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72 Luptate ex eum ex 73 ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES numéro 193 p. 4-13 Christophe Gaubert et Marie-Pierre Pouly Transformations morphologiques et mobilisations disciplinaires Les enseignants et étudiants de l’Institut d’anglais de la Sorbonne en 1968 1. Pierre Bourdieu, Homo Academicus, Paris, coll. Minuit, « Le sens commun », 1984 ; Yvette Delsaut, « Les opinions politiques dans le système des attitudes : les étudiants en lettres et la politique », Revue française de sociologie, 11(1), 1970, p. 45-64 ; Jean-Claude Passeron, Monique de Saint Martin et Bruno Queysanne, Les Étudiants en médecine. I. Compte rendu de l’enquête. II Analyse de contenu des commentaires, Centre de sociologie européenne, multigr., 1964-1966 ; Monique de Saint Martin, « Les facteurs de l’élimination et de la sélection différentielles dans les études de sciences », Revue française de sociologie, 9, spécial, 1968, p. 167-184. 2. Noëlle Bisseret, « La sélection à l’uni- versité et sa signification pour l’étude des rapports de dominance », Revue française de sociologie, vol. 9(4), 1969, p. 463-496. 3. Jean-Philippe Legois, « La Sorbonne avant mai 68. Chronique de la crise universitaire des années 60 à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris », maîtrise d’histoire sous la direction d’Antoine Prost, Paris, université Paris I Panthéon-Sorbonne, 1993 ; Jean- Claude Passeron, « 1950-1980 : l’université mise à la question. Changement de décor ou changement de cap ? », in Jacques Verger (dir.), Histoire des universités en France, Tou- louse, Privat, coll. « Bibliothèque historique », 1986, p. 367-419 ; Antoine Prost, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France. t.4. L’École et la famille dans une société en mutation (depuis 1930), Paris, Nouvelle Librairie de France, 1981. 4. Louis Gruel, La Rébellion de 68. Une relecture sociologique, Rennes, PUR, coll. « Le lien social », 2004. 5. Jean-Claude Passeron, « L’inflation des diplômes. Remarques sur l’usage de quelques concepts analogiques en sociolo- gie », Revue française de sociologie, 23(4), 1982, p. 551-584. ANTOINE CULIOLI, NORMALIEN ULM, agrégé d’anglais, membre actif du bureau du SNESup, est l’unique professeur se réclamant de la linguistique (contre seize professeurs de littérature, pour certains proches de la civilisation) à l’Institut d’anglais de la Sorbonne. Il est élu le 22 juin 1968 président du conseil exécutif transitoire de l’Institut d’anglais de la Sorbonne. La « révolte étudiante » de 1968 a pu apparaître comme un exemple archétypal, et fondateur, de mobilisation de la jeunesse étudiante française de la fin du XX e siècle, d’autant que les perceptions étaient préfor- mées par la geste décennale de « l’évènement » et les témoignages successifs d’anciens représentants politiques de la jeunesse mobilisée. Mais est-il possible de saisir certains principes producteurs de cette révolte et, particulièrement, ceux liés aux transformations du système d’enseignement ? Depuis les premières enquêtes du Centre de sociologie européenne sur la différenciation et la crise de l’université de Paris 1 , contemporaines des transformations de l’université française des années 1960 et, à la même époque, l’enquête de Noëlle Bisseret 2 sur la sélection à l’univer- sité, les recherches spécialisées sur les transformations de l’enseignement supérieur des années 1950 et 1960 et sur les mobilisations étudiantes contemporaines ont été plutôt rares. On dispose d’une série de bilans synthétiques des transformations universitaires des années 1950 aux années 1970 3 , mais aucune enquête empirique de quelque ampleur ne se détache. L’ouvrage de Louis Gruel, utile parce qu’il incite à contrôler les usages du schème du déclassement ou la métaphore de la dévaluation des diplômes 4 , explicitée bien auparavant par Jean-Claude Passeron 5 , ne fournit cependant pas les moyens empiriques, notamment statistiques, de cerner les effets contemporains des transformations du recrutement de l’enseignement supérieur. Cet article entend donc poursuivre la discussion scientifique sur les effets des transformations de l’ensei- gnement supérieur français des années 1960 et, parti- culièrement, sur les caractéristiques des mobilisations disciplinaires liées à ces transformations. L’usage de schèmes d’analyse partiels (« transformations morpho- logiques », « déclassement », etc.), si l’on se refuse aux facilités de la discussion scolastique de la validité des concepts comme à leur application mécanique, ne vaut que pour autant qu’il s’accompagne d’une augmen- tation des contraintes empiriques de la recherche sociologique. Trois déplacements seront opérés par rapport aux travaux précités. Premièrement, l’ana- lyse sera empiriquement documentée en travaillant provisoirement à l’échelle d’une seule discipline universitaire (l’anglais) dans les années 1960 ; deuxiè- mement, la focale sera portée sur la relation entre la transformation de cette discipline et la mobilisation de ses étudiants et enseignants au sein de la discipline

Transformations morphologiques et mobilisations disciplinaires

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73ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES numéro 193 p. 4-13

Christophe Gaubert et Marie-Pierre Pouly

Transformations morphologiques et mobilisations disciplinairesLes enseignants et étudiants de l’Institut d’anglais de la Sorbonne en 1968

1. Pierre Bourdieu, Homo Academicus, Paris, coll. Minuit, « Le sens commun », 1984 ; Yvette Delsaut, « Les opinions politiques dans le système des attitudes : les étudiants en lettres et la politique », Revue française de sociologie, 11(1), 1970, p. 45-64 ; Jean-Claude Passeron, Monique de Saint Martin et Bruno Queysanne, Les Étudiants en médecine. I. Compte rendu de l’enquête. II Analyse de contenu des commentaires, Centre de sociologie européenne, multigr.,

1964-1966 ; Monique de Saint Martin, « Les facteurs de l’élimination et de la sélection différentielles dans les études de sciences », Revue française de sociologie, 9, spécial, 1968, p. 167-184.2. Noëlle Bisseret, « La sélection à l’uni-versité et sa signification pour l’étude des rapports de dominance », Revue française de sociologie, vol. 9(4), 1969, p. 463-496.3. Jean-Philippe Legois, « La Sorbonne avant mai 68. Chronique de la crise universitaire des

années 60 à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris », maîtrise d’histoire sous la direction d’Antoine Prost, Paris, université Paris I Panthéon-Sorbonne, 1993 ; Jean-Claude Passeron, « 1950-1980 : l’université mise à la question. Changement de décor ou changement de cap ? », in Jacques Verger (dir.), Histoire des universités en France, Tou-louse, Privat, coll. « Bibliothèque historique », 1986, p. 367-419 ; Antoine Prost, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation

en France. t.4. L’École et la famille dans une société en mutation (depuis 1930), Paris, Nouvelle Librairie de France, 1981.4. Louis Gruel, La Rébellion de 68. Une relecture sociologique, Rennes, PUR, coll. « Le lien social », 2004.5. Jean-Claude Passeron, « L’inflation des diplômes. Remarques sur l’usage de quelques concepts analogiques en sociolo-gie », Revue française de sociologie, 23(4), 1982, p. 551-584.

ANToINe CULIoLI, NoRMALIeN ULM, agrégé d’anglais, membre actif du bureau du SNeSup, est l’unique professeur se réclamant de la linguistique (contre seize professeurs de littérature, pour certains proches de la civilisation) à l’Institut d’anglais de la Sorbonne. Il est élu le 22 juin 1968 président du conseil exécutif transitoire de l’Institut d’anglais de la Sorbonne.

La « révolte étudiante » de 1968 a pu apparaître comme un exemple archétypal, et fondateur, de mobilisation de la jeunesse étudiante française de la fin du XXe siècle, d’autant que les perceptions étaient préfor-mées par la geste décennale de « l’évènement » et les témoignages successifs d’anciens représentants politiques de la jeunesse mobilisée. Mais est-il possible de saisir certains principes producteurs de cette révolte et, particulièrement, ceux liés aux transformations du système d’enseignement ? Depuis les premières enquêtes du Centre de sociologie européenne sur la différenciation et la crise de l’université de Paris1, contemporaines des transformations de l’université française des années 1960 et, à la même époque, l’enquête de Noëlle Bisseret2 sur la sélection à l’univer-sité, les recherches spécialisées sur les transformations de l’enseignement supérieur des années 1950 et 1960 et sur les mobilisations étudiantes contemporaines ont été plutôt rares. On dispose d’une série de bilans synthétiques des transformations universitaires des années 1950 aux années 19703, mais aucune enquête empirique de quelque ampleur ne se détache. L’ouvrage de Louis Gruel, utile parce qu’il incite à contrôler les usages du schème du déclassement ou la métaphore de

la dévaluation des diplômes4, explicitée bien auparavant par Jean-Claude Passeron5, ne fournit cependant pas les moyens empiriques, notamment statistiques, de cerner les effets contemporains des transformations du recrutement de l’enseignement supérieur.

Cet article entend donc poursuivre la discussion scientifique sur les effets des transformations de l’ensei-gnement supérieur français des années 1960 et, parti-culièrement, sur les caractéristiques des mobilisations disciplinaires liées à ces transformations. L’usage de schèmes d’analyse partiels (« transformations morpho-logiques », « déclassement », etc.), si l’on se refuse aux facilités de la discussion scolastique de la validité des concepts comme à leur application mécanique, ne vaut que pour autant qu’il s’accompagne d’une augmen-tation des contraintes empiriques de la recherche sociologique. Trois déplacements seront opérés par rapport aux travaux précités. Premièrement, l’ana-lyse sera empiriquement documentée en travaillant provisoirement à l’échelle d’une seule discipline universitaire (l’anglais) dans les années 1960 ; deuxiè-mement, la focale sera portée sur la relation entre la transformation de cette discipline et la mobilisation de ses étudiants et enseignants au sein de la discipline

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6. Pour plus de détails voir Marie-Pierre Pouly, « L’“esprit” du capitalisme et le corps des lettrés. L’inscription scolaire de l’anglais et sa différenciation. XIXe-XXe siècles », thèse de doctorat de sociologie, Paris, eHeSS, 2009.

ou de l’université (et non, par exemple, sur la diffé-renciation ultérieure de leurs trajectoires ; ou sur les formes extra-universitaires de rébellion dans lesquelles les étudiants peuvent être engagés) ; troisièmement, la forte interdépendance entre les luttes étudiantes et les luttes des enseignants de statut subalterne conduira à revisiter le rôle des enseignants en position d’outsiders dans les mobilisations universitaires.

L’anglais universitaire, dans les années 1960, est une discipline de lettres fortement féminisée, dont le corps de savoirs littéraires hérité de la fin du XIXe siècle ne se prêtait guère explicitement à des usages politiques et qui occupait une position relative-ment dominée au sein des facultés de lettres dont elle regroupait pourtant, en 1968, un cinquième des étudiants. Quelle forme spécifique revêt alors chez les anglicistes la crise universitaire, celle qui affecte d’un côté les étudiants (de première génération ou non) accédant à l’enseignement supérieur, de l’autre les enseignants nouvellement recrutés (assistants, maîtres-assistants) et les relations entre les différentes catégories d’enseignants du supérieur (de l’assistant au professeur) ? Quelle traduction politique les trans-formations générales observables à la fin des années 1960 (morphologie universitaire, rentabilité anticipée et réelle des titres scolaires sur le marché du travail, etc.) trouvent-elles dans le cas de cette discipline ? [voir encadré « Méthodes et sources », p. XX].

Stratégies de subversion professorale et mobilisation étudiante

L’étude de la « révolte » des anglicistes en mai-juin 1968 incite à considérer conjointement les effets paradoxaux des transformations morphologiques affectant le corps des enseignants et le public étudiant et, notamment, les effets subjectifs – et leur traduction politique éventuelle – de promotions à des statuts (assistants, étudiants) antérieurement inaccessibles pour la plupart d’entre eux mais qui, du fait de leur élargissement, voient leur valeur sociale s’affaiblir en termes d’accès à des postes et des positions sociales (via, notamment, les concours).

À contre-courant de l’historiographie sur le mai 1968 universitaire, pensé comme une rébellion ou une mobilisation « étudiante », l’établissement d’une chronologie des humeurs contestataires anglicistes en amont de 1968 suggère notamment que la contes-tation développée par les enseignants « de rang B » (assistants et maîtres-assistants) précède, autorise et inspire celle des étudiants qui, en retour, rend possible

dès la fin de 1968, avec la loi Faure, la transforma-tion et la différenciation des cursus anglicistes et l’accélération des carrières en faveur du rang B. On spécifiera donc la forme que prennent les relations entre « générations » universitaires comme les trans-formations qui affectent leurs relations à l’avenir (l’anticipation de l’avenir probable de la discipline et le sien propre), au fondement des stratégies collectives de mobilisation qui s’élaborent alors.

Chronologies d’une mobilisation

La reconstitution de la chronologie d’une mobilisa-tion interne à l’Institut d’anglais (infra nous n’avons mentionné que les éléments principaux6) ; vient double-ment à l’appui de notre démonstration. D’une part, en suggérant que la crise académique (et sa résolution) excède largement les bornes habituellement retenues de la « crise » (ou du « moment ») 1968 – soit seulement les mobilisations de mai-juin. D’autre part, en souli-gnant que préoccupation de « carrière » (perception de la crise du recrutement par les assistants et maîtres-assistants), préoccupations pédagogiques et politiques sont difficilement dissociables. En outre, la division du travail historiographique, qui disjoint les contes-tations enseignantes (très rarement étudiées) et les mobilisations étudiantes, est fortement remise en cause par l’étude des mobilisations de l’avant et de l’après mai 1968 (ici de 1966 à 1969) au sein desquelles prennent sens les mobilisations de l’Institut d’anglais en mai-juin 1968 : la chronologie que permettent de reconstruire les archives existantes, qui documentent de manière très serrée les réunions, commissions, AG tenues pendant trois ans, montre que les revendi-cations des enseignants de « rang B » et des étudiants sont fortement intriquées [voir encadré « Chronologie locale d’une mobilisation (1) : prémices d’une révolte », p. XX].

À travers les comptes rendus de réunion, on voit se poser les problèmes récurrents d’encadrement du nombre d’étudiants (salles et amphithéâtres) et de la division du travail entre enseignants. L’écart entre le nombre de postes d’enseignants demandés au minis-tère et le nombre de postes obtenus suggère l’exis-tence d’une « armée de réserve » de chargés de cours. Ce sont les « problèmes du premier cycle » qui sont souvent évoqués : la prévision d’effectifs pour l’année suivante (respectivement de 2 400 et 1 600 étudiants pour la 1ère et la 2e année en 1967, contre 1 600 en première année en 1966). La discussion porte sur la surcharge de travail des assistants et maîtres-assis-tants, et sur les compensations possibles. En juillet 1967, ce sont les préoccupations des maîtres-assistants

«  Voyez,  tout  ce  que  je  vous  raconte  là,  le 

fait qu’on ne valorisait que l’agrégation, la 

hiérarchie des profs : c’est contre ça qu’on se 

révoltait. Y a eu la révolte étudiante, je ne vais 

pas vous faire un dessin, mais nous les profs, 

enfin les assistants surtout, parce qu’y avait 

très peu de profs, on les a suivis, d’abord parce 

qu’on  était  d’accord  avec  bien  des  choses 

qu’ils disaient mais en même temps une révolte 

contre cette hiérarchisation, ces corpus, ces 

programmes, ces structures qui ne bougeaient 

absolument  pas.  Alors  il  y  a  eu  l’explosion 

démographique, bien sûr. Pour nous, ça allait 

vraiment dans le sens de… bon si y avait pas 

eu 68, on aurait continué à corriger les copies. 

On n’aurait pas eu le pouvoir de démonter ça. »

Assistant d’anglais (américaniste) à l’Institut d’anglais  de la Sorbonne en 1968. Né en 1929, agrégé d’anglais en 1962,  

nommé assistant à la Sorbonne en 1966. Après 1968,  il mettra sur pied un nouvel Institut d’anglais (Charles V)  

avec Antoine Culioli. Entretien du 18 février 2008.

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Méthode et sources

Les développements qui suivent reposent sur l’exploi-tation d’archives et la réalisation d’entretiens, ainsi que sur l’établissement ou le traitement secondaire de séries statistiques. L’étude s’est concentrée sur l’Institut d’anglais de la Sorbonne sis rue de l’École de médecine, entre « la vieille Sorbonne » et la place de l’odéon. Il constitue depuis longtemps, et encore à la veille de 1968, le lieu principal de formation des anglicistes en France. C’est le seul lieu parisien de délivrance de diplômes nationaux d’anglais jusqu’à l’ouverture de Nanterre en 1964 (pour désengorger la Sorbonne) et le haut lieu de la reproduction discipli-naire : une carrière réussie y mène, pour les dernières années de professorat, et la quasi totalité des thèses d’État y sont soutenues.

Nous avons reconstitué les transformations du corps professoral de l’Institut d’anglais de la Sorbonne et les évolutions morphologiques du groupe des étudiants correspondant. Nous avons par ailleurs accédé à des archives de l’Institut d’anglais, en particulier par l’intermédiaire d’un enseignant, Georges Groussier (ancien assistant), qu’un interviewé désignait comme celui qui, à l’époque, « prenait des notes ». Pour la période 1966-1969, nous avons

exploité des tracts, des brochures syndicales, des comptes rendus d’AG, de réunions des assistants et maîtres-assistants, une cinquantaine de CR du Conseil exécutif transitoire de l’Institut d’anglais à partir de juin 1968 (environ une réunion par semaine) ; les dossiers des commissions de réforme et de refonte des cursus mises en place en mai 1968.

Parallèlement, nous avons mené des entretiens avec d’anciens étudiants (nous recommandant à leur tour d’anciens condisciples), en nous appuyant sur la liste des étudiants actifs dans les commissions de mai-juin 1968 et de ceux qui rejoignent dès leur création les UeR d’anglais (Unités d’enseignement et de recherche, devenues UFR) perçues comme « issues du mouvement » de 1968 (pour l’anglais, Vincennes et Charles V, par différence avec Paris III et Paris IV). Nous avons également interrogé certains anciens enseignants de ces années-là. Des entretiens (de 2 h 30 à 9 heures chacun) ont été menés avec les trois anciens présidents du Groupe des étudiants d’anglais (UNeF lettres) dans les années 1960 ainsi que sept étudiants ou étudiantes présents dans les commissions et les AG de l’Institut d’anglais en mai-juin 1968.

7. Philippe Masson, « La réception des Héritiers à l’extérieur de la sociologie (1964-1972) », in Jean-Michel Chapou-lie, olivier Kourchid, Jean-Louis Robert

et Anne-Marie Sohn (dir.), Sociologues et sociologies. La France des années 60, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2005.

8. Signée par l’angliciste Antoine Culioli et par de nombreux membres du CNRS, de l’ePHe et d’Ulm.9. Le corps des assistants d’anglais était

déjà fortement féminisé (43 %) en 1954. en province, la féminisation est beaucoup moins prononcée, y compris parmi les assistants.

concernant la thèse et les modalités pour rendre sa soutenance possible qui sont à l’ordre du jour : avec, par exemple, la demande que la thèse secon-daire puisse être remplacée par des publications (compte rendu de réunion de maîtres-assistants). Et ces revendications qui concernent les conditions de reproduction du corps des professeurs trouvent leur formulation la plus explicite et la plus armée scienti-fiquement lorsque Paul Rozenberg (maître-assistant) distribue en janvier 1968 à ses collègues de rang B un document de vingt pages ronéotées sur « Les problèmes de la recherche en lettres : un cas, l’anglais », qui, statistiques à l’appui, finit par la prédiction prophétique d’une révolte prochaine de ce qu’il appelle « l’armée de réserve » [du rang B].

Le 3 mai 1968, quand éclatent les heurts entre la police et les étudiants, une partie des étudiants non mobilisés, choqués, font leur entrée en politique et viennent suivre les AG et manifester. C’est le Groupe des étudiants d’anglais (GEA : section anglais de la FGEL/UNEF – Fédération des groupes d’études de lettres de l’UNEF, Union nationale des étudiants de France) et le SNESup qui orchestrent la mobilisation à l’Institut d’anglais. L’occupation de « la rue de l’École de médecine » (l’Institut d’anglais, au n° 5) se décide relativement tardivement, le 14 mai 1968. Les AG et les commissions s’y tiennent à partir de ce jour. Finale-ment, l’occupation décidée, elle se fait dans un certain « ordre », avec un comité de nettoyage ; les dispositions sociales des étudiants anglicistes (cf. infra), la position excentrée de l’Institut d’anglais, éloigné de l’attention policière, en font une base de repli et de vie où, selon les témoignages, les commissions se déroulent de façon « moins énervée » qu’au cœur de la vieille Sorbonne.

En mai-juin 1968, à l’Institut d’anglais, les maîtres-assistants et les assistants, dont un petit noyau, essen-tiellement masculin, est à la fois fortement intégré aux institutions universitaires (syndiqués au SNESup, actifs dans l’association des assistants et maîtres-assis-tants, représentants des assistants et maîtres-assistants au Conseil) et mobilisé depuis plusieurs années, sont très présents dans le « Mouvement » et mettent en place des commissions spécifiques sur la recherche, les « carrières et thèses », les « cours magistraux et TD », la « réforme et l’extension du monitorat ».

De leur côté, les étudiants s’interrogent sur les examens (faut-il les passer ?). L’UNEF, contrôlée en anglais par l’Union des étudiants communistes (UEC), met de son côté plutôt en avant la question

de la « démocratisation » en transmettant des réflexions issues de la lecture des Héritiers (ouvrage très lu à l’UEC)7 et en discutant du texte du 12 mai 1968, « Pour une université démocratique »�, appelant les étudiants à participer et contrôler l’enseignement et à réfléchir aux fonctions de conservation sociale du système d’ensei-gnement. Ce texte se retrouve en filigrane dans la plupart des formulations critiques du cursus d’anglais : méfiance de certains vis-à-vis des tentatives de récupé-ration technocratique et patronale ; réflexion en faveur d’une pédagogie rationnelle pour transmettre à tous ce que les enfants des classes privilégiées doivent à leur milieu familial et réforme des examens favori-sant un apprentissage méthodique par l’intermédiaire du contrôle continu ; réforme enfin des carrières et des modes d’exercice du pouvoir à l’université.

Globalement, donc, les commissions étudiantes mettent en avant la question des examens, de la démocratisation, de la dé-hiérarchisation des rapports avec les enseignants tandis que les assistants et surtout les maîtres-assistants s’intéressent au contenu de l’enseignement et à la possibilité de rendre plus « scientifique » la « recherche » en lettres [voir encadré

« Chronologie locale de la mobilisation (2) », p. XX].

Rupture des équilibres du corps professoral et principe des alliances entre professeurs, assistants et étudiants

Mais qui sont les enseignants mobilisés et quels sont les principes de leur mobilisation ? L’équilibre des corps qui prévalait en 1954 (8 professeurs pour 7 assis-tants) et l’appartenance à un « même » milieu restreint d’interconnaissance est rompu : en fin de période (1967), il y a respectivement deux fois plus de maîtres-assistants (30) et trois fois plus d’assistants (47) que de professeurs (17) [ces évolutions sont figurées sur le

graphique 1, p. XX] et ces enseignants ne fréquentent plus tout à fait les mêmes lieux (les lieux d’enseignement se sont différenciés, entre amphithéâtres bondés des premières années et salles de séminaires) ni ne voient passer les mêmes étudiants (plus nombreux), et ils ne se connaissent ou ne s’identifient plus systémati-quement personnellement. L’accroissement global du nombre d’enseignants s’accompagne d’une féminisa-tion au milieu des années 1960, très inégale selon les corps : à peine perceptible chez les professeurs (une enseignante recrutée en 1966 pour seize professeurs hommes), elle progresse fortement chez les maîtres-assistants (multipliée par 1,5 en quatre ans, elle atteint

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37 %) et, surtout, les assistants (elle est quasiment multipliée par deux en trois ans, pour atteindre 69 %)9. Sauf « accident », seul le temps séparait les assis-tants des professeurs en 1954 (il suffisait d’attendre la succession), tandis qu’en 1968, les assistant(e)s et maîtres-assistants sont beaucoup plus nombreux que les postes de professeurs disponibles à terme. Avec un professeur pour plus de quatre assistants et maîtres-assistants (1/4,65), cette structure des grades à l’Institut d’anglais est décrite comme un « goulet d’étranglement » par les enseignants concernés.

Mais l’évolution morphologique prend également des formes plus subtiles. Si les perspectives de renou-vellement « sans heurt » du corps des professeurs semblent compromises, cela se marque aussi par un abaissement de leur âge moyen entre 1954 et 1967 (de 57 à 55 ans) et, en sens inverse, par un vieillissement du corps des assistants (de 34 à 36 ans), condamnés à l’attente. Dans le même temps, tous les corps voient la dispersion des âges de leurs membres augmenter, particulièrement les professeurs, de « générations » différentes (l’écart-type double presque, passant de 6 à 11 ans sur la période, et de 5 à 7 ans pour les assistants). Derrière cette hétérogénéité grandissante, se cachent des conditions de formation « initiale » et de cooptation des docteurs (en tant qu’anglicistes) très différentes, non seulement sous l’angle de l’état des problématiques en vigueur dans les études litté-raires mais, également, celui des expériences initiales d’enseignement à des promotions restreintes et sages de jeunes filles bourgeoises ou à des amphis moins homogènes et progressivement bondés (cf. infra). Cette hétérogénéité de « générations » différentes contribue à la différenciation des comportements pédagogiques (et politiques), certains enseignants pouvant apparaître plus « jeunes » ou plus « proches » des préoccupations des assistants et maîtres-assistants, voire des étudiants.

Mais l’un des déterminants les plus puissants de l’engagement politique et réformateur des professeurs de l’Institut d’anglais, sans doute invisible aux prota-gonistes, est la précocité universitaire, mesurée par l’âge à la soutenance de la thèse d’État et l’âge au moment de l’élection à un poste de professeur à l’Ins-titut d’anglais de la Sorbonne, qui va pousser les plus « jeunes » (socialement), quel que soit leur âge légal en 1968, à contester la « vieille Sorbonne ». L’exploitation des archives et les entretiens révèlent en effet que les enseignants les plus précoces [voir graphique 2, p. XX] – Monod, Las Vergnas pour la génération la plus âgée ; Culioli, Baquet, Poli, Forgue pour les plus jeunes selon l’état-civil – sont les plus mobilisés dans la réforme en cours, même si c’est à partir de positions « politiques », « pédagogiques » ou de « spécialités » différentes (ce qui se traduira par des trajectoires académiques

– investissement dans la création de tel ou tel UER – différentes). Enseignants les mieux dotés en thésards, ils seront les protagonistes les plus en vue du mouve-ment : qu’ils le mènent (Culioli, et dans une optique réformiste, Bacquet) ; l’inspirent (Mayoux comme père spirituel) ; qu’ils occupent des positions temporelles les portant à une forme de réalisme pragmatique face au mouvement (Las Vergnas, qui devient doyen de la Sorbonne en mai 1968 ; Monod, directeur de l’Institut d’anglais de la Sorbonne au moment du mouvement puis caution de la « droite réformiste » à Vincennes où il fait un passage éphémère) ; ou que, très jeunes recrutés dans des spécialités encore marginales (études américaines), ils mènent la réforme des cursus en faveur de ces spécialités (Poli, Forgue).

« Le vent de la linguistique souffle à gauche »

Qu’en est-il alors du côté des assistants et maîtres-assistants, corps dont on a déjà souligné la crois-sance et l’hétérogénéité grandissante ? Par rapport à la majorité des professeurs (plus âgés, nés dans les années 1920 pour les plus jeunes), une partie des assis-tants et des maîtres-assistants, pour la plupart nés dans les années 1930, ayant fait l’expérience de la guerre dans leur enfance, puis, notamment pour les hommes, directement concernés par la guerre d’Algérie, s’est progressivement politisée, aussi bien autour de cette guerre – certains ont été « porteurs de valise » – que par l’intermédiaire de la syndicalisation au SNESup et, de manière plus spécifique (et locale), de l’association des maîtres-assistants et des assistants d’anglais. Mais l’explication de la mobilisation des assistants par leur politisation antérieure et extérieure à l’univers acadé-mique n’est pas suffisante.

Comme on l’a montré dans la section précédente, certains enseignants très engagés dans la critique des conditions de travail universitaire et la réforme des études d’anglais sont aussi de jeunes professeurs déjà reconnus académiquement, dont la carrière a été rapide et qui dirigent déjà beaucoup de thèses. Ils se caracté-risent aussi, pour une large fraction d’entre eux, soit de longue date, soit plus récemment (le printemps 1968), par leur proximité aux jeunes assistants et maîtres-assistants mobilisés. Certains d’entre eux, tout en étant syndiqués et politisés (membres du SNESup – éventuel-lement de son bureau –, membres du PC, etc.) peuvent également représenter plus spécifiquement (d’un point de vue interne à la discipline), une conception de la discipline encourageant l’investissement pédagogique et politique des prétendants, notamment lorsque leur critique pédagogique (d’abord) et politique (ensuite) des structures anciennes peut aussi s’appuyer sur la référence exigeante à la « science » dont ils peuvent apparaître comme les « prophètes exemplaires », 10. Max Weber, « IV. Le prophète », Sociologie de la religion, traduit et présenté par Isabelle Kalinowski, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2006, p. 167-171.

indiquant, « par leur propre exemple », une voie de salut à ceux qui les suivent, comme le montre le cas d’Antoine Culioli et de la linguistique10.

Depuis le XIXe siècle, la littérature britannique domine au sein des études universitaires de langues. La position d’outsiders des thésards assistants et maîtres-assistants de linguistique (c’est, jusqu’alors, la philolo-gie qui domine) et « d’études américaines » (le terme est anachronique) renforce les dispositions critiques de cette sous-fraction du rang B, derrière la bannière de la « linguistique » et de son représentant principal à l’Institut d’anglais, Antoine Culioli. Professeur, norma-lien Ulm, membre actif du SNESup, ancien membre du Parti communiste, auditeur du séminaire d’Althusser de la rue d’Ulm, il cumule les ressources académiques et politiques au sein de l’univers relativement dominé des anglicistes, par rapport aux autres disciplines de lettres (notamment la philosophie). Il est donc le mieux à même de contribuer localement (i.e. en anglais) à l’aggiornamento des études littéraires, face à la concur-rence de la linguistique et des sciences sociales, en renvoyant au passé l’impératif littéraire de rigueur académique, philologique. Il sera dit, en 1968 à l’Insti-tut d’anglais de la Sorbonne, que « le vent de la linguis-tique souffle à gauche » : la position de leader occupée par Antoine Culioli permet d’identifier les formes de capital efficientes dans cette conjoncture : propriétés scolaires élevées et occupation très précoce d’un poste de professeur ; référence à la science que permet la référence à une science « jeune » et ésotérique, la linguis-tique et le passage par le CNRS (seulement permis via cette spécialité en l’absence de section littéraire) ; ressources politiques, syndicales et théoriques.

Désajustement et contestation : le caractère structurant du cadre disciplinaire

La transformation des propriétés sociales et scolaires des étudiants d’anglais au cours des années 1960 favorise des formes spécifiques d’« agitation des idées » qui s’autorisent de la révolte d’une fraction des enseignants et, bien entendu, de la rébellion, plus générale, de 1968.

Le cadre disciplinaire est fortement structurant même si les animateurs du mouvement s’appuient sur des ressources politiques externes à la discipline. Spatialement, c’est autour de l’Institut d’anglais de la Sorbonne, rue de l’École de médecine, que s’orga-nise la mobilisation des anglicistes : en dehors des manifestations, seuls les plus dotés en ressources politiques et syndicales fréquentent un espace qui excède largement celui de l’Institut (ce dont ils tirent profit localement), à la différence des étudiant(e)s

« seulement » anglicistes. Du côté des enseignants comme des étudiants, ce sont les considérations pédagogiques et la réforme du curriculum angliciste et de la hiérarchie des objets d’étude qui priment. Les enjeux de la mobilisation sont par ailleurs fortement déterminés par le destin modal qu’implique l’inscrip-tion dans la discipline (à tel moment historique) et les propriétés sociales qu’elle sélectionne. L’étude de la mobilisation des étudiants anglicistes de 1968 invite donc à prendre en compte l’effet de l’appartenance disciplinaire (les prétentions culturelles et sociales associées à la position qu’occupe la discipline au sein de l’université) sur les formes d’engagement.

Transformations morphologiques et déstabilisation du rapport à l’avenir

Si l’on suit l’hypothèse de Pierre Bourdieu sur les déterminants de la mobilisation politique au sein des disciplines de lettres en 1968, les disciplines où les chances d’accès aux postes les plus élevés étaient statistiquement faibles et où les nouveaux publics ne possédaient pas les dispositions canoniques universi-taires ont été des moteurs de la contestation étudiante. L’anglais occupe une position ambivalente de ce point de vue. On peut en effet s’interroger sur les effets spéci-fiques de la réduction des chances objectives d’accéder aux positions académiques les plus élevées (pour les nouveaux enseignants de rang subalterne) et, surtout, de la rencontre entre les dispositions « contestataires » (structurellement) de ces enseignants avec celles des étudiants nouvellement inscrits à la Sorbonne.

L’anglais est alors une discipline qui possède un large vivier d’agrégés porteurs des dispositions canoniques disciplinaires (quand les besoins en ensei-gnants augmentent, il n’est donc pas nécessaire de « piocher » parmi les non-agrégés) ; c’est, par ailleurs, une discipline où l’origine sociale des étudiants – et donc les aspirations sociales inculquées dans la famille d’origine – est sans doute moins élevée que dans les disciplines de lettres plus anciennes (notamment pour les garçons) mais aussi les disciplines des « licences libres » (sociologie notamment) ; une discipline, enfin, où la forte féminisation est ancienne, tant pour le public étudiant que pour le corps enseignant subalterne (alors que pour certaines disciplines, comme le français ou l’histoire, la féminisation du corps profes-soral s’opère très rapidement à la fin des années 1960).

Contrairement à la sociologie et la psychologie ou, dans une certaine mesure, la géographie, la discipline est proche, par certaines de ses propriétés, des disciplines canoniques agrégatives (taux élevé d’agrégés dans

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11. Les données ont été extraites et les calculs ont été établis à partir de la Base ADoC/IS 9. Statistiques des examens et diplômes de l’enseignement supérieur – univer-sités de métropole et d’Alger. B Y. Delsaut, « Les opinions politiques dans le système des attitudes… », art. cit. 13. N. Bisseret, « La sélection à l’université… », art. cit.

le secondaire et le supérieur) dont les produits les plus conformes passent par une classe préparatoire, éventuellement une école normale supérieure puis obtiennent l’agrégation, avec l’enseignement comme horizon principal. Mais elle occupe parmi elles une position dominée (par exemple, taux de féminisation élevé ; taux de normaliens Ulm le plus faible parmi les professeurs de disciplines lettrées). Elle peut de ce fait apparaître plus accessible à de nouveaux entrants dans l’université, caractérisés par un faible héritage culturel familial. De leur côté, les étudiants masculins bourgeois – il s’agit sans doute rarement de la grande bourgeoisie – s’y trouvent en partie faute de résultats ou de titres scolaires assez élevés pour prétendre aux études plus prestigieuses et plus masculines (grande école, droit, médecine, histoire ou philosophie). Ces étudiants se trouvent potentiellement en situation de déclassement relatif (par le bas), à la fois parce que la discipline offre un faible rendement symbolique et que les métiers (secrétariat, traduction, hôtelle-rie, concours de la fonction publique, enseignement) auxquels elle mène de manière probable sont en-deçà de la position familiale d’origine.

Les effectifs étudiants de lettres et sciences humaines connaissent une croissance soutenue à partir de la fin des années 1950 : ils sont multipliés par trois entre 1960 et 1968 pour atteindre quelques 250 000 étudiants. Pour l’anglais, le nombre de licences d’enseignement délivrées est multiplié par quatre entre 1957 et 1973 (la croissance du nombre d’étudiants est plus malaisée à établir)11 : il passe de 710 en 1957, soit plus du quart du total des licences d’enseignement en lettres, à 2 336 en 1968. La croissance des inscriptions en anglais dans les années 1950-1960 est plus forte que celle des postes d’enseignants sur lesquels peuvent déboucher les études de langues : la rentabilité du passage dans l’enseignement supérieur risque de diminuer.

À l’augmentation du nombre d’étudiants et de licences décernées correspond une augmentation (plus tardive) du nombre de postes mis au concours mais, également, des candidats à l’agrégation et au CAPES. L’anglais est une des rares disciplines, sinon la seule, où les chances d’obtenir l’agrégation (quand on s’y présente) augmentent au cours des années 1960. Cela contraste fortement avec le CAPES d’anglais où le nombre de candidats (plus directement lié au nombre de licences décernées récemment) augmente beaucoup plus vite que celui des postes : le taux de réussite s’effondre à partir de 1962 [voir graphique 3, p. XX]. De plus, l’aug-mentation des postes d’enseignement dans le secondaire correspond surtout à l’ouverture de l’enseignement de

l’anglais à de nouveaux publics plus populaires (par exemple au sein des CES et CEG) et à une augmentation des postes peu prestigieux (maîtres auxiliaires et PEGC), ce qui tend à dévaluer l’accès à la condition de profes-seur du secondaire, pourtant rendu plus concurrentiel avec l’augmentation des effectifs étudiants.

Transformation des propriétés et des horizons d’attente

L’émergence des contestations étudiantes en anglais, mais aussi, peut-être, la forme relativement « modérée » qu’elles prennent (centrées sur la rationalisation du mode d’accès au professorat), partagées et animées par des assistants, maîtres-assistants et quelques rares professeurs aux objets d’étude marginaux, est en partie à relier aux transformations du public de l’Institut d’anglais entre les années 1950 et la fin des années 1960. L’augmentation des effectifs se double en effet d’une modification du recrutement social des étudiants des universités, inégale selon les secteurs disciplinaires, où c’est en lettres que l’accès des enfants d’ouvriers, d’employés et d’agriculteurs croît le plus.

Le public étudiant en anglais s’est féminisé très tôt. En 1957, les licenciés d’anglais (France entière) sont à 69,4 % des femmes. Une enquête par questionnaire d’Yvette Delsaut, administrée en 1965, portant sur un échantillon raisonné de 2 300 étudiants des facultés des lettres et sciences humaines de Paris et de province, place l’anglais, discipline la plus féminisée, en position moyenne du point de vue de l’origine sociale, avec 56 % de classes supérieures contre 35 % en géographie et 88 % en histoire de l’art ; et du point de vue scolaire avec 28 % de mentions au baccalauréat contre 21 % en psychologie et 23 % en histoire de l’art, disciplines également très féminisées et, à l’autre extrémité, 53 % en lettres classiques12. Mais l’asymétrie du recrutement social selon le sexe est très nette : alors que 62 % des filles sont originaires des classes supérieures et semblent choisir l’anglais pour son rendement social mondain, c’est le cas de seulement 24 % des garçons, globalement plus sélectionnés scolairement (34 % de mentions au baccalauréat contre 27 % pour les filles) et très jeunes (51 % ont moins de vingt ans au moment de l’enquête contre 33 % des garçons en philosophie et 15 % de ceux en sociologie). Les contrastes sont similaires dans l’enquête contemporaine de Noëlle Bisseret13.

L’orientation prioritaire des catégories populaires vers les lettres (et l’anglais parmi les lettres) tient moins aux dispositions qui les y porteraient – elles valorisent une culture lettrée qui favorise les héritiers – qu’à une orientation par défaut, vers une filière accessible à ceux

Chronologie locale d’une mobilisation (1) : prémices d’une révolte

[1966 : « Réforme Fouchet » (décrets du 22 juin 1966). elle porte à quatre ans la scolarité des facultés de sciences et des facultés des lettres et sciences humaines : deux années pour le premier cycle (DUeL) et deux années pour le second cycle (licence, maîtrise). La maîtrise remplace le Diplôme d’études supérieures (DeS). La réforme suscite l’opposition des étudiants car elle limite les redoublements dans le premier cycle, oblige à faire des choix de discipline dès l’entrée à l’université et n’apporte aucune résolution à la question de l’augmentation des effectifs et de l’échec universitaire1].

27 octobre 1966 : Réunion des maîtres- assistants et assistants d’anglais, « salle des maîtres- assistants et assistants d’anglais » (au rez-de-chaussée de l’Institut d’anglais ; les professeurs trônent à l’étage). Le nombre de présents est assez élevé : 42 sur 67 assistants et maîtres-assistants recensés

par les organisateurs de la réunion. Les discussions portent sur l’organisation des enseignements (et, notamment sur les TD de première année, sur les conditions de la réussite en première année), sur les « glissements de fonction », sur la mainmise des professeurs sur l’élaboration des contenus pédagogiques, sur le manque de postes de chargés d’enseignement, sur la revendication de pouvoir devenir chargés d’enseignement non docteurs avant d’avoir fini la thèse.

16 mai 1967 : Réunion des assistants et maîtres-assistants. Des représentants du Groupe des étudiants d’anglais sont présents et réclament des TP en rapport avec les cours magistraux.2

1. Sur la conception et la mise en œuvre de cette réforme, voir J.-P. Legois, « La Sorbonne avant mai 68… », op. cit.2. NoTe 2?

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Chronologie locale de la mobilisation (2)

12 mai 1968 : publication nationale du texte « Pour une université démocratique » (« localement » signé par Antoine Culioli, professeur).

[Pour mémoire : lundi 13 mai 1968 : grève de 24 h et défilé unitaire République/Denfert-Rochereau ; autour d’un million de manifestants].

14 mai 1968 :occupation des locaux de l’Institut d’anglais de la Sorbonne (orchestrée par le Groupe des étudiants d’anglais et le SNeSup).

14, 15, 16, 17, 20 mai : assemblées générales à l’Institut d’anglais et commissions (qui se tiendront pendant plusieurs mois) : « structure de l’Institut d’anglais », « examens », « cahiers de doléances », etc. Les responsables des commissions sont assistants, maîtres-assistants ou étudiants ; les seules étudiantes présentes sont préposées à l’accueil des étudiants de première année.

16 mai 1968 : motion de l’AG des étudiants anglicistes critique des examens, des « formes archaïques » de la thèse et de l’agrégation, des exercices littéraires.

16 mai 1968 : dernier conseil de l’Institut d’anglais, ancienne manière. Il s’élargit en un « conseil transitoire », composé des 17 professeurs titulaires, de 8 assistants et maîtres-assistants, de 9 étudiants. Il « se réunira avant le 30 mai pour élaborer les modalités de mise en place des nouvelles structures de l’Institut ».

18 mai 1968 : Durry, le doyen de la faculté des lettres et sciences humaines de Paris, « atteint par la limite d’âge », est remplacé par M. Las Vergnas,

premier assesseur « chargé d’assurer la marche de la faculté jusqu’à la création des structures nouvelles auxquelles seront associés les étudiants » (Las Vergnas est professeur et, jusqu’alors, directeur de l’Institut d’anglais).

22 mai 1968 : l’assemblée générale des enseignants de l’Institut charge Sylvère Monod (professeur à l’Institut d’anglais) d’assurer la mise en place des nouvelles structures de l’Institut en remplacement de M. Las Vergnas (ancien directeur de l’Institut).

Mai 1968 (mi-mai) : mise en place d’une commission paritaire (12 enseignants, 12 étudiants) afin de produire une critique raisonnée du CAPeS et de l’agrégation (motion du 20 juin : critique de l’inadaptation des concours de recrutement des enseignants du secondaire ; motion du 27 juin, pour l’élaboration d’un « mode unique de recrutement », dit « MUR »).

Juin 1968 : mise en place du conseil exécutif transitoire de l’Institut d’anglais (élu par les enseignants – professeurs, maîtres-assistants, assistants).

22 juin 1968 : élection d’Antoine Culioli à la prési-dence du conseil exécutif transitoire de l’Institut d’anglais (Sylvère Monod, concurrent, ne s’est pas présenté). Il est prévu que le Ce, composé à égalité d’étudiants et d’enseignants, se réunisse une fois par semaine et les AG au moins une fois tous les deux mois.

Juin-juillet 1968 : luttes de légitimité entre le conseil de faculté – institué par le décret du 28 décembre 1885 – et les conseils exécutifs transitoires des différents instituts de la Sorbonne.

1er juillet 1968 : conseil de faculté, le matin. Discussion sur la rentrée de septembre : « la faculté atteint des dimensions monstrueuses, il faut construire pour assurer la rentrée du premier cycle ». Voté à l’unanimité moins 8 abstentions et 2 contre, dont Culioli « car ce vote reconnaît la légalité du conseil [de faculté] et le plan Fouchet, sépare le 1er et le 2e cycle » [autrement dit l’enseignement et la recherche].

1er juillet 1968 : « motion Lanoix » : « l’AG d’anglais ne reconnaît plus l’autorité du conseil de faculté […] elle demande au conseil de faculté de se dissoudre dans les plus brefs délais ». L’occupation de l’Institut est voté jusqu’au 12 juillet (4 abstentions, 1 contre).

Août 1968 : réunions chez Pierre Dommergues, maître-assistant pour mettre en place la structure du diplôme d’anglo-américain de Vincennes. Un certain nombre d’étudiants « mobilisés » y assistent.

Septembre, octobre, novembre 1968 : Les commissions continuent à se tenir. Les débats continuent sur le mode unique de recrutement, tandis que des réunions à ce sujet ont lieu au ministère (edgar Faure, semble-t-il, temporise).

14 octobre 1968 : le conseil exécutif de l’Institut d’anglais décide de ne préparer au concours d’agrégation en 1969 à la condition que ce soit

le dernier du genre et que les négociations sur le « mouvement unique du recrutement » soient immédiatement ouvertes (« motion Guierre »).

[12 novembre 1968 : promulgation de la loi « Faure »].

2 décembre 1968 : rejet à l’unanimité de la proposition Alliot (chef du cabinet d’edgar Faure) concernant un recrutement au niveau CAPeS pour tous ; demande de « la plus haute qualification théorique et pratique pour tous ».

Octobre 1968-avril 1969 : discussions, au sein du conseil exécutif de l’Institut d’anglais sur la création des UeR et la répartition des enseignants dans ces UeR.

Janvier 1969 : ouverture du Centre universitaire expérimental de Vincennes et départ d’une partie des professeurs, maîtres-assistants, assistants.

25 février 1969 : pot pour fêter l’ouverture de Charles V, Institut d’anglais ultérieurement rattaché à Paris VII, dirigé par Culioli, dans les locaux repérés par des maîtres-assistants américanistes (situés dans le Marais).

Mai 1969 : fixation par le ministère de la liste des UeR et demande aux enseignants de choix concernant leur rattachement.

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Sources : données construites à partir des annuaires de l’enseignement supérieur, des bases de données bibliographiques SUDoC, des nécrologies, du fichier des thèses (1965-1967), etc. on a fait figurer les 17 professeurs (rang A) de l’Institut d’anglais en 1968, selon l’âge à leur soutenance de thèse et l’âge à leur nomination à la Sorbonne. on a distingué les spécialités (littérature anglaise, littérature américaine, linguistique) et mis en italique les enseignants âgés de moins de 50 ans en 1968 (tous nés dans les années 1920). La taille des points est proportionnelle au nombre de thèses principales inscrites entre 1965 et 1967 avec chacun des enseignants. Les axes (abscisses, ordonnées) ont subi une translation visant à les faire correspondre aux âges moyens (à la thèse, à la nomination). Les enseignants les plus « précoces » sont situés en bas à gauche du graphique, sous la diagonale.

Graphique 2

Les professeurs de l’Institut d’anglais en 1968, âge à la thèse et âge à la nomination comme professeur à la Sorbonne

Source : exploitation des annuaires d’enseignants.

Graphique 1

Effectifs respectifs du corps des professeurs, des maîtres-assistants et des assistants à l’Institut d’anglais de la Sorbonne en 1954, 1963 et 1967

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qui n’ont pas fait « math-élèm », en passe de devenir la filière d’excellence au baccalauréat, entraînant un déclassement des bacheliers littéraires. De plus, les langues modernes semblent, parmi les lettres, ouvertes à ceux qui n’ont pas étudié le latin.

On peut suggérer, à partir des entretiens menés avec des étudiants de l’Institut d’anglais des années 1950 et surtout 1960, que l’orientation vers les langues vivantes et, plus spécifiquement, l’anglais, a pu apparaître, pour certains enfants d’ouvriers, d’employés, de petits commerçants ou d’agriculteurs, comme un choix « réaliste » et former un goût de nécessité pour une matière qui paraissait plus « facile » et pouvait « toujours servir à quelque chose », notamment pour les étudiants issus de la petite bourgeoisie tradition-nelle (petits artisans et petits commerçants), valorisant les études ayant valeur d’apprentissage. Pour cette génération d’étudiants nés pendant ou juste après la Seconde Guerre mondiale, la maîtrise de la langue anglaise commune, obtenue par l’intermédiaire d’activi-tés extrascolaires indissociables de la valeur symbolique récemment acquise par les États-Unis, nation doréna-vant la plus puissante économiquement et militairement (par exemple, via les interactions avec des militaires américains, dans le cadre d’une sociabilité masculine populaire), pouvait se voir attribuer une valeur dans un sous-espace du marché scolaire, dans la mesure où elle rencontrait les encouragements d’enseignants d’anglais, proposant un travail linguistique qui faisait écho à l’expérience de l’existence de différents marchés linguistiques par certains de ces (bons) élèves d’origine populaire et petite-bourgeoise, les renvoyant parfois aux situations de diglossie des familles « immigrées » (de l’Europe centrale ou du Maghreb en voie de décolo-nisation) et aux changements de marché linguistique liés à l’acculturation scolaire.

Ce que suggèrent les entretiens de manière récur-rente, c’est que le « choix de l’anglais », par rapport à des matières plus « élevées » et plus désincarnées ou abstraites, plus difficiles d’accès scolairement et donc plus inaccessibles pour la carrière enseignante, apparaissait alors peu risqué car perçu comme acqui-sition (ou renforcement) de dispositions linguis-tiques aisément reconvertibles dans les métiers du commerce, si la carrière enseignante ne se concrétisait pas. Ainsi, l’orientation disciplinaire sous la double bannière de l’enseignement et du commerce offrait-elle à l’investissement de familles populaires (ou de petits artisans dont l’accès à l’enseignement secondaire dans ces décennies-là était en voie d’accroissement) une solution de transition (et perçue comme peu risquée) dans une trajectoire familiale plus globale de reconversion d’un petit capital économique en capital culturel. La croissance de cette catégorie d’étudiants

dans les études d’anglais (qu’il faudrait documenter plus avant) a toutes les chances de s’être accompagnée d’un désajustement des étudiants masculins et/ou d’ori-gine populaire par rapport à la définition mondaine (littéraire) de la discipline académique conçue comme une discipline « féminine » en harmonie avec le rôle social traditionnellement imparti aux femmes de facili-tation de l’entretien du capital social et culturel (histoire de la littérature anglaise) ou de collaboration technique (interprétariat, secrétariat bilingue).

L’investissement de certains de ces anglicistes masculins (étudiants et enseignants) dans le journa-lisme et la politique et l’articulation au sein de la discipline d’une définition moins littéraire des études anglaises, avec la civilisation qui se rapproche de l’histoire, matière plus masculine, et du journalisme, et la linguistique, redéfinissant l’ancienne philolo-gie exégétique en matière plus proche des sciences et empruntant la rigueur du formalisme, ou encore la redéfinition politique de tous ces sous-domaines de « l’anglistique », tient sans doute autant à la féminisa-tion de l’accès aux postes qu’aux dispositions sexuées et sociales d’étudiants masculins, souvent d’origine plus populaire, qui vont se définir et chercher à redéfi-nir la discipline contre les dispositions alors exigées par l’analyse littéraire, et l’inscription dans le monde des relations humaines et de la culture mondaine.

À partir des années 1950 et surtout des années 1960, le public étudiant tend donc à devenir plus populaire chez les hommes et, plus souvent qu’avant, chez les femmes. Une partie des hommes et des femmes se trouvent désormais, au moment de leurs études à l’Institut d’anglais, dans une situa-tion homologue de transition entre la famille d’ori-gine et la famille de procréation et entre l’école et le marché du travail, partageant l’horizon probable du professorat. Cette homogénéisation du recrute-ment et de l’usage sexué des études d’anglais explique que l’Institut d’anglais devienne en lui-même un lieu de rencontre matrimoniale (contrairement à la période précédente). On peut alors comprendre la mise en place d’activités sociales (le Club d’anglais, au début des années 1950), l’organisation de « fêtes » et les blagues qui circulent, au cours des années 1960, sur les « vocations » des garçons qui font le choix de l’anglais, attirés par un lieu où la compétition pour les femmes est moins forte que dans d’autres disciplines.

On peut également comprendre la transformation du Club d’anglais, au début des années 1960, en lieu de sociabilité mixte plus centré sur les conditions d’étude, sur l’investissement dans la définition d’anglicistes amenés à préparer les concours (avec la publication d’un journal lié aux contenus des études interprété d’un point de vue politique : les États-Unis et la guerre

Source : Ministère de l’Éducation nationale. Taux de réussite : calculé sur les présents (les chiffres de 1968 n’ont pas été conservés dans les archives disponibles).

Graphique 3

Évolution du taux de réussite aux CAPES de langues, 1960-1974

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du Vietnam, par exemple ; la mise en scène de pièces de théâtre avec des œuvres au programme) et, au cours des années 1960, l’ébauche de réflexions politiques, par exemple sur les débouchés, à mesure que grossit un public d’origine sociale moins élevée et dont le passage par l’Institut d’anglais est plus nettement articulé à la nécessité explicite de trouver un emploi.

« L’agitation des idées » : désajustement des dispositions et politisation

Il faudrait décrire plus avant cet univers culturel dense de sociabilité d’étudiants à la fois en situation d’irres-ponsabilité provisoire et dont les investissements sont en partie modelés par le calendrier et les impératifs de la vie universitaire : un univers au sein duquel émerge-ront les critiques des conditions d’études et les mobili-sations qui prendront un tour « politique ». Mais l’on se contentera, en gardant à l’esprit ce qui a été analysé jusqu’ici des propriétés des corps enseignants et des cohortes d’étudiants, d’esquisser quelques trajectoires pour donner à voir la manière dont s’opère la politi-sation et la mobilisation pour la réforme des études, dans le cas d’étudiants âgés de 20 à 30 ans en 1967 et fortement intégrés – ou en voie d’intégration dans la discipline. En contrepoint, on présentera aussi la trajec-toire d’une étudiante qui se politise sans oser toutefois prendre la parole. La présentation des trajectoires qui ont conduit ces étudiants à l’anglais sera parfois accom-pagnée de l’évocation rétrospective du public de l’Ins-titut d’anglais, par ces étudiants assez politisés et donc auxquels, à l’époque, s’impose le schème d’opposition bourgeois/non bourgeois. Cette évocation et celle des transformations de la sociabilité (y compris politique) suggèrent comment l’expérience des études d’anglais se transforme sur une période d’une quinzaine d’années, avec la substitution des formes de sociabilité politique (ou semi-politique avec les groupes de travail univer-sitaire) à des formes de sociabilité antérieures plus « bourgeoises » (« thés dansants »).

Les trois trajectoires suivantes d’étudiants forte-ment impliqués dans la vie politique de l’Institut d’anglais de la Sorbonne correspondent à des cas de mobilité ascendante par l’école ayant mené à l’anglais, entre 1952 et 1967, de jeunes gens qui étaient tous premiers de la classe dans des institutions scolaires moyennes de l’enseignement secondaire, dans des lycées mixtes de petites villes de province (Aaron) ou dans des écoles normales d’instituteurs où ils ont été orientés en raison de leur origine populaire (Pierre ne pouvait payer les fournitures scolaires du lycée ; l’instituteur d’Alain ne voulait pas l’envoyer en lycée de crainte qu’il ne soit pas « à sa place » dans un lycée bourgeois, alors qu’il était premier de sa classe). Bons élèves dans les filières « réservées » aux classes

populaires, ils se retrouvent élèves moyens en prépa (Pierre, ratant de loin le concours de normale sup’) ou en propédeutique (Aaron déclare un gros retard en histoire et Alain passe deux fois propédeutique pour « obtenir les IPES », bourses d’étude obtenues par concours et contre engagement à devenir enseignant).

Pierre, né en 1937, est fils d’une couturière « qui maîtrisait parfaitement l’orthographe » et aurait voulu continuer ses études et d’un employé des Postes et télégraphes, communiste, cadet de petits métayers dans les Landes. Les parents de Pierre sont venus s’ins-taller en région parisienne quand l’aîné de la famille paternelle reprend la ferme. Pierre est étudiant à la fin des années 1950 à l’Institut d’anglais. D’abord élève d’une école normale d’instituteurs, il s’oriente vers l’anglais comme d’autres camarades de l’école normale à un moment où l’augmentation des besoins d’ensei-gnants du secondaire en langues pousse le ministère à encourager la continuation des études parmi les bons élèves de l’école normale d’instituteurs. Le choix de l’anglais s’est fait, dit-il, « par défaut », « de toute façon, ça pouvait toujours servir à quelque chose ». À la fin de propédeutique, il obtient le concours des IPES et pendant sa licence, travaille avec un organisme de voyages et de guides touristiques, « Inter échanges ».

L’orientation vers les études d’anglais se fait dans les mêmes circonstances, pour Alain, né en 1940, étudiant à l’Institut d’anglais après l’école normale d’instituteurs au début des années 1960. Fils d’une couturière et d’un coupeur, communiste, tous deux émigrés juifs de Salonique, il parle déjà très bien l’anglais en propédeu-tique car, dit-il, il a eu, dès la sixième, des enseignants très « gentils », plus proches de lui socialement, qui lui ont appris la phonétique, un « code secret ». Il a aussi appris l’anglais, adolescent en butte aux accusations antisémites et poussé par l’injonction assimilatrice familiale, en s’investissant dans une secte fondée par une américaine lui permettant de « devenir » chrétien, par la lecture de la Bible en anglais et des échanges avec des familles anglaises. N’ayant pas suivi le cursus des lycées bourgeois, il a par ailleurs des difficultés dans d’autres matières de propédeutique : l’orientation vers l’anglais, qu’il maîtrise, s’impose à lui. Politisé à l’UEC à l’école normale, il participe aux activités de l’UNEF dès la propédeutique. Il déclare avoir reçu son premier coup de matraque à la manifestation de l’UNEF contre le massacre des Algériens d’octobre 1961. Lorsqu’Alain arrive à l’Institut d’anglais en 1961, le secteur langue (notamment anglais et allemand) se distingue des autres secteurs de la FGEL par son « apolitisme » déclaré, alors que l’UNEF est déjà massi-vement ancrée à gauche. Il s’inscrit à ce qui est encore le « Club d’anglais », en prend la direction et le transforme en Groupe des étudiants d’anglais (GEA). Le journal

14. Cette stratégie, mise en place à l’Institut d’anglais vers 1962, correspond à la stratégie de l’UNeF de la période, voir Alain Monchablon, Histoire de l’UNEF de 1956 à 1968, Paris, PUF, 1983.

du club puis du GEA, The Soap Box, devient « syndi-cal » pour la ligne éditoriale et « lié aux études pour le reste », avec quelques interviews des professeurs. Le GEA devient une composante du bureau de la FGEL (UNEF lettres Sorbonne) : « On utilisait les locaux du GEA pour organiser les groupes de travail. Ce qui changeait de l’aspect uniquement fiesta ou commerce d’avant. Avant, il y avait des thés dansants. Ça ne veut pas dire qu’on ne l’a jamais fait, on a organisé une ou deux fêtes, mais c’était beaucoup moins chic. […] »

Ce n’est donc qu’à partir des années 1962-1963 que l’arrivée à l’Institut d’anglais renforce, pour certains, une activité politique déjà existante, souvent héritée de parents communistes. Pierre, étudiant d’anglais à la toute fin des années 1950, déjà sympathisant commu-niste, adhère à l’UNEF lettres et milite contre la guerre d’Algérie (« je n’ai jamais raté une manif, hein »), mais à l’extérieur de l’Institut d’anglais. Pour lui, l’UNEF anglais est encore un club de sociabilité bourgeoise et la politisation est extérieure à ses études d’anglais : « Il y avait un petit local du bureau de l’UNEF dans l’Institut. Il y avait une sorte de petite coterie, qui se connaissait bien. Il y avait un club, ça s’appelait le Club anglais où il y avait des fêtes. Ça faisait un peu club, ils organisaient des thés dansants. J’en faisais pas partie moi, j’aspirais pas à en faire [partie]. ». Alain parvient à transformer l’UNEF anglais – resté une amicale corporatiste « apolitique » plus longtemps que dans les autres secteurs des lettres – en mouvement politique tenu par la gauche, luttant contre la guerre d’Algérie et pour la mise en place des Groupes de travail étudiant, puis contre la réforme Fouchet en 1966.

Aaron, né en 1944, fils d’un petit fermier juif marocain, cafetier dans le Nord après l’immigration à la fin des années 1950, a appris l’anglais en fréquentant assidûment des soldats américains d’une base militaire de son village, revendant cigarettes et whisky obtenus par cet intermédiaire dans son internat ; pour ses parents valorisant le savoir, et émigrés donnant l’injonc-tion à leurs enfants de « s’intégrer », il va de soi qu’il doit faire des études. Il dit avoir toujours voulu être ensei-gnant. En propédeutique, il s’aperçoit qu’il a beaucoup de retard en histoire et il s’oriente, en 1964, vers l’anglais où il devient très bon étudiant. Le passage par l’Institut d’anglais initie dans son cas une « prise de conscience » politique. Utilisant d’abord le Groupe des étudiants d’anglais comme un lieu de sociabilité permettant de se former une « culture libre » adjuvante de ses études (cinéma, théâtre), il ne perçoit une dimension politique à son investissement extrascolaire qu’à la faveur de la mise en mots politiques de son expérience sociale et scolaire

et de l’organisation des études, pendant les événements de mai-juin 1968, qui, dit-il, lui font découvrir « qu’on pouvait faire les choses autrement ».

Malgré l’augmentation des effectifs étudiants, ceux de l’UNEF baissent plutôt à l’Institut d’anglais au milieu des années 1960 : c’est le reflux après la guerre d’Algérie. La guerre du Vietnam mobilise moins direc-tement, même si elle est très commentée par les respon-sables du GEA et du journal des étudiants d’anglais, le Soapbox (et par Culioli dans ses cours). Les dirigeants de l’UNEF restant très politisés à gauche, il existe un décalage entre leurs centres d’intérêt et ceux d’une bonne partie des étudiant(e)s en anglais, encore peu politisé(e)s. À cela s’ajoutent des scissions internes au mouvement communiste estudiantin.

Quand Antoine arrive à la Sorbonne en septembre 1965, après une socialisation politique aux Jeunesses communistes du lycée Voltaire, il devient président de l’Union des étudiants communistes. Paradoxalement, alors que l’UEC cesse de dominer la FGEL (UNEF lettres), Antoine parvient à se faire élire président du Groupe des étudiants d’anglais en 1966. L’UEC « tient » également le russe, l’allemand et l’italien, peut-être en raison du recrutement désormais plus populaire d’une partie des étudiants de langues vivantes et, pour l’anglais, outre l’activisme soutenu du groupe d’Antoine, grâce à la séparation antérieure du commerce des polycopiés des activités désormais plus spécifiquement revendicatives de l’UNEF, créant un groupe d’affinité plus réduit mais plus nettement politique, pouvant récolter les bénéfices de son investissement concret dans la mise en place des groupes de travail étudiant14. Dans le cas de l’anglais, le charisme et les ressources politiques d’Antoine, élu président, ne sont sans doute pas étrangers à cette élection : bourgeois parisien de l’UEC, adepte d’une ligne politique ambivalente (pour l’époque) – membre de l’UEC mais favorable à l’expression de toutes les revendications étudiantes –, sachant donner le coup de poing contre Occident, passé à Sciences Po, très à l’aise avec la prise de parole en amphi, la confection de tracts, les stencils, les ronéos, la rédaction d’articles, il est doté d’une audace toute bourgeoise lui permettant d’être à tu et à toi avec les professeurs ou de provoquer le secrétaire général de la Sorbonne : « J’ai mené avec les membres du bureau une politique d’agitation, on a lancé une énorme pétition dans les amphis, parce qu’on était entassés, on avait d’énormes problèmes matériels, qui a été signée par 1 500 personnes, qui a eu un franc succès. Parce que j’avais eu des discussions avec le secrétaire général de la Sorbonne, qui contestait notre représentativité.

Prénom Nom Titre

9190

15. Pour l’analyse détaillée d’une trajectoire de politisation progressive d’une étudiante « qui ne [s]e sentai[t] pas capable de prendre la parole [en AG] », voir M.-P. Pouly, « L’“esprit” du capitalisme et le corps des lettrés… », op. cit. 16. Michel Bozon et François Héran, La Formation des couples, Paris, La Découverte, coll. « Grands repères classiques », 2006.

Et donc quand j’ai débarqué les 1 500 signatures sur son bureau, il a dû dire, “ah, là je reconnais que...” Et on a doublé les effectifs grosso modo. […]. »

Contrairement aux trajectoires évoquées plus haut, pour Antoine, né en 1947, fils d’une famille résistante pacifiste, « glissant » de plus en plus à gauche, dont la mère médecin est une juive immigrée d’Europe de l’Est et le père un cadre supérieur de la banque ayant fait des études de droit, fils de propriétaires terriens catholiques (dynastie de maires en province), l’orientation vers l’anglais se vit un peu comme un déclassement (par le bas), compensé par une intense activité politique à l’Institut d’anglais. Il a commencé par Sciences Po et droit, visant les carrières journa-listiques et diplomatiques, mais à la suite d’un malen-tendu sur son assiduité aux cours d’anglais, qu’il ne conteste pas, se sentant par ailleurs « politiquement » mal à l’aise à Sciences Po, il est exclu de cette école et se rabat, en 1965, sur ses études d’anglais, perçues comme matière ancillaire du journalisme, qu’il avait suivies en parallèle.

« Le royaume des petits chefs »

Le groupe des étudiants de l’UNEF, vu par certains comme le « royaume des petits chefs » est, comme le signale Aaron, aussi un groupe qui participe à des activités annexes, comme le théâtre et le journalisme étudiant, qui les rendent « visibles » aussi bien des autres étudiants que des professeurs. C’est d’ailleurs un objectif avoué, qu’on peut comprendre comme une forme de socialisation anticipatrice au métier : les étudiants les plus investis, éventuellement dans la critique, sous la forme par exemple de remarques insolentes envers les professeurs et d’organisation de chahuts, sont aussi ceux qui adhèrent le plus à la vision de l’institution et au destin probable de l’ensei-gnant d’anglais. Les professeurs sont aussi invités aux représentations théâtrales, et les militants du Groupe des étudiants d’anglais (GEA) les plus haut placés bénéficient de relations privilégiées avec les enseignants, assistants, maîtres-assistants mais aussi certains professeurs, sous la forme de conversa-tions de couloirs, sur les cours ou sur des articles qu’ils ont écrits. Il s’agit d’une forme de politisation par intégration à l’univers disciplinaire ou d’une participation à la critique de l’institution qui sera en grande partie fonction du degré d’intégration à la discipline : plus on y est intégré, plus on en saisit les enjeux, plus on y accède à l’information

pertinente et on envisage d’y faire carrière ou, effica-cement, d’en faire quelque chose d’autre, à l’intérieur (études américaines, linguistique) ou à l’extérieur de la discipline (journalisme, etc.).

Cette manière de présenter l’histoire de jeunes gens déjà politisés ou se politisant à mesure qu’ils s’inté-graient à des études supérieures auxquels ils étaient souvent les premiers de leur génération à accéder fait surgir la question des formes d’investissement et de présence des jeunes filles dans la contestation, au sein de cette discipline fortement féminisée au niveau des étudiants et des enseignants de rang subalterne. Mais il faut bien constater que les prises de parole réperto-riées (mais les témoignages oraux concordent) sont d’abord principalement masculines. Les responsabilités officielles le sont aussi, en tout cas avant 1968. La première présidente féminine de l’UNEF en anglais est élue en 1968. Mais sa trajectoire la conduit ensuite vers une carrière de cadre (à Air France) plutôt que vers l’enseignement. Plus largement, au groupe des étudiants d’anglais dans les années 1960, il y a bien des femmes syndiquées, mais proportionnellement moins que d’hommes et elles sont rarement respon-sables. Surtout, parmi les plus investies politiquement, très rares semblent celles qui s’orientent ensuite dans une carrière de l’enseignement supérieur : ce point de l’enquête n’est pas assez documenté, mais, parmi celles (membres notamment de la commission du mode unique de recrutement et du conseil exécutif transi-toire) dont on a pu reconstituer partiellement la trajec-toire, l’une devient hôtesse de l’air, l’autre enseignante de français en Angleterre, la troisième correspondante aux États-Unis d’un quotidien national, etc.15.

Les étudiantes scolarisées au fil des années 1960 à la Sorbonne et y rencontrant (au moins provisoire-ment) leur partenaire se trouvaient contraintes non seulement par la division sexuelle des rôles sociaux mais, également, avaient toutes les chances de rencon-trer un étudiant plus âgé16, c’est-à-dire plus familier de l’institution et de ses groupes. On peut alors être attentif au fait que, dans les entretiens, les femmes mettent (rétrospectivement) en évidence des trans-formations de leur rapport aux études, à la politique, qui peuvent avoir des points communs avec les expériences des jeunes gens les plus provinciaux et démunis de capital politique. Mais, également, d’autres investissements de type politique, avec l’émergence des mouvements féministes. L’accès à la condition étudiante à la Sorbonne en lettres dans ces années-là produisait en outre un effet d’assignation statutaire

à lire, aller au cinéma, faire du théâtre, etc. (ce qui pouvait être encouragé par l’existence de certificats libres) d’autant plus puissant que s’inventaient des manières « libérées » de se situer par rapport à la culture légitime. Non sans relation, les transformations que ces jeunes femmes décrivent et qui les affectent, ont trait à leur style de vie : la substitution des jeans (et des baskets), par exemple, à la jupe et aux escarpins. On aurait tort de ne voir dans ces transformations que la référence à l’intime par différence avec le collectif et le public (engagement syndical et politique), dans la mesure où elles prennent bien en compte les décla-rations de nombre d’interviewées (signalant ce qui, à leurs yeux, avait été vécu à l’époque comme important) et que, d’autre part, elles signalent des transforma-tions importantes du rapport à soi qui sont grosses de transformations du rapport au monde.

Un tropisme pédagogique et réformiste

Le cas de la mobilisation des étudiants anglicistes de 1968 invite à considérer l’effet de l’appartenance disci-plinaire sur les formes d’engagement en fonction des injonctions (souvent implicites) de la discipline et des ressources symboliques héritées de l’histoire ou que ses membres peuvent mobiliser et qui explique, dans le cas de l’anglais, un type de revendication fortement orienté vers la réforme des cursus et des pratiques pédagogiques (plutôt que les considérations politiques plus générales : lutte des classes, idéologie, etc.). Au sein des facultés de lettres des années 1950 et 1960, l’enseignement universitaire littéraire de l’anglais, ou plus généralement des « langues vivantes », doit en effet être pensé comme un cas particulier des disci-plines de lettres. En effet, l’anglais (et les langues vivantes) se distingue de l’enseignement « philo-sophique », « historique », ou des « lettres », pour prendre les quatre groupes conduisant à des licences

d’enseignement à partir de 1920, disciplines dont les langues vivantes constituent le pôle le moins ancien et le moins prestigieux. Ensuite, il diffère des licences dites « libres », récemment constituées – psychologie, sociologie, etc. –, disciplines par lesquelles le monde social se rappelle plus fortement à l’institution scolaire, par le recrutement d’étudiants moins pré-ajustés aux exigences académiques (valorisant les savoirs sur le monde, sur « soi ») et par la définition d’objets liés aux problèmes du monde social. Enfin l’anglais, au sein des disciplines de lettres, est une discipline double qui peut être perçue soit comme préposée à la repro-duction du corps des enseignants du secondaire (voire du supérieur), via l’agrégation et les épreuves litté-raires, soit comme « pratique » ou « utile » (avec la différenciation entre langue d’enseignement et langue appliquée) quand la question de la finalité des études universitaires commence à être posée en termes de « débouchés » et de « marché du travail ».

Le tropisme pédagogique (plutôt que théorique et/ou explicitement politique) et réformiste (plutôt que révolutionnaire) de l’engagement politique des anglicistes en 1968 prend ainsi sens en relation avec la position relativement dominée de la disci-pline au sein des disciplines de lettres, interdisant toute position de surplomb ; il s’explique ensuite par la quasi-absence d’héritage théorique politique dans les études anglaises ; il est enfin à rapporter aux ressources sociales et scolaires relativement faibles des enseignants et des étudiants d’anglais : des étudiants d’autant plus mobilisés qu’ils s’identifient au destin modal des licenciés d’anglais, dans l’enseignement secondaire ou les métiers de service (traduction, secrétariat), destin que la mobilisation politique, avec la fréquentation des enseignants qu’elle implique et les formes d’assurance qu’elle génère, contribuera pour certains à infléchir vers le haut (enseignement supérieur, journalisme).