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Archives de sciences sociales des religions La conversion comme aversion Christian Decobert Citer ce document / Cite this document : Decobert Christian. La conversion comme aversion. In: Archives de sciences sociales des religions, n°104, 1998. pp. 33-60; doi : 10.3406/assr.1998.1154 http://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1998_num_104_1_1154 Document généré le 20/03/2017

La conversion comme aversion

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Archives de sciences sociales desreligions

La conversion comme aversionChristian Decobert

Citer ce document / Cite this document :

Decobert Christian. La conversion comme aversion. In: Archives de sciences sociales des religions, n°104, 1998. pp. 33-60;

doi : 10.3406/assr.1998.1154

http://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1998_num_104_1_1154

Document généré le 20/03/2017

Arch de Sc wc des Re!. 1998 104 octobre-décembre 33-60 Christian COBERT

LA CONVERSION COMME AVERSION

propos de NOCK Arthur Darby) Conversion The Old and the New Religion from Alexander the Great to Augustine of Hippo réimpression) Baltimore-Londres The Johns Hopkins university Press 1998 309

Le célèbre ouvrage Nock paru en 1933 Londres un statut particulier chez les spécialistes de Antiquité tardive de la christianisation ou des premiers siècles du christianisme Il est considéré comme une uvre pionnière de référence géniale par certains aspects mais dans le même temps est-à-dire aux mêmes historiens il semble ne pas servir il est quasiment jamais cité il est pas utilisé Il ait bien partie de ces bibliographies générales que on compose régulièrement sur le christianisme ancien mais depuis longtemps il est plus discuté uvre novatrice et solitaire comme dit Arnaldo Momigliano qui étonnait une telle solitude et de abandon des voies elle avait ouvertes La réédition de ouvrage étonnam ment paresseuse aidera guère relancer un quelconque intérêt il agit une reproduction anastatique donc strictement identique édition originale sans la moindre introduction sans une présentation qui pût mettre en situation ouvrage dans une école dans un courant de pensée dans un débat sur émergence des monothéismes ou sur la place de hellénisme dans la genèse du christianisme..

Il faut cependant travailler le livre est la fois lui faire justice et faire le point sur quelques questions lancinantes propos de émergence du monothéisme et de la christianisation du monde romain cette fin il est pas inutile de tirer ce livre vers ce qui écrit hui apropos de la naissance une religion de la transformation un paysage religieux en un autre et de acte social de passage une religion une autre est-à-dire de la conversion Nous pourrons dire enfin en quoi Nock innové tout en refusant de nous arrêter ces constats hâtifs sur le caractère dépassé de son

uvre

Then in 1933 Arthur Darby NOCK seemed to open up new epoch with his Conversion but curiously it was book which remained alone even in its production Arnaldo MOMIGLIANO On Pagans Jews and Christians Hanovre NH Londres 1987 160

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Précisons emblée il deux affirmations fortes de Nock qui gênent quelque peu le lecteur urbain-moyen-cultivé aujourdhui. La première affirmation chap.l est que les formations religieuses se classent en deux catégories les religions tradi tionnelles et les religions prophétiques et existe une réelle inégalité entre ces formations religieuses dans histoire se situe comme phénomène axial un chemi nement des premières aux dernières ce qui veut dire il un sens historique ce passage Ne juger Nock que sur cette assertion pourrait le mener trop vite au bûcher même si anthropologie nous appris nous abstraire totalement de ces considéra tions pour le moins Nock était pas en avance sur son temps..

autre problème que pose Nock aux spécialistes de histoire des conversions et de expansion des religions universalistes vient de la définition initiale il donne au phénomène même de conversion By conversion we mean the reorientation of the soul of an individual his deliberate turning from indifference or from an earlier form of piety to another turning which implies consciousness that great change is involved that the old was wrong and the new is right 7)

Seule une conversion comme prise de conscience religieuse individuelle serait réelle Une telle définition ne donnerait donc pas de place ce que on qualifie généralement de conversions de masse est-à-dire des actes collectifs de changement de religion dont les motivations relèvent totalement ou sont décrites comme telles de intérêt de la pression de autorité du statut etc La sociologie religieuse et histoire sociale nous ont appris prendre en compte ces motivations non religieuses ou plutôt elles nous ont appris appréhender la représentation dite religieuse de ces motivations dites non religieuses Une telle définition impliquerait que les masses de personnes dont les inquiétudes religieuses ne sont pas visibles ou semblent absentes ont pas été réellement converties même si nous savons elles ont changé de religion. Nous pourrions porter le même jugement que précédemment mais nous insisterons pas Nock était bien homme de son temps Son discours semble ailleurs reprendre les termes de celui Alfred Clair Underwood où la psycho logie du candidat la conversion tend ruiner toute sociologie de la conversion Comme Underwood comme avant lui William James 3) Nock aurait pu entrevoir que les masses se convertissent aussi en autres termes que des motifs supposés par qui autres que religieux conduisent une convertie une nouvelle piété de nouveaux comportements de nouvelles pratiques rituelles sans que cette piété ces comportements ces pratiques puissent être considérés comme non intériorisés comme vides de sens Conversion Changement de religion

Mais cette gêne première lire Nock est comment dire de courte vue Comme si les critiques que on empressera de formuler propos de la distinction absolue entre les religions prophétiques et la masse des religions traditionnelles et son analyse de la conversion comme expérience individuelle ne consistaient marquer un constat sur ce qui communément se pensait dans quelques grandes universités anglo-saxonnes des années trente envahies par le pragmatisme psychologique plutôt

aller plus avant Car ce il disait était bien plus complexe et la discussion ne doit pas être amputée

Alfred Clair UNDERWOOD Conversion Christian and Non-Christian Comparative and Psycho logical Study 1925

William JAMES The Varieties of Religious Experience 1902

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TRADITION ET RAISON

Reprenons donc les quelques questions soulevées par les affirmations que nous venons de relever religions traditionnelles et religions prophétiques psychologie ou sociologie du converti changement de religion et conversion) et considérons-les abord comme auteur les posées Puis suivons sa logique mais hésitons pas chemin faisant nous en départir tout en nous appuyant sur information dense diverse il livrée

Dans sa logique argumentaire Nock articule sa discrimination entre les religions partir un constat le geste de conversion est supporté par une quête de sens La

religion traditionnelle chap 1) était un état commun généralisé avant le christia nisme Les motifs attachement religieux étaient aussi imprécis et généraux im mémoriaux demande ordre social recherche de protection contre les accidents de existence touchant homme et ce qui entourait) interrogation sur le devenir après la mort Mais important est pas quand il agit de religion traditionnelle de interroger sur le sentiment religieux qui naît de ces inquiétudes la religion tradi tionnelle est caractérisée par la reproduction par la recherche de immuable plus elle est fondée sur sa reproduction homme religieux traditionnel est indifférent aux autres pratiques religieuses il est attaché la sienne car la sienne est circonscrite son milieu En effet la préservation du milieu exige observance de la pratique reconnue dans son aire et la sanction tombe sur celui qui déroge alors que la conséquence de observance est le bien être au sein du groupe considéré horizon de la religion traditionnelle est là elle est une pratique ce qui est demandé homme dans son milieu est de la pratique plus que de la croyance opposé poursuit Nock il la religion prophétique Le prophète est homme qui éprouve une insatisfaction égard de ce qui existe qui refuse la reproduction de ce qui est qui trace alors une nouvelle voie et qui un message de sens délivrer sur ce qui est Il est producteur de sens un sens nécessairement nouveau Pour le prophète la raison être des choses est première alors que chez homme du sacré dans la religion traditionnelle est la reproduction de ordre qui est première

Le christianisme nous dit Nock est religion prophétique Les religions qui ont précédé au Proche-Orient étaient toutes traditionnelles répète-t-il Mais en est-il du judaïsme il fût une religion prophétique touche évidence son histoire est scandée par le surgissement de prophètes et leurs imprécations Et le christianisme inscrit dans son prophétisme Jean le Baptiste 189 et Jésus apparaissent abord comme des prophètes il leur est abord prêté un discours et un comportement de prophètes du judaïsme Mais le christianisme émerge comme mouvement religieux prophétique que parce il sort du judaïsme chap 12) que lorsque la communauté des nouveaux croyants se distingue aux yeux de celle-ci et aux yeux des autres des communautés juives dont elle est issue En fait la sortie du judaïsme est double et cela est longuement expliqué par Nock le christianisme prend racine dans les communau tés juives hors de Judée Antioche notamment il se prêche dans les synagogues et chez les juifs hellénisés de Empire romain Se fondent ensuite des communautés séparées au sein même des communautés juives Enfin le christianisme ne se donne socialement voir en dehors des communautés juives Non pas tant ailleurs par

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sa liturgie et son rituel que par un discours distinct acte de naissance du christia nisme est peut-être la prédication de Paul Un discours nouveau détache les convertis du paysage juif dans lequel ils évoluaient En résumé le christianisme est la sortie du judaïsme partir de la tradition du judaïsme Expliquons-nous ou plutôt commentons les propos de Nock Le judaïsme est par excellence la religion du prophétisme et le prophétisme chrétien en est issu Mais interrogation sur la raison être des choses que soulèvent notamment les Epîtres de Paul ne put se faire que par la sortie du judaïsme Car le judaïsme était fermé sa raison être était devenu une religion où la tradition primait une religion formaliste engoncée dans un ritualisme stérile

Mais pour soutenir la cohérence de ce qui précède nous assumerons que chez Nock le mot tradition deux sens différents Il une part le sens donné plus haut de reproduction de pratiques assignées et non interrogées de souci ordre et évitement des périls est le sens 190 quand il agit de rompre avec la tradition

Jérusalem Alors tradition oppose innovation autre part le terme aussi le sens commun de dépôt de savoir sur le moment fondateur de le on ou de mémoire du passé fondateur est le sens 189 quand il agit de la croyance fermement fixée dans la tradition juive Tradition signifie alors récit de innovation et ambiguïté disparaît une religion fondée sur une interrogation nouvelle propos de la raison être des choses peut enkyster au point de perdre cette raison être et de refuser toute innovation

Cependant si Nock lève une ambiguïté il risque en introduire une autre en effet entend-il par religions traditionnelles ou purement traditionnelles Est-ce que ce sont celles où la raison être des choses est absente Géographique- ment notre historien désigne les religions des régions où le christianisme est implanté comme par exemple la religion pharaonique en Egypte laquelle il fait fréquemment allusion Quelques traits les dessinent une représentation parfois fort sophistiquée de oekoumène mais absence un corps doctrinal Le rite et le mythe entrent dans une complémentarité fermée le rite pratiqué est essence de la religion 161) dans la mesure où il fabrique de ordre et le mythe est la raison traditionnelle donnée existence nécessaire du rite et la représentation traditionnelle des forces qui génèrent et gèrent oekoumène Mais comme pour le mot tradition force est de constater que Nock donne implicitement deux acceptions différentes au mot raison En premier lieu il la raison qui oppose la tradition qui est le produit de innovation elle est une nouvelle raison qui applique être des choses Et il la raison de la tradition celle qui donne sens la tradition qui la fonde la supporte comme la fondation supporte la maison la tradition étant pour tous ce qui hic et ïèï notifie signifie acte fondateur comme la maison visible par tous indique que des gens se sont installés là on dirait ont fondé là quelque chose Au total la raison être des choses est essence de tout phénomène religieux Et la différence entre religion traditionnelle et religion prophétique se situe dans le fait que cette raison être est ou est pas interrogée Il pratique et raison en religion dans la religion traditionnelle est la pratique qui constitue la dominance 4) dans la religion pro phétique est la raison

Au sens où entend Maurice GODELIER La part ideelle du réel Homme 8/3-4 1978 155-188 Parmi les activités sociales complexes un groupe certaines ont une primauté de statut sans que pour cela elles contrôlent nécessairement la reproduction du groupe en question de telles activités sociales sont la dominance

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Les termes posés par Nock dans leur distinction convenue tradition versus raison ne résistent pas information même il voulu embrasser et les définitions savamment posées dans une introduction méthodologique chap se délitent dans la masse opaque un objet bien peu malléable En quelque sorte Nock gauchit lui-même son discours et nous autorise le gauchir après lui. La gêne initiale du lecteur disparaît et la lecture peut continuer

TABLEAU POQUE

La question considérable reste de savoir comment on passe de une autre des dominances suivre Nock nous nous demanderons comment expansion du christianisme pu imposer le passage la dominance de la raison Mais ce passage ni univoque ni singulier pu opérer que parce que la raison revêtu étrange habit de la révélation

Voici gros traits le tableau que Nock soigneusement composé La culture hellénistique est née de émigration des Grecs de la création de cités grecques dans tout Orient méditerranéen chap Des phénomènes influences religieuses réci proques entre Grecs coupés de leur arrière-pays et populations indigènes ont fait que des formes mixtes de piété sont apparues Un exemple privilégié est celui de essor du culte de Serapis divinité orientale la fois hellénisée et égyptianisée et imposée par les Grecs au pays des Ptolémées autres cultes orientaux touchèrent les Hellènes et particulièrement ceux entre eux qui étaient des cultes mystères dont le culte isiaque et le mithriacisme chap bien que les cultes mystères avaient existé en Grèce avant le IIIe siècle chap En retour les mêmes cultes orientaux furent véhiculés par des Grecs orientalises ou des Grecs orientaux jusque dans les anciennes cités grecques tel Serapis Delos chap Le même phénomène se produisit dans Empire romain chap 5) ces mêmes cultes continuèrent se propager et ils attei gnirent Rome où notamment Mithra et Serapis eurent leurs sanctuaires Lesquels sanctuaires et bien autres furent rapidement placés sous la protection une classe dirigeante empereurs compris qui était composée éléments de tout Empire et non plus de la seule gent romaine chap 8)

Des groupes mobiles marginaux ou marginalisés comme les soldats les mar chands les affranchis etc. furent les principaux colporteurs des cultes mystères chap est que de tels cultes touchaient prioritairement ceux qui évoluaient un groupe social autre ceux dont le statut était pas toujours fixé en somme les hommes de frontière qui voyageaient autant entre les strates sociales entre les pays de Orient et de Occident romains chap Parce que explique Nock les cultes mystères touchaient les hommes individuellement plus que collectivement La révo lution religieuse ils provoquèrent se situe là dans attirance individuelle Voilà pour la première partie du livre

Avant aller plus avant et pour valider ce qui suit il convient de assurer que ce avance Nock est historiquement fondé Nock est un historien de la religion

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romaine dont les Essays on Religion and the Ancient World sont encore hui importants et souvent cités pour la discipline Pour histoire de la religion grecque une abondante bibliographie est ici utilisée mais pour une vision ensemble il se repose essentiellement sur les travaux respectés et neufs Ulrich von Wilamowitz Quant ce qui touche les religions orientales et les cultes orientaux mystères les travaux alors fameux de Franz Cumont ont évidence considérablement in fluencé Enfin et ceci est pas sans importance nous en parlerons) sa représentation de la religion primitive est orientée la fois vers une psychologie de homme primitif religieux sa lecture essentielle étant celle de Bronis aw Malinowski 8) et vers les théories du lien fondamental entre religion et morale il est dans ce cas inspiré par Edward Westermarck Convenons abord que Nock est affût idées neuves de ce qui se produit important autour de lui Les ouvrages mentionnés sont souvent de lecture très récente dans les domaines qui sont voisins de son domaine de compétence que ce soit thématiquement le religieux) historiquement la Grèce et géographiquement Orient syrien et iranien Ajoutons que ses lectures et ce elles lui inspirent forment un tout on achevait de découvrir que les religions grecque et romaine avaient en rien été des systèmes clos que leur porosité Orient avait été constitutive de leur existence même et ainsi leur fonctionnement était fait de mobilité de transaction de constante recomposition Enfin et là les lectures mêlées de historien Westermarck et de ethnologue Malinowski sont très éclairantes Avec Westermarck impose lui idée que origine des idées morales et de ce qui fait ordre en société est religieuse et que si on retourne la proposition la religion primitive comme ensemble des formes primitives du religieux est essentiellement productrice ordre moral Malinowski conséquemment lui suggère existe une relation fonctionnelle entre ce qui constitue la matière du religieux les mythes et les rites qui les mettent en scène et ce qui constitue ordre en société Ainsi dans les religions primitives le mythe fonctionne comme une sorte de charte sociale comme un instrument que produisent et manipulent les détenteurs de autorité et de la force Le mythe étant le récit historique de ordre présent en même temps que sa légitimation ordre présent se présente comme un système relevant la fois du monde naturel et du monde supranaturel le mythe qui fonde ordre est du domaine du supranaturel Nous reparlerons des effets de cette influence forte de Malinowski

la lumière de ce que nous savons hui parcourons maintenant le tableau peint par Nock de importance des cultes orientaux et mystères dans le monde méditerranéen hellénisé époques hellénistique et romaine Quelques touches sont

quoi on doit ajouter la magistrale synthèse sur la religion dans la Rome impériale dans la Cambridge Ancient History IX 1934-1971 pp 464-511

Ulrich von WiLAMOWiTz-MöLLENDORFF Die Glaube der Hellenen vol. Berlin 1931-1932 mais aussi Die Ilias und Homer Berlin 1916

De Franz CUMONT Nock mentionne notamment Textes et documents relatifs aux mystères de ithra 1894-1899) Les Religions orientales dans le paganisme romain 1906) Fouilles de Doura-Europos 1926)

De Bronis aw MALINOWSKI Nock cite son essai dans Science Religion and Reality édité par Joseph NEEDHAM Ce texte est de 1925 et il prépare le fameux ouvrage The Foundations of Faith and Morals Londres 1936

Edward WESTERMARCK The Origin and Development of the Moral Ideas vol. Londres 1906 réédité en 1912 1926

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en effet nécessaires pour donner ce tableau un caractère de vérité emblée il paraît clair que Nock impressionné peut-être par les recherches de Cumont mais également parce que ce culte lui semble archétypique il fut la fois culte oriental et

mystères) accorde une importance très grande au mithriacisme relativement autres cultes orientaux 10 Son importance dans le monde romain resta néanmoins limitée tellement moindre par exemple que le culte isiaque qui lui était de très grande diffusion et extraordinaire adaptation 11 Il est vrai que le mithriacisme est plutôt bien documenté en tout cas de fa on disproportionnée par rapport sa réelle expansion la raison de cet écart est pas le hasard des découvertes archéologiques ou historiographiques mais plus vraisemblablement le fait que les chrétiens achar nèrent avec une étrange violence éradiquer le culte de Mithra et donc le fait que ses mentions et descriptions apparaissent dans hagiographie chrétienne

Par ailleurs le rôle que Nock assigne aux marginaux dans la diffusion des cultes orientaux semble surestimé il apparaît que les soldats ont contribué la diffusion des cultes de Mithra et de Jupiter Dolichénien le Baal de Dolichè deux dieux aux vertus guerrières prononcées cette diffusion demeura liée aux milieux militaires et ne en sortit guère 12 ceci presque empereur Commode loin être un homme de carrière militaire il était un riche aristocrate archonte éponyme Athènes se déclarait dévot du culte Mithra En tout état de cause il est clair que si expansion de nombreux cultes est grandement due des gens du voyage marchands affranchis soldats etc. il avait pas nécessairement de lien entre le statut de ces acteurs sociaux et le statut des cultes eux-mêmes est-à-dire statut de marginalité de discrétion de secret comme le pense Nock Nombre de ces cultes ont été bien plus banals quotidiens ouverts ruraux que Nock et autres ont pu le penser

Plus fondamentalement peut-être il été reproché aux études pionnières dans le domaine de la religion dans Empire romain et nous compterons Conversion au nombre de celles-ci de ne pas toujours faire clairement la distinction entre culte oriental et culte mystères de ne pas toujours distinguer précisément les dieux du salut les dieux indigènes chez eux et en dehors de chez eux) les dieux polyonymes etc Les cultes mystères pouvaient être orientaux mais il avait des cultes mystères qui étaient pas orientaux et des cultes orientaux qui étaient pas mystères Pour ce qui concerne notre objet il suffira de dire ceci si les mystères ont connu une vogue considérable au moment où les cultes orientaux déferlaient dans Empire ils étaient pas alors une nouveauté et étaient en rien intrinsèques ces cultes orientaux Les mystères étaient largement grecs comme les célèbres mystères Eleusis 13)

De plus 14) il est pas toujours aisé de distinguer les dieux orientaux des dieux grecs ou romains car si on considère la période impériale au centre de aire chronologique circonscrite par Nock certains dieux qui avaient certes une origine

10 Voir Robert TURCAN Mithra et le milhriaci.sme Paris 1981 Les Cultes orientaux dans le monde romain Paris 1989

Fran oise NAND Le Culte Isis dans le bassin oriental de la Méditerranée vol. Leyde 1973

12 Voir Maurice SARI RE Orient romain Provinces et sociétés provinciales en Méditerranée orientale Auguste aux Sévères 31 avant J.-C 235 après J.-C.) Paris 1991 pp 484-486

13 Pierre FouCART Les Mystères Eleusis Paris 1914 14 Voir Maurice SARTRE op cit. 465

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orientale étaient parfaitement grecs ou romains Cybèle Isis Adonis Nous ne devons parler de cultes orientaux propos de ceux qui étaient considérés comme orientaux par les acteurs eux-mêmes au moment concerné par notre propos En occurrence on 218 le jeune fils de bédouins Elagabal fut proclamé empereur il fit transporter Rome un bétyle noir figurant le soleil et il voulut imposer son culte 15) il agissait bien un culte oriental Mais propos Isis on conviendra de ne parler que de culte origine orientale Il reste et ceci conforte la position de Nock que époque impériale fut effectivement le temps une véritable invasion de cultes orientaux chez les populations romaines ou provinciales de cultes reconnus comme tels et dont le succès fut directement lié leur nature orientale et non pas leur intégration dans un panthéon local

Une précision historique impose donc les mystères existaient bien avant le déferlement des cultes orientaux sous le Haut-Empire les cultes orientaux récemment diffusés dans aire de domination impériale étaient pas tous mystères En revan che et ceci continuera de redresser le tableau proposé par Nock il eut une réelle contamination entre la propagation des cultes orientaux et un regain intérêt pour les pratiques mystères au point que certaines de ces pratiques furent alors surajoutées

des cultes orientaux 16 Il est ailleurs nécessaire ajouter que la pratique des mystères était souvent un élément du culte rendu un dieu et non exclusif du culte ce dieu 17 tel dieu guérisseur faisait objet une série de pratiques cultuelles de masse de pratiques ouvertes mais ce même dieu quelquefois sur le même site sacré pouvait être le destinataire de pratiques fermées par lesquelles un groupe de seuls initiés pouvait avoir accès au message délivré par le dieu nous reparlerons du contenu un tel message divin En faisant peu cas une cohabitation qui avérait nécessaire échanges qui se vivaient constamment entre la masse et les initiés entre le publique et le secret Nock prenait le risque de faire la peinture un monde clos intense la piété rigoureuse exempte de cette religiosité commune lâche laquelle attachaient comme distraitement les autres hommes

Le dernier point analyse du tableau de Nock engagera non pas le redresser mais signaler sajustesse Une critique indirecte ou allusive est-à-dire ne citant nommément personne est adressée par des historiens contemporains globalement

leurs aînés Nous compterons Nock au nombre de ces aînés malmenés Ceux-ci auraient considérablement simplifié le rapport possible entre les cultes mystères et le christianisme naissant par excès de confusion entre des états religieux en fait très différents Historiens peu vigilants ils auraient cru que ce offraient les cultes mystères un salut signifié par un message divin était très comparable ou proche voire identique ce offrait le christianisme Or disent ces mêmes historiens contemporains et vigilants le salut espéré dans les cultes mystères avait rien voir avec le salut dans la résurrection offrait la conversion au christianisme 18 Il

deux réponses donner abord et un point de vue général il est vrai que expansion du christianisme en quelque sorte christianisé rebours représenté aux

15 Robert TURCAN Héliogabale et le sacre du soleil Paris 1985 16 Wilhem BURKERT Ancient Mystery Cults Cambridge Mass.) 1987 17 Maurice SARTRE op cit. 465 18 Maurice SARTRE op cit. 469

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couleurs chrétiennes les enseignements des cultes mystères Mais il est tout aussi vrai il pour historien danger singulariser extrême enseignement chrétien particulièrement en ce qui concerne idée de salut Il reste très difficile admettre que idée de salut chez les chrétiens avait rien voir avec ce que on pou vait entendre par salut dans autres religions ou autres cultes une telle assertion ferait du christianisme naissant une sorte de météore de bloc étrange et des adorateurs du Dieu chrétien des hommes qui comprendraient inouï ce propos la démarche de Nock est bien de montrer que la christianisation fut affaire de compréhension et de compréhension de quelque chose la fois nouveau et ancien et non pas de quelque chose inouï inouï est incompréhensible pour les agents sociaux et a-historique pour historien La deuxième réponse concerne plus directement le travail de Nock nous allons voir que ce il avance est une autre complexité savoir que le christianisme est pas par une quelconque identification la simple reproduction des cultes mystères voire des cultes mystères plus la philosophie tardive Nock en effet montré il pas équivalence entre ce qui est dit dans les cultes mystères et dans la philosophie tardive et le christianisme mais il en entre les formes de ce qui est dit dans exercice de ces différentes actions connaissantes ou religieuses

INNOVATIONS

est maintenant il convient de présenter les innovations que les cultes mystères comprenaient chap Nock en compte deux pour essentielles une éthique de la responsabilité un savoir révélé La première nous semble tout fait contestable la seconde est en revanche de grande importance

Parmi les adeptes des cultes mystères et notamment celui Isis les pénitents et les repentants étaient de plus en plus nombreux Il avait des prêtres mendiants des hommes qui pratiquaient des mutilations volontaires des virtuoses contemplatifs ou orgiastiques etc Ils étaient repentants de leurs mauvaises actions et ils savaient ils avaient mal agi parce que leur corps en gardait la trace telle maladie ou infirmité constatée était précisément indice du mal agir Et cela poursuit Nock fut un changement homme religieux se sentait responsable lui et non tel sort lui extérieur de ce qui lui advenait Commentons son corps est marqué par ce il fait et non plus nécessairement par ce un agir impersonnel au sens plat qui est pas de sa personne imprime sur lui Aussi la repentance impose qui est reconnaissance et effacement de la souillure Et cette repentance est rendue visible et rude comme été manifeste la souillure et ressenti le mal physique Ainsi naît le sens de la faute individuelle Nous devinons le terme de argument apparaissent ainsi les prémisses de idée certes chrétienne de rédemption Mais histoire nous appris que les religions anciennes traditionnelles donc connaissaient effort de repentance pour une faute qui marquait le corps Un seul exemple parmi bien autres pris la religion égyptienne ancienne parce elle apparaît comme la religion où par excellence le discours religieux est un discours mimétique puisque homme fait absolument ce que le texte religieux dit nous reviendrons) permet de penser que Nock habillait

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de neuf une réalité vieille et tenace Dans tel village ouvriers et artisans qui au Nouvel Empire creusaient et décoraient les tombes de leurs pharaons donc hommes qui ignoraient rien des cultes officiels mais qui aussi vivaient comme tous les autres hommes de condition vulgaire) les archéologues ont mis au jour des stèles où inscription est une demande de guérison au dieu local mais aussi expression du remords de homme malade pour avoir fauté 19 Le lien entre faute et maladie est ici évident et la guérison est en quelque sorte double elle est la fois du ressort du pouvoir du dieu et de la volonté de homme qui dit son mal agir Que ces stèles soient stéréotypées et obéissent un même schéma textuel ne change rien essentiel qui est pas une question de sincérité ou émotion personnelles mais de compréhension générale reconnue par tous de ce que homme fait et de ce qui lui arrive qui est une éthique de la responsabilité quels en soient la forme et le champ appli cation existait dans les religions anciennes

Ici Nock tend limiter la fonction de la tradition dans les formations religieuses traditionnelles horizon de la reproduction de ordre commun par la performance

rituelle Est ignorée par lui la capacité de la personne agir sur sa propre fortune et la penser en termes de bien et de mal agir est ignoré le jugement de soi en autres termes est niée homme de la tradition la pensée il puisse avec le secours de ses dieux changer ordre des choses Stratégiquement Nock en tient ici ce il posé au début de ouvrage mais que son argumentaire on vu en partie démonté) pour mieux exhiber la rédemption qui est ultime du remords ressenti par le malade entaché homme entaché par sa faute la fois comme la pensée du changement possible des choses et comme impensé de la tradition La rédemption comme innovation absolue

Mais plus centralement les cultes mystères introduisent partout où ils se diffusent une nouvelle représentation de la pratique rituelle 78 Il dans le cadre une performance rituelle une proclamation prorrhesis qui est faite dont le sens est pas ou est pas toujours clair car ne est pas élaborée une théologie explicite qui puisse la supporter Mais cette proclamation proprement dite est éma nation un discours figé et essence Supranaturelle Ainsi une parole est prononcée formalisée ritualisée révélée certains ceux qui sont autorisés initiés) une parole qui met en contact avec le supranaturel dont elle est issue et qui concerne être des adeptes leur fortune leurs bonheurs et leurs malheurs Le discours dont cette parole procède peut être un texte comme pour orphisme où il une criture sacrée ou comme pour le culte isiaque en Egypte où le corpus hiéroglyphique sert de fonds sacré Plus important le culte mystères fonctionne de telle sorte que la proclamation est toujours faite par intermédiaire de virtuoses du sacré de prêtres opérateurs de rites plus orgiastiques que contemplatifs de faiseurs de miracles recevant les offrandes votives etc expansion des cultes mystères révèle une nouvelle technicité de virtuoses du sacré chap 6) technicité que on retrouvera telle dans le christianisme primitif particulièrement dans la production des miracles Dans les cultes mystères enfin un sens aux choses est révélé un sens origine Supranaturelle un sens qui ne touche pas seulement aux faits de oekoumène ou du cosmos mais être même personnel des hommes qui il est révélé car la révélation précisément pour vertu de modifier être de ces hommes

19 Morris BlERBREiR The Tomb-Builders of the Pharaohs Le Caire 1982 pp 97-99

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importante question que se pose Nock est la raison de cette expansion si grande des cultes mystères Nock voit origine de ce processus dans la conquête Alexandre et la naissance autour de la Méditerranée un monde hellénisé chap Un monde très vaste et qui fut en même temps connu reconnu comme tel il avait des frontières relativement précises et stables et que les axes de circulation se multiplièrent pour arpenter Désormais aux yeux de individu oe- koumène agrandissait démesurément et les questionnements le concernant chan geaient Les dieux anciens étaient les dieux un horizon limité et puisque horizon éloignait et que les interrogations étaient nouvelles des alternatives aux réponses anciennes aux questions anciennes apparaissaient et installaient dans les esprits Telle astrologie qui changeait du tout au tout la relation entre homme et univers

Auparavant avant époque hellénistique imposait le principe selon lequel il avait homothétie entre le corps de individu et le cosmos Aussi les interventions sur un se répercutaient sur autre Désormais avec astrologie notamment 20 émerge peu peu idée de fondement totalement différent que homme et son corps sont soumis une loi la fois universelle et naturelle Par astrologie si nous continuons

la prendre pour exemple cette loi est observable dans le ciel autrement dit les mouvements et les positions relatives des astres et des étoiles ne sont pas le modèle des mouvements du corps et de esprit de homme ils expliquent ce qui se passe dans le corps et esprit de homme dans la mesure où ils sont soumis une même loi Encore une fois ce qui relie les étoiles et les hommes est pas une quelconque action des unes sur les autres mais le fait que ces éléments différents un même monde sont régis par une même loi Cela dit les dieux anciens ne disparaissent pas pour autant ou plutôt ils ne changent pas pour autant attribution et de mode intervention Les interrogations nouvelles véhiculées par astrologie oniromancie et les sciences similaires restent attachées au temple ancien autrement dit au même lieu sacré et au même dieu de ce même lieu sacré Aussi la demande concernant le cours des choses ne change pas de nature si elle change horizon elle reste fondamentalement religieuse

Si nous regroupons pour les faire jouer ensemble les pièces avancées par Nock nous disposons de alignement suivant constat de modification de horizon de la loi homothétie la loi naturelle stabilité des dieux anciens révélation Un changement constaté de ordre du monde appréhende par un changement de loi gérant le monde et gérant conséquemment le corps et esprit de homme Or cela se traduit de fa on non pas directe mais indirecte dans le champ du religieux car ce qui se passe dans le même temps est un changement dans la pratique religieuse alors que les dieux anciens ne sont pas nécessairement ou immédiatement menacés Cette pratique nouvelle est fondée sur la révélation Or est-ce que la révélation si ce est la manifestation forte en quelque sorte évidente homme une raison cachée Ce qui fait que se séparent la rationalité du monde qui est lu sous forme de loi naturelle et qui perdu par rapport un stade antérieur son caractère sacré et la raison cachée

20 est comme science que nous parlons de astrologie de oniromancie ou de la médecine dans la mesure où quand bien même le rapport au religieux est étroit de telles pratiques ont désormais un savoir spécifique et partiel pour programme

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et Supranaturelle du monde 21 Pour ce qui concerne le processus de Christiani sation le constat valeur didactique les conditions de la christianisation sont la dichotomi- sation entre la rationalité du monde et la raison sacrée La conciliation entre la rationalité du monde et la raison sacrée du monde peut établir par le fait que la révélation signale il une raison sacrée mais ne la divulgue pas ne la révèle pas)

HOMOLOGIES

Tentons une hypothèse argumentaire de Nock éclaire encore mieux si on le traite en termes affinité élective 22 Et avan ons ceci ce moment de distorsion et de recomposition des savoirs il une affinité élective entre les différents modes appréhension du monde par homme Plus précisément il une affinité élective entre les savoirs reposant sur exposition de lois naturelles les religions ou cultes mystères est-à-dire les pratiques religieuses axées sur attente une révélation et enfin la philosophie tardive Et nous pouvons non pas la suite de Nock mais en le prolongeant décrire les trois moments logiques de accomplissement de cette affinité élective homologie structurelle qui est affinité constatée élection qui est attirance réciproque entre les éléments en affinité articulation qui est la produc tion un nouvel objet partir des éléments de affinité

homologie de structure Quand la loi naturelle impose dont occurrence est constatée par exemple par le savoir astrologique mais aussi par le savoir médical ou oniromancien il contrairement au règne de homothétie entre corps et cosmos ou corps et monde délivrance un discours qui est extérieur aux objets sur lesquels il porte En effet ce est plus un objet qui dit un autre qui est le discours un autre le corps dit le cosmos) est désormais un objet appartenant une certaine classe objets qui obéit aux mêmes règles un objet appartenant une autre classe les hommes obéissent aux mêmes règles de mouvements que les astres et donc par observation des astres on peut saisir voire prédire en appliquant ces dites règles les gestes des hommes

21 Nous entendrons par rationalité de objet monde le caractère rationnel de cet objet non pas il soit doué de raison mais parce il est apprehensible par une raison Quant au mot raison donnnons-lui la définition ancienne estimation accomplie de objet de compte mené son terme sur objet est-à-dire une opération la fois de catégorisation de objet et de jugement sur lui En toute hypothèse la rationalité un objet peut échapper une certaine raison en ce sens que celle-ci pas la capacité de mesurer objet auquel cas est une autre raison qui est réputée être chargée de opération En occurrence astrologie dans son extraordinaire développement dans les milieux hellénisés fut considérée comme la topologie possible un monde horizon considérablement élargi ce dont la raison sacrée des dieux locaux était incapable

22 affinité élective est un concept très opératoire nous dirons volontiers il est une véritable boîte outils plutôt un simple outil pour analyse Voir notamment Daniele GER Apocalypse écologique et retour de la religion Archives de Sciences Sociales des Religions 53/1 1982 pp 49-67 Michael OWY Rédemption et utopie Le judaïsme libertaire en Europe centrale Une étude affinité élective Paris 1988 pp 13-21

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La technique religieuse qui vise une révélation est homologue dans son fonctionnement Car comme performance est-ce un rite mystères est la participation la récitation rituelle soumise certaines techniques dans certains endroits et suivant certaines conditions un texte lequel est tiré un corpus établi mais connu des seuls initiés 23 Cette récitation ou exhibition une partie un corpus sacré figé permet une connaissance spécifique de la nature des choses laquelle donne homme récitant et initié un statut privilégié dans ici-bas et dans au-delà 119 Ainsi le rite mystères vise la délivrance-à la performance dira-t-on plutôt un discours de connaissance de ordre supranaturel des choses or ce discours est extérieur aux choses sur lesquelles il porte Expliquons-nous en prenant un exemple célèbre de Egypte ancienne parce que là était peut-être le discours religieux le plus sophistiqué de aire péri-méditerranéenne et en constatant ce qui ensuite changé avec les cultes mystères puis terme le christianisme Des fragments de Livres des morts sont déposés dans les sépultures des défunts fortunés sous forme de textes hiéroglyphiques sur papyrus ou sur cuir 24 Le discours délivré par ces fragments en soi ailleurs un Livre des morts est un corpus est en rien expression une histoire de salut comme serait une copie de la Bible une méthode initiatique ou une théologie de la destinée après la mort il est un discours strictement incantatoire fonction mimétique il est au sens propre magique Le discours dit ce que le défunt fait dans le monde des morts pour assurer un séjour heureux mais il le dit pour que le mort le fasse Bien plus il le dit le défunt le fait Le discours est performatif dans le Livre des morts dire est faire Et tout le discours hiéroglyphique qui dès Ancien Empire couvre les salles des pyramides et ensuite investit les temples Egypte valeur mimétique Auquel cas le discours est en rien extérieur son objet il est la destinée de son objet il meut son objet il établit pas une loi qui expliquera comment son objet se meut il est en lui-même sa mobilité

Le texte hiéroglyphique était écriture de la caste des prêtres et apanage du statut pharaonique qui était lui-même le lieu partir duquel se situait toute position de homme en société Mais ce système magique dont il était dit que prêtres et pharaons étaient les servants avait pas une visée de propagande il entrait évidemment dans la religiosité commune les nombreuses stèles votives que on trouvées autour du temple Abydos datées du Moyen Empire stèles parfois assez frustes et offertes par des gens humbles indiquent le trajet suivi parles hommes après leur mort Il agit là une opération assurance absolue que ce trajet sera accompli sans il ait interrogation sur le trajet lui-même

un côté donc dans les traditions religieuses anciennes on avait un savoir sur ce que on faisait de autre avec le culte mystères on un savoir sur la nature des choses propos Egypte ailleurs il est intéressant de constater que les cultes mystères autour de ladeesse Isis ont complètement détourné les sens des hiéroglyphes ils en ont fait des discours cryptés en quelque sorte des discours déchiffrables

23 On évoque souvent ce corpus en termes de littérature hermétique recueils hymnes et fausse ment de recueils de textes magiques mais on verra tout de suite en quoi ils se distinguent des textes magiques plus anciens Quant au système un culte mystères mythe de salut doctrine explicative du mythe rite de reproduction du mythe) voir André BENOIT Mystères païens et christianisme in DUNAND et alii éd. Mystères et sincretismos Paris 1975 74-77

24 Voir la notice de Jean YOYOTTE Livre des morts in George POSENER Dictionnaire de la civilisation égyptienne Paris 2e éd. 1970 pp 153-154

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uniquement par un petit nombre initiés et établissant les lois qui donnaient sens au monde La différence est là auparavant ils avaient pas édicté les lois qui gouver naient le monde ils avaient dit le monde

Revenons notre préoccupation Il dans le monde hellénisé une nomologie de structure entre différents types de savoirs sur les choses ces différents types de savoirs étant suscités par de nouvelles interrogations Ces savoirs portent sur ce que sont les choses et surtout ils sont extrinsèques ces choses Ces savoirs sont de différents types parce ils portent soit sur la nature soit sur la supranature des choses dans la mesure où certains savoirs il mystères sont conditionnés par une certaine piété un certain mode de relation au sacré déposé en tel lieu véhiculé par tel dieu...) opération accession eux qui est religieuse est dans le même temps une opération accès univers supranaturel Ce qui ne veut pas dire que les autres types de savoirs avaient rien voir avec le religieux Cela signifie seulement que leur acquisition est pas en soi une opération religieuse la connaissance astrologique notamment est pas essence religieuse est en cela que son développement est Nock le souligne bien révolutionnaire En un mot nature et supranature ne sont pas deux mondes différents mais deux modes distincts appréhension des mêmes choses précisément homologie de structure est observable entre ces deux modes appré hension

Le dernier type de savoir qui entre comme un des éléments dans homologie de structure considérée est philosophique La pratique philosophique dont on parle ici est plus celle des sixième et cinquième siècles celle de essor de la demande spéculative ce est plus celle de la Théogonie Hésiode ni celle du dégagement progressif du discours philosophique hors du récit théogonique et socialement ce est plus celle des philosophes erratiques et tourmentés La philosophie dont on parle tardive celle qui est dérivée des écrits pictète ou de Plotin est figée fixée Figée sur une forme de vie et fixée sur une représentation de sa propre histoire Les différentes écoles philosophiques le néo-stoïcisme et surtout le néo-platonisme reposent sur la double conviction elles donnent sens aux phénomènes et elles offrent un mieux vivre ces deux types de programmes étant intimement liés Elles donnent sens aux phénomènes le fait est pour époque que nous considérons dans la Rome impériale où la secte chrétienne agite suffisamment établi pour que se soient constitués et reproduits de véritables ensembles doctrinaux est-à-dire ayant la forme la fois un dogme et une tradition fossilisée 25 En somme la philosophie tardive est plus guère aventureuse ouverte aux tentations mais la tradition comme transmission de ce qui été édicté ou enseigné rattache ce savoir acquis et totalisant ses enseignants que on prend comme des fondateurs des prophètes des saints de Antiquité comme le suggère Nock Et cela nous mène au deuxième caractère de la conviction philosophique tardive ces fondateurs en même temps ils tendent dans leur enseignement vers essence des choses se donnent en exemple dans leur manière de vivre par une ascèse Ainsi enseignement philosophique oral physique en quelque sorte ne porte pas seulement sur un com ment savoir mais aussi surun comment agir comme il insiste -préjudiciellement

sur le fait il antériorité du premier sur le second et relation de conséquence entre les deux En autres termes ce qui constitue la règle de base est on ne peut

25 Dogme ce il faut savoir tradition ce quoi on se relie pour savoir ce il faut savoir

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avoir envers les choses un comportement vrai que par une connaissance vraie Le comportement vrai est fait de discipline ascèse contemplative Dans la philosophie tardive un progrès moral est possible par une connaissance vraie

Pour résumer la philosophie tardive engage un savoir constitué et constitué par des initiateurs anciens ou plus récents pour le néo-platonisme Platon et Plotin) lesquels ont précisément constitué en tradition et ce savoir il est acquis mène

une certaine forme de salut de initié un accomplissement Or les séquences efficacité de la philosophie tardive ont un rapport évident avec les séquences de efficacité religieuse savoir vrai apparaissant comme tradition comportement vrai salut Dans la mesure où ce savoir est totalisant où il tend embrasser le tout des choses le fait de adonner pleinement avec un certain ritualisme et abandonner les autres formes de savoirs pouvait apparenter une entrée en religion..

Concluons sur homologie de structure et disons elle concerne des discours qui sont tous légiférants et non directement agissants perform âti ils ont force de loi que cette loi fût ou non sacrée mais ils ont pas force action sur un oekoumène dont horizon est démesurément élargi

FORMALISATIONS

élection Il ne suffit pas loin en faut que cette homologie de structure soit observée par le chercheur moderne il est nécessaire elle le soit par les acteurs eux-mêmes en occurrence par ceux qui se consacrent la recherche de ces savoirs Mais ce fait observation par les praticiens des savoirs en question est en réalité indissociable de la deuxième étape logique de ce nouage est affinité élective deuxième étape qui consiste en une attirance réciproque ... conduisant certaines formes interaction de stimulation réciproque et de convergence 26 Une telle attirance réciproque existé mais elle existé que parce que un des éléments entrant dans opération également joué le rôle de catalyseur élément la fois intérieur et extérieur et suffisamment extérieur pour provoquer le rapprochement entre les autres éléments Il agit de la philosophie ou plutôt de la pratique philosophique commune telle en tout cas elle était comprise dans le monde hellénisé Les longs commentaires de Nock chap sont cet égard tout fait éclairants

Il donc nous avons vu une homologie de structure entre la pratique philosophique et la pratique religieuse mais philosophie est pas religion pp OIsq 19) pour la raison essentielle que appareillage des séquences efficacité est pas

le même dans la pratique philosophique le savoir vrai est premier et ascèse ou le comportement vrai en découle dans la pratique religieuse la piété vraie est première et le savoir vrai en découle Il reste que est la pratique philosophique dans sa différence avec la religion qui pu servir de catalyseur une conjonction entre les

26 Michael OWY Rédemption et utopie 19

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différents modes appréhension des choses astrologie oniromancie médecine etc religion philosophie elle-même Pour développer hypothèse précisons abord ceci les écoles philosophiques tardives et surtout le néo-platonisme étaient pas des sectes quoique la description pu en faire Nock le suggère fortement Au reste Nock envisage pas de travailler la distinction entre la pratique philosophique dans les écoles de Antiquité tardive et la pratique religieuse commune Il fait de la première une sorte avatar de la seconde oubliant que est le travail de la différence qui permet de saisir un peu de ce qui se passe si on veut éviter imposer une vision globale mais réduite qui ne met en compte que la simple influence de la pratique philosophique sur les changements religieux Il pas calque pas substitution du savoir philosophique vrai la piété religieuse vraie par superposition il en fait redistribution des éléments en présence est-à-dire changement de position dans une structure et donc changement de fonction) ce qui signifie que le savoir philosophique vrai ne se substitue pas la piété religieuse vraie mais que la révélation qui constitue le savoir religieux devient forme du savoir vrai auquel cas des morceaux du matériau qui constitue ce savoir encore une fois savoir largement figé charge comme le poids une voûte charge un pilier le savoir religieux vrai qui alors le supporte comme le pilier supporte de fait la voûte 27)

Pour exemplifier ce qui vient être dit prenons le cas il est massif du néo-platonisme On dit et répété que le néo-platonisme considérait la philosophie comme une conscience de la religion 28 Une telle expression concerne bien évi demment objet du savoir néo-platonicien Le savoir vrai du néo-platonisme peut très brièvement et peut-être grossièrement être ainsi résumé existe comme origine une procession universelle qui touche le monde ce que on appelle Un ou le Bien et

en cette origine la pensée était en coïncidence avec ce centre universel est Un le Bien La procession universelle est un mouvement vers extérieur de Un vers le multiple mais aussi de retour vers Un Un principe médiateur Intellect est au contact de Un mais également est source du multiple est-à-dire il est le moteur de la procession universelle La pratique philosophique pour les néo-platoniciens consiste enfin retrouver le chemin de cette coïncidence mystique avec le centre universel Nous constatons avec le discours philosophique néo-platonicien ce que nous constations avec les sciences et les cultes mystères il est extérieur son objet il est analytique en ce sens il tente il se donne comme programme infini analyse de la structure de univers supranaturel

De fait il est permis de penser la quête néo-platonicienne comme une description de la quête religieuse le constat une séparation avec un centre universel où est le principe de Un exercice de retour vers ce centre sans que jamais la distinction ontologique entre le sujet pensant et le centre universel soit abolie Ce qui implique abord que dans enseignement néo-platonicien le savoir philosophique pour objet ou peut avoir pour objet la pratique religieuse ce qui veut dire ensuite que si ou lorsque la religion se connaît si elle se connaît comme telle et comme objet elle peut alors se connaître par la ou comme pratique philosophique

27 Ce est pas la même chose de dire que les concepts philosophiques des écoles de Antiquité tardive sont entrés dans le christianisme dans la mesure où ils ont largement contribué forger une pensée chrétienne et de dire que le savoir philosophique con comme mode accès une certaine forme de salut est devenu partie intégrante un savoir religieux dont le terme fut chrétien Les deux faits sont ordres différents même ils contribuent produire un même événement

28 Jean TROUILLARD La Purification plotinienne Paris 1955

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Là est bien le sens de la tentation néo-platonicienne Augustin Milan 29 On dit Augustin était réellement néo-platonicien mais on aussi dit il ne était

pas dans la mesure où il avait pas retenu essentiel du néo-platonisme en est-il si nous le considérons du point de vue religieux Il fut manichéen puis fortement attiré et pénétré par le néo-platonisme avant de devenir chrétien Ce il cherchait dans le néo-platonisme est double un côté tendre vers désirer se rapprocher de ce qui est au-delà du monde empirique un autre côté appréhender ce est cette tentation ce désir métaphysique de suprasensible Or la doctrine néo-platonicienne lui répondait ceci elle est essentiellement compréhension de la faculté déjuger de la faculté de distinguer immuable du mobile de la faculté de préférer immuable et de connaître immuable et elle est corollairement définition dans la découverte de la transcendance dans immuable Ainsi la philosophie apparaissait Augustin comme la raison du sens des choses se retrouve dans expérience Augustin la conjonction provoquée de deux modes accès la connaissance religion et philosophie

Avant de tenter de saisir quel fut le mode de leur conjonction en autres termes ce que cela signifiait que la philosophie fût la conscience de la religion considérons autres conjonctions une ailleurs est longuement décrite par Nock chap 9) propos de la conversion de Lucius un des caractères des Métamorphoses Apulée On connaît aventure de Lucius dont la métamorphose physique est comme la métaphore de la métamorphose spirituelle Après maintes aventures et mésaventures après une pérégrination humiliante Lucius adhère au culte isiaque culte mystères donc auquel il se fait initier Mais en même temps toute sa démarche est supportée par une oniromancie totalement acceptée puisque est par un rêve que son désir exprime et que ouvre sa voie spirituelle oniromancie avec astrologie et la médecine nous considérions comme un savoir scientifique légiférant est universelle ment répandue dans le monde hellénisé et elle change la nature du rêve interpré tation des rêves est certes pas nouvelle tant en faut mais depuis âge hellénistique elle fonctionne de fa on très spécifique Considérons une pratique incubation époque ptolémaïque par exemple dans la nécropole sacrée des animaux de Saqqara 30 ou époque ptolémaïque puis romaine au temple de Hatshepsout Louqsor 31 Schématiquement il se passe toujours la même chose un individu est malade il va dans un lieu sacré les prêtres installent dans une pièce pour il passe la nuit des fumigations le font rêver intensément ensuite il raconte son rêve que les prêtres interprètent comme étant la prescription délivrée par le dieu du lieu du remède

son mal la prescription étant comprise le malade peut alors être soigné oniro mancie est donc comme astrologie une technique qui permet de savoir ce qui se passe dans le corps et esprit de homme on croit que le monde du rêve est soumis aux mêmes lois et règles que le monde de éveil le monde ici) et accession ce dit monde du rêve autrement dit la connaissance de ce qui le gouverne permet en conséquence de saisir par le respect des mêmes lois ce dont le monde ici est fait En occurrence la maladie il un remède possible selon une loi clairement physiologique la recherche oniromancienne consiste retrouver le remède dans cet

29 Peter BROWN Lei Vie de saint Augustin Paris 197 pp 99-131 30 Harry SMITH Visit To Ancient Life at Memphis Sauqara c.500-30 Warminster

1974pp.61-62 André BATAILLE Les Inscriptions grecques au temple de Hatshepsout ir El-Bahari Le Caire

195 passim

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autre monde pas nécessairement équivalent pas nécessairement double de celui-ci mais encore une fois soumis aux mêmes règles que celui-ci

Or pour Lucius la pratique oniromancienne est le réel point ancrage de la demande religieuse est dans un rêve interprété que Lucius découvre sa vocation religieuse il comprend que cette vocation est tout fait personnelle et elle est supportée par un besoin de guidance oniromancie bien au plan théorique la même fonction que astrologie savoir que le rêve permet accéder ce qui ailleurs fait que homme est comme ici accablé par une forte inquiétude religieuse et soumis au désir fort de direction vers où aller Quelque chose fait que homme un désir religieux ce que le rêve permet de simplement signaler car le rêve ne fait que dire le besoin de supranaturel il est pas la voie accès au supranaturel ou expression du supranaturel est en cela que oniromancie hellénisée se démarque des techniques de provocation et interprétation des rêves con ues comme marques de communica tion avec un monde qui organise ici-bas Nock exprime tout fait bien cette idée en disant que ce qui est nouveau dans le rêve de Lucius est que celui-ci signale un fait ordre personnel une vocation intime pp 154-155 Lucius rêvant est pas entré en communication avec un principe supérieur il saisi que le principe supérieur faisait de lui un homme religieux

Dernier exemple celui de Marc Aurèle Nock en parle très peu indiquant seulement au passage 128 que homme stoïcien et écrivant sur le stoïcisme adonne également oniromancie Des rêves en effet lui permettent de guérir ses vertiges ses troubles de santé Par ailleurs il semble il ait suivi les rites de cultes étrangers Rome empereur philosophe ne répugnait pas user des techniques communes de guérison sans pour cela renoncer son stoïcisme il était tenté par les cultes mystères sans non plus renoncer son stoïcisme

En définitive nous avons avec ces quelques exemples empruntés ouvrage de Nock la possibilité de saisir les modes élection entre des pratiques non incompa tibles entre elles de savoir des pratiques soit religieuses soit philosophiques soit scientifiques Entre le philosophique et le religieux le rapport est clairement récipro que et il est de formalisation Augustin trouve dans la révélation chrétienne la forme du savoir vrai que le néo-platonisme lui donné mais Marc Aurèle trouve dans le néo-stoïcisme la forme de la révélation que les oracles des cultes mystères lui ont apportée puisque le savoir philosophique lui est précisément le moyen de mettre expérience de la révélation distance de appréhender comme objet En revanche entre le religieux et le scientifique le rapport est univoque il pas de réciprocité il est ïinstrumentalisa on

Pour nous en convaincre voyons la place de astrologie on pourrait tout aussi bien prendre oniromancie dans les temples Un cas tout fait frappant il existe un zodiaque astrologique dans le temple de Hathor Dendera en Haute-Egypte Ce temple fut fondé extrême de extrême fin de époque ptolémaïque en 54 avant J.-C sous le règne de Cléopâtre VII Philopator la dernière reine grecque Egypte au début de la domination romaine sous Auguste et Tibère des constructions ajou tèrent la salle hypostyle fut agrandie etc Le zodiaque est situé dans une des chapelles osiriennes salles très sacrées sur le toit de édifice et il date tout au moins dans sa conception de 50 avant J.-C 32 Deux observations doivent être ajoutées

32 Eric AUBOURG La date de conception du zodiaque du temple Hathor Dendera Bulletin de Institut fran ais Archéologie orientale 95 1995 pp 1-10

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abord ce zodiaque propose un découpage du temps qui rien voir avec les décans du comput ancien de astronomie égyptienne il avait trente six décans de dix jours chacun pour une année De plus les jours et les mouvements des hommes étaient pas chez les gyptiens anciens fastes ou néfastes selon la course des astres mais selon des anniversaires ou des festivals de dieux eux-mêmes fastes ou néfastes dans un régime signalons-le au passage homothétie entre le modèle divin et le

reproduit humain Ensuite deuxième observation il dans ce même temple dans le pronaos plus exactement 33) une voûte céleste représentant des dieux en place dans le ciel De plus cette voûte céleste située sous invocation de la déesse Nout comprend disséminés les signes du zodiaque Enfin il est utile de noter que cette voûte céleste date de la construction du temple il donc une contemporanéité de conception entre le temple comme bâtiment la voûte céleste et le zodiaque En fait élément astrologique en tant il est scientifique est instrumentalisé dans la liturgie de ce temple égyptien tardif Pourquoi environnement est le temple le lieu est sacré est-à-dire que les dieux sont les maîtres du lieu auquel cas la logique veut que le zodiaque soit comme un double de la voûte céleste laquelle est divine en même temps est-à-dire aussi que ce sont bien les dieux qui gouvernent univers céleste est-à-dire encore que astrologie est un savoir qui relève du domaine des dieux Ainsi le savoir astrologique dans les temples tardifs est instrument un savoir religieux il instrumentalisation du savoir astrologique par le savoir religieux

Nous dirions la même chose de instrumentalisation du savoir oniromancien par le savoir philosophique. Au total la pratique scientifique en question sert aux pratiques religieuse et philosophique elle leur est un outil pour action dans lamesure où elle transforme leur expérience dans un sens donné ou voulu en tout cas contrôlé sans que horizon de leur champ application soit en principe déplacé Exemplaire ment la connaissance astrologique Dendera réinstaure en faisant de la périodisa- tion astrologique un double certes imposé artificiel du système religieux des décans

la puissance divine sur les cieux et donc sur les hommes et leur devenir sans que pour cela la compétence de ces dieux soit modifiée du moins immédiatement

Concluons car il est inutile de multiplier les exemples Entre les différentes formes de pratiques de savoir il des jeux interaction dans des rapports soit de formalisation réciproque soit instrumentalisation tels que ces savoirs tendent modifier les frontières dressées entre eux-mêmes et les autres mais tendent aussi se modifier eux-mêmes intérieur de leur propre territoire de leur propre aire de compétence sans que pour cela ailleurs leur autonomie soit menacée bien au contraire Au contact des cultes mystères pour parler eux les milieux néo-plato niciens se sont largement transformés en groupes initiatiques tout en continuant se distinguer des groupements religieux Les formes interaction sont en fait des relations de dépendance la pratique philosophique se fait discours de la pratique religieuse ce faisant la pratique religieuse se pense peut se penser comme objet ou plutôt est pensable la fois comme vécue et comme objet La pratique scientifique est assujettie la pratique religieuse comme moment de reconnaissance de celle-ci par exemple le rêve permet de reconnaître la vocation le zodiaque permet de reconnaître le lieu du séjour et de la puissance des dieux etc.)

33 Fran ois DAUMAS Deriderà et le temple Hathor Le Caire 1969 pp 33-34

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QUIVALENCES

articulation Globalement et pour résumer ce qui précède élection donc eu lieu entre les savoirs objectivants construisant des objets) quel que soit leur statut Nous poserons que cette élection produit une véritable articulation troisième moment logique de affinité élective dont le terme la production un nouvel objet fut le christianisme installé Qui est venu après le christianisme primitif le christia nisme dont Nock mais aussi Henri-Irénée Marrou 34) situent installation dans la deuxième moitié du IVe siècle la conversion Augustin moment symbolique eut lieu dans les années 380 et Augustin fut ordonné prêtre en 391

La production de objet nouveau qui est une religion non pas sa naissance quand il agit seulement un mouvement religieux mais au moment de la mise en place de ses institutions est comme le lieu de confluence de plusieurs courants un de ces courants importance certainement capitale est décrit par Nock propos de initiation de Lucius le héros inquiet du livre XI des Métamorphoses Nous pourrions le définir comme équivalence des expériences religieuses

quivalence dont le premier aspect concerne les désignations des dieux Il est signalé 150 que Lucius avait adoré la déesse Reine du Paradis quels que fussent son nom et le lieu de son culte Cérès Eleusis Vénus Paphos Diane phèse etc quels que fussent son nom et ceux qui adoraient la Mère des dieux pour les Phrygiens Minerve pour les Athéniens Proserpine pour les Siciliens etc alors que son vrai nom était la Reine Isis Et insiste Nock il ne agit pas là une réalité uniquement littéraire un papyrus litanique Oxyrhynchos ville de Moyenne- Egypte) daté du IP siècle est-à-dire contemporain de uvre littéraire en question les Métamorphoses qui sont publiées en 170 enumere les équivalences Isis dans les cités de Empire 35 Malheureusement Nock ne tire pas les conséquences vrai dire considérables de ce il établit il explique pas ce que son constat implique

Cette propriété été définie comme une polyonymie une déesse Isis pour la nommer la déesse majeure du monde méditerranéen de multiples noms mais ces multiples noms sont empruntés puisque ses autres noms sont les noms autres déesses elle accaparés Et si on peut supposer que la Vénus de Paphos est en fait Isis cela signifie que le nom donné la déesse Vénus est alors distingué de identité de la déesse elle-même Isis Or les noms différents sont bien sûr associés des représentations différentes Isis sous la forme de Vénus Paphos sous la forme de Diane phèse etc En conséquence idée impose que identité de la déesse ou un autre dieu aux mêmes propriétés) son essence même sont distinguer de ses représentations

34 Henri-Irénée MARROU Saint Augustin et la Fin de la culture antique Paris 1938 Ce qui situe la naissance des Christiana tempora quand le christianisme pèse sur les législations et impose des comporte ments

35 Voir en hommage muet Nock argumentation rigoureusement identique de Maurice SARTRE Orient romain 474

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Une telle constatation ajoute une autre qui peut être faite par épigraphiste spécialiste de époque impériale en Egypte Encore un exemple celui du culte pratiqué durant époque romaine au temple de Hatshepsout dans la Montagne thébaine face Louqsor Dans les ruines de ce temple du Nouvel Empire étaient accomplis des rites de guérison par incubation Asclèpios-Imhotep Asclèpios est le dieu grec Imhotep est architecte divinisé du pharaon Djeser) et Aménôthès fils de îè lequel est architecte du temple Aménophis III et divinisé lui aussi Il avait là deux types associations abord un doublet Asclèpios Imhotep du type que nous venons de décrire est-à-dire il plusieurs noms possibles au même dieu soit Imhotep nom égyptien soit Asclèpios nom grec Or nous sommes Louqsor en milieu totalement égyptien est donc Imhotep dieu égyptien pour des gyp tiens appelait aussi Asclèpios dieu grec pour des gyptiens Mais par ailleurs il

avait au même lieu un culte au dieu local Aménôthès et des rites son endroit tout fait semblables ceux qui étaient adressés Asclèpios-Imhotep pour un même but

de guérison éventuelle intérêt est que les ex-voto ensemble des inscriptions sur stèles et éclats de pierre et des graffiti sur les parois des salles préservées du temple montrent que le dieu Aménôthès est le plus souvent évoqué puis Asclèpios puis Imhotep Le dieu local imposait mais également le dieu hellène le jeune dieu hellène qui portait son ombre sur le vieil Imhotep

Mais ils montrent également et surtout que les dieux sont souvent évoqués en association et quel en soit le mode et que les formulaires sont toujours les mêmes quel que soit le nom invoqué Si on ajoute cela que selon toute probabilité les prêtres étaient les mêmes pour ces trois dieux nous pouvons conclure en premier lieu que échelle de la polyonymie était clairement réglée que sur équivalence entre le local et le distant sur les traits communs de mortels de savants médecin ou architecte) et en second lieu que les expériences rituelles ces différents dieux étaient strictement identiques En définitive le nom du dieu importait moins que ce qui se déroulait devant lui et que ce qui écrivait ensuite sur la pierre puisque les noms pouvaient être différents pour un même formulaire un nom pouvait être surchargé un autre nom il pouvait être remplacé par un autre nom etc Il avait là en un lieu donné un fait équivalence locale de pratiques religieuses En autres termes la pratique rituelle primait là sur attributaire divin du rite

quivalences des noms équivalences des pratiques Le premier de ces faits montre que identité des dieux concernés était distincte de leurs représentations le deuxième désigne une primauté de la pratique rituelle sur identification du dieu dévolutaire de cette pratique Le premier fait était commun en Egypte romaine et ailleurs dans Orient romain On interprété comme une tendance hénothéisme 36 Mais est-ce justifié la différence du monothéisme qui pose il un seul dieu et un seul culte ce seul dieu est possible le terme forgé par Max Müller dans son article fameux de 1860 Semitic Monotheism) désigne comme propos du judaïsme antique le culte un seul dieu sans que pour cela soit refusée dogmatique-

36 Fran oise DUNAND Le syncrétisme dans la religion de Egypte romaine in Fran oise DUNAND Pierre LEVEQUE eds. Le Syncrétisme dans les religions de Antiquité Colloque de Besan on 22-23

octobre 1973 EP RO 46 Leyde 1975 pp 152-185 voir son développement dans H.S VERSNEL Inconsis tencies in Greek arul Roman religion Ter Unus Isis Dionysos Hennés Three studies in Henotheism Leyde 1990 et une discussion sur hénothéisme introverti comparé au monothéisme prosélyte dans Garth FOWDEN Empire to Commonwealth Consequences of Monotheism Late Antiquity Princeton 1993

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ment existence autres dieux Nous ne nierons pas que hénothéisme fût un horizon possible dans Orient romain 37) en revanche nous ne croyons pas il rende compte dece fait massif est la polyonymie puisque hénothéisme est précisément ce phénomène inverse de superposition stricte de la réalité du nom unique du dieu choisi et de son essence Nous pensons plutôt que se donne voir dans nos exemples une véritable distanciation du dieu La distanciation traduisant allemand Verfrem- dungs Effekt propos de interprétation du théâtre épique brechtien est le fait de se mettre distance du rôle que on jouer de la pratique que on accomplir Au contraire de hénothéisme qui est attachement un dieu spécifique unique et au polythéisme qui est attachement des pratiques spécifiques concernant chacun des dieux adorés il nous apparaît que ce qui se passe dans les faits rapportés instant est précisément une indifférence la spécificité du dieu ou du rite accomplir face au dieu En somme celui qui en Egypte accomplissait un rite un dieu guérisseur se distanciait peu peu du rôle de celui qui accomplissait tel rite spécifique différent de celui il accomplirait pour un autre dieu tel dieu spécifique absolument distinct des autres dieux reconnus Ce comportement était nullement un rejet de la pratique rituelle traditionnelle ni une négation de existence une pluralité de dieux mais il était un élément de constitution une objectivation du divin ou du supranaturel Pour parler plus largement objectivation se faisait dans la stricte mesure où la distancia tion était une opération subjective réalisée par un sujet de représentation images de la puissance Supranaturelle où le sujet considérait que les images ainsi construites constituaient bien comme ensemble objet actuel il nommait dieu force efficace

Or il nous semble que ce qui se produisait dans Orient romain se produisait également dans Occident et particulièrement dans Rome même Il avait certes des différences mais la nature des faits était semblable Il est clair que la polyonymie était plus généralisée en Orient mais Occident romain été aussi touché par ce phéno mène ce que on appelle Isis déesse orientale est notre Minerve déesse locale... autre part les sites religieux de Occident romain étaient de plus en plus encombrés autour des sanctuaires renommés accumulaient rapidement de nouveaux dieux

129 notamment pour lesquels les pratiques rituelles devenaient de plus en plus uniformes calquées moins sur les pratiques des lieux origine de ces dieux nouveaux que sur celles du dieu principal du site de transfert

Il ne agit aucunement dans cette note critique de refaire histoire du passage au monothéisme ou de rendre compte de expansion du christianisme mais seulement de reformuler et de formaliser certaines des propositions fortes de Nock La polyony mie en est une Et ce que nous voulons simplement rappeler est que objectivation du dieu avec autres changements dans la pratique religieuse elle signifie est

un des facteurs de production du monothéisme chrétien

articulation entre des entités entrées en affinité troisième étape logique de affinité élective est une construction nouvelle produite par recomposition de matériaux appartenant ces différentes entités Au total le christianisme comme objet pensable fut bien une construction nouvelle Construction nouvelle mais non isolée En effet une des conséquences de objectivation du dieu fut que la position du

37 II ces fameuses invocations au seul dieu Serapis

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sujet pensant objet dieu était identique celle du sujet pensant objet principe qui gouverne Un ou le Beau ou du sujet pensant objet loi qui applique dans le rêve ou le mouvement des astres car de la même manière que le principe est autre que Un que la loi est autre que son champ application Dieu est autre que son Verbe De même et corollairement la position du pratiquant chrétien objet de sa pratique était désormais identique celle occupait le praticien de la science ou de la philosophie tardive ou le pratiquant un culte mystères pour chacune des situations nous avons vu la réception du savoir demandé se faisait sous forme de révélation Une telle disposition analogie formelle avec les autres pratiques de savoir étant une des prémisses de la possible pensée un Dieu unique et ineffable créateur du monde et infiniment séparé de sa création

Quant effet même de la christianisation on peut le situer en poursuivant selon la même logique exposée plus haut de la relation entre la rationalité du monde et la raison sacrée du monde la pratique imposée de la révélation qui est essence de la religiosité chrétienne est plus la signalisation une raison sacrée mais non divulguée elle est en soi divulgation de cette raison sacrée Or le message de la révélation est que la loi Supranaturelle constitue la loi naturelle que celle-ci est celle-là même Ce qui signifie que la raison sacrée se substitue la rationalité du monde et est refusée toute dichotomie appréhension de ce qui se produit Mais pour que la substitution ait pu se faire continuerons-nous est justement précisée idée un dieu unique et créateur infiniment distant de objet de sa création le dieu créateur étant faiseur de loi naturelle et circonscrivant la totalité du supranaturel le dieu séparé subsumant le champ du supranaturel

Il reste que le christianisme est posé en opposant que son identité fut distinctive et la distinction afficha dans le dogme chrétien de fait quand un construit religieux est pensable par ses propres pratiquants ce qui est pensé se métamorphose en construction dogmatique Et là encore Nock rappelle quelques faits qui montrent comment le construit bientôt se distingua résolument des entités qui étaient rapprochées par affinité est-à-dire les enseignements de la philosophie tardive et les cultes mystères La doctrine qui élaborait âge formatif du christianisme la fin du IVe siècle) reposait sur deux piliers la rédemption et la résurrection des corps Les deux thématiques fortes marquaient un écart avec en premier lieu la philosophie La doctrine de la résurrection des corps pp 248-250 impliquait une conception de âme qui différait radicalement de celle des philosophes néo-platoniciens pour lesquels âme purement divine est immortelle Le principe de rédemption dont la concrétisation ultime fut la croyance en la résurrection des corps est nécessairement lié une représentation de âme comme susceptible être entachée par la faute et donc impure et purifiable Chez les philosophes âme ne pouvait être rendue impure et son caractère immortalité la préservait de tout contact polluant avec le corps aussi le désir de rédemption était-il absent du comportement ostensiblement ascétique du philosophe accompli terme exclusion du savoir philosophique devint une urgence chrétienne est bien Augustin le converti homme des paradoxes surmontés qui apprit et enseigna que on ne pouvait être pleinement chrétien si on restait néo-platonicien 38 Envers les cultes mystères

38 Sur le refus de la philosophie voir Ramsay MACMULLEN Christianisme et paganisme du IV au VH siècle Paris 1998 pp 124-127

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il est permis de dire que attitude fut inverse mais de même effet Nock en parle guère car là est pas son objet avan ons cependant en quelques mots que idée de rédemption telle elle était mise en uvre dans les cultes mystères fut récusée en faux dans la mesure où le salut que la rédemption promettait était par trop mondain et ne reposait sur aucune Histoire reconnue sur aucune théologie 39 Mais ce dont parle Nock en revanche est du fait que imposait en milieu chrétien image un Jésus ressuscité plus suprahumain humain plus sauveur que modèle ce qui situe bien le prosélytisme chrétien sur le terrain du vrai salut une religion qui se fondait sur action et la prédication un homme autre que les hommes un être infiniment puissant Mais exclusion des cultes mystères parallèlement prenait une autre voie celle de la persécution par une glise triomphante 40)

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Nous avons donc introduit hypothèse que le développement un mouvement religieux et sa constitution en religion instituée avaient quelque chose voir avec la réalisation une affinité élective et son épuisement Les raisons essentielles cet exercice sont abord que nous voulions montrer que ouvrage de Nock est formali- sable il valeur théorique comme le sont les classiques de histoire ou de la sociologie religieuses 41 En ce sens et comme le sont les classiques nous pensons avoir montré il était manipulable on pouvait travailler tordre tirer gauche et

droite le texte le juger irritant et captivant et lui laisser essentiel de sa verdeur La deuxième raison parler affinité élective vient un constat naïf si la sociologie religieuse empare de cet instrument analyse pour parler de mouvements religieux ou aux marges du religieux 42) donc pour parler de mouvements discrets comme on dit en mathématiques composés éléments séparés où le religieux est partie pre nante pourquoi ne pas en faire usage pour parler de la naissance une religion qui nous semble être par excellence un mouvement discret

La troisième raison parler affinité élective vient du malentendu que nous évoquions entrée que ouvrage de Nock suscité La critique est celle-ci pour mémoire puisque Nock inscrivait dans la mouvance de la psychologie du compor tement religieux inaugurée par William James il parlait en définitive de tout sauf de histoire de la christianisation il parcourait chronologiquement le vaste panorama de expérience religieuse individuelle Alexandre le Grand Augustin Hippone car ce serait bien expérience religieuse intérieure que parlerait Nock en phénoménolo-

39 Pour anecdote il est frappant de constater que les critiques formulées par certains historiens qui pensent que idée de salut dans les cultes mystères différait grandement de celle entendait le christianisme voir supra) trouvent leur origine dans les critiques chrétiennes contre les cultes mystères

40 Contre le mithriacisme par exemple voir Pierre CHUVIN Chronique des derniers païens Paris 1990 pp 47-48 et 221-222 et Robert TURCAN Les Cultes orientaux pp 238-241 cité par CHUVIN)

41 Les classiques que on lus que on ne discute plus que on ne cite plus guère 42 Daniele GER op cit

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gué et individu puisque acteur en question est jamais un individu Cultura- lisme dépassé. 43)

Pourtant dans une préface une des rééditions de The Varieties of Religious Experience de William James 44) Nock écrivait en substance ceci quant expé rience religieuse de individu tout ce qui est inconscient été abord conscient et tout ce qui est conscient abord été social On ne saurait être plus incisif Par cette phrase Nock prêtait James une intention analyse qui était sienne exploration du champ de activité rituelle au sens large de rapprochement dans un acte réglé avec le supranaturel exploration de ce champ se faisant pour un moment de recomposi tion interaction avec un autre champ activité celui de la connaissance Il agit donc étudier la recomposition de ces deux champs dans le temps de naissance et institution une religion Et Nock remonte le temps très en amont la conquête Alexandre il situe là les premières ondulations qui ont affecté les deux champs et en aval il ne quitte son objet que lorsque la recomposition est accomplie est-à-dire lorsque ce que on pourrait qualifier de nouvelle stabilité des champs est observable Au milieu du spectre la naissance factuelle du christianisme autrement dit pour historien les premières manifestations des groupes agitateurs et de prosélytes dits chrétiens attachés au Christ ne intéresse guère dans la mesure où elle est un moment incertain dans un processus de longue durée nous dirions elle est que le moment incertain où une première articulation entre des morceaux activités ordres différents se produit mais où élection entre ces mêmes activités entrées ainsi en affinité ne fait que amorcer

Ce processus donc de recomposition de activité de connaissance et de activité rituelle et que Nock voulu décrire pas pas est un phénomène de brassage éléments anciens et apparition éléments nouveaux où bien sûr le sous-titre de ou vrage exposé central est celui des conditions et du mode de la recomposition de aire religieuse la fois rituelle et connaissante La question ne se pose pas de savoir si est individus particuliers ou acteurs sociaux il agit tous les exemples avancés par Nock sont emblématiques ce qui est décrit concernant tel individu renvoie simplement et tout uniment ce que cet individu partageait et si les exemples sont littéraires si les personnages mis en scène sont des lettrés voire des littérateurs ils ne sont jamais exhibés pour leur singularité mais bien plutôt pour leur représentativité et surtout pour le caractère démonstratif de ce qui peut être dit sur eux Un exemple parmi autres Marc Aurèle est cité pour ce il eut en commun avec Lucius la créature Apulée mais Nock ajustement pris Les métamorphoses pour une uvre parfaitement naturaliste aussi Lucius personnage littéraire donc est lui aussi mentionné pour ce il nous informe sur une quête religieuse commune Quant Augustin évêque prédicateur et littérateur la question est pas de nous demander si sa conscience suraiguë nous informe sur ce que le plus humble et le plus illettré des convertis de la fin du IVe siècle comprenait Nock termine son ouvrage sur lui pour signifier Augustin dans une uvre précisément les Confessions qui est

43 Voir le jugement récent de Carole CUSACK in Lynette OLSON éd Religious Change Conversion and Culture Sydney 1996 13

44 Préface reproduite dans édition en paperbacks de ouvrage Fount Paperbacks Londres 1982

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au sens propre une le on 45 rendu intelligible les recompositions de activité de savoir et de activité rituelle recompositions qui ont produit Augustin dirait qui ont abouti à-ce que pénètre Augustin lui-même le christianisme

Comme auteurs autorisés Marc Aurèle et Apulée au siècle et Augustin la fin du IVe siècle relatent travers soit des pensées intimes mêlées de morceaux enseignement stoïcien soit des histoires extravagantes soit une autobiographie très fouillée des itinéraires personnels qui étaient surtout des histoires générales de quête de savoir Le sujet de Nock est pas la personne individuelle mais une personne collective reconstituant son univers mental en vivant comme témoin ou comme acteur impliqué un changement de religion

Mais la conversion Il est vrai que la définition donnée par Nock reproduite plus haut parle de personne individuelle Il est également vrai que les recompositions des pratiques rituelles et connaissantes dont institution une religion est un effet sont des faits sociaux est-à-dire où on ne voudra ni ne pourra dans analyse distinguer ce qui est collectif et ce qui est individuel La conversion est-elle donc pas également sociale Nock semble se contredire ou tout au moins il évoque le phénomène même de conversion ne pas tenir le même niveau analyse Pour répondre il faut séparer trois types de fait quand il est question de histoire des débuts du christia nisme il histoire qui est retracée dans ce livre qui est celle de la religion dans ordre de idée il histoire des conversions au christianisme et enfin il histoire de la christianisation La christianisation Nock en parle pas sauf par quelques allusions peu articulées) or la christianisation est histoire des faits sociaux expansion du christianisme de dissémination des comportements et des gestes chrétiens est aussi histoire des changements du paysage humain dessinée par homme de apparition de signes et de repères chrétiens Les trois histoires institu tion du christianisme christianisation conversion au christianisme sont concomitan tes chacune est cause et effet Conversion est pas une histoire sociale ce qui est en rien une gêne pour Nock dont objet est une histoire de la pensée

Cela dit histoire de la conversion chez Nock un statut particulier Reposons la question la conversion est-elle pensable individuelle est-elle pensable que motivée religieusement doit-on passer sous silence les mouvements de masse et nier que collectivement des hommes aient pu par peur par intérêt immédiat sans convic tion en tout cas se déclarer désormais chrétiens Reprenons argumentaire de Nock Bien que le titre soit Conversion Nock entreprend aucune description précise du phénomène La conversion même Augustin est effleurée celle de Paul de Justin etc. ne sont que mentionnées elles sont la solution une crise la fin une recherche En réalité propos de conversion au christianisme est décrit un fait un seul ce que signifie dans le champ de la pratique connaissante la conversion au christianisme elle signifie aversion de ce qui est hors du christianisme

Nous avons donc les deux bouts de la chaîne qui fixe les étapes de la conversion Le premier maillon est une quête de sens les exemples évoqués par Nock sont tous ceux hommes inquiets en quête un sens ce qui est le dernier maillon est aversion le rejet total et sans ambiguïté on dira même le dégoût ou la haine de ce qui est pas le christianisme au milieu de la chaîne dans acte même de conversion il la révélation de la raison être des choses Mais Nock ajoute ceci qui est

45 Cf Péter BROWN La Vie de saint Augustin pp 194-195

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important car la remarque accroche cette chaîne une autre la différence essentielle entre ce qui se passe pour le christianisme ou plus largement les monothéismes et les autres religions est que pour celles-ci le changement de religion était une action adhésion est-à-dire que adoption un nouveau dieu ou le respect un nouveau rituel était une décision qui relevait de accommodement on pouvait ajouter un dieu nouveau autres que on continuait vénérer ou on pouvait substituer ce nouveau dieu un des autres dieux éradication de ces autres dieux était pas nécessaire était pas autoritairement requise On adhérait donc un culte comme on adhère maintenant une organisation on peut très bien multiplier les adhésions En revanche entrée dans le christianisme engageait un rejet exprimé explicite des adhésions anciennes et qui plus est elle engageait une opposition aversion est le fait de se tourner contre aux cultes anciens et il est vrai que les récits des convertis en question font état de cette aversion

Deux niveaux de description semblent se télescoper dans ouvrage de Nock et il importe de savoir duquel il parle Le premier niveau est la description du mécanisme de conversion individuelle quête de sens comme impossibilité de concilier ce qui semble naturel et ce qui est supranaturel dans le monde conversion comme révélation de la raison être du monde comme retour une totalité de compréhension du monde aversion Le deuxième niveau est celui plus général et faisant objet du corps de ouvrage de institution du christianisme dans une histoire de la pensée Plus concrètement la démonstration concerne impact de émergence du christianisme comme facteur intolérance aux autres religions Mais la même chaîne avec ses trois temps successifs existe pour ce niveau historique ou général condition simplement que on opère une substitution de personnage et que on réintroduise le prophète Le prophète selon la rhétorique de Nock voir supra est homme en quête un sens aux choses il est une personne insatisfaite et sa prophétie consiste exprimer une raison être aux choses raison être une révélation soutenue par une ascèse un comportement particulier lui annoncé Le prophète est celui qui assure la fusion entre la rationalité du monde la soumission des mouvements du monde la loi naturelle et la raison sacrée du monde la servitude du monde envers une loi Suprana turelle Enfin le prophète armé de la vérité sur les choses se fait prédicateur et déclare que la vérité dont il est le messager est unique et universelle opposé si nous sui vons toujours Nock du fondateur de tradition qui lui pouvait effectivement fonder une nouvelle religion sur une nouvelle vérité mais si cette vérité était unique elle était pas universelle elle était unique que pour ses adeptes ses adhérants)

Si nous superposons les deux niveaux nous comprenons que la figure du converti est un doublet de la figure du prophète Autrement dit la conversion en tant elle est le récit une expérience individuelle ordre religieux reproduit histoire de entrée en scène de la religion laquelle attache désormais le converti Mais nous savons bien que cette histoire même est dès le moment où elle est connue partagée est doctrinale dogmatique 46 Le récit de conversion reproduit du dogme histoire qui se veut très individuelle très cachée parfois une réorientation de âme comme dit Nock lui-même 7) est jamais que actualisation une convention qui est une histoire collective de salut Le problème ne se pose plus guère de savoir

46 Voir Maurice HALBWACHS La Topographie légendaire des évangiles en terre sainte tude de mémoire collective Paris 1941

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si la conversion est individuelle ou il peut avoir des conversions collectives bien entendu les conversions collectives ont existé et Nock pas mis ce fait en doute Ce il prétend en revanche est que la réorganisation du champ religieux fut tel avec le triomphe du monothéisme chrétien que le passage au christianisme la conversion) il était pensé lorsque la conversion faisait objet un récit un discours ne se concevait que comme réorientation de âme et comme aversion

Poussons plus loin pour une dernière remarque puisque le récit de conversion était une des actualisations de la convention sur histoire ou plutôt la métahistoire chrétienne et puisque les conventions tirent leur efficacité de leurs actualisations 47) les occurrences de récit de conversion furent pour les glises chrétiennes de précieux instruments de reproduction

Et revenons Augustin une dernière fois aussi bien nous le disions ouvrage de Nock se clôt sur lui extraordinaire puissance des Confessions vient peut-être de ce que uvre est la fois totalement neuve personnelle impudique chargée émotion non contenue et totalement topique Le long cheminement vers la conversion envisagée comme guérison la cure de christianisme vue comme une thérapeutique Nock 265 parle de convalescence 48 étaient des motifs déjà anciens un littérateur engagé dans sa croyance maîtrisait tout fait Mais dans le même temps uvre échappait sa composition convenue parce que homme Augustin signifiait que sa convalescence se prolongeait indéfiniment et nous montrait il tirait le topos du converti lui il se refusait épuiser Il empêche que la mise en scène de la conversion intime dans histoire du salut est réglée chaque événement chaque sentiment semble trouver son écho en fait son modèle dans

criture dans criture citée Le livre de Nock mérite son titre Le thème de la conversion est constamment

présent Le corps de ouvrage est une histoire des ruptures dans les pratiques connaissantes dans la Rome impériale surtout ruptures qui produisent notamment le christianisme comme système de pensée Et ce système de pensée instituant était aussi une formulation de son propre engendrement une écriture de sa propre histoire Les convertis dans des récits stéréotypés refirent bientôt et pour longtemps le chemin de cette même histoire Il est difficile de dire quel point Nock compris comment se superposaient une Histoire communautaire de salut et des histoires intimes de salut mais comme nous ne prêtons aux riches..

Christian COBERT CNRS-EHESS

Centre Etudes Interdisciplinaires des Faits Religieux

47 Bernard LEPETIT Histoire des pratiques pratique de histoire in Bernard LEPETIT dir Les Formes de expérience Paris 1995 19

48 Voir également Péter BROWN La Vie de saint Augustin pp 208-209

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