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Filippo Baldinucci. Le Vocabolario Toscano dell’arte del disegno,
lexique technique ou manifeste ?
Paulette Choné
Lorsque Baldinucci publie en 1681 son Vocabolario Toscano dell’arte del
disegno1, Florence, qui avait été le berceau et le centre de rayonnement d’une
historiographie des arts très concertée, était passée au second plan, derrière
Rome, en même temps que s’affaiblissait la présence du grand-duché de
Toscane sur la scène politique. Les ouvrages de Baldinucci n’en sont que plus
significatifs, car ils continuent, rajeunissent et portent à une dimension
universelle la grande tradition inaugurée par Vasari. L’ouvrage le plus
considérable et fameux de Baldinucci, les Notizie de’ Professori del disegno,
publié de 1681 à 1728, est en effet fidèle à la forme biographique,
chronologique, descriptive et empirique mise à l’honneur par Vasari au milieu
du XVIe siècle ; ce n’en est pas moins la première histoire universelle des arts 1 Voir l’édition en ligne : http://baldinucci.sns.it/html/index.html
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visuels rédigée en Europe et, comme le relève Julius von Schlosser (p. 464),
cette somme est « écrite dans un style impeccable, si bien qu’elle figure parmi
les textes de langue de la Crusca. »
Ce n’était pas seulement avec cette histoire internationale des arts plastiques,
déjà moderne par ses procédés de documentation érudite et par son souci
d’objectivité, que Baldinucci était un pionnier. En 1681, en même temps que le
premier volume des Notizie, qui contient les vies d’artistes des XIIIe et XIVe
siècles jusqu’à Giotto, paraissait chez le même éditeur florentin Santi Franchi le
Vocabolario toscano dell’arte del disegno. Cet ouvrage procure le tout premier
glossaire des termes d’art, voire le premier vocabulaire technique italien, et
s’inscrit tout à fait dans les projets lexicographiques de l’Accademia della
Crusca. En somme, l’historien rédigeait en authentique écrivain et puriste de la
langue toscane ; le lexicographe se faisait didacticien expert, développant
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longuement des explications techniques qui eussent été parfaitement à leur place
dans un manuel. A une époque où la philologie, mais aussi quantité d’autres
activités spéculatives et pratiques, multipliaient les thésaurus et compilations en
tout genre, l’entreprise de Baldinucci révélait un effort extraordinaire justement
pour conjoindre dans la langue contemporaine la terminologie des métiers, celle
du goût et celle de la critique savante. Rarement un dictionnaire de la langue
avait cherché à fondre ensemble la conservation de la langue vive des praticiens
et l’information de nature encyclopédique.
Curieusement, Julius von Schlosser ne consacre pas plus de deux lignes au
Vocabolario dans sa monumentale Kunstliteratur. Est-ce parce que les Notizie,
par leur importance et leur ambition, éclipsent le dictionnaire ? Je ne chercherai
pas à rendre compte de ce silence, mais je voudrais proposer quelques réflexions
sur un usuel dont je me sers continuellement, aussi bien pour la traduction que
pour y trouver des informations sur les matériaux, les substances, les opérations,
les valeurs esthétiques de l’art moderne tel que le comprenait un historien et un
témoin dans la seconde moitié du XVIIe siècle.
Baldinucci était né en 1624 à Florence où il passa toute sa vie ; son activité de
savant, d’écrivain, de collectionneur est liée à la protection du cardinal Leopoldo
de’ Medici.
La genèse du Vocabolario ne peut se comprendre que si l’on admet le rôle du
cardinal Leopoldo dans la vie intellectuelle et artistique florentine à partir de la
fin des années 1630. Leopoldo, le plus jeune fils du grand-duc Cosme II, avait
perdu son père à l’âge de trois ans ; il reçut l’éducation la plus soignée qui fût
grâce à sa mère Marie-Madeleine d’Autriche et sa grand-mère Christine de
Lorraine, et devint rapidement un protagoniste estimé du paysage scientifique en
Toscane, en même temps qu’un homme politique avisé aux côtés de son frère
Ferdinand II. Son intérêt scientifique pour les nouvelles procédures de la
méthode expérimentale n’est pas démenti par ses curiosités dans le domaine de
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l’économie, du commerce et des sciences appliquées à l’agronomie et aux
manufactures. En 1641, il fut élu académicien della Crusca et eut dans cette
compagnie une influence des plus notables, s’occupant particulièrement de
l’introduction des entrées relatives aux arts et métiers en vue de la troisième
édition du vocabulaire de la Crusca de 1691. Baldinucci mourut en 1696, ayant
eu le temps de voir la « IIIe Crusca » accueillir un grand nombre des vocables de
son propre ouvrage.
Le cardinal Leopoldo, sa vie durant, multiplia les contacts directs avec les
savants de toute l’Europe, les lettrés, les amateurs et les artistes. Il est surtout
connu comme grand collectionneur, d’instruments scientifiques, de dessins, de
livres rares, de monnaies et de peintures, et parmi celles-ci, relevons
l’originalité de sa collection d’autoportraits d’artistes, dont beaucoup constituent
aujourd’hui la galerie du Corridor de Vasari, tandis que ses collections
scientifiques sont aujourd’hui au Museo di Storia della Scienza. Le cardinal
mourut en 1675, n’ayant pas cessé de travailler au vocabulaire de la Crusca,
c’est-à-dire de rechercher et collectionner des mots avec la même passion qu’il
mettait à rechercher et collectionner des objets.
Baldinucci devint le bibliothécaire du cardinal en 1664. Il entreprit alors
d’établir le catalogue raisonné de l’immense collection de dessins des Médicis,
puis de leurs peintures. Il mena à bien cette tâche gigantesque avec une
méthode alors entièrement neuve, aujourd’hui familière à tous les historiens de
l’art : il s’agit à la fois de distinguer grâce à l’œil et l’expérience du connaisseur
les différentes mains – ou styles - dans des œuvres généralement non signées
(donc de différencier originaux et copies), et de s’adosser à des sources
littéraires et historiques passées au filtre de la critique interne et externe. Cette
double démarche d’expert et d’organisateur est alors très neuve ; c’est le
fondement des méthodes modernes d’attribution des œuvres d’art et de
systématique muséale.
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Le catalogue des dessins médicéens fut imprimé in-folio en 1673 à un nombre
d’exemplaires infime sous le titre Listra [sic] de’ nomi de’ pittori di mano de’
quali si hanno disegni […] et la longue déclaration qui expliquait le caractère
incomplet de la rédaction s’achevait ainsi : non s’è osservato ordine alcune nel
metterli in nota, se non quello dell’alfabeto. [L’on n’a observé aucun ordre en
les relevant, si ce n’est celui de l’alphabet.] C’est dire que l’ordre alphabétique
lui paraissait le plus convenable à une entreprise de classement d’un matériel
énorme, où il s’agissait de faire correspondre des noms (et des éléments de leurs
curricula vitae) avec des œuvres, autrement dit en définitive de nommer ces
œuvres jusque là anonymes, comme si l’historien de l’art, lorsqu’il attribue un
dessin ou une peinture, était un nouvel Adam au Paradis terrestre !
L’ordre alphabétique était d’ailleurs destiné à une postérité immédiate très
brillante dans le domaine de l’histoire de l’art et des artistes, grâce à
l’Abecedario pittorico du Bolonais Pellegrino Antonio Orlandi, publié en 1704,
dont Pierre-Jean Mariette devait annoter son propre exemplaire (de l’édition de
1719), notes destinées à constituer à leur tour un abécédaire français.
La notion de style, sur laquelle repose le catalogue, est illustrée dans le
Vocabolario par la très longue entrée consacrée au mot Maniera, que le français
ne peut traduire autrement que par « style » : quatre colonnes et quatorze
maniere différentes, qui permettent de juger des ouvrages des beaux-arts, et d’en
bien parler. Baldinucci s’imposait bien comme discernatore delle Opere altrui.
L’ordre alphabétique des notions, augmenté de celui de leurs infimes nuances,
se révélait donc profondément solidaire de l’ordre alphabétique des noms
propres. La conceptualisation de l’art et la terminologie artistique étaient
directement enrôlées dans les chantiers prosopographiques, tant des Notizie que
du catalogue des collections médicéennes. Dans ces années 1670, Baldinucci
vraiment avec la même plume et toujours fidèle à l’ordre alphabétique, rangeait
les mots de la technique et ceux de l’esthétique, dressait les biographies de tous
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les artistes européens, classait et attribuait une quantité impressionnante de
dessins et de peintures.
L’ensemble de l’œuvre de Baldinucci devait bien sûr constituer une
encyclopédie de l’art, la première du genre et le socle fondateur de l’histoire de
l’art comme discipline. Encore n’ai-je pas parlé de ses autres ouvrages
spécialisés, sur la gravure par exemple, et il faudrait évoquer ses traductions, son
immense documentation manuscrite. Cependant, le rapport entre le tout (une
histoire générale de l’art) et les parties (les différents savoirs qui devaient s’y
assembler) n’est pas seulement additif, beaucoup s’en faut. Le Vocabolario n’est
pas une simple subdivision d’un vaste ensemble ; il a été élaboré comme le
trésor de mots et de connaissances dont l’existence même garantit durablement
la valeur de toute la tâche encyclopédique. Du point de vue éditorial, il
accompagnait la publication du premier volume des Notizie ; fondamentalement,
il en était le principe. Parce qu’il brille du prestige des ateliers florentins visités
assidument par le philologue (en même temps un connaisseur averti), le
vocabulaire artistique pénètre et informe toute élaboration historique ou critique
ultérieure ; il apparaît comme un filon inépuisable pour la réflexion sur les arts.
Dans la correspondance de Baldinucci avec des dilettanti, les renvois au
Vocabolario viennent consolider et légitimer les jugements esthétiques. Voyons
par exemple le terme accordato ou accordamento, que je propose de traduire par
« harmonie des couleurs», et qui annonce déjà le « tout ensemble » dont Roger
de Piles donnera bientôt la définition.2 C’est, écrit Baldinucci, « quand toutes les
2 Voici plusieurs renvois faits au mot accordamento. Dans une lettre à Lorenzo Gualtieri du 19 janvier 1681, il écrit : « Circa all'accordamento, egli è un retto giudicare de' colori, che fa che le cose dipinte in una tela o tavola siano talmente disposte, che da tutte insieme risulti una concordanza armoniosa, e vale anche a produrre altri effetti, che Vostra Signoria avrà osservato nel mio Vocabolario dell'arte del disegno dedicato a questa nostra Accademia della Crusca alla voce accordare. » (Voir Raccolta di alcuni opuscoli sopra varie materie di pittura, scultura e architettura scritti in diverse occasioni da Filippo Baldinucci, Firenze 1765, pp. 97-104 ; Baldinucci, Opere , XIV, Milano 1812, pp. 273-284; BAROCCHI 1975, pp. 421-426.) Dans son discours de réception à l’Accademia della Crusca prononcés les 29 décembre et 5 janvier 1691, il revient sur le même mot accordamento et précise : « Contentatevi ch'io vi conceda che gli antichi avessero i colori floridi e gli austeri, i naturali e quasi tutti gli
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choses peintes sur toile ou sur panneau seront disposées de telle sorte que de
toutes ensemble résulte une concordance et union harmonieuse ; et par
conséquent le coloris des figures principales, non seulement n’interfèrent et ne
se confondent pas l’une avec l’autre, mais laissent celles des premier, second et
troisième plans faire leur effet. » L’article conclut en révélant ce critère de la
« bonne peinture » : les choses proches n’y apparaissent pas lointaines, et les
lointaines, proches. Le Vocabolario ne se contente donc pas de la sémantique ;
ou plutôt la sémantique y donne les règles de la faculté de (bien) juger ; elle
devient l’instrument normatif par lequel le professionnel et l’amateur, le
professeur, connaisseur, collectionneur, critique, historien, établit ses échelles de
valeur et ses principes d’attribution. Le dictionnaire de la langue des métiers
artistiques répondait ainsi positivement à la question de savoir s’il existait des
principes sûrs pour bien juger des œuvres, c’est-à-dire pour les louer, les
critiquer, les évaluer, les identifier, les démasquer. Substance et ornement des
conversations sur l’art (le P. Binet avait entrevu au début du siècle la place que
pourrait tenir le vocabulaire des métiers dans une société de la conversation), le
vocabulaire se constituait aussi comme le socle de l’activité historienne et des
transactions commerciales.
Le Vocabolario était destiné de surcroît à s’incorporer effectivement dans le
vocabulaire général de la langue toscane. Dans sa dédicace à l’Accademia della
Crusca, Baldinucci emploie la métaphore de la pierre précieuse avec les
conventions rhétoriques d’usage : je ne pourrai qu’être satisfait, déclare-t-il, « si
quelque vocable emprunté à ces Arts et grossièrement présenté par moi, une fois
artificiali, ch'egli avessero i passaggi dall'uno ad un altro coIore, che essi come noi chiamavano, o pur noi come essi chiamiamo accordamento (Questa voce accordamento estendesi ne' nostri tempi a significare altre qualita di della pittura, intorno a che vedasi il nostro Vocabolario dell'arte del disegno alla voce accordato o accordamento.) » (Voir Lezione di Filippo Baldinucci... Firenze 1692 ; Raccolta di vari opuscoli sopra varia materia di pittura, scultura e architettura, Firenze 1765, pp. 67-96 ; F. Baldinucci, Delle notizie de' professori del disegno, Firenze 1767-1774, XXI, pp. 105-149 ; Opere di Filippo Baldinucci, Milano 1808-1812, XIV, pp. 272-319; Barocchi 1975, pp. 579-609) Tous ces textes sont en ligne sur http://www.memofonte.it/
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bien décrassé [pulito] par vous, et réduit à sa splendeur naturelle, méritait d’être
importé parmi les joyaux » du dictionnaire que la Crusca était alors en train de
mener à bien. Cependant le Vocabolario fut mené à bien très rapidement, en
moins de quatre ans selon son auteur, en grande partie parce que Baldinucci
avait accès à des matériaux déjà réunis par les académiciens pour la nouvelle
édition de leur propre dictionnaire. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas fait
œuvre originale, bien au contraire. Car dans son souci d’être, comme il dit, utile
à « ceux qui n’étant pas des professionnels veulent néanmoins raisonner sur ces
matières et comprendre ceux qui en parlent », il a préféré une méthode
lexicographique abrégeant au maximum l’étymologie, les citations littérales et
les paraphrases, mais privilégiant les explications tirées de l’observation. Ce qui
ne veut pas dire qu’il n’a pas eu de nombreux inspirateurs. Toutefois on trouve
aussi souvent sous sa plume l’expression « comme disent les ouvriers », que
l’autorité de Vitruve et de Pline.
Le lecteur est tout de suite frappé par la place considérable qu’occupent dans le
Vocabolario les techniques et les matériaux des arts appliqués dont les ateliers
florentins s’étaient fait une spécialité, comme le travail des pierres dures et la
gravure à l’eau-forte. J’ai relevé environ un peu plus de quarante entrées fort
longues ; un cinquième environ traite des marbres et pierres semi-précieuses
travaillées dans le célèbre Opificio delle pietre dure (agate, améthyste, diaspre,
chrysolithe, marbre, mosaïque…) A côté de cela, les articles relatifs à
l’ornement architectural, à l’anatomie, que l’on peut aussi considérer comme des
fleurons de la culture artistique toscane, sont parmi les plus développés et
structurés, avec des subdivisions nombreuses. Le titre servait d’ailleurs de
réclame à tous ces savoir-faire et à cette grande diversité de matériaux :
« Vocabulaire… dans lequel on explique les propres termes et mots non
seulement de la Peinture, Sculpture, Architecture ; mais encore des autres arts
qui en dépendent, et qui ont pour fondement le Dessin, avec la mention des
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noms et qualités des Pierres précieuses, Métaux, Pierres dures, Marbres, Pierres
tendres, Roches, Bois, Couleurs, Instruments, et de toute autre matière qui peut
servir tant à la construction des édifices et de leur décor, qu’à la Peinture et
Sculpture. » L’ « Adresse au lecteur », qui narre de manière très vivante la
genèse du Vocabolario, confesse tout ce que son auteur doit aux praticiens et
aux amateurs (artefici e dilettanti), et remarque qu’en compilant les écrits
d’autrui, en ces matières on découvre surtout tout ce qu’eux-mêmes se sont
procuré auprès de ces informateurs particulièrement sûrs, depuis deux siècles.
Ainsi est donnée la date de naissance de la lexicographie italienne de l’art,
contemporaine de Laurent le Magnifique.
Baldinucci, dit-on souvent, n’était pas vraiment un artiste, au sens où l’était
Vasari. C’était un amateur très talentueux, comme il y en avait eu beaucoup à
Florence dans divers domaines, non seulement les beaux-arts et la littérature
mais aussi la musique, le théâtre, les sciences naturelles.
Et c’était bien entendu avant tout un dessinateur, conformément à l’idéal
florentin du disegno qu’il avait si parfaitement compris3 : d’après la biographie
de Baldinucci rédigée par son fils Francesco Saverio, suivant un usage bien
établi parmi la société d’amis lettrés qui se retrouvaient autour du marquis
Valori dans sa villa près d’Empoli, « presque tous les jours il était condamné à
faire un portrait d’après nature de l’un de ses nobles compagnons, à la craie
noire et rouge, après que l’on avait tous les jours tiré au sort celui dont il devrait
faire le portrait. » La collection Valori alla aux Offices, mais Baldinucci faisait
aussi des doubles pour sa propre collection, qui fut acquise par le compilateur,
collectionneur passionné et académicien Francesco Maria Gabburri (1676-
1742), puis dispersée à Londres dans les années 1760. De sorte que ces portraits
aujourd’hui dispersés ne sont pas rares. Un portrait de ce genre aujourd’hui 3 Cat. exp. Dessins florentins de la collection de Filippo Baldinucci (1625-1696), Paris, Musée du Louvre, 1958, n° 58 ; cat. exp. Disegni Fiorentini del Museo del Louvre della Collezione di Filippo Baldinucci, Rome, 1959.
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conservé au Louvre (Département des arts graphiques) représente l’un de ses
nobles amis de Florence, Camillo Pitti Gaddi. En dessous figure un cartouche
avec l’inscription suivante : tête faite au naturel, de la main de Filippo
Baldinucci, « pour montrer au lecteur que celui-ci fut non seulement un
dilettante et discernatore des œuvres d’autrui, mais qu’étant vraiment un
praticien (et non médiocre), il réalisa des ouvrages avec diligence. » En effet on
a de lui des peintures, en particulier un grand tableau qui est aujourd’hui à la
villa de Castello, siège de l’Accademia della Crusca. Mais aussi quelle curiosité
insatiable pour la culture technique, les essences d’arbres, la préparation des
pigments, les mines, l’origine imagée des termes d’architecture, etc., tout ce que
Baldinucci avait recueilli avec un sens aigu de l’utilité commune mais aussi,
comme il l’avoue lui-même, le sens du « divertissement » qui s’attache au
domaine de la peinture et du dessin, et plus particulièrement « le plaisir de la
recherche de ce qui appartient aux termes et mots de ces arts-là ».
Ainsi le Vocabolario devint-il une pièce importante du dictionnaire général de la
langue italienne élaboré par l’Accademia della Crusca (et certes, on pourrait
comparer celui-ci avec le Dictionnaire de Furetière, qui est si bellement truffé de
mots empruntés aux métiers artistiques) ; le Vocabolario est à la fois intégré à
l’ensemble et dissocié, de même qu’aux biographies d’artistes de son auteur
dont il est en somme le volume inaugural. Les fondements de l’histoire de l’art,
ici, évitent délibérément une présentation dialectique ou chronologique,
préférant la convention alphabétique à l’ordre discursif, comme « plus utile à la
pratique qu’à la spéculation ». Voilà en quoi Baldinucci donnait à ses lecteurs
un « manifeste » qui devait encore inspirer la connoisseurship jusqu’à Berenson
et au-delà, et auquel nous nous reportons encore avec plaisir et profit.