains, car il ne s’agit pas d’un privilège pour quelques-

uns mais d’un droit pour tous.

Bien souvent, nous constatons que ceux qui, par leur condition sociale et économique, ont le

privilège de l’accès aux biens culturels et peuvent participer aux formes sophistiquées de la

culture sont souvent membres d’une élite aliénée qui n’en profitent pas. Souvent les classes

dominantes n’ont ni la perception ni un réel intérêt pour l’art et la littérature. Beaucoup

d’entre leurs membres fréquentent les lieux de l’art par snobisme parce que c’est à la mode

ou parce que « c’est de bon ton », que cela donne du prestige d’apprécier tel ou tel peintre.

De même, il existe un préjugé qui amène à penser que les personnes, parce qu’elles sont plus

ignorantes ou qu’elles n’ont pas de formation intellectuelle, ne sont pas capables de « sentir »

l’art ou d’apprécier la littérature.

Ainsi, en accord avec Antonio Candido, nous concevons la littérature comme un bien

humanisant. Dans notre société, nous profitons de la littérature selon la classe à laquelle nous

appartenons et nous considérons qu’une personne du milieu populaire n’a pas accès aux

classiques de la littérature. Elle a accès à la littérature de masse, la chanson populaire, les

proverbes. Cela ne veut pas dire que ces expressions ne sont pas importantes et nobles mais,

Page 315: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 315

ce qui est grave, c’est de les considérer suffisantes pour cette grande majorité qui, à cause de

la pauvreté et de l’ignorance, ne peut profiter des œuvres érudites.

Le Projet d’Extension Universitaire : « le Conte dans l’Assientamento165 les Enfants de Sepé ».

Ce que nous venons d’exposer sur les Droits Humains, la littérature et la lecture l’a été pour

introduire le thème qui nous préoccupe dans le contexte brésilien. Il s’agit d’un prologue pour

justifier et contextualiser la présentation d’une expérience, celle du « Le Conte dans

l’assentamiento des Enfants de Sepé »166.

Comment tout a commencé

Le projet a commencé, en 1998, avec le département d’extension de l’Université Fédérale de

Rio Grande du Sud. Je fus, en tant que professeur adjointe, à l’initiative du projet et

coordinatrice. Aujourd’hui, en tant que retraitée, je continue en tant qu’animatrice de ce

projet qui se poursuit avec la participation des élèves en graduation de l’Institut de Lettres.

C’est en 1998, lors d’une grève des enseignants des universités fédérales, qu’avec un groupe

d’élèves de l’Institut de Lettres, conteurs de contes, nous avons, sous ma responsabilité, visité

un campement de travailleurs sans terre du MST (Mouvement des Sans Terres). Nous

voulions, à cette occasion de suspension des cours, montrer à la société notre volonté de

chercher à améliorer la qualité de l’enseignement. Le campement que nous avons visité avait

été préparé à partir de Porto Alegre dans le but de revendiquer les demandes du Mouvement

des Travailleurs Sans Terre. A partir de cette rencontre s’est créé un fort lien d’identité entre

les enfants du campement et les conteurs d’histoires, ce qui a permis, il y a dix ans, de nouer

un engagement permanent dans le partage d’objectifs et d’actions.

Nous avons lancé les activités de lecture de contes dans le campement situé dans la

municipalité de Viamao dans l’état de Rio grande du Sud. Dans ce campement d’environ trois

cent personnes, il y avait un grand groupe d’enfants qui vivaient sur un espace réduit sur un

terrain en pente, humide et insalubre, sans eau courante ni lumière électrique. Cependant,

parmi les tentes de tissu noir, il y en avait une destinée à la Bibliothèque et, parmi les

constructions rustiques converties en classes, fonctionnait l’école itinérante du campement.

C’est dans ce lieu de rares ressources matérielles, mais où était grande la préoccupation pour

l’éducation, que notre groupe d’élèves, de lecteurs et de conteurs, stimulé par la valeur

attribuée à l’instruction et au livre par le MST, s’est consolidé et que s’est formulé un véritable

projet qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.

Nous avons continué à fréquenter ce campement pendant un an et demi jusqu’à sa

dissolution.

165

Les membres du MST sont campés pendant la durée de l’occupation d’une terre dont ils revendiquent le droit. Une fois que la réforme Agraire leur a concédé la terre celle-ci est appelée assentamiento. 166

Sepé Tiaraju fut un indien guarani de la région sud du Brésil qui mourut en luttant pour le droit à la terre.

Page 316: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 316

Cette première année de fréquentation des familles campées nous permit de prendre

conscience du rôle assumé par les mouvements sociaux et de l’importance d’établir des liens

effectifs et stables avec l’université publique dans le but de réaliser une nécessaire

interlocution avec ces communautés.

Pendant cette période, nous avons pris connaissance des principes philosophiques et

pédagogiques qui orientent l’éducation du MST. Pour eux, l’école est une organisation dont la

méthodologie et les pratiques pédagogiques aident à penser la réalité et le monde rural où ils

vivent. Cette perspective est basée sur des principes essentiellement inspirés par Paulo Freire,

le grand éducateur brésilien qui voyait en l’éducation le chemin de la véritable libération.

C’est en 1999 que s’installe à Aguas Claras, dans la municipalité de Viamao, l’Assentamiento

des « Enfants de Sepé » dans le cadre de la Réforme Agraire. Ainsi les activités du projet se

déroulent dans l’assentamiento lui-même. Celui-ci a une superficie de 9000 hectares où vivent

environ cinq cent familles réparties en quatre secteurs (A, B, C, D). Durant les quatre

premières années, nous avons visité les différents secteurs fréquentant chacun d’eux pendant

environ huit mois, toujours en racontant des contes, écoutant des contes et jouant avec la

lecture.

Bien des fois, vu les conditions précaires des pistes de terre de l’assentamiento, l’accès à ces

secteurs fut difficile, que ce soit sous un soleil ardent, en temps froid, avec la boue les jours de

pluie, traversant des ponts rudimentaires et avançant cahin-caha. Mais ces inconvénients

étaient compensés lorsque nous voyions les yeux joyeux des enfants qui nous attendaient le

long du chemin en agitant leurs mains et montaient à bord de notre camionnette jusqu’à

l’endroit prévu pour notre rencontre. En chemin, nous commencions à chanter sur des thèmes

tels que « Le cahier » de Toquinho ou « Gracias a la Vida » de Violeta Parra.

Les activités avaient lieu le samedi matin dans des hangars, des chapelles en bois, des tentes

ou sous les arbres c'est-à-dire des espaces informels transformés en lieux de lecture, de

poésie, de diversion. L’arrivée spontanée des enfants et des jeunes a toujours favorisé la

création d’une ambiance intéressée et participative, ce qui a permis une inter/relation

excellente entre les conteurs et les enfants de l’assentamiento.

En 2004, dans le but d’expérimenter l’objectif du projet dans une ambiance plus formelle à

l’intérieur de l’assentamiento, nous avons entrepris de réaliser les rencontres dans l’école

municipale Notre Dame de Fatima. Jusqu’en 2008 le projet s’est réalisé spécialement avec les

élèves des cinq premières années.

En 2003, après que j’ai passé mon doctorat167, la Fondation d’Encouragement à la Recherche

m’a octroyé une bourse de 10 000 Reals. Cette ressource devant aider à tout ce qui peut

développer une approche significative de la lecture.

167

Dans le contexte de la formation académique, en tant que professeur et linguiste, j’ai toujours été liée aux questions de la lecture. En 2000, j’ai défendu une thèse de doctorat en Education à l’Université Fédérale de Rio Grande du Sud dont l’objet de

Page 317: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 317

Lors de la lecture d’un conte, le conteur a toujours le livre en main car nous essayons d’établir

entre le livre et celui qui écoute un rapport agréable. C’est à partir du livre que l’enfant perçoit

qu’il se divertit, s’émotionne et entre dans un monde différent. Lorsqu’il s’agit de classiques

de la littérature pour enfants, ces contes sont souvent lus en espagnol car, comme ils font déjà

partie du répertoire des enfants, ceux-ci en comprennent le sens. Il est surprenant de

constater leur capacité de compréhension dans la langue étrangère car c’est par le fait de

saisir le contexte qu’ils découvrent le sens.

L’atelier comprend un jeu, une musique, un dessin, une promenade pour explorer l’espace, le

contact avec le livre, la vocalisation des mots sur différents tons et rythmes, l’imitation

d’animaux. Toujours en lien avec l’activité centrale qui est celle du conte, nous proposons des

formes créatives qui, bien souvent, deviennent plus créatives grâce aux enfants eux-mêmes.

A la fin de l’atelier, nous ouvrons « la valise » des livres en portugais et en espagnol et laissons

les enfants libres de fouiller et ouvrir les livres afin de se délecter de leur contenu et des

illustrations.

Le conte mis en scène

Chaque année, à la fin des classes, on monte une présentation scénique basée sur un conte.

D’abord on choisit le conte parmi ceux que les enfants ont préférés et déjà lus en espagnol.

Pour cette activité, nous avons l’appui d’un professeur de théâtre. Une fois le groupe théâtral

formé, il participe à plusieurs essais. En font partie ceux qui cherchent des formes créatives

d’interprétation et imaginent leur propre déguisement et mise en scène.

Il est important de souligner que cette activité n’est pas isolée ; il s’agit de l’aboutissement

d’un processus qui fut travaillé pendant toute l’année – brique à brique – pour inclure le

théâtre et la langue espagnole dans l’éducation informelle.

Comme il s’agit d’enfants qui vivent à la campagne et qui, en dehors de leur milieu,

manifestent une certaine timidité, nous avons constaté que ce type d’activité les aide à

dépasser certaines difficultés de sociabilité. Nous constatons aussi, surtout chez les garçons

qui résistent à manifester leurs sentiments, que l’activité théâtrale contribue à atténuer cette

attitude culturelle en les aidant à se libérer d’inhibitions.

Les enfants ont ainsi l’occasion de vivre d’autres univers et d’enrichir le leur. En interprétant

et assumant leurs personnages ils arrivent à se mettre à la place de « l’autre ». Cet exercice

aide à faire l’expérience de la diversité ; ils sortent ainsi de leur monde exclusif pour vivre la

différence. Enfin les enfants peuvent exercer leurs capacités intellectuelles et émotionnelles

et, de plus, faire l’expérience d’une éthique collective que permet le travail créatif en groupe.

recherche fut « La compréhension discursive de la lecture dans la formation du professeur d’espagnol : processus interculturels ». La thèse insistait sur l’importance du processus de formation du professeur prenant en considération la nature des présupposés théoriques dans la pratique de la lecture.

Page 318: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 318

La réciprocité

La Rencontre Internationale d’Evry, en 2008, fut un espace de réflexion critique ; un espace

qui permit de visualiser des pratiques de réciprocité solidaire ; un espace de confraternisation,

enrichissant à tous points de vue. En ce qui me concerne, le grand avantage de cette

rencontre fut que, dès sa mise en chantier une année auparavant, il y avait une incitation à ce

que les participants réfléchissent à la dynamique de son grand thème : la réciprocité. Y penser,

la définir si possible, reconstruire sa trajectoire, se mettre au courant de l’acquis théorique

existant, des polémiques suscitées, de ce qu’elle englobe, de son caractère de relation

primordiale, des diversités de pratiques concernées, etc., tout cela permit, sans aucun doute,

une connaissance nouvelle et stimulante.

Ce cheminement et cette réflexion sur la réciprocité furent révélateurs. L’observation

consciente de notre pratique nous amena à constater que la réciprocité n’est pas une utopie,

qu’elle existe et que nous la retrouvons dans notre travail d’extension universitaire et notre

rapport avec les enfants « sans terre » au cours de cette activité de raconter des contes.

Marcel Mauss dit que lorsque s’établit un lien entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent

c’est que se rapport s’inscrit dans la réciprocité. Lorsque s’établit un lien spirituel, une

communion entre les acteurs du don, elle devient un rapport proprement humain produit par

la réciprocité qui apparaît comme un fondement caché du rapport social.

Au cours de l’activité que nous réalisons, se manifeste une véritable pratique de la réciprocité

dans le domaine de l’éducation car il s’établit un apport mutuel de connaissances entre un

mouvement social rural (le MST) et une Université (UFRGS). Les étudiants universitaires qui

sont en contact direct avec les enfants, jeunes et adultes paysans, apprennent les savoirs

ruraux et populaires qui circulent dans l’assentamiento et les enfants ruraux entrant en

contact avec les jeunes universitaires apprennent aussi des savoirs propres au milieu urbain et

académique. Ils s’enrichissent réciproquement.

Ainsi, pendant une activité pleine de créativité et d’émotions, les « petits sans terre168 »

profitent, heureux, des contes, des chansons et des jeux pendant que les jeunes universitaires

enrichissent leur formation professionnelle d’une expérience pédagogique vivante en milieu

rural. La dynamique sociale non hiérarchique de cette pratique permet aux acteurs de

découvrir par eux-mêmes leur propre spécificité et celle des autres et de réaliser ainsi la

grande rencontre.

Le rapport, ce lien qui se construit à travers la relation secrète entre les enfants des Sans Terre

et les conteurs de contes, révèle comment dans des communautés humaines plus primitives

quelque chose d’essence spirituelle est accepté.

168

En portugais « sem terrinha » expression utilisée par le MST pour parler de leurs enfants

Page 319: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 319

Conter un conte est un cadeau. Celui-ci, généreusement offert, communique quelque chose

de celui qui raconte ; le conteur s’offre à lui-même et l’autre reçoit l’affectivité. Ils s’acceptent

réciproquement en une mutuelle correspondance, ce qui signifie accepter quelque chose à

partir de regards plus profonds et de la reconnaissance mutuelle. La réciprocité est une

manière d’interagir qui, parfois, a des effets en d’autres lieux et auprès d’autres personnes

parcourant des chemins divers. Mais c’est ainsi, la réciprocité est inévitable, « tout va et vient

sans cesse ».

Cependant, pour qu’elle soit juste dans ses pratiques, la réciprocité doit être imprégnée de

solidarité. C’est dans ce sens que nous considérons l’énorme importance de la formation de

réseaux pour maintenir uni ce courant de réciprocité, de dons, et pour éviter ainsi la

dispersion qui génère scepticisme, solitude et égoïsme.

Nous devons avoir l’ambition d’élargir les actions réciproques au-delà des sphères étroites de

la vie privée.

Dans la perspective de l’Université Publique qui est notre espace d’action, la réciprocité

majeure devrait se réaliser auprès des Mouvements Sociaux qui représentent des secteurs

organisés de la société dont les participants n’ont pas accès à l’université publique mais qui,

cependant, à travers leurs impôts, contribuent à la maintenir avec le reste de la société. En

bref, l’université a l’obligation de répondre aux demandes de la société et de restituer cet

appui par une redistribution plus juste de la connaissance à travers des activités

institutionnelles qui offrent des biens culturels et spirituels accessibles à tous en tant que

droit.

Réflexions finales

Bien qu’il ne soit pas possible de mesurer « le goût pour la lecture » ou les effets

psychologiques en ce qui concerne les insécurités et les peurs d’une enfance qui se développe

au rythme d’un Mouvement Social vivant une réalité itinérante, nous considérons qu’en

relation avec les enfants et les jeunes de l’assentamiento, ce « goût de lire » signifie que la

lecture prend une place importante dans leur vie, qu’ils lisent régulièrement et avec plaisir et,

avant tout, que le fait de lire enrichit leur expérience de vie.

Nous pensons généralement à l’enfance comme une période de joies et de rêves mais ce n’est

pas toujours ainsi ; il existe l’autre aspect de l’enfance, fait de souffrance, de frustrations, de

peurs et d’humiliations. Les enfants des Sans terre, qu’ils soient campés ou installés dans un

assentamiento, accompagnent leurs parents en tant que groupe familial en de longues

marches, confrontés au pouvoir de l’autorité policière et des maîtres du latifundio. Ils vivent

sous des tentes, au bord de la route, participent aux occupations de terres qui bien souvent se

terminent par de violents conflits pour les déloger. Il y a une manière de soulager tant de

tensions ou d’effacer les profondes sensations de peur de ces enfants en leur donnant de

Page 320: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 320

l’espoir ; c’est en s’adressant directement à l’âme de l’enfant, à travers les contes de fées et la

manière de transformer leur être fragile en « un roi » ou « une princesse ».

C’est dans le cadre des Droits Humains que se déroule cette activité d’extension de

l’Université Fédérale de Rio Grande du Sud : « le Conte dans l’Assentamiento des Enfants de

Sepé » dans le monde rural des assentamientos de la Réforme Agraire. L’accès à la lecture est

un droit de tous et notre principal objectif est de le rendre accessible au moyen de la lecture.

Pour Antonio Candido, la lutte pour les Droits Humains doit inclure d’autres droits qui

« garantissent l’intégralité spirituelle tels le droit aux croyances, à l’opinion, au repos, à l’art et

à la littérature ».

Pour terminer, je fais nôtres ces mots de Antonio Candido : « qui croit aux Droits Humains

cherche à transformer la possibilité théorique en réalité, s’efforçant de faire coïncider l’une et

l’autre. Inversement un triste aspect de notre époque est de savoir qu’il est possible de

solutionner tant de problèmes et en même temps de ne pas se concentrer sur cela ».

AAtteelliieerr CC 22.. 11 :: LLaa ffoorrmmaattiioonn rréécciipprrooqquuee ddaannss lleess ccoolllleeccttiivviittééss

Patrick Delmas169

: « Ruralnet, une expérience pour partager les savoirs sur un territoire, en s’appuyant sur les technologies de l’information et de la communication » « Le projet « Rur@lnet, le savoir vert partagé », initié par le ministère de l’agriculture et de la pêche, vise le déploiement sur tout le territoire de dispositifs de formations ouvertes et à distance en milieu rural. Ruralnet a été rendu possible grâce au soutien du Fonds National pour l’Aménagement et le Développement du Territoire avec la volonté affichée de développer les usages de l’internet en milieu rural (CIADT de déc. 2002).

Qu’est ce que Rur@lnet ?

« Rur@lnet est un site qui va vous permettre d’acquérir ou de communiquer des connaissances

ou savoir-faire au sein d’une communauté. Considérant qu’il n’y a pas que de « grands »

savoirs, Rura@lnet s’intéresse à tous les savoirs, savoir-faire et connaissances que vous avez

envie ou besoin d’acquérir, ou que vous souhaitez transmettre ».

Il s’agit d’une action conduite par le Ministère de l’agriculture et mise en œuvre par

l’Etablissement National d’Enseignement Supérieur d’Agronomie de Dijon (ENESAD). Sa

vocation est de faciliter l’acquisition et le partage de connaissances et de savoir-faire en

169

Chef de projet et formateur.

Page 321: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 321

relation avec le monde rural, en mobilisant les technologies de l’information et de la

communication de l’Internet.

Réalisé avec l’aide de l’Etat (soutien du CIADT), Rur@lnet trouve ses origines dans la volonté

politique d’aménagement numérique du territoire français, à laquelle le Ministère de

l’agriculture contribue dans un cadre interministériel.

Rur@lnet poursuit plusieurs objectifs :

- favoriser l’usage des technologies de l’information et de la communication, notamment dans le monde rural,

- contribuer à dynamiser le lien social et la vie locale en facilitant les liens entre acteurs intervenants dans le domaine de la formation, du développement local et des loisirs,

- promouvoir la recherche, l’acquisition, le partage, la construction de savoir-faire, - rendre ces savoir-faire accessibles, en particulier aux acteurs du monde rural et

périurbain, quelles que soient leurs attentes, leurs disponibilités, leur localisation, leur âge, leur « niveaux »…,

- créer des liens entre les savoirs « formels », plutôt portés par les institutions, et les savoirs « informels » dont nous sommes tous porteurs compte tenu de nos expériences.

Que trouver sur Rur@lnet ?

Avec Rur@lnet, on peut rechercher et acquérir des savoir-faire, mais également en déposer

dans le but de les partager avec des membres de la communauté des rur@lnautes.

Rur@lnet n’est pas un organisme de formation. Sa fonction est de faciliter l’accès à la

formation et d’accompagner chacun dans le développement de ses connaissances et savoir-

faire.

Rur@lnet ne recense pas directement une offre de formation, mais permet de rechercher un

ou plusieurs savoir-faire spécifiques, puis d’indiquer différents moyens pour obtenir le ou les

savoir-faire souhaités.

Et puis, Rur@lnet n’est pas un espace figé, c’est et ce sera ce que ses membres amèneront,

comme échanges, offre de formation, demande de formation…

Quelles sont les différentes formations accessibles depuis Rur@lnet ?

Il y a plusieurs façons d’acquérir des savoir-faire ou des connaissances, et chacun peut avoir sa

propre préférence pour telle ou telle famille d’apprentissage.

Nous recensons quatre familles de formations dans l’offre de Rur@lnet. Ces formations

peuvent être gratuites ou payantes selon les cas.

Des formations accompagnées

Page 322: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 322

Il s’agit de dispositifs de formations organisés et visant le plus souvent un objectif de

certification comme un diplôme ou un titre. Ces formations se déroulent sous le contrôle d’un

organisme de formation qui assure les prestations qui permettront d’acquérir la certification

ou les savoir-faire souhaités. Ces dispositifs, plus ou moins ouverts et plus ou moins à

distance, font nécessairement appel à une médiation humaine, c’est-à-dire que les

participants seront accompagnés par un ou plusieurs formateurs tout au long de leur

apprentissage.

En règle générale, ces formations sont payantes. Elles peuvent être prises en charge sous

certaines conditions dans le cadre des aides relatives au financement de la formation tout au

long de la vie.

Des formations en ligne

Gratuites ou payantes, plutôt assez courtes, il s’agit d’un ensemble de ressources de

formation qui sont organisées afin de permettre à l’utilisateur d’acquérir à son rythme

certains savoirs. Ces formations sont proposées par des partenaires de Rur@lnet et sont

particulièrement adaptées aux autodidactes ou aux personnes souhaitant s’engager dans un

apprentissage en autonomie.

Des formations « bourse d’échanges »

Ces formations existent grâce aux rur@lnautes. La logique qui préside ici est celle d’une

bourse d’échanges de savoir-faire. Les membres de la communauté de Rur@lnet échangent

des connaissances dans un cadre informel et gratuit. Chacun contribue selon ses choix et

chacun peut utiliser ce qui existe.

Toute personne membre de Rur@lnet peut être un acteur de la formation en proposant des

formations « coopératives » pour partager ses connaissances ou savoir-faire sur un ou

plusieurs thèmes qu’elle maîtrise.

Il n’y a pas de domaine de formation privilégié, les contributions peuvent concernées les

loisirs, la vie familiale ou professionnelle.

A qui s’adresse Rur@lnet ?

Rur@lnet s’adresse à celles et ceux qui cherchent ou souhaitent communiquer un ou plusieurs

savoir-faire dans des domaines variés.

Le site s’adresse donc aux particuliers, associations ou entreprises du monde rural qui

souhaitent acquérir et/ou partager des savoir-faire.

Par exemple : Vous voulez apprendre à fabriquer un composteur ?

- Vous pouvez faire une recherche libre pour accéder rapidement à l’information en indiquant par exemple : « fabriquer un composteur ».

Page 323: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 323

- Vous pouvez également faire une recherche par thème, pour trouver des offres avoisinant votre recherche. Si le nombre d’offres est important, vous avez la possibilité d’affiner votre recherche par sous-domaine afin de ne conserver que les informations les plus proches de votre demande.

- Il n’existe pas encore d’offre de formation pour vous permettre de fabriquer un composteur ? Vous avez la possibilité de faire une demande dans le cadre de la bourse d’échanges de Rur@lnet, ou encore de créer un fil de discussion sur le forum. Vous trouverez nécessairement une ou plusieurs personnes qui pourront vous apprendre à réaliser votre composteur en fonction de votre situation…

Comment fonctionne Rur@lnet ?

Le site se compose de trois espaces.

Rechercher un savoir-faire

Cet espace est consacré à la fonction de recherche de savoir-faire ou de compétences. Cette

recherche s’effectue dans la base de données de Rur@lnet qui est actualisée chaque semaine.

La recherche peut s’effectuer par recherche libre, par thème, ou encore par géolocalisation.

Echanger et communiquer

Dans cet espace se trouvent toutes les fonctionnalités de communication et d’échanges. On y

trouvera les forums, le « Chat », et une messagerie électronique.

Organiser son espace personnel

Le troisième espace est destiné à une utilisation personnelle. Il s’agit, pour chacun, de son

propre espace. Là, il pourra personnaliser son profil afin que les membres de Rur@lnet

puissent mieux le connaître, modifier son mot de passe, classer ses demandes de savoir-faire,

visualiser les formations pour lesquelles il s’est inscrit, visualiser ses offres de savoir-faire, ou

encore lister les savoir-faire qu’il a acquis.

Pour en savoir plus sur chacun de ces espaces, la rubrique Aide du site Rur@lnet est à

disposition des utilisateurs.

Comment utiliser Rur@lnet ?

Sur Rur@lnet, la recherche et la consultation des offres de formation sont en libre accès.

Pour accéder aux offres et utiliser l’ensemble des fonctions du site, il suffit de devenir

membre. Cette procédure est nécessaire pour garantir la confidentialité et l’intégrité des

échanges qui ont lieu au sein de Rur@lnet.

Rur@lnet permet de faire partie d’une communauté d’apprentissage pour accéder aux savoirs

et savoir-faire dont chacun a besoin pour réaliser ses projets, mais aussi pour partager et

valoriser ses propres connaissances et savoir-faire avec tous les rur@lnautes.

Page 324: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 324

En s’inscrivant, chacun peut participer et créer des forums de discussion, communiquer en

direct avec les rur@lnautes connectés, disposer d’une messagerie dédiée à son espace

Rur@lnet, s’inscrire aux offres de formation, proposer une offre de formation, enregistrer ses

demandes de formation, et constituer son propre portefeuille de savoir-faire…

Pour s’inscrire, c’est très simple, sécurisé et gratuit. Il suffit de renseigner un formulaire. On

doit toutefois disposer d’une adresse électronique personnelle par laquelle seront

communiqués identifiant et mot de passe pour accéder à Rur@lnet.

La fonction recherche de Rur@lnet permet de rechercher un savoir-faire dans l’ensemble des

savoir-faire référencés par Rur@lnet. Les fonctions de recherche ont été prévues afin de

donner un accès le plus rapide possible au résultat le plus proche de la demande.

L’aide à la recherche se compose de trois étapes : la recherche, le résultat, le détail.

Daniel Hazard170

a présenté les expériences vécues dans cet institut, en particulier de formations réciproques entre salariés municipaux de la ville de Saintes :

« Formation Coopérative en Saintonge - Formation aux métiers du Lien Social »

Apprendre par soi et par les autres,

Enseigner pour soi et pour les autres.

Créé en 2007 à l’initiative du CCAS de Saintes, Formation Coopérative en Saintonge a pour

objectif principal le développement de pratiques démocratiques dans les processus

d’apprentissage.

En s’appuyant en particulier sur la pédagogie issue des Réseaux d’Échanges Réciproques de

Savoirs et de Créations Collectives, Formation Coopérative en Saintonge expérimente sur le

terrain depuis près de trois ans, principalement avec des Auxiliaires de Vie Sociale, deux des

principes posés à sa création :

- Chaque participant à une formation est supposé pouvoir être auteur et responsable de son parcours.

- Chaque participant peut être tour à tour « enseignant et enseigné » (principe de réciprocité

ouverte)

170

Formateur dans les RERS et fondateur d’un institut de formation réciproque.

Page 325: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 325

A Être auteur de sa formation

La formation pour adulte ne consiste pas uniquement à définir de manière externe des

objectifs de formation et appliquer des méthodes quasi universelles.

Un adulte possède des expériences qu’il peut analyser. Il se constitue ainsi progressivement

des repères lui facilitant de nouvelles acquisitions. Au-delà même de ses expériences, il a sa

propre vision du monde, ses opinions qui ont, elles aussi, leurs influences lors de nouveaux

apprentissages.

Cette conception de l’apprentissage correspond au terme d’andragogie. D’origine canadienne

ce terme désigne la spécificité de la formation pour adultes. Il se distingue de la pédagogie ;

apprendre à des enfants. L’adulte-apprenant est ici considéré comme acteur principal de son

propre parcours de formation et détenteur de savoirs et compétences spécifiques.

Le rôle de l’intervenant est la mise à disposition d’outils méthodologiques et de références,

« Aide-moi à faire seul » (Maria Montessori).

L’adulte peut concevoir lui-même à la fois ses besoins en apprentissage et les méthodes qui lui

semblent les plus adaptées à ses expériences et à la connaissance qu’il a pu acquérir de son

propre mode d’acquisition de nouveaux savoirs et compétences. Pour chacun l’apprentissage

réussi est un équilibre fragile entre ce qui est déjà su et éprouvé :

- des apports externes d’intervenants ;

- un système d’apprentissage jugé efficace par l’apprenant lui-même ;

- une collaboration entre apprenants lors des apprentissages.

Certes chaque personne possède un rapport singulier au savoir et à l’apprentissage. La

confrontation entre diverses approches est enrichissante et peut permettre des évolutions

personnelles. Certes l’on apprend par soi, par autoformation. Mais ce n’est pas la seule

source. On apprend aussi par les autres, par hétéroformation et avec les autres en

coformation.

C’est pourquoi Formation Coopérative en Saintonge ne propose pas un programme détaillé a

priori, mais fixe le cadre à partir duquel le programme va s’élaborer avec les participants eux-

mêmes. Ils sont sollicités pour définir l’essentiel du contenu.

Ainsi la formation « Expression des compétences », accompagnement à la VAE pour le jury du

DEAVS, est déterminante. En repérant leurs compétences, les participants sont logiquement

amenés à définir leurs besoins, leurs manques. C’est en réponse à ces attentes explicites que

Formation Coopérative en Saintonge constitue la base et l’essentiel de ses propositions de

formation.

Page 326: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 326

B Changement de rôle enseignant/enseigné :

Il est proposé à chaque participant d’être tour à tour enseignant et enseigné. Ce principe peut

être considéré comme la caractéristique majeure de Formation Coopérative en Saintonge.

C’est cette démarche qui en fait sa singularité171.

Il s’agit d’abord d’une éthique de la formation. L’acte de transmettre n’est pas réservé à un

spécialiste désigné pour cela, mais est aussi l’objet des praticiens qui sont amenés à réfléchir

leurs pratiques en vue de les transmettre.

C’est aussi un moyen pour le participant de s’évaluer. La démarche d’évaluation ne peut être

totalement réservée à l’enseignant qui cumulerait ainsi les rôles de juge et partie. L’apprenant

peut avoir les outils de son auto-évaluation. En effet transmettre son savoir c’est d’abord

s’interroger sur ce que l’on sait et sur que l’on doit approfondir. C’est avoir un savoir sur son

savoir (métacognition).

Dans les sessions de formation « Le métier des AVS » le participant peut expérimenter les trois

phases, à notre sens, indispensables d’un apprentissage :

- Acquisition de nouvelles données ;

- Appropriation de ces donnés en fonction des vécus particuliers ;

- Retransmission de ces données à ses pairs.

Cette démarche de réciprocité ouverte peut faire penser au compagnonnage dans le sens ou

elle pose le praticien comme capable d’analyser ses savoirs et de les transmettre. Mais elle

s’en détache dans le sens ou chaque participant, tout au long de sa vie peut être considéré

comme ressource. D’une part il peut offrir ses savoirs et compétences, d’autre part en

devenant lui-même demandeur, il permet à d’autres d’enseigner à leur tour.

Ainsi la réciprocité ouverte et plus largement, l’ensemble des processus de formations mis en

œuvre par Formation Coopérative en Saintonge, ont pour ambition de contribuer à une

alliance généreuse entre promotion individuelle et intérêt collectif.

Tout participant est considéré comme un « praticien réflexif » (Schön). Il se forme et forme les

autres à partir de ses expériences analysées, réfléchies. Ensemble ils coopèrent au sens

littéral ; œuvrer ensemble. C’est ainsi que nous entendons le terme Coopératif ; une

expérience d’andragogie démocratique et participative.

171 Il est rappelé que Formation Coopérative en Saintonge n’a jamais souhaité se substituer aux organismes de formation

locaux mais au contraire contribuer à diversifier et élargir l’offre de formation sur un territoire. La présence d’autres

approches est indispensable ; c’est un signe de démocratie.

Page 327: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 327

Comment ça fonctionne ?

Pour qui cette formation coopérative ?

Toute personne intervenant professionnellement ou bénévolement dans le champ des

métiers du lien social et des services aux personnes ; personnels en activité, personnes en

recherche d’emploi, bénévoles d’association, formateurs, aidants naturels.

Par qui ?

Des formateurs déjà expérimentés, salariés en exercice, personnes âgées, bénévoles

d’associations. Ces intervenants ont été formés aux méthodes pédagogiques mises en œuvre

par Formation Coopérative en Saintonge, en particulier à la pédagogie issue des réseaux

d’échanges réciproques de savoirs et de créations collectives.

Pour quoi ?

Formation de formateurs, la formation au tutorat, accompagnement à la VAE, préparation à

l’entrée en formation diplômante (assistante de vie, auxiliaire de puériculture, aide-soignante,

etc.), formation à l’encadrement des métiers de services aux personnes

Valeurs de référence

Développement de la citoyenneté ; développement du lien social ; inter/génération ; travail

sur l’identité et le développement du territoire ; Education populaire.

Comment ?

- Pédagogie des réseaux d’échanges réciproques de savoirs et de créations collectives (chacun pouvant être tour à tour enseignant/enseigné) ;

- Recherche-action (qui vise à un changement social et à une production de savoirs sur ce changement).

- Cours magistraux.

- Pédagogie de l’alternance (un apprentissage défini comme interaction entre théorie et pratique).

- Ateliers d’appropriation par les étudiants.

- Stages.

Les quatre temps d’un module de formation

- Acquisition d’un thème grâce à un expert : offre de formation ;

- Appropriation par les étudiants avec un animateur: intégration de la formation ;

- Retransmission de groupe à groupe: évaluation de l’acquisition ;

- Bilan entre étudiants et experts: reformulation mutuelle de l’offre de formation.

Page 328: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 328

AAtteelliieerr CC 22.. 22 :: RRéécciipprroocciittéé ddaannss llaa pprroodduuccttiioonn ddee ssaavvooiirrss

Hervé Lefeuvre172

: « Croisement des savoirs »

1. Principe du Croisement des savoirs

Joseph Wresinski crée le Mouvement ATD Quart Monde :

- pour faire émerger la pensée, les savoirs des personnes en grande pauvreté, pour qu'elles soient en capacité de construire et d’exprimer par elles-mêmes ces savoirs ;

- pour que ceux qui n’ont pas connu la misère se laissent enseigner par ceux qui en ont l’expérience ;

- pour que le processus de croisement des savoirs pluriels et complémentaires aboutisse à l’élaboration de nouveaux savoirs nécessaires à l’engagement et aux transformations sociales.

Les plus pauvres ont une expertise essentielle à apporter à la société pour qu’elle puisse

réaliser ses idéaux démocratiques, venir à bout des mécanismes de paupérisation et

d’exclusion.

Joseph Wresinski démarre en 1977 à Paris les Universités Populaires Quart Monde. Elles sont

un lieu de formation à la prise de parole publique pour les plus pauvres, au dialogue entre des

citoyens de tous milieux, un lieu de construction d’une identité collective positive.

Le concept du croisement est né en 1980, lorsque Joseph Wresinski s'adresse à l'Unesco à des

universitaires.

Il identifie trois types de savoirs qui ne se rencontrent pas, s'ignorent :

- - Les savoirs scientifiques, universitaires, qui font le plus autorité ;

- - Les savoirs d’action des professionnels, admis et reconnus ;

- - Les savoirs de vie des personnes qui traversent ou ont traversé la misère, ils ne sont pas connus ni reconnus. La pensée que les plus pauvres développent en essayant de comprendre leur vie, celle du monde dans lequel ils survivent, n'a pas d'existence, de statut.

Le principe du croisement consiste à mettre en dialogue et à parité ces savoirs considérés

comme indispensables, complémentaires, et autonomes. La finalité de la réciprocité est de

parvenir à co-construire des savoirs plus justes, plus complets, pour être en capacité d’agir

ensemble, en partenariat, contre la grande pauvreté et les exclusions, pour le développement

démocratique. De 1996 à 2001, deux programmes expérimentaux consécutifs permettent

172

Volontaire permanent ATD Quart monde et membre de l’équipe Croisement des savoirs.

Page 329: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 329

d’éprouver et de confirmer les principes éthiques, épistémologiques, méthodologiques du

croisement des savoirs173.

- Le Croisement des savoirs appliqué aux co-formations

Définition

Une co-formation est une formation mutuelle entre des professionnels et des personnes

ayant l’expérience de la pauvreté membres d’une association. L’objectif est d’apprendre à se

connaître mutuellement, à expérimenter et à identifier les conditions qui permettent

d’améliorer la relation, d’agir en partenariat. Elle se déroule sur deux, trois ou quatre jours.

Elle est sous la responsabilité de deux animateurs, un référent pour les professionnels, un

référent pour les personnes du milieu de la pauvreté.

Déroulement d’une co-formation

- Exercice sur les représentations mutuelles ;

- Apports réciproques de connaissance sur le milieu de la pauvreté et sur les mandats des professionnels ;

- Ecriture et analyses de récits d’expérience (problématiques, logiques des personnes et des institutions, nature de la relation, initiatives et prises de risques…) ;

- Formulation des conditions permettant d’être acteurs ensemble ;

- Evaluation collective et individuelle ;

- (Eventuellement) Retransmission des travaux capitalisés par les acteurs devant les responsables institutionnels.

Christelle Cambier174

: « Pourquoi j’accepte de faire des co-formations ? » Je fais partie du Mouvement depuis de longues années, mais depuis deux ans, je me consacre

à la coformation parce que c’est ce qui est le plus important pour moi.

La première fois qu’on me l’a proposé, je me suis dit que j’allais pouvoir continuer à

apprendre mes droits, et que j’allais pouvoir aider les personnes en difficulté autour de moi.

Je fais des co-formations pour que les professionnels respectent les droits des personnes,

pour qu’ils ne jugent plus les familles, pour qu'ils changent leur regard, pour qu’ils s’occupent

beaucoup plus du projet de la personne, pour qu’ils trouvent des solutions avec nous, sans

173

Groupe de recherche Quart Monde Université et Quart Monde-Partenaire, 2009, Le croisement des savoirs et des

pratiques, Edition de l’Atelier et Editions Quart Monde, 704 pages.

Claude Ferrand (direction), 2009, Le croisement des pouvoirs, Edition de l’Atelier et Editions Quart Monde, 224 pages.

Charte du croisement des savoirs : http://www.atd-quartmonde.org/Charte-du-croisement-des-savoirs.html

174 Militante du Mouvement ATD Quart Monde de Bretagne.

Page 330: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 330

fouiller dans la vie privée. Je veux qu’ils apprennent à travailler avec les personnes en

difficulté, sans leur faire peur, en les recevant avec respect, sans mépriser, sans mauvais

regard, en les laissant s'exprimer.

Le rôle des militants

- Apporter notre richesse de pensée, parce qu’on se bat contre la dureté de la vie, contre l'injustice, contre la violence de ceux qui sont plus hauts que nous, parce qu'on se bat pour nos droits.

- Avant de rencontrer les professionnels, on se prépare entre militants, avec un animateur du Mouvement. On prépare des récits d’expérience, c'est-à-dire qu’on présente une expérience de rencontre avec un professionnel. On écrit aussi un texte pour parler de ce que vivent les personnes en difficulté, pour dire ce que c’est la pauvreté. On s’entraîne à faire des exercices d’analyses de récits d’expérience, à travailler sur les représentations.

- On doit sans cesse être solidaire entre militants et se soutenir pour ne pas dévoiler la vie privée, pour que personne ne se retrouve seul et en difficulté devant les professionnels. On vit tous des choses difficiles, et si on ne se soutenait pas, on serait découragé, on ne pourrait pas participer.

- On cherche avec les professionnels comment faire pour qu’ils ne travaillent pas à la place des personnes, mais avec elles. Des professionnels cherchent à nous aider, mais, nous, on veut faire comprendre qu’on a des idées pour trouver des solutions, des réponses.

- On fait comprendre aux professionnels ce que vivent les personnes dans la pauvreté, leurs luttes, leurs savoir-faire, la force morale, les valeurs… On ne triche pas sur nos vies, ce n’est ni du cinéma ni du baratin. On montre qui on est vraiment, de quoi on est capable, et c'est comme ça qu'on est crédible auprès des professionnels.

Ce que ça représente pour moi et les militants le croisement des savoirs, ce que ça nous apporte

- - On se sent utile parce qu’on peut dire ce qu’on a au plus profond de nous.

- - On se sent grandi à chaque fois, on se sent plus fort, on marche la tête haute, on n’a plus honte de nos vies. Au lieu d’être face à des professionnels la tête baissée, on a la tête droite, on n’a plus peur d’aller vers eux. La différence est grande avec les professionnels, d’habitude on ne peut pas parler comme ça avec eux. Ce n’est pas la même situation, au quotidien, on se rencontre sur la vie privée.

- - On découvre que les professionnels essaient de nous comprendre. Quand on a parlé de notre carapace pour nous protéger, ils ont aussi parlé de celle qu’ils ont pour se protéger eux-mêmes. On apprend que, par rapport à leur hiérarchie, ils sont obligés d’accomplir certaines tâches, sinon ils se font taper sur les doigts.

En travaillant les représentations, les récits, on découvre qu’on est dans des mondes

différents, mais qu’on peut arriver à se parler, à dialoguer, à trouver des conditions qui font

que les professionnels et les personnes peuvent travailler ensemble.

Page 331: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 331

- - Après les co-formations, on est plus fort pour oser dire aux professionnels ce qu’on pense et ce qu’on veut, pour taper du poing sur la table. Avant, je me laissais faire, j’étais naïve.

- - Quand on rencontre des personnes en difficulté, on est plus fort pour les accompagner.

- - Ce n'est pas un travail intellectuel, c'est une réflexion pour faire changer concrètement les pratiques.

- - En faisant la co-formation, on apprend sur le tas à chaque fois ; même si on vit des difficultés, on apprend tout le temps. Je me sens professionnelle :

� parce que c’est un vrai travail, c’est du sérieux, qui va jusqu’à nous vider les batteries. C’est fort d’être avec les professionnels. Quand on travaille sur les récits ensemble, il y a des mots utilisés qui nous transpercent parce que c’est nos vécus. On l'accepte parce qu'on voit que ça fait avancer nos droits.

� parce que je parle au nom des autres familles et personnes en difficulté.

On travaille avec notre vécu. On doit faire attention à ce que les professionnels ne piétinent

pas nos vies privées, on ne dit rien sur nos vies privées. On est avec des professionnels que

nous ne connaissons pas, ça permet à tout le monde d’être libre.

En conclusion

On n'est pas des moins que rien, on est capable d'accomplir un travail de dialogue. On fait un

travail sur soi, on se remet en question à chaque fois, on s'affirme.

Je sais que ça va apporter énormément, que les professionnels vont en parler aux autres

professionnels, à leurs responsables. Il faudrait que ça aille jusqu’au Gouvernement. Ce qu’on

espère, c’est que les professionnels mettent en pratique ce qu’ils ont appris.

Eliane Danalet175

: « Des Réseaux d'Echanges Réciproques de Savoirs comme action de formation dans une école d’infirmières »

A la Haute Ecole de la Santé La Source à Lausanne :

o au niveau d’un programme de formation initiale en Soins infirmiers (Diplôme d’infirmier-ères HES S2) et d’un programme de formation continue postgrade en santé communautaire (Certificat of Advanced Studies HES SO (CPG) en « Intervention communautaire à l’école et dans sa périphérie »)

o au niveau d’un projet de mise en place d’un RERS pour l’ensemble de l’institution de formation qui pourrait faire suite aux expériences de formations réalisées.

Introduction

Comment nous y prendre pour relater « au mieux » ces expériences singulières de formation ?

Comment rendre compte autant de la dynamique spécifique à cette forme d'échanges de

savoirs que du contexte dans lequel celle-ci a eu lieu, à savoir un modèle pédagogique

175

Professeur à la Haute Ecole spécialisée de la Suisse occidentale.

Page 332: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 332

« classique »176 de formation professionnelle où les rapports hiérarchiques

enseignant/enseigné ainsi que les contraintes177 liées à un programme de formation sont bien

présents.

Même si le temps consacré à cette forme d'échanges de savoirs a eu lieu sur quelques mois de

fin de formation dans le programme de formation initiale en soins infirmiers ou comme

élément structurant d’une formation continue en santé communautaire, il n'en reste pas

moins que les positions habituellement existantes entre étudiant-e-s et enseignant-e-s et

celles liées au statut du savoir et de sa restitution demeurent bien ancrées dans nos pratiques

pédagogiques.

Ainsi le récit qui va suivre ne devrait pas avoir pour but l'accaparation et la mise en avant de

savoirs par des personnes sensées les détenir.

L'intention est d'explorer une dynamique d'apprentissage vécue dans un processus de

Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs (RERS), dans un contexte de formation.

Cheminer aussi vers « ce que cela m’a fait » et de « ce que j’en fais » maintenant.

Quels effets auront ces moments d’échanges « particuliers » au niveau des apprentissages

réalisés jusque-là sur un mode plus habituel, autant pour les enseignants que pour les

étudiant-e-s et pour l’institution dans son ensemble ?

Quels seront les effets induits sur l’apprentissage selon la nature du dispositif dans lequel il

s’inscrit ?

Quels effets ces changements auront-ils autant dans la relation aux savoirs que dans les

échanges entre les personnes constituant ces réseaux ? Et dans l’institution ?

Ainsi, dès le départ, l'idée même d’imaginer, de constituer et de décrire l'expérience d'un

RERS en formation nous place dans une redéfinition d'une posture questionnant son rapport

au savoir et au pouvoir que celui-ci valide.

L’ancrage « des savoirs » dans les pratiques et les remises en cause de celles-ci seront aussi

très présentes.

A partir de ces constats de départ, les principales difficultés soulevées dans la démarche et

l’écriture de celle-ci résident dans la tension entre la démonstration d’une démarche

176

Le programme de formation de l’Ecole La Source s’inscrit dans un paradigme socioconstructiviste et interactif (Jonnaert, 2002,p.71) comportant une dimension – constructiviste : l’étudiant construit ses connaissances et développe une activité réflexive sur ses propres connaissances – Une dimension liée aux interactions sociales : l’étudiant apprend avec ses pairs, les enseignants, les soignants, la clientèle – Une dimension liée aux interactions avec le milieu : il construit des connaissances dans des situations professionnelles. La formation vise le développement de compétences transférables dans les différents champs de son activité professionnelle. Le programme Bachelor est organisé dans une alternance entre les cours et les stages. Les situations de soins sont sources d’apprentissage. Pour les programmes de formations continues postgrades, elles distinguent des formations initiales en ce centrant sur le perfectionnement professionnels des métiers de la santé et du social. La particularité de ces formations est leur ancrage dans les pratiques et leur construction à partir des conditions du travail réel. C’est un lieu privilégié pour une mise en expérience du travailler ensemble. 177

Plan d’études cadres de la filière Bachelor en soins infirmiers de la HES-SO – Directives de la formation continue de la HES-SO- Logiques des secteurs économique (financement) et politique.

Page 333: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 333

structurée et contrôlée dans un contexte précis et le fait de devoir sortir de celle-ci pour

s’ouvrir à ce qui nous échappe, condition qui donne une vie et un sens à cette expérience de

formation.

Autrement dit, c’est comme s’il fallait être capable en même temps de démontrer et de sortir

de la démonstration pour permettre l’émergence d’un « savoir nouveau » presque

« interdit », conquis ensemble dans le doute, reconnu et partagé.

On s’est vu une fois et plus jamais on ne se regardera de la même façon. En face, il y a le plus

précieux et la rencontre en est transformée.

Un autre constat est celui du vaste champ de références conceptuelles, de modèles, de

disciplines que cette démarche soulève. Faut-il s’y arrêter ou justement, pour une fois, partir

des savoirs à construire ensemble pour revisiter ensuite la diversité de nos ancrages et les

richesses que nous partageons ?

Là encore, la démarche n’est pas simple pour des pédagogues travaillant dans les secteurs de

la santé, du social, de l’action communautaire, des soins…

Même le « comment écrire » questionne : et pour moi, dans le modèle classique de « ce qu'il y

a à rendre », appris dans mes diverses formations, comment me placer au-delà d'un travail à

produire pour valider une formation, ou celui d'écrire pour constituer un jalon de programme

de formation, ou encore d'écrire pour valoriser un poste, un statut, une reconnaissance ?

Le fait de devoir se questionner sur cette expérience collective, d’essayer de la dire, depuis où

je suis, dans ce « qu’elle m’a fait » me fait nécessairement revisiter ma manière singulière

d’apprendre, d’approcher le savoir, de constater les expériences qui en sont à la base. Elles

sont profondément marquées par « la connaissance interdite » et la nécessité de chercher un

« savoir nouveau » dans le déplacement, presque à inventer, celui que je m’autorise. Pour ma

part, cette nécessité a probablement beaucoup orienté et motivé l’expérience des RERS dans

l’école où je travaille. Pour mes collègues et tous les étudiant-e-s qui ont participé, d’autres

expériences sont là, souvent ancrées dans les pratiques. Toutes ces motivations diverses

donnent des couleurs variées à l’expérience qui pourrait se traduire de mille façons. Quel

savoir avons-nous produit dans cet échange ?

Je choisis ici de partir de cette belle expérience « particulière » et des savoirs acquis grâce à

elle, dans une appropriation collective. Pour tenter de la questionner constamment en regard

du plus généralement connu et de l’enfoui qui apparaît plus rarement. Au final, c’est du

« précieux », du « rare », de la « poésie humaine » qui demeure et qui marque l’expérience.

Page 334: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 334

Le Récit de l’expérience dans un contexte de formation professionnelle

Le contexte

Avant de décrire les expériences de mise en réseaux, il est nécessaire de situer le contexte et

le moment bien particulier où nous nous trouvions, dans l’institution, au moment où le projet

a commencé à être imaginé.

L’institution : L’Ecole La Source, fondée il y a presque 150 ans (1859) à Lausanne par Mme

Valérie de Gasparin, est la première école d’infirmières laïques connue au monde.

Aujourd’hui, elle est encore rattachée à la Fondation La Source, constituée d’une Clinique

(CLS) puis d’un Institut (ILS), centre privé de formation et de prestations.

L’Ecole a poursuivi sa mission de formation dans le domaine de la santé, rattachée à la Croix-

Rouge Suisse (dès 1903) (surveillance et suivi pédagogique) la réglementation appartenant

aux cantons. Pour le canton de Vaud : le Département de la Santé et de l’action sociale.

L’Ecole a poursuivi sa mission « humaniste » au gré des divers programmes de formation de

base en soins infirmiers : soins généraux et spécialisations (Centre de formations

interdisciplinaires post diplômes) surtout développés autour de la santé communautaire et de

la géronto-gériatrie. Elle a toujours accordé une importance à l’approche communautaire de

la santé ainsi qu’aux pratiques interdisciplinaires dans le champ du vieillissement.

Suite aux accords de Bologne (19 juin 1999) et au processus mis en route, l’Ecole s’est

rattachée au dispositif des Hautes Ecoles Spécialisées de la Suisse Occidentale (HES SO). Les

formations de la santé et du social (avec les écoles de musique, d’art, de gestion, de

l’hôtellerie…) ont rejoint peu à peu le niveau tertiaire universitaire : l’université des métiers.

Sept cantons romands sont présents, dix professions de la santé et du social sont concernées

et ce ne sont pas moins de 18 sites qui accueilleront des étudiant-e-s à partir de 2002 dans

cette nouvelle organisation.

Une première convention inter-cantonale (2001) crée la Haute Ecole Spécialisée de la Santé et

du Travail Social : la HES-S2 dans un premier temps.

Dès 2004, un rapprochement a lieu entre les domaines des Sciences de l’ingénieur et la HES-

S2. Le label HES SO est lancé. Dès 2005, intégration de la musique au sein de la HES-SO et en

2006 des arts visuels.

Dès 2005, l’ensemble de la formation professionnelle est sous la responsabilité de la

Confédération (DPT Fédéral de l’Economie).

Dans le canton de Vaud, la Haute Ecole de la Santé La Source est rattachée au DPT de la

Formation et de la Jeunesse.

Page 335: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 335

Aujourd’hui La Haute Ecole de la Santé La Source178 « a pour mission fondamentale la

formation, la recherche et les prestations de service tout en soutenant le développement de

pratiques innovantes au service du monde de la santé et du social ».

C’est ainsi que ce sont constitués des pôles de compétences, notamment en :

o santé communautaire (incluant le maintien à domicile, la promotion de la santé, la santé scolaire…) ;

o géronto-gériatrie ;

o histoire des soins infirmiers ;

o recherche-action.

Elle tente quotidiennement de relever 3« le défi d’allier science et esprit humaniste ».

Les offres de formation initiales et continues postgrades s’inscrivent dans le cadre des accords

de Bologne et offrent donc une reconnaissance internationale des titres décernés :

o Formation initiale d’infirmier-ères HES : Bachelor of Sciences en soins infirmiers (180 crédits ECTS)

o Certificats d’études avancées (CAS 10-15 crédits ECTS) : CAS en soins de catastrophe et action humanitaire urgente ; CAS en santé de l’enfant hospitalisé ; CAS en Intervention communautaire à l’école et dans sa périphérie »…

o Diplômes d’études avancées (DAS 30-35 crédits ECTS) : DAS en géronto-gériatrie/vieillissement ; DAS en action communautaire et promotion de la santé

o Diplôme des Hautes Etudes des Pratiques sociales (DHEPS) en collaboration avec l’université Marc Bloch de Strasbourg.

Ces changements rapides ont bien sûr entraîné des répercussions à de nombreux niveaux :

o Les Fondements de l’institution : 1. Sa mission (allier les conceptions humanistes à la nécessité de placer les conceptions scientifiques et disciplinaires en tant qu’atout politique majeur. Rappelons que seule la Suisse romande a fait le passage en HES, les formations en soins infirmiers de Suisse alémanique restant au niveau du secondaire. 2. L’appartenance à une école reconnue localement et réputée pour sa qualité et ses programmes, notamment pour sa coloration « prestigieuse » (Sourcienne avant d’être infirmière) et pour son secteur de santé communautaire développé et reconnu…

o Tensions entre les sites où chacun s’est défendu pour se répartir des champs de compétences (sites porteurs). Nous avons gardé la santé communautaire et les questions liées au vieillissement. L’enfant, la santé mentale sont portés dans d’autres sites. Tiraillements, tensions, morcellement, absurdité. Logique marchande : nous avons du nous placer sur le « marché », surtout dans les formations continues postgrade : allier « vendre de la formation attractive et qui réponde à des besoins de

178

Présentation de l’école_JC_Des formations de hauts niveaux en soins infirmiers

Page 336: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 336

terrain », travailler en collaboration entre sites santé-social tout en se faisant concurrence…

o Ses programmes de formation : réorganisations successives des domaines d’enseignement, rattachement à un référentiel de compétences, logique modulaire, nouvelles réglementations, procédures… Passage à des programmes plus contraignants devant être mis en place rapidement, avec une durée de vie courte. Certains programmes ont duré une seule fois non pas parce qu’ils étaient mal évalués par les étudiant-e-s ou leurs employeurs mais parce que la structure changeait à nouveau.

o Une taille et une organisation institutionnelle : où l’on se connaissait bien, où les échanges de point de vue sur notre action étaient possibles et nous permettaient de réajuster, d’améliorer, de construire des expériences sur des temps assez longs… vers beaucoup plus de personnes. Le nombre d’étudiant-e-s a d’abord doublé puis triplé. Les locaux ont du être aménagé, du nouveau personnel engagé. Une organisation du travail à changer pour répondre à la nouvelle donne et pouvoir organiser les multiples programmes en phases terminale, transitoire.

o Au niveau des compétences : revoir celles que nous avions, celles qui nous manquaient. Tensions de territoire. Une période où chacun tentait de trouver une place. Période aussi d’une certaine « uniformité » comme si la différence n’était plus permise car dangereuse.

Au niveau du canton, toutes les écoles de formation de la santé avaient été acceptées dans le

processus HES mis en place.

Certaines ont du fermer leur porte.

Seules deux écoles du secteur de la santé ont pu continuer dans le canton de Vaud (L’Ecole la

Source et l’Ecole cantonale de soins infirmiers à Lausanne).

Actuellement, des programmes communs ont commencé à être mis en place entre ces deux

structures et devraient se finaliser pour l’ensemble des années de formation d’ici 2010.

Le récit des événements

A) Contexte de la mise en projet du RERS

Dans ce remue-ménage, une structure Lausannoise (Ecole de soins infirmiers de Bois-Cerf)

nous a rejoints. C’est au moment de ce rapprochement de nos deux écoles que cette

expérience de réseaux a émergé.

Nous étions dans un moment de souffrance institutionnelle important.

Lors d’une rencontre du pôle « Sciences humaines », le programme initial étant réparti par

« domaines d’enseignement », nous nous trouvions à l’extérieur, chez une collègue, dans un

échange autour de la mise en place de la dernière année de formation (HES Bachelor en

quatre ans qui visait un niveau de « maîtrise professionnelle affirmée et d’ « expertise » selon

les compétences concernées). Echanges sur nos pratiques dans les deux écoles autour d’un

Page 337: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 337

module qui marquerait la fin de la formation, permettant plus que de l’intégration, le passage

vers la professionnalisation, l’activité sur un terrain professionnel, l’autonomie, la mise en

exercice des compétences acquises. Débat autour d’un « atelier » et de modalités d’évaluation

finale de la formation (3 axes : Mémoire de fin d’étude – examen clinique sous forme d’un

dossier écrit et non plus envisagé sur le terrain et un autre à définir).

Suite à un débat, la référence du programme au « socioconstructivisme » qui « engage à

exercer la co-construction de compétences avec les pairs179 » nous a permis de clore et de

passer à l’ide du RERS que je propose car nos expériences et les discussions m’y font penser.

(Contact avec un RERS lausannois).

C’est là que nous commençons à y travailler en étant déjà dans la co-construction, la

réciprocité, l’échange… mettant un moment de côté les difficultés. Nous cherchons peut-être

aussi un espace collectif créatif, constructif, un lieu où respirer et retrouver des échanges avec

les étudiant-e-s tels que nous les aimons (liberté, sens, échanges plus égalitaires pas

seulement liés à l’acquisition de compétences ou à la transmission…).

C’est aussi une solution pour pouvoir sortir des débats continuels autour des conceptions et

des pratiques diverses tout en sachant que ça nous épuise et que l’essentiel n’est pas là.

Pourtant, pour aller à l’essentiel, dans un espace de formation là où il en est, il faut un cadre,

des méthodes, des guides, une conception tellement bien présente et ancrée qu’elle permet

d’aller au-delà, en confiance.

C’est alors à cela que nous avons travaillé pour présenter peu à peu un projet qui se

construisait et qui a pu prendre forme et durer.

B) Le projet : de quoi est-il fait, présenté comment, à qui, pour qui, validant quoi, créant quoi autour de nous ?

La première présentation du projet de RERS dans la formation a eu lieu le 16 novembre 2004,

auprès du staff de direction.

Nous insistons sur :

o l’intérêt et l’échange d’enseignants des deux écoles réunies autour d’un projet ; o en préambule, l’idée selon laquelle le futur professionnel infirmier doit « développer

des capacités à faire face de manière créative et autonome aux exigences soulevées par des situations complexes, mouvantes, inattendues est largement partagée en Suisse romande dans les recherches menées sur les curricula de formation infirmier-ère » ;

o nous proposons des activités de formation visant une co-construction des savoirs, l’élaboration de savoirs collectifs. Nous avançons aussi qu’il est important de permettre aux étudiant-e-s de voir se matérialiser la notion de compétence au travers d’une activité de formation ;

o un décloisonnement des domaines autour de thématiques à définir ;

179

In « Evaluation des compétences, niveau taxonomique de développement des compétences HESS2

Page 338: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 338

o nous parlons de « séminaire » d’environ quinze jours s’inscrivant dans un cadre conceptuel, se référant aux projets des étudiant-e-s, tissant des liens entre les domaines, s’insérant dans le réseau des thèmes des domaines, situant des intentions professionnelles dans le cadre des compétences du programme ;

o nous proposons aussi de travailler en 4ème année non seulement les dimensions cognitives mais également celles plus symboliques qui, par des voies complémentaires, favorisent l’intégration ;

o nous présentons également ce jour-là l’histoire des RERS, la « philosophie » ou l’ « esprit » ainsi que la charte et la mise en action de ces réseaux. Le socioconstructivisme sensé être connu par chacun, nous insistons plutôt sur les liens entre RERS et « santé communautaire », notre institution étant le site porteur de ce domaine dans la HES SO.

Autant dire que, ce jour-là, nous avions l’impression qu’il fallait « marcher sur des œufs » et

rester « sobre ». C’est-à-dire démontrer que nous y avions bien réfléchi, que nous avions

établi un cadre de référence pédagogique solide, que nous respections tous les cadres de

l’institution, des programmes et intentions sans oublier la profession infirmière. Tout cela

devait se centrer dans les modalités d’évaluation de la HESS2 et du niveau des professionnel-

le-s attendu-e-s (maîtrise).

Ces aspects étaient aussi accentués par le moment que nous vivions au niveau institutionnel

(conformité, respect des lois, compétition, tensions disciplinaires et pédagogiques…).

A part une réaction vive et plutôt « politique », le projet a été accepté avec insistance sur

l’importance d’appuyer par écrit nos postulats de départ et la formalisation du projet y

compris celui de l’évaluation. Il nous a aussi été demandé de documenter régulièrement cette

« pratique », de l’évaluer et de publier sur cette expérience nouvelle.

Le travail qui a suivi a permis de mettre en forme le projet, dans un groupe constitué de cinq

enseignants.

Quelques points soulevés :

o L’élaboration de l’axe évaluation (voir document annexe 2) a été difficile et nous l’avons parfois repris entre les différents Réseaux.

o Le décloisonnement des domaines (sept en tout) n’a pas été simple non plus. Cinq domaines devaient « donner un module pour le RERS » car le dispositif HES prévoyait une évaluation modulaire obligatoire. La défense des collègues allaient au départ dans le sens que, s’ils nous donnaient un module, les étudiant-e-s perdraient des apports essentiels… Le RERS pouvait mobiliser, intégrer mais pas « apporter des connaissances » ? Nous avons démarré avec cela et vu que nous étions cinq dans le groupe RERS, nous avons « donné » trois des cinq modules à l’expérience du RERS.

Démarrage du premier RERS, le 12 décembre 2005, avec un groupe d’une soixantaine

d’étudiant-e-s. Dix journées sont prévues pour l’élaboration du travail des sous-groupes.

Quatre autres journées pour l’évaluation collective et individuelle dans les sous-groupes. Des

évaluateurs sont prévus parmi nos collègues pour renforcer notre petit groupe Réseaux. Nos

Page 339: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 339

collègues savent qu’ils peuvent être contactés durant ces douze semaines pour des demandes

concernant surtout les thématiques qui seront travaillées dans les sous-groupes RERS.

C) Echanges autour des cinq expériences de groupe RERS qui ont suivi

Comment nous avons évolué dans cette expérience collective, quels seront les effets dans les

interactions étudiant-e-s – enseignant-e-s, avec nos autres collègues de l’école participant aux

évaluations, avec des personnes extérieures venues assister aux présentations et dans

l’institution tout entière ?

1. Mise en mouvement du RERS et constitution des sous-groupes « thématiques » durant la première journée.

Cette phase essentielle a toujours été « délicate » et nous a beaucoup questionnés, surtout la

première fois.

Les étudiants arrivaient en ayant reçu (et lu ?) les documents concernant cette axe de

validation de 4ème année.

La première fois, nous étions quatre enseignants présents durant la journée. Nous avions

beaucoup de craintes surtout au niveau de Comment nous y prendre et quant aux réponses

possibles des étudiant-e-s. Est-ce que ça pouvait marcher ? Nous avions le sentiment de

devoir nous « lancer » dans l’inconnu avec tout ce qu’il y avait à lâcher, perdre, gagner,

engager ? Cela dépendait non seulement de nous mais du groupe dans son ensemble. Allions-

nous nous rencontrer « autrement » ?

Après une présentation du cadre puis de la « philosophie » des RERS, nous avons commencé

les échanges offre/demande (post-it). La question de « quels types de savoirs nous allions

échanger ? » n’était pas simple à définir ensemble. Nous faisions appel aux expériences

professionnelles de stage par exemple, au manque durant la formation, à des éléments qui les

avaient surpris, questionnés durant leur formation et d’autres au contraire qui leur avaient plu

et où ils imaginaient avoir acquis des savoirs. Bien sûr que les savoirs acquis avant

intervenaient dans les réflexions et donnaient des couleurs aux savoirs « professionnels »,

personnels…

Par la suite, nous avons beaucoup retravaillé ce point et pris beaucoup plus de temps sur un

échange premier autour de ce qu’était le savoir (compétence, savoir-faire, savoir-être, savoir-

agir, représentations…) pour tenter d’en trouver une définition provisoire ensemble, de

trouver des pistes communes et de mieux situer le champ et ses limites. Plus le groupe était

grand, plus c’était difficile.

Cette première fois, nous nous sommes retrouvés à partir dans tous les sens, avec un tableau

qui se remplissait de papiers jaunes, verts, bleus… que nous tentions de classer à mesure selon

une logique assez floue…

Page 340: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 340

Une chose qui est apparue rapidement – et que nous vivrons dans tous les démarrages de

RERS – c’est la nature très différente de ce qui était proposé comme échanges par les

étudiant-e-s. Certain-e-s envisageaient cet espace comme celui de l’occasion de faire des

révisions très précises comme de la physio/pathologie (qu’ils trouvaient trop peu présente

dans le programme de formation), des ateliers d’exercice de soins… D’autres allaient plus dans

le sens de réflexion « politique », « éthique » ou liée à une problématique plus générale ou

liée à leurs futurs projets professionnels.

Il y avait des propositions qui « faisaient plaisir » et d’autres non. Je crois que nous avions des

attentes aussi sur ce que nous avions envie de partager avec les étudiant-e-s. Ce n’était pas

totalement neutre.

D’une certaine façon, c’était aussi une sorte de « bilan de formation », dont le retour nous

questionnait sur nos pratiques d’enseignement dans l’école…

Cela rejoint une autre question qui est celle qui concerne nos « échanges habituels », prévus.

En effet, les étudiant-e-s nous connaissaient bien après quatre ans avec les thématiques que

nous portions en cours (nos champs de compétences spécifiques, nos dadas, nos références,

notre manière d’entrer en relation avec eux). L’impression parfois qu’ils nous « servaient » ce

qu’ils imaginaient que nous attendions, surtout que nous étions tout de même dans une

évaluation… (Exemples : l’enfant, la santé mentale, le politique, les questions philosophiques…

et très peu de soins car il n’y avait pas d’écho très présent à part le soin à l’enfant). Peut-être

que si le groupe d’enseignants de départ avait été représenté différemment, les thématiques

l’auraient été tout autant ?

Dans cette dynamique de départ, chacun communiquait sur un mode habituel alors que nous

avions l’intention de dépasser ce mode-là pour passer à d’autres formes d’échanges. C’était ça

le sens de l’expérience et celle-ci commençait par nous plonger dans ce que nous voulions à

tous prix dépasser.

Peu à peu, à partir des offres et des demandes, des thématiques émergeaient et constituaient

des sous-groupes qui allaient travailler ensemble. Certains se sont retrouvés avec des

personnes avec qui ils ne travaillaient jamais habituellement. Soit ils y restaient soit ils se

rattachaient à un groupe de personnes connues. Peu à peu, nous avons essayé de limiter ces

stratégies « habituelles » et de rester dans l’idée d’échanger à partir des savoirs. Ceci était

appuyé sur le fait que, dans leur futur professionnel, c’est bien ce qu’ils allaient devoir faire.

(Travailler en équipe, échanger des savoirs interdisciplinaires…).

Une fois les sous-groupes constitués, chaque enseignant avait deux groupes de « références »

et un début de travail démarrait ce jour-là avec eux pour essayer de mieux définir ce qu’ils

allaient faire ensemble.

Peu à peu, dans les expériences futures, la sollicitation première des étudiant-e-s devenait

moins importante. Certains groupes démarraient seuls.

Page 341: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 341

L’après-midi de cette première journée était collective et plus consacrée au fonctionnement

général de cet axe de formation (organisation – validations – règles institutionnelles, dans le

groupe – liberté et contraintes – sollicitation des savoirs de nos collègues et de personnes de

l’extérieur – suivi – accompagnement – travail sur la spécificité de ce RERS). Nous reprenions

aussi le travail élaboré durant la matinée en tentant de mettre en évidence les liens entre les

savoirs échangés dans le groupe, les liens avec la posture professionnelle, « ce que je vais

devenir en tant que professionnel ». Cet exercice de tâtonnement sur une dynamique à

trouver nous a souvent questionnés. Il passait par des changements de pratiques des deux

côtés dans une négociation parfois serrée.

Par la suite, nous avons séparé ce qui se faisait dans la matinée et ce qui se faisait dans

l’après-midi. Deux enseignants le matin et deux autres l’après-midi.

Le matin : ouverture sur les savoirs, échanges, constitution des groupes. L’après-midi :

discussion du cadre et mise en route vers une forme à donner.

C’était comme si on essayait de montrer deux dimensions et de faire le passage de l’une à

l’autre. Le matin était vécu comme une ouverture au plaisir par les étudiants et l’après-midi

plutôt comme une frustration car nous n’étions pas là pour « aller vers » à leur place, c’était à

eux de s’engager vers quelque chose à trouver, à co-construire, à créer…

2. Suivi du travail des sous-groupes Durant les douze semaines, trois à quatre rencontres étaient planifiées avec le collectif.

Moment souvent difficile car les étudiant-e-s attendaient encore que nous leur disions

exactement ce qu’il fallait faire pour rendre au mieux le jour de la validation. Et nous, on les

renvoyait vers « c’est à vous que ces questions-là appartiennent », le cadre général on le sait,

ce qui a dedans est à chercher, il n’y a pas de recettes. Tout le travail ici était de modifier nos

positions les uns par rapport aux autres, de laisser émerger plutôt que faire. Nous aussi, en

tant qu’enseignant-e-s, nous étions dans ce travail-là Ces rencontres étaient parfois très

confrontantes, frustrantes. Cela nous faisait travailler nos attentes réciproques, nos

déceptions… Ceci débouchait sur un souhait de s’améliorer, devenir meilleur ensemble car

l’image parfois renvoyée ne l’était pas et c’est peut-être là-dessus qu’on luttait ? Il y avait

quelque chose de la lutte, de la tension et du dépassement, du déplacement vers…, du

passage.

Ces expériences-là seront ensuite très présentes au moment de l’évaluation.

La 3ème rencontre était souvent axée autour du congrès tout proche.

Les sous-groupes ont peu sollicité les « référents » et les collègues enseignants.

Par contre, des personnes extérieures à l’école ont beaucoup été approchées (représentants

politique, associatif – professionnel-le-s de différents terrain – population de la ville de

Lausanne dans des micros – trottoirs – des films ont été constitués, des sondages).

Page 342: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 342

3. Les présentations collectives : le congrès Dès le départ, ces moments ont été magnifiques, surprenants. C’était une fête, un plaisir

partagé avec beaucoup d’émotions. Pourquoi ? : Le sentiment d’avoir réussi quelque chose

ensemble, de nous regarder avec de la confiance, du respect de ce qui est comme ça (même si

nous devions l’évaluer et donner une appréciation). C’était pourtant « non critiquable » car

c’était ce qui pouvait être dit maintenant avec nos faiblesses, nos vulnérabilités (beaucoup

citées dans les évaluations des étudiant-e-s), nos manques, nos richesses, nos limites

humaines.

Le premier congrès « des représentations au positionnement professionnel » a duré deux

jours avec, à chaque fois, deux groupes passant en parallèle dans deux salles différentes. Ceci

a ensuite été modifié car il était très dommage que l’ensemble du collectif ne puisse pas

écouter tous les groupes. L’ensemble du collectif était très important même si des sous-

groupes avaient travaillé séparément.

Lors du premier congrès, chaque sous-groupe thématique avait sa journée sans vraiment de

mise en lien explicite ni synthèse avec le thème du congrès. Ce que nous avons modifié par la

suite. Il y avait un titre de congrès, des mises en liens d’un groupe à l’autre sur les regards

différents portés au questionnement. C’était une œuvre collective et chacun y participait avec

son « histoire ».

Quelques personnes extérieures sont venues dans ces journées. Quelques collègues et

étudiant-e-s. Cela a même été l’occasion de continuer une soirée avec un prêtre de

Madagascar, suite à la présentation d’un groupe sur les expériences de stage à l’étranger

« Nos pratiques là-bas, pensées ici » dans le congrès « Soigner, un espace de liberté ».

Dans les évaluations, une des déceptions majeures chez les étudiant-e-s est que l’ensemble de

l’école (étudiants et enseignants) n’aient pas pu être plus présents.

Pour eux, ce moment était essentiel et ils auraient voulu pouvoir fermer l’école, ce jour-là,

pour que tout le monde puisse être là et puisse assister à la présentation de l’œuvre

collective.

Lors du tout dernier congrès (le programme de formation HES quatre ans arrivant à sa fin) un

groupe a fait une présentation autour de « la créativité dans les soins – je soignais, je soigne,

je soignerai » et ce moment a été d’une force à couper le souffle. Même dans leurs

déplacements physiques devant nous, nous avions l’impression qu’ils ne touchaient plus le sol

tellement c’était harmonieux, aérien, habité… Un pur moment de magie et d’expression

presque « divine ». Nous étions une centaine dans la salle et n’osions pas nous regarder car

peut-être aurions-nous pleuré ensemble. Pleurer sur quoi ? Sur le beau, le dépouillé et ce qui

reste, l’essence de nos vies (et aussi l’absurdité que je n’avais jamais vue d’aussi près,

l’aléatoire aussi, moi qui croyais que tout se tenait et se rejoignait autour d’une synthèse

toujours possible) ?

Page 343: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 343

Bien sûr que de telles expériences vécues aussi profondément ensemble ne peuvent que

transformer et donner du meilleur. On ne peut pas oublier qu’on sait car on a vu apparaître et

on l’a senti dans nos tripes.

Ceci est particulièrement important si l’on pense que ces belles personnes, devant nous, sont

maintenant des infirmier-ères auprès d’autres personnes qui cherchent et qui comptent sur

elles pour échanger aussi et retrouver du mieux-être. Pour nous les enseignants, ce vécu

partagé va aussi avoir des répercussions sur nos postures, nos façons d’échanger avec d’autres

étudiants, entre nous dans l’école et en-dehors de celle-ci. Le mouvement mis en route va

s’étoffer sur l’expérience vécue.

A la fin de la présentation de ce groupe « créatif », une proposition émane d’eux : créer un

RERS dans l’école qui réunirait l’ensemble des personnes. Ces étudiant-e-s s’en vont mais

participent juste avant à un petit groupe institutionnel qui se réunit pour préparer cette mise

en Réseaux dans l’école le 13 janvier 2009.

Les évaluations ont été faites par un couple d’enseignants (un du groupe RERS et un collègue

de l’école). Là aussi, nous avons fait des découvertes ensemble. Nous avions de la difficulté à

imaginer que tous pourraient entrer dans ce modèle-là. Soit par nécessité pour certains d’une

grande maîtrise ou des a priori comme « celui-là quand il travaille dans un groupe il ne fait

rien » ou encore « je ne vois pas quelles connaissances essentielles pour la profession peuvent

être transmises dans un RERS ». Après avoir entendu et vu ce qui se passait dans les

présentations, tous ont pu évaluer et reconnaître ce qui s’était passé, en oubliant ce qu’ils

imaginaient au départ. On découvrait des points de vue inhabituels chez nos collègues et nous

les partagions avec plaisir, sans compétitions ou autres tensions sur les disciplines et les

savoirs. C’était plus du tout important. C’était comme si le meilleur de nous émergeait et que

nous trouvions une grande chance à pouvoir le vivre et le regarder ensemble.

D) Les congrès

1) « Des représentations au positionnement professionnel » (automne 2002) o Le monde de l’enfance : écart entre théorie et pratique ; o Besoins des soignés, offre des soignants : la place de la confiance ; o Le soignant est un être humain, où sont ses limites ? o Responsabilités et limites.

2) La relation dans tous ces états (printemps 2003) o La relation « intensive » ;

a) la connaissance au service de la relation ;

b) l’appareillage… obstacle à la relation ;

o Tu enfanteras dans la douleur ; a) la dimension psychique dans la maternité ;

b) l’impact d’une nouvelle naissance – la dépression post-partum ;

Page 344: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 344

o Aux frontières du soin (toxicomanie) ; a) soins extrahospitaliers ;

b) institution, soignant, soigné, quels compromis ?

c) positionnement professionnel.

3) Humanité, Expériences, Soins ? (automne 2003) o A l’origine était le soin humanitaire ; o Mort inopinée dans les soins aigus : entre théorie et réalité ; o L’enfant hospitalisé : médecins, parents, clowns… et l’infirmière dans tout ça ? o Identité du corps ; o Stress, burn out : nurse out ? o Faites ce que je dis, pas ce que je fais… ; o Etudiants et après.

4) Comment exister dans l’ombre d’un idéal ? (printemps 2004) o Des soins palliatifs pédiatriques ; o Du Sida : une maladie honteuse ; o Accompagnement dans l’accueil d’un bébé ; o Des premiers pas infirmiers ; o Soi…niant, vous avez dit sacrifié ?

5) Soigner : Un espace de liberté (automne 2004) - a) Je soignais, je soigne, je soignerai (la créativité dans les soins) ;

- b) Stimulation basale : vers une approche différente du patient ;

- c) Comment favoriser les relations professionnelles et thérapeutiques du point de vue

interculturel ?

- d) Nos pratiques là-bas, pensées ici ;

- e) De l’importance de s’engager (politique) ;

- f) Le fabuleux destin d’un-e idéaliste ;

- g) A l’ombre des barreaux ;

- h) Quelle autonomie pour demain ?

On peut se questionner sur le fait qu’une telle expérience de formation intervienne en fin de

programme. Pourquoi ne pas l’envisager dès le début, comme élément structurant la

formation.

Page 345: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 345

E) Un RERS comme élément structurant d’une formation continue postgrade en santé communautaire (CPG Intervention communautaire à l’école et dans sa périphérie »)

(Document annexe 3 : programme du CPG)

La mise en place d’un tel processus dans le contexte de la formation est ici :

- Une action de formation fondée sur un échange réciproque de savoirs, connaissances, expériences, savoir-faire. Chacun a un savoir personnel et professionnel qu’il s’agit de développer et de partager dans une construction collective, vers la création d’un projet commun.

- Une expérience de co-construction entre professionnels de champs disciplinaires différents dont l’activité se situe autour d’un pôle commun : le réseau de promotion de la santé à l’école et dans sa périphérie.

- Un espace d’intégration des contenus théoriques et des savoirs mobilisés dans les modules de formation

- Une expérience transférable dans sa pratique de réseau sur le terrain de l’école.

Dans le cadre du Cours postgrade dont l’intention était celle de « construire ensemble un

mieux vivre dans le champ scolaire », la mise en place dès le départ de la formation de

groupes Réseaux d’échanges réciproques de savoirs a pris tout son sens. (Document annexe

4 : fondements (promotion de la santé, co-construction de savoirs, réseaux).

Cet axe central de la formation permettra de jalonner les étapes du parcours de formation et

de les valider, de concevoir et de réaliser un projet commun autour des savoirs inter-métiers,

de transférer les compétences acquises en défendant le projet réalisé sur le terrain

professionnel.

Dans cette expérience, la mise en réseau s’est faite dès le premier jour de formation, ce qui a

surpris d’abord les dix étudiantes présentes (je viens ici pour acquérir des connaissances

nouvelles et non pour partir des miennes le premier jour…) pour ensuite être évalué très

positivement en fin de formation. Cela donnait tout de suite plus qu’une intention de co-

construire ensemble mais une mise en action concrète que nous allions poursuivre sur dix

mois.

Notons que ce programme avait déjà été élaboré, y compris son référentiel de compétences,

avec des personnes du terrain de l’école (Professionnels du social et de la santé à tous les

niveaux hiérarchiques, professionnels de l’enseignement, employeurs et pour la première fois

la Haute Ecole Pédagogique Vaudoise (HEP).

Quelques éléments importants que cette expérience soulève :

• L’expérience est différente avec des étudiantes « adultes » (35-50 ans) et des « professionnelles » ayant une expérience importante sur leur terrain professionnel. Il semblait qu’elles connaissaient mieux où se situait leur savoir, à partir de quoi il s’était

Page 346: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 346

constitué ainsi que les manques et les recherches qui les motivaient à venir se former. Importance de l’histoire de vie, du projet, des désillusions, des perspectives. Le fait aussi d’avoir eu des enfants et de leurs transmettre des savoirs donnaient d’autres formes ? Le démarrage a été beaucoup plus simple avec ce groupe (j’appartiens aussi au même champ professionnel et certaines étaient d’anciennes collègues).

• En formation, la nature du savoir que nous allons explorer : ici la santé communautaire à l’école, le réseau interprofessionnel. Très cohérent.

• Les présentations collectives ont été présentées sur le terrain professionnel et non dans le lieu de formation (lié à l’action, dans l’action que la restitution a lieu). Moins de surprises que dans la formation initiale ? Ont plus l’habitude de travailler en groupe interprofessionnels, une certaine habitude d’être en minorité et de devoir défendre un point de vue.

• Les présentations individuelles ont été de même nature que dans le niveau initial (intensité).

• Ces étudiantes ont créé une très forte solidarité dans le groupe (qui s’est d’ailleurs maintenue par la suite et qui a surpris leur employeur…).

• Par contre, dans la suite de leur formation, ont été très démotivées par le processus de formation du programme qui suivait : ne se sentaient pas reconnues, dévalorisées, déçues de ne pas pouvoir continuer sur la même lancée et continuer ainsi à apprendre dans la co-construction. Le retour à une formation plus habituelle a été très mal vécu et je ne l’avais pas imaginé.

• Comment « restituer » la part très importante d’elles-mêmes mises en co-construction dans le groupe ? (exemple : deux étudiantes viendront parler de leur expérience professionnelle dans un cours de formation initiale).

• L’attente des étudiantes vis à vis de moi a été, il me semble, très importante en fin de formation et je ne suis pas sûre de l’avoir bien gérée. Difficulté différente avec ce groupe. C’est comme si nous avions plus de difficulté à nous « séparer » avec le sentiment d’être beaucoup plus « protectrice » avec elles, d’avoir plus soutenu, accompagner, porter…

• La question de la « synthèse impossible » : Peut-on, en tant que formateur, rassembler une idée de synthèse de l’expérience vécue très différemment pour chacun ? Est-ce à moi de le faire ? N’est-ce pas alors une façon d’annuler ? Il y avait une attente à laquelle je ne pouvais répondre…

Titre des deux congrès de ce CPG :

- « Climat scolaire : entre canicule et fonte des glaces… » (Lausanne, 2007)

- « Regards pluriels sur le coin bleu » (Reconvillier 2007)

F) L’évaluation individuelle dans le groupe

« Nature » de ce qu’il-elle présentait, ce que ce travail leur avait fait.

Echo dans le groupe

(Fiche critères validations annexe 2 : Formalisation d’une intervention de communication et

de transmission)

Page 347: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 347

Dans ce deuxième volet d’évaluation, chaque étudiant-e préparait deux à trois pages écrites

donnant les points essentiels de son expérience individuelle dans le Réseau.

Il présentait « son auto-évaluation » (ce que lui avait apporté l’expérience, ce qu’elle avait fait

bouger, ce qu’il en retirait) au sous-groupe de travail, en présence de l’enseignant « référent »

et d’un autre enseignant/évaluateur de l’école.

Ce temps était le moment de l’émergence, émergence de moi dans le groupe, de mon savoir

singulier et des contours du savoir commun, unique en son genre car créé ensemble par

l’assemblement de toutes « nos histoires », nos couleurs, nos échos autour d’un même objet.

Déplacements à partir de la production collective vers celle de ma part qui a fait qu’elle se

présente comme ça et retour d’à partir de cette part de moi qui a été questionnée, modifiée,

comprise, appropriée vers le groupe et sa transformation.

Il était aussi question de projeter cette expérience et les connaissances acquises vers le futur

professionnel. C’est là qu’une « sorte » de passage se formalisait et c’est probablement ce

passage vers… qui permettait la synthèse, la clôture de cet espace temps, la boucle à fermer

non pas par l’évaluation et les commentaires des enseignants sur une production plus ou

moins bonne (même si nous devions le faire). Nous étions là plutôt pour « recevoir »,

échanger par la validation (donner le change, quittancer) pour terminer une forme de relation

avec eux et les laisser aller librement avec tous ce qu’ils avaient pu réaliser et projeter dans

leur futur.

Moment essentiel et d’une force rare, peut-être lié à l’impression d’avoir à prendre soin du

« précieux » qui se donnait à voir, en confiance et que c’est ce précieux-là qui allait faire

« société ». L’essence même, le mieux, le bien. L’esthétisme est le mot que nous avons le plus

utilisé ensemble pour parler de ce moment entre enseignants et étudiants, pour essayer de le

dire.

Il est d’ailleurs intéressant de voir que, dans le domaine des sciences infirmières, on parle du

« savoir esthétique » dans les soins, comme un savoir toujours relié à l’éthique. On ne fait pas

un soin parce qu’il est beau simplement mais parce qu’il a comme finalité de faire le bien. La

créativité dans le soin est au service du bon soin, du soin éthique.

Ces présentations orales dans le sous-groupe se construisaient par chaque étudiant-e autour

d’un récit construit à partir d’une ou deux pistes essentielles quant à son vécu dans

l’expérience et s’appuyaient sur quelques références conceptuelles et bibliographiques.

Les pistes souvent prises :

- Ma place dans le groupe, dans une équipe, dans la société ; - Le champ professionnel, les limites. L’espace social. Mon espace. Le temps, le

processus dans le temps. Le changement. La liberté ;

Page 348: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 348

- Travailler ensemble, en collaboration, en interdépendance, en interdisciplinarité, les avantages et inconvénients, les difficultés. L’investissement ;

- Le projet et ses origines, les liens ; - Les savoirs, les valeurs, la culture, l’échange, la réciprocité, la confiance, la

tolérance, la solidarité, les affinités. Le connu, l’étrange, l’étranger ; - L’affirmation de soi, l’estime de soi, les cycles de vie, les passages, les origines,

l’identité, la filiation, les liens avec les parents, les enseignants, l’école, l’armée Suisse ;

- Le pouvoir et l’autorité, la soumission et la liberté, le conflit interne (j’étais fâchée contre moi) dans le groupe, l’implication ;

- La peur, l’incertitude, la vulnérabilité la déstabilisation, la douleur et la satisfaction, le plaisir, l’authenticité, la différence, le partage, la frustration ;

- La tristesse, le rire, les bénéfices du rire sur la santé ; - Les méthodes de travail, les miennes, celles du groupe ; - Les compétences : collectives, professionnelles, culturelles, personnelles.

Apprendre, se former. Le travail en réseau. La dynamique de groupe, la communication, les enjeux.

Principales références d’appui :

- Celles liées à la dynamique de groupe et à la communication (Les plus nombreuses) ;

- Celles liées au monde du travail, de l’organisation ; - Celles liées à l’apprentissage, les compétences ; - Celles liées au développement personnel ; - Celles liées aux savoirs, à la co-construction de savoirs.

Il est intéressant de voir que l’expérience a surtout touché chacun, le groupe et ce qu’on peut

faire ensemble avec un arrière-fond bien présent du monde professionnel des soins, lieu de

l’exercice futur.

Sur ce point, le déplacement recherché au départ a bien eu lieu. (Décoller de sa pratique, tout

en partant d’elle pour y retourner).

Ce moment de « bascule difficile » des modes d’interactions entre nous et eux a pu se faire

peu à peu. Nous proposions, lors de la mise en place du RERS, de dépasser quelque chose

ensemble, dans un cadre défini par l’école et la formation.

Nous proposions aussi de « remplir » l’espace « réponses » habituel par, tout d’abord, le

passage à « l’identification des questions », pour aller au-delà de ce qui est questionnant,

c’est-à-dire aller vers « ce que je vais devenir en tant que professionnel-le » et cela engage

moi, nous, eux.

F) Evaluation générale des Etudiant-e-s de la formation initiale

- Ce que l’expérience apporte : rend autonome, indépendant. Auto-construction. Apprendre à échanger et partager dans le groupe. A être soi dans le groupe. « Un travail comme ça en formation remplace tous les autres ». Essentiel. La

Page 349: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 349

question du temps est importante : temps pour la maturation (nombres de jours répartis sur trois mois, très aidant). Que cela arrive en fin d’apprentissage, jolie manière de terminer une formation. Pour d’autres, cela devrait être élaboré dès le début de la formation.

- La forme : ce qu’il fallait « pour trouver la liberté ». Revalorisation avant de partir sur le terrain professionnel. Déception qu’il y ait eu si peu de participations extérieures lors des congrès.

- Sa spécificité : une expérimentation nouvelle grâce à une forme différente. Le « hors cadre » habituel. La confiance en nous des enseignants, on peut s’exprimer, oser avoir peur. On découvre l’intensité de l’écoute participative (congrès). La maturation qui s’opère.

- Ce qui est plus « négatif » : processus qui chamboule. Le congrès est trop dense. Trop d’un coup. Le manque de disponibilité : il faudrait avoir que ça à faire, pouvoir se centrer dessus, investir beaucoup plus.

Suite institutionnelle : le projet de créer un Réseau d’Echanges Réciproques de Savoirs dans

l’école, pour l’ensemble des personnes (Personnel : 88 et environ 550 étudiant-e-s inscrit-e-s

dans les formations initiales et continues postgrade).

Lors du dernier congrès (« Soigner : un espace de liberté »), le groupe « La créativité dans les

soins » propose de constituer un RERS à l’école. Leur projet concerne un espace d’échanges

prévus pour l’ensemble des étudiant-e-s.

Ils proposent aussi un nouveau concept passant par un espace informatisé (l’Intranet de

l’école). Ceci pour des questions de faisabilité (alternance école/stages) et de mode de

communication très bien installé et utilisé dans l’école. Ce groupe va terminer sa formation

rapidement après cette proposition. Qui va continuer ?

Nous allons ensemble (deux enseignantes et trois étudiant-e-s) participer à une ½ journée de

formation RERS donnée à Lausanne par Claire Héber-Suffrin, ce qui précise la nécessité de la

rencontre « réelle » pour constituer un RERS et la complexité de ce projet.

Entre-temps, le groupe des PAT (personnel administratif et technique de l’école) se constitue

et cherche des moyens pour mieux communiquer avec le reste de l’école qui s’agrandit et

s’organise différemment (les PER : personnel de l’enseignement et de la recherche).

Suite à mon appel (ayant lu le PV des PAT et gardé en tête le projet des étudiant-s), un petit

groupe se constitue autour d’un projet qui nous réunirait tous ensemble, pour échanger

autrement. (Deux étudiant-e-s du groupe « créativité », deux enseignantes, deux infirmières

du personnel, le RH, un secrétaire, deux bibliothécaires puis une nouvelle personne

responsable du pôle privé de l’école).

Quelques rencontres plus tard (deux ou trois) nous décidons d’y aller, de nous mettre en route

malgré les risques.

Page 350: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 350

Suite à un appel à l’ADES (association des étudiant-e-s), deux personnes répondent à l’appel et

nous rejoignent (motivation : expérience d’échange à l’étranger et engagement politique et

associatif).

Nous invitons Claire Héber-Suffrin et le 13 janvier 2009, à la place du colloque Ecole prévu

tous les premiers mardis du mois, nous verrons… peut-être ?

Autre projet en cours : lors des journées (fin novembre 2008) de construction du programme

« Bachelor » (conjoint aux deux écoles de la santé du canton de Vaud), je propose dans le

groupe des responsables de l’axe « intégration », de reprendre l’idée des RERS en formation.

Cette proposition est bien accueillie par les collègues des deux sites (et les responsables de

formation). L’axe « intégration » de la première année Bachelor se déroulera sous forme de

RERS avec une deuxième partie consacrée à l’analyse d’expérience (Modèle de Kolb par Le

Boterf). Les étudiant-e-s travailleront à partir de leurs savoirs acquis et à acquérir dans une

alternance école/stage/expériences.

G) Comment présenter cette expérience lors des Rencontres internationales du MRERS organisées autour d’une question centrale : En quoi la réciprocité construit-elle des solidarités ? dans un atelier : « Production de savoirs », et en quinze minutes ?

Après de nombreux va-et-vient autour de cette question difficile, il me semble que la

meilleure piste est celle de mettre en évidence ce que je fais de cette expérience et de repérer

les liens sans lesquelles elle n’aurait pas eu lieu.

Un constat central, à la base de la difficulté de présenter ou de transmettre, est de voir tout le

temps et le travail qu’il faut pour se « déplacer »..., les craintes qu’il y a de ne pas replacer

tous ces éléments dans « la logique ».

Avant il y avait, il y a eu pendant et il y aura après (comme l’a bien relevé le groupe qui

travaillait sur la créativité dans les soins : « Je soigne, je soignais, je soignerai »).

A la fin de cette « histoire », il y a juste l’envie de se recueillir, dans le silence. Le reste paraît

absurde, inutile.

Il y a le paradoxe cité au départ : démontrer et en même temps sortir de la démonstration.

S’effacer ou vivre en silence ? Retrouver un sentiment profond de liberté avec l’impression de

« faire partie » en abandonnant la synthèse impossible et inutile.

H) Présentation orale de l’expérience lors de la journée internationale des MRERS :

1) Regards sur Comment je m’y suis prise pour tenter de raconter, dire, transmettre sur ce qui s’est produit durant ces échanges en réseaux.

Quelques éléments qui me questionnent en regardant mon texte :

Page 351: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 351

Au niveau de la narration de l’histoire :

- Le rythme : d’abord très structuré, se référant à…, puis des moments d’expression « libre », sans références précises, avec des temps très longs ou on laisse aller puis des temps courts pour reprendre son souffle. Difficile à organiser, à ponctuer, à classer, à mettre ensemble selon une certaine logique. Le rythme est difficile à trouver puis on avance et on le trouve, on construit avec, sans annuler à mesure, pour terminer avec une impression de déstructuration complète qui donne envie de faire de l’ordre et c’est là que c’est difficile. Comment réorganiser les choses « ici-bas » ?

- Entre les lignes : les échos avec mon histoire, ma façon d’apprendre, ses origines. En fin de compte, ce sera ce qui ponctue le plus le récit qui pourrait donc prendre des teintes diverses en fonction du narrateur…

- Le choix des mots : difficiles à trouver, impression de devoir faire appel à des mots oubliés ou niés, qui renvoient à des références très anciennes ;

- Les contenus : sont-ils justes, en référence à quoi ? Je dévoile quoi, comment, à qui ? Importance accordée dans les paragraphes : contexte, congrès…). Quelle tonalité pour dire par écrit ?

- Qu’est-ce que je viens de raconter ? Pourquoi cela me touche-t-il autant ?

2) Quelques citations des étudiant-e-s dans la partie 2 de l’évaluation « réflexivité relative à la construction et l’échange de savoirs réciproques » :

« La construction du savoir est d’abord de savoir ce qu’on recherche à savoir. C’est ici la

difficulté de ce travail. »

« La transmission des savoirs avec mes collègues a été pour moi le moment où nous avons

enregistré les séquences, le fait de les réécouter à plusieurs reprises a fait que j’ai pu assimiler

les connaissances. L’humour est aussi un très bon moyen d’assimilation ».

« Le pratique nous appelle et de ce fait, les travaux à rendre deviennent une tâche très lourde.

Cela devient fatiguant de démontrer notre positionnement infirmier après quatre ans. »

« La dynamique du groupe était extrêmement humoristique. La ponctualité a été négligée

quelque peu. »

Cyntia (2002)

« Nous avons tenté de comprendre ensemble quelques éléments qui nous échappaient »

« Je dirais qu’un problème s’est trouvé quelquefois dans le vocabulaire utilisé. Suivant les

termes employés, j’ai d’abord l’impression d’avoir saisi dans un premier temps, puis lorsque je

cherche à expliquer ce que j’ai compris, je me rends compte que ce n’est plus le cas. »

J’avais acquis et mis le doigt sur ce qui n’allait pas et sur ce qui manquait. C’est un moyen très

explicite et concret. »

Page 352: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 352

Ophélia (2006

« Ma partie était un élément nécessaire au reste du travail du groupe, je me devais de la

réaliser au mieux. Je me suis donc organisée autrement. »

« Le fruit de notre travail m’a permis de me rendre compte de l’importance de s’engager. »

Virginie (2008)

« Je ne pense pas avoir occupé une place bien distincte et définie, variée selon les jours ainsi

qu’en fonction de la place que prenait ou pas chaque autre personne. »

« Je pense que ce qui a été le plus professionnalisant dans ce travail a été de pouvoir

réellement s’engager à fond… »

« J’ai l’impression d’avoir pu joindre l’utile à… l’utile (et à l’agréable). »

Etienne 2008

« Nous avons formé un groupe de travail sain… » « Marianne et moi en son sein… »

« Je m’étais inscrit en premier lieu dans le groupe « douleur » avec un sentiment d’obligation ».

« j’ai changé de groupe et cette décision a été difficile car elle a eu des implications sur deux

plans : 1) la dissolution du groupe douleur étant donné qu’il ne remplissait plus les conditions

cadres des réseaux de savoir (nombre d’étudiants) 2) sur un plan personnel, la personne étant

à la base du groupe « douleur » se trouvant être mon amie du moment, j’ai malgré moi un

sentiment de trahison envers elle et de culpabilité. »

« La motivation, l’envie sont vite devenus des moteurs pour moi. »

« J’ai été complètement déstabilisé par des affaires personnelles. »

« Je me suis contenté de me laisser entraîner par ce que nommerai « la locomotive groupe. »

« J’ai ressenti un sentiment de frustration. »

« Je définirai ce travail comme un challenge sous la forme : quelle professionnelle êtes-vous ?

Qu’avez-vous à nous offrir ? »

Richard (2008)

« A la fin de ma présentation orale, j’avais l’impression d’avoir fait une course. Pour ma part,

j’avais une impression d’inachevé. Pour ce point j’étais fâchée contre moi. »

Florence (2008)

« Ce travail nous permet et encore beaucoup ne l’ose pas d’essayer de sortir de l’ombre par

toutes ces petites choses de reconnaissances. »

Page 353: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 353

Ana Sofia (2008)

« D’explorer l’information m’a permis de rechercher de nouvelles ressources pour dépasser une

manière de travailler qui m’était moins familière. »

Rodrigue (2008)

« J’avais l’impression d’être un peu « ailleurs », de devoir développer tellement de choses pour

faire comprendre aux autres ce que j’avais vécu. »

Sarah (2008)

« J’ai eu beaucoup de peine à accepter que les autres aient une manière différente d’effecteur

le travail » « Un ordre différent que celui que j’imaginais ne me paraissait pas logique. »

Laetitia (2008)

« Je me suis alors demandé quelles conséquences avaient mes propres difficultés sur ma

participation à la construction d’un travail collectif. »

« J’ai pu palier à certaines en utilisant mes ressources… et aussi d’autres moyens, moins

appropriés : l’humour sarcastique, ne pas oser dire qu’on est perdu, attitude laxiste. »

Stéphanie (2008)

« Ce travail m’a fait prendre conscience des difficultés que peuvent rencontrer les toxicomanes

justement à lâcher-prise face au soignant. Lâcher-prise et finalement se laisser accompagner

et partager le pouvoir de la relation = EMPATHIE « je comprends. »

Nadia (2007)

« Je pense avoir pu offrir mon « savoir issu de l’expérience » de mon stage à l’étranger ».

« J’ai été ébranlé psychologiquement. »

« Je n’arrivais pas à trouver des mots, à expliquer ce que j’ai vécu et ce que je vivais en ce

moment. »

« Mes demandes étaient de répondre à ce mal-être, de pouvoir l’analyser, dépasser ma

barrière afin de professionnaliser mon expérience. »

« Dans ce but, je vais m’évaluer afin de mettre en évidence et de reconnaître ma place au sein

du groupe, mes apprentissages, mes manques, constater l’écart durant ma formation et

pouvoir progresser en développant ces manques en vue d’un épanouissement,

personnellement et professionnellement. »

« Je n’étais pas dans le rôle du leader, mais plutôt dans celui du suiveur, ayant une

participation active dans l’évolution du travail avec une personnalité « comique. »

Page 354: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 354

« J’ai pu apporter « ma pierre à l’édifice. »

« M’a permis de développer ma créativité et de constater une autre manière de présenter une

expérience. M’a permis d’atténuer temporairement une tension, un stress. »

« Ce travail m’a permis d’évoluer dans ma compétence culturelle. »

(Le cercle des savoirs reconnus).

Julien (2008)

Tout ce chemin parcouru est le même que celui suivi par les étudiant-e-s ! En tant

qu’enseignant-e-s, nous l’avons cherché avec eux, accompagné, « validé ». Ce qui est

étonnant et qui a rendu difficile de pouvoir en parler, c’est peut-être du au fait que nous

soyons restés un peu observateur, accompagnateur… dans le rôle qui nous était attribué ?

Etions-nous vraiment obligé de le tenir comme ça, jusqu’au bout ? Pourquoi n’avons-nous pas

présenté aussi notre « congrès » et exposé ainsi notre expérience avec eux ?

Sophie Robin180

: « La réciprocité dans la production de mémoires de recherche en trois ans à l’université de Tours et dans la réalisation d’un ouvrage collectif relatant ces trois années de formation » J’ai souhaité axer la présentation du livre181 des croisements entre l’Université et le

Mouvement des Réseaux d’Echanges Réciproque des Savoirs sur deux aspects de la

production de savoirs ; l’un personnel dans sa place dans mon histoire de vie et l’autre

collectif sur la capacité à introduire de la réciprocité dans une recherche universitaire.

J’ai eu la possibilité de reprendre des études vers la quarantaine grâce à mon implication dans

le Mouvement de Développement Solidaire à Tours. C’est par ce canal que j’ai entendu parler

de l’expérience des croisements entre l’Université de Tours et le Mouvement des Réseaux

d’Echanges Réciproque des Savoirs d’Evry et que cela m’a intéressée comme occasion pour

réfléchir à une question pédagogique qui me tenait à cœur quand j’étais formatrice. Bien que

méfiante a priori sur ce que l’Université pouvait m’offrir comme condition d’apprentissage, je

m’y engageais rassurée par le compagnonnage des réseaux et de deux collègues formateurs.

J’avais quitté l’université vers vingt ans, triste et déçue, d’une part parce que je n’avais plus les

moyens financiers de poursuivre des études de musicologie et, d’autre part, parce que je

n’étais pas soutenue dans mes efforts. J’ai donc continué à apprendre dans mes expériences

de vie – j’ai beaucoup voyagé – et dans le cadre de l’éducation populaire ; quand je revenais

en France, j’étais animatrice puis directrice de centre d’accueil de jeunes (occasionnellement

ou en permanente) et j’ai pu être formatrice BAFA et BAFD182 grâce à ces expériences. Une

180

Directrice d’une association de lutte contre l’illettrisme. 181

Claire Héber-Suffrin (coordination), 2004, Quand l’Université et la Formation réciproque se croisent. Histoires singulières et histoire collective de formation, Paris, L’Harmattan. 182

Brevet d’Aptitude aux fonctions d’animation ou de Direction de centre de vacances qui se découpe en stages théoriques et pratiques et qui sont organisés par des associations d’Education Populaire.

Page 355: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 355

question récurrente me venait régulièrement dans les stages ou lors de rencontre avec des

professionnels : c’était l’inadéquation entre la théorie explicitée dans les sessions et la

pratique. Les gens étaient cohérents pendant la formation mais se trouvaient incapables de

faire ce qu’ils disaient aux jeunes.

Le fait que les RERS soient partenaires dans l’Université a peut être influencé mon

engagement et j’ai pu le comprendre bien après la soutenance de mon mémoire, lors de la

rédaction de mon chapitre dans le livre et surtout sur la contribution autour de l’effet que

produit la coopération de l’université avec l’éducation populaire ; repenser les conditions de

l’expérience m’a permis d’identifier en quoi ces croisements sont producteurs de savoirs :

D’abord, le constat que la solitude nécessaire de la recherche est parfois source de souffrance

et que c’est l’échange qui en adoucit les effets. De nombreux étudiants abandonnent les

études parce qu’ils ne se sentent pas soutenus et notre groupe prenait soin de chacun d’entre

nous, notamment dans les moments de découragements ; les directeurs de recherche avaient

impulsé cet état d’esprit de coopération, qui est une base du RERS, dans les regroupements.

Chacun découvrait qu’il avait intérêt à la réussite des autres, les questions individuelles

alimentaient les réflexions générales suscitées par les intervenants. Les ateliers d’écriture, de

lecture, de questionnements, d’exercice au questionnaire ou à la construction de l’analyse

nous permettaient de mutualiser nos tâtonnements. La réciprocité dans nos interpellations a

accompagné le souci de l’autre, la volonté de réussir, d’aboutir à la production et soutenance

du mémoire.

Le fait que les directeurs de recherche soient également porteurs des valeurs de l’université

en tant qu’institution permettant l’universalité des savoirs et de l’éducation populaire en tant

que partage des savoirs a certainement permis cette production de savoirs individuelles et

permis d’accomplir la rédaction du livre. Il fallait témoigner que ces conditions favorisent

« l’auteurisation » de chacun, que la coopération conduit à l’émancipation et à la volonté de

dépasser ses propres limites.

Je suis réconciliée avec l’université et persuadée que c’est un espace de création de soi dans

ces conditions-là. Aujourd’hui encore, j’utilise la méthodologie de recherche dans mes actions

et je souhaite pouvoir aller plus loin encore. Mais à quelles conditions ?

Noël Denoyel183

: « Réciprocité interlocutive et accompagnement dialogique » Mots clés : dialogue, réciprocité, mutualité, complémentarité, réflexivité

La fonction d’accompagnement peut articuler paradoxalement une disparité de place, de

position, de génération à une parité de relation (Pineau, 1998, p.15). Cette relation

asymétrique est en quête de réciprocité pour ne pas dénier chez l’autre « la capacité de

183

Responsable du Département Sciences de l’éducation, Université de Tours

Page 356: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 356

s’occuper de soi184» explicite Nathalie Zaccaï-Reyners au sujet de la relation de soin (2006,

p.105). « La mise à nu qui accompagne la dépendance, l’accès à l’intimité sans réciprocité,

l’intrusion dans la sphère propre, autant d’incursions qui peuvent être objectivement

nécessaires mais dont le caractère violent peut être largement atténué si des capacités sont

attribuées de part et d’autre » (ibid. p. 105). Quand Gaston Pineau propose

« l’accompagnement comme art de mouvements solidaires » (1998), une mutualité semble

englober la réciprocité de la situation interlocutive de l’accompagnement ; l’idée de mutualité

indiquant : « un système de solidarité à base d’entraide mutuelle ». Cet article tente donc de

différencier les notions de réciprocité, de complémentarité et de mutualité à l’œuvre dans la

fonction d’accompagnement. Il faut ainsi que l’accompagnateur identifie la complémentarité

des places d’acteur jouées par les différents partenaires, ensuite qu’il assume la réciprocité

réflexive inhérente à la situation interlocutive de l’accompagnement et enfin qu’il clarifie sa

perception d’une mutualité coopérative. La distinction de ces trois niveaux fait de lui un

professionnel de la relation d’accompagnement tout en étant un agent du co-

accompagnement prenant en compte les capacités d’autonomisation de l’accompagné.

Pour travailler ces trois niveaux de la fonction d’accompagnement, je propose de les croiser à

trois processus identifiés dans un accompagnement dialogique en formation

d’accompagnateurs. Pour ce faire, je m’appuie sur sept années d’expérience de la

responsabilité d’une formation d‘accompagnateurs dans le cadre d’un master

professionnel185 : « fonctions d’accompagnement en formation ». L’originalité de cette

formation de deux processus de production de savoirs :

• Un processus d’actorialité (« être acteur de sa formation : démarche du portfolio ») privilégiant l’autoréflexivité avec la réalisation d’un portefeuille de compétences186 en articulation d’unités d’enseignement sur l’entretien d’explicitation de l’expérience, l’analyse des pratiques et la méthodologie des histoires de vie.

• Un processus d’intentionnalité (« autorialité ») avec la réalisation d’un mémoire articulant et intégrant par des séminaires une réflexivité sur les enseignements (« devenir auteur de sa formation : accompagnement, méthodologie et épistémologie de la recherche-action-formation »).

Transversalement à tous les enseignements, l’accompagnement d’un troisième processus, lui,

de réflexivité (auto et co-réflexivité), essaie de rompre avec le paradigme des sciences

appliquées en formant des praticiens réflexifs. Nous avons formalisé cet accompagnement

dialogique en formation avec l’idée d’une « alternance structurée comme un dialogue »

(Denoyel, 2005) et pensée comme un temps plein de formation.

184

Jean-Pierre Boutinet dans cet ouvrage au sujet de la vie de l’adulte pointe pertinemment que l’engouement pour l’accompagnement « semble être le symptôme très actuel d’une vulnérabilité existentielle, que cet adulte d’ailleurs soit accompagnateur ou accompagné. 185

Existant depuis 2005 le Master « sciences de l’Homme et de la Société » mention « ingénierie de la formation », spécialité « fonctions d’accompagnement en formation », succède à neuf promotions du DESS « fonctions d’accompagnement en formation. Reconnaissance des acquis, gestion des carrières et orientation ». 186

Josette Layec propose une réflexion sur l’auto-orientation tout au long de la vie : le portfolio réflexif (2006).

Page 357: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 357

1. l’accompagnement dialogique en formation et sa triple mise en action

L’accompagnement dialogique187, en formation par alternance, articule un travail d’actorialité,

de réflexivité et d’intentionnalité. Pour travailler ces trois processus, nous avons différencié

trois formes de raisons : la raison sensible, la raison expérientielle et la raison formelle (1999,

2000) qui sont cependant naturellement enchevêtrées. Une pédagogie du dialogue (2003)

peut contribuer à cette articulation formatrice en accompagnant ce que nous nommons une

triple mise en action.

ActActActActorialitéorialitéorialitéorialité réflexivitéréflexivitéréflexivitéréflexivité intentionnalitéintentionnalitéintentionnalitéintentionnalité

(« autorialité »)

mise en scène/mise en acte mise en dialogue mise en perspective

articulationarticulationarticulationarticulation :::: articulationarticulationarticulationarticulation : : : : articulationarticulationarticulationarticulation ::::

travail réel/travail prescrit individuel (mise en intrigue)/ contenu de la formation/ collectif (mise en commun) savoirs produits-savoir agis

Raison sensibleRaison sensibleRaison sensibleRaison sensible Raison expérientielleRaison expérientielleRaison expérientielleRaison expérientielle Raison formelleRaison formelleRaison formelleRaison formelle

stratégies des sens stratégie du sens stratégies de la signification

figure 1 : la triple mise en action de l’accompagnement dialogique en formation.

Pour donner du sens à cette triple mise en action, nous proposons de présenter chacun des

trois processus, suivi d’un commentaire repris d’un bilan autoformatif du master « fonctions

d’accompagnement en formation » réalisé par une personne en formation continue (Karine

M., juin 2006).

Traitons tout d’abord de l’actorialité : l’expérience socioprofessionnelle vécue est une mise en

scène du corps au travail qui articule travail réel et travail prescrit (primat de la raison

sensible/stratégie des sens). L’exercice du métier s’inscrit dans un contrat188 et répond à des

prescriptions, mais le réel déborde ces cadres formels, la contingence des situations permet

l’expression d’une actorialité singulière de l’accompagnateur, d’une professionnalité, d’un

style propre à chacun.

- En terme « d’actorialité » (être acteur de sa formation/portfolio) : « Le portfolio m’a permis de me connecter avec mes ressources personnelles passées et présentes, de relier mes différentes expériences et ainsi de me sentir davantage prête à trouver ma place, à prendre ma place ».

Ensuite, la réflexivité : l’expérience accompagnée en formation par alternance articule mise en

intrigue (dimension personnelle) et mise en commun (dimension collective) ; c’est une mise

en dialogue configurant l’expérience vécue qui devient vitale dans la confrontation à la

communauté (primat de la raison expérientielle/stratégie du sens). Le point nodal d’une

187

L’ouvrage d’Alexandre Lhôtelier, Tenir conseil. Délibérer pour agir (2000) est une invitation à l’accompagnement dialogique. 188

Paul Fustier a très clairement différencié et articulé « contrat et don » dans le lien d’accompagnement (2000).

Page 358: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 358

formation par alternance qui se veut intégrative, c’est la « mise en commun » réflexive des

« butins actoriels cueillis par chacun en situation professionnelle autant qu’un travail de mise

en commun intégrative des enseignements par une synthèse individuelle et collective des

contenus de formation.

- en terme de « réflexivité » sur le métier (autour des quatre dimensions : socio-juridique, professionnelle, cognitive et anthropo-formative) ;

- « j’ai acquis des outils et « techniques » (portfolio, entretien, supports d’histoires de vie, blason), mais surtout, au croisement de mes ressentis et de leur conceptualisation, j’ai pu conscientiser ma posture d’accompagnatrice, mon éthique et les paradigmes dans lesquels je me situe de manière privilégiée, l’approche bio-cognitive, dans ses dimensions développementales et constructivistes. J’ai pu enrichir ces paradigmes avec les dimensions systémiques et cognitives qui me sont moins familières mais enrichissent ma palette d’intervention en fonction des personnes accompagnées. »

Enfin l’intentionnalité («autorialité ») : l’expérience singularisée est ainsi mise en perspective

car elle confronte les savoirs académiques aux savoirs produits et savoirs agis (primat de la

raison formelle/stratégie de la signification). La possibilité de relecture de l’expérience

(Ricœur, 1991) rend visible un art de faire, une conduite, configurant une intentionnalité, une

conduite « délibérée ou auto-contrôlée » selon les mots de Peirce (Chauviré, 2003). Cette

intentionnalité repérée agissant sur du long terme, reconnaît une singularité chez un acteur

auteur producteur de sa vie (Pineau, 1983). Lorsqu’une personne en formation signe et

soutient un mémoire portant sur une pratique d’accompagnement qu’elle exerce, dans

laquelle un problème professionnel se transforme en problématique189 de recherche, cela

aboutit à des préconisations professionnelles. Cette personne s’assume en tant qu’auteur ce

qui fait « référence à l’œuvre (ergon) de l’homme en tant qu’homme (Ricœur, 2004, p 145).

Les formations dites « par production de savoirs » (Charrier, Lerbet, 1993) résonnent en fait

avec la nécessaire pédagogie du chef-d’œuvre que les compagnons ont instituée pour

travailler la maîtrise d’un métier.

En terme « d’autorialité » (devenir auteur de sa formation/mémoire) :

« Mon travail de recherche, encore inachevé, m’aide à formaliser mes intuitions, à partir de

mon vécu et me fait avancer sur mon chemin existentiel, en dépassant des a priori et des

croyances en élargissant mon champ de vision. Je suis surprise de réaliser que les théories aussi

peuvent m’aider à vivre. »

2. La réciprocité réflexive de l’accompagnement

Cette formation à la fonction d’accompagnement suppose un important travail de co-

formation par des pratiques variées d’accompagnement et de compagnonnage. Une mise en

189

Jean-Marc Ferry, dans son travail sur « Les grammaires de l’intelligence » (2004), au sujet de ce qu’il nomme « grammaire

4 » explique que le « proprement humain du langage (…) ne consiste pas dans la proposition langagière, mais dans la

problématisation discursive » (ibid., p 139).

Page 359: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 359

dialogue de l’expérience de chacun dans cette formation met en évidence l’indissociabilité du

processus d’apprentissage et de la situation interlocutive. Si l’on reprend l’un des archétypes

de l’accompagnement avec l’accompagnement tutoral à l’œuvre dans la formation des

artisans, il est facile d’expliciter qu’il existe une réciprocité formatrice dans

l’accompagnement. Car le dialogue tutoral qui s’instaure entre le maître et l’apprenti permet

à l’artisan de désincorporer ses propres savoir-faire et ses acquis expérientiels, en les

verbalisant et en accompagnant l’apprenti dans la maîtrise des gestes du métier. Un

mouvement de décentration et de dédoublement s’opère chez l’artisan pour répondre aux

interrogations de l’apprenti. Vygotski a nommé « zone proximale de développement190 »

l’espace d’apprentissage situé entre que l’on réalise en autonomie et ce que l’on réalise en

étant accompagné.

o Action en autonomie o Zone proximale de développement o Action accompagnée

La zone proximale de développement de Vygotski

On pourrait dire que l’artisan qui forme des apprentis, en se mettant en situation

d’accompagnement, rouvre la brèche de cette zone proximale de développement également

pour lui-même, à un degré qui le situe dans ce que la clinique du travail appelle

« autoconfrontation » (Clot, 1999). Vygotski précise : « Je me connais seulement dans la

mesure où je suis moi-même un autre pour moi ». Une capacité d’autoréflexivité est ainsi

stimulée chez l’accompagnateur.

En référence aux premières pratiques explicites d’alternance (celles des Maisons familiales

rurales), j’ai mis en évidence la réciprocité formatrice à l’œuvre dans ces situations

d’accompagnement tutoral (Denoyel, 2000b). Dans des travaux antérieurs sur la culture

artisane (1990), et en m’appuyant sur des histoires de vie d’artisans, j’ai travaillé l’antique

Métis des Grecs, intelligence pratique et rusée, art de faire, qu’un artisan nomme « le biais du

gars ». Ce régionalisme « biais » traduit très précisément la connaissance oblique191 des

habiles, la forme d’intelligence si fondamentale que Détienne et Vernant (1974) ont su mettre

en lumière.

190

Dans le même axe que les travaux de Vygotski, Jérôme S. Bruner étudie le rôle de l’interaction de tutelle dans le développement de l’enfant. Il explique que « c’est précisément le double aspect du langage, en tant qu’instrument à la fois de pensée et de communication qui rend possible les processus d’apprentissage assisté entre enfants ou entre enfants et adultes » (1993, p 287). A ce sujet, il cite la définition que donne Vygotski de la zone proximale de développement : « c’est la distance entre le niveau de développement actuel tel qu’on peut le déterminer à travers la façon dont l’enfant résout des problèmes seul et le niveau de développement potentiel tel qu’on peut le déterminer à travers la façon dont un enfant résout les problèmes lorsqu’il est assisté par l’adulte ou collabore avec d’autres enfants plus avancés » (Vygotski, Mind in Society : the Developpement of Higher Psychological Processes, Cambridge, Harvard University Press, 1978, cité par Jérôme S. Bruner, 1993, p 287). 191

Dans son étude de la pensée chinoise au sujet des stratégies « d’obliquité », François Jullien (1995, p 38) explique : « c’est

toujours par rapport de biais que nous l’emportons : « même quand je choisis d’attaquer de front, pour (sur) prendre de biais

le biais de mon adversaire ».

Page 360: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 360

Le dialogue tutoral initie une capacité de délibération – Boulesis (Aristote, 1992) – et

d’interrogation qui enrichit l’intelligence pratique (Métis) en la transformant en sagesse

pratique (Phronésis192). Cette sagesse pratique est selon Ricœur « ce discernement, ce coup

d’œil en situation d’incertitude, braqué sur l’action qui convient » (2004, p 147). Cette

intelligence du contexte et de l’interaction, développée par chacun, se trouve renforcée à

deux. Ainsi, Diomède explique : « quand deux hommes marchent ensemble, si ce n’est l’un

c’est l’autre, à la place, qui voit l’avantage (Kerdos) à saisir. Seul, on peut voir aussi, mais la

vue est plus courte et la Métis plus légère » (Détienne et Vernant, 1974).

La réciprocité de la situation interlocutive d’accompagnement est réflexive pour les deux

interlocuteurs ; ainsi tel Socrate, l’artisan, par ruse, sans enseigner, accompagne la formation

de l’apprenti tout en se formant lui-même. L’apprenti se forme dans cette « interaction de

tutelle » (Bruner), cette zone proximale de développement et parallèlement, l’artisan se forme

par auto-réflexivité. Cette réciprocité réflexive accompagné/accompagnant est génératrice de

parité dans la relation.

3. Dialogue d’accompagnement et fondement dialogique de la pensée

Nous venons de voir que la zone proximale de développement génère du dialogue

d’accompagnement. Vygotski, en faisant des ponts entre la pensée et le langage (1985), nous

semble dans le même paradigme que Peirce qui a théorisé la « pensée-signe » (Tiercelin,

1993). Cette zone proximale de développement est fondamentalement dialogique, or Peirce

propose la thèse d’un fondement dialogique de la pensée. Il semble difficile d’être dans une

démarche de production de savoirs sans un accompagnement ou sans compagnonnage, donc

sans dialogue. Peirce explique que « toute activité de pensée est dialogique. Votre moi d’un

instant fait appel à votre moi profond pour son assentiment » (cité par Jacques, 1985).

Travaillant sur le dialogisme, Francis Jacques précise : « A Peirce, on doit l’idée proprement

géniale que l’opération symbolique de la pensée est dialogique en son fonds dans sa légalité

profonde. Jusque dans le monologue intérieur, je suppose une objection ou une réponse en

imitant la voix et les habitudes conceptuelles d’un interlocuteur que ma fantaisie lui prête. »

(1985). Le dialogue stimule les pensées réciproques donc la réflexion interne (autoréflexivité)

qui est elle-même dialogique. Un système pédagogique structuré comme un dialogue, telle la

formation par alternance, est particulièrement pertinent car l’accompagnement étant

dialogique, il est en résonance avec notre propre mode de pensée si l’on suit Peirce.

192

Pierre Aubenque (1963, p 51), dans son étude relative à « La prudence chez Aristote », précise « qu’il n’y a pas de prudence

sans prudent », comme on pourrait dire qu’il n’y a pas de « biais » sans « gars ». Dans le cadre de cet article, nous ne

développons pas le lien entre l’intelligence pratique (métis) et la sagesse pratique (phronésis). Cette notion de « phronésis »

ou « prudence » chez Aristote, qui est une reprise éthique de la métis des anciens Héros, nous semble très proche du

régionalisme « biais ». Pierre Aubenque explique que : « la prudence est ce savoir singulier, plus riche de disponibilité que de

contenu, plus enrichissant pour le sujet que riche d’objets clairement définissables, et, dont l’acquisition suppose non

seulement des qualités naturelles, mais ces vertus morales qu’il aura en retour de guider » (1963, p 60).

Nous proposons le tableau récapitulatif de Jacques qui, en différenciant mutualité et réciprocité, permet d’éviter de les

confondre.

Page 361: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 361

4. L’indispensable mutualité coopérative de la fonction d’accompagnement

Nous venons de croiser les notions de réciprocité et de réflexivité, nous proposons

maintenant de nous intéresser à la mutualité en différenciant réciprocité, complémentarité et

mutualité.

La réciprocité qui qualifie la réversibilité d’une action, s’exerçant de l’un à l’autre, allant de

l’un à l’autre, n’a jamais suffi, explique Jacques, à définir une relation humaine. « Par elle-

même, la réciprocité n’explique pas que les partenaires assument des rôles complémentaires. Il

lui faut se doubler d’une relation d’association » (1979, p 386). Il faut une certaine mutualité

grâce à laquelle les interlocuteurs peuvent jouer un rôle réciproque de partenaires qui leur

permet de pouvoir utiliser le « nous ». Au sujet de la réciprocité interlocutive, Francis Jacques

explique qu’« il s’agit d’une activité langagière conjointe et non pas d’une activité commune

(…) on ne peut confondre le nous de réciprocité et le nous collégial »

Relation

Termes

Effet spécifique

Réciprocité

(interlocuteurs)

Locuteur/auditeur

Interaction verbale

Complémentarité

(partenaires)

Proposant/opposant

Communication

Mutualité

(personnes)

Je/Tu

Communauté

(nous)

Tableau 1 : Différenciation de la mutualité et de la réciprocité selon Francis Jacques (1979,

p.386)

Nous avons pointé le croisement dans la relation d’accompagnement de la disparité des

places et de la parité de la relation. Il s’agit d’aller de la dissymétrie des places à la mutualité

coopérative. L’antidote à la toute-puissance de l’asymétrie des places semble être dans la

mutualité par la reconnaissance mutuelle, comme le précise Antoine Garapon : « le deuil de la

toute-puissance, c’est l’aveu de son incomplétude, la nécessité de la part d’altérité pour être

Page 362: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 362

soi193 » (2006, p 239). Car, sans mutualité, la réciprocité dans les échanges peut devenir un

simple marché. « Ce qui est en jeu, c’est le sens du « entre » […] qui nous conduit à distinguer

la mutualité au plan des relations « entre » protagonistes de l’échange de la réciprocité conçue

comme une forme transcendantale de circulation de biens ou de valeurs dont les acteurs

singuliers ne seraient que des vecteurs » (Ricœur, 2004, p 400). Il faut donc une réciprocité

réflexive porteuse de parité qui s’inscrive dans une mutualité coopérative identifiant la

complémentarité des partenaires et leur caractère irremplaçable. « L’un n’est pas l’autre »

rappelle Ricoeur « on échange des dons mais non des places » (2004, p 401) ; la réciprocité

interlocutive conjointe et pour une parité dans la relation, nous parlons de co-actorialité, de

co-réflexivité et de co-intentionnalité.

Parité dans la relation

(processus) disparité des places (niveaux)

Co-actoriatlité

Co-réflexivité

Co-intentionalité co-

autorialité/coopération

complémentarité (niveau du partenariat)

chacun sa place d’acteur

complémentarité actorielle identifiée

réciprocité (niveau de l’interlocution)

chacun sa « zone proximale de

développement » réciprocité réfle-

xive assumée

mutualité (niveau du collectif)

chacun ses objets d’auteurs

chacun son œuvre mutualité coopérative

clarifiée

Tableau 2 : ingénierie des différents niveaux et processus à l’œuvre dans la fonction

d’accompagnement

Que ce soit au niveau de la relation accompagné/accompagnateur ou au niveau d’un

ensemble ou d’un réseau de co-accompagnement, quand à la complémentarité partenariale

est identifiée, la réciprocité réflexive assumée conjointement et les mutualités coopératives

193

La part d’autrui dans la formation de soi est travaillée par Jérôme Eneau (2005) dans la lignée des travaux de Nédoncelle

(La réciprocité des consciences, Paris, Aubier, 1942) et de Jean-Marie Labelle (La réciprocité éducative, Paris, PUF, 1996).

Quant à Frédérique Lerbet-Séréni, son apport pointe plus précisément « la part d’autonomie » dans la réciprocité de la

relation duale (La relation duale. Complexité, autonomie et développement, Paris, L’Harmattan, 1994).

Page 363: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 363

(co-intentionnelles) clarifiée… les portes de la reconnaissance mutuelle formatrice de

l’accompagnement sont ouvertes entre parité et asymétrie dans la relation.

Pour contribuer à penser la dynamique interactive de l’accompagnement et différencier

réciprocité et mutualité, le travail de cet article a consisté à organiser le croisement de trois

niveaux dans la fonction d’accompagnement (partenariat, interlocution, collectif) avec trois

processus identifiés (actorialité, réflexivité, « autorialité ») dans l’accompagnement dialogique

en formation d’accompagnateurs.

AAtteelliieerr CC 22.. 33 :: CCoonnssttrruuccttiioonn ddee ssaavvooiirrss éémmeerrggeennttss,, aanniimméé ppaarr AAnnddrréé GGiioorrddaann eett RRaacchhiidd OOuuffffaadd

Après avoir fait connaissance avec la notion de savoirs émergents, le groupe s’est divisé en

sous-groupes de cinq personnes. André Giordan et Rachid Ouffad ont proposé de nous

interroger sur nos pratiques quotidiennes dans nos réseaux, nos collectifs, nos familles, nos

associations, nos syndicats et de répondre à la question : « quels optimums pour faciliter nos

échanges ? ».

Durant quinze minutes, chaque groupe a réfléchi sur les difficultés rencontrées dans les

collectifs respectifs ; cela a créé une dynamique d’émergence au sein du grand groupe.

Au bout de ce temps, les sous-groupes n’ont pas trouvé de solution clé, mais ont mis en

évidence que le seul moteur était la régulation.

Nous nous sommes à nouveau rencontrés pour nous centrer sur nos difficultés à échanger

dans un collectif et sur le comment réagir.

Il en ressort, en grand groupe, les éléments suivants :

- Que nous ayons la même compréhension au niveau du langage ; - Comment rester à l’écoute sans être dans sa propre bulle ; - Comment les échanges entre réseaux sont porteurs de créativité ;

Exemple : en réunion de réseaux, instituer le rôle de Candide, le bâton de parole, les

20 à 30 secondes de silence avant reformulation… ;

- Comment formuler les questions ? - Enfin, comment diffuser le savoir qui vient de naître ?

Dans notre société où nos institutions n’ont plus de « solution » à proposer, nous devons

repenser la démocratie et redynamiser les Assises de citoyens.

L’incertitude est positive et moteur de créativité et nous apprend à douter en confiance et à

utiliser la tension qui anime les opposés pour réguler, ajuster et conjuguer nos échanges cde

savoirs.

Page 364: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 364

Compte-rendu fait par Marie-Claire Vasseur (RERS Murat), Véronique Rogerie (RERS

d’Aubagne) et Jacky Boehm (RERS de Meaux).

AAtteelliieerr CC 22.. 44 :: GGrrââccee àà llaa rréécciipprroocciittéé,, qquu’’eesstt--ccee qquu’’oonn aapppprreenndd ??

Amadou Demba Diallo194 : « Comment, en formant d’autres collègues enseignants aux techniques d’animation des RERS, j’ai découvert mes compétences de formateur ! »

Mon flirt avec la formation débute en 1989, alors que j’étais élève en classe de 1ère au lycée

Blaise Diagne de Dakar. J’étais régulièrement sollicité par certains camarades de classe pour

des explications supplémentaires dans des disciplines que j’affectionnais particulièrement

comme la philo, l’histoire et la géographie.

En classe de terminale, c’est presque toute la classe qui se retrouvait les mercredis et samedis

après-midi pour réviser ensemble la philo, l’anglais et le français. Cette auto-formation par les

pairs était fort appréciée par certains camarades qui m’avouaient in petto qu’ils comprenaient

mieux la philo avec le travail en groupe.

C’est donc tout naturellement que j’ai déposé mes balluchons à l’école normale supérieure

après mon cursus académique. Avec mon certificat d’aptitude à l’enseignement dans les

collèges d’enseignement moyen (CAE-CEM), je signais un long bail avec la formation des

adolescents.

Aussi, depuis plus d’une quinzaine d’années, je participe modestement à la formation de

jeunes compatriotes sénégalais. C’est une tâche dont je m’acquitte avec un dévouement

enthousiaste et beaucoup de générosité parce que j’y trouve mon compte en terme de

satisfaction morale.

Parallèlement à mon métier d’enseignant, depuis quelques années, je participe également à la

formation des jeunes collègues vacataires recrutés et affectés dans les lycées et collègues sans

aucune formation pédagogique de base. Depuis 2005, au sein de la cellule pédagogique du

CEM Yeumbeul 2 dont je suis le coordonnateur, j’organise régulièrement des séances

d’animation pédagogique sur la « préparation de la fiche pédagogique », « la préparation du

cours », « la gestion de la discipline de groupe », « l’évaluation formative et certificative ». Je

me souviens encore du soulagement des jeunes collègues Moussa Ba et Abdoulaye Sow qui ne

cessent de me remercier tout en s’interrogeant sur ce qu’ils seraient devenus en l’absence

d’une cellule pédagogique dynamique !

194

Professeur d’Histoire Géographie à Yeumbeul-Dakar. Relais MRERS du Sénégal.

Page 365: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 365

En 2000, je participais à un stage de formation organisé par le MRERS sur financement du

PPDU (programme prioritaire de développement urbain), l’expérience était fort enrichissante

en ce sens que la démarche des RERS était novatrice même si, au demeurant, elle prolongeait

l’action éducative.

En 2002, en marge de l’Inter-Réseaux Afrique, nous avons co/animé avec Nicolle Borroco, un

atelier sur « comprendre le projet réseau », j’y ai acquis une expérience que j’ai capitalisé avec

celle vécue à Evry auprès de Claire et Marc Héber-Suffrin, Diama Kébé, Yvette Moulin, Pascal

Chatagnon et les autres membres du MRERS Après l’Inter Réseaux, je fus invité par une ASC

de Rufisque pour un briefing sur le projet RERS.

Par la suite, beaucoup de collègues me saisissaient pour me faire part de leur désir de

participer aux stages de formation organisés par le MRERS, mais vu que le PPDU, qui avait

permis à des africains dont moi-même de bénéficier de cette formation, était terminé, il ne

me restait qu’à être imaginatif pour répondre à l’attente de ces collègues. C’est ainsi que je

pris mon courage à deux mains pour préparer un atelier en bonne et due forme avec des

outils théoriques sélectionnés. Grâce à l’appui financier d’amis français de l’inter réseaux

Afrique le financement nécessaire me fut envoyé.

Avant l’atelier, j’étais profondément angoissé, troublé, inquiet et mon esprit était taraudé par

des questionnements multiples : « est-ce que mes outils théoriques sont pertinents ? », « Est-

ce que j’aurais suffisamment de cran pour capter l’attention de mes dix-sept collègues

enseignants pendant ces deux jours ? », « serais-je à la hauteur de l’attente de mes

collègues ? ». J’avais, certes, une petite expérience de formateur, mais, de là à regrouper dix-

sept collègues enseignants pour un atelier formel de formation en techniques d’animation de

RERS… c’était un trop gros morceau pour moi. J’ai eu des insomnies pendant une semaine

avant l’atelier. Toutes les nuits, je n’arrêtai pas de penser au déroulement de l’atelier, de

prévoir des questions possibles des participants et d’anticiper les réponses que j’apporterais.

Mais quand vint le jour « J », passés les moments d’accueil et de présentation, je perdis

soudainement le trac et j’étais fier et je me sentais pousser des ailes parce que le défi de

l’organisation était relevé. L’atelier fut, pour le groupe, un intense moment de réflexion sur

plusieurs thématiques en lien avec la philosophie des RERS et particulièrement sur la

problématique de la réciprocité. Cet aréopage d’enseignants a aussi profité de l’atelier pour

discuter sur des questions pédagogiques. A la fin des travaux, en entendant les témoignages

de satisfaction des participants et en lisant les rapports de stages, j’étais soulagé parce que je

venais de découvrir mes compétences de formateur en techniques d’animation des RERS.

Toute mon ambition est de pouvoir formaliser cette compétence par la préparation du

Diplôme des Hautes Etudes des Pratiques Sociales (DUHEPS) en France, ce faisant, je pourrais

être un relais efficace du MERS, capable d’organiser des ateliers de formation au Sénégal et

pourquoi pas en Afrique ? C’est à la concrétisation de ce rêve que j’invite le MRERS ou toute

autre personne ou institution participante à ces rencontres internationales.

Page 366: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 366

Jérôme Eneau195

: « Les apports de la réciprocité au développement de l’autonomie de l’apprenant » Introduction

Lorsque l’on s’intéresse aux travaux sur l’autonomie, en éducation et en formation, on

s’aperçoit rapidement que la notion est aussi ambiguë que difficile à définir. Eminemment

autoréférentielle, selon l’expression de Gaston Pineau, l’autonomie renvoie, par son

étymologie même, à la capacité de « définir par soi-même ses propres lois ». Cependant,

l’autonomie ne se réduit pas non plus à l’autarcie ; être autonome ne consiste pas à pouvoir

se passer des autres. Sur le plan éducatif, Legendre (1993) la définit d’ailleurs de la manière

suivante :

« l’autonomie est une forme d’équilibre volontaire entre l’acceptation d’une certaine

dépendance à l’égard de l’autorité de la famille, du milieu environnant, de la société ou des

pairs, d’une part, et la prise d’indépendance par rapport à ceux-ci, d’autre part » (Legendre,

1993, p. 120).

En d’autres termes, et pour ce qui concerne la formation de l’adulte, l’autonomie se

rapproche plus d’une forme d’interdépendance, au moins temporaire, vis-à-vis d’autrui, que

d’une complète indépendance. L’autonomie suppose alors d’être dépendant sur certains

aspects de sa formation, pour pouvoir mieux prendre son indépendance relative, sur le plan

de son propre développement, de sa propre maturité d’être adulte. Comment, dès lors,

concilier ces deux aspects paradoxaux ? Viser l’autonomie de l’autre, dans une relation

éducative, supposerait d’accepter une certaine relation de dépendance, au moins temporaire,

au moins sur certains aspects. Mais de quelle autonomie parle-t-on dans ce cas ? D’une

autonomie pour « apprendre », pour « se former », pour se « construire » ou pour se

« développer » ?

Pour l’éducation des adultes, la quête et la nature de cette autonomie représentent des

questions fondamentales et ce, depuis de nombreuses années. En effet, si l’on peut remonter

au moins à Kant et au Siècle des Lumières pour se référer à cette finalité de l’éducation (celle-

ci ayant pour but la formation d’une personne « adulte », c'est-à-dire d’un être « autonome,

responsable et citoyen », pour reprendre Labelle), l’autonomie est alors vue comme un idéal à

atteindre, toujours devant soi, jamais totalement acquis. C’est dans ce sens que certains

chercheurs en éducation des adultes, en France, comme Gaston Pineau ou Jean-Marie Labelle

par exemple, ont développé depuis plus d’une trentaine d’années des travaux autour de la

formation et de l’autoformation, visant à promouvoir le développement et la construction de

cette autonomie. Pourtant, ces mêmes auteurs soulignent aussi que l’on apprend, en

particulier à l’âge adulte, surtout « avec et par autrui », au gré des rencontres et des étapes de

la vie qui nous permettent de nous construire nous-mêmes, dans des rapports incessants

195

Université Rennes 2.

Page 367: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 367

d’attachement et de détachement, de dépendance et d’émancipation. Ainsi, comme le

résume si bien Philippe Carré, « si l’on apprend toujours seul, ce n’est jamais sans les autres ».

Quelle est alors cette « part de l’autre », dans notre propre formation ? Pourquoi cette

rencontre, cette dépendance (même temporaire) destinée à mieux nous affranchir, ce lien

indéfectible à autrui, seraient-ils nécessaires à notre formation, à notre éducation, au

développement de notre autonomie ?

Peu de travaux, dans le champ de la formation des adultes, se sont intéressés à cette question

cruciale, en dehors des travaux sur la réciprocité, auxquels nous allons revenir un peu plus

tard. A l’inverse, la notion d’autonomie a fait quant à elle l’objet de nombreuses recherches et

reste, depuis près de quatre décennies, au centre des travaux portant sur l’autoformation,

l’autodidaxie et l’apprentissage autodirigé, au point d’avoir forgé à travers ce préfixe

« d’auto », une quasi tautologie pour la formation des adultes. Selon de nombreux

chercheurs, en effet, la quête de cet « auto » revient à parler de la construction de soi ; la

formation est, dans sa finalité même, une « formation de soi » ; ainsi, à l’image de la Bildung

allemande et du « Deviens ce que tu es », la formation et la vie sont alors confondues.

Mais dans la plupart de ces travaux sur l’autoformation et l’apprentissage autodirigé, une

ambiguïté fondamentale subsiste cependant entre une autonomie qui pourrait s’apprendre,

être développée dans l’apprentissage, et une autonomie plus fondamentale, liée au statut

même « d’adultéité », comme la nomme Boutinet.

1. Formation, Autoformation et Autonomie

Ces distinctions se retrouvent à travers deux approches et deux traditions de recherches, qui

se sont intéressées à l’autonomie dans la formation des adultes, depuis les années 70-80, des

deux côtés de l’Atlantique. Ayant largement développé ces comparaisons et ces distinctions

par ailleurs (Eneau, 2005 ; Tremblay et Eneau, 2006 ; Eneau, 2008), nous ne reviendrons pas

en détail, ici, sur ces traditions, mais nous rappellerons brièvement, pour le lecteur, ce qui à la

fois caractérise et sépare ces deux approches.

Ancrée dans une histoire de la formation des adultes liée à l’autogestion et à l’éducation de la

personne dans le sens plein du terme, la tradition française a longtemps privilégié une vision

épistémologique et quasi téléologique de « l’autonomie de l’apprenant », envisageant cette

autonomie comme un idéal à poursuivre, une finalité (dans le sens de la philosophie morale)

de l’éducation des adultes. Au contraire, bien que partageant les mêmes racines et

présupposés humanistes, la formation des adultes, du côté nord-américain, a mis

principalement l’accent sur « l’apprentissage autonome », et non sur « l’apprenant

autonome » (Tremblay, 2003).

Page 368: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 368

Ainsi, malgré l’ancienneté des travaux, en Europe comme en Amérique du Nord196,

l’autonomie reste une notion aussi ambiguë que mal définie et au cours de toutes ces années,

la notion a été l’objet de nombreux débats et de différences d’approches persistantes, au

regard des traditions de recherche européennes et nord-américaines. Si l’ambiguïté et les

paradoxes sont récurrents, c’est tout d’abord parce que s’il s’agit, pour l’individu autonome,

de construire lui-même ses propres lois (auto-nomos) selon l’étymologie du terme, l’adulte est

toujours confronté, en situation d’apprentissage, aux problèmes des normes extérieures, que

celles-ci soient environnementales, institutionnelles ou du fait d’autrui. Comme l’a montré

Adèle Chené dans un article désormais célèbre, l’autonomie est donc inévitablement la source

de paradoxes du fait même qu’elle ne saurait se réduire à l’autarcie, d’une part, mais que

d’autre part, « être autonome » ne saurait se réduire non plus au seul fait de savoir

« apprendre de manière autonome » (Chené, 1983). L’autonomie, dans son sens le plus large,

ne peut que rester dans une dialectique entre liberté individuelle et contraintes externes,

dans un état intermédiaire ou un « entre-deux » (dans le sens aristotélicien), dépendant des

autres, de la situation et du contexte : en tout état de cause, l’individu, comme

l’apprentissage, ne pourront jamais être qualifiés que de très « relativement autonomes ».

A partir des années 70-80, les travaux nord-américains vont toutefois s’orienter

principalement vers des recherches plus spécifiquement destinées à comprendre le

phénomène des apprentissages autonomes. Les recherches portant sur « l’apprentissage

autodirigé » (self directed learning, en langue anglaise), vont connaître ainsi une expansion

continue tout au long des années 80-90. Parmi ces travaux, de nombreuses publications ont

concerné la « mesure de l’autonomie » de l’apprenant (courant psychométrique de

l’autoformation), d’autres se sont intéressés plutôt à la manière dont les dispositifs de

formation pouvaient prendre en compte cette autonomie pour mieux adapter les dispositifs

aux particularités individuelles (courant de l’individualisation), d’autres encore se sont

penchés sur des publics spécifiques, comme les adultes se formant en milieu de travail

(courant managérial), etc.

La grande majorité de ces chercheurs nord-américains, toutefois (dont Long, Hiemstra,

Guglielmino, etc.), s’accordait à ne prendre en considération que le processus d’apprentissage

autonome (self-directed learning), entendu comme processus où l’apprenant assume la

responsabilité, totale ou partielle, de l’organisation, de la planification, de la réalisation et de

l’évaluation de son apprentissage ou encore, selon la manière dont l’a défini ensuite

Tremblay, comme « une situation éducative » où l’apprenant « assume un contrôle

prépondérant en regard d’une des dimensions (au moins) de son projet (contenu, objectifs,

ressources, démarche, évaluation) » (Tremblay, 2003).

Au Canada comme aux Etats-Unis, ces chercheurs n’abordaient donc que très indirectement,

la plupart du temps, l’autonomie de l’apprenant en tant que finalité du processus. En effet, si

196

Allen Tough, au Canada, dès la fin des années 1960 parlait déjà « d’apprentissage autoplanifié » ; le premier ouvrage de l’américain Malcolm Knowles, portant sur « L’apprentissage autodirigé », est paru en 1975 ; du côté francophone, l’ouvrage de référence de Gaston Pineau, rapprochant « autoformation et autobiographie », date de 1983.

Page 369: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 369

implicitement au moins, certains d’entre eux pouvaient évoquer le fait qu’apprendre à faire

des choix, prendre des initiatives, garder le contrôle et la responsabilité de son apprentissage

pouvait éventuellement permettre de développer une autonomie plus générale de l’adulte

(entendue alors comme une « indépendance relative », acquise dans la vie, plus largement),

l’immense majorité s’arrêtait sur le processus d’apprentissage et n’envisageait pas le

développement de l’autonomie dans la perspective d’une finalité éducative plus vaste,

englobant par exemple la dimension « citoyenne » de l’adulte autonome, considéré comme

responsable de ses décisions devant autrui ou encore de sa participation à la vie de la cité.

Il faudra attendre le tournant des années 80-90, en Amérique du Nord, pour que cette visée

restrictive de l’autonomie soit remise en cause et que plusieurs synthèses de la littérature

viennent souligner à quel point les ambiguïtés et les paradoxes soulevés par Chené, vingt ans

plus tôt, restaient d’actualité et n’avaient, sur le fond, pas été résolus par les recherches.

Parmi ces synthèses, les travaux de Rosemary Caffarella et de Philipp Candy, au début des

années 90, ont marqué des étapes majeures. Pour Caffarella, la multiplicité des recherches

avait déjà laissé poindre la diversité des points de vue : le processus d’apprentissage,

rappelait-elle, n’est pas un processus linéaire, se déroulant par étapes successives et

prévisibles ; au contraire, c’est un processus qui emprunte aux opportunités qu’offrent le

contexte, les situations, les rencontres. D’autre part, Caffarella relevait aussi dans les

différents travaux du domaine que certains chercheurs semblaient voir l’autonomie comme

une caractéristique des adultes (des personnes capables, par définition, de faire des choix,

d’assumer des responsabilités, etc.), alors que d’autres voyaient plutôt l’autonomie comme

une valeur, une finalité ou un idéal à poursuivre.

Mais c’est probablement Candy qui, toujours en langue anglaise, a fourni au début des années

90 la synthèse la plus complète des travaux sur l’autonomie dans la formation des adultes et

en a modélisé les principales dimensions. On retrouve ainsi, chez Candy (1991), la recension

complète des travaux mentionnés plus haut, portant sur les aspects psychométriques de

l’autonomie, les recherches sur l’individualisation, l’apprentissage autoplanifié et autodirigé

ou encore la perspective critique de l’autoformation, reprise aux travaux de Mezirow. Mais

Candy a aussi et surtout développé une approche constructiviste qui montre bien que cette

autonomie, dans l’apprentissage, ne saurait se réduire à de stricts aspects linéaires,

cumulatifs, descriptibles de manière simple comme une succession de tâches, un ensemble de

caractéristiques ou un certain nombre de compétences que posséderaient (ou non) les

apprenants adultes. Au contraire, montrait Candy, l’autonomie est une notion trop complexe

pour être approchée de manière simplificatrice. L’autonomie d’apprentissage et l’autonomie

de l’apprenant, bien qu’intrinsèquement liées, sont distinctes et irréductibles l’une à l’autre,

même si cette autonomie, dans les deux cas, est inévitablement le résultat précaire d’un

Page 370: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 370

processus d’équilibration, fruit des interactions incessantes avec les ressources (et les

contraintes) qu’offrent les autres et l’environnement197.

Candy a proposé ainsi de différencier diverses formes d’autonomie (autonomie situationnelle

ou épistémologique, personnelle, instrumentale, etc.), qui seraient sollicitées de manière

relativement indépendante les unes des autres, en fonction des cas, des situations, des types

d’apprentissage et des individus ; certains individus peuvent en effet s’avérer très autonomes

pour certains aspects de leur vie, de leurs décisions, de leurs responsabilités, etc., et ne pas

l’être du tout, sur le plan affectif ou émotionnel par exemple. De manière schématique, deux

types d’autonomie peuvent être ainsi mobilisés, suivant Candy, lorsqu’on parle d’autonomie

dans l’apprentissage ou d’apprentissage de l’autonomie :

- Tout d’abord une autonomie « situationnelle » et « procédurale », qui consiste à organiser

l’apprentissage de manière relativement indépendante, soit parce que cela correspond à

notre manière de fonctionner, de travailler ou d’apprendre, soit parce que nous en avons

développé les capacités, en apprenant à gérer par nous-mêmes les différentes dimensions

mentionnées plus haut (pour identifier nos besoins, poser des objectifs, mettre en œuvre des

ressources et des moyens, solliciter les personnes adéquates, évaluer ou non par nous-mêmes

les résultats). On parlera alors, ici, « d’apprentissage autonome », et donc d’autonomie

développée dans et pour l’apprentissage.

- Mais une autre forme d’autonomie, que Candy nomme « épistémologique », plus élaborée

et plus complexe, englobe et dépasse cette autonomie procédurale. Elle se révèle dans notre

capacité à élaborer des jugements informés sur le contexte et la situation qui influencent nos

apprentissages et nos actions, dans notre faculté à prendre de la distance et mettre en œuvre

une réflexion critique sur le monde qui nous entoure, dans une certaine forme de « maturité

intellectuelle », plus généralement, qui nous amène à comprendre que nous ne sommes pas

indépendants ou isolés, mais au contraire, que nous sommes interdépendants des autres et

de l’environnement. Cette autonomie s’apprend, se développe elle aussi, mais elle s’élabore

tout long de notre vie et se reflète en particulier, à l’âge adulte, dans la perception que nous

pouvons avoir de notre dépendance mutuelle d’adultes habitant et construisant un monde

commun. Même si Candy n’en parle pas exactement en ces termes, c’est donc une autonomie

qui à la fois nous autorise à penser par nous-mêmes, mais qui, dans le même temps, nous

rend responsable devant autrui. Cette forme d’autonomie est alors directement liée à notre

condition d’êtres sociaux ; c’est parce que nous pouvons être autonomes, en tant qu’adultes,

dans un environnement habité par d’autres êtres autonomes, que nous avons à assumer la

responsabilité de nos actes et décisions (devant nous-mêmes, devant autrui, et en participant

à la construction de ce monde commun).

197

C’est ce que décrivait, à la même époque mais dans un autre registre, toujours emprunt d’une épistémologie « complexe » et « constructiviste », le biologiste Francisco Varela, dans son ouvrage Autonomie et connaissance, pour mettre au jour les principes de base de l’autonomie du vivant.

Page 371: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 371

Au regard de ces travaux, il est donc possible de concevoir l’autonomie comme un processus

d’apprentissage, d’intégration et de développement de connaissances (un processus à la fois

téléologique et téléonomique), inscrit au plus profond de l’humain comme système vivant

(une autonomie biologique, au sens de Varela), mais aussi un processus psychosociologique

qui accompagne le développement de l’individu, tout au long de sa vie (dans la construction

de son psychisme, sur le plan interne, comme de son identité, sur le plan des échanges avec

les autres, en construisant son langage, sa culture), voire un processus de maturation

intellectuelle qui accompagne son développement spirituel198, sa « sagesse », tout au long de

son existence, lui permettant aussi d’apprendre à réfléchir sur le « vivre ensemble ». Ainsi, cet

apprentissage de l’autonomie ne saurait être réduit à l’acquisition de capacités à gérer par soi-

même et pour soi-même des savoirs, des connaissances ou des compétences. L’apprentissage

de l’autonomie suppose, ultimement, d’apprendre à vivre avec les autres pour se construire

soi-même en retour, tout en construisant ensemble le monde commun. En d’autres termes, et

comme le dit si justement Ricœur (1996) à propos de la visée éthique développée dans Soi-

même comme un autre : « se construire pour soi-même une vie bonne, avec et pour autrui,

dans des institutions justes ».

Loin de toute vision restrictive d’indépendance, de liberté totale ou d’autarcie, ces travaux

incitent donc au contraire à comprendre l’autonomie comme un processus se construisant

d’abord et avant tout par les autres. Suivant l’invitation de Ricœur, ne faut-il pas, dès lors,

emprunter ce « chemin le plus court » de soi à soi-même, qui passe par autrui ? C’est à cette

question, aussi essentielle que rarement posée (tout au moins dans les travaux sur la

formation et l’autoformation), que permettent de réfléchir, sinon de répondre de manière

univoque, les travaux qui ont porté sur la « part des autres » dans la formation de l’adulte, en

particulier grâce aux apports originaux offerts par le concept de réciprocité.

2. Echange, coopération et réciprocité

Le rôle d’autrui reste en effet une dimension étonnamment peu abordée dans les travaux sur

la formation et l’autoformation des adultes. Depuis le tournant des années 2000, quelques

rares colloques, ouvrages collectifs ou numéros spéciaux de revues (d’Education Permanente,

en particulier) ont toutefois souligné la variété des « figures de l’accompagnement », dans la

formation, les diverses manières « d’apprendre des autres », à l’âge adulte, ou encore

l’importance « du lien social », dans l’autoformation199.

D’un point de vue historique, il est donc assez surprenant que les chercheurs aient toujours

noté l’importance des ressources externes dans l’apprentissage de l’adulte, y compris pour

l’autoformation (et ce, dès les premiers travaux de Tough à la fin des années 60), sans y

consacrer pour autant de recherches systématiques. De même, aujourd’hui, tous s’entendent

198

Cette dimension, rarement abordée dans la recherche, est toutefois présente dans certains travaux portant sur l’autoformation (et la formation des adultes, plus largement), chez Rosemary Caffarella aux Etats-Unis, mais aussi chez René Barbier, en France. 199

Voir par exemple Alava et al. 2000 ; Héber-Suffrin, Pineau et al. 2000 ; Mayen et al. 2002 ; Paul 2004 ; Boutinet, Denoyel, Pineau, Robin et al. 2007.

Page 372: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 372

à relever la dimension sociale de l’apprentissage, se référant le plus souvent à des modèles

socioconstructivistes pour expliquer les processus de construction de connaissances, mais

paradoxalement, la raison même de ce recours aux autres pour apprendre (besoin ? facilité ?

nécessité ?) n’a guère été explorée de manière approfondie.

Certes, parler de recours à autrui dans l’autoformation peut sembler a priori paradoxal, ou

pour le moins contre-intuitif. Mais si l’autonomie, comme l’a montré Candy, est le fruit d’un

processus d’interdépendance croissante, qui se développe dans et par les échanges avec

l’extérieur (les autres, les opportunités du contexte), et si même les apprenants les plus

autonomes, comme l’a montré Tremblay, développent des compétences spécifiques, parmi

lesquelles « apprendre avec et par autrui » représente une métacompétence caractéristique,

c’est bien que ce paradoxe n’est qu’apparent.

Que ce passe-t-il, dès lors, dans ces échanges, qui prévaut toujours sur la construction des

connaissances ? Pourquoi aurions-nous systématiquement besoin de ce « passage par autrui »

pour nous construire nous-mêmes ? C’est à cette question que prétendent répondre les

recherches s’intéressant au lien social et à l’échange, à la réciprocité et au don/contre-don,

bien au-delà du domaine de la formation des adultes. Car dans ce domaine, il faut bien avouer

que les recherches sont encore peu nombreuses. Parmi les travaux récents, en effet, la notion

de réciprocité est apparue de manière presque clandestine dans les études sur la formation et

l’autoformation. Bien que les pratiques « d’échanges réciproques de savoirs » soient déjà

anciennes (dans les réseaux d’échanges réciproques de savoirs - RERS - depuis les années 70

en France, ou encore dans les échanges linguistiques de savoirs - Tandem - initiés en

Allemagne à la même époque), la réciprocité n’a en effet été abordée que tardivement, dans

ce champ, tout du moins au plan théorique. Etonnamment discrète dans les recherches en

langue française (en tout cas jusqu’aux années 2000), elle reste quasi inexistante dans les

recherches anglo-saxonnes (en dehors des travaux portant sur la coopération et la

collaboration, nous y reviendrons) ; la principale étude qui lui a été consacrée, en éducation

des adultes, est due à Labelle dans son ouvrage de 1996 portant sur la « réciprocité

éducative ».

Il est probablement nécessaire, alors, d’explorer d’autres champs disciplinaires (au-delà de la

formation et de l’autoformation), et de remonter à des travaux plus larges et plus anciens en

philosophie, en anthropologie ou en sociologie, pour retrouver l’origine de ces notions de

réciprocité, de coopération et de lien social, pour mieux comprendre leurs ramifications

actuelles pour les sciences sociales, en général, et pour la formation, en particulier. Bien sûr, la

place qui nous est ici impartie ne nous permettra pas de développer de manière exhaustive

l’ensemble de ces champs disciplinaires, mais nous essayerons tout au moins d’en retracer les

principales pistes. De même, toutes les occurrences liées à ces notions ne pourront pas être

abordées, puisqu’il nous faudrait alors explorer les domaines religieux (la « Règle d’Or » de la

réciprocité se retrouve en effet dans les grandes religions monothéistes depuis leurs textes les

plus anciens), littéraires (les grands récits communautaires comme certains récits

Page 373: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 373

biographiques ou autobiographiques formeraient autant de témoins infinis de ces notions, au

cours de l’histoire), voire économiques ou juridiques (les traités d’échanges et de réciprocité,

réglant les relations bilatérales entre pays, contribuent ainsi à l’histoire comme à l’actualité

des rapports internationaux). Chacun de ces domaines mériterait bien évidemment une étude

approfondie, dans chacune de ces disciplines, que nous ne pourrons pas développer ici. Nous

n’en donnerons donc qu’une vision partielle et partiale, ignorant par la même occasion de

nombreux champs d’applications et de nombreuses études portant sur ces échanges200.

Au-delà du choix, éminemment contestable, des quelques travaux mentionnés ici pour

éclairer le propos, tous les chercheurs s’entendront cependant pour conférer l’origine et le fil

conducteur de l’ensemble de ces recherches au travail pionnier de Marcel Mauss et en

particulier à son Essai sur le Don, paru pour la première fois dans L’Année Sociologique en

1924. Neveu de Durkheim, Mauss est considéré, avec son oncle, comme l’un des principaux

fondateurs des sciences sociales françaises du début du 20ème siècle (voir par exemple

Fournier, 1995 ; Tarot, 2003). Soulignant lui-même les multiples implications religieuses,

juridiques, économiques ou encore morales de la réciprocité, il a introduit de plus dans son

Essai, à propos du don/contre-don, la notion nouvelle de « fait social total » (Lévi-Strauss,

1968). L’apport majeur de Mauss a été ainsi de révéler la place centrale de la réciprocité dans

la constitution du lien social : toutes les sociétés humaines connaissent en effet la réciprocité,

au moins sous la forme de la « triple obligation » régissant les rapports humains : l’obligation

de donner, de recevoir et de rendre. L’originalité et la grande particularité de Mauss est ainsi

d’avoir révélé une constante atemporelle de la morale humaine (et Mauss parle lui-même

d’un des « rocs humains sur lesquels sont bâties nos sociétés »), c'est-à-dire un noyau

invariant, commun à toutes les morales, pour l’ensemble des sociétés connues (Caillé, 1996 ;

Temple, 1998, 2000).

Il peut donc paraître surprenant qu’à ce point constitutive du lien social dans son universalité

et son atemporalité, la réciprocité décrite par Mauss à travers les formes d’échange et de

don/contre-don ne soit apparue que très récemment seulement en éducation pour analyser

les interactions en œuvre dans les relations interpersonnelles. Plusieurs explications peuvent

être avancées à cette difficulté apparente d’exploration de la nature des relations de

réciprocité : la remontée théorique à l’ancrage philosophique de la notion, la prise de recul

nécessaire par rapport au domaine éducatif, une exploration nécessairement

transdisciplinaire, etc. ; or cet effort (ou cette dispersion) peut paraître aussi inhabituel que

risqué du point de vue de la démarche scientifique. Quoi qu’il en soit, un bref détour

multidisciplinaire nous permettra de tracer de nouvelles pistes pour appréhender ensuite la

dimension socioconstructiviste de l’autonomie de l’adulte, en formation.

200

Le champ psychanalytique, tout particulièrement, sera ainsi exclu de cette contribution ; la question de la scientificité, de la validité et de la reconnaissance du domaine, pour les spécialistes en formation d’adultes, doublée d’une carence avérée de compétences dans le domaine, ne nous autorise pas à aborder cette problématique.

Page 374: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 374

2.1. Un ancrage philosophique, entre morale et éthique

Dans les travaux de sociologie, un examen détaillé de la notion de réciprocité a été proposé

par Boltanski, remontant de Durkheim (pour les racines sociologiques) aux Grecs Anciens

(dans une perspective plus philosophique) pour analyser l’altruisme qu’implique la réciprocité

entendue au sens « d’amour en général de l’humanité » (Boltanski, 1990). Bien que peu

habituelle en sciences de l’éducation, cette notion « d’amour socialisé » qui fonde la

réciprocité (excluant toute religiosité et toute sentimentalité), cache selon Boltanski (1990),

Comte-Sponville (1995) ou encore Ricœur (2004), une série de distinctions, au sujet du terme

d’amour (ou même d’amitié), et que recouvrent, pour le grec ancien, les formes lexicales

d’éros, de philia et d’agapè.

L’éros, souligne Boltanski, a pour principale caractéristique le besoin de combler un manque,

ce qui provoque désir et attraction ; c’est le manque et le désir qui guident cette forme

d’amour (ou de besoin) d’autrui. L’ordre social, dans ce registre, se jouerait entre désir et

relations solidaires, entre appétits individuels et ordre moral nécessaire à la vie en société. Ce

n’est donc pas tant l’éros qui peut fonder la réciprocité, sinon en termes de manque et de

désir réciproques, mais c’est plutôt la distinction opérée entre agapè et philia qui permet

d’arrimer la notion au sens maussien et contemporain du terme. Et c’est la philia, en

particulier, toujours selon Boltanski (1990), qui serait à traduire par « amour comme

réciprocité ».

La philia recouvre en effet le lien qui existe entre amitié et réciprocité, et peut s’assimiler au

terme moderne de sociabilité. Dans sa dimension « interactionniste », la philia suppose non

seulement une relation réciproque de bienveillance entre deux personnes, mais nécessite de

plus une proximité des échanges (de plaisir, d’intérêt ou de profit, voire une proximité

d’espace et de temps). La réciprocité dont il est alors question suppose une forme d’égalité

entre individus, à laquelle la sociologie des conventions préfère néanmoins le terme

« d’équivalence ». Dans cette acception, la philia comme réciprocité implique un retour :

l’amitié implique de donner et en même temps de recevoir. Par contre, dans ses applications,

la réciprocité, entendue au sens de philia, reste étrangère à toute forme de calcul ou

d’attente ; elle n’est pas concernée, comme l’éros, par le manque ou par le désir.

L’agapè, enfin, est à comprendre, toujours selon Boltanski (1990), comme une relation qui

transcende les relations interpersonnelles pour désigner l’amour du genre humain en terme

« d’exigence ». Cette exigence d’amour d’autrui, bien qu’antérieure à toute religion et

fortement laïcisée depuis, est très liée à la philosophie chrétienne, dans la civilisation

occidentale tout au moins. En théologie chrétienne, l’agapè désigne en effet « la relation de

Dieu aux hommes » et par extension, « la relation des hommes entre eux en tant qu’elle est

rendue possible par le don d’amour de Dieu pour les hommes »201. Historiquement, la vérité

philosophique de l’agapè reste entièrement contenue dans la célèbre Règle d’Or : « tu

201

« Amour des hommes pour Dieu ou amour des hommes entre eux qui en découle », comme pour Boltanski, l’agapè ressort, selon Comte-Sponville (1995), de « l’amour divin, si Dieu existe, et plus encore, peut-être, si Dieu n’existe pas » !

Page 375: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 375

aimeras ton prochain comme toi-même », forme pratico-historique de l’exigence de l’amour,

selon Boltanski (1990), et véritable « norme de réciprocité », pour Ricœur (1996). Depuis

l’Antiquité, à travers ses déclinaisons confucéennes, grecques, latines ou chrétiennes, et

jusqu’à ses équivalents dans l’Islam ou le Judaïsme, la Règle d’Or de l’agapè reste ainsi, au-

delà de l’histoire et indépendamment de toute obédience religieuse, « profondément ancrée

dans la sagesse séculaire de l’humanité » (Du Roy 1970). Elle n’est pas exclusivement le fruit

de la civilisation judéo-chrétienne, mais serait au contraire « transhistorique » ; elle se

retrouve en effet sous différentes formes (de règles sociales, anthropologiques, symboliques

ou religieuses), à travers tous les âges, dans toutes les religions et quel que soit le degré de

développement des civilisations, d’une manière universelle.

En d’autres termes, l’éros, basé sur le manque et le désir, attend en retour une forme

« soumise » de réciprocité. A l’inverse, si l’agapè est construite sur le don, elle ne contient pas

l’idée de désir, ne dépend pas de la valeur de son objet et n’attend pas de contre-don en

retour. La philia, par contre, est fondée sur la notion de réciprocité ; elle suppose un

don/contre-don. La philia se différencie ainsi de l’agapè pour une question de valeur (la philia

reconnaît la valeur de son objet, l’agapè la crée), même si dans les deux cas, selon Du Roy

(1970) le principe de réciprocité n’exprime pas l’adéquation de « deux désirs égoïstes, mais

une volonté désintéressée d’aboutir à un échange personnel et suppose la volonté d’un vrai

bonheur, pour autrui comme pour soi ». C’est ce « refus d’équivalence » qui éloigne alors

l’agapè aussi bien de l’éros que de la philia et qui permet à Boltanski d’affirmer que la

réciprocité fonde ainsi le principe même de justice. Aimer (au sens social le plus large)

suppose de vouloir le bien d’autrui, sans calcul ni intérêt, pour autant qu’autrui veuille, pour

lui-même comme pour soi, ce même bien en retour ; or, si la réciprocité, selon le mot de Du

Roy, « ne peut être évitée », elle pose intrinsèquement le problème de la répartition de ces

dons, dans les échanges, et donc celui de la justice.

Dans ce sens philosophique, la réflexion autour de la notion de réciprocité vient enrichir ainsi

le débat (et les tensions) entre amour et justice : comment dépasser les conflits d’intérêt ?

comment (et pourquoi) vouloir le bien d’autrui, à l’éventuel détriment de notre intérêt

personnel ? et comment, ainsi que le formule si bien Cordonnier (1997), « peut-on vouloir ce

que l’on ne souhaite pas et qu’il est en notre pouvoir d’éviter » ? Pour Ricœur (1996), c’est la

« visée éthique » qui vient réconcilier ces paradoxes : la relation à autrui est à la fois notre

principale obligation et notre seule échappatoire : vivre bien, avec et pour les autres, est la

seule éthique que nous devrions nous imposer. Dans cette visée éthique (cette « ligne de

conduite », que chacun devrait s’efforcer de suivre), il n’y a plus concurrence entre amour et

réciprocité, entre équivalence et agapè : cette relation mutuelle, selon Ricœur (1996), inclut la

réciprocité « dans sa définition la plus élémentaire ». La réciprocité, remarque Ricœur, peut

bien sûr aller, dans l’amour, jusqu’à la mise en commun d’un « vivre ensemble », et jusqu’à

l’intimité ; mais dès son niveau le plus simple, dans l’interaction entre deux individus, la

réciprocité « s’impose » en même temps que « l’impératif catégorique » du respect (Ricœur,

1996). Respect, confiance et estime vont ainsi de pair : estimer l’autre nécessite en effet de se

Page 376: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 376

respecter et de s’estimer soi-même (l’intéressement de soi est parfaitement compatible avec

le désintéressement, au sens moral du terme), car s’aimer, c’est pouvoir ensuite donner à

autrui la meilleure part de soi-même. Toute « l’obligation d’aimer » de cette philosophie de la

réciprocité, rappelle Comte-Sponville, était déjà, pour l’essentiel, contenue dans la

recommandation de Saint Augustin : « Aime, et fais ce que tu veux ! ».

Ces conditions réunies expliquent que la visée éthique de la « vie bonne » (pour soi et pour

autrui) ait pour troisième étape l’obligation de créer ensemble des « institutions justes »202 :

selon Ricœur (1996, 2004) l’estime de soi et la sollicitude sont les conditions du « bien vivre

ensemble », à l’intérieur de structures sociales équitables, résolvant le problème amour-

justice. Et c’est là que se situe, selon Ricœur, la dialectique de l’autonomie, qui est l’enjeu de

notre liberté individuelle dans une obéissance à autrui ayant perdu tout caractère de

dépendance ou de soumission, puisqu’en retour, il s’agit d’une obéissance à soi-même

incluant le respect de soi et d’autrui pour pouvoir, finalement, vivre ensemble (Ricœur, 1998).

Cette éthique repose sur une « exigence morale de réciprocité », jamais acquise, jamais

achevée, qui régit les relations d’individus soucieux de « bien vivre ensemble », mais, et c’est

là le paradoxe fondamental de la condition humaine que souligne Todorov (2003), dans le

respect de l’autonomie de chacun.

Des dimensions tant anthropologiques que socioéconomiques

Au plan anthropologique, les recherches sur la réciprocité ont montré la validité et l’intérêt du modèle initial de Mauss, en particulier à travers la triple obligation qu’impliquent les échanges de type don/contre-don : l’obligation de donner, de recevoir et de rendre. Cette triple obligation représenterait un invariant fondamental de toute forme de société et dans ce sens, la réciprocité pourrait donc être considérée comme la base du lien social ; la réciprocité serait ainsi à la base de toute forme de « socialité », équilibrant et régulant les liens sociaux (Mauss, 1968, Lévi-Strauss, 1968, Caillé, 1996, Temple, 1997, Temple, 1998, Ricœur, 2004). Du point de vue anthropologique, la réciprocité est « antérieure » à l’échange, qui n’en donne

à voir le plus souvent qu’une déclinaison restrictive. En effet, le don ne peut être considéré

comme un échange, puisque dans l’absolu, le vrai don est sans contrepartie : deux dons

réciproques ne sont pas un échange ; lorsqu’un don est rendu, il ne rembourse pas une

dette203. Contrairement à l’échange, qui génère la dette, le don génère le contre-don et ni l’un

ni l’autre ne peuvent avoir de valeur comptable. Sur le plan économique, le don est ainsi

réputé « incomputable » (Chabal, 1996 ; Cordonnier, 1997), car avant l’obligation de rendre,

qui ne saurait elle-même être que symbolique, c’est celle de recevoir qui reste, dans le

triptyque du donner-recevoir-rendre, la catégorie pivot de la réciprocité. C’est le fait de

recevoir qui confère au don premier la seule « valeur » qu’il puisse jamais avoir : la valeur non

202

Toutefois, comme le souligne Buber de son côté, les institutions ne sont pas justes par nature et il importe par conséquent de ne pas les subir comme une fatalité : « la seule chose qui puisse devenir fatale à l’homme, c’est de croire à la fatalité. […] cesser de croire à la servitude, c’est devenir libre » (Buber 2002) ; d’où l’intérêt d’alliances d’individus autonomes pour la construction collective d’institutions justes (ce que d’aucuns nommeront la justice et d’autres la citoyenneté). 203

Et c’est encore moins un acte monnayable, même si, comme l’a montré Mary Douglas (2004), le don n’est jamais, non plus, complètement « gratuit » ; en effet, si l’échange créé une situation asymétrique, le « devoir de gratitude » ne ressort pas de la « symétrie d’un commerce », mais de « l’hétérogénéité de deux ordres de réalité » (Goux 1996).

Page 377: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 377

mesurable, ou « incommensurable » selon Ricœur (2004), de la générosité, de la gratitude et

de la reconnaissance.

C’est pourquoi, pour les anthropologues, le paradigme de la réciprocité permet aussi de

réfuter toute utilité (dans le sens de l’utilitarisme économique) dans l’acte du don. Il invite au

contraire à repartir de l’obligation paradoxale de générosité, mêlant les règles de la vie

commune et du contrat social à celles de la coopération et de l’intérêt partagé, pour expliquer

les processus d’équilibration des rapports sociaux, la régulation plus large des rapports entre

donateur et donataire, entre agissant et subissant. En effet, si la réciprocité peut être définie

comme une équilibration de situations contradictoires (une forme sociale du « juste milieu »),

elle est à la base de la construction du sens qui définit, dans les sociétés humaines, le seuil

entre nature et culture, comme Lévi-Strauss l’a démontré. Du point de vue anthropologique,

le lien ainsi créé au regard de l’obligation de réciprocité explique alors non seulement

l’engagement dans le lien social, et donc, à travers l’obligation de rendre, le principe de

responsabilité, mais créé de plus un lien symbolique entre les individus ou encore, comme le

formulait Mauss lui-même, un contrat beaucoup plus général et permanent. Ainsi, selon Lévi-

Strauss (1968), la réciprocité règle d’innombrables obligations (d’alliance matrimoniale, de

filiation) et toute une série d’interdits (dont celui de l’inceste ou de l’endogamie) ; la

réciprocité joue donc un rôle majeur, au plan anthropologique, dans le rapport au « même »

et au « différent », en faisant intervenir un tiers-inclus symbolique (à la manière du hau ou du

mana décrits par Mauss), qui transcende les relations interpersonnelles et permet de « faire

société ».

Enfin, la réciprocité implique, au-delà de la lecture des rapports sociaux en termes

« d’altérité », une compréhension de ces mêmes rapports en termes de « réversibilité ». La

réciprocité se construit en effet dans un double processus d’altérité et d’alternance à la fois,

renversant les rôles, « obligeant » à donner, à recevoir et à rendre, chacun à son tour, mais

dans des temporalités différentes (donner à un moment, recevoir à un autre). En étant

donataire et donateur, chacun fait ainsi partie d’une communauté dont il est à la fois solidaire

et coresponsable, dépendant de tiers et tiers lui-même dans des relations de don/contre-don.

Qu’il s’agisse de la « réciprocité intergénérationnelle » et du chemin qu’empruntent les dons,

au sein d’une même famille, où l’on transmet ce qui nous a déjà été transmis (on rend ce qui

nous a été donné), ou encore du « cycle des dons », au sein d’une communauté, où celui qui a

reçu doit donner à son tour, même (et surtout) si ce n’est pas à celui qui a donné, chacun est

alors tributaire d’une forme ou d’une autre de réciprocité. La réciprocité peut, dans ce sens,

être considérée comme la clé de l’égalité de droits et de devoirs entre sujets libres et égaux,

en d’autres termes, « la base du contrat social » (Chabal, 1996).

Du point de vue socioéconomique, le paradigme de la réciprocité implique par ailleurs de

penser l’échange en dehors des modèles classiques de l’intérêt et de la rationalité. En effet, la

réciprocité impose une approche alternative à l’économie classique, car même si elle conserve

les préoccupations sur les questions traditionnelles de valeur, de dette ou d’intérêt, elle invite

Page 378: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 378

à engager une réflexion critique à propos des modèles dominants (utilitarisme, individualisme

méthodologique), pour opérer, à partir du don/contre-don, un véritable renversement de

perspective (Caillé, 1996 ; Douglas, 2004). C’est par exemple avec cette grille de lecture

alternative que Cordonnier (1997) a proposé de reprendre, dans son étude sur la réciprocité

et la coopération, les modèles classiques des stratégies issues de la Théorie des Jeux et du

Dilemme du Prisonnier, en particulier204. Avec cet exemple, Cordonnier démontre les limites

des théories basées sur la prétendue « rationalité » des individus vus comme agents

économiques au sens classique. Si chacun, sur le plan économique, était effectivement

capable de penser à son intérêt propre, il devrait le faire en calculant aussi et surtout dans une

perspective qui englobe l’action conjointe et l’intérêt des deux parties à la fois. Celui-ci, dans

le cas du Dilemme du Prisonnier, n’est maximisé que pour autant que chacun « joue le jeu »

de la coopération, afin d’en tirer profit dans une stratégie gagnant-gagnant. En d’autres

termes, ce que montre Cordonnier, c’est que l’incertitude ne peut être dépassée que par un

pari sur la coopération : si l’autre, comme moi-même, est capable de coopérer, nous sommes

alors certains d’en bénéficier tous les deux. Ainsi, affirme Cordonnier, la réciprocité ne serait

pas le résultat de l’échange, mais plutôt la règle ; alors même que le motif de l’échange est

l’intérêt, le profit ou l’appât du gain, Cordonnier fait ici la démonstration que pour répondre à

la question : « peut-on vouloir ce que l’on ne souhaite pas et qu’il est en notre pouvoir

d’éviter ? », il faut d’abord « savoir céder ou perdre quelque chose pour obtenir ensuite ce que

l’on désire » (Cordonnier, 1997). C’est le mouvement même de l’échange et la nature de la

réciprocité qui permettent à chacun d’initier le don pour mutualiser les profits à venir de la

coopération.

Par contre, il s’agit ici de prouver aussi qu’une stratégie de coopération basée sur la

réciprocité suppose pour les partenaires de privilégier leur intérêt individuel et collectif à la

fois, dans une perspective de long terme, et non sur le gain individuel effectif à court terme,

qui serait dans tous les cas moins avantageux. Mais il faut alors accepter que le don

représente une « action volontaire », dans laquelle un individu va perdre intentionnellement

son intérêt personnel au profit d’un autre, dans l’espoir qu’à terme les deux en bénéficieront.

Et si cette action repose sur la confiance, le « pari du don », intrinsèquement paradoxal, signe

aussi l’autonomie des sujets : « l’entrepreneur du don », celui à l’initiative du

désintéressement, est finalement le seul sujet vraiment « autonome », capable de faire un

choix en situation d’incertitude, de parier sur la confiance en abandonnant son intérêt

204

Le cas proposé par Cordonnier (1997) est le suivant : deux suspects sont arrêtés et remis au juge d’instruction qui doit les

confondre (pour un vol à main armée, par exemple), mais on ne dispose d’aucune preuve contre eux, tout juste peut-on leur

reprocher un délit mineur (port d’armes). Le juge utilise un stratagème pour faire avouer les suspects. Il s’entretient avec eux

séparément et leur explique : si aucun des deux comparses n’avoue, on ne pourra retenir contre eux que le port d’armes, ce

qui leur vaudra une condamnation mineure (deux ans) ; si les deux comparses avouent, ils seront condamnés pour l’affaire la

plus grave, mais ils obtiendront la clémence du jury grâce à leurs aveux (cinq ans) ; enfin, si l’un des deux avoue alors que son

comparse se tait, le premier est purement et simplement relaxé, tandis que le deuxième « en prend un maximum » (dix ans).

La stratégie du juge est « démoniaque », car le Dilemme du Prisonnier montre systématiquement l’incapacité des deux

partenaires à coopérer, ou tout au moins à faire le « pari de la confiance », en vue de s’en tirer au mieux. En accusant l’autre,

ils sont sûrs d’y perdre tous les deux …

Page 379: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 379

individuel à court terme, car il sait déjà que le bénéfice de la coopération, comme le contre-

don, lui reviendront ultérieurement, même sous une autre forme.

En résumé, la perspective économique de la réciprocité permet ainsi de souligner les

nécessaires dimensions d’incomplétude, d’incertitude, de confiance réciproque et de durée

suffisamment longue (le « délai de réciprocité ») pour que la réciprocité puisse se déployer et

développer ses effets attendus. Si elle concerne avant tout des échanges collectifs, de

préférence non utilitaires et soumis au principe de « réversibilité » (permettant l’alternance

des positions de chacun), cette perspective permet aussi de souligner que la réciprocité ne

saurait advenir sans un ensemble de règles (un « corset d’obligations », selon Cordonnier) qui

s’imposent à chacun. Même si le contre-don est toujours laissé à l’appréciation de celui qui

rend (qui donne ainsi à son tour) et ne saurait être mesurable, la triple obligation de la

réciprocité n’agit effectivement que si ces différentes dimensions (règles et obligations, durée

longue, autonomie des acteurs) sont conjointement respectées. L’injonction : « coopère pour

que l’autre coopère » peut alors devenir un principe d’action et de coopération conditionnelle

pour concilier l’intérêt individuel et l’optimum collectif, tout en respectant l’autonomie des

acteurs, signée par leur engagement dans l’action.

2.3. Des implications sociales et même politiques

Poser le « premier pilier de l’arche », pour permettre l’extension de la réciprocité, représente

donc un acte qui, même unilatéral, engage autrui et, à long terme, la communauté tout

entière (Chabal, 1996). Ce type d’action individuelle, aux répercussions volontairement ou

involontairement collectives, est un acte éminemment social, voire politique. En effet, entrer

dans le pari de la coopération suppose aussi une représentation de l’engagement d’autrui,

comme du sien propre, dans une dynamique qui va à contre sens de toute forme

d’individualisme, de l’unique calcul de son intérêt propre ; bref, un pari sur le lien social et sur

le sens que peut avoir, pour tous, le principe du « faire société ».

Pour de nombreux auteurs, la réciprocité vient ainsi heurter de front la problématique de

« l’individualisme contemporain » et renouvelle la question du sens que peuvent recouvrir,

aujourd’hui, les notions de solidarité et de socialité, de communauté et de société (Caillé,

1996 ; Godbout, 1996 ; Cordonnier, 1997 ; Temple, 1997 ; Todorov, 2003 ; Godbout, 2007). Si

la question d’une montée de l’individualisme, dans nos sociétés contemporaines, est trop

large et trop polémique pour pouvoir être ici développée, il n’en reste pas moins que le

principe de réciprocité réinterroge, dans tous les cas, les phénomènes d’individualisation, et

même de « privatisation », observés dans les comportements et dans les dispositifs (de travail,

de formation, de reconnaissance, voire d’identité), qui, dans nos sociétés contemporaines

dites « développées », ont souvent, à tort ou à raison, rabattu le don/contre-don sur de

strictes logiques d’échanges de marché, d’intérêt et de propriété (Caillé, 1996 ; Todorov,

2003 ; De Singly, 2003 ; Ricœur, 2004 ; Honeth, 2007). C’est pourquoi la logique de réciprocité

prône aussi la vision d’une économie plus sociale et plus « humaine », où la production de

biens et de services pour le don englobe et dépasse la seule logique d’accumulation qui

Page 380: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 380

n’aboutit qu’à des modèles de rivalité, de domination et de compétition (Cordonnier, 1997 ;

Temple, 1997). Le principe de réciprocité, au contraire, invite à repenser les questions de

responsabilité dans une réflexion plus large sur les modèles de justice (et de sa répartition) ;

« être responsable », dans ce sens, équivaut à reconnaître que « partager est le préalable de

toute communauté » (Temple, 2000).

Enfin, la question de la réciprocité entre membres d’un même collectif renouvelle par ailleurs

celle du « lien social », et plus largement, les rapports entre communauté et société. En effet,

si la réciprocité, au sens de philia est un phénomène qu’il semble plus aisé d’observer entre

membres d’une même communauté (entre personnes qui se connaissent, qui peuvent se faire

confiance, qui peuvent donner aisément en faisant le pari d’un contre-don futur, peut être

non immédiat mais en tout cas fortement probable), la question d’une « dilution » de ce lien

social entre membres isolés d’une même société (qui ne se connaissent pas, qui comptent

d’abord et avant tout chacun sur soi) interroge la signification même de ce que peut vouloir

dire « faire société ». Les travaux de Tönnies205, différenciant communauté et société

(Cordonnier, 1997), comme ceux de Polanyi206, proposant de « ré-encastrer » l’économique

dans le social (Caillé, 1996) mériteraient probablement, de ce point de vue, une lecture

attentionnée.

Car plus globalement, la réflexion à laquelle invite toute recherche théorique sur la réciprocité

est bien celle qui consiste à optimiser la conciliation entre liberté individuelle et justice

sociale ; un modèle de société qui ignorerait le principe de réciprocité se priverait du même

coup de penser le rapport de l’individu à la communauté. Au plan politique, il serait ainsi

particulièrement vain de prétendre ignorer les effets de la réciprocité, qui, si elle est

principalement vue comme une dynamique vertueuse permettant de réconcilier l’intérêt

individuel et l’intérêt collectif, les modes de coopération et les échanges interpersonnels dans

des logiques de don/contre-don, peut aussi avoir, si elle est déniée, un côté bien plus sombre,

dans des logiques de vengeance ou de rivalité (Anspach, 2002 ; Ricœur, 2004).

La réciprocité peut alors passer du « cercle vertueux » du don au « cercle vicieux » de la

vengeance (Ricœur, 2004) et la Règle d’Or se transformer en Loi du Talion. Le déni de

reconnaissance, le désir de revanche, le méfait pour le méfait ne représentent plus qu’une

autre forme de la réciprocité, un cercle d’enfermement et de surenchère dont il est difficile de

sortir (Baudrillard, 2002 ; Honeth, 2007). En effet, si la loi de la vengeance peut être vue

comme une autre forme du contre-don et une autre forme de la guerre, l’autre face de la

question du don est alors de savoir « qui sont les amis et qui les ennemis (…), avec qui fait-on

alliance (et contre qui), à qui doit-on donner et de qui peut-on recevoir » (Caillé, 1996). Ainsi,

205

Cordonnier se réfère aux travaux de Tönnies, à ce sujet, différenciant société et communauté (Gemeinschaft und Gesellschaft, de Tönnies, date de 1887), qui lient respectivement les individus par contrat (dans la société) ou par concorde (dans la communauté), par coïncidence (dans la société) ou en permanence (dans la communauté) ; dans la communauté, les individus seraient ainsi « liés malgré toute séparation », dans la société, ils resteraient « séparés malgré toute liaison » (Cordonnier 1997). En éducation des adultes et pour l’autoformation, Moisan (2000, 2002) est l’un des rares auteurs à avoir abordé cette distinction, reprenant pour sa part la différence entre socius et societus. 206

Son ouvrage majeur, La grande transformation, est paru en 1944 ; il a été réédité en français, chez Gallimard, en 2009.

Page 381: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 381

pour Baudrillard, le principe de réciprocité qui assure l’équilibre symbolique des êtres et des

choses, jusque dans sa version négative s’il le faut, finit toujours par l’emporter, y compris (et

surtout) pour ceux qui sont « dans la situation d’esclaves à qui on a laissé la vie et qui sont liés

par une dette insoluble », enfermés dans leurs passions violentes, négatives et destructrices

« qui sont la forme dégradée du contre-don impossible » (Baudrillard, 2002).

Sortir du cercle vicieux de la vengeance pour passer au cercle vertueux du don n’est pourtant

jamais aisé, et demande le plus souvent, au plan politique, des gestes forts, symboliquement

chargés de cette vision qui, comme l’a montré René Girard, peut aller jusqu’à recourir au

« sacrifice » (Ricœur, 2004). Ainsi, les actes de désarmement unilatéral ou encore la lutte non

violente de Gandhi seraient, pour Chabal (1996), des exemples de ce recours au « pari du

don » quand, pour Ricœur (2004), le geste du chancelier Brandt, s’agenouillant au pied du

monument de Varsovie à la mémoire des victimes de la Shoah donne un autre exemple de ces

gestes qui contribuent à « l’avancée de l’histoire vers des états de paix » (Ricœur 2004). Cette

« vocation pacifique » que présente alors la réciprocité est tout entière contenue dans ces

rapports politiques et sociaux d’alliances et de vengeance, de paix et de justice, dans ce

« besoin que nous avons les uns des autres, pour reprendre Aristote, lequel sauvegarde la vie

sociale » (Cordonnier, 1997).

C’est pourquoi cette ambivalence de la réciprocité, qui sans cesse requestionne l’engagement

des individus dans leurs engagements mutuels, reste tout au long de l’histoire au cœur des

problèmes de philosophie politique, et traverse, de Hobbes à Rousseau, la notion de « contrat

social ». C’est aussi pourquoi le paradoxe du don reste, en tout temps et en tout lieu,

profondément politique, puisque :

« La question première, qui est la question proprement politique, est de savoir à quelles conditions il pourrait être possible de s’entendre et de s’allier plutôt que de se battre et de s’entre-tuer. Il n’existe pas de solution rationnelle, entée sur le calcul (…) ou sur le logos, mais uniquement des solutions raisonnables » (Caillé, 1996, p. 47). La remontée au don et à la réciprocité implique donc une « position médiane » au plan

politique, qui à l’image du « juste milieu » (le mésotès aristotélicien), offre une solution

préoccupée par le bien commun tout autant que par la foi dans les échanges, mais sans

dépendre uniquement ni de l’un ni de l’autre. Elle suppose de penser un ordre social et

politique plus large, où les principes d’intérêt et de contrainte, de liberté et de réciprocité, de

don et d’obligation puissent coexister en étant tempérés les uns par les autres et où chacun

peut, au prix de règles communes, participer à l’élaboration de ce contrat social.

Et s’il faut constater, avec Todorov (2003), que les hommes ne vivent pas en société par

intérêt ou par vertu, mais qu’ils le font parce qu’il n’y a pas, pour eux, « d’autre forme

d’existence possible », il n’en reste pas moins que l’altruisme reste probablement la seule

issue possible au lien d’interdépendance qui les attache. La socialité n’est en effet ni un

accident ni une contingence, mais « la définition même de la condition humaine ». La

réciprocité, quant à elle, ne peut assurer aux êtres humains, dans la dépendance qui les unit,

Page 382: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 382

qu’une fragile et relative liberté avec, comme seul espoir, un recours à l’apaisement dans les

situations les plus conflictuelles. Cet équilibre, remarque Todorov, est toujours précaire : « la

vie commune ne garantit jamais, et dans le meilleur des cas, qu’un frêle bonheur »…

3. Les enseignements de la réciprocité

Rattachées au travail fondateur de Mauss et à son Essai sur le Don, les recherches sur la

réciprocité ont permis tout d’abord de souligner la place primordiale de la relation à autrui qui

reste au cœur de la notion de réciprocité. Relation d’amour ou relation d’amitié, en termes

philosophiques, les termes grecs d’éros, de philia et d’agapè permettent de distinguer

différents niveaux de la relation à autrui, en termes de sociabilité et de socialité, voire de

nécessité pour pouvoir « vivre ensemble ». Le niveau philosophique de ce questionnement

introduit de plus différents paradoxes, comme celui de la relation interpersonnelle

(potentiellement) choisie et de la justice sociale (partiellement) subie pour pouvoir vivre en

société, imposant alors à chacun une réflexion d’ordre éthique. Le rattachement au travail de

Mauss rappelle directement, par ailleurs, la triple obligation de la réciprocité de donner,

recevoir et rendre. Dans une perspective anthropologique, la réciprocité serait au cœur du

lien social, comme élément fondateur de toute forme de société et comme ciment de

l’échange social. De ce point de vue, la réciprocité aurait alors plusieurs fonctions : par sa

triple obligation, elle régulerait les liens sociaux, tant au plan matériel des échanges (l’échange

étant vu ici comme une conséquence, seulement, et non comme la cause de l’obligation de

réciprocité), qu’au plan symbolique (en vue d’une construction de sens commun). C’est

pourquoi les dimensions sociales et les implications politiques de la réciprocité sont à la fois

les conditions préalables et la finalité même d’une telle réflexion : en questionnant les notions

de dette et d’intérêt, la réciprocité incite à questionner aussi les notions d’individualisme, de

contrat social et d’économie des biens échangés. S’appuyant sur l’initiative et l’autonomie

individuelle au regard d’un idéal démocratique de société, la réciprocité interroge de plus la

notion de justice et la question de sa distribution, à travers le jeu des alliances et des rivalités.

D’un point de vue pragmatique, la réciprocité invite ainsi à une réflexion sur la nature des

biens échangés, car le don et le contre-don ne peuvent entrer dans une logique marchande, le

don étant réputé incomputable. La réciprocité pose alors question quant à la nature de la

dette, de l’intérêt, voire de la rationalité des acteurs dans les échanges. Une perspective

économique « alternative » souligne la priorité à donner, du point de vue collectif, à la

coopération et à l’intérêt global à long terme, dans les échanges, au détriment de la

compétition et de l’intérêt individuel à court terme. Dans ce sens, se départir de son intérêt à

court terme revient à « parier » sur la réciprocité, ce qui ne peut être que le fait d’acteurs

autonomes. L’obligation de coopération (« coopère pour que l’autre coopère) s’accompagne

par ailleurs d’une responsabilité collective et d’un ensemble de règles (un « corset

d’obligations »), l’équilibre des échanges ne pouvant être obtenu qu’après un certain « délai

de réciprocité ».

3.1. Reconnaître les formes et les valeurs particulières de la réciprocité

Page 383: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 383

En donnant un rôle de médiation à des tiers (physiques ou symboliques), la réciprocité agit

ainsi comme un puissant outil de régulation sociale. Elle peut prendre, dans la régulation des

échanges, différentes formes que Dominique Temple (1998, 2000) a classifiées de la manière

suivante :

- Les structures élémentaires de la réciprocité sont tout d’abord « positive » (réciprocité des dons) ou « négative » (réciprocité de vengeance) ; l’une comme l’autre sont des dynamiques qui créent des cercles (vertueux ou vicieux) dans lesquels les échanges sont ensuite entraînés.

- Les modes de réciprocité les plus courants peuvent par ailleurs être dits « binaires » ou « ternaires » (Temple propose le terme de « matrices ») et impliquent des « valeurs particulières » :

- La réciprocité binaire (ou bilatérale) concerne le face-à-face, l’échange donnant-donnant. On la retrouve dans les échanges de type Tandem, où un apprenant apprend sa propre langue maternelle à l’autre, et réciproquement. Elle suppose alors comme valeurs particulières le partage et la confiance. Elle s’applique en particulier dans les relations de proches (dans l’amitié) et suppose que les échanges soient considérés par chacun comme équilibrés.

- La réciprocité ternaire (où trois prestations suffisent à symboliser le cycle de la « ronde des dons ») est une relation plus complexe où l’on agit sur un partenaire et où l’on subit d’un autre ; c’est une forme de réciprocité où chacun est dans une situation intermédiaire (recevant d’une personne, donnant à une autre), au sein d’un cercle relationnel de proches, voire dans un réseau plus vaste. La réciprocité ternaire suppose alors des relations s’appuyant et développant les valeurs particulières de responsabilité et de justice. La réciprocité ternaire se décline par ailleurs sous différentes formes :

- la réciprocité ternaire diachronique suppose une transmission dans le temps ; elle

concerne les formes de réciprocité propres à la filiation, à la conservation de la

tradition ou encore au passage transgénérationnel de la culture (par exemple les

rites de funérailles) ;

- la réciprocité ternaire unilatérale implique un sentiment de responsabilité vis-à-vis

de la collectivité ; dans cette forme de réciprocité, l’individu ne peut déroger à la

triple obligation du don sous peine que les autres ne puissent à leur tour ni donner

ni recevoir ; tout repose sur l’engagement de chacun, au titre du respect des autres

(et de tous les autres), sous la forme d’une responsabilité partagée ; chacun est

responsable de tous (réciprocité tacite que l’on retrouve dans une famille, un

cercle de proches ou une communauté de type diaspora) ;

- la réciprocité ternaire bilatérale implique quant à elle que le sentiment de

responsabilité soit soumis à l’obligation de justice (par exemple pour réguler les

échanges, pour équilibrer les dons) ; ici, l’objectif du donateur est de donner le plus

possible car plus il donne et plus il engendre du lien social (cas des sociétés

étudiées par Mauss) ; mais dans cette configuration, celui qui se trouve entre deux

donateurs doit reproduire le don de l’un et celui de l’autre de façon « appropriée »

Page 384: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 384

(ce qui est socialement et culturellement codifié) ; il s’agit là du sentiment de

justice (ce qui, en tant que sentiment, peut rester très symbolique) ;

- la réciprocité ternaire centralisée, contrairement aux deux précédentes, produit

quant à elle un assujettissement (volontaire ou non), par obéissance ou par

soumission ; en effet, dans cette forme de réciprocité, un seul intermédiaire relie

tous les membres de la communauté et devient le « centre de la redistribution »,

voire « l’autorité suprême ».

Même s’il est rare, remarque Temple, qu’une société connaisse cette dernière forme de

réciprocité de façon exclusive (ce qui pourrait mener à de potentiels excès de pouvoir), toutes

les sociétés connaissent par contre des degrés de réciprocité qui produisent les valeurs

particulières de partage et de confiance, de responsabilité et de justice. La fonction du

Léviathan, chez Hobbes, comme celle du contrat social, chez Rousseau, reviennent ainsi

indirectement, selon Cordonnier (1997) à déléguer à un tiers, même symbolique, cette

centralisation de la réciprocité, en vue d’une distribution (plus ou moins équitable) de la

justice. D’une certaine manière, les structures sociales ou communautaires reposant sur des

échanges réciproques sont alors, toutes et toujours, basées sur des formes proches de ces

matrices, qu’il s’agisse de « transmettre » des savoirs (non pas pour attendre de l’autre qu’il

nous rende la pareille, mais parce qu’on a soi-même « déjà reçu »), ou qu’il s’agisse de

« centraliser » les dons/contre-dons dans des Systèmes d’Echanges Locaux ou des Réseaux

d’Echanges Réciproques de Savoirs, où l’engagement (même s’il ne s’agit pas

d’assujettissement), suppose que l’on abandonne, au moins temporairement, son propre

intérêt pour pouvoir bénéficier collectivement, à plus long terme, des bénéfices commun de la

réciprocité.

3.2. Identifier les conditions et les effets de la réciprocité

De l’ensemble des travaux portant sur la réciprocité dans les domaines philosophique,

anthropologique ou socioéconomique et de leurs conséquences sur une réflexion plus large

d’ordre social et politique, nous avons pu par ailleurs (Eneau, 2005) établir la synthèse

suivante :

- Les conditions préalables de la réciprocité : Partant de l’hypothèse que la réciprocité est constitutive du lien social et d’une manière de

« faire société » (dans les échanges interpersonnels, dans la co-construction des relations

entre les acteurs et le collectif), la reconnaissance de cette réciprocité impose de tenir

compte de l’autonomie des acteurs (adultes et responsables, capables d’initiatives, capables

d’effectuer des choix, de prendre des risques et de les assumer), et de favoriser en parallèle,

au niveau individuel et collectif, un certain nombre de valeurs à dimension sociale, orientées

vers autrui (depuis la valorisation d’attitudes comme l’écoute et le dialogue, jusqu’à la

promotion de valeurs comme le respect d’autrui et des différences, la confiance et la

coopération ou encore la co-responsabilité vis-à-vis de la collectivité).

Page 385: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 385

- Les dimensions opératoires de la réciprocité : Dans ses dimensions opératoires, la réciprocité s’appuie sur des rôles et des situations

asymétriques (elle reconnaît, prend en compte et utilise l’autonomie de chacun, la

singularité et les différences des acteurs), imposant par contre la réversibilité de ces rôles et

situations (entre alternance et altérité, chacun doit être tour à tour donneur et receveur).

Elle implique par ailleurs de dérouler les trois étapes de l’obligation de donner-recevoir-

rendre (incitant les acteurs à donner eux-mêmes d’abord, faisant le pari de la coopération,

avant d’espérer recevoir en retour) et de donner surtout sans escompter une même valeur

d’échange (la réciprocité se base sur des dons incomputables), dans un délai inconnu à

l’avance, et qui échappe donc lui aussi à tout calcul de terme et d’intérêt.

Ainsi, la réciprocité privilégie la coopération des acteurs en vue d’un profit collectif à long

terme, et au détriment possible d’un intérêt individuel à court terme (l’intérêt collectif

prime sur l’intérêt individuel et les logiques de coopération priment sur les logiques de

compétition). La prise de risque, par l’engagement dans le don, signe l’autonomie du sujet :

c’est parce que l’obligation de donner est en partie symbolique que le don permet d’espérer

un contre-don, même si celui qui rend ne sera pas nécessairement celui qui aura reçu ; le

risque et la confiance sont ainsi révélateurs de l’autonomie des acteurs. Par contre, pour

coopérer, la réciprocité invite chacun à se poser la question d’éventuelles alliances (avec qui

coopérer ? dans quelles conditions ? et pour quelle finalité ?).

- Les effets attendus de la réciprocité : Ces principes étant réunis, il est alors possible d’attendre de la réciprocité qu’elle permette

idéalement de réguler, voire d’équilibrer les différents liens sociaux au sein d’une même

communauté. En effet, elle permet d’inverser, au fur et à mesure des échanges, des

situations individuelles asymétriques, afin que chacun puisse tour à tour donner, recevoir et

rendre et pour que l’intérêt collectif bénéficie, à terme, à chacun en retour. Le pari de la

réciprocité réside donc dans une « valeur ajoutée » pour tous : il est possible d’attendre de

la réciprocité une plus grande autonomie individuelle, dans un « juste milieu » entre un

attachement nouveau à la communauté et des relations d’interdépendance plus équilibrées.

Mais cette nouvelle autonomie acquise ne saurait alors se réduire à l’indépendance ou à

l’autarcie, ni à une illusoire liberté individuelle ignorant le bien d’autrui.

De plus, ce pari de la réciprocité réside aussi dans une meilleure perspective de justice

sociale pour tous. Cette forme d’équilibration et de régulation des situations, des rôles et

des intérêts individuels et collectifs peut permettre alors de rendre pleinement

opérationnelle, à terme et par un effet de bouclage, la première dimension de la réciprocité,

portant sur sa nature et ses propres principes (de meilleurs liens sociaux et un collectif plus

cohérent, plus soudé ou plus homogène ; une plus grande autonomie des acteurs ; la

promotion de valeurs coopératives et l’expérience du bien-fondé de valeurs morales

orientées vers autrui). Il s’agit ainsi, par rétroaction et par la seule dynamique intrinsèque de

la réciprocité, de former de manière pérenne un « système », au sens collectif cette fois,

plus solidaire, plus fort et donc plus autonome, lui aussi.

Page 386: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 386

Conclusion

Finalement, le long détour par les travaux portant sur la réciprocité, l’échange et le lien social,

que nous venons d’effectuer, permet de souligner les rapports originaux qu’entretiennent

réciprocité et autonomie pour revisiter plus largement les recherches portant sur

l’autoformation des adultes, dans des dimensions sociologiques encore peu explorées. En

effet, si de manière générale les auteurs de ce domaine partagent depuis longtemps l’idée que

l’apprentissage reste un processus éminemment social, le rôle des autres, les formes et les

natures de communautés d’apprentissage ou encore les modalités d’échanges, au sein de ces

collectifs, sont encore des dimensions peu investiguées.

En mettant l’accent sur le contrôle qu’exerce (ou non) l’adulte sur son apprentissage, les

travaux nord-américains ont souvent, nous l’avons vu, réduit l’autonomie à une dimension

procédurale et à l’étude de cette autonomie pour et dans l’apprentissage. Les chercheurs

français, au contraire, ont quant à eux plus souvent privilégié la vision d’une autonomie de

l’apprenant, cherchant à travers le processus d’autoformation à conserver la dimension

existentielle et développementale d’une autonomie visée comme finalité même du processus

éducatif. En d’autres termes, les travaux sur la réciprocité qui ont ensuite été présentés

viennent donc plutôt renforcer cette vision d’une autonomie de l’adulte (c'est-à-dire

autonome, responsable et citoyen, pour reprendre le triptyque de Labelle), se formant par lui-

même et pour lui-même, mais aussi par autrui et pour autrui, en participant (de manière

autonome et responsable, par conséquent), au travail commun de l’élaboration du « monde

juste », et donc des institutions et des règles collectives permettant de pouvoir « vivre

ensemble ».

Bien sûr, dans les travaux sur l’autoformation, les chercheurs comme Philippe Carré ou Nicole

Tremblay, qui ont tenté d’établir des ponts entre ces différentes visions de l’autonomie, de

l’apprenant comme de l’apprentissage, ont déjà souligné l’existence d’un « courant social »

(ou sociétal) de l’autoformation, dont Joffre Dumazedier, notamment, a été l’un des

fondateurs. Dans ce courant, les travaux sur les Echanges Réciproques de Savoirs comme ceux

portant sur l’autoformation en milieu de travail (chez Moisan, Foucher, Bouchard ou encore

Hrimech) ont déjà permis de montrer largement l’importance de cette part des autres dans

l’autoformation. Mais les travaux sur la réciprocité permettent de jeter de nouvelles

passerelles vers d’autres champs de recherches, tant dans le milieu éducatif ou associatif, que

dans le monde du travail ou dans celui de l’apprentissage à distance.

Pensons par exemple, en ce qui concerne le monde du travail, aux recherches sur les

communautés de pratique, le codéveloppement professionnel ou encore la collaboration en

situation professionnelle. Dans ces différents contextes, les dispositifs de formation sont tous

basés à la fois sur l’engagement de l’apprenant dans la relation d’échange, mobilisant son

autonomie propre et le « pari sur le don/contre-don » qu’il effectue alors même que, sans

toujours dire son nom, ce pari ressort bien d’une anticipation sur la collaboration d’autrui et

sur le bénéfice à tirer d’une telle participation à l’échange. Plus concrètement encore, les

Page 387: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 387

travaux sur la confiance dans la coopération, en particulier dans les nouveaux dispositifs de

formation et de travail (collaboration en ligne, réseaux à distance, collectifs de travailleurs à

des projets pilotés via des réseaux informatiques, etc.), sont étudiés depuis de nombreuses

années dans les sciences de gestion (cas de collaboration inter/firmes ou entre filiales, cas de

rachat d’entreprises, relations clients-fournisseurs, etc.). Ces travaux soulignent tous, et en

particulier dans les contextes de travail à distance, à quel point cette anticipation sur la

réciprocité se fonde à la fois sur l’autonomie des acteurs, l’incomplétude et l’incertitude, pour

chacun, la dynamique du processus lui-même et finalement, sur l’espoir d’un échange

« équilibré », ce qui, en d’autres termes, signifie que la collaboration perdure… si chacun, en

perdant un peu de son intérêt à court terme, trouve finalement un bénéfice à l’opération.

Bien sûr encore, toutes les formes de travail et d’apprentissage en groupe ne se réfèrent pas,

loin s’en faut, au principe de réciprocité pour expliquer ou illustrer la nature des échanges au

sein des collectifs. Pourtant, ce que montrent les travaux sur la réciprocité, c’est aussi que

tous les échanges ne sont justement pas de même nature, ne se construisent pas dans les

mêmes temporalités ni avec les mêmes intérêts, n’aboutissent pas aux mêmes équilibres. De

ce point de vue, les travaux sur la réciprocité ouvrent plus de pistes de recherches nouvelles

qu’ils n’explicitent, d’ailleurs, les modalités concrètes du processus de construction et de

développement de l’autonomie des personnes. Mais ils montrent tout au moins que les

formes de relations développées (de l’éros à la philia ou à l’agapè), dans des communautés ou

des sociétés, peuvent être influencées par la taille de ces collectifs, par la nature des relations

qui s’y nouent, par les modes de régulations proposées, plus ou moins centralisées. Ils

montrent aussi qu’en pariant sur l’autonomie des personnes, la dynamique propre au

don/contre-don peut favoriser une autonomisation plus grande encore de chacun, dans

l’intérêt de tous, de manière individuelle, mais aussi collective.

Références

Alava S. et al., 2000, Autoformation et lien social, Toulouse, Editions Universitaires du Sud.

Anspach M., 2002, A charge de revanche. Figures élémentaires de la réciprocité, Paris, Seuil.

Baudrillard J., 2002, Power inferno, Paris, Galilée.

Boltanski L., 1990, L’Amour et la Justice comme compétences. Trois essais de sociologie de l’action, Paris, Métailié

Boutinet J. P., Denoyel N., Pineau G., Robin J.Y. et al., 2007, Penser l’accompagnement adulte, Paris, PUF.

Buber M., 2002, Je et Tu, 1923, Paris, Aubier

Caillé A., 1996, « Ni holisme ni individualisme méthodologique : Marcel Mauss et le paradoxe du don », Revue du MAUSS n° 8, Paris, La Découverte

Candy P., 1991, Self-direction for lifelong learning. A comprehensive guide to theory and practice, San Francisco, Jossey Bass

Page 388: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 388

Chabal M., 1996, « Quand la réciprocité semble non réciproque », Revue du MAUSS n° 8, Paris, La Découverte

Cordonnier L., 1997, Coopération et réciprocité, Paris, PUF.

Chené A., 1983, “The concept of autonomy in adult education: a philosophical discussion”, Adult Education Quarterly, vol. 34, n° 1.

Comte-Sponville A., 1995, Petit traité des grandes vertus, Paris, PUF.

De Singly F., 2003, Les uns avec les autres. Quand l’individualisme crée du lien, Paris, Armand Colin.

Douglas M., 2004, « Il n’y pas de don gratuit » (1990), in Comment pensent les institutions, Paris, La Découverte.

Du Roy O., 1970, La réciprocité - Essai de morale fondamentale, Paris, EPI.

Eneau J., 2005, La part d’autrui dans la formation de soi, Paris, L’harmattan.

Eneau J., 2008, « Du développement de l’autonomie à la construction de soi », in J. M. Labelle JM. et J. Eneau (dir.), Apprentissages pluriels des adultes : questions d’hier et d’aujourd’hui, Paris, L’Harmattan.

Fournier, 1995, Marcel Mauss, Paris, Grasset.

Godbout J., 1996, « Les bonnes raisons de donner », Revue du MAUSS n° 8, Paris, La Découverte.

Godbout J., 2007, Ce qui circule entre nous, Paris, Seuil.

Goux J. J., 1996, « Don et altérité chez Sénèque », Revue du MAUSS n° 8, Paris, La Découverte.

Héber-Suffrin C., Pineau G. et al., 2000, Réciprocité et réseaux en formation, Education Permanente n°144.

Honeth A., 2007, La lutte pour la reconnaissance (1992), Paris, Cerf.

Labelle J. M., 1996, La réciprocité éducative, Paris, PUF.

Legendre R., 1993, Dictionnaire actuel de l’éducation, Guérin Montréal et Paris, Eska.

Lévi-Strauss C., 1968, Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss, in M. Mauss, Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF.

Mayen P. et al., 2002, Apprendre des autres, Education Permanente n° 151.

Moisan A., 2000, « Autoformation et lien social, sociogénèse réciproque par l’échange », in S. Alava (dir.), Autoformation et lien social, Toulouse, Editions Universitaires du Sud.

Moisan A., 2002, « L’autoformation au risque de l’incomplétude et de l’échange don/contre-don », in A. Moisan et P. Carré (dir.), L’autoformation, fait social ? Aspects historiques et sociologiques, Paris, L’Harmattan.

Paul M., 2004, L’accompagnement, une posture professionnelle spécifique, Paris, L’Harmattan.

Ricœur P., 1996, Soi-même comme un autre (1990), Paris, Seuil.

Ricœur P., 1998, « De la morale à l’éthique », La Revue Parlée, Paris, Centre Pompidou.

Ricœur P., 2004, Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock.

Page 389: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 389

Tarot C., 2003, Sociologie et anthropologie de Marcel Mauss, Paris, La Découverte.

Temple D., 1998, « Les structures élémentaires de la réciprocité », La Revue du MAUSS n° 12, Paris, La Découverte.

Temple D., 2000, Les origines anthropologiques de la réciprocité, Education Permanente n° 144.

Todorov T., 2003, La vie commune (1995), Paris, Seuil.

Tremblay N.A., 2003, L’autoformation. Pour apprendre autrement, Montréal, Presses de l’Université de Montréal.

Tremblay N.A., Eneau J., 2006, « Sujet, société et autoformation. Regards croisés du Québec et de France », Education Permanente n°168.

Claudine Lepsâtre207

: « Plus on est relié par des réciprocités multiples, plus on construit son autonomie »

1. Notre histoire

Les RERS sont des lieux d'éducation populaire. Travailler dans un RERS exige d'en tenir

compte. Comment contribuer à faire de nous, tous, des personnes autonomes, solidaires,

capables de faire société : une société plus égalitaire, plus respectueuse des individus y

compris les plus en bas de l'échelle, et cela sans trop de « lois coercitives » ?

Quand nous avons choisi et voté de reprendre le « réso » en 2001, plusieurs années après le

départ de Christiane Saget, il était devenu trop caritatif, ce n'est pas une insulte, c'est un fait ;

et beaucoup en étaient satisfaits. Ce mot n'est pas une insulte, mais ce n'était ni notre option

ni celle de la charte des réseaux. Ceux qui donnaient, ceux qui recevaient ne changeaient

guère de rôle. Pour être franc, on a perpétuellement du mal à faire mieux, mais la question

nous tient en éveil. Nous la remettons sans cesse à l'ordre du jour sur le plan pratique et sur le

plan des structures. Notre fil conducteur est donc la charte et sa mise en application.

Nous voulons travailler dans la durée et le long terme, donc avoir des structures vivables :

- qui ne vident pas les « bénévoles permanents » de leur énergie ; - qui favorisent l'émergence d'individus responsables au sein de l'association et par là

dans la société ; c'est-à-dire des personnes qui arrivent à voir les rouages de l'organisation souvent peu visibles, mais indispensables ;

- Notre but restant l'ouverture et l'accueil.

2. Comment être solidaires ?

Cela commence à l'accueil

Nous sommes une association, pas un service public ; on a des règles, dont la réciprocité. (Cela

suscite entre nous des désaccords : on ne prend pas les gens à rebrousse-poil, etc.)

207

Animatrice du RERS d’Orly, enseignante.

Page 390: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 390

Cela se continue par la mise en relation collective dont les avantages relationnels sont si

évidents que personne ne les remet plus en cause.

Pour préparer le terrain, nous avons mis nos statuts en conformité avec nos buts.

- Dans ces statuts, le trio président, secrétaire, trésorier est co-responsable avec les autres membres du CA ; et ils font tous obligatoirement des échanges au cours de l'année.

- Tous les adhérent sont, soit amis, soit adhérents simples, soit adhérents actifs s'ils sont en échange réciproque ; et s'il y avait un problème majeur et vital, seuls les adhérents actifs prendraient part au vote lors de l'AG.

Nous avons ratifié le fait de fonctionner sans un local qui nous soit propre. Nous sommes

accueillis dans des lieux divers, principalement dans l'ex MJC, au centre culturel, au centre

administratif, et nous allons dans tous les lieux que nous inventons : Mac Do, bancs publics,

piscine, forêt, et chez les uns et les autres.

Cela nous amène à établir des relations suivies avec les animateurs de l'ex MJC, le service

jeunesse de la ville, le PIJ, la mission locale, l'OPAC, les assistantes sociales de la commune,

d'autres services municipaux mobilisés pour la réussite éducative, les services juridiques

locaux ou du département, les nombreuses structures de la ville tournées vers le soutien des

citoyens.

Nous ne parions pas sur un « Etat minimal », mais au contraire sur tout ce qui permet une

république sociale.

Ces dispositions sont un contre-feu à la tentation perpétuelle de faire un club de copains

chaleureux, fermé et ségrégatif.

Nos relations pratiques avec les employés de la ville nous obligent (et eux aussi) à une

citoyenneté en actes : salles, emplois du temps, respect des engagements d'horaires

d'ouverture, etc.

On y gagne d'être connus et respectés ; on y gagne des liens amicaux ; et l'arrivée de

nouveaux adhérents que l'on nous adresse en confiance.

Nous responsabilisons ceux qui offrent des ateliers (échanges collectifs) ; nous leur

demandons que ce soit eux qui gèrent les liens en cas d'absence et de ne pas renvoyer cela à

la petite « équipe de gestion et d'animation » de quatre ou cinq personnes.

Nous avons démarché une assurance. Elle permet à chacun d'entreprendre des activités en

étant protégé. Ce que nous demandons en autonomie généreuse est soutenu par une sécurité

solidaire.

Petit bémol : on ne se précipite toujours pas pour effectuer le travail incontournable sur

lequel repose la vie de l'association. On a toujours du mal à trouver des bénévoles pour le

travail invisible au long cours.

Page 391: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 391

3. Conclusion

Nous sommes passés d'une association qui avait un local et une permanente à une association

nomade animée par des bénévoles.

Nous avons adopté la frugalité.

Frugalité :

- De nécessité : on a pu fonctionner sans local, sans permanent et avec des subventions devenues plus minces ;

- De principe : on ne veut piller ni la planète ni la société ; - De précaution : le jour où des aléas politiques baissent radicalement les subventions,

on veut pouvoir continuer malgré tout.

Nous privilégions tout ce qui réduit la dépense et nous ne demandons pas l'augmentation de

notre subvention. « Moins de biens, plus de liens ».

Toutefois, notre frugalité présente est relative :

- nous avons des salles chauffées, propres que nous demandons de mois en mois à la municipalité et qui nous sont régulièrement accordées ;

- une boite à lettres au centre culturel ; - deux téléphones portables ; - un ordinateur portable ; plus l'ordinateur d'un membre du CA où se fait le secrétariat.

La contrainte de la réciprocité que nous voulons réaliser « pour de vrai » induit un

fonctionnement exigeant autant avec les membres qu'avec les différentes instances avec

lesquelles nous sommes en liens.

Isabelle Dupin208

: « Réciprocité et autonomie dans la relation éducative » « Tu nous as appris à t’apprendre à nous apprendre » Ces quelques mots dans la bouche d’une

élève de onze ans résument une année de parcours commun dans l’école Steiner où j’ai

enseigné pendant vingt-cinq ans.

Un professeur, vingt-huit élèves, vingt-huit individualités singulières qui ont à apprendre les

mêmes contenus : quel espace est à créer pour que chaque enfant, personne unique, ait accès

aux contenus communs des enseignements ?

C’est là qu’opère la magie de la réciprocité. Réciprocité entre les élèves eux-mêmes : ainsi, tel

enfant doué en dessin montrera-t-il la voie imagée à tel autre que son esprit analytique

empêche de saisir une globalité, tandis qu’à l’inverse, celui-ci mènera, par la clarté de son

raisonnement, son camarade plus rêveur vers des contrées où le professeur, adulte, n’a pas

toujours la possibilité de le conduire. Réciprocité aussi entre les enfants et le professeur : si,

mettant au deuxième plan, mon « obligation de transmission des savoirs » qui joue bien des

tours par la pression qu’elle entraîne parfois dans la relation pédagogique, je me mets à

208

Formatrice.

Page 392: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 392

l’écoute du cheminement intérieur de l’élève et partant de la classe, je laisse se dégager une

sorte de mouvement de va et vient entre les pensées, les imaginaires, les savoirs des uns et

des autres, le « vent de la découverte » se met à parcourir la classe, zéphyr léger qui souffle

confiance et joie d’apprendre.

Pour passer de la seule transmission à cette forme d’apprentissage par la réciprocité, il est

nécessaire que le professeur fasse, avant le travail de préparation, le travail de

« postparation », celui qui consiste à faire repasser paisiblement et sans concession dans sa

mémoire intellectuelle et émotionnelle la journée écoulée : quel était mon projet ? Comment

s’est-il transformé, qu’est-il devenu ? Que dois-je en garder, en laisser, que me disent les

réactions, blocages, enthousiasmes, questions des élèves ? Comment aborder demain un tel

qui était si malheureux de ne pas suivre, un tel qui a débordé d’une telle énergie qu’il est

peut-être l’arbre qui cache la forêt de toutes les autres incompréhensions ?

Quand je laisse monter en moi ces pensées, que je les organise pour bâtir la suite de mes

cours, je m’appuie sur cet espace de réciprocité qui me fait dire chaque jour : j’ai appris

aujourd’hui un peu plus de choses sur l’être humain, sur les enfants et sur moi-même. Et les

élèves m’ont aidée à les aider.

AAtteelliieerr CC 22.. 55 :: EEcchhaannggeess ddee ssaavvooiirrss pprrooffeessssiioonnnneellss

Marielle Breault209

: « la démarche de codéveloppement professionnel » « Nul n’est si petit pour n’avoir rien à donner, nul n’est si grand pour n’avoir rien à recevoir. »

Proverbe africain

Qu’est-ce que c’est ?

Le codéveloppement professionnel est une formation continue qui mise sur un petit groupe

de six à huit personnes et sur les interactions entre les participants afin de faire des

apprentissages en vue d’améliorer sa pratique professionnelle.

Il ne s’agit pas d’une formation traditionnelle où la théorie précède la pratique. Il s’agit d’une

formation qui valorise l’expérience, qui part du fait qu’il y a des apprentissages qui ne

s’apprennent que par et dans la pratique, que chaque participant a des savoirs pratiques,

théoriques et expérientiels et que le partage de ces savoirs produit des apprentissages pour

chaque membre du groupe.

C’est une formation continue car un groupe de codéveloppement peut se rencontrer des

années durant et toujours faire des apprentissages. Certains participants se retirent, d’autres

se joignent au groupe, cela le modifie, le diversifie et l’enrichit d’une certaine façon. Le groupe

209

Travailleuse sociale. Animatrice du réseau de codéveloppement professionnel. Formatrice.

Page 393: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 393

devient une communauté d’apprentissage, communauté dans laquelle on se co-développe,

c’est-à-dire on se développe ensemble.

Se développer : faire des apprentissages, acquérir, améliorer, consolider des compétences,

rechercher une meilleure maîtrise du métier.

Ensemble : avec l’apport des autres, avec un groupe constitué de diverses personnalités, en

présence d’une variété d’expériences professionnelles et personnelles.

Quelle est la méthodologie utilisée ?

Le groupe de codéveloppement utilise la méthode de cas. Chaque participant est à tour de

rôle client et consultant. Le client présente une situation vraie, réelle, situation qui le

préoccupe dans son travail et les consultants l’aident, à partir d’une forme structurée de

consultation, à y voir plus clair et à agir mieux et différemment.

Une préoccupation peut être un problème ou un projet. C’est la règle des trois « p ». Le client

présente dans un bref écrit sa situation, ce qui suppose une réflexion individuelle, un exercice

d’analyse et de synthèse avant de passer à une réflexion collective avec le groupe.

Un animateur est présent pour faciliter le processus, pour aider le client à bien présenter sa

situation, préciser ses attentes face à ses consultants et aider les consultants à se centrer sur

la personne du client et l’aider à faire des apprentissages à partir de la situation présentée.

Quels sont les objectifs de cette formation ?

L’objectif fondamental du codéveloppement est l’amélioration, pour chaque participant, de sa

pratique professionnelle que ce soit une pratique de gestion, de consultation ou

d’intervention.

Aider à penser, ressentir, agir mieux, différemment.

Il y a d’autres objectifs spécifiques, entre autres :

- Prendre un recul, - Réfléchir de façon systématique sur sa pratique, - Développer un sentiment d’appartenance, de solidarité, - Contrer l’isolement, - Former ou consolider son identité professionnelle, - Apprendre à aider et à être aidé, - Apprendre à travailler en groupe, à partager les informations et les savoirs, - Faire un transfert direct de ses apprentissages dans l’action, - Trouver un lieu de ressourcement.

Comment se déroule une rencontre de codéveloppement ?

Une rencontre débute par un tour de table, un échauffement avec les bons coups ou un

comment ça va ?, etc. Puis les personnes qui ont présenté quelque chose à la dernière

Page 394: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 394

rencontre font, chacune, les suites de leur consultation. On passe ensuite aux consultations du

jour.

Les six étapes d’une consultation sont les suivantes :

1. Présentation et demande du client ; 2. Questions de clarification par les consultants pour bien comprendre la situation du client ; 3. Redéfinition du contrat et des attentes du client ; 4. Exploration réflexive : questions pour aider le client à apprendre de nouvelles « choses », à

penser, ressentir, agir différemment ; Suggestions, références et autres formes de réactions, de commentaires ;

5. Client : hypothèses d’actions concrètes ; 6. Apprentissages faits par le client et les consultants, informations utiles pour leur propre

pratique. Évaluation du processus.

A qui s’adresse le codéveloppement professionnel ?

- A des personnes qui croient qu’elles peuvent apprendre de leur propre pratique et de celle des autres ;

- A des personnes qui croient qu’on apprend dans, sur et par l’action, qui sont capables de faire le processus réflexion-action-réflexion ;

- A des personnes qui acceptent de travailler l’écoute, le questionnement et le feed-back ;

- A des personnes qui acceptent de se mettre dans une attitude intérieure d’apprentissage ;

- A des personnes qui veulent se développer sur le plan personnel et le plan professionnel.

Quelles sont les conditions de succès d’un groupe de codéveloppement ?

Une première condition est le volontariat des participants même si, à certains endroits, on

contraint certaines personnes à participer à un groupe parce qu’elles en ont besoin ou qu’elles

font partie d’un groupe qui, majoritairement, veut faire du codéveloppement.

La confidentialité est un élément essentiel dans le groupe. La création d’un climat de

confiance se fait à partir de cette règle de confidentialité et le climat de confiance est ce qui

permet à un individu de mettre les vraies affaires sur la table.

L’engagement des participants, leur ponctualité et assiduité au groupe. La richesse d’une

consultation dépend de la qualité des participants et de leur nombre autour de la table.

Plus il y a de têtes pensantes, plus il y a d’idées et les consultants font soit du « pousse » sur

les idées soulevées par les autres soit de la divergence afin d’offrir plusieurs options au client.

D’ailleurs chaque personne a ses propres grilles d’analyse, sa façon de voir une situation, sa

façon d’intervenir. S’il manque quelqu’un c’est une richesse en moins.

Page 395: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 395

Le respect pédagogique. On se donne l’heure juste en codéveloppement. Il n’y a pas de

condescendance. On conteste, on provoque parfois mais on le fait avec des mots et un ton qui

respectent l’autre. Le but est d’aider l’autre et non de régler des comptes.

Une absence de lien d’autorité entre les participants est favorable sinon essentielle au bon

fonctionnement d’un groupe. Elle offre toute liberté aux participants et permet l’absence de

censure dans les paroles.

La centration sur la personne du client et pour le réaliser, la mise en commun de toutes les

ressources des consultants et de l’animateur au service du client.

Conclusion

Le codéveloppement professionnel est un lieu d’intégration, un lieu de réciprocité et un lieu

de solidarité.

Bernadette Thomas210

: « La circulation des savoirs professionnels dans le réseau des Cités des métiers »

Réciprocité et acquisition de savoirs professionnels

Trois niveaux de réciprocité dans une Cité des métiers :

- Le conseiller dans sa relation à l’usager (empowerment) ; - La création collective de savoirs grâce à la mutualisation entre institutions différentes ; - Au niveau du réseau des Cités des métiers (mutualisation dans un contexte

international). La réciprocité se joue à partir d’échanges de pratiques (condition : le volontariat).

Renforcement de la coopération solidaire

- Création d’identité professionnelle collective avec définition par les membres eux-mêmes de leur propre identité professionnelle ;

- Un mode de gouvernance ; - Création d’outils collectifs

Développement de savoirs non formels :

La personne « experte » de sa situation

Résultats

- Développement es outils ans les bourses d’échanges professionnelles ; - Développement des échanges entre les conseillers à l’international ; - Reconnaissance de l’importance des savoirs non formels.

210

Adjoint au directeur de la Cité des Métiers de Paris, chargée du Label Cité des métiers.

Page 396: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 396

Catherine Bernatet211

: « Echanges de savoirs professionnels dans la Cité des métiers de Limoges » Réciprocité active

- Amener les professionnels à échanger leurs savoirs : faire une offre et faire une demande. Les personnes découvrent de nouveaux savoirs en elles, peuvent les exprimer. Elles apprennent aussi à découvrir les savoirs de leurs collègues et à les prendre en compte.

- Les rencontres autour de l’élaboration d’une cartographie des compétences ont permis aux conseillers, ensemble, dans le « ici et maintenant » de développer des savoirs inédits « chemin faisant ».

AAtteelliieerr CC 22.. 66 :: RRéécciipprroocciittéé,, pprriissee ddee ppaarroollee eett llaannggaaggee

Christine Burgevin et Francine Tétu, avec des élèves, des parents d’lèves de Troyes et des habitants de Montereau

Christine Burgevin212 : Echanges philo entre un groupe d’enfants et un groupe d’adultes

A Jacques Lévine.

J'ai découvert les ateliers philosophie en février 2002, lors d'un stage de formation continue à

l'IUFM de Troyes intitulé « La Parole de l'enfant ».

Les élèves de l'école dans laquelle je travaillais alors et qui s'inscrivait dans le mouvement

Freinet, vivaient quotidiennement et de façon hebdomadaire différents temps de parole (Quoi

De Neuf, réunion coopérative). L'atelier philo tel que le décrivit Annick Perrin, professeur de

philosophie à l'IUFM de Boneuil, lors de ce stage, pouvait compléter la palette…

Intéressant, essayons !

Très vite, j'ai pu constater que cet atelier, bien plus que de compléter la palette, venait tout

simplement combler un vide notoire.

Ai-je eu la chance de rencontrer les personnes qui suivaient la conception de l'atelier philo la

plus proche de mes idées, de mes convictions pédagogiques ? Ai-je été influencée par l'entrée

en matière, celle qui se présentait à moi ? Comment aurais-je réagi si j'avais dû mes premiers

contacts avec l'exercice à des personnes qui suivaient d’autres courants ? Je ne peux le dire

mais, vraiment, il m’est difficile d'imaginer que je n'en serais pas venue aux « ateliers de

philosophie naturelle ».

211

Consultante en insertion sociale et professionnelle. 212

Professeur des écoles.

Page 397: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 397

Je m'explique et, pour cela, je reprends la présentation d’Annick Perrin :

« La philosophie avec les enfants, à l'école primaire, est une recherche qui se ramifie en

plusieurs courants. À l'origine, dans les années 70, c'est le Canadien, Matthew Lippmann, qui

l’a initiée et développée. Depuis 1996, en France, plusieurs conceptions différentes de ce que

doit être la philosophie à l'école, son sens, sa technique, ses enjeux scolaires, ont été mis en

œuvre par des enseignants et des chercheurs. On peut, pour des raisons de clarté, ramener

cette diversité à trois grandes tendances :

- l'une, axée sur le travail de précision de la pensée, de rigueur du raisonnement,

d'apprentissage de l'argumentation (c'est l'enseignant qui anime, reformule, fait des synthèses

partielles, des relances, etc.) ;

- la seconde axée sur la formation du citoyen, dans le cadre de la pédagogie institutionnelle : il

s'agit alors d'apprendre aux élèves, à tour de rôle, à reformuler, à synthétiser, à questionner ce

qui se dit dans une discussion philosophique (le maître est là pour rappeler les règles, répartir

les rôles ; il intervient légèrement, si nécessaire, pour relancer la réflexion par des questions) ;

- la troisième (ateliers de « philosophie naturelle »), que nous présentons ici, accorde une place

centrale à la pensée interne (ce qui se passe dans la tête quand on réfléchit à des questions

existentielles au sein d'un groupe) et à la confiance dans leur propre compétence que les

enfants développent grâce à cette expérience. L'accent est mis ici sur les enjeux identitaires de

l'expérience du « penser par soi-même » (l'enseignant est garant des prises de parole mais il

n'intervient pas sur le contenu de la réflexion des élèves). »

Un atelier qui laisserait complètement la parole aux enfants, sans que l'enseignant

n'intervienne ? Un enseignant tellement sûr du potentiel de l'individu – fût-il enfant – pour se

taire dix à quinze minutes dans une journée de classe ? C'était pour moi ! Pour moi qui prenais

de plus en plus conscience de trop parler en classe… Le « risque » n'était pas grand : dix

minutes de parole laissée aux élèves !

Je ne me souviens plus, je l'avoue, du thème du premier atelier philo que je proposai, ni même

de son contenu mais certainement appartenait-il à la liste laissée par Annick Perrin : Grandir –

Le bonheur – La joie – L'amitié – la honte – Partager – Exister – La colère – Etre libre… Et bien

d'autres !

Les mots, verbes, substantifs, adjectifs, ternes et bien banals sur le papier, prirent vite de la

couleur en classe, ces génériques de dictionnaires devinrent des terrains de jeux adoptés des

enfants qui se chargèrent de les aménager à leurs pensées !

Je ne me souviens pas des contenus mais je me souviens globalement de mes surprises à

chaque atelier, surprises qui, dans le même temps, d'un côté se chargeaient de me faire

comprendre que je n'étais pas si sûre du potentiel de ces enfants – aurais-je été, sinon,

Page 398: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 398

surprise ? ! – et d'un autre côté, confirmaient le fait : les enfants pensent et ont beaucoup à

dire de leurs pensées.

Je me souviens du premier émoi lors du premier atelier philo ; la discussion était lancée,

d'abord timide, matérielle, superficielle – le « premier ça parle » de Jacques Lévine –, quand, à

la suite d'une intervention, un silence se fit : une Pensée venait d'être dite, une pensée

originale qui intéressait tout le monde et qu'on avait envie de garder, dans notre terrain, cette

Pensée lança le ton : les enfants pouvaient accéder à une certaine hauteur qui n'était pas

réservée aux Grands, aux philosophes, les enfants et moi découvrions la langue du « troisième

ça parle ».

Nous avons retrouvé cette fleur rare dans un jardin naissant à l'atelier suivant : même silence

pour « l’ac-cueillir ». Puis, sachant de mieux en mieux où la trouver, les enfants grossirent les

bouquets de pensées sans jamais banaliser le fait, chaque pensée était reconnue.

De mon côté, j'observais des enfants grandis et grandissants : étaient-ils vraiment plus petits

avant ces ateliers ou bien mon regard changeait-il ?!

Je respectais ces moments d’atelier philo comme des sas protégés de toute récupération

pédagogique – pas de poésie, exposé ou autre recherche sur le sujet –, j’en ressentais le

besoin, on s'installait là pour se poser, se pauser, de véritables moments de bonheur attendus.

Les concepts tombaient là, sans transition avec le vécu précédent et, pourtant, tellement vite

happés par les enfants, « ça leur parlait et ils en parlaient », j’apprendrai plus tard que cette

envie de penser est nourrie de pulsions – « Le mot pulsion, avec sa connotation biologique est

discutable. Mais nous le gardons parce que le mot plaisir nous paraît insuffisant, et que le mot

jouissance serait excessif » – « vouloir savoir comment c’est fait, comment est fait ce qu’on

appelle un être civilisé, comment ça fonctionne, comment ça se comporte dans l’existence »

(Jacques Lévine, La notion de monde philosophique des enfants, Je est un autre, AGSAS).

Depuis 2002, j’ai proposé les ateliers philo à tous les élèves avec lesquels j’ai travaillé : CM1,

CM2, et même CE1-CM2 J’ai pu constater que le mélange des âges fonctionne très bien.

Quelle que soit la classe, le bonheur – la « bonne heure » – du moment philo est atteint, pour

chaque classe, ce moment hebdomadaire est attendu et fortement regretté si, pour une

raison ou pour une autre, celui-ci est – rarement – annulé.

Mon plaisir étant visiblement aussi important que le leur, j’ai compris que j’étais moi-même

animée d’un « vouloir savoir comment » « Ils étaient faits » et que cette découverte est

fortement passionnante ; vous dire que les Pensées exprimées m’aident à mieux les connaître,

les comprendre et ne peuvent que favoriser l’accès global au savoir relève de l’évidence en

même temps que d’une formidable chance.

Chacun révèle une part de lui-même, une part qui se mérite dans la confiance. Le bon en math

et en français donne à voir ses fragilités, l’élève en difficulté montre sa force et le dominant

Page 399: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 399

des jeux de récréation dit ses peurs. Je pense à Mathieu qui osa dire comme il avait souffert

de ne pouvoir enfiler des perles sans moquerie, je pense à Nicolas – plus grand que moi – qui

n’avait peur de personne sauf de sa mère et, à chaque fois, le même silence qui reçoit et qui

remercie du cadeau-confiance.

Ces paroles appartiennent plus au registre de la psychologie qu’à celui de la philosophie ? On

peut le dire mais, partant du protocole « Je est un autre » énoncé en début de chaque

atelier – « On va faire de la philosophie, c'est-à-dire qu’on va apprendre à réfléchir sur des

questions importantes pour tous les hommes. Il n’y a pas une seule bonne réponse, mais toutes

sortes de bonnes réponses possibles » –, j’ai vérifié ce qu’écrit Jacques Lévine : « L’atelier philo

fonctionne comme un miroir du cheminement que fait l’enfant au cours de ce travail de

prédation, d’élaboration et d’appropriation de la réalité. […] C’est le spectacle du Moi pour soi

qui monte à l’assaut de la pensée universelle pour en connaître les secrets, il passe par les

escaliers du Moi groupal après avoir rendu visite à ce que lui-même, en tant que Moi pour soi

connaît des autres étages du Moi. » (Jacques Lévine, La notion de monde philosophique des

enfants, AGSAS, pages 10 et 12)

Ces parts de Moi sortent parfois des échanges comme des flèches, des volcans explosant :

elles « n’entrent » pas dans le protocole et pourtant, chacun sait les respecter et les recevoir

comme nécessaires.

Maître-formateur, adhérente d’un groupe Freinet, je ne me suis pas retenue de dire, de faire

savoir… jusqu’au jour où, en juillet 2006, à la suite d’une présentation de ce qui se vivait dans

ma classe, Francine, travailleur social à Montereau, est venue me voir pour me proposer ce

qui allait devenir une formidable aventure.

Animant des rencontres hebdomadaires d’adultes au sein d’un groupe intitulé « Echanges –

Idées – Entraide », Francine venait d’avoir l’idée, non seulement de proposer aux membres du

groupe de pratiquer les ateliers philo, mais encore d’installer une forme d’échange de ces

ateliers, entre mes élèves de neuf et dix ans et les adultes de Montereau…

BOUM ! Cela fit Boum effectivement parce que je fus d’abord très surprise par la proposition :

comment « penser » une telle chose ? Des adultes et des enfants ? Je peux le dire aujourd’hui,

la surprise se mêla très vite au doute dans lequel l’idée de réussite de l’entreprise prenait peu

de place.

« Ah oui… Pourquoi pas ? »… L’idée était, malgré tout, assez saugrenue pour ne pas être

intéressante, l’originalité poussait au défi !

Les vacances ont passé et, début septembre, Francine et moi, nous avons parlé chacune de

notre côté du projet, elle, aux adultes du groupe de Montereau, moi, à mes élèves de CM1-

CM2. Les groupes ont rapidement proposé des sujets, nous avons d’abord retenu les sujets

communs : Le Partage – Le Racisme – Tricher – Pourquoi l’école – L’Amour…

Page 400: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 400

Parallèlement les personnes se sont découvertes, les enfants disaient leurs questions, les

dames disaient leur vie ; très vite Philo et choses de la vie ont résonné sans se confondre : les

ateliers philo avaient leur temps hebdomadaire, leur cadre et leur protocole mais ce qui a pu

s’échanger par ailleurs a pris une dimension insoupçonnée : on a vécu une véritable rencontre

culturelle ; les toutes premières réactions des enfants à la lecture des présentations des

dames révèlent déjà cette richesse :

« Bonjour à toutes les dames,

On a lu vos présentations qui nous ont bien intéressés. On a quelques questions à vous poser :

1. Comment peut-on se procurer le livre de Messaouda parce que nous aimerions bien le lire ? Nous avons beaucoup aimé sa saynète !

2. Messaouda, pourquoi n’avez-vous pas appris à lire et à écrire ? 3. Pour les dames qui ne sont pas nées en France :

- dans quelle ville, dans quel pays êtes-vous nées ? - comment avez-vous appris la langue française ? Est-ce que cela a été facile ?

4. Pourriez-vous nous envoyer d’autres proverbes, d’autres phrases dans des langues différentes ?

5. Mukader, qu’est-ce que c’est, un squat ? 6. Francine, pouvez-vous nous parler de votre vie quotidienne avec Léa* ? 7. Quelle est la vie de Léa, à quoi joue-t-elle ? 8. Pendant les vacances, vous réunissez-vous ?

Merci pour les cadeaux, on vous en prépare.

Nous aimerions bien vous rencontrer un jour…

Toute la classe, Vendredi 20 octobre 2006 »

* Léa est la petite fille trisomique de Francine, une des dames.

Du protocole des ateliers philo « Je est un autre » du groupe AGSAS, j’ai, depuis longtemps

renoncé à la limite des dix minutes pour la durée. Je n’ai jamais pu arrêter la parole des

enfants demandeurs sauf à quelques occasions pour lesquelles le sujet anime tellement – je

pense notamment à un atelier sur le sujet Les filles et les garçons, les garçons et les filles –

qu’ils parlent, parlent sans donner l’impression de pouvoir « vider le sac » : après trente à

quarante minutes, je leur propose d’écrire les pensées qu’ils souhaitent exprimer et je les

ajoute à la transcription. Une moyenne de vingt minutes correspond à la réalité des vécus.

J’ai également vite renoncé à l’annonce surprise du sujet en début d’atelier ; au contraire, le

sujet est connu de tous d’une semaine sur l’autre, les enfants de plus impliqués proposant

eux-mêmes les sujets. Le choix des sujets fait lui-même l’objet de discussions externes à

l’atelier.

J’ai, par ailleurs, gardé mon rôle de « lanceur/écouteur/transcripteur » :

Page 401: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 401

- je rappelle le protocole donné par Annick Perrin, les élèves, avec leurs mots, s’en chargent par la suite ;

- je donne la parole à un premier élève demandeur (doigt levé) qui la donnera à son tour et ainsi de suite ;

- pendant ce temps, je ne dis mot et… je « gratte » ! ; - après le temps de l’échange entre enfants, je relis mes notes sans nommer les enfants

auteurs ; - Je tape ces notes qui seront ensuite classées et qui peuvent être librement lues par les

enfants.

J’avais transmis à Francine, qui me l’avait demandé, cette pratique mais, à la lecture des

premières transmissions écrites des ateliers des dames, les enfants ont remarqué un ton et

une forme qui n’étaient pas les leurs, qui n’étaient pas les nôtres :

- d’abord, les dames parlent d’elles, de leur famille et de leurs amis, elles ne parlent pas de

l’Homme en général, de tous les Hommes ;

- ensuite, les textes que nous recevons mentionnent le prénom de chacune d’elle précédant

les paroles.

Il faut en parler !

J’avais bien expliqué aux enfants que l’important était de participer, parlant ou ne parlant pas,

qu’un enfant, là, présent dans le groupe, participait intérieurement et que donc la

transcription, fruit de la réflexion du groupe, n’avait pas à faire apparaître les prénoms… (La

« communauté de recherche » de Matthew Lipman).

Adapté du protocole AGSAS, celui que nous énoncions précisait selon les jours qu’ « on parle

des hommes en général, et non de sa famille, de ses amis, de son quartier… », d’où les

tournures impersonnelles des phrases énoncées : « On…. », « Il y en a qui… ».

L’atelier philo des dames remettait en cause ces deux points qu’un échange hors contexte

atelier a vite résolus :

- on est fier de voir son prénom apparaître devant la pensée qu’on a dite ; - on a envie de parler des gens qui sont autour de nous, c’est notre vie.

Enseignante, j’ai surmonté le premier point qui contredisait le concept de Matthew Lipman et

auquel j’étais attachée par le fait que nous nous trouvions dans un contexte d’échange entre

des personnes ne se connaissant pas ; ces personnes avaient besoin « d’individuer » pour

mieux se connaître ; la dimension groupe, vite perçue, ne suffisait pas.

J’ai vite abandonné le deuxième point : comment les enfants pouvaient-ils parler de LA vie

sans parler de la LEUR ?

Nouvelle tournure a donc été rapidement prise : on s’est mis à parler de soi pour mieux

découvrir l’Autre semblable et tellement différent…

Page 402: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 402

L’Autre-enfant de la classe apporte ses peurs, ses envies, ses rêves encore proches du chacun-

élève de neuf/dix ans à l’école Paul Bert de Troyes, l’Autre-adulte, habitant du quartier Surville

à Montereau apportait bien d’autres réalités…

Ce groupe de grandes personnes présentait des caractéristiques que les enfants ont vite capté

en parlant des « dames » et que notre tout premier échange sur le thème du Partage a

particulièrement bien révélé : (ci-après le début de notre deuxième atelier sur le Partage, et

donc notre première discussion à partir de l’atelier du groupe d’adultes).

CM1-CM2 Ecole Paul Bert Troyes Jeudi 28 septembre 2008

Discussion à partir de l’échange du groupe EIE : le Partage

Maxime : Ils parlent des gens qu’ils connaissent.

Audrey : J’ai lu qu’il y avait des gens qui jugeaient.

Julien : C’est différent de nous, il y a beaucoup de choses.

Matthieu : Ils parlent d’eux.

Océane : Elles pensent beaucoup que le partage, c’est l’entraide.

Valentine : Elles parlent d’elles.

Sofia : Elles disent plus de choses sur elles.

Audrey : Quand elles écrivent, il y a leur prénom. Nous aussi, on devrait mettre les prénoms.

Delphine : Elles partagent beaucoup de choses ensemble, de la nourriture comme des

sentiments.

Matthieu : Il y a des paragraphes qui sont bien, qui disent beaucoup de choses, de leur religion

par exemple.

Sarah : Elles doivent avoir plus de temps que nous, si on regarde bien les horaires. (Les heures

de début et de fin sont mentionnées, on calcule la durée de l’atelier qui est de 25 mn)

Valentine : Elles parlent beaucoup, elles n’ont pas peur de parler, elles participent toutes, ce

qui n’est pas notre cas, elles font des phrases plus longues.

Audrey : Elles partagent des douleurs, quand des gens ne se sentent pas bien, elles les aident.

Sofia : Toutes n’habitent pas la Ville Haute apparemment.

Sarah : Elles parlent souvent du temps d’avant, 18 ans, 5 ans en arrière …

Matthieu : Apparemment, on a mis 25 ans à les accepter, c’est long…

Etc.

Souffrance personnelle, vie matérielle précaire ou peu aisée, spontanéité d’expression,

richesse culturelle, grande générosité… Les enfants ont très vite accroché des atomes avec ces

étonnantes personnes qui, singulièrement, leur révélaient des histoires qu’on ne leur avait

Page 403: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 403

jamais racontées. Ces histoires, ils les comprenaient pourtant bien, ils savaient que « ça »

pouvait exister, ils en entendaient parler « aux informations », dans des reportages mais…

jamais on ne s’était adressé à eux pour leur raconter, ils avaient juste capté des messages qui

ne leur étaient « normalement » pas destinés et qu’on – les grandes personnes destinatrices –

voulait bien leur laisser entendre ; et ces dames leur racontaient, en personne et à eux, la

religion, l’immigration, la trisomie, l’avortement, le choix des parents, leur regard sur

l’éducation ( !), la pauvreté, les sans-papiers, les SDF, les logements précaires qui brûlent, les

injustices faites aux femmes, le divorce…, elles leur racontaient et ils pouvaient même dire ce

qu’ils en pensaient, réagir !

Par cet échange, mes élèves ont accédé au degré ultime de la « Pulsion d’équivalence » : non

seulement, on leur permettait d’être « un habitant de la Terre qui pense à la façon dont les

Hommes se conduisent sur Terre », en devenant « réfléchisseurs » des problèmes de

civilisation mais encore étaient-ils, avec ce groupe d’adultes, en véritable co-réflexion : leurs

réflexions étaient entendues, et pas seulement d’eux-mêmes, leurs réflexions étaient

suffisamment importantes pour être lues, acceptées comme telles, questionnées, relancées ;

leur capacité à réfléchir était jugée assez grande pour recevoir les réflexions des adultes : les

enfants, autant que les adultes, apportant et importants, se trouvaient « grands ».

C’est une force que j’ai découverte en même temps que les enfants et qui a démoli mes murs

de doute : des enfants ont pu échanger des ateliers philo avec des adultes – oui, Francine, tu

as eu raison de penser et de proposer.

Certainement les dames et les hommes qui ont rejoint le groupe ont-ils, par moment, souri,

excusé certaines des pensées d’enfant, certainement ces personnes ont-elles dû, par moment,

dire : « Ce sont des enfants ! » mais, jamais les enfants n’ont eu le sentiment que leurs

pensées n’étaient pas à la hauteur : le ton des messages reçus correspondait à celui de ceux

que nous envoyions : on se co-re(s)pondait.

Un sujet était retenu, chaque groupe pratiquait un atelier philo sur le sujet, il y avait alors

échange de ces ateliers à partir desquels un deuxième atelier sur le sujet était proposé : la

lecture de l’atelier des Autres relançait la discussion…

Les transcriptions d’ateliers philo étaient souvent accompagnées de lettres, textes, contes,

poèmes, photos, dessins, collages : nous découvrions des univers et ça nous intéressait

drôlement fort.

Léa, la petite fille trisomique de Francine, est entrée dans notre cercle, des photos d’elle ont

été affichées dans la classe, Messaouda nous a raconté son enfance, sa vie dans le désert sans

école mais plein de savoirs à prendre ; son livre de contes offert par Francine est devenu un

objet sacré de notre bibliothèque.

De semaine en semaine, ces personnes que nous n’avions jamais vues nous devenaient

cependant de plus en plus familières : nous parlions de Simone, Francine, Hafida, Véro,

Page 404: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 404

Valérie, Léonide, Messaouda – je ne peux toutes les citer – comme des proches différentes,

comme des Autres qui nous comprenaient tellement bien.

Puis Noël est arrivé et je n’oublierai jamais l’arrivée de l’énorme carton dans notre classe et

surtout la surprise pétillante dans les yeux des enfants quand on l’a ouvert… de toutes les

couleurs, ça brillait tellement, toutes ces boules décorées et offertes par les dames… un vrai

moment de Noël. Le « don » a engagé les enfants dans un gros désir de « contre-don » qui les

a amenés à se répartir le travail et à s’« attribuer » une dame : l’échange groupal a été alors

enrichi de relations individuelles qui durent encore pour certaines d’entre elles.

Au printemps, Christian du groupe de Montereau et conservateur de la Réserve Naturelle de

Surville, nous a donné toutes sortes de conseils pour nos plantations – on menait cette année-

là un important projet jardin – ; il nous a envoyé un livre de jardinage qui est devenu aussi

sacré que le livre de contes de Messaouda.

Ainsi avons-nous échangé de belles « choses » sans nous être jamais rencontrés de visu. Le

désir grandissant de se voir a été rendu possible grâce à Francine qui a trouvé la possibilité

matérielle d’un déplacement, ça a été alors, pour toute la classe, l’occasion de travaux de

préparation sérieux et réjouissants, les enfants ont pris véritablement ces préparatifs en

main : organisation, présentation, préparation du déjeuner avec les parents qui nous gâtèrent.

J’ai le souvenir d’une journée douce et très forte en émotion que la lecture des textes écrits

par chacun a posteriori ranime très vite. Il fallait voir chaque enfant accueillir « sa dame » ou

son correspondant !

Claire Héber-Suffrin et son amie Nicole Desgroppes, averties par Francine et invitées, nous ont

accompagnés lors de cette journée et nous ont aidés à réaliser « intellectuellement » ce que

ce projet nous avait apporté, ce qu’il pouvait signifier.

Nous nous sommes séparés, plus liés encore, je me souviens du temps des « au-revoir » entre

le portail de l’école et le bus qui attendait les habitants de Montereau, on ne finissait pas de

s’embrasser, de se prendre en photo, de se remercier, de s’échanger adresse personnelle et

numéro de téléphone…

Nous avons fini l’année, forts de ce qu’on pouvait appeler une amitié.

L’avant dernier atelier de philo de l’année – la mort – fortement souhaité par les enfants, a fini

de convaincre les dames que l’on pouvait parler de tout. De son côté, le groupe EIE nous a

envoyé son dernier atelier philo de l’année sur le thème de l’eau empreint encore et toujours

d’énormément de force avec un témoignage particulièrement unique sur la vie sans eau, dans

le désert.

Poursuivre, ne pas en rester là relevait de l’évidence. A la rentrée suivante, septembre 2007,

j’ai retrouvé une petite partie de ma classe avec laquelle nous avons accueilli une vingtaine de

Page 405: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 405

CM1. Les CM2 ont présenté le projet à leurs camarades, ont parlé des personnes du

groupe EIE, c’étaient nos amis.

Nous avons difficilement retrouvé cette année-là, les émois de l’année passée… Les causes en

sont sûrement diverses, nous nous sommes, Francine et moi, exprimées sur ce fait :

- nous poursuivions dans la lancée le projet avec un groupe permanent et un groupe

nouvellement constitué ;

- l’intention d’intégrer d’autres classes à nos échanges était certainement très positive mais

peut-être aurions-nous dû construire, avec ces nouveaux arrivants, un autre projet plutôt que

de les inviter dans notre sphère ;

- des difficultés professionnelles pour l’une, d’autres projets pour l’autre, ont mangé quelque

peu notre énergie, à Francine et à moi-même, pour ce qui nécessitait, malgré toutes les bases

lancées, un investissement important : plus d’une centaine de mails ont été échangés entre

Francine et moi lors de l’année précédente pour une correspondance au contenu riche,

stimulant, moteur… : cet échange-là, aussi, a fait partie du projet.

Si le rythme s’est ralenti lors de cette deuxième année, cela ne nous a pas empêchés de nous

retrouver pour des moments difficiles par exemple, je pense aux soucis vécus par l’une des

dames dite « en situation irrégulière » sur le sol français …

Ces freins n’ont pas empêché non plus l’échange des ateliers philo et surtout la préparation et

le vécu de notre deuxième rencontre, cette fois-ci à Montereau. Mes élèves se sont engagés

de nouveau beaucoup pour ce projet : réservation de bus (appel téléphonique, lecture de

devis…), vente d’objets pour payer le transport, organisation du marché aux savoirs.

Accueillis en musique et en chant dans une belle salle municipale du quartier Surville, reçus

comme des rois, nous avons vécu encore une fois, une merveilleuse journée de laquelle nous

allions rapporter de beaux souvenirs : chants, jeux, recettes, fabrications d’objet, cadeaux,

enfants et adultes ont échangé avec un même plaisir. L’après-midi, la salle s’est transformée

en véritable planète-philo : trois classes de Montereau nous ont rejoints pour vivre un atelier

philo sur le thème « Voyager ». Imaginez six, sept cercles d’une douzaine de personnes,

enfants et adultes, échangeant dans la même salle, au même moment sur le même sujet :

formidable même si, là encore, nous n’avons pas repris les contenus à leur juste valeur.

Tant pis ! ça a eu lieu, on sait que c’est possible et que c’est nécessaire : le mélange fait

ressortir les différences, la philo permet de les découvrir et de les entendre : le « voyage »

n’était pas le même pour tous ; apprentissage ou rappel, ce doit être dit.

Aujourd’hui, je remercie les enfants qui ont vécu cette aventure et leurs parents qui les ont

accompagnés : ils sont là, c’est heureux, pour témoigner à leur façon…

Page 406: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 406

Je remercie Francine sans qui, l’aventure n’aurait jamais eu lieu, et qui l’a rendue grande,

cette aventure,

Je remercie toutes les personnes du groupe EIE : elles sont tout simplement formidables ! Les

enfants étaient peut-être les premiers destinataires des lettes, ateliers, poèmes que vous

écriviez mais… si vous saviez comme j’ai, moi-même, puisé dans vos pensées, dans vos

réflexions ! Vous êtes fortes, très fortes d’une riche simplicité.

Cette année, j’ai une classe de cours préparatoire, une première discussion philo s’est

« naturellement » engagée à la suite de la lecture d’une histoire, sur la Terre. Ce premier

contenu m’a à nouveau surprise, m’a fait retrouver le bonheur des ateliers philo.

Nourries de notre amitié, Francine, les personnes du groupe EIE et moi cherchons le moyen

d’échanger sur ces bases…

Francine Tétu213

Depuis 1995, le groupe EIE (Echanges/Idées/Entraide) est composé de femmes habitant

Surville, parfois en situation d’isolement social, toujours en recherche de liens et de nouveaux

apprentissages. Elles se réunissent chaque mardi de l’année scolaire, de 14h à 16h30 au

centre social de Montereau Fault Yonne, pour y participer à différents ateliers dont l’objectif

est de créer du lien à l’intérieur du groupe, mais aussi dans le quartier. Elles viennent pour le

plaisir de se rencontrer, mais également pour acquérir de nouvelles compétences au gré des

opportunités.

Ces opportunités sont celles dont on se saisit au gré des qualifications de telle ou telle

appartenant au groupe, qu’elle soit habitante ou professionnelle, que ce soit en cuisine,

travaux manuels, contes, environnement et plus récemment philosophie, compétences

échangées indistinctement. C’est ce qui a permis aux dames, au fil du temps, de se qualifier

tant sur le plan individuel que collectif.

C’est après avoir travaillé sur le mode des échanges de savoirs en interne pendant les

premières années, que le groupe a éprouvé, à moment donné, le besoin de s’exporter. C’est

ainsi qu’à plusieurs reprises, elles ont apporté leur qualification de conteuses aux enfants du

centre de loisirs de Surville qui les ont guidées à leur tour dans une Marche Verte locale pour

nettoyer le Bois du Lycée de ses déchets… Elles ont également raconté des histoires aux

enfants de l’Association « Amis de l’Enfance Survilloise » dans le cadre de promenades

contées. Elles se sont qualifiées dans la protection de l’Environnement au contact de la

Maison de l’Environnement d’Ecuelles, mais aussi du conservateur de la Réserve Naturelle de

Surville (la première Réserve Naturelle Urbaine de France !), qualification qu’elles ont mise à

la disposition du quartier dans le cadre de journées d’information… Vous dire tout ce qu’elles

213

Agent de développement social, Antenne sociale CAF Montereau 77.

Page 407: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 407

ont réalisé depuis tout ce temps serait beaucoup trop long. Si d’aventure cela vous intéresse,

il n’est que d’aller interviewer les dames du groupe ici présentes.

C’est en septembre 2006 qu’ont démarré les ateliers philo au sein du groupe EIE. Au cours de

l’été de la même année, j’ai eu l’occasion de rencontrer Christine dans une formation destinée

aux enseignants Freinet, à la Chapelle-St-Luc près de Troyes. Seul travailleuse sociale

immergée dans un groupe d’enseignants, lorsque j’ai entendu annoncer au menu « atelier

philo », j’ai senti que j’allais peut-être, si je suivais cette piste, trouver du grain à moudre tant

sur le plan personnel que professionnel.

C’est donc dans cet esprit que, le matin même de cette rencontre, je suis allée écouter

Christine exposer à celles et ceux que cela intéressait, le travail qu’elle faisait en « philo » avec

ses élèves depuis plusieurs années, s’inspirant pour ce faire du protocole Jacques Lévine. J’ai

écouté, plus, je me suis imprégnée de ce que Christine nous disait, et peu à peu, sans même

que je m’en aperçoive, une idée simple, limpide s’est imposée à moi : et si ce que Christine

faisait avec ses élèves, je le faisais avec les dames de l’EIE ?

Cela me paraissait possible de mettre en place le protocole Jacques Lévine, connaissant la

qualité des dames composant le groupe. Nous avions déjà réalisé tant de projets ensemble !

Avant d’exprimer cette idée à Christine, je suis retournée l’après-midi dans son atelier pour

vérifier si mon intuition résistait à une deuxième présentation… J’en suis ressortie convaincue

de la justesse de mon intuition et de la faisabilité du projet.

C’est ainsi que, avant que chacun ne se sépare, timidement je me suis approchée de Christine

pour lui soumettre mon idée. Je ne l’ai pas sentie opposée, et nous avons échangé nos

adresses mails.

Au cours du mois d’août 2006, j’ai commencé à rédiger un pré-projet que j’ai soumis à

Christine qui lui a apporté les compléments nécessaires, étant bien entendu que l’idée venant

de moi, tout cela ne serait mis en œuvre que si les dames de l’EIE y donnaient suite.

Projet Atelier Philo Enfants/Adultes

Constat

Le désarroi d’une majorité de personnes face à la violence des rapports humains (ex : émeutes

de l’automne 2005) est une difficulté qui se vérifie tant sur le plan individuel que collectif.

Objectif

Général

Promouvoir une culture de la Paix, par le développement de l’esprit critique, de l’autonomie

de la réflexion et du jugement par soi-même…, à l’écoute des autres, intégré dans « une

Page 408: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 408

communauté de recherche » (Matthew Lipman) ; appréhender les notions d’humanisme et

d’universalisme…

Opérationnel

Mise en regard d’un groupe d’enfants et d’un groupe d’adultes traitant du même sujet, au

même moment selon une méthode identique destinée à permettre un enrichissement du

sujet traité, une progression de la pensée personnelle et une découverte commune

intergénérationnelle.

Public

Les enfants d’une classe de CM1/CM2 de la Ville de Troyes (10), et un groupe de femmes se

réunissant régulièrement au centre social de la Ville de Montereau (77).

Partenaires

Les enfants et les adultes cités dans le public visé.

L’enseignant encadrant les enfants.

Le travailleur social encadrant le groupe de femmes.

Déroulement de l’action

De septembre 2006 à juin 2007.

Moyens à mettre en œuvre

- Réunions périodiques autour de thèmes choisis par les encadrants dans un premier temps.

Les ateliers-philo suivent globalement le protocole « Je est un autre » de Jacques Lévine.

- Echanges de comptes-rendus entre les deux groupes par le biais de courriers électroniques.

Evaluation

Constat de l’évolution de la pensée interne des deux groupes en revenant en fin d’année

scolaire sur les mêmes thèmes qu’en début d’année.

Mémoire

Un recueil de toutes les transcriptions des ateliers et échanges sera composé, à disposition

des participants et de toute personne intéressée qui en fera la demande.

C’est ainsi qu’à la rentrée de septembre 2006/2007, j’ai raconté mon histoire aux dames de

l’EIE en prenant la précaution de présenter le projet comme étant réalisable seulement et

seulement si elles y trouvaient un intérêt, le projet étant né dans ma tête, et repris

uniquement par Christine. En effet, à ce moment du processus, nous n’étions encore que deux

à porter le projet. Mais, en cette rentrée 2006/2007, avant la fin de ma présentation, en

Page 409: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 409

l’espace d’à peine cinq minutes, les dames ont créé la surprise en proposant une trentaine de

sujets. C’était parti…

Une longue série d’échanges s’est alors mise en place entre les deux groupes. Ce qui m’a

surprise, et que je n’avais absolument pas anticipé, c’est que, bien au delà des sujets philo,

des échanges plus personnels ont émergé d’eux-mêmes, les dames de l’EIE ressentant un

immense plaisir à être connues et reconnues par des enfants et une maîtresse n’habitant pas

le quartier de Surville.

« Comme ces enfants sont mûrs, comme ils réfléchissent profondément » n’ont-elles cessé de

répéter au cours de ces deux années.

Les sujets de philo toujours choisis en commun ont été :

Le racisme, le partage, les garçons les filles, les pauvres et les riches, pourquoi l’école, le

bonheur, le mensonge, le handicap, oui non, l’amour, les langues, la peur…

Mais il y a eu aussi deux rencontres « physiques » :

- l’une à Troyes, le 15 mai 2007, les dames se sont déplacées par le car pour aller rendre visite aux enfants, accompagnées du conservateur de la Réserve Naturelle et de Léa la fille de Francine.

- l’autre à Montereau le 25 mars 2008, les enfants sont venus à leur tour par le car jusqu’à Surville.

A noter l’impression d’étrangeté que semblait renvoyer les dames de Surville aux enfants de la

classe de Christine, mais également la joie intense et réciproque de faire connaissance, de se

voir « pour de vrai », de se parler autrement qu’à travers un compte-rendu. Je ne répéterai

pas le rapport que Christine a fait de ces deux rencontres. Il est assez parlant à lui tout seul.

Les dames en ont pris récemment connaissance et s’y sont complètement retrouvées.

Au cours de l’année scolaire 2007/2008, le bonheur des échanges de l’année précédente a

donné envie aux dames d’entrer en contact avec des enfants des écoles de Surville. L’idée

généreuse en elle-même, s’est révélée très vite irréalisable dans les mêmes conditions

qu’avec les enfants de Troyes. Comment être en effet disponibles à tant d’enfants (deux

classes supplémentaires) alors que le groupe de dames était resté le même ?

Nous avons alors décidé toutes ensembles d’aller vers les enfants Surville pour procéder à des

ateliers-philo interactifs, sans passer par la transcription des débats… Nous avons eu

l’occasion de tenter l’expérience à deux reprises. Le résultat s’est révélé intéressant… Il y

aurait à développer en ce sens. Mais très vite, nous avons pris conscience que les dames ne se

retrouvant qu’une seule fois par semaine, charger trop ces quelques heures passées ensemble

pouvaient être sujet à dispersion et perte de sens…

Cette année, une donnée nouvelle est apparue : Christine a changé de classe. Cette année

scolaire, elle a des CP. Quels échanges philo envisager avec des petits ? Il fallait inventer, les

dames ne sachant plus comment se positionner. C’est alors que Christine a saisi une occasion

Page 410: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 410

d’expression entre ses élèves sur le thème de la Terre, expression dont elle nous a fait

parvenir la transcription. Les dames s’en sont emparées et ont réagi en faisant confiance à

leur intuition. Les choses en sont là à ce jour…

Pédagogie Freinet (PF) et Développement Social Local (DSL)

Arrivée à ce point de ma présentation, il me semble important d’attirer l’attention sur le fait

que, dans toute cette démarche, j’ai suivi une intuition qui me disait que les concepts et les

méthodes utilisés en pédagogie Freinet étaient tout à fait transposables à mes pratiques de

DSL.

Qu’y a-t-il donc de commun à ces deux démarches ?

Pour répondre à cette question, je me suis tournée vers les besoins communs aux adultes et

aux enfants. J’en ai retenu cinq qui me semblent être parfaitement superposables s’agissant

de l’adulte ou de l’enfant, ainsi que s’inscrire à égalité dans les deux démarches PF et DSL.

Les besoins communs aux enfants dans une classe et aux adultes dans un groupe d’insertion

peuvent être pointés de la façon suivante :

• Besoin de connaître le monde ;

• Besoin de se connaître ;

• Besoin d’exister, d’être reconnu ;

• Besoin de s’exprimer ;

• Besoin de créer… L’ensemble se présentant évidemment de façon complexe.

Pour répondre à ces besoins et faire face à cette complexité, les enseignants et les travailleurs

sociaux peuvent se donner pour objectifs de créer les conditions favorables à :

• Faire émerger du désir dans le public accueilli, le désir étant la ressource énergétique de l’activité de connaissance, et de l’insertion dans le monde.

• L’institution de l’individu comme auteur, les enfants et les habitants restant les maîtres de leurs productions, afin qu’ils les portent le plus loin possible.

• La parole libre et le tâtonnement expérimental, afin qu’advienne la création. Lorsqu’un sujet philo est débattu, que ce soit par les enfants ou par les adultes, le point de départ de l’échange ne laisse en rien présager de sa conclusion. C’est toujours une surprise, une création. C’est pour cette raison que cette démarche est si motivante !

• Le tout au sein d’un groupe positif, non jugeant.

Tout cela peut apparaître comme des concepts bien éloignés de la réalité et pourtant ils n’en

restent pas moins essentiels. Que serions-nous, en effet, travailleurs sociaux ou enseignants,

sans un public animé par le désir d’accroissement d’être, sans sa soif d’apprendre, de

s’apprendre, sachant que jamais cela ne se décrète ?

Dans l’espèce qui nous intéresse, enfants et adultes ont toujours été animés et le sont encore

du même désir de chercher à faire progresser leur pensée interne, au sein de leur groupe

Page 411: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 411

d’origine, puis en interaction avec une autre génération. D’autres désirs sont nés de ce

premier élan… Et c’est là que se produit la surprise de ce qui advient et qu’on ne peut pas

déduire de ce qui est au départ c’est à dire, la création.

Enseignants et travailleurs sociaux, que ce soit en PF ou en DSL, nous sommes des catalyseurs,

c’est à dire « des accélérateurs de réaction, qui sans eux seraient infiniment lentes ou très

minoritaires », ou encore, même si cela n’est pas très français, « des metteurs en place de

conditions favorables au développement des personnes en tant qu’individu, mais également

en tant qu’être collectif ».

Hubert Couzinet214

montre comment recueillir facilement un témoignage d’expérience, d’apprentissage ou un projet d’échange, dans un réseau, par un enregistrement sonore ou vidéo.

Quelques témoignages après les échanges, notés par Nicole Desgroppes

« Moi ce qui m’a beaucoup marqué c’est le projet de l’écriture et de la lecture de la Nouvelle

Calédonie… » ; « Ce qui m’a touché, c’est ce qu’a dit Gilles de la Nouvelle Calédonie et son

projet de lecture et écriture avec les enfants kanak » ; «Je suis venu vous raconter une belle

histoire d’enfant et je repars avec la vôtre en échange. Le partage des savoirs fait qu’ils

grandissent » ; « Expérience très intéressante. J’ai été très intéressée par Hubert Couzinet

pour son projet d’échange par enregistrement vidéo. Et aussi par Gilles Reiss pour son

enseignement » ; « Ça me donne envie de créer des échanges philo dans notre réseau sur ce

modèle » ; « La caméra m’a un peu paralysée au départ. Puis je l’ai oubliée pour entrer dans

l’écoute de ce qui s’est dit. J’ai pu récupérer des « trucs » pour les mettre en œuvre ou tout au

moins les proposer dans le groupe des dames de Montereau » ; « Je suis très impressionnée

par la diversité des prises de parole […]. Je crois que où que nous soyons il y a des choses à

découvrir pour aider et faire grandir les gens. Les enfants nous donnent souvent des leçons

d’humilité, de fraîcheur et ils ont beaucoup de maturité […] »…

AAtteelliieerr CC 22..77 :: QQuueellss ssaavvooiirrss ppoouurr aauujjoouurrdd’’hhuuii

Le groupe savoirs émergents215

Présentation des thèmes traités dans l’ouvrage : Les thèmes abordés sont à mettre en

rapport avec les centres d’intérêt de notre groupe mais non éloignés des attentes de la société

actuelle.

214

Président du RERS de Vichy. 215

Groupe auteur de l’ouvrage : André Giordan et Claire Héber-Suffrin (coordination), Groupe savoirs émergents, 2008, Les

Savoirs émergents ─ Quels savoirs pour aujourd’hui, Nice, LESEDITIONSOVADIA.

Page 412: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 412

Ainsi, « Nos drames peuvent être nos forces ! » par Jean-Michel Delga. Nombre de

potentialités sont en nous que nous ne reconnaissons pas, que nous « n’exploitons » pas. Au

contraire, la connaissance au sens habituel ou la désinformation télévisuelle – mais pas

seulement – peuvent nous en déposséder au profit des savants ou des experts. Cette descente

dans les profondeurs pour affronter le drame est un long cheminement ; mais celui-ci permet

de se dépasser. Le ressort en est à découvrir dans la relation humaine.

L’approche de l’identité est une question bien d’actualité. On la rencontre au quotidien en

matière d’immigration. Il est d’autres identités tout autant douloureuses : par exemple, celle

de la filiation et donc celle de ses origines. La question reste le plus souvent du domaine des

non-dits dans les familles. Or, elle est génératrice d’une souffrance indicible et pourtant

présente dans sa banalité journalière. Ne pas avoir peur d’affronter une telle épreuve permet

déjà un début d’apaisement et un mieux vivre. « Histoire d’une identité choisie », par

Michèle Géhan.

« Vivre dans la différence culturelle » ne saurait faire l’économie d’une corrélation entre les

transformations des modes de vie des individus et un monde qui se transforme en « village

planétaire ». La richesse du vivre ensemble dans la parité des diverses cultures manifeste

l’importance de vivre en proximité. Quand une revalorisation des spécificités culturelles peut

se faire, l’identité s’en trouve restaurée. Bernadette Cheguillaume.

Mieux vivre la retraite au féminin, tout comme au masculin, est bien un pari ; c’est, à la fois,

cultiver l’idée de la représentation de soi et y découvrir la recomposition de plusieurs rôles :

ménager et féminin. L’angoisse du vieillissement n’en reste pas moins très présente ; devenir

grands-parents peut être un défi à cette identité. Dans toutes ces situations, il s’agit de lutter

contre toutes les représentations négatives qui nous viennent de nos souvenirs personnels

mais aussi des pressions dans lesquelles la société nous enferme. « La retraite, un pari au

féminin », par Danielle Coles

« Apprendre à être soi : être soi pour apprendre ». Apprendre permet de devenir soi en

intégrant tout ce qui est appris. Djemila Achour nous fait part de ses remarques sur le

positionnement du formateur dans cette relation avec une clarification des interactions

possibles, conscient de ses projections sur l’autre C’est un thème non appliqué dans le

domaine éducatif habituel. Les retombées d’une telle approche sont immenses pour les

métiers de l’éducation.

Se connaître est un vieux thème, d’autant plus crucial que le monde change très vite. Claire

Héber-Suffrin nous rappelle que nous sommes, de plus en plus, dans des sociétés où nous

devrons apprendre en permanence. Or la connaissance de soi est le fondement même de

toute connaissance. Apprendre et se connaître permettent alors de pouvoir exister à ses

propres yeux, avec et pour les autres, compter sur soi, pour autrui, avec autrui, projeter,

créer... Cette connaissance dans le domaine cognitif facilite la prise de distance avec nos

Page 413: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 413

préjugés et l’acquisition d’un pouvoir sur soi et sur le monde. « La formation réciproque est

source de connaissance de soi ».

« Savoir solliciter autrui pour construire le bien commun ». Eugénie Thiery présente la

sollicitation comme un savoir nouveau indispensable à notre société qui a besoin de pratiquer

plus amplement le crédit de confiance. Ce savoir permet de donner une place à chacun dans la

création collective en termes de dignité, d’autonomie et de liberté au bénéfice de l’individu et

du collectif. C’est dans ce cadre que pourrait se pratiquer plus amplement une « démocratie

participative » : un processus qui aboutit à un autre regard sur la réalité et un autre vécu de

cette même réalité en questionnant des valeurs et des paradigmes tout en faisant appel au

citoyen. Cela nous oblige à cultiver le regard égalitaire, puis la conscience partagée que l’on ne

peut pas penser sans l’autre et réciproquement.

La notion de réseaux est de plus en plus en vogue. Mais « Apprendre à travailler en réseaux

solidaires » n’est pas chose aisée. André Giordan et Claire Héber-Suffrin font le constat du

caractère virtuel et en constante mouvance de cette organisation. La croissance d’un réseau

solidaire repose sur l’interaction des membres et croît au rythme de l’apport de chacun, il fait

appel surtout à la réciprocité. Comment favoriser la participation de tous et la réciprocité dans

un réseau ? Comment échapper à la sélection des plus actifs dès lors que le réseau se

développe ? Nombre de pratiques et de valeurs sont à revisiter tant les usages hiérarchiques

et les normes habituelles sont ancrés dans nos têtes au point de paraître comme des

évidences. Le Savoir travailler en réseaux est l’occasion de pointer un certain nombre de

dimensions nouvelles qui vont à l’encontre de nos habitudes de pensée. C’est d’autant plus

formateur que chacun d’entre nous se trouve impliqué dans plusieurs réseaux en parallèle.

« Le conflit, moteur de changement » est permanent en société ; il fait partie de la vie. Il

semble que l’être humain soit structurellement dans ce type de dynamique, d’interactions et

de relations depuis les temps les plus anciens... En permanence, nous vivons sur le plan

personnel des situations conflictuelles, et ce tout au long de la vie. Le terme conflit s’applique

donc à toute situation dans laquelle se trouvent des individus ou des groupes dont les

objectifs, les connaissances, les valeurs ou les émotions sont incompatibles et les conduisent à

s’opposer durablement. Cela donne à réfléchir, invite à identifier et à dépasser les querelles

humaines. Une mise à plat et une meilleure connaissance de la situation conflictuelle ne

peuvent-elles apporter un recul ou une ouverture qui permette d’aller de l’avant ? Marie-

Judith Allavena nous interroge : le conflit ne poserait-il pas la question de « l’autre » qui a

parfois la mauvaise idée de ne pas vouloir ce que je veux ?

Les questions de vie sont ainsi multiples et demandent la mise en commun de l’expérience de

chacun. « Vivre dans l’incertitude » replace l’adulte – qualifié aujourd’hui « d’immature » –

dans la nécessité de questionner de nouveau son cadre de référence en vue de l’adapter aux

fluctuations du moment. André Giordan s’interroge : Ne faut-il pas plutôt considérer

l’incertitude comme un paramètre faisant partie intégrante de notre vie, de celle de nos

organisations et de la vie sociale ? Elle n’est pas un dysfonctionnement ou une crise

Page 414: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 414

passagère. Il faudrait même en accepter les contradictions. Que voulons-nous dire quand nous

parlons d’apprendre à vivre dans l’incertitude ? C’est accepter l’inattendu. C’est remettre en

question les réflexes de pensée. C’est lutter contre l’irrationnel et le sentiment d’insécurité

qui nous conduit tout droit à une politique de sécurité. Savoir confronter la construction de

certains savoirs d’expertise à l’analyse de l’expérience du citoyen, n’est-il pas un savoir

nouveau en tant que vigilance vis-à-vis des experts ? Nous retrouvons ici la méfiance évoquée

plus haut à propos du principe de précaution (par exemple : la vache folle, la grippe aviaire).

Sa pratique dans la vie quotidienne est loin d’être mise en place.

Rien de moins évident que la richesse ! Que de fausses idées avance-t-on en son nom ! La fameuse

croissance du produit intérieur brut, le célèbre PIB qui sert de boussole à nos responsables, a ceci de

remarquable qu’il se moque de la nature des activités qu’il additionne pourvu que celles-ci génèrent

des flux monétaires. La maladie et la mort le font monter automatiquement, en revanche la santé et le

niveau d’éducation d’une société ne sont pas pris en compte et le font même baisser. Que peut-on,

dès lors, faire pour « Reconsidérer la richesse » ? Patrick Viveret et Célina Whitaker nous invitent à

comprendre que la construction d’un tel savoir peut ouvrir la voie à un vaste débat public de plus en

plus nécessaire pour un développement humain « durable ». Il est donc plus que temps, en tant que

citoyens, de nous atteler à ce chantier considérable du changement des représentations de la richesse

et de la fonction que joue la monnaie dans notre société.

« Savoir être sensible à autrui pour vivre en société », par Marie-Hélène Patris. Les choses

humaines ne sont pas simples ; au quotidien, elles peuvent paraître complexes. Pour cela, chercher à

acquérir une sensibilité à autrui n’est pas une « recette » naturelle. Néanmoins, cette préoccupation

peut être porteuse à plusieurs niveaux : dans l’action, elle devient une sorte de connaissance plus

rapide, plus instinctive qui aboutit à une forme d’expertise ; dans le même temps, elle peut apporter

une stabilité, l’amélioration de notre équilibre personnel et l’amélioration de notre vécu corporel.

Le chantier

Dans la deuxième partie de cet essai, Claire Héber-Suffrin et André Giordan décrivent le processus

mis en avant pour l’exploration et l’élaboration des savoirs émergents abordés. Ils n’ont pas cherché à

présenter une épistémologie de l’émergence « clef en main ». Il leur a paru plus profitable de présenter

les diverses dimensions caractérisant l’émergence, telles qu’elles sont apparues dans les récits faits

par des membres de notre groupe ou lors des séances en commun sur l’élaboration des savoirs

émergents.

Monique Potiron216

et des membres du RERS de Gradignan : « Faire circuler dans les Réseaux les savoirs nécessaires pour participer au débat démocratique ! » En préalable, quelques remarques sur la préparation collective de cette réflexion.

Nous avons invité les adhérents à une soirée de préparation le 7 Novembre : une petite

vingtaine de personnes : (douze personnes du RERS de Gradignan, dont sept de l'équipe

d'animation et trois du quartier, trois du Réseau de Saint Aubin et deux personnes, en marge 216

Animatrice bénévole du RERS de Gradignan.

Page 415: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 415

du Réseau, acteurs dans le quartier dans d'autres associations (Récit, Les Fourmis en

particulier). (Voir en annexes, comment le Réseau se situe dans le quartier et quel lien, il a

avec les autres associations du quartier).

Dans cette soirée, les échanges et les questions sont venus surtout des personnes extérieures

au Réseau, invitant le réseau à se situer plus dans son histoire (voir en annexes), à travailler

davantage en lien avec les associations du quartier où se situaient tout autant les débats de

société. Le RERS était perçu surtout comme créateur de lien social, comme lieu « d'une

relation sympathique ». Comment ce passage de la création du lien social à l'action citoyenne

était-il fait dans le RERS ? (cf. une action citoyenne à Malartic qui pourrait illustrer ce passage :

comment à partir d'un arbre à paroles, les riverains ont été invités avec les élus et les

associations de gens du voyage sur les lieux mêmes d'où ces derniers avaient été chassés,

action menée avec l'association Récit).

Le RERS crée certaines conditions pour faire circuler les savoirs et participer au débat

démocratique.

Le RERS permet l'apprentissage du droit à la parole, l'apprentissage du savoir-être nécessaire

pour être bien dans le débat, crée le climat de confiance qui permet « d'oser », d'oser offrir,

d'oser apprendre du neuf, de progresser avec les autres dans le respect de l'autre, dans

l'écoute, favorise la prise de responsabilité… « à travers un échange, on s'humanise, se

construit quelque chose d'invisible de l'humain », « il faut vivre le Réseau de l'intérieur pour

voir l'avancée des personnes » dit l'une des personnes. Le réseau invite chaque personne à

faire l'expérience de s'inscrire dans ce courant d'échanges réciproques qui transforme, qui

ouvre sur autrui.

Quelques exemples

Michel, ignare en informatique, est devenu formateur : il prend la responsabilité du site du

Réseau et initie même à la création de site.

En participant à l'échange photos, François « bouge » : tout à fait passif au début, il participe

de plus en plus jusqu'à proposer le thème et le lieu d'une des rencontres, il devient acteur

dans l'échange.

Depuis que Sylviane est au Réseau, elle découvre la vie associative et s'implique en participant

au CA de l'association dont dépend le réseau.

Thierry, arrivé récemment au Réseau pour apprendre l'utilisation du logiciel linux, l'offre à son

tour à Jacqueline et, ensemble, avec cet outil, ils effectuent tout un travail de recherche

documentaire en vue d'animer une soirée sur les dangers possibles du téléphone portable.

Le RERS propose des savoirs qui répondent à l'évolution de la société et fait en sorte que ces

savoirs soient mis à la portée de tous. Le RERS essaie de favoriser la démocratisation des

savoirs.

Page 416: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 416

Quelques exemples de savoirs proposés dans le Réseau permettant de mieux comprendre :

• L'évolution technologique (outil informatique et internet, logiciel linux, création de site, photo-numérique, montage de film… : outils qui sont des portes d'entrée pour communiquer, s'informer et informer à son tour.

• Certaines questions autour de l'environnement : sensibilisation aux économies d'énergie (en lien avec « Les Fourmis dans le compteur »), à la diminution des déchets par un compost, même en appartement.

• Des savoirs scientifiques : info sur ADN, sur les OGM (en lien avec MVM) qui permettent de mieux comprendre le débat de société. C'est un évènement, un fait social qui a poussé à chercher à comprendre à l'intérieur du Réseau.

• Des effets sur la santé : en préparation, une offre de savoir sur les dangers possibles pour la santé des portables et des antennes relais.

• Les différences entre les religions par un atelier régulier en réponse à la montée des intégrismes.

Ces savoirs peuvent n'être que des outils, certains peuvent aussi permettre de mieux

comprendre des sujets complexes et développer l'esprit critique. Ces savoirs favorisent le

débat démocratique dans la mesure où ils permettent d'être plus informés et donc mieux à

même d'appréhender des questions de société qui ne sont pas forcément consensuelles.

Quels savoirs pour le débat démocratique ?

C'est surtout un questionnement pour nous !

Pour comprendre ce qui est en jeu dans les décisions des politiques qui touchent à notre vie

quotidienne (les questions environnementales, la réforme de l'école, de la justice, de la santé,

du code de travail, de la finance… pour ne prendre que quelques exemples) et prendre

position, il faut des savoirs préalables qui permettent d'avoir accès à l'ensemble des données,

à leur complexité, pour se faire une idée construite des faits, de leurs causes et de leurs

conséquences.

Par exemple, nous nous sommes interrogés sur la réforme de l'école : l'école va mal. Dans

notre quartier comme ailleurs, des enseignants font grève, nous recevons par mail des lettres

d'instituteurs qui « entrent en résistance »… tandis que les parents adhèrent à la réforme...

Quel rôle peut jouer le Réseau pour informer sur les enjeux de cette réforme ? Est-ce le rôle

du Réseau ? Ne prend-on pas la place des politiques ? Quels savoirs proposés pour mieux

comprendre ces enjeux ? (infos sur les RASED, sur le rythme de l'enfant ? sur la psychologie de

l'enfant ?) Comment le faire ? (sous forme de témoignages ?) Avec qui ?

Cette réflexion, ce questionnement, a eu le mérite de permettre aux membres de l'équipe du

Réseau de débattre et de s'interroger s’il peut y répondre et comment il peut y répondre, en

lien avec d'autres associations.

Page 417: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 417

Annexes

Rapide présentation du RERS de Gradignan et du quartier dans lequel il est né.

• Dans son histoire Le Réseau de Gradignan est né d'un collectif, à l'intérieur d'une association : « Mieux Vivre à

Malartic », MVM, Malartic étant un quartier de Gradignan. Quelques mots sur ce quartier et

cette association permettront de mieux connaître l'histoire du Réseau.

Malartic est un quartier d'environ 3000 habitants, il a été créé en 1972, constitué de

logements collectifs et d'un lotissement important de « Chalandonnettes ». Ces maisons ont

eu en réalité beaucoup de problèmes. Aussi les habitants réagissent et s'organisent

collectivement pour obtenir leur droit à un logement décent. Ils vont se donner des outils

associatifs et développer des compétences organisationnelles pour se former, s'informer, et

informer à leur tour, organiser des réunions, monter et défendre un dossier, médiatiser leur

mouvement… jusqu'à obtenir réparations en justice et créer une pièce de théâtre racontant

leur lutte. Cette réflexion et action collective a contribué à créer des liens très fort d'entraide,

de solidarité, d'apprentissage de résistance collective.

Plus tard, vont naître d'autres associations dont l'Association Récit (Rencontres Citoyennes),

créée au moment de la 1ère guerre du Golfe en 1991, dont l'objectif est de réfléchir et de

débattre sur des questions de société, puis MVM en 1998 : ses objectifs sont de favoriser

l'expression des habitants, développer la solidarité, la convivialité, les liens sociaux dans le

quartier. Chaque adhérent de MVM est invité à faire des suggestions d'animations, ainsi sont

créées différentes commissions dont le RERS qui voit le jour en 1999, qui est donc une

commission de MVM.

Plus récemment, en 2006, est née une Association « Les Fourmis dans le compteur » sur la

rénovation de l'habitat par des économies d'énergie et l'emploi de matériaux le plus possible

écologiques : c'est aussi un lieu d'élaboration des savoirs.

• Actuellement Le RERS fonctionne par ses permanences mensuelles, ses réunions-rencontres ouvertes à tous

les adhérents trois à quatre fois par an, ses propositions d'échanges de savoirs individuels et

collectifs, ses propositions mensuelles d'échanges collectifs « ouverts », données par mail ou

par affichage. Ainsi, dans ce cadre, ont été proposées des soirées d'information répondant à

des questions de société : sur les économies d'énergie, sur l'ADN, sur les OGM en lien avec

l'association MVM.

Page 418: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 418

AAtteelliieerr CC 22.. 88 :: LLaa rréécciipprroocciittéé àà ll’’ééccoollee eett eenn ppéérriissccoollaaiirree

Jeanine Parisot, Monique Prin et Annie Lambert217

: « une expérience d’échanges réciproques de savoirs en périscolaire à Evry à l’école des Coquibus à Evry au cours de l’année scolaire 2007-2008 »

Cette expérience est née de l’envie de faire renaître des échanges de savoirs en milieu scolaire. L’animateur du réseau local accompagné de deux enseignantes ayant pratiqué dans leur classe et en périscolaire, ont proposé le projet à la directrice de l’école de proximité qu’ils savaient favorable à la démarche d’échanges de savoirs.

Pour cela : quatre adultes réguliers à chaque séance hebdomadaire de 16h30 à 18h30 concernant vingt élèves du cycle III volontaires et s’étant inscrits à la suite d’une fiche d’information distribuée par l’école. Des espaces à disposition dans l’école et une ouverture à des intervenants ponctuels participants des réseaux, parents d’élève.

Démarrages sur plusieurs séances :

- Repérage individuel et collectif de ses savoirs ;

- Choix prioritaire de ses offres et demandes ;

- Affichage et rapprochement des offres et demandes pour des échanges possibles ;

- Mise en relation entre offreurs et demandeurs ;

- La séance d’échanges de savoirs, exemples : cuisine, théâtre, danse, carte d’Afrique, maquette, sel coloré, langues, jonglage.

A la suite de plusieurs séances d’échanges, des bilans oraux et écrits permettent de faire le

point et d’aider à la prise de conscience de la démarche :

- Tableau de réciprocité ;

- Récit d’un apprentissage réussi de ses savoirs acquis ;

- Représentation individuelle des savoirs acquis.

Les effets :

• Changement dans le comportement (on peut résoudre un conflit par le dialogue) ;

• Dédramatisation des apprentissages conduisant à une confiance en soi pour oser dire « je ne sais pas » ;

• Répercussion sur la vie de classe ;

• Lien avec un lycée, une autre école à la suite de témoignages enthousiastes d’enfants.

Savoirs informels :

- Que les savoirs peuvent s’échanger ;

- Que les savoirs sont divers, ils débordent largement le cadre de l’école ;

- Que même dans l’école un savoir peut se transmettre d’enfant à adulte ;

- Qu’ « aimer faire » ce n’est pas « savoir faire » ;

- Savoir c’est avoir conscience d’une certaine maîtrise ;

- Que transmettre nécessite un travail d’organisation de son savoir ;

217

Enseignantes.

Page 419: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 419

- Que les savoirs ça peut se chercher (appel à des offreurs extérieurs) ;

- Que l’on peut se constituer en réseau ouvert pour s’apprendre mutuellement.

Ces savoirs informels sont pour l’instant de l’ordre de l’imprégnation plus que de la

conscientisation. Le passage de l’un à l’autre nécessite une certaine continuité et des

interventions de l’adulte qui vont dans ce sens.

Difficultés rencontrées et réajustement

Offres et demandes nombreuses en cuisine Tableau de prévision des échanges et

limitation à trois demandeurs

Les « 2h » sont trop courtes pour les

échanges, le bilan et la préparation de la

prochaine séance

Temps d’organisation prévu la veille (assez

lourd pour les animateurs mais plus

intéressant !)

Difficulté d’individualiser les échanges et de

répondre à de « fausses demandes »

Manque de lieux pour décentraliser

Difficultés de faire des bilans écrits

individuels avec les enfants

Carte mentale sur « le savoir »

Difficulté d’associer les parents Présentation aux parents

Conditions de réussite

- Durée, stabilité et rigueur de l’équipe adulte (au moins 4 personnes à chaque séance) ;

- Temps de rencontre pour réajuster ;

- Constitution d’un comité de pilotage ;

- Bien identifier les ressources (salles, matériels,…).

Conclusion

1) Le souhait des adultes enseignantes « Réseau » : « L’appropriation de cette démarche par les enfants serait plus rapide si elle était

pratiquée également en classe. Nous en avons fait l’expérience ».

2) Le projet se poursuit cette année scolaire 2008-2009 plus centré sur les savoirs scolaires.

Page 420: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 420

Honorine Ouedraogo218

: « Echanges réciproques de savoirs dans ma classe primaire » En octobre 2001, sous l’invitation du MRERS dans le cadre du Projet Programme Prioritaire de

Développement Urbain, j’ai, nous avons participé à une formation d’initiation en animation

des RERS à Evry, Bourges et Belleville.

Cette pédagogie dans l’apprentissage des savoirs m’a beaucoup émerveillée. J’ai trouvé ici un

outil approprié pour la réussite de mes élèves.

Pour partager cette démarche avec mes élèves et mes collègues et des amis, j’ai et nous avons

mis sur pied un réseau école et celui des collègues et amis en novembre 2001.

Ma démarche a été la suivante : après quelques contacts avec les amis et collègues, je les ai

invités pour une petite réunion.

J’ai préparé un petit exposé sur l’historique des RERS, leur existence et leurs objectifs. Ce jour-

là, nous étions près d’une vingtaine. Sur place nous avons élaboré un tableau de demandes et

d’offres.

Les camarades étaient très motivés. Nous avons mené ces échanges en cuisine, en anglais, la

confection de tricots, de sacs en plastique, etc.

Nos activités étaient menées une fois par mois. Après trois ans de fonctionnement, les uns et

les autres se sont dispersés soit pour des raisons de service (les affectations) soit pour des

raisons personnelles.

À ce niveau, nous sommes restés toujours en contact même s’il n’y a plus d’activités dans le

réseau.

Par exemple : En 2006, Patricia une collègue amie faisait la confirmation catholique de son

enfant. Elle m’a demandé de lui faire un repas qu’on avait appris à préparer dans le réseau le

« ablo ». J’ai rendu ce savoir-faire à d’autres personnes qui se sont jointes à moi pour le faire.

Après ce groupe, il y a aujourd’hui le groupe de mes collègues d’école qui font des échanges

dans leur classe, le CM1 pour Madame Pulchérie Sawadogo, le CM2 par Monsieur Hamidou

Sawadago. Monsieur Somé est intéressé ainsi que Madame Sanou, maîtresse du CP1.

Nous avons un groupe de cinq femmes avec lesquelles nous faisons des échanges en

alphabétisation dans mon quartier. C’était lors des préparatifs d’un baptême et j’ai vu une

femme qui répondait au téléphone portable. Celle-ci ne savait ni lire ni écrire, mais arrivait à

composer des numéros d’appels.

218

Institutrice à l’école primaire publique, Ouagadougou.

Page 421: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 421

Je lui ai demandé comment elle procédait. Elle m’a raconté qu’elle avait identifié les touches

du portable avec des couleurs de vernis.

Cela m’a beaucoup touchée. Un petit groupe de femme s’est inscrit pour des échanges en

alphabétisation. Je leur ai proposé tout de suite les échanges. Je les alphabétiserai en français

et, en retour, elles m’apprendraient les spécialités de leur région en cuisine.

Avec des amis, nous avons élaboré nos statuts et le règlement intérieur pour formaliser notre

existence.

D’autre part, nous avons, Alain et moi, approché nos supérieurs hiérarchiques. Par ce billet,

nous sommes intervenus lors de la conférence pédagogique annuelle des enseignants des

deux circonscriptions pour leur présenter l’historique des RERS et leur existence au Burkina.

Le réseau école a commencé au même moment.

Dès mon retour du stage, j’ai pris attache avec mon directeur qui était partant. Celui-ci m’a

vraiment accompagnée dans cette démarche sans pratiquer jusqu’à son départ pour un autre

poste.

Ayant eu son accord, j’ai parlé réseau en tout temps avec mes élèves. Après quelques

explications de la démarche des RERS, nous nous sommes mis au travail pour l’organisation

pratique.

Un problème se posait : comment faire la médiation avec soixante-seize élèves ?

C’est ainsi que l’idée de constituer les élèves en petits groupes de sept m’est venu ; on

pourrait dire des « sous-réseaux » !

Tous les élèves de la classe se sont engagés. Il restait maintenant à choisir le moment et

comme l’inspection nous avait recommandé de faire nos échanges en dehors des heures de

classe, alors nous avons choisi le jeudi matin.

Dans ce dessein, il fallait convoquer les parents d’élèves et les informer. Chose qui fut faite et

ceux-ci ont été très ravis. Ils ont donné leur accord.

Nous avons choisi le domaine des disciplines. Le Président de l’aide au développement

essonnien et Roger Parisot ont assisté à une séance d’échanges animée par mes élèves et les

élèves de la classe de CM2.

Mon école a bénéficié d’un don de dix ordinateurs offert par l’association « Dègue Dègue » du

soutien au coureur cycliste participant du tour du Faso part l’intermédiaire de Madame

Jeannine Parisot.

Page 422: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 422

Le RERS école comment fonctionne-t-il ?

Les échanges se font en dehors des heures de classe : le jeudi matin et le samedi soir. Les

échanges sont basés sur les disciplines enseignées à l’école (conjugaison, grammaire, calcul…

Chacun offre la discipline qu’il maîtrise à tout le groupe), les activités pratiques de production

(APP), la lecture à la bibliothèque.

Nous avons fait le repérage des savoirs dans chaque groupe. Chacun est offreur et demandeur

dans son groupe dans le souci de valoriser tous, de rendre chacun confiant et lui faire savoir

qu’il a des savoirs, des expériences qui peuvent intéresser les autres, nous par exemple.

Conformément au tableau des offres et des demandes, le groupe 1 est composé comme suit :

Prénoms et noms

Offres

Demandes

Participants

Aguiratou

Multiplication avec retenue technique

*Technique de mémorisation *Apprentissage des leçons d’éveil

Tout le groupe

Aziz

La technique d’apprentissage des leçons

*Multiplication avec retenue

Tout le groupe

Zagaré

Technique de l’expression écrite

Technique de la division

Tout le groupe

Maurice

*Dessin *Entretien des fleurs

Lecture courante

Tout le groupe

Mariame

Mooré

Grammaire

Maîtresse + groupe classe

Solange

Résolution de problème avec une solution

*À spécifier *Dessin *Conjugaison à spécifier

Tout le groupe

Maïga

*Conjugaison *Grammaire *Écriture

*Division, *Résolution de problème

Tout le groupe

Page 423: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 423

Comment tout cela se déroulait-il ?

Nous avions trois heures chaque jeudi et une heure le samedi matin que nous consacrons

pour l’expression écrite, échanger en activité pratique de production.

Chaque offreur devait encadrer ses camarades pendant vingt minutes. S Aguiratou offre la

technique de multiplication tout le groupe suit les explications, fait les mêmes exercices et, au

bout de vingt minutes, on change de discipline.

Ce qui est intéressant c’est que les enfants faisaient appel à leur langue maternelle le mooré

pour mieux se faire comprendre.

Une élève, Maïga a échangé avec la maîtresse en Mooré. Maïga apprenait le Mooré à la

maîtresse et en était très étonnée et très fière. Elle découvrait que la maîtresse aussi avait des

faiblesses dans les savoirs.

Pour cette offre au début, aucun élève ne voulait, mais après deux séances d’échanges, Maïga

a bien voulu m’apprendre. Ensuite, Salimata, Zagaré et Diallo se sont joints à elle pour

l’échange en Mooré. Elles étaient toutes offreuses et riaient beaucoup de la maîtresse à

chaque séance.

J’ai animé le réseau avec les mêmes élèves du CE1 au CM1. J’ai offert des savoirs en cuisine. La

préparation du tô, des arachides caramel, du bissaps.

Cette expérience m’a été bénéfique, quand on sait que le souci de tout enseignant est de voir

tous ses élèves réussir. À cet effet, toutes les innovations techniques sont vite saisies.

Le réseau à l’école :

• c’est s’apprendre à soi-même,

• apprendre à l’autre,

• c’est partager ses acquis sans perte,

• c’est se valoriser

• c’est valoriser l’autre.

Résultats et témoignages

Je souligne que cette promotion au CM2 sous l’encadrement d’un autre collègue a fait un taux

de réussite de 96,75% au CEP et plusieurs d’entre eux continuent toujours leurs études.

Pour une petite évaluation de notre démarche, nous avons approché quelques anciens élèves

pour avoir leurs témoignages.

Avec cette classe, nous avons pratiqué les échanges de la classe du CE1 à la classe du CM2. Les

résultats de fin d’année ont été satisfaisants.

Certains de ces élèves passent de temps en temps nous rendre visite et nous avons profité

pour recueillir leurs témoignages que voici :

Page 424: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 424

Nathalie, 15 ans, classe de 5eme va en 4eme au collège protestant : « Au moment des échanges

nous étions très détendues. C’était la bonne camaraderie. J’y offrais l’apprentissage, la

mémorisation des leçons (règles de grammaire). Je faisais tout pour être à la hauteur. J’ai

appris à préparer le tô et la sauce avec la maîtresse, l’entretien des fleurs avec Maurice qui

était très faible en classe ».

Salamata, 17 ans, Lycée privé Péniel, classe 5eme va en 4eme : « J’étais très faible en résolution

de problème. La maîtresse avait beau expliquer, je ne comprenais rien. Avec les échanges,

Zagaré m’expliquait souvent en Mooré, ma langue maternelle, et vite je me suis un peu

réveillée. J’ai gardé un bon souvenir ».

Aguiratou, 16 ans, Lycée Philippe Zinda Kaboré, 4ème et va en 3ème : « J’ai appris à donner, à

partager avec les autres dans le RERS. Les RERS c’est ce qui nous faut dans les lycées et

collèges. Avec le prix des répétiteurs, il n’est pas donné à tous d’avoir des répétiteurs. Nous

étions très proches. La maîtresse nous considérait comme ses enfants à la maison. Les conseils,

la cuisine, elle nous montrait tout. Moi, j’étais devenue plus forte en calcul. Pour ne pas

décevoir les demandeurs, il fallait que j’apprenne bien mes leçons d’abord. J’étais fière de moi-

même parce que pour moi, j’étais devenue une maîtresse aussi ».

Aziz, 4eme : « J’aimais beaucoup les échanges du réseau. C’était une récréation spéciale, nous

bavardions en travaillant. Nous avions cette possibilité d’expliquer les leçons dans notre langue

maternelle le Mooré. On se respectait. Même les plus faibles avaient un savoir à montrer. Avec

mes camarades de classe, nous faisons des échanges mais pas organisés comme à notre

CM1 ».

Zagaré, 4ème : « Avec les échanges, je suis sorti de ma timidité. Je m‘étais joint au groupe des

filles pour offrir le Mooré à la maîtresse. Elle n’avait pas du tout l’accent et cela nous faisait

rire. Avec cette expérience, j’ai appris à respecter ma maîtresse parce que je voyais maintenant

la souffrance dans la transmission de son enseignement à ses élèves. J’ai appris à respecter le

savoir de tous. Nous étions très proches de la maîtresse. Elle nous avait donné « une assurance

de soi », « une assurance de nous-mêmes », si bien que même les élèves qui ne démarraient

pas du tout se voyaient responsables : ils devaient apprendre aux autres à entretenir les fleurs

devant la classe ».

Maïga, 4eme : « J’étais devenue maîtresse à mes yeux et j’en étais fière. Valentin écrivait très

mal mais en fin d’année, il avait fait des progrès. J’étais très contente. Dans la classe, chacun

connaissait ses limites dans les savoirs. J’ai appris au bout du compte que nul n’était parfait. Je

regrette vraiment ces moments-là aujourd’hui ».

Aujourd’hui j’ai une classe de CPA et tout ne se passe pas toujours comme on veut. Les élèves

dans les petits groupes font des échanges en lecture, calcul et écriture.

Ils ont fait appel à un fleuriste qui passe de temps en temps pour les conseiller dans l’entretien

des plantes devant la classe.

Page 425: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 425

Ces élèves font des échanges sur leur vie : la vie de l’école, la vie à la maison, des contes, des

règles de jeux avec une école de France : école Frédéric Mistral, chemin de Chartres Lisses.

Les élèves des classes de CM1 et CM2 font des échanges.

Les élèves ont été à la bibliothèque communale une fois. Cela nous coûtait très cher en

espèces.

Clarisse Kyelem : « Des échanges de savoirs dans ma classe, à Bobo Dioulasso » Je suis Clarisse Kyelem, Burkinabé de 35 ans, venue du Réseau d’échanges réciproques de

savoirs (RERS) de Bobo Dioulasso. En 2002, j’ai eu la chance de participer à mon tour à une

formation sur les échanges réciproques de savoirs. A mon retour, j’étais pressée de mettre en

pratique, avec mes élèves et dans une association, ce que j’avais appris sur les RERS.

Premier pas en 2004 dans l’association. Au départ, ce fut un échec car les jeunes que j’avais

approchés étaient déçus du fait que « ce ne sont que des savoirs qui circulent » et non de

l’argent. Par la suite, certains se sont ressaisis et, ayant adopté le principe des RERS, sont

revenus, ont accepté de recenser leurs savoirs et ont accepté d’échanger. Ainsi donc, depuis

début 2003, nous avons initié des rencontres les derniers samedis du mois pour échanger en

horticulture (entretien des fleurs), en informatique, en élevage (entretien des bovins) – chose

que l’on ne pensait pas utile ou qu’on ne considérait pas comme des savoirs –, en sérigraphie

(peinture sur un support en tissu), en alphabétisation, en cuisine (bien qu’il y ait une

restauratrice parmi les membres, c’est une chose qu’on ne fait pas souvent) et en coiffure

(tresses africaines).

On se débrouille pas mal. Ce qui fait notre étonnement, dans le réseau de Bobo, c’est que les

parents y entraînent leur progéniture. Par exemple, cette mère de famille qui a invité ses deux

filles à bien apprendre les tresses et son petit garçon, qu’elle considérait comme un moins que

rien, à faire sa place en sérigraphie. J’ai aussi essayé d’introduire les échanges de savoirs dans

ma classe.

J’avais constaté, à partir de la formation pédagogique des RERS, que mes élèves et moi, nous

ne nous comprenions pas très bien. J’ai donc décidé d’initier mes élèves à la prise de parole en

public, c’est-à-dire devant un grand groupe (il peut y avoir jusqu’à 140 élèves par classe). En

fait, leur permettre une prise de conscience de leurs capacités réelles à s’exprimer. Lorsque je

pense qu’une notion n’est pas très bien acquise, je demande à celui qui pense la comprendre

mieux de l’élucider pour ses camarades ; ou bien, si quelqu’un réussit mieux à faire telle ou

telle chose, qu’il la fasse découvrir aux autres (apprendre une leçon, faire un dessin,

apprendre un chant…). C’est ainsi qu’une de mes collègues, venant dans ma classe, a entendu

un élève expliquer une notion de calcul (le rayon du cercle) à ses camarades. Elle s’est

étonnée de ce que mes élèves soient « pleins de zèle » et qu’ils aient des « manières de

connaisseurs », et elle a affirmé que « ce ne devait pas être le cas ». Je lui ai fait comprendre

Page 426: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 426

que ce n’était pas un excès de zèle mais une manière plus simple de transmettre ce qu’il sait,

ce qu’il a compris et qu’il veut bien partager. Elle m’a répondu que « quand on est très

paresseux, il faut bien trouver les moyens de sa politique ! ». Il arrive que je reste un peu plus

longtemps dehors avec mes élèves dans le cadre des échanges : bricolage, restauration de

livres usages… A la fin de l’année, le résultat des examens étant bon, beaucoup se sont

confondus en excuses.

Bilan en 2008

En 2004, j’ai changé d’école. Au début, dans ma classe de CP, l’insuffisance de places assises

rendait la circulation entre les rangées impossible. Ne parlons pas des échanges. Avec la

volonté qui m’animait, nous avons pu recenser des éclaireurs et nous leur avons attribué des

élèves en difficulté de lecture et d’écriture. Le progrès d’un parrain était conditionné par celui

qu’il parraine. Pour ne pas gêner la classe, nous avions retenu les jeudis (jour de congé) pour

échanger avec ceux qui le voulaient bien. Malgré le manque de moyens, ils sont contents de

réaliser eux-mêmes des objets d’art… Et ces enfants pensent qu’ils vont devenir plus tard des

maitres dessinateurs, des maitres-danseurs.

AAtteelliieerr CC 22.. 99 :: .. «« QQuueellllee rréécciipprroocciittéé eennttrree nnooss ccoolllleeccttiiffss ?? »»

Abdoulaye Konté219

: « Echanges de savoirs entre collégiens de Granville (France) et de Bambey (Sénégal) » Le RERS de Bambey existe depuis plusieurs années en tant que structure d’animation scolaire

au sein du CEM Diéry FALL. Son contact avec le MRERS est intervenu en 2000 par le canal de

l’Association Grandir Citoyen qui a facilité la mise en relation entre collégiens de Bambey et de

Michel Vignaud de Morangis (Essonne).

Entre 2001 et 2002, trois des encadreurs ont suivi les stages d’Animateurs de RERS à Evry dans

le cadre du PPDU. En 2004, le RERS de Bambey a pris part aux Rencontres Internationales du

MRERS.

En 2006, les RERS de Bambey et de Granville sont entrés en relation et ont décidé d’engager

des échanges dans tous les domaines qui pourraient intéresser les membres des deux côtés.

Aujourd’hui le RERS de Bambey est érigé en Association reconnue sous le nom de « Ballon

Donneur ». Suite à l’affectation de beaucoup de membres fondateurs, et dans le souci d’ouvrir

les échanges au milieu extrascolaire, l’Association a été créée comme Association homologue

du Ballon Donneur de Granville car, au cours de l’année 2007, certains de ses membres ont

219

Enseignant à Bambey.

Page 427: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 427

effectué un séjour à Bambey au terme duquel Réciprocité et solidarité ont été retenues

comme socle de toute collaboration.

Le RERS de Bambey a à son actif l’organisation d’échanges fructueux entre collégiens de

Bambey et de Morangis. Echanges au cours desquels une abondante correspondance a

circulé, des voyages organisés dans les deux sens, autour de thèmes de travail portant sur les

contenus des enseignements en classes, l’environnement et les questions interculturelles.

En 2002, le Sénégal a eu l’honneur et le privilège de recevoir le premier Inter-Réseaux Afrique.

En 2006, les RERS de Bambey et de Granville ont convenu de mettre en relation et

d’accompagner les échanges entre collégiens de Diéry Fall (Sénégal) et André Malraux

(France).

En effet, les résultats obtenus lors des échanges entre collégiens de Bambey et de Morangis

de 1999 à 2001, ont été portés à la connaissance de l’administration, de certains enseignants

et des élèves de 5ème du collège André Malraux de Granville.

Il s’est agi, après des séances de sensibilisation des deux côtés, menées par les professeurs

encadreurs, d’inviter les élèves à échanger, d’une part des courriers individuels de

présentation (sa personne, sa famille, sa localité, ses études, ses passions…), d’autre part des

courriers des groupes classe portant sur des thèmes convenus, et pouvant faire l’objet

d’études et de discussion en classe dans des domaines aussi variés que : la culture, la vie

sociale, l’environnement…

C’est ainsi qu’une abondante correspondance a été lancée par voie postale et vie internet.

S’y ajoutent beaucoup de petits cadeaux offerts dans les deux sens.

Ces échanges, basés sur la parité, la réciprocité, ont suscité un grand intérêt qui s’est traduit

par une motivation manifeste, l’apparition de lien social, et surtout un changement dans le

regard porté sur l’autre.

La richesse et la diversité des questions abordées au cours de cette première phase, ont

participé modestement à instaurer les conditions d’un dialogue des cultures, un pas dans le

sens de l’éducation à la citoyenneté internationale.

Pour la deuxième phase des échanges, nous nourrissons l’idée de créer les conditions d’une

rencontre des deux groupes d’origines différentes, pour des apprentissages mutuels afin de

mieux mettre en œuvre l’Action, l’Offre, le Partage et modestement contribuer à notre

manière à vivre la solidarité.

Le RERS de Bambey, devenu l’Association « Ballon Donneur » travaille en ce moment avec le

« Ballon Donneur » de Granville pour mener des activités dans le domaine de l’éducation, de

la solidarité, en collaboration avec le RERS de Granville.

Page 428: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 428

En octobre 2009, les membres des deux Associations se retrouveront à Bambey au Sénégal

dans le cadre d’un chantier d’Echanges et de Solidarité avec, entre autres activités, la

construction d’une garderie d’enfants à laquelle prendront part des handicapés légers des

deux pays.

Alain Ouedraogo220

: « La Vie de l’Inter-Réseaux du Burkina Faso » Définition du MRERS-BF221 : La Vie de l’Inter-Réseaux du Burkina Faso Nous sommes un groupe d’éducation populaire de citoyens qui vise à instituer entre des

personnes ou des groupes de personnes un échange réciproque de savoirs gratuits, à l’instar

du MRERS qui est né en France et s’est rapidement étendu à travers le monde.

Il permet la promotion individuelle et collective à travers les efforts consentis par les uns et les

autres pour assurer la qualité des échanges. Pour le MRERS, tous les savoirs sont traités au

même pied d’égalité et le cadre et les modalités d’échanges sont définis en fonction des

réalités du temps et de l’espace.

Au delà de la définition, je voudrais vous présenter le MRERS du Burkina Faso à travers quatre

questions :

1. Pourquoi des initiatives qui ont entre 25, 35 ans (alors que les RERS du Burkina ont été constitués il y a à peine 8 ans) éprouvent-elles maintenant le besoin de se rassembler ? Quelles sont-elles ? Quels sont les outils qui ont été mis au point ?

2. Quelles sont les valeurs qui motivent les gens qui se sont regroupés ? 3. Quelles sont les caractéristiques qui en font le charme ? 4. Quels sont nos objectifs pour les périodes à venir ?

Pour répondre à la première question

1er Constat. Au Burkina Faso, la montée de la grande pauvreté est un phénomène durable et

massif. Cela veut dire qu’on se trouve face à un problème d’une telle ampleur qu’un certain

nombre de réponses locales apparaissent obsolètes, disproportionnées. L’idée de

regroupement doit permettre de se hisser un peu plus à la hauteur des enjeux.

2ème Constat. Il n’y aura plus de lien entre croissance économique et emploi pour une série de

raisons parmi lesquelles :

- Les NTIC, la façon dont le travail est organisé… les enchaînements traditionnels. « croissance

– emploi, croissance – redistribution » ne fonctionnent plus. Il est donc nécessaire d’envisager

d’autres mécanismes de répartition, de redistribution, de partage avec des outils appropriés

au développement de notre société.

220

Conseiller pédagogique à Ouagadougou. 221

Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs du Burkina Faso.

Page 429: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 429

Second phénomène : La panne de solutions politiques, éducatives ou syndicales

traditionnelles, un certain épuisement du sens des mots.

Il y a un décalage des institutions de la phase antérieure avec les nouveaux besoins, avec une

nouvelle demande et de nouveaux acteurs sociaux. Il y a aussi des difficultés à les repérer,

d’où la volonté de redonner du sens aux mots à travers des pratiques, une cohérence du dire

et du faire, une tentative pour reconstruire des cadres d’initiatives d’entreprises et de

démocratie. Telle est la fonction du MRERS : regrouper un certain nombre d’initiatives qui

étaient dispersées et insuffisamment prises en compte par les différentes institutions afin

qu’elles atteignent une certaine échelle, un certain degré de lisibilité, pour qu’elles aient une

certaine portée.

Qui est fédéré dans ce mouvement d’éducation populaire ?

- Le réseau des agriculteurs animateurs de projets C’est un groupe d’agriculteurs porteurs de projets. Nous proposions de les réunir une à deux

fois par mois, au sein de groupe de permissivité collective pour penser et agir autrement. Le

réseau des agriculteurs animateurs de projets était né avec 45 à 50 agriculteurs, 50 idées, 50

projets, chaque agriculteur choisissant une personne ressource, un accompagnateur de son

projet dans le développement local. Et depuis quatre ans, nomade et artisan, je suis ces 50

projets dans le sud-ouest du Burkina précisément dans les localités de Tolotama,

Samadougou, Farkoba, Koro et Darsalamy. Cette activité représentait 50% de mes activités et

de mes revenus. Le suivi de ces projets était basé sur les fondements de l’approche réflexe

avec quelques outils méthodologiques de la MARP, la philosophie de Paolo Freire.

L’Opération a été renouvelée l’année suivante en 2005 avec plus de 50 nouveaux projets

toujours dans le sud Ouest du Burkina Faso. Cette fois-ci avec un nombre élevé de villages, 25

environ, et le réseau d’associations partenaires s’est élargi (sirayiri formation, UGM

Tampabdigo UPGY, association des servantes du Christ).

J’ai aussi créé des journées où l’on se retrouve, de 8 à 10 personnes, pour recenser nos

richesses matérielles et immatérielles, et faire émerger l’idée qui fait le plus vibrer ces deux

types de richesses (par exemple l’idée à Banfora d’une école de vannerie et de vin pour

promouvoir la production de vans dans la localité.

Le réseau des animateurs et animatrices des Ecoles Satellites et des Centres d’Education de

Base Non Formelle (ES/CEBNF) intègrent de manière indissociable les apprentissages

instrumentaux en langues nationales, les acquisitions de connaissances et compétences pour

la vie et des formations pratiques préprofessionnelles en rapport avec les besoins spécifiques

et les capacités du milieu à assurer les dits apprentissages. Cette formation préprofessionnelle

consiste à bâtir une guidance professionnelle et à asseoir une maîtrise des gestes techniques

de base. Ils accueillent les jeunes non scolarisés et déscolarisés âgés de 9 à 21 ans révolus.

Page 430: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 430

Les effectifs recommandés sont de trente apprenants maximum par salle. La parité est exigée.

Cet établissement se particularise par le recrutement à l'échelon local des enseignants. A

l’intérieur des CEBNF, les échanges s’effectuent entre enseignants et élèves et entre

enseignants. Les personnes ressources viennent du milieu immédiat. Les langues nationales

sont utilisées comme médium d’enseignement pendant les premières années de l’éducation

avant de passer à l’enseignement du français. Comme outils, nous utilisons le traditionnel

tableau des offres et demandes. La mise en relation est assurée par un membre du réseau.

A la fin de chaque trimestre, une exposition a lieu à l’intérieur du centre où les habitants de la

localité sont invités afin de présenter ce que les enfants ont pu réaliser. Le fruit de ces

réalisations est présenté en fin de chaque année, lors d’un atelier national réunissant tous les

intervenants dans le domaine.

Avec Clarisse Kyelem, nous avons mis en place des réseaux écoles à Bobo-Dioulasso,

Toussiana, Banfora et Béragadougou avec la collaboration de Jean-Claude Ouedraogo,

professeur de français, nommé censeur au Lycée de Bérégadougou.

A Banfora déjà, il échangeait avec les élèves des cours en informatique. Jeanine Parisot et

Monique Prin, de passage, ont dû constater de visu ces différents réseaux. Elles ont eu des

audiences avec l’Inspectrice de Bobo N°6 et l’administration du Lycée Provincial (Proviseur et

son personnel de Bureau + certains professeurs qui adhéraient au RERS)

- le réseau de femmes volontaires pour le nettoyage des structures éducatives ; - le réseau des journalistes de l’Agence d’information du Burkina-Faso (RIB) ; - Le réseau de l’Association des femmes productrices de beurre de karité ; - L’Association Nationale pour le bien être des Enseignants du primaire (ANEP) ; - Les Réseaux Ecole de Toussiana, Bérégadougou, Banfora ; - Le réseau des 2tablissements de Bobo-Dioulasso.

Tous ces réseaux continuent à pratiquer les échanges jusqu’à nos jours.

Affecté à Ouagadougou en 2006, je pris l’engagement de contacter Honorine pour relancer les

réseaux. J’entendais parler d’elle, mais ne l’avais jamais vue auparavant. Par le biais de

Clarisse, je suis entré en contact avec elle en novembre 2007 et, dès décembre, nous avons

convenu de relancer les réseaux à Ouagadougou. Elle le pratiquait déjà dans son école avec

d’autres collègues. Roger Parisot, le Président de la commission décentralisé de L’Essonne et

Elodie Vaxelaire, de passage à Ouagadougou lors d’une séance de travail avec Honorine, Mme

Sawadogo Pulchevic et moi-même, nous ont encouragés à poursuivre dans ce sens. C’est ainsi

que nous avons entrepris de prendre attache avec les inspecteurs d’Enseignement Primaire

de Ouagadougou n° 1 et n° 9 afin de communiquer avec les enseignants des deux

circonscriptions.

A Ouaga N°1, nous avons obtenu sans difficulté l’autorisation de communiquer lors de la

conférence annuelle des enseignants. Par contre, à Ouaga N°9, ce fut avec beaucoup de peine

que nous avons réussi à convaincre Madame l’inspectrice.

Page 431: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 431

Finalement, nous avons eu une audience favorable du côté de Ouagadougou 1 et 9.

D’habitude, les conférences ont toujours été boycottées par les enseignants ; ceux-ci

réclament une prise en charge conséquente par les autorités du ministère. Le jour de notre

communication, nous avons pu mobiliser à Ouaga n° 1 deux cent enseignants et deux cent à

Ouaga N° 9. Tous les enseignants étaient intéressés par les réseaux et ont promis de prendre

attache avec l’un de nous pour comprendre davantage. C’est ainsi que nous décidons,

Joséphine, Clarisse, Honorine, Georges Badolo et moi-même, de formaliser les réseaux afin de

donner plus de visibilité à nos actions communes. Aussi avons-nous décidé de déposer une

demande auprès du Ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation pour

obtenir un récépissé de reconnaissance. Après la tenue d’une assemblée générale, je fus élu

comme coordonnateur du mouvement des réseaux d’Echanges Réciproques de savoirs du

Burkina.

Quand j’ai pris mes fonctions de coordonnateur, ma première démarche a été de continuer à

prendre contact avec les personnes constituant le noyau de départ, afin de m’assurer de leur

soutien. Dans le même temps, j’ai commencé à effectuer des visites chez des personnes dont

les coordonnées m’étaient données par un élu responsable des affaires sociales de la Mairie et

par un agent de la D.C. PM du MEBA. Ouagadougou étant une grande ville, j’ai continué à

prendre contact avec les enseignants, des agents d’autres ministères, des personnes du

secteur informel etc.

Faire connaître les réseaux aux professionnels et associations avec lesquelles j’ai travaillé :

dans une ville comme Ouagadougou, cette démarche est tout à fait indispensable. Il était

important de faire savoir que nous souhaitions travailler avec des structures existantes et non

à côté.

Relations avec l’Association pour le bien-être des enseignants.

Les responsables de cette structure comprenaient très vite l’intérêt de notre démarche pour

leurs membres (la plupart étant des enseignants). Ceux qui étaient toujours dans les écoles

demandaient une formation des animateurs réseaux afin de s’approprier l’outil des RERS

écoles et se lancer dans les écoles. Pour Ceux qui étaient au bureau, eux, désiraient des

échanges dans divers domaines (méthodologie de la dissertation, de la synthèse de note) pour

leur préparation au concours professionnels.

Les échanges avaient lieu alternativement dans les écoles et dans les familles.

Relations avec les écoles

Honorine, Clarisse, Jean-Claude, Abdoulaye, Prosper et moi-même, nous en chargeons. Nous

avons pris contact avec les directeurs d’écoles et les proviseurs ; après leurs accords, nous

rencontrions les élèves à travers leurs structures.

Page 432: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 432

Susciter des offres et demandes et organiser les échanges de savoirs

Nous leur expliquons le principe de fonctionnement des RERS.

Après plusieurs contacts individualisés, les offres et demandes émergent. Des propositions

d’échanges sont formulées, mais, il est toujours nécessaire de revoir individuellement les

personnes afin de les rassurer sur leurs capacités d’enseigner ou d’apprendre.

La mise en relation

Après un ou plusieurs rendez-vous chez l’un ou l’autre des protagonistes, les personnes

s’entendent (s’accordent) sur la fréquence et le lieu de leur échange de savoirs. Nous

recherchons également le matériel pédagogique nécessaire au bon fonctionnement de

l’échange.

Suivi et soutien

Il a toujours été indispensable de maintenir un contact très régulier avec des personnes en

situation d’échange de savoirs, afin de s’assurer que, de part et d’autre, l’échange était

satisfaisant. Il arrive parfois qu’on supplée à la défaillance d’un enseignant pris de panique. J’ai

ainsi dispensé quelques cours de français et de langues nationales (duoula, mooré) en

attendant que l’enseignant soit disponible. Du côté des apprenants, les choses n’étaient pas

faciles non plus.

Sur quelles valeurs se sont-elles rassemblées ?

Il existe un document dont le titre est : Echanger des Savoirs, c’est échanger la vie, définissant

ces valeurs de réseaux.

Etre en réseau c’est être lié, c’est être relié à d’autres et parler de « réseau » d’ « échanges »

de réciprocité, c’est donc parler de rapport avec autrui.

Mais le monde des rapports avec autrui est bien complexe et l’on est tenté d’y distinguer au

moins en première analyse trois domaines :

- Ces rapports peuvent être sociaux c’est-à-dire tout simplement humains, affectifs : chacun a ses familiers ;

- Ils peuvent être professionnels, chacun a ses collègues, ses confrères ; - Ils peuvent être enfin politiques : chaque citoyen est concitoyen.

Que nous apprennent à ces trois niveaux, les RERS, et que nous promettent-ils ? Ou du moins

que nous laissent-ils espérer ?

Et si nous découvrons que, idéalement, ces trois types de rapports devraient n’en faire qu’un :

celui d’hommes épanouis entre eux ?

Et si l’on découvrait que les réseaux travaillent à l’instauration de cet idéal ?

Page 433: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 433

La Réciprocité

« La réciprocité c’est comme un leitmotiv, une sorte de mot de passe, la marque de

reconnaissance, la raison d’être même des réseaux » (Nadine Bouvier).

Qui dit réseau dit en effet, et déjà étymologiquement, filet – entrelacs. Un réseau, c’est un

tissu, c’est un ensemble où chacun tient le tout qui tient à son tour chacun.

Claire Héber-Suffrin dans son analyse de la réciprocité nous montre en quoi elle est ainsi

essentielle.

- C’est que l’échange réciproque est comme une image de la société idéale, de ce trésor commun à tous, ou chacun mettrait tout ce qu’il a et viendrait puiser tout ce qu’il veut.

- C’est enfin que la réciprocité favorise l’accession de tous aux savoirs, La réciprocité, valeur forte sur laquelle repose notre action et notre réflexion.

Quelques caractéristiques de ce réseau

Ce qui en fait le côté gratifiant, c’est sa pluralité. C’est un réseau plurigénérationnel. On y

retrouve aussi bien les gens qui ont milité dans la tradition de l’économie sociale installée qui

tentent de construire du bien entre les initiatives que nous prenons et une tradition assez

ancienne d’associations issues du mouvement populaire, des syndicats, du monde de

l’éducation, c’est-à-dire des gens plutôt cultivés, instruits. Ce réseau est d’une grande

richesse : on a l’impression de sédimenter des générations militantes ou des cultures qui,

ailleurs, ont été quelque peu séparées.

L’échange de savoirs s’ouvre aujourd’hui à des secteurs plus installés de la tradition militante

et de la tradition associative.

Enfin ce réseau est pluriel en terme de culture d’échanges de savoirs (savoir-être, savoir-faire)

puisqu’on y trouve aussi bien des personnes issues du monde associatif que des personnes du

monde syndical et politique qui travaillent sur une thématique d’intérêt général, et de la

citoyenneté. Ils se trouvent là pour visiter les mots et les confronter à travers la cohérence du

dire et du faire.

Les objectifs du réseau

Premier objectif

Le réseau correspond localement à un mouvement de citoyens. C’est-à-dire qu’on est face à

des gens qui ne veulent pas ou ne peuvent pas entreprendre de façon classique, ou qui ne

supportent plus d’être dans une politique d’assistance, ou de travailler pour le compte

d’autrui.

Le travail social est en crise : il y a de plus en plus de travail. Les travailleurs sociaux et/ou les

populations prennent conscience du divorce constant entre le temps de la réaction et le

Page 434: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 434

temps des contraintes politiques, du parti, de l’élection… Ceci amène beaucoup de ces gens à

se poser le problème, non pas de faire pour, mais de faire avec, afin que les groupes dont il est

question ne soient pas uniquement dans des dispositifs d’assistance, mais dans des dispositifs

où ils valorisent leur propre capacité de création.

Ainsi, ce réseau se transforme, devient une espèce de mouvement social qui, de toute façon,

Mouvement des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs (MRERS) ou pas, cheminera dans

la société de plus en plus. Nous sommes l’objet de demandes très importantes face auxquelles

notre capacité de réponses est trop décalée et trop faible.

Tout le problème est d’organiser ce réseau. Notre premier objectif est de monter des plates-

formes régionales qui puissent faire que chaque demande ne soit pas une contrainte pour

nous, mais une nouvelle ressource qui puisse être mise en commun, que l’on puisse échanger,

faire circuler… D’où la nécessité de plates-formes régionales à partir desquelles, on puisse

organiser cette culture de réseau.

Les modèles de développement du réseau sont à travailler. Il faut réussir à faire circuler aussi

bien les gens que les savoir-faire de façon moins verticale, moins centralisée, moins « système

de service » que cela n’était le cas jusqu’présent. Ces plates-formes régionales auront trois

objectifs :

- l’accueil, - le suivi, - et la détermination des projets sur une certaine échelle, le montage d’outils de

formation. Dans les deux années qui viennent, nous allons travailler à faire connaître davantage le MRERS

à travers diverses activités contenues dans notre programme dans les régions dans l’idée du

compagnonnage.

Deuxième objectif

Faire émerger de nouveaux outils thématiques et de nouveaux partenariats. Par exemple, les

outils de formation à l’animation des animateurs réseau, des animateurs à l’accompagnement

à la scolarité des jeunes des provinces (campagnes).

Troisième objectif

La dimension africaine et Européenne. Ce projet est porté par le MIRA.

En conclusion

Nous travaillons autour des idées d’échanges réciproques de savoirs. L’échange de savoirs

approprié signifie approprié au territoire ou réapproprié par les gens.

Page 435: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 435

Je crois que, fondamentalement, nous nous faisons des illusions sur la portée possible de tout

cela. Nous n’allons pas changer la société ! Mais la fonction de démonstration, d’éducation

populaire, de valorisation sont tout à fait importante.

Il me semble très important d’inscrire cette tradition de l’échange de savoirs dans des logiques

plus globales. Ainsi de la thématique de « la construction » d’une société solidaire » qui nous

intéresse car il nous semble qu’elle permet à ces initiatives de sociétés solidaires du citoyen de

s’inscrire dans quelques chose de plus global, qui articule ou qui recompose la place des

acteurs, qui dit aussi la place des échanges de savoirs en la relativisant et en la revisitant y

compris par les éléments évoqués plus haut.

Mais nous sommes en recherche. Peut-être ce terme de « construire une société solidaire » a-

t-il l’inconvénient de ses avantages. Mais il nous parait intéressant d’organiser un débat sur la

façon dont ces petites pratiques peuvent questionner la citoyenneté et sur la façon dont il ne

peut pas y avoir d’initiatives de citoyenneté s’il n’y a pas d’intérêt du citoyen pour les

échanges réciproques de savoirs. De cela nous sommes persuadés.

Georges Badolo222

: « La réciprocité entre nos collectifs »

Introduction

Nous adressons nos sincères remerciements aux organisateurs des présentes rencontres

pour nous avoir invités à apporter notre contribution à la question « En quoi la réciprocité

construit-elle des solidarités ? ».

Tout d’abord, il est important de rappeler que j’ai connu pour la première fois les réseaux lors

de l’atelier à mi-parcours du Programme Prioritaire de Développement Urbain (PPDU) qui

s’est tenue en Avril 2001 à Cotonou (Bénin). Ensuite j’ai pu bénéficier de la formation des

animateurs des réseaux en août 2001, ici même à Evry. Une fois retourné à Bobo-Dioulasso,

j’ai mis en place, avec le concours d’autres personnes (Clarisse, Alain…), les réseaux

d’échanges réciproques de la ville de Bobo-Dioulasso où nous travaillions sur deux champs :

réseaux écoles avec Clarisse et Alain et moi sur le réseau éducation populaire en lien avec le

centre culturel de jeunes.

Je voudrais partager avec vous, deux expériences que nous avons connues dans notre réseau

à Bobo-Dioulasso qui pourraient être une réponse à la question : Quelle réciprocité entre nos

collectifs ?

Première expérience

Nous sommes un collectif d’associations et mouvements de jeunesse, créé il ya de cela quinze

ans et qui regroupe plus d’une cinquantaine d’associations reparties sur l’ensemble du

territoire de la région des Hauts Bassins.

222

Expert en ingénierie de développement local au Burkina Faso.

Page 436: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 436

En 2004, nous avons essayé, au regard d’un certain nombre de difficultés auxquelles était

confrontée la structure, notamment la méconnaissance de ce que faisait chaque structure, les

difficultés d’animation et de gestion de la structure, de formuler les demandes précises dont

je citerai quelques unes :

- Comment rédiger le procès verbal de réunion ? - Comment organiser une activité culturelle ou sportive ? - Comment tenir la comptabilité d’une association ?

Certaines associations qui avaient plus d’expérience que d’autres ou dont les membres

avaient suivi des formations dans ces domaines, se sont proposés comme offreuses. Les

échanges se faisaient sous forme individuel ou collectivement dans un centre appelé espace

rencontre jeunesse, qui a même caractéristique que les maisons des jeunes et de la culture ici

en France.

Quelques éléments d’enseignements que nous pouvons en tirer

- Connaissance d’autrui ; - Don de soi (sacrifice) ; - Apprendre de l’autre et à l’autre ; - Reconnaissance de l’effort d’autrui ; - Renforcer les liens les associations (institutions) et les membres (physiques) ; - Partager les joies et les peines ; - Développer l’envie de travailler en réseau ; - Mutualisation des moyens.

La structure a pu bénéficier de deux distinctions honorifiques, à savoir la médaille de mérite

avec agrafe jeunesse en 2005 et le prix du Président du Faso en 2006.

La structure bénéficie d’une subvention annuelle de la commune de Bobo-Dioulasso pour la

réalisation de ses activités.

Perspective

Cette expérience continue et nous sommes actuellement dans une phase de production de

l’histoire de notre structure. C’est ainsi que nous avons été émerveillés de l’expérience du

Québec en matière « d’écriture de l’histoire d’un collectif » et nous envisageons à moyen

terme, la possibilité de bénéficier de l’accompagnement de cette expérience.

Deuxième expérience

Cette expérience s’appuie sur une pratique d’échanges réciproques de savoirs entre des

élèves de deux établissements secondaires, le lycée professionnel de Bobo et le lycée « les

Mandailles » dans l’Isère, mais porté par le collectif des associations et mouvements de

jeunesse du Houet, structure dans laquelle j’assure la fonction de président du conseil

consultatif.

Mise en relation de neuf filles et deux encadreurs de part et d’autre.

Page 437: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 437

Le projet a été mis en place entre les responsables des deux établissements avec un appui

particulier à cette initiative.

Les différentes étapes du processus :

- Contact des premiers responsables des deux établissements ; - Désignation de chaque coté d’un prof chargé de conduire le projet ; - Diversité culturelle à travers la mise en place d’une pièce de théâtre (finalité) : - Des questions telles que relation parent /enfant, éducation des enfants, statut de la

femme, etc. Ce projet a duré une année dans sa préparation avant sa mise en œuvre en Février 2008 à

Bobo-Dioulasso où, avec l’aide d’un chorégraphe confirmé, les jeunes sont arrivés au bout de

quinze jours à mettre en commun ce qu’ils ont appris et à produire une pièce de théâtre qui a

été présenté dans deux écoles et dans un quartier.

Les objectifs poursuivis

- Informer les élèves français et Burkinabé sur les réalités vécues par les élèves des deux pays ;

- Etablir des relations directes entre les élèves et enseignants des deux établissements ;

- Se confronter aux réalités familiales de chaque élève ; - Réaliser des actions de citoyenneté (actions de sensibilisation, soutien scolaire,

etc.).

Activités d’échanges réalisées

- Séances de répétition en tronc commun ; - Echanges en coiffure, danse, cuisine ; vestimentaire, etc. ; - Sensibilisation dans un village sur le planning familial ; - Représentation théâtrale (l’école est dans un quartier populaire (près de 600

personnes).

Analyse et enseignements

Du point de vue de la réciprocité

- Faire meilleure connaissance ; - Connaitre la culture de l’autre ; - Acceptation de l’autre ; - Enrichissement personnel ; - Comprendre la nécessité de partage, de solidarité.

Du point de vue d’échanges de pratiques

- Appréhender le vécu quotidien de l’autre ; - Ouverture vers le monde ; - Connaitre d’autres manières de faire (cuisine, coiffure, danse, etc.) ; - Affirmation de soi ; - Effort reconnu et récompensé.

Page 438: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 438

Une prise de conscience, surtout chez les jeunes français…

Chez la plupart de jeunes, avant le voyage, ils avaient une représentation erronée de

l’étranger et de certains problèmes que rencontrent les autres peuples tels que la

pauvreté, les habitudes et autres valeurs. Le voyage leur a permis de voir, d’observer,

de vivre et de constater les réalités en lien avec leur représentation antérieure.

Beaucoup sont amenés à prendre conscience de leurs propres préjugés.

Conclusion

Deux questionnements

- Quels sont les arguments et démarches qui peuvent être retenus au cours de ces rencontres pour valoriser notre engagement et mobiliser de nouveaux acteurs de la ville pour développer davantage les réseaux d’échanges réciproques de savoirs dans notre pays ?

- Au regard du contexte international devenant de plus en plus difficile, et encore plus difficile pour nos pays africains, quel pourrait être le positionnement de nos réseaux en Afrique ?

Didier Chrétien223

: « le projet Colportage » « Colportage » est un projet de vulgarisation de pratiques d’animation et de savoir-faire au

service de la participation et de la coopération citoyenne. Il vise à terme à « outiller » des

personnes qui souhaitent renforcer la qualité de leurs projets collectifs.

Les savoirs « coopératifs », les compétences « démocratiques » sont peu promus dans un

environnement actuel qui valorise surtout la compétition, l’individualité, la réussite matérielle

et financière, au détriment de l’intérêt général et du respect de la construction collective. Ces

savoirs sont souvent manquants, disséminés, non formalisés et leur transmission est mal

assurée sur le terrain. En revanche, dans un certain nombre de situations, des savoir-faire

existent et sont mis en pratique pour aider à répondre aux défis actuels, pour résoudre les

maux sociaux dont beaucoup souffrent, dans leur environnement géographique, social ou

professionnel.

Avec Colportage, nous exhortons des porteurs d’expériences à questionner mutuellement

leurs pratiques, à exposer leur démarche, leurs recherches, leurs essais et leurs erreurs ainsi

que les outils qu’ils ont confectionnés.

Pour ces questionnements réciproques nous avons choisi dix thèmes « réfléchisseurs » :

− Genèse et régénérescence d’une initiative

− Du pouvoir à co-construire

− L’intégration des sans-voix

− Place aux jeunes, nécessaires métamorphoses

223

Militant de l’Education populaire. Animateur du MDS : Mouvement pour le développement solidaire.

Page 439: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 439

− La créativité au service de l’expertise collective et de l’autonomie citoyenne

− L’espace collectif : lieu de tensions et de re/créations

− Modifier le jeu des personnes en présence (habitants, techniciens) pour faire vivre la concertation

− Cultiver un dialogue permanent entre élus et citoyens

− Combiner des ressources pour enclencher de nouvelles solidarités

− Construire des médias citoyens pour porter la parole dans son territoire.

Jusqu’en 2009 nous sommes encore en phase d’expérimentation avec neuf lieux

d’expériences situés en région Ile de France mais pouvons nous ouvrir à d’autres. Pour en

savoir plus aller sur le site du MDS (Mouvement pour le développement solidaire) à l’adresse

suivante :

http://www.developpement-solidaire.org/

222244 AAtteelliieerr CC 22.. 1100 :: MMaarriiee--PPaauullee BBééttaaiillllee «« JJoouuoonnss ssuurr lleess mmoottss »»

A travers de simples jeux, je vous invite à vous rapprocher de vous-même.

Pas besoin de connaissance, juste « aimer les mots », juste « être présent » dans le « ici et

maintenant ».

En lâchant image et préjugés, nous irons au plus près de nous, libérant ainsi notre âme

d'enfant.

En retrouvant sa propre valeur et en reprenant confiance, le groupe nous révèlera alors ses

différences, ses diversités d'idées et de styles, ses richesses et tout simplement son bonheur

d'être, faisant de chacun de nous, un être unique.

« J'ai apporté avec bonheur, ils m'ont donné avec tant de joie ! »

Marie-Paule Bétaille

A Evry

Après un bref témoignage et afin que chacun puisse expérimenter par lui-même ce que peut

apporter un atelier comme « Jouons sur les mots », j’ai invité le groupe à, tout simplement,

jouer.

Ce fut un moment de convivialité où chacun, d’entrée, a « joué » le jeu ! Sans nous connaître,

nous nous sommes rapprochés les uns des autres, et aussi chacun de soi-même. Chacun a pu

224

Animatrice de cet atelier dans son RERS à Gradignan.

Page 440: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 440

ressentir cette énergie incroyable du groupe valorisant chacun des participants ! Incroyable,

en à peine une heure, les visages se sont détendus, éclairés, une osmose était née !

Le petit débat (trop court faute de temps) pour conclure cette mise en situation avait pour

mots :

On a fait confiance, on a appris à se faire confiance – cela crée des liens – écoute de l’autre –

respect de l’autre – étonnement des richesses et de ses propres richesses (sur le style – les

idées – l’inspiration du moment…) – envie d’écrire – détente – amusement – joie – plaisir

d’être et d’être ensemble.

AAtteelliieerr CC 22.. 1111 :: MMaarriiee--HHééllèènnee PPoouurrrruutt222255 «« PPaarrttaaggee dd’’eexxppéérriieennccee ssuurr llaa rréécciipprroocciittéé »»

Parce que, depuis dix ans, de multiples témoignages ont souligné l’importance de la

convivialité pour se retrouver très vite, à l’intérieur d’un atelier, sur la « même longueur

d’ondes ». Et parce que plusieurs ont reconnu avoir obtenu un « gain de santé » dans ce

contexte, est né à Raisolune (RERS de BIARRITZ) l’atelier : « Santé-Sourire et Réciprocité, de la

convivialité à la convitalité réciproque ».

1. Une part de collectif inscrit au cœur de l’individuel « Être humain, c’est mutuel », P. Pachet, écrivain né en 1937.

Je propose pour notre recherche collective sur « La Réciprocité Active », de regarder de plus

près en quoi la Solidarité pourrait être une loi fondamentale de la vie, inscrite au plus profond

de nous-mêmes.

Les hommes de Cro-Magnon n’auraient certainement pas survécu sans comportements

solidaires innés ! Les éléments premiers de la vie ont évolué par « symbiose »… et nous

pouvons constater, par éclair, dans nos vies, des comportements d’une grande

« fluidité solidaire» qui nous étonnent et nous émerveillent.

Je propose de partir d’exemples concrets où la profonde réciprocité a amené une évidente et

bienfaisante fluidité dans un événement particulier.

2. Voici six témoignages d’Histoires de vie

Premier témoignage : Claude

Je suis en Asie, dans un minuscule village où se déroule un mariage. Je suis conviée à venir

saluer la mariée, à peine quinze ans, toute de rouge vêtue et trônant sur une petite estrade.

225

Animatrice du RERS de Biarritz.

Page 441: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 441

Après m’être respectueusement inclinée, me relevant je découvre ses yeux, tels deux grands

lacs noirs qui me fixent. Quelque chose d’incontrôlable se passe : nous nous parlons en

silence. Je ressens sa peur, son désarroi, son fatalisme… Je lui insuffle ma compréhension,

mon désir qu’elle connaisse le bonheur… Quelques secondes s’écoulent, soudain un léger

mouvement de paupières, un éclair de douceur dans les yeux… le message est passé ! La

Réciprocité, n’est pas forcément du domaine matériel ! »

Témoignage n°2 : Tsetsa

Je suis Bulgare et je vis maintenant dans le sud-ouest de la France. Seule, j’ai pris cet été un

autocar pour faire un long voyage vers mon pays. Un groupe de jeunes qui parlait le tchèque

ou le slovaque, est monté à Narbonne. Pendant le repos de midi, je me suis dégourdie les

jambes, puis je me suis assise… mon regard s’est posé sur les pieds de ces jeunes !j’ai

remarqué alors que tous portaient des… sandales basques ! Je suis restée toute saisie… et je

me suis réjouie en reconnaissant le groupe.

Deux semaines auparavant, en attendant le train à Saint-Jean-de-Luz, il y a eu les mêmes

jeunes gens, les même sandales, la même langue étrangère ! Bien que je n’aie jamais échangé

un mot avec eux, je les ai sentis proches. Le jour gris est devenu souriant !

Témoignage n°3 : Jacqueline

A la sortie de la gare de Châteaudun j’ai un jardin. A cette saison il est plein de fleurs.

Je fais un bouquet pour orner ma maison !

Je pense que j’en ai assez et je sors du jardin.

Devant moi une femme… Je la trouve négligée et trop maquillée ! Un genre que je n’aime pas.

Elle me regarde, à la fois avec envie et hargne.

Il ya tant d’envie dans son regard que je vais vers elle et lui tends mon bouquet en souriant.

Bouleversée, elle prend le bouquet, et sans même me dire merci s’en va en serrant le bouquet

sur son cœur. Soudainement, je l’ai vue belle !

Témoignage n°4 : Marie-Hélène

Dans le cadre des échanges de savoirs en Réciprocité, j’ai « osé » entreprendre un

apprentissage de modelage. Le contexte était chaleureux et décomplexant. C’était en 1999,

Christina était passionnée par ce qu’elle faisait. Nous étions deux curieuses à profiter de ce

savoir si excitant par sa nouveauté dans nos vies éloignées jusque là de toutes pratiques

artistiques structurées ! Ce jour-là (c’était ma troisième séance), j’étais seule avec elle.

J’essayais de rattraper les proportions du personnage que je sculptais. Christina sans un mot a

pris son couteau, et elle a travaillé en même temps que moi sur le sujet ! (C’était une statue

Page 442: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 442

de 50cm de haut ; une jeune fille aux cheveux longs). Mes mains se sont mises à trembler,

elles s’agitaient, fébriles elles corrigeaient avec une étonnante assurance et une vertigineuse

rapidité, ce que jusque là j’avais eu du mal à réaliser ! Depuis ce jour, je n’ai plus jamais

abordé le modelage avec timidité ! Une fièvre certaine m’avait pénétrée !

Témoignage n°5 : Christie

Plus qu’un échange de savoirs et de pratiques, j’ai trouvé dans mon atelier d’écriture une

stimulation permanente à aller plus loin. J’ai découvert dans la plus solitaire, la plus

narcissique des activités : l’écriture, que l’on peut tout partager, même la plume ! Nos mots

sont devenus vivants, aguichants, beaux à voir, à lire, à écouter et tellement entremêlés qu’il

devenait impossible de dire qui avait fait quoi.

Ça marche pour peu qu’on accepte les échanges de mots comme on accepte des alliances de

sang dans le sourire et la plus grande convivialité ! Voilà pour moi une définition possible de la

fonction de Réciprocité qui circule entre tous.

Témoignage n°6 : Georgette

Après ma retraite, j’ai souhaité me joindre à un groupe pour garder des contacts humains.

J’avais l’intention d’« offrir » mes compétences ; je pensais ne plus avoir suffisamment de

force ni de motivation pour « prendre » quoi que ce soit. Mais l’envie d’apprendre de

nouvelles choses m’est venue au contact des autres. L’envie de « Recevoir » prenait le goût

d’un regain d’envie de vivre pleinement et non plus de me replier sur moi-même. J’y ai trouvé

une grande ouverture d’esprit, humble et généreuse qui a réveillé en moi la force d’acquérir

de nouvelles connaissances. Une belle réciprocité qui a résonné jusque dans ma santé.

De ces exemples, je retiens la « Force du Sourire », la force de la convivialité qui a déclenché :

efficacité et qualité des échanges. Chacun de nous a eu l’occasion de constater les bienfaits

d’un médecin particulièrement attentif et bienveillant sur la guérison de ses malades. Le

pouvoir de guérison d’une caresse maternelle ou d’un être cher sur un enfant. Cette force

fonctionne intuitivement avec les gens qu’on aime. Tout ceci est fondé sur une simple faculté

cognitive fondamentale, sur des bases de « bon sens ». On sait au fond de nous que cela

existe… et que ça marche !

Ne serait-il pas intéressant sur le plan social d’amener cette qualité d’échange positif avec un

quidam, avec quelqu’un qui ne nous est pas spontanément sympathique… et aussi avec nous-

mêmes ? Pourquoi désormais ne penserions-nous pas à l’utiliser vis-à-vis de notre santé et de

nos propres soucis ? Pourquoi ne pas se soutenir soi-même, avant d’aller vers les autres, et se

sourire dans l’adversité ?

Page 443: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 443

3. Regardons ce fonctionnement positif comme une loi fondamentale de La Vie

En effet, de la même façon que l’on ne peut être convivial tout seul, Linus Pauling, Prix Nobel

de chimie et Prix Nobel de La Paix, nous dit que l’on ne peut être « vivant » tout seul : « La vie

n’est pas dans les structures que j’observe sous mon microscope, mais dans les échanges entre

les structures ». Il apparait dès lors évident que la quête solitaire, ou cloisonnée vers le

bonheur est vouée à l’échec ! D’autre part il est établi depuis Einstein que « des ondes

porteuses d’informations cohabitent avec les particules de la matière. Dans un espace illimité,

elles sont en quête de solutions pour les guider vers un état d’équilibre respectueux de l’unité

individuelle et globale. » (David Bohm). (Un bon sens « ondulatoire » universel en circulation

entre toutes les structures ?)

J’ai choisi de faire l’hypothèse que les échanges en réciprocité réussis sont les reflets de la

circulation de ces ondes ! Il est intéressant de nous appuyer sur les savoirs d’aujourd’hui pour

nous éloigner de la pensée magique d’une humanité encore puérile, en voie d’évolution ! La

« plasticité » reconnue du cerveau nous permet de penser que nous pouvons changer en

profondeur et voir au-delà de notre seule personne.

Quant à la découverte des « ARN interférents226* », ils nous aident à imaginer le rôle

primordial d’une information intervenant sur les gènes eux-mêmes !

4. Sourire dans l’adversité

Le sourire, « métronome » de notre cohérence !

Dans notre vie nous déclenchons des situations, volontairement ou inconsciemment. On a

mille façons d’agir sur notre vie, et « Sourire » en est une très forte. Surtout choisir de sourire

dans l’adversité. Ce n’est pas un « sésame ouvre toi »… mais il y a un peu de cela ! Parce qu’on

se fabrique chacun nos sésames, le sourire en est un intéressant, car universel puisqu’il peut

s’appuyer sur des règles scientifiques : il renforce notre système immunitaire, diminue notre

tension artérielle, enrichit notre salive et la rend curative (les chinois l’appellent alors « l’eau

céleste »).

On peut se rendre compte que finalement, savoir échanger est aussi naturel que savoir

manger, savoir marcher… ou savoir sourire, et cette constatation est rassurante. Elle nous

permet de nous alléger de constructions mentales ou de concepts ardus et rébarbatifs.

Mais tout savoir de base se cultive : manger grossièrement ou avec finesse, marcher

aveuglément ou avec curiosité et émerveillement… De la même façon on peut sourire

spontanément parce que le contexte déclenche cette fonction, mais on peut aussi cultiver

notre capacité à sourire dans l’adversité… pour que les choses se modifient en passant d’un

226

Acides Ribonucléiques qui interférent avec un ARN messager spécifique conduisant à son silence ou à sa dégradation. Un outil thérapeutique pour demain.

Page 444: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 444

état d’esprit perturbé à un état d’esprit serein !… et pour que nos échanges deviennent plus

fluides.

Si nous sommes conscients de tous les bienfaits qu’elle déclenche, la pratique du sourire

demande toute notre attention pour veiller à y revenir sans cesse parce qu’elle est une force

pour nous-mêmes et qu’elle résonne sur notre environnement dans une parfaite « Réciprocité

Active ».

« Sourire est au cœur du domaine où toute relation va naître. Il arrive que l’on dise que la seule

transcendance c’est la relation entre les êtres. » (Robert Antelme)

De la même façon on peut se servir de notre capacité ou non à sourire pour mesurer notre

« état de cohérence ». Si je ne peux pas sourire, c’est qu’il y a distorsion entre mes désirs, mes

sensations, et mes pensées. Il est intéressant à ce moment-là de « Sourire » pour me libérer

d’émotions perturbatrices et de reconsidérer mes choix à la lumière de l’unité du vivant dans

laquelle nous évoluons tous solidairement.

Il n’est plus à démontrer que les sécrétions des hormones du bien-être accompagnent le

sourire, mais il est intéressant d’observer comment les étirements musculaires spécifiques du

sourire se déclenchent en chaîne des muscles superficiels vers les couches profondes les plus

subtiles et influent sur notre état mental. Cette pratique volontaire du Sourire nous permet

d’acquérir une capacité supérieure d’attention à notre environnement et de mieux nous

adapter aux événements stressants du quotidien.

Sourire devient alors un but puisqu’il est vu comme une clé vers des comportements de

mieux-être.

Ces Sourires de l’intérieur, qui se donnent à voir, nous les connaissons dans le domaine de

l’art, par exemple : nous les voyons sur le visage de l’ange de Reims, le visage des statues

khmers, des bouddhas et il nous est aussi offert sur le visage des enfants qui découvrent le

monde.

« Réciprocité- solidarité »

Dans le Sourire conscient de l’Unité, une nouvelle « Respiration » sociale est peut-être à

Libérer, pour rendre à la « Réciprocité et à la Solidarité » leur spontanéité et leur circulation

naturelles.

Nous étions à l’île Maurice, dans le « jardin botanique de Pamplemousse ». Je me souviens de

m’être arrêtée, époustouflée, devant une sorte de palmier local qui avait su faire pousser une

rangée de fausses racines extérieures protégeant les vraies, que les tortues attaquaient avec

leur bec, fragilisant l’arbre jusqu’à le tuer. Le soir en rentrant à l’hôtel, j’avais écrit sur un

carnet : « Mais où est donc l’intelligence qui permet toutes ces adaptations ? » Aujourd’hui, la

physique quantique m’offre une information précieuse : « Elle est partout dans l’onde qui

accompagne les particules de toute matière dans l’équilibre cohérent de l’unité ».

Page 445: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 445

De par la nature même de la matière dans sa part « ondulatoire », un flux d’informations

porteur d’une intelligence vitale relationnelle, semble être appelé à circuler librement entre

chacun de nous et tout notre environnement proche ou lointain. Toutefois, il semble que

cette libre circulation soit entravée par nos émotions négatives et n’apparaisse que seulement

de temps en temps, tel un éclair bienfaisant.

Le psychologue, Mihaly Csikszentmihalyi, parle à cette occasion de « cohérence » dans l’acte

qui réunit dans une parfaite adéquation : sensations, désirs et pensées. Moments privilégiés

de la vie qu’il nomme : « état de flux ». Les expériences flux sont des moments de vie,

intenses. On se sent plus fort que jamais. Les heures passent comme des minutes… « On a des

ailes ».

L’expérimentation enrichissant l’hypothèse, je vous propose aujourd’hui d’offrir à cette

recherche votre réflexion et vos témoignages personnels pour illustrer :

En quoi le « sourire » pourrait-il être un déclic, une stimulation physique, chimique et

vibratoire libératrice pour la circulation des ondes porteuses d’équilibre à travers l’unité du

vivant ? Une « interférence » positive aux entraves émotionnelles et un retour à l’évidence

d’une « cohérence » humaine exprimant spontanément : Réciprocité et Solidarité.

AAtteelliieerr CC 22.. 1122 :: ppoouurrqquuooii eett ccoommmmeenntt llaa rréécciipprroocciittéé ppeerrmmeett--eellllee dd’’aapppprreennddrree ??

Françoise Heinrich et Jacqueline Culetto227

: « Une vraie démarche d’apprentissage, efficace pour l’école ! » Nous avons toutes les deux la chance d’enseigner le Français en Collège et en Lycée. Notre établissement, situé à Argentat en Corrèze, accueille environ 350 élèves de la Maternelle à la Terminale. Nous sommes aussi formatrices. Nous avons mis en place la démarche des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs depuis 1989, d’abord dans nos classes (en Orthographe – Grammaire, en Atelier d’Ecriture, à l ’Atelier Théâtre…). Puis, un Réseau, en 1992, a vu le jour dans l’Etablissement.

Environ 700 élèves, quelques parents et quelques profs ont déjà participé à un ou plusieurs

échanges et parfois pendant plusieurs années.

Les échanges en classe de Français se déroulent, en général, pendant les cours. Les échanges

dans l’établissement se font sur des temps de récréations, des temps d’étude ou hors les murs

(échanges de Tennis, de Pêche…). La nature des échanges est variée : ils concernent soit des

disciplines enseignées à l’école (Maths, Français, Biologie…), soit des disciplines non scolaires :

fabrication de mouches de pêche, Arabe, Italien…

227

Enseignantes de français en collège et lycée.

Page 446: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 446

Pour organiser les échanges, nous avons constitué une équipe de coordination composée,

cette année, de :

- trois enseignantes ;

- une documentaliste ;

- une parente d’élève ;

- une douzaine d’élèves de classes différentes (sept lycéens, quatre collégiens).

(C’est d’ailleurs avec cette équipe – dans laquelle tous sont offreurs et demandeurs de savoirs

– que nous avons, en partie, préparé l'intervention d’aujourd’hui).

Nous ne sommes pas ici pour nous lamenter sur les dysfonctionnements de l’Ecole

aujourd’hui… Nous voudrions simplement rendre compte de notre travail au quotidien et

parler de ce qui marche !

Introduction

On peut, certes, adresser beaucoup de reproches au système scolaire actuel : beaucoup de

gaspillage…, beaucoup de « casse »…, beaucoup d ’ « ennui »… En effet, les savoirs dispensés à

l’école permettent-ils d’appréhender la vie ?

Toutefois, la démarche des Réseaux d’Echanges de Savoirs, à la fois simple et complexe, nous

semble apporter des solutions. Bien sûr, mettre en place des échanges de savoirs dans un

établissement scolaire est un travail de longue haleine, avec des moments de découragement,

des échecs, parfois… Mais, si nous sommes là, c’est pour parler des réussites et dire qu’il

s’agit, pour nous, d’une véritable démarche pédagogique.

En quoi est-ce une démarche pédagogique ?

C’est-à-dire une démarche – au sens étymologique – qui accompagne, qui conduit sur le

chemin du savoir. Nous allons développer sept points.

1. Cette démarche favorise la transmission et donc l’expertise

• Celui qui offre se rend plus expert : pour transmettre, il est nécessaire de clarifier, de reformuler, de synthétiser. En offrant, on apprend plus. Pour nous, il y a là une évidence : c’est d’ailleurs ce qui se passe pour les profs… Or, aberration ! : l’élève est presque toujours en situation de recevoir, d’être « gavé »…

• En transmettant, je suis obligé de me poser des questions : - Comment vais-je apprendre à l’autre ? - Comment j’apprends moi-même ? - Comment l’autre veut-il apprendre ? ou tout au moins dans quelles conditions ne

veut-il pas apprendre ?… Ces questions permettent un meilleur ajustement entre l’offreur et le demandeur,

ajustement facilité par la médiation.

Page 447: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 447

• Transmettre un savoir permet de mieux cerner son niveau de compétence et ses manques. (exemple de Maribel qui offre de l’Espagnol et se rend compte, au cours d’une séance en échange, qu’elle ne maîtrise pas suffisamment le problème des accents dans cette langue).

2. Etre dans l’échange réciproque et paritaire, qu’est-ce que ca change ?

• L’échange, quand il est paritaire et réciproque, est synonyme de dignité : - Pas question, ici, de don « poisseux ». - Pas de « profiteur », pas de « poire ». - Pas d’humiliation, puisque chacun est, tour à tour, offreur et demandeur. Les élèves, d’ailleurs, disent : « On apprend mieux, quand on est d’égal à égal… ». « Il

n’y a plus de mauvais élève », ajoute Mieke.

• Les regards changent : regard sur soi-même (meilleure estime de soi), regard sur les autres. - Pour les enseignants, il est intéressant de se mettre en situation d’échange : on

reprend conscience de la difficulté d’être en situation d’élève : on retrouve, parfois, de vieux réflexes en expédiant un exercice « bâclé », on ne comprend pas tout du premier coup. On est, parfois déconcentré, fatigué… Cette situation invite donc à l’humilité et à une plus grande indulgence envers nos propres élèves !

- Les élèves, quant à eux, se rendent compte de la difficulté qu’il y a à enseigner. Armelle dit, par exemple : « C’est pas facile de tout préparer ! ». Du coup, ils sont plus indulgents à l’égard de leurs profs. On apprend, donc, pas seulement des savoirs mais aussi des savoir-être :

indulgence mais aussi douce exigence…

• Chacun peut ainsi faire des progrès. Progrès chiffrables : les notes s’améliorent.

Progrès aussi dans le comportement et la motivation.

3. La démarche des réseaux permet la multiplicité, la « polyphonie »

• On apprend de tous par tous.

• Cette démarche permet de multiplier les stratégies, les chemins.

• Personne n’est laissé de côté. Chacun travaille selon son rythme, ses besoins, peut combler ses lacunes. Les « meilleurs » y trouvent aussi leur compte !

• Etre reconnu comme quelqu’un qui sait offre la possibilité de mieux exprimer ses ignorances, ses manques, sans honte !

• Cela permet de multiplier les démarches pour apprendre, de les repérer, voire de les expérimenter, en cas d’échec.

• C’est une bonne solution pour répondre à l’hétérogénéité des classes et donc d’en faire une richesse : plus les personnes sont différentes, plus il y a de chances de rencontres et d’échanges différents. On est plus forts à plusieurs !

Page 448: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 448

4. Cette démarche permet aussi de relier savoirs scolaires et savoirs non-scolaires

• Personne n’est une page blanche.

• Il est intéressant de partir de ce que savent les élèves, de réfléchir avec eux à la manière dont ils ont appris.

• Faire réfléchir à un apprentissage réussi (voire écrire…) : cela permet de rendre visible la réussite pour soi et pour les autres et de la rendre possible à nouveau. (Exemple : Jérôme, considéré en 3ème, comme un « mauvais élève » sera perçu comme un « artiste » (sculpteur sur bois) et s’autorisera à faire des études supérieures).

5. Dans cette démarche, l’erreur a un statut différent

• L’erreur devient une étape de l’apprentissage : on a le droit de se tromper !

• Le système d’échanges permet la régulation par le groupe.

• Plus l’erreur est formulée, plus elle a de chances d’être débusquée et donc rectifiée…

6. Etre dans l’échange réciproque et paritaire, c’est répondre à des questions

• Répondre, enfin, à des questions que les élèves se posent… alors que l’école passe son temps, comme le dit Philippe Meirieu, à répondre à des questions que les élèves ne se sont pas posées… Donc, on constate plus de motivation, plus de plaisir, de désir d’apprendre.

• Ensuite, la situation en ERS est construite pour que les élèves se posent des questions. - Par exemple, en listant les savoirs nécessaires pour acquérir une bonne

orthographe, les élèves vont s’interroger sur leurs savoirs et leurs ignorances. - Ou, lorsqu’ils découvrent sur le tableau d’offres et de demandes, des offres

auxquelles ils n’avaient pas pensées, ils s’interrogent aussi, deviennent plus curieux, plus désireux d’apprendre.

7. On transmet aussi ce qu’on est

• Boris Cyrulnik, dans Le Murmure des fantômes écrit : « Il est très étonnant de constater à quel point les enseignants sous-estiment l’effet de leur personne et surestiment la transmission de leurs connaissances. »

• Mettre en place un RERS dans un établissement scolaire, c’est aussi transmettre certaines valeurs : - de coopération, de confiance : J’ai besoin de l’autre, parce qu’il sait des choses que

je ne sais pas. Ce n’est plus l’esprit de compétition ! - de fierté, de responsabilité : J’ai besoin de la réussite de l’autre. Comme dans un

orchestre symphonique, on a tous intérêt à la réussite de l’autre ! « Quand j’ai fini d’apprendre à l’autre, dans mon échange de basket, cela se transforme en perfectionnement mutuel. On doit, en effet, chercher à ce que l’échange reste intéressant et, de cette façon, on essaie de faire toujours mieux, de tendre vers la perfection, chose à laquelle on ne peut arriver en classe. », écrit Charles.

- d’exigence, de rigueur : « C’est pas parce qu’ils sont petits, qu’il faut faire n’importe quoi ! », dit Maxime qui offre de la lecture aux petits de la Maternelle et qui relit trois ou quatre fois son texte avant la séance. Les contraintes sont consenties, donc mieux vécues, parce qu’elles ont du sens.

Page 449: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 449

- De curiosité : « Cela peut aider à créer des passions » affirme Béranger à propos d’un échange de Théâtre.

• Pour les élèves de l’équipe de coordination, ils apprennent aussi :

- l’exercice de la citoyenneté : « On se sent acteurs de quelque chose qui se passe dans l’école », dit Ugo, ici présent. Ils se sentent utiles.

- Ils nous ont précisé, lors de la préparation, qu’ils ont appris à développer leur esprit critique, à s’organiser, à se donner des objectifs, à se décider, à mieux cerner les caractères, à suspendre leur jugement. « Personne n’est parfait, personne n’est nul », dit Mieke, élève de 4ème.

Conclusion

Si animer un RERS ou organiser des échanges en classe n’est pas de tout repos…, il s’agit, pour

nous, d’une démarche pédagogique passionnante et enrichissante, souvent subversive…

Il y a, sans doute, aujourd’hui, un nouveau métier d’enseignant à inventer. Le professeur,

tout en restant le référent dans sa classe, est alors une sorte d’« animateur » (au sens

étymologique du terme ! « anima » = « âme, souffle, vie »).

La démarche des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs, ça marche aussi à l’école : ce

n’est pas « un truc baba-cool », « un truc homéopathique », un petit « plus », pas un truc pour

les pauvres, ni pour les soixante-huitards attardés…

D’ailleurs, nous allons terminer par le témoignage d’Hervé, élève de 6ème et participant à

l’équipe de coordination : « Moi, dans le Réseau, j’avais une petite idée de ce que je voulais

recevoir : apprendre à apprendre et de ce que je voulais donner : de l ‘ Anglais. C’était le mardi

et le jeudi entre 13h et 14h, en classe de Seconde. Pour l ’ Anglais, on donne les « cours » à

deux. Ce qui est bien, c’est que je vois comment fait mon camarade pour enseigner ce qu’il sait.

Lui, il emploie « la violence », moi, je crois que je peux le faire calmement ; je crois que Fabien

me préfère comme « professeur ». C’est pas avec la violence qu’on résout tout. Ce que j’aime

bien, c’est qu’on aide et on nous aide aussi. Le problème, c’est que tout le monde doit faire des

efforts pour y arriver. Hier, un peu plus et j’allais laisser tomber, car il ne voulait pas apprendre

ou il n’y arrivait pas. Aujourd’hui, j’ai vu qu’il pouvait apprendre et ça m’a fait plaisir. »

Ruth Bourchier228 : « L’échange des savoirs linguistiques entre professeurs de français »229 Je suis Ruth Bourchier, Conseillère Nationale pour l’enseignement du Français en Nouvelle-

Zélande. On m’a demandé de parler de notre réseau d’échange réciproque des savoirs mais

avant de le faire je voudrais évoquer brièvement le parcours qui a mené à l’établissement de

notre réseau.

228

Coordinatrice des professeurs de français en Nouvelle-Zélande. 229

Intervention par vidéoconférence.

Page 450: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 450

Notre histoire commence en 2003 quand j’ai rencontré Jacqueline Culetto et Françoise

Heinrich lors d’un petit séjour que j’ai fait à Argentat avec un groupe de mes élèves

(j’enseignais à l’époque dans un lycée) par l’intermédiaire d’une amie française qui s’est

installée dans ma ville et qui connaît Jacqueline depuis longtemps. Jacqueline a gentiment

offert de nous trouver des familles d’accueil et d’arranger une visite de son école, un dîner et

une grande soirée où nos élèves ont fait de la musique ensemble.

On a sympathisé immédiatement, ayant beaucoup en commun, et c’est à ce moment-là que

j’ai entendu parler pour la première fois des RERS.

Jacqueline m’a fait cadeau de l’Abécédaire230, que j’ai lu et relu, ce qui m’a amenée à réfléchir

à des moyens d’adapter ce dispositif à nos besoins en Nouvelle-Zélande.

En 2006, après une deuxième visite à Argentat avec un nouveau groupe d’élèves, j’ai eu

l’occasion de suivre une formation de formateurs à Besançon, ce qui m’a fourni un prétexte

pour approfondir ma connaissance des réseaux. Comme vous savez sans doute, Jacqueline et

Françoise animent un réseau dans leur école depuis une bonne quinzaine d’années. J’avais été

impressionnée par le progrès qu’Ugo, le fils de Jacqueline, avait fait en guitare entre mes deux

visites à Argentat et je savais qu’il le devait en grande mesure à ses échanges avec Benoît. Cela

ma donné envie d’observer un réseau scolaire en action ; du coup, j’ai fait encore un

pèlerinage à Argentat ou j’ai été accueillie comme toujours, à bras ouverts, par Jacqueline et

Françoise.

Je suis repartie armée d’interviews avec les étudiants et les animatrices du réseau. Ce que j’ai

vu m’a réchauffé le cœur. J’ai été frappée par le respect mutuel, le sérieux des élèves et

l’efficacité de l’apprentissage.

Entre temps j’avais rencontré à Paris Claire Héber-Suffrin et Nicole Desgroppes qui m’ont

beaucoup aidée à éclaircir mes pensées sur l’application des réseaux en Nouvelle-Zélande.

Mon rôle consiste principalement à soutenir les professeurs de français. Du coup, je cherchais

un moyen de les réunir et de faciliter l’échange de leurs savoirs. Comme ils sont distribués sur

tout le pays, il fallait que ce soit un réseau virtuel. Puis quelqu’un m’a posé une question sur

l’usage ou la grammaire et je me suis dit que le dialogue pourrait intéresser tous les profs. Il y

avait déjà une liste de diffusion pour les profs de français mais elle était destinée

principalement à diffuser de l’information et proposer des ressources et des liens aux sites

web etc. Je savais qu’il y avait pas mal de francophones qui enseignaient en Nouvelle-Zélande

et je raisonnais que les francophones et les kiwis auraient certainement beaucoup de savoirs à

échanger.

230

Claire Héber-Suffrin (coordination), 2004, Echanger des savoirs à l’école, Abécédaire pour la réflexion et l’action, Lyon, Chronique sociale, préface de Philippe Meirieu.

Page 451: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 451

En 2007, dès mon retour en Nouvelle-Zélande j’ai établi une nouvelle liste de discussion

consacrée à des échanges de savoirs linguistiques. On a été ravie par son succès presque

immédiat. Je l’ai inaugurée par le biais de la première liste de diffusion et j’ai invité tout le

monde à s’y inscrire. On a vite atteint une centaine de membres dont une bonne dizaine de

francophones. Aujourd’hui, une année plus tard on en compte 230, y compris 40

francophones dont certains résident en France et au Canada.

Bien qu’on ait conçu ce réseau à des fins purement linguistiques, j’étais toujours consciente

du rôle social important qu’il pouvait jouer. Il n’y a évidemment qu’un pourcentage des

membres qui y contribuent régulièrement (heureusement, sinon on serait inondé de mails)

mais d’autres posent des questions ou y répondent de temps en temps et je reçois du

feedback de profs isolés à la campagne qui, grâce au réseau, se sentent désormais partie

d’une grande famille de francophiles. On a réussi ensemble à faire sortir le français de la salle

de classe. Notre réseau a même sauté la frontière nationale. Grâce principalement à des

coups du hasard, on a maintenant des inscrits français et canadiens.

L’autre jour, suivant une question d’une prof (générée comme d’habitude par ses élèves), les

deux premières réponses sont arrivées de Montréal et de Beaune. La troisième était d’un

ancien universitaire francophone à la retraite qui a le temps de composer des réponses bien

réfléchies et profondes et qui, du coup, se sent de nouveau valorisé et apprécié pour son

expertise.

Pour moi, c’est la preuve que les meilleures idées sont souvent les plus simples et les plus

faciles à réaliser, avec l’aide d’une bonne équipe. Ce n’est pas du tout classique comme réseau

d’échanges des savoirs mais il est très convivial et efficace.

Avant de vous quitter j’aimerais vous raconter une autre petite histoire intéressante.

Quand j’étais en France, Claire m’a téléphoné un soir (où je dinais par coïncidence chez sa

sœur Françoise) pour me mettre en contact avec Gilles Reiss, résident à Poindimié en

Nouvelle-Calédonie, et impliqué à fond dans des réseaux là-bas.

Claire a raisonné qu’on était des voisins donc éventuellement son coup de fil aboutirait à une

rencontre future, ce qui s’est avéré le cas. Cette année, lors d’un voyage en Nouvelle-

Calédonie, ma fille et moi avons passé deux nuits très agréables et fructueuses chez Gilles à

Poindimié. L’année prochaine il projette de venir en Nouvelle-Zélande avec son équipe pour

observer l’enseignement de notre langue indigène, le Maori. Par l’intermédiaire de mes amis

et connaissances maoris, je compte leur arranger des visites qui pourraient mener à d’autres

échanges et ainsi de suite.

Finalement je reconnais à quel point l’internet est indispensable à nos échanges – surtout

pour moi au bas bout du monde. Loin d’être un outil dépersonnalisant, il nous permet de

franchir des barrières, comme je fais maintenant, et d’effectuer des échanges internationaux à

une échelle humaine.

Page 452: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 452

Sidy Seck231

: « Echanges de savoirs, environnement et flexibilité » Après huit années de pratique des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs, il nous est

revenu que l’animation d’un réseau est beaucoup plus complexe que la représentation simple

et à la limite mécanique que nous en avions au tout début de l’expérience.

S’il est vrai que les huit ans durant lesquels nous avons, sans interruption, vécu en réseaux

ouverts, ne représentent absolument rien eu égard au parcours de celles et de ceux qui en

fêtent la trentaine, les résistances notées çà et là à l’issue du bilan à mi-parcours effectué il y a

peu, justifient les deux questions centrales que nous abordons dans les pages qui suivent.

- Entre nos ambitions et les réalités des environnements, quels enseignements tirer ?

- Comment en sommes-nous arrivé à la réciprocité systémique en répondant, face aux résistances tenaces, par l’argument de la flexibilité ?

Avant d’aborder ces deux questions cruciales pour l’actualité des Réseaux d’Echanges

Réciproques de Savoirs, nous estimons nécessaire de rappeler en premier lieu le fait

générateur de cette présente réflexion.

1. Le fait générateur

Il y a une huitaine d’années, nous avons découvert le Réseau d’Echanges Réciproques de

Savoirs de l’Ecume du Jour de Beauvais en France. C’était un réseau de ville managé à

l’intérieur d’un bistrot associatif. Nous étions invité dans un environnement où tout ou

presque nous était culturellement nouveau voire contraire aux pratiques de notre milieu

socioculturel d’origine. Nous venions de la région de Diourbel, fief réputé pour son ancrage à

la religion musulmane et à la confrérie mouride.

Le fait que nous soyons moulé par l’école française et son système fortement imprégné de

l’occident et le fait que nous exercions à l’époque comme professeur dans un lycée de plus de

deux mille jeunes filles, n’ont absolument rien changé des fondamentaux de l’éducation de

base que nous avons reçue, tout petit, dans un quartier émaillé d’écoles coraniques, où la

notion de bistrot nous était à tous points de vue étrangère. Les rares fois qu’il nous arrivait

d’en entendre parler, c’était sous un angle très péjoratif.

Le choc culturel que nous avons vécu à Beauvais était violent, très violent, mais personne dans

notre entourage ne pouvait le soupçonner. La tragédie du World Trade Center aux Etats-Unis,

qui a coïncidé avec notre séjour à l’Ecume du Jour, rendra encore beaucoup moins

supportable le contexte dans lequel nous étions convié à animer des ateliers d’arts plastiques.

Les heures de prières que nous tenions à respecter scrupuleusement étaient devenues des

instants de pénibilité faits d’anxiété et de stress indescriptibles. Non pas parce que nos hôtes

manifestaient une quelconque animosité à l’endroit du musulman pratiquant que nous

sommes. Ce ne sont pas les marques d’affection et les indices d’hospitalité et d’attention qui

231

Enseignant, artiste plasticien, conseiller technique au Cabinet du Ministre de la culture du Sénégal, Animateur du Réseau POINT DE VUE de l’Espace Ombres et Lumières E.O.L.

Page 453: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 453

ont manqué de la part des personnes de l’Ecume du Jour. Bien au contraire ! Nous ne

manquions de rien sous ce registre.

Notre silence et notre réserve faisaient de nous un hôte « zen ». Seulement, c’était sans

compter que, lorsque les stratégies de partenariats Nord/Sud n’intègrent pas suffisamment la

donne culturelle et sa complexité, le culturel finit toujours par prendre le dessus et

« impacter » dans un sens ou dans un autre sur les résultats escomptés.

C’est dans ce contexte de choc culturel que nous avons découvert pour la première fois la

pratique de Réseau d’Echanges Réciproques de Savoirs.

Il peut être étonnant, inapproprié voire incommode, que nous insistions d’entrée de jeu sur le

choc culturel.

En effet, si malgré ce contexte de choc, synonyme d’un déficit de réceptivité où presque rien

ne militait en faveur des échanges, nous avons été enthousiasmé par les RERS, c’est parce que

nous avons découvert quelque chose d’à la fois novateur, fascinant et énigmatique dans ce

mode de management du savoir.

La convivialité, la pertinence de l’approche pédagogique, la liberté de choix des offres, des

demandes, de la périodicité des échanges, de la démonétisation, de la réciprocité, etc.

n’expliquent pas tout. Il y a, assurément, une part d’énigme. Cette part d’énigme nous fera

vivre de façon ininterrompue en réseaux ouverts dans la bonne humeur mais aussi face à

d’épaisses murailles de résistances.

Ainsi, de l’Ecume du Jour de Beauvais à ce jour, nous avons mené des expériences très

différentes et aussi complexes les unes que les autres. Du fait de notre statut d’agent de

l’administration publique, statut qui nous fait souvent changer de fonctions et de lieux

services, nous avons tour à tour pratiqué un réseau de ville, de lycée, sur internet avec des

listes de diffusion virtuelle et soutenu un diplôme d’études supérieures spécialisés (DESS) sur

la question.

Aujourd’hui, nous avons un réseau, à l’état embryonnaire, dans un cabinet ministériel où nous

exerçons en tant que Conseiller Technique.

Ces expériences, certes différentes de par leurs natures, présentent néanmoins un

dénominateur commun : la résistance de nombre de membres à vivre la réciprocité de façon

active.

Notre rôle d’animateur de réseau est généralement confronté aux réalités du milieu dans

lequel se déroulent les échanges. Et combien a été grande notre stupéfaction face à des

étudiants membres de notre réseau, ayant capitalisé une, deux, trois voire quatre années

d’études après le Baccalauréat qui jurent, la mort dans l’âme, de n’avoir rien et absolument

rien à offrir ! Ils ont tout à demander et rien à offrir !

Page 454: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 454

A partir de là, la question qui nous taraude l’esprit est celle de savoir si les réalités

intrinsèques aux environnements des échanges favorisent toujours la mise en œuvre des

réseaux en conformité avec les termes de références de la charte ?

2. Entre nos ambitions et les réalités des environnements, quels enseignements tirer ?

Dans notre propos, il ne s’agira pas d’évoquer les succès dans nos différentes expériences

mais plutôt les résistances rencontrées et les solutions apportées. Le réseau est une

organisation à variables multiples selon qu’il est configuré à l’échelle de la ville, de l’école, de

l’entreprise, de l’internet où de l’institution administrative. L’environnement du réseau – au

sens générique du terme – détermine pour beaucoup son mode de fonctionnement. Nous

entendons par « environnement » tout ce qui, à un niveau interne ou externe au réseau, est

susceptible d’influer positivement ou négativement sur le mode de fonctionnement et les

principes qui fondent le réseau. Ces environnements ou cet environnement pluriel se

présentent avec une très forte prégnance tant et si bien d’ailleurs que les fondamentaux que

sont la demande, l’offre, la réciprocité, la mise en relation, la démonétisation, le bilan, etc.

deviennent fragiles et précaires. Ces facteurs de fragilisation et de précarisation sont souvent

d’origines diverses et variées. Ils sont l’œuvre des environnements économique, financier,

commercial, technologique, démographique, écologique, politique, juridique, sociologique,

culturel, familial, intellectuel, individuel ou autres.

Ainsi, des faits récursifs comme le manque de moyens de transport pour aller prendre part à

une mise en relation, à un échange ou à une réunion de bilan, la prise de conscience de son

propre savoir ou de la valeur même de ce savoir, les changements de domiciles, de lieux de

travail ou d’écoles constituent le plus souvent de véritables goulots d’étranglement face à

l’animation des réseaux. La stabilité des réseaux est fortement précarisée par la dynamique

environnementale. Rien n’est définitivement acquis. Tout est à faire et à refaire eu égard au

contexte et aux réalités de l’instant. Le management ou l’animation de ces modèles

d’organisations caractérisées par la précarité nécessite une attitude de veille, d’alerte et

beaucoup de flexibilité. Sous ce rapport, nous pouvons bien nous poser la question de savoir

la distance réglementaire à tenir par rapport à la charte. Quel choix opérer entre la rigueur

des principes fondamentaux qui constituent en définitive « la culture » ou « le système de

valeurs » des réseaux et la souplesse dans l’approche d’animation ?

L’animateur doit-il faire ce qu’il « faut faire » ou bien ce qu’on « doit faire » pour atteindre

les objectifs qu’il se fixe dans son réseau ?

Entre le « falloir faire » et le « devoir faire », il y a une problématique qui est posée et qui

transcende le simple jeu de mots. C’est la nature du type d’animateur qui est posée.

L’animateur de réseau doit-il passer pour gérant de principes et de règlements froids et

immuables compilés dans une charte en faisant abstraction de toutes les réalités internes et

externes au réseau ?

Page 455: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 455

Quelle attitude face aux opportunités et aux menaces de l’environnement ?

Face aux innombrables résistances, dont les causes ne sont pas toujours maîtrisables,

l’animateur doit-il s’en tenir aux fondamentaux de la charte, quitte à mettre en péril la vie du

réseau ? Ou bien doit-il, en leader, se donner les coudées franches et faire infléchir certains

aspects de la charte pour maintenir en vie le réseau ? Les questions relatives aux principes de

fonctionnement des réseaux foisonnent et les réponses ne nous semblent pas encore bien

systématisées.

Le cas de ces étudiants persuadés de n’avoir rien à proposer comme offre de savoir en

contrepartie de leur demande est révélateur d’un type de résistance susceptible de mettre à

mal la pratique de la réciprocité, l’institution d’une culture de la solidarité et la vie du réseau.

Comment avons-nous vécu le rôle d’animateur dans ce réseau, composé pour l’essentiel de

jeunes étudiants, tous demandeurs de savoirs mais où tous ou presque se montrent

indisponibles à l’offre ?

Comment prétendre en arriver à la solidarité au sein de ce réseau, si tant est que les membres

pour la plupart ne font que demander sans jamais rien offrir ?

C’est tout le sens du concept de « flexibilité » que nous abordons dans la dernière partie de

notre propos.

3. Comment en sommes-nous arrivé à la réciprocité systémique en répondant, face aux résistances tenaces, par l’argument de la flexibilité ?

Face aux nombreuses poches de résistances et à la nature relativement complexes de celles-

là, quelle attitude l’animateur devrait-il tenir à défaut de ne pouvoir pas renoncer à la vie en

réseau ?

La capacité d’adaptation rapide au contexte et à l’environnement nous semble indispensable à

tout animateur de réseau, qu’il soit de Dakar ou d’ailleurs, d’un établissement scolaire ou d’un

cabinet ministériel.

Il reste entendu que cet appel à la flexibilité maximale peut enfreindre le respect des termes

de références de la charte.

Ainsi, nous avons fait preuve de flexibilité à plusieurs niveaux devant la résistance des

étudiants, afin de les amener finalement à vivre la réciprocité que nous appelons « réciprocité

systémique » puisque intégrée dans la globalité du système d’organisation et de configuration

du réseau.

Face aux nombreux étudiants qui se disent convaincus d’avoir « tout à demander » et de

n’avoir « rien à offrir », nous avons estimé devoir les accepter comme tels au sein du réseau

au risque de porter atteinte à la sacrosainte règle de la « réciprocité ».

Page 456: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 456

La mesure semble s’inscrire en faux contre les principes qui régissent les Réseaux d’Echanges

Réciproques de Savoirs mais elle relève d’une démarche stratégique. En effet, en lieu et place

d’une réciprocité imposée d’entrée de jeu aux membres par une réglementation en vigueur,

nous avons privilégié la réciprocité systématique. Cette réciprocité consiste à impulser le

réflexe de l’offre et de la solidarité à partir de l’offre qui a résulté de la demande du membre.

Dans la pratique, la réciprocité et la solidarité ont finalement été développées au sein de

notre réseau en adaptant le système d’échanges à notre propre contexte et à notre propre

environnement. Une façon de se réapproprier les acquis et de rendre les règles et les

principes beaucoup plus souples.

Les opérations ayant conduit à la résolution de la difficulté relative au refus massif et

involontaire de la réciprocité ont été conçues suivant le modèle opératoire ci-après :

• Identification du membre ;

• Reconnaissance de la décision de s’inscrire au réseau comme un acte de grandeur répondant à un système de valeur ;

• Echanges sur les principes fondamentaux et les règles de fonctionnement du réseau (laisser une place primordiale à l’écoute du membre et la capacité d’empathie) ;

• Identification de la demande ;

• Inscription du membre dans le réseau vivant ;

• Inscription et diffusion de la demande dans le réseau vivant ;

• Mise en relation entre le demandeur et l’offreur ;

• Mise en œuvre des échanges en tête à tête ;

• Bilan ;

• Remédiation au besoin. A l’issue de cette première étape, où toutes les opérations se font selon le modèle classique

de mise en œuvre des échanges, nous prolongeons le processus en y ajoutant un autre niveau

d’échanges en mode virtuel.

Le recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication est une

stratégie qui consiste à saisir une opportunité de l’environnement technologique pour passer

à la seconde étape du processus dont le seul but est d’apporter une solution eu refus des

membres à vivre la réciprocité.

En effet, au contact de nombre de ces membres, il nous est revenu que tous ou presque

disposent d’une adresse e-mail fonctionnelle.

A partir de ces adresses e-mail, nous avons constitué une liste de diffusion qui ne cesse de

s’élargir. Elle compte actuellement plus de mille cinq cents contacts répartis en groupes de

cent inscrits dans quinze comptes intitulés « sunurezo » qui signifie « notre réseau ».

Exemples : sunurezo @gmail.com, sunurezo1 @gmail.com, [email protected] etc.

Page 457: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 457

A la suite de cette phase de transition où le membre (non encore inscrit dans le processus de

réciprocité active) a achevé avec satisfaction le processus d’échanges, le médiateur invite ce

dernier à se réapproprier par écrit l’offre qu’il vient de recevoir.

Cet écrit, ainsi inspiré de l’offre reçue, représente en d’autres termes ce qu’il sait, retient et

restitue par ses propres termes de l’offre reçue. Cette restitution par écrit fera l’objet d’une

offre dans les quinze listes de diffusion sous une version électronique appelée POINT DE VUE

et que nombre de membres du MRERS reçoivent par mail.

POINT DE VUE est donc une parade virtuelle à laquelle le médiateur a recours pour permettre

à tous les membres réticents par rapport à la réciprocité de trouver une tribune électronique

pour partager leurs savoirs ; savoirs construits à partir de l’offre reçue.

L’intérêt pédagogique réside à plusieurs niveaux. Le processus physique et virtuel à la fois fait

passer le demandeur du statut de membre passif (quand il reçoit l’offre) à celui de membre

actif (quand il reconstruit par écrit et selon ses propres concepts l’offre reçue et quand, à son

tour, il l’offre à tous les membres inscrits sur les quinze listes de diffusion).

A la fin du processus le demandeur aura vécu la réciprocité active. Et les réactions suscitées

par certains POINTS DE VUE et relayées encore sur les listes de diffusion donnent au réseau

une dimension interactive, dynamique et vivante qui contribue à pérenniser la vie du réseau.

A preuve, cette jeune étudiante qui faisait partie, au tout début, des membres du réseau

hostiles à la réciprocité et qui, un jour, apprend que sa première offre venait d’être publiée

dans la presse dakaroise.

Après avoir suivi tout le processus d’échanges, le savoir qu’elle a construit à partir de l’offre

qu’elle a reçue, est diffusé dans le réseau virtuel POINT DE VUE.

Le lendemain, en lisant un quotidien d’informations de Dakar, le père de la jeune étudiante

trouve au bas d’un encadré le nom de sa fille. C’est l’offre de savoir de la fille qui venait d’être

relayée dans les colonnes du journal. Un autre acte de reconnaissance à l’endroit du savoir

construit par la fille est ainsi posé à travers cette parution. Et la réaction de la fille mise au

courant par téléphone par son père est empreinte d’émotion. C’est avec un enthousiasme

débordant et toujours par téléphone qu’elle en informa à son tour le médiateur.

L’histoire de cette jeune étudiante est révélatrice du sentiment de fierté qui habite les

membres qui, à la fin du processus d’échanges, se découvrent en tant qu’êtres humains

capables de chercher du savoir, d’en construire et d’en offrir au reste du monde.

La réciprocité est ainsi intégrée dans le processus global. Il n’importe plus de sectionner le

processus d’échanges en étapes rigides et d’en imposer le respect scrupuleux et le passage

obligatoire aux membres (à prendre ou à laisser) mais plutôt d’inviter ceux-là à suivre à leurs

rythmes tout le processus dans sa globalité. Autrement dit, il importe plus de la part de

l’animateur du réseau de penser des stratégies au moyen desquelles les membres hostiles à la

Page 458: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 458

réciprocité passeront des échanges en tête à tête aux échanges virtuels. C’est tout le sens de

ce que nous entendons par « réciprocité systémique » qui ne peut être réalisée que dans la

mesure où le réseau repose sur un mode de fonctionnement flexible à tout point de vue (forte

capacité d’adaptation aux réalités qui environnent le réseau).

Que l’animation en réseau se passe en ville, dans un lycée, dans une entreprise, dans un

cabinet de ministre ou sur internet, peu semble importer la rigidité du principe de base qu’est

la réciprocité.

Fort de cette réalité, nous n’avons pas baissé la garde face aux nombreuses résistances

lorsqu’il s’est agi de créer un réseau au sein d’un cabinet ministériel.

Nous sommes parti d’un réseau à deux personnes (mon collègue de bureau et moi) et à partir

d’échanges réciproques portant sur la rédaction administrative et sur le management des

projets. Au fil des mois, le réseau s’élargit avec le collègue du bureau d’en face et ainsi de

suite sans tenir compte des contraintes de la charte qui risquent de freiner tous les élans

d’agents administratifs moulés dans un système d’interrelation verticale.

Et c’est cette même capacité à adapter le type d’animation à l’environnement qui nous a

permis d’instaurer la réciprocité systémique dans le réseau des étudiants qui nous permettra

de faire infléchir, dans le cabinet ministériel, l’interrelation verticale propre à l’administration

publique vers l’interrelation horizontale propre aux réseaux d’échanges réciproques de

savoirs.

C’est finalement pour dire qu’un réseau n’est que ce que son animateur en fait eu égard à la

lecture et à l’exploitation que celui-là fait des opportunités et des menaces de

l’environnement générique.

Conclusion

Aux termes de notre propos, il ne nous paraît pas exagéré de dire qu’en réalité, c’est la

flexibilité qui fait office de loi et de règlement à tous les niveaux de management d’un Réseau

d’Echanges Réciproques de Savoirs.

Nous entendons par « flexibilité » cette capacité de l’animateur à s’adapter facilement et

rapidement à toutes les circonstances et à toutes les réalités de l’environnement générique.

L’adaptabilité pourrait être orientée vers trois axes majeurs : l’opérationnel, le stratégique et

le structurel.

Sous ce rapport, l’animateur se doit toujours d’être en état de veille et d’alerte maximum et à

même d’identifier, d’adapter et d’adopter avec souplesse, la meilleure approche managériale

(du moment !) susceptible de mobiliser les membres autour de la réciprocité active et de la

solidarité agissante.

En définitive, il n’y a pas à proprement parler de modèle type de réseau et encore

moins de modèle type de management d’un réseau.

Page 459: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 459

Tout est toujours à faire, à défaire et à refaire à l’image de la roue managériale et selon

le contexte et la complexité de l’environnement.

Ateliers du samedi après-midi

AAtteelliieerr «« RRéécciipprroocciittéé eett vvaalliiddaattiioonn ddeess aaccqquuiiss nnoonn ffoorrmmeellss,, PPrroojjeett LLaabbOObbss »»223322

Rita Bencivenga233

: « présentation du projet LabObs »

L’objectif du projet LabObs est de favoriser l’autonomisation de tous les adultes qui

souhaitent poursuivre leur éducation tout au long de leur vie. Dans ce but, il est nécessaire de

reconnaître les différentes expériences éducatives, ce qui permettra de promouvoir les

méthodes spécifiques d’apprentissage non formel et accroîtra le nombre de personnes

impliquées dans l’éducation non formelle. Il convient aussi d’identifier une série d’indicateurs

communs aux pays impliqués qui pourront servir de référence en vue de la validation formelle

des connaissances et compétences acquises avec ces méthodes.

Les partenaires du projet promeuvent le développement de méthodes d’éducation non

formelles dans quatre espaces aux caractéristiques culturelles, professionnelles et sociales

différentes.

Ces méthodes d’éducation non formelles sont conduites dans le but de vérifier les résultats

finaux et d’ouvrir la voie à une nouvelle manière d’obtenir une validation formelle de la

capacité d’apprentissage des individus et des groupes.

Dans le contexte de l’apprentissage tout au long de la vie, l’identification et la validation de

l’apprentissage non formel ont pour but de rendre visibles et de valoriser la grande diversité

des connaissances et compétences détenues par tout individu indépendamment de la

manière dont elles ont été acquises. Le projet LAbObs a pour objectif de traiter le sujet en

utilisant des outils d’apprentissage spécifiques. Analyser et comparer différentes voies et

méthodes d’apprentissage non formel. Explorer différentes solutions pour reconnaître

formellement des apprentissages non formels et les expériences acquises par les participants

en tant qu’individus et groupes. La recherche est conduite simultanément en France, en Italie,

en Espagne et en Bulgarie et ses résultats seront également largement disséminés en

Roumanie; elle vise à observer le fonctionnement de « clubs thématiques » en France et de

cercles d'études dans les autres pays afin d'analyser et comparer différentes voies et

méthodes d’apprentissage non formel et d'explorer différentes solutions pour reconnaître de

232

Projet soutenu par la commission européenne, programme Grundtvig, 134430-CP-1-2007-1-IT-GMP.

233 Coordinatrice générale du projet, Studio Taf, Genova.

Page 460: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 460

manière formelle l’apprentissage non formel. Au regard des contextes institutionnels

différents, peut-il exister un socle commun?

Ce projet a été financé avec le soutien de la Commission européenne.

http://www.cite-sciences.fr/francais/web_cite/informer/tec_met/labobs_presentation.pdf

www.labobs.eu

L’expérience Génoise

Le cercle d’étude est une modalité de regroupement spontané de personnes qui désirent

approfondir un sujet ou une thématique et qui n’ont pas trouvé de cours de formation adapté

pour satisfaire ce besoin. L’expérience des Cercles d’étude a été initiée à Gênes en 2004.

Parfois, l’intéressé partage son intérêt avec un groupe de personnes qui se connaissent déjà,

d’autres fois, l’intéressé est à la recherche de personnes qui peuvent partager ce même

intérêt et qui sont disponibles pour l’approfondir ensemble.

Les cinq conditions nécessaires à la conception d’un cercle d’étude sont :

1. les participants doivent être disposés à investir du temps et à s’épauler les uns les autres

pour mettre en place des itinéraires d’apprentissage destinés au développement culturel de

l’individu ou du groupe.

2. Le groupe doit être formé d’un minimum de cinq et d’un maximum de quinze personnes, la

durée minimale du cercle étant de cinquante heures.

3. Le temps doit être organisé en priorité en auto-apprentissage et en apprentissage

réciproque et solidaire, tout en prévoyant aussi, à l’occasion (mais pas systématiquement),

l’intervention d’un expert.

4. Le programme de l’activité doit être défini dans le projet, en prévoyant des activités qui ne

soient pas seulement théoriques mais aussi des exercices, des ateliers, des activités pratiques

et concrètes.

5. Les résultats doivent êtres diffusés dans la communauté locale afin de devenir le patrimoine

de tous.

Un cercle d’étude peut être lancé par un organisme ou une association, mais peut également

naître de manière informelle de l’idée ou de la volonté d’un ou de plusieurs individus.

L’unique contrainte pour participer à un cercle est d’être un citadin adulte, résidant et

domicilié dans la province de Gênes. Le projet vise à impliquer de manière prioritaire toutes

les personnes qui, pour des motivations diverses, ne trouvent pas d’opportunités de

formation traditionnelle en dehors. Le sujet autour duquel tournera le cercle et sur lequel

Page 461: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 461

portera l’intérêt des participants pourra être varié et peut concerner les domaines les plus

divers.

Une fois définis le thème et les participants au cercle d’étude, il sera nécessaire de se

préoccuper des formalités administratives, en se procurant le formulaire de présentation du

projet diffusé chaque année par la Province de Gênes au moyen d’un appel d’offres qu’elle

finance.

Le financement des cercles intervient sur la présentation d’une facture se rapportant au cercle

d’études, émanant de la personne référent pour le compte du cercle ou de l’organisme, public

ou privé, promoteur du projet. Le paiement, effectué au titre de contribution à tous les frais,

ne peut couvrir que des montants approuvés dans le projet original et ne dépassant pas mille

euros.

Bernadette Thomas234

: « La problématique de la validation des apprentissages non formels dans les clubs thématiques de la Cité des métiers »

Confrontée simultanément à une croissance de la demande d’usage « collectif » (ateliers,

rencontres…) et à l'expression d'un besoin de développement du lien social de la part de

personnes précarisées dans leur vie professionnelle, la Cité des métiers de Paris a

expérimenté, ces deux dernières années, des clubs thématiques qui offrent à leurs

participants un lieu de socialisation leur permettant de se retrouver de manière programmée

et régulière pour progresser ensemble sur la résolution de problèmes liés à l'insertion

professionnelle.

Partenaire du projet LAbObs, la Cité des métiers poursuit, à travers cette recherche

internationale, deux objectifs principaux : d'une part, offrir au public de meilleures

opportunités en vue d’accéder à des processus d’apprentissage tout au long de la vie et à la

reconnaissance/validation de ces apprentissages non formels et d'autre part, à l’implication et

la reconnaissance des professionnels dans les processus de gouvernance de la Cité des

métiers. C'est pourquoi elle travaille spécifiquement à l’observation des pratiques

expérimentées dans les clubs thématiques et au test de différentes manières de donner de la

visibilité à des compétences qui sont développées dans ces activités de clubs au regard du

cadre général de la recherche. Les groupes cibles sont des demandeurs d’emplois, travailleurs

précaires, créateurs d'entreprise, personnes présentant des troubles psychiatriques et des

parrains qui accompagnent des jeunes dans leur insertion sur le marché du travail. Les

professionnels impliqués dans le dispositif interviennent soit en tant que membres de la cité

des métiers soit en tant qu'intervenants extérieurs.

Par rapport aux cercles d'étude étudiés dans les autres pays et à d'autres formes

d'apprentissage non formel comme les Réseaux d'échanges réciproques de savoirs (RERS), les

234 Chef du projet LabObs à la Cité des métiers, Cité des sciences et de l'industrie, Paris.

Page 462: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 462

groupes cibles du processus de validation étudié à la CDM de Paris ont cette particularité

d'aborder la question de la formation tout au long de la vie sous l'angle de la vie

professionnelle, voire plus largement de l’insertion sociale.

Cette approche est particulièrement innovante pour les Cités des métiers car elle amène à les

considérer comme des moyens d’autonomisation, non plus seulement dans une démarche

individuelle d'utilisation du lieu et de ses outils pour de l'autoformation (autodidaxie) mais

aussi en tant que lieu offrant la possibilité d'une autoformation collective. Ce nouveau rapport

de l'usager à l'institution s'inscrit bien dans la mission initiale consistant à participer au

développement de l'autonomie des usagers afin de les aider à mieux gérer leurs transitions

professionnelles ; c'est ce qui amène la Cité des métiers à s'interroger sur le rôle possible de

validation qu'elle pourrait avoir pour mieux remplir cette mission. Par ailleurs, opérer un tel

changement bouleverse les habitudes et les postures des professionnels ; en effet, lorsque la

cible n’est plus l’individu mais un groupe comme dans les cercles d’études ou les RERS, la

manière d'utiliser les ressources offertes par un tel lieu et d'accompagner les usagers n'est

plus la même. Avec les clubs thématiques, la question de la validation est complexe car elle se

pose à deux niveaux, celui de l'individu qui développe ses compétences au sein d'un groupe et

celui du professionnel qui peut être accrédité à l'utilisation d'un lieu ressource pour

accompagner des individus impliqués dans un processus d'autoformation collective.

Kremena et Mariana Manukian235

: « Notre inscription dans les projets SCATE et LabObs »

Le projet Grundtvig « SCATE236 » était le premier projet pour nous dans le parcours

d’apprentissage non formel et il nous a donné l’expérience nécessaire et importante pour

participer maintenant au projet LAbObs.

Le point central du projet « SCATE » était le principe du cercle d’étude comme une modalité

de regroupement spontané de personnes qui désirent approfondir un sujet ou une

thématique et qui n’ont pas trouvé de cours de formation adapté pour satisfaire ce besoin.

Dans ce sens, les principes généraux et les plus importants ici sont le volontarisme, la

réciprocité et l’égalité des participants.

Des conditions nécessaires à la conception d’un cercle d’étude sont :

• Le but des participants, c’est le développement culturel de l’individu ou de groupe ;

• Le groupe doit être formé d’un minimum de cinq et d’un maximum de quinze

personnes et doit avoir une durée minimale de cinquante heures ;

• Priorité à l’auto-apprentissage réciproque et solidaire ;

235

Responsables de Znanie Association (Sofia, Bulgarie), membres du projet LabObs. 236

Study Circles, A Tool for Empowerment.

Page 463: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 463

• Des activités qui ne soient pas seulement théoriques mais aussi des exercices, des

ateliers, des activités pratiques et concrètes ;

• Les résultats doivent être diffusés dans la communauté locale.

Le cercle d’étude principal dans le cadre du projet « SCATE » était pour nous d’échanger

l’expérience plutôt féminine dans le domaine de création des choses belles pour nous-mêmes

et pour notre famille et notre maison – dans le cercle, on a fait des bijoux, on a appris des

techniques différents de tricoter, etc.

Les ateliers qui font partie du projet LAbObs dans notre association sont au nombre de cinq

pour le moment :

• Vivre près de la nature

Apprendre les différents types d’herbes et de champignons et aller dans la montagne pour les

ramasser par exemple ; organiser des discussions sur les moyens différents de protéger la

nature autour de nous, etc.

• Joy FLL

Les grands-parents se joignent à leurs petits-enfants dans l’apprentissage d’une langue

étrangère comme l’anglais, par exemple.

• Femme heureuse

C’est un cercle d’étude pour l’échange d’expérience et d’idées entre un groupe des femmes

qui travaillent pour apprendre comment dégager plus de temps libre en exécutant leurs

obligations à la maison et au travail.

• Assistance réciproque

L’objectif de ce programme social consiste à organiser des activités liés à l’assistance 24h/24,

pour des gens malades et incapables de prendre soin d’eux-mêmes ; discussions sur

l’expérience dans les autre pays européens.

• La femme et l’art

Ce groupe rassemble des personnes animées d’une même passion pour l’art et d’un désir de

s’occuper d’art et de créer quelque chose tout en apprenant de nouvelles techniques qu’elles

peuvent mettre en œuvre dans le processus de création.

Enfin, il faut noter qu’en Bulgarie on a un très grand problème avec la validation de

l’apprentissage non formel. En fait, pour le moment présent, c’est encore impossible. Mais

d’un autre côté, on a un besoin vraiment grand d’ateliers ou de cercles d’études comme ceux

décrits ci-dessus, pour signifier que la vie d’une grande partie des bulgares n’est pas limitée

seulement aux cadres de travail et aux obligations domestiques.

Page 464: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 464

Discussion

Après la description du projet LABOBS et du programme de l’Union européenne qui le

cofinance, les participants ont discuté les différences entre cercles d’études, clubs d’usagers et

réseaux d’échanges réciproques de savoirs. C’est à ce niveau qu’a émergé la discussion avec

un débat sur : « Pourquoi les Réseaux d’échanges réciproques de savoir n’ont-ils pas été en

tant que tels inclus dans le projet LABOBS ? ». En fait, le projet étant focalisé sur la validation

par la structure organisatrice de l'activité, cela implique l’existence d’une « institution »,

structure de type « hiérarchique » et non pas « circulaire » comme ce qui existe dans les

réseaux tels que les RERS. Bien sûr, comme les processus d'apprentissage qui sont observés,

tant dans les cercles d'étude que dans les clubs, reposent sur la réciprocité, il serait toujours

possible d’analyser les possibilités (et l’intérêt pour les participants) d’une validation par les

pairs. Cela pourrait constituer un projet ultérieur, mais les partenaires ont jugé important de

démarrer par l’analyse d’une validation de type hiérarchique « top-down », et seulement

après de faire une analyse de l’évaluation par les pairs. Un autre point du débat a porté sur la

question : « Est-ce que la validation par des institutions comme la Province de Gênes, la Cité

des métiers à Paris ou Znanie en Bulgarie pourrait nuire à l’organisation d’apprentissages non

formels ? est-ce que cela pourrait diminuer l’intérêt des citoyens à l’égard de ce genre

d’outil ? » Il est trop tôt pour le dire, mais heureusement les questionnaires que nous allons

collecter auprès des participants dans quelques mois nous donneront une réponse à cette

question.

« Atelier philo », animé par Christine Burgevin237

et Francine Tétu238

Avec les participants des Rencontres, les enfants et enseignants de Troyes, les adultes de

l’atelier de Montereau. Groupe de trente-huit personnes, adultes et enfants et deux

animateurs.

Thème : La Vie

1. « Je trouve que c’est merveilleux, il ne faut pas la gâcher, il ne faut pas se plaindre. »

2. Intervention non « captée. »

3. « La vie, on la vit tous les jours. »

4. « Dans la vie on peut mal partir : quand on meurt c’est mal, par contre le mariage et un enfant c’est le bonheur. »

5. « Ce qui m’étonne c’est que, dans l’univers, tout diminue, la seule chose qui augmente c’est

la vie. »

6. « La vie appartient à tout le monde et à soi. Il ne faut pas gâcher la vie des autres. »

237

Enseignante. 238

Travailleuse sociale.

Page 465: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 465

7. « Je suis responsable de la vie que je me fais. »

8. « Il ne faut pas se plaindre, il y a des gens qui meurent à cause de maladie. »

9. « La vie, ça sert à quelque chose. »

10. « La vie c’est court et long à la fois, il y a des courts moment heureux et de longs moments

dans la souffrance. »

11. « La vie passe vite, il ne faut pas la gaspiller. »

12. « Je vais répondre aux jeunes. La vie est merveilleuse, mais moins merveilleuse dans

d’autres. »

13. « La vie est quand même merveilleuse, où que l’on soit, dans des situations économiques

différentes, on peut respirer, regarder la nature, l’apprécier. »

14. « La vie c’est ce qui se passe quand on regarde quelqu’un dans les yeux comme un

poisson. »

15. « La vie est fragile. »

16. « la vie est une aventure perpétuellement en mouvement. Elle permet de construire. »

17. « La vie, c’est formidable, je suis plus sur le côté descendant, les années que j’ai en arrière,

mon bilan, ma vie, si elle a des bas, elle a aussi des hauts, c’est ce qui ressort. »

18. « La vie humaine est un conflit avec la vie matérielle. »

19. « Merci à mes parents qui m’ont donné la vie, c’est grâce à eux si je suis là à vous écouter,

je le dois à mes ancêtres. »

20. « La vie est sacrée. Il faudrait qu’on la vive sans la gâcher. »

21. « La vie, il faut que tout le monde en profite et moi aussi. »

22. « La vie, c’est pas que de la richesse. Il y a des pauvres qui sont heureux et des riches qui

ne pensent qu’à l’argent et ne sont pas heureux. »

23. « C’est de l’énergie, de l’espoir, du rire, c’est ce qui permet de franchir les étapes

difficiles. »

24. « Il faut s’accrocher à la vie. Les prématurés s’accrochent à la vie et les personnes âgées s’y

accrochent aussi. »

25. « La vie peut être merveilleuse et détruite par le regard des autres. »

26. « La vie faut la laisser passer et en profiter. »

27. « La vie est dure mais drôle à la fois. »

28. « La vie c’est la mort. Il n’y a pas de vie sans mort. »

29. « Avec la vie, on finit toujours par mourir, il faut en profiter. »

30. « On n’a pas de pouvoir sur la vie. »

Page 466: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 466

31. « Nous qui faisons la vie, faisons-nous assez pour protéger la vie ? »

32. « La vie n’est pas qu’individuelle, elle est aussi collective. »

33. « La vie c’est la vie. »

34. « Ce serait intéressant de prendre conscience du pourquoi on vit, prendre conscience de la

fin pour réaliser ce qu’on a envie. Ne pas attendre trop longtemps avant de lui donner un

sens. »

35. « La vie est un état. »

36. « La vie c’est aussi un combat. On a de la chance d’être sur terre. On a à la construire tous

les jours. On doit l’entretenir. »

37. « Tout le monde a la vie, même si ce n’est pas vivant, comme un crayon »

38. « La vie ça s’entretient. Certaines choses ne sont pas fatalité. On ne peut pas tout

maîtriser. Mais il y a des choses dont on peut se protéger. »

39. « Dans la vie, il y a la mort mais il ne faut pas y penser. »

40. « La vie est le bonheur. »

41. « J’aime bien le printemps, c’est l’éveil de la vie contrairement à l’automne et à l’hiver. »

42. « La vie est belle avec les émigrés. »

43. « La vie, pour une mère, c’est ses enfants, pour une mamie, c’est ses enfants et ses petits

enfants, pour une enseignante, c’est ses élèves. »

44. « Il y a plusieurs sens de la vie, ce qui est animé et ce qui est inanimé. »

45. « Comment être libre de construire sa vie dans la vie ? »

46. « On est responsable de sa vie, du regard sur les événements de la vie et entre autres ceux

que je ne maîtrise pas. Mais on peut toujours regarder positivement. »

47. « La vie n’a de sens que dans la différence. »

48. « Pour moi la vie, elle n’a de sens que si on la vit avec les autres. »

49. « Dans la vie, il ne faut pas être égoïste. »

50. « Quand on est malade on croit que c’est la fin. »

51. « Il faut en profiter, il faut s’accrocher pour combattre la vie. »

52. « Quand on est malade. Il faut beaucoup en profiter. »

53. « Le passé est le passé, il faut vivre le présent. »

54. « J’ai l’impression que certains on une force de vie avec énormément d’énergie et d’autres

moins dotées d’énergie à la naissance et vont plus traîner. »

55. « Je plains les personnes qui n’ont pas de problème dans leur vie, elles n’ont pas de

chance. »

Page 467: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 467

56. « Elle est dure à vivre. On se demande quand ça va se terminer même si la science va faire

des progrès. Dans une épreuve comme celle là il faut foncer. Il y a autour de moi des gens. Il

ne faut pas rester là comme des andouilles. Un collègue qui vous embête, il faut toujours faire

face à cette adversité, ce n’est pas une fatalité. »

57. « La vie, c’est une reconnaissance, on a besoin d’être reconnu, il faut que l’on existe, qu’on

soit une personne pour vivre. »

58. « La vie c’est comme une grande aventure, il faut le gagner. »

59. « Les plantes, les animaux ont la vie. »

60. « La vie c’est d’avoir son pain tous les jours et la prendre du bon côté et se dire qu’elle est

belle. »

61. « La vie est un terrain d’expériences qui peut se transmettre, c’est la réciprocité. »

62. « Je pense que la vie faut la vivre avec de la joie et de l’amitié mais il faut faire l’effort de

les créer. »

63. « La vie est une grande rencontre. »

64. « Est ce que trouver la vie belle ça s’apprend ? »

65. « Quand il y a de graves problèmes, il faut foncer mais il faut un bon accompagnement. »

66. « La vie ça se vit avec d’autres et ça gâche la vie d’envier la vie des autres. »

67. « Il faut dire : « De mon bon vieux temps », le bon temps, c’est en ce moment, c’est peut-

être hier mais c’est aussi notre temps qui est en ce moment. »

68. « La vie c’est prendre chaque jour soin de soi car chaque jour qui se lève est une nouvelle

vie. »

69. « La vie, on l’apprend avec les parents. » (Intervention d’enfant)

70. « La méthode COUÉ : je suis heureux et à force ça marche. Cette réunion est

merveilleusement heureuse. Là je suis content, mais pas par la méthode COUÉ. »

71. « C’est les parents qui l’apprennent mais c’est aussi vous qui l’apprenez aux parents. »

72. « Il ne faut pas se moquer ni se décourager. »

73. « Il faut rester naïf devant la vie : pouvoir absorber des choses nouvelles. La vie, c’est une

petite flamme, une lumière vers laquelle aller. »

74. « Il y a une image qui m’a aidée : c’est comme si j’étais tombée dans une piscine et dès

que je suis arrivée en bas je donne un bon coup de pied, ça va revenir. C’est une image qui

m’aide beaucoup. »

75. « Tout à fait quand par exemple, on a une difficulté et qu’on s’en est sorti. Le jour où ça m’est arrivé, ce jour-là, j’ai vraiment cru qu’il y avait un bon dieu pour moi et dans pas mal de domaines et pourtant je ne suis pas une bondieusarde. »

Page 468: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 468

76. « Les petites méthodes pour bien vivre c’est mon ange gardien qui me les a données pour que j’apprenne quelque chose. »

77. « Le coup de pied au fond de la piscine ! La remontée peut être très longue mais il faut y

croire. »

78. « La vie c’est l’engagement, un combat des plus pauvres. »

79. « La vie, elle est aussi faite d’échecs mais on cherche le pourquoi et quand on surmonte,

quelle satisfaction ! »

80. « Il y a aussi la vieille blague au 10e : jusque là tout va bien. »

81. « Les échecs, ça grandit, ce qui est important, c’est de comprendre pourquoi. Souvent

quand quelque chose réussit, on ne cherche pas à comprendre mais il faut aussi chercher

aussi pourquoi ça réussit, il y a toujours une explication et dans les deux sens. »

82. « Pouvons nous vraiment dire que les difficultés de la vie nous font grandir ? »

83. « J’ai longtemps cru que j’avais peur de la mort. Un jour on m’a dit que je pouvais mourir dans la nuit, je n’ai jamais aussi bien dormi ! Conséquence aujourd’hui : j’ai peur de la mort pour d’autres personnes. Ce n’est pas un apprentissage qu’on peut faire très jeune. »

84. « la vie c’est aussi saisir les chances qui se présentent à nous. »

85. « A propos d’échec, j’ai eu une expérience avec des élèves, un jeu où ils devaient aller chercher un numéro de 1 à 12. L’inspecteur m’a demandé pourquoi je laissais un enfant prendre un « mauvais » numéro… Avec l’échec, c’est positif, si l’élève est toujours en réussite, ce n’est pas bon. »

86. « Pour qu’il y ait une philosophie de la vie, il faut qu’il y ait un système de dépendance/ indépendance. Le choix est relatif. »

88. « La vie c’est un besoin. Automne : feuilles qui crissent sous nos pieds, sensation de cri. »

89. « Il ne faut pas se reposer sur ses réussites, tout peut arriver à tout moment. »

90. « Est-ce qu’avoir peur de la mort c’est avoir peur de laisser des choses. »

91. « Je reçois 5 sur 5, je confirme, il faut se faire confiance, il a raison. »

92. « Dans la vie il ne faut pas se croire capable de tout. »

Quelques paroles recueillies après l’atelier philosophie

• « Au début j’ai cru que je n’avais pas d’idée et puis c’est venu. »

• « J’apprécie beaucoup de pouvoir partager avec les enfants. On a le même niveau de pensée. »

• « J’apprécie la méthode pour distribuer la parole même pour d’autres domaines. »

• « Au départ j’avais des idées d’autres ont parlé et j’ai eu plein d’idées. »

• « Je suis timide, la poésie à apprendre à deux là je pourrais mieux la faire. »

• « Un doute : le nombre. Comment on peut approfondir ? »

• « Comment vaincre les timidités? »

Page 469: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 469

Atelier de mise en situation de codéveloppement, animé par Marielle

Breault239

Un atelier de mise en situation a eu lieu suite à la présentation théorique. Il y avait un client, le

président du MRERS, six consultants et une quinzaine d’observateurs. Le temps accordé à

cette mise en situation n’a cependant pas permis d’expérimenter l’approche en allant au bout

d’une séance de codéveloppement mais a donné aux personnes présentes un bon aperçu de

ce qu’est le codéveloppement professionnel.

Le contenu de l’atelier est évidemment confidentiel.

Un atelier d’écriture sur la réciprocité, animé par Claudine Bourdin et Marie-

Jo Guillain240

« Ecrire la réciprocité »

Jeu N° 1 : « c’est comme… » ; écrire à deux.

Jeu N° 2 : miettes de réciprocité (avec les lettres du mot)

Jeu N° 3 : Faire le récit d’une histoire de réciprocité, à partir de deux lectures : Anna Gavalda

et Helen Hanff.

Avec sept écrivants.

Jeu N°1 : duo (écrire en réciprocité à deux)

Jeu N°2 : Faire le récit d’une réciprocité attendue

Jeu N°3 : faire le récit d’une réciprocité inattendue

Avec douze écrivants.

Atelier Cacophonie, Polyphonie, Harmonie, animé par Michel Aristide241

Comment produire collectivement une forme sonore harmonieuse dans une ambiance initiale

cacophonique ? Cet atelier a proposé aux participants de construire un univers musical

collectif ; occasion de découvrir l'autre à travers son rythme et son expression, sans la parole,

et d'entrer dans son univers. Il s'agit d'explorer une voie (ou des voix) vers une harmonie

laissant à chacun le loisir d'apporter sa contribution sonore, selon son rythme propre.

239

Animatrice de codéveloppement au Québec. 240

Animatrices de l’Inter-Réseaux d’écriture des RERS. 241

Animateur, militant de RECIT.

Page 470: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 470

Atelier sur les mots, animé par Philippe Piau242

, Henryane de Chaponay243

et Nadine Outin244

L'atelier que nous proposons s'appuie sur un travail amorcé dans le rapport de Patrick Viveret

« Reconsidérer la Richesse » et qui a déjà fait l'objet d'ateliers depuis 2003 : au moment du

Forum Social Européen de Paris Saint Denis puis dans le cadre de journées sur la Richesse à

Saint Ouen.

A l'aide de cartons de couleur nous nous sommes mis en situation par rapport à certains mots.

Nous avons travaillé sur notre rapport avec des mots, explorant individuellement et

collectivement la qualité de notre relation avec certains d'entre eux qui appartiennent au

vocabulaire de l'économie et des rapports sociaux. Ces mots ont non seulement une histoire

qui amène leur sens à évoluer mais nous avons avec eux un rapport affectif et émotionnel qui

est fortement lié à nos propres représentations sociales selon nos cultures, nos histoires, nos

expériences. Les mots sont ambivalents c'est pourquoi il est important de prendre conscience

qu'ils peuvent être des pièges et rendre plus difficile le dialogue entre nous si nous ne

travaillons pas cette ambivalence et nos représentations ainsi que les symboliques derrière les

mots.

Nous avons travaillé à partir du mot « richesse ». Distribution de quatre cartons de couleur

(rouge, rapport négatif ; vert, rapport positif ; jaune, mitigé ; blanc, besoin de plus

d’informations). Chacun a levé spontanément la couleur correspondant à son ressenti du

mot ; tour à tour, chacun s’est exprimé sur les raisons pour lesquelles il a levé telle couleur. Le

jaune a dominé, vu l’ambivalence de la notion de richesse. S’est engagé ensuite un échange

sur tous les sens que le mot richesse évoque. Nous en sommes arrivés à expliciter davantage

les formes pour évaluer tous les types de richesses (monétaires, naturelles, intérieures…).

Ceci nous a conduits à débattre des indicateurs et des évolutions en cours (PIB, PID…) et à

faire le lien avec les monnaies complémentaires.

Ensuite, tout le groupe a travaillé sur le mot « réciprocité » (ressentis positifs, négatifs,

mitigés). La dynamique de travail a permis à chaque personne de s’impliquer y compris l’un

des participants qui nous a lu un de ses poèmes sur les mots.

Dans la dynamique très riche de tous ces échanges, des personnes ont changé de regard sur

ces deux mots.

Compte-rendu fait par Henryane de Chaponay

242

Metteur en scène, membre du Collectif Richesses. 243

Membre du Collectif Richesses, présidente du MIRA. 244

Membre du Collectif Richesses, présidente de ODE (Organisation pour les droits des enfants).

Page 471: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 471

Atelier sur les émotions, les sentiments et les miroirs, animé par Daniela

Schwendener245

Ce travail, à visée de développement personnel, est l’outil principal des médiateurs et permet

de faire émerger les non-dits dans le conflit afin de recréer du lien, un dialogue et la

reconnaissance de la souffrance de chaque partie.

Atelier Ciel, Miroir des cultures, animé par Olivier Las Vergnas246

« L’observation de la voûte céleste peut être le point de départ de multiples approches :

scientifique, artistique, philosophique... Toutes les époques ou presque, toutes les civilisations ont observé le ciel et y ont projeté leurs récits, leurs croyances, leurs mythes. Astrologies, religions, sciences et science-fiction sont autant d'approches nourries de représentations de la même voûte céleste. « Ciel miroir des cultures » est une exposition qu'alimente et complète 0ce centre de ressources dédié : afanet.fr. Soutenue par le Ministère de la Culture, elle présente la diversité des représentations du ciel à travers les âges et les cultures, et l’évolution des connaissances astronomiques : un outil au service d'actions pour contribuer à clarifier les différences entre croyances, convictions et savoirs étayés247 ». Olivier Las Vergnas nous a permis de visiter, installée dans le hall du génocentre, une exposition de posters du ciel. Puis il nous a proposé de réagir à des vues du ciel sur ordinateur. Visites « magnifiques », stimulatrices de paroles et d’admirations partagées.

Atelier Biodanza, animé par Isabelle Jacob248

La BIODANZA, « Danse de la vie », est une proposition d’expression et de développement des

potentialités humaines, un système d’intégration de l’être humain par la danse. Elle invite

chacun à vivre la rencontre avec soi-même, avec l’autre et avec l’environnement, à travers

l’émotion et le plaisir du mouvement et de la danse, émergeants de la musique. Elle nous

invite à mettre plus de vie dans notre vie. Par ses effets psychologiques, biologiques et

physiologiques, la Biodanza est reconnue pour avoir un effet puissant sur la santé, le bien-être

et la communication.

Ce fut donc un atelier expérientiel, sans paroles, juste le mouvement : vivre dans le

mouvement, le donner, le recevoir, le se laisser guider, la création commune par le partage,

l’abondance dans la redistribution.

Quinze participants.

245

Médiatrice. 246

Astrophysicien. 247

Texte du site afanet.fr. 248

Professeur de Biodanza à Paris.

Page 472: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 472

Atelier automédiatisation animé par Pierre-Yves Pérez249

et Josiane

Teissier250

Lancé en avril 1992, Moderniser sans exclure est une démarche reposant sur le concept

d’« automédiatisation », qui a été initiée par Bertrand Schwartz. Moderniser sans exclure

propose à des groupes de citoyens d’utiliser la vidéo pour susciter une expression collective.

Dans un deuxième temps, ce support vidéo est utilisé pour organiser des rencontres avec des

responsables des politiques publiques, des élus, des chefs d’entreprises, des journalistes, des

formateurs... L’objectif est de faire naître débat et échange afin de mettre à plat les

représentations de chacun et de créer des espaces de dialogue. Après la dissolution de

l'association en octobre 2003, la démarche s’est poursuivie dans le cadre d’associations

régionales. Des groupes Moderniser sans exclure ont ainsi fonctionné en Alsace (jusqu’en

2003), Basse Normandie (depuis 2002), Nord Pas-de-Calais. Les groupes Sud (Provence Alpes

Côte d’Azur, fondé en 1996) et Rhône Alpes fonctionnaient en 2007.

Pierre-Yves Pérez et Josiane Teissier ont proposé la démarche d’automédiatisation à des

porteurs d’expériences présents lors des Rencontres :

Céline Tremblay, sur la mise en place et le développement d’un RERS dans des camps de

réfugiés ;

Agnès Ballas et Marie-Jo Legrand sur des échanges réciproques de savoirs sur le thème de la

santé, à Orléans ;

Christiane Coulon, sur des créations collectives de fresques portant sur des questions de fond :

les droits de l’homme, la réciprocité… ;

Amadou Chirfa Haïdara : comment la réciprocité permet de sortir de l’isolement et de se faire

valoir.

Plénière du samedi soir

Manuel Valls251

: « Point de vue sur les Rencontres »

Madame la Présidente du Mouvement international pour la Réciprocité active, Henryane de

Chaponay,

Madame la Présidente de la FRESC-EU,

Monsieur le Président du Mouvement des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs, David

Muller,

249

Consultant. Moderniser sans exclure. 250

Chercheuse. Moderniser sans exclure. 251

Député-maire d’Evry, président de l’agglomération Evry Centre Essonne.

Page 473: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 473

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Je suis heureux d’être parmi vous aujourd’hui à l’occasion des rencontres internationales des

Réseaux d’échanges réciproques de savoirs.

C’est un honneur et une véritable fierté pour notre ville d'accueillir depuis jeudi dernier, ces

nombreuses rencontres, ces ateliers, ces tables-rondes sur le thème de la solidarité, avec en

guise de conclusion (avant la synthèse de demain), dans quelques heures, l'Assemblée

générale du Mouvement international pour la Réciprocité active et la célébration des 21 ans

du Mouvement des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs.

C'est un honneur, parce que ce sont ici de grandes questions de société qui ont été abordées,

des pistes de réflexion, des tentatives de réponses qui ont été dessinées.

C'est une fierté, parce que ces rencontres témoignent une fois encore, de la capacité de notre

ville à rassembler, à faire vivre les idées, les débats, à apporter sa contribution à la

recherche, au progrès, à l'intelligence collective.

Et puis, bien sûr, c'est une fierté, parce que ces rencontres illustrent à l'envie la réussite des

réseaux d'échanges réciproques de savoirs. Et, vous le savez comme moi, avant de s'étendre

au monde entier, de se multiplier par centaines, ces réseaux sont nés ici, à Evry, il y a trente

ans.

En 1970, la ville nouvelle prenait son essor. Elle était déjà pionnière dans de nombreux

domaines. Elle incarnait tout à la fois la créativité, la modernité et la liberté. C’est dans ce

contexte que les Evryens, avec énergie et ambition, se sont saisis d’une initiative d’éducation

populaire, qui était née à Orly, quelques années plus tôt. Ils en ont fait une véritable

association – un infini réseau – visant à promouvoir le partage des savoirs, sous toutes leurs

formes.

Les RERS sont donc nés avec notre Ville. Au sein des RERS, des habitants de tous âges, venus

de tous les horizons, se sont engagés à offrir et à recevoir, selon des principes simples :

l’ouverture à tous, la reconnaissance de chacun et l’absence de hiérarchisation des savoirs.

Ainsi, au sein des RERS, un jeune universitaire pouvait offrir une conférence sur Platon contre

la recette de la pâte brisée ou contre un cours d’accordéon. Il suffisait d’être à la fois offreur

et demandeur...

Dès le début, la Municipalité – je tiens à saluer mon prédécesseur Jacques GUYARD – a

soutenu ce mouvement. Car, elle avait bien compris que les RERS et la Ville partageaient les

mêmes valeurs, la même ambition : celle du vivre-ensemble, du partage, de la solidarité.

Page 474: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 474

Et, à un moment où de nombreuses personnes arrivaient sur la ville, les RERS ont été un vrai

partenaire favorisant le lien social, le brassage des populations et, même, la coopération des

territoires.

Plus de vingt ans après, votre réseau s’est démultiplié et les valeurs que nous défendions,

ensemble, n’ont pas pris une ride.

Elles restent d’actualité : elles incarnent les bases de la cohésion sociale, les principes

fondamentaux de la citoyenneté et permettent de rendre à chacun sa dignité, de remettre en

mouvement la société.

Aujourd’hui, en période de crise économique, ces valeurs prennent un sens tout particulier.

Elles sont à la fois refuges et salvatrices. Elles supplantent un « tout économique » qui

privilégie la rentabilité, l’individu et son égoïsme et nourrit les inégalités.

Et aujourd’hui, plus que jamais, alors que les Français sont touchés de plein fouet par la baisse

du pouvoir d’achat, ils sont demandeurs de ce type d’initiatives qui – sans relever de

l’assistanat – permettent à chacun de s’enrichir, de s’épanouir, de réussir ! Car il s’agit bien de

cela : donner à chacun sa chance, reconnaître à chacun sa richesse intime et son utilité pour la

société, promouvoir l’excellence pour tous ! C’était le but des mouvements d’éducation

populaire (Philippe Meirieu nous en parlera dans quelques instants), c’était l’ambition des

RERS, et cela reste la mission que s’est donnée, aussi, notre Ville et plus largement notre

agglomération.

C’est pour cela que nous soutenons votre action :

- au sein de votre local, cours Blaise Pascal, et au Parc aux Lièvres (rénovation des locaux par

Essonne Habitat)

- au niveau de l’agglomération : à Courcouronnes (nouveaux locaux face à la Mairie annexe), à

Ris Orangis (un poste d’animateur-réseau sera créé l’an prochain).

A vos côtés, de manière complémentaire, nous menons aussi une politique sociale ambitieuse.

Christiane Saget, mon adjointe chargée des solidarités, a dû vous en parler jeudi dernier.

Notre ambition est l’excellence pour tous. Pour cela, nous misons sur l’innovation sociale, sur

l’éducation, sur l’accès au sport, à la culture, à la recherche, à la santé…

Et c’est ensemble, avec toutes les associations, avec tous les habitants, avec des partenaires

aussi précieux que le Génocentre – que je remercie pour son accueil aujourd’hui – que nous

réussirons à construire cet avenir solidaire !

Page 475: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 475

Philippe Meirieu252

: « La réciprocité et l’émergence du sujet solidaire » Comme Claire Héber-Suffrin vient de le dire, dès que j’ai connu l’existence des réseaux

d’échanges réciproques de savoirs, j’ai été intéressé par la nature du travail qui était mené là.

J’étais moi-même et depuis toujours un militant de l’éducation populaire. Je fais partie de

ceux qui pensent que l’éducation nationale, certes trouve source dans Jules Ferry, mais que

son véritable inspirateur pour la modernité, c’est bien plutôt Jean Zay. Si Jules Ferry est un

homme qui a les pieds dans le 19ème siècle et complètement, Jean Zay est celui qui a eu le plus

les pieds dans le 20ème siècle et nous aurions intérêt à revisiter son œuvre de plus près.

Jean Zay a inventé une multitude de choses. Il était à la fois ministre de l’Education Nationale,

des Beaux Arts, de la Jeunesse et des Sports. Il a créé le Festival de Cannes mais aussi la

médecine scolaire et le CROUS. Il a été le premier à impulser les radios scolaires et il a été un

de ceux qui a le mieux théorisé la complémentarité entre l’action253 nécessaire de l’état et la

responsabilité de ce dernier et l’action des citoyens solidaires au sein des mouvements

d’éducation populaire.

Ce n’était pas très facile à l’époque de Jean Zay. Je ne veux pas vous faire un cours d’histoire

mais Jean Zay avait à trouver une ligne de passage entre une conception du tout Etat qui était

largement celle, à l’époque, du Parti communiste, très largement inféodé à l’Union Soviétique

et d’une conception extrêmement libérale qui s’inspirait d’une certaine vision de la doctrine

sociale de l’église qui prônait le principe systématique de subsidiarité. Ce principe n’est pas en

soi mauvais mais la manière dont il était proposé dans les années 30 et que l’on retrouve

parfois malheureusement dans le débat français, consiste à afficher le désengagement de

l’état pour responsabiliser les citoyens. J’ai connu de très près, étant dans la région Rhône-

Alpes, quelqu’un qui s’est fait le théoricien et le chantre du principe de subsidiarité : Charles

Million, qui a abattu son masque si j’ose dire, quand il a fait alliance, aux élections régionales,

avec le Front National ; il expliquait à quel point il valait mieux que l’Etat aide les

congrégations religieuses plutôt que d’employer des fonctionnaires parce que les bonnes

sœurs sont toujours disponibles et ne font pas grève. Elles ne sont pas syndiquées et elles

sont, en général, beaucoup plus gentilles avec les malades.

Ce n’est pas un discours totalement mort et enterré. C’est un discours qu’on a retrouvé aux

Etats-Unis dans la bouche de Georges Bush et de ses collaborateurs et qui renvoie à l’idée

qu’au fond, au tout Etat, il faudrait opposer systématiquement le moins d’Etat.

Si j’aime bien revisiter l’œuvre de Jean Zay, c’est que celui-ci cherche toujours la ligne de

passage et tente de redéfinir la notion de service public indépendamment de ce qu’on

pourrait appeler l’autoritarisme soviétique d’un côté et le libéralisme, le vieux libéralisme du

18ème siècle qu’on revend aujourd’hui sous les oripeaux de la modernité. Ne croyons pas, en

252

Professeur en Sciences de l’Education, auteur de nombreux ouvrages sur l’éducation, l’apprentissage, la formation, le métier d’enseignant… 253

Jean Zay, né à Orléans le 6 août 1904, avocat en 1928. A 27 ans, élu député du Loiret (radical-socialiste). En 1936, membre du gouvernement du Front populaire comme ministre de l’Education nationale et des Beaux arts jusqu’en 1939. Il autorise l’ouverture à Vence de l’école de Célestin Freinet. Meurt le 20 juin 1944, fusillé par un milicien à Molles (Loiret).

Page 476: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 476

effet, que le libéralisme est nouveau. La fable des abeilles, qui date du 18ème siècle, se conclut

par la fameuse formule fondatrice du libéralisme selon laquelle les vices privés font les vertus

publiques, c’est-à-dire que chacun poursuit son intérêt personnel et cela fait de l’intérêt

collectif. C’est le fond, c’est le noyau, c’est le cœur de l’idéologie libérale, celle qui ne

s’intéresse pas à la construction du bien commun ou qui pense que celle-ci émerge

spontanément dans la concurrence des intérêts individualistes.

Alors, entre la vision autoritariste, la vision centralisatrice, la vision néo-soviétique du service

public et la vision ultralibérale, Jean Zay avait avancé l’idée qu’il faut un Etat fort, un Etat qui

structure des solidarités et il ajoutait qu’il faut aussi des associations qui font agir des

solidarités. Il aimait distinguer le rôle de l’Etat qui est de structurer les solidarités et celui des

associations, celui de l’éducation populaire, qui est d’habiter ces structures et de permettre au

citoyen de faire agir, au quotidien, les solidarités.

Je crois qu’il y a, là, un modèle intéressant, un modèle qui est très largement à explorer

encore, l’idée d’un service public qui soit un service public de qualité, proche des citoyens,

s’appuyant sur et en relation permanente avec des gens qui travaillent au quotidien pour

permettre à ce service public de progresser.

Mais, vous le savez, je suis de ceux qui ont plutôt travaillé sur le système scolaire, sur le

système public d’éducation. Je suis de ceux qui pensent que ce service public ne sera

véritablement digne de ce nom que lorsque plus une seule famille ne dira « Je vais ailleurs

parce que le service public ne me propose pas une solution à mes problèmes ». Je suis de ceux

qui croient que tant qu’il existera des citoyens qui diront « Il n’y a pas de place pour moi dans

le service public », ce service public ne sera pas digne de ce nom ; et je suis de ceux qui

pensent que, pour autant, le service public ne peut pas se passer de la vie, de la vitalité de

l’engagement citoyen des mouvements comme le vôtre, de ceux qui font vivre au sein des

structures que porte l’Etat, cette solidarité au quotidien qui est votre finalité même.

Sur cette notion de réciprocité, je voudrais vous faire quelques réflexions qui vont vous

paraître peut être à caractère un peu philosophique. Elles sont un point de vue.

Un point de vue, comme son nom l’indique, ce n’est qu’une manière de voir les choses à partir

d’un point, ce n’est pas forcément la vérité. Quand je pense à « point de vue », je me souviens

parfois de cette anecdote d’Einstein et de son collaborateur Gamov. Einstein arrive dans son

bureau, un matin, en disant à son assistant qu’il a décidé de tenir son journal. Alors, Gamov lui

dit « Ah oui, vous voulez tenir votre journal, pourquoi décidez-vous aujourd’hui de tenir votre

journal ? » Einstein lui répond « j’ai décidé de tenir mon journal parce que je voudrais qu’à

partir d’aujourd’hui Dieu soit au courant des faits ». Alors Gamov regarde Einstein et lui dit

« Mais, par définition, Dieu connaît les faits » et Einstein lui répond « Oui, mais il ne connaît

pas ma version des faits ».

Page 477: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 477

Je vais, donc, vous donner ma version de la question de la réciprocité et de la

solidarité

Deux séries de remarques si vous le voulez bien

D’abord, dire que la réciprocité ne va pas de soi entre les hommes, entre les hommes et les

femmes, entre les humains. La réciprocité, anthropologiquement, a pu d’abord apparaître

comme une impasse. N’oublions pas, et c’est Anspach, anthropologue allemand, qui le

montre, que la réciprocité s’est construite d’abord sur la nécessité de ne pas laisser un

meurtre impuni. Dans l’histoire des hommes, c’est d’abord parce qu’il fallait toujours punir le

meurtrier que la réciprocité s’est construite. Ce qui arrêtait le cycle infernal de la violence,

c’est l’émergence du sacrifice. C’est-à-dire l’émergence de quelqu’un qui arrête le cycle

infernal en anticipant la vengeance et en offrant le sacrifice pour que la violence s’interrompe.

Et, effectivement, il peut y avoir dans la réciprocité une forme de course qu’il faut sans doute

à un certain moment interrompre pour ne pas tomber dans le cycle infernal.

Marcel Mauss, l’anthropologue célèbre, dans son Essai sur le Don, rappelle aussi les paradoxes

de la réciprocité. Il explique que ce qui structure la société humaine, c’est le don mais que dès

qu’on donne, l’autre rend et doit rendre ; et le fait que l’autre rende fait que le don initial perd

de sa gratuité et qu’il peut toujours être soupçonné d’avoir été fait pour que l’on rende ce don.

Marcel Mauss, sous le nom de « potlach », souligne l’espèce d’impasse qu’il y aurait de

s’engager dans une sorte d’escalade de la somptuosité du don comme s’il fallait en

permanence donner plus et chaque fois plus pour en quelque sorte prendre le pas sur le don

qui a précédé. Et Marcel Mauss souligne aussi qu’il faut à un moment arrêter la réciprocité. Il

faut abolir la dette. Il faut que quelqu’un dans une institution dise : « vous ne me devez rien.

Tu ne me dois rien. Ce que je t’ai donné tu n’as pas besoin de me le rendre ». Marcel Mauss

insiste sur le fait que le « tu ne me dois rien », est libérateur ; il est libérateur de cette dette

qui plombe les relations entre les humains et qui rendent ces relations parfois si lourdes. Alors,

comment peut-on être à la fois dans la réciprocité et accepter, qu’à certains moments, on

casse le cercle infernal de la dette ? Eh bien, probablement, parce que la réciprocité suppose

un travail permanent pour sortir d’une vision marchande de l’échange, d’une vision

marchande d’un échange qui ne serait au fond, pour reprendre l’expression de Paulo Freire,

qu’inscrit dans une pédagogie bancaire.

Quelles seraient les conditions pour que la réciprocité soit une véritable

réciprocité qui ne s’effondre pas dans une sorte de système d’échanges figé ?

On pourrait multiplier bien sûr les conditions.

� La première de ces conditions, s’agissant des savoirs dont vous parlez dans le

mouvement des échanges réciproques de savoirs, c’est de considérer ces savoirs non

pas comme des objets mais comme des dynamiques. Les savoirs ne sont pas figés mais,

s’ils existent et sont structurés, ils n’existent pas en dehors de la genèse et des questions

qui leur ont donné vie. C’est, bien sûr, un des problèmes majeurs que nos rencontrons

Page 478: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 478

dans l’éducation scolaire que de réinscrire en permanence les savoirs dans les questions

qui ont permis de les faire émerger. Je cite parfois cette anecdote étonnante de cet

élève de 5ème à qui j’ai demandé, il y a quelques années : « qui a créé les

mathématiques » ? Et qui m’avait répondu : « mais ce sont les profs de maths qui ont

créé les maths ». Je lui avais répondu « mais pourquoi les profs de maths ont-ils fait les

maths » ? Et il a répondu « Mais c’est pour savoir si on peut passer en 4ème ». Il était là

dans l’idée très conforme à ce que Paulo Freire appelle la Pédagogie bancaire, que les

savoirs ne sont pas des outils donnés aux hommes pour penser leur libération, pour se

désassujettir de tout ce qui les entrave mais sont au contraire des tickets d’entrée dans

un labyrinthe qui est celui de la sélection. Je crois qu’il y a là une première subversion

essentielle qui est d’entrer dans les savoirs par ce qui vit en eux et non par ce en quoi ils

peuvent permettre de présenter les papiers. Nous savons bien que, de fait, dans la

société il y a des douaniers partout, qu’il faut présenter des papiers, qu’il faut présenter

des diplômes et que, souvent, il y en a qui n’ont pas de diplômes, n’ont pas de papiers,

que les douaniers les empêchent de passer et qu’on reconduit parfois à la frontière.

Mais, heureusement, il y a des passeurs et c’est bien qu’il y ait des passeurs de temps en

temps pour faire passer ceux qui n’ont pas de papiers mais, néanmoins, ceux qui n’ont

pas de papiers restent le plus souvent derrière, de l’autre côté. Et ils restent le plus

souvent derrière et de l’autre côté parce qu’ils n’ont pas accédé à cette conception des

savoirs, à cette réalité des savoirs, à cette réalité émancipatrice des savoirs. Parce qu’ils

n’ont pas accédé à l’idée que si l’on a construit les mathématiques, c’est parce qu’à un

moment donné on a voulu se libérer de l’astreinte de garder en mémoire des chiffres et

des chiffres. Se libérer de l’astreinte de les garder sur des papiers, des cartes mais

découvrir que l’on pouvait les reconstruire à partir d’un certain nombre de théorèmes,

de théories. Se libérer de toute une série de choses qui empêchaient l’homme,

justement, d’habiter le monde et de le partager avec d’autres. Alors, j’insisterais sur

cette première dimension, évidemment vous l’avez entendue, vous l’avez mise en

œuvre à travers vos rencontres : échanger est essentiel. La réciprocité et l’échange de

savoirs, c’est fondamental et Manuel Valls a donné tout à l’heure quelques exemples

exceptionnels, extraordinaires. Mais, dès lors que ces savoirs ne sont pas simplement

des savoir-faire isolés, segmentés, et qu’ils s’inscrivent dans une dynamique à la fois

individuelle et collective, ils permettent d’en faire des outils d’émancipation.

� Deuxième idée importante, me semble-t-il, pour comprendre la richesse de la

notion de réciprocité, c’est le fait que celle-ci n’est possible que si ces savoirs

comportent une part de résistance. Certes, on peut enseigner l’informatique à

quelqu’un qui nous donne la recette du couscous ; certes, on peut apprendre de l’autre

comment faire un jardin potager et puis lui enseigner la manière de comprendre les

hiéroglyphes égyptiens. Mais je crois que cet échange-là, et c’est dans le prolongement

de ma première remarque, n’est véritablement fort riche et n’entre dans les savoirs que

si ces savoirs sont travaillés au moment où ils sont transmis. Un savoir qui serait

Page 479: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 479

transmis comme on passe un relais, qui ne serait pas retravaillé par la parole qui le

transmet, qui ne serait pas réinterrogé par cette parole et qui ne serait pas réinterrogé

par le regard et par la parole de celui à qui on le transmet, serait un savoir mort. Et, au

fond, une des choses formidables dans les réseaux d’échanges réciproques de savoirs,

c’est qu’ils font vivre les savoirs parce qu’au sein de l’échange, la parole réciproque

interroge les savoirs dans ce en quoi ils résistent le plus à leur transcription mécanique.

Et, au fond, transmettre les savoirs, c’est se rendre intelligent réciproquement, se

rendre intelligent parce qu’on apprend de l’autre, mais aussi se rendre intelligent et ça

c’est important, parce que la résistance de l’autre à ce que je lui transmets m’apprend

des choses sur mes propres savoirs. C’est fondamental cela. La résistance de l’autre à ce

que je lui transmets m’oblige à approfondir mon propre savoir. Et m’oblige à apprendre

de mon propre savoir. Si l’autre était totalement transparent, s’il était totalement

disponible, s’il comprenait spontanément ce que je lui dis, il ne m’apprendrait pas ce

que je sais déjà. C’est que l’autre ne comprend pas toujours, ne comprend pas bien,

m’interroge, m’oblige à préciser, m’oblige à affiner ma pensée, qu’il m’enrichit de mon

propre savoir, qu’il me le fait ré/explorer, ré/inventorier, qu’il me rend explorateur de

mes propres connaissances. C’est la raison pour laquelle je crois qu’un enseignant qui ne

se met pas en permanence à l’écoute des résistances que l’élève oppose à ses propres

savoirs devient très vite incapable de les leur transmettre. Comme le disait Gaston

Bachelard « Tout enseignement reçu est un empirisme », on reçoit en tâtonnant. « Tout

enseignement donné est un rationalisme », on transmet en organisant. Mais tout

rationalisme appauvrit et a besoin de l’interpellation de l’empirisme de celui qui reçoit.

Dans cet échange, il serait faux de croire que celui qui enseigne l’informatique connaît à

l’avance l’informatique et se contente de la transmettre comme un paquet. Il entend de

celui qui ne connaît pas l’informatique de quoi mieux comprendre l’informatique. Et les

savoirs humains sont ainsi. Les transmettre les fait augmenter et la transmission elle-

même les fait croître. Je crois qu’il y a, là, un élément fondamental et essentiel qui

justifie, par exemple, qu’un universitaire soit un enseignant-chercheur et surtout un

chercheur-enseignant. Certains de mes collègues universitaires imaginent qu’il y a, d’un

côté, la recherche où on élabore des savoirs complexes et puis, d’un autre côté,

l’enseignement dans lequel on transmet autre chose. On transmet des savoirs de base à

des étudiants qui sont très éloignés de nos préoccupations de recherche. Ce n’est pas

ainsi que je conçois le métier d’enseignant-chercheur. Je conçois le métier d’enseignant-

chercheur sur la base de cette réciprocité que vous prônez, comme étant un métier dans

lequel la résistance de l’étudiant à l’exposé même que je vais faire de ma recherche

enrichit ma recherche et me permet d’avancer dans cette recherche. A cet égard,

l’universitaire ne consent pas à enseigner sa recherche, il enseigne parce que cela lui est

nécessaire pour chercher. Et parce qu’en expliquant ce qu’il cherche à d’autres qui ne

sont nécessairement au même niveau de recherches que lui, il avance encore dans ses

recherches.

Page 480: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 480

� Troisième remarque. La 3ème condition pour que cet échange de savoirs soit

formateur, fondateur de solidarités, organisateur d’humanité, c’est qu’il ne s’enferme

pas dans des configurations duelles, stables et définitives mais qu’il préfigure, qu’il

compose et recompose des reconfigurations ouvertes comme celles que vous avez

mises en œuvre aujourd’hui. Loin de toute rigidité, de toute fixité, on a évoqué tout à

l’heure les défis nouveaux de l’éducation populaire. Je crois qu’un défi majeur de

l’éducation populaire, c’est de passer des utopies de la rigidité qui ont été au cœur du

19ème siècle aux utopies de la mobilité, aux utopies de la capacité à différer, à se faire

soi-même auteur de sa propre histoire, à découvrir, à inventer, à prospecter. Alors, cela

nécessite que l’on accepte des configurations mouvantes, que l’on stabilise parfois mais

que l’on enrichit en permanence. Alors, la configuration mouvante, ce sont les ateliers

que vous avez mis en œuvre pendant ces quatre journées, ce sont ces réseaux de savoirs

qui jamais ne se ferment et qui sont consubstantiellement ouverts à l’image de l’autre et

à la figure du tiers. Pour qu’il y ait réciprocité, vous le savez en mathématiques, il faut

qu’il y ait un quatrième. Tant qu’on n’est que trois, il n’y a pas de réciprocité. Il faut qu’il

y ait un quatrième parce que sinon il y a A qui donne à B et B qui donne à C. Mais il faut

qu’il y ait un D parce que D fait un carré et, dès qu’il y a un carré, il y a une diagonale.

Dès qu’il y a une diagonale, il y a quelqu’un qui peut entrer en relation avec quelqu’un

qui est de l’autre côté du carré. Et ce quelqu’un, qui est de l’autre côté du carré, je ne

suis pas en relation directe avec lui mais il n’en est pas moins en relation avec moi parce

que je suis en relation avec les autres. Et l’introduction de la diagonale, c’est

l’introduction de la configuration proprement humaine. C’est ce qui fait que celui qui est

de l’autre côté devient mon voisin et que, grâce à la médiation des autres, de ceux qui

sont de chaque côté, je rencontre celui qui est de l’autre côté. On sait bien qu’il y a des

formes de réciprocité et de réseaux qui sont des formes de fermeture et de repli sur soi.

Et on sait bien que les réseaux que vous proposez, ceux sur lesquels vous travaillez sont

des réseaux qui ouvrent, qui ouvrent à cette altérité et qui, grâce à l’introduction du

quatrième, permettent que le voisin, celui qui est de l’autre côté, soit aussi celui qui est

à côté. Je continue à égrener quelques-unes des conditions de cette réciprocité sur

laquelle vous travaillez mais ce sont des choses que vous avez vécues, bien sûr.

� Quatrième condition. Je crois que la réciprocité n’est vraiment féconde que si elle

assume simultanément la symétrie humaine et la dissymétrie cognitive. C’est un peu

compliqué peut-être, parce que nous avons tendance, et c’est quelque chose que nos

sociétés contemporaines font volontiers, à afficher les dissymétries. Il y a dissymétrie

cognitive incontestablement quand quelqu’un enseigne et qu’un autre apprend. Si on

m’apprend une recette de cuisine, moi qui ne sais pas bien faire la cuisine, il y a

dissymétrie. Comme il y a dissymétrie entre l’enseignant et l’élève. Nul n’a d’ailleurs nié

cette dissymétrie entre l’enseignant et l’élève, y compris en 1968, dans les plus beaux

moments du libertalisme-égalitarisme. Même dans Libres enfants de Summerhill, Niels

ne se prétend en aucune symétrie avec les enfants. Sa dissymétrie cognitive il l’assume

Page 481: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 481

et il l’assume totalement. Mais assumer la dissymétrie cognitive n’est possible que si,

simultanément, on est capable d’être du côté de celui qui ne sait pas. Il y a quelque

chose que nous autres formalisons, formulons en parlant de conflit sociocognitif et qui

est assez étonnant. Pour que l’autre puisse m’enrichir, il faut qu’il soit suffisamment

différent pour qu’il ait quelque chose à m’apporter. Mais il faut qu’il soit aussi

suffisamment proche pour que je puisse l’entendre. Alors ce n’est pas facile de tricoter

ainsi la mêmeté et l’altérité, la proximité et l’éloignement. Si l’autre est trop loin, je ne

l’entends pas ; s’il est trop près, il n’aura plus rien à me dire. Il faut qu’il assume sa

différence et sa dissymétrie mais, qu’en même temps, je sache que, dans cette

dissymétrie, il y a quelque chose du travail où je me retrouve et que nous sommes

ensemble du même côté de l’humain. Ce n’est pas simple et on voit bien que nous

sommes en permanence tentés de creuser soit la dissymétrie cognitive soit de la nier

parce que celle-ci serait en quelque sorte un obstacle à la qualité de la relation. Il n’en

est rien. Demandons-nous, posons-nous la question, chacun d’entre nous : « à qui nous

faisons-nous vraiment confiance quand nous avons un problème ? ». Pour avoir

vraiment confiance en quelqu’un, il faut lui reconnaître à la fois une compétence

différente que nous n’avons pas mais aussi une proximité avec nos problèmes. Il faut

que nous sachions qu’il maîtrise les éléments que nous sommes incapables de maîtriser

mais qu’il comprend aussi, de l’intérieur, les difficultés auxquelles nous sommes

confrontés. Il faut que nous sachions qu’il est radicalement différent mais qu’il est aussi

radicalement le même. Et il en est de la réciprocité comme de cette relation éducative.

Elle n’est féconde que si elle tient ensemble l’identité et la différence, la capacité d’être

le même qu’un autre tout en étant radicalement différent.

� Cinquième condition. Pour qu’il y ait réciprocité il faut que l’horizontalité du

dispositif n’abolisse pas la verticalité de l’exigence. Voilà quelque chose qui n’est pas

facile et pas simple non plus. Par définition, un dispositif d’échanges réciproques de

savoirs est un dispositif qui se veut horizontal. Et pourtant, il y a nécessité pour les

hommes de ne pas s’engluer dans leur horizontalité. Il y a nécessité pour les hommes

d’une verticalité, certains diront d’une transcendance, d’autres d’une exigence de vérité.

C’est Locke dans une livre qui s’intitule « De la conduite de l’entendement » qui définit

le dialogue en disant « Le dialogue est une relation entre les consciences orientée par la

recherche commune d’une vérité qui nous dépasse ». Il y a, là, quelque chose qui me

semble très important à rappeler. C’est parce que nous sommes en situation de

réciprocité, qu’il y a une vérité qui nous dépasse, que probablement nous n’atteindrons

jamais, mais qui incarne par sa verticalité une exigence de précision, de justesse, de

rigueur. Ce n’est pas parce que nous sommes dans l’échange que nous pouvons dire

n’importe quoi. Ce n’est pas parce que l’échange est sympathique et fructueux que nous

pouvons être approximatifs, que nous pouvons être dans une relation qui se contente

de l’à peu près. J’insiste là-dessus parce qu’on nous renvoie très souvent dos à dos

l’exigence et la convivialité. Je crois qu’il n’y a pas de convivialité authentique et de

Page 482: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 482

solidarité authentique dans les échanges s’il n’y a pas la reconnaissance d’une verticalité

du savoir qui, à bien des égards, nous aide chacun à trouver notre place.

� Sixième condition. Il n’y a de véritable réciprocité dans les apprentissages que si

nous savons distinguer, à chaque instant, ce que nous faisons de ce que nous

apprenons. Cela, ce n’est pas simple. Nous autres, enseignants au quotidien, nous

buttons contre cela. Nous buttons d’autant plus que les élèves en situation difficile sont

des élèves qui font très bien leur travail. Parce qu’ils croient qu’on leur demande à

l’école de faire leur travail. Or, on ne leur demande pas vraiment de faire leur travail. Le

bon élève n’est pas celui qui fait son exercice. Le bon élève est celui qui sait que ce

qu’on lui demande de faire ce n’est pas de faire l’exercice, c’est de comprendre. Et s’il a

compris, il peut se passer de faire l’exercice. Et, s’il n’a pas compris, il faudra qu’il fasse

deux ou trois exercices jusqu’à ce qu’il ait compris. L’élève en difficulté, c’est celui à qui

l’on dit : « tu fais l’exercice 18 de la page 24 », qui le fait, qui ne le réussit pas et à qui

l’on reproche de ne pas avoir bien compris la leçon et qui proteste en disant : « j’ai fait

mon exercice, monsieur et c’est tout ce que vous m’avez demandé, de faire mon

exercice ». Je crois que nous avons toujours tendance, dès lors que nous sommes dans la

relation d’apprentissage, à rabattre nos objectifs sur les tâches, à ne pas voir que ce que

nous faisons n’est en réalité qu’un prétexte à ce que nous acquerrons. Il n’y a de

véritable échange de savoirs que s’il y a conscience d’avoir appris, ce qui est toute autre

chose que la certitude d’avoir fait. Il ne suffit pas d’avoir fait pour avoir appris. Il ne suffit

pas d’avoir fait, même accompagné, un texte bien mis en page en informatique ou

d’avoir bien réalisé la recette du couscous pour savoir l’informatique ou maîtriser la

cuisine orientale. Il faut avoir compris comment on fait. Il faut savoir sur quels leviers il

faut agir pour le faire. Il faut être capable d’identifier ses erreurs. Il faut aussi pouvoir

transférer ce que l’on a appris dans d’autres situations, y compris quand la personne qui

nous a appris n’est plus là. Ce n’est pas si facile que cela. La réciprocité bute toujours sur

cela : sur la dépendance entre de celui qui apprend à celui qui enseigne, entre la

situation dans laquelle on apprend et ce que l’on apprend. Pour qu’il y ait apprentissage,

il faut qu’il y ait capacité de s’émanciper à l’égard de celui qui vous a appris, à l’égard de

la situation dans laquelle vous avez appris. Il faut qu’il y ait cette possibilité de

transférer, d’utiliser seul, à d’autres fins, dans d’autres situations, ce que l’on a appris.

C’est la raison pour laquelle la réciprocité doit être contagieuse, non pas simplement

parce que c’est une question de morale, non pas simplement parce que c’est une

question d’éthique mais parce ce que c’est tout bêtement une question d’efficacité. La

réciprocité appelle le 4ème parce que c’est en expliquant au 4ème qu’on pourra

transférer ce que le 3ème, le second et le 1er vous ont appris. Je voudrais vous donner

une dernière piste de réflexion qui, encore une fois, ne fait que ressaisir votre

expérience.

� Septième condition. Pour qu’il y ait une réciprocité authentique il faut que cette

réciprocité fasse fond sur une affirmation fondatrice de notre commune humanité, dans

Page 483: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 483

tout ce qui nous réunit indépendamment de tout ce qui nous sépare. Beaucoup de

choses nous séparent et il serait sans doute naïf de penser qu’il suffit de proclamer

l’interculturalité pour que les êtres s’embrassent et se réconcilient. Il y a des ruptures

entre les communautés, entre les hommes qui sont parfois très dures et l’Histoire est là

pour nous dire qu’on n’en vient pas à bout simplement par les bons sentiments. Mais on

en vient à bout par le travail, dès lors que nous assumons ce qui relève d’une conviction

avec le caractère fragile de ce terme : la conviction que, si nous avons la possibilité de ne

pas partager les mêmes réponses, nous pouvons néanmoins nous retrouver dans le fait

que nous partagions les mêmes questions. Les Humains se séparent toujours par leurs

réponses et se réunissent par leurs questions. C’est par nos questions communes que

nous nous retrouvons même si, à certains moments, il n’est pas facile de vivre côte à

côte quand on a des réponses différentes. Le fait de savoir que l’on a les mêmes

questions permet, peut-être, je dis peut-être, de vivre quand même ensemble. La

réciprocité authentique fait fond sur cette « humaine condition » comme disait

Montaigne, des Humains qui s’entendent dire en écho, redire en écho, les questions

fondatrices de l’humain : Comment peut-on aimer quelqu’un sans le manger ou aimer

quelqu’un sans être mangé par lui ? Comment peut-on trouver la bonne distance avec

autrui ? Comment peut-on avoir ses enfants dans les bras sans les avoir très vite sur les

bras ? Comment peut-on vouloir transmettre et accepter l’échec de notre propre

transmission ? Comment peut-on vouloir que l‘autre nous ressemble et en même temps

savoir que cette ressemblance serait notre propre échec ?

Tout cela est au cœur de nos interrogations. Que la Poésie, l’Art fassent vivre ces

interrogations est essentiel. Que les hommes ensuite mettent tout en œuvre dans des

systèmes idéologiques et sociaux, dans des réponses différentes et probablement nécessaires,

est inéluctable. Mais qu’ils sachent se ressourcer ensemble au fond commun des questions

paraît une espérance possible pour l’humaine condition.

Conclusion

Je vais conclure en vous disant que ces échanges réciproques de savoirs que vous avez

pratiqués, que vous pratiquez, que vous proposez, me paraissent aujourd’hui une alternative

forte à cette espèce de débordement de la forme scolaire, je ne dis pas de l’école, je dis de la

forme scolaire au sens où en parlent un certain nombre de sociologues comme Guy Vincent.

La forme scolaire qui, malheureusement, ossifie et parfois stérilise les savoirs qu’elle est

sensée transmettre. Peut-être faut-il, à cet égard, se réjouir de l’échec relatif de l’éducation

sexuelle qui aurait pu, si elle avait réussi aussi bien que les mathématiques, compromettre le

développement de l’espèce !

La forme scolaire, ce n’est pas l’école. Dans son beau livre « L’éducation prisonnière de la

forme scolaire », Guy Vincent montre que cette forme scolaire qui découpe, qui isole, qui

évalue tout le temps de manière quantitative et chiffrée, qui n’entend pas proposer le fait de

« savoir » comme un défi dans des relations humaines originales, eh bien, elle est parfois

Page 484: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 484

contre-productive. Alors, que vous proposiez, non pas une alternative à l’école – je crois à

l’école de la République plus qu’à tout – mais une alternative à la forme scolaire, à sa rigidité,

y compris une alternative qui peut être reprise par l’école, me paraît aujourd’hui quelque

chose de particulièrement important.

Et pour conclure cette conclusion, deux citations que je soumets à votre réflexion

Une première citation de Gaston Bachelard, qui m’a beaucoup aidé à penser et à comprendre

les choses : « L’objectif de tout humain et en particulier de tout adulte qui se veut éducateur

est de remplacer l’ennui de vivre par la joie de penser ». Je crois que, pour beaucoup de jeunes

qui sont en difficulté aujourd’hui, on pourrait tenter de remplacer leur ennui de vivre par la

joie de penser.

Et parce qu’aucune intervention ne peut se faire sans être un peu « poil à gratter », je

voudrais conclure par une citation de Gandhi, que je me redis souvent aussi et qu’il faut que,

nous autres militants, nous nous disions très souvent parce que c’est un vaccin et nous avons

besoin de vaccins. Gandhi nous rappelle dans cette phrase que je trouve très forte que « Tout

homme qui est fier de sa vertu est toujours un fléau pour ses voisins ».

Alors, nous autres militants de l’éducation populaire, des réseaux d’échanges réciproques de

savoirs, nous pouvons tenter d’être vertueux, mais jamais être fiers de notre vertu.

Page 485: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 485

Conclusion de la journée par Marc Héber-Suffrin

Au cœur du projet démocratique, interminablement perfectible, les domaines du cognitif. Et

notre société ne se montre pas en permanence très soucieuse de ses enrichissements

démocratiques. Nous affrontons d’assez terribles tensions inégalitaires. Le savoir, les savoirs

peuvent être retenus comme privilèges et retenus en capture par des groupes qui font le

choix d’accroître les inégalités ou se montrent indifférents à leur accroissement, de même les

savoirs peuvent-ils être mis en processus de libération par des groupes soucieux de faire fond

sur la connaissance, les connaissances, la recherche, la diffusion, l’accroissement des

connaissances comme instruments déterminants pour la construction de solidarités. Le lien

entre le cognitif et l’éthique, on ne le voit pas assez souvent situé dans les pratiques de

réciprocité.

Faut-il aller très loin dans l’affirmation ou bien faut-il garder la forme d’une hypothèse en

cours d’assez solide vérification : l’accès à tous les univers symboliques, depuis la langue

jusqu’aux savoirs scientifiques les plus pointus, cet accès qui a nom « apprentissage ;

instruction ; éducation ; formation », nécessite absolument le passage par des pratiques de

réciprocité.

La constitution du social s’équilibre autour de l’altérité qui garantit la production, les chances

et la perpétuation, la protection du « pas trop proche » et de la réciprocité qui garantit la

production, les chances et la perpétuation, la production du « pas trop lointain ».

Ce sont aussi des constructions théoriques qui servent de fondements à cette hypothèse. Il y

est fait référence dans le texte de Jérôme Eneau qui utilise, à propos de la règle positive de

réciprocité, la notion hardie de démonstration.

Page 486: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 486

Dimanche 30 novembre

RRéécciipprroocciittéé eett ssoolliiddaarriittéé ?? CCoommmmeenntt aaggiirr ??

Introduction par Jacqueline Saint-Raymond

Amis lecteurs, vous voilà donc presque arrivés au terme de ce périple de lecture. Il nous aura

permis, sur les sentiers du récit de nos histoires différentes ou similaires, sur les chemins de

partage d’expériences ou sur les routes plus ardues de la prise de recul et de la réflexion de

ces quatre jours de Rencontres Internationales, de nous rencontrer, échanger et réfléchir

ensemble.

Le récit du dernier jour arrivant, nous savions, afin que ce « voyage » ne se termine pas ainsi

au Génocentre à EVRY, qu’il nous fallait ouvrir les portes de l’avenir pour construire et

découvrir encore et encore les multiples « trajectoires » qui nous relieront afin que les deux

mots, paradigmes centraux (André de Peretti) de nos rencontres, la réciprocité et la solidarité,

ne restent vains.

C’est ainsi que le point central de ce dimanche de clôture était : « Réciprocité et Solidarité,

comment agir ? » avec les questionnements suivants :

� A partir de nos expériences ainsi que des tables-rondes et ateliers : Quels liens entre réciprocité et solidarités ?

o Peut-on concevoir la réciprocité comme stratégie : en vue de quoi ?

o Comme chance et recours : en quoi ?

o Comme résistance : à quoi et comment ?

� Comment promouvoir, développer et relier les réciprocités en éducation, en formation et dans les pratiques citoyennes ?

Les réflexions menées en groupe furent suivies d’interventions individuelles.

-- Sidi Seck se pose la question autrement : « Pourquoi continuer l’action ? Avec qui continuer l’action ? ». « Je ne sais pas… mais… » en la resituant dans son contexte professionnel, la politique culturelle qui est d’abord et avant tout, pour lui, un système de valeurs centré sur l’humain.

-- Marc Héber-Suffrin, au travers de deux Institutions que sont la Sécurité Sociale et l’ONU, nous explique, entre autres choses, comment est mis en œuvre le principe réciprocitaire et comment la promotion de l’éducation sociale peut être utile dans la lutte contre la « prétendue crise de l’avenir ».

Page 487: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 487

-- Christine Vander Borght, à travers la présentation de FRESC-EU (Formation Réciproque et Solidaire entre Collectifs), projet européen, nous expose ceci « Les connaissances et savoir-faire que nos collectifs pourraient partager pour développer davantage de solidarités ».

-- André de Peretti, avec toute la vivacité de son esprit plein de jeunesse et de perspectives, nous expose ceci : « En quoi la réciprocité est force d’avenir ».

-- Enfin, Michel Berson rappelle les liens étroits qui unissent, depuis de nombreuses années, le département de l’Essonne, le MRERS et les RERS et redit comment les savoirs partagés créent de la solidarité.

Notre route n’étant pas terminée, pour continuer à cheminer longtemps, et sans fatigue,

Christiane Coulon nous a proposé de fabriquer, tel un bâton de pèlerin, celui de la réciprocité

et, pour nous accompagner encore un peu sur la route, David Muller nous a narré un joli

conte.

DDéébbaatt eenn ssééaannccee pplléénniièèrree aapprrèèss ttrraavvaauuxx ddee ggrroouuppeess ::

Les idées dans les textes suivants ont été restituées telles quelles.

Réciprocité/solidarité – Comment agir ? Comment continuer l’action ?

Peut-on concevoir la réciprocité comme une stratégie, comme une chance, comme une résistance ?

1er Groupe

La stratégie renvoie à une action réfléchie, bien préparée. L’organisation est alors nécessaire si on veut en faire une chance de réussir. La crise peut-elle être une chance ? Quelles façons de résister à toutes ces barbaries, et ces dérives ? Quelle place laisser aux politiques ? C’est une chance en termes d’écologie, de recyclage (de ne pas perdre) de tout ce qui existe en termes de savoirs et d’expériences. Penser aux « Catadores » de l’expérience du Brésil avec Ana Dubeux. Parodier en retenant Les catadores de l’expérience et des savoirs. Développer la réciprocité ouverte en suivant l’expérience de Nouvelle Calédonie, pour faire

revivre la langue kanak et les cultures générationnelles.

Rendre plus visible notre manifestation, ne pas rester dans l’ombre en se méfiant des

récupérations. Dilemme : la peur de la récupération/déviation peut empêcher de rendre

visible les expériences. Question : comment construire avec les politiques ?

2ème groupe

1) Le mot stratégie pose problème : trop militaire, trop militant, risque de vouloir pour les autres. La réciprocité change le regard sur l’autre, modifie notre mode de vie. En s’appliquant la réciprocité à soi-même, c’est contagieux. Ça ne s’impose pas aux autres ; 2) C’est une chance parce que c’est un contre poids à l’isolement ; 3) Le mot résistance pose aussi problème : opposition-combat…

Page 488: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 488

La réciprocité est proposée comme une alternative : - à l’individualisme,

- à l’économie marchande, - aux modalités de l’éducation nationale.

Le MIRA pourrait être l’interface entre le MRERS et les autres mouvements.

3ème groupe

Stratégie : pour une école de la citoyenneté, pour des échanges non monétaires. Chance : oui car elle permet d’apprendre des savoirs, d’évoluer. Elle construit une humanité solidaire. Elle redonne confiance en soi. Recours : elle démonte les systèmes pyramidaux, la hiérarchisation. Le réseau devient un moteur de recherche en humanité. (Google ?) Résistance : au type de société proposé à l’heure actuelle. Résistance au Pouvoir.

Deux participants

A partir de la communication de Sidy Seck : créer le réseau en faisant prendre conscience au demandeur qu’il est offreur.

4ème groupe

Réciprocité/solidarité renvoient au fait qu’il existe un Tiers secteur appelé économie solidaire/économie sociale dans lequel nous œuvrons.

1) N’étant pas les auteurs de ce Tiers secteur c’est une chance pour nous de pouvoir y participer à titre d’acteur

2) A titre d’acteurs nous développons des façons de faire : ex démocratie directe dans nos organisations, qui sont des stratégies d’action pour vivre autrement

3) A titre d’acteurs dans le tiers secteur nous disons NON, résistance, à ce qui ne correspond pas à ce tiers secteur.

5ème groupe

Réciprocité à l’intérieur d’une association, entre les personnes qui gèrent une association, à l’intérieur d’un CA. Stratégie : en vue de partager son expérience vers plus de démocratie vécue. Chance : pour la vie de l’institution, du mouvement, pour le développement personnel, pour transmettre les acquis, pour le partage des savoirs d’expérience, pour revivifier un CA. Résistance : à la routine, à l’enfermement, éviter l’immobilité, aux prises de pouvoir même inconscientes et en même temps nécessité de la durée pour mettre quelque chose en place.

6ème groupe

Les RERS doivent entrer dans cette dimension de création collective. En effet la réciprocité n’est pas seulement interindividuelle. On doit valoriser cette coopération, ce collectif notamment au niveau familial. C’est une ouverture au collectif. Cette dynamique développée par Alain Touraine peut être figure de résistance notamment par la lutte contre la logique institutionnelle en valorisant la relation entre les hommes. Concernant les centres sociaux, les RERS ont la même approche sans avoir le manque de souplesse lié au cadre institutionnel. Il faut qu’il y ait un contre-pouvoir au système actuel. Les RERS sont un des paramètres qui peuvent aider à cette évolution. La réciprocité est d’abord une chance pour reconnaître l’individu dans ce qu’il a de meilleur. On peut alors s’associer l’autre pour élaborer une

Page 489: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 489

stratégie communautaire. Les RERS par rapport à une association classique ont-ils une plus grande capacité à associer l’autre ? L’objectif de la résistance est de laisser l’humain au centre. Ma réciprocité est automatiquement liée à la solidarité. A travers la connaissance, il y a une confiance qui se dégage pour que se fasse cette transmission. Cependant l’humain crée toujours de la résistance autour de lui. La rencontre internationale permet de se solidifier.

7ème Groupe

C’est une chance pour nous de faire changer la mentalité des gens, de faire évoluer les valeurs humaines, retrouver du sens à nos vies qui soient autre que celui de l’argent. Savoir que la richesse est ailleurs que dans le matériel. Il faut que les réseaux s’ouvrent davantage pour aller à la rencontre des groupes qui ont les mêmes valeurs de réciprocité et de partage. Il ne suffit pas de contacts ponctuels mais il faut construire dans la durée. Ces rencontres internationales sont très importantes parce qu’elles permettent de nous ressourcer et de restituer ce qu’on a appris, ce qu’on a échangé ici dans nos réseaux respectifs. On porte mieux les valeurs, on les partage mieux. La réciprocité est un moyen de se sortir de l’impasse d’être redevable.

8ème groupe

La réciprocité est une stratégie pour toucher des publics cloisonnés (âge, genre, situations), pour permettre à des gens de se rencontrer. Elle est une chance, une opportunité d’outils qui peuvent être utilisés pour créer du lien. Valorisation – estime de soi Lutte contre l’isolement, la précarisation, la dévalorisation, certaines formes de formatage (associatif et entre municipalités) et institutions différentes. Pour ne pas se faire imposer quelque chose qu’on n’aurait pas choisi parce que forcément la réciprocité ne se joue que dans la relation entre les gens. Résistance aux « cases » dans lesquelles on met les gens. Mettre les gens dans un projet commun. Résistances aux places, fonctions précises, aux rôles nécessaires mais bloquants. Aller vers le partage global des savoirs d’expérience, à construire, à déconstruire. Résistance à « l’autoformatage ». Je suis travailleuse mais pas « sociale ». Histoires de temps : temporalité de la réciprocité. Résistance à l’emprise du temps. Se ressourcer ailleurs et partager des expériences.

9ème groupe

Les collectifs qui font de la réciprocité font des microsociétés qui permettent de vivre l’estime de soi et dans la vie réelle de vivre ce que l’on a découvert.

10ème groupe

Stratégie : résistance à un combat contre le vertical. Développer la formation individuelle et collective pour s’infiltrer dans la création des « élites ». Des expériences à développer : la Poste et Freinet.

Page 490: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 490

La chance : la crise. L’être humain est capable d’écouter et de favoriser la réciprocité et de développer la communication. Peu de jeunes ? Et les enseignants ? Que faire pour toucher ce groupe ? Résister contre soi-même, contre cette société. Faire naître des émotions mais faire attention que celles-ci ne prennent pas le dessus pour devenir manipulables.

11ème groupe

Le handicap est ailleurs oublié. Enfin on parle de l’humain. Envie de partager, de témoigner, d’aller vers le handicap. Confiance en soi, remise en valeur pour développer d’autres choses.

Célina Whitaker présente rapidement le projet SOL

Projet qui peut aider aux échanges réciproques entre collectifs : Célina Whitaker nous dit qu’elle est prête a y travailler avec celles et ceux qui sont intéressés

• Le projet Sol s’inscrit dans les réflexions sur l’approche de la richesse dans nos sociétés, sur la mesure qui en est faite et sur les dysfonctionnements du système monétaire actuel.

• Le projet est né d’un groupe de travail réunissant des mutuelles, des banques de l’économie sociale et des coopératives et un certain nombre de réseaux et de médias.

• L’idée de départ est d’imaginer une monnaie ayant pour finalité de replacer l’économie au rang de moyen et non de fin, avec comme objectif de développer les structures et les offres de l’économie sociale et solidaire ainsi que les interactions entre ces structures…

• Rapidement, va s’ajouter au projet la perspective de valorisation, dans le même circuit, des activités à caractère écologique et social aujourd’hui non prises en compte, et du potentiel d’échange et de création de richesses de l’ensemble de la population.

http://www.sol-reseau.org/IMG/pdf/WhitakerDelille.pdf

TTaabbllee--rroonnddee nn°° 55,, aanniimmééee ppaarr RRiittaa BBeenncciivveennggaa :: .. CCoommmmeenntt ccoonnttiinnuueerr ll’’aaccttiioonn ??

Sidy Seck : « Echanges réciproques de savoirs, en réseaux ouverts : interface pour une politique culturelle transversale »

Comment continuer l’action ? C’est la question qui m’a été posée par Claire, il y a cela quelques semaines mais lorsque je suis entré en contact avec la question, je l’ai reposée autrement : je me suis dit « Pourquoi continuer l’action ? Avec qui continuer l’action ? » Mais, quel que soit le sens que je donne à la question, je retrouve la même réponse, qui est la suivante : « Je ne sais pas… mais… ». « Je ne sais pas » car, répondre à la problématique de la transversalité dans la politique culturelle, cela reviendrait à dire que je dispose, par devers moi, des recettes qui font que la culture, avant d’être une production artistique, littéraire, filmique, folklorique, c’est d’abord et avant tout, un système de valeurs centré sur l’humain.

Page 491: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 491

Répondre à la question de la transversalité, c’est également vouloir dire que :

• l’élevage, l’agriculture, avant d’être une affaire de végétation, une affaire de faune, une affaire de mécanisation et de marchandisation c’est d’abord et avant tout, un système de valeurs centré sur l’humain.

• L’économie également, avant d’être une question des chiffres, des taux qui montent ou qui descendent, qui stagnent, c’est d’abord et avant tout, un système de valeur centré sur l’humain.

• La justice également avant d’être une affaire d’avoir tort ou avoir raison, avant d’être une affaire de maisons d’arrêt à construire et à remplir, c’est d’abord et avant tout, un système de valeur centré sur l’humain.

Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que la culture, elle est transversale, elle est dans tous les domaines d’activités de l’humain. Et pour parler de la culture dans sa transversalité, il faut remettre l’humain à sa véritable place c'est-à-dire au centre. Et si j’ai dit avoir la possibilité d’apporter des éléments de réponses, je me trompe, je ne serai pas prétentieux à ce point, donc à la question de savoir Comment continuer l’action ? Je dis juste : « Je ne sais pas… mais… ».

Je ne sais pas parce que, je suis en train de douter de moi-même, je suis en train de douter de mes compétences à…, de mes talents de… Je suis en train de douter aussi de l’institution dans laquelle je travaille, mais comme le doute est permis, cela veut dire que nous sommes sur la bonne voie et c’est cela qui me permet d’ajouter un « mais ».

Mais pourquoi je doute de moi ? Pourquoi je doute de mon institution ? Et quelles solutions je propose ?

Je doute de moi parce que, depuis que je suis entré en réseaux, j’ai vécu beaucoup de situations différentes et parfois contradictoires. J’ai été formé à Beauvais, dans les réseaux, avec des concepts qui ont un sens. Après Beauvais, j’ai initié un réseau d’école, de lycée, tout à fait différent de ce qui se passait à Beauvais. Ensuite, j’ai fait un réseau sur internet qui compte plus de 1300 membres. Ensuite, j’ai fait de la recherche qui porte sur les réseaux. J’ai soutenu un DESS en « Management en arts culturels », sur le thème des réseaux. Et aujourd’hui, je me retrouve en tant que Conseiller technique dans le Cabinet du Ministre de la Culture. C’est beaucoup de choses à la fois, cela peut être bien mais cela peut être dangereux, c’est pourquoi je doute de ma situation.

Si toutefois, je ne suis pas capable de capitaliser tout cela – quand je dis capitaliser, je ne parle pas en terme quantitatif. Je parle en terme de qualité, en terme de valeurs – si je ne réussis pas à capitaliser toutes ces données-là, en termes de valeurs et de mettre cela au service de l’institution administrative dans laquelle je travaille, si je ne réussis pas cela, je deviens dangereux pour le système. C’est-à-dire qu’il est toujours facile de jeter le discrédit sur l’autre, sur l’institution mais parfois aussi il y a un regard qu’on doit porter sur nous-mêmes. Et c’est ce regard que je porte sur moi-même et je suis en train de vivre ma part d’incertitude et ma part d’angoisse, et je crois que cela est extrêmement important pour pouvoir répondre à la question : Comment continuer l’action ?

Alors, dans le cadre de mon Ministère, il m’est arrivé d’entendre dire souvent « Je ne suis pas au courant » et cela a été un prétexte pour moi en tant que membre de réseaux. Cela veut

Page 492: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 492

dire quoi ? Cela veut dire que, l’information ne circule pas correctement, le savoir ne circule pas correctement et il faut essayer de situer où le problème se trouve.

Le contexte institutionnel : l’Administration , chez nous, dans le cadre culturel, il y a de la départementalisation, c’est-à-dire qu’ il y a le Cabinet, il y a les Directions, il y a les Services rattachés, il y a aussi d’autres organisations qui ne sont pas dans la hiérarchie et, il faut manager tout cela, il faut gérer, il faut faire circuler l’information mais il ne faut pas oublier aussi que, dans cette forme de départementalisation, il y a la verticalité dont on a parlé depuis hier, mais je ne viens pas pour dire qu’il faut lutter contre la verticalité, ce n’est pas mon propos, parce que l’administration, son but c’est d’être vertical, son but c’est de gérer le pouvoir et du point de vue de l’organisation hiérarchique même de cette administration, la verticalité, c’est cela qui permet de gérer le pouvoir ; maintenant il y a son revers parce que, qui détient l’information, détient le pouvoir, avec le système d’organisation qui est là on se retrouve à une sorte de consortium de départements quasi autonomes : la Direction du Livre est quasi-autonome, la Direction des Arts quasi autonome, toutes les directions semblent gérer leurs affaires, à elles toutes seules, de façon très fermée. Je ne dirai pas qu’il n’y a pas de réseaux, je ne dirai pas qu’il n’y a pas d’échanges mais ce sont des réseaux et des échanges qui sont fermés.

Moi, je propose des réseaux ouverts et la configuration que cela donne, la structure hiérarchique donne la configuration suivante comme on le voit du Ministre jusqu’en haut, au niveau des organisations, ordre hiérarchique, ce sont des relations de toi à moi, des duos pour ne pas dire des duels et le Cabinet qui parle à la Direction des Arts, la Direction des Arts qui répond au Cabinet. Ceux qui sont hors de ces circuits là ne sont pas du tout informés, ils n’ont pas l’information selon tel ou tel autre dossier parce que ce n’est pas dans leur accès et cela je crois que, du point de vue hiérarchique, c’est ce qu’on appelle la verticalité en tout cas, mais c’est fondamental pour cette façon de faire, pour cette façon de maîtriser le pouvoir et ce n’est pas pour rien que chez nous on dit que : « ceux qui sont au pouvoir » , « le régime au pouvoir », c’est parce que, c’est à cause de cette verticalité, la façon de manager cette verticalité là qu’ils ont le pouvoir en mains.

Ce que je propose, au-delà de cette disposition qu’on appelle une disposition « Line », ce que je propose ce n’est pas de lutter contre la verticalité et encore moins de résister à la verticalité. Je crois que c’est un système qui est là depuis les années de l’Indépendance et résister, cela ne règle pas le problème ; je crois qu’il faut aussi accepter l’autre tel qu’il est, le trouver dans son état et essayer de lui proposer quelque chose de beaucoup plus doux. Par exemple, à la relation Line : commandement du supérieur sur le subordonné, cela est le centre des opérations, on ne peut pas le retirer de l’Administration maintenant mais il faut juste y ajouter la relation « saff ». C'est-à-dire on n’a plus de spécialisé au chef des opérations du Line et c’est à ce niveau qu’interviennent les réseaux, c’est à ce niveau qu’intervient la mise en relation et cela permet des échanges ouverts, du partage, réseaux ouverts, réciprocité et solidarité, d’abord à un niveau interne, c’est à dire : le Cabinet qui donne un dossier au conseiller technique Sidi Seck, Sidi Seck qui a la possibilité de s’ouvrir à son camarade de bureau qui est là à côté, et bien dans le système « Line » cela ne se passe pas comme cela, mais dans le système « staff » ouvert cela permet une certaine ouverture, et quand on verra le schéma tout à l’heure, je vais dire rapidement comment j’ai fait pour créer un réseau avec mon ami de bureau, à côté, et c’est un début.

Page 493: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 493

Sur le plan externe aussi, la méthode « staff » nous permet non seulement de faire circuler l’information au niveau du Cabinet, au niveau des directions, au niveau des services rattachés, au niveau des organisations qui ne sont pas à l’intérieur de la hiérarchie et d’avoir aussi des informations, un retour mais cela le bureau du courrier ne peut pas le faire. Il faut plus qu’un bureau de courrier, c’est-à-dire un lieu de médiation, c’est-à-dire un lieu qui centralise les informations à distribuer, qui distribue les informations, et qui prend d’autres informations en retour et qui les remet en distributions. Cela peut se faire par les méthodes classiques administratives mais cela peut se faire aussi par internet et je rappelle que le Sénégal en tous cas fait partie des pays africains les plus en avance sur le plan de la technologie.

Maintenant on va voir la configuration de la structure mixte. Ce que vous voyez en noir, l’instance de mise en relation c’est la nouvelle structure, que je propose en plus de l’existant : la structure de l’instance de mise en relation et, comme on le voit, il y a des flèches qui partent de partout, mais en aller-retour et dans le premier schéma, c’était de toi à moi, mais ici, comme on le voit, il y a le Cabinet qui envoie des informations à l’Instance de mise en relations, le Secrétariat général de même et, à partir de là, les informations qui doivent circuler un peu partout sont triées et envoyées vers les Directions et Services rattachés, vers les Etablissements publics, vers les Services rattachés, et vers les Organismes hors hiérarchie ; Je pense que ce qu’il y a à retenir ici, et qui me paraît important, c’est de s’inscrire dans la durée. Le philosophe, Martin Heidegger, disait que « l’art, c’est de l’énigme, il ne s’agit pas de la comprendre mais il s’agit de la voir ». Je crois que l’administration c’est la verticalité, il ne s’agit pas de bousculer d’un coup la verticalité mais il s’agit de faire avec en proposant une horizontalité, à côté et cette horizontalité-là, c’est la structure Instance de mise en relations qui est ici un Staff, quand on dit un staff cela veut dire que la structure n’est pas dans la hiérarchie, elle est juste décalée, elle vient en appui c’est-à-dire combler les faiblesses de la verticalité.

Et, l’exemple que j’ai donné tout à l’heure : Dans mon bureau, je suis avec un collègue qui s’occupe de coopération internationale. Au début, je me suis rendu compte que tout le monde s’enfermait sur son dossier et chacun disait : « Je ne suis pas au courant de… ». Je me suis dit : « Qu’est-ce qu’il y a lieu de faire ? Si je veux mettre en valeur ce que j’ai acquis comme expérience, je dois commencer par ici, dans mon bureau d’abord et me mettre en réseau avec mon ami qui est à côté » et j’ai commencé par quelque chose de très simple : une lettre administrative. J’ai fait la lettre administrative destinée à une autorité, j’ai lu la lettre devant mon ami : et je lui demande de donner son avis sur ma lettre : ou bien quelque part est-ce que je dois mettre « Je vous prie de bien vouloir ou je vous prie de vouloir bien ». Ça, ça a du sens en administration, ça a du poids en administration, et mon ami trouve le plaisir de participer dans mon travail, et, deux mois, trois mois après je le surprends en train de m’inviter lui-même à me prononcer sur ses courriers, ses dossiers, etc. Vous voyez donc. Et, mieux, il s’est inscrit dans mon réseau internet. Je voulais dire par là que, comme le disait un économiste dans un ouvrage de Marc .Ménard, ce qui est important, « Ce n’est pas de comprendre de nouvelles idées mais de s’arracher des idées anciennes. » Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que si nous voulons porter les réseaux, les idéaux du réseau, les valeurs du réseau, dans les secteurs les plus reculés du monde, dans les secteurs les plus résistants, il nous faut nous armer de patience et de persévérance. Je crois que c’est fondamental, cela veut dire quoi ? Cela veut dire que je ne réponds pas à la question de Claire qui consiste à savoir Comment continuer l’action ? Mais je dis « Je ne sais pas, mais j’ai de l’espoir. J’ai de l’espoir parce que, ma présence ici, je la dois à l’invitation qu’on m’a envoyée mais c’est mon Ministre qui m’a

Page 494: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 494

permis d’être là, cela veut dire qu’il m’a dit « Sidi, c’est possible » et quand il a vu les documents, le programme, il n’a pas manqué de dire « Oh que c’est intéressant » ; je crois que cela commence par là.

L’Administration a ses forces aussi, ses faiblesses, c’est vrai, mais il faut reconnaître les forces de l’Administration et essayer de venir en appoint pour les faiblesses au lieu de rentrer en guerre ou bien en résistance.

Marc Héber-Suffrin254 : « Réciprocité, institutions et solidarité » Dans un premier temps seront rapidement évoqués quelques caractères communs à toutes les institutions de solidarité. Dans un second temps, il sera affirmé que l’attachement aux solidarités s’apprend individuellement. Un troisième développement sera consacré à l’utilité de promouvoir une éducation sociale, pour aller contre toutes prétendues crises de l’avenir. Il sera conclu en termes d’apprentissages, de recours, de stratégie et de chances. Le point le plus important pour moi étant que c’est autour d’apprentissages que s’articulent la validation ou le choix de la réciprocité et les chances de la solidarité. Je vous demande, si vous perdez le fil, de retenir l’importance de ces deux notions : celle d’articulation et celle d’éducation sociale.

De quelques caractères communs à toutes les institutions de solidarité.

Je vais commencer par dire des choses particulièrement faciles à entendre pour des français et que d’autres peuvent bien comprendre aussi s’ils pensent à l’institution qu’est aujourd’hui l’Organisation des Nations Unies (ONU). Quant aux français, le plus simple est qu’ils aient à l’esprit le système des Caisses d’Assurance Maladie. On aura donc à l’esprit à la fois l’organisation de la sécurité sociale et/ou l’ONU comme institutions. Et on pourra constater qu’elles sont expressément fondées sur un principe réciprocitaire : le principe de la mutualisation des chances et des risques. Elles sont improbables c’est-à-dire qu’on ne les rencontre ni dans la nature ni en beaucoup d’endroits dans les groupes humains ; elles sont des constructions historiques récentes à élaboration lente, que des hommes ont voulues et qu’ils ont élaborées, à long terme, et difficilement. En France, la caisse d’assurances maladie, invalidité chômage vieillesse est évidemment un héritage à entretenir, à consolider, héritage qui est au risque d’être maltraité ou réduit à néant. On voit donc que ce sont des institutions fragiles, vulnérables, susceptibles d’être attaquées autant que défendues, détruites, déconstruites… Elles sont d’une extrême richesse et une extrême richesse. Vous pouvez regarder la planète, il n’y a pas beaucoup d’endroits où il y a des régimes d’assurances maladie, invalidité, accidents du travail, maternité, vieillesse. On ne pourra donc éviter de les déclarer admirables. En effet, ça ne marche pas si mal ! Elles sont susceptibles d’être attaquées, peut-être même détruites. Elles sont perfectibles, à condition de garder une même orientation sur le long terme.

Deux choses encore à propos de ces systèmes de solidarité. Ils sont issus de l’associatif, au moins en France, de l’associationnisme. Il y a eu, dans ce pays – essentiellement entre 1875 et probablement jusqu’à ce que le mot soit oublié à partir du Front Populaire puisque ses fruits principaux avaient été produits dès 1936 – tout un mouvement qui consistait à s’associer : c’étaient des associations de citoyens qui prenaient en charge aux côtés des administrations de l’Etat, telle ou telle partie de l’activité de l’Etat. C’est ainsi par exemple que la Ligue de l’enseignement et la Ligue des droits de l’Homme contribuaient puissamment à porter les

254 Co-initiateur des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs.

Page 495: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 495

dimensions des projets culturels et sociaux de la république. Ces mouvements associationnistes coopéraient avec l’Etat. Ils n’étaient pas dominés par cet Etat. Il nous faut ici présenter deux personnalités importantes de cette époque. Jean Zay, ministre de l’Education du Front populaire, en 1936, à 32 ans (il mourra à 40 ans assassiné par l’extrême droite), qui va consolider les principes de l’éducation nationale gratuite, est le fils, comme nous pouvons être les fils et les filles, d’un mouvement politique et philosophique que ce pays oublie, et traite même comme s’il n’avait jamais existé : ce mouvement, c’est le solidarisme. Le théoricien du solidarisme fait un texte, en 1896, qui fait bouger la totalité du pays. Il s’agit de Léon Bourgeois qui sera ministre de la guerre en 1917, premier président de la Société Des Nations (SDN), Prix Nobel de la Paix en 1920. (Il faut reconnaître que sa présidence de la SDN est une gigantesque erreur : en effet, les allemands, qui ont une idée du bellicisme français, voyant que l’on va placer à la tête de la SDN un homme qui a été ministre de la guerre en France, ne pourront accorder de crédit à la SDN.) L’histoire nous apprend immensément de choses en matière de solidarité et, principalement celle-ci : il n’y a pas de solidarité sans systèmes organisés ; pas de solidarités sans institutions. Les institutions ne sont pas seulement des machines à résister aux changements, elles sont assez souvent aussi des machines à essayer de les faire advenir.

On peut donc les déclarer nécessaires si on retient que la solidarité ne peut pas être imposée à l’individu dans un régime républicain mais que, pour autant, la loi républicaine peut imposer à des individus le respect à long terme de la mutualisation des avantages et des dangers. C’est individuellement que les risques de désengagement à l’égard d’autrui par égoïsme, usure, lassitude, fatalisme, cynisme, peuvent conduire un individu à se désolidariser ; les institutions, par de réels obligations (très acceptables en ce qu’elles ouvrent des droits tout aussi bien garantis) assurent le maintien de chacun dans les liens de solidarité.

On remarquera encore qu’elles ne sont ni tenues par l’Etat ni non plus des administrations de l’Etat. Elles sont « d’associés ». Elles sont les filles du mouvement associationiste que nous avons évoqué plus haut.

Elles comportent enfin deux limites/faiblesses : elles cachent autrui dans l’anonymat de la masse ; et elles rendent la réciprocité opaque. Comme si la réciprocité y était plus accessible à la raison qu’au cœur.

L’attachement aux solidarités s’apprend individuellement

La solidarité, plus sensible au cœur qu’à la raison : « j’ai été aidé » ; « j’ai aidé » ; « j’ai été nourri par des paroles » ; « j’ai été nourri d’aliments » ; « j’ai été accompagné » ; « j’accompagne » ; « j’ai été nourri par du sens donné à l’aventure de vivre » ; « j’ai reçu le goût d’apprendre ». En fait il y a quatre bains réciprocitaires qui nous constituent, qui nous humanisent, comme aussi indispensables à notre développement que l’a été le liquide amniotique lorsque nous étions embryons. On le voit en retenant cette règle déjà énoncée par de nombreuses traditions : le chemin de soi à soi passe par autrui, par les autres, par beaucoup d’autres. Et c’est dans les univers symboliques que m’ouvrent ces autres que j’apprends la langue, les affects, le sens et à être élément d’une société. L’origine symbolique et réciprocitaire de l’individu apte à la solidarité et intéressé par cette solidarité acquiert un caractère de flagrance. Les effets de la mutualisation des chances et des risques sont sensibles, ressentis, expérimentés, on peut y prendre goût, on peut les chérir, on peut en connaître la saveur, on peut les reconnaître comme des richesses très précieuses, on peut s’y attacher, tout en éprouvant, c’est-à-dire en vivant la preuve, qu’ils s’enracinent dans la

Page 496: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 496

réciprocité. Cette compréhension incorporée conditionnera la compréhension plus rationnelle du passage par des institutions pour accéder à des formes de solidarité stables au sein de groupes humains vastes. Qui n’a pu se prendre individuellement d’affection pour la solidarité pourra-t-il se rendre soucieux des solidarités institutionnelles ? On peut définitivement en douter. D’où l’importance de ce bain réciprocitaire (que les réseaux d’échanges réciproques de savoirs et nombre d’association d’éducation populaire contribuent à alimenter et proposer) fait de langues, d’affects, d’énigmes, de sens (partout, nous sommes affamés de sens !).

Articulations

Quelle articulation possible entre la réciprocité et les institutions de solidarité ? Qu’est-ce que c’est que cet endroit où l’on peut de l’attachement qu’on a pris parce qu’on a vécu comme ça, parce qu’on « m’a » donné de l’affection, on « m’a » donné des mots, on « m’a » donné du sens, on « m’a » donné aussi la possibilité d’affronter ces questions et « me » voilà suffisamment attaché à la réciprocité pour faire le souhait de situations, solidaires. Comment vais-je articuler les deux ? Je vais articuler les deux par des apprentissages. Je vais apprendre tout cela d’autant plus facilement que j’ai fait l’expérience de la réciprocité en terme d’affection, d’émotion (on ne peut pas tomber directement amoureux de la Sécurité Sociale). L’attachement à la solidarité est une affaire qui se vit individuellement quand la solidarité elle-même est une affaire qui se construit collectivement. Seuls des apprentissages volontairement organisés peuvent permettre à des individus, qui ont par le cœur incorporé les chances de la réciprocité, de se consacrer à l’instauration, au développement et au renforcement d’institutions de solidarité, dont les caractères bénéfiques sont multiformes. On est devant une des situations les plus élémentaires de la relation entre l’individu et, non pas l’Etat, et la société à travers des systèmes et des outils qui nous ont été laissés par nos prédécesseurs et qui nous montrent la possibilité de cette articulation. La démarche qui les orientait avait nom : Education sociale. Ou Education au sens social.

On conclura donc sur l’utilité de promouvoir une éducation sociale contre toute prétendue crise de l’avenir

Lorsque les solidaristes se confrontent à l’Etat de la France, elle connaît des états d’extrême misère et ils se disent et ils nous livrent une clé dont je pense qu’elle est toujours parfaitement utilisable. C’est le principe de toutes les organisations solidaristes : nous allons mutualiser toutes les chances et tous les risques ; nous allons le faire systématiquement, c’est-à-dire en nous appuyant sur des institutions. Je crois qu’il y a encore beaucoup à tirer de cette clé.

Entre 1880 et 1930, à la suite des fondateurs de la Ligue de l’enseignement, on a beaucoup utilisé en France la notion d’éducation sociale. Il s’agissait que l’éducation contribue à faire face à l’incertitude du lendemain, aux risques de survivre péniblement dans la misère et/ou au risque du basculement dans la misère et au projet de ne laisser aucun citoyen indifférent et inactif face à ces risques. Ce projet n’a évidemment pas pris une seule ride, tant sont nombreux nos compagnons de planète qui affrontent l’hostilité quotidienne de la vie sous ses formes les plus cruelles. Ce projet est donc d’une totale actualité, à propos de tous les risques, y compris écologiques. On peut donc faire le projet de poursuivre des apprentissages dans ce but et on retiendra quelques questions à garder vives à l’esprit en permanence pour un tel apprentissage collectif.

Page 497: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 497

- Qui peut prétendre ne pas avoir besoin de protection ?

- Pour quel choix pourrait-on éviter de proposer et de pratiquer la réciprocité individuellement pour fonder le goût et l’attachement à la solidarité ?

- Qui peut prétendre que la solidarité est séparable du partage des risques autant que des chances ?

- Peut-on enfin cesser de porter en soi et pour des collectifs plus larges la question d’affronter l’insécurité sociale ?

On entrevoit qu’un projet de mutualisation systématique des risques et des chances pourrait être une réponse à la crise de l’avenir. Les fruits de la solidarité instituée sont tellement rares qu’ils laissent entrevoir ce qui pourrait être obtenu d’une solidarité générale qui engloberait les intérêts des générations futures.

L’éducation sociale fondée sur des apprentissages collectifs de ce que peut produire la solidarité institutionnelle greffée sur le goût incorporé individuellement des fruits de la réciprocité est un recours avec acharnement sur le long terme de façon quotidienne et concrète : on peut affronter les hostilités de la vie.

On voit bien aussi qu’on ne peut parler de cette éducation sociale qu’en commençant à en décrire les conditions de mise en œuvre : coopérations concrètes pour diffuser les savoir-faire, les savoirs savants, les projets d’entreprise, etc. Cette stratégie est une stratégie de résistance à toute fatalité.

La solidarité ainsi rendue accessible à des projets collectifs est aussi une des plus belles chances que nous ayons à portée de nos ambitions.

Christine Vander Borght255 : « Les connaissances et savoir-faire que nos collectifs pourraient partager pour développer davantage de solidarités »

C’est au titre de Présidente du « Mouvement Belge Francophone des Réseaux d’Échanges Réciproques de Savoirs » que je prends la parole ce matin devant vous. Je suis tombée dans la marmite de potion magique des réseaux après une rencontre avec Claire et Marc Héber-Suffrin en 1987, suite à la lecture de leur manuscrit « Appels aux Intelligences ». J’étais déjà très impressionnée, à l’époque, par le souffle et les ressources de ces projets que je continue à trouver géniaux. Les RERS existent en Belgique francophone depuis plus de vingt ans et nous sommes restés en liens étroits avec le Mouvement français à travers diverses actions, et plus particulièrement les projets européens. C’est à propos d’un de ces projets que j’interviens ce matin devant vous pour vous présenter en quelques mots le projet FRESC-EU.

Formation Réciproque et Solidaire entre Collectifs Européens

Les objectifs de ce projet sont de favoriser l’identification des savoirs au sein des collectifs, tout autant les savoirs collectifs que les savoirs du collectif, afin d’en favoriser la transmission et la formation en réciprocité. Il y a donc un changement de niveau par rapport à ce qui se vit dans les RERS. Ce sont les équipes qui se penchent sur leurs savoirs et se mettent dans la « posture » de la transmission à travers un processus d’identification et d’élaboration des étapes d’acquisition et de

255 Présidente du Mouvement belge des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs, psychologue.

Page 498: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 498

construction du savoir en question. Cela n’a pas été du tout facile pour nous d’entrer dans cette démarche. Nous avons eu beaucoup de difficultés à comprendre par où et comment rejoindre la démarche déjà initiée dans les RERS français. Heureusement, les regroupements sur deux ou trois jours permettent d’avancer de manière conviviale dans le partage et la construction des échanges. Prenons la métaphore de la fresque, peut-être cela nous aidera-t-il à mieux comprendre ce projet complexe. Une fresque est un ensemble de motifs assemblés les uns avec les autres pour composer une figuration d’ensemble (ceci est un des sens possibles du mot, au-delà du procédé de peinture qui en est le sens premier). Chaque détail y a son importance, et c’est l’agencement des parties dans une composition d’ensemble qui donne le sens de la vision globale. Dans un RERS, une association psycho-sociale d’aide, de soins ou d’éducation, ou même une grande organisation comme La Poste (en France), chaque participant, chaque travailleur, développe des savoirs liés à son histoire, sa formation, son parcours de vie, la place professionnelle qu’il occupe, ou son statut social… Mais l’ensemble de ces savoirs individuels se tisse et se conjugue pour s’organiser en compétences collectives qui constitueront les marques identitaires de ces projets, à chaque fois singuliers. FRESC-EU s’intéresse à ces deux niveaux de savoirs : ceux que chacun développe dans son bricolage inventif pour faire face aux réalités de son travail et des échanges, et ceux qui se construisent « à plusieurs » et qui deviennent le signe d’appartenance à un collectif.

Quelques exemples permettront d’illustrer ces propos

Un des RERS bruxellois a développé, grâce à un atelier d’échange en photos, le projet d’utiliser les compétences acquises pour créer un outil attractif pour le repérage des savoirs. Un jeu de « photos de savoirs » est maintenant disponible et facilite l’étape du repérage de savoirs, que ce soit individuellement ou en groupe. Cette démarche s’est construite progressivement et collectivement au cours de deux années. Cette expérience a été consignée dans une offre, un « module » explicitant les étapes de la démarche, les difficultés rencontrées, les ressources mises en œuvre, à travers un récit recueilli, consigné et analysé, afin de le rendre transmissible et applicable dans d’autres contextes.

Ainsi, une vingtaine d’offres sont en cours d’élaboration. Ces modules peuvent rendre compte de démarches ponctuelles, par exemple : - organiser la brocante des couturières (RERS de Chelles), - construire une AG participative (RERS de Vichy), -organiser une Université d’été, - réaliser un journal associatif, - créer un jardin collectif, - organiser un événement interculturel, etc.

L’utilisation d’un site collaboratif permet de mettre ces offres à disposition des utilisateurs, la règle étant que ceux-ci intègrent ensuite leurs commentaires, inventions, découvertes, à propos des documents consultés.

Certains modules rendent compte de démarches beaucoup plus complexes : « les bourses de repérages et d’échanges de savoirs », telles qu’elles ont été mises en place, en tant que démarche innovante, au sein du dispositif de formation interne de La Poste par Maryannick Van Den Abeele, relèvent d’une détermination exceptionnelle aux différents niveaux d’implication d’une entreprise publique telle que La Poste.

Page 499: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 499

Pour ma part, j’ai accompagné un Service de Santé Mentale, en région de Charleroi (Belgique), dont le conseil d’administration souhaitait pouvoir rendre transmissibles les valeurs et les actions construites depuis la fondation du service autour de 1980. À partir de leur récit d’expérience, nous avons mis en évidence neuf champs de savoirs déterminants dans leurs manières de comprendre et prendre en compte les problèmes de santé mentale dans un contexte urbain marqué par la précarité et différentes formes d’exclusion. Un de ces champs de savoir, « Implication et implantation dans le quartier », est actuellement mis au travail par l’équipe. Les récits collectifs sont complétés par l’identification des savoirs mis en œuvre à travers le développement des activités, individuelles ou de groupe, qui ont été successivement lancées : maison des familles, activités d’été, activités d’expression, travail à domicile, atelier de repassage, etc. Un thème aussi complexe est alors progressivement décomposé en savoirs identifiables : savoir animer un groupe, accepter le désordre, s’appuyer sur les compétences des partenaires, savoir identifier les ressources des personnes, savoir susciter le désir d’apprendre et de faire… Dans ce type de démarche, c’est le processus de déconstruction et le partage collectif qui compte autant que le résultat attendu. Car la prise de conscience de ce qui a tissé l’histoire et les pratiques d’un groupe est rarement explicitée aux nouveaux professionnels qui rejoignent un projet. La travail réflexif élaboré collectivement relance la créativité de chacun et réactive la fierté de l’appartenance au groupe.

Dans certaines équipes, pour démarrer un travail sur l’identification des savoirs, j’ai adapté l’outil du « Blason », souvent utilisé pour l’évaluation d’une formation. Je demande à chaque participant d’identifier trois savoirs, et/ou compétences, pour lesquels il estime être reconnu par ses collègues, et trois savoirs que chacun souhaite développer, amplifier ou acquérir dans l’avenir. Cet exercice est loin d’être banal. La première étape est individuelle et chacun réfléchit à la place qu’il occupe dans l’équipe et à la manière dont il s’y sent reconnu. Ensuite, et selon la taille du groupe, il y un partage soit en sous-groupes, soit en grand groupe. Chacun s’expose à dire comment il se sent reconnu et en quoi. Souvent les commentaires des autres permettent de nuancer, de compléter, d’enrichir, une lecture souvent trop modeste. Être reconnu compétent et se reconnaître compétent, n’est-ce pas un des premiers principes des RERS ?

En guise de conclusion

La méthodologie mise en œuvre dans le projet FRESC-EU oblige à visiter le « trésor » des savoirs du quotidien, les savoirs d’expérience, et ceux dont on ne sait même plus qu’on les possède ou que l’on n’avait pas même identifiés. Elle oblige à questionner la construction des savoirs, en lien avec les formations reçues, les statuts sociaux et professionnels, les places que chacun occupe dans une structure donnée. Elle ouvre à la réflexivité sur soi et sur le collectif dont on est partie prenante, et favorise le décentrage et la prise de distance. Elle enrichit l’intelligence plurielle par le partage, l’amplification et la transmission des savoirs.

Page 500: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 500

André de Peretti256 : « En quoi la réciprocité est-elle force d’avenir ? » Le Génocentre accueillant ici des Mouvements Internationaux de ces Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs, de Formation Réciproque et Solidaires entre Collectifs, quel symbole de Solidarité ! Quel « intersigne » illustrant le Temps Présent en son Evolution, aurait dit mon ami Louis Massignon, le célèbre arabisant. Car, ainsi, significativement, et en surprenante illustration, c’est au nom de l’ADN en double hélice lisible que se manifeste la Vie dans l’accueil fait à la Réciprocité (qui la soutient en l’amplifiant), en ces lieux, en ce Centre, où se manifeste la fantastique biologisation en laquelle s’engage significativement, à marches forcées, la Recherche scientifique, honorant par approximation, la complexité expansive de toutes les réalités, microcosmiques ou cosmiques, énergétiques autant qu’informationnelles, organiques autant qu’humaines !

Complexité des tâches et des projets d’avenir, mais aussi des Temps ! Vos Rencontres Internationales se déroulent en une époque planétairement critique, tourmentée, instable, contradictoire et contrastée, et pourtant baroquement solidaire !, entraînée en bourrasque à une « déconstruction-reconstruction » accélérée de nos civilisations mondiales, en plein essor de nos cultures. Il devient urgent d’abandonner la dure et lourde logique coupante, séparative, excluant des différences, oui excluant même tous les « tiers instruits » ou non « instruits », en une fausse fidélité à Descartes alors qu’il est urgent de s’engager à des reliances, comme y invite Edgar Morin, entre toutes les différences, entre toutes les extrémités de la réalité, devenues de plus en plus « non-séparables » dans notre Univers où le réel resterait foncièrement « voilé » et même la « réalité » « incertaine » mais où le respect de la vie est la réalité comme l’expose en prudence scientifique le Physicien Bertrand d’Espegnat.

Symbole de la complexité caressée dans vos Rencontres ici, en ce Centre. Il m’invite à lui accoler un autre symbolisme – Et ce sera celui du grand, du célèbre astrophysicien Stephen Hawking complètement paralysé, et pouvant pourtant, à l’aide de seuls battements de cils, communiquer, malgré toutes ses différences et disgrâces ou infériorités, avec nous, nous proposant dans « Une brève histoire du temps », une solidarité pathétique – et je le cite : « Si nous découvrons une théorie complète, elle devrait un jour être compréhensible dans ses grandes lignes par tout le monde et non par une poignée de scientifiques. Alors nous tous, philosophes, scientifiques et même gens de la rue, serons capables de prendre part à la discussion sur la question de savoir pourquoi l’univers et nous, existons ».

Ainsi la pensée, les idées, la compréhension, de chacun de nos amis ou de nous-mêmes se font opportunes pour assurer en une solidarité devenant universelle, les desseins les plus élevés de la réflexion humaine ! Et cela peut être dit en ce Génocentre, mais nous invite, aussi et encore, à réfléchir sur quels modes ou ateliers de complémentarités et de valeurs partagées, de chance, il nous importe de persévérer en direction de l’avenir.

Vos valeurs, ce sont bien vos termes de ralliement qui les expriment : mouvements, réseaux, solidarité, formation et réciprocité, c'est-à-dire activités vivaces, structures solidaires, et formation ou échanges de prestations et de savoirs ou savoir faire, de services, reliés et rehaussés ensemble par leur vertu de réciprocité. Et il nous faut, n’est-ce pas Henryane, jouer sur les mots, sans s’y laisser enfermer.

256 Polytechnicien de formation, humaniste et écrivain par passion.

Page 501: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 501

Alors, de celui de mouvements, je dirai qu’il évoque la jeunesse et la résistance – ce mot doit rester noble – aux conformismes, aux conservatismes, aux immobilismes ou racismes de toutes sortes par lesquels se complotent les terrorismes destructeurs.

Au mot Réseau, ma tête associe « Roseau Pensant » avec sa fierté pascalienne, mais plus encore, avec réseau je songe à Rêves et il me semble en un bilan présent de ce que vous faites avec ingéniosité et souvent avec humour, que je puis dire une fois de plus, que j’appartiens au réseau des gens d’une certaine humeur dont les rêves s’accomplissent – Merci à toutes et tous, et à vous, chère Claire et je pense aussi en ce moment à un rêve annoncé, il y a cinquante ans, et historiquement exaucé cette année…

Solidarité et Formation, je les associe à tout ce qui est nécessaire et possible dans le Monde de l’Enseignement, de l’Education et de la vie civile.

Entre enseignants, éducateurs, animateurs et parents, oui, est indispensable une formation continuée autant qu’initiale, par échange de pratiques explorées ensemble, car on apprend ensemble, adultes et jeunes, pour soi et pour les autres, par soi et par les autres, tissant une consistance de solidarité, apaisante et structurante et une telle formation est requise pour élèves et jeunes pris au sérieux et préservés du « chagrin d’école », du manque à être reconnus, si magistralement décrit par Daniel Pennac.

J’en viens à votre paradigme central : la Réciprocité. Sa résonance riche m’incite à regarder du côté de son origine lexicographique. Il parait avoir été emprunté, en fin du siècle des lumières, à un terme reciprocitas du bas-latin, lui-même construit à partir du grec selon, nous dit-on selon un accouplement d’un palintonos (signifiant tiré ou tendu vers l’arrière) et d’un antistrophôn (signifiant ce qui est en sens contraire), de quoi nous rappeler la récursivité intellectuelle et biologique, chère à Edgar Morin. Je garde l’antistrophon qui me rappelle une poésie qui s’exclame et aussi par ce qu’il fut utilisé en logique et balistique, de quoi inciter, s’il s’agit de stratégie, à lancer nos propos vers l’avenir.

Car il apparaît bien que le terme de réciprocité désigne une mise en relation d’égalité, d’équation entre des dignités égales dans leurs différences reconnues et acceptées, mais se complétant selon une élévation réciproque – On est loin des tentations du mythe identitaire et du mimétisme dangereux dénoncé par René Girard, qui excluent les différences et donc créent des castes séparées et hiérarchisées, notamment au « niveau » intellectuel, non sans découragements et mépris, comme le dénonçait aussi Julien Benda, ami de Charles Péguy, dans son ouvrage sur « La trahison des clercs », dénonçant durement et justement la dureté dans les romantismes du mépris chez les intellectuels et hommes de culture ou de pouvoir.

La puissance de la réciprocité, en revanche, est installée, dans la conception de « La vie en dialogue » que soutient Martin Buber. Il y souligne le vrai rapport « Je-tu » dans le dialogue entre deux personnes, évitant la réduction, dégradante, à un « Je ». En cela il montrait que la rencontre dans le respect réciproque entre deux personnes, « confirme » chacune d’elles : l’homme reçoit et ce qu’il reçoit n’est pas un seul contenu, c’est plutôt une présence offerte selon une « plénitude de la vraie mutualité ». Mais du fait d’être accueillie, la personne peut recevoir « l’indicible confirmation du sens de toutes choses ». Et on peut ajouter à cette vue la proposition optimiste de Pierre Teilhard de Chardin : « Tout ce qui monte converge », car aider chacun à monter, dans son image et sa vision de lui-même, rapproche positivement les individus en une commune et fière élévation.

Page 502: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 502

Et ce sens de toutes choses rapproche la Réciprocité de toutes les pluralités désignées par les préfixes « inter » et « trans ». Il est en effet naturel que vos démarches responsables se présentent en tant qu’intergénérationnelles, inter ou transdisciplinaires, inter ou transprofessionnelles, inter ou transculturelles, autant qu’inter ou transnationales, inter mondiales sur l’espace.

Mais sur le temps, la réciprocité se rapprochant de son étymologie de retour en arrière, peut se conjuguer dans un équilibre, une régulation de la relation entre une présence sans pression et une distance sans éloignement suivant des oscillations et des retours. On peut dire aussi qu’il y a l’oscillation utile entre une « présenciation » limitée et une « distanciation », comme Berthold Brecht le demandait à ses acteurs dans la responsabilité paradoxale du personnage qu’ils avaient à représenter authentiquement, à rendre présent. Mais en un tel jeu du rapport de soi avec autrui, j’ai pu voir la relation personnalisée que Carl Rogers pratiquait de façon libératrice. Aussi, un soir, dans son jardin en Californie, désignant un colibri, je le lui proposais comme modèle : car cet oiseau léger au long bec, s’approche avec précaution d’une fleur pour y puiser son nectar mais s’en distancie aussitôt pour ne pas la piquer, sans toutefois s’éloigner car il lui faut revenir aussitôt. Et il y a plus généralement, sous le symbole du colibri, une régulation à assurer entre attachement et détachement, comme entre intérêt et désintéressement, évitant récupération et auto formatage vis-à-vis des personnes et des diverses réalités. Mais ne faut-il en réciprocité d’échange, « colibrier » ? ! Ce pourrait être jubilatoire ! Au-delà de ces considérations de proximité, d’espace et de temps, il nous faut regarder vers le devenir de la Civilisation, l’avenir des Relations et des Institutions humaines, en tous les plans prosaïques ou poétiques, scientifiques ou philosophiques, sociaux ou spirituels : telles qu’elles sont convoquées par l’actualité.

Les développements exponentiels de toutes les données humaines, de toutes les connaissances et technologies, de toutes les interactions de plus en plus instantanées et à distances, de plus en plus fortes, l’expansion de tous les supports ou artifices, avec les déséquilibres et les pollutions qui menacent écologiquement les conditions de vie, en dépit de tous les progrès déjà acquis, mais avec le risque accru de toutes les régressions, tout ce qui apparaît en accélérations et changements d’échelle met en demeure l’humanité de se dégager de toutes les inerties et fermetures ou violences, et ségrégations ou discriminations désormais plus dangereuses que supportables. Elle implique aussi la démultiplication féconde des médiations de plus en plus indispensables en raison de la croissance des réglementations et des risques, chacun disposant d’un potentiel de catastrophe accru selon l’expression de Jacques Ardoino.

Mais la construction d’une société/globe, ou selon les termes de Teilhard de Chardin, d’une Noosphère, d’une sphère d’intelligences interactives se fertilisant les unes les autres, suppose le développement d’un tissu, d’un réseau chaleureux et rigoureux d’échanges et vous savez mieux que moi ce que cela veut dire : réciprocité assumée avec force et force assurée de réciprocité en complémentarité, en boucles récursives et suivant les mots de Jacques Godbord « en acceptant d’être dépassés par ce qui se passe en nous », de même qu’en déconstruisant sans violence mais en « obstinée rigueur » selon la devise de Léonard de Vinci, les inégalités de plus en plus inadmissibles et corrosives de l’ordre social et de l’humanité, de la Paix possible.

Alors, intrépidité, chers amis, pour diffuser et ramifier vos échanges et formations ou informations en réciprocité, en certitude d’un service essentiel garantissant une économie écologique de moyens, de précaution pour assurer le fonctionnement des sociétés toutes

Page 503: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 503

interdépendantes, et l’apprivoisement de l’avenir pour nos jeunes, avec nos jeunes et avec tous.

Vous témoignez et témoignerez des possibilités de refaire du neuf avec de l’ancien respecté mais aussi de rendre utile et bienvenu l’apport le plus naturel de chacun, défaisant les raideurs institutionnelles et amplifiant les souplesses sociétales, tirant parti de la complémentarité des différences d’apports.

Vous rendez courageux tous ceux qu’entravent non seulement les handicaps mais aussi que peuvent décourager iniquement le qualificatif d’handicapés qui les stigmatisent. Nos amis brésiliens sont dans votre esprit quand ils adoptent le terme « d’exceptionnel » qu’ils appliquent aux enfants ou adultes pour lesquels les familles et la société ont à faire des efforts justement renforcés, particuliers, exceptionnels.

Ce qui me frappe dans les poussées irrésistibles qui préparent la naissance d’une nouvelle civilisation, c’est que si, d’un côté les dimensions internationales s’imposent aux entreprises et aux échanges pour la survie de tous, d’un autre coté, on a besoin, et cela biologiquement se produit pour tout organisme vivant et non mécanique, de la participation de chacun dans ses possibles et ses différences de connaissances, répondant en cela à l’humaniste définition que donnait Paul Claudel : « Connaître c’est être cela qui manque à tout le reste ».

Michel Berson257 : « Solidarité sur un territoire et savoirs partagés » Madame la présidente, Monsieur le président, Mesdames, messieurs, chers amis,

Je suis heureux de me retrouver parmi vous ce matin pour clore les rencontres internationales des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs. Il est toujours redoutable de parler le dernier, alors que tout, ou presque tout, a été dit. Avant de commencer mon propos, je voudrais, vous exprimer une conviction : les réseaux d’échanges réciproques de savoirs sont une belle et grande famille dans laquelle je crois, on se sent bien. Avec vous, on se sent en famille. Et cette famille a une maison, c’est l’Essonne. C’est en Essonne que cette belle aventure de l’échange réciproque de savoirs a pris son essor il y a bientôt trente ans après avoir germé à Orly, grâce à l’engagement de Claire et Marc Héber-Suffrin à qui je veux dire mon amitié et mon admiration. C’est en Essonne, que le mouvement du MRERS fut créé voici 21 ans, en 1987, et y fixa son siège, ici même à Évry. Et c’est en Essonne, qu’aujourd’hui se tient la première assemblée générale du MIRA, le Mouvement International de Réciprocité Active.

Pendant quatre jours, l’Essonne a été honoré de vous recevoir, d’accueillir 500 responsables associatifs, formateurs, médiateurs, travailleurs sociaux, penseurs même qui ont débattu, échangé au cours de plusieurs dizaines d’interventions et ateliers. Plus de 50 associations et institutions ont participé à ces rencontres, en provenance d’une vingtaine de pays d’Europe, d’Afrique, d’Amérique du sud. Si vous me permettez l’expression, c’est un peu le G20 de la réciprocité qui vient d’avoir lieu en Essonne !

257 Président du Conseil général de l’Essonne.

Page 504: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 504

Oui, l’Essonne et les réseaux d’échanges réciproques de savoirs sont intimement liés. Je dirai même plus : l’identité de notre département, qui se veut un département solidaire doit beaucoup au Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs. J’y reviendrai.

Alors la réciprocité ; c’est quoi ? Vous l’avez pertinemment, longuement, savamment rappelé tout au long de ces quatre jours. La réciprocité, c’est une dynamique sociale et pédagogique, où chacun apporte aux autres, et reçoit des autres, des savoirs, des services, du temps et surtout de la reconnaissance. La réciprocité repose, en effet, sur l’idée que chacun a en soi une richesse qu’il peut faire partager au bénéfice de tous. Elle fait des différences, une force, et transforme les contrastes en atouts. La réciprocité, ce n’est pas le marché, car elle donne de la valeur à la gratuité. La réciprocité, ce n’est pas non plus la charité, car elle repose sur l’égalité de l’échange. En somme, la réciprocité, c’est une certaine forme de solidarité, celle qui met en réseau les richesses que chacun a en lui, pour les multiplier et les diffuser à tous.

Voyez vous, chaque jour, ici dans les quartiers d’Evry, je constate que les réseaux contribuent concrètement, efficacement, à l’émancipation des femmes et des hommes, facilitent l’intégration des femmes et des hommes d’origines étrangères, et ainsi renforcent la cohésion sociale. La réciprocité, notamment en éducation, en formation et dans nos pratiques citoyennes, contribue à construire un monde solidaire. Et c’est, précisément, ce qui est au cœur de l’action du Conseil général de l’Essonne. Construire un département solidaire. Comment, au travers de la solidarité, faire des différences qui caractérisent l’Essonne, une richesse au service du bien commun ? Car comme vous le savez, l’Essonne est une terre de grands contrastes. Une terre où le Nord urbanisé côtoie un Sud rural. Une terre où des secteurs entiers sont tirés par la dynamique de nos industries et de nos services de pointe alors que des quartiers sont en grave difficulté économique et sociale. Une terre où des établissements de recherche scientifique de niveau international cohabitent avec des établissements scolaires classés en zone d’éducation prioritaire. Et ces oppositions, ces contrastes, se développent souvent sur un même territoire, dans une même ville, parfois, comme ici à Evry. Oui, l’Essonne est diverse, mais au Conseil général nous considérons cette diversité comme une formidable opportunité. L’opportunité de mobiliser les énergies et de se dépasser au service du vivre ensemble. L’opportunité de faire face, collectivement, aux difficultés qui sont devant nous. L’opportunité de construire ensemble une société solidaire, au service du bonheur de tous.

Le bonheur, cette grande idée ancrée dans la philosophie des Lumières ; cette grande idée gravée dans notre Déclaration des Droits de l’Homme qui souvent, trop souvent, est oubliée. Oui, des solidarités et de la réciprocité peut naître le bonheur. C’est sans doute pour cela que nous sommes heureux d’être ensembles. Alors, longue vie au Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs et au Mouvement international pour la réciprocité active. Et, à chacune et chacun d’entre vous, bravo, merci et continuez à agir, à offrir et à partager.

Page 505: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 505

Christiane Coulon : le bâton de la réciprocité L’idée est de créer un bâton de la réciprocité tous ensemble pendant ces rencontres internationales de 2008.

Sur quel thème ? Devinez… Réciprocité !

J’invite donc chacun d’entre vous à écrire sur une bande de tissu (laisser une marge pour le nœud) ce que vous avez envie de dire sur ce thème :

• un mot, une phrase,

• une citation, un petit poème ou des fragments de pensées,

• des questions ou des réponses…,

• un vœu,

• Une idée jaillie pendant nos rencontres,

• Etc.

Laissez vos initiales, datez et signez.

La bande écrite, vous l’attachez au bâton, où vous voulez : faites un nœud double. Les bandes peuvent se superposer. Le bâton doit être bien fourni.

Il est préférable

• d’alterner les couleurs claires et foncées,

• d’écrire en clair sur du foncé.

Vous avez donc à votre disposition, durant ces quatre jours, un matériel que vous veillerez à laisser sur place s’il vous plaît :

• des bandes de couleurs diverses,

• des feutres permanents,

• et des poscas de couleurs et ciseaux cranteurs pour les fignoleurs désireux d’ajouter des décorations,

• des ciseaux. Vous pouvez découper votre bande de la taille que vous voulez une fois attachée au bâton,

• des bâtons (trois manches à balais que nous réunirons).

L’idée est de créer tous ensemble. L’idée des bandelettes m’est venue en me rappelant les vœux accrochés en divers lieux du monde. Ces bandelettes volètent au gré des vents, subissant les intempéries, mais toujours messagères de l’espoir humain. Les bandelettes permettent aussi un espace où chacun d’entre vous peut être lui-même à travers ses écrits, est créatif s’il en prend le temps !

Restait le support : j’ai éliminé plusieurs possibilités (panneaux, canevas, tressage, grillage, etc.) et j’ai gardé le bâton parce qu’il m’a paru symbolique, universel et serait de surcroît un support pratique et transportable ! Les manches à balais (outil universel de surcroît) m’ont paru pratiques pour le transport et nous pourrons les relier par la suite.

L’idée de nouer est aussi intéressante : se relier.

Et l’exposer aux vents des quatre horizons, n’est-ce pas une idée plaisante ?

Un bâton, n’est-il pas universel ? Il symbolise le soutien, la défense, le guide, le pouvoir.

On le retrouve dans beaucoup de sociétés, des primitifs à nos jours, il reste un symbole fort, il porte aussi une idée d’ascension bâton rouge des taoïstes (neuf nœuds)

Page 506: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 506

Dans les sociétés primitives, le bâton court fut le symbole de l’activité et de la personne humaine, figurant dans les cérémonies l’action passée (en rapport avec un ancêtre), l’action présente (adulte actif) et l’action future (associé au nouveau-né) et, par extension, le pouvoir (parfois posthume) : bâton augural des Romains. Le bâton des lauriers des chanteurs d’épopées, celui des Bâtonniers, des diplomates, des maréchaux, des chefs d’orchestre, les crosses et les spectres de toutes les époques et de tous les pays, représentant tous les aspects de l’activité, attribut de la divinité solaire créatrice. La canne de Jizô japonais, (dieu du panthéon bouddhique). Tenir le shaku est en soi une purification pour celui qui le porte. Le shaku serait la représentation du macrocosme et du microcosme.

Au centre du Caducée, le bâton figure comme axe du monde, comme axe de vie, évocation du sushummä tantrique, colonne vertébrale autour de laquelle circulent deux courants opposés (les serpents du caducée) de l’énergie cosmique et sur le plan humain de l’énergie vitale, soutien de l’activité sensorielle, affective et intellectuelle de la psyché.

David Muller remercie tous ceux et celles qui ont contribué à la réussite de ces rencontres et dit un conte.

Le petit tailleur258

C’était dans le temps d’avant le temps, Il y avait un tailleur reconnu dans le monde entier. Un jour, il acheta une étoffe magnifique. Elle brillait de toutes les couleurs du monde. Il a pris le tissu, l’a taillé, l’a coupé, l’a cousu Et il a fait un manteau... Un manteau de toutes les couleurs du monde. Alors on l’a appelé le tailleur au manteau de toutes les couleurs du monde. Il mit le manteau, enleva le manteau... mit le manteau, enleva le manteau... Avec le temps, le manteau s’est usé. Comme notre tailleur n’était pas sans ressources, Il a pris le manteau, l’a taillé, l’a coupé, l’a cousu Et il a fait un gilet... Un gilet de toutes les couleurs du monde. Alors on l’a appelé le tailleur au gilet de toutes les couleurs du monde. Il mit le gilet, enleva le gilet... mit le gilet, enleva le gilet... Avec le temps, le gilet s’est usé. Alors notre tailleur, toujours plein d’imagination, A pris le gilet, l’a taillé, l’a coupé, l’a cousu Et il a fait un chapeau... Un chapeau de toutes les couleurs du monde. Alors on l’a appelé le tailleur au chapeau de toutes les couleurs du monde. Et bonjour Monsieur... et bonjour Madame, et bonjour... et bonjour... Avec le temps, le chapeau s’est usé. Là encore, notre tailleur a repensé son ouvrage. Il a pris le chapeau, l’a taillé, l’a coupé, l’a cousu, Et il a fait un bouton... Un bouton de toutes les couleurs du monde. Alors on l’a appelé le tailleur au bouton de toutes les couleurs du monde.

258 Source : d’après Anne Kovalevsky, Conteuse à Villeurbanne (69).

Page 507: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 507

Il boutonna, déboutonna, boutonna, déboutonna... Avec le temps, le bouton s’est usé. Alors si dans la vie, beaucoup de choses s’usent, Seules les histoires ne s’usent pas. Nous aussi, avec notre imagination, avec notre engagement, Faisons vivre nos échanges, nos solidarités, la réciprocité Et faisons en sorte que, comme les histoires, ils ne s’usent.

EEnnvvooii ffiinnaall par Claire Héber-Suffrin

Impossible de conclure ! Ni d’avoir la prétention de faire une synthèse de toutes ces richesses partagées ! Ni même encore d’énoncer, plus que cela n’est fait dans ces actes, des réponses à nos trois questions : « la réciprocité comme stratégie, chance et/ou résistance ? ».

Tout au plus, nous pouvons inviter !

Inviter les lecteurs à réagir ; à questionner nos questions ; à questionner nos interventions ; à apporter de l’eau à nos moulins ; à compléter nos informations ; à confronter avec leurs théories ; à partager leurs propres expériences avec ceux d’entre nous dont ils se sentent les plus proches, ou les plus lointains…

Inviter les acteurs à utiliser ces données pour leurs propres actions, les renforcer, les analyser, les questionner.

Inviter les chercheurs à chercher les liens avec nous pour enrichir nos théories – et peut-être les leurs – et, qui sait, les remettre en questions, explorer avec nous des champs inexplorés encore.

Inviter les enseignants à considérer, avec audace, tranquillité et acuité, si, dans ces démarches de formation réciproque en réseaux ouverts, de formation à la démocratie, à la citoyenneté, à la parité, à la construction de projets, à la créativité, à la responsabilité, à l’entraide et à une meilleure relation à soi et à autrui, il n’y aurait pas des filons pour continuer à créer, à inventer, à réajuster, à aimer encore davantage leur métier d’enseignants.

Nous inviter, apprenants que nous devons, tous, tenter d’être toujours dans toutes nos relations, nos actions, nos projets, nos responsabilités, nos rôles et nos fonctions, à oser chercher les connaissances, à oser acquérir des savoir-faire, à oser travailler sur nos savoir-être, à oser construire des savoir vivre ensemble, et à ne pas hésiter, pour cela, à compter sur les autres et à accepter que les autres comptent sur chacun d’entre nous.

Inviter les citoyens que nous sommes tous à se servir de ce qui les a interpellés dans ces centaines de pages, pour continuer dans la voie de la transformation sociale articulée toujours avec l’exigence de la transformation personnelle.

Inviter nos amis à continuer à nous apporter leur soutien, leur confiance et leur questionnement critique.

Page 508: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 508

AAnnnneexxeess

1. Des ouvrages des intervenants

• Barras Béatrice, 2008, Chantier ouvert au public, Ardelaine, le Viel Audon, village coopératif, Editions REPAS.

• Barras Béatrice, 2005, Moutons rebelles, Ardelaine, la fibre développement local, Editions REPAS.

• ATD Quart-Monde, Le croisement des pouvoirs - Croiser les savoirs en formation, recherche, action, 2008, Editions de l'Atelier/éditions Quart Monde.

• Authier Michel et Lévy Pierre, 1999, Les arbres de connaissance, Paris, La Découverte.

• Bernatet Catherine, 2005, Oser réussir l'insertion, Paris, Editions de l'Atelier.

• Brun Patrick et Bergier Bertrand, 2003, Emancipation et connaissance - Les histoires de vie en collectivité, Paris, L'Harmattan.

• Chabrun Catherine, François Le Ménahèze, La parole du matin : entretien, « Quoi de Neuf ? », N° 54, Nantes, Editions de l'ICEM.

• Coles Danielle et Goussault Bénédicte, 1998, Le Récit de vie, Lyon, Chronique sociale.

• Defrance Bernard, 2000, Le droit dans l’école, ou les principes du droit appliqués à l’institution scolaire, éd. Labor (Bruxelles).

• Defrance Bernard avec Pascal Vivet, 2000, Violences scolaires, les enfants victimes de violence à l’école, Paris, Syros.

• De Peretti André, 1997, Présence de Carl Rogers, Paris, Erès.

• De Peretti André, 2001, Pertinences en éducation, Paris, ESF.

• De Peretti André, 2005, Encyclopédie de l'évaluation en formation et en éducation, Paris, ESF.

• Eneau Jérôme, 2005, La Part d'autrui dans la formation de soi, Paris, L'Harmattan.

• Francequin Ginette, 2008, Le vêtement de travail, une deuxième peau, Paris, Erès.

• Gardin Laurent, 2006, Les initiatives solidaires. La réciprocité face au marché et à l'Etat, Paris, Erès.

• Garibay Françoise et Séguier Michel (coordination), 2009, Pratiques émancipatrices – Actualités de Paulo Freire, Paris, Syllepse. Avec, comme intervenants aux Rencontres : Henryane de Chaponay, Nicole Desgroppes, Claire Héber-Suffrin.

• Giordan André, (1998), 2002, Apprendre, Paris, Belin

• Giordan André, 2002, Une autre école pour nos enfants, Delagrave

• Giordan André, Héber-Suffrin Claire, Groupe savoirs émergents, 2008, Savoirs émergents – Quels savoirs pour aujourd'hui, Nice, LESEDITIONSOVADIA. Avec, comme intervenants aux rencontres : Djamila Achour, Marie-Judith Allavena, Bernadette

Page 509: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 509

Cheguillaume ? Danielle Coles, Jean-Michel Delga, Michèle Géhan, Rachid Ouffad, Eugénie Thiery, Patrick Viveret, Célina Whitaker.

• Guyard Jacques, 2003, Evry, ville nouvelle, 1960-2003, la troisième banlieue, éditions Espace sud.

• Héber-Suffrin Claire et Gaston Pineau, (coordination), 2000, Réciprocité et réseau en formation, Arcueil, Education Permanente, n°144. Avec, comme intervenants aux rencontres : Jacqueline Culetto, Henryane de Chaponay, Noël Denoyel, Nicole Desgroppes, André Giordan, Daniel Hazard, Marc Héber-Suffrin, Françoise Heinrich, Monique Prin.

• Héber-Suffrin Claire (coordination), 2001, Héber-Suffrin Claire, Partager les savoirs, construire le lien, Chronique sociale, préface de Michel Serres. Avec, comme intervenants aux Rencontres : Jacqueline Culetto, Henryane de Chaponay Nicole Desgroppes, André Giordan, Françoise Heinrich, France Lacaze (Brouttin), André de Peretti, Eugénie Thiery, Céline Tremblay.

• Héber-Suffrin Claire (coordination), 2004, Echanger des savoirs à l’école, Abécédaire pour la réflexion et l’action, Lyon, Chronique sociale, préface de Philippe Meirieu. Avec, comme intervenants aux rencontres : Jacqueline Culetto, Nicole Desgroppes, Françoise Heinrich, Monique Prin.

• Claire Héber-Suffrin (coordination), 2004, Quand l’Université et la Formation réciproque se croisent. Histoires singulières et histoire collective de formation, Paris, L’Harmattan. Avec, comme intervenants aux rencontres : Marie-Thérèse Dugué et Sophie Robin.

• Héber-Suffrin Claire (coordination), 2005, Pratiquer la formation réciproque à l’école. Quand l’échange réciproque de savoirs est au centre du système scolaire, Lyon, Chronique sociale, préface de Jacques Pain. Avec, comme intervenants aux Rencontres : Jacqueline Culetto, Nicole Desgroppes, Françoise Heinrich, Monique Prin.

• Héber-Suffrin Claire et Marc, 2009, Savoirs et réseaux, Nice, Ovadia.

• ICEM, La pédagogie Freinet, des principes, des pratiques, Editions ICEM - N°31.

• Lani-Bayle Martine, 2007, Apprivoiser l'avenir pour et avec les jeunes. Entretiens intergénérationnels avec André de Peretti, M. Lani-Bayle et F. Texier, Mare et Martin.

• Lani-Bayle Martine, 2007, Les secrets de famille. La transmission de génération, Paris, Odile Jacob.

• Las Vergnas Olivier, 2007, Romanesque.2, Paris, Le Passager clandestin.

• Lefèvre Philippe, 2008, Du Je au Nous, Lyon, Chronique sociale.

• Lefèvre Philippe, 2001, Choisir sa vie, vivre ses choix, Lyon, Chronique sociale.

• Meirieu Philippe, 1995, La pédagogie entre le Dire et le Faire, ESF, Paris.

• Meirieu Philippe, 2004, Apprendre... oui, mais comment ?, ESF éditeur, Paris.

• Meirieu Philippe, 2007, Le devoir de résister, Paris, ESF.

• Morineau Jacqueline, 1998, L'Esprit de la médiation, Erès.

Page 510: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 510

• Ott Laurent, 2007, Le travail éducatif en milieu ouvert, Eres.

• Ott Laurent, 2007, Travailler avec les familles, Eres.

• Quart-Monde Université, 1999, Le Croisement des Savoirs : quand le quart Monde et l’université pensent ensemble, Paris : Editions de l’Atelier et Ed. Quart Monde.

• Raichvarg Daniel, 2005, Sciences pour tous, Paris, Gallimard.

• Saltet J et Giordan André, 2006, Apprendre à apprendre, Coach Collège, Play bac.

• Séguier Michel et Cand Daniel, 2000, Accompagner le changement, savoir emprunter les chemins de traverse, Lyon, Chronique sociale.

• Séguier Michel et Dumas Bernard, 2004, Construire des actions collectives – Développer les solidarités, Lyon, Chronique sociale.

• Valls Manuel, 2005, La Laïcité en face, Paris, Desclée de Brouwer.

• Vella Marc, 2009, La caravane amoureuse, Presses de la Renaissance.

• Vella Marc et Bernard Deubelbeiss, 2006, Le funambule du ciel, Presses de la Renaissance.

• Vella Marc, 2004, Le pianiste nomade, Presses de la renaissance.

• Vidricaire André et alii, (115 auteurs), 2005, D-Trois-Pierres, Quand les agirs parlent plus fort que les dires, avec cédérom, Québec, Fides.

• P. Boucher, R. Leblond, N. Douilliez, J. Leonard, E.A. Henry, H. Renaud, L. Balthazar, G. Tremblay, D. Bidal, M. Delisle, R. Truchon, 2002, Histoires de vie au féminin pluriel – Onze québécoises se racontent, Paris, L’Harmattan : ouvrage initié et accompagné par André Vidricaire.

• Viveret Patrick, 2005, Pourquoi ça ne va pas plus mal, Paris, Fayard.

• Viveret Patrick, 2008, Reconsidérer la richesse, L'Aube.

Page 511: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 511

AAcctteess

des rdes rdes rdes renenenenccccontres internationalesontres internationalesontres internationalesontres internationales

TTaabbllee ddeess mmaattiièèrreess

Ces rencontres internationales « En quoi la réciprocité construit-elle des solidarités ? » ont été

portées par trois « mouvements » ...................................................................................................... 12

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) ............................................................................... 12

Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) ......................................... 13

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU) ................... 14

« En quoi la solidarité construit-elle des solidarités ? » pourquoi cette question ? .......................... 14

Jeudi 27 novembre ............................................................................................................17

Histoires de réciprocité .......................................................................................................... 17

Ouvertures .............................................................................................................................. 17

Ouverture par Henryane de Chaponay, présidente du Mouvement international pour une

réciprocité active (en éducation, en formation et dans les pratiques citoyennes) ............................ 17

Ouverture par David Muller, Président du MRERS ............................................................................. 18

Accueil par Christiane Saget, adjointe au Maire d’Evry ...................................................................... 19

Ateliers d’histoires de collectifs autour de la réciprocité....................................................... 20

Histoire d’une recherche-action sur les langues française et kanak par Gilles Reiss, pour l’association

MERE A’ XE-RE ..................................................................................................................................... 24

Production de l’histoire collective de D3 Pierres à Montréal, par André Vidricaire et production

collective de l’histoire du réseau d’Orléans par Marie-Jo Legrand et Agnès Ballas ........................... 31

Compte-rendu, fait par Nicole Desgroppes, des remarques, questionnements et débats. ............... 31

Histoire de Ardelaine, par Béatrice Barras et Histoire de Mains d’œuvres par Fazette Bordage. ..... 34

Histoire des RERS d’Italie et du Mali ................................................................................................... 36

Histoire de la médiation par Jacqueline Morineau ............................................................................. 39

Un atelier d’écriture sur les Histoires de nos associations ou réseaux, animé par Claudine Bourdin et

Marie-Jo Guillin ................................................................................................................................... 41

Table-ronde N° 1, animée par Nicole Desgroppes : Pourquoi la réciprocité ne fait-elle pas du

collectif et du réseau de la même façon partout ? ................................................................ 41

Claire Héber-Suffrin : « Histoire du Mouvement des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs » 41

Olivier Las Vergnas : « Histoire du Réseau international des Cités des métiers » .............................. 48

Laurent Ott : « Espaces éducatifs en friche et inconditionnalité éducative » .................................... 52

Page 512: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 512

André Vidricaire et Marielle Breault (à partir du travail du collectif de Montréal) : « Les pratiques de

réciprocité dans le RRS de Montréal ». ............................................................................................... 54

Anastase Ndekezi : « En quoi la Réciprocité construit-elle des solidarités ? » .................................. 70

Christian Mongin : « Conclusion »....................................................................................................... 75

Vendredi 28 novembre 2008 ..............................................................................................78

Dominante : Réciprocité et construction de la société .......................................................... 78

Réciprocité et citoyenneté, lien social, Vivre ensemble, économie solidaire… .................................. 78

DDéébbuutt ddee jjoouurrnnééee tthhééââttrraall avec «Le temps de dire ouf ! » par Grégory Faive .................................. 81

Table-ronde N° 2, animée par Olivier Las Vergnas : La réciprocité peut-elle agir à grande

échelle ? .................................................................................................................................. 81

Laurent Gardin : « La réciprocité, comportement économique dominant de l’économie solidaire ? »

............................................................................................................................................................. 81

Béatrice Barras : « Apprentissage de la coopération sur le terrain de « l’éducation populaire » ...... 91

Jacques Guyard : « Quelles formes de réciprocité inventer pour changer nos rapports au pouvoir ? »

............................................................................................................................................................. 95

Brigitte Darin : « Formations réciproques et responsabilisations dans l’association Emmaüs » ....... 99

Atelier B 2.1 : Lutte conte les exclusions .............................................................................. 105

France Lacaze et l’équipe des Pyramides à Evry : « Réciprocité et Plan local d’insertion par

l’économique » .................................................................................................................................. 105

Lucienne Chibrac, Maria Sanhueza-Six, Séverine Papon, Hélène Olivarès, Catherine Bernatet : « Il est

possible que les chômeurs et les acteurs de l'insertion, en utilisant le partage de leurs savoirs et la

réciprocité, travaillent ensemble autour de parcours réussis » ....................................................... 107

Atelier B2.2 : Réciprocité, construction de soi et des relations sociales .............................. 109

Tina Stelzlen et quatre membres du RERS de Mulhouse : « La réciprocité comme outil de

découverte de ses potentialités, de construction de son projet de vie et de réappropriation de soi

en transversalité » ............................................................................................................................. 109

Amadou Chirfi Haïdara (RERS de Tombouctou, Mali) : Comment la réciprocité permet de sortir de

l’isolement et de « se faire valoir ». .................................................................................................. 117

Zina Ouaglal : « la réciprocité comme élément de construction des personnes » ........................... 118

Ginette Francequin : « Ecrire un livre peut construire un échange de savoirs » .............................. 127

Jean-Yves Abasq : « comment la réciprocité, en permettant de reprendre confiance en soi, recrée-t-

elle des solidarités » .......................................................................................................................... 133

Atelier B 2.3 : Réciprocité entre les générations .................................................................. 138

Nasséra Benaïssa : « Réciprocité entre le RERS et la maison de retraite » ....................................... 138

Céline Tremblay : « Le réseau, constructeur de liens dans une situation extrême » ....................... 140

Martine Ruchat : « Les échanges réciproques de savoirs : une formation transdisciplinaire,

intergénérationnelle et déterminante de bonne santé pour le « Bien vieillir » ............................... 142

Travaux de l’atelier ............................................................................................................................ 146

Page 513: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 513

Atelier B 2.4 Réciprocité et santé ......................................................................................... 148

Philippe Lefèvre : « Réciprocité et pratiques communautaires de santé » ...................................... 148

Agnès Ballas et Marie-Jo Legrand : « Pratiques de réciprocité et prises en charge communes des

questions de santé dans un quartier d’Orléans » ............................................................................. 151

Christelle Séchet : « Echanges réciproques de savoirs concernant la santé à L’Ecume du jour (Bistrot

associatif et RERS » ........................................................................................................................... 156

Ateliers B 2.5 et B 2.6 Réciprocité, territoires et démocratie .............................................. 157

Jean Roucou : « Vers un pilotage contractuel et décentralisé de l'action éducative ? » .................. 157

Jacques Bohem, Danielle Coles, Frédérique Segonnes et Béatrice Cuny : « La réciprocité comme

démarche pour construire la mise en association » ......................................................................... 160

Louis Louvel : « Comment la nécessité de prendre une assurance a été l’occasion de construire

démocratiquement des règles de fonctionnement claires pour tous ? » ......................................... 164

Patrick Brun : « Réciprocité et croisement des savoirs dans les relations entre population pauvre et

services publics » ............................................................................................................................... 166

Patrick Lalanne : « Réciprocité... résistances... recherche de sens... débat démocratique » ............ 172

Bernard Defrance (voir table-ronde N° 3) et Jacques Guyard (voir table-ronde n° 2) ont également

participé à cet atelier. ....................................................................................................................... 176

Atelier B 2. 7 et 13 : Savoirs traditionnels, créations collectives et actions citoyennes ...... 177

Equipe du réseau de Saint-Jean de la Ruelle : « création collective d’un calendrier perpétuel » .... 177

Eugénie Thiery, Françoise Braquemart, Aline Souval : « L’aventure des Puces des couturières de

Chelles ou comment redynamiser un réseau d’échanges de savoirs » ............................................ 183

Joséphine Ouedraogo : « Echanges réciproques de savoirs au Burkina Faso » ................................ 185

Hélène Jospé : « Comment s’appuyer sur des savoirs traditionnels et des créations collectives et

citoyennes. L’expérience à Temacine en Algérie » ........................................................................... 187

Marie-Odile Dias, Esther Cermek, Marie-Lou Dicks, Gisèle Brun et Maryannick Terrier : « Agir

ensemble pour mieux vivre sa ville en construisant un projet » ...................................................... 188

Christiane Coulon : « Etapes et questionnement éventuels pour des créations collectives » ......... 191

Christiane Coulon : « Créer collectivement un objet d’art qui ait du sens pour le collectif : exemple,

la création d’une Cape de conteuse » ............................................................................................... 192

Ana Dubeux : « Pépinières d’entreprises, partage des savoirs et coopérative de collecteurs de

déchets urbains. Le rôle de l’université » ......................................................................................... 196

Anaya Nadifi, Safi, Maroc : « Le top de la cuisine du monde » ......................................................... 208

Atelier B 2.8 : Citoyenneté et enjeux scientifiques .............................................................. 211

Gérard Gautier : « Le MILSET, une organisation internationale de jeunesse pour les activités

scientifiques » ................................................................................................................................... 211

Hervé Prévost : « Association du passage des soupirs, présentation des jardins partagés » ........... 214

Atelier B 2.9 : Réciprocité et interculturalité........................................................................ 216

Page 514: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 514

Bernadette Cheguillaume : « Caravane : liens entre associations de femmes d’Algérie, du Maroc, de

Tunisie, de France pour promouvoir les droits des femmes » .......................................................... 216

Didier Bodin : « Réciprocité et confiance – une stratégie pour l'interculturalité » .......................... 222

Laetitia Gougis : « Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs et reliance » ................................. 223

Mariano Capitanio : « S’ouvrir à l’autre par des réseaux écosolidaires » ......................................... 228

Atelier B 2.10 : Réciprocité et médiation ............................................................................. 231

Annie Herr : « Des mises en relations collectives dans le RERS de Compiègne » ............................. 231

Claudine Lepsâtre et Jean-Yves Lods : « Les mises en relations collectives dans le RERS d’Orly »... 235

Atelier B 2. 11 : Réciprocité et émancipation ....................................................................... 238

Henryane de Chaponay, Françoise Garibay et Michel Séguier : « Un ouvrage collectif sur les

pratiques émancipatrices interpellées par les travaux de Paulo Freire » ......................................... 238

Atelier B 2. 12 : Travail éducatif en milieu ouvert et pédagogie sociale .............................. 241

Laurent Ott : « 7 clefs méthodologiques pour une pédagogie sociale » .......................................... 241

Abdoulaye Konté : « Echanges réciproques de savoirs avec des mères célibataires, des enfants de la

rue et des exclus du système scolaire » ............................................................................................ 251

Table-Ronde N° 3, animée par Patrick Brun : « A quelles fractures la réciprocité peut-elle

s’attaquer ? » ........................................................................................................................ 252

André Vidricaire : « Émancipation, productions et échanges de savoirs » ....................................... 252

Martine Lani-Bayle : « Vers une transmission intergénérationnelle réciproque » ........................... 254

Bernard Defrance : « Pour réduire la fracture scolaire » .................................................................. 262

Patrick Viveret : « Du bon usage de la fin d’UN monde » ................................................................. 270

Bernadette Thomas a alors animé une présentation d’ouvrages récemment parus ou à

paraître : ............................................................................................................................... 273

Le « pianiste itinérant » Marc Vella .................................................................................................. 273

Après le repas, soirée piano avec Marc Vella ................................................................................... 273

Conclusion ............................................................................................................................ 274

Samedi 29 novembre ....................................................................................................... 276

Réciprocité – Savoirs – Apprendre ....................................................................................... 276

Introduction par Marc Héber-Suffrin ................................................................................................ 276

Deuxième introduction par Patrick Brun .......................................................................................... 280

Les chansons populaires de sciences à travers les âges : Spectacle chanté des « Bateleurs de la

science » ............................................................................................................................................ 286

Daniel Raichvarg : « La circulation des savoirs scientifiques : chansons de science et valeurs de

réciprocité » ...................................................................................................................................... 289

Table-ronde N° 4 animée par Claire Héber-Suffrin : La réciprocité peut-elle changer le rôle

social du savoir ? ................................................................................................................... 294

Page 515: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 515

André Giordan : « Comment la réciprocité peut-elle aider à faire circuler et construire les savoirs

d’aujourd'hui ? » ............................................................................................................................... 294

Maryannick Van Den Abeele : « La réciprocité peut-elle changer le rôle social du savoir ? Quid à La

Poste ? » ............................................................................................................................................ 301

Catherine Chabrun : « Les pratiques de coopération à l’école et la réciprocité » ............................ 305

Graciela Reyna Quijano : « Pour le droit de lire » ............................................................................. 313

Atelier C 2. 1 : La formation réciproque dans les collectivités ............................................. 320

Patrick Delmas : « Ruralnet, une expérience pour partager les savoirs sur un territoire, en

s’appuyant sur les technologies de l’information et de la communication » ................................... 320

Daniel Hazard a présenté les expériences vécues dans cet institut, en particulier de formations

réciproques entre salariés municipaux de la ville de Saintes : ......................................................... 324

« Formation Coopérative en Saintonge - Formation aux métiers du Lien Social » ........................... 324

Atelier C 2. 2 : Réciprocité dans la production de savoirs .................................................... 328

Hervé Lefeuvre : « Croisement des savoirs » .................................................................................... 328

Christelle Cambier : « Pourquoi j’accepte de faire des co-formations ? » ....................................... 329

Eliane Danalet : « Des Réseaux d'Echanges Réciproques de Savoirs comme action de formation dans

une école d’infirmières » .................................................................................................................. 331

Sophie Robin : « La réciprocité dans la production de mémoires de recherche en trois ans à

l’université de Tours et dans la réalisation d’un ouvrage collectif relatant ces trois années de

formation »........................................................................................................................................ 354

Noël Denoyel : « Réciprocité interlocutive et accompagnement dialogique » ................................ 355

Atelier C 2. 3 : Construction de savoirs émergents, animé par André Giordan et Rachid

Ouffad ................................................................................................................................... 363

Atelier C 2. 4 : Grâce à la réciprocité, qu’est-ce qu’on apprend ? ....................................... 364

Amadou Demba Diallo : « Comment, en formant d’autres collègues enseignants aux techniques

d’animation des RERS, j’ai découvert mes compétences de formateur ! » ...................................... 364

Jérôme Eneau : « Les apports de la réciprocité au développement de l’autonomie de l’apprenant »

........................................................................................................................................................... 366

Claudine Lepsâtre : « Plus on est relié par des réciprocités multiples, plus on construit son

autonomie » ...................................................................................................................................... 389

Isabelle Dupin : « Réciprocité et autonomie dans la relation éducative » ....................................... 391

Atelier C 2. 5 : Echanges de savoirs professionnels .............................................................. 392

Marielle Breault : « la démarche de codéveloppement professionnel ».......................................... 392

Bernadette Thomas : « La circulation des savoirs professionnels dans le réseau des Cités des

métiers » ........................................................................................................................................... 395

Catherine Bernatet : « Echanges de savoirs professionnels dans la Cité des métiers de Limoges » 396

Atelier C 2. 6 : Réciprocité, prise de parole et langage ........................................................ 396

Page 516: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 516

Christine Burgevin et Francine Tétu, avec des élèves, des parents d’lèves de Troyes et des habitants

de Montereau ................................................................................................................................... 396

Christine Burgevin : Echanges philo entre un groupe d’enfants et un groupe d’adultes ................. 396

Hubert Couzinet montre comment recueillir facilement un témoignage d’expérience,

d’apprentissage ou un projet d’échange, dans un réseau, par un enregistrement sonore ou vidéo.

........................................................................................................................................................... 411

Atelier C 2.7 : Quels savoirs pour aujourd’hui ...................................................................... 411

Le groupe savoirs émergents ............................................................................................................ 411

Monique Potiron et des membres du RERS de Gradignan : « Faire circuler dans les Réseaux les

savoirs nécessaires pour participer au débat démocratique ! » ....................................................... 414

Atelier C 2. 8 : La réciprocité à l’école et en périscolaire ..................................................... 418

Jeanine Parisot, Monique Prin et Annie Lambert : « une expérience d’échanges réciproques de

savoirs en périscolaire à Evry à l’école des Coquibus à Evry au cours de l’année scolaire 2007-2008 »

........................................................................................................................................................... 418

Honorine Ouedraogo : « Echanges réciproques de savoirs dans ma classe primaire » ................... 420

Clarisse Kyelem : « Des échanges de savoirs dans ma classe, à Bobo Dioulasso » ........................... 425

Atelier C 2. 9 : . « Quelle réciprocité entre nos

collectifs ? » .......................................................................................................................... 426

Abdoulaye Konté : « Echanges de savoirs entre collégiens de Granville (France) et de Bambey

(Sénégal) » ......................................................................................................................................... 426

Alain Ouedraogo : « La Vie de l’Inter-Réseaux du Burkina Faso » Définition du MRERS-BF : La Vie de

l’Inter-Réseaux du Burkina Faso ........................................................................................................ 428

Georges Badolo : « La réciprocité entre nos collectifs » ................................................................... 435

Didier Chrétien : « le projet Colportage » ......................................................................................... 438

Atelier C 2. 10 : Marie-Paule Bétaille « Jouons sur les mots » ............................................ 439

Atelier C 2. 11 : Marie-Hélène Pourrut « Partage d’expérience sur la réciprocité » ........... 440

Atelier C 2. 12 : pourquoi et comment la réciprocité permet-elle d’apprendre ? ............... 445

Françoise Heinrich et Jacqueline Culetto : « Une vraie démarche d’apprentissage, efficace pour

l’école ! » ........................................................................................................................................... 445

Ruth Bourchier : « L’échange des savoirs linguistiques entre professeurs de français » ................ 449

Sidy Seck : « Echanges de savoirs, environnement et flexibilité » .................................................... 452

Ateliers du samedi après-midi .......................................................................................... 459

Atelier « Réciprocité et validation des acquis non formels, Projet LabObs » ...................... 459

Rita Bencivenga : « présentation du projet LabObs » ....................................................................... 459

Bernadette Thomas : « La problématique de la validation des apprentissages non formels dans les

clubs thématiques de la Cité des métiers » ...................................................................................... 461

Kremena et Mariana Manukian : « Notre inscription dans les projets SCATE et LabObs » .............. 462

Page 517: construit-elle des solidarités

Le Mouvement pour la réciprocité active (MIRA) Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) désormais FORESCO

Le groupe Formations réciproques et solidaires entre collectifs européens (FRESC-EU)

MIRA–MRERS–FRESC.EU Actes des rAc tes des rAc tes des rAc tes des r enenenencccc ontr eontr eontr eontr e s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es s int ernat i ona l es 517

« Atelier philo », animé par Christine Burgevin et Francine Tétu ..................................................... 464

Atelier de mise en situation de codéveloppement, animé par Marielle Breault .............................. 469

Un atelier d’écriture sur la réciprocité, animé par Claudine Bourdin et Marie-Jo Guillain .............. 469

Atelier Cacophonie, Polyphonie, Harmonie, animé par Michel Aristide .......................................... 469

Atelier sur les mots, animé par Philippe Piau, Henryane de Chaponay et Nadine Outin ................. 470

Atelier sur les émotions, les sentiments et les miroirs, animé par Daniela Schwendener ............... 471

Atelier Ciel, Miroir des cultures, animé par Olivier Las Vergnas ....................................................... 471

Atelier Biodanza, animé par Isabelle Jacob ....................................................................................... 471

Atelier automédiatisation animé par Pierre-Yves Pérez et Josiane Teissier ..................................... 472

Plénière du samedi soir .................................................................................................... 472

Manuel Valls : « Point de vue sur les Rencontres » .......................................................................... 472

Philippe Meirieu : « La réciprocité et l’émergence du sujet solidaire »............................................ 475

Conclusion de la journée ................................................................................................................... 485

Dimanche 30 novembre ................................................................................................... 486

Réciprocité et solidarité ? Comment agir ? .......................................................................... 486

Introduction ...................................................................................................................................... 486

Débat en séance plénière après travaux de groupes : ......................................................... 487

Réciprocité/solidarité – Comment agir ? Comment continuer l’action ? ......................................... 487

Célina Whitaker présente rapidement le projet SOL ........................................................................ 490

Table-ronde n° 5, animée par Rita Bencivenga : . Comment continuer l’action ? .... 490

Sidy Seck : « Echanges réciproques de savoirs, en réseaux ouverts : interface pour une politique

culturelle transversale » .................................................................................................................... 490

Marc Héber-Suffrin : « Réciprocité, institutions et solidarité » ........................................................ 494

Christine Vander Borght : « Les connaissances et savoir-faire que nos collectifs pourraient partager

pour développer davantage de solidarités » .................................................................................... 497

André de Peretti : « En quoi la réciprocité est-elle force d’avenir ? » .............................................. 500

Michel Berson : « Solidarité sur un territoire et savoirs partagés » ................................................. 503

Christiane Coulon : le bâton de la réciprocité ................................................................................... 505

David Muller remercie tous ceux et celles qui ont contribué à la réussite de ces rencontres et dit un

conte. ................................................................................................................................................ 506

Envoi final par Claire Héber-Suffrin .................................................................................... 507

Annexes ................................................................................................................................ 508

Actes ..................................................................................................................................... 511