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Faire la guerre pour un Mali démocratique : lintervention militaire française et la gestion des possibilités politiques contestées BRUNO CHARBONNEAU Université Laurentienne JONATHAN SEARS Menno Simons College Le 11 janvier 2013, les forces militaires françaises lançaient lopération Serval afin de libérer le Nord du Mali de la menace salafiste. 1 Le président François Hollande justifiait cette intervention militaire par la demande du président malien par intérim Dioncounda Traoré qui reconnais- sait ainsi lincapacité de lÉtat malien à faire face à un sérieux problème de sécurité. La légitimité recherchée et la nécessité supposée de lintervention reposaient donc sur larticulation entre la possibilité de leffondrement de lÉtat malien (ou du moins son incapacité à gérer la crise) et la menace dite terroriste. Selon le gouvernement français, le bon déroulement de lélection présidentielle de juillet 2013 faisait gage du succès et de lutilité de lopération militaire. En effet, la guerre a été expliquée, tant par le gouvernement français que par plusieurs analystes, par lincapacité de lÉtat malien à répondre à la menace de groupes armés (pour certains, nommés « terroristes »). Bien quune telle explication soit partiellement valide, la prémisse silencieuse est linstitutionnalisation dun imaginaire géographique et sociopolitique dominant qui constitue et décrète lexistence territoriale et souveraine de lÉtat-nation du Mali. Cet article ne cherche pas à expliquer, dans le sens strict (et positiviste) du terme, les raisons de lintervention militaire française. Bien que nous admettions les problèmes liés aux groupes sala- fistes, nous voulons éviter une forme « dexplication » qui participe à la construction de discours qui construisent la guerre comme une pratique politique légitime et nécessaire. Nous reconnaissons les symptômes de la situation malienne, mais nous sommes très critiques du diagnostic qui entremêle les récits sur le terrorisme international et la violence islamiste en Afrique. Les discours sur les caractéristiques mondialisées et monolithi- ques de la menace islamiste cachent les dynamiques spécifiques et Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique 47:3 (September / septembre 2014) 597619 doi:10.1017/S0008423914000924 © 2014 Canadian Political Science Association (lAssociation canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Faire la guerre pour un Mali démocratique

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Faire la guerre pour un Mali démocratique :l’intervention militaire française et la gestiondes possibilités politiques contestées

BRUNO CHARBONNEAU Université LaurentienneJONATHAN SEARS Menno Simons College

Le 11 janvier 2013, les forces militaires françaises lançaient l’opérationServal afin de libérer le Nord du Mali de la menace salafiste.1 Leprésident François Hollande justifiait cette intervention militaire par lademande du président malien par intérim Dioncounda Traoré qui reconnais-sait ainsi l’incapacité de l’État malien à faire face à un sérieux problème desécurité. La légitimité recherchée et la nécessité supposée de l’interventionreposaient donc sur l’articulation entre la possibilité de l’effondrement del’État malien (ou du moins son incapacité à gérer la crise) et la menacedite terroriste. Selon le gouvernement français, le bon déroulementde l’élection présidentielle de juillet 2013 faisait gage du succès et del’utilité de l’opération militaire.

En effet, la guerre a été expliquée, tant par le gouvernement françaisque par plusieurs analystes, par l’incapacité de l’État malien à répondre àla menace de groupes armés (pour certains, nommés « terroristes »). Bienqu’une telle explication soit partiellement valide, la prémisse silencieuseest l’institutionnalisation d’un imaginaire géographique et sociopolitiquedominant qui constitue et décrète l’existence territoriale et souveraine del’État-nation du Mali. Cet article ne cherche pas à expliquer, dans le sensstrict (et positiviste) du terme, les raisons de l’intervention militairefrançaise. Bien que nous admettions les problèmes liés aux groupes sala-fistes, nous voulons éviter une forme « d’explication » qui participe à laconstruction de discours qui construisent la guerre comme une pratiquepolitique légitime et nécessaire. Nous reconnaissons les symptômes de lasituation malienne, mais nous sommes très critiques du diagnostic quientremêle les récits sur le terrorisme international et la violence islamisteen Afrique. Les discours sur les caractéristiques mondialisées et monolithi-ques de la menace islamiste cachent les dynamiques spécifiques et

Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique47:3 (September / septembre 2014) 597–619 doi:10.1017/S0008423914000924© 2014 Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique)and/et la Société québécoise de science politique

l’enchâssement local des Islamistes radicaux et autres groupes rebelles auMali.

La manière dont le problème est formulé autorise et donne force aujugement prononcé sur la légitimité de l’utilisation de la violence internatio-nale (Charbonneau, 2008 et 2014). Nous posons plutôt que ledéveloppement sociohistorique des interprétations identitaires et spatialesqui ont justifié (parfois a posteriori) l’intervention militaire de 2013 doitêtre problématisé et inséré dans l’analyse. Les explications dominantes,émanant largement des études de sécurité, requièrent des identités et desespaces identitaires déjà institutionnalisés. Pourtant, la guerre affirme,impose et reproduit des identités spécifiques et des configurations institu-tionnelles (Barkawi et Brighton, 2011). Selon Michael Shapiro, les objectifsontologiques de la guerre « sont sur-cryptés par des discours officiels etbureaucratiques de l’État moderne » qui légitiment la violence militairesur la base d’intérêts de sécurité et qui dissimulent « les enjeux identitairesdes hostilités » (Shapiro, 1995 : 111).

Plus précisément, la question identitaire renvoie à la nature contestéedes possibilités politiques maliennes et, donc, aux objectifs ontologiquesde la guerre plutôt que ses buts stratégiques. Ainsi, nous cherchons àpriver la guerre de sa nécessité et à démontrer comment l’accent mis surune nécessité dite stratégique réduit au silence le contexte spécifique etses dynamiques qui ont mené à la crise. En particulier, nous identifionscomme problématique la prémisse analytique selon laquelle le Mali estun État-nation démocratique et entièrement formé, donc susceptible d’êtrelibéré par une intervention militaire française ou internationale. La« faiblesse » ou l’incapacité de l’État malien à poursuivre ses activités sou-veraines est inextricablement liée à l’échec d’imposer et de consolider uneidentité nationale hégémonique. Des sources multiples d’autorité et delégitimité ont toujours été, historiquement parlant, en compétition avecl’État malien. Comme l’exprimait déjà Jean-Loup Amselle, le territoireest une construction historique, une aire culturelle et idéologique construitepar des gens qui s’inspirent « d’un ensemble de pratiques internes ou ex-ternes à un espace social donné que les acteurs sociaux mobilisent en fonc-tion de telle ou telle conjoncture politique » (1990 : 13). Cette compétitionsouligne l’importance des processus de construction de la nation et del’État, mais aussi le rôle (actuel et potentiel) de l’action militairefrançaise dans la gestion des possibilités politiques contestées. Bien quela guerre française puisse être jugée comme ayant été nécessaire à l’arrêtde l’offensive des divers rebelles du Nord, le déploiement de la violencemilitaire internationale a inévitablement déplacé les limites despossibilités politiques maliennes.

Cet article propose une étude de cas qui articule l’interaction entrele déploiement de la violence internationale et la construction contestéede l’État et de l’imaginaire politique maliens. Nous concluons que

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l’intervention militaire française au Mali est un cas de la militarisationinternationalisée de la gouvernance démocratique, avec pour effet doublede consolider le modèle de gouvernance d’avant-guerre et de militariserdavantage la région. Les deux premières sections analysent les efforts deguerre français. Les deux suivantes discutent de la spécificité politique ethistorique du Mali afin d’éclairer les effets de la guerre française. Enfin,la dernière section et la conclusion analysent la transformation du conflitet les conséquences de l’intervention internationale. Nous soutenons que,contrairement aux analyses axées sur la sécurité, les frontières et leslimites du conflit malien ne sont pas uniquement territoriales mais identi-taires et idéologiques.

Résumé des crises de 2012

Les événements les plus rapprochés menant à la guerre de la France au Maliont commencé en janvier 2012. Le Mouvement national de libération del’Azawad (MNLA) attaquait les positions maliennes dans le Nord dupays. Rapidement, les groupes armés islamistes Ansar Eddine,2 mené parle leader touareg Iyad ag Ghali, et le Mouvement de l’unicité du jihad enAfrique de l’Ouest (MUJAO) joignaient la rébellion armée. Ces deuxgroupes avaient préalablement établi des liens avec Al-Qaida au Maghreb

Résumé. Le 11 janvier 2013, le président François Hollande justifiait une intervention militairefrançaise au Mali sur la possibilité de l’effondrement de l’État malien face à une rébellion arméedans le Nord du pays. La guerre était ainsi autorisée et expliquée par l’incapacité de l’Étatmalien à répondre à la menace. Ces explications et analyses centrées sur les enjeux sécuritairescachent plus qu’elles ne révèlent, notamment les objectifs ontologiques de la guerre et sesenjeux identitaires. Afin de les révéler, cet article articule l’interaction entre le déploiement de laviolence internationale et la construction d’un État et d’un imaginaire politique maliens. Nous con-cluons que la paix au Mali en 2013 a été recherchée par la militarisation de la gouvernancedémocratique, avec pour effet de consolider le modèle de gouvernance d’avant-guerre.Contrairement aux analyses axées sur la sécurité, cet article démontre que les frontières et leslimites du conflit malien ne sont pas seulement territoriales, mais identitaires et idéologiques.

Abstract. On 11 January 2013, French president François Hollande justified a military interven-tion in Mali on the basis of the possible collapse of the Malian state, which faced an armed rebellionin the north of the country. Thus, the war was authorized and explained by the inability of theMalian government to respond to the threat. However, explanations and analyses that focus onsecurity hide more than they reveal, including the ontological aims of the war and its identitystakes. To uncover these aspects, this article articulates the interaction between, on the one hand,the deployment of international violence, and, on the other, the construction of the state and thepolitical imagination in Mali. This article concludes that peace in Mali was sought through the mil-itarization of democratic governance, effectively reinforcing the prewar governance model. Unlikeanalyses focused on security, this article demonstrates that the boundaries and limits of the Malianconflict are not only territorial but also ideological and identity-based.

islamique (AQMI) durant la décennie précédente. Entre janvier et mars, lesgroupes islamistes gagnaient en force et évinçaient, vers la fin juin, lesrebelles du MNLA. Entre juillet 2012 et janvier 2013, Ansar Eddine,MUJAO et AQMI contrôlaient les trois régions du Nord de Kidal,Tombouctou et Gao.3

La situation au Nord s’aggravait de par les réactions dans la capitaleBamako. Le 22 mars 2012, le capitaine Amadou Haya Sanogo menaitune mutinerie qui se transforma en coup d’État contre le régime duPrésident Amadou Toumani Touré. Sanogo justifiait son coup d’État ens’appuyant sur trois points : l’incapacité du régime à répondre et réagirface à la rébellion, la détérioration de la situation dans le Nord et l’Étatembarrassant de l’armée malienne. Il promettait que l’armée allait reprendrele Nord et réaffirmer la souveraineté du Mali, mais il réussit seulement àexacerber la crise. À partir de ce moment, la crise prenait deux directionsparallèles sans lien évident entre eux (Marchal, 2012). À Bamako, lesélites politiques se concentraient sur leur jeu de pouvoir, divisées qu’ellesétaient entre les camps du président par intérim Dioncounda Traoré, dupremier ministre Cheick Modibo Diarra et du capitaine Sanogo. Le coupd’État divisait profondément le Mali, mais pas nécessairement sur l’axenord-sud ou selon une division séculaire-islamiste. Ces clichés trèsrépandus obscurcissent les effets de « l’érosion de la démocratie, lahausse de la criminalité et l’impunité des agents de l’État » qui « ontpermis à des groupes variés de prospérer dans le Nord, de gagner duterrain et, dans certains cas, une légitimité populaire » (Wing, 2013 : 481).

Les changements d’alliance des groupes rebelles du Nord, (entre soi-disant « islamistes » et « nationalistes ») et l’incertitude autour del’autorité politique à Bamako (avant l’élection de juillet 2013) expliquentpartiellement l’absence d’action internationale concertée en 2012. Le jourde son inauguration (15 mai 2012), le président Hollande mettait le Maliau haut de la liste des priorités du ministère des affaires étrangères, souten-ant que son prédécesseur avait négligé les risques que représentait ladéstabilisation du Mali (« Mali : histoire secrète d’une guerre surprise »,2013). Toutefois, les diplomates français furent incapables de persuaderleurs collègues du Conseil de sécurité et de l’Union européenne, notammentles Américains qui n’étaient pas convaincus que les groupes dans le Sahelreprésentaient une menace sécuritaire contre eux (Entretien informel, hautfonctionnaire du National Intelligence Council, Washington, DC, 14 mars2014).4 C’est seulement en juillet, après la destruction des mausolées deTombouctou, que l’ambassadeur français aux Nations Unies réussissait àfaire passer une résolution prudente qui prenait note de la requête de laCommunauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) etde l’Union africaine (UA) pour un mandat autorisant le déploiementd’une force de stabilisation. La Résolution 2056 (5 juillet 2012) priait leSecrétaire général « d’arrêter et de mettre en œuvre, en consultation avec

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les organisations régionales, une stratégie intégrée de l’ONU pour la régiondu Sahel touchant les questions de sécurité, de gouvernance, dedéveloppement et de droits de l’homme et les questions humanitaires ».

La prudence de la résolution n’incitait pas à une action internationalerapide. Le déploiement de troupes de la CEDEAO fut retardé par la junte deSanogo qui s’opposait à une intervention internationale, par les membresde la CEDEAO qui doutaient de la capacité d’intervention de l’organisationet qui négociaient des avantages politiques et les mesures financièresassociées et par les membres du Conseil de sécurité de l’ONU,particulièrement les États-Unis, qui mettaient en question la capacité, lacompétence et les objectifs opérationnels d’une force de la CEDEAO. Ennovembre, le Secrétaire général exprimait ses craintes qu’une interventionmilitaire « qui serait mal conçue et mal exécutée pourrait aggraver une sit-uation humanitaire déjà extrêmement fragile » et « risquerait aussi de ruinertoute chance de solution politique négociée de la crise » (Conseil de sécuritédes Nations Unies, 2012 : 22). Après de longues négociations, le 20décembre le Conseil de sécurité autorisait la Mission internationale desoutien au Mali (MISMA) sous conduite africaine (Résolution 2085).La résolution ne prévoyait pas une reconquête du Nord. L’armée maliennedevait être entraînée et travailler avec la MISMA, mais les événements dejanvier transportaient la crise dans sa phase de guerre française, rendantainsi caduque la MISMA.

Une guerre contre le terrorisme?

Si en 2012 peu semblait pressant du point de vue de la communauté inter-nationale, comment comprendre l’intervention militaire française alors que,pendant tout l’automne, le président Hollande répétait que son gouverne-ment n’engagerait pas de troupes au sol au Mali? Tout au cours de 2012,la diplomatie et le gouvernement français accumulaient les frustrations depar la réticence du Conseil de sécurité et des États-Unis, par le manqued’intérêt de l’Union européenne et par les rencontres peu concluantes dela CEDEAO (Marchal, 2013a : 488). La Résolution 2085 autorisait uneforce africaine, mais ne contenait aucun calendrier ou mécanisme degénération de troupes. Le gouvernement français avait néanmoins quelquesalliés. Le président duNiger,Mahamadou Issoufou, recommandait fortementune action militaire rapide afin de sauver son pays de la « contagion ». Lesprésidents Macky Sall (Sénégal) et Alpha Condé (Guinée) étaient aussi enfaveur d’une telle solution.5

En 2013, la raison officielle justifiant la guerre de la France fut que lasituation avait évolué « à la vitesse de la lumière » lorsque les rebelles selancèrent vers le sud, prétendument, vers Bamako. Un tel scénario étaiten fait peu probable. Les trop peu nombreuses forces rebelles auraient eu

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bien du mal à conquérir et contrôler tant le Nord du pays que la capitale dedeux millions d’habitants. Néanmoins, en 2013, Hollande changeait sondiscours:

Le Mali fait face à une agression d’éléments terroristes, venant du Nord,dont le monde entier sait désormais la brutalité et le fanatisme. Il en vadonc, aujourd’hui, de l’existence même de cet État ami, le Mali, de lasécurité de sa population, et celle également de nos ressortissants […]Cette opération [militaire] durera le temps nécessaire […] Les terroristesdoivent savoir que la France sera toujours là lorsqu’il s’agit non pas deses intérêts fondamentaux mais des droits d’une population, celle duMali, qui veut vivre libre et dans la démocratie (Hollande, 2013; le sou-lignement italique est le nôtre).

À quelques exceptions près, dès les premiers jours de 2013, les discussionsdu conflit malien ont été délimitées par les discours sur la menace islamisteen Afrique (sur ces discours, voir Smith, 2010). L’attaque et la prised’otages à l’installation pétrolière In Amenas en Algérie (16 janvier2013) furent interprétées par certains experts médiatisés comme laconfirmation que le conflit malien était lié à la menace mondiale d’Al-Qaïda et que, par conséquent, les espaces dits non-gouvernés du Sahelreprésentaient une menace aux intérêts occidentaux (voir, entre autres, lacouverture du quotidien français Le Monde de janvier à mars 2013). Lepremier ministre britannique David Cameron affirmait que le Mali souffraitde la soi-disant même menace existentielle qu’au Pakistan et enAfghanistan, avançant qu’il s’agissait d’une « lutte générationnelle »contre les extrémistes (« UK to Consider Boosting French MaliOperation Support », 2013).

Toutefois, comme Caitriona Dowd et Clionadh Raleigh (2013 :499) démontrent, les réponses et les réactions au conflit étaient« emblématiques de l’approche dé-contextualisée qu’ont pris les analystes,politiciens et décideurs politiques pour juger de la violence en Afrique ».Dans le cas du Mali, ces approches négligent « la nature hargneuse dedivers groupes islamistes utilisant la force pour atteindre des objectifs(souvent vaguement définis) » (Dowd et Raleigh, 2013 : 501), laspécificité locale et l’émergence historique du conflit, l’attrait etl’intégration locaux des groupes islamistes et le rôle des acteurs internatio-naux dans la production et le maintien des conditions de possibilité de lapolitique malienne. L’accent mis sur la violence islamiste et terroriste a,bien sûr, autorisé et légitimé l’intervention militaire française et internatio-nale, mais a aussi contribué à une redistribution du pouvoir au Mali : « Lesautorités par intérim ont clairement capitalisé sur la perception répandued’une menace islamiste qui a permis de recueillir efficacement un soutien

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international pour un gouvernement malien dont la réputation nationaleétait douteuse » (Bergamaschi, 2013a : 6).

Malgré les déclarations officielles et les reportages médiatisés à proposde la menace globale que les rebelles islamistes maliens représentaient, lasituation était imbriquée dans des dynamiques maliennes spécifiques. Les9 et 10 janvier 2013, la situation à Bamako est tendue. Certains mouvementspolitiques, dont la plupart avait été créée après le coup d’État de mars 2012qu’ils approuvaient, demandaient la création immédiate d’une plateformenationale et souveraine pour la transformation du Mali. Ils exigeaientégalement la démission du président intérimaire Traoré et la libérationdu Nord des mains des islamistes. Selon plusieurs rapports, lesdémonstrations devaient se poursuivre sur plusieurs jours et constituer unclimat insurrectionnel qui aurait remis au pouvoir les militaires de Kati (i.e.,les « bérets verts » loyaux au capitaine Sanogo). Différentes rumeurs d’uncoup d’État contre Traoré incluaient celle d’un accord entre les islamistes deIyad ag Ghali et quelques acteurs politiques marginalisés de Bamako afin deprendre le contrôle du pays (International Crisis Group [ICG], 2013 : 5–6;Marchal, 2013a : 486; («Mali : histoire secrète d’une guerre surprise », 2013).

Les tensions grandissantes à Bamako coïncidaient avec l’avancée desgroupes rebelles vers le sud, plus précisément vers Mopti, l’aéroport deSévaré et Konna. Cette attaque brisait l’accord tacite du printemps 2012selon lequel aucun groupe armé ne devait traverser la limite nord-sud(Bourgeot, 2013). L’inaptitude de l’armée malienne à s’opposer à l’offen-sive poussa le président Traoré à écrire à Paris. Cette lettre, dont laversion finale et révisée serait parisienne, demandait un soutien à la collectede renseignements et un appui aérien aux troupes maliennes (mais pas detroupes au sol; voir « Mali : histoire secrète d’une guerre surprise »,2013. De l’avis du gouvernement français, cette lettre légalisaitl’opération militaire. La décision d’intervenir militairement fut prise le 10janvier 2013 et l’opération Serval débuta officiellement le lendemain.6

Selon Roland Marchal (2013a : 495), « les Français s’attendaient àrésoudre une fois pour toute la question du que faire avec les putschistes». Le 22 mai 2013, devant la Commission de la défense nationale et desforces armées, le chef de l’État-major, l’amiral Edouard Guillaud, affirmaitque les directives données en janvier constituaient à : « stopper l’offensivevers Bamako et ainsi préserver l’existence d’un État malien ; détruire—cequi signifie en langage militaire neutraliser 60 % des forces ennemies—etdésorganiser la nébuleuse terroriste; aider au rétablissement de l’intégritéet l’unité territoriales du Mali; enfin, rechercher les otages, les nôtres en par-ticulier » (Assemblée nationale, 2013). Le président intérimaire devait voirson autorité renforcée, le capitaine Sanogo devait disparaître silencieuse-ment de la scène politique et les extrémistes islamistes devaient êtredétruits afin de laisser la place aux représentants considérés légitimes duNord (i.e., essentiellement pour le gouvernement français, le MNLA).

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Militairement, l’opération a été un succès. Toutefois, comme Marchal(2013b : 1) l’écrivait, « la différence entre les progrès militaires et la stag-nation politique est peut-être le problème le plus important pour lacommunauté internationale aujourd’hui au Mali ».

C’est un truisme d’affirmer que l’interposition militaire française a touttransformé. L’intérêt analytique est de savoir comment unemilitarisation inter-nationale façonne et encadre la gestion des possibilités politiques de résolutiondu conflit. L’accent mis sur la menace terroriste semble avoir mené directe-ment au diagnostic commun de l’incapacité (ou l’échec) de l’appareilétatique et à son programme d’action implicite, c’est-à-dire le statebuilding.7

La priorité première du mandat de la mission onusienne (MINUSMA),déployée parallèlement à l’opération Serval, est la « Stabilisation des princi-pales agglomérations et contribution au rétablissement de l’autorité de l’Étatdans tout le pays » (Conseil de sécurité, 2013 : 7; italique dans l’original). Le «rétablissement de l’autorité de l’État », bien qu’une formulation maintenantcommune dans les résolutions onusiennes, reflète l’articulation d’unelogique technocratique entre l’identification du problème et sa solution quijustifie l’intervention française et la présence militaire onusienne (voirChandler, 2010). Au Mali, la MINUSMA continue d’éprouver desdifficultés à distinguer clairement son mandat des opérations offensives desmilitaires français.8 Une intervention militaire internationale contre desrebelles salafistes peut être jugée judicieuse ou nécessaire, mais elle imposenécessairement des limites à la formation de l’État et à l’imaginaire politiquemaliens. Si la question de la légitimité de la violence militaire est exploréeseulement sur la base de considérations sécuritaires, toute l’histoire maliennede résistance aux puissances coloniales et aux projets coloniaux, toute l’his-toire contestée de la formation de l’État malien et tous les débats autour deleurs représentations respectives sont passés sous silence. Ces dimensionssont celles qui relient intimement les activités administratives et distributivesde l’État avec les projets de construire et consolider une identité nationalehégémonique. À leur tour, ces efforts à construire un imaginaire politiquecommun sont confrontés à la multiplicité des sites d’autorité morale et delégitimité (tant sanctionnés par l’État que les sites « traditionnels ») et doncintimement liés à la définition du territoire.

Gouvernance démocratique au Mali

Étant donné que l’intervention internationale cherche à retourner le Mali àune « vie normale », cette normalité doit être analysée. Si la France a« sauvé » le Mali d’une menace dite existentielle, il faut voir ce qu’elleaurait « sauvé ». Si la MINUSMA participe à la restauration de l’autoritéétatique, il s’agit de bien examiner la forme qu’a prise et pourraitprendre celle-ci. Comme les travaux en résolution de conflits tendent à

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démontrer, lorsque la coercition est à la base d’un système d’allocation desressources et des rôles, et que ce système est perçu comme injuste,illégitime et/ou inacceptable, la probabilité d’un conflit violent s’accroît(Ramsbotham et coll., 2011 : 129). Suite à l’opération Serval, audéploiement de la MINUSMA et au renouveau des incidents violents en2014, nous devons considérer les défis de la gouvernance et dudéveloppement dans le double contexte de la militarisation internationaledu conflit et des processus à long terme de construction de la nation et del’État au Mali.

Gouvernance démocratique

Comment les problèmes de gouvernance malienne se sont-ils articulés avec« les divisions socioculturelles grandissantes entre les élites urbaines et lereste de la population » (Van de Walle, 2012) pour donner naissance àdes défis « pas seulement pour la démocratie malienne, mais pour le Malien tant qu’État séculaire et multiethnique » (Mann, dans Lecoq et Mann,2012)? La période de la dominance du pouvoir exécutif est marquée parl’héritage des conseils et de la discipline du Fonds monétaire international,de la Banque mondiale et des donateurs bilatéraux ou multilatéraux. Les ini-tiatives de développement liées à la restructuration économique ontencouragé la centralisation du pouvoir et la concentration de la richesseet accentué les divisions sociales et économiques entre populationsrurales et urbaines et entre différents secteurs urbains. Bien que la crois-sance du produit intérieur brut (PIB) ait été relativement élevée de 2001 à2010, les effets de la restructuration (stagnation économique, augmentationde la pauvreté, détérioration des services publics) sont toujours ressentispuisque la croissance du PIB de 1990 à 2010 n’a pu égaler la croissancede la population (IMF, 2013). Les élites politiques ont ainsi éprouvé beau-coup de difficultés à équilibrer les demandes des investissements dedéveloppement à long terme et les besoins immédiats des populations lesplus vulnérables, dont 50 pour cent vivent avec moins de 1,25 $ parité depouvoir d’achat par jour (IMF, 2013).

L’importance politique des clivages socioculturels est mieux mise enévidence à la lumière des divisions au sein du leadership des mouvementsluttant contre le régime de Moussa Traoré (1968–1991). Les récits sur laconsolidation démocratique du Mali après 1991 insistent sur la diversitédes membres de la « Révolution du 26 mars 1991 », mais l’enthousiasmepour les récits d’unanimité nationale a dissimulé l’expression de divisionstranchantes (Otayek, 1999). Les divisions entre les leaders des mouvementscontestataires ont marginalisé les démocrates les plus révolutionnaires quiportaient l’héritage du populisme anticolonial et antiautoritaire, tout en per-mettant aux réformateurs démocrates et aux formalistes libéraux de consol-ider leur influence. Les réformateurs, majoritairement des intellectuels et

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professionnels de la classe moyenne (e.g., docteurs, avocats, professeurs),« avaient un pied dans l’ancien régime et un autre dans l’étrier desinsurgés » (Bagayoko, 1999 : 25). Nombreux dans les hautes sphères del’État malien, ils étaient donc « très peu enclins à accepter et encoremoins à réaliser des changements sociopolitiques profonds ». Les for-malistes libéraux incluaient une classe de dirigeants administratifs bieninsérée dans les classes supérieures et moyennes-supérieures de l’ancienrégime et qui souvent « associaient les droits sociaux avec l’anarchie »(Bagayoko, 1999 : 25–26).

En bref, les acteurs les plus radicaux étaient marginalisés par ceuxqui visaient, à partir de 1991, à légitimer un régime de développementnéolibéral grâce aux élections. S’opposant à l’établissement d’unpluralisme véritable dès la conférence nationale de juillet–août 1991,« les membres d’une fraction sociale spécifique : des employés profession-nels, éduqués, urbains qui venaient surtout du service public » (Manning,1998 : 190), ont pu structurer des réformes minimales pour le passage dela libéralisation économique sous une dictature vers une libéralisationéconomique légitimée électoralement. Cette élite démocratique enrayaitles aspirations transformatrices des acteurs marginalisés (Fay, 1995) etpuisait dans la transition démocratique les moyens de défendre leursprivilèges. Aujourd’hui, précisément à cause « de leur proximité etenchevêtrement avec l’État », les groupes non-gouvernementaux basés àBamako (incluant ceux offrant des services publics) reproduisent lespoints de vue communs aux acteurs professionnels de la société civile etdonateurs internationaux et « ont largement perdu de vue les réalités basi-ques et les dynamiques régionales du pays » (Bergamaschi, 2013a : 8). Cecicontribue à une sorte d’homogénéisation idéologique des héritiers de lavision néolibérale et formaliste. Avant même l’intervention française de2013, les possibilités futures du Mali, en termes de gouvernance et de state-building, étaient ainsi restreintes et confirmées par la vision des bailleursinternationaux.

Bien avant la transition vers la démocratie en 1991–1992, ledéveloppement de l’État-nation malien avait été façonné par les dynami-ques de la décolonisation et d’accès à l’indépendance. Par conséquent,démocratisation et statebuilding doivent être insérés dans une histoire quiinclut un passage d’un régime colonial à un régime autoritaire et, ensuite,une transition d’un régime autoritaire à une période de libéralisationéconomique et de démocratisation. Sans explorer les histoires dedécolonisation et de nationalisme militant dans la région (voir Giraud,2013), les réalités quotidiennes des communautés rurales et minoritairessont coupées des visions dominantes d’élites politiques dépendanteséconomiquement des donateurs internationaux. Grâce à ces élites, lestatut international de « modèle-à-suivre » du Mali a obscurci davantageles lacunes persistantes de la gouvernance démocratique du pays

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(Bergamaschi, 2013b; Roy, 2010). Les points de vue nationaux et interna-tionaux convergeaient, médiés par une dépendance à l’aide internationale etce statut de modèle-à-suivre. Ainsi, les partenariats nationaux-internatio-naux, largement menés par les acteurs internationaux, ont encouragé « àréduire la responsabilité du pouvoir exécutif du gouvernement » (Van deWalle, 2012). Le modèle de « bonne gouvernance » a compromis la consol-idation démocratique en Afrique depuis au moins les années quatre-vingt-dix (Abrahamsen, 2000; Bergamaschi, 2007), alors qu’en 2013 l’accentétait de nouveau remis sur le processus électoral et le déroulement d’uneélection présidentielle comme moyen de sortie de crise. Cet enthousiasmepour la démocratie procédurale ignorait de nouveau « plusieurs menacesstructurelles et de longue date à la consolidation démocratique au Mali »(Van de Walle, 2012) que le double agenda international de la sécurité etdu développement n’a pas abordées.

La création d’une culture de consensus

Depuis le début des années quatre-vingt-dix, certains éléments sociocultur-els ont participé à la légitimation électorale du processus de formationde l’État malien. Sous le gouvernement d’Alpha Oumar Konaré (1997–2002) et au début du régime d’ATT (2002–2005), les appels auxhéritages de cohésion sociale, de « réconciliation » et « d’unité » ontservi à obscurcir des injustices enracinées de violation, d’exploitationet d’inégalité structurelle (Baudais et Chauzal, 2006; Gavelle et coll.,2013). Face, en outre, à la rébellion Touareg de 1990–1995, ces discoursapparaissent comme cruciaux pour légitimer la démocratie de marché et,bien que critiquée, l’expansion d’une administration étatique sur le territoirenational grâce à un mélange de moyens coercitifs et persuasifs sous l’égidede la démocratisation et la décentralisation. Les promesses de ladécentralisation administrative faites par Konaré à la fin de la rébellionTouareg (1996) étaient renouvelées en 2002 par le gouvernement d’uniténationale d’ATT. Cependant en mars 2013, le président par intérimDiacounda Traoré reconnaissait que « le processus de décentralisation[…] a connu l’enlisement » (Maliactu, 2013).

Les promesses de s’occuper des populations marginalisées ont eu deseffets peu durables, comme le suggèrent les rebellions touaregs successives(1962–1964, 1990–1995, 2006) et la formation de groupes d’autodéfense etd’auto-assistance (Grémont et coll., 2004; IRIN, 2012). L’idée fixe desautorités maliennes d’une culture « nationale » comme ancre potentielle àla légitimation d’un système politique et économique néolibéral a bienété articulée pour et avec l’aide d’alliés et bailleurs internationaux,comme la France et les États-Unis. Selon l’Afrobarometer, lespréférences maliennes « défient le paradigme d’économie de marché »,lui préférant une « démocratie économique » qui « satisfait les besoins

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économiques de tous les citoyens » (Coulibaly et Diarra, 2004 : 35). Étantdonné que « la légitimation du marché dépend de la découverte des facteurs[de formes culturelles familières] qui déterminent l’appui aux réformesnéolibérales » (Coulibaly et Diarra, 2004 : 36), les acteurs politiquesétatiques et non-étatiques ont construit de telles formes culturelles dansun discours de culture nationale. Cette soi-disant culture « malienne »,qui reflèterait des avantages pour la consolidation démocratique, estbasée sur le centre politique, économique et démographique du Sud duMali et résonne peu ou pas chez les minorités, particulièrement dans leNord et sur les rives de la rivière Niger, même si des élites parmi cesgroupes ont pu être cooptées par Bamako (Giraud, 2013; Sears, 2007).

L’héritage des présidents Modibo Keïta (1960–1968) et Moussa Traoré(1968–1991) comprend 30 années « d’éducation civile et morale » soulig-nant l’unité et la discipline des « membres-militants » dans l’État,disséminant une idéologie centralisatrice et imposant des mesures sévèresde discipline sociale et partisane (Kouyaté, 1964; voir aussi Coquery-Vidrovitch, 1974). Les récits d’expérience historique commune exagèrentl’inclusivité du projet de construction de l’État-nation dans la périodepost-autoritaire. Dès l’indépendance, les leaders maliens tentaient deforger un sentiment identitaire national grâce à des symboles, le partiunique, l’idée d’une armée nationale populaire et un système nationald’éducation (Diarrah, 1991). Dans les années quatre-vingt-dix, s’ajoutaità l’héritage d’un État centralisateur et clientéliste, la promotion d’un proc-essus démocratique tel que conçu et soutenu par les bailleurs et ONG inter-nationaux. En partie grâce à l’appui international, l’État malien, avec desacteurs parrainés de la société civile, a été capable depuis 1991 de maintenirdes programmes de « promotion de la démocratie » et d’acculturation des« citoyens-électeurs » appartenant à une communauté politique nationale.Cette identité a surtout pris racine chez les acteurs liés à l’économie polit-ique de l’aide internationale. Ces acteurs majoritairement francophones etBamanan, essentiellement éduqués, urbains et professionnels, ont dominéla culture politique nationale durant les décennies de démocratisation. Lesactivités de formation de la conscience citoyenne du gouvernementmalien, des gouvernements étrangers et des acteurs non-gouvernementauxont principalement mis l’accent sur une identité citoyenne formelle compat-ible avec la démocratie procédurale où la participation aux élections estlimitée par la consolidation institutionnelle d’un État néolibéral minimaliste(Bergamaschi, 2013b, 2011; Sears, 2007).

En misant sur la formation d’une identité citoyenne formelle, lesrégimes Konaré et ATT visaient la gestion des demandes populaires(contestées et potentiellement déstabilisantes) revigorées par l’ouverturepolitique des années quatre-vingt-dix. Une telle gestion était concernéepar la cohésion d’une classe politique définie étroitement aux dépensd’activités politiques formelles répondant aux demandes de la majorité

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de la population. Afin de minimiser l’influence de la diversité ethno-linguistique et les effets des inégalités, les régimes d’après-1991 sesont ainsi concentrés sur la cohésion sociale et la (re)production d’unimaginaire politique mythologique à l’intérieur d’un « grand Mali »,soit un important « symbole politique contemporain dans le contextede la démocratisation malienne » (Smith, 2003 : 39; voir aussiHolder, 2013).

L’historienne et écrivaine Adame Bâ Konaré illustre l’historiographienationaliste lorsqu’elle souligne que l’épopée Sundiata est « plus que l’his-toire vécue », car ses actes « sont les ingrédients culturels définis pour tousles temps » (Konaré, 2000 : 16). Interprétant ainsi l’histoire de la fondationet du règne de l’Empire du Mali sous Sundiata Keïta du treizième auquinzième siècle, elle affirme que l’interdépendance des normes et des pra-tiques gouvernant les relations politiques et économiques a construit « unevéritable identité malienne avec des caractéristiques et valeurs communesqui sont internalisées et partagées » (Konaré, 2000 : 15). Cette symbologieet historiographie formulent une épopée fondatrice de la nation et affirmentque « tous ces éléments, internalisés dans la mémoire collective, sontrappelés à la surface et invoqués afin de protéger le Mali des conflits ethni-ques » (Konaré, 2000 : 22). Une telle historiographie est très problématique.Elle a néanmoins influencé le discours politique contemporain dans dessphères d’activités multiples, incluant l’administration publique, les ONGlocales orientées vers les bailleurs internationaux et les ONG étrangères(Sears, 2007). Elle illustre également l’articulation sélective d’un héritageculturel dominant (Mandé/Bamanan) avec l’orientation internationale dom-inante à des fins de légitimation électorale d’un régime de gouvernancelibérale.

Ceux qui disputent ce discours nationaliste continuent de s’appuyer surdes mécanismes indigènes de régulation sociale basés sur la coexistence etl’interaction entre de multiples éléments de conventions locales, droitétatique, et normes des intervenants internationaux, chacun reposant surdifférentes sources de légitimité (Djire et Dicko, 2007). La vigueur desmodes alternatifs et non-étatiques de régulation sociale (incluant lesformes hybrides et les revendications à propos de l’autorité morale)relance les débats et questionnements fondamentaux sur la formation dela communauté politique malienne. Les insatisfaits maliens de ladémocratisation dénoncent la corruption, l’inefficacité administrative, l’op-portunisme des partis politiques et le « consensus » et ainsi trouvent échodans les promesses de purification morale et d’établissement de l’ordrefaites en 2012 par les putschistes et les Islamistes (Wing, 2013). Commeun projet de développement en partenariat avec les acteurs internationaux,la légitimation morale de la démocratie néolibérale demeure après 20années un enjeu fondamental des luttes politiques autour de la TroisièmeRépublique du Mali.

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L’élection présidentielle de 2013

C’est donc dans ce contexte historique que nous pouvons examiner la trans-formation du conflit et la prétention selon laquelle la France militaire peut «sauver » la démocratie malienne et permettre l’élection présidentielle dejuillet 2013. Les crises des 18 mois précédents imposaient pour plusieursl’importance de l’unité et de la collaboration. En effet, appuyant lesappels à la réconciliation nationale, la réforme de l’armée, la lutte contrele terrorisme et la corruption et la reconstruction économique, le taux departicipation (48,98% au premier tour et 45,78% au deuxième) et lesoutien au président élu Ibrahim Boubacar Keïta suggéraient un mandatrobuste pour celui-ci (Keïta, 2013).

Keïta cherche toujours à incarner l’identité du « farouche opposant del’ancien président renversé Amadou Toumani Touré et sa gestion catastro-phique du pays » et ainsi « symboliser la rupture avec l’ancien régime cor-rompu, tant espérée par les Maliens » (Diffalah, 2013). Le défi, tel quedésiré par les élites nationales et internationales, est d’apporter de « vrais» changements et repose sur la capacité supposée de Keïta à construire laréconciliation nationale. Comme le porte-parole du Quai d’Orsay,Philippe Lalliot, l’affirmait : « Nous notons avec satisfaction que,conformément aux déclarations du président Keïta, la justice et laréconciliation constituent une priorité pour les nouvelles autorités mali-ennes » (« La France salue la formation du nouveau gouvernementmalien », 2013), un sentiment rappelé par Laurent Fabius en février 2014(France, 2014). Néanmoins, malgré le soutien pour Keïta au sein du parle-ment malien (entre 78 et 86%), le taux faible de participation électorale (37–38 %) qualifie ces résultats autrement qu’un simple soutien massif à songouvernement (Union interparlementaire, 2014). De plus, comme le noteInternational Crisis Group, la marge de manœuvre pour « s’engager dansdes réformes sérieuses et un dialogue inclusif » se rétrécit « alors que lesvieilles pratiques clientélistes commencent à réapparaitre » (ICG, 2014)et que Keïta ramène un certain nombre d’administrateurs pour leursdeuxième et troisième mandats (Daou, 2013).

L’autorité, la légitimité et la capacité à accomplir une telle réconciliation,par contre, demeurent les enjeux principaux et sont loin d’être garantis. Keïtaprenait la tête d’un État qui doit non seulement gérer les effets de l’insurrec-tion et du coup d’État de 2012, mais aussi l’héritage du déclin démocratiqueduMali auquel il a participé comme figure politique prédominante, alors quel’automne 2013 et le printemps 2014 voyaient la résurgence des tensions etcombats violents au Nord, particulièrement autour de Kidal, et que son gou-vernement se retrouvait dans l’embarras avec les bailleurs internationauxautour de l’achat d’un nouvel avion présidentiel.

Un thème récurrent de la période de démocratisation, la « réconciliation» est présentée comme le « style africain » de construire le consensus

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contrairement au « style occidental » plus conflictuel. Cependant, de quelleréconciliation, pour qui et pour quoi, parlons-nous? Jusqu’à quel point lesconflits sociaux sont-ils mis en sourdine par la réconciliation? Face à peuou pas de meilleures options à la vision de la « réconciliation nationale »promue par les autorités gouvernementales et internationales, le silenceimposé sur les conflits sociaux ont continué à nourrir les sentiments d’insur-rection et semble entraver la conception de formes politiques non- violentes(par exemple, le développement d’une économie politique décentralisée, uncadre pour la formation de la dissidence et/ou la mobilisation et la création denouvelles normes). La consolidation de la démocratie malienne sera mesuréenon seulement sur la capacité du gouvernement IBK à réaffirmer l’autoritéde l’État, mais aussi sur sa capacité à dépasser les limites d’un pluralismepolitique tronqué et donc à résister au retour d’une démocratie de façadedont les illusions ont été violemment brisées par l’insurrection et le coupd’État.

Toutefois, cette réconciliation se fera dans le contexte d’une présencemilitaire internationale et des limites que cela impose. Les résultats del’élection ne doivent pas détourner notre attention critique de la « culturedu consensus » telle que construite par les acteurs nationaux et internatio-naux, particulièrement pendant le régime d’Amadou Toumani Touré(2002–2012), et comment ce « consensus » est imposé militairement. Leredéploiement du dispositif militaire français au Mali et au Sahel9 et laforte présence militaire onusienne (12 000 troupes) participent à plusieursniveaux à l’établissement de conditions et à la militarisation de l’espacepolitique malien.

Intervention internationale et militarisation de la paix au Mali

L’intervention militaire internationale en 2013 peut être interprétéecomme la libération du Mali des mains de rebelles salafistes oucomme un exemple de néocolonialisme. Les troupes françaises ont étéapplaudies par les Maliens. François Hollande était accueilli en héros na-tional à Bamako et Tombouctou. Le ministre français des Affairesétrangères, Laurent Fabius, jubilait à la vue du succès de l’opérationet à l’autorisation obtenue pour le déploiement d’une force de maintiende la paix de l’ONU. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, a long-temps répété que « la France peut être fière ». Tant le présidentpar intérim Traoré que le président élu Keïta n’ont pas manquéd’opportunités à être vu serrant la main au président Hollande. Ces ex-pressions de « succès » ont été validées par le Conseil de sécurité lorsde l’autorisation post-intervention française d’une force de maintien dela paix (Résolution 2100 d’avril 2013). D’un autre point de vue, lessoupçons d’un lobby français pro-MNLA, l’imposition d’une date pour

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les élections de 201310 et les discussions difficiles autour de l’accordmilitaire entre la France et le Mali ont jusqu’à présent nourri les critiquesmaliennes de l’action française.

Toutefois, cette grille de lecture binaire (interprétation humanitaireversus néocoloniale) a son coût : elle externalise le problème de l’interven-tion, idéalise les agissements des acteurs locaux et, par conséquent, obscur-cit l’articulation entre les pratiques militarisées mondiales et les dimensionstransnationales de la gouvernance, car dans les faits les deux interprétationssont intimement liées (Charbonneau, 2014). La gouvernance démocratiquemalienne a été internationalisée dès ses débuts dans les années quatre-vingt-dix. L’échec de celle-ci en 2012 n’a pas mené à un questionnement et/ouune transformation du modèle, mais à sa militarisation.

L’arc historique du moment 2012–2014 est intrinsèquement lié auxluttes autour des fondations de l’État malien démocratique depuis 1991–1992 et autour des défis pour l’établissement d’un développementdurable et d’une gouvernance pluraliste. Plus que des problèmes desécurité, le Mali doit reconstruire et réformer non seulement le contrôleadministratif des populations, mais aussi la légitimité d’une administrationqui cherche à réformer ses forces armées et à mettre en place un dialogueintercommunautaire significatif et des mesures anticorruption. Ceci étantdit, sous le mandat de la MINUSMA, les options politiques du présidentKeïta sont explicitement réduites. Le politologue français Michel Galyparle d’un paradoxe, soit celui trouvé à l’interface des sources delégitimité nationales et internationales : « comment avoir une démocratie,voire un État, en même temps qu’il y a une mise sous tutelle […] et touteune légitimité à reconstruire » (France 24, 2013). Galy insiste pour direque cette « démocratie sous tutelle » tend à muscler les acteurs politico-reli-gieux face aux délits d’un État malien assisté par la France qui a« cautionné, devant la scène internationale et les instances régionales, unelongue série d’élections truquées » (Galy, 2013 : 21).

Il est possible qu’un retour au statu quo ante bellum ne puisse plus êtreenvisagé. Reste à savoir également si un mode de gouvernance (néo)libéralet/ou sa version spécifique malienne sont présentement menacés ou non.Néanmoins, il est clair que, peu importe l’avenir du Mali, ce futur sera con-struit avec, contre ou en dépit d’une présence militaire française et interna-tionale importante qui participe de la gestion des possibilités politiquescontestées. L’intervention militaire a déjà imposé certaines limites.D’abord, le Mali est et sera un État laïque, car « l’intervention militairefrançaise semble avoir essentiellement gelé » le débat sur la place del’Islam en politique (Marchal, 2013b : 3). Face à l’omniprésence des dis-cours basé sur l’Islam à propos de l’autorité et la légitimité morales,exclure les voix religieuses de la vie publique créera des problèmes pourla consolidation de la paix au Mali. En effet, selon Gregory Mann, « les ar-guments basés sur l’Islam sont plus à même de devenir hégémonique que

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ceux basés sur l’État malien », et ils mettent en premier plan la question dela capacité d’un État laïque à procurer la justice (Mann, 2013).

La légitimité internationale de la souverainetémalienne impose une autrelimite importante, car elle requiert des élections et un mode de gouvernancespécifique afin d’assurer et maintenir les ressources de l’aide internationaleau développement. Le modus vivendi du Mali de la dernière décennie, etsoutenu par les bailleurs internationaux, a empêché la décentralisation admin-istrative, instrumentalisé les initiatives de développement économique etentretenu le clientélisme élitiste. Particulièrement mis en évidence dans leNord du Mali, les conséquences de ce mode de gouvernance suggèrent lesdéfis systémiques auxquels font face les capacités administratives et l’influ-ence symbolique de l’autorité de l’État malien et les projets des acteursinternationaux.

Le déroulement réussi de la guerre de la France et la recherchesubséquente et immédiate d’une légitimité électorale risquent de galvaniserle soutien pour une consolidation du mode de gouvernance d’avant-guerre.Les autorités étatiques maliennes et françaises ont légitimé l’opération mili-taire par des discours sur le terrorisme et ont organisé rapidement desélections afin de légitimer la décision d’intervenir, « normaliser » la situa-tion sécuritaire et poursuivre les programmes de développement. Dans lamesure où cette normalisation ne répond pas aux problèmes d’un pluralismepolitique tronqué, la façade de la « gouvernance démocratique » est recon-duite. De manière significative, bien que la base internationale de lalégitimité souveraine du Mali repose sur des élections et un mode de gou-vernance spécifique, la base nationale de cette légitimité est confrontée àdes sites et des types multiples de contestation. Bien que tous les acteurs(ou presque) parlent de reconstruire un État fort, bien que beaucoup deMaliens expriment leur désir pour l’établissement d’un État fort, ils neparlent pas nécessairement du même État. L’État « fort » que désirent plu-sieurs Maliens n’est pas synonyme de l’État « fort » tel que conçu par lesintervenants internationaux du statebuilding (déjà mis en place en outrepar le Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement duNord Mali (PSPSDN)). La « force » de l’État est vécue différemment parles communautés des différentes régions du Mali, ce qui peut entraînerdes dynamiques opposées aux objectifs de « réconciliation ».

L’endroit où les sources nationales et internationales de légitimité etd’autorité se rencontrent continue d’être le lieu de négociations et deluttes politiques intenses. Par exemple, la sélection stratégique des parten-aires au dialogue parmi les élites locales et régionales a, pour le moment,exclu les dissidents du processus de refondation de l’État malien (voir lacomposition de la Commission pour le Dialogue). Sans l’expression et ladélibération d’idées dissidentes dans le processus politique, ceux qui se sen-tiront exclus continueront à trouver ou inventer des moyens alternatifs pourcombler leurs intérêts et désirs. De plus, déjà, les effets régionaux de la

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militarisation de la gestion des conflits se sont fait sentir au-delà desfrontières maliennes. Suite au potentiel de violence au Nord du Mali, auSud de la Libye et du groupe Boko Haram, les leaders africains ontmultiplié les rencontres au sommet et mis au centre de leurs discussionscette « guerre au terrorisme » au détriment de toutes autres priorités (ausommet de Malabo, 26 juin 2014; voir « Face à la menace djihadiste … »,2014), pendant que la France et les États-Unis revoient et renforcent leurcoopération et déploiement militaires dans la région.

Conclusion

L’intervention militaire française au Mali confirme la militarisation de lapaix et « la tentative agressive d’insérer des valeurs libérales » dans lesopérations de paix (Pugh, 2012), mais dans le contexte spécifique del’Afrique francophone (Charbonneau et Chafer, 2014). Bien que lalégitimation électorale d’un mode spécifique de développement et gouver-nance ne soit pas unique au Mali, ce qui surprend est tant la rapidité aveclaquelle l’intervention militaire française a été déployée que la force du con-sensus politique autour de celle-ci. Bien que la résistance initiale desAméricains, des Européens et des Africains puisse indiquer les limites dela « paix libérale », une fois l’opération Serval lancée, la recherche de la« paix » par des moyens militaires et une gouvernance démocratique aété appuyée par tous les acteurs importants. Autrement dit, malgré lesdébats initiaux sur les mérites d’une solution militaire à la crise malienne,la guerre de la France a trouvé légitimité et opportunité dans les valeurshégémoniques des opérations de paix, dans les discours de guerre contrele terrorisme et leurs pratiques d’exclusion respectives.

La probabilité que les insurgés salafistes reviennent en force rend im-possible l’analyse complète des conséquences de cette violence et contre-vi-olence. Toutefois, à la lumière de notre analyse, la guerre française contreces « terroristes » risque d’accroître le soutien au mode de gouvernancetel que défini par les élites maliennes du Sud et les élites internationaleset exacerber, plutôt que résoudre, les divisions socioculturelles existanteset la militarisation de l’Afrique de l’Ouest. Dans la mesure où les concep-tions internationales de l’autorité légitime divergent de celles conçues parles dynamiques maliennes, l’appui international au processus électoralpourrait continuer à empêcher l’intégration des communautés minoritaireset marginalisées, notamment dans le Nord du pays. Ces tensions peuventêtre et ont déjà été raciales et violentes. Par exemple, en 2012, le descendantd’esclaves et militant international des droits humains, Ibrahim ag Ibaltanat,notait que lorsque « les rebelles islamistes ont pris le pouvoir au nord duMali en avril, plusieurs de la communauté des descendants d’esclaves ontété kidnappés, lapidés à mort, fouettés ou mis au travail forcé » (York,

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2012). Cet exemple illustre comment « certaines personnes bénéficientd’une économie politique de guerre. Au nord, il y a un assez grandnombre d’intérêts alignés contre la paix » (Hall dans Lecocq et Mann,2012).

Il semble bien que les Maliens aient à subir une présence internationaleprolongée. Malgré les activités internationales de consolidation de la paixet de statebuilding, l’erreur cruciale serait d’interpréter le rejet maliend’une gouvernance relativement autoritaire et/ou d’une gouvernance islam-iste radicale comme l’approbation ou l’adhérence au néolibéralismeéconomique et aux normes occidentales de gouvernance. Les processusincomplets de formation de l’État et de la nation feront toujours face auxdéfis de sources de légitimité et d’autorité multiples et non-étatiques. Cequi est ressorti clairement des crises de 2012–2013 sont les héritages desluttes politiques et intellectuelles autour de l’État et l’imaginaire politiquemaliens et les réflexes internationaux à gérer les conflits et les possibilitéspolitiques contestées par l’action militaire.

Notes

1 Les noms donnés aux groupes rebelles du Nord sont régulièrement déployés incorrecte-ment. Terroristes, djihadistes, extrémistes et Islamistes sont utilisés de manière inter-changeable. Au Mali, le terme « salafiste » distingue les Islamistes « radicaux » deceux qui promeuvent une version plus républicaine de l’Islam (Marchal, 2012).

2 Ansar Eddine est victime de plusieurs épellations qui renvoient à des groupes différents(Ansar Dine, Ançar Dine, Ansar al-Din et Ansar ul-Din). Le groupe séditieux de Iyad agGhaly n’est pas à confondre avec le mouvement Ansar Dine, vieux de 30 ans, dirigé parCherif Ousmane Madani Haidara et basé dans le Sud du Mali.

3 Il est important de noter que ces groupes rebelles sont fluides, autant dans leur compo-sition interne que dans leurs relations entre eux. En aucun temps ont-ils constitué ungroupe homogène et cohérent.

4 Bien que le gouvernement américain ait été hésitant à appuyer une opération militaire auMali, pendant l’été 2012 les forces militaires américaines préparaient des plans d’inter-vention au Burkina Faso et au Niger. Malgré une vigilance américaine relative, il fautnoter l’intérêt limité pour l’Afrique de l’Ouest dans la politique étrangère américaine.Voir Kieh et Kalu (2013).

5 Selon le quotidien français (« Mali : histoire secrète d’une guerre surprise », 2013), aprèsle vote sur la Résolution 2071 du 12 octobre, le gouvernement français aurait reçu plu-sieurs appels de gouvernements africains qui ne croyaient pas que la MISMA pouvaitaccomplir sa mission. À la fin octobre, la stratégie française changeait et planifiait lesoutien militaire de la force africaine, incluant la présence de troupes françaises au sol.

6 Pour un résumé des premiers mois de l’opération Serval, voir International Crisis Group(2013 : 7–15).

7 Nous distinguons la formation de l’État de statebuilding. Le premier renvoie au proces-sus historique, profond et complexe de la construction d’un État-nation dans ses dyna-miques propres, alors que le statebuilding renvoie aux processus et mécanismesd’intervention des institutions et organisations internationales qui cherchent à construire,de manière artificielle, accélérée, de l’extérieur et parfois de manière coercitive, leurmodèle de l’État-nation.

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8 Trois entretiens, Département des opérations du maintien de la paix, Secrétariat del’ONU, New York, 9–10 décembre 2013

9 Officiellement, l’opération Serval s’est terminée le 13 juillet 2014 pour être remplacéepar une opération « plus large et permanente de lutte contre le terrorisme au Sahel »,l’opération Barkhane, qui constitue un redéploiement de 3 000 militaires français auMali, en Mauritanie, au Tchad, au Niger et au Burkina Faso, dont l’état-major sera àN’Djamena. La force Barkhane comptera 20 hélicoptères, 200 véhicules blindés, 10avions de transport, 6 avions de chasse et 3 drones, selon le Ministère de la Défense(« Mali : Le Drian annonce la fin de Serval… », 2014).

10 Jeune Afrique (« Présidentielle malienne : qui a fixé la date du premier tour au28 juillet? » 2013) révélait qu’à la fin juin 2013 le président Traoré aurait demandéun report des élections au mois d’octobre que le gouvernement français aurait refusé.

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