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NI GUERRE, NI PAIX Dislocations de l'ordre politique et décantonnements de la guerre Dominique Linhardt et Cédric Moreau de Bellaing De Boeck Supérieur | Politix 2013/4 - N° 104 pages 7 à 23 ISSN 0295-2319 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-politix-2013-4-page-7.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Linhardt Dominique et Moreau de Bellaing Cédric, « Ni guerre, ni paix » Dislocations de l'ordre politique et décantonnements de la guerre, Politix, 2013/4 N° 104, p. 7-23. DOI : 10.3917/pox.104.0009 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 29/07/2014 18h13. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 29/07/2014 18h13. © De Boeck Supérieur

« Ni guerre, ni paix. Dislocations de l’ordre politique et décantonnements de la guerre » (avec Dominique LINHARDT)

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NI GUERRE, NI PAIXDislocations de l'ordre politique et décantonnements de la guerreDominique Linhardt et Cédric Moreau de Bellaing De Boeck Supérieur | Politix 2013/4 - N° 104pages 7 à 23

ISSN 0295-2319

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-politix-2013-4-page-7.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Linhardt Dominique et Moreau de Bellaing Cédric, « Ni guerre, ni paix » Dislocations de l'ordre politique et

décantonnements de la guerre,

Politix, 2013/4 N° 104, p. 7-23. DOI : 10.3917/pox.104.0009

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Coordonné par Dominique Linhardt et Cédric Moreau de Bellaing

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Volume 26 - n°104/2013, p. 9-23 DOI: 10.3917/pox.104.0009

Ni guerre, ni paix

Dislocations de l’ordre politique et décantonnements de la guerre

Dominique Linhardt et Cédric Moreau de BeLLaing

Résumé – Conçu comme une introduction au dossier thématique, ce texte esquisse les enjeux et les hypothèses d’une sociologie des formes politiques instables, telles qu’elles se donnent à voir dans des contextes pris dans l’écart entre la guerre et la paix. Il insiste dans cette perspective sur l’intérêt qu’il y a de porter attention aux phénomènes de décantonnement et de resocialisation de la guerre, observables, au-delà du cas des « nouvelles guerres », à travers des types d’actions et de dispositifs qui obéissent à une rationalité guerrière et coexistent, en même temps, avec l’horizon d’un ordre politique et social au moins relativement stable. Il formule en ce sens un certain nombre de pistes relatives à l’analyse des dynamiques entre droits, violences et institutions qui caractérisent de telles configurations.

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On trouvera rassemblées dans ce dossier des études qui portent sur des contextes dans lesquels des actions et des dispositifs distinctifs d’une rationalité guerrière coexistent avec l’horizon, plus ou moins inactuel,

d’un ordre politique et social sinon pacifié du moins stabilisé. Ces configura-tions se caractérisent donc en ce qu’elles se situent dans l’écart d’états réputés dichotomiques – la guerre par opposition à la paix –, avec l’effet de probléma-tiser, à leurs points de contact, leur distinction. Pris ensemble, les contribu-tions qui composent ce dossier dessinent un espace de variation volontairement large, allant de contextes qu’on qualifiera aisément de guerriers, tout en y repé-rant des mouvements qui pointent vers la consolidation d’un ordre, jusqu’à des contextes en apparence les plus stables, dans lesquels des antagonismes plus ou moins violents témoignent pourtant de l’incomplétude de la pacification. Sans rien enlever aux perspectives propres à chacun des articles, cette introduction a pour but d’expliciter l’angle sous lequel ils sont ici rapprochés et de montrer qu’il est possible de tirer, de ce rapprochement, certains enseignements suscep-tibles d’informer, à titre d’hypothèses, des travaux à venir 1.

La paix, c’est (aussi) la guerre

« Ce n’est plus une guerre » : c’est ce jugement effaré – et à nos yeux para-doxal – que la Première Guerre mondiale a arraché à Lord Herbert Kitchener, nommé à la tête du War Office en août 1914 2. Pourtant, le point de vue de celui qui a eu à enrôler en quelques mois plus de trois millions d’hommes pour les jeter, en pleine conscience de ce qui les attendait, dans les « orages d’acier », se comprend : la Grande guerre, par l’ampleur inouïe des affrontements, par les techniques industrielles de combat, par le caractère total de la mobilisation, s’écarte en effet de manière manifeste des perceptions de la guerre jusque-là dominantes et encore plus de l’espoir, resté vif tout au long du XIXe siècle, de circonscrire la guerre en lui fixant des formes acceptables 3, voire de l’éliminer totalement du commerce des nations 4.

Il est probable que l’ahurissement qui saisit le héros controversé de la guerre des Boers – qui, à l’instar d’autres guerres coloniales, avait participé à miner

1. Le présent dossier est issu d’un séminaire, qui s’est tenu durant trois ans à l’École des hautes études en sciences sociales et à l’École normale supérieure, et d’une section thématique organisée au congrès de l’Asso-ciation française de science politique de Strasbourg en 2011. Le travail se poursuit aujourd’hui de façon plus intégrée dans le cadre d’un projet de recherche financé par l’ANR (« Ni guerre, ni paix : les nouages de la violence et du droit dans la formation et la transformation des ordres politiques », convention n° ANR-13-BSH1-0003-01, 2014-2017).2. Cité d’après Stephan (C.), Das Handwerk des Krieges: Männer zwischen Mäßigung und Leidenschaft, Berlin, Rowohlt Berlin, 1998, p. 133.3. Leonhard (J.), Bellizismus und Nation: Kriegsdeutung und Nationsbestimmung in Europa und den Vereinigten Staaten 1750-1914, München, R. Oldenbourg Verlag, 20084. Cf. Arcidiacono (B.), Cinq types de paix. Une histoire des plans de pacification perpétuelle (XVIIe-XXe siècles), Paris, Presses universitaires de France, 2011.

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le projet de civiliser les guerres –, n’aurait fait que grandir tout au long du XXe siècle s’il avait eu à en connaître les changements dans le domaine de la violence armée. S’il peinait à reconnaître la guerre dans les bouleversements des façons de mener campagne intervenus au tournant du XXe siècle, que dire en effet des conflits au Viêt-Nam avant-hier, en Bosnie et au Rwanda hier, en Syrie, au Mexique ou au Congo aujourd’hui ? Parions qu’il lui aurait paru non seulement déplacé mais sans doute obscène de qualifier de guerres des situa-tions dans lesquelles des robots télécommandés abattent des cibles ne portant ni armes ni uniformes, des fanatiques se font exploser dans des lieux publics, des gouvernements s’attaquent aux populations en usant d’avions de combat et d’agents toxiques ou des milices transforment des enfants en soldats et insti-tuent le viol en arme de destruction de masse.

C’est précisément de ce genre de transformations que vise à rendre compte la thèse des « nouvelles guerres », qui a donné lieu à des travaux importants depuis plus de deux décennies 5. Dans son expression la plus simple, cette thèse affirme que les violences armées, par une série de déplacements intervenus progressive-ment depuis la Deuxième Guerre mondiale, seraient dorénavant placées sous un nouveau régime qui les distingueraient absolument aussi bien des « guerres classiques », celles-là même qu’on voulait mettre, selon les termes de Vattel, « en formes », que des « guerres majeures 6 » de la première moitié du XXe siècle, qui n’avaient déjà plus grand-chose en commun avec des combats de mousquetaires.

Les critères mobilisés pour différencier entre les guerres appartenant à un passé relativement récent et celles qui feraient notre contemporain sont nom-breux et aucun d’entre eux ne manque de faire débat, notamment pour ce qui est de savoir s’ils peuvent fonder ou non un partage net entre l’ancien et le nou-veau 7. Reste qu’en dépit des désaccords, un point de convergence apparaît : les guerres, constate-on de la façon la plus générale, tendent à s’affranchir du cadre que les États leur ont, par le passé, imposé 8. L’un des signes les plus manifestes

5. Parmi lesquels : Duffield (M. R.), Global Governance and the New Wars: A Merging of Development and Security, London-New York, Zed Books, 2003 ; Gros (F.), États de violence. Essai sur la fin de la guerre, Paris, Gallimard, 2005 ; Kaldor (M.), New and Old Wars: Organized Violence in a Global Era, Stanford (CA), Stanford University Press, 1999 ; Münkler (H.), Les guerres nouvelles, Paris, Alvik, 2003 [1re éd. all. 2002] ; Snow (D. M.), Uncivil Wars: International Security and the New Internal Conflicts, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 1996.6. Holeindre (J.-V.), Ramel (F.), dir., La fin des guerres majeures ?, Paris, Economica, 2010.7. Cf. Berdal (M.), « How “New” Are “New Wars”? Global Economic Change and the Study of Civil War », Global Governance, 9 (4), 2003 ; Henderson (E. A.), Singer (J. D.), « “New Wars” and Rumors of “New Wars” », International Interactions, 28 (2), 2002 ; Kahl (M.), Teusch (U.), « Sind die „neuen Kriege“ wirklich neu? », Leviathan, 32 (3), 2004 ; Kalyvas (S. N.), « “New” and “Old” Civil Wars: A Valid Distinction? », World Politics, 54 (1), 2001 ; Malesević (S.), « The Sociology of New Wars? Assessing the Causes and Objectives of Contem-porary Violent Conflicts », International Political Sociology, 2 (2), 2008 ; Mello (P. A.), « In Search of New Wars: The Debate About a Transformation of War », European Journal of International Relations, 16 (2), 2010.8. Brooker (P.), Modern Stateless Warfare, Basingstoke-New York, Palgrave Macmillan, 2010 ; Ferguson (R. B.), The State, Identity and Violence: Political Disintegration in the Post-Cold War World, London-New York, Routledge, 2003 ; Harris (N.), The Return of Cosmopolitan Capital: Globalization, the State, and War,

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de cette tendance à la démonopolisation de la guerre est la présence sur les théâtres d’affrontement de belligérants qui n’appartiennent à aucune troupe régulièrement constituée, mais à des groupes, plus ou moins formels et organi-sés, plus ou moins mobiles et éphémères, plus ou moins politisés ou criminels, composés de rebelles, de partisans, de miliciens, d’activistes, de terroristes ou de mercenaires, aux loyautés sociales et politiques qui les placent en décalage et en opposition aux États, et employant des moyens de combat dont le spectre va des plus conventionnels aux plus répréhensibles 9. Pour autant ce diagnostic ne doit pas être compris dans le sens d’un effacement des États de la scène des guerres contemporaines. Si le cas de figure de guerres qui se développent à l’écart de toute autorité politique effective peut se présenter, notamment dans le contexte d’États « fragiles » ou « défaillants 10 », il est loin d’être général et l’on constate plutôt, de la part des États, un effort pour s’adapter, en fonction des contextes, des moyens et des choix qui sont les leurs, à ce qui se présente pour eux comme nouvelle donne stratégique et sécuritaire 11.

Les séries statistiques confirment ce constat. Comme l’ont établi Meredith R. Sarkees et Frank W. Wayman 12, le nombre et la proportion de guerres d’État à État (« inter-state wars ») ont reculé depuis les lendemains de la Deuxième Guerre mondiale au profit des guerres civiles (« intra-state wars »), des inter-ventions militaires extérieures (« extra-state wars ») et, dans une bien moindre

London-New York, I. B. Tauris, 2003 ; Jha (P. S.), The Twilight of the Nation State: Globalisation, Chaos and War, London-Ann Arbor, Pluto Press, 2006 ; Knöbl (W.), ed., Die Gegenwart des Krieges: staatliche Gewalt in der Moderne, Frankfurt am Main, Fischer Taschenbuch-Verlag, 2000 ; Neckel (S.), Schwab-Trapp (M.), eds, Ordnungen der Gewalt: Beiträge zu einer politischen Soziologie der Gewalt und des Krieges, Opladen, Leske und Budrich, 1999 ; Reyna (S. P.), Downs (R. E.), Deadly Developments: Capitalism, States and War, Amsterdam, Gordon and Breach, 1999.9. Azzellini (D. N.), Kanzleiter (B.), eds, Das Unternehmen Krieg: Paramilitärs, Warlords und Privatarmeen als Akteure der neuen Kriegsordnung, s.l., Assoziation A, 2003 ; Banks (W. C.), ed., New Battlefields, Old Laws: Critical Debates on Asymmetric Warfare, New York, Columbia University Press, 2011 ; Freudenberg (D.), Theorie des Irregulären: Partisanen, Guerillas und Terroristen im modernen Kleinkrieg, Wiesbaden, VS Ver-lag für Sozialwissenschaften, 2008 ; Mampilly (Z. C.), Rebel Rulers: Insurgent Governance and Civilian Life During War, Ithaca, London, Cornell University Press, 2011 ; Ruf (W.), ed., Politische Okonomie der Gewalt: Staatszerfall und die Privatisierung von Gewalt und Krieg, Opladen, Leske und Budrich, 2003 ; Shultz Jr. (R. H.), Dew (A. J.), Insurgents, Terrorists, and Militias: The Warriors of Contemporary Combat, New York, Columbia University Press, 2006 ; Wulf (H.), Internationalizing and Privatizing War and Peace, Houndmills-New York, Palgrave Macmillan, 2005.10. Andersen (L.), Møller (B.), Stepputat (F.), eds, Fragile States and Insecure People? Violence, Security, and Statehood in the Twenty-First Century, New York, Palgrave MacMillan, 2007 ; Risse (T.), ed., Governance Without a State? Policies and Politics in Areas of Limited Statehood, New York, Columbia University Press, 2011.11. Aydinli (E.), Rosenau (J. N.), eds, Globalization, Security, and the Nation-State: Paradigms in Transition, Albany, State University of New York Press, 2005 ; David (C.-P.), La guerre et la paix. Approches contem-poraines de la sécurité et de la stratégie, Paris, Presses de Sciences Po, 2006 ; Grenfell (D.), James (P.), eds, Rethinking Insecurity, War and Violence: Beyond Savage Globalization?, London, New York, Routledge, 2009 ; Krahmann (E.), ed., New Threats and New Actors in International Security, New York, Palgrave Macmillan, 2005 ; Rasmussen (M. V.), The Risk Society at War: Terror, Technology and Strategy in the Twenty-First Century, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 2006.12. Sarkees (M. R.), Wayman (F. W.), Resort to War: A Data Guide to Inter-State, Extra-State, Intra-State, and Non-State Wars, 1816-2007, Washington (DC), CQ Press, 2010, p. 563-565.

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mesure, des conflits armés qui n’engagent pas d’État (« non-state wars ») 13. Mais cette évolution, en elle-même remarquable, ne prend pleinement sens qu’à par-tir du moment où l’on considère, avec Stephen Reyna, qu’il s’agit, le plus sou-vent, des mêmes conflits qui relèvent, successivement ou simultanément, des catégories dont l’importance a cru au cours de la période récente 14. Dans cette perspective, la tendance qui se donne à voir est celle d’un accroissement d’anta-gonismes armés caractérisés par la superposition et l’enchevêtrement, souvent complexe, de différentes dimensions, qui renvoient tantôt à la guerre intérieure, avec des gouvernements confrontés à des insurrections, des rébellions ou des sécessions, voire même à certaines formes particulièrement meurtrières de cri-minalité organisée, tantôt à la lutte entre des groupes ou des factions à l’intérieur de ces contextes de violence, tantôt encore à l’intervention, directe ou indirecte, ouverte ou dissimulée, ponctuelle ou continue, de puissances extérieures.

Ce régime de conflictualité présente certaines caractéristiques remarquables. Celles-ci ont en particulier trait à la spatialité et la temporalité. Sur le premier aspect, on remarque qu’avec l’amoindrissement du monopole étatique de la guerre, dans le contexte général, technique, économique et social, d’intensi-fication des circulations humaines, matérielles et immatérielles à l’échelle du globe 15, l’inscription spatiale des belligérants se modifie dans le sens d’une relativisation de l’importance des frontières officielles. Sous ce rapport, deux évolutions concomitantes et complémentaires peuvent être distinguées : d’une part, l’affranchissement des emprises territoriales des États par l’adoption, par les belligérants, de formes d’organisation en réseau dont l’action repose sur la mobilité, la dissimulation et la clandestinité et qui élargissent considérablement leur espace d’opération réel ou potentiel 16 ; d’autre part, l’établissement d’em-prises territoriales concurrentes à celles des États qui subvertissent ces dernières et parfois se substituent à elles, avec l’effet, dans certaines circonstances, de

13. Les cas de guerres sans aucune intervention étatique sont à vrai dire extrêmement rares. Parmi les dernières en date, on invoque parfois l’exemple de la guerre entre les Hema et les Lendu à l’Est de la Répu-blique démocratique du Congo, à la frontière de l’Ouganda, entre 1999 et 2005. Encore que le jeu trouble du gouvernement et de l’armée ougandais jette un doute sur le caractère absolument non-étatique du conflit.14. Reyna (S.), « Taking Place: “New Wars” versus Global Wars », Social Anthropology, 17 (3), 2009.15. Devetak (R.), Hughes (C. W.), eds, The Globalization of Political Violence: Globalization’s Shadow, London, New York, Routledge, 2008 ; Sassen (S.), Losing Control? Sovereignty in an Age of Globalization, Columbia University Press, 1996 ; Suter (K.), Global Order and Global Disorder: Globalization and the Nation-State, Westport, Praeger, 2003 ; Weinert (M. S.), Democratic Sovereignty: Authority, Legitimacy, and State in a Glo-balizing Age, New York, University College London Press, 2007.16. Notons que l’action en réseau dans des zones formellement contrôlés par des États n’est pas réservée aux organisations armées subversives, mais peuvent être employés par d’autres États. On peut penser ici par exemple aux « extraordinary renditions » – c’est-à-dire, concrètement, aux enlèvements – de personnes identifiées comme des « enemy combattants » par le gouvernement américain en de nombreux endroits du monde, et à l’organisation de leur transport par le système secret dit « Air CIA » entre différents lieux de détention (« black sites »), la prison de Guantanamo, elle-même sous statut extraterritorial, ayant été le plus souvent la destination finale.

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remodeler de façon durable les réalités territoriales à l’échelle de pays ou même de régions entières situées à cheval sur plusieurs pays 17.

Cette fractalisation de l’espace de la guerre va de pair – second aspect – avec une indétermination croissante du temps de la guerre. On sait que la contrainte de borner la guerre en lui fixant un début et une fin a été un usage avant même qu’elle n’ait été inscrite, sous forme d’obligation, dans le droit de la guerre 18. Les guerres mondiales elles-mêmes, pour avoir été « totales », n’ont jamais été perçues comme pouvant être « infinies », ne serait-ce que parce que l’effort qu’elles ont demandé n’aurait pas pu être maintenu dans le temps et appelait nécessairement la victoire des uns et la défaite des autres et donc une clôture temporelle. Par opposition, il est de plus en plus difficile dans le contexte de nombreuses guerres contemporaines non seulement d’établir la victoire et la défaite 19, mais plus généralement de leur fixer un début et une fin et donc à opé-rer une distinction aussi nette entre la guerre et la paix que celle que permettent les mécanismes de la déclaration de guerre et de l’armistice 20. De nombreuses régions du monde s’installent ainsi durablement « en guerre 21 ». Cela ne signi-fie pas nécessairement qu’elles soient saturées en permanence par les violences armées ; ces situations se distinguent plutôt par la possibilité toujours actuelle de leur relance, refaçonnant les arrangements collectifs et les formes institu-tionnelles même en l’absence de combats.

17. Notons, là encore, que confrontés à des acteurs qui minent, d’une manière ou d’une autre, leurs assises territoriales, les États sont parfois amenés à mettre en œuvre des stratégies de sanctuarisation soit de leurs frontières extérieures soit de sous-ensembles à l’intérieur de leurs territoires. Le « bouclage des frontières », l’établissement de « zones vertes » ou encore l’édification de murs physiques de séparation démontrent cette tendance. Sur ces questions, cf. par exemple Brown (W.), Murs. Les murs de séparation et le déclin de la souveraineté, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009 ; Gayer (L.), Karachi: Ordered Disorder and the Struggle for the City, London, Hurst, 2014 ; Purbrick (L.), Aulich (J.), Dawson (G.), eds, Contested Spaces: Sites, Represen-tations and Histories of Conflict, Basingstoke/New York, Palgrave Macmillan, 2007.18. Whitman (J. Q.), The Verdict of Battle: The Law of Victory and the Making of Modern War, Cambridge (MA)-London, Harvard University Press, 2012.19. Angstrom (J.), Duyvesteyn (I.), eds, Understanding Victory and Defeat in Contemporary War, Abingdon, Routledge, 2009.20. Seuls environ 20 % des conflits armés des deux dernières décennies ont donné lieu à des traités de paix. De façon caractéristique, s’est développé le recours à des dispositifs alternatifs pour solder les antagonismes. Ces dispositifs s’appuient notamment sur justice pénale, que les tribunaux pour l’Ex-Yougoslavie ou pour le Rwanda incarnent de manière exemplaire et que la création d’une Cour pénale internationale permanente tente de pérenniser. Une autre modalité est celle des procédures dites « vérité et réconciliation ». Plus généra-lement, il n’est pas indifférent de constater que de nombreux travaux se consacrent aujourd’hui à étudier les voies diverses du passage entre guerre et paix, soit en prenant pour objet la façon dont s’installent, dans un monde réputé pacifié, des violences plus ou moins éphémères (massacres, insurrections, pogroms), soit en s’interrogeant à l’inverse sur les modalités de la sortie des crises violentes. À titre d’exemples, Dewerpe (A.), Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État, Paris, Gallimard, 2006 ; Le Pape (M.), Siméant (J.), Vidal (C.), dir., Crises extrêmes. Face aux massacres, aux guerres civiles et aux génocides, Paris, La Découverte, 2006 ; Lefranc (S.), Politiques du pardon, Paris, Presses universitaires de France, 2002 ; Sémelin (J.), Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Éditions du Seuil, 2005.21. Hironaka (A.), Neverending Wars: The International Community, Weak States, and the Perpetuation of Civil War, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2005.

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La combinaison de ces deux caractéristiques a une conséquence importante : alors que la guerre a longtemps été réservée dans le temps et dans l’espace, elle tend aujourd’hui à s’immiscer dans la vie des sociétés jusqu’à y devenir un facteur « ordinaire » qui contribue à déterminer, dans une extension variable selon les configurations, les rapports politiques et sociaux 22. Et cela n’est pas seulement vrai dans les régions dites du Sud, réputées pâtir de la faiblesse des États et d’une violence endémique 23. Cette tendance s’observe également dans les économies avancées et les États démocratiques du Nord. En témoigne une série d’évolutions : ainsi les rapprochements observables entre les institutions policières et les institutions militaires 24, justifiés par certaines conceptions de la « sécurité globale » ou de la « sécurité humaine 25 » et aboutissant, par exemple, à des projets qui visent à avoir recours aux forces armées en cas d’émeutes urbaines 26, tout comme les tentatives d’établir, dans les États de droit en appa-rence les plus soucieux des libertés, un « droit pénal de l’ennemi » à côté du droit pénal ordinaire, réservé au « citoyen 27 », offrent des exemples qui montrent que ces processus de décantonnement de la guerre sont également à l’œuvre dans les environnements socio-politiques à première vue les plus à l’abri 28.

Des « quasi-guerres » aux « quasi-paix »

Ce dossier ne poursuit pas l’intention de contribuer aux interrogations por-tant sur les nouvelles guerres. Il prend ce questionnement plutôt comme un tremplin pour aussitôt le subvertir. La thèse des nouvelles guerres, comme nous

22. Bazenguissa-Ganga (R.), Makki (S.), dir., Sociétés en guerre. Ethnographies des mobilisations violentes, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2012 ; Koloma Beck (T.), The Normality of Civil War: Armed Groups and Everyday Life in Angola, Frankfurt am Main, Campus-Verlag, 2012 ; Mac Ginty (R.), No War, No Peace: The Rejuvenation of Stalled Peace Processes and Peace Accords, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2008 ; Richards (P.), ed., No Peace, No War: An Anthropology of Contemporary Armed Conflicts, Oxford-Athens (OH), Ohio University Press-J. Currey, 2005.23. Cf. Barnett (T. P. M.), The Pentagon’s New Map: War and Peace in the Twenty-First Century, New York, G. P. Putnam’s Sons, 2004.24. Dupont (B.), Ranner (S.), dir., Maintenir la paix en zones post-conflit. Les nouveaux visages de la police, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2012 ; Hanon (J.-P.), « Policiers et militaires en Allemagne : le nouvel agencement », Cultures et Conflits, 67, 2007.25. Bigo (D.), Tsoukala (A.), eds, Terror, Insecurity and Liberty: Illiberal Practices of Liberal Regimes after 9/11, London-New York, Routledge, 2011 ; Gros (F.), Le principe sécurité, Paris, Gallimard, 2012 ; Roujansky (J.), Bravo (A.), Friedel (P.), Appriou (A.), La sécurité globale. Réalité, enjeux et perspectives, Paris, CNRS éditions, 2009.26. Belmessous (H.), Opération banlieues. Comment l’État prépare la guerre urbaine dans les cités françaises, Paris, La Découverte, 2010 ; Rigouste (M.), L’ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, Paris, La Découverte, 2009.27. Cussac (J. L. G.), „Feindstrafrecht“: die Wiedergeburt des autoritären Denkens im Schoße des Rechtsstaates, Berlin, Lit Verlag, 2007 ; Delmas-Marty (M.), Libertés et sureté dans un monde dangereux, Paris, Éditions du Seuil, 2010.28. De façon plus générale, Geis (A.), Brock (L.), Müller (H.), eds, Democratic Wars: Looking at the Dark Side of Democratic Peace, Basingstoke-New York, Palgrave Macmillan, 2006. Sur une tonalité plus engagée, Chomsky (N.), Failed States: The Abuse of Power and the Assault on Democracy, New York, Metropolitan Books-Henry Holt, 2006.

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avons essayé de le montrer, présente en effet l’intérêt de nous rendre sensibles au problème des situations collectives dans lesquelles la guerre et de la paix désignent des états relatifs et imbriqués. Elle le fait en se concentrant sur les transformations de la guerre, observables dans les conflits les plus actuels, qui sont le plus souvent situées dans les régions les moins développées du monde, avec les États les plus faibles. Toutefois, une fois cette sensibilité acquise, le regard peut se tourner dans d’autres directions. D’une part, en revenant à un passé dont la rhétorique de la nouveauté a tendance à écraser les complexités, pour s’apercevoir que des indéterminations de ce type s’y rendent tout aussi bien observables, bien que sous d’autres formes 29. D’autre part, en incluant dans l’enquête des contextes qui, sans être marqués par la guerre proprement dite, se caractérisent par l’existence d’actions et de dispositifs qui prennent sens par rapport à la guerre. C’est dans ce sens que nous avons conçu ce dossier.

Chacun des cas traités dans les articles se présente comme un point sail-lant dans un espace de variation. Ces cas se distribuent d’abord en fonction de l’intensité et de l’ampleur de la dislocation de l’ordre social et politique. À une extrémité de ce continuum, on trouve des contextes qui correspondent à des « quasi-guerres », définies par des affrontements armés plus ou moins soutenus et réguliers dans lesquels se donnent néanmoins à lire des efforts d’objectivation d’un ordre politique, juridique ou bureaucratique. C’est dans cette perspective qu’Adam Backzo s’intéresse à la justice Taleban, en montrant le mouvement paradoxal qu’impulsent ces cours, souvent itinérantes et clandestines, qui se développent depuis le milieu des années 2000 au cœur même du conflit afghan. Ce cas permet en effet d’observer comment le traitement judiciaire de litiges que la guerre civile amène à indexer à des antagonismes sociaux et politiques – de type tribal, ethnique ou religieux –, offre aux Taleban la possibilité de réaf-firmer le caractère privé de ces conflits et ainsi d’imposer, dans une situation de violence qui perdure, un « ordre public », en l’occurrence théocratique, qui, bien que fragile, se voit reconnu dans sa qualité de refonder, dans une certaine mesure, une collectivité. Ce faisant, cette entreprise judiciaire contribue, du point de vue des Taleban, à faire d’une guerre qui déchire la société afghane un affrontement que cette même société, de nouveau unifiée, peut mener contre l’« occupant » et ses auxiliaires locaux – ce qui fait de la justice talebane, en même temps, l’élément d’un calcul stratégique qui vise l’extension et le renfor-cement de l’insurrection.

L’intérêt pour les situations de dislocation emporte ainsi une attention aux processus de restauration de l’ordre social, à l’écart des projections idéales du statebuilding 30. En témoigne également l’article de Marielle Debos qui examine

29. Nous ne visons donc pas, bien sûr, à remplacer la rhétorique de la nouveauté par une rhétorique de l’im-mutabilité, mais à engager une historicisation qui ne peut se limiter à un partage entre l’ancien et le nouveau.30. Zaum (D.), The Sovereignty Paradox: The Norms and Politics of International Statebuilding, Oxford-New York, Oxford University Press, 2007.

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la situation politique dans le département du Dar Tama au Tchad, durable-ment affecté par une longue succession de conflits internes et externes, qui n’est parvenu à s’en extraire qu’en ménageant à d’anciens hommes de guerre des positions dans l’administration. Cette situation conduit à un état du collec-tif politique que l’auteure qualifie d’« entre-guerres 31 », dans lequel les acteurs tendent à ne pas quitter le cadre des allégeances et des antagonismes forgés dans et par la guerre, guerre qui par conséquent se poursuit autrement, par les moyens du gouvernement des affaires publiques. Marquée par une légalité tou-jours problématique, la réalité de cet entre-guerres se tient ainsi à distance aussi bien de la fiction de la paix restaurée que de celle la violence infinie.

À l’autre extrémité de ce continuum, on trouve, à l’inverse, des situations qui se présentent comme des « quasi-paix », soit des contextes qui, sous l’apparence d’un ordre parfaitement réglé, laissent paraître des ruptures de basse intensité, bruits sourds du « grondement de la bataille », pour reprendre la formule de Michel Foucault 32. La contribution de Nicolas Fischer traite d’un cas de ce type, en prenant pour objet la dislocation à première vue infime que constitue la présence de centres de rétention pour étrangers dans la France contemporaine. Encadrés par des règlements juridiques et administratifs, la rationalité guerrière de ces centres est pour ainsi dire effacée. Mais elle se repère dans le fait que ces centres héritent de la « forme-camp », dont les origines historiques se trouvent dans des pratiques guerrières de traitement des ennemis avant qu’elle n’ait été récupérée à l’usage de la gestion civile de populations en situation de « citoyen-neté dégradée ». Comme le montre l’auteur, cette généalogie, pour estompée qu’elle soit, n’est pas étrangère aux difficultés, très actuelles, à la fois théoriques et pratiques, pour faire converger la gestion des étrangers destinés à être expul-sés avec les réquisits de l’État de droit.

Les contributions se distinguent ensuite par l’attention qu’elles portent à l’état des rapports de force entre les protagonistes qui se trouvent engagés. L’ar-ticle de Laure Blévis porte ainsi sur une situation a priori caractérisée par une logique de domination unilatérale des colons français sur les colonisés algériens, logique de domination que les sciences sociales décrivent souvent, aujourd’hui, en recourant au topos de l’état d’exception. Si le caractère radicalement asymé-trique de la « situation coloniale » ne peut être mis en doute, l’auteure montre aussi qu’elle est un enjeu pour les acteurs et un objet d’investissement aussi bien pour les colonisés, notamment lorsqu’ils se mobilisent et cherchent, par les moyens du droit, parfois en trouvant des appuis en métropole, à s’opposer au sort que leur réserve l’administration, que pour les promoteurs de la colo-nisation qui ne peuvent pas s’extraire entièrement des considérations légales

31. Cf. aussi Debos (M.), Le métier des armes au Tchad. Le gouvernement de l’entre-guerres, Paris, Karthala, 2013.32. Foucault (M.), Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 2000 [1re éd. 1975], p. 360.

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et, en un sens, morales dont dépend la possibilité de légitimer ce régime de domination.

Dans un autre registre, la contribution d’Alexandre Rios-Bordes témoigne également des tensions entre menace et droit, contrôle et loyauté. Celle-ci révèle en effet une page demeurée inexplorée de l’histoire de la « sécurité nationale » en considérant comment cette dernière a progressivement émergé aux États-Unis au début du XXe siècle par la réorientation du renseignement militaire, habitué à analyser les menaces extérieures, vers des groupes de syndicalistes et de mili-tants dans les usines et les quartiers des villes américaines. La surveillance dont ces groupes font alors l’objet de la part de plusieurs services secrets de l’armée vise à éviter tout affaiblissement dans la perspective de la guerre à venir, pour laquelle on estime que l’État américain aura besoin d’un appareil de production en ordre et d’un engagement sans faille de toute la population. L’auteur montre comment ce qui se présente comme une extension et une introversion – une extension par introversion – du regard stratégique a pour effet d’ébranler de façon inédite les partages entre l’intérieur et l’extérieur, le civil et le militaire et, finalement, la paix et la guerre.

En troisième lieu, les contributions qui prennent place dans ce numéro se distinguent en fonction des dynamiques publiques des situations étudiées. Ainsi, à l’image du travail d’A. Rios-Bordes, l’enquête présentée par Gabriel Périès mène dans les arcanes militaro-policières des États, dont le secret, conçu comme une condition de l’efficacité, ne tolère pas le regard public, qui du même coup ne parvient à ressaisir les événements, en tout cas dans toute leur ampleur, que rétrospectivement, sur le mode de la révélation scandaleuse. L’article décrit ainsi la contiguïté qui se met en place dès les premières années du XXe siècle entre une innovation technique dans le domaine de l’identification criminelle – la dactyloscopie –, l’élaboration policière d’une catégorie juridique – celle du « délinquant subversif » – et la mise en œuvre d’une politique répressive dont le plan d’éradication systématique de l’opposition révolutionnaire connu sous le nom d’« opération Cóndor » constitue, dans les années 1970, un aboutissement.

Toute différente est sous ce rapport la tragédie de Tanjung Priok en Indonésie analysée par Clotilde Riotor. Ce massacre intervenu en 1984 dans le quartier de Djakarta du même nom, au cours duquel des dizaines de manifestants musul-mans sont tués par les forces militaires de maintien de l’ordre, se place en effet d’emblée sous le regard public. Et celui-ci continuera à accompagner le déve-loppement de l’affaire sur de longues années, déclenchant une vaste controverse lorsque les responsables militaires et une partie des victimes signent une « charte d’ishlah (paix) », présentée par ses promoteurs comme un instrument de récon-ciliation nationale et dénoncée par ses opposants comme un habile moyen pour échapper à la justice pénale. La controverse suppose alors un retour public sur les faits incriminés, par le truchement d’une première enquête officielle dont

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les résultats sont contestés (notamment parce qu’elle tait les noms des officiers impliqués dans le massacre) entraînant une seconde enquête officielle, puis un deuxième temps au cours duquel se trouvent dévoilées les compensations financières promises aux victimes signataires de la charte en échange de leur agrément. L’ensemble du processus visant à qualifier la démarche même sup-posée par la charte d’ishlah fait alors l’objet d’interprétations argumentées radi-calement opposées.

La question du public joue enfin également un rôle central dans la contri-bution de Gilles Favarel-Garrigues, bien que d’une façon très différente. Ce qui dans ce cas est en jeu, c’est moins en effet la question de l’espace public, entendu comme le cadre de déploiement de critiques et de justifications, que celle de la puissance publique, au sens d’un tiers intervenant dans des formats préa-lablement codifiés dans le règlement de conflits opposant des acteurs privés. Étudiant l’exécution des décisions de la justice commerciale dans la Russie des années 2000, l’auteur montre ainsi qu’en dépit d’une évolution qui a vu la dis-parition des « guerres privées » et des « raids financiers » qui caractérisaient le contexte russe dans la décennie précédente, la reconversion des entrepreneurs de violence dans des sociétés de recouvrement des dettes qui se mettent au ser-vice des huissiers, officiers publics chargés de l’exécution des décisions, indique que continue d’opérer, à l’abri de la « verticale du pouvoir » qui a fait le suc-cès du régime de Vladimir Poutine, une « horizontale du pouvoir » qui tend à réduire la puissance publique en une simple ressource dans un rapport de force dont la violence reste un horizon toujours actuel.

La violence, le droit, l’État

S’il y a un enseignement à tirer de la confrontation à la diversité des cas ana-lysés dans ce dossier, c’est d’abord que la guerre et la paix tolèrent, à l’échelle de situations d’extension et d’intensité variables, des états intermédiaires et que ceux-ci sont concrètement endurés et sondés, négociés et façonnés, réfléchis et critiqués par les acteurs eux-mêmes. Dès lors, les difficultés à qualifier les contextes sociaux et politiques placés sous l’horizon de l’affrontement et de la violence, particulièrement prégnantes dans le cas des « nouvelles guerres », mais perceptibles également dans d’autres configurations, n’est le plus souvent que la transposition savante des indéterminations qui taraudent ces épreuves elles-mêmes. Il s’ensuit, au plan de la méthode, qu’il est crucial pour l’entendement sociologique de ces contextes de décrire l’éventail des opérations par lesquelles sont travaillés de manière pratique les partages entre la guerre et la paix. Ceci implique que l’on accepte de rompre avec les définitions a priori, dans lesquelles la guerre et la paix renvoient à des conceptions idéales et absolues – d’autant plus idéales et absolues qu’elles définissent des états nettement séparés et oppo-sés –, au profit d’une démarche par degrés, seule à même de déterminer com-ment, suivant quelles modalités et processus, il peut y avoir du guerrier dans la

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paix et du pacifique dans la guerre 33. Une telle approche gradualiste requiert de déterminer les éléments qui, dans de telles configurations, sont susceptibles de variations. On voudrait de ce point de vue souligner deux aspects particuliè-rement saillants dans les différentes contributions, qui les traversent toutes en dépit de la distance qui sépare les cas de figure dont elles traitent.

Le premier aspect se trouve dans l’importance, dans ces entre-deux de la guerre et de la paix, de dynamiques liées à l’affirmation de droits subjectifs. De façon remarquable, celles-ci occupent une place prépondérante dans toutes les études présentées, de la guerre en Afghanistan jusqu’aux centres de réten-tion pour étrangers en France : dans toutes ces situations étudiées on observe en effet des individus et des groupes qui luttent pour ce qu’ils estiment être des droits qu’ils veulent voir respectés ou pour empêcher que des droits soient bafoués par d’autres individus, groupes ou institutions. Mais les modalités de ces luttes varient, et elles varient précisément entre deux formes idéal-typiques. Lorsqu’elles se rapprochent de la première forme, ces luttes prennent l’aspect d’un affrontement dyadique dont l’issue dépend d’un rapport de forces par lequel les uns parviennent à imposer leur volonté à d’autres. Dans ce cas, les moyens engagés ne se limitent pas à la violence, mais la violence est topique de ce type de rapports. Lorsqu’elles se rapprochent, en revanche, de la seconde forme, ces luttes s’expriment par des revendications adressées à des instances tierces dont il est attendu qu’elles puissent aménager et garantir ces droits contre des revendications adverses. La médiation par un tiers installe alors ce qui se présente comme l’objectivation d’un rapport de droits 34. Dans ce type de rapport, la domination et la violence ne sont pas non plus absentes, mais elles sont soumises à une condition de légitimité : elles seront jugées légitimes lorsqu’elles s’indexent à la réalisation effective de droits ; elles seront jugées illégitimes lorsqu’elles seront perçues comme la manifestation d’une adversité, mais dans ce cas, le tiers apparaitra ne plus en être un, mais, en réalité, un élé-ment d’un rapport de forces. Envisagée dans cette perspective, l’indétermina-tion des configurations présentées tient pour une large part aux incertitudes sur le degré d’objectivité du tiers qui peut, successivement ou concomitam-ment, tantôt s’affirmer et favoriser les rapports de droits et, par-là, impulser une

33. Cette démarche amène nécessairement à réinterroger les approches qui ne tiennent pas suffisamment compte du caractère irréductible de ces états intermédiaires et les réordonnent parfois hâtivement à une matrice conceptuelle unique et univoque. Sous ce rapport, il n’est pas indifférent de constater que plusieurs des contributions à ce dossier engagent un dialogue critique avec les travaux qui prennent appui sur l’épis-témologie de l’exception.34. La notion d’objectivation est ici entendue au sens de Weber (M.), Wirtschaft und Gesellschaft: Grun-driss der verstehenden Soziologie, Tübingen, J. C. B. Mohr (Paul Siebeck), 1980. Également, Dobry (M.), Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de Sciences Po, 2009 ; Bourdieu (P.), Sur l’État. Cours au Collège de France (1989-1992), Paris, Éditions du Seuil-Raisons d’agir, 2012.

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pacification, tantôt s’effacer et laisser place aux rapports de forces, propices aux logiques guerrières 35.

Ce nouage mobile entre la revendication de droits subjectifs et l’exercice de la violence collective nous place dans le prolongement immédiat des théories de la formation de l’État, notamment de celles qui sont issues de la tradition allemande 36. Et les perspectives ouvertes sur la question de l’État apparaît effec-tivement être le deuxième aspect particulièrement prometteur de l’étude de ces situations prises entre la guerre et la paix. La sociologie de la formation de l’État se donne le plus souvent pour objets les processus de longue durée, géné-ralement étudiés dans le contexte européen, qui ont vu l’émergence de l’État moderne. Dans ces travaux, le point de départ, caractérisé par un niveau de vio-lences élevé – descriptible au Moyen Âge par l’importance des vendettas (vin-dicta), des faides (Fehde, faida), des rixes (rixa) ou encore des guerres (bellum, werra, guerra) 37 – fait l’objet d’une attention soutenue, de la même manière que le point d’arrivée, avec un État suffisamment formé, organisé, affirmé pour permettre le contrôle des violences et par conséquent la pacification de l’ordre social et politique. Entre les deux, soit une période de plusieurs siècles, les évo-lutions sont toutefois la plupart du temps traitées dans la seule perspective de l’orientation d’ensemble du processus. Tout l’intérêt des articles contenus dans ce dossier tient à ce qu’ils portent sur des situations similaires à celles qui valent, pour la sociologie historique de l’État, comme de simples étapes transitoires, et que, étant donné que tout terme est imprévisible, ils leur restituent toute l’incertitude qui les caractérise.

Ce faisant, le gain est celui d’une plus grande précision dans la saisie des phénomènes d’étatisation, mais aussi, en sens inverse, de désétatisation et des réalités auxquelles ces mouvements inachevés donnent lieu : « décrets sans numéros » dans l’entre-guerres tchadien, cours de justice Taleban, ferments

35. On remarquera que ce que nous qualifions ici de rapports de forces et de rapports de droits n’est pas sans rappeler la distinction faite de longue date, dans le domaine de la sociologie pragmatique, entre épreuves de force et épreuves de légitimité. S’il a été montré que ces deux types d’épreuves ne s’excluent pas absolument, mais sont susceptibles de se transformer dans un sens ou dans l’autre, il nous semble toutefois que la plus ou moins grande incertitude sur le tiers caractérise mieux cette possibilité de variation que la notion de « contournement » proposée par Luc Boltanski et Ève Chiapello (Boltanski (L.), Chapello (È.), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999).36. On renvoie ici au petit livre classique de Rudolph von Jhering, récemment republié avec une présenta-tion d’Olivier Jouanjan : Jhering (R. von), La lutte pour le droit, Paris, Dalloz, 2006 [1re éd. all. 1872]. Dans ce livre, le lien entre droits subjectifs et violence légitime apparaît avec une particulière netteté sous la plume de celui qui a été le premier à définir l’État par le « monopole de la contrainte », dans une formulation qui sera reprise ultérieurement par Max Weber dans sa propre conception de l’État, conception qui doit par conséquent être comprise dans son lien interne avec le problème des droits subjectifs. Sur cette question, Colliot-Thélène (C.), « Pour une politique des droits subjectifs : la lutte pour les droits comme lutte poli-tique », L’Année sociologique, 59 (1), 2009.37. Cf. Naegle (G.), dir., Frieden schaffen und sich verteidigen im Spätmittelalter / Faire la paix et se défendre à la fin du Moyen Âge, München, R. Oldenbourg Verlag, 2012.

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d’un ordre retrouvé et en même temps entreprises de guerre, traitements de mili-tants politiques en ennemis, actuels ou potentiels, que ce soit par des procédures policières (comme dans le cas des « délinquants subversifs » en Amérique latine) ou par l’extension du renseignement militaire à des populations civiles (comme dans le cas des mesures de surveillance décrites par A. Rios-Bordes aux États-Unis), lois dérogatoires et temporaires, calibrées sur des populations jugées « à risques » comme dans le cas du régime colonial en Algérie (ou ailleurs), tentatives d’établir des formes de justice parallèles comme c’est le cas avec la charte d’ishlah signée en Indonésie, partenariats entre institutions publiques et officines privées, réputées pour leurs savoir-faire coercitifs dans le contexte de la Russie de Poutine, présence d’associations de défense des libertés dans les centres de rétention pour surveiller des agents d’un État qui apparaît n’être pas encore tout à fait, en ces lieux, un État de droit… – cette simple liste issue des articles réunis ici dessine à elle seule un espace déjà si composé qu’on se convainc aisément de l’intérêt qu’il y a de faire de ces formes politiques inter-médiaires ou, plus exactement, instables – au sens où l’on parle, en physique, d’équilibres instables – des objets de recherche à part entière.

*

Une dernière remarque pour conclure cette introduction, sur un problème qui, pour peu explicité qu’il soit dans les différentes contributions, se tient d’une certaine façon à leur arrière-plan. Ce problème a trait à ce que Hans Joas et Wolfgang Knöbl ont identifié comme le « refoulement de la guerre » dans les sciences sociales 38. Par là, les auteurs formulent le constat, difficilement contes-table, que les instruments que les sciences sociales, en héritières du projet d’une modernité pacificatrice 39, tendent à placer la guerre à l’écart de la société, hors du périmètre de la Vergesellschaftung. Or, s’il est vrai, comme l’affirme la thèse des nouvelles guerres, que nous assistons aujourd’hui à un retour de la guerre au cœur des sociétés, s’il est vrai, de plus, que cette évolution nous amène à nous rendre sensibles au fait que la guerre a en réalité toujours contribué, au moins à titre d’horizon, à façonner les sociétés, alors les sciences sociales sont confrontées à un défi qui touche à leur constitution, c’est-à-dire à la conception même qu’elles se font du lien et de l’ordre sociaux. C’est à relever ce défi que peut contribuer l’attention aux contextes ni pleinement guerriers ni pleinement pacifiques, en tant qu’ils donnent à voir un état limite de la socialité.

38. Joas (H.), Knöbl (W.), Kriegsverdrängung: ein Problem in der Geschichte der Soziologie, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2008.39. Cf. Reemtsma (J. P.), Confiance et violence. Essai sur une configuration particulière de la modernité, Paris, Gallimard, 2011.

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Dominique Linhardt et Cédric Moreau de BeLLaing 23

Dominique Linhardt est chargé de recherche au CNRS. Cédric Moreau de BeLLaing est maître de conférences à l’École normale supérieure. Ils mènent leurs recherches au Laboratoire interdisciplinaire d’études sur les réflexivités (LIER), une composante de l’Ins-titut Marcel Mauss (UMR 8178) de l’École des hautes études en sciences sociales. Ils

développent actuellement un programme de recherche sur les transformations concomitantes des violences collectives et des ordres politiques, notamment dans le cadre du projet (NI) ² – Ni guerre, ni paix : les nouages de la violence et du droit dans la formation et la transformation des ordres politiques (ANR-13-BSH1-0003-01).

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