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L’étalement urbain Trois grandes étapes peuvent être isolées dans la dynamique urbaine des 50 dernières années. On s’interrogera sur la pérennité, à l’horizon des trois prochaines décennies, du modèle de développement urbain très desserré — et, partant, dévorateur d’espace – qui s’est imposé en France depuis le milieu des années soixante-dix. LES TROIS GRANDES ETAPES DE LA CROISSANCE URBAINE DEPUIS 1950 : DE LA CONCENTRATION AU DESSERREMENT URBAIN 1954-1975 Période de croissance urbaine accélérée : densification des centres puis essor des banlieues La très forte croissance démographique de la période de l’après guerre et des vingt années suivantes a très largement profité aux villes. Enfants du baby-boom, ruraux à la recherche d’un emploi, rapatriés d’Algérie, travailleurs immigrés du Maghreb et de l’Europe du Sud, sont venus gonfler la population des villes. Entre 1962 et 1975, la population des pôles urbains a ainsi crû de plus de 5,7 millions de personnes, soit près de 93 % de l’accroissement total de la population métropolitaine (qui a augmenté de près de 6,17 millions d’habitants au cours de cette même période). Cette croissance de la population urbaine a, dans un premier temps, contribué à la poursuite de la densification des villes centres des pôles urbains. Une nouvelle tendance a ensuite émergé, d’abord dans l’agglomération parisienne, avant de se diffuser dans le reste du territoire métropolitain. La croissance des pôles urbains les plus importants a commencé à s’effectuer à travers une expansion des banlieues — où une construction intense, de qualité souvent médiocre, tentait d’accueillir l’afflux des nouveaux venus sur le territoire urbain — qui ont connu une explosion démographique sans précédent. Ainsi, par exemple entre 1968 et 1975, les villes de Bordeaux, Lyon, Paris, Lille, Rouen et Nantes (qui comptaient parmi les dix plus grandes unités urbaines en 1975) ont-elles enregistré un taux de croissance négatif de leur population, alors que sur cette même période la population de leurs banlieues s’accroissait considérablement. 1975-1990 : Développement de la périurbanisation (les villes débordent sur l’espace rural) Les communes périurbaines ont, à partir du début des années soixante-dix, pris le relais des banlieues dans la croissance des aires urbaines, contribuant ainsi à renforcer le phénomène de l’étalement — ou du desserrement — urbain. Cette périurbanisation, rendue possible par la généralisation de l’usage de la voiture et l’essor des infrastructures s’était d’abord manifestée — dès les années soixante — aux confins de l’agglomération parisienne avant de s’étendre très rapidement à la plupart des grandes villes de Province. Au cours de cette période les villes se sont vidées au profit de leur couronne périurbaine ; flux du centre vers la périphérie qui s’est, dans certains cas, conjugué avec un apport migratoire en provenance d’autres aires urbaines (en particulier dans les villes du Sud telles que Marseille, Montpellier et Toulouse). Aucune région ni département n’a été à l’écart de ce phénomène d’extension de la fonction résidentielle des communes rurales situées à proximité des zones d’emplois (les pôles urbains continuant de concentrer l’emploi). Son intensité fut cependant d’autant plus forte qu’il s’agissait d’agglomérations plus peuplées, le Nord et l’Est de la France s’avérant toutefois moins perméables à ce mouvement. Entre 1975 et 1990 la population métropolitaine française a augmenté d’environ 250 à 300 mille personnes par an. 95 % de cette croissance démographique a profité à l’espace à dominante urbaine, les deux tiers ayant bénéficié aux communes périurbaines de 1975 à 1982 contre un peu plus de la moitié entre 1982 et 1990. Au cours de cette dernière période inter censitaire, la tendance à l’étalement urbain demeura toutefois forte dans les très grandes agglomérations (à Paris et dans les villes du Sud-Est, par exemple Lyon et Marseille ainsi que dans les autres villes de la côte méditerranéenne) et, mais dans une moindre mesure, dans les villes de la moitié Ouest du pays. 1990-1999 : Une diversification des formes de la croissance urbaine Le développement des aires urbaines a continué majoritairement d’emprunter le schéma classique de l’étalement urbain (ainsi dans 42 des 73 aires urbaines de plus de 100 000 habitants la croissance de la population a été plus Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030) 23.

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L’étalement urbain Trois grandes étapes peuvent être isolées dans la dynamique urbaine des 50 dernières années. On s’interrogera sur la pérennité, à l’horizon des trois prochaines décennies, du modèle de développement urbain très desserré — et, partant, dévorateur d’espace – qui s’est imposé en France depuis le milieu des années soixante-dix.

LES TROIS GRANDES ETAPES DE LA CROISSANCE URBAINE DEPUIS 1950 : DE LA CONCENTRATION AU

DESSERREMENT URBAIN

1954-1975 Période de croissance urbaine accélérée : densification des centres puis essor des banlieues

La très forte croissance démographique de la période de l’après guerre et des vingt années suivantes a très largement profité aux villes. Enfants du baby-boom, ruraux à la recherche d’un emploi, rapatriés d’Algérie, travailleurs immigrés du Maghreb et de l’Europe du Sud, sont venus gonfler la population des villes. Entre 1962 et 1975, la population des pôles urbains a ainsi crû de plus de 5,7 millions de personnes, soit près de 93 % de l’accroissement total de la population métropolitaine (qui a augmenté de près de 6,17 millions d’habitants au cours de cette même période). Cette croissance de la population urbaine a, dans un premier temps, contribué à la poursuite de la densification des villes centres des pôles urbains. Une nouvelle tendance a ensuite émergé, d’abord dans l’agglomération parisienne, avant de se diffuser dans le reste du territoire métropolitain. La croissance des pôles urbains les plus importants a commencé à s’effectuer à travers une expansion des banlieues — où une construction intense, de qualité souvent médiocre, tentait d’accueillir l’afflux des nouveaux venus sur le territoire urbain — qui ont connu une explosion démographique sans précédent. Ainsi, par exemple entre 1968 et 1975, les villes de Bordeaux, Lyon, Paris, Lille, Rouen et Nantes (qui comptaient parmi les dix plus grandes unités urbaines en 1975) ont-elles enregistré un taux de croissance négatif de leur population, alors que sur cette même période la population de leurs banlieues s’accroissait considérablement.

1975-1990 : Développement de la périurbanisation (les villes débordent sur l’espace rural)

Les communes périurbaines ont, à partir du début des années soixante-dix, pris le relais des banlieues dans la croissance des aires urbaines, contribuant ainsi à renforcer le phénomène de l’étalement — ou du desserrement — urbain. Cette périurbanisation, rendue possible par la généralisation de l’usage de la voiture et l’essor des infrastructures s’était d’abord manifestée — dès les années soixante — aux confins de l’agglomération parisienne avant de s’étendre très rapidement à la plupart des grandes villes de Province.

Au cours de cette période les villes se sont vidées au profit de leur couronne périurbaine ; flux du centre vers la périphérie qui s’est, dans certains cas, conjugué avec un apport migratoire en provenance d’autres aires urbaines (en particulier dans les villes du Sud telles que Marseille, Montpellier et Toulouse).

Aucune région ni département n’a été à l’écart de ce phénomène d’extension de la fonction résidentielle des communes rurales situées à proximité des zones d’emplois (les pôles urbains continuant de concentrer l’emploi). Son intensité fut cependant d’autant plus forte qu’il s’agissait d’agglomérations plus peuplées, le Nord et l’Est de la France s’avérant toutefois moins perméables à ce mouvement.

Entre 1975 et 1990 la population métropolitaine française a augmenté d’environ 250 à 300 mille personnes par an. 95 % de cette croissance démographique a profité à l’espace à dominante urbaine, les deux tiers ayant bénéficié aux communes périurbaines de 1975 à 1982 contre un peu plus de la moitié entre 1982 et 1990. Au cours de cette dernière période inter censitaire, la tendance à l’étalement urbain demeura toutefois forte dans les très grandes agglomérations (à Paris et dans les villes du Sud-Est, par exemple Lyon et Marseille ainsi que dans les autres villes de la côte méditerranéenne) et, mais dans une moindre mesure, dans les villes de la moitié Ouest du pays.

1990-1999 : Une diversification des formes de la croissance urbaine

Le développement des aires urbaines a continué majoritairement d’emprunter le schéma classique de l’étalement urbain (ainsi dans 42 des 73 aires urbaines de plus de 100 000 habitants la croissance de la population a été plus

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forte à mesure que l’on s’éloigne du centre). Les communes périurbaines ont connu une croissance moyenne annuelle de leur population de plus de 1 % sur cette période — ce qui représentait près de trois fois la croissance moyenne de la population métropolitaine.

Certaines des 73 aires urbaines de plus de 100 000 habitants se sont toutefois développées très différemment. Dans certains cas la ville-centre a retrouvé son attractivité au détriment de sa périphérie (tel est les cas des villes-centres des aires urbaines de Nancy, Valenciennes, Reims, Lyon, Nantes, Angers et Lille qui ont vu croître leur population). Dans d’autres aires urbaines la forte progression des banlieues a dépassé celles de la couronne périurbaine et de la ville centre (tel est le cas des aires urbaines de Toulouse, Rennes, Orléans, Poitiers et la Rochelle, qui comptent parmi les plus dynamiques du territoire français au cours de cette dernière décennie). On a ainsi assisté à une reprise de la concentration de la population dans quatre régions métropolitaines où l’urbanisation avait été jusqu’alors très desserrée (Champagne-Ardenne, Pays de la Loire, Bretagne et Poitou-Charentes) et à la poursuite d’une urbanisation concentrée dans trois autres régions (Limousin, Auvergne, Midi-Pyrénées).

Ces nouvelles formes de développement urbain plus resserré doivent-elles être perçues comme l’émergence de véritables contre-modèles signalant l’essoufflement du phénomène de l’étalement urbain ? Ou bien ne s’agit-il que d’inflexions ponctuelles, voire de phases originales dans la dynamique de développement de certaines aires urbaines qui devraient bientôt renouer avec le schéma classique du desserrement urbain ?

Mesurer l’étalement urbain : le zonage en aires urbaines (ZAU) élaboré par l’Insee et introduit en 1996

Communes multipolarisées Aire

urbaine B

Aire urbaine

C

Aire urbaine

A

Pôle urbain

Ville centre

Banlieue Couronne périurbaine

Pôle urbain

Aire urbaine

Espace urbain

Des problèmes spécifiques à l’étalement urbain

L’étalement urbain a entraîné nombre de problèmes relativement inédits. Ceux-ci se posent notamment en termes environnementaux, économiques et sociaux, si bien que la thématique de la « crise » des villes semble récurrente. Comme l’historienne Danièle Voldman, on pourrait distinguer des discours successifs sur cette crise : « Dans les années 1910 puis 1920, c’est la crise de croissance des villes mal aménagées ; puis survient celle des lotissements défectueux avant même la récession des années 1930 ; avec la décennie suivante, s’ouvre la crise due à la guerre et à ses destructions, relayée, dès le début des années de paix, par la crise aiguë du logement des années d’expansion ; commence alors la crise entraînée par le choc pétrolier des années 1970 cumulée avec la révolte des usagers ; de crise en crise, on arrive à celle des banlieues, des cités et des grands ensembles des vingt dernières années… Quand la crise s’étale ainsi sur plusieurs décennies, désignant chaque fois des phénomènes bien différents, faut-il se satisfaire d’une terminologie équivoque ? » (« Villes en crises » in Vingtième siècle

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n° 64, décembre 1999, pp. 5-10). Dans le champ social, notons que l’étalement a notamment signifié une ségrégation accrue, en raison de la formation de lotissements de plus en plus homogènes socialement. Or, comme y insiste Laurent Carroué, ces territoires, déjà globalement fragilisés, « sont déstabilisés par la détérioration rapide des grands ensembles d’habitat social nés des opérations d’urbanisme des années 60 et 70. Enclavés par les infrastructures lourdes (autoroutes, voies ferrées), ils subissent de plein fouet chômage, délinquance et violence, économie souterraine… » (Alternatives Économiques n° 168, mars 1999, pp.38-39). Il n’est qu’à considérer la carte du marché foncier et immobilier des grandes agglomérations pour constater à quel point la ségrégation sociale et spatiale est considérable/ En termes d’équité, notons du reste que, dans la mesure où les constructions périphériques furent pour la plupart réalisées sans équipements collectifs, le poids des services publics est rejeté sur les communes centres.

POURSUITE OU ESSOUFFLEMENT DE L’ETALEMENT URBAIN ?

François Ascher affirme que « les villes ouest européennes qui existeront en 2020 sont déjà construites à plus de 80 % et la capacité à influer sur les 20 % restant est relativement faibles » (Le Moniteur, 22 juin 2001, p. 450).. Peut-on pourtant envisager une prospective de l’étalement urbain ? La plupart des scénarios prospectifs (ou des considérations prospectives) sur la ville font référence — explicitement ou non — à deux modèles antinomiques : celui de la densité et celui de la ville éclatée. Jacques Lévy propose une illustration de ces deux archétypes en opposant le modèle d’Amsterdam (modèle de la ville dense où les avantages de concentration sont maximisés) et le modèle de Johannesburg 1. Ce second modèle de la ville éclatée est fondé sur le principe de la rapidité d’accès — autrement dit la proximité temporelle et non pas physique — et de sa clé de voûte : la voiture particulière.

En dépit de la productivité supérieure du premier modèle et de ses avantages en termes de « durabilité », la ville éclatée serait en passe de prendre le dessus. Pour certains auteurs, la généralisation du fait périurbain qui prend appui sur des aspirations profondes de la société (accession à la propriété privée, construction individuelle, accès à la consommation des biens, valorisation du temps libre) et a été encouragée par les politiques publiques (aide à l’accession à la propriété, investissements dans les infrastructures de transport périurbaines, gratuité des réseaux autoroutiers périurbains, etc.2), ne serait pas prêt d’être remise en cause. La réserve des candidats à l’accession à la propriété et à l’habitat individuel n’est, en effet, pas tarie et les mutations à l’œuvre dans le domaine de l’organisation du travail qui se répercutent sur le temps libre jouent en faveur de l’habitat périurbain 3. A ces facteurs favorables à la poursuite de l’étalement urbain, peuvent toutefois être opposés un certain nombre de facteurs limitant. Le chômage, le faible dynamisme de l’économie, le vieillissement démographique, l’élévation du prix de l’énergie, la ségrégation sociale extrême, apparaissent, en effet, comme autant d’éléments qui jouent à l’encontre du modèle de la « ville à haute mobilité ». L’absence d’alternative à la voiture individuelle pour assurer la proximité temporelle sur laquelle repose ce modèle de la ville éclatée s’avère également un facteur limitant. Pour maintenir l’efficacité de la vie urbaine, les coûts de construction, d’entretien des réseaux de voirie — indispensables au maintien de la vitesse — ainsi que les coûts d’acquisition et de fonctionnement des véhicules doivent pouvoir être supportés quel que soit leur niveau. La périurbanisation s’est en effet traduite par une multiplication par 6 de la distance moyenne parcourue chaque jour par chaque français en 50 ans (qui est passée de 5 km en 1950 à 30 km en 1995).

1 Ces deux archétypes peuvent être parfaitement opposés en termes : de densité, de compacité, d’interaccessibilité des lieux urbains, de présence d’espaces publics, d’importance des métriques pédestres, de co-présence habitat/enploi, de diversité des activités, de mixité sociologique, de fortes polarités intra-urbaines, de productivité marchande par habitant, d’auto-évaluation positive de l’ensemble des lieux urbains, d’autovisibilité et auto-identification de la société urbaine, de société politique d’échelle urbaine. Alors que l’ensemble de ces items est valorisé dans le modèle d’Amsterdam, le modèle de Johannesburg va à leur encontre. Cf. LEVY Jacques in la Forme des villes, collections débats du Certu, 2000. 2 Une politique du logement qui, dans l’après guerre, a trouvé dans le modèle des « grands ensembles » l’unique réponse au besoin de logement des classes moyennes et s’est avérée incapable de suivre l’évolution de la demande sociale, et une politique de transport qui s’efforce de rattraper la dynamique urbaine au lieu de l’anticiper et de la structurer, apparaissent comme les deux grandes spécificités françaises qui n’ont pas été sans influence sur le développement périurbain.. 3 BEAUCIRE Francis in La forme des villes. collection débats du Certu, 2000.

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Toutefois, si l’on en croit Cesare Marchetti, il existerait une limite à l’extension des villes fortement corrélée à la vitesse des déplacements quotidiens, la durée de ces derniers étant pratiquement invariante au cours du temps (en moyenne une heure par jour). Ainsi lorsque l’on se déplaçait à pied (comme cela était le cas jusqu’à la fin du XIXe siècle), les villes avaient un rayon d’environ 2,5 km et s’étendaient sur une surface de 20 km2. Les villes actuelles, dans lesquelles on se déplace en voiture, ont une surface 60 fois plus importante (1200 km2). Un second invariant tiendrait, selon cet auteur dans la part du budget alloué aux déplacements. Celle-ci s’élèverait à 15 % du revenu disponible et serait indépendante de la culture et du niveau de revenu ; l’allocation entre les différents modes de transport s’effectuant de manière à maximiser le parcours effectué.

Conformément à cette perspective, et sans omettre le poids des facteurs sociaux, économiques et démographiques que nous avons évoqués, la plupart des auteurs soulignent que l’avenir du fait périurbain devrait être très lié à l’essor des modes de mobilité et, partant, des voies de communication rapides et des systèmes de transport collectif rapide, qui dépendent de choix sociaux et d’organisation urbaine. La ville devrait, en effet, continuer d’être dessinée avec l’instrument de la vitesse, le développement de la voiture et la mobilité qui lui est associée produisant une forme aréolaire (c’est-à-dire dans toutes les directions), alors que les transports publics, fixés sur des axes lourds, dessinent une ville linéaire (étirée selon des axes) et intangible. Dès lors, penser le transport comme l’organisateur de l’urbanisation apparaît comme une alternative aux réponses en termes de densité ou d’étalement. Un « tiers modèle » visant à organiser ou à structurer l’étalement urbain suivant des axes de transport en commun s’enfonçant profondément dans le périurbain (création de lignes de transports en commun, utilisation des lignes ferroviaires pour la desserte cadencée, mise en place de système mixte) pourrait être exploré plus avant en France comme cela l’a été dans d’autres pays européens (au Pays-Bas notamment).

On peut trouver un formalisation dans les scénarios sur la mobilité européenne élaborés par Alain Bieber, Marie-Hélène Massot et Jean-Pierre Orfeuil au sein de l’INRETS. Ils sont construits sur une double opposition : entre mixage et zonage d’une part, entre compacité et étalement d’autre part. Ils reposent donc sur les répartitions possibles du peuplement, et donc non seulement sur les politiques publiques à l’œuvre mais aussi sur la volonté des individus et groupes à organiser leurs déplacements et à coexister (ou non) sur tel ou tel mode.

Dans le scénario Saint-Simonien, les concentrations urbaines demeurent fortes, articulées autour d’une centralité maintenue. La périurbanisation se poursuit sans que les espaces ainsi conquis par la dynamique de métropolisation ne se structurent. Les rythmes d’activité — et donc de déplacement — demeurent globalement uniformes, de type « fordien », sans diversification des horaires ou changement sensible des lieux de travail (la téléactivité se développe peu). La mobilité induite par le zonage fort se caractérise par une recherche de grandes vitesses vers les centres, avec un développement des infrastructures (routières et de transport public) facilitant la fluidité de déplacements toujours plus nombreux et de longue distance. Dans ce scénario, la congestion risque pourtant à terme de fortement limiter la mobilité, même si les infrastructures souterraines se généralisent.

Le scénario rhénan, quant à lui, fait état d’une situation dans laquelle se développe un réseau de centres denses mais de taille limitée, avec l’instauration d’une réglementation visant à limiter l’urbanisation massive des zones rurales entourant les villes. Le local et le respect de l’environnement deviennent les mots d’ordre. Les infrastructures existantes sont exploitées intensivement, la priorité étant donnée aux résidents et aux modes de mobilité peu consommateurs d’espace. L’accès aux transports collectifs urbains est favorisé (offre importante de parcs d’échange voiture/transport collectif…), de même que la mobilité autogène (développement de pistes cyclables plus nombreuses et plus sûres…). La mixité des espaces est recherchée, pour contrecarrer les zonages existants, vecteurs de flux de mobilité congestionnant. C’est surtout la mobilité interurbaine qui se développe, avec le risque d’un trafic trop abondant sur les réseaux autoroutiers régionaux.

Le scénario californien envisage enfin une suburbanisation diffuse où les centres perdent de leur prégnance. Les contraintes temporelles (temps de travail) comme spatiales (lieux de travail) disparaissent peu à peu, ce qui rend possible un éclatement des rythmes de mobilité. De nouvelles urbanisations émergent à proximité des nœuds autoroutiers ou des zones aéroportuaires, et le zonage n’exerce plus son empire sur les nouvelles localisations d’activités et de résidences. L’offre foncière et immobilière se développe avec des coûts réduits au gré de

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l’étalement urbain. La priorité est à la gestion des temps et des rythmes par la flexibilité généralisée, qui se traduit notamment par un réseau autoroutier dense et maillé de surface. Les personnes se déplacent avec rapidité et fluidité.

On note que pour certains auteurs, les nouvelles technologies de l’information et de la communication qui, en remettant en question la notion d’espace temps, permettent des effets d’ubiquité, seront résolument à l’origine d’un nouveau cycle urbain 4. La ville s’organiserait selon des modalités totalement nouvelles, la nécessité de la proximité physique disparaissant tout à fait, entraînant avec elle la notion de centralité. Toute densité devenant superflue on pourrait assister à un éparpillement de l’habitat et à l’émergence de nouveaux centres urbains autour des nœuds d’interconnexions — aéroports, téléports, gare. L’alternative à ce scénario de la ville éclatée à l’extrême repose sur la considération du fait que la logique technique ne saurait être conçue comme un facteur exclusif de l’organisation de la société. On parie alors sur le fait que ce qui faisait hier les atouts de la polarité urbaine – la vie collective – continuera de guider la constitution de l’urbain. Que la ville soit dense ou non de nouvelles formes de polarisation et de socialisation se développeront, on peut alors imaginer une demande nouvelle de proximité pour des raisons d’ordre psychosocial à l’image des résidents périurbains cherchant à retisser des liens sociaux de type « villageois ».

Sélection bibliographique

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• PINCHEMEL Philippe. La France, activités, milieux ruraux et urbains. Tomes 1 et 2, Paris, Armand Colin, 1982.

• SPECTOR Thérèse. « La prospective urbaine. Un état des lieux ». Futuribles, Mars, n°229, 1998, p.29-68.

• SUEUR Jean-Pierre. Demain la ville. Paris : La documentation française, 1998, 2 tomes. • THEYS Jacques, SPECTOR Thérèse. Villes du XXIe siècle. Entre villes et métropoles : ruptures ou continuité ? Lyon,

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4 ASCHER François, GODARD Francis. « Demain une autre ville ». La Recherche, Supplément au n°337, Décembre 2000, p. 6-7.

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Encadré 1. Consommation d’espace et densité résidentielle La croissance de la population urbaine a contribué à une extension des villes : en 1999 les communes urbaines recouvrent 18,4 % du territoire métropolitain alors qu’elles n’occupaient que 7,6 % de l’espace métropolitain en 1954 (la superficie totale du territoire métropolitain s’élevant à 543 965 km2). Au cours de la seconde moitié du XXe siècle la superficie du territoire des communes urbaines (c’est-à-dire répondant aux critères de la continuité du bâti et du seuil des 2000 habitants) a ainsi été multipliée par près de deux et demi passant de 41 142 km2 à 100 041 km2.

En moyenne les densités urbaines augmentent avec la taille des populations agglomérées, mais il existe des exceptions à la cette règle. On enregistre ainsi de plus faibles densités urbaines dans le Centre Ouest et le Sud Ouest de la France, inversement c’est dans la partie orientale du territoire français que sont regroupés les niveaux de densité intra-urbaines les plus élevés. La densité résidentielle moyenne du centre des agglomérations était égale à 3 550 habitants par kilomètre carré en 1990. La densité moyenne de la population des périphéries de l’aire polarisée par une agglomération de 100 000 habitants s’élevait à la même période à 130 habitants par kilomètre carré. La combinaison des niveaux moyens de concentration à ces différents échelons géographiques des agglomérations est cependant très variable dans l’espace métropolitain. Le phénomène de périurbanisation s’est globalement traduit par une dé-densification des villes, l’accroissement de la taille des villes conduisant généralement à une réorganisation des densité : plus la ville s’étend plus sa densité diminue.

Tel a été le cas de 18 agglomérations françaises parmi les plus importantes étudiées par la Fédération National des Agences d’Urbanisme. Leur superficie urbanisée a été multipliée par 2,3 entre 1954 et 1990, pendant que, corrélativement, leur densité de population diminuait de 30 %. En proportion, ces densités ont diminué d’autant plus qu’elles étaient fortes à l’origine.

En moyenne pour l’ensemble des unités urbaines métropolitaine, entre 1975 et 1990, la diminution de la densité de population s’est élevée à 6,3 %. La superficie moyenne des agglomérations a crû de 18 % alors que la population résidant dans le périmètre de ces mêmes agglomérations n’a augmenté en moyenne que de 9 %. Les trajectoires des différentes agglomérations sont toutefois variables. Un quart des agglomérations a ainsi continué de se densifier (tel est le cas de villes de l’Ouest – Nantes, Rennes, Angers, Orléans – de l’Est – Strasbourg et Mulhouse – du pourtour méditerranéen – Toulon, Grasse-Cannes-Antibes, Nîmes et Avignon – voire de villes plus isolées – Limoges, Clermont-Ferrand). Toutes ces villes dont la densité résidentielle a augmenté ont également connu un accroissement des densités d’emplois. Les autres agglomérations ont été affectées par une dé-densification résidentielle, particulièrement accusée pour un quart d’entre elles situées pour la plupart dans l’Ouest hormis Nancy (ces agglomérations ont connu une baisse de densité moyenne de plus de 15 % et une extension géographique de plus de 30 %). La dé-densification n’a été synonyme de dépeuplement que dans un nombre très limité de villes le plus souvent à forte spécialisation industrielle.

Graphique 1. L'expansion de la superficie des villes

52,957,3

63,270,1 72,9 73,4 74

75,5

3651641142

48743

6888076281

8335289649

100041

0

10

20

30

40

50

60

70

80

1936 1954 1962 1968 1975 1982 1990 1999

En %

0

20000

40000

60000

80000

100000

120000

En K

m2

Part de la population urbaine

Superficie du territoire urbain

Tableau 1 Densités moyennes de population dans les territoires de la villes (en habitants par km2)

Commune-Centre Agglomération Aire polarisée 1975 1990 1975 1990 1975 1990

Moyenne Minimum Maximum Ecart-ype

3800 790

21 820 3 006

3 550 795

20 420 2 780

1 245 580

4 035 585

1 160 470

3 620 574

330 74

270 389

260 65

1 070 196

Source Insee – T. Le Jeannic 1996

232

Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030)

234

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Tableau 2. La population de la France métropolitaine par catégorie d’espace de 1962 à 1999 *

Population en 1962

Population en 1968

Population en 1975

Population en 1982

Population en 1990

Population en 1999 *

En millions

En % En millions

En % En millions

En % En millions

En % En millions

En % En millions

En %

Pôles urbains 27,146 58,5 30,381 61,1 32,878 62,5 33,357 61,4 34,372 60,7 35,217 60,2 Communes périurbaines : couronnes périurbaines + communes multipolarisées

5,666

12,2

5,859

11,8

6,537

12,4

7,715

14,2

8,862

15,7

9,674

16,5

Espace à dominante rurale

13,613 29,3 13,473 27,1 13,177 25,1 13,263 24,4 13,381 23,6 13,628 23,3

France métropolitaine

46,425 100 49,712 100 52,592 100 54,335 100 56,615 100 58,519 100

Source : Insee * Population dans les délimitations définies à partir du recensement de 1990

0

20

40

60

80

100

120

140

160

en m

illie

rs

1954-1962 1962-1968 1968-1975 1975-1982 1982-1990

Graphique 2. Progression des migrations résidentielles vers la périphérie des villes

vers couronnevers ville centre

Source : Insee

233

Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030)

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Tableau 3. Variation annuelle de la population (en %) par catégorie d’espaces

Périodes inter censitaires

Pôles Urbains Couronnes périurbaines

Communes multipolarisées

Zones à dominante rurale

1962-1968 1,89 0,68 0,22 - 0,17 1968-1975 1,13 1,90 0,64 - 0,32 1975-1982 0,21 2,72 1,37 0,09 1982-1990 0,38 1,89 1,26 0,11 1990-1999 0,27 1,03 0,78 0,20

Source Insee, Segesa

Graphique 3. Evolution de la population urbaine et rurale en France (1)

0,000

10,000

20,000

30,000

40,000

50,000

60,000

70,000

1954 1962 1968 1975 1982 1990 1999

Popu

latio

n en

mill

ions

(1) Délimitations des catégories d'espace définies à partir du recensement de la population française de 1990

Population totale

Pôles urbains

Espace à dominante rurale

Communes périurbaines

Sources : Insee

Graphique 4. Les villes centres des 73 aires urbaines de plus de 100 000 habitants cessent de perdre des habitants

0,84

0,41

2,05

1,19

0,65

-0,64-0,17

0,15

0,83

2,85

0,440,51

-1

-0,5

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

1975-1982 1982-1990 1990-1999

Taux

d'év

olut

ion

annu

el m

oyen

(en%

)

Couronne périurbaine

Banlieue

Ville centre

Aire urbaine

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Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030)

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Carte 1. Agglomération toulousaine en 1975 et en 1995

1995

1975

Source : CERTU. La forme des villes. Paris, Ministère de l’équipement, du transport et du logement, 2000.

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Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030)

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