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Introduction
Penser les médias et les migrations en Méditerranée
Tristan Mattelart
Ce texte est le chapitre introductif d’un ouvrage collectif, publié sous ma direction,
Médias e t migrat ions dans l ’ espace euro-méditerranéen , à paraître en 2014, aux éditions
Mare et Martin, Paris.
Mois après mois, les petits écrans européens braquent leurs projecteurs sur les migrants en
provenance des pays du sud de la Méditerranée qui tentent d’accéder à sa rive nord, à la poursuite
d’une vie meilleure. Aux rêves de ces migrants répondent souvent l’hostilité et la méfiance dans
les pays européens. Et tant ces rêves que cette hostilité sont nourris par les médias. C’est à une
analyse des défis que posent les flux concomitants de médias et de migrations dans l’espace euro-
méditerranéen qu’invite cet ouvrage collectif.
Les travaux sur les médias et les migrations ont connu, depuis les années 1990, dans la plupart
des pays européens, une inflation considérable. Par-delà leur grande variété, un point commun
unit l’ensemble de ces recherches : elles privilégient, à quelques exceptions près, l’étude de la
relation médias et immigration. La question des médias et de l’émigration n’a fait, elle, l’objet que
d’une poignée d’investigations. Tout un pan du savoir sur les liens existant entre médias et
migrations est de cette façon occulté.
Or, le phénomène migratoire doit, pour pouvoir être compris, comme l’a bien mis en évidence
Abdelmalek Sayad, être appréhendé dans « sa double composante d’émigration et d’immigration »
(Sayad, 1999 : 16). L’invitation s’adresse aussi à ceux qui entendent approcher les rapports
qu’entretiennent les médias avec les processus migratoires. Nous proposons ainsi dans ce livre
d’articuler, à partir de l’espace euro-méditerranéen, une réflexion sur le rôle que jouent les médias
en amont de la dynamique migratoire, dans les pays de départ — ceux du Maghreb —, avec
l’examen de leur rôle en aval de cette dynamique, dans les pays d’arrivée — ceux du sud de
l’Europe.
2
Le thème des médias et des migrations dans le bassin euro-méditerranéen n’a suscité, en dépit de
son importance, qu’une littérature éparse. En l’absence de connaissances, dans un contexte où se
multiplient les débats relatifs aux capacités d’« intégration » des musulmans d’Europe, se sont
développés des discours alarmistes présentant les médias arabes potentiellement reçus par les
populations issues de l’immigration comme des agents œuvrant à la séparation de leurs publics du
corps national. À l’opposé, les écrits sur l’audiovisuel en Méditerranée sont, de leur côté, traversés
par le souhait que celui-ci constitue un « pont virtuel » entre les deux rives de cette mer et qu’il
serve au rapprochement de leurs peuples respectifs (Dibie, 2003).
Aux peurs des uns et aux appels incantatoires des autres, nous opposons ici la volonté de
comprendre la réalité des enjeux dont sont porteurs, dans cette région du monde, les flux
combinés de médias et de migrations. C’est dans le cadre d’un projet de recherche collectif dédié
aux « Médias et migrations dans l’espace euro-méditerranéen » (Médiamigraterra), dont cet
ouvrage est le fruit, que nous nous sommes efforcés de mettre en perspective ces enjeux1.
En plus de conjuguer l’étude des médias et de l’immigration avec celle des médias et de
l’émigration, depuis le laboratoire constitué par le bassin méditerranéen, la spécificité du projet
dont ce volume est l’émanation résidait dans le souhait d’éclairer ces réalités à partir de directions
de recherche relativement originales pour les pays considérés. C’est pour cette raison que nous
avons décidé pour cerner les relations existant entre les moyens de communication et les
migrations de ne pas nous centrer directement sur le thème des représentations qu’offrent les
principaux médias nationaux de l’immigration — domaine pour lequel l’on dispose, pour les pays
européens, d’une littérature relativement abondante2. Nous avons plutôt travaillé à partir de cinq
axes, recouvrant des domaines d’investigation moins explorés, nous consacrant d’abord à
l’analyse des rapports entre médias et migrations dans les pays du Maghreb, avant de scruter
ceux-ci plus au nord, à partir des réalités des pays du sud de l’Europe :
- 1/Nous avons en premier lieu eu pour ambition d’interroger la manière dont les mots et les
images tant des télévisions par satellite que du web peuvent alimenter, dans les pays du Maghreb,
les désirs de partir. Dans quelle mesure les médias et les nouveaux médias contribuent-ils aux
rêves d’émigration ?
- 2/Nous nous sommes par ailleurs employés à explorer les liens que s’efforcent de nouer, par
des dispositifs médiatiques internationaux, les États du Maghreb avec leurs émigrés. Au-delà des
actions de ces États, nous avons voulu décrypter les stratégies que déploient les autres acteurs
1 Financé, entre 2009 et 2012, par l’Agence nationale de la recherche (ANR), le projet Médiamigraterra a été porté par une équipe internationale et interdisciplinaire d’une douzaine de chercheurs. 2 Pour une synthèse, voir Cottle, 2000. Les travaux questionnant les représentations médiatiques de l’immigration dans les pays du Maghreb sont plus rares. Ceux qui ont été menés laissent à penser que ces représentations ne sont pas moins stéréotypées que celles dont font l’objet les immigrés plus au nord (Ureta, 2012).
3
médiatiques du sud de la Méditerranée à l’attention de leurs publics émigrés en Europe. Quelle
est l’importance, pour ces différents acteurs, des émigrés ?
- 3/En miroir de l’analyse des dispositifs mis en place par les États du Maghreb pour
communiquer avec leurs émigrés, nous nous sommes également intéressés à la façon dont les
États du sud de l’Europe — France, Espagne, Italie — ont accompagné, ou non, l’arrivée des
flux d’immigration par des politiques publiques médiatiques spécifiques. Quelles politiques
d’insertion médiatique des populations issues de l’immigration maghrébine ont été mises en place
par ces pays ?
- 4/De même, nous nous sommes penchés sur les médias ou les nouveaux médias créés, en
France comme en Italie ou en Espagne, à destination des publics issus de l’immigration
maghrébine, aux fins de mieux les représenter. Quelles missions s’assignent-ils et comment les
remplissent-ils ?
- 5/Le but a enfin été de comprendre, à partir du cas français, de quelle manière, au travers de
leur utilisation des moyens de communication, les différents membres des foyers issus de
l’immigration maghrébine articulent les contenus en provenance de médias transnationaux,
nationaux ou locaux, et comment ces moyens de communication leur permettent de rester en
contact avec des proches tant à l’échelle locale que transnationale. Quels usages ces populations
font-elles des médias et des technologies ?
Les différentes parties du présent volume épousent chacune les cinq grands axes autour desquels
était structuré le projet Médiamigraterra. Nous voudrions, dans les lignes qui suivent, présenter,
partie par partie, tant les objectifs que les apports des travaux menés dans ce cadre.
MÉDIAS ET DÉSIRS D’ÉMIGRATION
Quel rôle les moyens de communication peuvent-ils jouer dans l’envie de quitter son pays ? Le
thème a, à l’heure des croissants flux transnationaux de personnes et de médias, suscité quelques
conjectures au sein de la littérature scientifique (mais peu dans celle consacrée spécifiquement à la
relation médias et migrations). Arjun Appadurai a ainsi placé cette question au cœur de ses
analyses sur la mondialisation. L’anthropologue avance dans son ouvrage Modernity at Large que
les flux médiatiques qui convoient les « images déterritorialisées » permettent aux populations de
comparer leurs existences avec celles déployées à l’écran, nourrissant la « force » de leur
« imagination » qui dès lors peut devenir « le moteur de l’action », pour contester ou fuir « un
gouvernement injuste », défendre ses droits ou trouver, à l’étranger, « un travail, mieux payé »
(Appadurai, 1996 : 53).
4
L’argument que développe Arjun Appadurai concernant la « force de l’imagination »
qu’alimentent les médias, vus comme de puissants agents de mobilité, se retrouve sous la plume
de spécialistes des questions migratoires. Catherine Wihtol de Wenden souligne par exemple la
participation des médias — « télévision, radio, internet » — dans le développement d’un
« imaginaire migratoire » qui favoriserait les mouvements de la « globalisation humaine ». « La
télévision, notamment, donne à voir dans ses films et ses informations un Eldorado occidental,
parfois à proximité, fait de consommation et de libertés, avec des salaires sans commune mesure
avec les pays de départ pour la même qualification ou le même emploi » (Wihtol de Wenden,
2009 : 22).
Le lien qui est fait entre les médias et l’émigration est néanmoins davantage posé qu’interrogé.
Les théories sur la migration internationale n’ont, pour l’heure, comme le déplore Tarik Sabry
dans son chapitre, pas encore solidement inclus cette dimension dans leurs perspectives. Passant
en revue ces théories, il invite à ajouter aux causes bien identifiées de l’émigration — le
« despotisme, […] la pauvreté », les « déséquilibres » économiques entre nations, les logiques du
mode de production capitaliste, l’héritage de la période coloniale… —, celui du rôle symbolique
qu’ont les différents supports de communication internationale.
Il est cependant très difficile de tisser empiriquement un lien entre médias et désirs d’émigration.
L’un des principaux risques est de tomber dans une vision fonctionnaliste qui postulerait que les
médias font l’émigration et qui négligerait par là même les facteurs sociaux, économiques et
politiques qui concourent à celle-ci. Les deux chapitres qui composent la première partie du
présent ouvrage s’efforcent, en empruntant des voies très différentes, d’échapper aux pièges que
recèle cette question.
Le texte de Ratiba Hadj-Moussa s’intègre dans une réflexion qu’elle mène sur la façon dont
l’usage des télévisions par satellite a contribué, dans les pays du Maghreb, à une transformation
de l’espace public — transformation qu’elle cerne depuis les années 1990 à partir d’entretiens
conduits dans ces pays. Dans ce cadre, elle se penche sur la manière dont les pratiques de
visionnement de la parabole sont, par les critiques qu’elles permettent d’exprimer à l’égard des
gouvernements, révélatrices des « dissociations de la société et de l’État ». Le désir de partir est,
dans son chapitre, le produit de ces dissociations auxquelles participent, par la lucarne qu’elles
offrent sur l’extérieur, les télévisions par satellite.
Celles-ci ne constituent bien entendu pas la seule source à partir de laquelle se forment les images
de ce monde extérieur. Il faut prendre aussi en compte, en particulier, les représentations que
charrient les journaux et magazines, celles d’internet et celles qui se construisent à partir des récits
des proches ayant traversé la Méditerranée, « récits de voyage, d’immigration, de déplacements,
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d’expériences vécues par les amis ou les membres de la famille qui vivent à “l’étranger” ». Les
entretiens qu’elle a menés dans le cadre de son enquête auprès de jeunes du Maghreb autour de
leurs pratiques télévisuelles n’en donnent pas moins des clés pour comprendre quelques-uns des
processus à partir desquels se forme l’envie de partir.
C’est moins directement que de façon oblique que les télévisions par satellite occidentales, à
commencer par les chaînes françaises, peuvent soutenir ce désir d’émigration. La présence de ces
chaînes place d’abord les télévisions nationales dans une situation de concurrence des plus
délicates. À partir du petit écran, les jeunes interviewés comparent notamment « les formes de
modernité » que mettent en scène les chaînes nationales et celles occidentales, comparaison qui se
fait au détriment des premières, critiquées pour leur esthétique désuète. La compétition avec leurs
consœurs internationales les fait apparaître comme d’autant plus « fatiguées ». Dès lors, dans le
discours des jeunes qu’elle a recueilli, cette télévision d’État fatiguée constitue « la métonymie
d’un pays où il ne fait pas bon vivre ». L’expérience télévisuelle vient de cette façon renforcer
« l’état de “dégoûtage” plus ou moins permanent » dans lequel vivent les jeunes, « sans espoir »
qu’ils sont que « quelque chose leur arrive et change leur vie ». Par ailleurs, les chaînes
occidentales, en donnant « à voir la reconnaissance dont bénéficient les populations » au Nord,
accroît le sentiment de non reconnaissance qu’ont les jeunes interviewés, privés qu’ils sont des
possibilités de se réaliser ou d’exercer leurs droits. Si l’on ajoute à cela les images « d’une vie
bonne » que distillent les chaînes occidentales et la « recherche consommative » qu’elles attisent,
l’on comprend en quoi elles peuvent contribuer aux désirs de partir. Sans que l’on puisse bien
entendu établir de « correspondance directe » entre ces télévisions et les envies d’émigrer.
La « publicisation » qui a été faite des candidats à l’émigration, prêts à traverser la Méditerranée
sur des embarcations de fortune, a pu laisser croire, note Ratiba Hadj-Moussa, que l’Europe
représentait, pour eux, un « Eldorado » — un Eldorado dont les télévisions occidentales auraient
contribué à faire briller les contours. Dans ce récit, l’Occident apparaîtrait, de façon un peu
univoque, comme un pôle d’attraction majeur.
Ratiba Hadj-Moussa corrige cette vision. À la séduction qu’exercent les images occidentales
répond en effet aussi désormais celle qu’exercent les émissions des chaînes panarabes qui
opposent aux précédentes un discours identitaire sur l’« arabité-islamicité » et qui, aux figures
négatives des Arabes et des musulmans offertes par les télévisions occidentales, substituent des
images plus positives. Ces télévisions panarabes représentent, aux yeux de ses interviewés,
comme « une réplique aux images des médias occidentaux », ainsi qu’« une fenêtre ouverte sur le
monde arabe et/ou musulman que ces médias tendent à distordre ou à simplifier à outrance ».
Dès lors, les « rêves de partir » se logent dans cette tension qui existe entre d’un côté « l’attraction
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pour les images et les mots de l’Occident », refuge économique, et de l’autre la « réactivation
identitaire » dont les chaînes arabophones sont un support d’importance.
Tarik Sabry, l’auteur du deuxième texte de cette première partie, est l’un des premiers à avoir
essayé, dès le début des années 2000, de traiter empiriquement la question des médias et de
l’envie de partir. L’un des principaux apports de l’enquête à la fois qualitative et quantitative qu’il
a conduite alors, consacrée à la relation existant entre la consommation de programmes
télévisuels occidentaux par des jeunes Marocains et leur « désir d’émigrer vers l’Ouest », était de
montrer, comme il le rappelle ici, que l’émigration que ces programmes sont susceptibles
d’alimenter n’est pas seulement « physique », elle peut se faire aussi de manière purement
« symbolique ». C’est ce qu’il nomme « l’émigration mentale ». Pour les jeunes qu’il avait
interviewés à cette occasion, les programmes occidentaux vus à l’antenne de la télévision
nationale ou à celle des chaînes par satellite constituaient un support pour s’extraire de « leurs
réalités quotidiennes et matérielles » et leur offraient « un espace fantasmagorique et libidinal »,
nourrissant leur « désir d’émigrer vers l’Ouest, aussi bien physiquement que symboliquement ».
Dix ans plus tard, dans le cadre de cet ouvrage, il s’interroge non plus sur la réception de la
télévision, mais sur les liens qui existent entre les usages que font les jeunes Marocains d’internet
et leur éventuel « projet migratoire ». Les résultats de l’enquête quantitative et qualitative qu’il a
menée l’ont, ainsi qu’il le raconte ici, largement surpris. Il pensait, dans le prolongement de sa
précédente étude, qu’internet — souvent présenté comme l’outil des communications sans
frontières par excellence — offrirait aux jeunes qu’il a interviewés un espace encore plus
fantasmagorique sur l’Occident que celui offert par le petit écran. Las, les données collectées lui
font dire que, plutôt que d’utiliser internet pour aller à la rencontre de cet « Occident riche,
libidinal et désiré », ses enquêtés usent de cet outil surtout « pour communiquer à l’intérieur du
Maroc avec d’autres Marocains », généralement à travers Facebook. À rebours des « récits
euphoriques » sur internet comme agent de mondialisation culturelle, les usages que cerne Tarik
Sabry relèvent plutôt de logiques de « localisation ».
En ce qui concerne plus strictement le rapport entretenu avec l’émigration, l’usage d’internet
apparaît comme contradictoire. Ceux des jeunes se présentant comme désireux d’émigrer s’en
servent comme un instrument pratique pour mettre en œuvre ce dessein. Ils mobilisent la toile
comme un moyen d’information pour élaborer leur projet migratoire ou plus souvent comme un
moyen de rencontrer l’âme sœur outre-Méditerranée et d’ainsi quitter le pays3. Internet a
néanmoins aussi, dans le même temps, un rôle dissuasif en matière d’émigration — un « effet
3 Voir, sur ce dernier point, pour l’Algérie, Benfodil, 2006.
7
repoussoir », écrit l’auteur — par la publicité qu’il offre à la « crise économique » qui frappe les
pays occidentaux.
Cet effet repoussoir semble avoir également joué à l’égard des pays du Golfe. Là, ce ne sont pas
les images de la crise économique qui sont dissuasives, mais le comportement de certains
internautes saoudiens. Les échanges que différentes jeunes filles interrogées ont eus avec certains
de ceux-ci sur Facebook leur ont de fait laissé penser qu’ils tendaient à les « rabaiss[er] en tant que
simples objets […] sexuels ».
La deuxième partie du présent ouvrage est également dédiée aux relations, contradictoires,
qu’entretiennent les médias et l’émigration, mais elle l’est néanmoins à partir d’une perspective
bien différente.
MÉDIAS ARABES ET PUBLICS ÉMIGRÉS
Le monde contemporain serait aux yeux de certains théoriciens de la mondialisation, à l’instar
d’Arjun Appadurai évoqué précédemment, un monde de flux transnationaux. Dans ce monde,
présenté dans son livre Modernity at Large comme « post-national », l’État aurait perdu la place
prédominante qu’il occupait autrefois (Appadurai, 1996 : 158 et suivantes). Chez Arjun
Appadurai, résume Marc Abèlés qui préface l’édition française de son ouvrage, « ce qui définit le
monde contemporain, c’est la circulation, bien plus que les structures et les organisations stables »
(Abélès, 2001 : 8).
Nous avons voulu, dans cette étude portant sur les flux conjoints de médias et de migrations,
nous inscrire en rupture par rapport à cette perspective, en considérant, au contraire, que l’État
continuait à être un acteur d’importance et en accordant de ce fait une large place à la manière
dont celui-ci, tant au sud qu’au nord de la Méditerranée, utilisait les médias comme des moyens
de gestion des migrations. Il s’agit dès lors, dans le cadre de cette deuxième partie, de cerner la
manière dont les États du Maghreb s’efforcent, à travers les médias qu’ils ont, d’hier à
aujourd’hui, créés à l’attention de leurs émigrés, de façonner les mondes imaginés de la patrie, à
des fins économiques — pour les inciter à réinvestir une partie de leurs revenus dans l’économie
nationale et contribuer au développement national — et à des fins politiques — pour diffuser
leur vision du récit national dans le champ de l’émigration.
Le chapitre qui ouvre cette deuxième partie est consacré au journal L’Algérien en Europe, fondé au
lendemain de l’indépendance, dans la continuité des titres lancés, dans l’entre-deux-guerres, par
des militants anticolonialistes algériens. Cette contribution de Yvan Gastaut a le grand mérite
d’apporter une perspective historique dans un champ — celui de l’étude des flux transnationaux
8
de médias et de migrations — qui y est souvent rétif. Bien avant le développement des télévisions
par satellite ou d’internet, les États se sont de fait servis de tous les moyens disponibles pour
communiquer avec leurs émigrés.
L’Algérien en Europe fait partie du dispositif de contrôle de l’émigration mis en place par l’État
nouvellement indépendant. Placé sous la direction de l’Amicale des Algériens en France —
« sorte de ministère de l’émigration algérienne en France » —, le journal a pour objectif majeur de
« maintenir un lien constant entre le pouvoir algérien et chaque travailleur vivant à l’étranger ». Le
titre, par ses informations sur l’Algérie, « très officielles et sous contrôle », cherche à promouvoir
« l’attachement à la patrie » et, par ce biais, à faciliter « le retour au pays », l’émigration n’ayant
alors pas vocation à être définitive.
L’Algérien en Europe accorde par ailleurs une grande attention aux conditions d’existence des
émigrés dans leur pays de résidence, les critiquant et prodiguant moult conseils pratiques ou
juridiques pour que ses lecteurs puissent améliorer celles-ci. Le journal est de cette façon, pour
son public, « globalement mal considér[é] » dans son pays d’accueil, l’une des rares « voix qui
s’adresse spécifiquement » à lui.
Le titre a été pensé à destination d’un lectorat bien particulier. La fin du journal interviendra au
début des années 1980, en un temps de mutation de l’immigration, de l’immigration de travail à
celle de peuplement, et en un temps aussi où « l’illusion du retour au pays a fait long feu ».
Dans le prolongement de celui de Yvan Gastaut, le chapitre que dédie Mohamed-Ali Adraoui à
Canal Algérie permet de cerner la manière dont Alger a mobilisé à une autre époque, à partir du
début des années 1990, la télévision par satellite pour communiquer avec ses émigrés. La chaîne
a, dès le départ, une double dimension. Elle est créée, dans le contexte de la guerre civile, à un
moment où le gouvernement algérien est de plus en plus contesté et à l’intérieur et à l’extérieur. À
un moment aussi où le pays, sous l’effet du mouvement de parabolisation, est soumis avec force à
la présence des télévisions occidentales, surtout françaises, et, de plus en plus, arabophones. La
chaîne est dès lors conçue comme « un outil de souveraineté », afin de faire entendre une voix
algérienne dans le concert des grands diffuseurs internationaux. Il s’agit néanmoins également de
se doter d’un instrument aux fins de s’adresser aux émigrés et « de prévenir, ce faisant, toute
influence de l’opposition au gouvernement » parmi ceux-ci.
Pour faire face à la concurrence croissante des chaînes panarabes, dont les chaînes consacrées à
l’islam, et combattre l’apparition des chaînes berbérophones émettant vers l’Algérie, l’appareil
télévisuel international algérien se diversifiera au début des années 2000 et verra l’apparition, à la
suite de Canal Algérie, de trois autres chaînes internationales, l’une destinée aux pays arabes et
9
aux émigrés algériens vivant dans ceux-ci, l’autre à la religion musulmane et la dernière aux
populations berbérophones.
Canal Algérie s’inscrit dans la continuité de L’Algérien en Europe, mais le type de message que
délivre la chaîne à son public a largement évolué. Son objectif est moins de promouvoir le retour
des émigrés au pays comme le faisait le journal que de sauvegarder, parmi ceux qu’elle vise, « une
part d’identification à la société algérienne ». Par l’analyse d’une des émissions phares de Canal
Algérie, Sans visa, Mohamed-Ali Adraoui décrypte la nature du lien que la chaîne s’efforce de
tisser avec ses téléspectateurs. L’émigré apparaît dans ses émissions sous « une double
dynamique ». Il est présenté sous les traits de celui qui a réussi et qui est bien intégré, socialement
et économiquement, dans sa société d’accueil. Dans le même temps, dans chaque reportage, est
souligné combien « le prix de vivre éloigné de ce qui restera toujours son pays » est élevé. Ce qui
est mis en avant, c’est en particulier, pour les émigrés, la nécessité de rester fidèles à leur culture
d’origine et à la religion musulmane.
L’émission et au-delà la chaîne contribuent, à travers ce discours, à la « relégitimation de l’État
algérien », considéré comme le principal garant de cette identité, culturelle et religieuse, nationale
de laquelle aucun émigré n’est présenté comme « souhait[ant] s’émanciper ». Sans visa œuvre
d’autant plus à cela que, bien qu’elle soit consacrée aux émigrés algériens, elle tait
systématiquement les causes les ayant poussé à partir. Mieux, son discours de légitimation de
l’État algérien s’adresse autant aux émigrés qu’au public intérieur, Canal Algérie étant visible par
celui-ci par voie hertzienne depuis le début des années 2000.
La « connexion affective et culturelle » que l’État algérien cherche à établir avec ses émigrés à
travers la télévision se fait cependant, selon Mohamed-Ali Adraoui, « a minima ». Tout se passe
dans son texte comme si cet État avait pris acte de l’intégration des émigrés dans les pays
d’accueil et qu’il tentait de maintenir un lien avec eux sur le plan culturel et émotionnel pour en
tirer des bénéfices politiques, y compris au niveau national, sans pour autant en attendre « des
dividendes économiques » en retour. L’auteur explique cela par l’existence d’une rente pétrolière
qui rend moins nécessaire la mobilisation des ressources des émigrés.
Le texte de Mohamed-Ali Adraoui réserve une surprise. À rebours des discours alarmistes qui
soulignent la menace que constituent les chaînes du pays d’origine pour l’« intégration » des
populations issues de l’immigration, il montre, à travers l’exemple de Sans visa, comment à
l’antenne de Canal Algérie « l’attachement aux valeurs traditionnelles » algériennes est présenté
comme une clé pour une bonne intégration sociale et économique dans la société d’accueil. A
contrario, lorsque les citoyens issus de l’immigration, notamment les jeunes, sont dans cette
émission dépeints comme « sources de problèmes » pour leur pays de résidence, la responsabilité
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en est attribuée à un « éloignement » des familles concernées à l’égard de ces valeurs
traditionnelles.
Il faut néanmoins souligner que l’offre télévisuelle de Canal Algérie est limitée. Est-ce le fruit de
la volonté gouvernementale de contrôler cette chaîne, comme les autres chaînes algériennes ?
Est-ce le reflet de l’objectif d’une connexion a minima qu’entend entretenir le gouvernement
algérien avec son émigration ? Canal Algérie est en tout cas décrite par Mohamed-Ali Adraoui
comme étant « en situation de subordination » par rapport à la première chaîne nationale, la
« chaîne-mère », qui fait elle-même l’objet d’une étroite surveillance politique. Dépourvue
d’autonomie, Canal Algérie est soumise au pouvoir d’agenda de cette dernière et, dans l’incapacité
de produire ses programmes, obligée, pour la plupart de ceux-ci, de rediffuser ceux déjà proposés
par cette dernière. Ce qui naturellement contraint sa capacité à s’adresser de manière spécifique à
son public émigré.
Les liens que s’applique à entretenir l’État marocain avec son émigration ne se font pas, eux, a
minima. Celui-ci n’a-t-il pas multiplié les institutions en charge de cette question ? Il est vrai que
l’enjeu économique est, pour le royaume chérifien, important, les transferts de fonds en
provenance des Marocains résidant à l’étranger (MRE), selon la terminologie consacrée,
représentent une part non négligeable du PIB du pays.
Abdelfettah Benchenna analyse les efforts poursuivis par l’État marocain pour communiquer
avec son émigration. L’objectif est à la fois économique, mobiliser les ressources des MRE au
service du pays, et politique. Qu’ils soient émigrés ou descendants d’émigrés, peu importe, ils
sont considérés par l’État marocain et ses médias comme demeurant « des sujets du roi » et sont
traités, dans les représentations médiatiques, comme tels. Il s’agit ce faisant de s’assurer la loyauté
des émigrés, mais aussi des Marocains restés au pays. On retrouve en effet dans le texte
d’Abdelfettah Benchenna le même double mouvement que celui évoqué plus tôt pour l’Algérie,
double mouvement par lequel, en mettant en scène la fidélité des émigrés à l’égard du royaume,
l’État marocain cherche autant à s’attirer leurs bonnes grâces qu’à s’auto-légitimer à l’intérieur en
montrant « aux Marocains du Maroc que les MRE restent attachés à leur culture et à leur
tradition ».
L’auteur se penche d’abord sur la manière dont les Marocains résidant à l’étranger ont
historiquement été représentés, dans des émissions qui leur ont été spécifiquement consacrées,
dans les médias audiovisuels nationaux. L’image des émigrés a évolué : jadis présentés, par les
premiers programmes radiophoniques qui leur ont été dédiés au début des années 1980, comme
ayant — mythe du retour officiellement entretenu oblige — vocation à revenir au pays, ils sont
dorénavant dépeints dans les émissions de radio ou de télévision selon un cadrage qui varie
11
« entre glorification et compassion ». Les success stories d’émigrés ayant réussi dans leur pays de
résidence n’empêchent ainsi pas l’expression, dans ces programmes, de la force de la nostalgie
qu’éprouvent les MRE, loin de leur pays. En dépit de ce dernier aspect, certaines des
représentations des émigrés offertes sont si favorables qu’Abdelfettah Benchenna en vient à se
demander si cela « n’attise pas le désir d’émigration chez les jeunes au Maroc » ?
En contrepoint cependant, à l’initiative de journalistes sensibilisés aux enjeux des questions
migratoires, mais aussi sous la pression de politiques de contrôle des frontières impulsées par
l’Union européenne (UE) pour combattre l’émigration empruntant des voies non légales, des
émissions, en particulier radiophoniques, évoquent de plus en plus les problèmes que connaissent
les MRE dans leurs pays de résidence, dans l’objectif de « dissuader les jeunes Marocains ayant
projeté de partir clandestinement en Europe ».
Au-delà de leur variété, tous ces programmes — portant sur une thématique pourtant susceptible
de mettre en cause les politiques de l’État marocain — traitent de l’émigration tout en se gardant
de mettre en cause le pouvoir.
Abdelfettah Benchenna revient ensuite sur le dispositif télévisuel international mis en place par
Rabat afin de maintenir un lien avec les MRE. Dès le début des années 1990, les deux chaînes
nationales, TVM (Al Aoula) et 2M, ont été diffusées par satellite à l’attention de l’émigration,
avant qu’au début des années 2000, une nouvelle télévision, Al Maghribiya, ne leur soit destinée,
en réponse aux demandes des émigrés d’Amérique du Nord connaissant un fort décalage horaire
avec le pays d’origine.
Il y a néanmoins, dans le cas du Maroc, un décalage patent entre la volonté clairement affichée
d’utiliser la télévision par satellite pour rester en contact avec les MRE et les limites du dispositif
mis en place. Comme Canal Algérie, Al Maghribiya est sans autonomie, ne possédant ni son
budget, ni son personnel propres. Dans ces conditions, elle ne peut que servir de canal de
rediffusion pour « une sélection de programmes exclusivement marocains des deux chaînes
généralistes Al Aoula et 2M ». Cette situation apparemment contradictoire s’explique largement
par la volonté de contrôle politique qui s’exerce à l’égard des chaînes marocaines. Comme le
reconnaissent à mots plus ou moins couverts les interlocuteurs d’Abdelfettah Benchenna, il est
plus facile de surveiller une chaîne qui se contente de proposer des émissions déjà diffusées — et
qui sont donc déjà passées par le filtre de la censure — qu’une télévision qui diffuserait des
programmes inédits. Au-delà, les limites d’Al Maghribiya illustrent la difficulté qu’éprouvent tant
les responsables de l’État que ceux des chaînes de télévision marocaines à prendre en compte les
spécificités des demandes de leurs téléspectateurs émigrés.
12
Enfin, l’on retrouve au Maroc la tension que l’on a déjà vue à l’œuvre en Algérie, dans les
objectifs qui sont assignés par les gouvernements aux télévisions qui sont créées à l’attention des
émigrés, entre, d’un côté, la volonté d’établir une voie de communication avec eux et, de l’autre,
le désir d’utiliser ces télévisions comme un outil diplomatique à destination de publics plus vastes.
Illustration de cela, le gouvernement marocain réfléchit à l’opportunité de transformer Al
Maghribiya en chaîne d’information en continu pour permettre au royaume « d’être présent sur le
paysage audiovisuel international ».
Une manière de résoudre cette tension est d’essayer d’utiliser les émigrés comme relai
diplomatique dans leur pays de résidence. Dans les débats officiels qui sont consacrés, au Maroc,
à la question des médias et des migrations, cette thématique fait régulièrement surface, illustrant
la volonté étatique d’enrôler « les journalistes marocains installés hors du Maroc […] dans la
promotion » de celui-ci. Projets qui rencontrent toutefois l’hostilité de certains des concernés qui
rappellent au pouvoir qu’ils sont « des professionnels des structures qui les emploient » et non
« des porte-parole de leur pays d’origine ».
Les différentes administrations en charge des Marocains à l’étranger mobilisent également
internet pour communiquer avec leur public cible. Mais, l’utilisation d’un nouveau support ne
semble pas s’accompagner d’un changement dans les manières de s’adresser à ces populations. La
web TV qui a été créée par le ministère chargé des MRE ne reprend-elle pas à son compte « la
ligne éditoriale fondée sur le couple glorification/compassion » qui est à l’œuvre dans les
émissions de radio et de télévision ?
Cette deuxième partie de l’ouvrage ne porte pas seulement sur les stratégies médiatiques des États
maghrébins à l’égard de leurs émigrés, mais se penche aussi sur la façon dont certaines des
principales chaînes panarabes reçues en Europe représentent les émigrés d’origine arabe et
traitent des questions relatives à l’émigration. Il existe, depuis le début des années 2000, une
littérature importante sur le rôle central que jouent, depuis la fin de la décennie 1990, des chaînes
panarabes, en particulier Al Jazeera, dans le contournement des pesanteurs de l’information
étatique au sein du monde arabe. Rares sont pourtant les études qui s’intéressent à la façon dont
ces chaînes appréhendent leurs téléspectateurs issus de l’immigration arabe en Europe. Le
chapitre que Naomi Sakr consacre à cette question vient donc combler un vide.
Prenant ses distances avec les discours s’inquiétant de l’influence que peuvent exercer les
télévisions panarabes sur leurs téléspectateurs issus de l’immigration en Europe, Naomi Sakr
montre pour commencer que, pour la plupart des chaînes par satellite panarabes, les publics
d’origine arabe au nord de la Méditerranée sont loin d’être une priorité. De fait, si elles « ne sont
pas dépourvues d’objectifs politiques », ces télévisions sont largement, pour la réalisation de leurs
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missions, « dépend[antes] des revenus publicitaires ». Or, ceux qui peuvent être tirés des
diffusions à destination des téléspectateurs d’origine arabe d’Europe sont sans commune mesure
avec ceux qui proviennent des transmissions à destination du monde arabe en général et des
riches pays du Golfe en particulier.
Néanmoins, une chaîne, Al Jazeera, qui est sans doute moins soucieuse que d’autres des
« retombées publicitaires » de ses programmes parce qu’elle est l’émanation d’un projet
diplomatique de l’émirat qui la finance, se distingue des autres par des émissions ayant pour but
« de consolider les liens du monde arabe avec [ses] expatriés ». L’analyse à laquelle procède
l’auteur de plusieurs séries documentaires diffusées sur Al Jazeera et Al Jazeera Children et
consacrées à l’existence des émigrés arabes est révélatrice de la manière dont le groupe « envisage
la couverture des Arabes et des musulmans de l’étranger ». L’émigré est, dans les émissions
spécifiques dépeignant la vie de celui-ci, invariablement dépeint sous le signe de la réussite,
jusqu’à laisser penser que ces programmes font « la promotion de l’émigration ». Il s’agit de
montrer une image valorisée des Arabes et des musulmans vivant en Europe, une image qui
tranche avec celles, souvent plus que dévalorisantes, que véhiculent les médias occidentaux. Une
autre constante de ces programmes est de présenter les émigrés mis en scène comme appartenant
toujours, par leurs pratiques culturelles et religieuses, par leurs attachements aux traditions, au
monde arabe. Comme dans les images qu’offre Canal Algérie ou celles que proposent les chaînes
marocaines, les émigrés représentés à l’écran sont bien intégrés socialement et économiquement,
mais demeurent, sur le plan culturel, solidement arrimés au monde arabe.
Si ce traitement médiatique est, dans une certaine mesure, en harmonie avec ceux qui ont pu être
décrits pour les télévisions du Maghreb, il s’en différencie sur un point essentiel. La présentation
des aspects positifs de la vie dans les pays de résidences va de pair, à l’antenne de la chaîne
qatarie, avec l’expression, par les émigrés, de leur « amertume envers les contraintes, politiques ou
autres », qui les ont conduits à partir.
Alors que, comme on l’a vu, les télévisions d’État du Maghreb s’efforcent de vider la question de
l’émigration de ses dimensions éminemment politiques — ne constitue-t-elle pas, par son
ampleur, la plus sévère des critiques à l’égard des pouvoirs en place ? —, Al Jazeera, comme
d’autres chaînes arabes, prennent explicitement en compte ces dimensions. Naomi Sakr se
penche pour appréhender cela sur plusieurs talk-shows qu’Al Jazeera, mais aussi la chaîne panarabe
saoudienne Al Arabiya, les chaînes privées égyptiennes Dream 2 et El Mehwar, ou la chaîne
d’État égyptienne Nile Network ont dédiés aux raisons qui poussaient les jeunes de certains pays
du monde arabe à émigrer. Le résultat de ses analyses est éloquent. Les talk-shows étudiés, diffusés
par Al Jazeera ou même ceux d’Al Arabiya, mais, sur celle-ci, en termes beaucoup plus prudents
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que ceux de la première, établissent explicitement « des liens entre la pauvreté, le chômage, la
répression des États arabes à l’encontre des jeunes » et « l’envie d’émigrer » de ceux-ci. Dans leur
couverture par leurs talk-shows des drames de l’émigration clandestine par la mer, Dream 2 et El
Mehwar soulignaient quant à elles, avant même la chute de Hosni Moubarak, « les négligences
graves » des autorités égyptiennes et leur responsabilité dans ces drames, un traitement qui
contraste avec celui que réservaient à ce thème, à la même époque, les chaînes gouvernementales
du Caire qui se contentaient, elles, de criminaliser les jeunes essayant de quitter le pays par ces
voies.
Plusieurs des textes réunis dans cette deuxième partie mettent enfin à jour la façon dont certains
gouvernements au nord de la Méditerranée, l’Union européenne ou d’autres organisations
internationales s’efforcent de mobiliser les médias pour contenir les flux d’émigration clandestine.
On a évoqué plus tôt la manière dont le texte d’Abdelfettah Benchenna faisait apparaître que des
programmes de radiophoniques marocains avaient été, sous la pression des politiques de contrôle
des frontières de l’UE, chargés de décourager les jeunes Marocains tentés par ce type d’aventure.
Le chapitre de Naomi Sakr met lui en lumière les campagnes menées par l’Organisation
internationale pour les migrations (OIM), financées par le gouvernement italien, plaçant des
communiqués sur les chaînes gouvernementales égyptiennes, destinés à dissuader les envies de
partir des jeunes.
Les textes d’Abdelfettah Benchenna et de Naomi Sakr ne s’interrogent pas sur les effets — sans
doute impossibles à évaluer — de ces campagnes. À en croire d’autres auteurs, travaillant à partir
d’autres campagnes du même type menées par l’OIM, celles-ci suscitent néanmoins, chez les
potentiels candidats au départ, plus que du scepticisme (Heller, 2011).
LES POLITIQUES DE REPRÉSENTATION MÉDIATIQUE DES MINORITÉS ISSUES DE
L’IMMIGRATION EN EUROPE DU SUD
La volonté d’étudier la manière dont les médias sont utilisés dans les politiques des États du
Maghreb pour organiser leurs relations avec leurs émigrations respectives a sa contrepartie, dans
cet ouvrage, dans le désir d’analyser comment, au nord de la Méditerranée, les États européens
ont eux aussi mobilisé les médias pour, cette fois, s’efforcer de gérer les flux d’immigration.
Le projet Médiamigraterra avait originellement pour objectif de cerner les politiques mises en
place en France, en Espagne et en Italie pour réguler l’immixtion sur leur territoire, depuis le
début des années 1990, des télévisions par satellite en provenance du monde arabe et destinées
aux populations issues de l’immigration. Assez vite cependant, il est apparu que si cette question
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avait provoqué de vifs débats publics en France — dont notre propre chapitre dans cette
troisième partie rend compte —, elle était très loin d’avoir suscité le même intérêt en Espagne et
en Italie : cela constituait un résultat en soi.
Il a été nécessaire dans ces circonstances d’élargir la thématique considérée en se penchant plus
globalement sur les politiques publiques visant à améliorer les représentations médiatiques des
populations issues de l’immigration, notamment maghrébines, en privilégiant le cas de la
télévision. Il était d’autant plus intéressant d’appréhender le sujet que celui-ci était, en Espagne et
en Italie, resté vierge de toute recherche. L’étude de ces politiques fait apparaître, entre les trois
pays, de très grandes différences que s’emploient à mettre en valeur les textes de cette troisième
partie.
À rebours des travaux s’intéressant aux politiques dites de « diversité » à la télévision française qui
se concentrent sur la période la plus récente — les années 2000 —, notre contribution revient sur
la genèse de ces politiques. Nous montrons comment la question de la représentation des
populations immigrées sur le petit écran s’est posée en France, pour la première fois, dans les
années 1970, à un moment où, dans un contexte de crise économique, sont instaurées des
politiques d’aide au retour des immigrés. Le programme emblématique qui est créé alors —
Mosaïque — est, d’une certaine façon, un instrument de cette politique. Les immigrés se voient
proposer dans ce cadre des contenus culturels qui leur rappellent le pays… et qui avivent à
dessein leur nostalgie pour celui-ci. Malgré les ambiguïtés qui ont présidé à sa naissance, le
programme sera, auprès de ses téléspectateurs-cibles, très populaire. Et sa disparition, à la fin des
années 1980, créera à bien des égards un vide qu’aucune des émissions qui lui succéderont ne
pourra combler. Le programme ne pouvait cependant survivre aux politiques d’intégration qui se
mettent en place dans la décennie 1980, après, au début du premier septennat de François
Mitterrand, une brève parenthèse multiculturaliste. La prégnance de ces politiques d’intégration
explique sans doute dans une large mesure que la question de la représentation des populations
issues de l’immigration n’ait pas été directement posée, malgré des études mesurant le déficit de
celle-ci, avant la toute fin des années 1990.
Le chapitre décortique dès lors les politiques de « diversité » qui se sont adoptées, dans le secteur
télévisuel, à partir du début des années 2000, après que des groupes de pression aient alerté les
pouvoirs publics sur la gravité de la situation en la matière. Prenant à revers l’apparente évidence
de la rhétorique de la diversité, le texte déconstruit les objectifs des politiques menées en son
nom. Nous proposons de considérer celles-ci comme formant le volet médiatique des politiques
d’intégration des populations issues de l’immigration. Nous montrons comment l’État français a
progressivement pris conscience que ce qu’il va bientôt nommer les « discriminations
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médiatiques » constituent une menace de taille pour l’« intégration » des populations issues de
l’immigration et sont susceptibles, par le ressentiment qu’elles nourrissent, d’être une source
d’insécurité croissante. Peurs officielles qui s’exprimeront au grand jour à la fin 2005, à l’occasion
des révoltes urbaines qui ont secoué l’Hexagone et qui se traduiront par l’accélération de la mise
en place de mesures en faveur d’une meilleure représentation télévisuelle des minorités. Les
pouvoirs publics ont cependant beaucoup tardé à prendre conscience du problème. Dès 1982,
dans le rapport qu’elle dirigeait, le premier à porter spécifiquement sur la question de
l’information et de l’immigration, Françoise Gaspard notait les risques de voir se multiplier les
révoltes urbaines si aucune politique de reconnaissance n’était mise en place en faveur des jeunes
issus de l’immigration.
Au-delà, le chapitre met à jour la dimension géopolitique des politiques de la diversité. Nous
formulons l’hypothèse que ces politiques correspondent également, aux yeux de l’État, au besoin
de réduire la menace que sont réputées constituer — à l’heure où la lutte contre le terrorisme
islamiste est l’une des priorités des chancelleries occidentales — les populations de religion
musulmane vivant en France. Dès lors, l’intégration médiatique de ces populations n’a pas
seulement pour objectif d’œuvrer en faveur de la « cohésion nationale » comme le proclament les
discours sur la diversité, mais aussi pour but de défendre les intérêts de la sécurité nationale. Le
lien qui est fait, de façon récurrente, entre, d’un côté, les périls que recèlent les télévisions par
satellite en provenance du monde arabe, soupçonnées d’être un agent d’islamisation des
banlieues, et, de l’autre, les appels lancés, pour s’en prémunir, en faveur d’une meilleure
représentation médiatique des populations issues de l’immigration, illustrent les propriétés
géopolitiques de ces politiques.
En Espagne, les politiques visant à améliorer la représentation des populations issues de
l’immigration dans les médias se mettent en place selon une temporalité et des modalités très
différentes de celles de la France. Dans cet État fédéral, analyse ici Laura Navarro, les autorités
nationales sont restées très en retrait sur la question. La véritable impulsion est venue de
Catalogne.
L’auteur examine minutieusement la manière dont cette question est devenue, dans cette
communauté autonome, progressivement, un enjeu qu’il fallait traiter. Elle montre comment les
premières initiatives dans ce domaine sont prises, au début des années 1990, par l’association des
journalistes catalans et comment cette dernière est, en la matière, influencée par les débats qui ont
eu lieu sur ce thème au sein de la Fédération internationale des journalistes. Laura Navarro
souligne également le rôle qu’ont eu diverses initiatives promues par l’Union européenne dans la
sensibilisation en faveur de la « diversité » culturelle dans les médias en Catalogne.
17
Ce n’est que dans un deuxième temps, à partir du début des années 2000, que l’administration
catalane va, à son tour, prendre conscience de l’importance de l’enjeu. Et l’auteur de détailler les
diverses mesures prises par le Conseil audiovisuel catalan et au-delà par la télévision publique
catalane dans ce domaine. Les initiatives prises en Catalogne — tant par les associations de
journalistes que par le Conseil audiovisuel catalan — ne vont pas se cantonner aux frontières de
cette communauté autonomique : elles vont avoir un effet d’entraînement et inspirer les
associations de journalistes et les conseils audiovisuels d’autres communautés.
Le décalage demeure néanmoins grand entre l’attention qu’a attirée la question de la
représentation médiatique des populations issues de l’immigration dans certaines communautés
autonomiques, à commencer par la Catalogne, et le peu d’intérêt que portent les autorités
nationales espagnoles à cette question. Tant que celle-ci est totalement absente de la Loi générale
de la communication audiovisuelle, pourtant adoptée en 2010.
Laura Navarro se penche dès lors sur l’une des rares initiatives prises au niveau national aux fins
d’améliorer la représentation de ces populations sur les télévisions publiques, la création de
l’émission Con todos los acentos (Avec tous les accents), la première à être consacrée, à cette échelle,
à la thématique de l’immigration. Plus que le fruit d’une volonté d’impulser une véritable politique
de représentation, cette émission est le résultat d’une initiative isolée d’une journaliste de la
télévision publique espagnole et d’un contexte politique propice, marqué par l’arrivée au pouvoir,
en 2004, d’un gouvernement socialiste prenant des mesures inédites de régularisation de centaines
de milliers de citoyens étrangers et usant de cette émission pour légitimer cette décision et offrir
une meilleure image des immigrés.
L’intérêt de ce chapitre est enfin de montrer comment en temps de crise, sous l’effet combiné des
politiques migratoires plus restrictives et de la diminution drastique des financements publics, y
compris dans le champ de l’audiovisuel, la promotion de la diversité dans les médias publics, tant
au niveau régional que national, va être remise en question, ce qui se traduira, entre autres choses,
par l’arrêt de l’émission Con todos los acentos.
La deuxième partie de ce livre mettait l’accent sur les limites des politiques mises en place par les
gouvernements du Maghreb pour communiquer avec les émigrés ou sur celles des politiques des
organisations internationales enrôlant les médias dans leur lutte contre l’émigration clandestine.
Les chapitres portant sur les politiques de représentation médiatique des populations issues de
l’immigration dans les pays d’Europe du Sud soulignent eux aussi les limites inhérentes à ces
politiques. Comment penser que l’amélioration des représentations médiatiques pourrait à elle
seule constituer une solution miracle à un problème — celui du déficit de reconnaissance sociale,
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économique et politique de ces populations — ayant ses racines bien au-delà du champ
médiatique ?
Pour l’Italie, il serait inapproprié de parler des limites des politiques publiques de représentation
médiatiques tant celles-ci brillent, au niveau national, par leur « absence ». Non qu’il n’y ait pas eu,
à l’antenne de la télévision publique, d’émission destinée aux populations issues de l’immigration.
Dans son texte, Eugénie Saitta revient sur la création du premier programme de cette nature, Non
solo nero (Pas seulement noir), à la fin des années 1980. On ne peut cependant voir dans cette
émission, explique-t-elle, « les prémices ou la mise en place d’une politique de gestion de
l’immigration grâce à la télévision ». Le programme est en effet surtout une « initiative
personnelle », imposé à la Rai Due de haute lutte : à sa disparition, au début des années 1990,
l’émission restera sans véritable descendance.
Parmi les facteurs qu’Eugénie Saitta met en avant pour expliquer l’absence de politique de
représentation des populations issues de l’immigration, figure en bonne place la
« commercialisation » accrue du secteur télévisuel italien qui a contribué à « entraver la mission
éducative et de service de la télévision publique italienne ».
Plus fondamentalement, l’auteur attribue cette absence aux termes dans lesquels la question de
l’immigration a été traitée dans le débat public en Italie depuis les années 1990 et à l’influence
qu’a exercée la Ligue du Nord en la matière. En imposant un agenda où le sujet de l’immigration
est présenté prioritairement à travers le filtre d’un « discours sécuritaire », la Ligue du Nord a
empêché l’émergence d’un discours alternatif et de ce fait, selon Eugénie Saitta, créé un obstacle
de taille à l’apparition de mesures en faveur d’une meilleure représentation médiatique des
populations issues de l’immigration.
L’auteur se penche aussi sur la manière dont, au partir du milieu des années 1990, se mettent en
place divers collectifs de journalistes et détaille leurs efforts pour promouvoir une « information
non raciste ». Ce faisant, elle met à jour un autre obstacle de taille pesant sur l’adoption de
mesures en faveur d’une meilleure représentation des populations issues de l’immigration :
« l’indifférence » quand ce ne sont pas « des résistances fortes » de la part de l’ordre des
journalistes et le syndicat des journalistes italiens. Il faudra attendre dix ans pour que ceux-ci
accèdent à la revendication des collectifs de journalistes de doter la profession d’une charte
déontologique concernant le traitement médiatique des populations issues de l’immigration. Et
encore, celle-ci ne sera adoptée qu’à la suite d’une interpellation directe de la représentante en
Italie du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), dénonçant les dérives
d’« un système médiatique prêt à se faire l’écho des pires manifestations de haine »…
19
DES MÉDIAS ISSUS DE L’IMMIGRATION ENTRE ICI ET LÀ-BAS
L’intérêt que l’on porte à la représentation des populations issues de l’immigration dans les
grands médias audiovisuels généralistes ne doit pas conduire, nous met en garde Charles
Husband, à « laisser dans l’ombre » le rôle que jouent, pour cette même représentation, les médias
créés par les minorités ethniques (Husband, 2005 : 462). C’est à l’étude de ceux-ci qu’est
consacrée la quatrième partie de cet ouvrage.
Bien qu’il ne soit encore qu’à l’état de friche, le champ de recherche sur les médias des minorités
issues de l’immigration est d’ores et déjà guetté par plusieurs « pièges » qu’Eugénie Saitta
s’emploie, en introduction de sa contribution dans cette partie, de « désamorcer ». Le risque est
d’abord d’« uniformiser » l’ensemble constitué par ces médias et d’en masquer l’« extrême
variété ». Un autre danger est celui d’« autonomiser » l’ensemble qu’ils forment et de « durcir
artificiellement l’opposition » qui existe entre eux et les « médias dominants ».
On peut, dans ce prolongement, cerner d’autres pièges attendant le chercheur qui étudie ces
médias. Ainsi, la tentation serait grande, en les posant comme intrinsèquement différents,
d’évacuer la nécessité, pour les comprendre, de mobiliser les catégories de l’économie politique
ou de la sociologie que l’on emploierait pour les médias dominants. Pourtant, tous les médias,
qu’ils soient minoritaires ou non, sont soumis, même si différemment, à des logiques socio-
économiques et politiques qui contribuent à leur donner forme (Husband, 2005 : 462).
De même, un réflexe récurrent des travaux sur les médias destinés à ces minorités est de les
présenter comme étant, par nature, ouverts à la « participation » de leurs publics (Deuze, 2006),
sans néanmoins que soient véritablement interrogées les modalités de celle-ci. Ce réflexe est
d’autant plus grand que l’avènement d’internet s’est accompagné du développement d’analyses
parant celui-ci, dans ce domaine, de toutes les vertus. Combien de textes ne chantent-ils pas les
effets bénéfiques de la « révolution technologique en matière d’information et de
communication » pour les minorités ethniques (Rigoni, 2010 : 7), sans en analyser en détail les
limites ?
Pour mieux cerner le rôle que jouent les médias produits par et/ou pour les minorités issues de
l’immigration maghrébine en France, en Italie et en Espagne, nous avons décidé d’étudier, à
partir de différentes perspectives, un ensemble relativement représentatif de la variété constitutive
de ces moyens de communication — des médias associatifs locaux jusqu’aux médias
commerciaux transnationaux — qui ont chacun été passés au crible de manière approfondie.
Entrant dans le détail des logiques de fonctionnement de ces médias, les chapitres publiés dans
cette partie sont en mesure de mettre en évidence tant leurs apports que leurs limites.
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Eugénie Saitta s’intéresse dans son texte à deux mensuels (et à leurs déclinaisons sur le web), l’un
gravitant autour du monde associatif — Yalla Italia, consacré aux jeunes d’origine arabe et/ou
musulmans résidant en Italie, mais s’adressant en italien à un plus large public —, et l’autre aux
ambitions explicitement commerciales — Al Maghrebiya, consacré à l’immigration d’origine
maghrébine et arabe en Italie, s’adressant en arabe aux publics issus de cette immigration,
dépendant d’une groupe de presse spécialisé dans les titres destinés aux immigrés, le groupe
Stranieri in Italia.
L’auteur se penche, en recourant aux outils de la sociologie du journalisme, sur la manière dont
les deux médias étudiés sont en mesure d’offrir « un discours sur le monde en rupture avec celui
des médias dominants ». L’intérêt de son approche est de montrer que, tandis que ces médias
dominants sollicitent rarement la parole des groupes sociaux dominés, se caractérisent par leur
dimension élitiste, sont produits par des journalistes dont la sociographie s’illustre par la quasi
absence de minorités ethniques, les deux médias qu’elle considère offrent, eux, un support
d’importance aux voix en provenance de ces minorités. Les deux titres, par-delà leur diversité,
sont en effet largement ouverts aux « profanes » issus de ces minorités — n’ayant pas
d’expérience journalistique préalable — qui, par leur biais, participent soit en tant qu’apprentis
journalistes, soit en tant que « sources directes, co-productrices de l’information », à la production
d’un contenu, basé largement sur des « paroles ordinaires », s’appliquant à renverser un certain
nombre de stéréotypes qui marquent les représentations médiatiques de ces populations.
Eugénie Saitta se penche dès lors sur les modalités de l’accès de ces voix qui s’expriment dans ces
deux publications à la sphère publique. Celui-ci est souvent proclamé dans les travaux portant sur
les médias minoritaires. Il n’est pas si souvent décrypté. Si elles contribuent à donner corps à des
« espaces publics partiels », peu ou prou limités à leurs lectorats, ces publications réussissent
également à s’immiscer plus ou moins directement dans « l’espace public général », explique
l’auteur en faisant sienne une terminologie proposée par Peter Dahlgren. Certains des journalistes
de Yalla Italia deviennent ainsi des experts intervenant de manière régulière dans les médias
généralistes, apportant dans ceux-ci une parole autre ; les rédacteurs en chef de Stranieri in Italia
étant en mesure eux, par la connaissance qu’ils ont du terrain, de participer à la médiation « entre
les groupes immigrés et les pouvoirs publics ».
L’on pourrait considérer que, ce faisant, ces journaux opèrent « un renversement des inégalités
structurelles » qui entravent l’accès de ces minorités à la sphère publique. La sociologie des
intervenants dans ces journaux qu’elle dépeint invite cependant Eugénie Saitta à la prudence en la
matière. Elle s’interroge de fait sur ceux qui parlent « au nom de » la minorité considérée et
montre que les profils des journalistes travaillant dans ces deux publications, définis par leurs
21
fondateurs italiens, sont bien spécifiques : ils disposent d’un important capital culturel, « font
preuve d’une modération religieuse et politique, et sont perç[us] comme étant intégr[és] à la
société italienne ».
La contribution de Laura Navarro sur les « médias nés des migrations marocaines en Espagne »
s’inscrit elle aussi explicitement en porte-à-faux par rapport à ceux des travaux sur les médias des
minorités qui considèrent ceux-ci, par nature, comme permettant de « construi[re] des espaces »
donnant « du pouvoir » à leurs publics. À cette vision quelque peu romantique, elle oppose une
approche, au croisement de la sociologie du journalisme et de l’économie politique critique de la
communication, qui se montre attentive aux tensions qui existent entre le rôle que disent tenir ces
médias, d’une part, et les logiques économiques ou politiques, espagnoles ou marocaines, qui
contraignent leur action, d’autre part.
L’apport de son texte réside de plus dans la perspective historique qu’elle offre. À rebours des
discours souvent amnésiques sur la « révolution » d’internet, elle esquisse l’histoire méconnue,
vieille de plusieurs décennies, du « rôle actif » qu’ont joué différents « immigrés marocains dans le
champ de la communication » en Espagne. Au travers de cette histoire qu’elle retrace, c’est
également à un minutieux travail de cartographie des médias créés par ces immigrés ou leurs
enfants qu’elle s’attache, travail qui met bien en évidence la grande variété de ces médias.
L’histoire qui est, grâce à de nombreux témoignages, reconstituée commence dès les années 1970,
avec la création, à l’initiative d’étudiants musulmans provenant du monde arabe, de revues
consacrées à l’islam, ayant pour objectif « de briser les stéréotypes » existant sur cette religion.
Aux titres historiques, toujours animés par des immigrés de la première génération, sont venus
s’en ajouter d’autres, fondés par des jeunes musulmans d’origine marocaine. Ceux-là comme
ceux-ci ont pour vocation d’établir des ponts entre l’islam et la société espagnole.
Les médias militants, créés, à partir de la deuxième moitié des années 1970, après le retour de la
démocratie en Espagne, par des Marocains exilés, visent eux la « défense des droits humains au
Maroc ». Adossés à des associations opérant dans la péninsule ibérique, ces publications se
dédient également à la protection des droits des immigrés en Espagne. Cette presse a la
particularité d’avoir rencontré non seulement l’hostilité du gouvernement marocain, mais aussi
celle du gouvernement espagnol. Laura Navarro chronique le déclin, depuis la fin des années
1990, de cette presse militante, jusqu’à conclure à une « quasi invisibilisation [aujourd’hui] des
voix critiques » s’exprimant dans la presse des immigrés marocains en Espagne, hormis quelques
titres sur internet.
Le déclin de cette presse militante coïncide avec l’essor, à partir de la fin de la décennie 1990, des
médias nés à l’initiative d’associations, souvent localisées en Catalogne, dont la « finalité est plus
22
l’aide sociale et la promotion de la cohabitation interculturelle » en Espagne que la dénonciation
des atteintes aux droits de l’Homme au Maroc. La ligne éditoriale de ces médias, animés le plus
souvent par des jeunes issus de l’immigration, se montre, à en croire les exemples donnés par
l’auteur, relativement prudente à l’égard tant des autorités, nationales ou régionales, espagnoles
que de l’État marocain. Il est vrai qu’ils perçoivent, pour certains d’entre eux, des aides de
certaines communautés autonomiques, comme la Catalogne, et de certains consulats marocains
en Espagne, comme celui de Barcelone.
Le début des années 2000 voit le développement d’initiatives ne provenant pas du monde
associatif, mais portées par des « journalistes marocains professionnels » qui se feront l’écho tant
de l’actualité du royaume chérifien que des réalités vécues par les populations issues de
l’immigration marocaine en Espagne. S’interdisant de solliciter des financements auprès du
Maroc et se voyant refuser, de la part de l’Espagne, des aides institutionnelles, ces publications
ont néanmoins une existence des plus précaires.
Avec les années 2000, se met en place en Espagne, explique Laura Navarro, un véritable marché
des médias destiné aux populations issues de l’immigration, ce qui suscite la création des
différentes entreprises médiatiques ayant, elles, « principalement […] des objectifs économiques ».
Il s’agit pour une nouvelle génération d’entrepreneurs d’occuper une niche de marché jusque-là
relativement inexplorée. L’on voit ainsi des entrepreneurs espagnols ou colombiens s’efforcer de
fonder des médias destinés à un public issu de l’immigration marocaine aux fins de générer des
recettes. La crise viendra cependant freiner le développement de ces médias.
L’économie des médias qui se dégage, par-delà la variété des situations, de l’analyse de Laura
Navarro est singulière. Elle demeure largement basée sur le bénévolat, nombreux étant ceux qui
investissent leur temps, leur énergie, leur argent, souvent à fonds perdus, pour pouvoir contribuer
à offrir à leur public une autre voix. Cette économie n’en est pas moins fragile et, même si, pour
certains, le bénévolat a pu atténuer les effets de la crise, l’ensemble de ces médias est durement
touché par celle-ci. Dans ce contexte, la question de l’accès à des aides — qu’elles proviennent
d’Espagne ou du Maroc — revêt une importance particulière.
Sur ce dernier point, le chapitre complète les analyses qui, dans la troisième partie, étaient
consacrées aux politiques publiques mises en place en Espagne visant à une meilleure
représentation médiatique des populations issues de l’immigration. Laura Navarro invite de fait à
penser que les aides qu’apportent le gouvernement espagnol ou certaines communautés
autonomiques sont accordées en fonction d’objectifs politiques bien précis : elles tendent à
privilégier les initiatives en langue espagnole ou, pour la Catalogne, en catalan, plutôt que celles
s’exprimant en arabe, elles se concentrent sur celles qui promeuvent la « cohabitation
23
interculturelle » et, sans surprise, ignorent celles qui se montrent critiques des politiques
d’immigration menées, à une échelle nationale ou régionale, en Espagne. De même, ces aides
semblent-elles ne pas être attribuées à des médias qui se montreraient critiques du régime
marocain. Si ces politiques sélectives d’aide aux publications nées de l’immigration marocaine ont
pour objectif l’« intégration des immigrés », elles n’ont pas pour but, en conclut Laura Navarro,
« l’expression [en Espagne] de toutes les voix marocaines et la contribution à la démocratisation
de son voisin du sud ».
De même, le travail de Laura Navarro vient enrichir notre compréhension du dispositif mis en
place par le royaume marocain pour communiquer avec ses émigrés, mais aussi pour maîtriser ce
qui est dit sur lui à l’étranger. Le palais, suggère l’auteur, utilise l’arme économique pour essayer
d’exercer un contrôle sur certains médias créés dans le champ de l’émigration. Il peut, en usant de
la position de force qu’il a sur l’économie marocaine, inviter telle ou telle entreprise nationale, ou
étrangère désireuse de travailler au Maroc, à investir, sous forme de « parrainages », dans tels ou
tels « médias amis », que ceux-ci soient au sud ou au nord de la Méditerranée.
Il est rare que les travaux menés sur les médias des minorités issues de l’immigration prennent en
compte les réseaux d’influence que s’efforcent de tisser, à travers ceux-ci, les États dont sont
originaires les minorités en question. C’est l’un des intérêts d’un projet articulant l’étude des
médias et des migrations d’un bord à l’autre de la Méditerranée que de pouvoir éclairer l’existence
de ces réseaux. Les chapitres sur Radio Beur/Beur FM et Radio Orient font également, plus ou
moins directement, écho à ces derniers.
Bien qu’elles aient, ensemble, profité de la libéralisation des ondes en France au début des années
1980, nombreuses sont, comme le souligne Karima Aoudia dans les deux textes qu’elle consacre à
ces stations, les différences qui opposent Radio Beur et Radio Orient, en particulier dans leurs
premières années d’existence. L’une est le résultat d’une lutte collective de militants issus de
l’immigration maghrébine afin d’être reconnus en France dans l’espace public ; l’autre est,
largement, le fruit de la volonté d’un entrepreneur libanais du show business. L’une se veut
d’obédience plutôt laïque et se considère comme le précurseur d’une France multiculturelle ;
l’autre se présente explicitement comme une radio musulmane désireuse de respecter les
institutions républicaines. L’une s’adresse aux populations issues de l’immigration magrébine en
usant largement du français ; l’autre, destinée à un public arabophone plus large, communique
prioritairement en arabe littéraire avec ses auditeurs.
En dépit de ces différences, les deux radios partagent un certain nombre de points communs.
L’économie de l’une et de l’autre est marquée, au départ, par le bricolage, avant de connaître un
mouvement de professionnalisation. Toutes deux n’en contribuent pas moins, malgré le caractère
24
artisanal de leurs émissions des débuts, à satisfaire des besoins d’informations, de divertissement,
de culture, non couverts par les médias généralistes hexagonaux, se faisant l’écho tant de ce qui
concerne les communautés visées en France que de ce qui se passe au Maghreb et dans le monde
arabe. Toutes deux s’efforcent, comme les autres médias minoritaires étudiés dans le cadre de
cette partie, d’entretenir une grande proximité avec leurs auditeurs, en leur donnant largement la
parole, en leur permettant d’intervenir à l’antenne, en répondant à leurs interrogations les plus
diverses, en diffusant à leur intention des émissions de service. Sur une antenne comme sur
l’autre, les débats qui sont organisés — qui constituent un élément-phare de la programmation —
sont pensés non seulement pour offrir un espace de discussion inédit dans le paysage audiovisuel
français, mais aussi pour permettre aux publics d’exprimer leurs opinions à l’attention d’un
auditoire plus large, dont les autorités françaises.
Les deux radios partagent également le fait d’avoir pu compter, pour leur développement, sur
l’appui des instances de régulation françaises. À cet égard, les chapitres consacrés à Radio
Beur/Beur FM et à Radio Orient viennent compléter les analyses consacrées, dans la troisième
partie, aux politiques publiques de représentation médiatiques des populations issues de
l’immigration en France, centrées sur la télévision. À la lecture des textes sur les deux stations,
l’on constate en effet qu’au moment même où une émission spécifiquement destinée à
l’immigration comme Mosaïque est sévèrement et publiquement critiquée et que les discussions,
limitées, sur la place des immigrés à la télévision ne débouchent, dans les années 1980 et 1990,
que sur peu de résultats concrets, des licences de radio sont accordées et renouvelées par les
organes de régulation successifs pour accroître, par la voie radiophonique, la représentation
médiatique des populations issues de l’immigration maghrébine et/ou arabe.
Ces organes de régulation n’appuient cependant le développement de ces radios qu’à condition,
comme le suggèrent les deux chapitres, que celles-ci proclament — quitte à ce que ce soit parfois
de manière un peu rhétorique — leur attachement à leur mission d’« intégration » de leurs
auditeurs. L’intérêt, pour les autorités françaises, des deux stations réside il est vrai également
dans la capacité qu’elles ont de relayer, à destination de cet auditoire spécifique, des campagnes
publiques.
De même, le chapitre sur Radio Orient vient-il confirmer la nécessité de prendre en compte les
dimensions géopolitiques des politiques de représentation médiatique — argument que nous
développons, pour le cas de la France, dans la troisième partie. Si cette station se voit confier une
licence, c’est de fait aussi avec l’accord du ministère de l’Intérieur qui a pu voir dans la radio un
moyen de détourner les auditeurs musulmans vivant en France d’un éventuel prosélytisme de
25
puissances étrangères cherchant, à l’insu de l’Élysée, à exercer leur influence par la voie
radiophonique.
De manière intéressante, cette licence est offerte à une station qui bénéficie de financements
saoudiens. Des Saoudiens qui, bien avant l’avènement de la télévision par satellite, ont vu dans
cette radio un moyen d’exercer un rayonnement politique et religieux. Radio Orient, pour
minoritaire qu’elle soit considérée, n’en est ainsi pas moins indéniablement placée sous le signe de
la diplomatie : ne sera-t-elle pas rachetée par le dirigeant libanais Rafic Hariri au début des années
1990 ?
Le chapitre consacré à Radio Beur revient quant à lui en détail sur les facteurs internes et externes
qui ont conduit à la disparition de la station associative et à son remplacement, au début des
années 1990, par Beur FM, inscrite dans la continuité de la précédente, mais disposant cependant
d’un format commercial.
Les différences qui étaient, dans les années 1980 et 1990 si affirmées entre les deux radios vont
tendre, à partir du début des années 2000, d’une certaine façon, à s’estomper. Radio Orient
s’efforcera de diffuser davantage en français, pour attirer plus largement à elle un jeune public
issu de l’immigration maghrébine ; Beur FM, qui se présentait encore dans les années 1990
comme une radio résolument laïque, modifiera en profondeur, pour gagner auditeurs et
annonceurs, sa grille de programmes à l’occasion du Ramadan, en donnant à celui-ci une large
place. L’une comme l’autre sont soumises par ailleurs à de grandes difficultés économiques et à la
réduction des moyens qui les accompagnent, ce qui contraint considérablement leur capacité à
offrir un contenu différent, en particulier dans le domaine des informations.
Les deux chapitres consacrés à Beur FM et à Radio Orient soulignent enfin, à leur tour, la
nécessité de ne pas cantonner l’étude de tel ou tel média minoritaire au cadre des frontières
nationales dans lesquelles il est souvent enfermé. Les deux stations, souvent considérées comme
des radios « communautaires », ont eu et continuent en effet d’avoir des audiences bien au-delà
de l’Hexagone — que ce soit, pour Beur FM, au Maghreb, ou, pour Radio Orient, dans le reste
du monde arabe. Beur FM tentera même de créer une déclinaison télévisuelle de la radio, destinée
et aux téléspectateurs vivant en France et à ceux d’Algérie — chaîne qui sera néanmoins, faute de
moyens suffisants, un échec retentissant.
Le texte d’Abdelfettah Benchenna sur le portail Yabiladi.com est exemplaire de la nécessité de
prendre en compte les réseaux transnationaux dans lesquels peuvent s’inscrire, par leur position
entre ici et là-bas, les médias minoritaires. Le cas qui est traité ici est à bien des égards
emblématique des logiques du « transnationalisme » qu’ont analysées Linda Basch, Nina Glick
Schiller et Cristina Szanton Blanc qui entendent, par ce terme, caractériser la manière dont les
26
« immigrants », pour contourner les difficultés qu’ils rencontrent dans leurs pays de résidence,
s’efforcent de « forge[r] et maint[enir] des relations sociales qui relient leurs sociétés d’origine et
d’accueil » (Basch, Glick Schiller, Szanton Blanc, 1994 : 7).
Dans son chapitre, Abdelfettah Benchenna revient d’abord, grâce aux entretiens qu’il a menés
avec lui, aux raisons qui ont poussé le fondateur de Yabiladi.com à créer celui-ci. Le portail,
explique-t-il, est, aux yeux de son initiateur, un « loisir militant » conçu aux fins de « faire quelque
chose entre la France et le Maroc ». Il s’agissait pour lui de mobiliser ses compétences
informatiques pour, en réponse à un sentiment de manque de reconnaissance en tant que Franco-
Marocain, proposer un espace sur le web où affirmer sa « marocanité » et la « revendiquer ».
Il y a, en dépit des discours vantant la nouveauté du web, d’étonnantes continuités entre le récit
que fait Abdelfettah Benchenna des débuts de Yabiladi.com et celui consacré au cas de Radio
Beur. Si la démarche militante est beaucoup moins structurée qu’elle ne l’était dans le cas de la
station, c’est peu de le dire, l’on retrouve la même importance du bénévolat à la naissance du
média, la tendance à profiter de contenus pré-existants que, faute de ressources, l’on exploite sans
se préoccuper du paiement des droits, l’attention donnée aux débats qui concernent son public, la
nécessité de donner à celui-ci des services qui répondent à ses préoccupations les plus ordinaires.
De par son dispositif réticulaire, Yabiladi.com offre néanmoins, davantage que ne pouvait le faire
Radio Beur, un support, en particulier à travers ses forums de discussion, pour que les membres
de son public communiquent entre eux. La force du portail réside précisément dans ces forums,
beaucoup plus suivis que les actualités proposées, des forums « où se mêlent des questions sur la
religion, sur la vie quotidienne, sur l’identité, sur l’histoire du Maroc, sur les rapports entre les
pays du Maghreb et la France », sans bien entendu oublier l’espace de rencontres amoureuses
qu’il propose, clé de son succès.
Dans le prolongement du chapitre consacré par Laura Navarro aux médias issus de l’immigration
marocaine en France, le texte d’Abdelfettah Benchenna permet de confirmer l’étroite surveillance
qu’exerce le royaume chérifien sur les médias issus de l’immigration marocaine en Europe. Le
fondateur de Yabiladi.com explique lui-même comment, dès la création du portail, en 2002, celui-
ci a attiré l’attention des autorités politiques marocaines. De fait, parmi les adresses IP des
internautes visitant le site, celle « de l’ambassade [marocaine à Paris] venait souvent. Quasi
quotidiennement »…
Le texte est par ailleurs révélateur des liens qui peuvent se créer entre les médias issus de
l’immigration et les États des pays d’origine. Une fois la phase d’observation passée — et après
que le royaume ait vérifié que le site ne se voulait pas fondamentalement critique à son égard —,
une relation d’interdépendance s’est créée entre Yabiladi.com et le pouvoir politique marocain, le
27
premier ayant besoin des investissements publicitaires et des informations officielles en
provenance des institutions en charge des Marocains résidant à l’étranger, celles-ci en retour
utilisant celui-là comme moyen de mieux comprendre ce public et de mieux s’adresser à lui.
Si le cas de Yabiladi.com est intéressant, c’est aussi parce que le fondateur de celui-ci a, après
avoir transformé son loisir militant en véritable entreprise, impulsé une véritable politique de
délocalisation, déplaçant le centre opérationnel de ses activités de la France vers le Maroc.
L’installation au sud de la Méditerranée ne se fait pas seulement pour profiter de la baisse des
coûts et d’autres avantages qu’elle permet, mais elle est mue également par le désir d’exploiter, au
Maroc, l’expérience acquise dans le secteur de la presse en ligne et au-delà de développer, depuis
ce pays, une fonction de startup de conseil et de services en communication digitale pour des
institutions marocaines ou françaises. La délocalisation a néanmoins un coût important, lié aux
difficultés accrues qu’elle entraîne pour la couverture de l’actualité marocaine.
La délocalisation de Yabiladi.com n’empêche enfin pas les moyens mis à la disposition de
l’activité rédactionnelle de continuer à être fortement réduits, ce qui limite fortement sa capacité à
apporter à son public des informations — problème que le portail partage avec d’autres médias
étudiés dans cette quatrième partie. En attestent les effectifs des plus resserrés de l’équipe de
journalistes qui, faute de ressources, doit se contenter de réécrire des contenus produits ailleurs.
LES EXPÉRIENCES MÉDIATIQUES ET COMMUNICATIONNELLES ORDINAIRES DES PUBLICS
ISSUS DE L’IMMIGRATION
La question autour de laquelle est organisée la cinquième partie de cet ouvrage — celle des
pratiques médiatiques et communicationnelles des populations issues de l’immigration — a
suscité, depuis le début des années 1990, avec le développement des antennes paraboliques, en
France comme dans d’autres pays européens (mais, comme on l’a vu, non en Espagne et en
Italie), de vives inquiétudes de la part des pouvoirs publics4. La réception des chaînes par satellite
a été, avec récurrence, d’hier à aujourd’hui, ainsi que nous le montrons dans notre chapitre
consacré aux politiques de la « diversité » de la troisième partie, perçue comme une menace pour
la politique d’intégration promue par le gouvernement français. Plus récemment, le
développement du web et l’accès potentiel qu’il offre à des sites islamistes ont provoqué le même
type de peurs.
Parallèlement, la question de la réception télévisée au sein des foyers issus de l’immigration a fait
naître, depuis la deuxième moitié de la décennie 1990, en Europe, en particulier en langue
4 Sur les craintes suscitées par ces chaînes en Europe, voir Sakr, 2008.
28
anglaise, une abondante littérature qui s’est, dans l’ensemble, employée à relativiser ces peurs.
Pour heureuse que soit la relativisation de celles-ci, cette littérature n’est pas sans poser problème.
Tout se passe, à longueur de textes, comme si les téléspectateurs constituaient, en raison de leurs
origines, des publics éminemment spécifiques. Ce faisant, ces recherches tendent à privilégier,
dans leurs analyses de la réception, les marqueurs en lien avec les origines de la famille et à
ignorer, parfois complètement, les dimensions ordinaires des pratiques télévisuelles. Dans
nombre de travaux, ce sont les protocoles d’enquête eux-mêmes qui, en surdéterminant
l’influence de ces marqueurs, faussent la compréhension des pratiques de ces populations. Ce qui,
paradoxalement, est en contradiction avec la volonté affichée de s’affranchir des discours
alarmistes en la matière. Ainsi une étude collective consacrée à la réception des télévisions
arabophones en Europe peut-elle s’ouvrir sur une critique de la manière dont ces chaînes ont été
vues par différents commentateurs publics comme des agents d’enfermement de leurs
téléspectateurs dans des « ethnic media worlds » et, en même temps, inviter en conclusion à mieux
étudier les « loyautés communicationnelles » qui relient leurs publics issus de l’immigration à leurs
régions d’origine ! (Slade, Volkmer, 2012 : 400, 409).
Nous nous efforçons avec Elyamine Settoul et Karima Aoudia dans les deux chapitres de cette
cinquième partie — portant l’un sur la réception, l’autre sur les usages — d’appréhender les
pratiques médiatiques et communicationnelles à partir d’une perspective différente, en nous
concentrant sur des terrains menés en France. Dans ces deux textes — qui sont intrinsèquement
liés et qui, comme tels, doivent être lus l’un à la suite de l’autre —, nous ne partons pas de l’étude
de l’utilisation qui est faite, dans les foyers enquêtés, des médias et des technologies aux fins de
rester en lien avec les pays d’origine, mais, au contraire, de leurs expériences médiatiques et
communicationnelles ordinaires.
Ce qui ressort de notre enquête de réception de la télévision — qui a été menée non auprès de
migrants, mais auprès de personnes issues de l’immigration maghrébine et durablement installées
sur le territoire —, c’est, dans la continuité des premiers travaux qui ont été conduits dans ce
domaine en France, la grande hétérogénéité des pratiques au sein de ces foyers, en fonction d’une
pluralité de critères, sociaux, culturels, linguistiques… et, peut-être surtout, générationnels. De
fait, les premières générations regardent incontestablement plus les chaînes de leur pays d’origine
ou plus généralement celles en provenance du monde arabe pour lutter contre la nostalgie du
pays quitté. L’on ne peut cependant s’arrêter à ce constat. La demande nostalgique est de fait loin
d’être le seul déterminant de la consommation télévisuelle de ces premières générations.
Au-delà, ces téléspectateurs et téléspectatrices, comme ceux et celles des autres générations, sont
en quête d’émotions et de sensations que les images peuvent leur offrir et, dans ce cadre, la
29
nationalité des programmes, quand elle importe, n’est qu’un des critères en fonction desquels se
font les choix télévisuels. La recherche de mélodrames à laquelle s’adonnent, par exemple, les
femmes de la première génération est ainsi satisfaite indifféremment par des programmes aux
nationalités très diverses — nationalités qui du reste ne sont pas toujours bien identifiées.
Nous montrons alors en quoi, aux yeux de nos interviewés (et surtout de nos interviewées) de la
première génération, le petit écran est loin d’être un espace bien organisé qui serait polarisé entre
les chaînes du pays d’origine, d’un côté, et les chaînes hexagonales, de l’autre. Il tend plutôt à être
vu comme un espace où les frontières sont plus poreuses que l’on pourrait imaginer et où les
téléspectateurs et téléspectatrices les plus âgés se déplacent, en utilisant comme points de repère
leurs programmes préférés, quelle qu’en soit la nationalité.
Les jeunes que nous avons interrogés soulignent eux, au contraire, l’existence de frontières très
nettes entre, d’une part, les chaînes du pays d’origine qui, pour beaucoup d’entre eux, renvoient à
un monde qui est étranger à leurs existences et, de l’autre, certaines chaînes privées françaises
dont ils plébiscitent les fictions hollywoodiennes et les émissions dites de télé-réalité qui
correspondent davantage à leurs attentes. Cependant, les pratiques des jeunes non plus ne
sauraient être considérées comme polarisées entre deux ensembles que l’on voudrait bien
distincts : en témoigne la manière dont nos interviewés brouillent, dans leurs écoutes musicales,
les frontières, composant un cocktail de sons aux origines diverses qui rompt les dichotomies
binaires Orient/Occident.
Le chapitre décrit dès lors comment, pour faire face à la diversité des pratiques télévisuelles
souvent antagonistes des différents membres de la famille, se déploient, dans chaque foyer, de
complexes négociations pour l’accès aux programmes préférés et comment les écrans
d’ordinateurs constituent, à cet égard, une ressource pour les jeunes.
Nous mettons également en évidence avec Élyamine Settoul et Karima Aoudia, par-delà les
clivages qui existent dans les pratiques télévisuelles, les critiques virulentes qu’adressent
spontanément les interviewés, quels que soient leurs âges, vis à vis des représentations que
propose la télévision française, dans ses plages informatives, des pays du Maghreb, du Moyen-
Orient ou des réalités des quartiers populaires. Ce que révèle alors le chapitre, ce sont les
« difficultés qu’éprouve le petit écran hexagonal à parler de manière un tant soit peu complexe du
monde, ou, pire, de la société française ». Il y a de ce point de vue un décalage patent entre la
multiplicité de mesures qui ont été prises en faveur de la « diversité » à la télévision et la
permanence du regard des plus critiques que portent les personnes interrogées à l’encontre de
cette même télévision.
30
Dans de nombreux travaux, les publics issus de l’immigration arabe en Europe sont décrits
comme compensant leurs déficits de représentation médiatique dans les pays de résidence grâce
aux télévisions panarabes. Ce qui les brancherait à un « espace médiatisé transnational », un
espace qui serait, à la différence des chaînes nationales, « un espace de compréhension et de
valeurs partagées » (Slade, Volkmer, 2012 : 408).
Nos résultats s’inscrivent en porte à faux par rapport à ce type d’analyses. Non que notre chapitre
ignore le rôle que peut jouer, auprès de certains de ces téléspectateurs, une chaîne comme Al
Jazeera. Celle-ci, dans les entretiens, apparaît comme le symbole d’une information différente,
d’une vision du monde qui ne serait pas occidentalo-centrée. Mais, dans les faits, elle n’est pas
tant regardée, les obstacles, en particulier linguistiques, à son accès, étant importants. Le prestige
dont jouit la chaîne auprès des jeunes que nous avons interrogés — même auprès de ceux qui ne
pouvaient en comprendre les nouvelles — permet néanmoins d’entrevoir les enjeux que recèlerait
la création d’une déclinaison francophone de celle-ci.
Mais, plus qu’en direction de l’« espace médiatisé transnational », c’est vers une variété de médias,
la plupart basés en France et communiquant en français — débats radiophoniques, médias
minoritaires destinés à un public issu de l’immigration maghrébine, sites web d’actualité… —,
que se tournent celles et ceux qui mettent en place des tactiques visant à contourner les
insuffisances de l’information fournie par les médias généralistes hexagonaux. Encore faut-il
préciser que ces tactiques de détournement ne sont le fait que d’un nombre limité de nos
interviewés, parmi les plus diplômés et les plus conscients politiquement.
Notre perspective tranche ainsi par rapport à d’autres travaux portant sur la réception des chaînes
par satellite en Europe dans les foyers issus de l’immigration arabe qui, fidèles aux perspectives
théoriques sur les audiences actives dans lesquelles ils s’inscrivent, présentent ces chaînes comme
constituant, de manière relativement indistincte pour tous leurs téléspectateurs, une ressource à
partir de laquelle ils résistent aux discriminations dont ils font l’objet dans les grands médias
nationaux de leur pays de résidence (voir, par exemple, Georgiou, 2013). Contrairement à ces
travaux, nous soulignons non seulement le rôle que jouent d’autres médias, du pays de résidence,
davantage en phase avec leurs réalités, dans ces tentatives de détourner les insuffisances de
l’information, mais aussi le fait que ces tentatives ne sont mobilisées que par certains de nos
interviewés, ceux disposant du capital culturel ou politique le plus important.
Les travaux sur les pratiques des populations issues de l’immigration tendent à être marqués par
une division clairement établie entre les recherches consacrées à la réception de la télévision par
satellite d’un côté et celles dédiées aux usages des technologies de la communication de l’autre —
division sans fondement puisqu’elle ne correspond pas à une partition des expériences ordinaires
31
de ces populations en la matière. Nous nous sommes ici efforcés de dépasser cette division et
d’essayer d’étudier « l’écologie des pratiques communicationnelles » (Panagakos, Horst, 2006 :
101) de ces familles de façon plus complète, incluant dans un même cadre celles relevant de la
réception des médias et celles relevant des usages des technologies.
Dans le chapitre que nous consacrons avec Elyamine Settoul et Karima Aoudia à l’utilisation de
ces technologies, nous prenons un peu de recul historique afin de mieux comprendre celle-ci. Les
travaux sur les usages d’internet au sein des foyers issus de l’immigration sont prompts à
présenter ces usages « sous le signe univoque de la nouveauté », afin de mieux mettre en avant le
caractère révolutionnaire des nouveaux développements. Nous nous efforçons au contraire de
cerner comment ces usages s’inscrivent dans la continuité d’une histoire, déjà longue, de la mise
en contact à distance des familles séparées.
Nous revenons pour ce faire, grâce aux entretiens réalisés, sur la manière dont s’est formé, depuis
les années 1960, un véritable « système de communication » hétéroclite, construit par les émigrés
pour « demeurer en relation, par une variété de voies, avec les membres de leur famille restés au
pays ». Nous nous intéressons plus particulièrement au rôle joué au sein de celui-ci par les lettres,
les audiocassettes et le téléphone.
Nous mesurons ainsi, prolongeant certains écrits d’Abdelmalek Sayad sur le sujet, les avantages et
les inconvénients des différentes composantes de ce système de communication. La lettre permet
d’assurer les échanges d’un bord à l’autre de la Méditerranée, mais, parce qu’elle se confronte à la
barrière de l’écrit, ne permet pas de bien exprimer ses sentiments et, parce qu’il faut souvent
passer par un intermédiaire pour l’écrire ou la lire, n’offre pas d’intimité. L’audiocassette favorise
l’expression des sentiments, mais, parce qu’elle fait largement l’objet, pour son enregistrement,
d’une cérémonie collective, ne confère pas de meilleure intimité que la lettre. Dans les deux cas,
l’échange est tributaire du temps passé entre l’envoi de l’objet communicant et la réception de la
réponse. Le téléphone autorise lui l’échange spontané et simultané, mais a pour grand
désavantage, jusqu’au début des années 2000, son coût.
Les récits de nos interviewés sont de ce point de vue révélateurs des diverses ruses que ceux-ci
déploient pour s’efforcer de rester en contact avec leurs proches éloignés. Ainsi, pour tenter
d’abaisser les coûts des communications téléphoniques ou du moins de limiter les dépenses, nos
répondants ont-ils pendant longtemps recouru tour à tour aux cabines à pièce ou à cartes, aux
cartes prépayées meilleur marché, aux taxiphones…
Ce que dessinent en creux les témoignages recueillis, c’est l’existence, depuis des décennies, d’une
économie de la mise en relation transnationale qui exploite les désirs de maintien des liens avec le
pays d’origine. Hier portée par les vendeurs de paraboles ou de « cartes Maghreb » ou les
32
propriétaires de taxiphones, cette économie est aujourd’hui organisée autour d’un ensemble
disparate de commerces « ethniques », mais aussi de grands opérateurs internet qui exploitent
explicitement cette soif de contact pour vendre, à cette population spécifique, leurs abonnements.
Il n’a donc pas fallu attendre le développement d’internet pour que soit assurée une mise en
contact des familles séparées par la Méditerranée. La comparaison des modes de communication
d’hier à aujourd’hui fait d’ailleurs apparaître des continuités frappantes : les enfants aidaient leurs
parents à écrire ou à lire leurs lettres ; ils les assistent désormais dans leurs connexions avec
Skype. Les séances d’enregistrement des audiocassettes prenaient la forme d’une cérémonie
collective, comme tendent à l’être, au sud de la Méditerranée, les appels par Skype. D’une période
à l’autre, l’un des principaux objectifs des communications est, pour la première génération de
l’immigration notamment, de rassurer, de montrer que l’on est en bonne santé et de réaffirmer la
force des liens en dépit de la séparation physique.
La baisse du coût des échanges rendue possible par les nouveaux services n’en fait pas moins
évoluer les modes de mise en relation : elle a favorisé, pour ceux qui peuvent en profiter, une
banalisation des communications à travers la Méditerranée. Nous nous efforçons d’en cerner, là
aussi, tant les apports que les limites. À contre-courant d’une littérature qui tend à chanter
l’abolition des distances sous l’effet de la technologie et à proclamer l’avènement d’un âge de la
« co-présence » dans les familles séparées, nous nous interrogeons au contraire sur la permanence
de ces distances — qu’elles soient technologiques ou, plus important, sociales ou culturelles —
qui gênent la mise en contact transnationale.
Surtout, nous enlevons à la relation au pays d’origine, la centralité qu’elle a dans les travaux
consacrés aux usages des technologies par les populations issues de l’immigration. Nous
replaçons de fait l’utilisation que font ces populations de ces technologies avec le pays d’origine
dans un cadre plus large. Nous montrons comment le système de communication qui a été mis
en place par ces familles pour être en relation avec ses proches à l’étranger fait partie d’un
système de communication plus vaste qui leur permet également d’échanger avec leurs proches
vivant en France, voire dans la même localité qu’eux.
L’importance accordée à ces différentes échelles de la mise en relation varie en fonction des
générations. Notre chapitre sur les usages décrit les mêmes clivages entre les générations que
mettait en avant celui sur la réception. Si la première génération fait largement coexister, au
travers de l’utilisation des technologies, les échanges entretenus avec les proches vivant dans le
pays d’origine ou dans un autre pays à l’étranger avec ceux se déroulant à une échelle locale ou
nationale, les jeunes, eux, privilégient très largement, dans leurs interactions médiées par la
33
technologie, celles qui se déploient avec leurs pairs, via Facebook ou le téléphone portable, à une
échelle nationale, voire, le plus souvent, locale.
Sur ce point, nos conclusions convergent avec celles du chapitre de Tarik Sabry, inclus dans la
première partie. Explorant les envies de partir exprimées par les jeunes utilisateurs marocains
d’internet, il mettait en valeur le fait que ceux-ci, à des lieues de ce qu’il escomptait, mobilisaient
le réseau Facebook plutôt pour entrer en communication avec leurs pairs sur place qu’avec ceux
vivant sur l’autre rive de la Méditerranée.
Ce résultat soulignant la prégnance des interactions localisées n’est pas sans être paradoxal par
rapport à notre ambition de départ — cerner les enjeux des flux conjugués des migrations et des
médias d’un bord à l’autre de la Méditerranée. Il n’en offre pas moins un fort utile correctif au
prisme transnational qui organise tant de travaux contemporains consacrés aux médias, aux
technologies de communication et aux migrations.
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