article De la vague à la tombe, La conquête néolithique de la Méditerranée

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  • 8/15/2019 article De la vague à la tombe, La conquête néolithique de la Méditerranée

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    Xavier Gutherz

    Guilaine J. (2003) - De la vague à la tombe, La conquête

    néolithique de la Méditerranée (8000-2000 avant J.-C.)In: Bulletin de la Société préhistorique française. 2003, tome 100, N. 4. pp. 818-822.

    Citer ce document / Cite this document :

    Gutherz Xavier. Guilaine J. (2003) - De la vague à la tombe, La conquête néolithique de la Méditerranée (8000-2000 avant J.-C.). In: Bulletin de la Société préhistorique française. 2003, tome 100, N. 4. pp. 818-822.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_2003_num_100_4_12923

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_bspf_2640http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_2003_num_100_4_12923http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_2003_num_100_4_12923http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_bspf_2640

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    818

    Comptes

    rendus

    L'ouvrage,

    malgré quelques

    défauts mineurs (le petit

    format rend certaines cartes

    peu visibles,

    la

    hiérarchie

    des paragraphes varie

    selon

    les textes), s'avère d'une

    lecture stimulante par la variété et la richesse d'in

    formation et de réflexion offerts pour la

    Préhistoire

    récente.

    Les

    auteurs s'efforcent

    à la

    clarté, en

    parti

    culier par

    l'illustration,

    et

    les

    renvois bibliographiques

    les

    plus

    souvent

    abondants permettent d'approfondir

    chaque

    sujet. Bien

    que les thèmes abordés,

    forcément

    limités en

    nombre, offrent

    un large spectre, on regret

    teraue la

    métallurgie

    du cuivre et du bronze n'ait

    pas été traitée, en complément des

    parures de

    l'Âge

    du

    Bronze. Du

    point de vue

    méthodologique, les cas

    présentés illustrent clairement que

    seules

    des études

    menées à

    une

    grande échelle géographique et

    chro

    nologique

    sont à

    même

    de

    mettre

    en

    évidence des

    phénomènes

    sociaux

    de grande ampleur que sont

    les

    mouvements de biens, de techniques, d'idées. Sur le

    fond,

    plusieurs

    cas

    démontrent

    l'importance

    des

    tran

    sformations qui affectent les systèmes de

    production,

    de diffusion et d'usage des matériaux et des biens au

    cours

    du temps, et

    les probables conséquences

    qui

    en

    découlent dans l'organisation sociale.

    Ainsi

    aiguillé

    vers

    une

    vision dynamique

    des sociétés

    anciennes,

    le lecteur cherchera à

    en apprendre

    davantage, et tel

    est le but

    d'un bon

    ouvrage de recherche en

    sciences

    humaines.

    Éric

    THIRAULT

    Membre

    associé

    UMR 5594 du

    CNRS,

    Centre

    d'Archéologie préhistorique, 4, place des

    Ormeaux,

    26000 Valence. Mél :

    [email protected]

    GUILAINE J . (2003) - De la

    vague

    à la tombe, La

    conquête

    néolithique de

    la

    Méditerranée

    (8000-2000

    avant

    J.-C),

    Le Seuil,

    375 p., ISBN :

    2-02055-388-0,

    23

    €.

    Le dernier ouvrage paru de

    Jean Guilaine

    porte un

    titre qui peut surprendre a priori mais qui

    s'éclaire

    dès

    les premières pages,

    celles

    de Г avant-propos, car elles

    révèlent d'emblée

    les

    intentions de l'auteur : démont

    rer

    u

    plus simplement

    suggérer

    à

    travers un

    choix

    judicieux de textes

    qui

    constituent autant de

    courtes

    mais

    denses

    synthèses

    thématiques

    que

    l'histoire

    des

    civilisations méditerranéennes

    ne

    commence

    pas

    à

    Sumer ,

    c'est-à-dire

    avec

    l'usage

    de l'écriture

    comme

    on

    l'entend

    encore trop

    souvent,

    mais qu'elle s'enra

    cinerofondément dans le monde du

    Néolithique.

    Ce

    n'est pas la première fois que J.

    Guilaine avance

    un

    certain

    nombre d'arguments forts

    pour asseoir

    cette

    démonstration, fruit

    d'une

    profonde conviction

    qu'il

    porte depuis

    de

    nombreuses années.

    L'une

    des phrases

    de

    l'épilogue,

    après que chaque

    chapitre

    de l'ouvrage

    a apporté sa pierre à la démonstration de

    cette

    thèse

    n'est

    elle

    pas à

    propos

    de

    la

    construction

    des

    identi

    tés

    ulturelles insulaires Les

    peuples sont déjà

    en

    élaboration

    dans la

    longue

    durée néolithique .

    Ces

    propos aux accents

    braudéliens

    pourraient à eux

    seuls

    résumer le sens de l'ouvrage qui prolonge et appro

    fondit

    la

    réflexion

    historique déjà à l'œuvre

    dans

    La

    mer partagée.

    Celui-ci a été composé en réunissant une quinzaine de

    textes qui sont ceux de

    communications

    ou conférences

    inaugurales

    prononcées à

    diverses

    occasions

    ou

    encore

    de contributions à des ouvrages

    collectifs

    publiés à

    l'étranger et du

    remodelage

    de

    quelques articles publiés

    dans

    des revues

    françaises de vulgarisation

    scientifique.

    La plupart de ces textes,

    souvent

    peu connus en France,

    ont subi quelques

    modifications

    soit pour

    y

    intégrer

    des données

    acquises

    après coup, soit

    pour mieux

    les

    adapter à l'esprit et à la logique de l'ouvrage.

    Malgré

    la

    difficulté de l'exercice editorial, il faut

    bien admettre,

    d'une façon générale,

    qu'à

    de rares exceptions près

    (les

    hypogées d'Arles, les tombes prémégalithiques),

    les

    passages

    redondants

    sont évités.

    La

    vague

    c'est

    donc le processus

    de transmission

    vers

    l'Occident

    de

    l'économie

    de

    production,

    mais

    lamétaphore n'est peut-être pas la mieux choisie. En

    effet, à travers

    les

    5

    premiers

    chapitres

    réunis dans

    une première partie intitulée La

    vague

    : éclosions,

    diffusions, perspectives,

    Jean

    Guilaine,

    s' appuyant

    sur les travaux les plus récents, propose

    une

    vision

    très nuancée de la révolution néolithique . Il

    ne

    re

    vient pas tant

    sur

    le

    fond

    car ce

    qu'elle

    a

    apporté

    fut

    tellement décisif pour l'histoire des

    sociétés

    humaines

    qu'on ne saurait en réduire l'impact, mais met da

    vantage l'accent sur

    les

    rythmes de

    diffusion, les

    sistances

    les décalages techno-économiques, mais

    aussi les recompositions , un concept sur

    lequel

    nous

    reviendrons plus

    loin. Entre la vague déferlante qui fait

    le

    vide

    et

    refonde

    tout

    sur

    son

    passage

    selon

    une

    vi

    sion

    traditionnelle

    issue

    du

    puissant courant de pensée

    diffusionniste voire néodiffusionniste et

    une

    réalité

    beaucoup

    plus

    complexe

    que nous

    laisse

    entrevoir

    aujourd'hui les progrès récents des connaissances,

    il

    y

    a presque un abîme.

    Par

    petites

    touches

    ou par

    grandes envolées,

    avec force exemples puisés dans le

    grand

    champ fertile d'informations qu'il est le

    seul

    aujourd'hui dans la

    recherche

    européenne à si

    bien

    maîtriser, Guilaine nous entraîne du berceau proche-

    oriental aux grandes îles de la Méditerranée, ces l

     bor toires

    de culture selon l'une de ses expressions

    favorites,

    puis vers

    les

    péninsules Italienne et

    Ibérique

    et

    enfin

    dans

    la France

    du

    Sud

    et

    sa

    périphérie.

    Le premier

    chapitre

    de cette première partie

    est

    consa

    cré

    une révision

    en

    profondeur du concept de

    révo

    lution néolithique.

    Guilaine revient sur

    des notions

    déjà exprimées

    par

    ailleurs

    mais

    peut-être jamais con

    centrées et articulées dans un seul texte

    comme

    c'est

    le

    cas

    ici : rappel du rôle des derniers

    chasseurs-col

    lecteurs

    ans

    le

    processus

    de

    néolithisation.

    Ce sont

    eux qui ont inventé la

    vie

    sédentaire,

    pas les

    paysans

    qu'ils sont ensuite

    devenus.

    Comment

    le

    monde

    est-il devenu en

    divers endroits et

    de façon indépendante un monde agropastoral? C'est

    l'objet

    d'un

    survol des

    principales

    théories de la néo

    lithisation

    théories

    matérialistes,

    accordant

    un

    rôle

    moteur

    au

    progrès économique,

    ou culturelles insis

    tant

    plutôt sur le facteur social et idéologique : depuis

    Childe

    et sa thèse

    climatique ,

    la

    théorie

    des oasis,

    Bulletin

    de

    la

    Société

    préhistorique

    française

    2003, tome

    100,

    4,

    p. 811-829

  • 8/15/2019 article De la vague à la tombe, La conquête néolithique de la Méditerranée

    3/6

    Comptes

    rendus 819

    aujourd'hui abandonnée,

    en

    passant par

    Braidwood

    et

    la théorie nucléaire

    , Binford

    et la théorie des zones

    marginales

    enfin Cauvin

    qui

    n'est pas cité

    mais

    dont

    les hypothèses psychiques

    sont

    évoquées.

    Le chapitre

    s'interroge

    aussi sur

    les

    centres primaires

    de

    néolithisation

    :

    où se

    situent-ils,

    qu'est-ce

    qui

    fut

    domestiqué

    dans

    chacun

    d'entre eux

    et

    quand?

    Gui-

    laine fait ici un bref mais utile point des connaissances

    et

    des incertitudes actuelles.

    S 'agissant

    du

    réexamen des hypothèses

    sur une

    agri

    culture extensive et itinérante dans le système rabane

    ou

    a contrario une

    agriculture plus stable avec p

    rmanence des établissements, J.

    Guilaine

    expose mais

    ne

    tranche pas. Sur la

    question

    de la genèse des

    pouv

    oirs, l'auteur prend

    nettement parti

    pour

    une

    précoc

    ité

    'apparition des dénivellements sociaux, peut-

    être même dans les dernières sociétés préagricoles

    d'Orient

    ou d'Occident, idée qui

    fait

    aujourd'hui son

    chemin, même si elle ne

    plaît

    pas à tous, en particulier

    aux gardiens

    du

    dogme

    de

    l'égalitarisme

    néolithique.

    Rompant avec sa traditionnelle prudence, voire avec

    sa

    réticence à s'adonner à la spéculation, J. Gui-

    laine suggère une cause

    possible

    au développement

    du

    processus de

    néolithisation,

    celle

    d'une

    sorte d'en

    grenage

    de

    l'accélération

    du

    pouvoir favorisé par

    la

    sédentarisation qui

    oblige à la mise en place

    d'un

    communautarisme et à la gestion de réseaux de rela

    tions

    intra-

    et intercommunautaires.

    Le

    chapitre

    consacré à la

    néolithisation de

    Chypre

    s'appuie

    sur

    l'apport des fouilles

    de

    Shillourokambos

    que J.

    Guilaine

    et son équipe ont

    entreprises

    en

    1994.

    Ce

    qu'a

    apporté cette

    fouille

    par

    rapport

    au modèle

    Khirokitia ,

    le seul

    bien

    documenté

    jusqu'alors,

    c'est

    d'abord

    la preuve de l'introduction sur l'île

    d'un Néol

    ithique

    de type

    PPNB ancien vers

    8500 av. J.-C. L'oc

    cupation du village

    se poursuit

    ensuite sur près de

    1200 ans.

    Des

    animaux domesticables ont été

    in

    troduits

    sur l'île par transport maritime (il n'y a

    pas

    d'autre

    possibilité) mais pour

    le bœuf

    et

    les caprins

    à un stade d'évolution morphologique où ils ne pos

    sèdent pas encore les critères d'espèces totalement

    domestiques, alors que

    paradoxalement

    le porc a

    déjà

    subi

    de notables

    transformations.

    En outre, ces

    colons

    ont

    introduit

    un

    animal

    sauvage, le daim.

    Les

    céréales

    apparaissent dès le

    début de la séquence.

    L'exemple

    de

    Shillourokambos

    vient

    illustrer

    un

    cas

    de

    figure

    typiquement

    insulaire : conquête

    par

    des gens venus

    du

    continent avec leur mode de

    vie,

    puis assez rapidement

    construction d'une culture propre qui

    se démarque

    de

    celle des origines.

    Pour avancer encore

    avec l'auteur dans la

    compréhens

    ion

    e la diffusion du Néolithique, arrêtons-nous un

    instant

    au chapitre suivant.

    C'est un des chapitres clés

    de l'ouvrage. J. Guilaine

    y

    expose sa

    propre

    hypothèse

    sur la diffusion de l'agriculture

    en

    Europe, hypothèse

    qu'il qualifie

    d'arythmique .

    On part

    donc

    de la théo

    rie e la vague d'avancée d'Ammerman et Cavalli-

    Sforza

    qui calculèrent sur la base de datations

    absolues

    non

    calibrées une

    progression

    du

    front

    pionnier

    de

    1

    km par an soit

    une

    durée

    de

    4 000

    ans pour

    atteindre

    l'Occident depuis le

    point

    de départ proche-oriental.

    Guilaine

    ne

    reprend

    pas

    la totalité de la théorie pour

    la discuter. Il laisse de côté

    les

    aspects

    génétiques, les

    plus

    contestables,

    ou

    encore la question

    de

    la

    propa

    gation

    des langues indo-européennes un temps mise

    en

    avant par Renfrew. En

    revanche, d'un

    point de vue

    strictement

    archéologique, il rappelle la grande varia

    bilité

    des

    expressions culturelles

    du premier

    Néoli

    thique qui s'explique en grande partie

    selon

    lui par

    l'adaptation à des

    environnements

    différents

    les

    uns

    des autres

    (un

    point de

    vue qui

    personnellement me

    séduit mais

    qui

    en irritera d'autres). Ces adaptations

    ont entraîné

    des

    recompositions plus ou

    moins

    lentes qui ont perturbé

    le rythme

    de

    progression

    de

    l'agropastoralisme. Avec des datations désormais ca

    librées

    et de plus

    en

    plus nombreuses,

    on

    peut arriver

    à cerner

    en

    partie

    les

    rythmes

    en

    question. En partie

    seulement, car

    comme on le

    sait

    rien n'est encore

    bien

    fixé pour les pôles anciens des premiers complexes

    néolithiques

    de l'Europe.

    Cependant,

    avec toutes

    les

    marges

    d'incertitude qui

    persistent, Guilaine identifie

    des

    pauses

    et

    des

    accélérations

    dans

    la

    diffusion.

    Au

    cours des pauses

    se

    sont produites des mutations cultu

    relles,

    des recompositions. Une carte

    (p. 107)

    permet

    de

    visualiser

    ce

    modèle.

    Le

    bloc initial

    PPNB com

    mence à muter

    en

    Anatolie après 7800. De

    là,

    s'opère

    la construction du Néolithique égéo-balkanique qui

    sera lente

    à venir

    (entre

    1

    500 et 2 000 ans depuis

    le

    point de départ proche-oriental). Une

    seconde pause

    se

    dessine

    en

    Grèce occidentale d'où sera issu le comp

    lexe à

    céramique

    imprimée adriatique

    peu

    avant

    6000.

    Plus au nord,

    le

    complexe

    Starcevo

    donnera naissance

    au courant rabane entre 6000 et

    5500.

    A contrario, les rythmes

    de

    diffusion/recomposition

    des

    rives de

    la

    Méditerranée

    jusqu'aux

    rivages

    portu

    gais eront plus rapides. Il n'y a que 700 ans d'écart

    environ entre le Néolithique à

    céramique

    imprimée

    adriatique

    et

    le

    plus

    ancien

    Néolithique portugais.

    En

    revanche, la diffusion à l'intérieur des terres fut plus

    laborieuse (Épicardial

    de l'Espagne centrale,

    Péri-

    et

    Épicardial

    au-delà de

    la

    sphère

    méditerranéenne

    en

    France).

    Pour le courant continental, le

    processus

    d'arythmie

    est

    sensible, selon Guilaine, à l'interface

    Balkans/Europe centrale. En effet, pour s'adapter au

    contexte environnemental de l'Europe tempérée, le

    système

    néolithique

    méditerranéen a dû

    se

    recompos

      rt

    le démarrage

    du

    courant rabane

    qui

    lui repren

    dra

    n rythme

    rapide

    de

    progression

    ne

    date

    que

    de

    5700/5500.

    Dans

    le chapitre

    suivant

    qui reprend le texte d'une

    conférence

    prononcée

    lors

    d'un

    colloque

    à la mémoire

    de Bernabo Brea, le fouilleur de la grotte des Arène

    Candide, J.

    Guilaine

    nous propose une vision rétros

    pective

    sur la construction de la stratigraphie

    générale

    du

    Néolithique

    méditerranéen,

    l'époque des chronolog

    i sourtes et les impasses auxquelles elle

    conduisait.

    Mais en

    fait, la

    deuxième partie

    de

    cette

    conférence

    ne

    fait que prolonger le propos

    du chapitre

    précédent en

    explicitant ce

    processus

    de recomposition des fon

    damentaux , comme

    on

    dit aujourd'hui, dans

    l'aire

    de

    diffusion

    du

    Néolithique

    méditerranéen.

    On

    en

    retiendra

    principalement

    deux

    points

    forts :

    d'abord

    le tableau des corrélations chronoculturelles proposé

    p. 124-125 du Levant-sud au Portugal pour son côté

    Bulletin de

    la

    Société préhistoriquefrançaise 2003,

    tome

    100, n° 4, p. 811-829

  • 8/15/2019 article De la vague à la tombe, La conquête néolithique de la Méditerranée

    4/6

    820 Comptes rendus

    synthétique

    et pour sa

    facilité de lecture, les cultures

    archéologiques

    étant regroupées ici, à la façon de

    Brea,

    en

    systèmes producteurs sur

    des critères

    cér

    amiques (techniques

    décoratives) ; ensuite, la

    notion

    de

    dérive.

    J.

    Guilaine

    écrit (p. 131) le

    Néolithique

    est

    une dérive ,

    ce

    qui

    veut

    dire

    que

    depuis

    le

    berceau

    proche-oriental jusqu'à

    l'Occident,

    les divergences

    im

    portan tes que l'on peut constater tant dans

    les

    cultures

    matérielles que dans les formes de l'habitat ou les

    productions symboliques, voire dans

    les modes

    de

    production

    (ce

    qui

    est

    plus difficile pour

    le moment

    à démontrer), montrent que les systèmes de valeur

    ont

    changé, se

    sont

    recomposés

    à

    plusieurs

    reprises

    d'où ressort d'un regard

    d'ensemble

    sur le premier

    Néolithique cet

    effet

    de mosaïque aux couleurs chan

    geantes qui était

    déjà inscrit en

    toile du fond dans

    La

    mer partagée.

    Dans

    le

    chapitre

    suivant,

    premiers paysans de

    la Médi

    terranée

    occidentale,

    il

    s'agit

    de

    revenir

    sur

    la genèse

    du

    Néolithique

    en

    Méditerranée

    de

    l'Ouest

    en

    faisant

    le

    point sur

    ce que

    l'on sait aujourd'hui du

    poids des

    substrats

    mésolithiques

    - un débat d'actualité - et la

    nature des liens avec le

    relais

    le plus

    proche

    de la

    néo-

    lithisation, l'Italie

    péninsulaire.

    S 'agissant du premier

    point, ce n'est pas

    une nouveauté

    que de

    constater

    qu'il

    n'y a nulle part de filiation avérée entre

    les

    systèmes

    techniques lithiques

    des Mésolithiques sud-occidentaux

    et

    du

    Cardial que ce

    soit

    sur

    le

    continent comme sur

    les îles. Mais à vrai

    dire,

    on souffre ici de

    telles

    lacunes

    documentaires

    qu'il est encore

    trop

    tôt

    pour proposer

    un

    ou

    des

    modèles.

    En outre, ce texte nous

    rappelle

    la

    complexité

    des genèses

    locales,

    souvent multiformes.

    L'origine

    même

    du

    complexe

    cardial

    franco-canta-

    brique est

    loin d'être

    comprise. Ainsi l'exemple

    du

    Sud de la

    France

    avec ses trois pôles que les insuff

    isances

    de la chronologie absolue ne permettent

    pas

    encore

    de

    caler

    avec

    certitude

    dans le temps :

    pôle

    d'origine italique

    (sites de

    Portiragnes) dont

    on ne

    perçoit

    ni le

    rôle

    ni le

    devenir,

    pôle

    cardial,

    pôle

    péri

    phérique

    au cardial,

    celui des populations

    de chasseurs-

    cueilleurs de l'intérieur,

    néolithisées

    par acculturation

    (céramiques péricardiales).

    Viennent

    ensuite deux

    chapitres

    qui

    auraient

    pu, du

    moins pour le

    second,

    être

    placés

    dans la deuxième

    partie de l'ouvrage.

    Dans

    ces chapitres en effet, J. Gui-

    laine embrasse

    pour

    la

    première

    fois

    dans cet

    ouvrage

    la totalité des temps

    néolithiques

    et

    aborde

    une ques

    tion qui servira

    de

    trame

    à la

    seconde

    partie

    du

    livre :

    celle

    des mégalithismes, de

    leur genèse

    en

    Europe et

    de leur

    signification

    culturelle et sociale.

    L'avant-dernier

    chapitre de la première

    partie s'intitule

    la

    Méditerranée

    et l'Europe au Néolithique,

    espaces

    géoculturels.

    C'est le texte d'une

    communication

    pré

    sentée à

    Budapest

    dans un colloque

    en

    hommage à

    Fernand Braudel

    et

    on ne

    sera

    pas surpris

    de

    la d

    imension

    géoculturelle qui

    est

    envisagée ici.

    Dans

    le

    drame en trois actes qui est proposé

    pour

    l'organisa

    tione l'exposé,

    Guilaine

    brosse à

    grands

    traits,

    dans

    une synthèse courte

    mais

    magistrale,

    la géopoUtique

    de

    l'Europe néolithique. Issus d'un ancêtre commun, les

    deux mondes

    agropastoraux méditerranéen

    et conti

    nental ont

    souvent

    été considérés comme

    deux

    espaces

    culturels opposés. L'auteur essaye de relativiser ce

    point de

    vue

    en rappelant que les données actuelles

    permettent d'introduire

    une

    certaine dose de

    coloni

    sation

    dans la

    diffusion

    du

    Néolithique

    en Méditer

    ranéee

    l'Ouest

    et a contrario de considérer que

    les

    danubiens ont sans doute dû composer avec des

    populations de chasseurs-cueilleurs

    rencontrés

    sur

    leur

    long itinéraire

    européen.

    Ces

    chasseurs-cueilleurs

    possédaient peut-être déjà l'usage de la

    céramique,

    du

    moins

    si l'on

    interprète

    de

    cette

    façon la

    question

    énigmatique de la Hoguette

    et du Limbourg.

    C'est

    donc

    une Europe

    tripartite que

    dessine

    J. Guilaine

    dans ce texte : première Europe, celle des vrais pre

    miers paysans,

    soit

    des Balkans au Rhin, pour le

    Nord

    et

    de l'Egée à l'Italie péninsulaire, pour le

    Sud.

    La

    deuxième Europe, celle où l'on a dû

    composer

    avec le

    poids des traditions

    locales

    est

    celle du

    Sud-Ouest.

    La

    maturation

    culturelle y fut

    plus lente.

    Enfin, la tro

    isième

    Europe,

    celle

    des résistances mésolithiques

    plus

    marquées, se

    trouve

    à la

    périphérie

    des précédentes,

    de

    la Bretagne à la Baltique

    et

    à

    l'Ukraine,

    univers

    de l'économie de prédation littorale ou forestière. Le

    deuxième acte, celui de la deuxième

    recomposition

    entre 5000

    et

    3500

    ans av. notre

    ère

    met

    en

    scène

    une

    nouvelle

    géométrie continentale

    qui

    partage en

    gros l'Europe en

    deux

    pôles, l'un à l'Ouest, celui

    du premier

    mégalithisme, l'autre à

    l'Est, celui de la

    métallurgie

    précoce

    (Balkans).

    Pendant

    ce

    temps, la

    Méditerranée vivrait

    sa propre

    histoire. Mégalithisme

    atlantique et métallurgie du cuivre

    balkanique

    pour

    raient être

    les

    symptômes d'une

    première émergence

    des élites

    sociales,

    sans que la genèse du

    processus

    soit

    très

    claire.

    Le IIIe millénaire,

    acte

    III,

    voit

    se développer un cer

    tain

    nombre

    d'avancées techniques comme

    l'araire

    mais aussi la roue qui avec la domestication du cheval

    facilitèrent les transports terrestres. Guilaine

    met

    ces

    avancées

    en

    relation avec

    l'intensification

    des

    con

    tacts

    culturels

    sur

    de

    vastes

    zones de l'Europe. Le

    IIP millénaire, c'est celui du complexe cordé et sur

    tout

    du

    phénomène campaniforme

    qui

    représente

    le

    plus large consensus d'intégration des communautés

    ouest-européennes de la

    fin

    de la

    Préhistoire .

    La carte

    (fig.

    4, p. 174) de l'Europe à la fin du IIP

    millénaire

    illustre bien ce

    redécoupage

    en

    grands complexes

    qui

    d'ailleurs

    ne

    freinent

    pas,

    bien

    au

    contraire,

    les

    cou

    rants de diffusion de

    produits

    manufacturés sur de

    grandes

    distance.

    Ce

    n'est

    en fin de

    compte

    qu'au

    IIe

    millénaire

    qu'avec

    la tentative d'expansion de la

    culture mycénienne en Méditerranée

    se

    reconstituera

    d'une certaine

    façon le vieux clivage

    Sud-Nord qui

    était apparu avec la partition Cardial-Rubané, puis

    s'était quelque

    peu

    dissous

    dans

    les recompositions

    des IVe et

    IIIe

    millénaires.

    C'est à partir

    du chapitre suivant,

    la Méditerranée

    et l'Atlantique au fil du Néolithique, qu'est

    visité

    le

    monde des mégalithes et plus largement celui des

    tombes néolithiques de Méditerranée, creusées ou bâ

    ties,

    tombes

    qui

    sont

    l'un

    des

    reflets

    de

    la

    société des

    vivants.

    Dans

    ce premier chapitre, il est établi

    une

    confrontation entre

    les

    données atlantiques et

    méditer

    ranéennes au sujet de la genèse

    et du

    développement

    Bulletin de la

    Société

    préhistorique française 2003, tome 100, n°

    4,

    p. 811-829

  • 8/15/2019 article De la vague à la tombe, La conquête néolithique de la Méditerranée

    5/6

    Comptes rendus

    821

    du

    mégalithisme funéraire. En

    poussant parfois

    un

    peu loin la schématisation,

    Guilaine parvient

    à nous

    entraîner sur la

    voie d'un

    parallélisme

    qu'on

    aurait

    peut-être pas

    soupçonné.

    C'est sans doute là un des

    chapitres

    qui

    devrait

    susciter

    le

    plus

    de

    discussions,

    mais

    reprochera-t-on

    à

    l'auteur,

    plus

    habitué

    à

    rester

    en

    retrait

    des

    modèles

    explicatifs,

    de

    s'exposer

    ici

    plus que de coutume

    ?

    Dans ce

    chapitre

    plus axé

    sur

    les inégalités sociales

    qui

    transparaissent à

    travers

    l'analyse des architectures et des mobiliers des

    sépul

    tures protomégalithiques , le

    parallélisme

    entre la

    Sardaigne, le Sud de la France et la

    Catalogne servira

    de

    fil

    conducteur :

    mobilier exceptionnel

    des tombes

    d'Arzachena

    en

    Sardaigne que Guilaine tend à

    vieillir,

    non

    sans arguments,

    au début du

    Néolithique

    moyen,

    objets de prestige du Sud de la

    France

    (anneaux-dis

    qu su longues haches

    en

    roche verte), tombe de

    Pauilhac dans

    le Gers, coffres

    du

    Néolithique

    moyen

    du Languedoc

    occidental

    et

    des Pyrénées,

    caissons

    ca

    talans

    à

    mobilier

    particulier,

    tombes

    almériennes.

    Tous

    ces monuments, datés du Ve millénaire, contiennent

    des mobiliers de distinction souvent

    en

    rapport avec

    la

    chasse, une

    activité secondaire mais à forte charge

    symbolique (valorisation de l'homme). Il apparaît aussi

    dans certains

    cas des figurations

    anthropomorphes.

    À cela s'ajoute les traits architecturaux : coffres fermés

    souvent

    recouverts

    d'un

    tertre, enterrés ou subaériens,

    sépultures

    uniques

    ou

    multiples (petit

    nombre

    d'indi

    vidus).

    Avec

    l'inévitable

    chapitre sur les temples de Malte,

    reprise

    d'un article

    publié dans

    La

    Recherche, J.

    Gui

    laine

    poursuit son

    examen

    des

    situations

    insulaires.

    Ici,

    Malte

    est un

    exemple

    intéressant

    puisque

    situé

    à la

    charnière

    des deux

    Méditerranées.

    J.

    Guilaine n'aura

    pas

    de

    mal, à la

    suite de

    ses prédécesseurs, à rejeter

    définitivement les explications diffusionnistes balayées

    par

    la

    calibration et

    à développer l'interprétation auto-

    chtoniste. Ce

    chapitre

    offre avant tout l'avantage

    de

    livrer au lecteur une

    description

    vivante et

    bien

    tournée

    des

    différents

    monuments de

    l'île,

    temples

    et hypogées,

    dans un cadre chronoculturel

    bien

    fixé. Il n'apprend

    par

    ailleurs rien de nouveau, mais on a déjà tellement

    écrit à ce sujet...

    Revenant sur

    le parallélisme déjà établi

    entre la

    Sar

    daigne la

    Catalogne

    et le Midi de la France, dans

    la

    reprise

    d'un

    article

    publié

    en

    Angleterre

    dans

    un

    ouvrage

    de mélanges consacrés à l'archéologie sarde,

    J.

    Guilaine

    poursuit

    après Malte son exploration du

    monumentalisme funéraire méditerranéen. Les pre

    mières tombes à couloir et à chambre

    circulaire

    ou

    polygonale apparaissent en Sardaigne

    autour

    de

    4000

    cal ВС. Dans le Midi

    de

    la

    France,

    rien

    de

    comparable

    à

    une

    date aussi haute, mais en Catalogne, J. Tarrus

    a

    pu fouiller et dater

    quelques monuments à

    couloir

    sensiblement aussi anciens. Les dolmens larges à plan

    rectangulaire forment un

    autre

    type qui peut trouver

    des

    convergences

    d'un point à

    l'autre

    (Sardaigne, Ca

    talogne, Aude,

    Provence) mais

    on les

    date du

    Néoli

    thique

    final vers

    3200-2900

    cal

    ВС.

    Dans

    la

    suite

    de

    l'exposé,

    l'auteur

    revient

    sur

    la

    catégorie des

    coffres

    du

    Néolithique

    moyen

    déjà décrits

    dans

    le précédent

    chapitre. C'est là un des inconvénients

    de l'ouvrage

    que

    de

    trouver à plusieurs reprises des redites qui

    au

    moment où

    elles

    étaient écrites ou

    prononcées

    à l'oc

    casion de colloques n'en étaient

    pas

    mais le sont deve

    nues

    par la

    juxtaposition

    de

    ces

    textes. C'est d'ailleurs

    le cas

    pour

    la

    fin

    de ce

    chapitre

    l'on

    évoque les hy

    pogées

    d'Arles

    qui

    feront

    l'objet

    de

    nouveaux

    dévelop

    pements

    dans

    le

    chapitre

    qui

    suit.

    Celui-ci

    est en

    effet

    consacré aux hypogées

    de la

    France

    méditerranéenne.

    C'est une

    belle synthèse

    des

    connaissances

    actuelles

    qui

    doit

    beaucoup aux fouilles de ces trente dernières

    années en

    Languedoc

    comme en Provence.

    Avec la

    Corse

    puis Majorque, les deux chapitres sui

    vants permettent

    l'achèvement du tour d'horizon des

    laboratoires insulaires,

    ces

    tremplins

    de civil

    isation pour reprendre la formule de Pia Lavozza-

    Zambotti citée par

    Guilaine qui

    parfait

    ici son examen

    des

    processus

    culturels à l'œuvre

    en domaine

    insulaire.

    Avec la Corse, la

    reprise

    de la préface accordée à un

    ouvrage récent d'auteurs

    locaux,

    ouvrage

    qui suscita

    quelques

    critiques,

    permet

    de

    mettre

    en

    scène au

    fil du

    temps

    les

    rapports plus ou

    moins

    étroits ou distendus

    avec la Sardaigne. Ces

    relations

    sont évidentes pour la

    phase ancienne du Néolithique mais très tôt au

    Néol

    ithique moyen,

    les

    évolutions culturelles

    ne

    sont plus

    totalement

    superposables

    d'une île

    à l'autre.

    Le court texte sur Majorque, préface d'un

    ouvrage

    de

    V. Guerrero

    Ayuso,

    publié

    en 1997, repose

    l'une des

    questions centrales : les

    spécificités

    insulaires existent-

    elles? Diffusion et autochtonie

    sont-elles

    les deux

    composantes incontournables des cultures insulaires ?

    C'est une interrogation et

    sans

    aucun doute une

    con

    viction désormais acquise pour J.

    Guilaine.

    Avec les

    Baléares,

    le constat est le

    même

    qu'ailleurs.

    Après

    un

    premier peuplement venu du continent

    à la

    fin du

    Paléolithique,

    comme en

    Corse et

    en Sardaigne,

    l ap

    parition de l'agriculture et de l'élevage

    est

    due à un

    processus

    de

    colonisation

    venu sans aucun doute ici de

    la proche

    Catalogne.

    Les contacts

    avec

    le

    continent

    se

    maintiendront (faciès local du Campaniforme

    d'affinité

    pyrénéenne).

    C'est au début du IIe

    millénaire

    que la

    dynamique

    locale s'affirmera fortement, notamment à

    travers l'architecture, avec la

    culture

    prétalayotique.

    Puis avec

    les

    talayots,

    autre

    spécificité insulaire vers

    le milieu du IIe millénaire, s'affirme sans doute

    une

    société plus

    pyramidale,

    à l'image d'autres puissances

    méditerranéennes contemporaines,

    comme la

    culture

    nouragique

    en

    Sardaigne, qui jouent un rôle dans

    les

    circuits

    d'échange

    de

    produits

    métallurgiques

    entre

    Méditerranée et monde atlantique.

    Le dernier texte

    avant

    l'épilogue est

    la

    reprise,

    un peu

    écourtée, de l'exposé inaugural du 2e colloque de Saint-

    Pons (Hérault)

    sur

    la

    statuaire mégalithique,

    publié

    dans les actes. Ici, l'auteur

    s'attache

    à la

    signification

    des statues-menhirs, miroirs du fonctionnement des

    sociétés qui

    les

    ont produites. Il

    y

    voit

    des person

    nages eprésentant

    des

    ancêtres

    statufiés devenus

    personnages

    mythiques . Il

    y

    voit

    aussi le

    reflet d'une

    certaine conception

    néolithique

    de

    la

    division

    sexuelle,

    sensible à

    travers

    les paradigmes qui

    s'attachent

    à

    chaque

    sexe

    :

    sphère

    du

    commandement

    et

    de

    la

    force

    (métallurgie,

    armes, chasse

    et guerre) pour

    les

    hommes,

    sphère de la reproduction et du

    naturel

    (seins,

    féminité

    Bulletin de la

    Société

    préhistorique française 2003, tome 100, n°

    4,

    p.

    811-829

  • 8/15/2019 article De la vague à la tombe, La conquête néolithique de la Méditerranée

    6/6

    822

    Comptes

    rendus

    affirmée) pour les représentations féminines.

    Quant

    aux

    origines de cet

    art, il

    la voit dans

    ce mouvement

    plus

    général

    en Occident,

    qui

    depuis les stèles armori

    cainesdu Ve millénaire, en passant par

    les

    stèles sardes

    d'Arzachena ou celles de Catalogne, a forgé la plus

    ancienne

    statuaire

    anthropomorphe européenne. Gui-

    laine

    trouve

    ici

    une nouvelle

    occasion

    pour

    évoquer

    en quelques mots une

    vision du monde

    néolithique

    su-

    doccidental

    qui lui est chère

    et qui

    transparaît à chaque

    moment

    de

    cet ouvrage. Avec les

    statues-menhirs,

    on

    peut illustrer cette évolution des rapports

    sociaux

    vers

    une hiérarchisation

    fondée

    sur le

    poids

    particulier de

    certains

    groupes peut-être familiaux, qui, garants de

    la tradition,

    imposent

    aussi leur pouvoir à

    travers

    un

    certain

    nombre

    de signes symboliques

    (statues,

    objets

    de prestige) ou de

    lieux

    de mémoire (les

    caveaux

    fu

    néraires .

    En fin de compte, bien que ces textes aient été élaborés

    dans

    des circonstances très

    diverses, répondant pour

    chacun

    d'entre

    eux à une

    commande

    particulière,

    la cohérence

    qui

    les unit, rappelée dans

    l'épilogue,

    est

    assurée

    par deux fils

    conducteurs

    : le premier

    est

    celui

    de

    la référence

    constante

    aux rythmes

    de

    la diffusion

    du Néolithique. Le Néolithique méditerranéen depuis

    son

    apparition

    au Proche-Orient jusqu'à son

    év

    loppement

    occidental s'est

    diffusé

    selon des rythmes

    changeants

    et même dans

    les

    lieux où la néolithisa-

    tion a été très précoce et rapide,

    comme

    Chypre, des

    phases

    de

    stagnation

    sont

    vite apparues. Les îles

    de

    la

    Méditerranée

    occidentale

    ont toutes accédé au stade

    néolithique par

    colonisation,

    mais loin de connaître dès

    lors

    un développement homogène, elles

    ont

    construit

    chacune

    leur

    propre

    identité

    culturelle,

    même

    lors

    qu elles étaient voisines comme la Corse et la Sar-

    daigne et malgré le développement de la navigation

    qui

    les mettait en

    contact constant

    les unes avec les

    autres et

    bien

    sûr avec le Continent.

    Le second fil

    conducteur

    est celui

    de l'analyse du

    déve

    loppement

    du Néolithique

    à

    partir de l'évolution de

    trois

    marqueurs , les tombes, les sanctuaires, les

    statues. Les premières indiquent très tôt l'existence

    d'un

    pyramidage social

    et Guilaine penche clairement

    pour cette

    nouvelle

    vision du Néolithique

    qui

    tranche

    avec la conception évolutionniste quelque peu dogmat

    ique ui avait

    cours

    jusqu'ici.

    Les seconds, souvent

    peu

    distincts

    des premières,

    sont

    le

    reflet

    de

    cultes

    des ancêtres

    qui se

    pratiquent dans

    l'univers

    chtonien

    ou encore

    lorsque

    comme à Malte, ces sanctuaires

    deviennent aériens,

    leur

    fonction

    religieuse pourrait

    être de

    perpétuer

    le culte

    du principe

    de vie, l'image de

    la femme servant alors de support symbolique. On re

    trouve

    avec

    les

    statues-menhirs

    la partition universelle

    entre le masculin et le féminin, puissance physique,

    guerre et pouvoir d'un côté, fonction

    biologique

    de

    reproduction

    de l'autre.

    Ainsi,

    cet

    ouvrage,

    dans le prolongement

    de

    La mer

    partagée,

    est

    un nouveau plaidoyer de l'auteur en fa

    veur

    d'un enracinement profond de l'Histoire dans

    les

    temps

    néolithiques,

    c'est-à-dire

    bien avant le év

    loppement

    de

    l'écriture

    et

    des systèmes

    étatiques. Il

    constitue aussi, nous semble-t-il, un magistral bilan

    d'étape

    pour

    une recherche en perpétuel

    devenir

    et dont J.

    Guilaine

    restera l'un des plus brillants

    maillons.

    Xavier GUTHERZ

    DAVIDH.

    (2001) -

    Paléoanthropologie

    et pratiques

    funéraires

    en Corse, du M ésolithique à l'Âge du Fer,

    British

    Archeological

    Reports

    (BAR), International

    Series

    928,

    148 p.,

    6

    pi. hors-texte, ISBN 1-84171-

    222-1, 30 £.

    Au regard de l'état lacunaire et disparate de la do

    cumentation

    le sujet abordé par Hélène

    David

    peut

    sembler

    ingrat;

    il est

    pourtant fondamental dès lors

    qu'il s'agit d'un milieu insulaire dont on aimerait

    comprendre les

    modalités de la ou des colonisations

    anciennes. L'auteur

    nous fournit

    une étude

    précise

    et,

    fait

    plus

    rare,

    totalement

    dégagée

    d'hypothèses

    interprétatives péremptoires. Le travail

    est

    sérieux,

    offrant aux lecteurs un bilan sans concession et une

    approche synthétique des premiers

    peuplements

    de

    la Corse et

    des quelques pratiques

    funéraires

    pré-

    et

    protohistoriques qui peuvent

    être

    mises

    en évidence

    sur

    l'île.

    La structure même de

    l'ouvrage

    montre toute la

    rigueur

    de l'auteur : l'énoncé est logique, l'articulation

    des chapitres claire, le discours établi sous une

    plume

    bien maîtrisée.

    Deux

    brefs chapitres permettent de

    planter

    le décor

    (contextes

    environnemental et archéologique), ainsi

    que les

    méthodes plus

    strictement

    paléoanthropolo

    giqu s

    tilisées.

    Les

    travaux antérieurs

    (qui

    concernent

    une

    dizaine

    de

    gisements)

    sont

    également

    présentés.

    Le

    corps même de

    l'étude est

    consacré à l'analyse de

    dix-sept séries d'ossements humains pré- ou protohis

    toriques dont l'approche paléontologique

    est

    restée

    largement inédite jusqu'à présent. Enfin,

    une

    dernière

    partie

    propose un travail comparatif,

    tant

    au niveau

    des pratiques funéraires qu'à celui de l'anthropologie

    physique, entre les différents gisements corses ou entre

    ces derniers et la documentation provenant de Sar-

    daigne,

    autre

    milieu insulaire qu'on ne peut

    ignorer

    en

    traitant de la Préhistoire de l'île de Beauté.

    La

    relative indigence de la conclusion

    est

    très larg

    ement

    imputable

    à la qualité

    du corpus

    à

    disposition.

    Trois

    gisements

    seulement

    contenant des restes

    hu

    mains mésolithiques, moins

    d'une dizaine de

    sépul

    tures

    pour l'ensemble du Néolithique

    (on rappellera

    d'ailleurs

    l'absence totale de vestiges à

    l'intérieur

    des

    caveaux mégalithiques),

    sept tombes connues pour le

    Chalcolithique et

    l'Âge

    du

    Bronze, moins

    du double

    pour l'Âge du Fer... pour

    l'heure,

    la

    Corse n'a

    fourni

    que peu

    d'éléments

    permettant une reconstitution de

    son peuplement ancien sous l'angle de

    Г anatomie,

    de l'état

    sanitaire des

    populations ou du traitement

    des morts. Au

    crédit d'Hélène

    David,

    on reconnaîtra

    Г

    à-propos de son étude : sans

    esquiver les

    carences do

    cumentaires

    l'auteur

    ne

    s'y

    est pas

    non plus appesanti,

    abordant positivement

    les

    éléments

    à sa

    disposition.

    L'usage exclusif

    d'une

    chronologie conventionnelle

    (dates

    BP non

    calibrées)

    est

    cependant

    à

    regretter,

    Bulletin de

    la

    Société préhistoriquefrançaise

    2003, tome

    100, n° 4, p. 811-829